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Une réponse anticapitaliste et antipatriarcale à la crise du livre


par Léa Haurie-Hontas
Université Paris 13 - Sorbonne Paris Nord - Master 2 Politiques éditoriales 2020
  

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2020-2021

Université Paris 13 -- Sorbonne Paris Nord
UFR des Sciences de la Communication
Master 2 Politiques éditoriales

Une réponse anticapitaliste et antipatriarcale

à la crise du livre

Sous la direction de Catherine Laulhère

Université Paris 13 -- Sorbonne Paris Nord 1

M2 Politiques éditoriales 2021 UFR des Sciences de la Communication

INTRODUCTION 2

I. ÉTAT DES LIEUX DE L'ÉCHEC DU FONCTIONNEMENT DE L'ÉDITION FRANÇAISE 5

A. LA SURPRODUCTION 5

B. EN PRATIQUE : PLUS-VALUE, DISCRIMINATION, OPPRESSION 15

C. CE QUE LE COVID-19 A FAIT À L'ÉDITION 28

II. IMAGINER D'AUTRES FONCTIONNEMENTS ÉDITORIAUX 32

A. LES PETITES STRUCTURES CAPITALISTES 32

B. LES STRUCTURES COOPÉRATIVES ET ASSOCIATIVES 34

C. LE MÉCÉNAT : PATREON ET AUTRES FORMES DE FINANCEMENTS PARTICIPATIFS 41

III. QUELQUES OUTILS POUR DEVENIR UNE ÉDITRICE ANTICAPITALISTE ET FÉMINISTE 47

A. PRENDRE DES ENGAGEMENTS ÉTHIQUES CONTRE DES PRIX COMPÉTITIFS 47

B. REDISTRIBUTION, RÉPARATION 54

C. LA NÉCESSITÉ D'UN FÉMINISME INTERSECTIONNEL 59

CONCLUSION 65

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d'édition indépendantes, créant ainsi de véritables multinationales. Toutes ces publications, qui augmentent chaque année, génèrent énormément de gaspillage des ressources naturelles, faisant fi des conséquences écologiques de ces pratiques.

a) Origines et organisation

Grâce à un rapide historique du marketing littéraire, nous pourrons identifier les moments marquants de la surproduction de livres depuis le xixeme siècle. Le système de prix littéraire contribue grandement à en produire en masse chaque année, et ce depuis plus d'un siècle, en plus de créer des conflits d'intérêts entre les différents acteurs. Enfin, le lien entre l'institution de l'Éducation Nationale et la surproduction dans le secteur scolaire constitue une particularité sur laquelle il est pertinent de se pencher.

Historique du marketing du livre et de ses points de vente

Au début du xixème siècle, on comptait à peine 2 800 nouveautés par an, et les tirages moyens s'élevaient à 2 000 exemplaires par titre ; à la fin du xixeme siècle, la production était passée à 14 000 nouveautés par an et les tirages moyens affichaient 11 000 exemplaires. En l'espace d'une génération, la production de livres s'est multipliée par cinq, répondant à l'alphabétisation grandissante de la population, et donc à l'augmentation du nombre de lectrices potentielles. L'amélioration des conditions de travail, et de vie en règle générale, a également permis l'apparition des nouvelles acheteuses. Depuis l'industrialisation de sa production, le livre a constamment évolué en tant qu'objet de consommation courante. Deux événements marquent cette évolution au xxème siècle : la reprise réussie du format de livre de poche par Hachette ; et l'invention du code-barres (et son apparition sur les couvertures des livres), comme signe de consommation de masse, car les livres sont désormais disponibles en grande surface.

La première grande surface culturelle spécialisée (GSS), Cultura, a été créée en 1954 ; elle deviendra l'enseigne connue aujourd'hui sous le nom de la Fnac (à ne pas confondre avec l'enseigne Cultura actuelle, qui a été lancée en 1998). Ce réseau compte à présent 140 points de vente en France et a réalisé un chiffre d'affaires sur le livre de 538 millions d'euros en 2018. Le déploiement des GSS, avec leurs systèmes de gestion des marchandises modernes (système informatique, davantage de ressources humaines, grande surface de stockage) a obligé les maisons d'édition à

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Les maisons d'édition se copient souvent les unes les autres, les segments les plus touchés étant les livres de cuisine, le développement personnel et les loisirs créatifs. La surproduction dilue l'offre d'ouvrages et baisse les gains générés par le livre. Le nombre moyen d'exemplaires vendus a été divisé par deux et cela amoindrit les rémunérations des autrices. Les seuls acteurs qui bénéficient de ce cercle vicieux sont les diffuseurs qui vivent grâce aux transports des livres (les livraisons et les retours des libraires), et les directeurs éditoriaux qui encouragent activement à « remplir » le programme éditorial chaque année, dictant des quotas de parution imposés.

L'ancien président du SNE s'est radicalement opposé au ralentissement de la publication littéraire. Antoine Gallimard, à peine 2 semaines après la publication du rapport Racine (qui mettait en cause la surproduction littéraire dans la paupérisation des autrices), prenait la tribune dans Le Monde pour affirmer que « nous ne nous résignerons jamais à une société qui choisit de publier moins pour lire moins29 ». En choisissant cette analogie spécifique, Gallimard associe clairement achat de livres neufs et quantité de lecture, sans se poser la question de la pertinence des catalogues, du contenu des livres publiés. La masse de livres produits est-elle réellement un synonyme d'excellence ? Si la qualité d'un écrit est subjective, elle répond tout de même à des codes littéraires qui sont ancrés dans les codes de la classe sociale dominante. Lorsque l'on considère la quantité d'ouvrages pilonnés chaque année, n'y a-t-il pas tout de même un chantier concernant le gaspillage des ressources ?

La surproduction littéraire est condamnée par tous, sans qu'aucun des grands groupes éditoriaux ne décide de freiner des quatre fers pour imposer des rythmes de travail moins pressurisant pour leurs collaboratrices. Car la conséquence de ces programmes éditoriaux qui se dotent de dix livres supplémentaires par an, c'est un métier qui devient de plus en plus exigeant, avec toujours moins de ressources. Être éditrice revient à être exploitée pour le bien de la santé financière d'une gigantesque structure, obéissant à des objectifs de ventes toujours plus élevés.

B. En pratique : plus-value, discrimination, oppression

Lorsque l'on parle d'exploitation de la salariée, on parle : d'expropriation de la force de travail (le salaire versé est largement inférieur à ce que la salariée rapporte à l'entreprise) ; de sexisme (écart

29 GALLIMARD, Antoine, « Antoine Gallimard : "Nous ne nous résignerons jamais à une société qui choisit de publier moins pour lire moins" », tribune sur le site Le Monde.fr, 6 février 2020.

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de salaire, phénomène du plafond de verre, harcèlement) et enfin, d'oppression (insultes, intimidation, homophobie, agressions sexuelles). Dans les bureaux des maisons d'édition, pendant les soirées des salons littéraires, au détour d'un mail, d'un couloir, d'une réunion, d'un déjeuner... les situations d'oppression sont partout. Nous chercherons à comprendre quelles sont les spécificités de cette exploitation pour les éditrices, les autrices et les prestataires qui évoluent dans l'industrie du livre.

a) Dans les maisons d'édition

Le travail d'éditrice est réputé difficile, parfois ingrat, notamment au début de sa carrière ; sans nommer les causes de cette idée reçue, on ne peut pas prendre conscience des ramifications de l'exploitation de l'éditrice sans parler de situations qui font partie du quotidien pour nombre d'entre nous.

Exploitation de la force de travail

Depuis le haut de l'échelle jusqu'en bas de la chaîne alimentaire : comment cette exploitation est-elle organisée ? Les faibles salaires des éditrices sont l'une des preuves les plus évidentes. Le salaire moyen pour une éditrice est compris entre 27 et 35 000 euros par an : un salaire qui permet tout juste de louer un studio de 20 m2 à Paris. Considérées comme cadres, elles pâtissent souvent d'un statut flexible dans le marché du travail : celui du « forfait-jour », une manière pour l'employeur de faire disparaître la notion d'heures « supplémentaires » avec le pointage des heures travaillées. Invoquant un rythme de production inégal sur l'année (les périodes hors sorties littéraires seraient soi-disant plus calmes par rapport aux périodes dites de « bouclage »"), ce rythme de parution ne correspond plus aux réalités du quotidien dans une maison d'édition, même en édition scolaire.

En 2019, la CGT UFICT (Union fédérale des ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise) avait répondu à l'annonce du rachat d'Editis par Vivendi sur Twitter, avec un tract affichant les rémunérations brutes du Président du Conseil de surveillance, qui s'étaient élevées à hauteur de 400 000 euros en 2018, réparties entre Vincent Bolloré et son fils, Yannick Bolloré.

30 On appelle « bouclage » la période de rendus de Bon À Tirer, souvent créatrice de stress puisque c'est l'aboutissement de plusieurs semaines ou mois de travail, et l'impression sur papier d'une somme de contributions diverses, dans un temps réduit.

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Sans compter les dividendes perçus au titre de leurs fonctions, ce montant est déjà 13 fois supérieur au salaire annuel d'une éditrice.

Surmenage et burn out vont de pair dans les maisons d'édition. De mon point de vue d'apprentie éditrice, cumulant un maigre total de trois ans et demi d'expérience professionnelle auprès de cinq entreprises différentes, je n'ai cependant jamais connu un environnement dans lequel aucune collaboratrice n'avait été en arrêt maladie pour burn out. En discutant avec mes collègues apprenties en M1 et en M2, dans mon master et dans les autres masters parisiens, dans ma promotion et celles des années précédentes, mon sentiment est largement partagé. Ironie tragique, beaucoup de maisons d'édition se sont lancées dans le secteur très attractif du « Développement personnel », publiant des livres sur la gestion du stress en entreprise et sur les causes du burn out, tout en continuant d'augmenter la cadence de publication de livres et de surcharger les programmes éditoriaux. Les sources spécifiques sur ces questions dans le secteur de l'édition sont encore très difficiles à trouver ; le tabou de cette maladie perdure, encore aujourd'hui.

Le nombre de stagiaires embauchées chaque année dans les maisons d'édition est très élevé. Dans certaines entreprises, les stagiaires peuvent représenter largement plus de 10 % de l'effectif total. Cela contribue à l'invisibilisation d'un travail réalisé par des étudiantes, grandement sous-payées pour leurs services. En 2021, l'indemnité minimum du stage est de 3,90 € par heure -- ou moins, lorsque l'entreprise décide d'imputer aux stagiaires déjà précaires la participation aux tickets-restaurants ou à la cantine d'entreprise. Mêmes privilèges, mêmes exigences qu'une salariée, mais pas le même salaire. La convention collective de l'édition ne préconise pas d'indemniser les stagiaires autrement qu'au minimum légal. Selon l'Insee, le seuil de pauvreté est fixé à 1 015 € par mois3' ; une étudiante future éditrice dispose donc d'un budget deux fois inférieur à ce qu'il est recommandé pour vivre décemment, si celle-ci ne peut pas compter sur l'aide financière ou matérielle de ses parents. L'écrasante majorité des opportunités de stages se trouvant à Paris, là où le coût de la vie est 9 % plus élevé qu'ailleurs en France32, ce parti pris du SNE est une des causes directes de la précarité des étudiantes. L'édition est par conséquent un métier inaccessible aux catégories de population les plus pauvres, qui ne sont pas en mesure d'accumuler des expériences professionnelles

31 Insee référence, « Tableaux de l'économie française, Édition 2018 », Niveau de vie -- Pauvreté, 27 février 2018.

32 CLÉ, Émeline, SAUVADET, Luc, JALUZOT, Laurence, MALAVAL, Fabien, RATEAU, Guillaume, « En 2015, les prix en région parisienne dépassent de 9 % ceux de la province », Insee Première, n°1590, 14 avril 2016.

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surreprésentées dans la littérature pour jeunesse54, pour laquelle les taux de rémunération en droits d'autrice sont les plus faibles (5 % environ) 55 »

Le sexisme se ressent aussi dans la part d'auteurs primés par rapport au nombre d'autrices. La première autrice récompensée par le Prix Goncourt, par exemple, l'a été en 1944, soit 41 ans après la création du prix. Le prix Femina a ainsi été créé en 1904, en réaction au prix Goncourt qui n'acceptait pas les manuscrits féminins. Le prix Femina dispose d'un jury composé à 100 % de femmes de lettres, « contre la misogynie des jurés du Goncourt », pour primer des oeuvres en vers ou en prose.

Si le métier d'éditrice est difficile, il ne l'est pas autant que celui d'autrice, qui souffre d'une double peine : la précarité de leur statut et le rapport de force imposé par les maisons d'édition. Les prestataires, quant à elles, évoluent avec les mêmes contraintes que les autrices, dans un rapport encore différent avec les entreprises éditoriales.

c) Faire pression sur les prestataires

Grâce à la naissance du statut d'auto-entrepreneur en France, les jeunes éditrices ou les jeunes diplômées se voient proposer des opportunités professionnelles sous la forme d'une uberisation de la fonction d'éditrice. Le climat social dégradé en maison d'édition et l'augmentation de la production littéraire d'année en année contribue à réduire la capacité des collaboratrices à tenir le planning éditorial. Pour externaliser la production, pouvoir assurer le travail sur tous les titres et dormir cinq heures par nuit, les éditrices salariées font appel à des éditrices freelance. Celles-ci sont payées à la page d'un projet éditorial ou, de manière cynique, au mois, comme une éditrice salariée mais sans les avantages de la sécurité de l'emploi, à savoir : une mutuelle d'entreprise, un contrat de travail, la médecine et le Code du Travail, des congés payées, etc. Paradoxalement, cette opportunité est souvent présentée en début de carrière, peut être très difficile car le peu de réseau d'une étudiante ou d'une jeune éditrice ne suffit pas souvent à vivre décemment. La filpac CGT dénonce cette pratique dans un communiqué en 2017. Dans une déclaration du secrétaire d'État chargé du commerce en 2010, il est indiqué que « les entreprises qui utiliseraient le statut d'auto-entrepreneur

54 Les femmes représenteraient près de 70 % des auteurs de littérature pour jeunesse (source : Charte des auteurs et des illustrateurs jeunesse).

55 RACINE, Bruno, « L'auteur et l'acte de création », ministère de la Culture, 22 janvier 2020, p.25.

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professionnelles demandées pour intégrer ce secteur sont de plus en plus nombreuses. Malheureusement, la crise sanitaire engendrée par la pandémie de Covid-19 a largement assombri les perspectives d'avenir des éditrices depuis mars 2020.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius