Les paradis fiscauxpar Aude Rousselot et Samuel Sciences Po - 2003 |
Samuel Gaillard - Aude Rousselot Espace Mondial 13-06-2002 Les paradis fiscaux Lecture croisée du rapport d'ATTAC et du Rapport Parlementaire de Vincent Peillon et Arnaud de Montebourg
Introduction :Parmi les premières réactions aux Etats-Unis après les événements du 11 septembre, on a pu observer le gel des avoirs des groupes suspectés ainsi que diverses tentatives pour couper leurs ressources financières de par le monde. Car si l'argent est le nerf de la guerre, il ne fait souvent guère de doute que les paradis fiscaux et les centres financiers offshore en sont les bases arrières.
Dans ces zones peuvent s'accumuler des centaines de milliards de dollars issus des trafics de drogues et/ou d'armes, de la corruption ou encore de l'évasion fiscale, et s'organiser des services comme le blanchiment de l'argent sale ou la délivrance de pavillons de complaisance. Les paradis fiscaux sont donc depuis une dizaine d'années dénoncés par de nombreux Etats et organisations internationales comme des zones de non-droit qu'il convient d'éradiquer ou tout au moins de contrôler plus strictement. Les deux rapports proposent deux approches complémentaires du phénomène : un rapport technique et institutionnel côté parlementaire, un essai vulgarisateur teinté de conviction politique côté Attac. Dans un premier temps, on cherchera à comprendre ce que recouvre exactement la notion de « paradis fiscal »: que sont ces « paradis », où sont-ils, que permettent-ils de faire, quelles réactions suscitent-ils ? Dans un second temps, on en montrera les enjeux économiques et éthiques. L'intérêt de l'étude des paradis fiscaux dans notre contexte réside ainsi en ce que les paradis fiscaux offrent une illustration remarquable des interactions entre logiques étatiques et logiques transnationales : ces centres, souvent jugés comme l'incarnation des démons de la mondialisation, sont en fait très largement intégrés dans des logiques étatiques. D'une part la mise en place de paradis fiscaux est une logique de développement et d'insertion dans la modernité, d'autre part elle correspond à la logique capitalistique de conservation et est souvent soutenue voire promue par les éléments les plus licites (états, marchés, entreprises...) I. Que sont les paradis fiscaux ?On peut tout d'abord souligner que le terme est partiellement trompeur : le paradis fiscal est aussi, et parfois surtout, un paradis financier. Il ne s'agit souvent pas seulement de pouvoir échapper à l'impôt mais aussi de réaliser des opérations financières dans le secret le plus total. A. Historique et nature des paradis fiscaux- Historicité du concept On soulignera tout d'abord que les paradis fiscaux ne sont, en soi, rien de nouveau. 2000 ans avant J.-C., les premiers commerçants grecs envoyaient déjà des émissaires dans certains ports afin que vendeurs et acheteurs, lors d'une transaction, se retrouvent à un point convenu pour transborder la marchandise et échapper ainsi aux taxes portuaires déjà existantes! C'est ensuite au 2nd siècle avant JC qu'apparaissent les premières zones franches officielles, en Méditerranée orientale. Ainsi, dès 166 avant JC, et pendant près d'un siècle, l'île de Délos pratique un commerce libre de taxes, impôts et droits de douane. De par sa position géographique privilégiée, l'île devient alors un très important centre de commerce et d'échange par où transitent l'ivoire, les étoffes, le vin, le blé et les épices. Le même principe est repris au Moyen-Âge dans différentes villes (« villes franches1(*) »), mais aussi dans des ports et des foires, qui bénéficient d'un principe d'extraterritorialité commerciale et fiscale. La franchise connaît, dans le cas des villes, une limite géographique, et dans le cas des foires une limite temporelle (quelques jours à quelques semaines). La première foire franche remonte ainsi au VIIè siècle avec la foire dite du lendit, à Saint-Denis, instituée par le roi Dagobert. Ultérieurement, et notamment entre le XIIè et le XIVè siècle, les grandes foires de Lyon, de Brie, de Beaucaire ou encore de Champagne bénéficièrent du même traitement de faveur. Le cas de la ville de Marseille est également très intéressant : dès le début de l'ère chrétienne, Marseille est une république indépendante disposant d'un port franc qui attire navires et produits de toute la Méditerranée. Ce n'est qu'à partir de 1481, lorsque le Roi de France s'empare de la ville, que le statut du port est remis en cause. Il gardera cependant une partie de ses privilèges jusque ...1817 ! A partir du XVIè siècle, c'est au tour des comptoirs coloniaux de développer des activités bancaires offshore liées aux opérations commerciales. C'est dans les années 1910, avec la prohibition américaine, qu'apparaît le vocabulaire du blanchiment : en effet, pour réintroduire les liquidités illégales provenant du trafic de l'alcool, les truands investirent dans des `salons de lavage' ou laveries avec des machines à pièces, qui leur permettaient de nettoyer l'argent au sens propre du terme ! Plus tard, dans les années 1920, une nouvelle génération de paradis fiscaux apparaît : des zones comme les Bahamas, la Suisse ou le Luxembourg commencent à se développer des législations permettant notamment aux étrangers de venir déposer leurs capitaux pour échapper à l'impôt. Beaucoup de ces territoires, après la seconde guerre mondiale, appartiennent aux « oubliés du Plan Marshall ». Pour financer leur développement, certains se spécialisent donc dans les pavillons de complaisance tandis que d'autres adoptent une stratégie d'intégration à l'ordre mondial par la dérégulation et le secret bancaire. Avec le développement des euromarchés2(*) et l'abondance des pétrodollars dans les années 60, ce type d'activité connaît un boom bien accepté car jugé nécessaire par les Etats et leurs diverses places financières, notamment la City. Le nombre des paradis fiscaux n'a depuis pas cessé de croître grâce à la libéralisation financière et au développement des moyens de communications télématiques facilitant des mouvements de capitaux rapides. Bien souvent, cependant, l'augmentation des commissions des établissements financiers locaux est la contrepartie d'un silence total et d'une absence de regard sur l'origine et la légalité des capitaux apportés. - Définitions, typologies et géographie des paradis fiscaux Définitions et premières observationsCitons tout d'abord la définition des paradis fiscaux - assez consensuelle - donnée par ATTAC : « Au nombre de 60 à 90, les paradis fiscaux ou financiers sont des micro-territoires ou Etats aux législations fiscales laxistes ou inexistantes. Une de leurs caractéristiques communes est de pratiquer l'accueil illimité et anonyme de capitaux. On peut parler de pays qui commercialisent leur souveraineté en offrant un régime législatif et fiscal favorable aux détenteurs de capitaux, quelle que soient leur origine ». Ces territoires : Ø accueillent des fonds de toute provenance avec des frais bancaires modiques. Ø « font travailler » ces fonds. Ø protègent l'anonymat du dépositaire. Ils servent donc notamment : Ø d'usine de retraitement de l'argent sale de toute origine. Ø De lieu idéal d'évasion fiscale pour les particuliers comme pour les entreprises. Ø De refuge à l'argent de ou pour la corruption . Le phénomène des paradis fiscaux est d'une ampleur considérable : on estime que ces centres drainent plus de la moitié (54,2 %) des avoirs détenus hors-frontières3(*), pour un total de plus de 5 000 milliards de dollars. Plus de 4 000 banques offshore y sont installées, et on y compte également plus de 2,4 millions de sociétés-écrans. La part de l'illégal dans ces montants est difficile à estimer. Attac évoque un chiffre de 10 à 20% des capitaux. La majorité des fonds sont en effet légaux, issus d'entreprises telles que fonds de retraite ou d'investissement, en recherche d'optimisation fiscale. Nombre de grandes entreprises, par ailleurs, ont déplacé leurs sièges sociaux dans un souci similaire d'optimisation fiscale (cf annexes). Les fonds issus de trafics divers ou de la corruption, s'ils sont donc minoritaires, représenteraient tout de même 500 à 1000 milliards de $. * 1 D'où, par exemple, le nom de la ville de Villefranche sur Saône. * 2 Les euromarchés : Les « eurodollars » sont apparus au début de la guerre froide lorsque Russie et Chine craignaient une saisie de leurs avoirs en dollars déposés aux USA. En réaction, ces états ont demandé l'ouverture de comptes en Europe libellés en dollars. Aujourd'hui la notion d'eurodevise concerne plus généralement tout dépôt dans une devise autre que celle de l'Etat où le dépôt est réalisé. Le développement des « euromarchés » est lié quant à lui entre autres à l'apparition et à la multiplication des émissions obligataires libellés dans des devises étrangères. * 3 Cf Marcel Cassard : The role of Offshore Centers in International Financial Intermediation. IMF Working Paper WP/94/107, Washington DC, 1994. |
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