La gestion des DRM en perspectivepar Herwann Perrin Université René Descartes Paris V - DESS de Droit et Pratique du Commerce électronique 2004 |
Chapitre 1 - Les enjeux juridiques liés aux DRML'acceptation d'un système de GDN pour les utilisateurs/consommateurs devra avoir pour contreparties de les rassurer sur l'ensemble des mesures qui pourront être mises en place pour protéger leur vie privée. Et, qu'ils connaissent ainsi le périmètre des données nominatives susceptibles de faire l'objet d'un traitement informatique, c'est-à-dire plus précisément des consolidations d'informations nécessaires à l'exécution des conditions contractuelles d'utilisation des oeuvres qu'ils pourront acheter, télécharger, distribuer. En effet, l'enjeu essentiel qui existe entre DRM et PRM réside dans le fait qu'il faut à la fois pouvoir distribuer des contenus numériques à des individus en les authentifiant en tant que tels sans pour cela rendre lisibles les informations nominatives de chacun des systèmes. C'est dans cet équilibre que réside la juste adéquation entre respect de la vie privée et gestion des droits numériques comme nous le verrons ci-dessous. A cet égard, il est intéressant de lire ce que disait Alan Greenspan aux Etats-Unis en 2003 : « If our objective is to maximize economic growth, are we striking the right balance in our protection of intellectual property rights? Are the protections sufficiently broad to encourage innovation but not so broad as to shut down follow-on innovation? Are such protections so vague that they produce uncertainties that raise risk premiums and the cost of capital? How appropriate is our current system--developed for a world in which physical assets predominated--for an economy in which value increasingly is embodied in ideas rather than tangible capital? ».50(*) et Jörg Reinbothe pour la Commission Européenne en 2002 : « We must put rights and technology into perspective with one another. What are the desired results? 1. Firstly, to stimulate the creation of, and investment in, quality content. This cannot be achieved by DRMs or new business models alone (as alternatives to copyright protection), but through a balanced protection of intellectual property in combination with technological measures. 2. Secondly, we must enable legitimate access. This calls for prudence concerning the scope of exclusive rights and of technological measures ».51(*) La protection de la vie privée est et reste une donnée fondamentale dans nos sociétés et plus particulièrement dans le monde du commerce électronique. Une étude de PriceWaterhouseCoopers, en 2000, a montré que les deux tiers des consommateurs interrogés : « would shop more online if they knew retail sites would not do anything with their personal information ». De même une étude Harris, en date de 2002, indique que les inquiétudes majeures des internautes quand aux risques de sécurité sont liées à : « companies trading personal data without permission, the consequences of insecure transactions, and theft of personal data ».52(*) En définitive, on comprend largement que la problématique des DRM est intimement liée à une gestion adéquate, équilibrée et proportionnée des données personnelles des différents utilisateurs en ligne. Section 1 - Entre droit d'auteur et protection des données personnellesDepuis l'adoption du Traité ADPIC prévoyant que chaque Etat doit établir un régime juridique protecteur des droits exclusifs des droits d'auteurs et droits voisins, et surtout depuis l'adoption des Traités OMPI de 1996, la protection juridique des mesures techniques est devenue le canon intellectuel international de la protection de ces droits dans l'environnement numérique.53(*) Les traités OMPI de décembre 1996 ont tracé, pour l'ensemble des Etats, un modèle de protection juridique des mesures techniques de protection des contenus numériques, notamment en ce qui concerne la phase de distribution de cette économie et la sphère d'usages des consommateurs.54(*) Face à ces mesures, le principe du respect de la vie privée55(*) et de protection des données à caractère personnel demeure lui aussi un impératif européen de premier ordre comme cela a été rappelé, notamment, à l'article 8 de la Charte des droits fondamentaux ainsi que par les affirmations répétées des juridictions nationales françaises et dans diverses situations.56(*) §1 - Les droits d'auteurs en perspectiveLa législation européenne a édicté un ensemble de règles à travers des directives afin de moderniser le droit d'auteur, notamment par le Traité de l'OMPI de 1996. Cependant, celles-ci n'ont pas encore été transposées ce qui pose quelques difficultés en terme d'équilibre législatif. D'autant plus, que la Commission vient de proposer une nouvelle directive dans ce domaine qui fait déjà l'objet d'actions de lobbying intenses. A - La directive sur le droit d'auteur et le projet de loi françaisLe projet de loi français préparé par le Ministère de la Culture devrait permettre, s'il est adopté relativement rapidement, d'harmoniser en ce domaine les droits d'auteurs à la législation européenne. 1 - La directive sur le droit d'auteurLa transposition de la directive 2001/29 CE relative à l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information a pour fonction d'assurer l'intégration de cette norme internationale dans les droits internes des Etats membres. L'objet de la directive consiste précisément à définir une protection juridique des actes préparatoires ou de neutralisation des mesures techniques efficaces, qu'il s'agisse de dispositifs de contrôle d'accès ou de mesures techniques de contrôle de copie. Les mesures mises en place par la directive57(*) sont, pour le cas qui nous concerne, l'exception de copie privée facultative, la mise en place d'une compensation équitable et la protection du contournement des mesures techniques. En effet, l'article 5 §2 b)58(*) prévoit la « faculté » pour les Etats membres d'exempter du droit de reproduction les copies sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable.59(*) Concernant, la protection du contournement des mesures techniques, l'article 660(*) impose aux Etats membres une nouvelle infraction : l'acte de contournement des «mesures techniques efficaces». Non seulement l'acte même de contournement est visé, mais aussi le fait de fabriquer, importer, distribuer, vendre, louer, posséder à des fins commerciales ou faire la promotion d'outils ayant pour objet principal le contournement de ces mesures techniques.61(*) Ainsi, liberté est laissée aux titulaires de droits de mettre en place des mesures techniques protégeant leurs oeuvres. La Commission Européenne ayant, en février 2002, précisée qu'une gestion effective des droits dans le cadre des DRM et en relation directe avec la Directive 2001/29/CE devait s'appuyer sur le fait que : « The legal framework supports use of DRMs by protecting technical measures, and by requiring Member States to take into account the application or non-application of technological measures when providing for fair compensation in the context of the private use exception for which fair compensation is required, (Recital 35 and Article 5.2 (b))., can facilitate the effective management of rights and exceptions. Where technological measures are operational and effective, right holders should be able to ensure appropriate exploitation and enforcement of their rights as well as adequate revenues by using DRMs. The legal framework provides for the possibility to avoid double compensation where copyright levies and DRMs would be used in parallel ».62(*) * 50 Paul Horn, Elliot Maxwell, Susan Crawford, Promoting Innovation And Economic Growth: The Special Problem Of Digital Intellectual Property, A Report by the Digital Connections Council of the Committee for Economic Development, p.16, 2004, www.ced.org/docs/report/report_dcc.pdf * 51 Jörg Reinbothe, European Commission, Digital Rights Management Workshop, The Legal Framework for Digital Rights Management, Brussels, p. 4. 28 February 2002 * 52 Alessandro Acquisti, Privacy in Electronic Commerce and the Economics of Immediate Gratification 9p. 2003 www.heinz.cmu.edu/~acquisti/papers/privacy-gratification.pdf * 53 Philippe Chantepie, Mesures Techniques de Protection des oeuvres & DRMS, 1ère Partie : un Etat des lieux, 8 Janvier 2003, p. 8. * 54 Ibid, p. 11. * 55 Article 9 Code civil : « Chacun a droit au respect de sa vie privée » ; article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». On pourra lire avec attention une étude d'ensemble de la notion réalisée par Nathalie Mallet-Poujol, Protection de la vie privée et des données personnelles, 52p. Février 2004, www.educnet.education.fr/chrgt/guideViePrivee.pdf * 56 Le droit d'auteur et l'internet, Rapport de Broglie, Juillet 2000, p. 25-26. http://www.culture.gouv.fr/culture/cspla/rapportbroglie.pdf * 57 Blandine POIDEVIN, Commentaires sur la directive européenne relative aux droits d'auteur, 17/07/2001 www.jurisexpert.net/site/fiche.cfm?id_fiche=1356 * 58 Article 5 §2 b) « 2. Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction prévu à l'article 2 dans les cas suivants: (...) b) lorsqu'il s'agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable qui prend en compte l'application ou la non application des mesures techniques visées à l'article 6 aux oeuvres ou objets concernés (...) » Directive 2001/29/CE * 59 On notera que ces mesures facultatives sont de plus en plus nombreuses dans les directives dans un souci politique mais elles sont à notre avis d'interprétation stricte c'est-à-dire sans possibilité d'expansion ou de réduction, ce qui n'est pas toujours l'avis de certains Etats. * 60 http://europa.eu.int/smartapi/cgi/sga_doc?smartapi!celexplus!prod!CELEXnumdoc&lg=fr&numdoc=32001L0029 * 61 Article 6 : « (...) Les mesures techniques sont réputées efficaces lorsque l'utilisation d'une oeuvre protégée, ou celle d'un autre objet protégé, est contrôlée par les titulaires du droit grâce à l'application d'un code d'accès ou d'un procédé de protection, tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l'oeuvre ou de l'objet protégé ou d'un mécanisme de contrôle de copie qui atteint cet objectif de protection (...) ». Ibid. Cet article a tout simplement été transposé à l'article 7 de l'actuel projet de loi français sur le droit d'auteurs. * 62 Commission Européenne, DIGITAL RIGHTS Background, Systems, Assessment, 14.02.2002, p. 8 http://europa.eu.int/information_society/newsroom/documents/drm_workingdoc.pdf |
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