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Une réponse anticapitaliste et antipatriarcale à la crise du livre


par Léa Haurie-Hontas
Université Paris 13 - Sorbonne Paris Nord - Master 2 Politiques éditoriales 2020
  

Disponible en mode multipage

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    2020-2021

    Université Paris 13 -- Sorbonne Paris Nord
    UFR des Sciences de la Communication
    Master 2 Politiques éditoriales

    Une réponse anticapitaliste et antipatriarcale

    à la crise du livre

    Sous la direction de Catherine Laulhère

    Université Paris 13 -- Sorbonne Paris Nord 1

    M2 Politiques éditoriales 2021 UFR des Sciences de la Communication

    INTRODUCTION 2

    I. ÉTAT DES LIEUX DE L'ÉCHEC DU FONCTIONNEMENT DE L'ÉDITION FRANÇAISE 5

    A. LA SURPRODUCTION 5

    B. EN PRATIQUE : PLUS-VALUE, DISCRIMINATION, OPPRESSION 15

    C. CE QUE LE COVID-19 A FAIT À L'ÉDITION 28

    II. IMAGINER D'AUTRES FONCTIONNEMENTS ÉDITORIAUX 32

    A. LES PETITES STRUCTURES CAPITALISTES 32

    B. LES STRUCTURES COOPÉRATIVES ET ASSOCIATIVES 34

    C. LE MÉCÉNAT : PATREON ET AUTRES FORMES DE FINANCEMENTS PARTICIPATIFS 41

    III. QUELQUES OUTILS POUR DEVENIR UNE ÉDITRICE ANTICAPITALISTE ET FÉMINISTE 47

    A. PRENDRE DES ENGAGEMENTS ÉTHIQUES CONTRE DES PRIX COMPÉTITIFS 47

    B. REDISTRIBUTION, RÉPARATION 54

    C. LA NÉCESSITÉ D'UN FÉMINISME INTERSECTIONNEL 59

    CONCLUSION 65

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    d'édition indépendantes, créant ainsi de véritables multinationales. Toutes ces publications, qui augmentent chaque année, génèrent énormément de gaspillage des ressources naturelles, faisant fi des conséquences écologiques de ces pratiques.

    a) Origines et organisation

    Grâce à un rapide historique du marketing littéraire, nous pourrons identifier les moments marquants de la surproduction de livres depuis le xixeme siècle. Le système de prix littéraire contribue grandement à en produire en masse chaque année, et ce depuis plus d'un siècle, en plus de créer des conflits d'intérêts entre les différents acteurs. Enfin, le lien entre l'institution de l'Éducation Nationale et la surproduction dans le secteur scolaire constitue une particularité sur laquelle il est pertinent de se pencher.

    Historique du marketing du livre et de ses points de vente

    Au début du xixème siècle, on comptait à peine 2 800 nouveautés par an, et les tirages moyens s'élevaient à 2 000 exemplaires par titre ; à la fin du xixeme siècle, la production était passée à 14 000 nouveautés par an et les tirages moyens affichaient 11 000 exemplaires. En l'espace d'une génération, la production de livres s'est multipliée par cinq, répondant à l'alphabétisation grandissante de la population, et donc à l'augmentation du nombre de lectrices potentielles. L'amélioration des conditions de travail, et de vie en règle générale, a également permis l'apparition des nouvelles acheteuses. Depuis l'industrialisation de sa production, le livre a constamment évolué en tant qu'objet de consommation courante. Deux événements marquent cette évolution au xxème siècle : la reprise réussie du format de livre de poche par Hachette ; et l'invention du code-barres (et son apparition sur les couvertures des livres), comme signe de consommation de masse, car les livres sont désormais disponibles en grande surface.

    La première grande surface culturelle spécialisée (GSS), Cultura, a été créée en 1954 ; elle deviendra l'enseigne connue aujourd'hui sous le nom de la Fnac (à ne pas confondre avec l'enseigne Cultura actuelle, qui a été lancée en 1998). Ce réseau compte à présent 140 points de vente en France et a réalisé un chiffre d'affaires sur le livre de 538 millions d'euros en 2018. Le déploiement des GSS, avec leurs systèmes de gestion des marchandises modernes (système informatique, davantage de ressources humaines, grande surface de stockage) a obligé les maisons d'édition à

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    Les maisons d'édition se copient souvent les unes les autres, les segments les plus touchés étant les livres de cuisine, le développement personnel et les loisirs créatifs. La surproduction dilue l'offre d'ouvrages et baisse les gains générés par le livre. Le nombre moyen d'exemplaires vendus a été divisé par deux et cela amoindrit les rémunérations des autrices. Les seuls acteurs qui bénéficient de ce cercle vicieux sont les diffuseurs qui vivent grâce aux transports des livres (les livraisons et les retours des libraires), et les directeurs éditoriaux qui encouragent activement à « remplir » le programme éditorial chaque année, dictant des quotas de parution imposés.

    L'ancien président du SNE s'est radicalement opposé au ralentissement de la publication littéraire. Antoine Gallimard, à peine 2 semaines après la publication du rapport Racine (qui mettait en cause la surproduction littéraire dans la paupérisation des autrices), prenait la tribune dans Le Monde pour affirmer que « nous ne nous résignerons jamais à une société qui choisit de publier moins pour lire moins29 ». En choisissant cette analogie spécifique, Gallimard associe clairement achat de livres neufs et quantité de lecture, sans se poser la question de la pertinence des catalogues, du contenu des livres publiés. La masse de livres produits est-elle réellement un synonyme d'excellence ? Si la qualité d'un écrit est subjective, elle répond tout de même à des codes littéraires qui sont ancrés dans les codes de la classe sociale dominante. Lorsque l'on considère la quantité d'ouvrages pilonnés chaque année, n'y a-t-il pas tout de même un chantier concernant le gaspillage des ressources ?

    La surproduction littéraire est condamnée par tous, sans qu'aucun des grands groupes éditoriaux ne décide de freiner des quatre fers pour imposer des rythmes de travail moins pressurisant pour leurs collaboratrices. Car la conséquence de ces programmes éditoriaux qui se dotent de dix livres supplémentaires par an, c'est un métier qui devient de plus en plus exigeant, avec toujours moins de ressources. Être éditrice revient à être exploitée pour le bien de la santé financière d'une gigantesque structure, obéissant à des objectifs de ventes toujours plus élevés.

    B. En pratique : plus-value, discrimination, oppression

    Lorsque l'on parle d'exploitation de la salariée, on parle : d'expropriation de la force de travail (le salaire versé est largement inférieur à ce que la salariée rapporte à l'entreprise) ; de sexisme (écart

    29 GALLIMARD, Antoine, « Antoine Gallimard : "Nous ne nous résignerons jamais à une société qui choisit de publier moins pour lire moins" », tribune sur le site Le Monde.fr, 6 février 2020.

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    de salaire, phénomène du plafond de verre, harcèlement) et enfin, d'oppression (insultes, intimidation, homophobie, agressions sexuelles). Dans les bureaux des maisons d'édition, pendant les soirées des salons littéraires, au détour d'un mail, d'un couloir, d'une réunion, d'un déjeuner... les situations d'oppression sont partout. Nous chercherons à comprendre quelles sont les spécificités de cette exploitation pour les éditrices, les autrices et les prestataires qui évoluent dans l'industrie du livre.

    a) Dans les maisons d'édition

    Le travail d'éditrice est réputé difficile, parfois ingrat, notamment au début de sa carrière ; sans nommer les causes de cette idée reçue, on ne peut pas prendre conscience des ramifications de l'exploitation de l'éditrice sans parler de situations qui font partie du quotidien pour nombre d'entre nous.

    Exploitation de la force de travail

    Depuis le haut de l'échelle jusqu'en bas de la chaîne alimentaire : comment cette exploitation est-elle organisée ? Les faibles salaires des éditrices sont l'une des preuves les plus évidentes. Le salaire moyen pour une éditrice est compris entre 27 et 35 000 euros par an : un salaire qui permet tout juste de louer un studio de 20 m2 à Paris. Considérées comme cadres, elles pâtissent souvent d'un statut flexible dans le marché du travail : celui du « forfait-jour », une manière pour l'employeur de faire disparaître la notion d'heures « supplémentaires » avec le pointage des heures travaillées. Invoquant un rythme de production inégal sur l'année (les périodes hors sorties littéraires seraient soi-disant plus calmes par rapport aux périodes dites de « bouclage »"), ce rythme de parution ne correspond plus aux réalités du quotidien dans une maison d'édition, même en édition scolaire.

    En 2019, la CGT UFICT (Union fédérale des ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise) avait répondu à l'annonce du rachat d'Editis par Vivendi sur Twitter, avec un tract affichant les rémunérations brutes du Président du Conseil de surveillance, qui s'étaient élevées à hauteur de 400 000 euros en 2018, réparties entre Vincent Bolloré et son fils, Yannick Bolloré.

    30 On appelle « bouclage » la période de rendus de Bon À Tirer, souvent créatrice de stress puisque c'est l'aboutissement de plusieurs semaines ou mois de travail, et l'impression sur papier d'une somme de contributions diverses, dans un temps réduit.

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    Sans compter les dividendes perçus au titre de leurs fonctions, ce montant est déjà 13 fois supérieur au salaire annuel d'une éditrice.

    Surmenage et burn out vont de pair dans les maisons d'édition. De mon point de vue d'apprentie éditrice, cumulant un maigre total de trois ans et demi d'expérience professionnelle auprès de cinq entreprises différentes, je n'ai cependant jamais connu un environnement dans lequel aucune collaboratrice n'avait été en arrêt maladie pour burn out. En discutant avec mes collègues apprenties en M1 et en M2, dans mon master et dans les autres masters parisiens, dans ma promotion et celles des années précédentes, mon sentiment est largement partagé. Ironie tragique, beaucoup de maisons d'édition se sont lancées dans le secteur très attractif du « Développement personnel », publiant des livres sur la gestion du stress en entreprise et sur les causes du burn out, tout en continuant d'augmenter la cadence de publication de livres et de surcharger les programmes éditoriaux. Les sources spécifiques sur ces questions dans le secteur de l'édition sont encore très difficiles à trouver ; le tabou de cette maladie perdure, encore aujourd'hui.

    Le nombre de stagiaires embauchées chaque année dans les maisons d'édition est très élevé. Dans certaines entreprises, les stagiaires peuvent représenter largement plus de 10 % de l'effectif total. Cela contribue à l'invisibilisation d'un travail réalisé par des étudiantes, grandement sous-payées pour leurs services. En 2021, l'indemnité minimum du stage est de 3,90 € par heure -- ou moins, lorsque l'entreprise décide d'imputer aux stagiaires déjà précaires la participation aux tickets-restaurants ou à la cantine d'entreprise. Mêmes privilèges, mêmes exigences qu'une salariée, mais pas le même salaire. La convention collective de l'édition ne préconise pas d'indemniser les stagiaires autrement qu'au minimum légal. Selon l'Insee, le seuil de pauvreté est fixé à 1 015 € par mois3' ; une étudiante future éditrice dispose donc d'un budget deux fois inférieur à ce qu'il est recommandé pour vivre décemment, si celle-ci ne peut pas compter sur l'aide financière ou matérielle de ses parents. L'écrasante majorité des opportunités de stages se trouvant à Paris, là où le coût de la vie est 9 % plus élevé qu'ailleurs en France32, ce parti pris du SNE est une des causes directes de la précarité des étudiantes. L'édition est par conséquent un métier inaccessible aux catégories de population les plus pauvres, qui ne sont pas en mesure d'accumuler des expériences professionnelles

    31 Insee référence, « Tableaux de l'économie française, Édition 2018 », Niveau de vie -- Pauvreté, 27 février 2018.

    32 CLÉ, Émeline, SAUVADET, Luc, JALUZOT, Laurence, MALAVAL, Fabien, RATEAU, Guillaume, « En 2015, les prix en région parisienne dépassent de 9 % ceux de la province », Insee Première, n°1590, 14 avril 2016.

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    surreprésentées dans la littérature pour jeunesse54, pour laquelle les taux de rémunération en droits d'autrice sont les plus faibles (5 % environ) 55 »

    Le sexisme se ressent aussi dans la part d'auteurs primés par rapport au nombre d'autrices. La première autrice récompensée par le Prix Goncourt, par exemple, l'a été en 1944, soit 41 ans après la création du prix. Le prix Femina a ainsi été créé en 1904, en réaction au prix Goncourt qui n'acceptait pas les manuscrits féminins. Le prix Femina dispose d'un jury composé à 100 % de femmes de lettres, « contre la misogynie des jurés du Goncourt », pour primer des oeuvres en vers ou en prose.

    Si le métier d'éditrice est difficile, il ne l'est pas autant que celui d'autrice, qui souffre d'une double peine : la précarité de leur statut et le rapport de force imposé par les maisons d'édition. Les prestataires, quant à elles, évoluent avec les mêmes contraintes que les autrices, dans un rapport encore différent avec les entreprises éditoriales.

    c) Faire pression sur les prestataires

    Grâce à la naissance du statut d'auto-entrepreneur en France, les jeunes éditrices ou les jeunes diplômées se voient proposer des opportunités professionnelles sous la forme d'une uberisation de la fonction d'éditrice. Le climat social dégradé en maison d'édition et l'augmentation de la production littéraire d'année en année contribue à réduire la capacité des collaboratrices à tenir le planning éditorial. Pour externaliser la production, pouvoir assurer le travail sur tous les titres et dormir cinq heures par nuit, les éditrices salariées font appel à des éditrices freelance. Celles-ci sont payées à la page d'un projet éditorial ou, de manière cynique, au mois, comme une éditrice salariée mais sans les avantages de la sécurité de l'emploi, à savoir : une mutuelle d'entreprise, un contrat de travail, la médecine et le Code du Travail, des congés payées, etc. Paradoxalement, cette opportunité est souvent présentée en début de carrière, peut être très difficile car le peu de réseau d'une étudiante ou d'une jeune éditrice ne suffit pas souvent à vivre décemment. La filpac CGT dénonce cette pratique dans un communiqué en 2017. Dans une déclaration du secrétaire d'État chargé du commerce en 2010, il est indiqué que « les entreprises qui utiliseraient le statut d'auto-entrepreneur

    54 Les femmes représenteraient près de 70 % des auteurs de littérature pour jeunesse (source : Charte des auteurs et des illustrateurs jeunesse).

    55 RACINE, Bruno, « L'auteur et l'acte de création », ministère de la Culture, 22 janvier 2020, p.25.

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    professionnelles demandées pour intégrer ce secteur sont de plus en plus nombreuses. Malheureusement, la crise sanitaire engendrée par la pandémie de Covid-19 a largement assombri les perspectives d'avenir des éditrices depuis mars 2020.

    C. Ce que le Covid-19 a fait à l'édition

    « La fortune des milliardaires français a augmenté de 170 milliards d'euros, soit une hausse moyenne de 40 %58 » : les milliardaires ne connaissent par la crise, et encore moins celle du Covid-19. Si les premiers mois du confinement avait jeté une chape d'incertitude sur la production des livres, le recul nous permet maintenant d'affirmer que certains s'en sont très bien sortis. Pour les éditrices, les relations professionnelles, les fonctionnements d'équipe et les rythmes de production ont été complètement bouleversés. Si le bilan financier est relativement similaire aux années précédentes, le télétravail a révolutionné les pratiques des éditrices et a contraint les départements marketing et promotion à transformer leur activité.

    a) Bilan financier presque équivalent par rapport aux années précédentes

    Quinze mois se sont écoulés depuis la première annonce d'un confinement national et de la fermeture de tous les commerces jugés « non-essentiels ». Avec le recul d'une année depuis le début de la pandémie de Covid-19, nous avons pu voir se dessiner un bilan financier à peine déficitaire : le rapport statistique du SNE paru en juin 2021 parle de de baisse « modérée » de l'activité. Grâce à des campagnes de communication numérique agressive, à la stratégie sanitaire aléatoire du gouvernement et à la mobilisation de toutes les actrices du livre (libraire, éditrice et autrice), la plupart des grands groupes éditoriaux ont terminé l'année 2020 avec un bilan financier très similaire aux années passées. La baisse des chiffres d'affaires ne dépasse pas -2,36 %, soit une perte de 66 millions d'euros, répartis très inégalement selon les maisons d'édition, certaines ayant pu s'appuyer sur le plan de relance aux petites entreprises.

    Le groupe Hachette, par exemple, n'a observé qu'une baisse de 0,8 %, « la branche édition du groupe a réalisé un chiffre d'affaires de 2,375 milliards d'euros avec un résultat opérationnel courant de 246 millions d'euros, en hausse de 26 millions d'euros par rapport à l'année

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    58 ATTAC, OXFAM FRANCE, « L'indécent enrichissement des milliardaires français pendant la pandémie », avril 2021.

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    précédente.s9 » Ces chiffres contrastent drastiquement avec l'appel larmoyant d'Antoine Gallimard au lendemain du premier confinement de l'année 2020. Le deuxième confinement, et les plaintes incessantes pour que les librairies soient considérées comme des « commerces essentiels », ont achevé de balayer les voix dissidentes parmi les libraires, qui appelaient à de la mesureC0.

    Ces baisses très minimes des bénéfices dans les grandes structures éditoriales contrastent de manière saisissante avec le nouveau paysage du marché de l'emploi dans l'édition. Ajoutant à la détresse, à l'isolement et au décrochage scolaire des étudiantes pendant la période de confinement dû au Covid-19, les stages ont été annulés, les embauches sont ralenties au maximum dans ces secteurs où pourtant, les recettes ont été au rendez-vous sur la fin de l'année 2020. Les perspectives d'avenir sont troubles, voire anéanties. Dans l'édition, où les opportunités professionnelles se faisaient déjà rares, ces nouveaux paramètres sont très décourageants.

    On ne peut pas dire que l'édition ait souffert de la crise du Covid-19, le livre ayant été érigé comme produit culturel de prédilection, là où les théâtres, les cinémas, les musées, les concerts, n'ont pas bénéficiés de ce statut particulier. On peut cependant affirmer que les éditrices ont souffert des différentes périodes de confinement, et notamment du travail à distance, dans un secteur qui n'y était pas du tout préparé.

    b) Lorsque le télétravail complique tout

    L'édition n'est vraiment pas un secteur dans lequel la pratique du télétravail, par des salariées internes à l'entreprise, était démocratisée avant l'arrivée de la pandémie du Covid-19. Du jour au lendemain, les éditrices ont dû s'adapter avec les moyens du bord. Pourtant, celles-ci ne devraient pas vivre dans leur bureau. Alors que le montant moyen de leur salaire ne leur permet déjà pas de vivre dans un appartement spacieux, on ne peut pas imaginer qu'elles puissent avoir la place ou les ressources nécessaires pour disposer d'une imprimante ou de tout le matériel nécessaire pour produire la même charge de travail qu'au bureau. À ce sujet, une enquête de la Filpac CGT (le livre, le papier et la communication) intitulée « Télétravail dans l'édition : quelles réalités ? » dénonçait le flou juridique concernant le télétravail dans les maisons d'édition. « Faute d'accord de branche

    " FAIDHERBE, Thomas, « Exercice stable pour Hachette en 2020 », Livres Hebdo.fr, 25 février 2021.

    60 GARDETTE, Hervé, « Antoine Gallimard : "Je regrette que l'on ne donne pas un sort particulier aux livres et à la librairie" », émission « Â quoi pensez-vous ? » France Culture, 30 octobre 2020.

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    et d'entreprise, les employeurs font un peu ce qu'ils veulent et, dans bien des cas, s'épargnent de prendre en charge une partie des coûts qu'impose le télétravail et même d'équiper en matériel informatique leurs salariés.61 » Lorsque l'on sait que les entreprises ont réalisé d'énormes économies pendant le confinement, dû à la présence moindre voire l'absence totale de salariées, ne pas avoir compensé les travailleuses pendant cette période délicate semble pour le moins problématique.

    S'agissant de l'intégration des stagiaires et des apprenties à l'équipe éditoriale, il est très difficile de nouer des liens avec des collaboratrices que l'on ne voit pas, ou si peu. Encore plus difficile d'apprendre, par mimétisme, de suivre le quotidien d'une tutrice que l'on ne voit qu'à travers un écran. Plus de conseils attrapés à la volée, plus d'informations glanées à la machine à café, plus de briefings bienveillants, plus d'occasions de s'investir dans la vie quotidienne du bureau : les expériences professionnelles pour les éditrices en herbe, depuis mars 2020, ont été amputées de leur aspect le plus stimulant. Quelles seront les difficultés pour s'insérer dans le monde du travail pour la promotion d'étudiantes 2020, voire 2021 ?

    Le télétravail éditorial a rajouté des difficultés supplémentaires pour travailler sur les textes, les images, pour appréhender les questions de fabrication, en plus d'avoir complètement chamboulé le planning des sorties littéraires et la promotion autour des livres.

    c) Repenser la promotion et la communication

    Sans même parler du fait que les canaux d'informations étaient monopolisés par la crise sanitaire, les confinements successifs ont fait connaître aux lectrices, et aux journalistes, des véritables embouteillages dans la communication autour de la parution des livres. Impossible pour les chargées de promotion d'organiser des événements promotionnels avec les libraires pour assurer la visibilité des livres, la communication s'est entièrement reportée sur les canaux numériques. Considérant la fracture numérique du lectorat plus âgée, mentionnée plus tôt, un tel parti pris est une manière assurée de perdre un pan de ses acheteuses. Le réseau social Instagram a ainsi pris une place gigantesque dans le paysage éditorial, avec un succès mitigé.

    61 Enquête à remplir sur le site de la filpac CGT : https://www.filpac-cgt.fr/teletravail-dans-ledition-quelles-realites-participez-a-lenquete/

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    II. Imaginer d'autres fonctionnements éditoriaux

    Il n'y a pas de consommation éthique possible dans une société capitaliste : « l'idée de profit éthique est un oxymore puisque le profit est le travail impayé de la classe ouvrière, approprié et accumulé par la classe dirigeante capitaliste.64 » Sortir du système capitaliste peut sembler être une utopie, sûrement pas une réalité, et encore moins une réalité dans laquelle l'éditrice peut espérer toucher un salaire lui permettant de vivre décemment. Pourtant, certaines le font. L'ignorance et le manque de visibilité des alternatives économiques est l'une des meilleures défenses du système capitaliste. Apporter de la visibilité aux structures qui tentent de s'extraire de ce système est une des solutions au sentiment de découragement, à la résignation des éditrices à perdurer et à continuer de subir ce rapport de force inégal. Parmi les options disponibles, il y a celle de créer une petite maison d'édition, voire une maison de « microédition » ; celle d'ouvrir une structure coopérative ou une maison d'édition associative ; enfin, s'appuyer sur le financement participatif des lectrices, dans le cadre d'une publication autoéditée ou éditée dans une maison d'édition.

    A. Les petites structures capitalistes

    Selon les chiffres du SNE, « la moitié des 670 maisons d'édition adhérant au SNE font moins de 300 000 euros de chiffre d'affaires65 ». Il y a donc beaucoup plus de petites maisons que l'on pourrait le penser. À travers l'exemple de deux petites entreprises sélectionnées pour leur fonctionnement original, peu importe leur production annuelle, nous verrons comment les petites structures s'en sortent pour exister auprès de leur public sans céder à la pression de la surproduction.

    Les éditions Lapin

    Il y a 15 ans, Philippe Simon souhaitait promouvoir le contenu original, l'humour noir et irrévérencieux qui se multipliait sur les formats blog de l'époque. Il fonde les éditions Lapin, avec pour ambition de produire des livres à partir de cette mine d'or pourtant trouvable gratuitement sur Internet. La ligne éditoriale de la maison, décrite sur leur site internet, est simple : « vous achetez des bandes dessinées et des livres qui se sont déjà fait leur petit nom sur la toile ». Cette démarche a permis à de nombreux artistes d'intégrer le paysage éditorial francophone. Marc Dubuisson

    64 PAPE, Olive, « Pourquoi il n'existe pas de "consommation éthique" sous le capitalisme », Révolution, 2 août 2018.

    65 COUNIS, Alexandre, « Pourquoi l'édition produit toujours plus de livres », Les Échos.fr, 20 septembre 2016.

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    sous peine de poursuites pénales.74 » Monstrograph a répondu à cette accusation : « C'est totalement ridicule ! [...] Ce livre n'est pas du tout une incitation à la haine, explique Coline Pierré. Le titre est provocateur mais le propos mesuré. C'est une invitation â ne pas s'obliger â fréquenter les hommes ou à composer avec eux. À aucun moment fautrice n'incite à la violence. [...] C'est insensé de laisser penser que les hommes seraient blessés par un tel livre. Les femmes ne font pas régner un climat de terreur ! Accueillons la parole des personnes qui subissent des oppressions. Il ne faut pas oublier que la misandrie est avant tout une réponse à la misogynie75 ». L'essai avait été initialement imprimé à 450 exemplaires, une menace apparemment insoutenable pour ses détracteurs. La promotion suscitée par la polémique a lancé une 2ème impression, puis une troisième, avant d'épuiser (littéralement) les ressources physiques des équipes de Monstrograph, qui se sont résolues à vendre l'ouvrage aux éditions Seuil.

    Les autres livres de ce duo d'édition peuvent être commandés depuis leur site, comme les éditions Lapin, ce qui permet de court-circuiter les réseaux de diffusion/distribution. Néanmoins, l'empaquetage et l'envoi est réalisé bénévolement par les bénévoles de l'association.

    Éditions Hystériques & associées

    Créée en 2017, les éditions Hystériques & associéEs se décrivent sur leur site internet comme

    une toute petite maison d'édition militante et associative qui souhaite accompagner la publication d'autrices marginalisées par l'industrie éditoriale et contribuer à la diffusion en français de textes qui ont marqué les mouvements féministes, lesbiens et/ou trans. » Dans une interview donnée en 2018 au magazine Friction, la fondatrice Noémie Grunenwald explique qu'« [elle tenait] vraiment à maintenir une structure légère â administrer, afin que le rythme des publications puisse se caler sur Mon rythme de vie perso et sur [s]es disponibilités.76

    Stone Butch Blues, de Leslie Feinberg, est l'ouvrage le plus connu de leur tout jeune catalogue, paru en français pour la première fois en 2019. Il a bénéficié d'une campagne de crowdfunding pour cette première édition. L'histoire de ce texte est ancrée dans l'histoire des luttes de la communauté LGBTI. « Stone Butch Blues est un roman où Leslie Feinberg raconte l'histoire

    74 BARBIER, Marie, « Un livre féministe provoque un désir de censure au ministère de l'égalité femmes-hommes », Médiapart.fr, 31 août 2020.

    75 Ibid.

    76 FOUCHER, Matthieu, « Hystériques & AssociéEs : l'édition DIY et féministe », Friction-magazine.fr, 2018.

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    de la maison d'édition. Mettre le savoir et la connaissance à disposition du public, tout en conservant l'intégrité intellectuelle de ne pas reproduire des dynamiques oppressives dans les relations entre employées.

    Sur leur chaîne YouTube, l'équipe propose de rencontrer les autrices autour d'une question politique ou sociologie, pour introduire une présentation de leur livre.

    Les éditions Buissonnières

    Située sur la presqu'île de Crozon, en Bretagne, les éditions Buissonnières sont devenues une coopérative en 2013. Sur leur site, ils sont « reconnus pour la qualité de leur contenu (vendus dans tout l'hexagone et à l'étranger), les titres scolaires touchent principalement les écoles maternelles et primaires, mais aussi les collèges, les centres de formation pour adultes, les organismes de réinsertion, d'alphabétisation, les prisons... ». Leur catalogue est salué par les associations de parents Montessori, une pédagogie d'apprentissage basée sur les observations d'une médecine et pédagogue italienne, Maria Montessori. Grâce à des activités destinées à aider les enfants dans leur développement physique, social et spirituel, la philosophie Montessori se base sur une approche éducative globale, de la naissance à l'âge adulte. Spécialisées dans l'édition scolaire et musicale, les Éditions Buissonnières proposent également un studio de création et d'exécution graphique, travaillant pour les collectivités locales, les éditeurs, les agences de communication et les entreprises.

    Dans une coopérative éditoriale, les gains générés par la vente des livres et par les cessions de droits sont répartis entre toutes les collaboratrices. Pour Nadine, graphiste aux éditions Buissonnières, on parle de « deux casquettes »80, associés et collègues. Être inclue dans toutes les décisions financières, disposer d'un regard sur les comptes financiers, pour proposer des analyses et des perspectives sur l'avenir de la société : impensable pour une éditrice dans une maison d'édition classique. Le sentiment de collectivité, de communauté permet de responsabiliser toutes les collaboratrices, car « on sait tous où on va »81.

    Quoi de plus anticapitaliste que l'absence de hiérarchie financière au sein d'une entreprise ? Une équité dans le partage des revenus, mais aussi des risques. Pour garantir la viabilité d'un projet,

    80 LA CORLAB, « Les éditions Buissonnières #2 », L'économie autrement, c-lab.fr, émission du mardi 14 mars 2017.

    81

    Ibid.

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    pouvoir aider les projets d'autrices moins connues, qui auraient besoin d'aide pour lancer leur première bande dessinée. Le contrat est « validé à la condition que les objectifs du financement participatif soient atteints. Le financement participatif a pour objectif de financer les frais de production du livre (impression des 1 500 premiers exemplaires, frais de port, paiement des différents acteurs du livre, réserve financière pour l'auteur
    ·ice, etc.). Si l'objectif est atteint, nous nous lançons aux côtés de l'auteur
    ·ice dans la production de l'ouvrage. Si le financement échoue, l'auteur
    ·ice récupère automatiquement l'intégralité de ses droits et peut proposer son projet ailleurs ou l'autoéditer via d'autres plateformes de financement participatif83
    » Une manière d'éditer des livres qui s'inscrit dans une philosophie communiste, une structure éditoriale hybride, entre édition classique et autoédition.

    Pour clarifier sa rupture nette avec les maisons d'édition classique, les éditions Exemplaire se sont dotées d'une charte qui récapitule la philosophie fondamentale de la maison :

    1) L'auteur
    ·ice s'engage à ne pas publier de livre faisant l'apologie de l'intolérance (sexisme, racisme, islamophobie, antisémitisme, homophobie, transphobie, grossophobie, etc.). Si par mégarde son projet contenait des propos offensants et après décision unanime de la direction et du comité de lecture, il
    ·elle s'engage à les retirer avant publication.

    2) Exemplaire a vocation à être une structure solidaire et équitable. L'auteur
    ·ice s'engage donc à bien répartir les droits au pourcentage avec les autres personnes travaillant sur l'ouvrage et à ne pas sous-traiter tout ou partie de son travail à un tiers rémunéré au forfait. Si par hasard l'auteur
    ·ice ne pouvait s'acquitter de la charge de travail convenue dans le contrat, il
    ·elle en avertira Exemplaire, qui trouvera avec lui
    ·elle une personne pour le
    ·la suppléer, rémunérée, elle aussi, au pourcentage des livres vendus.

    3) Un comité de lecture est constitué, qui doit valider chaque projet et donner une décision collégiale.

    4) Chez Exemplaire, les décisions ne peuvent pas être prises par un seul individu : la stratégie doit faire l'objet d'une réflexion collective. C'est un fonctionnement qui tend vers la sociocratie.

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    â3 https://www.exemplaire-editions.fr/a-propos/editer

    5)

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    Les répartitions de revenus sont établies en parfaite transparence. Chaque auteur
    ·ice d'Exemplaire a le droit de demander à consulter les répartitions de droits des autres acteurs
    ·ices d'Exemplaire. Exemplaire s'engage à répartir les droits de manière constante et équitable pour chaque projet. Exemplaire s'engage à ne pas favoriser une auteur
    ·ice par rapport à une autre qui tenterait une négociation à son avantage.

    6) Tous
    ·tes logées à la même enseigne. Gros vendeurs et petits vendeurs, les droits ne varient pas d'un.e auteur
    ·ice à l'autre.

    7) Exemplaire s'engage à requestionner la répartition des frais fixes d'Exemplaire tous les ans. Un comité sera réuni afin d'évaluer la légitimité de la répartition des pourcentages de la direction Exemplaire. Attention, les pourcentages pourront autant être augmentés que diminués par rapport à la charge de travail.

    8) Exemplaire s'engage à proposer du salariat aux autrices et auteurs qui le souhaitent aussitôt que cela sera possible dans l'économie de la structure. (revenus suffisants des autrices et auteurs)

    Cette charte est bien la preuve que l'espoir est possible pour sortir des carcans éditoriaux créés par le système capitaliste et par le patriarcat, en s'imposant simplement une ligne éditoriale claire, affirmée, militante, engagée. La création de cette structure part du constat que, si les auteurs et autrices de bandes dessinées sont des militantes de gauche, elles se retrouvent à accepter des contrats « qui sont de l'ordre de l'exploitation84 », avoue Garance Cocquart. La volonté première, lors de la création de leur entreprise, c'est avant tout une transparence sur la gestion de l'argent.

    La création des éditions Exemplaire répond à un véritable besoin pour une reconnaissance du statut d'autrice en France, et propose un mode de fonctionnement original, moderne, équitable, politique, militant. Se baser sur le financement participatif pour tous les projets est une excellente manière de constituer une communauté solide, un lectorat investi et une politique publique de consommation culturelle radicalement différente. Le financement participatif peut également être utilisé ponctuellement au sein d'une maison d'édition, pour apporter de l'aide à un projet spécifique.

    â4 CENTRAL VAPEUR, « Table ronde avec Lisa Mandel : une pratique exemplaire de l'édition ? », YouTube, 12 avril 2021.

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    b) Au sein des maisons d'édition

    Lancer une campagne de financement participatif au nom d'une structure éditoriale, c'était l'idée des éditrices de la maison Même pas mal pour offrir à leur autrice et dessinatrice, Tarmasz, une fabrication soignée pour sa bande dessinée pour Alma, publiée en octobre 2019. Cette petite maison marseillaise avait besoin d'aide budgétaire pour permettre aux lectrices de lire une bande dessinée avec une qualité de fabrication à la hauteur du premier album de fautrice. Publié chez Delcourt, une grande maison d'édition de bande dessinée, ce premier album, Voyage en République de Crabe, disposait d'un vernis doré sur la couverture et était doré sur la tranche. Réunir le budget manquant par le biais du financement participatif a ainsi permis d'inclure les lectrices dans la confection du produit et les récompenser de leur investissement a priori plutôt que directement en librairie. L'ouvrage, livré directement chez elles avec des contenus additionnels exclusifs (autocollant, carnet, t-shirt, tote bag, etc) se retrouve à être un produit collectif. L'objectif initial de 3 000 € a été rapidement dépassé par les internautes, le jour même de son ouverture, la campagne rapportant au total 17 636 €85.

    Venir au secours d'ouvrage jeunesse, refusé par les maisons d'édition pour cause de racisme, c'est ce qu'a fait la communauté de fautrice Laura N'safou pour son livre, Comme un million de papillons noirs. Ce livre, publié par Bilibok en 2017, s'inspire d'une phrase de fautrice américaine Toni Morrison, dans son roman God help the child : « Her clothes were white, her hair like a million black butterflies asleep on her head »86Ses vêtements étaient blancs, ses cheveux comme un million de papillons noirs endormis sur sa tête. ») La campagne Ulule avait atteint 200 % de son objectif' et proposait des contreparties qui ont ravies les fans d'Adé, la petite héroïne aux cheveux crépus. Le succès de cette campagne permet de prouver que les ouvrages « communautaires » (un euphémisme qui signifie que les personnages ne sont pas blancs) ont bien un public sur le marché du livre et méritent d'être publiés au même titre que n'importe quel autre.

    S'appuyant en partie sur les ressources de la maison d'édition, comme les éditrices, les fabricantes, les attachées de presse, les commerciales, mais aussi sur la participation du public, ces projets permettent aux entreprises de nouer une relation particulière avec leurs lectrices. Les autrices

    85 Éditions Même Pas Mal, « "Alma, 11 histoires et légendes" par Tarmasz », lien : https://fr.ulule.com/alma-tarmasz/

    86 MORRISON, Toni, God help the child, Alfred A. Knopf Inc, États-Unis, 2015.

    87 Paleanddelicate, « Comme un million de papillons noirs », lien : https://fr.ulule.com/les-papillons-noirs/

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    pouvoir changer le système depuis l'intérieur, il est possible d'avoir de l'espoir pour ce métier et cette industrie dans son ensemble.

    III. Quelques outils pour devenir une éditrice anticapitaliste et féministe

    « La quatrième vague féministe, celle que nous vivons depuis #MeToo, est une révolution de mceurs90 >>. Ce que la journaliste Chloé Delaume appelle la quatrième vague des mouvements féministes, a touché les éditrices françaises comme toutes les femmes. Dans leurs programmes éditoriaux, elles s'attellent de plus en plus à proposer des ouvrages qui militent ouvertement pour l'égalité des sexes, contre le sexisme et le racisme, à la fois par conviction personnelle mais aussi par intérêt marketing. Pour la première fois, ces ouvrages se vendent très bien auprès du grand public, là où ces questions étaient réservées autrefois aux rayons des essais et pour un public d'initiées. Les libraires se dotent aujourd'hui d'un rayon entier intitulé « Féminisme » : le tabou de ce mot aurait-il disparu ? Du moins tant qu'il fait vendre, il ne dérange plus. Réussir à concilier ses convictions féministes ou anticapitalistes avec le quotidien de son métier n'est pas chose facile. Si toutes les éditrices n'ont pas l'opportunité de pouvoir monter leur propre microentreprise, association ou coopérative, toutes peuvent décider de prendre des petites décisions pour mettre leur grain de sable dans les rouages de la machinerie capitaliste. Cet engagement peut prendre différentes formes, comme s'assurer de l'éthique des conditions de travail de toutes les collaboratrices, s'engager dans une justice réparatrice et redistributive, ou se revendiquer ouvertement féministe intersectionnelle.

    A. Prendre des engagements éthiques contre des prix compétitifs

    Les choix éditoriaux qui perpétuent des dynamiques d'oppression et d'appauvrissement sont tellement ancrés dans les pratiques des maisons d'édition, qu'il paraît impossible de dévier la trajectoire des comptes d'exploitation et de production. Tant pour les matières premières que pour les moyens de communication, de distribution et de diffusion du livre, il est possible de changer les habitudes et contribuer à rendre l'industrie du livre bénéfique à toutes et tous. Parmi le champ des possibles, on retrouve des nouvelles normes de fabrication du papier et de confection des ouvrages

    90 DELAUME, Chloé, « Chloé Delaume : "La quatrième vague féministe, celle que nous vivons depuis #MeToo, est une révolution de moeurs" », Causette.fr, 1" novembre 2020.

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    qui permettent des impressions plus écologiques, la possibilité de rendre visible le travail non-rémunéré des collaboratrices et enfin, le choix des entreprises de diffusion/distribution qui ne jouent pas le jeu de la surproduction littéraire.

    a) Matières premières

    Lorsque l'on parle de matières premières de l'industrie du livre, on parle du papier et du carton nécessaires à la confection du livre, et de l'encre pour imprimer le texte et les images. La fabrication d'un livre est un enjeu écologique et politique, dans une société où la question de la préservation de l'environnement est de plus en plus pressante.

    Les imprimeries ont davantage intégré dans leur communication la question environnementale et les standards éditoriaux ont opéré un nivellement vers le haut. Aujourd'hui, la plupart des livres indiquent une impression sur du papier issu de forêts gérées durablement. De plus, les sociétés laissent entendre dans leurs outils de communication que l'industrie du livre consomme moins d'arbres que d'autres industries (l'ameublement par exemple), ou que la fabrication du papier n'est pas la cause principale de déforestation, puisque la lignine est extraite à partir de branches élaguées, et non de troncs d'arbres entiers. Enfin, les livres pilonnés seraient tous recyclés. Cependant, qu'advient-il de ce papier recyclé ? Car selon le rapport du WWF sur l'économie circulaire du livre, « â peine plus de 4 500 tonnes de papier recyclé (0,5 % de la consommation française de recyclé) sont utilisées en France pour produire des livres. Le papier recyclé a toujours mauvaise presse chez les éditeurs français. 2 % des livres sont en papier recyclé seulement.91 » Certaines structures de taille moyenne, comme les éditions La Plage, s'engagent à imprimer jusqu'à 20 % de leurs ouvrages sur du papier recyclé. Même les encres qui servent à la coloration du papier se dotent de labels « écologiques ». En remplaçant les huiles minérales pétrochimiques par des huiles végétales (de soja ou de colza), l'impression de livres utilise de plus en plus de ressources renouvelables. Thierry Quinqueton martèle que « le label Imprim'Vert, considéré comme un acquis par les éditeurs, n'a pas encore fait l'unanimité : de l'ordre de 20 % des

    91 TAVERNIER, Julien, KING, Lisa, KACPRZAK, Juliette, VALLAURI, Daniel, « Vers une économie plus circulaire dans le livre ? », WWF, 2019.

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    imprimeurs de livres ne l'ont pas, bien que la démarche soit peu contraignante et relativement peu

    coûteuse.92 »

    Beaucoup de progrès ont été réalisés depuis l'industrialisation de la fabrication des livres, mais ces pratiques écologiques doivent être davantage prises en compte dès la genèse des titres, et non comme un bonus ponctuel. De la même manière, les bonnes pratiques concernant les conditions de travail décentes de la main d'oeuvre doivent être renforcées, dans toutes les maisons d'édition.

    b) Les petites mains invisibles

    Engager de la main d'oeuvre dans des conditions respectant les normes de travail françaises coûte plus cher que celle qui rendra le produit compétitif sur le marché du livre. « La part des livres français réalisés à l'étranger est significative : en moyenne, 30 à 40 %.93 » Dans le cas des livres jeunesse, cette proportion est encore plus large, notamment lorsque la fabrication des ouvrages qui requiert un assemblage à la main, comme les livres à systèmes, « car la fabrication de pop-up reste artisanale : ils ne peuvent être montés que manuellement, nécessitant des heures de pliage et parfois plus de 300 points de colle. Aujourd'hui, c'est donc en Asie que la quasi-totalité de ces livres est imprimée et assemblée.94 » Les livres pop-up ont inondé le marché du livre jeunesse depuis deux décennies. On ne peut aujourd'hui plus ignorer les conditions dans lesquelles les travailleuses asiatiques sont employées : lorsque celles-ci ne sont pas littéralement des enfants, elles sont payées à des tarifs très bas, ne disposent d'aucune sécurité sur leur lieu de travail, vivent dans des lieux insalubres... « La Chine prend des parts de marché sur la fabrication du livre pour enfant quand celle-ci est complexe, pour des raisons liées essentiellement au coût de la main d'ceuvre.95 » C'est donc purement pour des questions d'économies des coûts que ces livres sont imprimés dans des régions du monde qui ne respectent pas les conventions liées au travail des enfants ou à la dignité des travailleuses. Si la fabrication de ces livres devait respecter des conditions décentes de travail, ils ne pourraient pas exister. L'argument éthique n'est presque jamais évoqué dans la présentation d'un projet éditorial qui nécessite une impression en Asie.

    92 QUINQUETON, Thierry, « Le livre et l'édition et l'économie sociale et solidaire », Master 2 « Droit et développement de l'économie sociale et solidaire », université de Poitiers, 2017-2018.

    93 GRANGERAY, Émilie, « Pop-up, révolution de carton », Le Monde.fr, i décembre 2011.

    94 Ibid.

    2017-2018.

    95 QUINQUETON, Thierry, « Le livre et l'édition et l'économie sociale et solidaire », Master 2 « Droit et développement de l'économie sociale et solidaire », université de Poitiers,

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    Le monde de l'édition est peuplé de métiers invisibles, de tout petits maillons pourtant essentiels, qui travaillent dans des conditions parfois difficiles : stagiaires, coursiers, routiers, commerciales... Même si la part invisible du travail sur un livre, c'est encore à fautrice qu'elle revient : certaines maisons demandent à leurs autrices d'ouvrages illustrés de scanner ses pages, les nettoyer, parfois de s'occuper de la maquette, de faire soi-même sa promotion sur les réseaux sociaux... Ce travail non rémunéré mérite pourtant compensation. « Avec un chiffre d'affaires de 326,9 millions d'euros en 2020, le marché de la bande dessinée a très bien résisté à la crise en 2020, avec une croissance de son chiffre d'affaires de 6,3 % par rapport à 2019.96 » Le secteur éditorial est imperméable à la théorie du ruissellement : pendant la pandémie, les chiffres d'affaires du secteur de la bande dessinée ont augmenté par rapport à l'année précédente, sans pour autant offrir d'amélioration des revenus pour toutes les actrices citées précédemment.

    L'invisibilisation du travail, notamment celui fourni par des personnes précaires, est un enjeu des luttes anticapitalistes et syndicales. Cela participe au combat pour le rehaussement des salaires, puisque les salariées et les collaboratrices prennent de plus en plus de responsabilités dans leurs fonctions. C'est aussi un combat pour une meilleure répartition du travail, pour lutter contre le chômage de masse. Pour participer à une économie circulaire qui redonne sa place à ces travailleuses, on peut s'intéresser aux entreprises de diffusion et de distribution qui ne s'insèrent pas dans des logiques capitalistes et compétitives.

    c) Sortir du monopole des circuits de diffusion/distribution classiques

    Sans le travail précieux des commerciales, le catalogue d'une maison d'édition n'aurait que peu de visibilité, peu de potentiel de promotion, et fautrice n'aurait pas la possibilité de rencontrer ses lectrices en librairie. Toutes les maisons d'édition sont obligées d'avoir des commerciales, donc d'être dépendantes des quelques entreprises de diffusion qui existent, et qui appartiennent à de très grands groupes. Comme le montre le planisphère de l'édition Livres Hebdo, et selon Thierry Quinqueton, « dans ce secteur de la chaîne du livre qu'est la diffusion, la tendance depuis de

    96 Syndicat National de l'Édition, « Les chiffres de l'édition », Synthèse du rapport statistique du SNE, France et international, 2020-2021, p.7.

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    des livres. Au sein des maisons d'édition et dans la composition des catalogues, il est également temps de redistribuer les ressources et redonner leur place aux minorités.

    B. Redistribution, réparation

    Lorsque l'on parle des industries littéraires, les notions de redistribution et de réparation s'inscrivent, dans des politiques culturelles antiracistes et féministes notamment au vu des oppressions systémiques citées dans la première partie. Pour lutter contre le statu quo et permettre un rééquilibrage en faveur des populations opprimées, il faut pouvoir s'organiser collectivement, dans des syndicats ou d'autres structures de luttes. En ce qui concerne la répartition des ressources, on peut critiquer les gains générés par la vente d'un livre, et sa représentation dans la culture populaire. Enfin, il faudrait produire drastiquement moins de livres, ou produire mieux, afin de pouvoir appliquer les mesures réparatrices et distributives nécessaires.

    a) L'union fait la force

    Dans les secteurs culturels, et particulièrement depuis la crise du Covid-19, il faut remettre les luttes syndicales au goût du jour. Ce sont les seuls cadres dans lesquels il est possible de lutter contre les problèmes cités dans la première partie de ce travail de recherche, à savoir : la précarité, le sexisme, la misogynie, les abus sexuels, le surmenage, l'exploitation, la baisse des salaires et la détérioration des conditions de travail. Cependant, dans les maisons d'édition, les freins à l'engagement syndical sont nombreux, même lorsque ce n'est seulement qu'au comité social et économique de l'entreprise. Les intimidations de la part du corps dirigeant, envers les élues du CSE, sont violentes, alors même que ces comités sont obligatoires selon le Code du Travail, et qu'ils ne relèvent même pas d'un travail syndical à proprement parler.

    Oser demander une augmentation relève d'une réelle épreuve, contre soi-même et contre son responsable. La première barrière est interne, c'est le manque de confiance en soi qui empêche bon nombre d'éditrices d'exiger le salaire qui correspond à leur niveau de qualification et de responsabilités, mêlée à la culpabilité de demander trop : ces réflexions prennent leur source dans la socialisation des femmes tout au long de leur vie, entraînées à la serviabilité et au silence102. Il faut se renseigner sur la santé financière de son entreprise, et des dividendes qui sont versés chaque année

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    102 FRAISSE, Geneviève, La Sexuation du inonde, Paris, éditions des Presses de Sciences Po, 2016.

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    « Les éditeurs réunis au sein du Syndicat des Éditeurs Alternatifs (S.E.A), éditent et publient des livres en s'attachant avant tout à la mise en valeur d'une ouvre ; ni stratégies marketing ni exploitation de droits dérivés ne président à leurs choix éditoriaux. Les éditeurs du S.E.A travaillent en étroite collaboration avec les auteurs, en étant toujours attentifs au respect de leurs droits et de leur ouvre. Les éditeurs du S.E.A, en choisissant de proposer aux lecteurs des ouvres tournées vers la création et éloignées du formatage industriel, s'efforcent d'élargir sans cesse le champ littéraire et visuel existant, tout en stimulant l'émergence et la circulation d'idées. » Ce syndicat réunit cinquante maisons d'édition de taille, nature juridique et de production diverses, parmi lesquelles des maisons d'édition évoquées dans ce mémoire comme les éditions Même Pas Mal, les éditions Lapin ou encore les éditions de L'Association.

    Le patrimoine et l'héritage syndicaliste en France a toujours permis une amélioration des conditions de travail pour tous et toutes : il n'y a pas de raison que cette histoire s'arrête au Xxieme siècle. Lorsque l'on parle de redistribution des ressources, on peut commencer par disséquer la répartition des gains de la vente d'un livre, aussi appelé « camembert du prix du livre ».

    b) Le « camembert » du prix du livre

    Le « camembert » du prix de vente d'un livre est le surnom donné à la représentation sous forme de diagramme circulaire de la décomposition, par acteur, du chiffre d'affaires généré par la vente d'un ouvrage. D'après différentes sources, les parts de camembert sont de tailles variables, représentant un gain inégal selon la contributrice, fautrice étant celle qui touche la plus petite part. On peut opposer différentes critiques sur ce diagramme, autant sur la forme que sur le fond.

    C'est sur ce diagramme que se fonde la philosophie éditoriale des éditions Exemplaire : « pour une plus grosse part de camembert ». La part de fautrice est en effet la plus petite parmi les 6 maillons de la chaîne du livre : fautrice, la maison d'édition, le diffuseur, le distributeur, l'imprimerie et la librairie. Cependant, les maillons ne sont pas rémunérés de la même manière, et la représentation de ce diagramme induit le lectorat en erreur. Il n'y a que fautrice qui touche un pourcentage sur la vente d'un livre, qui est fixé dans son contrat d'édition. L'autrice ne touche pas sa part à chaque vente, ses droits lui sont versés annuellement une fois l'à-valoir remboursé et elle n'a pas accès aux outils qui lui permettraient de vérifier les informations financières fournies par la maison d'édition. Les entreprises de diffusion/distribution signent des contrats pluriannuels et sont rémunérés sur des prévisions de programme anticipés à l'avance. Les libraires vendent des livres

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    achetés à un tarif préférentiel auprès de la maison d'édition, elles doivent compter sur leur fonds de roulement pour calculer et prévoir leurs bénéfices. La répartition des gains sur le livre est donc beaucoup plus inégalitaire que le diagramme, déjà inéquitable, pourrait le faire penser.

    De plus, la part du libraire dépend de ses accords économiques avec la maison d'édition : la Fnac et Amazon peuvent se permettre de négocier des tarifs bien plus avantageux que les petites librairies indépendantes. Il subsiste une énorme méconnaissance de l'existence du prix unique du livre la loi Lang : en 2021, « pour rappeler que le prix du livre est partout le même et inciter les lecteurs â réaliser leurs achats en librairie indépendante, le Syndicat de la librairie française et l'agence régionale du livre en Nouvelle-Aquitaine déploient une opération de communication de grande ampleur106

    On peut noter que le mode de financement des autrices a subi un changement radical dans les années 2000 : l'abandon du paiement « à la page » pour passer à un système d'à-valoir remboursable grâce aux ventes de ses titres, avant de toucher ses premiers droits d'autrices. Cette décision a été prise d'un commun accord par le SNE, faisant front pour détériorer collectivement les conditions de vie des autrices.

    Utile pour rappeler que l'édition est une économie non seulement fragile, mais aussi complètement inéquitable, le camembert du prix du livre mériterait d'être contextualisé : s'agit-il d'un ouvrage de texte, d'un ouvrage illustré, d'une librairie indépendante, d'une chaîne culturelle ? Quoi qu'il en soit, cette répartition du prix du livre ne met pas suffisamment en évidence les problématiques liées à l'obsolescence des projets et de la surproduction littéraire.

    c) Produire moins pour produire mieux ?

    Au sein de l'édition scolaire, ce sont les professeures qui sont obligées de se mobiliser contre la surproduction, en manifestant également contre leur ministère de tutelle. En 2020, environ 300 enseignantes ont jeté des manuels scolaires périmés pour protester contre le gaspillage. Leur geste a été condamné par le ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui n'avait apparemment pas compris ce qu'impliquait concrètement la réforme des programmes : à peine publiés, ces livres sont déjà obsolètes, condamnés à être pilonnés ou donnés à des associations pour

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    106 CHARONNAT, Cécile, « Le SLF en campagne pour le prix unique », Livres Hebdo.fr, 30 juin 2021.

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    réunir autour de luttes communes et individuelles, pour créer un mouvement d'ampleur. L'apparition du féminisme intersectionnel, en opposition au féminisme universaliste, propose d'éclairer ces différentes oppressions, pour proposer une réponse qui adresse spécifiquement les luttes nécessaires.

    C. La nécessité d'un féminisme intersectionnel

    En matière de représentation, les autrices sont sous-représentées : les éditrices proposent moins de projets aux femmes, d'après le rapport Racine. Lorsque l'on pense au travail d'une éditrice féministe, il ne suffit pas de mettre seulement l'accent sur les autrices, car les oppressions systémiques (sur la race, l'orientation sexuelle, le handicap physique ou mental, la religion, la classe, etc.) se croisent et se recoupent. C'est ce recoupement dont on parle quand on oppose le féminisme intersectionnel (qui est à l'intersection de plusieurs luttes) au féminisme universaliste110 Au sein des ouvrages de fictions comme de non-fictions, jeunesse ou adultes, le point de vue du personnage principal est bien quasiment toujours hétérosexuel, généralement masculin et blanc. Beaucoup de choix éditoriaux sont possibles pour transformer les pratiques collectives à son échelle, notamment en s'engageant pleinement sur des projets auxquels on ne donne pas d'espace sur le marché du livre français.

    a) Changer les mentalités à son échelle

    Chaque éditrice a la possibilité d'agir, même de manière minime, pour permettre une amélioration des conditions de travail de toutes les travailleuses de l'industrie du livre. De la plus petite action à la résistance la plus solide, voici une liste non exhaustive des manières de changer les mentalités dans l'édition.

    L'écriture dite « inclusive », qui fait figurer à la fois le masculin et le féminin dans une langue française qui avait imposé que « le masculin l'emporte sur le féminin », s'est popularisée dans les pratiques courantes des militantes féministes. Cette pratique s'est attirée les foudres du ministère de l'Éducation nationale et du Premier ministre, qui ont interdit son usage dans la documentation officielle. Normaliser et imposer l'écriture inclusive participe donc à un acte de résistance, contre le

    70 Pour les féministes universalistes, « il s'agit pour les femmes d'accéder à la position de sujet ou d'individu neutre, position que les seuls hommes s'étaient séculairement appropriée. » Féminisme, Les théories, « Le devenir homme des femmes ou l'"universalisme" », universalis.fr.

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    temps de travail lié à l'activité créatrice ; (3) la diffusion des bonnes pratiques professionnelles, dans le sens d'un meilleur équilibre des relations entre les artistes-auteurs et l'aval de la création, ainsi que d'un encouragement â la diversité dans la création.115 »

    Changer les mentalités passe également par des moments inconfortables, comme celui de refuser que des livres paraissent à cause de leur contenu sexiste, raciste, homophobe, grossophobe, validiste, transphobe, etc. Le dernier livre sur lequel j'ai réalisé le pointage des corrections avant la fin de mon contrat d'apprentissage présentait de nombreuses blagues misogynes, que j'ai signalées à ma maîtresse d'apprentissage. Elle n'a pas trouvé utile de remplacer ces blagues par d'autres : elle a trouvé ces blagues très drôles, malgré mes explications claires sur leur nature discriminante et humiliante à l'égard des femmes. Selon elle, la certitude que ce livre allait être massivement acheté était une raison suffisante pour le publier en l'état. Les éditrices ne doivent pas oublier qu'elles ont une responsabilité morale et légale des ouvrages dont elles sont responsables. Le sexisme et la misogynie sont des délits de presse puni par la loi et passibles d'amendes, l'appât du gain ne devrait jamais être une raison suffisante pour continuer de normaliser des valeurs patriarcales archaïques.

    Dans ce secteur où les femmes sont largement plus nombreuses que les hommes, la solidarité féminine doit être en mesure de faire pencher la balance en faveur des travailleuses. Il est nécessaire de construire des ponts et des passerelles entre nos différentes conditions, pour insuffler une vague qui renversera les codes établis. Pour se faire, il est capital de s'opposer à la censure du patriarcat, en encourageant la publication de récits par et pour les minorités.

    b) Donner à lire d'autres récits

    La publication d'un livre est un enjeu politique qui répond à une certaine idée que les détenteurs des moyens de production se font de la culture, de l'accès à l'information et de la pertinence d'un sujet et du public auquel il se destine. En comparant à la diversité de la population française, on peut affirmer que les catalogues ne représentent pas adéquatement tous les points de vue, à cause du racisme notamment, mais aussi de l'homophobie, de la transphobie, de la grossophobie, etc. La question de la représentation dans la culture est abordée de manière ludique par la dessinatrice Mirion Malle en 2014. Elle y explique que le point de vue qui est donné par la

    Université Paris 13 -- Sorbonne Paris Nord 62

    115 RACINE, Bruno, « L'auteur et l'acte de création », ministère de la Culture, 22 janvier 2020, p. 6.

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    NOTE GRAMMATICALE, ORTHOGRAPHIQUE ET POLITIQUE 2

    INTRODUCTION

    2

    I.

    ÉTAT DES LIEUX DE L'ÉCHEC DU FONCTIONNEMENT DE L'ÉDITION FRANÇAISE

    5

    A.

    LA SURPRODUCTION

    5

     

    A)

    ORIGINES ET ORGANISATION

    6

     
     

    Historique du marketing du livre et de ses points de vente

    6

     
     

    Prix littéraires et conflits d'intérêts

    8

     
     

    Le secteur scolaire et parascolaire : la surproduction institutionnalisée

    9

     

    B)

    INVESTISSEURS ET CONCENTRATION DES MAISONS D'ÉDITION

    10

     

    C)

    SATURATION DU MARCHÉ ET GASPILLAGE

    13

    B.

     

    EN PRATIQUE : PLUS-VALUE, DISCRIMINATION, OPPRESSION

    15

     

    A)

    DANS LES MAISONS D'ÉDITION

    16

     
     

    Exploitation de la force de travail

    16

     
     

    Racisme, sexisme, homophobie

    18

     

    B)

    ABUSER DU RAPPORT DE FORCE DE L'ÉDITRICE SUR L'AUTRICE

    21

     
     

    Paupérisation des autrices

    22

     
     

    Racisme, sexisme, homophobie

    24

     

    C)

    FAIRE PRESSION SUR LES PRESTATAIRES

    26

    C.

     

    CE QUE LE COVID-19 A FAIT À L'ÉDITION

    28

    A) BILAN FINANCIER PRESQUE ÉQUIVALENT PAR RAPPORT AUX ANNÉES PRÉCÉDENTES 28

    B) LORSQUE LE TÉLÉTRAVAIL COMPLIQUE TOUT 29

    C) REPENSER LA PROMOTION ET LA COMMUNICATION 30

    II. IMAGINER D'AUTRES FONCTIONNEMENTS ÉDITORIAUX 32

    A. LES PETITES STRUCTURES CAPITALISTES 32

    Les éditions Lapin 32

    Université Paris 13 -- Sorbonne Paris Nord 66

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    Les éditions Monsieur Toussaint L'ouverture 33

    B. LES STRUCTURES COOPÉRATIVES ET ASSOCIATIVES 34

    A) L'ASSOCIATIF ÉDITORIAL 35

    Les éditions Même Pas Mal 35

    Les éditions Monstrograph 36

    Éditions Hystériques & associées 37

    B) SCOP 39

    Alain Oriot, créateur des éditions du Croquant 39

    Les éditions Buissonnières 40

    C. LE MÉCÉNAT : PATREON ET AUTRES FORMES DE FINANCEMENTS PARTICIPATIFS 41

    A) LES ÉDITIONS EXEMPLAIRE : AUTEURS ET AUTRICES EN BANDE ORGANISÉE 41

    B) AU SEIN DES MAISONS D'ÉDITION 44

    C) EN AUTOÉDITION 45

    III. QUELQUES OUTILS POUR DEVENIR UNE ÉDITRICE ANTICAPITALISTE ET FÉMINISTE 47

    A. PRENDRE DES ENGAGEMENTS ÉTHIQUES CONTRE DES PRIX COMPÉTITIFS 47

    A) MATIÈRES PREMIÈRES 48

    B) LES PETITES MAINS INVISIBLES 49

    C) SORTIR DU MONOPOLE DES CIRCUITS DE DIFFUSION/DISTRIBUTION CLASSIQUES 50

    Dépendance financière aux grands groupes éditoriaux 51

    Distributeur d'indépendants 51

    Se battre contre Amazon 52

    B. REDISTRIBUTION, RÉPARATION 54

    A) L'UNION FAIT LA FORCE 54

    B) LE « CAMEMBERT » DU PRIX DU LIVRE 56

    C) PRODUIRE MOINS POUR PRODUIRE MIEUX ? 57

    C. LA NÉCESSITÉ D'UN FÉMINISME INTERSECTIONNEL 59

    Université Paris 13 -- Sorbonne Paris Nord

    67

    Université Paris 13 -- Sorbonne Paris Nord 68

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    A) CHANGER LES MENTALITÉS À SON ÉCHELLE 59

    B) DONNER A LIRE D'AUTRES RÉCITS 62

    CONCLUSION 65






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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand