Samuel Gaillard - Aude Rousselot
Espace Mondial
13-06-2002
Les paradis fiscaux
Lecture croisée du rapport d'ATTAC et du Rapport
Parlementaire
de Vincent Peillon et Arnaud de Montebourg
Introduction :
Parmi les premières réactions aux Etats-Unis
après les événements du 11 septembre, on a pu
observer le gel des avoirs des groupes suspectés ainsi que diverses
tentatives pour couper leurs ressources financières de par le monde. Car
si l'argent est le nerf de la guerre, il ne fait souvent guère de doute
que les paradis fiscaux et les centres financiers offshore en sont les bases
arrières.
Dans ces zones peuvent s'accumuler des centaines de milliards
de dollars issus des trafics de drogues et/ou d'armes, de la corruption ou
encore de l'évasion fiscale, et s'organiser des services comme le
blanchiment de l'argent sale ou la délivrance de pavillons de
complaisance. Les paradis fiscaux sont donc depuis une dizaine d'années
dénoncés par de nombreux Etats et organisations internationales
comme des zones de non-droit qu'il convient d'éradiquer ou tout au moins
de contrôler plus strictement.
Les deux rapports proposent deux approches
complémentaires du phénomène : un rapport technique et
institutionnel côté parlementaire, un essai vulgarisateur
teinté de conviction politique côté Attac. Dans un premier
temps, on cherchera à comprendre ce que recouvre exactement la notion de
« paradis fiscal »: que sont ces
« paradis », où sont-ils, que permettent-ils de
faire, quelles réactions suscitent-ils ? Dans un second temps, on
en montrera les enjeux économiques et éthiques.
L'intérêt de l'étude des paradis fiscaux
dans notre contexte réside ainsi en ce que les paradis fiscaux offrent
une illustration remarquable des interactions entre logiques étatiques
et logiques transnationales : ces centres, souvent jugés comme
l'incarnation des démons de la mondialisation, sont en fait très
largement intégrés dans des logiques étatiques. D'une part
la mise en place de paradis fiscaux est une logique de développement et
d'insertion dans la modernité, d'autre part elle correspond à la
logique capitalistique de conservation et est souvent soutenue voire promue par
les éléments les plus licites (états, marchés,
entreprises...)
I. Que sont les paradis fiscaux ?
On peut tout d'abord souligner que le terme est partiellement
trompeur : le paradis fiscal est aussi, et parfois surtout, un paradis
financier. Il ne s'agit souvent pas seulement de pouvoir échapper
à l'impôt mais aussi de réaliser des opérations
financières dans le secret le plus total.
A. Historique et nature des paradis fiscaux
- Historicité du concept
On soulignera tout d'abord que les paradis fiscaux ne sont, en
soi, rien de nouveau. 2000 ans avant J.-C., les premiers commerçants
grecs envoyaient déjà des émissaires dans certains ports
afin que vendeurs et acheteurs, lors d'une transaction, se retrouvent à
un point convenu pour transborder la marchandise et échapper ainsi aux
taxes portuaires déjà existantes!
C'est ensuite au 2nd siècle avant JC qu'apparaissent
les premières zones franches officielles, en Méditerranée
orientale. Ainsi, dès 166 avant JC, et pendant près d'un
siècle, l'île de Délos pratique un commerce libre de taxes,
impôts et droits de douane. De par sa position géographique
privilégiée, l'île devient alors un très important
centre de commerce et d'échange par où transitent l'ivoire, les
étoffes, le vin, le blé et les épices.
Le même principe est repris au Moyen-Âge dans
différentes villes (« villes franches1(*) »), mais aussi dans
des ports et des foires, qui bénéficient d'un principe
d'extraterritorialité commerciale et fiscale. La franchise
connaît, dans le cas des villes, une limite géographique, et dans
le cas des foires une limite temporelle (quelques jours à quelques
semaines). La première foire franche remonte ainsi au VIIè
siècle avec la foire dite du lendit, à Saint-Denis,
instituée par le roi Dagobert. Ultérieurement, et notamment entre
le XIIè et le XIVè siècle, les grandes foires de Lyon, de
Brie, de Beaucaire ou encore de Champagne bénéficièrent du
même traitement de faveur.
Le cas de la ville de Marseille est également
très intéressant : dès le début de
l'ère chrétienne, Marseille est une république
indépendante disposant d'un port franc qui attire navires et produits de
toute la Méditerranée. Ce n'est qu'à partir de 1481,
lorsque le Roi de France s'empare de la ville, que le statut du port est remis
en cause. Il gardera cependant une partie de ses privilèges jusque
...1817 !
A partir du XVIè siècle, c'est au tour des
comptoirs coloniaux de développer des activités bancaires
offshore liées aux opérations commerciales. C'est dans les
années 1910, avec la prohibition américaine, qu'apparaît le
vocabulaire du blanchiment : en effet, pour réintroduire les
liquidités illégales provenant du trafic de l'alcool, les truands
investirent dans des `salons de lavage' ou laveries avec des machines à
pièces, qui leur permettaient de nettoyer l'argent au sens propre du
terme ! Plus tard, dans les années 1920, une nouvelle
génération de paradis fiscaux apparaît : des zones
comme les Bahamas, la Suisse ou le Luxembourg commencent à se
développer des législations permettant notamment aux
étrangers de venir déposer leurs capitaux pour échapper
à l'impôt.
Beaucoup de ces territoires, après la seconde guerre
mondiale, appartiennent aux « oubliés du Plan
Marshall ». Pour financer leur développement, certains se
spécialisent donc dans les pavillons de complaisance tandis que d'autres
adoptent une stratégie d'intégration à l'ordre mondial par
la dérégulation et le secret bancaire.
Avec le développement des euromarchés2(*) et l'abondance des
pétrodollars dans les années 60, ce type d'activité
connaît un boom bien accepté car jugé nécessaire par
les Etats et leurs diverses places financières, notamment la City.
Le nombre des paradis fiscaux n'a depuis pas cessé de
croître grâce à la libéralisation financière
et au développement des moyens de communications
télématiques facilitant des mouvements de capitaux rapides. Bien
souvent, cependant, l'augmentation des commissions des établissements
financiers locaux est la contrepartie d'un silence total et d'une absence de
regard sur l'origine et la légalité des capitaux
apportés.
- Définitions, typologies et géographie des
paradis fiscaux
Définitions et premières observations
Citons tout d'abord la définition des paradis fiscaux -
assez consensuelle - donnée par ATTAC :
« Au nombre de 60 à 90, les paradis fiscaux
ou financiers sont des micro-territoires ou Etats aux législations
fiscales laxistes ou inexistantes. Une de leurs caractéristiques
communes est de pratiquer l'accueil illimité et anonyme de capitaux. On
peut parler de pays qui commercialisent leur souveraineté en offrant un
régime législatif et fiscal favorable aux détenteurs de
capitaux, quelle que soient leur origine ».
Ces territoires :
Ø accueillent des fonds de toute provenance avec des
frais bancaires modiques.
Ø « font travailler » ces fonds.
Ø protègent l'anonymat du dépositaire.
Ils servent donc notamment :
Ø d'usine de retraitement de l'argent sale de toute
origine.
Ø De lieu idéal d'évasion fiscale pour
les particuliers comme pour les entreprises.
Ø De refuge à l'argent de ou
pour la corruption .
Le phénomène des paradis fiscaux est d'une
ampleur considérable : on estime que ces centres drainent plus de
la moitié (54,2 %) des avoirs détenus
hors-frontières3(*),
pour un total de plus de 5 000 milliards de dollars. Plus de 4 000
banques offshore y sont installées, et on y compte également plus
de 2,4 millions de sociétés-écrans.
La part de l'illégal dans ces montants est difficile
à estimer. Attac évoque un chiffre de 10 à 20% des
capitaux. La majorité des fonds sont en effet légaux, issus
d'entreprises telles que fonds de retraite ou d'investissement, en recherche
d'optimisation fiscale. Nombre de grandes entreprises, par ailleurs, ont
déplacé leurs sièges sociaux dans un souci similaire
d'optimisation fiscale (cf annexes). Les fonds issus de trafics divers ou de la
corruption, s'ils sont donc minoritaires, représenteraient tout de
même 500 à 1000 milliards de $.
Typologie des paradis fiscaux
On peut proposer une première typologie des paradis
fiscaux fondée sur leurs activités. Dans ce cadre il
conviendra de distinguer les paradis fiscaux à proprement parler des
centres financiers offshore d'une part et des zones franches d'autre
part :
Ø Les centres financiers offshore sont des Etats ou
territoires ayant pour principales particularités:
o La part prépondérante des non-résidents
dans le secteur financier
o La part disproportionnée de l'activité
transfrontalière par rapport à l'activité locale.
o Le contrôle des opérations
transfrontalières par des intérêts extérieurs.
o La coexistence d'une réglementation intérieure
et de dispositions spéciales pour les opérations
financières transfrontalières.
Ø Les zones franches, enfin, peuvent se
présenter sous plusieurs formes : zones franches commerciales,
zones franches industrielles ou zones franches bancaires4(*). Elles sont le plus souvent des
régions privilégiées au sein d'un Etat
bénéficiant, comme les paradis fiscaux, d'avantages fiscaux ou
réglementaires. Leur spécificité vient cependant
fréquemment de l'importance des avantages douaniers, permettant des
imports/exports avec peu de contrôle et le plus souvent sans aucun droit
de douane.
Ø Les paradis fiscaux et financiers a proprement parler
sont caractérisés par :
o Un secret bancaire très large
o Des réglementations et contrôles très
limités
o Une faible coopération judiciaire et
administrative
o Une fiscalité favorable tant sur les personnes
physiques que sur les personnes morales5(*)
o La constitution rapide et aisée de
sociétés ad hoc et de sociétés écrans
(trusts6(*), IBC7(*), Anstalt8(*), SPV9(*), shell banks10(*))
Ceux connaissant le plus de succès disposent en outre
d'un environnement politique stable et d'un secteur financier
développé tant technologiquement qu'en termes de
compétences.
Parmi les paradis fiscaux on distingue souvent11(*) :
Ø Des Etats ou territoires dépourvus
d'impôt sur le revenu et où les entreprises ne paient qu'une
faible licence annuelle (exemples : Anguilla, Bahamas, Bahreïn, les
Bermudes, les îles Caïmans, les îles Cook, Djibouti, Turks et
Caicos, Vanuatu)
Ø Des Etats ou territoires imposant une faible taxation
(Liechstenstein, Oman, Suisse, Jersey, Guernesey, Îles vierges
britanniques)
Ø Des Etats ou territoires ne taxant que les revenus
intérieurs : les revenus de sources étrangères sont
alors exonérés ou très faiblement taxés
(Libéria, Panama, Philippines, Venezuela, Hong-Kong)
Ø Des Etats ou territoires offrant des
privilèges à différentes structures financières
(îles anglo-normandes12(*), Liechstenstein, Luxembourg13(*), Île de Man, Monaco,
Pays-Bas, Antilles néerlandaises, Autriche, Singapour).
Il est par ailleurs clair que de nombreuses entités
territoriales cumulent les particularités des OFC (Offshore
Financial Centers) et des paradis fiscaux et financiers.
Historique du développement des principaux
OFC :
Date
|
OFC
|
Place / Particularités
|
Vers 1968
|
Singapour
Bahamas
Luxembourg
|
Asian Dollar Market
|
Années 70
|
Philippines
|
|
1976
|
Saint Vincent
Bahrein
Panama
|
|
Années 80
1981
1986
|
Dublin
USA
Japon
|
International Financial Service Center
IBFs14(*)
(International Banking Facilities)
Japanese Offshore Market (JOM)
|
Années 90
|
St Kitts
Malaisie
Nue
|
Labuan Offshore Center
(Nouvelle-Zélande)
|
Ce tableau met notamment en lumière les liens souvent
intenses qui unissent OFC et grands centres économiques
internationaux : les principales places financières onshore ont mis
en place des centres offshore, localement (cas du Japan Offshore
Market15(*)) ou de
manière délocalisée (cas des Etats-Unis qui ont
adapté leur législation : des traités fiscaux entre
USA et îles des Antilles permettent l'utilisation de shell
adresses délocalisées pour réaliser des
opérations sur des comptes américains en dollars).
La géographie actuelle des centres offshore et paradis
fiscaux est donc intéressante en ce qu'elle suit assez largement celle
des principaux centres économiques. La France a l'Andorre et Monaco,
sans parler de la Suisse, les Britanniques ont les îles Anglo-Normandes,
les Italiens, la principauté de Saint-Marin, etc. La majorité des
paradis fiscaux restés dépendants des anciennes puissances
tutélaires, et leur souveraineté fictive couvre une
criminalité financière non seulement tolérée, mais
souvent encouragée car nécessaire au fonctionnement des
marchés. La City de Londres, notamment, travaille avec cet argent. Ceci
explique l'opposition constamment renouvelée du Royaume-Uni, mais aussi
du Luxembourg et des Pays-Bas, à toute tentative de politique
européenne de taxation et de contrôle des mouvements de capitaux.
Un document de travail du FMI datant de 200016(*) proposait la liste suivante
pour les centres financiers offshores :
Afrique
|
Asie/Pacifique
|
Europe
|
Moyen Orient
|
Amérique
|
Djibouti
Libéria
Ile Maurice
Seychelles
Tanger
|
Ile Cook
Guam
Hong Kong
Japon (JOM)
Macao
Malaise (Labuan)
Mariannes
Iles Marshall
Micronésie
Nauru
Niue
Philippines
Singapour
Tahiti
Thaïlande
Vanuatu
Samoa Occidentales
|
Andorre
Saint Marin
Chypre
Gibraltar
Guernesey
Irlande (Dublin)
Ile de Man
Jersey
Liechstenstein
Luxembourg
Malte
Madeire
Monaco
Suisse
Royaume-Uni (Londres)
|
Bahreïn
Israël
Liban
|
Antigua
Anguilla
Aruba
Bahamas
Barbades
Belize
Bermudes
Iles vierges britanniques
Iles caïmans
Costa Rica
Dominique
Grenade
Montserrat
Antilles néerlandaises
St Kitts et Nevis
Ste Lucie
Panama
Puerto Rico
St Vincent
Turks et Caicos
USA (IBFs)
Uruguay
|
B. Fonctionnement et utilisation des paradis fiscaux
- Les principales utilisations des paradis fiscaux
Parmi les principaux modes d'emploi des paradis fiscaux pour
les particuliers, on retiendra17(*) :
Ø « le transfert de résidence
fiscale dans un paradis fiscal. Un tel transfert peut être
effectué en toute légalité s'il est réel, ce qui ne
sera bien entendu pas le cas pour des personnes physiques ayant conservé
des liens substantiels avec leur pays d'origine ou pour des entreprises qui
restent dirigées depuis leur Etat de résidence »
Ø « la "mise à l'abri" en
général frauduleuse de revenus, en rattachant ceux-ci
à une société écran établie dans le paradis
fiscal. Prenons par exemple le cas d'une société française
percevant des redevances de brevets : elle créera une
société établie dans un paradis fiscal et lui apportera
ses brevets. Les redevances de brevets seront alors soumises à une
fiscalité nulle ou très faible dans le paradis fiscal ; la
société écran distribuera ensuite ses revenus sous forme
de dividendes. Ceux-ci ne seront pas soumis à l'impôt en France en
application du régime dit des sociétés mères et
filiales (par lequel, de façon simplifiée, les dividendes en
provenance des filiales françaises ou étrangères
détenues à plus de 10 % sont exonérés). Il s'agit
là d'un mécanismes de transformation de redevances normalement
taxées (si elles étaient perçues directement par la
société française) en dividendes
exonérés. »
Pour les entreprises, les schémas sont plus nombreux et
souvent plus complexes. Le Forum de Stabilité Financière, dans un
rapport d'avril 2000 publié par le groupe de travail sur les centres
financiers offshore, cite notamment :
Ø Utilisation des licences bancaires offshore
par des entreprises multinationales ayant des besoins de change ou de
financement de joint-ventures. Les banques onshore peuvent également
avoir recours à des filiales offshore pour des raisons fiscales ou de
moindre régulation
Ø Utilisation du cadre des IBCs
(International Business Corporations) : ces structures
financières ad hoc à responsabilité limitée peuvent
servir à toute opération de haut de bilan (émissions de
titres, émissions obligataires) tout en conservant une structure
minimale : la nomination d'un directeur suffit... Dans certains cas
l'enregistrement des actionnaires n'est pas indispensable : ceux-ci ne
disposent que de titres au porteur. Les IBCs sont utilisés notamment par
les fonds d'investissement.
Ø Utilisation des régulations
actuariales et fiscales favorables dans le secteur des
assurances : l'emploi de filiales offshore permet par exemple aux
assureurs de limiter leurs obligations de réserves et de réduire
les niveaux de taxation.
Ø Utilisation de SPVs (Special Purpose
Vehicles) : Ces structures financières ad hoc sont
utilisées par exemple pour des émissions obligataires
gagées sur des actifs placés dans la structure par des
entreprises onshore classiques. Le cadre fiscal et le moindre niveau de
régulation prudentielle justifie l'attractivité de ce type
d'opérations.
Ø Optimisation fiscale : via la
création de filiales offshore et le choix de prix de transferts
favorables, parfois avec la complicité des Etats, les multinationales
peuvent réduire sensiblement leur taxation. Exemple d'emploi de ce type
de technique : le World Tax Planner , système informatique
développé par le cabinet d'audit et de conseil Deloitte &
Touche. Sur la base d'un ordinateur stockant les conventions fiscales de tous
les pays, le système est capable de tracer les itinéraires les
plus intéressants pour la remontée des dividendes, des
intérêts et des redevances. Ainsi une entreprise française
qui concède à sa filiale espagnole l'exploitation d'un brevet
contre des royalties aura intérêt à faire transiter ces
royalties par la Norvège puis par un paradis fiscal
adapté !
Ø Evasion fiscale et blanchiment (cf
seconde partie)
Ø Gestion d'actifs et protection :
les particuliers et entreprises actifs dans des Etats au
système politique ou financier fragiles peuvent avoir
intérêt à conserver leurs fonds dans un centre financier
offshore pour éviter les krachs locaux. La confidentialité joue
alors bien sûr un rôle clé.
Ces utilisations sont possibles grâce à un
contexte souvent favorable: services financiers développés ;
secret bancaire pénalement protégé ; absence de
contrôle des changes ; droit de passer toute forme de contrat ;
droit de constituer toute forme de société, y compris fictive,
avec anonymat garanti des porteurs de parts ; exonération fiscale
ou taxation forfaitaire symbolique ; équipement et logistique
performants; sécurité et stabilité politique ;
répression de la criminalité financière faible ou
inexistante; coopération internationale nulle.
- Quelques exemples18(*)
Les techniques de blanchiment ou d'évasion fiscale sont
souvent très complexes (c'est d'ailleurs toute leur force). On se
limitera donc ici à quelques exemples simples. On retiendra cependant
que le blanchiment suit habituellement trois étapes :
Ø Le placement, ou prélavage, consiste à
transférer argent liquide et devises du lieu d'acquisition vers les
établissements financiers de différentes places, ventilés
sur une multiplicité de comptes.
Ø L'empilage, ou brassage, rend impossible de remonter
à l'origine des profits illicites grâce à de nombreux
virements entre comptes - chaque compte étant lui-même
éclaté en sous-comptes -. Le brassage fait largement appel
aux systèmes électroniques de transmissions tels que Swift ou
encore aux marchés dérivés.
Ø Enfin, dernière étape,
l'intégration planifiée des capitaux blanchis, regroupés
sur des comptes de banques sélectionnées, et prêts à
être réutilisés en toute légalité.
i. Les fourmis japonaises
Il s'agit d'un dispositif très
« manuel » ne faisant appel à aucune technique
complexe.
Les fourmis japonaises
le trafiquant remet aux fourmis l'argent à blanchir et
des billets pour Paris. .
les fourmis se rendent à Paris et y achètent
des produits de luxe : maroquinerie, parfumerie, joaillerie.....
les fourmis retournent au Japon pour déposer leurs
achats et reçoivent une commission
les objets sont commercialisés au Japon comme des
objets importés de Paris, dans des boutiques appartenant aux
trafiquants
Ce circuit en trois étapes illustre une pratique
rudimentaire mais efficace : « placement » de l'argent
sale auprès des faux touristes, « empilement »
lorsqu'ils diffractent les sommes en faisant leurs achats à Paris,
« réintégration » des valeurs par la vente
des objets à Tokyo.
Des japonais sont envoyés à Paris avec de
l'argent sale en liquide. Ils y achètent des produits de luxe qu'ils
ramènent au Japon et livrent contre une commission. Ces objets sont
alors commercialisés dans des boutiques appartenant au commanditaire du
blanchiment...
ii. Le blanchiment à l'envers
Le blanchiment à l'envers
La mafia russe détourne du pétrole
sibérien et le vend sur le marché libre de Rotterdam pur 40
millions de dollars.
L'argent est déposé sur un compte dans une
banque londonienne
La mafia russe à travers les banques qu'elle
contrôle, passe commande billets neufs à une banque privée
de New-York
Londres verse les 40 millions de dollars à la banque
privée new-yorkaise
la banque de New-York achète au Federal Reserve Board
pour 40 millions de billets neufs
La FED livre les billets neufs qui sont acheminés vers
des banques sous contrôle mafieux à Moscou. Ces billets peuvent
servir ultérieurement pour des opérations illégales en
liquide.
Dans son rapport du 28 juin 1996, le GAFI écrivait
« ... au cours de 18 derniers mois, environ 100 millions de dollars
en espèces ont été rapatriés vers la Russie chaque
jour, essentiellement par deux banques américaines, en réponse
à des demandes de banques russes. Compte tenue des montants
élevés d'espèces commandés, il est concevable
qu'une partie au moins des fonds soit utilisée pour fournir les besoins
du crime organisé russe... » Quel autre besoin en effet les
banques russes pourraient-elles avoir de billets neufs de 100 dollars
enfermés dans leurs coffres ?
On a ici affaire à un dispositif plus
évolué, utilisé notamment par la mafia russe pour blanchir
l'argent du pétrole détourné. La somme provenant de la
vente du brut est placée sur un compte à Londres. Une banque
russe contrôlée par la mafia passe commande de billets neufs
à une banque new-yorkaise et paie cette commande par un virement depuis
Londres. Les billets neufs sont rapatriés en Russie et peuvent
être utilisés pour toute opération en liquide...
i. Le cas Accenture
Accenture est l'ancienne branche conseil-IT du géant de
l'audit Arthur Andersen, actuellement en cessation d'activité.
L'entreprise a acquis son indépendance en s'introduisant en Bourse
courant 2001. Accenture, avec ses 75 000 employés appartient aux plus
grandes entreprises de son secteur et réalise un chiffre d'affaire
d'environ 12 milliards de $.
Avant l'introduction en Bourse, l'entreprise appartenait
exclusivement à un groupe d'associés. Ceux-ci détiennent
toujours actuellement 80% du capital. Pour optimiser fiscalement et
opérationnellement l'introduction, les associés ont fait le choix
du montage suivant :
Ø la holding de tête, Accenture Ltd. est une
société basée aux Bermudes
Ø cette holding contrôle une holding de second
niveau, Accenture SCA, société luxembourgeoise
Ø Accenture SCA, à son tour, contrôle les
différentes entités nationales composant Accenture.
La raison officielle donnée aux journalistes pour le
choix d'implantation aux Bermudes est la flexibilité offerte pour le
passage de la structure du partenariat à celle de l'entreprise
cotée. Il semble qu'en fait bien d'autres aspects soient
intervenus :
Ø Absence d'impôt sur les bénéfices
aux Bermudes. Mieux, Accenture a négocié un accord avec le
ministre des finances des Bermudes : en cas de changement
législatif, la situation d'Accenture restera identique au moins jusqu'au
28.03.2016 ! En contrepartie Accenture doit verser une taxe maximale
annuelle de ... 27.825$ !
Ø Protection juridique : Il semble qu'un jugement
prononcé aux Etats-Unis contre Accenture (comme cela a été
le cas contre Andersen) aurait peu de chances d'aboutir hors des USA une fois
la société installée aux Bermudes. Il semble en effet peu
probable que les tribunaux locaux ne suivent les tribunaux américains.
Aucun traité ne l'impose.
Ø Enfin, Accenture se protège contre ses
nouveaux actionnaires: dans les entreprises de droit bermudien, les
actionnaires minoritaires n'ont en général aucune prise sur les
dirigeants de l'entreprise. En d'autres termes, les associés garderont
complètement le contrôle.
Ø Le droit commercial des Bermudes autorise certaines
opérations de rachat d'actions favorables aux associés.
C. Le développement de la lutte
Les deux rapports qui nous servent de référence
démontrent clairement un point : les paradis fiscaux sont
aujourd'hui au centre des débats : permettant
l'évasion fiscale, ils sont contraires à
l'intérêt général ; facilitant le
blanchiment, ils participent au soutien des mafias et des
trafics en tous genres ; permettant par leur opacité le financement
ou le recyclage de l'argent de la corruption, ils sont un
frein au développement de nombreux Etats.
Tous ces facteurs, conjugués à la fin de la
période libérale tatchéro-reaganienne, ont
entraîné une prise de conscience assez importante à la fin
des années 1980 : il importe de lutter contre les paradis fiscaux.
La première explicitation de ce choix a
été le fait du G7 au sommet de l'Arche à Paris, en 1989.
La France, hôte du sommet et initiatrice de la création du GAFI
(Groupe d'Action Financière ou FATF soit Financial Action Task Force) a
alors joué un rôle assez important.
C'est également en 1989-1990 que le Conseil de l'Europe
élabore la Convention de Strasbourg relative au blanchiment, au
dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits
du crime. Son application reste malheureusement aujourd'hui suspendue à
la mise d'une réelle Europe de la justice, processus peut-être
entamé aujourd'hui avec la création d'Eurojust.
Dès mai 1990, le GAFI a publié ses
premières conclusions avec les « 40
recommandations » destinées aux Etats membres du G7 pour
lutter contre les paradis fiscaux. Progressivement le groupe s'est ensuite
élargi et compte aujourd'hui 29 membres et notamment les principaux
centres financiers internationaux. Une de ses principales activités
aujourd'hui est l'identification des NCCT (non cooperating countries or
territories), centres offshore posant le plus de problèmes. Une
série de 25 critères a été définie, qui
comprend notamment :
Ø L'existence de trous manifestes dans la
régulation financière et notamment :
o l'absence de régulation ou d'institution de supervision
des transactions financières.
o L'absence ou la faiblesse des contrôles lors de
l'attribution des agréments bancaires
> L'absence ou la faiblesse des mesures
d'identification des clients des banques
o Un secret bancaire excessif
o L'absence de mécanisme d'identification et de
déclaration des transactions douteuses
Ø L'existence de faiblesses dans le droit commercial et le
droit des sociétés telles que :
o Un faible degré d'enregistrement et de reporting sur les
sociétés
o Une mauvaise identification des agents contrôlant les
sociétés
Ø Des obstacles à la coopération
internationale et singulièrement :
o Une coopération administrative inexistente, trop lente,
ou faisant preuve de mauvaise volonté
o Une coopération judiciaire limitée par une
législation ne pénalisant pas le blanchiment
o Un appareil judiciaire peu coopératif
Ø Des mesures inadéquates pour prévenir,
détecter et réprimer le blanchiment :
o Manque de ressource financières ou humaines dans les
organismes de contrôle
o Absence d'une unité centralisée de
contrôle
Une des recommandations du GAFI a abouti à la
création des URF (Unités de renseignement financier)
chargées de recueillir et de traiter les déclarations de
soupçon imposées aux institutions financières et à
certaines professions (avocats, notaires,...). Il a aussi dressé une
liste noire des 20 états les moins coopératifs : Iles Cook,
République Dominicaine, Egypte, Grenade, Guatemala, Hongrie,
Indonésie, Israël, Liban, Iles Marshall, Myanmar, Nauru, Nigeria,
Nuie, Philippines, Russie, Sont Kitts et Nevis, Sont Vincent et Grenades,
Ukraine.
L'OCDE, de son côté, a publié la liste des
centres offshores n'ayant répondu à aucune de ses demandes de
coopération: Andorre Principauté du Liechtenstein Liberia
Principauté de Monaco République des Iles Marshall
République de Nauru République de Vanuatu. (cf. infra sur le fait
que les deux listes ne correspondent pas).
Une autre institution, le Groupe Egmont, au fonctionnement
largement informel, a été établie en juin 1995 à
Bruxelles pour permettre la concertation entre les URF établies dans les
différents Etats.
Un « forum de stabilité
financière » a enfin été mis en place, en charge
plus spécifiquement des questions liées aux cadres prudentiels
sur les marchés financiers.
Pour ce qui est de la concurrence fiscale, les limites entre
légal et illégal sont difficiles à définir... Ainsi
l'Irlande entre régulièrement en conflit avec l'UE qui l'accuse
de dumping fiscal. La zone franche de Dublin est notamment au coeur des
débats : les exemptions de cotisations sociales et de taxes
professionnelles sont la règle plutôt que l'exception. Les
sociétés sont par ailleurs assujetties à un impôt de
seulement 10 %, les propriétaires et les locataires
bénéficient de dix ans d'exemption d'impôt locaux, et ils
ont la possibilité de déduire le double des frais de location
pendant la même période. Paradoxalement, dans le même temps,
l'Irlande bénéficie pour six ans encore de fonds européens
de développement régional...
Conclusion partielle :
Quelques manifestations du souci de lutte contre les
paradis fiscaux dans le droit français :
o Apparition de l'incrimination de blanchiment dans le droit
pénal français en 1987. Elle est, à l'époque,
exclusivement destinée à lutter contre les réseaux de
trafiquants de stupéfiants et fait partie d'un plan global ciblé
sur cette délinquance.
o 1996 : transposition de la Convention de Strasbourg. La
France élargi sa définition du blanchiment, en la
généralisant à l'ensemble des crimes et délits
sous-jacents.
o Mise en place de l'obligation de déclarations de
soupçons pour les établissements financiers en cas de
transactions douteuses.
o On attend actuellement un mécanisme de renversement
de la charge de preuve en cas de suspicion de blanchiment, mécanisme
existant déjà dans cinq pays membres de l'Union Européenne
(Danemark, Grèce, Irlande, Italie, Royaume-Uni)
o La tendance est également à la
pénalisation des cas de négligence :
l'intentionnalité des délits deviendrait secondaire.
Transition : ce premier état des lieux des
initiatives anti-paradis fiscaux ne doit pas masquer les nombreuses
ambiguïtés existantes : les Etats
« dominants » ont une responsabilité majeure dans
l'activité de la plupart des places et il ne tient qu'à eux d'y
mettre fin...
II. L'enjeu mondialisation : économie et
éthique
Les OFC se présentent, dans leurs localisation comme
dans leurs modes de fonctionnement, comme un phénomène
singulièrement intrinsèque à et représentatif de la
globalisation
A. Des méthodes et des acteurs adaptés au
nouvel ordre mondial
- Opportunisme et hypocrisie des marchés et entreprises
licites comme des Etats
L'implication des principales puissances économiques
semble importante et leur attitude souvent ambiguë. Ainsi la plupart des
Etats industriels occidentaux tolèrent très largement les
implantations de leurs agents économiques dans des OFC pourtant
décriés. Il leur arrive même de les utiliser pour
satisfaire des fins coupables.
o les annexes des marchés : répartition des
compétences avec les places officielles de Londres, NYC ou Tokyo (on les
appelle `booking centers' car ils concentrent les opérations non
traitées / non traitables dans les places ou des autorités comme
la COB française exercent une certaine surveillance). On observe
fréquemment une spécialisation des centres : les Bermudes
privilégient l'accueil de compagnies d'assurance exclusive et
d'entreprises de réassurances, générant aujourd'hui plus
de 40% d'un PNB de 2,5 milliards de $. Les îles Caïmans et les
Antilles néerlandaises facilitent l'enregistrement d'émissions
internationales, par exemple via les SPV. Les îles caïmans et les
Bahamas accueillent des fonds d'investissement et des fonds
spéculatifs19(*).
Labuan en Malaisie a choisi la gestion de patrimoine pour les particuliers
fortunés. L'île d'Anguilla, assez écartée des voies
de communication, se spécialise comme centre de paiement pour
sociétés internet.
o les filiales des entreprises : ce sont les
sociétés écrans permettant les transferts de
fonds20(*), et bizarrement
(vous avez dit bizarre ?) un nombre important de sociétés de
conseil. Examinons quelques implantations d'entreprises
« surprenantes » :
EADS
|
Amsterdam (zone franche)
|
Schlumberger
|
Curaçao (Antilles Néerlandaises)
|
PriceWaterhouseCoopers
|
Jersey ( ?), qui a adopté une législation
ad hoc sur la responsabilité limitée des associés
|
Ernst and Young
|
Accenture
|
Bahamas, Bermudes
|
o les comptoirs des banques : le rapport Gafi de 1995
stigmatise les banques correspondantes et les bureaux de représentation.
Côté français, le rapport de la Commission Parlementaire
souligne les agissements suspects des banques françaises disposant de
filiales aux îles Caïmans21(*): BNP-Paribas, Crédit Agricole Indosuez, CIC,
Crédit Lyonnais, Natexis Banques Populaires, Société
Générale. Ces établissements, en réponse aux
questions de la Commission, ont indiqué les raisons suivantes pour
justifier leur implantation : 1. Des économies sur la taxe
pratiquée aux USA dont l'assiette est le montant des actifs
gérés, 2. La réduction du risque d'avoir à
constituer des réserves sur les eurodollars collectés22(*), 3.
« Répondre aux besoins particuliers de certains
clients ». Rarotonga compte ainsi 7 firmes financières
agrées, gérées depuis Wall street et la City.
o l'attitude contrastée des états en
non-coopération est dénoncée par le rapport 1998 de l'OCDE
sur la « concurrence fiscale dommageable, un problème
mondial ». Il pointe en particulier
l'opportunisme législatif pour faire varier les corpus
en fonction de la situation (l'Allemagne avait créé pour janvier
1989 un prélèvement de 10 % sur les revenus de l'épargne.
Cela a provoqué une fuite de capitaux telle que 1. les banques ont
proposé à leurs clients de relocaliser leurs placements faits
à l'international dans leurs filiales à Luxembourg ; 2. le
gouvernement a annulé la mesure en juillet 1989) ou pour éviter
les contre-mesures du Gafi (la Russie s'est ainsi dotée d'un arsenal
anti-blanchiment en 200123(*), qui est absolument inapplicable vu la puissance des
trafics russes),
et l'incitation plus ou moins masquée, comme dans le
cas des FSC américains. Les Etats-Unis autorisent explicitement les
sociétés de vente à l'export (FSC ou Foreign Sales
Corporations) à se domicilier dans leurs filiales situées
dans des centres offshore tels que les îles vierges, la Barbade ou Guam.
Pour les sociétés en question, il s'agit d'échapper
à tout impôt réalisé sur les contrats
internationaux : elles vendent les produits à prix coûtant
à leur filiale offshore qui les revendent - avec profits - à
l'étranger. Le bénéfice échappe ainsi à
l'impôt américain. Pour l'Etat américain, il s'agit de
favoriser ses entreprises24(*) dans l'obtention des grands contrats par une
subvention indirecte. Ce type de montage, qui facilite aussi le versement de
pots-de-vin aux responsables des pays acheteurs, est fréquent dans des
secteurs comme l'aviation commerciale, l'armement ou le bâtiment et
travaux publics. Leur utilisation systématique par les Etats-Unis leur a
toutefois voulu d'être, à la suite d'une plainte de la Commission
européenne, condamnés par l'Organisation mondiale du commerce
pour concurrence déloyale.
> Sur tous ces points, peu de détails... Mais on
peut dire que les OFC fonctionnent sur l'espoir du « loin des yeux,
loin du contrôleur » et c'est pourquoi la publicité pour
le « Freedom Ship » assure de l'absence à bord de
tout « terrocrat » (le terroriste technocrate du fisc).
>> illustration : les demi-succès des
`déclarations de soupçon'.
La « déclaration de
soupçon » désigne l'obligation25(*) qu'ont les organismes
financiers et les professions spécialisées en relations avec des
placements financiers, dont la liste s'allonge progressivement, de
déclarer à TRACFIN les opérations leur paraissant
suspectes (provenance des capitaux, identité réelle de
l'opérateur, etc.)26(*). Le nombre des déclarations reçues
(3761) doit être rapproché des 67 millions de comptes bancaires
ouverts en France, ainsi que des 10,7 milliards d'opérations qui
transitent chaque année dans les systèmes interbancaires.
|
1996
|
1997
|
1998
|
1999
|
2000
|
2001
|
Nombre
|
900
|
1202
|
1244
|
1655
|
2537
|
3761
|
Evolution
|
|
+ 33 %
|
+ 3,5 %
|
+ 33 %
|
+ 53 %
|
+ 48 %
|
- Intégration des nouveaux acteurs et systèmes
du monde globalisé :
L'intégration du monde musulman est tout à fait
exemplaire :
o le monde musulman compte des ressources importantes et
diversifiées en matières potentiellement illicites
(pétrole, narcotiques [d'où le terme narco-dollars dont la
circulation exponentielle entre 1985 et 1995 a attiré l'attention de la
20ème Assemblée Générale des Nations
Unies consacrée à la lutte contre la drogue], énormes
sommes rassemblées par le waqf et les intérêts bancaires
qu'aucun musulman ne peut percevoir personnellement, qui doivent bien trouver
un lieu de stockage) et des infrastructures ad hoc (OFC dans l'espace :
Oman, Dubaï, Bahreïn, Afghanistan, Liban, Singapour etc., banques
islamiques en réseau s'appuyant sur la solidarité marchande
traditionnelle, ONG musulmanes).
o C'est pourquoi la communauté internationale est
depuis un certain temps, et encore plus depuis le 11 septembre, attentive aux
finalités particulières des transferts de fonds dans ces
espaces : voir la dénonciation de l'argent du terrorisme
(coopération des brigades judiciaires sur les fonds d'Al Qaida, puis gel
d'avoirs de par le monde).
La réticularisation et la
dématérialisation du phénomène des paradis fiscaux
correspond parfaitement aux nouvelles logiques de fonctionnement
globalisé et immédiat :
o Les flux crées par la circulation de l'argent du
crime traditionnel (mafia russe, italienne, asiatique....), et les
évasions fiscales depuis les pays à forte pression fiscale
forment aujourd'hui un réel « archipel du crime »
qui reflète les logiques réticulaires de la globalisation :
contrairement à ce que l'étymologie latine commune de insulate /
isolate pourrait laisser croire, les réseaux sont tout à fait
patents (comme les organisations de sociétés écrans comme
vu supra. )
o Cependant la virtualité reste la vertu
première des OFC : la résidence des capitaux comme des
personnes est fictive, la nationalité est une illusion (on peut
l'acquérir à la Barbade par 182 jours de résidence et 500
000 $ d'actifs sur le territoire ; pour le Belize, de plein droit
après cinq années de séjour, ou 25 000 $ par couple et 15
000 $ par enfant sous huit jours auprès du Belize Economic Citizenship
Investment program Unit), la publicité et la recherche de capitaux se
font par Internet (ce qui permet de démarcher à échelle
planétaire, et directement auprès des initiés de
façon un peu plus discrète, comme on le voit sur la
publicité de la BNP aux Bahamas).
> Avec la globalisation financière et les nouveaux
adeptes du capitalisme de conservation, les portes d'entrée et de sortie
à surveiller se multiplient, et ce sont des points de passage en
force qui inquiètent pour le fonctionnement équilibré
des sociétés.
B. Des OFC qui perturbent économiquement et
éthiquement
- Une spoliation organisée de la
société
La fuite de capitaux est le premier
phénomène pathologique de la chaîne.
o Le blanchiment de l'argent du crime, de la drogue et des
détournements de fonds cause des dégâts immenses aux
économies fragiles. Ainsi, la crise russe de 1998 a été
provoquée par la stupéfiante évasion de capitaux provenant
de l'aide et des crédits internationaux en direction de centres offshore
comme
Nauru.
Quelques gros pontes de la
mafia
russe auraient transféré pas moins de 70 milliards de dollars
pour l'année 1998 dans ce caillou perdu au milieu du Pacifique).
o Sans forcément suivre la rhétorique parfois
amusante d'Attac à ce propos27(*), on peut considérer que les OFC comme plaques
tournantes des flux d'argent sont extrêmement représentatives
de la fluidification des capitaux et de la spéculation28(*), en droite ligne de l'esprit
du capitalisme conservateur et de la mondialisation financière.
François Chesnais, auteur d'un article sur la Mondialisation
Financière dans l'Economie Politique d'avril 2000, identifie la
déréglementation, le décloisonnement des marchés et
la désintermédiation comme caractéristiques de cette
fameuse mondialisation financière, qui pousse à la
création de nouveaux outils de jeu financier : on peut citer le
smurfing, qui consiste à éclater en permanence les sommes en
blanchiment pour qu'elles perdent toute trace de leur origine, avant qu'elles
achèvent leur parcours sur un même compte. On peut aussi parler du
jeu sur les différentiels de développement et de fiscalité
(ou « dumping fiscal »). De toutes les manières,
plus la flux est diversifié dans ses natures (devise, vente de produits
physiques et/ou de services, investissement...) et ses parcours les plus
licites possibles, plus il est indétectable. [cf. en annexe les recettes
de maquillage de l'ONU, et les schèmes de Jean de Maillard]
Le manque à gagner pour la
société est dénoncé par trois sortes
d'acteurs : les scientifiques, les intellectuels et les citoyens.
o Les scientifiques signalent l'instabilité
financière entretenue par ces flux opaques autour du globe : ils
rappellent le phénomène de gonflement de bulles
financières de plus en plus mobiles, indiscernables et
imprévisibles, car l'ensemble des fonds placés dans les OFC
atteindrait 6 milliards d'€ en 2000, et serait en augmentation de 12 % par
an29(*) ; ainsi que
la déstabilisation de la sécurité de recouvrement par
l'action de banques fantaisistes : on peut créer sa banque
personnelle et imprimer ses propres chèques au Monténégro
avec un capital social de 18 000 € .
o Les intellectuels dénoncent le paradoxe d'Etats qui
font de leur plus bel attribut - la souveraineté - une marchandise,
Bertrand Badie allant jusqu'à parler de « marchéisation
de la souveraineté », ayant la possibilité
d'écrire leurs propres lois. A ce propos, on peut s'interroger sur le
développement de la situation timoraise : ce petit Etat
récemment passé à l'indépendance, et qui est en
tain d'écrire sa constitution, a tous les caractères d'un futur
paradis fiscal (ancien comptoir colonial, petite taille, accès à
la mer autorisant la délivrance de pavillons de complaisance,
rareté des ressources naturelles, localisé dans la sphère
hyper-capitaliste et musulmane de l'Asie du Sud-Est...). Il sera
intéressant de l'étudier quand sa législation fiscale sera
complète. Les chercheurs décrivent aussi la logique absolue dont
les pays à fiscalité hyper-concurrentielle font preuve, en
s'inscrivant dans la mouvance économique et idéologique du monde
en modernité.
o Les citoyens savent qu'évidemment, cette fuite de
capitaux est un manque à gagner fiscal pour l'Etat, qui n'alimente pas
les caisses nationales et réduit les possibilités de services
publics. D'ailleurs, au moins un point négatif, la protection sociale
est évidemment très mauvaise dans les paradis fiscaux !
Les mouvements associatifs comme Attac dénoncent la
vampirisation par les grands capitalistes et la corruption des agents publics,
qui handicape « les économies nationales, compromet les
démocraties ou retarde leurs mises en places » 30(*)
Les institutions nationales depuis peu s'élèvent
aussi contre ces Etats ou territoires complices. A cet égard, la Mission
Parlementaire qu'a créé la France est une nouveauté d'une
grande hardiesse, les missionnés s'étant physiquement rendus dans
quatorze de pays entre juin 1999 et avril 2002. Ayant rencontré
l'ensemble des acteurs de la lutte anti-blanchiment en Europe, ils ont pu
légitimement appeler à l'instauration par le biais du Gafi d'une
obligation de vigilance, d'exigences de traçabilité des flux et
de sévérité contre le laxisme institutionnel y compris
à l'encontre de pays aussi `politiquement corrects' que le Lichtenstein,
le Luxembourg ou le Royaume Uni.
> Il semble donc que l'interpénétration des
sphère licite / illicite soit l'élément le plus frappant
du fonctionnement des paradis fiscaux, selon une logique d'adaptation à
la globalisation financière et une surenchère d'outils
inévitable au fil du temps31(*). C'est ce que l'on pourrait déjà
appeler l' « historicité » du
phénomène des OFC.
- le besoin de nouveaux régulateurs ?
Nous avons vu le développement du rôle des
instances internationales. Mais les critiques existent.
o Sans tout de même aller jusqu'à la
paranoïa d'Attac32(*), on peut facilement remarquer que les listes sont
mouvantes et ne se ressemblent pas d'une instance à l'autre.
Grégoire Duhamel, dans la version 2000 de son ouvrage Les paradis
fiscaux, palmarès comparé, sourit ainsi des commentaires
laudatifs du rapport 2000 de l'OCDE à propos des Bermudes qui seraient
en passe de sortir de la liste honnie, et affirme qu'il y voir
« l'efficacité du lobbying effectué par les personnes
intéressées par la destination, c'est-à-dire les
très puissants milieux financiers britanniques et
américains »33(*). Nous avons aussi vu que les pays peuvent avoir une
production législative opportuniste, et que la création d'un
poste de douanier à Rarotonga en 1998 ne devrait pas être
considérée comme un digne si important que cela de la bonne
volonté de l'île... Par ailleurs, les pression sur les
institutions sont fortes de la part des pays ou des marchés
parrains : n'est il pas étonnant que jamais les îles
anglo-normandes ou Saint Barthélemy n'aient été
épinglés par le Gafi ?
o Attac propose hardiment que le contrôle soit
assumé « par l'ONU », mais ajoute
« Etudier ce qui, dans cet édifice, permettrait de combattre
la criminalité économique paraît un préalable, mais
Attac n'a encore eu ni le temps ni les moyens de s'y attaquer. On en restera
donc au stade des indications générales »34(*).....
Quelle solution pour des flux quand même positifs et de
toute façon impossibles à stopper ?
o En théorie, l'impuissance des états est
garantie par le respect de leur souveraineté et de l'indépendance
nationale : ni des Etats individuellement ni des organisations comme l'OMC
ou l'Union ne peuvent mettre un embargo sur un Etat. Par ailleurs Roger Palan
démontre l'impossibilité pratique à stopper ces flux qui
ne seraient alors que plus destructeurs, car plus souterrains et plus
localisés.
o A la suite de l'appel à la moralité
financière lancé par Attac dans son rapport, quid d'instruments
tels que la taxe Tobin ? Cette taxe appartient à la recherche de
solutions planétaires pour un développement soutenable et
harmonieux : taxer les capitaux flottants de 0,1 à 0,25 %,
donnerait 228 milliards de dollars par an à la Banque mondiale, pour
lutter contre la pauvreté et permettrait de répartir un peu plus
équitablement les fruits de la spéculation. Encore faut-il que
les flux soient détectés... et nous avons vu qu'il y a de
nombreux outils pour en masquer la circulation. Sans compter le fait
qu'interdire les
transactions
bancaires internationales avec les OFC, comme l'avait proposé la France
lorsqu'elle présidait l'Union en 2000, priverait brusquement ces petits
pays de leurs revenus principaux, ce qui ne serait pas sans effet sur leur
développement35(*).
> On remarque donc, dans le débat public
international, un appel à la réappropriation du
phénomène de la globalisation financière qui passe par
deux attitudes antagonistes. Les acteurs des OFC s'adaptent à la
globalisation financière et à l'esprit capitaliste de
conservation ; mais la société civile et civique appelle en
général à un contrôle et à une
répartition équitable des richesses produites par la
globalisation. Pour reprendre une expression chère à J. F.
Bayart, le paradis fiscal est un exemple de « transgression comme
mode d'appropriation de la globalisation ».
Conclusion partielle :
Face au gonflement des flux, à la multiplications des
acteurs et au développement de méthodes, qui sont autant
d'obstacles fonctionnels à la transparence et au contrôle des
activités des OFC, l'inquiétude et la dénonciation
augmentent.
Complémentaire de la dénonciation éthique
et économique, la question récurrente des sanctions amène
à s'interroger sur les résultats de la mission parlementaire
comme des activités du Gafi. La Mission appelait à identifier
formellement les dépositaires de fonds, rendre compte aux
autorités de toute transaction suspecte, incriminer pénalement
les blanchisseurs et coopérer avec la communauté
internationale ; elle signale dans ses conclusions, entre autres
réussites, que le
Liechtenstein
vient d'adopter dans la précipitation une législation
anti-blanchiment, et cinq personnalités impliquées dans ces
pratiques ont été arrêtées.
La création de contre-mesures par le Gafi a
contribué à une conscience plus forte de la surveillance
internationale, et à l'engagement de processus plus puissants et
émanant d'acteurs anti-concurrence déloyale localisés,
comme l'Union et les dispositifs visant à interdire le dumping fiscal
irlandais, ou le secret bancaire à la luxembourgeoise - la survivance
intra-communautaire de ce genre de « délit
économique » pour employer la terminologie d'Attac marque la
résistance des dispositifs protégés par les Etats à
toutes les formes de contrôle.
Conclusion :
L'élément le plus remarquable du débat
autour des paradis fiscaux est donc son caractère partiellement ambigu:
tout comme les pavillons de complaisance, les paradis fiscaux sont à la
fois ennemis et instruments des éléments licites de la
société transnationale qui au final contrôlent toujours le
jeu.
On peut donc être raisonnablement confiant quant
à la capacité potentielle des Etats de mettre fin aux
dysfonctionnements financiers liés aux paradis fiscaux. C'est bien
plutôt de leur volonté réelle qu'il s'agit de douter. Le
gouvernement anglais défendra-t-il l'intérêt
général contre celui de la City ? La Maison Blanche veut-elle
vraiment s'aliéner Wall Street ? Les doutes sont permis... Il est
cependant à noter qu'au sein même du monde des affaires, des voix
s'élèvent, notamment à la suite de l'Affaire Enron, pour
remettre en cause les choix d'opacité fiscale de nombreuses
multinationales, ou à la suite du 11 septembre, pour démasquer la
tartufferie de certaines ONG musulmanes. C'est ainsi que l'association
Transparency International, supportée essentiellement par des fonds
privés, est aujourd'hui un des grands acteurs internationaux de la lutte
contre la corruption, contre le blanchiment et pour la transparence.
Annexes :
A. Les Paradis fiscaux en 2000 selon la liste du GAFI
et les analyses de l'ONU
A'. Les Paradis fiscaux en 2000 selon Jean de
Maillard
A''. Les pays accueillant des zones franches n
2000
B. La liste établie par le Forum de
stabilité financière, rendue publique le 25 mai 2000
C. Les 3 phénomènes
caractéristiques du Paradis Fiscal
D. Un cas historique de « Paradis
Fiscal », la Principauté du Lichtenstein
E. Quelques autres schèmes
développés par Jean de Maillard dans Un monde sans
loi
F. Dette et blanchiment
Bibliographie
A. Les Paradis fiscaux en 2000 selon la liste du GAFI
et les analyses de l'ONU
A'. Les Paradis fiscaux en 2000 selon Jean de
Maillard
Source : Un monde sans loi
A''. Carte des Etats accueillant des zones
franches :
Source :
www.transnationale.org
B. La liste établie par le Forum de
stabilité financière36(*), rendue publique le 25 mai 2000
· Parmi ceux qui atteignent le niveau des places
financières classiques, figurent Hong Kong, le Luxembourg, Singapour et
la Suisse. Dublin, Guernesey, l'île de Man et Jersey sont aussi
considérés comme appartenant à cette catégorie,
« bien que des efforts continus pour améliorer la qualité de
la supervision et de la coopération doivent être encouragés
dans ces juridictions », nuance le Forum.
· Moins recommandables sont les pays du deuxième
groupe, où existe bien un arsenal de surveillance, mais d'une
qualité moindre : Andorre, Bahrein, la Barbade, les Bermudes, Gibraltar,
Labuan en Malaisie, Macao, Malte et Monaco.
· Enfin, le troisième groupe réunit les
paradis fiscaux les plus douteux. Beaucoup sont situés dans les
Caraïbes, comme Anguilla, Antigua et la Barbade, Aruba, Belize, les
îles Vierges britanniques, les Caïmans, le Costa Rica, les Antilles
néerlandaises, Panama, Saint Kitts et Nevis, Sainte Lucie, Saint Vincent
et les Grenadines, les Bahamas, Tuks et Caicos. Les autres se
répartissent entre la Méditerranée (Liban, Chypre),
l'océan Indien (Maurice, les Seychelles), le Pacifique (îles
Marshall et Cook, Vanuatu, Samoa, Niue)... sans oublier le Liechtenstein.
Source :
Les Echos, 26 Mai 2000
C. Les 3 phénomènes
caractéristiques du Paradis Fiscal
· Plus la contradiction actuelle entre la mondialisation
de l'économie et la déréglementation des marchés
s'accuse, plus la déréglementation financière est
poussée pour les transactions licites, plus il est facile de les
effectuer par des chèques, cartes de crédits ou autres
instruments scripturaux, plus il est difficile de détecter le
blanchiment d'argent.
· Mieux le système de blanchiment d'argent imite
la structure et le comportement des transactions légitimes, plus les
activités illégales sont enchâssées dans
l'économie licite, moins elle s'en distinguent sur les plans
institutionnel et fonctionnel, plus les flux financiers sont petits en regard
des flux financiers licites dans un établissement commercial
donné ou à l'entrée d'un marché donné, plus
il est difficile de distinguer le blanchiment d'argent.
· Plus la production de services l'emporte sur le
production de marchandises physiques, plus la structure de production et la
distribution de biens et services non financiers est dominé par de
petites sociétés indépendantes ou des individus
travaillant à leur propre compte, plus la proposition de services
financiers s'organise en « supermarchés »,
c'est-à-dire qu'on trouve toutes sortes de services financiers
intégrés dans une institution polyvalente, plus le maquillage
licite / illicite est facile.
D'après : rapport de l'ONU
D. Un cas historique de « Paradis
Fiscal », la Principauté du Lichtenstein
- bande de territoire montagneux de 25 km sur 5,
enclavée entre la Suisse et l'Autriche. 33 0 habitants, environ 70 000
sociétés, PNB de 35 000 dollars/hab, l'un des plus
élevés au monde - malgré l'absence de ressources
naturelles ou énergétiques extraordinaires.
- union douanière avec la Suisse depuis 1923, monnaie =
le Franc suisse depuis 1924 (> profite du `label' suisse, + touche les
systèmes financiers helvétique et communautaire, un marché
de 380 millions d'habitants).
- adoption d'une législation attractive dans les
années 1920 ; véritable développement au lendemain de
la Seconde Guerre Mondiale. Le secret bancaire est quasi-constitutionnel
(Hans-Adam II a dit qu'il préfèrerait quitter l'Espace Economique
Européen plutôt que renoncer au secret bancaire).
Quelques décisions illusoires :
l'adoption-transposition de la directive communautaire 91/308 du 10 juin 1991
relative à la prévention de l'utilisation du système
financier à des fins de blanchiment de capitaux, aboutissant à la
création d'un office des Services Financiers (AFDL) destinataire des
déclarations de soupçon [1. service constitué de 4
personnes plus un stagiaire malgré l'importance de la place
financière, 2. environ une soixantaine de déclarations de
soupçon ont été reçues depuis 1997, mais aucune n'a
jamais abouti à une condamnation], réforme du système des
ayants droits [complètement creuse : on ne peut plus ouvrir de
compte anonyme, mais possibilité de le faire par un avocat ou tout
intermédiaire fiduciaire]].
= interprétation abusive de l'article 2 de la
Convention de 1959, le Luxembourg n'accorde son entraide judiciaire que de
façon très parcimonieuse et soumet les demandes à une
appréciation politique ex ante et ex post, en plus de la
possibilité de voies de recours dans le cadre des commission rogatoires,
comme s'il s'agissait d'une procédure pénale interne.
- impôt sur le revenu des résidents est de 18 %
au maximum, celui sur la fortune inférieur à 0,1 %. Pas de taxe
sur les dépôts. Quasi-pas d'impôt sur les
bénéfices. La gestion de fortune pour le compte de
non-résidents constitue déjà plus de la moitié de
la valeur ajoutée de l'économie du Lichtenstein. 15 banques, 8
succursales autonomes de banques étrangères, 80 000 holdings, 11
compagnies d'assurance-vie, 4 sociétés financières et 27
fonds de placement sont domiciliés à Vaduz.
- interpénétration des milieux financiers et des
pouvoirs publics : la principale banque est propriété de
l'Etat, la deuxième appartient à la famille
régnante ; 8 des 25 députés sont avocats ou exercent
une activité dans le secteur financier.
E. Quelques autres schèmes
développés par Jean de Maillard dans Un monde sans loi :
Les faux jeux d'argent
Un client achète des plaquettes de jeu avec de
l'argent sale. Il convertit ces plaquettes avec de l'argent versé par le
casino.
Autre exemple : des joueurs complices perdent et gagnent
de l'argent sale à une table de jeu. L'un des leurs tient la banque et
reçoit l'argent blanchi par le jeu.
Autre exemple : le blanchisseur propose au gagnant de la
loterie de lui racheter son billet plus cher que sa valeur. Il se
présentera ainsi au service de paiement, et pourra justifier l'origine
de ses gains.
Le blanchiment par le jeu est facile et rapide, ce qui a
poussé nombre d'organisations à avoir leur propre casino.
Cependant la surveillance policière est croissante, et les sommes sont
quand même limitées.
Le faux procès
l'argent à blanchir est déposé
clandestinement sur le compte d'une société aux Iles
Caïmans
la société de Boston qui doit
récupérer l'argent blanchi fait un procès à la
société des Iles Caïmans et lui réclame 10 millions
de dollars. Deux solutions s'offrent : transiger ou perdre le
procès.
A Transaction à l'amiable : la
société des Iles Caïmans accepte de payer 8 millions de
dollars en échange de l'abandon du procès.
B Procès ou arbitrage : la société
des Iles Caïmans se laisse condamner et paye.
Technique extrêmement simple dans son principe, le faux
procès nécessite d'abord que le blanchisseur dispose de deux
sociétés, et ensuite de temps (la justice est lente). La
procédure d'arbitrage est plus rapide. Mais dans tous les cas, la police
aura beaucoup de mal à prouver que le procès est simulé.
Comble d'ironie, l'indemnité perçue par la société
quia gagné le procès n'est pas imposable, et c'est l'appareil
judiciaire qui sert de machine à laver...
Le blanchiment par les marchés financiers
le montant des primes pour les calls et les puts provient de
l'argent à blanchir. Cette somme est versée au MONEP.
L'argent à blanchir est ddéposé dans une
banque des Iles Vierges
Le straddle (calls et puts) est vendu un pue plus tard.
Compte tenu de la baisse des cours, l'opération se solde ici par une
légère perte, mais l'important est que la prise reçue est
versé par le MONEP, et a donc perdu tout lien avec les sommes
déposées aux Iles Vierges.
L'argent blanchi est versé sur un compte à
Zurich.
Comprendre les mécanismes de base des marchés
financiers n'est pas très complexe, et les trafiquants les
maîtrisent assez vite. E,n revanche, recycler son argent à travers
les marchés réglementés offre un grand
intérêt car les fonds sont versés par la chambre de
compensation des marchés financiers, organisme officiel qu'on ne peut
soupçonner de complicité. L'argent à ainsi perdu toute
race de son origine.
La ronde des swaps
la société parisienne qui a un compte off shore
et une société aux Antilles passe un swap avec une banque
viennoise. Chaque année pendant 5 ans par exemple la
société versera à la banque des intérêts de 6
% sur une somme de 10 millions de dollars, et au bout de 5 ans, 10 millions de
dollars. Au même moment, la banque viennoise versera à la
société des intérêts à 8 % sur une somme de
50 millions de FF, et au bout de 5 ans, 50 millions de FF.
Une banque de New-York passe le même swap avec la
banque autrichienne mais dans le sens inverse ; la banque de Vienne
versera des dollars, la banque de New-York des FF.
La filiale de la société parisienne qui a son
compte aux Antilles passe un swap avec la banque américaine, identique
aux précédents. New-York versera des dollars et la filiale
antillaise des FF.
Résultat : la société
française qui cherche à blanchir 10 millions de dollars n'a pas
à justifier l'origine de cette somme, virée à son compte
dans un paradis bancaire où il ne lui est posé aucune question.
Elle peut justifier à Paris l'origine des sommes perçues par
l'existence des swaps, à l'origine indétectable.
Explication : le swap est un produit financier
très répandu, qui sert à de nombreuses opérations
financières (couverture ou spéculation). Si des enquêteurs
cherchent à connaître l'ensemble des opérations de cette
ronde de swaps, il leur faudra des mois pour en comprendre le mécanisme,
d'autant que le schéma des swaps peut être rendu encore plus
opaque par le passage par des paradis fiscaux.
F. Dette et blanchiment ( en milliards de dollars)
Aide publique au développement (1995)
Prêts bancaires à l'Europe de l'Est
Prêts bancaires à l'Amérique Latine
Somme blanchie chaque année dans le monde
Prêts bancaires à l'Asie (avant la crise de 1997)
Source : FMI, situation à la fin du 1er
semestre 1997
Bibliographie :
- ASSEMBLEE NATIONALE Rapport de la mission parlementaire
d'information sur les obstacles au contrôle et à la
répression de la délinquance financière et du blanchiment
des capitaux en Europe, Président Vincent Peillon et rapporteur
Arnaud Montebourg, éd. de l'Assemblée Nationale, 2000.
- ATTAC Les paradis fiscaux, éd. Mille et une
nuits, 2000.
- ECO U. Comment voyager avec un saumon `Comment
visiter les marigots de demain', éd. Folio 1998
- CHAMBOST E. Guide Chambost des Paradis Fiscaux,
éd. Favre, 1999, 735 p.
- DUHAMEL G. Les paradis fiscaux, palmarès
comparé ed. Grencher, 2001
- MAILLARD J. de, Un monde sans loi, éd. Stock
1998
- PALAN R., Tax Havens and the Commercialization of State
Sovereignty, in International Organization, 56,
1-2002
- Le Monde Diplomatique, dossier `Dans l'archipel du
crime organisé', avril 2000
- Les Dossiers et Documents du Monde Le monde trouble
de l'offshore, février 2001
- L'économie Politique, `les Paradis
Fiscaux', 1999-4 n°4 (articles de F. CHESNAIS sur la mondialisation
financière, et de B. BADIE sur le dépassement du principe de
souveraineté)
- Rapport 2000-2001 du GAFI :
www1.oecd.org/fatf/pdf/PR-20010622_fr.pdf
- Rapport 1998 OCDE « Harmful Tax
Competition »
- Rapport 199? ONU - Office pour le Contrôle des drogues
et la prévention du crime ODCCP `Paradis fiscaux : secret bancaire
et blanchiment d'argent'
(Pas lu mais le titre est transparent : La Suisse
lave plus blanc (Le Seuil, Paris, 1990))
Autres sources :
- Déclaration finale de la Conférence des
Parlements de l'Union Européenne à Paris le 8 février
2002 :
www.assemblee-nationale.fr/evenements/blanchiment/asp#declaration
- Compte-rendu du Café-Géo avec Roger Brunet, le
1er décembre 1998, sur l'Antimonde :
www.cafegeo.com/cafe2/article.php3?id
- Cours de Jean-Stéphane Mésonnier à
l'ECP. Jean-Stéphane Mésonnier est économiste à la
Banque de France, responsable de la balance des paiements.
- Un site de banque offshore :
http://www.ocra-mauritius.com
- Forum de Stabilité Financière :
www.fsfforum.org
- Attac
attac@attac.org
- Dans l'esprit Attac
www.transnationale.org
* 1 D'où, par exemple, le
nom de la ville de Villefranche sur Saône.
* 2 Les
euromarchés : Les « eurodollars » sont apparus au
début de la guerre froide lorsque Russie et Chine craignaient une saisie
de leurs avoirs en dollars déposés aux USA. En réaction,
ces états ont demandé l'ouverture de comptes en Europe
libellés en dollars. Aujourd'hui la notion d'eurodevise concerne plus
généralement tout dépôt dans une devise autre que
celle de l'Etat où le dépôt est réalisé. Le
développement des « euromarchés » est
lié quant à lui entre autres à l'apparition et à la
multiplication des émissions obligataires libellés dans des
devises étrangères.
* 3 Cf Marcel Cassard : The
role of Offshore Centers in International Financial Intermediation. IMF Working
Paper WP/94/107, Washington DC, 1994.
* 4 Ces dernières sont
assimilables aux centres financiers offshore.
* 5 Sur ce point les paradis
fiscaux présentent donc des similitudes avec les zones
franches
* 6 Principe du trust :
un settlor (constituant) confie à un trustee (le gérant) des
valeurs ou des biens qui seront gérés au profit d'un
bénéficiaire. Toute l'astuce consiste à créer un
montage de sorte que par un circuit détourné, le constituant se
retrouve bénéficiaire.
* 7 International Business
Corporation. Ces entités ne disposent que d'un directeur assimilable
à un prête-nom. Les actionnaires ne sont pas
identifiés : ils disposent uniquement d'un titre au porteur.
* 8 Ces entités,
notamment utilisées au Luxembourg, sont semblables aux trusts.
* 9 Special Purpose
Vehicule : entreprise créée uniquement pour prendre part
à un montage financier d'optimisation fiscale, par exemple pour une
déconsolidation de dettes (cf. affaire Enron)
* 10 Filiales virtuelles de
groupes bancaires ne comprenant en réalité qu'un numéro de
fax et n'étant pas physiquement présentes sur le territoire.
* 11 Y.S. Park :
« The Economics of Offshore Financial Centers» in Columbia
Journal of World Business , 17(4):3135, 1982
* 12 A titre d'illustration
citons le cas de Jersey : les sociétés qui n'ont aucune
activité commerciale ou industrielle et dont les actionnaires ultimes ne
sont pas des résidents de jersey peuvent prétendre au statut
d'exempt company ; elles ne sont alors redevables que d'une taxe annuelle
forfaitaire de 500 Livres. Par ailleurs il est possible de créer
à Jersey des IBC (International Business Companies) passibles d'un taux
maximum d'imposition de 2 % sur les profits tirés de leur
activité internationale. Elles présentent l'avantage d'être
considérées comme des sociétés résidentes,
ceci leur permettant de bénéficier de la convention fiscale
signée entre Jersey et Royaume-Uni. (source :Cabinet Audit et
Révision Internationale)
* 13 Au Luxembourg, les
holdings qui ont pour objet exclusif la prise de participations dans d'autres
entreprises sont exonérées de tout impôt, sauf un droit
d'apport dû lors de la constitution de la holding et une taxe annuelle
dite d'abonnement relativement modique.
* 14 Ces centres offshores
domestiques américains ont été créés en 1981
pour tenter de rapatrier la masse croissante d'eurodollars.
* 15 Créé
à Tokyo suite à des pressions américaines, ce centre
permet notamment le traitement à Tokyo mais hors marché officiel
japonais des transactions bancaires « foreign-foreign »
* 16 Offshore financial
centers: background paper. IMF Working paper, Washington DC, 23.06.2000. En
1999, un working paper du FMI signé par Errico et Mussalemn incluait
également dans cette liste: Australie, Autriche, Hongrie, Russie,
Pays-Bas, Dubaï, Koweit, Oman.
* 17 Source : Site du
Cabinet « Audit et Révision Internationale »
* 18 Les deux premiers exemples
sont extraits de Un monde sans loi.
* 19 Ainsi le
célèbre LTCM, dont la faillite risqua d'entraîner une crise
systémique majeure, était domicilié aux Bahamas et
géré depuis le Delaware. Notons par ailleurs que la BCCI
était également un établissement offshore.
* 20 circuit financier stable
qui permette le recyclage. Il suppose la mise en place d'un réseau
très dense de sociétés écrans. Ce sont la plupart
du temps des sociétés d'import-export mais aussi des compagnies
aériennes, des firmes d'assurances et des banques, des entreprises dont
l'activité est toujours transnationale.
* 21 En 2000, la Banque des
règlements internationaux avait évalué les actifs
gérés aux îles Caïmans à 900 milliards
de dollars (contre 700 en France). Ce territoire, dépendant de la
couronne britannique, compte 40000 habitants mais plus de 575 banques, qui
gèrent des dépôts d'un montant de l'ordre de 500 milliards
de dollars, ce qui en ferait la cinquième place financière
mondiale.
* 22 Entre 1979 et 1980, date
de la création de la plupart de ces implantations, les USA imposaient la
constitution d'une réserve représentant 3% des eurodollars en
dépôt.
* 23 Adhésion à
la Convention de Strasbourg sur le blanchiment, le gel et la saisie des
capitaux d'origine criminelle du 8 novembre 1990, promulgation de la loi contre
le blanchiment le 7 août 2001, création d'une agence
(Comité de monitoring financier, homologue du Tracfin) chargée
dur contrôle des opérations d'un montant supérieur à
600 000 roubles c'est-à-dire environ 100 000 €, interdiction des
comptes bancaires anonymes.
* 24 Mais aussi ses
agriculteurs exportateurs, qui bénéficient du dispositif.
* 25 Créée en
France par l'article L. 562-2 du Code Monétaire et Financier,
institué depuis la loi du 12 juillet 1990
* 26 En 2001 les banques ont
été à l'origine de 67 % des déclarations de
soupçon transmises à TRACFIN.
* 27 « la
généralisation de l'idéologie libérale - qui fait
du marché la référence suprême, et de l'argent la
mesure de tout - tend à renforcer les tendances mercantiles et à
affaiblir les valeurs morales. Les êtres humains ne sont plus
jugés en fonction de leur valeur personnelle, mais uniquement à
raison de leur puissance : argent et pouvoir » p. 20
* 28 que le volume des
transactions a été multiplié par 10 dans les années
1980 et qu' à l'époque à peine 3 % représentaient
des échanges réels de marchandises
* 29 Libération
8 mars 2000
* 30 cf. Rapport d'ATTAC p.
23
* 31 PALAN :
« en prostituant leurs droits de
souveraineté, les paradis fiscaux servent d'importante
plate-formes légales pour la globalisation de toutes sortes de services,
en particulier bancaires... » « la
stratégie de dumping fiscal et la commercialisation de la
souveraineté sont endémiques au fonctionnement de l'Etat
moderne »
* 32 « l'apparition
de nouvelles instances de pouvoir au plan international - Union
Européenne, Commission et Parlement Européens, institutions
financières internationales - est aussi un facteur créateur de
nouveaux actes d corruption, que ce soit pour obtenir une autorisation, une
aide, une subvention ou une décision favorable » p. 21
* 33 DUHAMEL p. 282
* 34 Rapport Attac p. 39
* 35 L'offshore a souvent
été un choix stratégique de développement, pour de
petits pays recherchant la diversification. C'est notamment le cas pour
Singapour, Guernesey, le Luxembourg (Etat surtout industriel durant les
années 60), les îles des Caraïbes (qui privilégiaient
auparavant exportations et tourisme). Les bénéfices peuvent
être nombreux : revenus fiscaux, création d'emplois
qualifiés, effet d'entraînement sur d'autres secteurs comme le
tourisme.
* 36 Forum de Stabilité
Financière, organisme crée (en 1999, après la crie
asiatique de 1997, pour améliorer la stabilité financière
mondiale) par les pays du G7 et dont le siège est à Bâle.