VII- CADRES THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE
La mise en corrélation du cadre théorique et
méthodologique de ce travail permet de mieux assimiler les enjeux de
l'action des ONG internationales dans les camps de réfugiés au
31 Madeleine GRAWITZ, Op Cit, p.353
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Tchad. La théorie, est une expression
systématique et cohérente de la
réalité32. Selon Madeleine GRAWITZ, la méthode
est « l'ensemble des opérations intellectuelles par lesquelles
une discipline cherche à atteindre qu'elle poursuit, les
dénombre, les vérifie »33. En principe, il
existe deux principales grilles théoriques, notamment celles relatives
aux droits de l'homme fondées sur le positivisme juridique. L'autre
grille repose sur les théories relations internationales (R.I). Dans le
cadre de ce travail, nous allons nous intéresser à quelques
théories des RI, à savoir l'approche Transnationaliste,
Réaliste, et Néolibéraliste.
A- CADRE THEORIQUE
Les Relations Internationales en tant que science sociale et
autonome se définissent par leur objet, ce par quoi la discipline se
constitue.
Les théories des Relations Internationales sont un
ensemble cohérent et systématique des propositions ayant pour but
d'éclairer la sphère des relations sociales que nous nommons
internationales34. Elles sont donc la simplification de la
réalité rendant compte des phénomènes
compliqués et servent à faire accepter une certaine lecture du
monde aux autres. Pierre-Marc DAIGNEAULT est éloquent lorsqu'il affirme
que « la théorie constitue une lentille conceptuelle qui permet de
simplifier le réel en distinguant ce qui est important de ce qui ne
l'est pas »35. C'est selon cette optique que notre étude
s'inscrit dans le registre des théories du transnationalisme (1), le
réalisme (2) et le néolibéralisme (3).
1- Le transnationalisme
Ce paradigme de transnationalisme est développé
par Robert KEHOANE et Joseph NYE pour qui, « le
phénomène des relations internationales n'est pas le seul fait
des entités étatiques, mais aussi celui des autres acteurs du
système international36 ». De plus ils poursuivent
en disant qu'il existe « des relations transnationales. Contacts,
conditions, et interactions transfrontalières qui ne sont pas
contrôlés par les organes centraux de la politique
32Philippe BRAILLARD, Théorie des Relations
Internationales, Paris, PUF, 1997, p13-14
33 Madeleine GRAWITZ, Méthodes des Sciences Sociales,
Paris, Dalloz, 11e édition, 2001 p.398
34 BRAILLARD, Théorie des Relations
Internationales, Paris, P.U.F, 1977. p.48
35 Pierre-Marc DAIGNEAULT, « Les approches
théoriques en évaluation », Incahiers de la performance
de l'évaluation Printemps, N°4, 2011, p.12
36 Robert KEHOANE, Joseph NYE, Transnational relations and
world politics, cités par D.BATTISTELLA, Théories des
relations internationales, Paris, Presses des sciences po, 4e
édition, 2012, p.225.
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étrangère des gouvernements
»37. A cet effet, l'affluence des réfugiés
n'est pas encadrée par les normes étatiques. Elle est la
volonté des populations désireuses de s'établir ailleurs
que dans leur pays d'origine. Elle relève du transnationalisme car il
y'a à la base une traversée des limites d'une frontière
nationale indépendamment de la volonté de l'Etat hôte, mais
aussi l'intervention des autres acteurs en l'occurrence les ONG et les
individus.
Cette théorie nous permet de montrer la place
déterminante des nouveaux acteurs dans la politique
étrangère. Marie-Claude SMOUTS38 en est l'une des
principales théoriciennes. Sa mobilisation va permettre de comprendre
pourquoi l'Etat ne détient plus le monopole en matière des
relations internationales. Il s'agit d'analyser les actions des ONG
internationales dans un Etat à savoir le Tchad ainsi que le comportement
de ce dernier face à ces actions. La théorie du transnationalisme
permet de comprendre l'importance et la place des individus dans la
structuration des systèmes politiques mondiaux, particulièrement
dans les Etats en ce qui concerne le respect du droit à
l'établissement39 notamment des réfugiés.
Même si le traité de Westphalie consacre le principe de la
souveraineté étatique, les acteurs non étatiques jouent un
rôle déterminant sur la scène internationale. Il sied pour
cela de voir comment les rassemblements de personnes lors d'un colloque ou
après une décision prise par l'Etat, font fléchir les
politiques étatiques.
Certes, dans les relations internationales, il y'a des acteurs
non étatiques mais il serait judicieux de relativiser tout cela. L'Etat
est communément défini comme « une collectivité
qui se compose d'un territoire et d'une population soumise à un pouvoir
politique organisé »40 se caractérisant par
la souveraineté41. L'individu qui est le
réfugié et les ONG lui sont soumis, et l'Etat devient à la
fois leur mandataire. Mais avec le transnationalisme, dans le cadre de cette
étude, l'individu en l'occurrence s'émancipe de l'Etat, il viole
les règles de l'Etat en ne s'y soumettant pas ; puisqu'il décide
d'entrer dans un territoire sans la permission des autorités. En somme,
cette situation se transforme en un thème de sécurité par
excellence : crainte de l'invasion démographique, de la perte de
contrôle des frontières, des altérations de
l'identité culturelle, enfin de la déliquescence de l'Etat
providence.
37Robert KEHOANE, Joseph NYE, Transnational
relations and world politics, cités par D.BATTISTELLA,
Théories des relations internationales, Paris, Presses des
sciences po, 4e édition revue et argumentée, 2006,
p.194 38Marie-Claude SMOUTS, Les nouvelles relations
internationales. Pratiques et théories, Paris, Presses de sciences
po, 1998, p.410
39Convention des Nations Unies contre la
criminalité transnationale du 09 Janvier 2001
40Ch. ROUSSEAU, L'indépendance de l'Etat
dans l'ordre international, Paris, RCADI, 1948, p167-178. 41 P. DAILLIER,
M. FORTEAU, A. PELLET, Droit International Public, Paris, LGDJ, 2009,
p.450
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2- Le réalisme
Le réalisme est un paradigme dominant des relations
internationales depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Même s'il a
été l'objet d'attaques et de remises en cause, la plupart de
chercheurs ne peuvent s'empêcher de se reconnaître dans l'aveu
émis en son temps par Martin WIGHT : « De nos jours, nous sommes
tous réalistes42». Justement parce que le
réalisme a su s'adapter et maintenir sa suprématie sur la
discipline. Cette théorie a pour principaux auteurs : Thucydide
d'Athènes, Machiavel Nicolas, Thomas Hobbes, Raymond Aron, Hans
Morgenthau, etc. Pour Raymond ARON43, l'Etat est
considéré comme l'acteur unitaire et rationnel des relations
internationales. Ce paradigme admet l'existence d'autres acteurs, mais ces
derniers dérivent leur existence et leur importance relative des Etats,
car leurs actions ne peuvent être comprises que dans le contexte d'un
système composé d'Etats souverains44.
L'approche stato-centrée des relations internationales
fait de l'Etat le concepteur de toute politique nationale et
étrangère, le seul enclin à créer des
mécanismes de suivi, de gestion et de protection de sa population ainsi
que tous les résidents de son territoire. De même, le concept
d'intérêt national, comme motivation principale de toute politique
étrangère de l'Etat peut se voir dans la matérialisation
du souci de préserver ses ressortissants nationaux de l'affluence d'une
vague de population d'un pays voisin fuyant la guerre. Elle va permettre donc
de choisir les motivations de l'Etat tchadien dans l'exercice de la protection
de son territoire exposé à un envahissement d'une population
étrangère susceptible de lui créer des problèmes
d'ordre sécuritaire et socioéconomique.
La théorie réaliste est l'une des grilles
d'analyse qui rentre dans le moule de ce travail de recherche en ce sens que
nous aurons à étudier les ONG internationales intervenant au
Tchad. Cette théorie place l'Etat comme une entité animée
par la maximisation de ses intérêts tout en affirmant sa
suprématie et son hégémonie sur tout et tous ceux qui se
trouvent dans son espace. De ce fait, étant donné que les ONGI
interviennent au Tchad, bien que cela soit dans un but humanitaire, l'Etat
tchadien dans le souci de protéger ses populations, ce qui entre
effectivement dans le cadre de ses prérogatives, veille à
être épargné de toute éventualité de
42Raymond ARON, Paix et guerre entre les
Nations, Paris, Calmann-Lévy, 1984, cité par Dario
BATTISTELLA, Théorie des Relations Internationales, Paris,
Presses de la Fondation Nationale de Sciences Politiques, 2006, p. 113
43Dario BATTISTELLA, Théorie des
relations internationales, Paris, Presses de la fondation nationale des
sciences politiques, 2006, p.113
44 M-C SMOUTS, Dario BATTISTELLA, Pascal VENNESSON,
Dictionnaire des relations internationales, Paris, Dalloz, 2006,
p.453-454.
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surprise de la part des ONG dans l'accomplissement de leur
mission. Motif qui anime le Tchad à contrôler et encadrer toutes
les actions des ONG internationales dans les camps de réfugiés de
Goré.
3- Le néolibéralisme
Le courant néolibéral a eu en France une vie
particulièrement brève avec le colloque Walter Lippmann de 1938
à la fin des années soixante45. Sa création
tient à une volonté de réagir à la domination des
idées planistes et dirigistes de la fin des années trente et de
montrer que la manière la meilleure de faire face aux problèmes
de l'heure résidait dans un libéralisme reconstruit. Parmi les
principaux auteurs de ce courant on compte Jacques RUEFF un disciple de
Clément COLSON, Maurice ALLAIS, Louis BAUDIN et Daniel VILLEY.
Ce faisant, Caroline BROUDIC46 pourrait bien nous
aider à comprendre, par un détour par les politiques de
développement, ce qui se joue dans la « libéralisation de
l'humanitaire » par l'entremise des ONG. L'aide humanitaire et le
développement sont fréquemment traversés par de nouvelles
sémantiques à l'apparence neutre. Elles s'inscrivent dans une
politique affichée de réduction de la pauvreté et/ou des
« vulnérabilités » et se structurent autour de termes
tels que « gouvernance », « réduction des risques »,
« changement climatique », « protection et assistance des
réfugiés ». Si, dans les années 1980-1990, des
mouvements alternatifs portés par la société civile
à l'image des altermondialistes émergeaient, laissant entrevoir
l'éventualité d'autres modèles économiques, force
est aujourd'hui d'admettre que la doctrine libérale est dominante. Le
modèle néolibéral se propage sans grande confrontation
idéologique et en s'appuyant même sur des acteurs tels que les
Organisations internationales et les ONG portant des valeurs parfois en
contradiction. Il s'agit d'apporter des éléments de
réponse aux deux questions suivantes : Les ONG ont-elles pleinement
conscience du modèle auquel elles participent et y adhèrent-elles
? N'y a-t-il pas une confrontation entre les valeurs et principes
défendus par les ONG et les actions auxquelles elles participent ?
La protection sociale et l'assistance aux vulnérables
font partie des mesures utilisées depuis une quinzaine d'années
par les institutions internationales, telle la Banque mondiale, dans les pays
en développement. Il pose également une question éthique
sur la légitimité des
45Francis Urbain CLAVE, Walter LIPMAN et le
Néolibéralisme de la cité libre, Paris, Cahiers
d'économie politique, 2005. p 79 à 110.
46 Caroline BROUDIC, « Les ONG, cheval de Troie du
Néolibéralisme ? », Humanitaire, Paris, 2014, p.64
à 75
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ONG à réaliser des programmes de protection
sociale tandis que la redistribution est une des prérogatives de
l'État. Il ne s'agit pas de remettre en question le bien-fondé de
la protection sociale en général, mais au contraire de
défendre l'idée qu'il n'existe pas une approche unique
transposable à tous les pays et que la préférence pour un
modèle est politique et vient d'un choix de société. Il
relève en quelque sorte de la souveraineté de l'État.
Enfin, il s'agit de poser la question du rôle des ONG et notamment de
s'assurer qu'elles ont bien conscience du modèle auquel elles
participent, et ce d'autant plus qu'elles sont aujourd'hui l'un des principaux
acteurs de la mise en oeuvre de cette politique de développement des
Etats. La technicité grandissante de nombreuses ONG en réponse
à des programmes de plus en plus complexes a pu les détourner
d'une réflexion politique sur le sens de leur action. Plus qu'un
éloignement du champ politique des individus qui les constituent, la
dépolitisation des ONG est plus probablement le fait de leur forte
dépendance à des bailleurs institutionnels porteurs d'un
modèle uniformisé. La dépolitisation des ONG participe
également à leur instrumentalisation. Les exigences pour
évaluer la qualité des projets ont fortement augmenté ces
dernières années, mais ces évaluations ne disent rien du
modèle qui est promu à travers chacune de ces actions. En
plaçant les ONG hors du champ politique et sur le terrain de
l'universalité des valeurs, la critique reste possible, mais la
contestation devient embarrassante, voire suspecte. On ne saurait en effet
contester le bien-fondé de son action puisqu'elle repose sur des valeurs
humanistes et universelles : « Nés après la
Révolution française, les Droits de l'homme sont devenus depuis
les années 1980 l'antithèse même de tout engagement
révolutionnaire ». Le seul engagement valable et
désintéressé est alors une cause humanitaire. De ce point
de vue, l'humanitarisme est un peu l'idéologie d'une ère qui se
voudrait «post-idéologique».
Les ONG qui s'inscrivaient parfois dans une démarche
contestataire se retrouvent ainsi l'instrument du modèle qui
génère les tensions auxquelles elles tentent de répondre.
En prendre conscience permettra de s'en affranchir et de regagner en
indépendance.
Ainsi, les ONG internationales au Tchad, grâce à
leurs actions dans les camps de réfugiés jouent un rôle
prépondérant dans la stabilisation du Tchad et la maitrise du
flux des réfugiés dans son territoire. Ceci contribue
inéluctablement à sa politique de développement.
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