Master 1ère année en Études
Cinématographiques et Archives. Parcours Lille -Udine. Année
2021-2022.
Les images d'archives de famille entre cinéma
et Histoire.
L'étude archéologique de l'avènement de la
raconteuse dans la pratique média-photographique
de famille.
Par GARANDET Jean-René.
Direction de mémoire par Monsieur Arnoldy
Édouard en qualité de professeur de l'Université de
Lille.
Puis, cela va paraître peu académique, mais
j'aimerais remercier la personne qui m'a transmis ce goût si je puis dire
de la transmission de l'anecdote de famille, ainsi
REMERCIEMENTS.
Ce mémoire est l'aboutissement d'un travail de
recherche qui m'a emmené vers des contrées théoriques et
pluridisciplinaires riches d'enseignements. Il m'a fallu, à cet effet,
prendre appui sur le travail des chercheurs et chercheuses, que je remercie
aujourd'hui à travers cet écrit. Tout d'abord, mon directeur de
recherche, Monsieur Arnoldy Édouard. Celui-ci, m'a en effet guidé
vers les différents domaines de lectures d'une histoire qui
m'était jusqu'à ce jour insoupçonnée. Celle
concernant un cinéma qui permet une approche différente du monde
et de ces individus. Il faut sans cesse douter, pour avancer sans idées
préconçues, quant à la nature de son objet de recherche.
Il m'a transmis ce goût de l'archive et d'une histoire qu'il faut sans
cesse interroger. Ses écrits ont été par ailleurs d'une
aide précieuse. Mon entretien avec Madame Gignac Mélissa, qui
quant à elle m'a permis d'entrevoir des chemins qui, sur le long terme
de ma recherche, s'avéreraient sinueux, et qui m'a conseillé de
les éviter afin de rester dans une démarche concrète. Il y
a eu également des éclaircies, je pense notamment à
Monsieur Walbrou Sonny, m'envoyant un lien présentant un travail
inédit sur les archives de famille. Je ne peux faire l'impasse sur les
conseils de Madame Sfez Géraldine et son travail sur la
représentation de l'image de famille idéalisée. Les cours
d'écriture de Madame Martin Jessie qui m'ont permis d'élaborer
une méthodologie d'analyse en regard de ces films, malheureusement
encore trop méconnus pour un plus large public de spectateur. Ma
rencontre avec la cinéaste Madame Casagrande Giulia, dont
l'humilité ainsi que la générosité à
partager de son expérience du cinéma et à m'accorder un
temps précieux à échanger autour de son film, qui demeure
à mon sens, une découverte inoubliable pour le monde du
cinéma contemporain. Puis, Madame Pavy Nicole, qui m'accorda son temps,
partageant autour d'un thé savoureux, ses anecdotes de familles. Je
tiens également à remercier Mr Dorchain Jean-Paul et Mme Tucci
Ariana ainsi que la Cinematek Royale de Belgique, pour leur enseignement ainsi
que leur bienveillance tout du long de cette année. Mr Pigaglio Pierre
du centre des archives départementales du nord, pour sa
disponibilité et la découverte du fonds Pavy-Delangle.
que de l'importance de rester fidèle à cette
tradition du racontage, Madame Garandet Josiane, ma maman. Enfin, ce
mémoire est en hommage à Karl Eschborn, notre cousin de
Heidesheim am Rhein, petit village à l'époque, situé en
Rhénanie-Palatinat. Il était un tout jeune adolescent
âgé d'une quinzaine d'années, lorsqu'il fut envoyé
de force sur le front au Mont Cassino en Italie, durant la Seconde Guerre
mondiale en 1944. Lors de ses adieux à notre famille en gare de Nantes,
il avoua ne pas savoir se servir d'une mitraillette et ne pas en avoir envie.
Cependant, il ne voulait pas être fusillé comme ses camarades et
leurs familles en refusant de partir se battre. C'est en 1963, que sa maman
apprendra que Karl avait été inhumé à l'abbaye du
Mont-Cassin. Il avait été recueilli par une soeur italienne,
après que ses camarades et lui furent abattus à leur
arrivée, tandis qu'ils se trouvaient à bord du train. Sa maman
fut soulagée d'apprendre, que son fils n'était pas mort seul,
mais dans les bras d'une autre femme. Ce sont ces raisons qui font
qu'aujourd'hui, je vous présente ce travail.
Enfin, cette recherche est issue de quatre années
passées au sein d'une université qui me permettent à ce
jour d'entrevoir un avenir, dont je ne pouvais me douter qu'il devienne une
réalité. Celui de la recherche et de la possibilité
à travers l'étude du cinéma et des archives, d'explorer un
monde qui ne nous dévoilera jamais tous ses secrets, mais dont
l'exaltation qui nous animent, tous et toutes, et de tout tenter pour y
parvenir.
Table des matières
INTRODUCTION. 1
Chapitre I - L'individu de famille comme paradigme de la «
trace ». 12
I. L'aliénation de l'homme par la machine 13
a) Un monde sous verre. 13
b) Des images d'archives sans parole. 18
II. La pratique artisanale comme reconstruction de
l'expérience . 25
a) La fêlure du « masque de l'adulte». 25
b) Pour la pratique d'une « Histoire autre ». 31
Chapitre II - L'engendrement d'un univers critique par la
raconteuse de famille. 38
I. Le temps des familles : salvateur de notre présent.
39
a) La naissance de l'ange. 39
b) La parole de famille comme archive sonore. 45
II. Une relecture du monde contemporain. 50
a) De l'imaginaire au politique : des archives de la
révolte. 50
b) À la rencontre d'une expérience sociale
souterraine. 55
CONCLUSION. 62
BIBLIOGRAPHIE. 68
FILMOGRAPHIE. 77
ANNEXES. 79
Page 1 | 86
INTRODUCTION.
Pourquoi devrions-nous faire parler nos archives de familles ?
Nous sommes devenus pauvres. Nous avons sacrifiés
bout après bout le patrimoine de l'humanité ; souvent pour un
centième de sa valeur, nous avons dû le mettre en
dépôt au mont de piété pour recevoir en
échange
la petite monnaie de l'« actuel
»1.
C'est à partir du propos du philosophe et
théoricien des arts, Walter Benjamin, qui concerne la modalité de
transmission du passé, en regard d'un monde au sein duquel nous
assistons à une primauté d'une information immédiate et
brute, que nous débuterons notre recherche. Sa réflexion s'est
élaborée par la constatation de l'appauvrissement de la tradition
du récit transmis aux générations suivantes, dès la
fin de la Première Guerre mondiale. Les hommes de famille en revenaient
atteints de mutismes. Cette incapacité à échanger à
propos du conflit le plus acharné et le plus inventif dans la
destruction des corps, avait fait basculer la capacité humaine à
se prémunir par l'étude des événements
passés. Désormais, l'homme serait forgé à
même les technologies modernes, outrepassant sa condition mortelle, dans
le dessein de ne plus dépendre, ni de la tradition, pas plus que de son
acceptation d'homme historique. Au cours de notre recherche, nous en
distinguerons deux enjeux. D'une part, l'idée que l'homme a
façonnée le XXe siècle par le sacrifice de la tradition,
au profit d'une modernité l'aliénant, au point de n'avoir cure de
l'élaboration d'un individu comme sujet, et non objet d'un patrimoine
commun. Puis d'autre part, cela nous amène à questionner notre
présent, conditionné par une actualité sans cesse plus
industrialisée et immédiate, au détriment de la
construction artisanale et progressive d'un récit à transmettre.
Ce faisant, de nous interroger des moyens mis à notre disposition afin
de proposer une démarche critique, comme possible alternative au
règne du progrès technique prenant le pas sur l'individu. Il sera
dès lors sujet d'étudier l'homme à son rapport à
l'histoire. Cette mise en dépôt, comme le souligne Benjamin, se
doit d'être levée, car nous sommes engagés à travers
une course avec le temps, dont les errances que nous attachons à une
pensée salvatrice véhiculée par la modernité, peut
rendre inexpugnable toute acquisition critique autour de notre
historicité2. Nous sommes au sein
1 Benjamin Walter, Expérience et
pauvreté, suivi de Le conteur et la Tâche du
traducteur, Paris, Éditions Payot & Rivages, coll. Petite
bibliothèque Payot, 2011, p. 48.
2 Nous entendrons par cela,
l'étude des faits qui constituent l'histoire d'une personne et dont la
réalité est attestée par elle. Soit une dimension de
l'Histoire, voire d'une temporalité d'une existence mise en
situation.
Page 2 | 86
d'une jonction inédite autour d'une réflexion
contemporaine commune dédiée aux vaincus de l'histoire, et de la
nécessité de les faire advenir de nouveau visibles au sein de
notre présent. Notre démarche sera de permettre de discuter d'une
alternative envers une histoire, qui fût enclavée parmi les
grilles et les barbelés dévoilés par l'icône
photographique de guerre survenue après le premier conflit mondial.
L'utilisation des outils média-photographiques était dès
lors de capter notre regard vers une unique instance de
l'événement, occultant la constellation des récits
gravitants autour de celui-ci. Cette acception de ce temps de l'image au
détriment de la transmission d'un récit de vie, à
coloniser nos esprits, au point de nous demander aujourd'hui, si l'homme est
encore dans la capacité à apprendre de son propre vécu.
C'est en effet, à partir de ces photographies prisent
bien souvent après la bataille, que demeure pérenne
l'élaboration d'un langage politique et historique dominant. Il est un
fait, que la photographie est notamment un instrument de premier ordre, depuis
le premier conflit mondial, comme assurant un règne d'une information
immédiate et dont le point de vue de son observateur est conscrit par ce
qui lui est donné à voir. Notre capacité de
réflexion est par ce fait conditionnée, à ne jamais se
détourner de cette ligne inflexible, sous peine de nous retrouver sur
des sentiers peuplés par des traditions mises aux rebuts. Toutefois,
c'est précisément par le retour de certaines de ces traditions,
que nous allons proposer de déterminer cette alternative, à
l'encontre d'une histoire rattachée au culte du patrimoine et non plus
seulement élaborée à partir de l'individu lui-même.
En effet, il subsiste deux actants inextricablement corollaires à cet
état de fait. La perte progressive de l'expérience, soit
autrement énoncée, de notre capacité à nous
échanger nos propres vécus, puis la pratique photographique
vouée au culte de la modernité. L'individu devint alors
happé par ces foules suivant les sillons tracés par un discours
dominant érigé par les détenteurs de l'Histoire. Il ne
sera pas le propos d'établir un procès d'intention à
l'approche méthodiste, puisqu'il est un fait, qu'une ligne directrice se
devait d'exister aux lendemains de ces événements. Il ne sera pas
non plus question de porter à notre propos, ce que devrait-être le
rôle de la photographie. Voire d'y établir une quelconque
condamnation de la technique, mais davantage d'entreprendre l'étude des
outils média-photographiques dans cette reconquête d'un
passé pouvant aider notre compréhension du présent.
L'homme dans une première intention, se doit d'arpenter le chemin d'un
présent
Page 3 | 86
escamoté par des années de barbaries
acharnées, détruisant corps et esprits, pour ensuite apprendre
à le reconnaître. Pour déterminer comment nous pourrions
arriver à ce cheminement d'une réflexion critique contemporaine,
nous engagerons deux traditions, tant à la fois complémentaires,
mais qui peuvent être mises en discussion l'une envers l'autre.
La première étant celle concernant le retour de
la tradition du récit, notamment par la figure du raconteur, comme
étant de l'ordre d'une modalité de l'expérience qu'il nous
faut de nouveau nous réapproprier. Elle se doit d'être
communicable auprès des générations nous succédant,
en rapport à un discours des détenteurs de la grande Histoire.
Elle est cet hors-champ dont l'approche critique s'avère être en
inadéquation avec une ligne historique positiviste. Par
expérience du récit, nous l'entendrons par cette approche
benjaminienne, du récit et des anecdotes, véhiculée par le
rôle du raconteur. Cette tradition du verbe a de tout temps
été associée à deux grandes figures de l'imaginaire
social, le marin et le paysan. Que cela soit par les mers ou les
contrées terrestres, ils partagent avec leurs contemporains ces
histoires de passages, mais qui enseignent d'une réalité de notre
temps. La mort et la maladie peuplent ses récits. Ils sont
désormais éludés dans l'élaboration d'une
construction historiographique tout aussi bien dans l'imaginaire que dans la
politique, comme source d'expérience. Nous admettrons que cette
tradition est désormais proscrite, puisque révélatrice que
nous sommes mortels à plus d'une acception, et que la maladie
représente cette hantise d'être comparable à ces
civilisations que nous avons étudiées jusque dans leurs derniers
instants. Ce retour à la tradition du raconteur, peut nous permettre
d'aborder notre présent dans son actualité, en ayant ce souci
d'une histoire autrement assumée, que celle actuellement présente
et cadencée dans les livres d'histoire.
La seconde, concerne celle de la constitution d'un patrimoine
intime par la pratique média-photographique de famille. En effet, les
images d'archives de famille sont une source d'enseignement concernant une
histoire alternative. Ce sont des moments intimes, mais qui peuvent être
mis en relation avec un événement du collectif, aussi bien social
que politique. Ce sont des matériaux dans le prolongement d'une
pensée Benjaminienne au sujet des oubliés de la grande histoire,
tout du moins, celles et ceux, dont le récit intime fut
écarté par un mouvement historique dominant. Toutefois, nous
pourrons les considérer
Page 4 | 86
comme ces « grands acteurs de l'Histoire bien qu'ils
aient disparu des sphères organisées de la visibilité
3». En cette considération, ces images d'archives
permettent l'élaboration d'une réflexion commune autour d'une
histoire souterraine. Qui plus est, ces images de familles, demeurent d'autant
plus importante à notre propos que celles-ci sont ce « point de
départ dans une expérience très particulière et
d'autant plus significative qu'elle n'avait eu ni le genre du
portrait4», dans la mesure où elles sont
destinées dans un premier mouvement à la sphère intime. Du
reste, elles ne sont pas attachées à une quelconque «
volonté d'art pour sources véritables5 ». ll est
vrai, que celles-ci, sont considérées comme étant le fruit
d'une pratique amatrice et de ce fait, non conventionnée à
permettre l'élaboration d'un discours. Pourtant, elles sont signifiantes
des « mouvements migratoires qui marquent au présent le quotidien
de nos sociétés6 ». En conséquence, ces
images d'archives de familles sont autant de « registres
d'expériences humaines qu'il importe de consulter [...] avec le
même souci de découvrir dans le passé quelque chose de
l'avenir7». C'est par la pratique des albums
média-photographiques de familles, que nous trouverons notre insertion
à cette recherche. Cependant, nous n'allons guère aborder notre
propos du point de vue, conventionnel et académique, concernant notre
approche critique.
En effet, nous allons établir un dialogue entre ces
deux notions par une voie inédite et singulière. Celle du point
de vue des femmes de familles, regroupant ces fragments de vie, entre
photographies et anecdotes. Ce détail est tout aussi signifiant, dans la
mesure où la technique de prise de vue est associée à un
geste du patriarcat. De ce fait, semblable à l'acte de l'archiviste,
elles collectent des « traces » pouvant constituer une histoire tout
aussi personnelle, qu'elle peut dialoguer avec celle de tout un collectif. Les
images de familles sont alors une sorte d'acte de résistance pour ces
femmes de familles, désireuses de conserver le lien entre un
récit intime, souterrain et critique, en regard de son appropriation sur
les temps de l'Histoire dominante.
3 Bazin Philippe, Pour une photographie
documentaire critique, Paris, Créaphis Éditions, 2017, p.
9.
4 Didi-Huberman Georges, Peuples
exposés, peuples figurants. L'oeil de l'histoire, Paris, Minuit,
2012, p. 35.
5 Idem.
6 Ibidem. p. 12.
7 Brunet François, La naissance de
l'idée de photographie, Paris, Puf, 2000, p. 193.
Page 5 | 86
De plus, les images d'archives de familles et la pratique du
racontage ont un fondement commun, c'est la parole féminine. Celle-ci y
tient une place toute particulière dans la mesure où elle
détient son origine depuis la création d'une image jusqu'à
sa présence au sein de l'histoire. Il est vrai que c'est depuis Pline
l'ancien que l'écriture d'une image dépend avant tout de la
parole qui va l'annoncer. Dans le mythe de la fille de Butadès, celle-ci
demande à son père, potier de la ville de Sicyone, de
préserver l'ombre de son jeune amant avant que celui-ci ne parte pour
livrer bataille. Les contours du corps du jeune homme sont dessinés par
sa jeune amante, afin que son père puisse y appliquer du plâtre
afin de conserver son image auprès d'elle. Cet acte d'amour est avant
tout celui d'une nostalgie à venir, puisque son amant trouvera la mort.
Cette image serait le premier geste funéraire, ce besoin de conserver
une trace, pour s'abjurer d'une absence. C'est par la parole de la fille, que
le père va créer cette image. Dès lors, la parole
féminine restera associée à une histoire souterraine aux
prises avec celle patrimoniale et média-photographique dominante. Celle
à visée politique, créatrice d'un imaginaire social, dont
l'art visuel sera le masque d'un modèle patriarcal, ayant les
instruments pour modeler une réalité, dont la femme en sera
l'objet et non plus l'instigatrice. La fille de Butadès n'a que sa
parole afin que son histoire trouve un cheminement à travers la mort et
le souvenir. Ses compagnons d'infortune sont pourtant ceux qui vont lier la
pratique des images à celle du récit, comme fondement du
racontage.
Il est vrai que la parole féminine est du reste
présente comme impulsion créatrice pour les cinéastes de
famille. Dans le film, Mort à Vignole (1999), d'Olivier
Smolders, c'est à la demande de sa femme, à la suite de la perte
de leur enfant, dont aucune image ne subsiste, que celui-ci va entreprendre un
voyage média-photographique parmi ses images de famille. Celui-ci nous
fait part de son sentiment face à la mort. Il procède à
une déconstruction de ses images de l'ordre d'une mise à nu des
artifices de mises en scène. Dans une séquence du film, une
morgue nous est ainsi représentée. Une vue en plongée sur
ces corps, dont l'utilisation progressive du gros plan, nous les
révèlent comme fragmentés. Des images proscrites, des
instants de famille, que le cinéma refuse usuellement de nous
dévoiler. Cette vérité qu'est la mort, la
décomposition des chairs, la fin prochaine de ce qu'a pu être la
représentation d'un corps en tant qu'image dans un album de famille. La
parole de la femme de famille incite le cinéaste à entreprendre
un
Page 6 | 86
voyage parmi le passé et le présent d'une image.
Dans le film, Deuxième nuit (2012), le cinéaste
Éric Pauwels écoute la voix de sa maman enregistrée sur
des cassettes audios. Les anecdotes de celle-ci suscitent chez le
cinéaste ce désir de nous raconter à travers ses histoires
de familles, un récit dans lequel s'entrecroise des anecdotes
historiques et ses propres souvenirs de petits garçons. Du fait de
l'utilisation de ses images de familles, entre photographie et cinéma,
il retrace le fil de son existence, au côté de ses proches
disparus. Il y a une séquence notamment, dans laquelle nous apercevons
la photographie de sa maman défunte, projetée sur un drap blanc.
Une chaise vide est située en frontalité de celui-ci. Le point de
vue subjectif usité par le cinéaste, ainsi que le seuil de la
porte apparaissant dans le cadre, nous indiquent que nous sommes au sein d'un
espace entre deux régimes de représentation d'une image. Celui de
son absence en même temps que de celui de son souvenir. C'est ainsi que
ces cinéastes, à l'instar du potier de Sicyone, perpétuent
l'art du devenir d'une image intime en regard d'une Histoire collective.
Pourtant, il subsiste d'autres voies souterraines nous menant à ces
oubliés de famille et à leurs expériences. C'est
précisément celles-ci qui retiendront notre attention à
travers notre recherche. La jeune fille du potier a grandi dans
l'obscurité de la pratique des arts et de l'Histoire. Désormais,
ses héritières ne dessinent plus l'ombre de ses disparus, elles
s'emparent de ses images afin de les convoquer dans notre présent. La
particularité de notre recherche étant qu'il s'agit des filles et
petites filles des cinéastes de familles. Ce sont elles qui
façonnent les corps et la matière du film, interrogeant notre
société présente à travers ces images du
passé. Cela nous amène à penser une nouvelle figure qui
jadis fut celle du voyageur, et qui devient désormais celle de la
raconteuse. Celle mis à la marge du récit historique, tout aussi
bien familial que politique, accompagne désormais les images d'archives
de famille au sein du dispositif cinématographique, prêtant sa
voix aux mots écrits, griffonnés sur des lettres, et dont
l'existence restait éludée. Les « sans-voix
8», peuplant les pages des albums média-photographiques
de famille sont pourtant les derniers résistants d'une « histoire
autre9 ». Nous sommes désormais dans un temps, où
les héritières de famille désirent un retour à la
tradition. Celle des récits et anecdotes qui hantent une histoire
demeurée trop longtemps souterraine. C'est un enjeu de notre
8 Farge Arlette, Essai pour une histoire des voix
au dix-huitième siècle, Paris, 2009, p. 17.
9 Despoix Philippe, « Une histoire autre
», in Philippe Despoix, Peter Schottler (dir.), Siegfried
Kracauer, penseur de l'histoire, Montréal, Presses de
l'université de Laval, 2006.
Page 7 | 86
présent, une vérité qui se doit de
transparaître à travers les outils médias-photographiques
contemporains. Les archives de familles sont également de notre
actualité, et leurs donner voix, c'est redonner vie à un
passé se devant de nous interroger sur notre présent.
Notre interrogation directrice se portera sur la figure de la
raconteuse de famille. Comment celle-ci peut-elle devenir formatrice d'un
univers cinématographique critique, entre les images d'archives de
famille et une histoire collective souterraine ? Notre manière d'amener
notre propos s'effectuera par un mouvement dialectique entre les images
d'archives de famille et la pratique média-photographique de famille,
entre passé et présent. Nous situerons notre propos à
travers la pratique cinématographique contemporaine. Notre
hypothèse de recherche étant que la raconteuse de famille
accompagne les images d'archives de famille au sein du dispositif
cinématographique, permettant l'émergence d'un univers critique
autour d'une pensée sociale et politique actuelle. Cependant, une image
d'archive peut-elle se substituer au témoignage de celles et ceux qui en
sont les objets de représentation ? Par ce fait, sans la tradition du
racontage, les « images d'archives peuvent-elles répondre à
ce désir de compréhension de l'autre, à cette
volonté de déchiffrer l'indéchiffrable ? 10
». À cet effet, comment pouvons-nous appréhender une
pensée historique au regard d'images ayant été
pensées à la construction d'une histoire intime ? La parole,
permet-elle l'émergence d'un univers cinématographique singulier,
autour des images d'archives de familles, nous révélant une
histoire sociale souterraine ? Celle-ci a la possibilité de faire
entendre cette parole, mais comment peut-elle proposer une relecture critique
de notre société contemporaine, tant dans le domaine politique
que sociale ?
C'est à travers ces questionnements que le travail des
cinéastes Alina Marazzi et Giulia Casagrande s'imposeront au coeur de
notre recherche. En effet, dans son film Un'ora sola ti vorrei,
(2002), la cinéaste Alina Marazzi, il est question de l'exploration
d'une histoire souterraine à travers ses images de familles. Elle
révèle une réalité calfeutrée concernant un
temps des familles et les images de bonheur mises à nu. C'est en
révélant la dépression post-partum de sa maman Luisa, que
la violence et le déni d'une société régie par les
apparences nous est dévoilé. Il est question de l'étude de
la condition féminine au coeur
10 Le Maître Barbara, Entre film et
photographies, Essai sur l'empreinte, Paris, Presse Universitaire
de Vincennes, 2003, p. 73.
Page 8 | 86
d'une Italie, dont les enjeux politiques et sociaux se
dessinent dans un pays d'après-guerre. Tandis que dans le film Clara
e le vite immaginarie (2019), la cinéaste Giulia Casagrande retrace
l'existence de Clara, sa grand-mère. C'est à partir d'une
photographie prise dans les années 1930, que nous allons suivre Clara,
de son enfance pendant le fascisme à l'élaboration de son
identité sociale en tant que femme de famille, entre un imaginaire
cinématographique et les images propagandistes d'une Italie qui panse
ses blessures. C'est ainsi qu'à travers ces deux oeuvres filmiques, nous
porterons à l'étude les images d'archives, tout aussi bien
cinématographiques que photographiques, comme un point de jonction entre
réalité et imaginaire, fiction et réalité.
Qui plus est, nous analyserons les séquences d'autres
films étayant davantage notre sujet de recherche. Il sera question de la
cinéaste Michaela Tashenk et de son oeuvre Doppelgänger
(2019), oscillant entre fiction et réalité, en rapport
à cette duplicité de l'opérateur de famille, concernant un
besoin compulsif de compiler des images de familles, sans toutefois parvenir
à en exposer une narration. D'une approche fictionnelle comme dans le
film 66 moon questions (2019), de la cinéaste Jacqueline
Lantzou, au sujet de la perte de communication entre l'opérateur de
famille et les femmes de famille. Nous effectuerons une jonction entre les
images d'archives de famille et le cinéma par le film La Famiglia
(1987) du cinéaste Ettore Scola. Cela nous permettra d'introniser
la question de la libération de l'archive par la parole des femmes de
famille. Nous analyserons également le film Correspondencia
(2020), à travers lequel, les cinéastes Carla Simon et
Domingua Sotomayor Castillo, échangent leurs images de familles afin
d'en discuter du besoin de transmission. Puis, le film de la cinéaste
Alexandra Kaufmann, Being you, Being me (2013), nous permettra de
porter à notre étude, l'expérience inexploitée de
la jeunesse contemporaine.
Il est à noter que nous effectuerons des mouvements
entre la pratique média-photographique contemporaine, par l'analyse de
ses films et celle liée aux prémices de la photographie de
famille, et l'observation du fonds d'archive de la famille Pavy-Delangle, de
1919 à 1925. Nous évoquons le terme d'archéologie comme
qualificatif de notre recherche, dans la mesure où il est question d'une
construction diachronique, en ce sens, où nous effectuerons des
croisements et non une élaboration de manière synchroniques. Nous
tenterons d'établir un dialogue, ponctué de correspondances entre
les différentes
Page 9 | 86
temporalités de ces images d'archives ainsi que leurs
dispositions au sein d'une réflexion contemporaine.
Notre propos sera structuré de la façon
suivante. Nous étudierons dans une première intention l'individu
de famille comme étant de l'ordre d'un paradigme de l'indice, nous
permettant de remonter à une histoire souterraine. Il sera sujet
d'évoquer la pratique artisanale comme un possible moyen de reconstruire
une expérience mise à mal à l'issue des deux conflits
mondiaux. C'est par ce désir de pratiquer une histoire alternative, que
la voix des femmes de familles associée aux images d'archives de
famille, peuvent instituer un univers singulier et critique. Cela ayant pour
conséquence de nous permettre d'envisager un nouveau temps des familles,
comme inquiétant notre présent, par la naissance de la raconteuse
de famille à travers le dispositif cinématographique. Il s'agira
de penser à une relecture du monde contemporain, par l'utilisation de
ces archives de familles. Puis nous étudierons la parole des femmes de
famille, comme étant des documents archivistiques, ayant leur place
concernant une restitution historiographique d'un passé commun. Nous
engagerons l'idée qu'étant donné ces faits, nous serons
à même de porter à l'analyse d'une expérience
sociale contemporaine souterraine.
En vous souhaitant une bonne lecture de notre recherche.
Page 10 | 86
Page 11 | 86
Chapitre I - L'individu de famille comme paradigme de la
« trace11 ».
Dans ce chapitre, il est question d'appréhender la
pratique média-photographique12 de famille comme «
dernier refuge » d'une expérience critique du monde. Celle-ci
étant de l'ordre d'un « culte du souvenir » qui opère
entre « une valeur culturelle de l'image » et son
individu-sujet13.
11 Tout du long de notre propos, nous associerons
le terme de la trace, à celle convoquée par l'historien Carlo
Ginzburg, dans son ouvrage, « Spi, Radici di un paradigma indiziamo
», Édition originale de 1979. La traduction française,
« Signes, traces pistes, racines d'un paradigme de l'indice », Le
Débat, n°6, 1980, pp. 3-44. Nous l'aborderons de l'ordre d'un
détail qui va permettre une approche différente d'un
événement.
12 Kracauer Siegfried, L'Histoire des
avant-dernières choses (1969), Paris, Stock, 200-, p. 55 - 56.
13 Benjamin Walter, « L'oeuvre d'art à
l'ère de sa reproductibilité technique », in
OEuvres III, Édition Gallimard, Paris, 2000, p. 285.
Page 12 | 86
I. L'aliénation de l'homme par la machine a) Un monde
sous verre.
Nous autres civilisations nous savons maintenant que nous
sommes mortelles14.
Le 19 avril 1944, Rudolph Vrba, accompagné d'Alfred
Welztler, s'échappe du camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau. C'est
après un périple à travers les bois et les chemins de
traverse, que ces derniers regagnent les lignes alliées. Ils
révèlent que l'armée allemande nazie a
édifié des structures, au sein desquelles, des
générations entières d'individus sont anéanties.
Dans la tradition du racontage, ces derniers restituent les récits des
soldats allemands concernant les projets du camp de concentration,
jusqu'à la classification des prisonniers selon leurs appartenances
politique, ethnique et géographique. C'est à l'aide des croquis
détaillants les chambres à gaz ainsi que l'organisation de la
structure d'extermination, qu'ils informent les alliés de
l'éminence du massacre de millions de membres de la communauté
juive hongroise. Ils tentent de faire admettre que la guerre a pris une autre
identité. Désormais, il est sujet d'un affrontement
idéologique sans pareille, dont l'enjeu est la préservation de
l'expérience15 humaine. Celle-ci avait été mise
à mal par le passé, et de la sorte provoquée la perte
progressive concernant la capacité humaine à établir un
relais testimonial autour de la transmission d'un récit.
Il est vrai, que c'est à l'issue du premier conflit
mondial, que notre civilisation ne peut être qu'en état de
constater, d'un ébranlement manifeste à propos du retour d'une
expérience personnelle. Les hommes de familles reviennent des
tranchées, atteints de mutisme ; il n'eut point de récits, voire
d'anecdotes16 à conter auprès de leurs femmes ainsi
que de leurs enfants. Ceux exprimant la volonté de partager de leur
expérience, ne sont pas écoutés puisque « ce qui
s'est déversé, au cours des dix années qui ont suivi,
14 Valéry Paul, « La crise de l'esprit
», extrait de « Europe de l'antiquité au XXe siècle
», collection Bouquins, Édition Robert Laffont, 2000, pp.
405-414.
15 Par expérience, nous entendrons dans ce
cas présent, la transmission du vécu d'un individu à la
génération suivante.
16 Nous admettrons dans notre recherche le terme
« anecdotes » au sens de la référence concernant la
pratique régionale au sein des villages.
Page 13 | 86
dans le flot des livres publiés sur la guerre
était tout autre chose que l'expérience qui se diffuse de bouche
à oreille17». C'est une crise de l'expérience
vis-à-vis de laquelle la société se trouve
confrontée. Cela a pour incidence une répercussion sur la
tradition du racontage. Ce pourvoyeur de récits et autres anecdotes,
« ne concerne pas seulement nos expériences
privées18», mais tout aussi bien « celles de
l'humanité en générale19». Celui-ci
transmet l'expérience parmi ses contemporains. Il est ce lien entre
l'individu et le collectif. Il part quérir les mers et les routes,
tantôt marins, tantôt paysans. Il collecte autant de récits,
de fragments de vie, en parcourant les chemins d'une histoire souterraine, puis
les garde dans sa besace, jusqu'au village suivant. Il galvanise la foule
autour de lui, par des grands gestes, instituant l'élaboration d'un
monde oscillant entre le fantastique, afin de capter l'attention de son
auditoire, et du politique, dans le dessein d'apporter une réflexion
critique au sein du présent. À l'instar des deux survivants
d'Auschwitz-Birkenau, il crée des images à partir du verbe, entre
le temps de l'histoire et celui des hommes. Il détient son
autorité de la mort et de la maladie, dans le dessein d'informer
l'individu de la nécessité d'être à l'écoute
du passé, afin d'être préservé dans le
présent.
Toutefois, l'art du raconteur dépend pour l'essentiel
de la capacité réceptrice de l'individu à l'écoute
de son récit. C'est ainsi que la destruction des villages et de ses
habitants, l'avait pour ainsi dire congédié. L'individu ne
parvient plus à jeter son regard vers le passé et les ruines. Il
est appauvri en récit d'expérience et son visage est
désormais tourné vers l'avenir et la technique, de l'ordre d'une
fuite en avant concernant l'idéalisation d'un monde se trouvant à
l'abri de la mort ainsi que de la maladie. Dans cette acception, l'Histoire est
devenue de l'ordre d'une ligne inflexible et continue. L'image est devenue
reproductible en série. Par cette volonté d'une
mécanisation à outrance, la frontière entre l'homme et la
machine en devient poreuse, si ce n'est sinueuse. Notre civilisation s'en est
remise au progrès par la technique, et « ce nouveau milieu de verre
va transformer complètement l'homme20». Il est vrai que
cela va ancrer l'individu dans une communauté régie
principalement par des valeurs politiques et morales
17 Benjamin Walter,
Expérience et pauvreté, suivi de Le Conteur, et la
Tâche du traducteur, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2011,
p. 17.
18 Ibidem, p. 40.
19 Idem.
20 Ibidem, p. 46.
Page 14 | 86
communes. Les images de guerre deviennent des
actualités immédiates. Il est question d'une esthétisation
du conflit à des fins politiques, puisque cela permet de
véhiculer un discours prônant une « expérience morale
par les détenteurs du pouvoirs21» et eux seuls.
L'individu se trouve dès lors conditionné à suivre les
dates de célébrations patrimoniales. L'événement
est standardisé par les normes de l'immédiateté du
récit, au même titre que l'individu étant quant à
lui, l'objet d'un enjeu cérémonial et patriotique. Cela, a pour
incidence de convoquer deux caractéristiques de la pratique
photographique, que nous pouvons dès à présent souligner.
D'une part, les images sont mises en corrélation de
l'idéalisation de la technique. D'autre part, que celles-ci conduisent
à entériner davantage la pratique traditionnelle d'une
construction progressive du récit. C'est le cas notamment du racontage,
qui de ce fait, peut apparaître de l'instance d'un élément
faussant la restitution fabriquée par l'image moderne.
En effet, l'individu est devenu l'automate du «
matérialisme historique22». Il abrite en sa pratique
photographique, « un nain bossu, un maître d'échec qui
guidait à l'aide d'un cordon23» sa main. Il est aux
prises avec un système de miroirs, lui donnant l'impression d'une vue
large et complète de l'histoire. Si le premier conflit l'avait
dépourvu de sa capacité à transmettre son
expérience, la pensée machinique s'est emparée de sa
capacité à collecter des récits de vie. Les années
qui s'en suivirent, nous ont laissé l'aspiration d'entrevoir par la
jeunesse, une nouvelle source potentielle d'expérience. Cependant,
celle-ci se trouvait à son tour, triée, numérotée
et anéantie. Elle était désormais parmi les
décombres et les chambres à gaz. En dépit de
l'avènement de la technique comme garante d'une pérennité
de l'homme, se devant de le prémunir des affres du temps. Ce dernier fut
annihilé par le règne de l'actualité et de la marche
incessante du progrès. C'est en effet par la civilisation la plus
techniquement évoluée, que la barbarie a atteint son paroxysme.
Le geste critique de ces deux survivants, devint de l'ordre d'un acte de
résistance, mais l'actualité immédiate a eu raison des
récits de ces derniers. Les forces alliées cédèrent
à la pugnacité d'une histoire ne retenant que le discours de ceux
se pouvant de la
21 Ibidem, p.39.
22 Benjamin Walter, Sur le concept
d'histoire, Paris, Édition Payot & Rivages, coll. Petite
bibliothèque
Payot, 2013, p. 53.
23 Idem.
Page 15 | 86
représenter. Ils optèrent pour le
débarquement sur les plages de Normandie. L'expérience de la
jeunesse allait se perdre parmi les champs de mines disposés sur la
plage d'Omaha Beach, et au sein des convois ferroviaires de
déportés. L'anéantissement de millions d'individus et de
leurs expériences n'a pu être empêché. De cette
actualité, l'histoire patrimoniale en retenu la date et les images de
l'opération militaire. Tandis que les deux survivants
d'Auschwitz-Birkenau, ainsi que du peuple juif-hongrois exterminé cette
même année, se réfugièrent parmi les « haillons
de l'histoire24». L'homme est devenu une sorte de machine,
composé d'acier et de pellicule. Il évolue dans un environnement
dont les pratiques artisanales, comme celle du racontage, se trouvent en
contradiction avec l'acception d'une transmission par le progrès et la
technique. Les images représentent non plus une possible
vérité extérieure, mais celle du « monde moral
»25. L'expérience avait inexorablement
débuté sa chute. L'individu se méfiait désormais de
son propre passé, si celui-ci s'en trouvait dépourvu de toute
image. Il n'est dès lors plus de mise de nous concerter à propos
de l'observation des photographies parfaitement orchestrées, de ces
foules en liesse à l'arrivée de nos alliés en capitale. Il
est question bien au contraire de nous interroger sur ce que l'on y voit plus.
Un individu au centre de sa propre actualité. Dès lors la
tradition du racontage est mise en demeure. Son acception en tant que
modalité de reconstruction de l'individu est rendue difficile par son
impossibilité de garder des traces de son passage. L'expérience
ne demeure non plus comme étant remplaçable, mais davantage
occultable. De ce fait, les monuments et photographies de
célébrations nationales deviennent le point d'ancrage et non plus
de jonction entre l'individu et l'histoire. L'individu est le visage de sa
nation, et celui-ci ne peut en aucun cas s'en soustraire par le récit de
son expérience, dont « il semble que sa chute se poursuive vers une
profondeur sans fond26». Nous désirons contrôler
nos images de l'ordre d'une mécanisation de la pensée humaine.
L'enjeu devient de ce fait d'assister à une mutation, vers un homme
exempt de tous ces indices qui peuvent caractériser de sa
24 Berdet Marc, « Chiffonnier contre
flâneur. Construction et position de la Passagen arbeit de Walter
Benjamin », Archives de philosophie, n°75, 2012/3, p.
427.
25 Op.cit. Walter Benjamin,
Expérience et pauvreté, suivi de Le Conteur, et la
Tâche du traducteur, p. 55. La notion de « monde moral »
soit « die moralische Welt » émane du philosophe
Walter Benjamin, comme se pouvant être d'une double acception de
l'événement. Soit d'une part la forme et d'autre part la
conception d'un moment. Le rapport critique en serait d'en discuter son rapport
entre une extériorité et une intériorité
dépendant de l'affirmation d'une autorité de l'Etat dans sa
représentation.
26 Idem.
Page 16 | 86
Illustration 1.
Le père de la cinéaste est pris en plan
d'ensemble pendant que ce dernier fait une captation vidéo de son
vis-à-vis. C'est une image en miroir qui nous renvoie à notre
propre pratique média-photographique.
souffrance passée. La nation et ses gloires valent
désormais tout autant, si ce n'est probablement plus, que les souvenirs
d'un unique individu. L'opérateur de famille est à cet effet, par
prolongement à ce mutisme, soumis à l'enfermement dans un monde
rendu d'autant plus silencieux par une structure de verre. Cela au point de ne
plus différencier la réalité de la fiction Cela entre en
résonnance avec l'investigation menée par la cinéaste
Michaela Taschek dans son film Doppelgänger (2019). Celle-ci nous
montre une facette de l'opérateur de famille se perdant parmi ses images
de familles, au point de ne plus être reconnaissable aux yeux de sa
fille. Ces images d'archives de familles, nous montrent une
désincarnation de l'opérateur de famille. Sur un cliché
photographique, l'on y distingue le père de la cinéaste,
vraisemblablement en train de filmer. (Illustration 1). En second plan, nous
distinguons le paysage extérieur vu de la terrasse de son domicile. Nous
assistons à un inversement progressif de la pratique opératique
des médias-photographique de famille. La cinéaste part en
quête de ce père qu'elle déclare avoir perdu, cela
vingt-quatre ans, avant son décès. C'est du fait de la recherche
à travers ses films et photographies de familles, qu'elle espère
y obtenir une trace comme un semblant de réponse. Elle y dénonce
l'aliénation de son père par la machine ainsi que son
désir d'accumulation d'images de ses proches. Son travail
d'investigation consiste à reconstituer son album de famille, afin
d'attester de cette figure du double qui a pris les traits et la
personnalité de son père. La cinéaste nous
révèle de sa propre incapacité à discerner parmi
ses images de famille, le changement de comportement de son père. Elle
reste dans le déni de la maladie mentale de ce dernier. C'est en
recherchant les moindres détails sur ces images d'archives de familles,
que celle-ci en demeure persuadée. Ce père ne peut être
qu'un sosie, de l'instance d'un double maléfique. Elle ne peut en aucun
cas délivrer son véritable père par ses images de
familles, nous représentant un homme sociable et proche des siens. Les
images d'archives de familles qu'elles retrouvent dans la boîte à
chaussure, lui révèlent que celui-ci ne parvient nullement
à permettre à toutes ses images de co-exister entre elles,
à les faire vivre à travers un récit.
Page 17 | 86
b) Des images d'archives sans parole.
Son désir s'attacha à d'autres objets
qu'à la patrie27 .
Cette structure de verre s'est refermée sur l'individu
de famille parachevant le règne du progrès a eu comme signifiance
l'anéantissement des dernières expériences ;
désormais, les albums photographiques de familles et la pratique du
racontage sont aux prises avec la question de la représentativité
d'une image. Le monde est plus que jamais fragmenté, en divers bris de
verres jonchés sur le sol d'une histoire de l'individu qui peine
à se reconstruire. Les « sans-voix 28» sont mis au
banc d'une institutionnalisation de l'événement plus que jamais
présente. Pourtant, nous manquons de récits remarquables,
d'anecdotes. Tandis que l'histoire devient à ce titre, la vassale d'une
idéologie vouée au culte de la technique. L'homme se pense ainsi
optimiser jusque dans la perception de son semblable. Il a vaincu la mort et la
maladie dans le même temps. Les chansons populaires retentissent sur les
ondes radios, nous entrons dans une ère de consumérisme à
outrance. Les appareils photographiques et filmiques deviennent portatifs. Nous
avons besoin que du peu de secondes nécessaires, pour figer un instant
du présent sur la pellicule. Il est sujet de conserver le moindre
instant du collectif. La destruction des corps et des bâtiments laisse la
place à une fétichisation de l'individu comme
propriété. Les premiers sourires sont dévoilés sur
les clichés photographiques de famille. Les images du bonheur sont mises
en vitrine. De ce fait, l'accumulation des cadres photographiques dans les
maisons de famille vont devenir autant d'ornement, comme une preuve de vie
idéalisée puisqu'elle est immortalisée. Le slogan «
You press the button, we do the rest29» de
27 De Coulanges Fustel, La cité antique,
étude sur le Culte, le Droit, les Institutions de la Grèce et de
Rome, Cambridge University Press, 2010, p. 423. L'édition originale
a été publiée par Durand, puis imprimée à
Paris en 1864.
28 Farge Arlette, Essai pour une histoire des voix
au dix-huitième siècle, Paris, Bayard, 2009, p. 17.
29 George Eastman, fondateur de l'entreprise Kodak en
a fait son slogan en 1889, lors de la sortie de son appareil le Kodak Original.
« Appuyez sur le bouton, nous faisons le reste », renvoyait à
l'idée que les utilisateurs n'avaient plus à se soucier du
développement de leurs photographiques dont se chargeait
l'entreprise.
Page 18 | 86
Illustration 2.
Mr Désiré Delangle, est son tour l'objet
photographié. C'est une image en miroir de l'individu entre objet et
sujet de la photographie. Lille, (1919).
l'entreprise Kodak, affermie l'ascendance d'une
actualité de l'instantanéité. L'appareil
média-photographique devient dès lors un ajout prothétique
de la condition humaine. Comme en témoigne cette photographie d'archive.
(Illustration 2). Elle est issue du fonds d'archives de famille de la famille
Pavy-Delangle. Nous pouvons observer un opérateur situé au
premier plan. Il s'agit de Mr Désiré Delangle30. Il
est situé à gauche du cadre, il se tient debout sur une petite
échelle. Nous notons la présence de deux passantes situées
à proximité de l'opérateur. Elles sont en amorce de la
scène. L'une d'elle semble toutefois se retourner. Elle regarde en
direction du second opérateur qui capture la scène. C'est ainsi
que l'opérateur devient à son tour une image d'archive. Nous
sommes confrontés entre une intériorité et une
extériorité du sujet en qualité d'émetteur, mais
aussi de récepteur dans le même instant. Cette modalité de
« l'estrangement31», nous permet d'entrevoir un monde qui
ne peut être tout à fait défini, par la perception unique
de son observateur.
En effet, c'est un imaginaire que nous pourrions qualifier de
social. Ce dernier se compose, à mesure que la pratique
médias-photographique laisse le libre cours à une multitude
d'interprétation. C'est une image en miroir, concernant le rapport entre
l'individu et le monde, qui nous renvoi dans un même temps, d'une
pratique aussi bien intime que politique. La technique sans cesse plus
perfectionnée, peut possiblement engendrer un opérateur dont les
intentions de prises de vues vont peu à peu se trouver nuancées,
à la lisière entre son intimité et une actualité
politique. Nous pouvons supposer
30 C'est après avoir effectué son
service militaire en Salonique, que Mr Désiré Delangle retourna
auprès des siens. Il exerça la profession de médecin et
vécu dans la région des haut-de France jusqu'à son
décès. Il réalisa près d'un millier de
clichés photographique ainsi que des films de famille.
31 Kracauer Siegfried, Théorie du film, La
rédemption de la réalité matérielle, Paris,
Flammarion, 2010, p. 487.
Page 19 | 86
qu'à travers cette photographie, nous approchons
l'idée de ce besoin, d'une sorte de prise de contrôle sur son
devenir en tant qu'image d'archive. Le discours à consonance dominante a
remplacé celui du raconteur. C'est par ce fait, que les images
d'archives, plus spécifiquement celles de famille, vont être
enfermées et standardisées. Cependant, une image d'archive
peut-elle se substituer au témoignage de celles et ceux qui en sont les
objets de représentation ?
Illustration 3.
Nous observons la distance qui sépare Carlo de la
photographie.
Il est vrai que la démocratisation d'une pause
décontractée n'est pas encore de mise. Les milieux populaires
trahissent de l'existence d'une histoire souterraine, par l'expression des
visages fermés et absorbés par les vicissitudes de la vie
quotidienne d'après-guerre. Les images sont désormais en
mouvement. Elles ont rejoint la technique dans la course du progrès.
Tandis que le discours dominant s'empare de la pratique
média-photographique, qu'elle soit donc photographique tout aussi bien
que filmique, comme d'une actualité politique semblable à celles
suscitées par les vedettes d'Hollywood. Il est vrai que la pratique
cinématographique, est liée dans une certaine mesure à ce
nouveau rapport symptomatique d'une société qui ne peut
communiquer son vécu qu'à travers des images sans parole. Elles
sont tenues comme valeurs de discours, dans le prolongement d'une acception
idéologique d'après-guerre, selon laquelle la technique optimise
la perception humaine de l'actualité du monde. Dans le film de fiction,
La Famiglia (1987), le cinéaste Ettore Scola retrace les
moments de vie de famille du personnage de Carlo. De sa naissance dans l'Italie
des années 1905, à son accession au rang de patriarche de
famille, dans les années 1980. Dans l'une des séquences du film,
le personnage d'Adriana se retrouve avec Carlo dans le salon familial. Tandis
que celui-ci regarde les actualités politiques à la
télévision. Adriana quant à elle, accorde son attention
à une photographie de famille disposée sur le meuble situé
derrière le canapé. (Illustration 3). Le plan en vision
subjective nous permet de confondre notre regard avec celui d'Adriana.
L'utilisation du gros plan vient progressivement centrer notre attention sur le
visage de Carlo, plus jeune. Le plan suivant, Adriana regarde à nouveau
le poste de télévision. Tous deux assistent, sans échanger
la moindre parole, à une représentation idéalisée
du couple
Page 20 | 86
en la personne de Marilyn Monroe et de son compagnon de
l'époque. Ces images d'actualités évoluent en contraste
avec l'image d'archive de famille restant dans son cadre de
représentation. (Illustrations 4). Le dernier plan, nous présente
l'image de télévision en négative, nous dévoilant
du caractère artificiel de l'image du progrès. (Illustration 5).
Cette séquence est révélatrice d'un enjeu questionnant un
désir d'émanciper l'image d'archive de famille d'un cadre social
dans lequel elle se trouve ainsi conscrite. Elle nous révèle
également, de l'impossibilité, y compris dans un régime
fictionnel, de la coexistence d'un dialogue, entre une photographie de famille
et une actualité, puisque ces deux régimes d'images ne se
retrouvent nullement au sein d'un même plan. Nous observons que Carlo est
cet individu de famille, qui ne peut permettre la coexistence entre son
passé et son actualité. Il s'est détourné des
images du passé au profit de celles, reproductibles et
instantanées.
Illustrations 4. Illustration 5.
Nous observons un contraste avec la photographie de famille
qui tend vers une authenticité du souvenir. Tandis que l'image du couple
hollywoodien en est réduite à l'état de négatif.
De plus, c'est à travers le personnage d'Adriana qu'est
illustrée la femme de famille comme une possible médiatrice,
entre la nostalgie véhiculée par une image d'archives de famille
et une actualité contemporaine. Ce liant, nous permet d'effectuer une
mise en propos concernant une abolition de la frontière entre une
photographie dite de fiction, et celle issue de notre propre
réalité. L'image d'archive de famille revêt un
caractère particulier. Elles sont ce « punctum32»
nous arrivant droit au coeur comme une flèche33, nous
entraînant de la sorte, dans une instance entre le temps du film et celui
d'une histoire
32 Barthes Roland, La chambre claire,
Notes sur la photographie, Paris, Gallimard, 1980. p. 76.
33 Ibidem. pp. 48-49, « part de la
scène, comme une flèche, et vient nous percer ». L'auteur
détail la portée du « punctum » pour l'observateur de
la photographie.
Page 21 | 86
méconnue. Le spectateur est dès lors entre deux
temporalités. Ces photographies de familles deviennent aussi les
nôtres. Lorsqu'une photographie de famille est ainsi
représentée, elle permet également un mouvement dans le
récit, puisqu'elle demeure cet intervalle d'unité relationnelle
entre les personnages dans une même séquence. Elle nous informe
d'une réalité de notre présent, tout autant que d'un
instant passé.
Toutefois, celle-ci demeure muette, dans la mesure où
son intérêt ne se prête nullement à une
actualité dans le présent de la narration. Nous n'apprendrons en
aucune façon, ce que cette photographie peut nous apprendre du
personnage, voire du contexte historique dans lequel elle est inscrite. De ce
fait, la structure familiale est tout à la fois, une source potentielle
d'inspiration pour le medium cinématographique, qui en devient ce miroir
dans lequel nous pouvons nous y projeter. L'image de famille archivée
ainsi représenté, est cet antre au sein duquel deux modes
d'écritures d'histoire deviennent opérantes. L'une
attachée à une actualité liée à une
information immédiate, tandis que l'autre concerne un
événement passé délaissé par le regard de
l'individu qui en fut l'objet. Dans ce cas précis le personnage de
Carlo. C'est à la femme de famille qu'il appartient à effectuer
ce mouvement entre une histoire intime et une davantage accaparant l'attention
du collectif.
En effet, il serait à propos de « saisir ensemble
les deux termes, et de voir comment la notion de cinéma et celle
d'Histoire s'entre-appartiennent et imposent ensemble une histoire34
». Dans le film de fiction, Moon 66 questions (2021), de la
cinéaste Jacqueline Lantzou, il est question de la perte
communicationnelle entre Artémis et son père Paris. Dès la
séquence d'ouverture, tandis que celle-ci rentre chez son père
par avion, elle converse avec une passagère à bord. Par un
procédé de montage alterné, nous regardons les images de
famille pendant un séjour au sport d'hiver. Nous sommes mis au fait,
qu'un homme a été retrouvé inconscient dans son
véhicule. C'est à la fin de la conversation, au terme du trajet,
que la passagère lui demande si elle est une connaissance de cet homme.
Artémis lui répond alors qu'il s'agit de son père. Tout du
long de ce métrage, elle ne cessera de comprendre son père par le
visionnage des films de famille. Dans une des séquences, Artémis
se trouve dans le jardin familial. Elle mime en compagnie de ses amis
34 Rancière Jacques, «
L'historicité du cinéma », in De l'histoire au
cinéma, Bruxelles, Édition Complexe, 1998, pp. 46-60.
Page 22 | 86
Illustration 6.
Artémis découvre que son père appose des
annotations au verso des photographies de familles.
Page 23 | 86
des scènes de films. Ses gestes sont de plus en plus
marqués, et elles tentent de faire comprendre le sujet du film. Il est
question de la mort, ainsi que de la maladie. Mais dépourvu de mots et
sans images, elle ne parvient pas à créer un univers imaginaire
afin de transmettre d'un récit d'expérience auprès de ses
amis. Celle-ci demeure comme étant un objet de la représentation,
une image dont les lèvres bougent, mais sans parvenir à
être entendu, écouté. Peu après, elle entre dans la
chambre parentale affublée d'un masque d'Arlequin et par des grands
gestes, elle tente de nouveau de construire un récit. Cependant, c'est
dans l'indifférence qu'Artémis s'en retourna une nouvelle fois.
L'enfant a grandi, pourtant cette nostalgie reste présente, plus
précisément celle d'avoir été une image de famille
comme source potentielle d'expérience. Les images d'archives de familles
qu'elles retrouvent dans la boîte à gants du véhicule de
son père, lui révèlent que celui-ci ne parvient nullement
à les faire co-exister entres elles. (Illustration 6). C'est la jeunesse
de famille qui redécouvre « ces images arrachées à
leur ancien contexte35» de l'ordre d'une instance sujette
à un « rendez-vous mystérieux entre les
générations défuntes et celle dont nous faisons
partie36».
35 Benjamin Walter, Images de pensées,
« Fouilles et souvenirs », Paris, Christian Bourgeois, 1998, pp.
181-182.
36 Benjamin Walter, Sur le concept
d'histoire, Paris, Gallimard, 2003, p. 433.
Page 24 | 86
À l'issue de cette première partie, nous pouvons
relever les éléments suivants. Tout d'abord, l'homme de famille a
perdu de sa capacité à transmettre un récit lié
à son expérience. L'avènement de la technique au sein de
son quotidien l'a proscrit dans un monde d'images régi par ces deux
lois. La mesure et la reproduction en série. La tradition du racontage
n'est plus de mise. La destruction des villages ainsi qu'une actualité
généralisée ont eu raison du raconteur. Désormais,
seules les images de famille peuvent permettre de révéler une
histoire souterraine liée à une possible réhabilitation de
l'expérience. Cependant, elles demeurent toutefois des images d'archives
sans parole. Par ce fait, sans la tradition du racontage, les « images
d'archives peuvent-elles répondre à ce désir de
compréhension de l'autre, à cette volonté de
déchiffrer l'indéchiffrable ? 37 »
37 Le Maître Barbara, Entre film et
photographies, Essai sur l'empreinte, Paris, Presse Universitaire
de Vincennes, 2003, p. 73.
II. La pratique artisanale comme reconstruction de
l'expérience38 .
a) La fêlure du « masque de
l'adulte39».
Dès l'enfance, entre les bancs de l'école et le
tableau noir, nous assistons à une importance accordée à
la primauté du lieu, outrepassant celle de l'individu. Toutefois, un
dialogue entre ces deux instances, lieu et sujet, demeure envisageable. Ce
dernier entre en concurrence avec la pratique média-photographique
dominante, afin d'imposer un discours souterrain véhiculé avant
tout par l'image d'archive de famille, comme possible reconstruction de notre
expérience.
Lorsque je feuillette l'album de famille d'un inconnu, je
contemple des images qui étaient des photos souvenirs, mais pour moi
elles sont des témoignages et ne sont nullement redondantes par rapport
à ma propre mémoire (qu'elle soit directe ou
médiatisée par des narrations familiales)40.
La pratique des albums média-photographique de famille
permettrait d'entrevoir une approche souterraine et critique de l'histoire d'un
individu à celui de tout un pays. De ce fait, lorsqu'il est sujet
à appréhender un fonds d'archives de famille, les
éléments qui le constitue sont sujets à caution, du fait
de leur caractères intime. Ils appartiennent à une sphère
privée et de cela en résulte une difficulté certaine
à les représenter comme étant des objets historiques. Ces
photographies et films demeurent des constellations de fragments
d'expériences. L'acte média-photographique conjugue tout à
la fois des instants de l'instance d'un dialecte entre ces différents
documents de famille. Cette hantise quant à notre devenir en tant que
sujet d'un événement passé, nous contraint à
38 Nous accorderons désormais à notre
propos le terme d'expérience par son origine germanique «
Erfahrung », dont la signification détermine le fait de
« parcourir, traverser une région durant un voyage », en
l'occurrence celui à travers les images d'archives de famille. Nous
retrouvons cette notion benjaminienne dans son ouvrage, Benjamin Walter,
Expérience et pauvreté, suivi de Le Conteur, et la
Tâche du traducteur, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2011,
préface p. 17.
39 Idem. Walter Benjamin met en avant
l'expérience de la jeunesse en opposition à celle de l'adulte,
à la suite principalement de la nomination d'Adolph Hitler comme
chancelier en Allemagne au cours du printemps de l'année 1933.
40 Jonas Irène, « L'interprétation
des photographies de familles par la famille », Sociologie de l'art,
2009/1, pp. 53 - 70.
Page 25 | 86
collecter ces indices souterrains. C'est à travers la
pratique de l'album média-photographique de familles qu'une tout autre
expérience se met progressivement en place. Dans le cas des images
d'archives de famille Delangle, nous dénotons une précision
dans
Illustration 7.
Édouard Chérigié est au milieu de la
végétation. Nous apercevons au second plan à droite, sa
maison détruite par les bombardements.
Commune de Fleurbaix (1919).
Illustration 8.
Nous observons en détails la tenue portée par
Édouard. Le village est situé à l'arrière-plan du
cliché photographique. Nous observons une liaison entre l'individu et le
collectif dans le même instant.
la composition photographique de ses prises de vues. Que cela
soit dans le choix du cadrage, mais aussi la netteté concernant les
contrastes entre noir et blanc. Si nous prenons comme exemple cette
photographie en argentique. (Illustration 7). Celle-ci représente
Édouard Chérigié, tandis que ce dernier se rend visiter sa
maison de famille située dans la commune de Fleurbaix. Nous observons au
premier plan de celle-ci, Édouard Chérigié
âgée d'environ 13 ans, il est seul et situé au milieu de la
végétation. Le jeune homme est vêtu de ses habits
d'écolier. (Illustration 8). Tandis que situé à sa droite
en arrière-plan, il s'agit de sa maison de famille. Nous pouvons
observer les destructions infligées à l'édifice durant le
conflit. Édouard est ainsi représenté dans un
environnement constitué de ruines ainsi que d'une nature laissée
à l'état d'abandon. Bien que nous ne soyons pas au faîte,
si sa tenue vestimentaire était prévue pour la prise
photographique, ou bien s'il est question d'un concours de circonstance.
Toutefois, la présence de l'habit d'écolier, ce
détail, peut suggérer la représentation de la jeunesse
dont l'éducation sera élaborée en coexistence avec celle
en reconstruction de toute une nation. Il est également cet «
infime et frêle corps humain41», au milieu de la
41 Op. cit. Benjamin Walter,
Pauvreté et expériences, p. 39.
Page 26 | 86
destruction humaine. L'image d'archive de famille liée
à un individu, nous renseigne concernant une histoire locale. Cela a
pour effet d'effectuer une décentralisation aussi bien politique que
culturelle entraînant une mutation historique à propos d'un
événement patrimonial, celui d'un village de province
française laissé à l'abandon, pendant la Première
Guerre mondiale. Notre attention est ainsi portée d'un
événement national vers celui étudié d'un point de
vue régional. La photographie d'archive de famille se
révèle comme étant un élément d'une histoire
fédératrice, entre la sphère intime et celle collective.
Elle est cet écho du passé qui résonne au sein de notre
présent, carillonnant d'une révolution politique et sociale
encore méconnue. Auquel cas, la pratique média-photographique de
famille, serait sujet à un basculement d'ordre critique. Notre
présent demeure fragmenté lui aussi, et à cette mesure
soumise à une impossibilité de dialoguer
Illustration 9.
Édouard est en compagnie de sa maman Louise
Chérigié-Pavy. Ils visitent leur maison détruite pendant
le conflit. Commune de Fleurbaix (1919).
Illustration 10.
Nous distinguons une statue située sur la partie
supérieure gauche de la photographie. Il s'agit d'une vierge à
l'enfant, constituée de plâtre. Elle est restée ainsi
posée à cet emplacement pendant toute la durée du
conflit.
avec ses disparus. Il devient d'une nécessité de
convoquer dans le présent, cette tradition du récit. Cependant,
il ne peut être déchiffré uniquement que par celles et ceux
qui en demeurent les personnages.
De plus, il demande une participation active à son
spectateur. Dans une des photographies suivantes, le jeune Édouard est
avec sa maman Louise. (Illustrations 9 et 10). Ils sont tous deux devant la
maison familiale de Fleurbaix. Nous observons en second plan, les stigmates des
bombes et de la destruction des murs par les tirs d'obus. Ils
Page 27 | 86
prennent tous deux la pose devant l'objectif photographique,
fixant l'appareil de prise de vue parmi les ruines. C'est en observant le jeune
homme plus en détail, que cela va nous amener à nous questionner
sur la présence d'un objet dans le plan. En effet, situé
au-dessus de celui-ci, nous observons une statue, plus
précisément une vierge à l'enfant. Si cet indice peut nous
paraître de prime abord anodin, c'est du fait de l'observation de la
représentation d'Édouard au sein de la photographie, que cela va
nous être révélé comme étant de l'ordre d'une
histoire dissimulée entre les ruines d'une maison de famille. En effet,
cet objet eut été ainsi posé sur la façade du
deuxième étage pendant l'ensemble du conflit. (Illustration 6).
Cette statue y fut la seule présence parmi ces ruines. À la
sortie du conflit, elle fut déplacée afin de prendre place dans
la nouvelle église du village. Ces images d'archive de famille sont par
conséquent porteuses d'une valeur historique, toute particulière.
D'une part en regard de la perte de communicabilité entre les
générations pour donner suite à un événement
traumatique. D'autre part, l'expérience perdue pendant cette
période existe désormais à travers la jeunesse
représentant l'avenir d'une famille, et par prolongement de toute une
nation. Elles nous permettent de nous interroger sur les interactions
corrélatives entre une histoire nationale et une davantage
régionale. La pratique média-photographique permets d'entrevoir
une histoire souterraine liée au medium. En effet, l'opérateur
démontre un souci dans la mise en scène et la composition de ces
clichés. L'on distingue également l'émergence de motif
comme celui de l'enfance au centre de la grande et de la petite histoire.
Toutefois, nous pouvons nous interroger sur le rôle de
l'opérateur média-photographique. En l'occurrence, que ce «
passage de la photographie de groupe à la photographie d'un individu
isolé [...] introduit un mouvement au sein de l'image
fixe42». C'est précisément ce mouvement qui
constitue cette « entrée en écriture de l'opération
historiographique43 ». Si nous revenons à l'exemple des
séries photographiques de famille, de Mr Désiré Delangle
pendant sa permission militaire en 1919 dans la commune de Haubourdin
située dans la région actuelle des Hauts de France.
L'opérateur photographique Mr Désiré Delangle participe au
repas de sa belle-famille (Illustration 11). Tous et toutes
célèbrent ses retrouvailles avec sa fiancée. C'est ainsi
que Désiré, en
42 Brenez Nicole, Cinéma libertaires, Au
service des forces de transgression et de révolte. Arts du
spectacle - Images et sons. Septentrion. Presses universitaires, 2015, p.
314.
43 Ricoeur Paul, La mémoire, l'histoire,
l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p. 209.
Page 28 | 86
uniforme militaire, en compagnie des membres de la famille
regarde en direction de l'objectif photographique. Désiré fait
usage d'un retardateur photographique afin d'être présent sur le
cliché. Une jeune femme est assise en face de celui-ci, il s'agit de
Marguerite. Elle est sa belle-soeur. Nous la retrouvons sur la photographie
suivante. (Illustration 12). Au premier plan, nous apercevons la jeune femme
grimée en soldat prenant la pose dans le jardin. Elle porte l'uniforme
de Désiré, ses cheveux attachés en chignon et arborant une
moustache dessinée au crayon. Dans le second plan, nous apercevons le
père de Margueritte qui la regarde. Il est à l'intérieur
de la maison familiale. C'est une vue prise en légère
contre-plongée dénotant l'importance ainsi que le prestige de
porter l'uniforme. Cette photographie « joue inlassablement avec le
dévoilement et le recouvrement de son
référent44». Elle nous indique du
caractère spontané et cabotin de la
Illustration 11.
Photographie prise par Désiré Delangle pendant
une permission en 1919. (De gauche à droite) : Rose-Anne,
Édouard, Margueritte, Louise et Édouard (Beaux-parents),
Désiré Delangle en uniforme, Marie-Louise (Fiancée de
Désiré), Marie-Ange. Maison de Haubourdin (1919).
|
Illustration 12.
Photographie prise par Désiré Delangle de sa
belle-soeur Margueritte. C'est à l'occasion du même repas, que ces
deux photographies ont été prises. Le père de Margueritte
et Marie-Louise regarde par la vitre. Maison de Haubourdin (1919).
|
jeune femme. Cette image intime permet en cela
l'écriture d'un personnage, en l'occurrence celui d'une soldate. C'est
une symbolique patrimoniale forte à laquelle la jeune femme y
répond avec une certaine malice. La canne ainsi que la main gauche dans
la poche de pantalon, ne sont pas sans nous évoquer la figure de
Charlot soldat incarné par Charlie Chaplin en 1918. Nous
pouvons nous permettre cette supposition, puisque l'étude de cet album
de famille, nous révèle une pratique
média-photographique
44 Op. cit. Le Maître Barbara, p.
11.
Page 29 | 86
conséquente ainsi qu'un rapport sensible, à la
volonté de composer les plans cinématographiques. L'absence de
parole accompagnant cette image est palliée par les attitudes de ces
membres de familles, devenant par moments des personnages inspirés de
l'imaginaire du spectacle populaire. Ces deux images présentes dans
l'album de famille, se confrontent tout autant qu'elles se complètent.
Elles représentent cette jeunesse qui est désormais la source de
l'expérience. C'est un acte de protestation contre « le masque de
l'adulte45 » de l'ordre d'une reconquête sur le temps de
représenter chacun des membres de la famille au sein d'une «
Histoire qui se résout en albums d'images, en scénario
d'opéra, en spectacles et en situation généralement
critique 46». Mais comment pouvons-nous appréhender une
pensée historique au regard d'images ayant été
pensées à la construction d'une histoire intime ?
45 Benjamin Walter, Expérience et
pauvreté, suivi de Le Conteur et La tâche du traducteur,
Paris, Petite bibliothèque Payot, 2011, p. 17.
46 Brunet François, La naissance de
l'idée de la photographie, Paris, PUF, 2000, p. 193.
Page 30 | 86
b) Pour la pratique d'une « Histoire autre47
».
L'aube et ses pleurs, le soir et ses grands
incendies, Flottent dans un réseau de vagues mélodies, Une
voix dans les champs nous parle, une autre voix Dit à l'homme autre
chose et chante dans les bois48
À ce propos, s'engage en écho, la
résonnance d'une histoire à partir de laquelle émerge le
racontage de famille qui donne la parole aux « sans voix49
» d'une histoire souterraine. En effet, si les femmes de famille sont les
objets de ces films, tout autant que les personnages, elles font partie
intégrante du processus d'une histoire à l'oeuvre. Celles-ci
s'opposent en effet à la grande actualité intervenant « le
soir » afin de présenter « ses grands
incendies50». Une nouvelle approche de la pratique
média-photographique ce fait jour, notamment par l'émergence de
ces filles et petites de familles qui dénoncent une
réalité souterraine, mise sous silence par l'opérateur de
famille et concernant une structure familiale idéalisée.
En effet, l'opérateur de famille se comporte en «
homme qui creuse51 ». De ce fait, ce dernier met à jour
des possibles vérités au sujet d'une histoire souterraine,
cependant, il ne peut en déterminer une narration. Nous retrouvons ce
motif d'un membre du patriarcat qui ne parvient pas à faire le
récit de son expérience. Il serait davantage question
d'établir le constat d'un appauvrissement de notre expérience
ayant cours depuis plusieurs générations. Auquel cas, nous
serions exempts d'une histoire se pouvant d'être attestée avant
tout par l'imagerie moderne. Elle peut-être de l'instance d'une preuve,
mais qui l'est tout autant de celle d'une épreuve, car il s'agit
dès lors d'approcher d'une vérité présente, sans
pour autant procéder à une mesure d'éclatement historique.
Il est sujet de la production d'un discours de l'individu par le collectif, et
non à partir de
47 Despoix Philippe, « Une histoire autre
», in Philippe Despoix, Peter Schottler (dir.), Siegfried
Kracauer, penseur de l'histoire, Montréal, Presses de
l'université de Laval, 2006.
48 Hugo Victor, « Écrit sur la plinthe
d'un bas-relief antique - À mademoiselle Louise B » in Les
contemplations, Édition de Ludmila Charles-Wurts, Paris, Le livre
de poche, 2022, p. 221.
49 Op. cit. Farge Arlette, Essai pour une histoire
des voix au dix-huitième siècle, Paris, 2009, p. 17.
50 Op. cit. Hugo Victor, « Écrit sur la
plinthe d'un bas-relief antique - À mademoiselle Louise B » in
Les contemplations, p. 221.
51 Op. cit. Benjamin Walter, Images de
pensées, « Fouilles et souvenirs », pp. 181-182.
Page 31 | 86
sa communauté intime d'appartenance. La pratique des
albums de famille, devient à son corps défendant une tradition
désuète, au même titre que celle du racontage. Il est vrai
que la tradition peut demeurer souterraine de l'ordre d'une «
micro-histoire52 », dont l'analyse nous permets de
déterminer un regard différent sur un événement que
la course au progrès est parvenue à distancer de notre
actualité. C'est une histoire alternative qui se met progressivement en
place, et dont la narration ne peut être déchiffrée
uniquement que par celles et ceux qui en demeurent les personnages. Toutefois,
elles demandent une participation active à son spectateur. De plus, si
ces images sont dépourvues de voix, elles n'en sont pas pour autant
dépourvues d'Histoire.
Il y a là une matière à une autre
histoire, qui ne prétend pas certes constituer un bel ensemble
ordonné et rationnel, comme Histoire ; elle contribuerait plutôt
à l'affiner, ou à le détruire53.
Cette matière n'est autre que l'individu de famille. Ce
messager porteur d'autant de stigmates d'une période pendant laquelle le
monde fut dépossédé de toute pensée d'avenir. C'est
un être qui se trouve avant tout, fragmenté et disparate, entre
les photogrammes de la vie ordinaire, celle du quotidien, entre les repas de
famille et les célébrations. C'est un monde d'image en
reconstruction, dans un mouvement de l'intime vers une pensée du
collectif entre l'imaginaire et le politique. La femme de famille est devenue,
du fait de son passage en tant qu'archive, une sorte de créature
émergente d'une union entre la volonté créatrice de
l'homme de famille et la production mécanique d'actualités. Ce
dernier aliéné par la technologie, et assujettis à un
prolongement figural de l'Hybris dans une acception moderne. De cela, il en
résulte une rupture entre l'homme et ses lois du progrès,
notamment par la créature, dénonçant par la mort et la
maladie, de la renaissance de l'expérience parmi notre actualité.
C'est par la voix de cette créature, qui « dit à l'homme
autre chose54 », que notre présent s'en trouve
marqué en profondeur,
52 Nous aborderons cette notion par l'écrit de
l'historien Carlo Ginzburg, Le fromage et les vers, L'univers d'un meunier
frioulan du XVIe siècle, Paris, Aubier, 1980, (édition
originale de 1976). Celui-ci met en récit le personnage de Menocchio,
meunier du Frioul, qui élabore sa propre vision du monde au gré
des ses lectures ainsi que de ses rencontres avec ses contemporains.
53 Ferro Marc, Cinéma et Histoire,
Édition Folio Histoire, Paris, 1993, p. 20.
54 Op.cit. Hugo Victor, p. 221.
Page 32 | 86
dans les sillons souterrains, de sa véritable
actualité. Nous pouvons constater une opposition entre la
créature et l'image elle-même.
En effet, cela relève d'une discussion entre la nature
de l'individu et son devenir en tant qu'objet de représentation, puisque
ce qui « les distingue de façons décisives est que seule la
vie de la créature, non point celle de l'image façonnée,
participe pleinement à l'intention rédemptrice55
». Elle demeure de l'ordre d'une salvation pour ces images du
passé, qui se sont soustraites à l'actualité de leur
présent originel. C'est ainsi, que désormais, elles viennent
questionner le nôtre, « dans un tout nouveau langage56
». Si dans un premier temps, les aspirations de la femme de famille sont
guidées par le désir de retrouvailles avec la nostalgie, il est
sujet de réveiller des revenants mises en marge d'un récit
historiographique dominant. La question réside donc, dans la
manière dont ils ont été pour ainsi dire
éludés dans cette démarche de structurer une histoire
plurielle. Ces derniers participent à nous interroger sur notre
capacité de garder à bonne distance des événements
d'actualités. Cela a pour incidence que la famille et les traditions
visuelles ne sont pas muées par des valeurs indissociables. L'une et le
fondement de l'autre, aussi, il faut parvenir à les faire dialoguer
comme passé commun, dans le même instant présent. Elles
sont de l'ordre d'une clef intérieure permettant l'accès vers une
histoire souterraine. L'individu ne peut traverser l'histoire, sans toutefois
nous révéler ce qui selon lui, participe de la construction d'un
récit.
De ce fait, elles se doivent d'évoluer à leurs
tours, puisque « sur de longues périodes de l'histoire, avec tout
le monde d'existence des communautés humaines, on voit également
se transformer leur façon de percevoir57». Les images de
famille servent dans le présent de leur énonciation, comme
discours propagandiste. L'homme est à la vie politique, tandis que les
femmes et les enfants demeurent au sein de la vie intime. La femme de famille
doit entretenir l'image de bonheur, en adéquation avec le discours
patriarcal mise en place par la société. Dans le film Lui e
lo, (2019), la cinéaste Giulia Cosentino étudie la place de
sa maman au sein de la société italienne. Elle utilise ses films
de familles afin de rendre compte d'une histoire collective. Celle-ci remarque
que dans
55 Weigel Sigrid, Benjamin Walter, La
créature, le sacré et les images, trad. Marianne Dautrey,
Édition Mimésis, coll. « Images, médiums »,
2021, p. 150.
56 Op. cit. Benjamin Walter,
Expérience et pauvreté, p. 43.
57 Op.cit. Benjamin Walter, L'oeuvre
d'art à l'ère de sa reproductibilité technique, p.
16.
Page 33 | 86
Page 34 | 86
les prises de vues filmées par son père, sa
maman n'est pas toujours au centre du plan, voire de l'attention du
cinéaste de famille. Bien au contraire, et plus qu'à
l'accoutumée, ce dernier préfère prendre comme sujet, le
paysage de vacances. Il peut par moment, décentrer ostensiblement
l'appareil média-photographique, afin que sa maman n'apparaisse plus sur
le plan de l'image. Il est question d'une femme italienne qui a conscience de
sa représentation en tant qu'objet, au sein de la pratique
média-photographique de famille. Cela est de l'ordre de la mise en
scène. Tandis que nous assistons à une scène de famille,
nous montrant sa maman à la tâche avec les enfants, le père
de famille le plan suivant, est à bord d'un train entouré par ses
collègues de travail. Il est ce voyageur parcourant les routes, mais
dont aucune anecdote marque d'une quelconque forme d'expérience. Il est
un élément du progrès. Il est idéalisé par
la femme de famille, car il est celui dont la voix est entendue. Nous assistons
au récit d'une « tradition des opprimés58 »
de famille, reconnaissant leur statut de « sans-voix59 ».
La femme de famille tente de concilier le récit d'une vie, qui pourtant
est sujette à emprunter deux directions que tout oppose. Celle de la vie
intime, puis celle davantage politique dans la société italienne
d'après-guerre. Les photographies et films de famille ne peuvent
être usités trop longtemps comme des mouvements
idéalisés à une volonté propagandiste, de les faire
exister dans un temps déterminé, voire d'une nomenclature
politique. C'est un nouveau rapport envers un historicisme du sensible,
tissé par des récits d'expériences semblables à une
partition universelle, dont les plans sont plus que de simples images. Ils
deviennent ces notes plus ou moins graves, nous permettant à chacun de
recomposer notre histoire singulière et de la partager à tout un
collectif. C'est dès lors un enjeu contemporain souverain, de permettre
à l'Histoire d'être étudiée et
appréhendée par toutes les facettes qui la compose. Qu'elles
soient intimes ou collectives. Cette nouvelle mise en écriture de ces
fragments du passé institue l'émergence d'un univers oscillant
entre des instants imaginaires et politiques. C'est une relecture sociale
à travers le regard d'une martyre de famille, comme témoignage
d'une Histoire passée et à venir, qu'il nous appartient
d'élaborer de manière commune. Elle demeure cette
expérience qui peut possiblement mettre à mal, toute une
structuration propagandiste autour des images de familles. C'est en effet en
parcourant l'album média-photographique de la
58 Op.cit. Benjamin Walter,
Sur le concept d'histoire, p. 64.
59 Op.cit. Farge Arlette, Essai pour une
histoire des voix au dix-huitième siècle, p. 17.
cinéaste, que nous prenons connaissance d'une histoire
sociale dont les femmes et les enfants de famille ne sont
représentés qu'à travers la pratique des images de
famille. La société est régie par une volonté
patriarcale devenue dominante.
Illustration 13.
Les deux femmes sont âgées et représentent
l'expérience à transmettre auprès de la jeunesse. Pourtant
ces dernières sont entourées par les hommes de famille. L'une
d'elle porte son regard en direction de l'objectif.
Qui plus est, nous apprenons que les femmes de famille ne sont
que peu mises en concertation de la vie politique de la nation. Pourtant, lors
d'une séquence, nous assistons à un débat politique sur
une place de la ville de Naples. Le discours réfute toute idée
d'oppression, ainsi que la volonté d'affirmer la femme de famille comme
un centre d'attention de premier ordre pour toute la société.
Nous remarquons deux femmes filmées parmi la foule. Ces dernières
ont probablement attiré l'attention de l'opérateur de prise de
vues, notamment, car elles sont les seules représentantes
féminines. Elles sont âgées, et ne semblent guère
prêter l'oreille à l'orateur. En effet, elles ont une attitude que
nous pourrions qualifier de détachée, voire d'un brin enclin
à un certains amusement. Les propos de cet orateur sont en
adéquation avec tout discours à tendance émancipatrice
concernant la femme de famille parmi la société. En effet, c'est
un dialogue toute en fausseté qui nous est présenté par la
cinéaste. (Illustration 13).
En effet, ce dernier énonce des vérités
sommes toutes d'apparences sans pour autant donner la parole aux femmes. Ces
femmes au premier plan de la séquence, nous démontrent bien au
contraire, que la voix féminine est plus que jamais minoritaire de la
vie politique du pays. Pourtant, le discours prôné dans cette
séquence est de l'ordre d'une vérité acquise. Cependant,
« qu'est-ce qu'un acquis ?60 », si ce n'est
« le produit social qu'il importe justement de déconstruire ?
61». La jeunesse n'est pas conviée aux
débats publics, ou tout du moins elle ne semble peu ou pas
concernée. Il n'y a aucune représentante d'une nouvelle
génération de femme de famille au sein de cette
séquence.
60 Thébaud Françoise,
« Introduction », in Histoire des femmes en Occident, sous
la direction de Georges
Duby et Michelle Perrot, Le XXe siècle, tome V,
Édition Plon, 1992, pp. 13-23.
61 Idem.
Page 35 | 86
Cela affirme notre position considérant que l'absence
manifeste d'expérience, ne permet plus à un individu de se sentir
concerné, dès lors que le problème lié au
collectif, n'appartient nullement à sa catégorisation
sociétale. De plus, dans ce film, ce n'est pas une parole de femme de
famille qui nous est rapportée, mais la lecture par la cinéaste
d'un roman sur le couple, de l'autrice contemporaine Nathalie Ginzburg. Les
images d'archives de famille entrent en relation avec une situation
présente au sein de notre actualité, mais qui semble-t-il est le
fruit d'une élaboration narrative. Nous sommes en approche de la
pratique du racontage. Soit un discours mis en corrélation d'images afin
de questionner nos contemporains. Nous constatons que le cinéma en tant
que pratique média-photographique, « appartient à un temps
spécifique déterminé par une certaine idée de
l'histoire comme catégorie d'un destin commun62
». Toutefois, la femme de famille demeure ce témoin sans voix. La
maman de la cinéaste est présente en tant qu'image et demeure
toujours astreinte à un objet de représentation, davantage
qu'à un témoignage sur la pensée d'une femme de famille
sur la société de son époque. De ce fait, sommes-nous en
mesure de constater une perte irrémédiable de l'expérience
y compris à travers la pratique média-photographique
contemporaine ?
Page 36 | 86
62 Op.cit. Rancières
Jacques, pp. 45-60.
À l'issue de ce premier chapitre, nous pouvons relever
les éléments suivants. Tout d'abord, si dans un premier temps, la
constitution du récit d'expérience fut placée au sein de
la jeunesse, comme possible recours. Celle-ci est mise à mal à
l'issue du second conflit mondial. Cependant, comme nous l'avons
observé, la pratique média-photographique de famille, peut
prendre une condition historiographique, toute particulière pour
contribuer à une réflexion sur notre actualité. Elle peut
devenir un objet transhistorique si l'image d'archives de famille demeure
associée à une tradition du récit. Qui plus est, sa
pratique se situe dans l'antre d'un imaginaire cinématographique et
politique. Ce sont désormais les héritières de ces images
d'archives de famille qui se proposent de mettre en parole une histoire
contemporaine alternative, souterraine, de l'ordre d'un murmure, mais d'une
vérité intime qui questionne cependant notre inconscient
collectif.
Page 37 | 86
Chapitre II - L'engendrement d'un univers critique par la
raconteuse de famille.
Dans la continuité du chapitre précédent,
nous aborderons comment la pratique artisanale, peut s'avérer
complémentaire d'une actualité cinématographique critique.
Nous envisagerons la pratique média-photographique associée
à celle du racontage de famille, comme créatrice d'un univers
singulier critique dans lequel coïncide les images d'archives de famille
avec notre actualité. Notre hypothèse sera que la femme de
famille, étant donné sa proximité avec le medium
cinématographique, peut en y associant une tradition du
récit, « avec bonheur faire bouger le monde [...] et permettre
d'inventer d'autres modes de travail permettant de réciter le
temps63».
63 Farge Arlette, « écriture historique,
écriture cinématographique », in De l'histoire au
cinéma, sous la direction d'Antoine De Baecque Christian Delage,
Éditions Complexe, Coll. « Histoire du temps présent »,
1998, p. 116.
Page 38 | 86
I. Le temps des familles : salvateur de notre
présent. a) La naissance de l'ange.
Mon aile est prête à se
déployer J'aimerais bien revenir en arrière Car même
si je restais pour le temps vivant Je n'aurais pas beaucoup de
bonheur64.
Par ce motif de l'ange, nous faisons référence
à celui désiré par Walter Benjamin et Gerhard Sholem.
C'est une créature aux « yeux écarquillés, la bouche
ouverte, les ailes déployées65 ». Elle
représente la mort tout aussi bien que la réincarnation du
passé. La femme de famille a désormais « tourné le
visage vers le passé66 ». Elle contemple les ruines
laissées à l'abandon par la tempête du progrès. Elle
s'approprie désormais les caractéristiques du raconteur, qui
permets de « réveiller les morts et rassembler ce qui fut
brisé67», afin de questionner le présent de nos
contemporains. Il devient primordial qu'une voix prenne corps au coeur de notre
actualité.
Cela est dans le prolongement d'un autre point de vue
perceptif en lien entre l'individu et l'histoire par la pratique
média-photographique, que la tradition se doit d'y trouver une nouvelle
forme de récit. L'avènement progressif de la pratique du
racontage par la femme de familles, résulte d'un processus souterrain.
Il s'agit d'une pensée attachée à l'image d'archive de
famille. C'est la résurgence d'un passé éludé par
une Histoire patrimoniale n'attachant de valeur qu'à la rencontre entre
un collectif politique et une actualité jugée de premier ordre.
La femme de famille, est l'unique héritière d'une
expérience qu'elle garde en elle depuis l'enfance. C'est par la pratique
du racontage et celle de l'album de famille, qu'elle peut mettre en mouvement
une histoire alternative, prêtant sa voix à celles et ceux qui en
ont été privés à travers l'Histoire. Cependant, la
femme de famille déteint cette particularité du fait de sa
pratique
6' Op. cit. Benjamin Walter,
Sur le concept d'histoire, p.65.
65 Idem.
66 Idem.
67 Idem.
Page 39 | 86
des médias-photographiques. Ces derniers peuvent lui
permettre de se positionner dans le sillon du progrès, dans le dessein
d'obtenir cette pérennité, mais de manière davantage
souterraine. La figure de l'ange peut être associé à celle
de la raconteuse de famille. Les images d'archives de familles permettraient
d'envisager un point de jonction afin qu'elles puissent se rejoindre, dans un
instant entre passé et présent. Nous avons de ce fait la
possibilité de nous immerger dans un univers singulier, que nous
pourrions caractériser comme étant un « espace de
mémoire68 ». C'est le propos tenu par la cinéaste
Alina Marazzi dans son film, Un'ora ti vorrei (2002), où il est
sujet de la rencontre entre une petite fille devenue réalisatrice et les
films de famille tournés par son grand-père, plus
particulièrement ceux concernant sa maman, Luisa. Tandis que celle-ci
est décédée lorsque la cinéaste était alors
âgée de 7 ans, c'est par le réemploi des séquences
filmées, qu'elle retrace l'existence de la défunte, entre 1920 et
1970. Elle va dès lors prêter sa voix, commentant ces images
muettes, par la lecture des correspondances de sa maman Luisa. C'est ainsi que
nous analyserons plus particulièrement la mise en mouvement d'un espace
cinématographique entre la parole et les images d'archives de familles.
De ce fait, comment la parole permet-elle l'émergence d'un univers
cinématographique singulier, autour des images d'archives de familles,
nous révélant une histoire sociale souterraine ? Nous allons plus
particulièrement nous intéresser à l'émergence de
la raconteuse afin de rendre compte de la construction d'un espace
cinématographique singulier, de l'ordre d'une nouvelle forme
d'écriture de l'Histoire, par cette articulation entre les mots d'une
mère et la voix de sa fille dans le présent du film.
Elle est bien jeune encor I - Son âme
exaspérée Et ses sens par l'ennui
mordus. S'étaient-ils entr'ouverts à la meute
altérée Des désirs errants et perdus ?69
68 Il s'agit de la notion de
l'auteur Arnoldy Édouard, dans son ouvrage, Fissures, Théorie
critique du film et de l'histoire du cinéma d'après Siegfried
Kracauer, Milan-Paris, Édition Mimésis, coll. « Images,
médiums », 2018, p. 85. Il est question d'« un espace et un
mouvement où interagissent l'homme, la femme, ses fragments de
réalité, ses correspondances muettes avec autrui et le groupe
social ».
69 Baudelaire Charles, Les fleurs du mal,
« Une Martyre, dessin d'un maître inconnu », Édition
condamnée de 1857, Paris, La petite Vermillon, 1997, p. 183.
Page 40 | 86
Nous sommes au fait que la parole acquière un statut
singulier, puisqu'il est question
d'une mise en mouvement d'un récit raconté par
les mots de la défunte. (Illustration
14). C'est par cette condition de ne plus être parmi les
vivants, que celle-ci peut établir
son histoire. C'est en effet par la mort, que le récit
de la raconteuse peut alors advenir
Illustration 14.
L'image de Luisa Marazzi permets un double processus
d'identification envers sa fille Alina, mais aussi le spectateur. La parole est
énoncée de l'ordre d'un témoignage qui ne peut s'effectuer
qu'une fois la disparition du sujet.
en toute autorité. La parole est une voix-over,
celle-ci nous permet de prendre connaissance des pensées de Luisa. Cette
dernière, qui, bien qu'en dépit de la conscience d'être
dans un milieu sociétal privilégié, elle demeure comme
étant en proie aux doutes existentiels comme tout un chacun : «
J'avais toujours vécu dans le bien-être, dans une illusion de
sérénité où les problèmes n'existaient
pas70.». En l'occurrence, ceux de s'affirmer dans le
présent d'une Histoire collective : « Mais déjà
à l'époque c'était comme si je savais, que je n'allais pas
trouver ma place dans le monde71.». La parole nous permet
d'entrevoir la construction progressive d'un univers singulier, au sein duquel
s'entrecroisent différents régimes d'images. Qui plus est «
la double nature de ces images leur permet
d'ancrer le récit à la fois dans le réel
et dans l'onirique72 ». La parole nous indique un
basculement entre deux temporalités, dans la mesure
où « pour raconter une histoire,
on commence habituellement par « "il était une
fois", ou du moins par la présentation
des personnages73». Nous sommes
désormais invités à prendre part au récit,
puisque
nous devenons par procuration les personnages-spectateurs, car
« dans ce cas-là, ils
font partie de notre famille74». La parole
provient désormais d'un seul et même corps,
nous assistons à l'incarnation du passé dans le
présent du film. Il est vrai, que le
dispositif cinématographique lui conférant le
statut de voix-over, nous permet de
prendre connaissance de ses pensées, de l'ordre d'une
conversation intime et critique
70 Marazzi Luisa, Un'ora ti
vorrei, 2002, Italie-Suisse, extrait 03 :42.
71 Ibidem, extrait 03 :50.
72 Odin Roger (sous la direction de), Le film
de famille, usage privé, usage public, Paris, Méridiens
Klincksieck, 1995, p. 154.
73 Op. cit. Marazzi Luisa, extrait 05 :05.
74 Ibidem. Marazzi Luisa, 05 :11.
Page 41 | 86
sur sa condition en tant que femme de famille. Dans la
séquence du mariage de son frère, parmi les sourires de
circonstances se trouvent disséminée entre rires et accolades.
C'est par un plan précis, que Luisa nous fait pénétrer
dans un monde historique souterrain.
En effet, pendant les festivités, celle-ci, porte son
regard vers un hors-champ au-dessus d'elle. Cette parole permet à la
cinéaste l'élaboration d'un univers singulier, au sein duquel
nous observons un entrelacs critique entre différentes images
opérantes toutefois en une même jonction, le temps d'une famille
dans la société italienne de l'après-guerre. Une musique
onirique, appui ce regard vers ce temps passé. Le plan suivant met en
scène une enfant se tenant debout sur une balançoire, l'image est
en noire et blanc. C'est par la parole que nous sommes indiqués du fait
que nous basculons dans une représentation alternative du monde. C'est
ainsi que les images d'archives représentant Luisa et sa famille se
succèdent. La raconteuse de famille procède à ce
glissement entre une communauté d'individu à celle de tout un
collectif. Les images d'archives d'une société italienne des
années 1930 sont présentées en coexistence des anecdotes
familiales de Luisa. C'est en effet, les images de son grand-père avec
sa nouvelle caméra, nous le précise-t-elle. Les plans
filmés des rues de cette époque, mettant en mouvement ces corps,
mais aussi ces visages partiellement dévoilés par les effets de
gros plans, soit la caméra elle-même approchée au plus
près des hommes. Nous assistons à un horizon historique faisant
« apparaître des structures complètement nouvelles de la
matière75 ». Il est vrai que la parole de la raconteuse
institue un dialogue visuel singulier entre les images d'archives. Ces
fragments d'une époque, par des effets de vitesse de plans sont mis en
mouvement comme « singulièrement glissants, aériens,
surnaturels76 ». Ils demeurent semblables à un choeur
dont la parole de la raconteuse en serait le métronome. Nous devenons
les témoins par procuration d'une histoire souterraine au sein de cet
« espace de mémoire77 ». L'un des derniers plans,
celui des adieux en gare revêt une dimension symbolique. Le train nous
renvoie à l'imaginaire
75 Benjamin Walter, L'oeuvre d'art à partir
de sa reproductibilité technique, p. 43.
76 Arnheim Rudolph,
trad.fr, à partir de
l'édition anglaise définitive de 1958, Le cinéma est
un art, Paris, L'Arche, 1989, p. 138.
77 Op. cit. Arnoldy Édouard, dans
son ouvrage, Fissures, Théorie critique du film et de l'histoire du
cinéma d'après Siegfried Kracauer, p. 85.
Page 42 | 86
cinématographique des premières vues de voyages,
mais aussi et surtout, à celui dont les images d'archives se
répondent faisant fi des distances entre le passé et le
présent. Le personnage masculin regarde le train s'éloigner et
semble mimer de la main, un geste apparenté à la pratique
épistolaire. Il est en effet rapport à une nouvelle forme
d'écriture cinématographique, entre la parole et les images
d'archives de famille, « dont les choses et le sujet sont rendues au
temps11 ». Lorsque Luisa devient mère à son tour.
Celle-ci traverse avec un landau la place du duomo située dans la ville
de Milan. Nous assistons à une réunion politique. De la sorte, il
est question de deux mondes qui s'entrecroisent dans le même instant de
la narration, sans pour autant constater à un éclatement de la
ligne historique. La jeune femme est préoccupée par son nouveau
rôle de mère. Nous sommes les témoins de la question de la
transmission d'une femme de famille auprès de son enfant, parmi les
préoccupations politiques du collectif. Elle travers cette place sans
attirer les regards, telle une image sans histoire. C'est ainsi que « la
grande Histoire se mêle à la micro-histoire : les images
épurées se lient aux [..]images d'archives avec [...] les sons du
passé [...] réunissant ainsi l'homme des événements
historiques à l'homme du présent 78».
C'est dès lors une parole souterraine, du fait du
partage d'une femme de famille de sa nostalgie d'une époque
peuplée par les images de son enfance et les fantômes d'une
époque oubliée. Le film oscille entre les prises de paroles de
celles et ceux que l'Histoire a occultée. Nous assistons à un
mouvement allant de l'individu vers le collectif. Les images d'archives
établissent une relation entre le passé et le présent.
Cela permet d'établir un dialogue entre la cinéaste et les
membres de sa famille, mais également avec le spectateur. La place
occupée par la famille, dans cette approche de questionner le monde qui
l'entoure demeure inhérente, par le désir de l'essayiste de
partager une expérience avec son spectateur. Cela va éminemment
à l'encontre d'une position dominante dans la représentation
cinématographique. La cinéaste part à la quête de
l'essence même de ses propres images. Elle ne cherche pas tant à
innover le dispositif, mais d'avantage à révéler les
enjeux que représente la famille concernant le questionnement dans une
démarche contemporaine et historique critique. La
78 Op. cit. Brenez Nicole,
Cinéma libertaires, Au service des forces de transgression et de
révolte. Arts du spectacle - Images et sons, p.361.
P a g e 43 | 86
représentation de la famille dans le film peut
être appréhendée comme un lieu originel d'ancrage narratif
et historique. Le film a de ce fait, la particularité d'opérer
à une relecture de l'Histoire par ces mouvements dépourvus de
contraintes, quant aux frontières imposées par une nomenclature
cinématographique, notamment par ce mouvement entre les images
d'archives et le présent du film. Les images d'archives permettent de
prétendre à de nouvelles propositions formelles. Par
l'utilisation du « montage analytique79», il
appréhende la variation même d'une image, nous ouvrant un passage
de l'ordre d'une « circulation psychique80» entre
différentes instances de l'Histoire humaine. De ce fait, cet espace
cinématographique opère entre une mémoire individuelle et
une Histoire collective, mise en mouvement par la figure de la raconteuse,
« gouverné selon des lois et les impératifs qui lui sont
propre81». Les archives de familles ayant désormais un
droit au récit par la parole, à travers la pratique média
photographique contemporaine associée à celle du racontage de
famille.
79 Brenez Nicole, « Montage intertextuel et
formes contemporaines du remploi dans le cinéma expérimental
», Cinémas : revue d'études cinématographiques, vol.
13, n° 1- 2, 2002, p. 49- 67.
80 Idem.
81 Géry Catherine, Leskov, Le conteur,
réflexions sur Nikolai Leskov, Walter Benjamin et Boris Eichenbaum,
Paris, Classiques Garnier, 2015, p. 187.
Page 44 | 86
b) La parole de famille comme archive sonore.
Comme nous l'avons étudié
précédemment la parole peut permettre à deux
temporalités d'exister dans l'instant d'une seule et même
narration filmique. La parole permet d'effectuer cette liaison entre deux
mondes afin de les réunirent dans un univers singulier. Elle accompagne
les images et nous interroge sur le dispositif cinématographique, comme
étant avant tout un lieu de l'expérimentation de la pensée
du monde. Dans le cas du film de la cinéaste Alina Marazzi, il
était question de l'incarnation des écrits de Luisa par
l'intermédiaire de la voix de sa fille. Il se peut également que
la parole soit celle de l'individu de famille qui ne se trouve plus dans le
présent de la narration filmique. Dans le film, Correspondencia
(2020), des cinéastes Carla Simon et Domingua Sotomayor Castillo,
nous retrouvons l'utilisation d'une voix-over empruntée. Par ce terme,
nous entendrons le fait qu'il s'agit d'une voix enregistrée à un
instant antérieure que celui du présent du film, et qui
caractérise les pensées d'un individu. En l'occurrence, il s'agit
de la grand-mère de la cinéaste Carla Simon. Dans cette oeuvre,
il est question d'une correspondance visuelle entre les deux cinéastes ;
elles échangent toutes deux, leurs souvenirs d'enfance et ce
désir de raconter les histoires de famille. Lors d'une séquence
d'exposition, la cinéaste Carla Simon nous présente la maison de
sa grand-mère. Les cadres photographiques de familles ornent les meubles
du grand salon. Les pièces vidées de son occupante nous sont
présentées. Nous entendons la voix de sa grand-mère qui
nous parle de son décès, et de ce qui restera comme souvenir
à ses petits-enfants. Cette interaction entre le régime d'image
en voix-over et ces images sont de l'ordre que « le mécanisme de
référence permet au discours du narrateur de prendre appui sur le
monde audiovisualisé et crée l'impression que le matériel
audiovisuel prolonge le récit verbal82 ». Cette voix est
évanescente entre chaque plan, qui étant donné sa
présence en hors-champ confère une impression d'entrer dans une
modalité historique intimiste et spectrale. La vision subjective
usitée permet au spectateur de procéder à une
identification secondaire. Nous visitons les espaces de la vie familiale qui
sont représentés usuellement
82 Châteauvert Jean, Des
mots à l'image. La voix over au cinéma, Paris-Québec,
Éditions Méridiens Klincksieck / Nuit blanche, 1996, p. 59.
Page 45 | 86
|
dans les films de famille. (Illustration 14). Cependant, ces
derniers demeurent désertés de la présence de celle qui
représentait l'expérience pour la jeunesse des femmes de
familles. La parole ainsi réemployée dans le présent du
film fait office d'une sorte de documents qui nous renseignent sur une
intimité, mais qui par prolongement suscite un questionnement collectif.
Que devient l'expérience d'un individu après sa disparition ?
|
Illustration 14.
Notre regard est orienté vers le coin de la
pièce et la chaise désormais vide. Sa position entre la
fenêtre et l'hors-champ du reste de la pièce, nous renvoi à
un sentiment d'étrangeté, de l'ordre d'une
présence-absence du sujet.
|
En effet, nous pourrions avancer que la parole étant
donné que cette « absence intrinsèque d'ancrage dans la
diégèse visualisée83 », peut instituer que
« les images "naissent" des mots84». De ce fait, la
relation à déterminer entre la parole et les images se doit
être appréhendée comme permettant la construction d'un
univers singulier. À plus forte acception, lorsque cette parole est
celle de la défunte. La parole ainsi énoncée se doit
d'être considérée comme un témoignage permettant
d'étudier le passé au regard de notre actualité. Comme le
souligne la cinéaste : « Il n'y a plus de grand-mère chez
qui apprendre, il n'y a plus d'enfants à qui enseigner85.
». La cinéaste dialogue avec sa grand-mère et par ce fait
s'approche de la prédisposition accordée par la pratique du
racontage, comme étant celle de pouvoir faire parler les morts.
Toutefois, il n'y a plus de nouvelles générations en devenir. Il
s'agit d'un instant critique à plus d'une acception, puisque la parole
ne peut être transmise, s'il n'en subsiste aucun récepteur. Cela
nous permet de constituer une approche sur cette parole comme pouvant
être de l'ordre d'une archive sonore. En l'occurrence, elle serait ce
document à part entière renseignant un collectif à partir
d'un moment intime de l'individu. Il est vrai que cette « parole dite
» de l'ordre d'un « objet trouvé », soit, autrement
énoncé, un document dont l'Histoire ne peut plus en être
dans le déni de son existence. Cela se faisant d'accorder une importance
toute particulière à une « trace laissé ». Nous
l'entendrons comme étant un déplacement du
83 Boillat Alain, Du bonimenteur à la
voix-over, Lausanne, Éditions Antipode, 2007, p. 424.
84 Idem.
85 Correspondencia, Carla Simon et Dominga
Sotomayor Castillo, 2020, Espagne - Chili. Extrait - 4 :50.
Page 46 | 86
passé vers notre présent. Cette parole se doit
d'être appréhendée comme état d' « une figure
du réel », soit un élément de jonction concernant une
réalité dont nous « apportons la preuve de ce qui fût
le passé ». Si elle est d'une instance de la preuve, elle l'est
tout autant de celle d'une épreuve. Il s'agit dès lors
d'approcher une vérité présente, sans pour autant
procéder à une mesure d'éclatement historique. La parole
véhiculée par une femme de famille est « définitive
et proche » et ne se doit d'être en aucune façon l'objet d'un
chaos historiographique social et politique. Bien au contraire, elle nous
accompagne vers cet instant de la révélation d'une histoire qui
ne demande qu'à partager de son expérience. Cela peut permettre
à l'individu de famille de devenir un historien de son temps, qui «
en dépliant l'archive », s'approprie un fragment de sa propre
histoire. C'est un « privilège de toucher le réel
»86.
Faire revivre « Bon Papa » et « Mamy
», c'était retrouver la douceur et la chaleur de ma petite enfance,
avec la complicité de mes tantes, Jo, Thérèse, Marie-Ange
et Mique qui ont bien voulu répondre à toutes mes questions et
raviver les bons, comme les mauvais souvenirs. C'était aussi
découvrir qu'ils avaient traversé deux guerres et trouver une
part d'explication à la tristesse de ma
grand-mère.87
Lors de notre entretien avec Madame Nicole Pavy, celle-ci nous
révéla de son désir de transmettre une parole de famille
auprès du collectif. Il n'était non plus question des
photographies de famille, mais davantage d'y obtenir des réponses, de
percer l'insondable. Les secrets de famille parmi les failles de la grande
Histoire. La parole de famille est cet instant, où les morts et les
malades reviennent inquiéter les vivants concernant leur présent.
C'est par la transmission des anecdotes que ces derniers reprennent vie et
partage de leurs tristesses, de leurs interrogations existentielles sur un
monde qui se tourne sans cesse vers l'avenir. Cette parole permet de
libérer ces archives de familles des cadres et albums au sein desquelles
elles se trouvent enfermées. Elle
86 La citation, « La parole dite [...] de toucher le
réel », se trouve in Farge Arlette, Le goût de
l'archive, Paris, La librairie du XXe siècle, Édition Le
Seuil, 1989, p. 19.
87 Nicole Pavy, à propos de constitution du
fonds d'archive de la famille Pavy-Delangle, 11 novembre 2012. C'est à
l'occasion d'un entretien en avril 2022 dans le cadre de ma recherche, que
celle-ci partagea cet extrait concernant ce qui l'avait animé à
commencer la constitution de son journal de famille pendant l'année
2012.
Page 47 | 86
participe, notamment par la pratique
média-photographique à la reconstruction du monde, tout aussi
bien politique que social. La parole de famille, bien que de l'ordre de
l'intime, engage un mouvement communicationnel entre les
générations humaines. Si l'individu est devenu immuable de la
propriété. Cela sous-entend l'idée d'une histoire
dédiée aux monuments, à cette règle, que tout se
construit dans un même temps, et dans le plus grand des artifices. Il
subsiste cependant une nécessité du recueillement auprès
de ces sentiers en marge du progrès et de l'industrialisation de la
pensée historique. Ils sont là, présents, et nous
rappellent que l'histoire ne peut être sujette à une sensation de
finitude, car l'histoire demeure ouverte sans cesse à la page du
présent. L'individu se construit par les images et parole d'archives de
famille, celles d'un moment intime qui prend tout son sens, une fois
communiqué au sein d'une pensée collective. Cette nostalgie
demande un dévoilement progressif de ce désir d'interroger
l'Histoire, en retournant parmi ces anecdotes.
En outre, la pratique du racontage de famille, n'est pas tant
de l'ordre d'un discours. C'est tout autant, si ce n'est davantage une parole,
qui nous guide à travers un lieu inattendu, nous liant avec notre
actualité, dans un mouvement entre passé et présent. Cette
tradition met en récit l'individu et le monde qui l'entoure, afin de
partager d'une expérience. Sans cette parole, nous réduisons le
temps des familles au silence, celui accompagnant la solitude de ceux dont la
voix s'est perdue irrémédiablement dans les couloirs du
passé. Les images de famille seraient laissées ainsi à la
merci du discours dominant et de ce cérémonial se devant de
rassembler un individu sous la même bannière idéologique.
Ce fut le cas lors de l'anéantissement d'une grande partie de notre
expérience humaine. Ces paroles sont autant de signes, si ce ne sont des
indices nous permettant de repenser notre histoire, comme de l'ordre d'une
arborescence de récits constituants un ensemble, faillible certes, mais
humain et universel. Elles se doivent d'être appréhendées,
comme de l'ordre d'une archive entrant en coexistence avec les images de
familles dans le dessein de permettre à l'individu de retrouver une
unité, son centre. Par cette approche la raconteuse convoque en son
sein, la mort et la maladie, mais également un espoir nourrit d'une
histoire plus juste. Elle demeure la nouvelle gardienne de l'expérience,
à la condition sine qua non, que cette parole soit
appréhendée par le même soin que tout autre document qui
érige notre histoire à travers les périples
traversés. Par l'avènement du
Page 48 | 86
racontage de famille, nous assisterions à la
libération de l'archive de famille par le récit issu de la
pratique média-photographique. Celle-ci ne serait plus encline à
demeurer une témoin passive de l'histoire. C'est ainsi qu'elle se
dévoile, progressivement, sous les traits de la martyre88.
Elle est avant tout un témoin d'une expérience dont la parole de
la raconteuse doit révéler la marge de l'histoire. C'est un
dialogue entre les générations de notre présent et celle
de notre passé, dont l'enjeu demeure la transmission de
l'expérience humaine. S'il est question de prime abord d'un récit
intime, cette parole peut devenir une archive singulière nous permettant
une réflexion commune et critique concernant en rupture, aussi bien
formelle que matérielle, avec notre actualité contemporaine. Nous
revenons à une approche artisanale du medium-photographique par une
dimension haptique avec le matériel filmo-photographique.
Par conséquent, nous pouvons à l'issue de cette
partie nous permettre de porter à notre étude ces
caractéristiques suivantes. Tout d'abord, la pratique du racontage de
famille permet la libération des images d'archives, en y apposant une
parole comme témoignage. Il est vrai que celle-ci peut convoquer les
anecdotes de famille à l'aide du medium cinématographique
élaborant progressivement un monde d'énonciation historique
à part entière. Cela en marge d'un discours dominant, nous
assujétissants à suivre une idéologie de l'Histoire, sans
prise en compte constatée d'une construction personnelle de l'individu,
en rapport à son propre passé. Nous pouvons avancer que cette
démarche permet d'avancer l'idée de l'émergence de la
raconteuse de famille à travers la pratique média-photographique
contemporaine. Celle-ci a la possibilité de faire entendre cette parole,
mais comment peut-elle proposer une relecture critique de notre
société contemporaine, tant dans le domaine politique que sociale
?
88 Nous accorderons à ce terme son acception
antique, se référant à sa désignation en
qualité de témoin.
Page 49 | 86
II. Une relecture du monde contemporain.
a) De l'imaginaire au politique : des archives de la
révolte.
« Le sentiment de l'histoire » est chose
très poétique, et peut-être suscité en nous, et nous
émouvoir jusqu'aux larmes, avec la plus petite chose : car ce qui nous
tire en arrière est tout aussi humain et nécessaire que ce qui
nous pousse à aller de l'avant.89
Illustration 15.
Il s'agit d'un portrait de Clara Casagrande tenu par la main
de sa petite fille, la cinéaste Giulia Casagrande.
Nous pouvons avancer l'idée que le cinéma permet
d'entrouvrir un passage vers un temps déterminé, du fait d'un
certain point de vue de l'histoire se référant à un destin
commun des regards et des voix, autour des images d'archives de famille. Il est
question d'une émancipation d'une Histoire plurielle. Celle de l'ordre
d'un point de vue apporté à un événement collectif,
nous révélant d'une histoire intime. Cela est de l'ordre d'un
écho dont la « trace90 » est symbolisée par
la pratique du racontage et celle des archives de famille. Dans le film,
Clara e le vite immaginarie (2019), de la cinéaste Giulia
Casagrande, la photographie de famille de sa grand-mère prise dans les
années 1930 devient le point d'ancrage de sa recherche au sujet du
passé de tout un pays. (Illustration 15). La cinéaste est
dès lors confrontée à une course contre le temps,
étant donné le manque d'informations autour de cette photographie
de famille, mais aussi la perte progressive de la mémoire de sa
grand-mère. La narration du film est construite à partir de
fragments multiples.
Tout est fracassé, fractionné,
fragmenté. On ne verra d'abord que les gravats. Tout est
déchiré. Tout part, en morceaux épars, à la
dérive. Plus rien n'est un. Mais, de ce multiple en éclats, il
peut naître aussi quelque chose, pour peu qu'un désir se
lève à nouveau, qu'une voix d'élève, qu'un signe
soit jeté vers le monde futur, qu'une écriture prenne le
relais.91
89 Pier Paolo Pasolini, Le sentiment de
l'histoire, traduit par Hervé Joubert-Laurencin, dans Traffic
numéro 73, printemps 2010, p. 131.
90 Celle-ci permet de retracer par un
détails le cours d'un événement afin de rendre compte d'un
autre point de vue. Nous considérons cette notion selon celle de
l'historien Carlo Ginzburg dans son ouvrage, « Spie, Radici di un
paradigma indiziamo », édition originale de 1979. La traduction
française, « Signes, traces pistes, racines d'un paradigme de
l'indice », Le Débat, n°6, 1980, pp. 3- 44.
91 Didi-Huberman Georges, Éparses,
Paris, Les éditions de minuit, 2020, p. 157.
Page 50 | 86
Il est vrai, ce sont ces différents régimes
d'images d'archives qui vont se trouver convoqués. Les images d'archives
de familles, mais aussi des cartes postales, ainsi que des films amateurs et de
propagandes, vont alors représenter un passé se devant d'en
déterminer une logique historique entre continuité et
éclatement. Ces archives, qui sont pourtant considérées
comme étant des sources secondaires de la part d'une histoire dominante
à caractère positiviste, vont cependant permettre sur cet acquis
de l'événement, une remise en question. C'est dans cette
acception, que la cinéaste utilise ses images d'archives de famille
comme faisant finalement partie, d'une communauté plurielle
convoquée dans le présent de la narration du film. Nous pouvons
en déterminer une esthétique transgressant les codes du
dispositif historiographique dominant. En effet, contrairement au film d'Ettore
Scola, l'archive photographique n'est plus enfermée dans son cadre,
parmi les meubles du salon familial. Qui plus est, la femme de famille à
désormais cette possibilité de permettre un passage entre son
passé et le présent, de l'ordre d'un discours personnel
permettant de libérer une partie d'une histoire méconnue, car
trop souvent occultée par un discours patriarcal. Un nouvel univers
critique est alors en élaboration. C'est une déconstruction d'une
histoire chronologique soumise dans l'instant du film, par un basculement de
point de vue, au profit d'un système de représentation engageant
la création d'une pensée collective critique. La portée
sociale est dès lors aux prises avec un imaginaire multiple, en
corrélation avec une vision politique autour de ces images d'archives.
La raconteuse de famille permet une relecture de notre histoire afin de donner
aux présents, les outils nécessaires pour façonner notre
avenir en toute connaissance de faits.
On peut se représenter le véritable artiste
cinéaste comme quelqu'un qui entreprend de raconter une histoire mais
qui, à mesure qu'il la filme, est à ce point pris dans le
désir innée de rendre toute la réalité
matérielle - ainsi que par le sentiment qu'il doit la rendre de
façons à raconter l'histoire, quelle qu'elle soir, en termes
cinématographique - qu'il s'aventure toujours plus avant dans la jungle
des phénomènes matériels où il risque de se perdre
irrémédiablement s'il ne regagne pas, aux prix de grands efforts,
les larges voies qu'il a quittées.92
92 Kracauer Siegfried au sujet du
cinéaste Jean Renoir. Toutefois son propos s'inscrit dans notre analyse.
Cette citation est présente in Théorie du film, la
rédemption de la réalité matérielle, Paris,
Flammarion, 2010. pp. 365-366.
Page 51 | 86
C'est à travers l'expérimentation des
matériaux mis à sa disposition, que dans cette approche, la
cinéaste procède à un mouvement entre les images et la
voix, en rapport avec une approche historiographique aux multiples agencements.
La cinéaste tente « de constituer sa cohérence à
partir d'un système d'allusions, de répétitions,
d'oppositions, et de correspondances93 ». (Voir annexes 1
p.80). Il est question de libérer la parole et l'archive de famille de
leurs cadres respectifs. La cinéaste entreprend un travail de recherche
parmi les albums photographiques et les archives de familles. Elle parcourt
l'histoire de L'Italie pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle y
découvre des paysages enfouis au même titre que les individus
laissés à la marge de l'Histoire dominante. C'est par le
récit de sa grand-mère Clara, qu'une histoire plus intime, mais
tout aussi fédératrice est mise au jour. À l'instar de la
cinéaste Alina Marazzi, nous prenons connaissance de ces femmes de
famille livrant bataille, contre la chute de l'expérience humaine de
manière souterraine. Le regard tourné vers le passé tout
en même temps que vers l'avenir, dans un mouvement entre le souvenir et
l'aspiration d'un monde plus juste. C'est dans le dessein de faire co-exister
ces deux mondes, que la cinéaste élabore une
corporéité historique aux propos de Clara par le remploi d'images
d'archives. La parole testimoniale de sa grand-mère dialogue dans le
même instant avec les images d'archives de famille des individus de son
époque. Les archives aussi bien sonores que visuelles demeurent
libérées de ce carcan, qui tel une chappe de plomb, les laissa
choir dans une antichambre de l'Histoire des hommes. C'est également un
enseignement de premier ordre qui est adressé à la
génération contemporaine. Cela est révélateur dans
la séquence où le grand-père de Giulia Casagrande
s'inquiète de la santé de Clara, et a pris pour habitude de lui
faire la lecture du programme télévisuel. Tous deux parlent des
films qu'ils ont déjà vus et de fait, nous engagent à
laisser un peu de notre histoire personnelle à travers la pratique
média-photographique. Le cinéma et la famille sont liés
par un engagement tacite, afin que jamais ne périsse de notre
désir de redéfinir le monde et son histoire, dans une vision
d'harmonie et de vérité. La maladie de Clara, cette perte de
mémoire progressive, survie cela dit à travers ces productions
filmiques et un imaginaire qui se doit d'être en accord avec une
réalité politique de son passé. Que celle-ci soit intime
ou collective. Nous avons plus que jamais besoin de cette
nécessité à transmettre une parole attestant d'une
période
93 Blümlinger Christa, Lire entre les
images, L'essai et le cinéma, sous la direction de Liandrat-Guigues
Suzanne et Gagnebin Murielle, Paris, Éditions Champ Vallon, 2004, p.
57.
Page 52 | 86
méconnue de notre histoire. Cela afin de reconstruire
ces villages et de redonner corps à ces murmures, avant qu'ils ne se
perdent parmi les discours d'un avenir maîtrisé par le
contrôle de la technique et d'une chronologie historique
mécanisée. Nous devons permettre la rencontre entre les
témoins du passé et nos contemporains. L'oubli n'est nullement la
gageure de la perte d'une histoire des familles et par prolongement, celui du
monde. C'est avant tout la crédulité ainsi que l'abattement de la
masse ne pouvant s'extirper de cette caverne d'images, faite de bruit et de
sensations artificielles, au détriment, de la réalité des
corps et des voix, scandant qu'une autre alternative existe. Celle d'une
histoire par et pour tous et toutes. Ce sont les rêves de Clara et sa
famille qui lui ont permis de garder un point d'ancrage, au sein de la
réalité. Les archives de familles ne constituent nullement
l'histoire, elles sont l'histoire.
En effet, si nous prenons appui sur la séquence du feu
d'artifice. Celle-ci permet d'analyser une autre forme de raconter le
déroulement des événements. Les images d'archives de
famille par un montage alternée répondent à l'ouverture
progressive du feu d'artifice dans le présent du film. Les couleurs
flamboyantes des étincelles se trouvent entrecoupées par ses
images d'archives de famille en noir et blanc. Cela nous annonce,
l'avènement dans le présent du film d'un passé qui surgit
littéralement et vient apporter un tout autre regard à notre
actualité. L'utilisation de la vidéo afin de restituer les
témoignages nous montrant dans le même instant du film, les images
d'archives de famille sur une musique américaine, permet la convocation
entre les films américains et la vie de Clara, dans l'Italie des
années 1930 en proie au fascisme. Nous retrouvons ainsi ce motif d'un
imaginaire cinématographique entrant en correspondance, avec la
réalité politique dans laquelle l'individu de famille
évolue. Ces fragments se répondent comme si le temps
n'était plus l'instance unique du film, mais bel et bien, un rythme
nouveau insufflé à l'histoire humaine. La voix de Clara et les
images d'archives ne demeurent plus indépendantes de leurs
régimes d'énonciations respectives. Elles forment une
cohésion de l'ordre d'un seul et même objet historique. Cela a
pour résultante de créer un espace critique singulier, à
travers lequel s'articule des fragments d'une vie en résonnance à
celle de tout un collectif. Comme nous l'avons entrevu
précédemment, l'utilisation des images d'archives de famille va
permettre à la cinéaste d'élaborer une construction
particulière, dans laquelle les images du passé entrent en
dialogue avec celle de notre présent. Nous
Page 53 | 86
Page 54 | 86
poursuivons les rêves de Clara, de son enfance à
sa vie d'adulte, parmi les stigmates de la guerre et du fascisme, à
celui de son amour des films qui ont bercé son existence. De la sorte
d'une fenêtre sur un monde, où la liberté était
avant tout le fait de pouvoir exister. C'est une relecture aussi bien sociale
que politique qui nous ai proposés. En effet, la vie de Clara nous est
présentée autour de la question, du comment vivre à
l'époque du régime fasciste. La femme de famille est le symbole
de cette révolte face à une oppression qui marqua notre histoire.
Le passage où Clara nous explique qu'en dépit du danger, elle
s'en alla arracher la pancarte clouée sur la porte de la maison de ses
voisins, les désignant comme faisant partie du peuple juif. C'est une
jeune femme qui inspire à la liberté et à la
découverte du monde. Les images de propagandes nous sont
présentées comme figées, par le poids de cette histoire
intime, jugeant et condamnant des idées qui finalement ne font
qu'empêcher une condition humaine de s'épanouir. C'est un acte de
résistance qui perdure à travers le film, qui lui rend hommage.
Il est question de restituer le témoignage de celles et ceux, qui ont
été mis en marge d'une ligne historiographique
catégorisée. Pourtant, ces instants nous permettent de comprendre
notre réalité présente. L'écriture
cinématographique à pourtant cette disposition à permettre
aux temps de coexister entre deux moments distincts d'une histoire, qu'elle
soit collective ou dépendant d'un sujet dans son intimité. Le
remploi d'image n'est plus seulement une technique du medium, mais bel et bien
ce moyen supplée à celui du racontage, afin de faire revivre les
disparus. Le cinéma met en exergue cette volonté d'une nouvelle
génération de cinéaste de proposer et non d'apposer un
récit, de l'ordre d'une transmission dans le dessein que ces instants du
passé reprennent vie dans notre présent. Cette instance
résurrectionnelle du cinéma est un des possibles pour que
l'histoire de ces images d'archives de familles ne soit plus simplement des
fragments intimes, mais celui d'une Histoire des Hommes. Elles nous enseignent
non plus seulement des données sociologiques et économiques, du
vivre d'une époque, mais également le ressenti de ceux qu'ils
l'ont vécu. Il est vrai que le « montage syncopé, les
couleurs saturées font écho aux dialogues dans lesquels se
mêlent les sons des chansons et des divers dialectes qui traversent
l'Italie du sud au nord94».
94 Op. cit. Brenez Nicole, Cinéma
libertaires, Au service des forces de transgression et de révolte,
p.365.
b) À la rencontre d'une expérience sociale
souterraine.
Le retour d'archives est parfois difficile : au plaisir
physique de la trace retrouvée succède le doute mêlé
à l'impuissance de ne savoir qu'en faire 95.
Comme nous l'avons précédemment abordé,
l'activité média-photographique contemporaine est
confronté à ce « retour de l'archive96 »,
comme autant de fragments s'invitant à nous interroger sur les possibles
d'une histoire alternative comme source d'une expérience plus que jamais
à reconstruire. Le dispositif cinématographique est l'outil qui
nous semble tout indiqué pour permettre sa coexistence au sein de notre
temps présent. La tâche qui lui est dévolue et de l'ordre
d'une responsabilité pour les générations futures, tout
aussi bien que pour celles qui nous ont précédés.
L'imagerie de masse a depuis tenté de se suppléer au récit
de l'individu ainsi qu'à sa capacité à se transposer dans
un monde où l'imaginaire et l'histoire se complètent.
Désormais, la raconteuse de famille a la possibilité de convoquer
la mort et la maladie dans le même instant. Si nous reprenons le discours
dominant, la femme est présente comme tenant l'appareil photographique
en main, tout en restant l'objet à idéaliser. (Illustrations 16
et 17).
Illustration 16. Illustration 17.
Ces affiches de l'entreprise Kodak (1930), nous
démontre la portée du discours propagandiste concernant un image
idéalisée de la famille. Tandis que la femme de famille assiste
à ces instants d'un regard extérieur. Sur la seconde affiche,
(illustration 17), elle tient dans ses mains l'appareil photographique
davantage comme une propriété de l'homme de famille, qu'en tant
qu'opératrice de l'instant à
95 Farge Arlette, Le goût de l'archive,
Paris, La librairie du XX e siècle (Seuil), 1989, p. 19.
96 Idem.
Page 55 | 86
Toutefois, cela n'est plus de mise. La raison étant que
les filles et petites-filles de famille se sont emparées de la
caméra dans un geste critique. (Illustration 18). Non pas tant de
l'ordre d'une révolution, mais davantage dans la visée d'une
réhabilitation du temps passé. Elles créent des images en
accord avec celles existantes, elles font revivre les anecdotes, prônant
un individu au centre de sa propre histoire.
Ce qui caractérise le cinéma n'est pas
seulement la manière dont l'homme se présente à l'appareil
de prise de vues, c'est aussi la façons dont il se représente,
grâce à cet appareil, le monde qui l'entoure97.
Illustration 18.
La cinéaste Carla Simon se prend elle-même comme
sujet par le moyen d'une caméra ayant appartenue à ses
grand-parents ; Nous assistons à une nouvelle écriture de
l'expérience par la femme de famille. Cela opère un contraste
avec l'affiche Kodak, où la femme n'est pas encore
représentée comme opératrice.
Correspondencia, Carla Simon et Dominga Sotomayor
Castillo, 2020, Espagne - Chili
En effet, elles sont autour de la grande table de l'Histoire,
guidant leurs contemporains à la lueur des images de famille,
frêles et intimes, concernant la destinée des individus. Cela nous
confère une vision partielle d'un événement, mais qui nous
permets de nous questionner sur la portée de nos expériences
ainsi que de leurs transmissions au monde. Elles nous invitent à prendre
place à leurs côtés afin de dialoguer avec notre
passé. Elles invoquent les laissés-pour-compte de notre
actualité. La raconteuse de famille « comme un vagabond
intellectuel98» met en parole sa propre pensée
dès qu'elle en a la possibilité. Elle convie le spectateur dans
un espace « physique et mental, multiple99 », de l'ordre
d'un monde à part entière. Une cohabitation demeure envisageable
si nous apprenons à les écouter, les observer. Elles nous
renseignent sur l'universalité des désirs, mais aussi de
l'existence de ces passés enfouis, parmi les décombres et les
ruines, que nous avons laissé derrière nous. Ils nous restent
tant d'expérience à redécouvrir afin que l'homme de
97 Op. cit. Benjamin Walter, L'oeuvre
d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, p.
41.
98 Op. cit. Blümlinger Christa, Lire
entre les images, L'essai et le cinéma, p. 55.
99 Bellour Raymond, L'Entre-images, Paris,
La Différence, coll. « Les essais », p. 14 de la
préface (janvier 1990), Nouvelle édition revue et
corrigée, 2002, p. 14.
Page 56 | 86
demain, ne soit pas tant optimisé, mais avant tout
avisé. L'image d'archive de famille n'étant pas censée
devenir publiquement appréhendée par ses semblables, elle est une
source de secret et de vérité que nous devons, non pas tant
affronter, mais davantage inquiéter.
Les images sont une partie intégrante dans
l'élaboration de notre conception du monde, mais elles n'en sont pas les
seules médiatrices. Les images d'archives de famille associées
à la pratique du racontage permettent à ces cinéastes, de
restaurer une partie du passé afin de l'ancrer dans notre
réalité présente. Depuis la fin des deux conflits
mondiaux, jusqu'à nos jours, nous pouvons supposer des innombrables
images d'archives qui demeurent sous l'emprise d'un discours dominant.
Pourtant, « l'Histoire n'est donc pas seulement celle que décide
les puissants, elle est tout autant affaire de résistance
précisément au sens large du terme dans le cadre d'un destin
commun100 ». Il est vrai que semblable au travail de la
cinéaste Giulia Casagrande, des images du passé peuvent et se
doivent d'exister dans le présent de notre actualité. Il est
sujet autant d'une libération, que cette dernière soit d'ordre
intime que politique. C'est ainsi que cette « collusion entre l'intime et
le public porte le réalisateur à étudier
l'événement101 ».
Nous observons cette démarche dans le film Being
you, being me (2013), de la cinéaste Alexandra Kaufmann. Depuis son
accident, le frère de la cinéaste évolue dans un monde
particulier, il ne communique plus avec son environnement. La cinéaste
utilise ses films de famille afin de remonter le fil du temps, et de comprendre
la constitution de l'identité de son frère à travers son
expérience des événements. Nous suivons ainsi Johannes
entre son travail à la chaîne et les images d'actualités
qui le stimule devant son poste de télévision. Lors d'une
séquence, nous suivons la cinéaste et son frère lors d'une
visite dans un centre de charité. Nous observons Johannes devant la
fenêtre, il bouge ses mains afin d'imiter le mouvement des feuilles d'un
arbre.
100 Brunet Catherine, Le monde d'Ettore Scola, la
famille, la politique, l'histoire, Paris, Harmattan, 2012, p. 255.
101 Op. cit. Brenez Nicole, Cinéma
libertaires, Au service des forces de transgression et de révolte,
p. 313.
Page 57 | 86
Nous ignorons à peu près tout du jeu qui se
déroule réellement entre la main et le métal, à
plus forte raison des changements qu'introduit [...] nos diverses humeurs.
C'est dans ce domaine que pénètre la caméra. [...] Pour la
première fois, elle nous ouvre l'accès à un inconscient
visuel, comme la psychanalyse nous ouvre l'accès à l'inconscient
pulsionnel102.
C'est une image en miroir qui se trouve fendue. La
transmission de l'expérience est un processus qui s'avère
complexe. Nous retrouvons cet état de fait dans le plan suivant, tandis
que Johannes tente de se servir d'une caméra dans le dessein de
participer à la progression de son expérience du monde. Le cas du
frère de la cinéaste est comparable à celui des hommes de
famille au lendemain des deux grandes guerres. Bien qu'il ne soit pas atteint
de mutisme, son expérience est avant tout intériorisée. La
cinéaste prend les traits de la raconteuse et tente de créer un
récit oscillant entre le fantastique et l'anecdote d'une histoire
intime, afin de capter l'attention de son frère. Lors d'une
séquence de famille, tous et toutes sont réunis devant
l'écran de projection. Ils sont autour d'une table, la pièce est
éclairée par la lumière du rétroprojecteur. Les
moments de la vie de Johannes y défilent. Elles sont commentées
par les membres de la famille. Les images d'archives de familles sont
accompagnées par la voix de sa soeur cinéaste, qui relate les
anecdotes se rapportant à Johannes lorsque celui-ci est
représenté en bas-âge. Nous pouvons l'entendre fredonnant
une comptine. Ce plan est mis en parallèle avec les images d'archives de
son papa, pendant que celui-ci manipule son matériel
média-photographique. La famille de la cinéaste tente de
constituer l'expérience de Johannes par les images d'archives de
familles, ainsi que par les anecdotes de son enfance. Elle tente d'inciter le
jeune homme à fabriquer sa propre actualité, puisque les archives
de famille ont cette faculté de communicabilité d'un individu
vers sa communauté.
Il est vrai, que nous retrouvons le motif d'un destin commun
ainsi que d'une expérience en possible devenir. Les images en rapport
à l'enfance instituent un univers de nostalgie, sans pour autant
établir une corrélation avec l'individu dans le présent du
film. Il est dès lors sujet d'observer en parallèle, les effets
d'un ralentissement voire d'une absence d'expérience auprès d'un
individu. Il s'agit d'en explorer les conséquences pour ses
contemporains. Nous pouvons à cet effet « affronter sa dynamique
[...] dans les
102 Op. cit. Benjamin Walter, L'oeuvre d'art
à l'époque de sa reproductibilité technique, p.
44.
Page 58 | 86
interstices des expériences visuelles les plus diverses
qui parcourent une histoire du regard103». Nous ne pouvons
insinuer que nous sommes en présence d'une régression de
l'individu dans son processus d'acquisition expérientielle du monde qui
l'environne ; mais davantage d'en établir une corrélation avec
celle transmise par procuration à travers les images d'archives de
famille. La cinéaste parvient à créer de nouvelles images
afin de capter l'attention de son frère. En dépit de sa position
de raconteuse de famille, c'est à elle de s'approprier l'univers de son
frère ainsi que de ses images mentales. Cela dans le dessein de les
concrétiser dans le présent du film. Du fait de la pratique
média-photographique, nous avons la capacité d'élaborer
notre expérience, en ce sens d'établir une exploration. Si
Johannes a été victime d'un traumatisme physique dans son
enfance, c'est devenu adulte qu'il ne parvient plus à consolider son
expérience entre le passé et le présent. Il est semblable
à ce raconteur perdu dans une actualité de
l'immédiateté. Il est ainsi égaré parmi ses propres
images mentales.
De plus, si la raconteuse de famille peut avoir ce pouvoir
résurrectionnel de convoquer la mort et la maladie dans le même
instant par le film, elle se doit de trouver un compromis entre ces nouvelles
images et celles du passé. Le terme « trauma » provient de la
linguistique germanique, il signifie le passage dans le monde du rêve.
Autrement explicité, il est question d'un instant de latence. Dans ce
cas précis, l'expérience demeure en sommeil. Qui plus est, nous
retrouvons cette structure de verre vis-à-vis de laquelle la raconteuse
de famille se doit de se confronter, avec une incessante conviction. Elle se
doit d'arracher les rideaux occultant la vision du monde d'un enfant de
famille. Johannes ne parvient plus à utiliser son expérience dans
le dessein de la transmettre, dans la mesure où il n'a plus la
conscience de son propre passé. Il se trouve dans l'impossibilité
de verbaliser la structure sociétale dans laquelle il évolue. La
cinéaste Alexandra Kaufmann, est à son tour aux prises avec ce
« retour de l'archive104 », bien que celle-ci semble
éprouver une certaine émotion à visionner ses instants de
famille avec son jeune frère. Elle nous indique de l'importance à
appréhender ces instants du passé, comme autant d'indices afin de
faire cohabiter une histoire de l'individu avec celle du collectif. C'est
à
103Arnoldy Édouard, À perte de
vues. Images et « nouvelles technologies », d'hier et
d'aujourd'hui, Paris, Éditions Labor, 2005, p. 26.
104 Op. cit. Farge Arlette, p. 19.
Page 59 | 86
partir d'un récit intime que la raconteuse de famille
tisse une toile faite de récit et d'anecdotes. Elle tente
d'établir « de manière utile, solide et unique, la
matière première des expériences, que ce soient les
siennes ou celles d'autrui105». Le film par son absence d'une
codification formelle préétablie agit comme un objet
réflexif et malléable, à propos de représenter le
monde qui nous entoure. Le dispositif cinématographique peut devenir
dès lors ce point de contre-balancement car il permet de discourir sur
la nature même de l'expérience. Il nous permet ainsi d'avancer
l'hypothèse que la « pensée du méditatif est donc
placée sous le signe du ressouvenir106» ainsi que d'un
« savoir humain est fragmentaire107». La cinéaste
questionne la naissance d'une image par l'utilisation de sa voix. Celle-ci
conjugue tout à la fois des instants nostalgiques en relation avec le
présent, que de la relation d'un individu avec sa communauté,
puisque que « ces cinéastes remettent en jeu notre présence
et notre croyance au monde, la vérité du
réel108».
105 Benjamin Walter, « Le conteur », Dans OEuvres
III, Paris, Gallimard, 2000, p. 150.
106 Benjamin Walter, Paris, capitale du XIXe siècle
: le livre des passages, Paris, Éditions du Cerf, 1993, pp.
384-385.
107 Idem.
108 Niney François, L'Épreuve du réel
à l'écran, Bruxelles, De Boeck, 2002, p. 297.
Page 60 | 86
Concernant ce second chapitre, nous relevons ces
éléments. Tout d'abord, la pratique média-photographique
contemporaine, plus spécifiquement dans le domaine
cinématographique à permis à la parole de famille de
prendre un statut tout particulier. En effet, ce sont les filles et petites
filles de famille qui se réapproprient les images d'archives de familles
afin de mettre en discussion l'actualité contemporaine. Nous assistons
à l'émergence d'une volonté de faire exister le
témoignage des femmes de familles, afin de pérenniser une
transmission du récit. Cela ayant pour résultante de mettre au
jour, une histoire souterraine, mais aussi d'inquiéter notre
société présente, concernant notre lecture des images,
tant dans le domaine social que politique. Nous relevons également que
l'expérience se peut être étudiée,
élaborée et préservée à travers un mouvement
permettant une coexistence entre des images d'archives de famille et celles
issues de notre présent. La voix peut dès lors être
appréhendée comme un document d'archive en devenir, pour les
générations futures. C'est un univers singulier qui est
élaboré par la parole des femmes de familles, se muant en
raconteuses auprès de leurs contemporains. Ces dernières
convoquent la mort et la maladie dans le même instant du film, dans le
dessein d'élaborer un dialogue entre des mouvement de vies intimes et la
société d'individu qui en prend connaissance.
Page 61 | 86
Page 62 | 86
CONCLUSION.
Tout du long de cette recherche il a été
question de nous interroger dans une première intention de la
considération des images d'archives de famille, notamment à
travers l'étude de la pratique média-photographique. Nous pouvons
relever à cet effet, que nous sommes en présence d'un objet de
recherche protéiforme, en ce sens, où celui-ci a connu une
évolution marginale au sein d'un mouvement historiographique
complexe.
En effet, nous avons observé que la pratique
média-photographique de famille se trouve à la jonction d'une
idéologie janusienne. D'une part, nous avons observé une
idéalisation de l'image familiale comme se devant de démontrer de
la grandeur d'une nation. Puis, d'autre part, que celle-ci était
également porteuse d'une parole davantage souterraine, et à
l'encontre d'un discours dominant. Il est vrai que ces images se doivent
d'être interrogées par et pour la société actuelle
afin de révéler, une composante historique éludée
par les détenteurs du pouvoir. Cela concerne celles et ceux qui nous
permettent de dévoiler d'une histoire invisible mais présente,
calfeutrée, derrière chacun des événements qui ont
constitués notre passé. Il est dès lors d'un enjeu
d'étudier ces images d'archives comme étant des indices comme
autant de sentiers, que nous devons empruntés dans le dessein d'obtenir
une vision la plus détaillée, mais surtout la plus
complète possible de notre mémoire collective.
Qui plus est, nous avons constaté dans une seconde
intention que les pratiques artisanales tels les albums de famille, mais aussi
du racontage était au fait d'une résurgence parmi la
société contemporaine. Ces pratiques avaient été
mises au banc de l'élaboration de notre patrimoine, de part une attitude
d'évitement envers des événements traumatiques à
l'échelle mondiale. Nous avons établi à travers cette
recherche que l'individu, par suite des deux conflits mondiaux, s'en
était remis à l'aspiration d'un monde sous le contrôle de
la technique. La reproduction en série, ainsi que l'industrialisation de
masse aussi bien des images que de la propriété, avaient
supplantés, en lieu et place, d'une transmission d'une
expérience. C'est dans le dessein de pallier la perte de notre
faculté à transmettre un récit, que l'humanité
s'était engagée dans une approche sisyphéenne de
l'histoire. Désormais, à mesure que nous avancions vers notre
avenir, nous ne regardions plus le passé comme étant de l'ordre
d'un éducateur se devant de nous prémunir des catastrophes
pouvant se reproduire. Nous avons constaté à travers
Page 63 | 86
notre recherche de l'aliénation de l'homme de famille,
qui tenta de pallier son incapacité à transmettre son
récit d'expérience, au point de se perdre parmi ses propres
images de famille. Cela ayant eu pour effet coercitif d'institutionaliser une
distance envers les autres membres de sa communauté familial. Qui plus
est, par suite de la destruction des villages et des individus les peuplant,
nous avons été confrontés à une perte
inégale de l'expérience humaine ainsi que de la tradition du
raconteur.
De plus, cela a eu pour conséquence d'établir
une constatation contemporaine, concernant le fait suivant. Nous étions
confrontés à la résurgence d'images d'archives de familles
dénuées de discours les accompagnants. Cela nous a
révélé du conditionnement opérant auprès des
générations dont nous faisons partie, de ne pas se
préoccuper du passé par le regard d'un individu mais davantage du
collectif. Notre recherche nous a révélé de la
nécessité par la pratique média-photographique de nous
réapproprier ces images d'archives de famille dans une volonté
d'établir une histoire commune et juste. Les documents pouvant les
accompagner comme étant jugés de second d'ordre par une
application méthodiste de l'histoire, peuvent nous permettre
d'établir des correspondances entre les individus, dans le dessein de
tenter d'abolir une frontière entre le puissant et l'oublié. Bien
que nous ayons porté à l'attention de nos lecteurs, que ces
images étaient avant tout de l'ordre de l'intime dans une
première mesure. Elles peuvent si elles sont accompagnées d'une
parole, de construire un univers à part entière entre les
communautés humaines.
En effet, comme nous l'avons également observé,
les nouvelles générations de cinéastes tentent de
reconstituer une histoire universelle à partir des images de familles.
Elles sont majoritairement des filles et petites filles de famille
désireuses de perpétuer la tradition d'une transmission de
l'expérience. Ces anecdotes d'un vécu somme toute personnel, qui
pourtant nous enseignent sur le devenir de la perception humaine liée
à un événement commun. La pratique du racontage si elle
n'est plus l'apanage des hommes de famille, est devenue celle des femmes de
famille. Dès lors que la transmission fut abolie par la décision
humaine de s'en remettre au progrès, dans l'acception d'une
perpétuelle ascension des sociétés. Le principe de
tradition a été considéré comme étant
antinomique des valeurs promues par l'ère de l'homme moderne. En effet,
celle-ci nous permet de
Page 64 | 86
convoquer dans un même temps la mort et la maladie. La
tradition tient sa naissance et sa pérennité auprès des
lieux éloignés de l'autorité. Elles nous enseignent non
plus le renoncement ; pas plus qu'une condition native de demeurait des
sempiternelles vaincus. Bien au contraire, elle nous éduque à
constater, voire devancer d'une perte de l'expérience. Il est vrai, que
nous avons établi que l'individu s'était réfugié
dans un monde de verre, le préservant ainsi lui semblait-il, de toute
remémoration du passé, autrement que par une méthode
chronologique et systématisée. Toutefois, nous avons
constaté que cette structure est tacitement nécessaire. Bien que
celle-ci nous contraigne a sans cesse porter notre regard vers l'avenir et non
le passé et ses ruines. Il est vrai que les sociétés
humaines étaient dans ce besoin de retrouver une structure, au lendemain
d'une destruction sans pareille des corps et des esprits.
Cependant, c'est par cette contradiction que nous avons
élaborer notre réflexion autour de l'avènement de la
raconteuse au coeur de notre société. Il est venu le temps de ces
femmes de familles de prendre la caméra, de s'approprier la technique
des images en mouvement dans le dessein de nous amener parmi un univers dans
lequel co-existe la parole et les images d'archives de famille. Ce sont parmi
des fragments de vies, d'images et de mots, qu'une histoire alternative prend
corps et voix. Elles sont ces raconteuses qui interrogent celles et ceux qui
nous ont précédés. Nous avons remarqué au cours de
notre recherche, qu'elles prêtent leur voix afin de redonner vie, le
temps d'un film, à ses mères, ses grands-mères, dont le
témoignage nous permet de nous inquiéter de notre avenir.
Qui plus est, il est apparu que cela peut nous permettre
d'envisager la pratique d'une autre histoire, de connivence avec notre
actualité. Nous sommes au fait d'une immédiateté de
l'information, pourtant, c'est la construction progressive d'un récit
autour des images d'archives de famille que permet une expérience
pérenne pour les générations à venir. Nous pouvons
admettre la parole comme se pouvant être un document archivistique
singulier, dès lors que celle-ci est établie dans un rapport avec
les images d'archives de famille.
La perdition d'un récit de la jeunesse
d'après-guerre a engendré une nostalgie d'un temps, non du moins
perdu que davantage absent. De ce fait nous pourrions, dans le
Page 65 | 86
prolongement de notre recherche, accentuer notre
démarche concernant une approche dialectique entre les images d'archives
de famille et la perte de l'expérience dès l'enfance pour un
individu. Autrement énoncé, il serait question de nous
questionner sur comment l'enfance peut devenir à son tour un
témoignage de l'expérience humaine. À cet effet,
l'imaginaire du conte, entre la parole énoncée et celle
chantée, à travers les chants partisans ne peuvent-elles
être mises en corrélation de la volonté souterraine de nous
renseigner sur notre devenir comme énonciateur d'expérience ?
Cette nouvelle mise en forme de l'histoire entre la parole de la raconteuse de
famille et les images d'archives par l'outil média-photographique. Ne
nous interrogerait-elle pas concernant notre perception d'une nouvelle
réalité historique par l'utilisation de la pratique du racontage
de famille ?
De plus, l'approche archéologique liée aux
images d'archives de famille peut possiblement approfondir davantage le rapport
entre la technique, et la restitution d'une historie souterraine. Il est vrai,
que nous pouvons nous questionner également sur la propension d'un
discours dominant à catégoriser les membres d'une famille comme
véhiculant, malgré eux, une prédétermination d'une
expérience conditionnée depuis l'enfance. Il serait question
également d'aborder plus en détail la portée de ces
nouvelles traditions de transmission du récit, au sein de la pratique
média-photographique contemporaine. Cela notamment en rapport à
un statut en devenir de l'outil cinématographique, comme devant
être étudié en tant que générateur
d'expérience singulier. Qui plus est, c'est à travers l'analyse
de séquences filmiques, que nous pouvons avancer le fait suivant. Cette
nouvelle approche, qui concerne les images d'archives de famille
associées à une pratique de la raconteuse de famille se
développe pour l'essentiel dans le cinéma italien. Les films qui
abordent cette méthode sont principalement des productions italiennes.
De ce fait, cela ne peut être considéré comme tenant d'une
donnée aléatoire, lorsque nous sommes au fait que la famille et
le cinéma italien évoluent en coexistence de la relecture d'une
histoire souterraine. Soit une pensée toute particulière
liée aux archives de famille ainsi qu'à la transmission de
l'expérience. Celle-ci se doit dans le prolongement de notre recherche
à venir d'être un objet d'attention indéniable.
En effet, c'est à l'issue de notre recherche, que les
films des cinéastes Alina Marazzi et Giulia Casagrande se sont
avérés complémentaires. Toutefois, il nous paraissait
Page 66 | 86
primordial d'étudier un ensemble de propositions
cinématographiques afin de nous assurer du bien-fondé d'une
étude davantage centrée sur le travail de ces deux
cinéastes.
De ce fait, dans la continuité de notre propos, nous
allons nous orienter sur la thématique de l'enfance pendant la
période de l'après-guerre et du fascisme. En l'occurrence,
comment la figure de l'enfance d'après-guerre est-elle
révélatrice d'un enjeu concernant l'étude d'un hors-champ
de l'Histoire ? Mais également dans quelle mesure, nous pouvons
étudier le motif de la représentation du corps de la femme
à travers la pratique média-photographique de famille ? La parole
comme médiatrice entre les images d'archives de famille et une histoire
collective, peut-elle devenir révélatrice d'une lutte souterraine
envers un discours propagandiste véhiculé par l'imagerie moderne
?
Page 67 | 86
Page 68 | 86
BIBLIOGRAPHIE.
· Cinéma et famille. Ouvrages imprimés
:
- Brunet Catherine, Le monde d'Ettore Scola, La famille,
la politique, l'histoire, Paris, Harmattan.
- Odin Roger (sous la direction de), Le film de famille,
usage privé, usage public, Paris, Meridiens Klincksieck, 1995.
· Autour de la question de la représentation de
la famille au cinéma. Article de revue issue d'un périodique
en ligne :
- Sapio Giuseppina, « Le film de famille :
représentations collectives mise en récit et subjectivisation
», Revue Politiques de communication, Dossier Psychanalyse,
socioanalyse, printemps 2017, N°8, 22 pages.
URL :
https://www.cairn.info/revue-politiques-de-communication-2017-1-page-27.htm
[ Consultation le 16 octobre 2021].
- Sfez Géraldine, « Le bonheur en images :
puissance et réactivation d'un cliché » avec Sarah Troche,
dans The Images and the autonomy of their conflicts : between subtle
emanation and viral-virtal disturbance, sous la direction de José
Quaresma, Faculté des Beaux-arts, Lisbonne, 2020, pp. 49-69.
URL :
https://www.academia.edu/45641153/Les_images_du_bonheur_puissance
et circulation dun clich%C3%A9 [ Consultation le 18 janvier 2022].
- Jonas Irène, « L'interprétation des
photographies de familles par la famille », Sociologie de l'art,
2009/1, pp. 53 - 70.
URL :
https://www.cairn.info/revue-sociologie-de-l-art-2009-1-page-53.htm
[Consultation le 07 janvier 2022].
Page 69 | 86
· Analyse images fixes et en mouvements. Ouvrages
imprimés :
- Barthes Roland, La chambre claire, notes sur la
photographie, Gallimard, (coll) Cahiers du cinéma, 1990.
- Brenez Nicole, Cinéma libertaires, Au service
des forces de transgression et de révolte. Arts du spectacle -
Images et sons. Septentrion. Presses universitaires, 2015.
- Le Maître Barbara, Entre film et photographie,
Essai sur l'empreinte, Paris, Presse Universitaires de Vincennes, 2003.
- Martin Jessie, Décrire le film de cinéma
: au départ de l'analyse, Paris, Presse Sorbonne Nouvelle, 2011.
· Images et Histoire.
Approche historique. Ouvrages imprimés :
- Arnoldy Édouard, À perte de vue, Images
et « nouvelles technologies » d'hier et d'aujourd'hui, Paris,
Édition Labor, 2005.
- Bazin Philippe, Pour une photographie documentaire
critique, Paris, Créaphis Éditions, 2017.
- Bellour Raymond, L'Entre-images, Paris, La
Différence, coll. « Les essais », p.
14 de la préface (janvier 1990), Nouvelle édition
revue et corrigée, 2002.
Page 70 | 86
- Benjamin Walter, Images de pensées, «
Fouilles et souvenirs », Paris, Christian Bourgeois, 1998.
- Benjamin Walter, « L'oeuvre d'art à
l'époque de sa reproductibilité technique »
[dernière version de 1939], OEuvres III, Paris, Gallimard,
2000.
- Blümlinger Christa, Lire entre les images, L'essai
et le cinéma, sous la direction de Liandrat-Guigues Suzanne et
Gagnebin Murielle, Paris, Éditions Champ Vallon, 2004.
- Brunet François, La photographie : histoire et
contre-histoire, Paris, PUF, 2017
- Brunet François, La naissance de l'idée de
photographie, Paris, PUF, 2000. - Didi-Huberman Georges,
Éparses, Paris, Les éditions de minuit, 2020. - Niney
François, L'Épreuve du réel à
l'écran, Bruxelles, De Boeck, 2002. - Ricoeur Paul, La
mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000.
- Weigel Sigrid, Benjamin Walter, La créature, le
sacré et les images, trad. Marianne Dautrey, Édition
Mimésis, coll. « Images, médiums », 2021.
Article de revue en ligne :
- Péchenet Mathieu, « Philippe Bazin, Pour une
photographie documentaire
critique, Paris, CREAPHIS, "Poche", 2017 », 1895,
n°84, printemps 2018. DOI :
https://doi.org/10.4000/1895.6134
[ Consulté le 03 octobre 2020].
Page 71 | 86
· Histoire critique.
Dans le domaine cinématographique. Ouvrages
imprimés :
- Arnoldy Édouard, Fissures, Théorie critique
du film et de l'histoire du cinéma d'après Siegfried Kracauer,
Milan-Paris. Éditions Mimésis, coll. « Images,
Médiums », 2018.
- Arnoldy Édouard, De la nécessité
du film, notes sur les exclus de l'histoire du cinéma, Paris,
Éditions Mimésis, coll. « Images, médiums »,
2021.
- Despoix Philippe, « Une histoire autre »,
in Philippe Despoix, Peter Schottler (dir.), Siegfried Kracauer,
penseur de l'histoire, Montréal, Presses de
l'université de Laval, 2006.
- Dulac Germaine, Qu'est-ce que le cinéma ?
(Dir.) Lafite Clément, Williams Tami, Paris, LightCone, 2019.
- Farge Arlette, « écriture historique,
écriture cinématographique », in De l'histoire au
cinéma, sous la direction d'Antoine De Baecque Christian Delage,
Éditions Complexe, Coll. « Histoire du temps présent »,
1998.
- Ferro Marc, Cinéma et Histoire, Édition
Folio Histoire, Paris, 1993.
- Ginzburg Carlo, Le fromage et les vers. L'univers d'un
meunier frioulan du XVIe siècle, Paris, Aubier, 1980.
(Édition originale en 1976).
Page 72 | 86
- Ginzburg Carlo, «Spie, Radici di un paradigma
indiziamo», Édition originale de 1979. La traduction
française, « Signes, traces pistes, racines d'un paradigme de
l'indice », Le Débat, n°6, 1980, pp. 3- 44.
- Kracauer Siegfried, Théorie du film, La
Rédemption de la réalité matérielle, Paris,
Flammarion, 2010.
- Kracauer Siegfried, l'Histoire des avant-dernières
choses (1969), Paris, Stock,
2006.
- Rancières Jacques, « L'historicité du
cinéma », in De l'histoire au cinéma, Bruxelles,
Édition Complexe, 1998.
- Arnheim Rudolph,
trad.fr, à partir de
l'édition anglaise définitive de 1958, Le cinéma est
un art, Paris, L'Arche, 1989.
- Valéry Paul, « La crise de l'esprit »
extrait de « Europe de l'antiquité au XXe siècle »,
collection Bouquins, Édition Robert Laffont, 2000.
- Thébaud Françoise, « Introduction »,
in Histoire des femmes en Occident, sous
la direction de Georges Duby et Michelle Perrot, Le XXe
siècle, tome V, Édition Plon, 1992.
Article de revue périodique :
- Pasolini Pier Paolo, « Le sentiment de
l'histoire », traduit par Hervé Joubert-Laurencin,
dans Traffic numéro 73, printemps 2010.
Page 73 | 86
- Berdet Marc, « Chiffonnier contre flâneur.
Construction et position de la Passagen arbeit de Walter Benjamin »,
Archives de philosophie, n°75, 2012/3, p. 427.
· Concernant les archives.
Approche historique théorique. Ouvrages imprimés
:
- Farge Arlette, « Marginalités, Concepts et
débats », sous la dir de C. Delacroix, F. Dosse, P. Garcia, N.
Offenstadt, Paris, Folio, coll. « Inédit Histoire », vol 1,
2010, p 491 - p 501.
- Farge Arlette, Le goût de L'archive, Paris,
Le point, coll. Histoire, 1999.
- Farge Arlette, Essai pour une histoire des voix au
dix-huitième siècle, Paris, 2009.
- Veray Laurent, Les images d'archives face à
l'Histoire : de la conservation à la création, Paris,
Canopé, 2011.
· Sur la question du remploi d'images d'archive. Article de
revue : en ligne.
- Albera François, « La chute de la dynastie Romanov
: de E. Choub à C. Marker », Cairn, RDIC| Matériaux pour
l'histoire de notre temps, n° 89-90, (2008), p 20-29. URL :
http://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notretemps-2008-1-page-20.htm
[Consulté le 17 novembre 2021].
- Brenez Nicole, « Montage intertextuel et formes
contemporain du remploi dans le cinéma expérimental »,
Cinémas : revue d'études cinématographiques, vol.
13, n° 1-2, 2002, p. 49-67. URL:
http://id.erudit.org/iderudit/007956ar
[Consulté le 24 octobre 2021].
Page 74 | 86
- Habib André, « Archives, mode de
réemploi. Pour une archéologie du found footage »,
Cinémas, Volume 24, Numéro 2-3 Printemps 2014, p. 97-
122. URL :
https://id.erudit.org/iderudit/1025150ar
[Consulté le 04 octobre 2021].
- Winand Annaëlle, « Archives et réemploi
dans les films expérimentaux », Archives, vol 46, N° 1,
(2021), 12p.DOI :
https://doi.org/10.7202/1035721ar
[Consulté le 22 octobre 2021].
· Le conteur, récits et anecdotes. Ouvrage
original en version imprimée :
Selon et autour de l'approche de Benjamin Walter.
- Benjamin Walter, « Le conteur » [dernière
version de 1939], OEuvres III, Paris, Gallimard, 2000.
- Benjamin Walter, Expérience et pauvreté,
suivi de Le conteur et la Tâche du traducteur, Paris,
Éditions Payot & Rivages, coll. Petite Bibliothèque Payot,
2011.
- Géry Catherine, Leskov, Le conteur,
réflexions sur Nikolai Leskov, Walter Benjamin et Boris Eichenbaum,
Paris, Classiques Garnier, 2015.
Autour de la thématique du raconteur.
- Barbusse Henri, Le feu, Paris, éditions
Flammarion, 1916.
- Leskov Nikolai, Le voyageur enchanté,
précédé de Le raconteur par Walter Benjamin,
Barcelone, Payot-rivages, 2011.
Page 75 | 86
· Page 76 | 86
L'élaboration de la figure de la raconteuse.
Ouvrage original en version imprimée :
La figure de l'ange :
- Benjamin Walter, Sur le concept d'Histoire, Paris,
Gallimard, 2003. La figure de la martyre :
- Baudelaire Charles, Les fleurs du mal, « Une
Martyre, dessin d'un maître inconnu », Éditions
condamnée de 1857, Paris, La petite Vermillon, 1997.
- De Coulanges Fustel, La cité antique,
étude sur le Culte, le Droit, les
Institutions de la Grèce et de Rome, Cambridge
Univesity Press, 2010.
- Hugo Victor, « Écrit sur la plinthe d'un
bas-relief antique -. À mademoiselle Louise B » in Les
contemplations, Édition de Ludmila Charles-Wurts, Paris, Le livre
de poche, 2022.
· La voix au cinéma.
Ouvrage en version imprimée :
- Boillat Alain, Du Bonimenteur à la voix-over,
Lausanne, Éditions Antipode,
2007.
- Châteauvert Jean, Des mots à l'image. La voix
over au cinéma, Paris-Québec, Éditions
Méridiens Klincksieck / Nuit blanche, 1996.
Page 77 | 86
FILMOGRAPHIE.
·
Page 78 | 86
Corpus principal.
- Un' ora sola ti vorrei, Marazzi Alina, Italie,
2002.
- Clara e le vite immaginarie, Casagrande Giulia,
Italie, 2019.
· Corpus complémentaire concernant
:
· L'aliénation de l'homme par la machine.
- Doppelgänger, Taschenk Michaela, Allemagne -
Italie, 2019.
· Des images d'archives sans paroles.
- 66 moon questions, Latzon Jacqueline, Grèce,
2021. - La Famiglia, Ettore Scola, 1987, Italie, 1987.
· Pour la pratique d'une autre Histoire.
- Lui e lo, Cosentino Giula, Italie, 2019.
· La parole de famille comme archive.
- Correspondencia, Simon Carla, Castillo Sotomayor
Dominga, Espagne, Chili, 2020.
· L'expérience inexploitée.
- Being you, Being me, Alexandra Kaufmann, Italie,
2013.
Page 79 | 86
ANNEXES.
Résumé de l'entretien en date du 17 mars 2022,
avec Giulia Casagrande réalisatrice du film, Clara e le vite
immaginarie, Italie, 2019.
· Le processus de conception du
film.
« Il n'y a pas eu de films déclencheurs dans la
mesure où nous somme seules au moment de la découverte de cette
photographie dans le salon de famille. Il fallait que je comprenne cette
photographie, que je recherche à raconter les hors-champs de cette
photographie. J'ai effectué des recherches historiques,
littéraires, et dans les films de famille ».
· L'enfance peut-elle devenir une archive ?
« Cette photographie a été prise pendant la
période du fascisme en Italie. Cela nous pose la question de la
représentation de l'enfance pendant cette période. Je n'avais pas
d'hors-champ concernant cette photographie. Je n'avais pas de film de famille,
juste les souvenirs de ma Grand-mère. Je devais me dépêcher
car elle perdait la mémoire. C'était une course contre le temps.
La transmission est importante pour comprendre notre histoire. Je devais
trouver de la documentation sur cette période. C'est avant tout
l'histoire d'une jeune fille pendant le fascisme. Ma grand-mère est
porteuse d'une histoire aussi bien personnelle que collective. Il y avait
également la question de la représentation du corps de la femme
pendant cette période. Moi, je n'avais pas de films de famille, je
recherchais à partir d'une image, d'un film sans mouvement, ma
démarche a été différente. Il faut libérer
l'archive de son cadre et questionner cet hors-champ de l'histoire ».
Page 80 | 86
|
|