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Les archives de famille entre cinéma et histoire


par Jean-René Garandet
Université de Lille - Master 1ère année en à‰tudes Cinématographiques et Archives 2022
  

Disponible en mode multipage

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Master 1ère année en Études Cinématographiques et Archives. Parcours Lille -Udine. Année 2021-2022.

Les images d'archives de famille entre cinéma et Histoire.

L'étude archéologique de l'avènement de la raconteuse dans la pratique média-photographique

de famille.

Par GARANDET Jean-René.

Direction de mémoire par Monsieur Arnoldy Édouard en qualité de professeur de l'Université de Lille.

Puis, cela va paraître peu académique, mais j'aimerais remercier la personne qui m'a transmis ce goût si je puis dire de la transmission de l'anecdote de famille, ainsi

REMERCIEMENTS.

Ce mémoire est l'aboutissement d'un travail de recherche qui m'a emmené vers des contrées théoriques et pluridisciplinaires riches d'enseignements. Il m'a fallu, à cet effet, prendre appui sur le travail des chercheurs et chercheuses, que je remercie aujourd'hui à travers cet écrit. Tout d'abord, mon directeur de recherche, Monsieur Arnoldy Édouard. Celui-ci, m'a en effet guidé vers les différents domaines de lectures d'une histoire qui m'était jusqu'à ce jour insoupçonnée. Celle concernant un cinéma qui permet une approche différente du monde et de ces individus. Il faut sans cesse douter, pour avancer sans idées préconçues, quant à la nature de son objet de recherche. Il m'a transmis ce goût de l'archive et d'une histoire qu'il faut sans cesse interroger. Ses écrits ont été par ailleurs d'une aide précieuse. Mon entretien avec Madame Gignac Mélissa, qui quant à elle m'a permis d'entrevoir des chemins qui, sur le long terme de ma recherche, s'avéreraient sinueux, et qui m'a conseillé de les éviter afin de rester dans une démarche concrète. Il y a eu également des éclaircies, je pense notamment à Monsieur Walbrou Sonny, m'envoyant un lien présentant un travail inédit sur les archives de famille. Je ne peux faire l'impasse sur les conseils de Madame Sfez Géraldine et son travail sur la représentation de l'image de famille idéalisée. Les cours d'écriture de Madame Martin Jessie qui m'ont permis d'élaborer une méthodologie d'analyse en regard de ces films, malheureusement encore trop méconnus pour un plus large public de spectateur. Ma rencontre avec la cinéaste Madame Casagrande Giulia, dont l'humilité ainsi que la générosité à partager de son expérience du cinéma et à m'accorder un temps précieux à échanger autour de son film, qui demeure à mon sens, une découverte inoubliable pour le monde du cinéma contemporain. Puis, Madame Pavy Nicole, qui m'accorda son temps, partageant autour d'un thé savoureux, ses anecdotes de familles. Je tiens également à remercier Mr Dorchain Jean-Paul et Mme Tucci Ariana ainsi que la Cinematek Royale de Belgique, pour leur enseignement ainsi que leur bienveillance tout du long de cette année. Mr Pigaglio Pierre du centre des archives départementales du nord, pour sa disponibilité et la découverte du fonds Pavy-Delangle.

que de l'importance de rester fidèle à cette tradition du racontage, Madame Garandet Josiane, ma maman. Enfin, ce mémoire est en hommage à Karl Eschborn, notre cousin de Heidesheim am Rhein, petit village à l'époque, situé en Rhénanie-Palatinat. Il était un tout jeune adolescent âgé d'une quinzaine d'années, lorsqu'il fut envoyé de force sur le front au Mont Cassino en Italie, durant la Seconde Guerre mondiale en 1944. Lors de ses adieux à notre famille en gare de Nantes, il avoua ne pas savoir se servir d'une mitraillette et ne pas en avoir envie. Cependant, il ne voulait pas être fusillé comme ses camarades et leurs familles en refusant de partir se battre. C'est en 1963, que sa maman apprendra que Karl avait été inhumé à l'abbaye du Mont-Cassin. Il avait été recueilli par une soeur italienne, après que ses camarades et lui furent abattus à leur arrivée, tandis qu'ils se trouvaient à bord du train. Sa maman fut soulagée d'apprendre, que son fils n'était pas mort seul, mais dans les bras d'une autre femme. Ce sont ces raisons qui font qu'aujourd'hui, je vous présente ce travail.

Enfin, cette recherche est issue de quatre années passées au sein d'une université qui me permettent à ce jour d'entrevoir un avenir, dont je ne pouvais me douter qu'il devienne une réalité. Celui de la recherche et de la possibilité à travers l'étude du cinéma et des archives, d'explorer un monde qui ne nous dévoilera jamais tous ses secrets, mais dont l'exaltation qui nous animent, tous et toutes, et de tout tenter pour y parvenir.

Table des matières

INTRODUCTION. 1

Chapitre I - L'individu de famille comme paradigme de la « trace ». 12

I. L'aliénation de l'homme par la machine 13

a) Un monde sous verre. 13

b) Des images d'archives sans parole. 18

II. La pratique artisanale comme reconstruction de l'expérience . 25

a) La fêlure du « masque de l'adulte». 25

b) Pour la pratique d'une « Histoire autre ». 31

Chapitre II - L'engendrement d'un univers critique par la raconteuse de famille. 38

I. Le temps des familles : salvateur de notre présent. 39

a) La naissance de l'ange. 39

b) La parole de famille comme archive sonore. 45

II. Une relecture du monde contemporain. 50

a) De l'imaginaire au politique : des archives de la révolte. 50

b) À la rencontre d'une expérience sociale souterraine. 55

CONCLUSION. 62

BIBLIOGRAPHIE. 68

FILMOGRAPHIE. 77

ANNEXES. 79

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INTRODUCTION.

Pourquoi devrions-nous faire parler nos archives de familles ?

Nous sommes devenus pauvres. Nous avons sacrifiés bout après bout le patrimoine de l'humanité ; souvent pour un centième de sa valeur, nous avons dû le mettre en dépôt au mont de piété pour recevoir en échange

la petite monnaie de l'« actuel »1.

C'est à partir du propos du philosophe et théoricien des arts, Walter Benjamin, qui concerne la modalité de transmission du passé, en regard d'un monde au sein duquel nous assistons à une primauté d'une information immédiate et brute, que nous débuterons notre recherche. Sa réflexion s'est élaborée par la constatation de l'appauvrissement de la tradition du récit transmis aux générations suivantes, dès la fin de la Première Guerre mondiale. Les hommes de famille en revenaient atteints de mutismes. Cette incapacité à échanger à propos du conflit le plus acharné et le plus inventif dans la destruction des corps, avait fait basculer la capacité humaine à se prémunir par l'étude des événements passés. Désormais, l'homme serait forgé à même les technologies modernes, outrepassant sa condition mortelle, dans le dessein de ne plus dépendre, ni de la tradition, pas plus que de son acceptation d'homme historique. Au cours de notre recherche, nous en distinguerons deux enjeux. D'une part, l'idée que l'homme a façonnée le XXe siècle par le sacrifice de la tradition, au profit d'une modernité l'aliénant, au point de n'avoir cure de l'élaboration d'un individu comme sujet, et non objet d'un patrimoine commun. Puis d'autre part, cela nous amène à questionner notre présent, conditionné par une actualité sans cesse plus industrialisée et immédiate, au détriment de la construction artisanale et progressive d'un récit à transmettre. Ce faisant, de nous interroger des moyens mis à notre disposition afin de proposer une démarche critique, comme possible alternative au règne du progrès technique prenant le pas sur l'individu. Il sera dès lors sujet d'étudier l'homme à son rapport à l'histoire. Cette mise en dépôt, comme le souligne Benjamin, se doit d'être levée, car nous sommes engagés à travers une course avec le temps, dont les errances que nous attachons à une pensée salvatrice véhiculée par la modernité, peut rendre inexpugnable toute acquisition critique autour de notre historicité2. Nous sommes au sein

1 Benjamin Walter, Expérience et pauvreté, suivi de Le conteur et la Tâche du traducteur, Paris, Éditions Payot & Rivages, coll. Petite bibliothèque Payot, 2011, p. 48.

2 Nous entendrons par cela, l'étude des faits qui constituent l'histoire d'une personne et dont la réalité est attestée par elle. Soit une dimension de l'Histoire, voire d'une temporalité d'une existence mise en situation.

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d'une jonction inédite autour d'une réflexion contemporaine commune dédiée aux vaincus de l'histoire, et de la nécessité de les faire advenir de nouveau visibles au sein de notre présent. Notre démarche sera de permettre de discuter d'une alternative envers une histoire, qui fût enclavée parmi les grilles et les barbelés dévoilés par l'icône photographique de guerre survenue après le premier conflit mondial. L'utilisation des outils média-photographiques était dès lors de capter notre regard vers une unique instance de l'événement, occultant la constellation des récits gravitants autour de celui-ci. Cette acception de ce temps de l'image au détriment de la transmission d'un récit de vie, à coloniser nos esprits, au point de nous demander aujourd'hui, si l'homme est encore dans la capacité à apprendre de son propre vécu.

C'est en effet, à partir de ces photographies prisent bien souvent après la bataille, que demeure pérenne l'élaboration d'un langage politique et historique dominant. Il est un fait, que la photographie est notamment un instrument de premier ordre, depuis le premier conflit mondial, comme assurant un règne d'une information immédiate et dont le point de vue de son observateur est conscrit par ce qui lui est donné à voir. Notre capacité de réflexion est par ce fait conditionnée, à ne jamais se détourner de cette ligne inflexible, sous peine de nous retrouver sur des sentiers peuplés par des traditions mises aux rebuts. Toutefois, c'est précisément par le retour de certaines de ces traditions, que nous allons proposer de déterminer cette alternative, à l'encontre d'une histoire rattachée au culte du patrimoine et non plus seulement élaborée à partir de l'individu lui-même. En effet, il subsiste deux actants inextricablement corollaires à cet état de fait. La perte progressive de l'expérience, soit autrement énoncée, de notre capacité à nous échanger nos propres vécus, puis la pratique photographique vouée au culte de la modernité. L'individu devint alors happé par ces foules suivant les sillons tracés par un discours dominant érigé par les détenteurs de l'Histoire. Il ne sera pas le propos d'établir un procès d'intention à l'approche méthodiste, puisqu'il est un fait, qu'une ligne directrice se devait d'exister aux lendemains de ces événements. Il ne sera pas non plus question de porter à notre propos, ce que devrait-être le rôle de la photographie. Voire d'y établir une quelconque condamnation de la technique, mais davantage d'entreprendre l'étude des outils média-photographiques dans cette reconquête d'un passé pouvant aider notre compréhension du présent. L'homme dans une première intention, se doit d'arpenter le chemin d'un présent

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escamoté par des années de barbaries acharnées, détruisant corps et esprits, pour ensuite apprendre à le reconnaître. Pour déterminer comment nous pourrions arriver à ce cheminement d'une réflexion critique contemporaine, nous engagerons deux traditions, tant à la fois complémentaires, mais qui peuvent être mises en discussion l'une envers l'autre.

La première étant celle concernant le retour de la tradition du récit, notamment par la figure du raconteur, comme étant de l'ordre d'une modalité de l'expérience qu'il nous faut de nouveau nous réapproprier. Elle se doit d'être communicable auprès des générations nous succédant, en rapport à un discours des détenteurs de la grande Histoire. Elle est cet hors-champ dont l'approche critique s'avère être en inadéquation avec une ligne historique positiviste. Par expérience du récit, nous l'entendrons par cette approche benjaminienne, du récit et des anecdotes, véhiculée par le rôle du raconteur. Cette tradition du verbe a de tout temps été associée à deux grandes figures de l'imaginaire social, le marin et le paysan. Que cela soit par les mers ou les contrées terrestres, ils partagent avec leurs contemporains ces histoires de passages, mais qui enseignent d'une réalité de notre temps. La mort et la maladie peuplent ses récits. Ils sont désormais éludés dans l'élaboration d'une construction historiographique tout aussi bien dans l'imaginaire que dans la politique, comme source d'expérience. Nous admettrons que cette tradition est désormais proscrite, puisque révélatrice que nous sommes mortels à plus d'une acception, et que la maladie représente cette hantise d'être comparable à ces civilisations que nous avons étudiées jusque dans leurs derniers instants. Ce retour à la tradition du raconteur, peut nous permettre d'aborder notre présent dans son actualité, en ayant ce souci d'une histoire autrement assumée, que celle actuellement présente et cadencée dans les livres d'histoire.

La seconde, concerne celle de la constitution d'un patrimoine intime par la pratique média-photographique de famille. En effet, les images d'archives de famille sont une source d'enseignement concernant une histoire alternative. Ce sont des moments intimes, mais qui peuvent être mis en relation avec un événement du collectif, aussi bien social que politique. Ce sont des matériaux dans le prolongement d'une pensée Benjaminienne au sujet des oubliés de la grande histoire, tout du moins, celles et ceux, dont le récit intime fut écarté par un mouvement historique dominant. Toutefois, nous pourrons les considérer

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comme ces « grands acteurs de l'Histoire bien qu'ils aient disparu des sphères organisées de la visibilité 3». En cette considération, ces images d'archives permettent l'élaboration d'une réflexion commune autour d'une histoire souterraine. Qui plus est, ces images de familles, demeurent d'autant plus importante à notre propos que celles-ci sont ce « point de départ dans une expérience très particulière et d'autant plus significative qu'elle n'avait eu ni le genre du portrait4», dans la mesure où elles sont destinées dans un premier mouvement à la sphère intime. Du reste, elles ne sont pas attachées à une quelconque « volonté d'art pour sources véritables5 ». ll est vrai, que celles-ci, sont considérées comme étant le fruit d'une pratique amatrice et de ce fait, non conventionnée à permettre l'élaboration d'un discours. Pourtant, elles sont signifiantes des « mouvements migratoires qui marquent au présent le quotidien de nos sociétés6 ». En conséquence, ces images d'archives de familles sont autant de « registres d'expériences humaines qu'il importe de consulter [...] avec le même souci de découvrir dans le passé quelque chose de l'avenir7». C'est par la pratique des albums média-photographiques de familles, que nous trouverons notre insertion à cette recherche. Cependant, nous n'allons guère aborder notre propos du point de vue, conventionnel et académique, concernant notre approche critique.

En effet, nous allons établir un dialogue entre ces deux notions par une voie inédite et singulière. Celle du point de vue des femmes de familles, regroupant ces fragments de vie, entre photographies et anecdotes. Ce détail est tout aussi signifiant, dans la mesure où la technique de prise de vue est associée à un geste du patriarcat. De ce fait, semblable à l'acte de l'archiviste, elles collectent des « traces » pouvant constituer une histoire tout aussi personnelle, qu'elle peut dialoguer avec celle de tout un collectif. Les images de familles sont alors une sorte d'acte de résistance pour ces femmes de familles, désireuses de conserver le lien entre un récit intime, souterrain et critique, en regard de son appropriation sur les temps de l'Histoire dominante.

3 Bazin Philippe, Pour une photographie documentaire critique, Paris, Créaphis Éditions, 2017, p. 9.

4 Didi-Huberman Georges, Peuples exposés, peuples figurants. L'oeil de l'histoire, Paris, Minuit, 2012, p. 35.

5 Idem.

6 Ibidem. p. 12.

7 Brunet François, La naissance de l'idée de photographie, Paris, Puf, 2000, p. 193.

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De plus, les images d'archives de familles et la pratique du racontage ont un fondement commun, c'est la parole féminine. Celle-ci y tient une place toute particulière dans la mesure où elle détient son origine depuis la création d'une image jusqu'à sa présence au sein de l'histoire. Il est vrai que c'est depuis Pline l'ancien que l'écriture d'une image dépend avant tout de la parole qui va l'annoncer. Dans le mythe de la fille de Butadès, celle-ci demande à son père, potier de la ville de Sicyone, de préserver l'ombre de son jeune amant avant que celui-ci ne parte pour livrer bataille. Les contours du corps du jeune homme sont dessinés par sa jeune amante, afin que son père puisse y appliquer du plâtre afin de conserver son image auprès d'elle. Cet acte d'amour est avant tout celui d'une nostalgie à venir, puisque son amant trouvera la mort. Cette image serait le premier geste funéraire, ce besoin de conserver une trace, pour s'abjurer d'une absence. C'est par la parole de la fille, que le père va créer cette image. Dès lors, la parole féminine restera associée à une histoire souterraine aux prises avec celle patrimoniale et média-photographique dominante. Celle à visée politique, créatrice d'un imaginaire social, dont l'art visuel sera le masque d'un modèle patriarcal, ayant les instruments pour modeler une réalité, dont la femme en sera l'objet et non plus l'instigatrice. La fille de Butadès n'a que sa parole afin que son histoire trouve un cheminement à travers la mort et le souvenir. Ses compagnons d'infortune sont pourtant ceux qui vont lier la pratique des images à celle du récit, comme fondement du racontage.

Il est vrai que la parole féminine est du reste présente comme impulsion créatrice pour les cinéastes de famille. Dans le film, Mort à Vignole (1999), d'Olivier Smolders, c'est à la demande de sa femme, à la suite de la perte de leur enfant, dont aucune image ne subsiste, que celui-ci va entreprendre un voyage média-photographique parmi ses images de famille. Celui-ci nous fait part de son sentiment face à la mort. Il procède à une déconstruction de ses images de l'ordre d'une mise à nu des artifices de mises en scène. Dans une séquence du film, une morgue nous est ainsi représentée. Une vue en plongée sur ces corps, dont l'utilisation progressive du gros plan, nous les révèlent comme fragmentés. Des images proscrites, des instants de famille, que le cinéma refuse usuellement de nous dévoiler. Cette vérité qu'est la mort, la décomposition des chairs, la fin prochaine de ce qu'a pu être la représentation d'un corps en tant qu'image dans un album de famille. La parole de la femme de famille incite le cinéaste à entreprendre un

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voyage parmi le passé et le présent d'une image. Dans le film, Deuxième nuit (2012), le cinéaste Éric Pauwels écoute la voix de sa maman enregistrée sur des cassettes audios. Les anecdotes de celle-ci suscitent chez le cinéaste ce désir de nous raconter à travers ses histoires de familles, un récit dans lequel s'entrecroise des anecdotes historiques et ses propres souvenirs de petits garçons. Du fait de l'utilisation de ses images de familles, entre photographie et cinéma, il retrace le fil de son existence, au côté de ses proches disparus. Il y a une séquence notamment, dans laquelle nous apercevons la photographie de sa maman défunte, projetée sur un drap blanc. Une chaise vide est située en frontalité de celui-ci. Le point de vue subjectif usité par le cinéaste, ainsi que le seuil de la porte apparaissant dans le cadre, nous indiquent que nous sommes au sein d'un espace entre deux régimes de représentation d'une image. Celui de son absence en même temps que de celui de son souvenir. C'est ainsi que ces cinéastes, à l'instar du potier de Sicyone, perpétuent l'art du devenir d'une image intime en regard d'une Histoire collective. Pourtant, il subsiste d'autres voies souterraines nous menant à ces oubliés de famille et à leurs expériences. C'est précisément celles-ci qui retiendront notre attention à travers notre recherche. La jeune fille du potier a grandi dans l'obscurité de la pratique des arts et de l'Histoire. Désormais, ses héritières ne dessinent plus l'ombre de ses disparus, elles s'emparent de ses images afin de les convoquer dans notre présent. La particularité de notre recherche étant qu'il s'agit des filles et petites filles des cinéastes de familles. Ce sont elles qui façonnent les corps et la matière du film, interrogeant notre société présente à travers ces images du passé. Cela nous amène à penser une nouvelle figure qui jadis fut celle du voyageur, et qui devient désormais celle de la raconteuse. Celle mis à la marge du récit historique, tout aussi bien familial que politique, accompagne désormais les images d'archives de famille au sein du dispositif cinématographique, prêtant sa voix aux mots écrits, griffonnés sur des lettres, et dont l'existence restait éludée. Les « sans-voix 8», peuplant les pages des albums média-photographiques de famille sont pourtant les derniers résistants d'une « histoire autre9 ». Nous sommes désormais dans un temps, où les héritières de famille désirent un retour à la tradition. Celle des récits et anecdotes qui hantent une histoire demeurée trop longtemps souterraine. C'est un enjeu de notre

8 Farge Arlette, Essai pour une histoire des voix au dix-huitième siècle, Paris, 2009, p. 17.

9 Despoix Philippe, « Une histoire autre », in Philippe Despoix, Peter Schottler (dir.), Siegfried Kracauer, penseur de l'histoire, Montréal, Presses de l'université de Laval, 2006.

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présent, une vérité qui se doit de transparaître à travers les outils médias-photographiques contemporains. Les archives de familles sont également de notre actualité, et leurs donner voix, c'est redonner vie à un passé se devant de nous interroger sur notre présent.

Notre interrogation directrice se portera sur la figure de la raconteuse de famille. Comment celle-ci peut-elle devenir formatrice d'un univers cinématographique critique, entre les images d'archives de famille et une histoire collective souterraine ? Notre manière d'amener notre propos s'effectuera par un mouvement dialectique entre les images d'archives de famille et la pratique média-photographique de famille, entre passé et présent. Nous situerons notre propos à travers la pratique cinématographique contemporaine. Notre hypothèse de recherche étant que la raconteuse de famille accompagne les images d'archives de famille au sein du dispositif cinématographique, permettant l'émergence d'un univers critique autour d'une pensée sociale et politique actuelle. Cependant, une image d'archive peut-elle se substituer au témoignage de celles et ceux qui en sont les objets de représentation ? Par ce fait, sans la tradition du racontage, les « images d'archives peuvent-elles répondre à ce désir de compréhension de l'autre, à cette volonté de déchiffrer l'indéchiffrable ? 10 ». À cet effet, comment pouvons-nous appréhender une pensée historique au regard d'images ayant été pensées à la construction d'une histoire intime ? La parole, permet-elle l'émergence d'un univers cinématographique singulier, autour des images d'archives de familles, nous révélant une histoire sociale souterraine ? Celle-ci a la possibilité de faire entendre cette parole, mais comment peut-elle proposer une relecture critique de notre société contemporaine, tant dans le domaine politique que sociale ?

C'est à travers ces questionnements que le travail des cinéastes Alina Marazzi et Giulia Casagrande s'imposeront au coeur de notre recherche. En effet, dans son film Un'ora sola ti vorrei, (2002), la cinéaste Alina Marazzi, il est question de l'exploration d'une histoire souterraine à travers ses images de familles. Elle révèle une réalité calfeutrée concernant un temps des familles et les images de bonheur mises à nu. C'est en révélant la dépression post-partum de sa maman Luisa, que la violence et le déni d'une société régie par les apparences nous est dévoilé. Il est question de l'étude de la condition féminine au coeur

10 Le Maître Barbara, Entre film et photographies, Essai sur l'empreinte, Paris, Presse Universitaire de Vincennes, 2003, p. 73.

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d'une Italie, dont les enjeux politiques et sociaux se dessinent dans un pays d'après-guerre. Tandis que dans le film Clara e le vite immaginarie (2019), la cinéaste Giulia Casagrande retrace l'existence de Clara, sa grand-mère. C'est à partir d'une photographie prise dans les années 1930, que nous allons suivre Clara, de son enfance pendant le fascisme à l'élaboration de son identité sociale en tant que femme de famille, entre un imaginaire cinématographique et les images propagandistes d'une Italie qui panse ses blessures. C'est ainsi qu'à travers ces deux oeuvres filmiques, nous porterons à l'étude les images d'archives, tout aussi bien cinématographiques que photographiques, comme un point de jonction entre réalité et imaginaire, fiction et réalité.

Qui plus est, nous analyserons les séquences d'autres films étayant davantage notre sujet de recherche. Il sera question de la cinéaste Michaela Tashenk et de son oeuvre Doppelgänger (2019), oscillant entre fiction et réalité, en rapport à cette duplicité de l'opérateur de famille, concernant un besoin compulsif de compiler des images de familles, sans toutefois parvenir à en exposer une narration. D'une approche fictionnelle comme dans le film 66 moon questions (2019), de la cinéaste Jacqueline Lantzou, au sujet de la perte de communication entre l'opérateur de famille et les femmes de famille. Nous effectuerons une jonction entre les images d'archives de famille et le cinéma par le film La Famiglia (1987) du cinéaste Ettore Scola. Cela nous permettra d'introniser la question de la libération de l'archive par la parole des femmes de famille. Nous analyserons également le film Correspondencia (2020), à travers lequel, les cinéastes Carla Simon et Domingua Sotomayor Castillo, échangent leurs images de familles afin d'en discuter du besoin de transmission. Puis, le film de la cinéaste Alexandra Kaufmann, Being you, Being me (2013), nous permettra de porter à notre étude, l'expérience inexploitée de la jeunesse contemporaine.

Il est à noter que nous effectuerons des mouvements entre la pratique média-photographique contemporaine, par l'analyse de ses films et celle liée aux prémices de la photographie de famille, et l'observation du fonds d'archive de la famille Pavy-Delangle, de 1919 à 1925. Nous évoquons le terme d'archéologie comme qualificatif de notre recherche, dans la mesure où il est question d'une construction diachronique, en ce sens, où nous effectuerons des croisements et non une élaboration de manière synchroniques. Nous tenterons d'établir un dialogue, ponctué de correspondances entre les différentes

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temporalités de ces images d'archives ainsi que leurs dispositions au sein d'une réflexion contemporaine.

Notre propos sera structuré de la façon suivante. Nous étudierons dans une première intention l'individu de famille comme étant de l'ordre d'un paradigme de l'indice, nous permettant de remonter à une histoire souterraine. Il sera sujet d'évoquer la pratique artisanale comme un possible moyen de reconstruire une expérience mise à mal à l'issue des deux conflits mondiaux. C'est par ce désir de pratiquer une histoire alternative, que la voix des femmes de familles associée aux images d'archives de famille, peuvent instituer un univers singulier et critique. Cela ayant pour conséquence de nous permettre d'envisager un nouveau temps des familles, comme inquiétant notre présent, par la naissance de la raconteuse de famille à travers le dispositif cinématographique. Il s'agira de penser à une relecture du monde contemporain, par l'utilisation de ces archives de familles. Puis nous étudierons la parole des femmes de famille, comme étant des documents archivistiques, ayant leur place concernant une restitution historiographique d'un passé commun. Nous engagerons l'idée qu'étant donné ces faits, nous serons à même de porter à l'analyse d'une expérience sociale contemporaine souterraine.

En vous souhaitant une bonne lecture de notre recherche.

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Chapitre I - L'individu de famille comme paradigme de la « trace11 ».

Dans ce chapitre, il est question d'appréhender la pratique média-photographique12 de famille comme « dernier refuge » d'une expérience critique du monde. Celle-ci étant de l'ordre d'un « culte du souvenir » qui opère entre « une valeur culturelle de l'image » et son individu-sujet13.

11 Tout du long de notre propos, nous associerons le terme de la trace, à celle convoquée par l'historien Carlo Ginzburg, dans son ouvrage, « Spi, Radici di un paradigma indiziamo », Édition originale de 1979. La traduction française, « Signes, traces pistes, racines d'un paradigme de l'indice », Le Débat, n°6, 1980, pp. 3-44. Nous l'aborderons de l'ordre d'un détail qui va permettre une approche différente d'un événement.

12 Kracauer Siegfried, L'Histoire des avant-dernières choses (1969), Paris, Stock, 200-, p. 55 - 56.

13 Benjamin Walter, « L'oeuvre d'art à l'ère de sa reproductibilité technique », in OEuvres III, Édition Gallimard, Paris, 2000, p. 285.

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I. L'aliénation de l'homme par la machine a) Un monde sous verre.

Nous autres civilisations nous savons maintenant que nous sommes mortelles14.

Le 19 avril 1944, Rudolph Vrba, accompagné d'Alfred Welztler, s'échappe du camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau. C'est après un périple à travers les bois et les chemins de traverse, que ces derniers regagnent les lignes alliées. Ils révèlent que l'armée allemande nazie a édifié des structures, au sein desquelles, des générations entières d'individus sont anéanties. Dans la tradition du racontage, ces derniers restituent les récits des soldats allemands concernant les projets du camp de concentration, jusqu'à la classification des prisonniers selon leurs appartenances politique, ethnique et géographique. C'est à l'aide des croquis détaillants les chambres à gaz ainsi que l'organisation de la structure d'extermination, qu'ils informent les alliés de l'éminence du massacre de millions de membres de la communauté juive hongroise. Ils tentent de faire admettre que la guerre a pris une autre identité. Désormais, il est sujet d'un affrontement idéologique sans pareille, dont l'enjeu est la préservation de l'expérience15 humaine. Celle-ci avait été mise à mal par le passé, et de la sorte provoquée la perte progressive concernant la capacité humaine à établir un relais testimonial autour de la transmission d'un récit.

Il est vrai, que c'est à l'issue du premier conflit mondial, que notre civilisation ne peut être qu'en état de constater, d'un ébranlement manifeste à propos du retour d'une expérience personnelle. Les hommes de familles reviennent des tranchées, atteints de mutisme ; il n'eut point de récits, voire d'anecdotes16 à conter auprès de leurs femmes ainsi que de leurs enfants. Ceux exprimant la volonté de partager de leur expérience, ne sont pas écoutés puisque « ce qui s'est déversé, au cours des dix années qui ont suivi,

14 Valéry Paul, « La crise de l'esprit », extrait de « Europe de l'antiquité au XXe siècle », collection Bouquins, Édition Robert Laffont, 2000, pp. 405-414.

15 Par expérience, nous entendrons dans ce cas présent, la transmission du vécu d'un individu à la génération suivante.

16 Nous admettrons dans notre recherche le terme « anecdotes » au sens de la référence concernant la pratique régionale au sein des villages.

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dans le flot des livres publiés sur la guerre était tout autre chose que l'expérience qui se diffuse de bouche à oreille17». C'est une crise de l'expérience vis-à-vis de laquelle la société se trouve confrontée. Cela a pour incidence une répercussion sur la tradition du racontage. Ce pourvoyeur de récits et autres anecdotes, « ne concerne pas seulement nos expériences privées18», mais tout aussi bien « celles de l'humanité en générale19». Celui-ci transmet l'expérience parmi ses contemporains. Il est ce lien entre l'individu et le collectif. Il part quérir les mers et les routes, tantôt marins, tantôt paysans. Il collecte autant de récits, de fragments de vie, en parcourant les chemins d'une histoire souterraine, puis les garde dans sa besace, jusqu'au village suivant. Il galvanise la foule autour de lui, par des grands gestes, instituant l'élaboration d'un monde oscillant entre le fantastique, afin de capter l'attention de son auditoire, et du politique, dans le dessein d'apporter une réflexion critique au sein du présent. À l'instar des deux survivants d'Auschwitz-Birkenau, il crée des images à partir du verbe, entre le temps de l'histoire et celui des hommes. Il détient son autorité de la mort et de la maladie, dans le dessein d'informer l'individu de la nécessité d'être à l'écoute du passé, afin d'être préservé dans le présent.

Toutefois, l'art du raconteur dépend pour l'essentiel de la capacité réceptrice de l'individu à l'écoute de son récit. C'est ainsi que la destruction des villages et de ses habitants, l'avait pour ainsi dire congédié. L'individu ne parvient plus à jeter son regard vers le passé et les ruines. Il est appauvri en récit d'expérience et son visage est désormais tourné vers l'avenir et la technique, de l'ordre d'une fuite en avant concernant l'idéalisation d'un monde se trouvant à l'abri de la mort ainsi que de la maladie. Dans cette acception, l'Histoire est devenue de l'ordre d'une ligne inflexible et continue. L'image est devenue reproductible en série. Par cette volonté d'une mécanisation à outrance, la frontière entre l'homme et la machine en devient poreuse, si ce n'est sinueuse. Notre civilisation s'en est remise au progrès par la technique, et « ce nouveau milieu de verre va transformer complètement l'homme20». Il est vrai que cela va ancrer l'individu dans une communauté régie principalement par des valeurs politiques et morales

17 Benjamin Walter, Expérience et pauvreté, suivi de Le Conteur, et la Tâche du traducteur, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2011, p. 17.

18 Ibidem, p. 40.

19 Idem.

20 Ibidem, p. 46.

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communes. Les images de guerre deviennent des actualités immédiates. Il est question d'une esthétisation du conflit à des fins politiques, puisque cela permet de véhiculer un discours prônant une « expérience morale par les détenteurs du pouvoirs21» et eux seuls. L'individu se trouve dès lors conditionné à suivre les dates de célébrations patrimoniales. L'événement est standardisé par les normes de l'immédiateté du récit, au même titre que l'individu étant quant à lui, l'objet d'un enjeu cérémonial et patriotique. Cela, a pour incidence de convoquer deux caractéristiques de la pratique photographique, que nous pouvons dès à présent souligner. D'une part, les images sont mises en corrélation de l'idéalisation de la technique. D'autre part, que celles-ci conduisent à entériner davantage la pratique traditionnelle d'une construction progressive du récit. C'est le cas notamment du racontage, qui de ce fait, peut apparaître de l'instance d'un élément faussant la restitution fabriquée par l'image moderne.

En effet, l'individu est devenu l'automate du « matérialisme historique22». Il abrite en sa pratique photographique, « un nain bossu, un maître d'échec qui guidait à l'aide d'un cordon23» sa main. Il est aux prises avec un système de miroirs, lui donnant l'impression d'une vue large et complète de l'histoire. Si le premier conflit l'avait dépourvu de sa capacité à transmettre son expérience, la pensée machinique s'est emparée de sa capacité à collecter des récits de vie. Les années qui s'en suivirent, nous ont laissé l'aspiration d'entrevoir par la jeunesse, une nouvelle source potentielle d'expérience. Cependant, celle-ci se trouvait à son tour, triée, numérotée et anéantie. Elle était désormais parmi les décombres et les chambres à gaz. En dépit de l'avènement de la technique comme garante d'une pérennité de l'homme, se devant de le prémunir des affres du temps. Ce dernier fut annihilé par le règne de l'actualité et de la marche incessante du progrès. C'est en effet par la civilisation la plus techniquement évoluée, que la barbarie a atteint son paroxysme. Le geste critique de ces deux survivants, devint de l'ordre d'un acte de résistance, mais l'actualité immédiate a eu raison des récits de ces derniers. Les forces alliées cédèrent à la pugnacité d'une histoire ne retenant que le discours de ceux se pouvant de la

21 Ibidem, p.39.

22 Benjamin Walter, Sur le concept d'histoire, Paris, Édition Payot & Rivages, coll. Petite bibliothèque

Payot, 2013, p. 53.

23 Idem.

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représenter. Ils optèrent pour le débarquement sur les plages de Normandie. L'expérience de la jeunesse allait se perdre parmi les champs de mines disposés sur la plage d'Omaha Beach, et au sein des convois ferroviaires de déportés. L'anéantissement de millions d'individus et de leurs expériences n'a pu être empêché. De cette actualité, l'histoire patrimoniale en retenu la date et les images de l'opération militaire. Tandis que les deux survivants d'Auschwitz-Birkenau, ainsi que du peuple juif-hongrois exterminé cette même année, se réfugièrent parmi les « haillons de l'histoire24». L'homme est devenu une sorte de machine, composé d'acier et de pellicule. Il évolue dans un environnement dont les pratiques artisanales, comme celle du racontage, se trouvent en contradiction avec l'acception d'une transmission par le progrès et la technique. Les images représentent non plus une possible vérité extérieure, mais celle du « monde moral »25. L'expérience avait inexorablement débuté sa chute. L'individu se méfiait désormais de son propre passé, si celui-ci s'en trouvait dépourvu de toute image. Il n'est dès lors plus de mise de nous concerter à propos de l'observation des photographies parfaitement orchestrées, de ces foules en liesse à l'arrivée de nos alliés en capitale. Il est question bien au contraire de nous interroger sur ce que l'on y voit plus. Un individu au centre de sa propre actualité. Dès lors la tradition du racontage est mise en demeure. Son acception en tant que modalité de reconstruction de l'individu est rendue difficile par son impossibilité de garder des traces de son passage. L'expérience ne demeure non plus comme étant remplaçable, mais davantage occultable. De ce fait, les monuments et photographies de célébrations nationales deviennent le point d'ancrage et non plus de jonction entre l'individu et l'histoire. L'individu est le visage de sa nation, et celui-ci ne peut en aucun cas s'en soustraire par le récit de son expérience, dont « il semble que sa chute se poursuive vers une profondeur sans fond26». Nous désirons contrôler nos images de l'ordre d'une mécanisation de la pensée humaine. L'enjeu devient de ce fait d'assister à une mutation, vers un homme exempt de tous ces indices qui peuvent caractériser de sa

24 Berdet Marc, « Chiffonnier contre flâneur. Construction et position de la Passagen arbeit de Walter Benjamin », Archives de philosophie, n°75, 2012/3, p. 427.

25 Op.cit. Walter Benjamin, Expérience et pauvreté, suivi de Le Conteur, et la Tâche du traducteur, p. 55. La notion de « monde moral » soit « die moralische Welt » émane du philosophe Walter Benjamin, comme se pouvant être d'une double acception de l'événement. Soit d'une part la forme et d'autre part la conception d'un moment. Le rapport critique en serait d'en discuter son rapport entre une extériorité et une intériorité dépendant de l'affirmation d'une autorité de l'Etat dans sa représentation.

26 Idem.

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Illustration 1.

Le père de la cinéaste est pris en plan d'ensemble pendant que ce dernier fait une captation vidéo de son vis-à-vis. C'est une image en miroir qui nous renvoie à notre propre pratique média-photographique.

souffrance passée. La nation et ses gloires valent désormais tout autant, si ce n'est probablement plus, que les souvenirs d'un unique individu. L'opérateur de famille est à cet effet, par prolongement à ce mutisme, soumis à l'enfermement dans un monde rendu d'autant plus silencieux par une structure de verre. Cela au point de ne plus différencier la réalité de la fiction Cela entre en résonnance avec l'investigation menée par la cinéaste Michaela Taschek dans son film Doppelgänger (2019). Celle-ci nous montre une facette de l'opérateur de famille se perdant parmi ses images de familles, au point de ne plus être reconnaissable aux yeux de sa fille. Ces images d'archives de familles, nous montrent une désincarnation de l'opérateur de famille. Sur un cliché photographique, l'on y distingue le père de la cinéaste, vraisemblablement en train de filmer. (Illustration 1). En second plan, nous distinguons le paysage extérieur vu de la terrasse de son domicile. Nous assistons à un inversement progressif de la pratique opératique des médias-photographique de famille. La cinéaste part en quête de ce père qu'elle déclare avoir perdu, cela vingt-quatre ans, avant son décès. C'est du fait de la recherche à travers ses films et photographies de familles, qu'elle espère y obtenir une trace comme un semblant de réponse. Elle y dénonce l'aliénation de son père par la machine ainsi que son désir d'accumulation d'images de ses proches. Son travail d'investigation consiste à reconstituer son album de famille, afin d'attester de cette figure du double qui a pris les traits et la personnalité de son père. La cinéaste nous révèle de sa propre incapacité à discerner parmi ses images de famille, le changement de comportement de son père. Elle reste dans le déni de la maladie mentale de ce dernier. C'est en recherchant les moindres détails sur ces images d'archives de familles, que celle-ci en demeure persuadée. Ce père ne peut être qu'un sosie, de l'instance d'un double maléfique. Elle ne peut en aucun cas délivrer son véritable père par ses images de familles, nous représentant un homme sociable et proche des siens. Les images d'archives de familles qu'elles retrouvent dans la boîte à chaussure, lui révèlent que celui-ci ne parvient nullement à permettre à toutes ses images de co-exister entre elles, à les faire vivre à travers un récit.

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b) Des images d'archives sans parole.

Son désir s'attacha à d'autres objets qu'à la patrie27 .

Cette structure de verre s'est refermée sur l'individu de famille parachevant le règne du progrès a eu comme signifiance l'anéantissement des dernières expériences ; désormais, les albums photographiques de familles et la pratique du racontage sont aux prises avec la question de la représentativité d'une image. Le monde est plus que jamais fragmenté, en divers bris de verres jonchés sur le sol d'une histoire de l'individu qui peine à se reconstruire. Les « sans-voix 28» sont mis au banc d'une institutionnalisation de l'événement plus que jamais présente. Pourtant, nous manquons de récits remarquables, d'anecdotes. Tandis que l'histoire devient à ce titre, la vassale d'une idéologie vouée au culte de la technique. L'homme se pense ainsi optimiser jusque dans la perception de son semblable. Il a vaincu la mort et la maladie dans le même temps. Les chansons populaires retentissent sur les ondes radios, nous entrons dans une ère de consumérisme à outrance. Les appareils photographiques et filmiques deviennent portatifs. Nous avons besoin que du peu de secondes nécessaires, pour figer un instant du présent sur la pellicule. Il est sujet de conserver le moindre instant du collectif. La destruction des corps et des bâtiments laisse la place à une fétichisation de l'individu comme propriété. Les premiers sourires sont dévoilés sur les clichés photographiques de famille. Les images du bonheur sont mises en vitrine. De ce fait, l'accumulation des cadres photographiques dans les maisons de famille vont devenir autant d'ornement, comme une preuve de vie idéalisée puisqu'elle est immortalisée. Le slogan « You press the button, we do the rest29» de

27 De Coulanges Fustel, La cité antique, étude sur le Culte, le Droit, les Institutions de la Grèce et de Rome, Cambridge University Press, 2010, p. 423. L'édition originale a été publiée par Durand, puis imprimée à Paris en 1864.

28 Farge Arlette, Essai pour une histoire des voix au dix-huitième siècle, Paris, Bayard, 2009, p. 17.

29 George Eastman, fondateur de l'entreprise Kodak en a fait son slogan en 1889, lors de la sortie de son appareil le Kodak Original. « Appuyez sur le bouton, nous faisons le reste », renvoyait à l'idée que les utilisateurs n'avaient plus à se soucier du développement de leurs photographiques dont se chargeait l'entreprise.

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Illustration 2.

Mr Désiré Delangle, est son tour l'objet photographié. C'est une image en miroir de l'individu entre objet et sujet de la photographie. Lille, (1919).

l'entreprise Kodak, affermie l'ascendance d'une actualité de l'instantanéité. L'appareil média-photographique devient dès lors un ajout prothétique de la condition humaine. Comme en témoigne cette photographie d'archive. (Illustration 2). Elle est issue du fonds d'archives de famille de la famille Pavy-Delangle. Nous pouvons observer un opérateur situé au premier plan. Il s'agit de Mr Désiré Delangle30. Il est situé à gauche du cadre, il se tient debout sur une petite échelle. Nous notons la présence de deux passantes situées à proximité de l'opérateur. Elles sont en amorce de la scène. L'une d'elle semble toutefois se retourner. Elle regarde en direction du second opérateur qui capture la scène. C'est ainsi que l'opérateur devient à son tour une image d'archive. Nous sommes confrontés entre une intériorité et une extériorité du sujet en qualité d'émetteur, mais aussi de récepteur dans le même instant. Cette modalité de « l'estrangement31», nous permet d'entrevoir un monde qui ne peut être tout à fait défini, par la perception unique de son observateur.

En effet, c'est un imaginaire que nous pourrions qualifier de social. Ce dernier se compose, à mesure que la pratique médias-photographique laisse le libre cours à une multitude d'interprétation. C'est une image en miroir, concernant le rapport entre l'individu et le monde, qui nous renvoi dans un même temps, d'une pratique aussi bien intime que politique. La technique sans cesse plus perfectionnée, peut possiblement engendrer un opérateur dont les intentions de prises de vues vont peu à peu se trouver nuancées, à la lisière entre son intimité et une actualité politique. Nous pouvons supposer

30 C'est après avoir effectué son service militaire en Salonique, que Mr Désiré Delangle retourna auprès des siens. Il exerça la profession de médecin et vécu dans la région des haut-de France jusqu'à son décès. Il réalisa près d'un millier de clichés photographique ainsi que des films de famille.

31 Kracauer Siegfried, Théorie du film, La rédemption de la réalité matérielle, Paris, Flammarion, 2010, p. 487.

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qu'à travers cette photographie, nous approchons l'idée de ce besoin, d'une sorte de prise de contrôle sur son devenir en tant qu'image d'archive. Le discours à consonance dominante a remplacé celui du raconteur. C'est par ce fait, que les images d'archives, plus spécifiquement celles de famille, vont être enfermées et standardisées. Cependant, une image d'archive peut-elle se substituer au témoignage de celles et ceux qui en sont les objets de représentation ?

Illustration 3.

Nous observons la distance qui sépare Carlo de la photographie.

Il est vrai que la démocratisation d'une pause décontractée n'est pas encore de mise. Les milieux populaires trahissent de l'existence d'une histoire souterraine, par l'expression des visages fermés et absorbés par les vicissitudes de la vie quotidienne d'après-guerre. Les images sont désormais en mouvement. Elles ont rejoint la technique dans la course du progrès. Tandis que le discours dominant s'empare de la pratique média-photographique, qu'elle soit donc photographique tout aussi bien que filmique, comme d'une actualité politique semblable à celles suscitées par les vedettes d'Hollywood. Il est vrai que la pratique cinématographique, est liée dans une certaine mesure à ce nouveau rapport symptomatique d'une société qui ne peut communiquer son vécu qu'à travers des images sans parole. Elles sont tenues comme valeurs de discours, dans le prolongement d'une acception idéologique d'après-guerre, selon laquelle la technique optimise la perception humaine de l'actualité du monde. Dans le film de fiction, La Famiglia (1987), le cinéaste Ettore Scola retrace les moments de vie de famille du personnage de Carlo. De sa naissance dans l'Italie des années 1905, à son accession au rang de patriarche de famille, dans les années 1980. Dans l'une des séquences du film, le personnage d'Adriana se retrouve avec Carlo dans le salon familial. Tandis que celui-ci regarde les actualités politiques à la télévision. Adriana quant à elle, accorde son attention à une photographie de famille disposée sur le meuble situé derrière le canapé. (Illustration 3). Le plan en vision subjective nous permet de confondre notre regard avec celui d'Adriana. L'utilisation du gros plan vient progressivement centrer notre attention sur le visage de Carlo, plus jeune. Le plan suivant, Adriana regarde à nouveau le poste de télévision. Tous deux assistent, sans échanger la moindre parole, à une représentation idéalisée du couple

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en la personne de Marilyn Monroe et de son compagnon de l'époque. Ces images d'actualités évoluent en contraste avec l'image d'archive de famille restant dans son cadre de représentation. (Illustrations 4). Le dernier plan, nous présente l'image de télévision en négative, nous dévoilant du caractère artificiel de l'image du progrès. (Illustration 5). Cette séquence est révélatrice d'un enjeu questionnant un désir d'émanciper l'image d'archive de famille d'un cadre social dans lequel elle se trouve ainsi conscrite. Elle nous révèle également, de l'impossibilité, y compris dans un régime fictionnel, de la coexistence d'un dialogue, entre une photographie de famille et une actualité, puisque ces deux régimes d'images ne se retrouvent nullement au sein d'un même plan. Nous observons que Carlo est cet individu de famille, qui ne peut permettre la coexistence entre son passé et son actualité. Il s'est détourné des images du passé au profit de celles, reproductibles et instantanées.

Illustrations 4. Illustration 5.

Nous observons un contraste avec la photographie de famille qui tend vers une authenticité du souvenir. Tandis que l'image du couple hollywoodien en est réduite à l'état de négatif.

De plus, c'est à travers le personnage d'Adriana qu'est illustrée la femme de famille comme une possible médiatrice, entre la nostalgie véhiculée par une image d'archives de famille et une actualité contemporaine. Ce liant, nous permet d'effectuer une mise en propos concernant une abolition de la frontière entre une photographie dite de fiction, et celle issue de notre propre réalité. L'image d'archive de famille revêt un caractère particulier. Elles sont ce « punctum32» nous arrivant droit au coeur comme une flèche33, nous entraînant de la sorte, dans une instance entre le temps du film et celui d'une histoire

32 Barthes Roland, La chambre claire, Notes sur la photographie, Paris, Gallimard, 1980. p. 76.

33 Ibidem. pp. 48-49, « part de la scène, comme une flèche, et vient nous percer ». L'auteur détail la portée du « punctum » pour l'observateur de la photographie.

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méconnue. Le spectateur est dès lors entre deux temporalités. Ces photographies de familles deviennent aussi les nôtres. Lorsqu'une photographie de famille est ainsi représentée, elle permet également un mouvement dans le récit, puisqu'elle demeure cet intervalle d'unité relationnelle entre les personnages dans une même séquence. Elle nous informe d'une réalité de notre présent, tout autant que d'un instant passé.

Toutefois, celle-ci demeure muette, dans la mesure où son intérêt ne se prête nullement à une actualité dans le présent de la narration. Nous n'apprendrons en aucune façon, ce que cette photographie peut nous apprendre du personnage, voire du contexte historique dans lequel elle est inscrite. De ce fait, la structure familiale est tout à la fois, une source potentielle d'inspiration pour le medium cinématographique, qui en devient ce miroir dans lequel nous pouvons nous y projeter. L'image de famille archivée ainsi représenté, est cet antre au sein duquel deux modes d'écritures d'histoire deviennent opérantes. L'une attachée à une actualité liée à une information immédiate, tandis que l'autre concerne un événement passé délaissé par le regard de l'individu qui en fut l'objet. Dans ce cas précis le personnage de Carlo. C'est à la femme de famille qu'il appartient à effectuer ce mouvement entre une histoire intime et une davantage accaparant l'attention du collectif.

En effet, il serait à propos de « saisir ensemble les deux termes, et de voir comment la notion de cinéma et celle d'Histoire s'entre-appartiennent et imposent ensemble une histoire34 ». Dans le film de fiction, Moon 66 questions (2021), de la cinéaste Jacqueline Lantzou, il est question de la perte communicationnelle entre Artémis et son père Paris. Dès la séquence d'ouverture, tandis que celle-ci rentre chez son père par avion, elle converse avec une passagère à bord. Par un procédé de montage alterné, nous regardons les images de famille pendant un séjour au sport d'hiver. Nous sommes mis au fait, qu'un homme a été retrouvé inconscient dans son véhicule. C'est à la fin de la conversation, au terme du trajet, que la passagère lui demande si elle est une connaissance de cet homme. Artémis lui répond alors qu'il s'agit de son père. Tout du long de ce métrage, elle ne cessera de comprendre son père par le visionnage des films de famille. Dans une des séquences, Artémis se trouve dans le jardin familial. Elle mime en compagnie de ses amis

34 Rancière Jacques, « L'historicité du cinéma », in De l'histoire au cinéma, Bruxelles, Édition Complexe, 1998, pp. 46-60.

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Illustration 6.

Artémis découvre que son père appose des annotations au verso des photographies de familles.

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des scènes de films. Ses gestes sont de plus en plus marqués, et elles tentent de faire comprendre le sujet du film. Il est question de la mort, ainsi que de la maladie. Mais dépourvu de mots et sans images, elle ne parvient pas à créer un univers imaginaire afin de transmettre d'un récit d'expérience auprès de ses amis. Celle-ci demeure comme étant un objet de la représentation, une image dont les lèvres bougent, mais sans parvenir à être entendu, écouté. Peu après, elle entre dans la chambre parentale affublée d'un masque d'Arlequin et par des grands gestes, elle tente de nouveau de construire un récit. Cependant, c'est dans l'indifférence qu'Artémis s'en retourna une nouvelle fois. L'enfant a grandi, pourtant cette nostalgie reste présente, plus précisément celle d'avoir été une image de famille comme source potentielle d'expérience. Les images d'archives de familles qu'elles retrouvent dans la boîte à gants du véhicule de son père, lui révèlent que celui-ci ne parvient nullement à les faire co-exister entres elles. (Illustration 6). C'est la jeunesse de famille qui redécouvre « ces images arrachées à leur ancien contexte35» de l'ordre d'une instance sujette à un « rendez-vous mystérieux entre les générations défuntes et celle dont nous faisons partie36».

35 Benjamin Walter, Images de pensées, « Fouilles et souvenirs », Paris, Christian Bourgeois, 1998, pp. 181-182.

36 Benjamin Walter, Sur le concept d'histoire, Paris, Gallimard, 2003, p. 433.

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À l'issue de cette première partie, nous pouvons relever les éléments suivants. Tout d'abord, l'homme de famille a perdu de sa capacité à transmettre un récit lié à son expérience. L'avènement de la technique au sein de son quotidien l'a proscrit dans un monde d'images régi par ces deux lois. La mesure et la reproduction en série. La tradition du racontage n'est plus de mise. La destruction des villages ainsi qu'une actualité généralisée ont eu raison du raconteur. Désormais, seules les images de famille peuvent permettre de révéler une histoire souterraine liée à une possible réhabilitation de l'expérience. Cependant, elles demeurent toutefois des images d'archives sans parole. Par ce fait, sans la tradition du racontage, les « images d'archives peuvent-elles répondre à ce désir de compréhension de l'autre, à cette volonté de déchiffrer l'indéchiffrable ? 37 »

37 Le Maître Barbara, Entre film et photographies, Essai sur l'empreinte, Paris, Presse Universitaire de Vincennes, 2003, p. 73.

II. La pratique artisanale comme reconstruction de l'expérience38 .

a) La fêlure du « masque de l'adulte39».

Dès l'enfance, entre les bancs de l'école et le tableau noir, nous assistons à une importance accordée à la primauté du lieu, outrepassant celle de l'individu. Toutefois, un dialogue entre ces deux instances, lieu et sujet, demeure envisageable. Ce dernier entre en concurrence avec la pratique média-photographique dominante, afin d'imposer un discours souterrain véhiculé avant tout par l'image d'archive de famille, comme possible reconstruction de notre expérience.

Lorsque je feuillette l'album de famille d'un inconnu, je contemple des images qui étaient des photos souvenirs, mais pour moi elles sont des témoignages et ne sont nullement redondantes par rapport à ma propre mémoire (qu'elle soit directe ou médiatisée par des narrations familiales)40.

La pratique des albums média-photographique de famille permettrait d'entrevoir une approche souterraine et critique de l'histoire d'un individu à celui de tout un pays. De ce fait, lorsqu'il est sujet à appréhender un fonds d'archives de famille, les éléments qui le constitue sont sujets à caution, du fait de leur caractères intime. Ils appartiennent à une sphère privée et de cela en résulte une difficulté certaine à les représenter comme étant des objets historiques. Ces photographies et films demeurent des constellations de fragments d'expériences. L'acte média-photographique conjugue tout à la fois des instants de l'instance d'un dialecte entre ces différents documents de famille. Cette hantise quant à notre devenir en tant que sujet d'un événement passé, nous contraint à

38 Nous accorderons désormais à notre propos le terme d'expérience par son origine germanique « Erfahrung », dont la signification détermine le fait de « parcourir, traverser une région durant un voyage », en l'occurrence celui à travers les images d'archives de famille. Nous retrouvons cette notion benjaminienne dans son ouvrage, Benjamin Walter, Expérience et pauvreté, suivi de Le Conteur, et la Tâche du traducteur, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2011, préface p. 17.

39 Idem. Walter Benjamin met en avant l'expérience de la jeunesse en opposition à celle de l'adulte, à la suite principalement de la nomination d'Adolph Hitler comme chancelier en Allemagne au cours du printemps de l'année 1933.

40 Jonas Irène, « L'interprétation des photographies de familles par la famille », Sociologie de l'art, 2009/1, pp. 53 - 70.

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collecter ces indices souterrains. C'est à travers la pratique de l'album média-photographique de familles qu'une tout autre expérience se met progressivement en place. Dans le cas des images d'archives de famille Delangle, nous dénotons une précision dans

Illustration 7.

Édouard Chérigié est au milieu de la végétation. Nous apercevons au second plan à droite, sa maison détruite par les bombardements.

Commune de Fleurbaix (1919).

Illustration 8.

Nous observons en détails la tenue portée par Édouard. Le village est situé à l'arrière-plan du cliché photographique. Nous observons une liaison entre l'individu et le collectif dans le même instant.

la composition photographique de ses prises de vues. Que cela soit dans le choix du cadrage, mais aussi la netteté concernant les contrastes entre noir et blanc. Si nous prenons comme exemple cette photographie en argentique. (Illustration 7). Celle-ci représente Édouard Chérigié, tandis que ce dernier se rend visiter sa maison de famille située dans la commune de Fleurbaix. Nous observons au premier plan de celle-ci, Édouard Chérigié âgée d'environ 13 ans, il est seul et situé au milieu de la végétation. Le jeune homme est vêtu de ses habits d'écolier. (Illustration 8). Tandis que situé à sa droite en arrière-plan, il s'agit de sa maison de famille. Nous pouvons observer les destructions infligées à l'édifice durant le conflit. Édouard est ainsi représenté dans un environnement constitué de ruines ainsi que d'une nature laissée à l'état d'abandon. Bien que nous ne soyons pas au faîte, si sa tenue vestimentaire était prévue pour la prise photographique, ou bien s'il est question d'un concours de circonstance.

Toutefois, la présence de l'habit d'écolier, ce détail, peut suggérer la représentation de la jeunesse dont l'éducation sera élaborée en coexistence avec celle en reconstruction de toute une nation. Il est également cet « infime et frêle corps humain41», au milieu de la

41 Op. cit. Benjamin Walter, Pauvreté et expériences, p. 39.

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destruction humaine. L'image d'archive de famille liée à un individu, nous renseigne concernant une histoire locale. Cela a pour effet d'effectuer une décentralisation aussi bien politique que culturelle entraînant une mutation historique à propos d'un événement patrimonial, celui d'un village de province française laissé à l'abandon, pendant la Première Guerre mondiale. Notre attention est ainsi portée d'un événement national vers celui étudié d'un point de vue régional. La photographie d'archive de famille se révèle comme étant un élément d'une histoire fédératrice, entre la sphère intime et celle collective. Elle est cet écho du passé qui résonne au sein de notre présent, carillonnant d'une révolution politique et sociale encore méconnue. Auquel cas, la pratique média-photographique de famille, serait sujet à un basculement d'ordre critique. Notre présent demeure fragmenté lui aussi, et à cette mesure soumise à une impossibilité de dialoguer

Illustration 9.

Édouard est en compagnie de sa maman Louise Chérigié-Pavy. Ils visitent leur maison détruite pendant le conflit. Commune de Fleurbaix (1919).

Illustration 10.

Nous distinguons une statue située sur la partie supérieure gauche de la photographie. Il s'agit d'une vierge à l'enfant, constituée de plâtre. Elle est restée ainsi posée à cet emplacement pendant toute la durée du conflit.

avec ses disparus. Il devient d'une nécessité de convoquer dans le présent, cette tradition du récit. Cependant, il ne peut être déchiffré uniquement que par celles et ceux qui en demeurent les personnages.

De plus, il demande une participation active à son spectateur. Dans une des photographies suivantes, le jeune Édouard est avec sa maman Louise. (Illustrations 9 et 10). Ils sont tous deux devant la maison familiale de Fleurbaix. Nous observons en second plan, les stigmates des bombes et de la destruction des murs par les tirs d'obus. Ils

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prennent tous deux la pose devant l'objectif photographique, fixant l'appareil de prise de vue parmi les ruines. C'est en observant le jeune homme plus en détail, que cela va nous amener à nous questionner sur la présence d'un objet dans le plan. En effet, situé au-dessus de celui-ci, nous observons une statue, plus précisément une vierge à l'enfant. Si cet indice peut nous paraître de prime abord anodin, c'est du fait de l'observation de la représentation d'Édouard au sein de la photographie, que cela va nous être révélé comme étant de l'ordre d'une histoire dissimulée entre les ruines d'une maison de famille. En effet, cet objet eut été ainsi posé sur la façade du deuxième étage pendant l'ensemble du conflit. (Illustration 6). Cette statue y fut la seule présence parmi ces ruines. À la sortie du conflit, elle fut déplacée afin de prendre place dans la nouvelle église du village. Ces images d'archive de famille sont par conséquent porteuses d'une valeur historique, toute particulière. D'une part en regard de la perte de communicabilité entre les générations pour donner suite à un événement traumatique. D'autre part, l'expérience perdue pendant cette période existe désormais à travers la jeunesse représentant l'avenir d'une famille, et par prolongement de toute une nation. Elles nous permettent de nous interroger sur les interactions corrélatives entre une histoire nationale et une davantage régionale. La pratique média-photographique permets d'entrevoir une histoire souterraine liée au medium. En effet, l'opérateur démontre un souci dans la mise en scène et la composition de ces clichés. L'on distingue également l'émergence de motif comme celui de l'enfance au centre de la grande et de la petite histoire.

Toutefois, nous pouvons nous interroger sur le rôle de l'opérateur média-photographique. En l'occurrence, que ce « passage de la photographie de groupe à la photographie d'un individu isolé [...] introduit un mouvement au sein de l'image fixe42». C'est précisément ce mouvement qui constitue cette « entrée en écriture de l'opération historiographique43 ». Si nous revenons à l'exemple des séries photographiques de famille, de Mr Désiré Delangle pendant sa permission militaire en 1919 dans la commune de Haubourdin située dans la région actuelle des Hauts de France. L'opérateur photographique Mr Désiré Delangle participe au repas de sa belle-famille (Illustration 11). Tous et toutes célèbrent ses retrouvailles avec sa fiancée. C'est ainsi que Désiré, en

42 Brenez Nicole, Cinéma libertaires, Au service des forces de transgression et de révolte. Arts du spectacle - Images et sons. Septentrion. Presses universitaires, 2015, p. 314.

43 Ricoeur Paul, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p. 209.

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uniforme militaire, en compagnie des membres de la famille regarde en direction de l'objectif photographique. Désiré fait usage d'un retardateur photographique afin d'être présent sur le cliché. Une jeune femme est assise en face de celui-ci, il s'agit de Marguerite. Elle est sa belle-soeur. Nous la retrouvons sur la photographie suivante. (Illustration 12). Au premier plan, nous apercevons la jeune femme grimée en soldat prenant la pose dans le jardin. Elle porte l'uniforme de Désiré, ses cheveux attachés en chignon et arborant une moustache dessinée au crayon. Dans le second plan, nous apercevons le père de Margueritte qui la regarde. Il est à l'intérieur de la maison familiale. C'est une vue prise en légère contre-plongée dénotant l'importance ainsi que le prestige de porter l'uniforme. Cette photographie « joue inlassablement avec le dévoilement et le recouvrement de son référent44». Elle nous indique du caractère spontané et cabotin de la

Illustration 11.

Photographie prise par Désiré Delangle pendant une permission en 1919. (De gauche à droite) : Rose-Anne, Édouard, Margueritte, Louise et Édouard (Beaux-parents), Désiré Delangle en uniforme, Marie-Louise (Fiancée de Désiré), Marie-Ange. Maison de Haubourdin (1919).

Illustration 12.

Photographie prise par Désiré Delangle de sa belle-soeur Margueritte. C'est à l'occasion du même repas, que ces deux photographies ont été prises. Le père de Margueritte et Marie-Louise regarde par la vitre. Maison de Haubourdin (1919).

jeune femme. Cette image intime permet en cela l'écriture d'un personnage, en l'occurrence celui d'une soldate. C'est une symbolique patrimoniale forte à laquelle la jeune femme y répond avec une certaine malice. La canne ainsi que la main gauche dans la poche de pantalon, ne sont pas sans nous évoquer la figure de Charlot soldat incarné par Charlie Chaplin en 1918. Nous pouvons nous permettre cette supposition, puisque l'étude de cet album de famille, nous révèle une pratique média-photographique

44 Op. cit. Le Maître Barbara, p. 11.

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conséquente ainsi qu'un rapport sensible, à la volonté de composer les plans cinématographiques. L'absence de parole accompagnant cette image est palliée par les attitudes de ces membres de familles, devenant par moments des personnages inspirés de l'imaginaire du spectacle populaire. Ces deux images présentes dans l'album de famille, se confrontent tout autant qu'elles se complètent. Elles représentent cette jeunesse qui est désormais la source de l'expérience. C'est un acte de protestation contre « le masque de l'adulte45 » de l'ordre d'une reconquête sur le temps de représenter chacun des membres de la famille au sein d'une « Histoire qui se résout en albums d'images, en scénario d'opéra, en spectacles et en situation généralement critique 46». Mais comment pouvons-nous appréhender une pensée historique au regard d'images ayant été pensées à la construction d'une histoire intime ?

45 Benjamin Walter, Expérience et pauvreté, suivi de Le Conteur et La tâche du traducteur, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2011, p. 17.

46 Brunet François, La naissance de l'idée de la photographie, Paris, PUF, 2000, p. 193.

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b) Pour la pratique d'une « Histoire autre47 ».

L'aube et ses pleurs, le soir et ses grands incendies,
Flottent dans un réseau de vagues mélodies,
Une voix dans les champs nous parle, une autre voix
Dit à l'homme autre chose et chante dans les bois48

À ce propos, s'engage en écho, la résonnance d'une histoire à partir de laquelle émerge le racontage de famille qui donne la parole aux « sans voix49 » d'une histoire souterraine. En effet, si les femmes de famille sont les objets de ces films, tout autant que les personnages, elles font partie intégrante du processus d'une histoire à l'oeuvre. Celles-ci s'opposent en effet à la grande actualité intervenant « le soir » afin de présenter « ses grands incendies50». Une nouvelle approche de la pratique média-photographique ce fait jour, notamment par l'émergence de ces filles et petites de familles qui dénoncent une réalité souterraine, mise sous silence par l'opérateur de famille et concernant une structure familiale idéalisée.

En effet, l'opérateur de famille se comporte en « homme qui creuse51 ». De ce fait, ce dernier met à jour des possibles vérités au sujet d'une histoire souterraine, cependant, il ne peut en déterminer une narration. Nous retrouvons ce motif d'un membre du patriarcat qui ne parvient pas à faire le récit de son expérience. Il serait davantage question d'établir le constat d'un appauvrissement de notre expérience ayant cours depuis plusieurs générations. Auquel cas, nous serions exempts d'une histoire se pouvant d'être attestée avant tout par l'imagerie moderne. Elle peut-être de l'instance d'une preuve, mais qui l'est tout autant de celle d'une épreuve, car il s'agit dès lors d'approcher d'une vérité présente, sans pour autant procéder à une mesure d'éclatement historique. Il est sujet de la production d'un discours de l'individu par le collectif, et non à partir de

47 Despoix Philippe, « Une histoire autre », in Philippe Despoix, Peter Schottler (dir.), Siegfried Kracauer, penseur de l'histoire, Montréal, Presses de l'université de Laval, 2006.

48 Hugo Victor, « Écrit sur la plinthe d'un bas-relief antique - À mademoiselle Louise B » in Les contemplations, Édition de Ludmila Charles-Wurts, Paris, Le livre de poche, 2022, p. 221.

49 Op. cit. Farge Arlette, Essai pour une histoire des voix au dix-huitième siècle, Paris, 2009, p. 17.

50 Op. cit. Hugo Victor, « Écrit sur la plinthe d'un bas-relief antique - À mademoiselle Louise B » in Les contemplations, p. 221.

51 Op. cit. Benjamin Walter, Images de pensées, « Fouilles et souvenirs », pp. 181-182.

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sa communauté intime d'appartenance. La pratique des albums de famille, devient à son corps défendant une tradition désuète, au même titre que celle du racontage. Il est vrai que la tradition peut demeurer souterraine de l'ordre d'une « micro-histoire52 », dont l'analyse nous permets de déterminer un regard différent sur un événement que la course au progrès est parvenue à distancer de notre actualité. C'est une histoire alternative qui se met progressivement en place, et dont la narration ne peut être déchiffrée uniquement que par celles et ceux qui en demeurent les personnages. Toutefois, elles demandent une participation active à son spectateur. De plus, si ces images sont dépourvues de voix, elles n'en sont pas pour autant dépourvues d'Histoire.

Il y a là une matière à une autre histoire, qui ne prétend pas certes constituer un bel ensemble ordonné et rationnel, comme Histoire ; elle contribuerait plutôt à l'affiner, ou à le détruire53.

Cette matière n'est autre que l'individu de famille. Ce messager porteur d'autant de stigmates d'une période pendant laquelle le monde fut dépossédé de toute pensée d'avenir. C'est un être qui se trouve avant tout, fragmenté et disparate, entre les photogrammes de la vie ordinaire, celle du quotidien, entre les repas de famille et les célébrations. C'est un monde d'image en reconstruction, dans un mouvement de l'intime vers une pensée du collectif entre l'imaginaire et le politique. La femme de famille est devenue, du fait de son passage en tant qu'archive, une sorte de créature émergente d'une union entre la volonté créatrice de l'homme de famille et la production mécanique d'actualités. Ce dernier aliéné par la technologie, et assujettis à un prolongement figural de l'Hybris dans une acception moderne. De cela, il en résulte une rupture entre l'homme et ses lois du progrès, notamment par la créature, dénonçant par la mort et la maladie, de la renaissance de l'expérience parmi notre actualité. C'est par la voix de cette créature, qui « dit à l'homme autre chose54 », que notre présent s'en trouve marqué en profondeur,

52 Nous aborderons cette notion par l'écrit de l'historien Carlo Ginzburg, Le fromage et les vers, L'univers d'un meunier frioulan du XVIe siècle, Paris, Aubier, 1980, (édition originale de 1976). Celui-ci met en récit le personnage de Menocchio, meunier du Frioul, qui élabore sa propre vision du monde au gré des ses lectures ainsi que de ses rencontres avec ses contemporains.

53 Ferro Marc, Cinéma et Histoire, Édition Folio Histoire, Paris, 1993, p. 20.

54 Op.cit. Hugo Victor, p. 221.

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dans les sillons souterrains, de sa véritable actualité. Nous pouvons constater une opposition entre la créature et l'image elle-même.

En effet, cela relève d'une discussion entre la nature de l'individu et son devenir en tant qu'objet de représentation, puisque ce qui « les distingue de façons décisives est que seule la vie de la créature, non point celle de l'image façonnée, participe pleinement à l'intention rédemptrice55 ». Elle demeure de l'ordre d'une salvation pour ces images du passé, qui se sont soustraites à l'actualité de leur présent originel. C'est ainsi, que désormais, elles viennent questionner le nôtre, « dans un tout nouveau langage56 ». Si dans un premier temps, les aspirations de la femme de famille sont guidées par le désir de retrouvailles avec la nostalgie, il est sujet de réveiller des revenants mises en marge d'un récit historiographique dominant. La question réside donc, dans la manière dont ils ont été pour ainsi dire éludés dans cette démarche de structurer une histoire plurielle. Ces derniers participent à nous interroger sur notre capacité de garder à bonne distance des événements d'actualités. Cela a pour incidence que la famille et les traditions visuelles ne sont pas muées par des valeurs indissociables. L'une et le fondement de l'autre, aussi, il faut parvenir à les faire dialoguer comme passé commun, dans le même instant présent. Elles sont de l'ordre d'une clef intérieure permettant l'accès vers une histoire souterraine. L'individu ne peut traverser l'histoire, sans toutefois nous révéler ce qui selon lui, participe de la construction d'un récit.

De ce fait, elles se doivent d'évoluer à leurs tours, puisque « sur de longues périodes de l'histoire, avec tout le monde d'existence des communautés humaines, on voit également se transformer leur façon de percevoir57». Les images de famille servent dans le présent de leur énonciation, comme discours propagandiste. L'homme est à la vie politique, tandis que les femmes et les enfants demeurent au sein de la vie intime. La femme de famille doit entretenir l'image de bonheur, en adéquation avec le discours patriarcal mise en place par la société. Dans le film Lui e lo, (2019), la cinéaste Giulia Cosentino étudie la place de sa maman au sein de la société italienne. Elle utilise ses films de familles afin de rendre compte d'une histoire collective. Celle-ci remarque que dans

55 Weigel Sigrid, Benjamin Walter, La créature, le sacré et les images, trad. Marianne Dautrey, Édition Mimésis, coll. « Images, médiums », 2021, p. 150.

56 Op. cit. Benjamin Walter, Expérience et pauvreté, p. 43.

57 Op.cit. Benjamin Walter, L'oeuvre d'art à l'ère de sa reproductibilité technique, p. 16.

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les prises de vues filmées par son père, sa maman n'est pas toujours au centre du plan, voire de l'attention du cinéaste de famille. Bien au contraire, et plus qu'à l'accoutumée, ce dernier préfère prendre comme sujet, le paysage de vacances. Il peut par moment, décentrer ostensiblement l'appareil média-photographique, afin que sa maman n'apparaisse plus sur le plan de l'image. Il est question d'une femme italienne qui a conscience de sa représentation en tant qu'objet, au sein de la pratique média-photographique de famille. Cela est de l'ordre de la mise en scène. Tandis que nous assistons à une scène de famille, nous montrant sa maman à la tâche avec les enfants, le père de famille le plan suivant, est à bord d'un train entouré par ses collègues de travail. Il est ce voyageur parcourant les routes, mais dont aucune anecdote marque d'une quelconque forme d'expérience. Il est un élément du progrès. Il est idéalisé par la femme de famille, car il est celui dont la voix est entendue. Nous assistons au récit d'une « tradition des opprimés58 » de famille, reconnaissant leur statut de « sans-voix59 ». La femme de famille tente de concilier le récit d'une vie, qui pourtant est sujette à emprunter deux directions que tout oppose. Celle de la vie intime, puis celle davantage politique dans la société italienne d'après-guerre. Les photographies et films de famille ne peuvent être usités trop longtemps comme des mouvements idéalisés à une volonté propagandiste, de les faire exister dans un temps déterminé, voire d'une nomenclature politique. C'est un nouveau rapport envers un historicisme du sensible, tissé par des récits d'expériences semblables à une partition universelle, dont les plans sont plus que de simples images. Ils deviennent ces notes plus ou moins graves, nous permettant à chacun de recomposer notre histoire singulière et de la partager à tout un collectif. C'est dès lors un enjeu contemporain souverain, de permettre à l'Histoire d'être étudiée et appréhendée par toutes les facettes qui la compose. Qu'elles soient intimes ou collectives. Cette nouvelle mise en écriture de ces fragments du passé institue l'émergence d'un univers oscillant entre des instants imaginaires et politiques. C'est une relecture sociale à travers le regard d'une martyre de famille, comme témoignage d'une Histoire passée et à venir, qu'il nous appartient d'élaborer de manière commune. Elle demeure cette expérience qui peut possiblement mettre à mal, toute une structuration propagandiste autour des images de familles. C'est en effet en parcourant l'album média-photographique de la

58 Op.cit. Benjamin Walter, Sur le concept d'histoire, p. 64.

59 Op.cit. Farge Arlette, Essai pour une histoire des voix au dix-huitième siècle, p. 17.

cinéaste, que nous prenons connaissance d'une histoire sociale dont les femmes et les enfants de famille ne sont représentés qu'à travers la pratique des images de famille. La société est régie par une volonté patriarcale devenue dominante.

Illustration 13.

Les deux femmes sont âgées et représentent l'expérience à transmettre auprès de la jeunesse. Pourtant ces dernières sont entourées par les hommes de famille. L'une d'elle porte son regard en direction de l'objectif.

Qui plus est, nous apprenons que les femmes de famille ne sont que peu mises en concertation de la vie politique de la nation. Pourtant, lors d'une séquence, nous assistons à un débat politique sur une place de la ville de Naples. Le discours réfute toute idée d'oppression, ainsi que la volonté d'affirmer la femme de famille comme un centre d'attention de premier ordre pour toute la société. Nous remarquons deux femmes filmées parmi la foule. Ces dernières ont probablement attiré l'attention de l'opérateur de prise de vues, notamment, car elles sont les seules représentantes féminines. Elles sont âgées, et ne semblent guère prêter l'oreille à l'orateur. En effet, elles ont une attitude que nous pourrions qualifier de détachée, voire d'un brin enclin à un certains amusement. Les propos de cet orateur sont en adéquation avec tout discours à tendance émancipatrice concernant la femme de famille parmi la société. En effet, c'est un dialogue toute en fausseté qui nous est présenté par la cinéaste. (Illustration 13).

En effet, ce dernier énonce des vérités sommes toutes d'apparences sans pour autant donner la parole aux femmes. Ces femmes au premier plan de la séquence, nous démontrent bien au contraire, que la voix féminine est plus que jamais minoritaire de la vie politique du pays. Pourtant, le discours prôné dans cette séquence est de l'ordre d'une vérité acquise. Cependant, « qu'est-ce qu'un acquis ?60 », si ce n'est « le produit social qu'il importe justement de déconstruire ? 61». La jeunesse n'est pas conviée aux débats publics, ou tout du moins elle ne semble peu ou pas concernée. Il n'y a aucune représentante d'une nouvelle génération de femme de famille au sein de cette séquence.

60 Thébaud Françoise, « Introduction », in Histoire des femmes en Occident, sous la direction de Georges

Duby et Michelle Perrot, Le XXe siècle, tome V, Édition Plon, 1992, pp. 13-23.

61 Idem.

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Cela affirme notre position considérant que l'absence manifeste d'expérience, ne permet plus à un individu de se sentir concerné, dès lors que le problème lié au collectif, n'appartient nullement à sa catégorisation sociétale. De plus, dans ce film, ce n'est pas une parole de femme de famille qui nous est rapportée, mais la lecture par la cinéaste d'un roman sur le couple, de l'autrice contemporaine Nathalie Ginzburg. Les images d'archives de famille entrent en relation avec une situation présente au sein de notre actualité, mais qui semble-t-il est le fruit d'une élaboration narrative. Nous sommes en approche de la pratique du racontage. Soit un discours mis en corrélation d'images afin de questionner nos contemporains. Nous constatons que le cinéma en tant que pratique média-photographique, « appartient à un temps spécifique déterminé par une certaine idée de l'histoire comme catégorie d'un destin commun62 ». Toutefois, la femme de famille demeure ce témoin sans voix. La maman de la cinéaste est présente en tant qu'image et demeure toujours astreinte à un objet de représentation, davantage qu'à un témoignage sur la pensée d'une femme de famille sur la société de son époque. De ce fait, sommes-nous en mesure de constater une perte irrémédiable de l'expérience y compris à travers la pratique média-photographique contemporaine ?

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62 Op.cit. Rancières Jacques, pp. 45-60.

À l'issue de ce premier chapitre, nous pouvons relever les éléments suivants. Tout d'abord, si dans un premier temps, la constitution du récit d'expérience fut placée au sein de la jeunesse, comme possible recours. Celle-ci est mise à mal à l'issue du second conflit mondial. Cependant, comme nous l'avons observé, la pratique média-photographique de famille, peut prendre une condition historiographique, toute particulière pour contribuer à une réflexion sur notre actualité. Elle peut devenir un objet transhistorique si l'image d'archives de famille demeure associée à une tradition du récit. Qui plus est, sa pratique se situe dans l'antre d'un imaginaire cinématographique et politique. Ce sont désormais les héritières de ces images d'archives de famille qui se proposent de mettre en parole une histoire contemporaine alternative, souterraine, de l'ordre d'un murmure, mais d'une vérité intime qui questionne cependant notre inconscient collectif.

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Chapitre II - L'engendrement d'un univers critique par la raconteuse de famille.

Dans la continuité du chapitre précédent, nous aborderons comment la pratique artisanale, peut s'avérer complémentaire d'une actualité cinématographique critique. Nous envisagerons la pratique média-photographique associée à celle du racontage de famille, comme créatrice d'un univers singulier critique dans lequel coïncide les images d'archives de famille avec notre actualité. Notre hypothèse sera que la femme de famille, étant donné sa proximité avec le medium cinématographique, peut en y associant une tradition du récit, « avec bonheur faire bouger le monde [...] et permettre d'inventer d'autres modes de travail permettant de réciter le temps63».

63 Farge Arlette, « écriture historique, écriture cinématographique », in De l'histoire au cinéma, sous la direction d'Antoine De Baecque Christian Delage, Éditions Complexe, Coll. « Histoire du temps présent », 1998, p. 116.

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I. Le temps des familles : salvateur de notre présent.
a) La naissance de l'ange.

Mon aile est prête à se déployer
J'aimerais bien revenir en arrière
Car même si je restais pour le temps vivant
Je n'aurais pas beaucoup de bonheur64.

Par ce motif de l'ange, nous faisons référence à celui désiré par Walter Benjamin et Gerhard Sholem. C'est une créature aux « yeux écarquillés, la bouche ouverte, les ailes déployées65 ». Elle représente la mort tout aussi bien que la réincarnation du passé. La femme de famille a désormais « tourné le visage vers le passé66 ». Elle contemple les ruines laissées à l'abandon par la tempête du progrès. Elle s'approprie désormais les caractéristiques du raconteur, qui permets de « réveiller les morts et rassembler ce qui fut brisé67», afin de questionner le présent de nos contemporains. Il devient primordial qu'une voix prenne corps au coeur de notre actualité.

Cela est dans le prolongement d'un autre point de vue perceptif en lien entre l'individu et l'histoire par la pratique média-photographique, que la tradition se doit d'y trouver une nouvelle forme de récit. L'avènement progressif de la pratique du racontage par la femme de familles, résulte d'un processus souterrain. Il s'agit d'une pensée attachée à l'image d'archive de famille. C'est la résurgence d'un passé éludé par une Histoire patrimoniale n'attachant de valeur qu'à la rencontre entre un collectif politique et une actualité jugée de premier ordre. La femme de famille, est l'unique héritière d'une expérience qu'elle garde en elle depuis l'enfance. C'est par la pratique du racontage et celle de l'album de famille, qu'elle peut mettre en mouvement une histoire alternative, prêtant sa voix à celles et ceux qui en ont été privés à travers l'Histoire. Cependant, la femme de famille déteint cette particularité du fait de sa pratique

6' Op. cit. Benjamin Walter, Sur le concept d'histoire, p.65.

65 Idem.

66 Idem.

67 Idem.

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des médias-photographiques. Ces derniers peuvent lui permettre de se positionner dans le sillon du progrès, dans le dessein d'obtenir cette pérennité, mais de manière davantage souterraine. La figure de l'ange peut être associé à celle de la raconteuse de famille. Les images d'archives de familles permettraient d'envisager un point de jonction afin qu'elles puissent se rejoindre, dans un instant entre passé et présent. Nous avons de ce fait la possibilité de nous immerger dans un univers singulier, que nous pourrions caractériser comme étant un « espace de mémoire68 ». C'est le propos tenu par la cinéaste Alina Marazzi dans son film, Un'ora ti vorrei (2002), où il est sujet de la rencontre entre une petite fille devenue réalisatrice et les films de famille tournés par son grand-père, plus particulièrement ceux concernant sa maman, Luisa. Tandis que celle-ci est décédée lorsque la cinéaste était alors âgée de 7 ans, c'est par le réemploi des séquences filmées, qu'elle retrace l'existence de la défunte, entre 1920 et 1970. Elle va dès lors prêter sa voix, commentant ces images muettes, par la lecture des correspondances de sa maman Luisa. C'est ainsi que nous analyserons plus particulièrement la mise en mouvement d'un espace cinématographique entre la parole et les images d'archives de familles. De ce fait, comment la parole permet-elle l'émergence d'un univers cinématographique singulier, autour des images d'archives de familles, nous révélant une histoire sociale souterraine ? Nous allons plus particulièrement nous intéresser à l'émergence de la raconteuse afin de rendre compte de la construction d'un espace cinématographique singulier, de l'ordre d'une nouvelle forme d'écriture de l'Histoire, par cette articulation entre les mots d'une mère et la voix de sa fille dans le présent du film.

Elle est bien jeune encor I - Son âme exaspérée
Et ses sens par l'ennui mordus.
S'étaient-ils entr'ouverts à la meute altérée
Des désirs errants et perdus ?69

68 Il s'agit de la notion de l'auteur Arnoldy Édouard, dans son ouvrage, Fissures, Théorie critique du film et de l'histoire du cinéma d'après Siegfried Kracauer, Milan-Paris, Édition Mimésis, coll. « Images, médiums », 2018, p. 85. Il est question d'« un espace et un mouvement où interagissent l'homme, la femme, ses fragments de réalité, ses correspondances muettes avec autrui et le groupe social ».

69 Baudelaire Charles, Les fleurs du mal, « Une Martyre, dessin d'un maître inconnu », Édition condamnée de 1857, Paris, La petite Vermillon, 1997, p. 183.

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Nous sommes au fait que la parole acquière un statut singulier, puisqu'il est question

d'une mise en mouvement d'un récit raconté par les mots de la défunte. (Illustration

14). C'est par cette condition de ne plus être parmi les vivants, que celle-ci peut établir

son histoire. C'est en effet par la mort, que le récit de la raconteuse peut alors advenir

Illustration 14.

L'image de Luisa Marazzi permets un double processus d'identification envers sa fille Alina, mais aussi le spectateur. La parole est énoncée de l'ordre d'un témoignage qui ne peut s'effectuer qu'une fois la disparition du sujet.

en toute autorité. La parole est une voix-over, celle-ci nous permet de prendre connaissance des pensées de Luisa. Cette dernière, qui, bien qu'en dépit de la conscience d'être dans un milieu sociétal privilégié, elle demeure comme étant en proie aux doutes existentiels comme tout un chacun : « J'avais toujours vécu dans le bien-être, dans une illusion de sérénité où les problèmes n'existaient pas70.». En l'occurrence, ceux de s'affirmer dans le présent d'une Histoire collective : « Mais déjà à l'époque c'était comme si je savais, que je n'allais pas trouver ma place dans le monde71.». La parole nous permet d'entrevoir la construction progressive d'un univers singulier, au sein duquel s'entrecroisent différents régimes d'images. Qui plus est « la double nature de ces images leur permet

d'ancrer le récit à la fois dans le réel et dans l'onirique72 ». La parole nous indique un

basculement entre deux temporalités, dans la mesure où « pour raconter une histoire,

on commence habituellement par « "il était une fois", ou du moins par la présentation

des personnages73». Nous sommes désormais invités à prendre part au récit, puisque

nous devenons par procuration les personnages-spectateurs, car « dans ce cas-là, ils

font partie de notre famille74». La parole provient désormais d'un seul et même corps,

nous assistons à l'incarnation du passé dans le présent du film. Il est vrai, que le

dispositif cinématographique lui conférant le statut de voix-over, nous permet de

prendre connaissance de ses pensées, de l'ordre d'une conversation intime et critique

70 Marazzi Luisa, Un'ora ti vorrei, 2002, Italie-Suisse, extrait 03 :42.

71 Ibidem, extrait 03 :50.

72 Odin Roger (sous la direction de), Le film de famille, usage privé, usage public, Paris, Méridiens Klincksieck, 1995, p. 154.

73 Op. cit. Marazzi Luisa, extrait 05 :05.

74 Ibidem. Marazzi Luisa, 05 :11.

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sur sa condition en tant que femme de famille. Dans la séquence du mariage de son frère, parmi les sourires de circonstances se trouvent disséminée entre rires et accolades. C'est par un plan précis, que Luisa nous fait pénétrer dans un monde historique souterrain.

En effet, pendant les festivités, celle-ci, porte son regard vers un hors-champ au-dessus d'elle. Cette parole permet à la cinéaste l'élaboration d'un univers singulier, au sein duquel nous observons un entrelacs critique entre différentes images opérantes toutefois en une même jonction, le temps d'une famille dans la société italienne de l'après-guerre. Une musique onirique, appui ce regard vers ce temps passé. Le plan suivant met en scène une enfant se tenant debout sur une balançoire, l'image est en noire et blanc. C'est par la parole que nous sommes indiqués du fait que nous basculons dans une représentation alternative du monde. C'est ainsi que les images d'archives représentant Luisa et sa famille se succèdent. La raconteuse de famille procède à ce glissement entre une communauté d'individu à celle de tout un collectif. Les images d'archives d'une société italienne des années 1930 sont présentées en coexistence des anecdotes familiales de Luisa. C'est en effet, les images de son grand-père avec sa nouvelle caméra, nous le précise-t-elle. Les plans filmés des rues de cette époque, mettant en mouvement ces corps, mais aussi ces visages partiellement dévoilés par les effets de gros plans, soit la caméra elle-même approchée au plus près des hommes. Nous assistons à un horizon historique faisant « apparaître des structures complètement nouvelles de la matière75 ». Il est vrai que la parole de la raconteuse institue un dialogue visuel singulier entre les images d'archives. Ces fragments d'une époque, par des effets de vitesse de plans sont mis en mouvement comme « singulièrement glissants, aériens, surnaturels76 ». Ils demeurent semblables à un choeur dont la parole de la raconteuse en serait le métronome. Nous devenons les témoins par procuration d'une histoire souterraine au sein de cet « espace de mémoire77 ». L'un des derniers plans, celui des adieux en gare revêt une dimension symbolique. Le train nous renvoie à l'imaginaire

75 Benjamin Walter, L'oeuvre d'art à partir de sa reproductibilité technique, p. 43.

76 Arnheim Rudolph, trad.fr, à partir de l'édition anglaise définitive de 1958, Le cinéma est un art, Paris, L'Arche, 1989, p. 138.

77 Op. cit. Arnoldy Édouard, dans son ouvrage, Fissures, Théorie critique du film et de l'histoire du cinéma d'après Siegfried Kracauer, p. 85.

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cinématographique des premières vues de voyages, mais aussi et surtout, à celui dont les images d'archives se répondent faisant fi des distances entre le passé et le présent. Le personnage masculin regarde le train s'éloigner et semble mimer de la main, un geste apparenté à la pratique épistolaire. Il est en effet rapport à une nouvelle forme d'écriture cinématographique, entre la parole et les images d'archives de famille, « dont les choses et le sujet sont rendues au temps11 ». Lorsque Luisa devient mère à son tour. Celle-ci traverse avec un landau la place du duomo située dans la ville de Milan. Nous assistons à une réunion politique. De la sorte, il est question de deux mondes qui s'entrecroisent dans le même instant de la narration, sans pour autant constater à un éclatement de la ligne historique. La jeune femme est préoccupée par son nouveau rôle de mère. Nous sommes les témoins de la question de la transmission d'une femme de famille auprès de son enfant, parmi les préoccupations politiques du collectif. Elle travers cette place sans attirer les regards, telle une image sans histoire. C'est ainsi que « la grande Histoire se mêle à la micro-histoire : les images épurées se lient aux [..]images d'archives avec [...] les sons du passé [...] réunissant ainsi l'homme des événements historiques à l'homme du présent 78».

C'est dès lors une parole souterraine, du fait du partage d'une femme de famille de sa nostalgie d'une époque peuplée par les images de son enfance et les fantômes d'une époque oubliée. Le film oscille entre les prises de paroles de celles et ceux que l'Histoire a occultée. Nous assistons à un mouvement allant de l'individu vers le collectif. Les images d'archives établissent une relation entre le passé et le présent. Cela permet d'établir un dialogue entre la cinéaste et les membres de sa famille, mais également avec le spectateur. La place occupée par la famille, dans cette approche de questionner le monde qui l'entoure demeure inhérente, par le désir de l'essayiste de partager une expérience avec son spectateur. Cela va éminemment à l'encontre d'une position dominante dans la représentation cinématographique. La cinéaste part à la quête de l'essence même de ses propres images. Elle ne cherche pas tant à innover le dispositif, mais d'avantage à révéler les enjeux que représente la famille concernant le questionnement dans une démarche contemporaine et historique critique. La

78 Op. cit. Brenez Nicole, Cinéma libertaires, Au service des forces de transgression et de révolte. Arts du spectacle - Images et sons, p.361.

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représentation de la famille dans le film peut être appréhendée comme un lieu originel d'ancrage narratif et historique. Le film a de ce fait, la particularité d'opérer à une relecture de l'Histoire par ces mouvements dépourvus de contraintes, quant aux frontières imposées par une nomenclature cinématographique, notamment par ce mouvement entre les images d'archives et le présent du film. Les images d'archives permettent de prétendre à de nouvelles propositions formelles. Par l'utilisation du « montage analytique79», il appréhende la variation même d'une image, nous ouvrant un passage de l'ordre d'une « circulation psychique80» entre différentes instances de l'Histoire humaine. De ce fait, cet espace cinématographique opère entre une mémoire individuelle et une Histoire collective, mise en mouvement par la figure de la raconteuse, « gouverné selon des lois et les impératifs qui lui sont propre81». Les archives de familles ayant désormais un droit au récit par la parole, à travers la pratique média photographique contemporaine associée à celle du racontage de famille.

79 Brenez Nicole, « Montage intertextuel et formes contemporaines du remploi dans le cinéma expérimental », Cinémas : revue d'études cinématographiques, vol. 13, n° 1- 2, 2002, p. 49- 67.

80 Idem.

81 Géry Catherine, Leskov, Le conteur, réflexions sur Nikolai Leskov, Walter Benjamin et Boris Eichenbaum, Paris, Classiques Garnier, 2015, p. 187.

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b) La parole de famille comme archive sonore.

Comme nous l'avons étudié précédemment la parole peut permettre à deux temporalités d'exister dans l'instant d'une seule et même narration filmique. La parole permet d'effectuer cette liaison entre deux mondes afin de les réunirent dans un univers singulier. Elle accompagne les images et nous interroge sur le dispositif cinématographique, comme étant avant tout un lieu de l'expérimentation de la pensée du monde. Dans le cas du film de la cinéaste Alina Marazzi, il était question de l'incarnation des écrits de Luisa par l'intermédiaire de la voix de sa fille. Il se peut également que la parole soit celle de l'individu de famille qui ne se trouve plus dans le présent de la narration filmique. Dans le film, Correspondencia (2020), des cinéastes Carla Simon et Domingua Sotomayor Castillo, nous retrouvons l'utilisation d'une voix-over empruntée. Par ce terme, nous entendrons le fait qu'il s'agit d'une voix enregistrée à un instant antérieure que celui du présent du film, et qui caractérise les pensées d'un individu. En l'occurrence, il s'agit de la grand-mère de la cinéaste Carla Simon. Dans cette oeuvre, il est question d'une correspondance visuelle entre les deux cinéastes ; elles échangent toutes deux, leurs souvenirs d'enfance et ce désir de raconter les histoires de famille. Lors d'une séquence d'exposition, la cinéaste Carla Simon nous présente la maison de sa grand-mère. Les cadres photographiques de familles ornent les meubles du grand salon. Les pièces vidées de son occupante nous sont présentées. Nous entendons la voix de sa grand-mère qui nous parle de son décès, et de ce qui restera comme souvenir à ses petits-enfants. Cette interaction entre le régime d'image en voix-over et ces images sont de l'ordre que « le mécanisme de référence permet au discours du narrateur de prendre appui sur le monde audiovisualisé et crée l'impression que le matériel audiovisuel prolonge le récit verbal82 ». Cette voix est évanescente entre chaque plan, qui étant donné sa présence en hors-champ confère une impression d'entrer dans une modalité historique intimiste et spectrale. La vision subjective usitée permet au spectateur de procéder à une identification secondaire. Nous visitons les espaces de la vie familiale qui sont représentés usuellement

82 Châteauvert Jean, Des mots à l'image. La voix over au cinéma, Paris-Québec, Éditions Méridiens Klincksieck / Nuit blanche, 1996, p. 59.

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dans les films de famille. (Illustration 14). Cependant, ces derniers demeurent désertés de la présence de celle qui représentait l'expérience pour la jeunesse des femmes de familles. La parole ainsi réemployée dans le présent du film fait office d'une sorte de documents qui nous renseignent sur une intimité, mais qui par prolongement suscite un questionnement collectif. Que devient l'expérience d'un individu après sa disparition ?

Illustration 14.

Notre regard est orienté vers le coin de la pièce et la chaise désormais vide. Sa position entre la fenêtre et l'hors-champ du reste de la pièce, nous renvoi à un sentiment d'étrangeté, de l'ordre d'une présence-absence du sujet.

En effet, nous pourrions avancer que la parole étant donné que cette « absence intrinsèque d'ancrage dans la diégèse visualisée83 », peut instituer que « les images "naissent" des mots84». De ce fait, la relation à déterminer entre la parole et les images se doit être appréhendée comme permettant la construction d'un univers singulier. À plus forte acception, lorsque cette parole est celle de la défunte. La parole ainsi énoncée se doit d'être considérée comme un témoignage permettant d'étudier le passé au regard de notre actualité. Comme le souligne la cinéaste : « Il n'y a plus de grand-mère chez qui apprendre, il n'y a plus d'enfants à qui enseigner85. ». La cinéaste dialogue avec sa grand-mère et par ce fait s'approche de la prédisposition accordée par la pratique du racontage, comme étant celle de pouvoir faire parler les morts. Toutefois, il n'y a plus de nouvelles générations en devenir. Il s'agit d'un instant critique à plus d'une acception, puisque la parole ne peut être transmise, s'il n'en subsiste aucun récepteur. Cela nous permet de constituer une approche sur cette parole comme pouvant être de l'ordre d'une archive sonore. En l'occurrence, elle serait ce document à part entière renseignant un collectif à partir d'un moment intime de l'individu. Il est vrai que cette « parole dite » de l'ordre d'un « objet trouvé », soit, autrement énoncé, un document dont l'Histoire ne peut plus en être dans le déni de son existence. Cela se faisant d'accorder une importance toute particulière à une « trace laissé ». Nous l'entendrons comme étant un déplacement du

83 Boillat Alain, Du bonimenteur à la voix-over, Lausanne, Éditions Antipode, 2007, p. 424.

84 Idem.

85 Correspondencia, Carla Simon et Dominga Sotomayor Castillo, 2020, Espagne - Chili. Extrait - 4 :50.

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passé vers notre présent. Cette parole se doit d'être appréhendée comme état d' « une figure du réel », soit un élément de jonction concernant une réalité dont nous « apportons la preuve de ce qui fût le passé ». Si elle est d'une instance de la preuve, elle l'est tout autant de celle d'une épreuve. Il s'agit dès lors d'approcher une vérité présente, sans pour autant procéder à une mesure d'éclatement historique. La parole véhiculée par une femme de famille est « définitive et proche » et ne se doit d'être en aucune façon l'objet d'un chaos historiographique social et politique. Bien au contraire, elle nous accompagne vers cet instant de la révélation d'une histoire qui ne demande qu'à partager de son expérience. Cela peut permettre à l'individu de famille de devenir un historien de son temps, qui « en dépliant l'archive », s'approprie un fragment de sa propre histoire. C'est un « privilège de toucher le réel »86.

Faire revivre « Bon Papa » et « Mamy », c'était retrouver la douceur et la chaleur de ma petite enfance, avec la complicité de mes tantes, Jo, Thérèse, Marie-Ange et Mique qui ont bien voulu répondre à toutes mes questions et raviver les bons, comme les mauvais souvenirs. C'était aussi découvrir qu'ils avaient traversé deux guerres et trouver une part d'explication à la tristesse de ma grand-mère.87

Lors de notre entretien avec Madame Nicole Pavy, celle-ci nous révéla de son désir de transmettre une parole de famille auprès du collectif. Il n'était non plus question des photographies de famille, mais davantage d'y obtenir des réponses, de percer l'insondable. Les secrets de famille parmi les failles de la grande Histoire. La parole de famille est cet instant, où les morts et les malades reviennent inquiéter les vivants concernant leur présent. C'est par la transmission des anecdotes que ces derniers reprennent vie et partage de leurs tristesses, de leurs interrogations existentielles sur un monde qui se tourne sans cesse vers l'avenir. Cette parole permet de libérer ces archives de familles des cadres et albums au sein desquelles elles se trouvent enfermées. Elle

86 La citation, « La parole dite [...] de toucher le réel », se trouve in Farge Arlette, Le goût de l'archive, Paris, La librairie du XXe siècle, Édition Le Seuil, 1989, p. 19.

87 Nicole Pavy, à propos de constitution du fonds d'archive de la famille Pavy-Delangle, 11 novembre 2012. C'est à l'occasion d'un entretien en avril 2022 dans le cadre de ma recherche, que celle-ci partagea cet extrait concernant ce qui l'avait animé à commencer la constitution de son journal de famille pendant l'année 2012.

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participe, notamment par la pratique média-photographique à la reconstruction du monde, tout aussi bien politique que social. La parole de famille, bien que de l'ordre de l'intime, engage un mouvement communicationnel entre les générations humaines. Si l'individu est devenu immuable de la propriété. Cela sous-entend l'idée d'une histoire dédiée aux monuments, à cette règle, que tout se construit dans un même temps, et dans le plus grand des artifices. Il subsiste cependant une nécessité du recueillement auprès de ces sentiers en marge du progrès et de l'industrialisation de la pensée historique. Ils sont là, présents, et nous rappellent que l'histoire ne peut être sujette à une sensation de finitude, car l'histoire demeure ouverte sans cesse à la page du présent. L'individu se construit par les images et parole d'archives de famille, celles d'un moment intime qui prend tout son sens, une fois communiqué au sein d'une pensée collective. Cette nostalgie demande un dévoilement progressif de ce désir d'interroger l'Histoire, en retournant parmi ces anecdotes.

En outre, la pratique du racontage de famille, n'est pas tant de l'ordre d'un discours. C'est tout autant, si ce n'est davantage une parole, qui nous guide à travers un lieu inattendu, nous liant avec notre actualité, dans un mouvement entre passé et présent. Cette tradition met en récit l'individu et le monde qui l'entoure, afin de partager d'une expérience. Sans cette parole, nous réduisons le temps des familles au silence, celui accompagnant la solitude de ceux dont la voix s'est perdue irrémédiablement dans les couloirs du passé. Les images de famille seraient laissées ainsi à la merci du discours dominant et de ce cérémonial se devant de rassembler un individu sous la même bannière idéologique. Ce fut le cas lors de l'anéantissement d'une grande partie de notre expérience humaine. Ces paroles sont autant de signes, si ce ne sont des indices nous permettant de repenser notre histoire, comme de l'ordre d'une arborescence de récits constituants un ensemble, faillible certes, mais humain et universel. Elles se doivent d'être appréhendées, comme de l'ordre d'une archive entrant en coexistence avec les images de familles dans le dessein de permettre à l'individu de retrouver une unité, son centre. Par cette approche la raconteuse convoque en son sein, la mort et la maladie, mais également un espoir nourrit d'une histoire plus juste. Elle demeure la nouvelle gardienne de l'expérience, à la condition sine qua non, que cette parole soit appréhendée par le même soin que tout autre document qui érige notre histoire à travers les périples traversés. Par l'avènement du

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racontage de famille, nous assisterions à la libération de l'archive de famille par le récit issu de la pratique média-photographique. Celle-ci ne serait plus encline à demeurer une témoin passive de l'histoire. C'est ainsi qu'elle se dévoile, progressivement, sous les traits de la martyre88. Elle est avant tout un témoin d'une expérience dont la parole de la raconteuse doit révéler la marge de l'histoire. C'est un dialogue entre les générations de notre présent et celle de notre passé, dont l'enjeu demeure la transmission de l'expérience humaine. S'il est question de prime abord d'un récit intime, cette parole peut devenir une archive singulière nous permettant une réflexion commune et critique concernant en rupture, aussi bien formelle que matérielle, avec notre actualité contemporaine. Nous revenons à une approche artisanale du medium-photographique par une dimension haptique avec le matériel filmo-photographique.

Par conséquent, nous pouvons à l'issue de cette partie nous permettre de porter à notre étude ces caractéristiques suivantes. Tout d'abord, la pratique du racontage de famille permet la libération des images d'archives, en y apposant une parole comme témoignage. Il est vrai que celle-ci peut convoquer les anecdotes de famille à l'aide du medium cinématographique élaborant progressivement un monde d'énonciation historique à part entière. Cela en marge d'un discours dominant, nous assujétissants à suivre une idéologie de l'Histoire, sans prise en compte constatée d'une construction personnelle de l'individu, en rapport à son propre passé. Nous pouvons avancer que cette démarche permet d'avancer l'idée de l'émergence de la raconteuse de famille à travers la pratique média-photographique contemporaine. Celle-ci a la possibilité de faire entendre cette parole, mais comment peut-elle proposer une relecture critique de notre société contemporaine, tant dans le domaine politique que sociale ?

88 Nous accorderons à ce terme son acception antique, se référant à sa désignation en qualité de témoin.

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II. Une relecture du monde contemporain.

a) De l'imaginaire au politique : des archives de la révolte.

« Le sentiment de l'histoire » est chose très poétique, et peut-être suscité en nous, et nous émouvoir jusqu'aux larmes, avec la plus petite chose : car ce qui nous tire en arrière est tout aussi humain et nécessaire que ce qui nous pousse à aller de l'avant.89

Illustration 15.

Il s'agit d'un portrait de Clara Casagrande tenu par la main de sa petite fille, la cinéaste Giulia Casagrande.

Nous pouvons avancer l'idée que le cinéma permet d'entrouvrir un passage vers un temps déterminé, du fait d'un certain point de vue de l'histoire se référant à un destin commun des regards et des voix, autour des images d'archives de famille. Il est question d'une émancipation d'une Histoire plurielle. Celle de l'ordre d'un point de vue apporté à un événement collectif, nous révélant d'une histoire intime. Cela est de l'ordre d'un écho dont la « trace90 » est symbolisée par la pratique du racontage et celle des archives de famille. Dans le film, Clara e le vite immaginarie (2019), de la cinéaste Giulia Casagrande, la photographie de famille de sa grand-mère prise dans les années 1930 devient le point d'ancrage de sa recherche au sujet du passé de tout un pays. (Illustration 15). La cinéaste est dès lors confrontée à une course contre le temps, étant donné le manque d'informations autour de cette photographie de famille, mais aussi la perte progressive de la mémoire de sa grand-mère. La narration du film est construite à partir de fragments multiples.

Tout est fracassé, fractionné, fragmenté. On ne verra d'abord que les gravats. Tout est déchiré. Tout part, en morceaux épars, à la dérive. Plus rien n'est un. Mais, de ce multiple en éclats, il peut naître aussi quelque chose, pour peu qu'un désir se lève à nouveau, qu'une voix d'élève, qu'un signe soit jeté vers le monde futur, qu'une écriture prenne le relais.91

89 Pier Paolo Pasolini, Le sentiment de l'histoire, traduit par Hervé Joubert-Laurencin, dans Traffic numéro 73, printemps 2010, p. 131.

90 Celle-ci permet de retracer par un détails le cours d'un événement afin de rendre compte d'un autre point de vue. Nous considérons cette notion selon celle de l'historien Carlo Ginzburg dans son ouvrage, « Spie, Radici di un paradigma indiziamo », édition originale de 1979. La traduction française, « Signes, traces pistes, racines d'un paradigme de l'indice », Le Débat, n°6, 1980, pp. 3- 44.

91 Didi-Huberman Georges, Éparses, Paris, Les éditions de minuit, 2020, p. 157.

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Il est vrai, ce sont ces différents régimes d'images d'archives qui vont se trouver convoqués. Les images d'archives de familles, mais aussi des cartes postales, ainsi que des films amateurs et de propagandes, vont alors représenter un passé se devant d'en déterminer une logique historique entre continuité et éclatement. Ces archives, qui sont pourtant considérées comme étant des sources secondaires de la part d'une histoire dominante à caractère positiviste, vont cependant permettre sur cet acquis de l'événement, une remise en question. C'est dans cette acception, que la cinéaste utilise ses images d'archives de famille comme faisant finalement partie, d'une communauté plurielle convoquée dans le présent de la narration du film. Nous pouvons en déterminer une esthétique transgressant les codes du dispositif historiographique dominant. En effet, contrairement au film d'Ettore Scola, l'archive photographique n'est plus enfermée dans son cadre, parmi les meubles du salon familial. Qui plus est, la femme de famille à désormais cette possibilité de permettre un passage entre son passé et le présent, de l'ordre d'un discours personnel permettant de libérer une partie d'une histoire méconnue, car trop souvent occultée par un discours patriarcal. Un nouvel univers critique est alors en élaboration. C'est une déconstruction d'une histoire chronologique soumise dans l'instant du film, par un basculement de point de vue, au profit d'un système de représentation engageant la création d'une pensée collective critique. La portée sociale est dès lors aux prises avec un imaginaire multiple, en corrélation avec une vision politique autour de ces images d'archives. La raconteuse de famille permet une relecture de notre histoire afin de donner aux présents, les outils nécessaires pour façonner notre avenir en toute connaissance de faits.

On peut se représenter le véritable artiste cinéaste comme quelqu'un qui entreprend de raconter une histoire mais qui, à mesure qu'il la filme, est à ce point pris dans le désir innée de rendre toute la réalité matérielle - ainsi que par le sentiment qu'il doit la rendre de façons à raconter l'histoire, quelle qu'elle soir, en termes cinématographique - qu'il s'aventure toujours plus avant dans la jungle des phénomènes matériels où il risque de se perdre irrémédiablement s'il ne regagne pas, aux prix de grands efforts, les larges voies qu'il a quittées.92

92 Kracauer Siegfried au sujet du cinéaste Jean Renoir. Toutefois son propos s'inscrit dans notre analyse. Cette citation est présente in Théorie du film, la rédemption de la réalité matérielle, Paris, Flammarion, 2010. pp. 365-366.

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C'est à travers l'expérimentation des matériaux mis à sa disposition, que dans cette approche, la cinéaste procède à un mouvement entre les images et la voix, en rapport avec une approche historiographique aux multiples agencements. La cinéaste tente « de constituer sa cohérence à partir d'un système d'allusions, de répétitions, d'oppositions, et de correspondances93 ». (Voir annexes 1 p.80). Il est question de libérer la parole et l'archive de famille de leurs cadres respectifs. La cinéaste entreprend un travail de recherche parmi les albums photographiques et les archives de familles. Elle parcourt l'histoire de L'Italie pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle y découvre des paysages enfouis au même titre que les individus laissés à la marge de l'Histoire dominante. C'est par le récit de sa grand-mère Clara, qu'une histoire plus intime, mais tout aussi fédératrice est mise au jour. À l'instar de la cinéaste Alina Marazzi, nous prenons connaissance de ces femmes de famille livrant bataille, contre la chute de l'expérience humaine de manière souterraine. Le regard tourné vers le passé tout en même temps que vers l'avenir, dans un mouvement entre le souvenir et l'aspiration d'un monde plus juste. C'est dans le dessein de faire co-exister ces deux mondes, que la cinéaste élabore une corporéité historique aux propos de Clara par le remploi d'images d'archives. La parole testimoniale de sa grand-mère dialogue dans le même instant avec les images d'archives de famille des individus de son époque. Les archives aussi bien sonores que visuelles demeurent libérées de ce carcan, qui tel une chappe de plomb, les laissa choir dans une antichambre de l'Histoire des hommes. C'est également un enseignement de premier ordre qui est adressé à la génération contemporaine. Cela est révélateur dans la séquence où le grand-père de Giulia Casagrande s'inquiète de la santé de Clara, et a pris pour habitude de lui faire la lecture du programme télévisuel. Tous deux parlent des films qu'ils ont déjà vus et de fait, nous engagent à laisser un peu de notre histoire personnelle à travers la pratique média-photographique. Le cinéma et la famille sont liés par un engagement tacite, afin que jamais ne périsse de notre désir de redéfinir le monde et son histoire, dans une vision d'harmonie et de vérité. La maladie de Clara, cette perte de mémoire progressive, survie cela dit à travers ces productions filmiques et un imaginaire qui se doit d'être en accord avec une réalité politique de son passé. Que celle-ci soit intime ou collective. Nous avons plus que jamais besoin de cette nécessité à transmettre une parole attestant d'une période

93 Blümlinger Christa, Lire entre les images, L'essai et le cinéma, sous la direction de Liandrat-Guigues Suzanne et Gagnebin Murielle, Paris, Éditions Champ Vallon, 2004, p. 57.

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méconnue de notre histoire. Cela afin de reconstruire ces villages et de redonner corps à ces murmures, avant qu'ils ne se perdent parmi les discours d'un avenir maîtrisé par le contrôle de la technique et d'une chronologie historique mécanisée. Nous devons permettre la rencontre entre les témoins du passé et nos contemporains. L'oubli n'est nullement la gageure de la perte d'une histoire des familles et par prolongement, celui du monde. C'est avant tout la crédulité ainsi que l'abattement de la masse ne pouvant s'extirper de cette caverne d'images, faite de bruit et de sensations artificielles, au détriment, de la réalité des corps et des voix, scandant qu'une autre alternative existe. Celle d'une histoire par et pour tous et toutes. Ce sont les rêves de Clara et sa famille qui lui ont permis de garder un point d'ancrage, au sein de la réalité. Les archives de familles ne constituent nullement l'histoire, elles sont l'histoire.

En effet, si nous prenons appui sur la séquence du feu d'artifice. Celle-ci permet d'analyser une autre forme de raconter le déroulement des événements. Les images d'archives de famille par un montage alternée répondent à l'ouverture progressive du feu d'artifice dans le présent du film. Les couleurs flamboyantes des étincelles se trouvent entrecoupées par ses images d'archives de famille en noir et blanc. Cela nous annonce, l'avènement dans le présent du film d'un passé qui surgit littéralement et vient apporter un tout autre regard à notre actualité. L'utilisation de la vidéo afin de restituer les témoignages nous montrant dans le même instant du film, les images d'archives de famille sur une musique américaine, permet la convocation entre les films américains et la vie de Clara, dans l'Italie des années 1930 en proie au fascisme. Nous retrouvons ainsi ce motif d'un imaginaire cinématographique entrant en correspondance, avec la réalité politique dans laquelle l'individu de famille évolue. Ces fragments se répondent comme si le temps n'était plus l'instance unique du film, mais bel et bien, un rythme nouveau insufflé à l'histoire humaine. La voix de Clara et les images d'archives ne demeurent plus indépendantes de leurs régimes d'énonciations respectives. Elles forment une cohésion de l'ordre d'un seul et même objet historique. Cela a pour résultante de créer un espace critique singulier, à travers lequel s'articule des fragments d'une vie en résonnance à celle de tout un collectif. Comme nous l'avons entrevu précédemment, l'utilisation des images d'archives de famille va permettre à la cinéaste d'élaborer une construction particulière, dans laquelle les images du passé entrent en dialogue avec celle de notre présent. Nous

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poursuivons les rêves de Clara, de son enfance à sa vie d'adulte, parmi les stigmates de la guerre et du fascisme, à celui de son amour des films qui ont bercé son existence. De la sorte d'une fenêtre sur un monde, où la liberté était avant tout le fait de pouvoir exister. C'est une relecture aussi bien sociale que politique qui nous ai proposés. En effet, la vie de Clara nous est présentée autour de la question, du comment vivre à l'époque du régime fasciste. La femme de famille est le symbole de cette révolte face à une oppression qui marqua notre histoire. Le passage où Clara nous explique qu'en dépit du danger, elle s'en alla arracher la pancarte clouée sur la porte de la maison de ses voisins, les désignant comme faisant partie du peuple juif. C'est une jeune femme qui inspire à la liberté et à la découverte du monde. Les images de propagandes nous sont présentées comme figées, par le poids de cette histoire intime, jugeant et condamnant des idées qui finalement ne font qu'empêcher une condition humaine de s'épanouir. C'est un acte de résistance qui perdure à travers le film, qui lui rend hommage. Il est question de restituer le témoignage de celles et ceux, qui ont été mis en marge d'une ligne historiographique catégorisée. Pourtant, ces instants nous permettent de comprendre notre réalité présente. L'écriture cinématographique à pourtant cette disposition à permettre aux temps de coexister entre deux moments distincts d'une histoire, qu'elle soit collective ou dépendant d'un sujet dans son intimité. Le remploi d'image n'est plus seulement une technique du medium, mais bel et bien ce moyen supplée à celui du racontage, afin de faire revivre les disparus. Le cinéma met en exergue cette volonté d'une nouvelle génération de cinéaste de proposer et non d'apposer un récit, de l'ordre d'une transmission dans le dessein que ces instants du passé reprennent vie dans notre présent. Cette instance résurrectionnelle du cinéma est un des possibles pour que l'histoire de ces images d'archives de familles ne soit plus simplement des fragments intimes, mais celui d'une Histoire des Hommes. Elles nous enseignent non plus seulement des données sociologiques et économiques, du vivre d'une époque, mais également le ressenti de ceux qu'ils l'ont vécu. Il est vrai que le « montage syncopé, les couleurs saturées font écho aux dialogues dans lesquels se mêlent les sons des chansons et des divers dialectes qui traversent l'Italie du sud au nord94».

94 Op. cit. Brenez Nicole, Cinéma libertaires, Au service des forces de transgression et de révolte, p.365.

b) À la rencontre d'une expérience sociale souterraine.

Le retour d'archives est parfois difficile : au plaisir physique de la trace retrouvée succède le doute mêlé à l'impuissance de ne savoir qu'en faire 95.

Comme nous l'avons précédemment abordé, l'activité média-photographique contemporaine est confronté à ce « retour de l'archive96 », comme autant de fragments s'invitant à nous interroger sur les possibles d'une histoire alternative comme source d'une expérience plus que jamais à reconstruire. Le dispositif cinématographique est l'outil qui nous semble tout indiqué pour permettre sa coexistence au sein de notre temps présent. La tâche qui lui est dévolue et de l'ordre d'une responsabilité pour les générations futures, tout aussi bien que pour celles qui nous ont précédés. L'imagerie de masse a depuis tenté de se suppléer au récit de l'individu ainsi qu'à sa capacité à se transposer dans un monde où l'imaginaire et l'histoire se complètent. Désormais, la raconteuse de famille a la possibilité de convoquer la mort et la maladie dans le même instant. Si nous reprenons le discours dominant, la femme est présente comme tenant l'appareil photographique en main, tout en restant l'objet à idéaliser. (Illustrations 16 et 17).

Illustration 16. Illustration 17.

Ces affiches de l'entreprise Kodak (1930), nous démontre la portée du discours propagandiste concernant un image idéalisée de la famille. Tandis que la femme de famille assiste à ces instants d'un regard extérieur. Sur la seconde affiche, (illustration 17), elle tient dans ses mains l'appareil photographique davantage comme une propriété de l'homme de famille, qu'en tant qu'opératrice de l'instant à

95 Farge Arlette, Le goût de l'archive, Paris, La librairie du XX e siècle (Seuil), 1989, p. 19.

96 Idem.

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Toutefois, cela n'est plus de mise. La raison étant que les filles et petites-filles de famille se sont emparées de la caméra dans un geste critique. (Illustration 18). Non pas tant de l'ordre d'une révolution, mais davantage dans la visée d'une réhabilitation du temps passé. Elles créent des images en accord avec celles existantes, elles font revivre les anecdotes, prônant un individu au centre de sa propre histoire.

Ce qui caractérise le cinéma n'est pas seulement la manière dont l'homme se présente à l'appareil de prise de vues, c'est aussi la façons dont il se représente, grâce à cet appareil, le monde qui l'entoure97.

Illustration 18.

La cinéaste Carla Simon se prend elle-même comme sujet par le moyen d'une caméra ayant appartenue à ses grand-parents ; Nous assistons à une nouvelle écriture de l'expérience par la femme de famille. Cela opère un contraste avec l'affiche Kodak, où la femme n'est pas encore représentée comme opératrice.

Correspondencia, Carla Simon et Dominga Sotomayor Castillo, 2020, Espagne - Chili

En effet, elles sont autour de la grande table de l'Histoire, guidant leurs contemporains à la lueur des images de famille, frêles et intimes, concernant la destinée des individus. Cela nous confère une vision partielle d'un événement, mais qui nous permets de nous questionner sur la portée de nos expériences ainsi que de leurs transmissions au monde. Elles nous invitent à prendre place à leurs côtés afin de dialoguer avec notre passé. Elles invoquent les laissés-pour-compte de notre actualité. La raconteuse de famille « comme un vagabond intellectuel98» met en parole sa propre pensée dès qu'elle en a la possibilité. Elle convie le spectateur dans un espace « physique et mental, multiple99 », de l'ordre d'un monde à part entière. Une cohabitation demeure envisageable si nous apprenons à les écouter, les observer. Elles nous renseignent sur l'universalité des désirs, mais aussi de l'existence de ces passés enfouis, parmi les décombres et les ruines, que nous avons laissé derrière nous. Ils nous restent tant d'expérience à redécouvrir afin que l'homme de

97 Op. cit. Benjamin Walter, L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, p. 41.

98 Op. cit. Blümlinger Christa, Lire entre les images, L'essai et le cinéma, p. 55.

99 Bellour Raymond, L'Entre-images, Paris, La Différence, coll. « Les essais », p. 14 de la préface (janvier 1990), Nouvelle édition revue et corrigée, 2002, p. 14.

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demain, ne soit pas tant optimisé, mais avant tout avisé. L'image d'archive de famille n'étant pas censée devenir publiquement appréhendée par ses semblables, elle est une source de secret et de vérité que nous devons, non pas tant affronter, mais davantage inquiéter.

Les images sont une partie intégrante dans l'élaboration de notre conception du monde, mais elles n'en sont pas les seules médiatrices. Les images d'archives de famille associées à la pratique du racontage permettent à ces cinéastes, de restaurer une partie du passé afin de l'ancrer dans notre réalité présente. Depuis la fin des deux conflits mondiaux, jusqu'à nos jours, nous pouvons supposer des innombrables images d'archives qui demeurent sous l'emprise d'un discours dominant. Pourtant, « l'Histoire n'est donc pas seulement celle que décide les puissants, elle est tout autant affaire de résistance précisément au sens large du terme dans le cadre d'un destin commun100 ». Il est vrai que semblable au travail de la cinéaste Giulia Casagrande, des images du passé peuvent et se doivent d'exister dans le présent de notre actualité. Il est sujet autant d'une libération, que cette dernière soit d'ordre intime que politique. C'est ainsi que cette « collusion entre l'intime et le public porte le réalisateur à étudier l'événement101 ».

Nous observons cette démarche dans le film Being you, being me (2013), de la cinéaste Alexandra Kaufmann. Depuis son accident, le frère de la cinéaste évolue dans un monde particulier, il ne communique plus avec son environnement. La cinéaste utilise ses films de famille afin de remonter le fil du temps, et de comprendre la constitution de l'identité de son frère à travers son expérience des événements. Nous suivons ainsi Johannes entre son travail à la chaîne et les images d'actualités qui le stimule devant son poste de télévision. Lors d'une séquence, nous suivons la cinéaste et son frère lors d'une visite dans un centre de charité. Nous observons Johannes devant la fenêtre, il bouge ses mains afin d'imiter le mouvement des feuilles d'un arbre.

100 Brunet Catherine, Le monde d'Ettore Scola, la famille, la politique, l'histoire, Paris, Harmattan, 2012, p. 255.

101 Op. cit. Brenez Nicole, Cinéma libertaires, Au service des forces de transgression et de révolte, p. 313.

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Nous ignorons à peu près tout du jeu qui se déroule réellement entre la main et le métal, à plus forte raison des changements qu'introduit [...] nos diverses humeurs. C'est dans ce domaine que pénètre la caméra. [...] Pour la première fois, elle nous ouvre l'accès à un inconscient visuel, comme la psychanalyse nous ouvre l'accès à l'inconscient pulsionnel102.

C'est une image en miroir qui se trouve fendue. La transmission de l'expérience est un processus qui s'avère complexe. Nous retrouvons cet état de fait dans le plan suivant, tandis que Johannes tente de se servir d'une caméra dans le dessein de participer à la progression de son expérience du monde. Le cas du frère de la cinéaste est comparable à celui des hommes de famille au lendemain des deux grandes guerres. Bien qu'il ne soit pas atteint de mutisme, son expérience est avant tout intériorisée. La cinéaste prend les traits de la raconteuse et tente de créer un récit oscillant entre le fantastique et l'anecdote d'une histoire intime, afin de capter l'attention de son frère. Lors d'une séquence de famille, tous et toutes sont réunis devant l'écran de projection. Ils sont autour d'une table, la pièce est éclairée par la lumière du rétroprojecteur. Les moments de la vie de Johannes y défilent. Elles sont commentées par les membres de la famille. Les images d'archives de familles sont accompagnées par la voix de sa soeur cinéaste, qui relate les anecdotes se rapportant à Johannes lorsque celui-ci est représenté en bas-âge. Nous pouvons l'entendre fredonnant une comptine. Ce plan est mis en parallèle avec les images d'archives de son papa, pendant que celui-ci manipule son matériel média-photographique. La famille de la cinéaste tente de constituer l'expérience de Johannes par les images d'archives de familles, ainsi que par les anecdotes de son enfance. Elle tente d'inciter le jeune homme à fabriquer sa propre actualité, puisque les archives de famille ont cette faculté de communicabilité d'un individu vers sa communauté.

Il est vrai, que nous retrouvons le motif d'un destin commun ainsi que d'une expérience en possible devenir. Les images en rapport à l'enfance instituent un univers de nostalgie, sans pour autant établir une corrélation avec l'individu dans le présent du film. Il est dès lors sujet d'observer en parallèle, les effets d'un ralentissement voire d'une absence d'expérience auprès d'un individu. Il s'agit d'en explorer les conséquences pour ses contemporains. Nous pouvons à cet effet « affronter sa dynamique [...] dans les

102 Op. cit. Benjamin Walter, L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, p. 44.

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interstices des expériences visuelles les plus diverses qui parcourent une histoire du regard103». Nous ne pouvons insinuer que nous sommes en présence d'une régression de l'individu dans son processus d'acquisition expérientielle du monde qui l'environne ; mais davantage d'en établir une corrélation avec celle transmise par procuration à travers les images d'archives de famille. La cinéaste parvient à créer de nouvelles images afin de capter l'attention de son frère. En dépit de sa position de raconteuse de famille, c'est à elle de s'approprier l'univers de son frère ainsi que de ses images mentales. Cela dans le dessein de les concrétiser dans le présent du film. Du fait de la pratique média-photographique, nous avons la capacité d'élaborer notre expérience, en ce sens d'établir une exploration. Si Johannes a été victime d'un traumatisme physique dans son enfance, c'est devenu adulte qu'il ne parvient plus à consolider son expérience entre le passé et le présent. Il est semblable à ce raconteur perdu dans une actualité de l'immédiateté. Il est ainsi égaré parmi ses propres images mentales.

De plus, si la raconteuse de famille peut avoir ce pouvoir résurrectionnel de convoquer la mort et la maladie dans le même instant par le film, elle se doit de trouver un compromis entre ces nouvelles images et celles du passé. Le terme « trauma » provient de la linguistique germanique, il signifie le passage dans le monde du rêve. Autrement explicité, il est question d'un instant de latence. Dans ce cas précis, l'expérience demeure en sommeil. Qui plus est, nous retrouvons cette structure de verre vis-à-vis de laquelle la raconteuse de famille se doit de se confronter, avec une incessante conviction. Elle se doit d'arracher les rideaux occultant la vision du monde d'un enfant de famille. Johannes ne parvient plus à utiliser son expérience dans le dessein de la transmettre, dans la mesure où il n'a plus la conscience de son propre passé. Il se trouve dans l'impossibilité de verbaliser la structure sociétale dans laquelle il évolue. La cinéaste Alexandra Kaufmann, est à son tour aux prises avec ce « retour de l'archive104 », bien que celle-ci semble éprouver une certaine émotion à visionner ses instants de famille avec son jeune frère. Elle nous indique de l'importance à appréhender ces instants du passé, comme autant d'indices afin de faire cohabiter une histoire de l'individu avec celle du collectif. C'est à

103Arnoldy Édouard, À perte de vues. Images et « nouvelles technologies », d'hier et d'aujourd'hui, Paris, Éditions Labor, 2005, p. 26.

104 Op. cit. Farge Arlette, p. 19.

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partir d'un récit intime que la raconteuse de famille tisse une toile faite de récit et d'anecdotes. Elle tente d'établir « de manière utile, solide et unique, la matière première des expériences, que ce soient les siennes ou celles d'autrui105». Le film par son absence d'une codification formelle préétablie agit comme un objet réflexif et malléable, à propos de représenter le monde qui nous entoure. Le dispositif cinématographique peut devenir dès lors ce point de contre-balancement car il permet de discourir sur la nature même de l'expérience. Il nous permet ainsi d'avancer l'hypothèse que la « pensée du méditatif est donc placée sous le signe du ressouvenir106» ainsi que d'un « savoir humain est fragmentaire107». La cinéaste questionne la naissance d'une image par l'utilisation de sa voix. Celle-ci conjugue tout à la fois des instants nostalgiques en relation avec le présent, que de la relation d'un individu avec sa communauté, puisque que « ces cinéastes remettent en jeu notre présence et notre croyance au monde, la vérité du réel108».

105 Benjamin Walter, « Le conteur », Dans OEuvres III, Paris, Gallimard, 2000, p. 150.

106 Benjamin Walter, Paris, capitale du XIXe siècle : le livre des passages, Paris, Éditions du Cerf, 1993, pp. 384-385.

107 Idem.

108 Niney François, L'Épreuve du réel à l'écran, Bruxelles, De Boeck, 2002, p. 297.

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Concernant ce second chapitre, nous relevons ces éléments. Tout d'abord, la pratique média-photographique contemporaine, plus spécifiquement dans le domaine cinématographique à permis à la parole de famille de prendre un statut tout particulier. En effet, ce sont les filles et petites filles de famille qui se réapproprient les images d'archives de familles afin de mettre en discussion l'actualité contemporaine. Nous assistons à l'émergence d'une volonté de faire exister le témoignage des femmes de familles, afin de pérenniser une transmission du récit. Cela ayant pour résultante de mettre au jour, une histoire souterraine, mais aussi d'inquiéter notre société présente, concernant notre lecture des images, tant dans le domaine social que politique. Nous relevons également que l'expérience se peut être étudiée, élaborée et préservée à travers un mouvement permettant une coexistence entre des images d'archives de famille et celles issues de notre présent. La voix peut dès lors être appréhendée comme un document d'archive en devenir, pour les générations futures. C'est un univers singulier qui est élaboré par la parole des femmes de familles, se muant en raconteuses auprès de leurs contemporains. Ces dernières convoquent la mort et la maladie dans le même instant du film, dans le dessein d'élaborer un dialogue entre des mouvement de vies intimes et la société d'individu qui en prend connaissance.

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CONCLUSION.

Tout du long de cette recherche il a été question de nous interroger dans une première intention de la considération des images d'archives de famille, notamment à travers l'étude de la pratique média-photographique. Nous pouvons relever à cet effet, que nous sommes en présence d'un objet de recherche protéiforme, en ce sens, où celui-ci a connu une évolution marginale au sein d'un mouvement historiographique complexe.

En effet, nous avons observé que la pratique média-photographique de famille se trouve à la jonction d'une idéologie janusienne. D'une part, nous avons observé une idéalisation de l'image familiale comme se devant de démontrer de la grandeur d'une nation. Puis, d'autre part, que celle-ci était également porteuse d'une parole davantage souterraine, et à l'encontre d'un discours dominant. Il est vrai que ces images se doivent d'être interrogées par et pour la société actuelle afin de révéler, une composante historique éludée par les détenteurs du pouvoir. Cela concerne celles et ceux qui nous permettent de dévoiler d'une histoire invisible mais présente, calfeutrée, derrière chacun des événements qui ont constitués notre passé. Il est dès lors d'un enjeu d'étudier ces images d'archives comme étant des indices comme autant de sentiers, que nous devons empruntés dans le dessein d'obtenir une vision la plus détaillée, mais surtout la plus complète possible de notre mémoire collective.

Qui plus est, nous avons constaté dans une seconde intention que les pratiques artisanales tels les albums de famille, mais aussi du racontage était au fait d'une résurgence parmi la société contemporaine. Ces pratiques avaient été mises au banc de l'élaboration de notre patrimoine, de part une attitude d'évitement envers des événements traumatiques à l'échelle mondiale. Nous avons établi à travers cette recherche que l'individu, par suite des deux conflits mondiaux, s'en était remis à l'aspiration d'un monde sous le contrôle de la technique. La reproduction en série, ainsi que l'industrialisation de masse aussi bien des images que de la propriété, avaient supplantés, en lieu et place, d'une transmission d'une expérience. C'est dans le dessein de pallier la perte de notre faculté à transmettre un récit, que l'humanité s'était engagée dans une approche sisyphéenne de l'histoire. Désormais, à mesure que nous avancions vers notre avenir, nous ne regardions plus le passé comme étant de l'ordre d'un éducateur se devant de nous prémunir des catastrophes pouvant se reproduire. Nous avons constaté à travers

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notre recherche de l'aliénation de l'homme de famille, qui tenta de pallier son incapacité à transmettre son récit d'expérience, au point de se perdre parmi ses propres images de famille. Cela ayant eu pour effet coercitif d'institutionaliser une distance envers les autres membres de sa communauté familial. Qui plus est, par suite de la destruction des villages et des individus les peuplant, nous avons été confrontés à une perte inégale de l'expérience humaine ainsi que de la tradition du raconteur.

De plus, cela a eu pour conséquence d'établir une constatation contemporaine, concernant le fait suivant. Nous étions confrontés à la résurgence d'images d'archives de familles dénuées de discours les accompagnants. Cela nous a révélé du conditionnement opérant auprès des générations dont nous faisons partie, de ne pas se préoccuper du passé par le regard d'un individu mais davantage du collectif. Notre recherche nous a révélé de la nécessité par la pratique média-photographique de nous réapproprier ces images d'archives de famille dans une volonté d'établir une histoire commune et juste. Les documents pouvant les accompagner comme étant jugés de second d'ordre par une application méthodiste de l'histoire, peuvent nous permettre d'établir des correspondances entre les individus, dans le dessein de tenter d'abolir une frontière entre le puissant et l'oublié. Bien que nous ayons porté à l'attention de nos lecteurs, que ces images étaient avant tout de l'ordre de l'intime dans une première mesure. Elles peuvent si elles sont accompagnées d'une parole, de construire un univers à part entière entre les communautés humaines.

En effet, comme nous l'avons également observé, les nouvelles générations de cinéastes tentent de reconstituer une histoire universelle à partir des images de familles. Elles sont majoritairement des filles et petites filles de famille désireuses de perpétuer la tradition d'une transmission de l'expérience. Ces anecdotes d'un vécu somme toute personnel, qui pourtant nous enseignent sur le devenir de la perception humaine liée à un événement commun. La pratique du racontage si elle n'est plus l'apanage des hommes de famille, est devenue celle des femmes de famille. Dès lors que la transmission fut abolie par la décision humaine de s'en remettre au progrès, dans l'acception d'une perpétuelle ascension des sociétés. Le principe de tradition a été considéré comme étant antinomique des valeurs promues par l'ère de l'homme moderne. En effet, celle-ci nous permet de

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convoquer dans un même temps la mort et la maladie. La tradition tient sa naissance et sa pérennité auprès des lieux éloignés de l'autorité. Elles nous enseignent non plus le renoncement ; pas plus qu'une condition native de demeurait des sempiternelles vaincus. Bien au contraire, elle nous éduque à constater, voire devancer d'une perte de l'expérience. Il est vrai, que nous avons établi que l'individu s'était réfugié dans un monde de verre, le préservant ainsi lui semblait-il, de toute remémoration du passé, autrement que par une méthode chronologique et systématisée. Toutefois, nous avons constaté que cette structure est tacitement nécessaire. Bien que celle-ci nous contraigne a sans cesse porter notre regard vers l'avenir et non le passé et ses ruines. Il est vrai que les sociétés humaines étaient dans ce besoin de retrouver une structure, au lendemain d'une destruction sans pareille des corps et des esprits.

Cependant, c'est par cette contradiction que nous avons élaborer notre réflexion autour de l'avènement de la raconteuse au coeur de notre société. Il est venu le temps de ces femmes de familles de prendre la caméra, de s'approprier la technique des images en mouvement dans le dessein de nous amener parmi un univers dans lequel co-existe la parole et les images d'archives de famille. Ce sont parmi des fragments de vies, d'images et de mots, qu'une histoire alternative prend corps et voix. Elles sont ces raconteuses qui interrogent celles et ceux qui nous ont précédés. Nous avons remarqué au cours de notre recherche, qu'elles prêtent leur voix afin de redonner vie, le temps d'un film, à ses mères, ses grands-mères, dont le témoignage nous permet de nous inquiéter de notre avenir.

Qui plus est, il est apparu que cela peut nous permettre d'envisager la pratique d'une autre histoire, de connivence avec notre actualité. Nous sommes au fait d'une immédiateté de l'information, pourtant, c'est la construction progressive d'un récit autour des images d'archives de famille que permet une expérience pérenne pour les générations à venir. Nous pouvons admettre la parole comme se pouvant être un document archivistique singulier, dès lors que celle-ci est établie dans un rapport avec les images d'archives de famille.

La perdition d'un récit de la jeunesse d'après-guerre a engendré une nostalgie d'un temps, non du moins perdu que davantage absent. De ce fait nous pourrions, dans le

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prolongement de notre recherche, accentuer notre démarche concernant une approche dialectique entre les images d'archives de famille et la perte de l'expérience dès l'enfance pour un individu. Autrement énoncé, il serait question de nous questionner sur comment l'enfance peut devenir à son tour un témoignage de l'expérience humaine. À cet effet, l'imaginaire du conte, entre la parole énoncée et celle chantée, à travers les chants partisans ne peuvent-elles être mises en corrélation de la volonté souterraine de nous renseigner sur notre devenir comme énonciateur d'expérience ? Cette nouvelle mise en forme de l'histoire entre la parole de la raconteuse de famille et les images d'archives par l'outil média-photographique. Ne nous interrogerait-elle pas concernant notre perception d'une nouvelle réalité historique par l'utilisation de la pratique du racontage de famille ?

De plus, l'approche archéologique liée aux images d'archives de famille peut possiblement approfondir davantage le rapport entre la technique, et la restitution d'une historie souterraine. Il est vrai, que nous pouvons nous questionner également sur la propension d'un discours dominant à catégoriser les membres d'une famille comme véhiculant, malgré eux, une prédétermination d'une expérience conditionnée depuis l'enfance. Il serait question également d'aborder plus en détail la portée de ces nouvelles traditions de transmission du récit, au sein de la pratique média-photographique contemporaine. Cela notamment en rapport à un statut en devenir de l'outil cinématographique, comme devant être étudié en tant que générateur d'expérience singulier. Qui plus est, c'est à travers l'analyse de séquences filmiques, que nous pouvons avancer le fait suivant. Cette nouvelle approche, qui concerne les images d'archives de famille associées à une pratique de la raconteuse de famille se développe pour l'essentiel dans le cinéma italien. Les films qui abordent cette méthode sont principalement des productions italiennes. De ce fait, cela ne peut être considéré comme tenant d'une donnée aléatoire, lorsque nous sommes au fait que la famille et le cinéma italien évoluent en coexistence de la relecture d'une histoire souterraine. Soit une pensée toute particulière liée aux archives de famille ainsi qu'à la transmission de l'expérience. Celle-ci se doit dans le prolongement de notre recherche à venir d'être un objet d'attention indéniable.

En effet, c'est à l'issue de notre recherche, que les films des cinéastes Alina Marazzi et Giulia Casagrande se sont avérés complémentaires. Toutefois, il nous paraissait

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primordial d'étudier un ensemble de propositions cinématographiques afin de nous assurer du bien-fondé d'une étude davantage centrée sur le travail de ces deux cinéastes.

De ce fait, dans la continuité de notre propos, nous allons nous orienter sur la thématique de l'enfance pendant la période de l'après-guerre et du fascisme. En l'occurrence, comment la figure de l'enfance d'après-guerre est-elle révélatrice d'un enjeu concernant l'étude d'un hors-champ de l'Histoire ? Mais également dans quelle mesure, nous pouvons étudier le motif de la représentation du corps de la femme à travers la pratique média-photographique de famille ? La parole comme médiatrice entre les images d'archives de famille et une histoire collective, peut-elle devenir révélatrice d'une lutte souterraine envers un discours propagandiste véhiculé par l'imagerie moderne ?

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- Veray Laurent, Les images d'archives face à l'Histoire : de la conservation à la création, Paris, Canopé, 2011.

· Sur la question du remploi d'images d'archive. Article de revue : en ligne.

- Albera François, « La chute de la dynastie Romanov : de E. Choub à C. Marker », Cairn, RDIC| Matériaux pour l'histoire de notre temps, n° 89-90, (2008), p 20-29. URL : http://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notretemps-2008-1-page-20.htm [Consulté le 17 novembre 2021].

- Brenez Nicole, « Montage intertextuel et formes contemporain du remploi dans le cinéma expérimental », Cinémas : revue d'études cinématographiques, vol. 13, n° 1-2, 2002, p. 49-67. URL: http://id.erudit.org/iderudit/007956ar [Consulté le 24 octobre 2021].

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- Habib André, « Archives, mode de réemploi. Pour une archéologie du found footage », Cinémas, Volume 24, Numéro 2-3 Printemps 2014, p. 97- 122. URL : https://id.erudit.org/iderudit/1025150ar [Consulté le 04 octobre 2021].

- Winand Annaëlle, « Archives et réemploi dans les films expérimentaux », Archives, vol 46, N° 1, (2021), 12p.DOI : https://doi.org/10.7202/1035721ar [Consulté le 22 octobre 2021].

· Le conteur, récits et anecdotes. Ouvrage original en version imprimée :

Selon et autour de l'approche de Benjamin Walter.

- Benjamin Walter, « Le conteur » [dernière version de 1939], OEuvres III, Paris, Gallimard, 2000.

- Benjamin Walter, Expérience et pauvreté, suivi de Le conteur et la Tâche du traducteur, Paris, Éditions Payot & Rivages, coll. Petite Bibliothèque Payot, 2011.

- Géry Catherine, Leskov, Le conteur, réflexions sur Nikolai Leskov, Walter Benjamin et Boris Eichenbaum, Paris, Classiques Garnier, 2015.

Autour de la thématique du raconteur.

- Barbusse Henri, Le feu, Paris, éditions Flammarion, 1916.

- Leskov Nikolai, Le voyageur enchanté, précédé de Le raconteur par Walter Benjamin, Barcelone, Payot-rivages, 2011.

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L'élaboration de la figure de la raconteuse. Ouvrage original en version imprimée :

La figure de l'ange :

- Benjamin Walter, Sur le concept d'Histoire, Paris, Gallimard, 2003. La figure de la martyre :

- Baudelaire Charles, Les fleurs du mal, « Une Martyre, dessin d'un maître inconnu », Éditions condamnée de 1857, Paris, La petite Vermillon, 1997.

- De Coulanges Fustel, La cité antique, étude sur le Culte, le Droit, les

Institutions de la Grèce et de Rome, Cambridge Univesity Press, 2010.

- Hugo Victor, « Écrit sur la plinthe d'un bas-relief antique -. À mademoiselle Louise B » in Les contemplations, Édition de Ludmila Charles-Wurts, Paris, Le livre de poche, 2022.

· La voix au cinéma.

Ouvrage en version imprimée :

- Boillat Alain, Du Bonimenteur à la voix-over, Lausanne, Éditions Antipode,

2007.

- Châteauvert Jean, Des mots à l'image. La voix over au cinéma, Paris-Québec, Éditions Méridiens Klincksieck / Nuit blanche, 1996.

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FILMOGRAPHIE.

·

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Corpus principal.

- Un' ora sola ti vorrei, Marazzi Alina, Italie, 2002.

- Clara e le vite immaginarie, Casagrande Giulia, Italie, 2019.

· Corpus complémentaire concernant :

· L'aliénation de l'homme par la machine.

- Doppelgänger, Taschenk Michaela, Allemagne - Italie, 2019.

· Des images d'archives sans paroles.

- 66 moon questions, Latzon Jacqueline, Grèce, 2021. - La Famiglia, Ettore Scola, 1987, Italie, 1987.

· Pour la pratique d'une autre Histoire.

- Lui e lo, Cosentino Giula, Italie, 2019.

· La parole de famille comme archive.

- Correspondencia, Simon Carla, Castillo Sotomayor Dominga, Espagne, Chili, 2020.

· L'expérience inexploitée.

- Being you, Being me, Alexandra Kaufmann, Italie, 2013.

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ANNEXES.

Résumé de l'entretien en date du 17 mars 2022, avec Giulia Casagrande réalisatrice du film, Clara e le vite immaginarie, Italie, 2019.


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Le processus de conception du film.

« Il n'y a pas eu de films déclencheurs dans la mesure où nous somme seules au moment de la découverte de cette photographie dans le salon de famille. Il fallait que je comprenne cette photographie, que je recherche à raconter les hors-champs de cette photographie. J'ai effectué des recherches historiques, littéraires, et dans les films de famille ».

· L'enfance peut-elle devenir une archive ?

« Cette photographie a été prise pendant la période du fascisme en Italie. Cela nous pose la question de la représentation de l'enfance pendant cette période. Je n'avais pas d'hors-champ concernant cette photographie. Je n'avais pas de film de famille, juste les souvenirs de ma Grand-mère. Je devais me dépêcher car elle perdait la mémoire. C'était une course contre le temps. La transmission est importante pour comprendre notre histoire. Je devais trouver de la documentation sur cette période. C'est avant tout l'histoire d'une jeune fille pendant le fascisme. Ma grand-mère est porteuse d'une histoire aussi bien personnelle que collective. Il y avait également la question de la représentation du corps de la femme pendant cette période. Moi, je n'avais pas de films de famille, je recherchais à partir d'une image, d'un film sans mouvement, ma démarche a été différente. Il faut libérer l'archive de son cadre et questionner cet hors-champ de l'histoire ».

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe