MÉMOIRE - CESACOM LILLE CERTIFICATION PROFESSIONNELLE
DE NIVEAU 6 MANAGER EN STRATÉGIES DES COMMUNICATIONS
Pourquoi le storytelling marketing réussit à
engager une aussi grande partie des consommateurs ?
1
Agathe GIROD
Sous la direction de Anne-Sophie BARIETY et la codirection
de Sophie HIMPE
2
« Les événements vécus
sont la clé des événements
observés. » Germaine Tillon
3
REMERCIEMENTS
Je voudrais d'abord remercier toutes les personnes qui ont
contribué au bon déroulement de la rédaction de ce
mémoire, et celles qui m'ont aidée lors de la rédaction de
celui-ci.
De prime abord, je remercie Madame Anne-Sophie Bariety, pour
les précieux conseils qu'elle m'a apportée tout au long de mes
recherches, et lors de la rédaction de ce mémoire.
Je la remercie également chaleureusement pour sa
sympathie et pour l'écoute dont elle a fait preuve lorsque le besoin se
ressentait.
Je tiens également à remercier Madame Sophie Himpe
pour ses conseils.
Plus personnellement, je tiens à remercier mes anciens
collègues Camille Ribeaucourt et Paul Bala, qui m'ont toujours soutenue,
que ce soit quotidiennement ou dans la logique de ce mémoire. Ma
compagne Romie Demarez, qui m'a permis de garder le moral lorsque la motivation
était au plus bas.
Un grand merci à mes amies Margot Franck pour son
soutient lors de ce mémoire qui je cite, « on ne doit pas prononcer
le nom » et ses identifiants Cairn, qui m'ont été d'une
grande aide, ainsi que Camille Fournet pour toutes les fois où elle m'a
rassuré et aidé au long de cette année.
Je tiens encore à remercier chaleureusement Madame
Magali Bigey pour l'aide qu'elle m'a apportée lors des prémices
de ce mémoire, pour mes deux années d'études de DUT
d'Information-Communication à Besançon, que ce soit d'un point de
vue personnel ou professionnel. Pour l'inspiration qu'elle m'a donnée
sans le savoir depuis ces quatre ans, et pour ces heures de cours à ses
côtés, toutes les plus passionnantes les unes que les autres.
Et enfin, un remerciement tout particulier pour ma
mère, sans qui je ne serais pas à Lille cette année, qui
croit en moi quoi que je fasse et qui a corrigé ce mémoire.
4
Table des matières
INTRODUCTION AU SUJET 5
Première partie 8
I - Le concept de l'engagement 8
A - Un fort sentiment d'appartenance 8
1. Une quête d'identité avant tout 8
2) Les marques, une alternative pour nos jours ? 10
B - Les différentes dimensions de l'engagement
12
1) La dimension affective 12
2) L'engagement lors des conduites sociales 14
3) La dimension psychologique et sociologique 16
Deuxième partie II - Le storytelling dans le
temps 22
A - Le storytelling a-t-il toujours la même place
au fil des années ? 23
1) Est-ce que tout n'est que storytelling ? 23
2) Le storytelling fait-il tourner le monde ? 26
B - La construction du récit 30
1) L'art de narrer 30
Troisième partie III - Le storytelling des
marques et l'engagement des consommateurs 35
A - Comment les marques s'approprient-elles le
storytelling 36
1) Les marques, ces grands orateurs 36
2) Mythes, contes et légendes, sont-ils (re)vus ? 41
B - Le crowdfunding et la co-création de marque :
de nouveaux modes d'engagement
participatifs 50
1) Le crowdfunding, un engagement solidaire 50
2) Mieux comprendre ses consommateurs : la co-création de
marque 52
5
INTRODUCTION AU SUJET
L'Amour. Si 500 personnes donnent la définition de
l'Amour, aucune d'entre elle ne donnera la même. Alors que par exemple,
le mot « pneu ». Si ces 500 mêmes personnes donnent la
définition du mot pneu, elles donneront la même réponse, ou
presque. Pour Frédéric Beigbeder, célèbre
concepteur-rédacteur, « Être amoureux, c'est être
étonné. Quand l'étonnement disparaît, c'est la fin.
1»
Mais, pourquoi le tout premier paragraphe de ce mémoire
parle d'Amour, avec un grand A, lorsque la problématique de celui-ci
parle de storytelling de marque et d'engagement ? La réponse est simple
: il n'y a pas d'engagement envers une marque sans Amour. Et pour une marque,
rien n'est plus important que des consommateurs qui s'engagent à la
suivre, à l'acheter, à l'aimer et à la chérir, que
ce soit pour ses produits ou son écosystème. C'est pourquoi la
notion d'engagement est la première chose qui sera abordée lors
de ce mémoire.
Mais pour qu'il y ait de l'Amour, et donc de l'engagement, les
marques doivent faire appel à quelque chose de moins en moins
apprécié : la publicité. Dans la société
actuelle, la publicité est pourtant partout. Dans les bouches de
métro, sur les arrêts de bus, à la télé, sur
les portables, les ordinateurs, au cinéma, partout ! Il semble que nous
nous dirigeons, pourtant, vers un monde sans publicité. Entre la
disparition de la publicité papier traditionnelle, l'avènement
des AdBlockers, la montée de l'activisme Anti-Pub, et la baisse des
audiences TV, les chiffres parlent d'eux-mêmes. Une enquête
réalisée sur 700 personnes a démontré que 64%
d'entre elles trouve la publicité banale, 61% la trouve stressante, et
79% envahissante.
La publicité est donc partout autour, et même si
personne ne semble l'aimer, chacun y porte, tout de même, une attention
particulière en s'y intéressant et en en parlant.
Ce constat est réel. C'est là qu'intervient la
vision de Frédéric Beigbeder. « Être amoureux, c'est
être étonné. Quand l'étonnement disparaît,
c'est la fin. »2 Pour la publicité, et
1 Frédéric Beigbeder, 99F,
Italie, Éditions Grasset & Fasquelle, 2020, p. 127.
2 Idem.
6
pour la communication, c'est exactement la même chose.
Il y a même des films et des séries qui ont pour thème la
publicité, comme Trust Me, ou, beaucoup plus connu, Mad
Men, qui raconte le début des métiers publicitaires. Ces
métiers-là sont même très répandus dans le
milieu littéraire, comme dans la saga Les Chroniques de San
Francisco d'Armistead Maupin, où un des personnages travaille dans
une agence publicitaire.
Mais alors comment expliquer que les consommateurs de marques
restent aussi fidèles à celles-ci alors que la publicité
déplaît autant, et semble très intrusive par sa constante
présence dans notre quotidien, dans nos films, séries, lectures,
etc. ? Et compte-tenu du rôle de la publicité autour d'un produit,
pourquoi avoir besoin « d'étonner » le consommateur comme dit
Frédéric Beigbeder ? Y a-t-il des moyens qui fonctionnent plus
que d'autres ?
Partons d'une définition pure et dure. La communication
commerciale découle du marketing mix : Produit, Prix, Distribution et
Communication. Elle a pour but de séduire et d'inciter à l'achat,
au-delà d'informer la sortie d'un produit. Et si les objectifs d'une
campagne publicitaire sont d'ordre cognitif, affectif et conatif, ils sont
avant tout marketing. Car le but c'est de vendre, vendre, et vendre. Et pour
cela, on va aller toucher nos consommateurs par tous les moyens possibles.
Pour le célèbre publicitaire Jean-Marie Dru, la
publicité est « une loupe qui nous permet de voir de plus
près ce qui conditionne la vie des entreprises et parfois même, la
vie tout court »3. Pour aller plus loin, la vision d'Ervin
Goffman, sociologue et linguiste marche également. Pour lui, la
publicité est une hyper-ritualisation du quotidien, un art qui renvoie,
donc, aux mêmes procédés que ceux déployés en
société. Quant à Valérie Sacriste, également
sociologue, elle raconte dans son ouvrage Sociologie de la communication
publicitaire, que « la publicité peut être
appréhendée comme un laboratoire, voire un miroir de l'imaginaire
social »4.
Les objectifs sont donnés, les définitions
aussi. Bien qu'elle ne soit que subjective, la publicité doit
réussir à séduire, l'ensemble des consommateurs (actuels
ou potentiels), en passant par les moyens les plus créatifs possibles.
Elle passe alors par différents registres,
3 Jean-Marie Dru, Jet-lag, France, Grasset,
2011, p.14.
4 Valérie Sacriste, « Sociologie de la
communication publicitaire », L'Année sociologique, vol.
51, no. 2, 2001, p. 491.
comme l'humour, l'information, l'humain, le beau, les pleurs,
ou même parfois la mort, et bien plus encore.
Mais pour toucher un public, il faut savoir aller plus loin
que seulement jouer sur ces registres. C'est pourquoi la publicité a
récupéré la méthode du storytelling afin de bercer
les consommateurs avec de belles histoires. Le storytelling, ou bien l'art
commercial consistant à raconter de belles histoires en ajoutant un
caractère fictif à l'argumentaire de vente.
Jean-Marie Dru, Ervin Goffman et Valérie Sacriste ont
démontré que la publicité était seulement un reflet
de la réalité. Selon Valérie Sacriste, c'est même un
« prothésiste identifiable »5. Elle va
également jusqu'à citer un socialiste allemand, Serge
Tchakhotine, parlant de la publicité comme étant « le viol
des foules ». C'est pourquoi le storytelling a pris une ampleur si grande
dans le monde de la publicité, et de la communication. Raconter des
histoires est devenu le meilleur moyen de rappeler des souvenirs aux
consommateurs. Qui n'a jamais regardé un de ses proches en lui disant
« tu te souviens quand É ? ». Et bien pour le storytelling,
c'est pareil. Son but est de se calquer sur la réalité, comme le
fait déjà la publicité. Ainsi, ce procédé
sera la deuxième grande partie que nous aborderons ensemble.
Cependant, l'utilisation de storytelling dans la
publicité suscite d'autres interrogations : d'où vient ce
sentiment d'appartenance envers les marques, est-ce que le storytelling ne se
trouve que dans l'univers des marques, y a-t-il un autre mode de fonctionnement
?
Ces questions m'ont aidée à construire mon plan
qui me permettra de répondre à ma problématique globale,
qui est la suivante :
Pourquoi le storytelling marketing réussit
à engager une aussi grande partie des consommateurs ?
7
5 Valérie Sacriste, « Sociologie de la
communication publicitaire », art. cit. p. 491.
8
Première partie
I - Le concept de l'engagement
Des chiffres et statistiques existent pouvant mesurer
l'engagement contemporain, mais il n'est pas sûr qu'ils suffisent
à trancher le début. Par exemple, la baisse ou la hausse des
jours de grève, des adhésions aux partis politiques, etc. Mais
peut-on vraiment réserver la baisse et la montée des engagements
dans les espaces publics ? Qu'appelle-t-on être engagé ? Faut-il
apprécier l'engagement en fonction du lieu où il s'opère
et ne pas retenir comme un véritable engagement celui qui se fait par
exemple dans une salle de sport ? L'engagement doit-il être constant, ou
les adhésions passagères comptent aussi ? La place des
réseaux sociaux est de plus en plus importante avec les appels aux dons
pour des associations, est-ce un réel engagement ? Chacun est en mesure
de dire si oui ou non, sa propre expérience est un engagement ou non,
pour telle ou telle pratique. C'est pourquoi la définition de
l'engagement fait autant débat.6 « On a
déjà montré combien les modalités d'engagement sont
aujourd'hui multiples et donc différemment appréciées.
{É} Bref, l'engagement n'est pas objectivement définissable et
donc ce n'est pas mesurable. »7 La seule solution possible pour
définir l'engagement : s'en rapprocher le plus possible.
A - Un fort sentiment d'appartenance
1. Une quête d'identité avant tout
Depuis toujours, les Hommes ont ce besoin fort d'appartenir
à quelque chose. Que ce soit la politique, la religion, ou un pacte en
général, le sentiment d'appartenance est là. Cela, Paul
Audi, philosophe français, l'explique dans Remarques sur le
sentiment d'appartenance8. Les individus se questionnent
constamment sur leur identité. C'est leur façon à eux de
se décrire. Il est vrai que rien n'est aussi peu fixé et
identique à soi que son identité. Jacques Derrida, philosophe
également, a d'ailleurs dit que l'identité « n'est jamais
donnée, reçue et atteinte car seul s'endure le processus
interminable, indéfiniment phantasmatique, de l'identification
»9.
6 Jacques Ion, S'engager dans une
société d'individu, Armand Colin, 2012, p. 21.
7 Ibid, p. 22.
8 Paul Audi, « Remarques sur le sentiment
d'appartenance », Les Temps Modernes, vol. 661, no. 5, 2010, p.
146.
9 Jacques Derrida, Le monolinguisme de l'autre, Paris,
Galilée, 1966, p. 53.
9
Une identité s'indique toujours par des signes. Par
exemple, si un individu appartient à une certaine origine, il peut
posséder un accent. Il possède donc un marqueur
d'identité. Ces marqueurs sont nombreux, ils peuvent être, comme
énoncé ci-dessus, politiques, religieux, ou encore familiaux,
sexuels, etc. Ces signes marqueurs d'identité pourraient
également être appelés des marqueurs d'appartenance.
Ceux-ci peuvent être choisis, voire subis. On peut choisir sa religion,
ou non. Cependant, on ne peut pas choisir son accent. C'est cette assignation
qui est au fondement du phénomène de l'appartenance.
Pour faire un point étymologique, le verbe appartenir
vient du latin ad-pertinere, voulant dire « dépendre de ». Et
pour ce qui est de l'appartenance, l'identité est définie
à l'origine. C'est avant tout un sentiment, parce qu'elle
s'éprouve seulement. Elle peut également être une
visée, et c'est à ce moment-là que Paul Audi explique que
« c'est alors une identité à proprement parler que l'on a
affaire, une identité au sens de ce vers quoi se dirige le processus
d'identification »10.
Il explique également que :
Une façon de faire comprendre cette distinction
consisterait en ceci : à une identité a quo (à
une identité reçue, donc, c'est-à-dire une appartenance)
l'on ne peut que se montrer fidèle ou infidèle. Tandis
qu'à une identité ad quem (autant dire à une
identité choisie) l'on ne peut que se montrer plus ou moins
conforme. On est fidèle ou infidèle à quelque chose
que l'on a reçu en partage, mais on se révèle plus ou
moins conforme à une identité que l'on a élue comme
sienne.11
De nos jours, les appartenances qu'un individu peut avoir,
comparé à d'autres époques ne sont plus les mêmes.
Elles sont moins durables, sont plus flexibles, sont plus individuelles, et
sont plus libres au niveau des choix. Les familles divorcent plus, il est plus
facile de changer plusieurs fois de métier d'un point de vue
professionnel, déménager est plus simple, et les orientations
sexuelles sont plus libres publiquement.12
Plusieurs auteurs et philosophes ont mis en avant à
quel point le sentiment d'appartenance était important. Dont Asma Chaieb
Achour. Elle citera Simone Weil, pour qui l'enracinement est important pour
l'Homme : « Un être humain a une racine par sa participation
réelle, active et naturelle. {É} Chaque être humain a
besoin d'avoir de multiples racines. Il a besoin de
10 Paul Audi, « Remarques sur le sentiment
d'appartenance », art. cit. p. 148.
11 Idem.
12 Jacques Ion, S'engager dans une
société d'individu, opt. cit., 2012, p.22.
10
recevoir la presque totalité de sa vie morale,
intellectuelle, spirituelle par l'intermédiaire des milieux dont il fait
naturellement partie ».13
2) Les marques, une alternative pour nos jours ?
Au fur et à mesure du temps, les religions, la
politique, les pactes, et ainsi de suite, ont laissé place à une
nouvelle entité. Quelque chose de plus fort, plus grand a pris le relai
afin que le sentiment d'appartenance se déplace, que pour trouver son
identité, on aille ailleurs. Et cette entité, ce sont les
marques. Effectivement, un sentiment d'appartenance très fort est
né.
Le concept de la recherche identitaire n'a jamais autant
été évoqué que depuis l'avènement de la
mondialisation. On parle de « crispes identitaires »14, de
« crispations identitaires »15, ou même de «
quête identitaire »16.
Que ce soit la politique, la psychologie, la sociologie, la
communication, et bien d'autres, aucun domaine n'échappe à cette
mondialisation et à cette recherche d'identification. Comme
énoncé ci-dessus, les sphères dans lesquelles il
était facile de se retrouver éclatent plus facilement. Famille,
religion, etc. Par cette perte de repère, les consommateurs se tournent
alors vers les expériences individuelles, en accord avec leurs croyances
personnelles, et placent leur quête identitaire vers les marques.
Claudine Batazzi et Anne Parizot citent par ailleurs Gilles
Lipovetsky : « La consommation provoquant des émotions et des
sensations qui loin de répondre seulement à des besoins, sont
toucher à la quête identitaire du consommateur {É} est une
quête dans la mesure où les traditions, la religion, le politique
sont moins productrices d'identité sociale »17. Cet
auteur parle également de « consommation intimisée
»18 lorsque le consommateur vit une expérience de
consommation, et qu'il met à jour son individualisation.
L'expérience de la part du consommateur vient d'un
réel marketing tribal, où l'émotion est extrêmement
présente. On parle ici de « marketing indiciel identitaire ».
La société est un
13 Asma Chaieb Achour, « L'impact du sentiment
d'appartenance sur l'achat du produit partage et du produit national »,
Recherches en Sciences de Gestion, vol. 91, no. 4, 2012, p. 63.
14 Idem.
15 Idem.
16 Idem.
17 Claudine Batazzi, Anne Parizot, «
Identités de Marques et marqueurs d'identité. Vers une
construction identitaire et sociale des individus par et dans la consommation ?
», Question(s) de management, vol. 14, no. 3, 2016, p. 93.
18 Idem.
11
« réservoir d'expériences à vivre et
à créer, de sens à extraire permettant aux individus de
construire et d'ajuster leur identité »19, affirme
Olivier Badot.
Grâce à ses choix, le consommateur crée
une extension de lui-même. La marque lui produit un récit, il
devient le personnage principal, et choisit qui il devient. Il devient la
communication de la marque, les objets qu'il consomme lui apportent une
appartenance culturelle, il rejoint une communauté.
Les marques ont envahi le marché, et certains leur
vouent un véritable culte. Le niveau d'appartenance peut être
très élevé, et je reviendrais sur ce point un plus
tard.
Le sociologue Ervin Goffman indique qu'il y a trois
façons de caractériser un individu dans ses
interactions20. Le soi perçu, le soi vitrine, et le soi
idéal. Autrement dit, comment l'individu se perçoit, comment il
pense être perçu par les autres, et comment il aimerait être
perçu. Pour la marque, c'est la même chose. Le rapprochement peut
se faire ici. Elle se met en scène également tout en passant par
un jeu d'interactions mais reste propre à son identité de par ses
valeurs et ce qui en découle.
À partir du moment où identité et marque
sont réunies, le prisme de Kapferer (outil de communication) peut entrer
en jeu, afin de mettre en avant la relation marque-consommateur.
Exemple du prisme de Kapferer avec la marque Coca-Cola :
19 Olivier Badot, Les défis du sensemaking
en marketing, France, IAE Caen Basse-Normandie, 2005, p. 7.
20 Erving Goffman, Rites d'interactions,
Minuit, 1974, p. 171.
12
Le niveau de culte que l'on peut vouer à une marque est
donc, comme dit précédemment, très élevé. Il
peut également être appelé le lovemarks.
Nous pouvons prendre l'exemple d'Apple, marque de
référence en terme d'idolation. On la voit partout, la marque est
pensée pour que la fameuse pomme soit vue quoi que l'on fasse.
La marque est allée tellement loin, qu'à la mort
de son créateur, Steve Jobs, des personnes se sont recueillies en
allumant des cierges dans les rues. C'est là que l'on se rend compte que
la marque a réussie : le fondateur est presque vu comme un Dieu.
Au fur et à mesure du temps, et au fur et à
mesure des spots d'Apple, le storytelling de marque s'élabore. Il divise
des valeurs (avec la célèbre signature « Think different
»), il divise par l'argent, et il divise par l'engagement. Apple se trouve
entre l'art et l'entreprenariat (d'après Steve Jobs)21.
Apple a créé un storytelling très fort.
Si fort, que l'on est soit pour Steve Jobs, soit contre Steve Jobs. Les anti
Apple critiquent les Apple addict et inversement. Apple est devenue un mode de
vie pour eux, tellement, qu'ils en veulent toujours plus, et les anti Apple ne
comprennent pas cela. Donc même ces anti Apple sont nécessaires
à la stratégie de la marque. En conclusion, même un
storytelling basé sur la division reste efficace. Steve Jobs
révolutionne un nouveau genre de storytelling.
B - Les différentes dimensions de l'engagement
1) La dimension affective
L'engagement. Étymologiquement, « to commit »
(s'engager en anglais) signifie « commettre » (mettre avec), confier
quelque chose à quelqu'un, lui apporter quelque chose. L'idée
d'offrir une garantie en échange d'une promesse. Par exemple, le
consommateur confie sa confiance à une marque en échange d'une
promesse : le satisfaire.22
L'engagement suppose que celui qui met en gage reçoit
des responsabilités ainsi que des obligations envers celui qui
reçoit, et inversement.
Le concept de l'engagement a pris différentes formes au
cours des années, et différentes contributions ont vu le jour,
selon les chercheurs.
21 Un créatif, L'élitisme
d'Apple, contenu à but éduquant, YouTube, diffusé le
1er novembre 2021, 16min35.
22 Jean-Marie de Ketel, « Engagement
professionnel », dans Anne Jorro édition, Dictionnaire des concepts
de la professionnalisation, De Boeck Supérieur, 2013, p.
102.
13
De prime abord, nous verrons une des trois déclinaisons
de Meyer et Allen, de 199123. La dimension affective, touchant la
sphère du désir.
L'approche affective de l'engagement, et plus exactement
l'approche affective, continu et normative, sera ici approchée de
l'engagement professionnel.
Le modèle tridimensionnel d'engagement (Meyer et
Allen), est devenu la norme à la fin des années 1990.
Il correspond à un attachement émotionnel
faisant appel aux émotions acquis sur le long terme entre une entreprise
et un individu. Cet engagement se fait donc par désir, et par choix,
selon les valeurs de cette entreprise. Il pourra aller jusqu'à parler de
cette entreprise lors de sa vie personnelle ou encore faire des heures
supplémentaires de bon coeur. Il investira du temps et de
l'énergie avec joie.
Pour Meyer et Allen, plus l'employé avait un fort
engagement continu, plus il restait dans l'organisation par
nécessité. C'est la conscience qui entre en jeu. L'individu
s'engagera par besoin ou par manque d'alternatives, et c'est pourquoi
l'engagement continu s'appelle également l'engagement «
calculé »24.
Quant à l'engagement normatif, il repose avant tout sur
un sentiment d'obligation morale ou sociale, mais cette fois-ci, du point de
vue des autres personnes de l'entreprise.
L'engagement affectif a donc, pour rappel, comme fondement le
désir, mais également l'identification à ce dernier. Le
sentiment d'appartenance envers une entreprise peut être si fort, qu'il
créera un attachement porté par le désir d'en rester
membre. Ce sentiment se rapprochera de la quête d'identité
énoncée lors de la partie « Une quête
d'identité avant tout ».
Pour ce qui est de l'engagement continu, il s'appuiera sur la
perception du salarié quant aux calculs coûts-risques
associés au fait de rester oui ou non dans l'entreprise où il se
trouve. C'est pourquoi Meyer et Allen voyaient une certaine relation entre
l'engagement calculé dans le métier, et l'intention de rester
dans ce dernier. Cette forme d'engagement prend en compte toutes les
alternatives possibles que l'individu en question peut avoir.
23 Jean-Marie de Ketel, « Engagement
professionnel », art. cit., p. 102.
24 Patrick Valéau, « Les effets de
l'engagement affectif, continu et normatif sur l'intention de rester dans le
métier d'entrepreneur », Revue de l'Entrepreneuriat, vol.
16, no. 3-4, 2017, p 87.
14
Par exemple, pour le métier d'entrepreneur. Une
étude sur la surenchère engagementale a été
réalisée, par McCarthy, Schoorman, Cooper (1993), DeTienne et
Allen (2008)25. Elle démontre que la plupart des
entrepreneurs préfèrent surenchérir plutôt que de
perdre leur investissement. La faculté cognitive entre en jeu, toutes
les alternatives sont étudiées, et le choix se fait. Même
si la possibilité de garder le même métier, et de devenir
entrepreneur mais d'une nouvelle entreprise, la plupart préfère
garder la même. L'engagement affectif vient comme deuxième
facteur.
En ce qui concerne l'engagement normatif, ainsi le
côté moral de l'engagement, le côté loyal. C'est ce
qui pousse un individu à rester dans une entreprise.
2) L'engagement lors des conduites sociales
Autrefois, et comme énoncé plus haut,
l'engagement n'avait pas le même sens qu'aujourd'hui. Militaire,
religieux, sanitaire : peu importe d'où l'on venait, le sens
était communautaire, goût de vocation, la population se trouvait
dans des casernes, des églises ou encore des hôpitaux.
Mais les moeurs ont changé. Jean-François
Lyotard appellera ça La fin des grands récits, les
engagements sont de moins en moins collectifs mais plus individuels.
L'engagement ne tire plus sur l'autorité, mais sur la motivation, et sur
la sincérité de cet engagement individuel. Lorsque l'on s'engage,
nous le faisons de notre plein gré.26
Mais que joue-t-on, lorsque l'on s'engage ? Car, il a
été rappelé plus haut l'étymologie du mot «
engagement ». Lorsque l'on s'engage, il y a un échange d'une
promesse. Jean-Philippe Pierre rappelle alors que :
L'engagement n'est donc pas gratuit. Il coûte, il est
coûteux, voire onéreux. Le prix
à payer de l'engagement, c'est la mobilisation de sa
liberté. Forme d'enduré du temps, l'engagement se fait
par-là exercice plénier de la liberté.27
L'engagement se trouve, de façon tendue, entre les
envies d'agir, et les raisons d'agir. En ce qui concerne les raisons d'agir,
cela se fait souvent délibérément, sur un coup de
tête. L'énergie du désir prend le dessus, on parle en
termes de motivations, la justification ici n'a
25 Patrick Valéau, « Les effets de
l'engagement affectif, continu et normatif sur l'intention de rester dans le
métier d'entrepreneur », Revue de l'Entrepreneuriat, vol.
16, no. 3-4, 2017, p 88.
26 Ibid, p. 83.
27 Jean-Philippe Pierron, « L'engagement. Envies
d'agir, raisons d'agir », Sens-Dessous, vol. 0, no. 1, 2006, p.
53.
15
plus sa place. Les raisons d'agir sont alors
extérieurs, lorsque les envies, elles, seront intérieures. Elles
sont de l'ordre du discutable, de l'argumentaire, du public. C'est pourquoi les
deux se tirent mutuellement vers le haut, et vers le bas, ce qui
créé un environnement tendu pour l'engagement.
L'engagement fil, et re-fil au cours du temps. Il peut
être le début d'un match lorsque l'arbitre siffle, le début
d'une relation amoureuse, le début d'une collaboration. Il peut
être une chance, une opportunité, une pseudo-fatalité. Il
coupe court à de longues conversations lorsque quelqu'un se
décide enfin à dire « bon, on y va ? ». De l'envie de
s'engager, aux raisons de notre engagement, la ligne est fine. C'est pourquoi
savoir dans quoi, ou pour qui on s'engage est très
important.28
Au niveau motivationnel, les envies passent avant les raisons. Et
la force de l'engagement se mesure non seulement sur le tas, mais il faut
également de la persévérance, de la constance et
être volontaire.
Tenir son engagement, c'est beau : Faites comme si
l'engagement était votre meilleur ami. Triste est de s'accrocher
à lui seulement car vous avez promis de vous engager, par habitude ou ne
le voyez pas comme une obsession. Comme dit ci-dessus, il fil et re-fil, il
changera, mais c'est aussi le but.
Ce n'est jamais le bon moment pour s'engager, quelques que
soient les raisons. L'engagement doit se lancer, raisons, envies et motivations
: toutes voiles dehors. Les questions ne se posent plus, s'il n'y a jamais de
bon ou de mauvais moment, de bonnes ou de mauvaises situations, pour un
engagement clair et mesuré, il suffit de se lancer.
Mais peut-on s'engager sur un coup de tête ? Il est
important de ne pas confondre ce pour quoi on s'engage, et la finalité
de cet engagement. C'est pourquoi rester vigilant est important.
L'engagement ne revient pas à perdre sa liberté.
Il a cependant bien un rapport avec la promesse, comme dit plusieurs fois
précédemment. Nous un peu plus nous-même à chaque
choix engrangeant un engagement, de par les valeurs de ses choix qui nous
ressemblent, et dans la persévérance avec laquelle nous
continuons à suivre cet engagement. Cela touche l'image et
28 Jean-Philippe Pierron, « L'engagement. Envies
d'agir, raisons d'agir », art. cit., p. 65.
16
l'estime que l'on a de soi-même, ce qui accentue encore
plus la quête de notre identité vue auparavant.
3) La dimension psychologique et sociologique
Comment parler de psychologie, sans parler d'émotions ?
Isabelle Sommier, professeur de sociologie politique à la Sorbonne,
rappelle que « le terme emotions en anglais est très
polysémique puisqu'il qualifie aussi bien les émotions au sens
strict que les sentiments (feelings) voire les humeurs
(moods) »29.
Cela implique alors que l'engagement ne peut pas être
pris en compte de la façon, selon les outils mis en place, les
personnalités et les valeurs présentes dans l'environnement dans
lequel il sera présent.
Pour citer le Larousse, un sentiment est un « Trouble
subit, agitation passagère causés par un sentiment vif de peur,
de surprise, de joie, etc. », ou une « Réaction affective,
transitoire d'assez grande intensité, habituellement provoquée
par une stimulation venue de l'environnement »30. Toujours
d'après Isabelle Sommier, que ce soit dans la langue française,
ou dans la langue anglaise, l'emploi du mot « émotion » est
quelque peu relâché. Et au vu des travaux psychologiques et des
neurosciences, son acception ne devrait être strictement
arrêtée à la définition même du dictionnaire,
peu importe lequel.
Les émotions, étymologiquement « mouvements
», poussent alors à passer à l'action. Elles participent aux
prises de décisions. C'est en observant les réactions
émotionnelles, comme la peur, le dégoût, la tristesse, mais
aussi la joie, la surprise, et l'amour, que l'on peut réagir au
quotidien. Les émotions sont universelles, peu importe la culture. Notre
cerveau va interpréter ces modifications physiologiques, et c'est
pourquoi nous ne réagissons pas tous de la même façon face
à un événement. Cela dépend de beaucoup de
facteurs, et de notre état psychologique.
Sueur, battements de coeur, rougeur sur le visage, respiration
accélérée : il n'y a effectivement pas que courir un
marathon qui provoque ces effets corporels, qui sont souvent suivis d'une
rumination mentale, puis d'un partage social. Autrement dit, retourner la
situation
29 Isabelle Sommier, « Sentiments, affects et
émotions dans l'engagement à haut risque », OpenEdition
Journals - Terrains Théories,
https://journals.openedition.org/teth/236,
consulté le 5 avril 2022.
30 Définition du mot « sentiment »,
Larousse,
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/émotion/28829
17
encore et encore depuis l'élément
déclencheur sous un angle cognitif, pour ensuite en parler à ses
proches.
Les émotions sont fondamentalement sociales, et
fondamentales pour les interactions sociales. Et ce, de par les expressions et
l'accès social qu'elles apportent, ainsi que dans l'échange des
réactions entre les individus. Rajoutez à ça les
adaptations de comportements entre ces interactions.
Les émotions s'inscrivent donc dans une dimension
d'engagement normatif, puisqu'il repose avant tout sur un sentiment
d'appartenance moral et social. Cependant, son emploi en sciences sociales
n'est jamais clair sur ce sujet. Plusieurs approches ont déjà
tentées ; une philosophique s'attachant aux idéologies et
à la propagande des passions et une par la sociologie politique,
s'attaquant aux sentiments plus stables et longs des relations sociales.
Plus récemment, des spécialistes dits de «
mouvements sociaux » prennent les émotions pour évoquer le
choc moral et le dispositif de sensibilisation, en deux points. De prime abord,
parler des émotions en fonction des réactions qu'il provoque, et
ensuite, amener le sujet à y réfléchir. Ce deuxième
point correspond à « l'ensemble des supports matériels, des
agencements d'objets, des mises en scène, que les militants
déploient afin de susciter des réactions affectives qui
prédisposent ceux qui les éprouvent à s'engager ou
à soutenir la cause défendue »31.
Le point de vue individuel n'est cependant jamais
abordé. C'est alors qu'entre en jeu l'affect, vu comme la «
dimension subjective des états psychiques élémentaires
depuis l'extrême de la douleur jusqu'au plaisir intense
»32. Il ne viendrait pas, comme le rappelle Madeleine Grawitz,
des sciences sociales, en parlant des états d'âme. Cette
dernière considère que « la tonalité affective est
intérieure {É} et se distingue du sentiment qui est
inspiré par un objet extérieur »33. C'est d'abord
aux États-Unis que les sentiments d'un point de vue individuel sont
abordés, avec James Jasper, qui distingue les bodily urges,
comme la souffrance, des affects de base, du type de l'amour, la confiance, ou
encore la haine. Les émotions morales
31 Christophe Tra ·ni, Emotion...
Mobilisation !, Paris, Paris, Presses de Sciences Po, 2009, p. 13.
32 André Akoun et Pierre Ansart,
Dictionnaire de sociologie, Paris, Le Seuil, 1999, 587 p.,
cités par Isabelle Sommier, hélas le numéro de page
n'était pas indiqué.
33 Madeleine Grawitz, Lexique des sciences
sociales, Paris, Dalloz, 1999, 421 p., citée par Isabelle Sommier,
hélas le numéro de page n'était pas indiqué.
18
entrent aussi en compte, avec la honte et la compassion, et
les humeurs, qui n'ont, elles, pas d'objets intentionnels, comme l'espoir par
exemple.
Un lien intéressant se forme entre les études de
James Jasper et celles de Christophe Ta ·rini. Premièrement, les
liens pouvant se créer après les différentes phases de
typologies d'affects, qu'elles soient sociales ou non. D'après James
Jasper34, suite un à un choc moral, les émotions
réflexes peuvent faire passer les affects de l'espoir à la joie
par exemple. Si l'on prend Christophe Tra ·ni, tout dépend du
tempérament de nos sentiments.
En psychologie sociale, l'engagement se définit comme
tel : « le processus qui relie l'individu à ses actes
»35. Nos idées et nos actes n'ont donc rien à
voir avec nos engagements, ce sont seulement nos actes qui comptent. On agit,
puis on réfléchit. C'est en voulant maîtriser cette
théorie de l'engagement qu'en 1940, des experts, des professeurs et
sociologues se sont penchés sur la question. Car créer de
l'engagement, comme l'on dit si bien de nos jours en communication, c'est
à la base emmener les individus à faire ce qu'ils n'avaient pas
forcément prévu ou envie de faire.
C'est ainsi que Kiesler avec la théorie de
l'engagement, Beauvois, et Joule avec leur théorie de l'engagement dans
les conduites sociales, ou encore Meyer et Allen, vus plus haut, se sont
lancés dans tous ces questionnements.
Il est possible de prendre six exemples que ces experts de
l'engagement ont théorisés lors de leurs recherches. Pour tous
ces exemples, je prendrais un héros en particulier : Harry Potter, dans
sa quête d'éliminer Voldemort.
- Plus l'individu pense que son acte a atteint son point de
« non-retour », plus cet acte est engageant. Dans un des tomes,
lorsqu'il se jette dans le vide avec Voldemort et qu'il lui dit « Nous
allons finir comme nous avons commencé. Ensemble. »
- La répétition est un des facteurs clé
de l'engagement. Sur un plateau télé, le doubleur faisant la voix
française du personnage éponyme d'Harry Potter a expliqué
que la phrase étant la plus dite lors des films (et donc des livres)
était « Ron, Hermione, il faut que
34 James Jasper, « Emotions and Social
Movements: Twenty Years of Theory and Research », Annual Review of
Sociology, 2011, article cité par Isabelle Sommier.
35 Benjamin Stock, « L'engagement, ça
fonctionne dans la tête ? », Make sense,
https://france.makesense.org/media/engagement-ca-fonctionne-comment-dans-la-tete/,
consulté le 5 avril 2022.
19
nous détruisions les horcruxes. » Ce qui est
effectivement un des éléments clé de la quête finale
de la suite romanesque.
- Un acte coûteux doit être
précédé d'un acte moins coûteux, pour qu'il soit
accepté. Dans Harry Potter, si on lui avait dit tout de suite
d'éliminer Voldemort, cela aurait été compliqué.
- À l'inverse, un acte peu coûteux
précédé d'un acte très coûteux a de grandes
chances d'être refusé.
- Plus une personne se sent libre de faire quelque chose, plus
celle-ci sera susceptible de faire. Lorsqu'Hermione accepte de danser avec
Viktor Krum lors du bal de la Coupe des 3 sorciers, elle accepte, bien qu'elle
aurait préféré danser avec Ron. Si elle y avait
été forcée, elle aurait sûrement refusé.
- Un acte est plus engageant s'il est fait sous le regard
d'autrui. Harry Potter aurait peut-être abandonné s'il n'avait pas
été entouré de tous ses amis.
Après avoir étudié le point de vue
individuel, et les affects des différents professionnels, entre autres
Christophe Tra ·ni et James Jasper, le point de vue collectif est
maintenant adopté, sous un autre angle. Pour les sociologues, lorsque
l'on s'engage, ce n'est pas nécessairement seulement en fonction de nos
convictions et de vos valeurs. Pour eux, c'est une question d'action
collective.
Mancur Olson, pionnier de la sociologie de l'engagement, a
fortement étudié le syndicalisme américain. Pour lui, cela
n'avait pas de sens du côté économique. Pourquoi ces
syndicats existent ? L'engagement, et nous l'avons vu ensemble, a un coût
au niveau du temps, et de l'argent. Pourquoi un individu ne laisserait pas ses
collègues faire grève à sa place ? Au fond, est-ce
quelqu'un remarquerait vraiment son absence ?36
Le sociologue utilise alors des incitations négatives
et positives pour essayer de comprendre ce comportement. Par exemple, il est
obligatoire d'adhérer à un syndicat dans certains métiers,
ou encore, adhérer à un syndicat permet de
bénéficier de l'assurance maladie. Bien que ce modèle ne
soit plus d'actualité, il a permis de sortir « d'une vision
idéalisée, du militantisme
36 Benjamin Stock, « L'engagement, ça
fonctionne dans la tête ? », Make sense, consulté le
5 avril 2022.
20
»désintéressé», pour voir que
les individus sont aussi motivés des intérêts particuliers
: ils s'engagent parce qu'ils ont des choses à gagner {É} ou des
à perdre »37.
Pour donner un autre exemple, dans les années 1970,
Anthony Oberschall est allé plus loin en observant les conditions
sociales dans lesquelles peuvent être poussées un engagement, ou
non. Les sociétés segmentées sont alors plus aptes
à recevoir de l'engagement.
C'est cette définition, qui aide à comprendre
tout en mettant en lien les six exemples de théories de l'engagement
énoncées plus haut. Pour reprendre Harry Potter, il vit la
plupart du temps à Poudlard, environnement segmenté, et
isolé par rapport au pouvoir.
Pour finir, en 1976 et en 1978, les sociologues Charles Tilly
et Daniel Gaxie ont porté l'attention sur deux points, pouvant avoir un
fort impact sur l'engagement. Un groupe à identité forte, qu'elle
soit choisie ou non, a beaucoup plus de capacités à engager des
troupes d'individus. Deuxième point, pour engager, il faut des
capacités, comme savoir bien parler, convaincre, ou encore rassembler.
Encore une fois, notre héros semble remplir toutes les
caractéristiques.
Que ce soit en psychologie ou en sociologie, notre libre
arbitre se trouve souvent atténué. C'est alors que l'engagement
semble alors venir de l'extérieur.
Affectif, social, psychologique, sociologique. L'engagement
peut être vu sous bien des angles. Rapprocher de façon
professionnelle, dans des associations, dans le monde de l'entreprenariat, dans
des livres. Peu importe la situation, toute comparaison peut être faite
pour le rapprocher de l'univers des marques, sujet principal de ce
mémoire, et à quel point l'on peut se retrouver engager envers
elles.
L'engagement, et nous l'avons vu ensemble, est une quête
d'identité. Et comme Jacques Derrida, cité plus haut, a dit, il
est possible de la choisir. Elle n'est cependant « n'est jamais
donnée, reçue et atteinte car seul s'endure le processus
interminable, indéfiniment fantasmatique, de l'identification
»38 . Cette quête, et donc cet engagement, devient alors
un fantasme.
37 Benjamin Stock, « L'engagement, ça
fonctionne dans la tête ? », Make sense, consulté le
5 avril 2022.
38 Jacques Derrida, Le monolinguisme de
l'autre, p. 53.
21
En repartant de l'étymologie, on dépend alors de
ce phantasme, on en a besoin. Et comparé à d'autres
époques, il devient maintenant individuel.
Pour se satisfaire, on se reporte donc sur les marques, on
appelle maintenant cela, « une quête identitaire du consommateur
»39 comme dirait Gilles Lipovetsky. Cette quête est
tellement importante, que si l'on a l'opportunité de la toucher du bout
des doigts, on met à jour notre individualisation. Il est alors possible
de choisir qui l'on veut devenir, de rejoindre une communauté.
« To commit », par conséquent, « mettre
avec », lorsque que l'on rejoint l'univers d'une marque, on lui accorde sa
confiance, et inversement. Une promesse est née.
Les trois approches de Meyer et Allen entrent en jeu.
Pour l'approche affective, les émotions acquises sur le
long terme peuvent jouer un impact énorme sur le choix d'une marque et
pas une autre. De même que pour l'engagement continu, ou calculé.
La conscience entre en jeu, les alternatives aussi. Cette marque coûtera
plus cher que celle-ci, actuellement sur mon compte en banque, je n'ai plus
assez pour mon premier choix, ce sera donc le deuxième.
Tout comme un entrepreneur aime ce qu'il a créé,
son entreprise, il ne voudra pas la lâcher. Pour une marque, c'est
pareil. On peut être très attachée à elle, et ne
plus s'en détacher. L'idée de surenchérir est
présente. Pour ne pas perdre son engagement envers une marque, un
individu peut être prêt à mettre beaucoup, même s'il
n'a plus beaucoup d'argent, pour l'amour qu'il a pour cette marque.
Et enfin, pour l'obligation morale, on aura plus tendance
à se tourner vers un magasin où les vendeurs sont sympathiques
plutôt qu'un magasin où l'on se fait mal accueillir, ou alors,
tout simplement, vers une marque envers laquelle l'on est fidèle.
Dans les engagements des conduites sociales, il a
été dit qu'en ce qui concerne les raisons d'agir, cela se faisait
souvent délibérément sur un coup de tête. Ce qui est
également
39 Claudine Batazzi, Anne Parizot, «
Identités de Marques et marqueurs d'identité. Vers une
construction identitaire et sociale des individus par et dans la consommation ?
», art. cit. p. 93.
22
vrai lors d'un engagement envers une marque. Et les raisons
sont alors extérieurs, il faut seulement savoir pourquoi, et chacun a
ses raisons. Pascal n'a-t-il pas dit un jour « Le coeur a ses raisons que
la raison ignore » ? Ici, la tête est également un facteur
clé. Vouloir rentrer dans une case, pour un simple effet de mode, les
raisons sont très nombreuses.
Faire comme si l'engagement était son meilleur ami est
une solution. Mais dans cet univers-là, c'est la marque qui devient
votre meilleur ami. Comme dit précédemment, lors de la partie
« L'engagement lors des conduites sociales », s'engager touche
l'estime que l'on a de soi-même. L'univers d'une marque dans laquelle
nous nous engageons partage les mêmes valeurs que nous. C'est pourquoi
nous nous rapprochons de la quête identitaire et du fantasme que celle-ci
occasionne.
Comme nous l'avons vu, les émotions sont un
élément très important en termes d'engagement. Pour ce qui
est d'univers de marque aussi. Et que ce soit pour l'approche philosophique,
avec la propagande des passions, ou l'approche par la sociologie politique
s'attaquant aux sentiments plus stables et longs dans les relations sociales,
tout concorde avec notre quête d'engagement.
Deuxième partie
II - Le storytelling dans le temps
Le storytelling, dont la définition a été
donnée lors de l'introduction de ce mémoire, crée des
histoires puissantes et mémorables. Il s'adresse à tout le monde,
et fait l'effet d'un coup de foudre dans le ciel. Selon le domaine dans lequel
il se trouve, il n'a d'ailleurs pas la même « évocation
». Sébastien Durand cite par exemple les marques de luxe, où
le storytelling a la connotation d'un mythe, où « Eugène
Schueller découvre les secrets de la teinture qui donne aux cheveux une
teinte dorée qui donnera son nom à l'Oréal
»'0. Dans un monde où le « Il était une
fois... » a fait briller les yeux et rêver plus encore, le
storytelling a pris le relai pour captiver la population de nos jours.
40 Sébastien Durand, Le storytelling, le
guide pratique pour raconter efficacement votre marque, France, Dunod, p.
3.
23
A - Le storytelling a-t-il toujours la même place au fil
des années ?
1) Est-ce que tout n'est que storytelling ?
Les mots donnent un sens au monde. Sans eux, tout n'est que
silence. Pourtant, le storytelling était utilisé avant l'usage
des histoires actuelles et des techniques utilisées aujourd'hui, qui
seront développées plus tard.
Dès l'Antiquité, le storytelling était
utilisé, sans que l'on utilise ce terme, pour raconter les histoires de
ce qui rapprochait la population à ce moment de l'Histoire : la
religion. Et pour parler religion, c'est à l'Église que l'on se
rejoignait. Ce sont alors les vitraux qui racontaient les histoires d'antan, et
par conséquent, de la Bible.
Au fur et à mesure du temps, ces représentations
se sont développées. Les histoires étaient les
mêmes, mais sont devenues, des statues, puis des peintures, puis des
opéras, puis des pièces de théâtre.
Avant même l'Antiquité, les chercheurs rappellent
que les peintures rupestres étaient également présentes,
pour raconter des histoires. Ils appellent cela le « Grand livre des
mythologies primitives »41.
Cependant, les Homo Sapiens, espèces humaines de
l'époque, ont bien vite compris qu'ils avaient affaire à quelque
chose très fort, et de très puissant. Ces peintures,
premières manifestations de raconter, sont une première tentative
« d'orchestration du temps et de l'espace »42.
Mais Guillaume Lamarre s'est posé la question : comment
l'Homo Sapiens est arrivé à l'emporter sur les autres
espèces, dont l'Homme de Neandertal ? Et bien tout simplement
grâce à cette forme de langage qu'il maîtrisait, au
détriment des autres. Il pouvait concevoir la religion, et
développer une sorte de culture. Non seulement l'Homo Sapiens pouvait se
protéger des autres animaux, mais il pouvait également
échanger et se développer avec ses semblables. C'est alors que
grâce au langage et à la communication, littéralement
mettre en commun « les
41 Guillaume Lamarre, L'art du storytelling,
Italie, Pyramyd éditions, 2020, p. 19.
42 Idem.
24
histoires font partie de notre patrimoine
génétique. Il s'agirait même du principal
élément expliquant notre survie »43.
Mis à part les textes religieux, il y a aussi les
grandes histoires, telles que les Odyssées, dont celles d'Ulysse et
d'Homère. Une histoire est avant tout un divertissement. Quelque chose
qui fait rêver, les fameux « Il était une fois », les
étoiles dans les yeux.
Aujourd'hui, autour de nous, tout n'est que storytelling. Par
exemple, le calendrier de l'année, avec Noël, ou les anniversaires.
Chaque individu est lui-même un storytelling à part
entière, et son histoire se déroule ses yeux. Avec les
anniversaires, les Noëls, les déceptions, les diplômes, les
premières amours, les premières joies, les rencontres
également, qui jouent de grands tournants dans les différentes
vies.
Le fait même d'avoir un prénom : chaque individu
est le début d'une grande Histoire.
La puissance du storytelling peut se mesurer autrement. Par
exemple, l'écrivain Paul Auster a raconté qu'un jour, il a
demandé en direct aux auditeurs de la National Public Radio de lui
envoyer des anecdotes de leur vie. C'est ainsi qu'il expliqua que beaucoup de
ces récits comptent plus de péripéties qu'un
écrivain pourrait en raconter dans un livre.
Le storytelling n'est donc pas nouveau. Comme l'a dit Jeanne
Bordeau, styliste en langage, dans son article La véritable histoire
du storytelling44. Le storytelling explore l'irruption au
sensible, mais les histoires ont toujours été là, et ont
toujours structuré les imaginaires. Le storytelling provoque
l'émotion et sollicite l'intelligence sensible.
Cependant, Christian Salmon, écrivain et chercheur
français, y voit « une technique de manipulation
»45 au service d'un « nouvel impérialisme narratif
»46.
Grâce à cette pratique, on ne parle plus, on
raconte, on emmène par le texte. Par exemple, on ne parle plus de
simples caractéristiques techniques d'une chaussure, mais on raconte
l'histoire d'un athlète sur le chemin d'un sommet olympien.
43 Guillaume Lamarre, L'art du storytelling,
Italie, Pyramyd éditions, 2020, p. 19.
44 Jeanne Bordeau, « La véritable
histoire du storytelling », L'Expansion Management Review, vol.
129, no. 2, 2008, p. 93-99.
45 Christian Salmon, Storytelling, la machine
à fabriquer des histoires et à formater les esprits,
Saint-Amand-Montrond, La découverte, 2008, p. 98.
46 Idem.
25
Pour les spins doctors47 James Carville et Paul
Begela : « Si vous ne communiquez pas avec des histoires, vous ne
communiquez pas. Les faits parlent mais les images font vendre. »48
L'ère de la publicité pure et dure est finie, dites bonjour
à l'émotion, au rêve et au besoin de raconter. C'est le
retour au rééquilibrage entre le texte et l'image, comme à
l'époque des Homo Sapiens. Jeanne Bordeau confirme cependant que cela ne
veut pas dire que les histoires remplacent l'expertise, et que l'émotion
ne remplace les arguments et les preuves.
Bien que Christian Salmon regrette l'utilisation du
storytelling, ce procédé est-il réellement un
problème ? Que ce soit L'Iliade, l'Odyssée,
Les Contes des mille et une nuits, les histoires ont toujours
existé et structuré nos imaginaires. Lorsqu'il parle
d'impérialisme, de grands orateurs ont usé de storytelling sans
qu'on ne leur en tienne rigueur, tel que Martin Luther-King, Nelson Mandela,
John Kennedy, entre autres.
Le chercheur rappelle cependant que les histoires sont
séduisantes, et peuvent être dangereuses. Elles provoquent des
sentiments et peuvent être tournées en mensonges, voire à
la propagande.
La propagande, qui n'est pas une science exacte me direz-vous.
Et bien, selon Edward Bernays, publicitaire des années 50 à 70,
on peut la déclarer comme telle :
Bien que la propagande ne soit pas une science au sens
expérimental du terme, ce n'est plus tout à fait la pratique
empirique à quoi elle se résumait avant l'avènement de la
psychologie des foules. Elle est scientifique au sens où elle cherche
autant à fonder ses opérations sur des connaissances
précises tirées de l'observation directe de la mentalité
collective que sur des principes dont la cohérence et la relative
constance ont été démontrées.'9
Pour Christian Salmon, avec ce procédé,
même les marques perdent leur aura. Elles cherchent des mythes et des
récits, ce que nous verrons plus tard, mais elles ne vendent plus. Elles
engagent seulement.
Les marques deviennent des mots dans la vie du consommateur.
Tous les marketeurs n'ont plus qu'un seul objectif : devenir un mythmaker, des
faiseurs de mythes. C'est d'ailleurs comme cela que se décrivait Ashraf
Ramzy, consultant en marketing. Le marketeur devient l'écrivain de la
communication.
47 Expression anglo-saxonne utilisée pour
désigner un conseiller en communication, souvent au service d'une
marque. -
https://www.e-marketing.fr/Definitions-Glossaire/Spin-doctor-243204.htm.
48 Jeanne Bordeau, « La véritable histoire
du storytelling », art. cit., p. 93.
49 Edward Bernays, Propaganda, comment manipuler
l'opinion en démocratie, France, Zones, 2004, p. 60.
26
Selon lui : « Les gens n'achètent pas des
produits, mais les histoires que ces produits représentent {É}
»50.
Les marques. Elles nous captivent, elles nous engagent et nous
rassemblent. Et ce, grâce à des histoires comme lorsque l'on
était petit et que l'on écoutait nos parents nous lire toutes
sorte de contes. Retour aux « Il était une fois ».
C'est d'ailleurs ce que raconte Barbara B. Stern, professeur
au département marketing de l'université de Rutgers : «
{É} Lorsque vous avez un produit qui est identique à un autre
produit, il y a différents moyens de le concurrencer. Soit - et c'est la
solution stupide - on baisse le prix. Soit on change la valeur du produit en
racontant son histoire. ».51
La raison est très simple : on ne s'attache plus
à un univers narratif qu'à produit.
Et c'est l'effet boule de neige. Les plans stratégiques
deviennent des campagnes, les marques deviennent des récits, les
campagnes deviennent des séquences narratives, et pour finir, les
consommateurs deviennent des audiences.
Il ne s'agit plus de convaincre ou de séduire, mais de
produire un effet de croyance. C'est d'ailleurs dans cette logique que les
logos de marque deviennent des personnages.
C'est dans cette logique que bassiner du sensible dans des
discours, dont certains sont vrais ou vraisemblables, possibles de personnes
morales ou physiques, dans le but de capter l'attention ou d'emporter
l'adhésion, ou ne serait-ce que l'attention, d'un auditoire, sous le
poids du fait et de la preuve, sans être certain d'y arriver : cette
conquête semble bien riche d'illustrations dans l'imaginaire des
marques.
Simplement, c'est dans ce contexte que Christian Salmon
explore « l'irruption du sensible dans le discours {É} dans la
sphère politique et économique
»52.
2) Le storytelling fait-il tourner le monde ?
Le storytelling est utilisé dans de nombreux domaines,
et non pas seulement dans la publicité. Par exemple, et ils ont
été cités plus haut, Nelson Mandela et Martin Luther-King
s'en sont grandement servis pour lutter contre la ségrégation. Le
domaine de la politique est également très touché par le
domaine de la politique.
50 Christian Salmon,
Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater
les esprits, opt. cit. p. 178.
51 Sébastien Durand, Le
storytelling, le guide pratique pour raconter efficacement votre marque, op.
cit. p. 83.
52 Jeanne Bordeau, « La
véritable histoire du storytelling », art. cit, p. 2.
27
Pour ce, il doit s'adresser à des segments
électoraux, afin d'être en cohérence avec l'image
perçue du candidat, ainsi que les valeurs que ce dernier veut
véhiculer. Les tendances sociétales sont autant à prendre
en compte, afin de surfer sur l'actualité des moeurs, ou de jouer sur le
côté conservateur de ses électeurs.
Pour citer un des candidats récent, Emmanuel Macron
crée son storytelling par des verbes d'action, d'abord sur ses
réseaux sociaux, avec des verbes d'action pour introduire ses lectorats.
Puis avec son célèbre « Parce que c'est notre projet
»53.
Le storytelling est donc une nouvelle arme politique. Les
spins doctors, énoncés plus haut, toujours présents au
côté des candidats lors d'une campagne présidentielle, sont
là pour armer ces derniers.
Christian Salmon dit d'ailleurs des campagnes qu'elles «
se déroulent désormais dans un espace performatif où les
arguments rhétoriques priment sur les programmes politiques et les
qualités exigées d'un futur président »54.
Les modèles d'aujourd'hui sont désormais des grands gourous et
les plus grands spins doctors que le monde est connu, et plus les John Kennedy,
Nelson Mandela ou Martin Luther-King d'autrefois. Une ère nouvelle est
arrivée. Le « Il était une fois » prend une nouvelle
tournure dans la sphère politique.
Jeanne Bordeau a dit « On n'a jamais autant écrit
»55. Dans le monde économique également, le
storytelling s'est fait une place qui ne peut plus être
détrônée, et dont le point de non-retour a
été atteint. En moins de vingt ans seulement, les grandes marques
sont passées de leur produit au logo, puis se sont
décidées à raconter des histoires. Elles adoptent
aujourd'hui un positionnement d'adaptabilité et de flexibilité,
grâce à celles-ci.
Cette nouvelle technique de manipulation, d'après
Christian Salmon, une forme d'économie fiction fondée sur «
une nouvelle forme d'organisation du travail, mutante,
décentralisée et nomade, qui cherche à
générer du profit sur des cycles de plus en plus courts
»56. Ce serait alors la façon de procéder la plus
efficace afin de parvenir à ses fins, et de manipuler les consciences.
Avec le storytelling, jouer avec le pathos n'aura jamais été
aussi facile.
53 Christian Salmon, «Le degré Xerox de
l'écriture", Le Monde,
https://www.lemonde.fr/idees/article/2008/02/29/le-degre-xerox-de-l-ecriture-par-christian-salmon10173533232.html,
consulté le 18 avril 2022.
54 Idem.
55 Jeanne Bordeau, « La véritable histoire
du storytelling », art. cit, p. 2.
56 Christian Salmon, Storytelling, la machine
à fabriquer des histoires et à formater les esprits,
Saint-Amand-
Montrond, La découverte, 2008, p. 8.
28
Au quotidien, et dans tous les secteurs, le storytelling prend
une place de plus en plus importante, voire un subterfuge, et devient un
emblème de la désinformation. « Les histoires sont devenues
si convaincantes que les critiques craignent qu'elles ne deviennent un
substitut dangereux aux faits et aux arguments rationnels »57.
Pour Christian Salmon, il y a une certaine religion, un immense lien, entre le
storytelling, les fameux gourous, et leurs adeptes. Ce lien a une connotation
malsaine et perverse.
Les histoires, les « Il était une fois »
endormaient et enchantaient peut-être les enfants, mais le storytelling
endort également les consciences des clients et de la population.
Dès Platon, la population était avertie des vices et des moeurs
des discours subtils, à base de raisonnement à base de
subtilité, ayant pour but de battre son adversaire. Aujourd'hui encore,
cela a lieu. Les intellectuels de nos jours essaient de mettre en garde la
population contre les discours des communicants, et le déclin des hommes
politiques face à leurs spins doctors.
Les discours peuvent cependant avoir du beau, de l'espoir.
Tout comme les histoires que nous racontaient nos parents, qui n'avaient pas
seulement pour but de nous endormir, mais également de nous apprendre et
de nous éduquer, nourrir notre créativité et nous amener
à réfléchir sur la vie. Nous apprendre le Beau, la
poésie, les contes et les mythes. Pour Roland Barthes, « le
récit est l'une des grandes catégories de connaissances mises
à la disposition de l'homme pour comprendre et ordonner le monde
»58. Pour lui, il y a des « vertus structurantes et
socialisantes »59.
Le storytelling aide donc à façonner une
construction identitaire, tout comme l'engagement. Yannick Jaulin, conteur,
auteur et dramaturge, explique d'ailleurs que, pour lui, le storytelling est
une méthode :
Intéressante pour déclencher des
émotions, libérer des frustrations. Quand on se sert de cette
maïeutique pour révéler l'âme collective d'une
entreprise, cela reste favorable ; beaucoup moins quand on se sert d'un mythe
pour vendre un produit ou entraîner des gens dans des croyances
politiques ou religieuses. Mais il faut arrêter de croire que le conte
n'est que pure manipulation.60
57 Lynne Smith, éditorialiste au Los Angeles
Time, article cité par Christian Salmon.
58 Roland Bartes, « Introduction à
l'analyse structurale des récits », Persée, 1966, p. 12.
59 Idem.
60 Yannick Jaulin, cité par Jeanne Bordeau,
dans « La véritable histoire du storytelling », art. cit,
p. 5. L'auteur n'a pas donné plus d'informations quant à la
provenance de la citation.
29
Environ 71% de la population travaille aujourd'hui.
L'entreprise est donc le lieu parfait pour créer des liens. Christine
Cayol appelle alors « l'intelligence sensible »61 le fait
de créer ce lien, en rebondissant sur cette opportunité, d'une
entreprise en quête de rentabilité. Pour elle, un bon dirigeant
est avant tout un artiste. Il doit aligner ouverture d'esprit, prendre de
nouveaux risques, avoir de l'imagination. « Le dirigeant qui est
obligé d'inventer, de mobiliser, de surprendre, doit donc associer en
lui la luminosité de l'ingénieur et la lumière
créative de l'artiste »62. En d'autres termes, il doit
utiliser le storytelling dans son quotidien, pour éveiller la
créativité de ses salariés, leur imagination, et leur
flexibilité que nous avons vu plus haut.
Le storytelling peut être perçu comme « un
art de la rhétorique et de la séduction qui nous fait perdre
toute capacité à réfléchir »63.
Mais au de-là de ça, si le storytelling marche aussi bien que le
laisse à penser tous les chercheurs, écrivains et professionnels,
et même, philosophes de l'Antiquité, pourquoi ne pas se servir de
cet outil en tant qu'outil de maïeutique ? Le philosophe Alain Etchegoyen
se demandait, déjà en 1990 si les entreprises avaient une
âme. Selon l'éthique de certaines, il se peut qu'aujourd'hui l'on
peut se permettre de répondre oui. Par un souci d'image, et par un
storytelling constructif, une entreprise peut avoir une âme.
Autour de 2010, une marque d'eau française a
sollicité l'Institut de la qualité de l'expression, lieu de
recherche et cabinet de conseil ayant pour but de faire progresser la langue
écrite et parlée. Parce que pour eux, « les écrits
restent et la parole aussi désormais ». Leur objectif était
de communiquer par une action de développement durable, par un
storytelling impactant, en matière d'intelligence d'eau, par des
histoires de sensibilisation nous menant jusqu'à l'Himalaya. Pour faire
court, une histoire pour nous faire comprendre et décoller.
Cet exemple est là pour prouver que le storytelling
n'est pas seulement manipulateur. L'association Sea Sheaperd pourrait
également être donnée, pour prouver que le storytelling
peut être utilisé pour ramener une population à sa cause,
et dans le cas présent, pour la sauvegarde des océans.
61 Christine Cayol,
L'intelligence sensible, Pearson France, 2003, 192 p., citée
par Jeanne Bordeau. Hélas le numéro de page n'était pas
indiqué.
62 Idem.
63 Jeanne Bordeau, « La
véritable histoire du storytelling », art. cit, p. 6.
30
De plus, la population et les citoyens ont de plus en plus
conscience que le storytelling peut être une menace pour eux, notamment
grâce à Naomi Klein, et son livre No Logo, La Tyrannie des
marques64. Elle se bat contre Nike et le travail des enfants en
Chine, Schell et l'abus au Nigeria contre les communautés autochtones,
McDonald's pour de nombreuses raisons. Et grâce à tout cela, les
français ont réussi à prendre leur distance avec tous les
storytelling qu'ils reçoivent et voient à longueur de
journée.
Dans une société où les entreprises
veulent avant tout de la rentabilité, l'important est de communiquer,
peu importe ce que l'on communique. Le storytelling ne serait donc pas la
solution ?
Varier les registres, varier les écrits : le
storytelling peut amener un développement notable d'une entreprise.
Impossible d'échapper à l'agora médiatique dans laquelle
la société est plongée au quotidien, cet outil de
communication est le moyen idéal d'améliorer sa qualité
d'expression. Les sociétés narcissiques et soucieuses d'apparence
et de cohérence peuvent enfin jouer sur le fond et la forme. Le
storytelling n'est alors plus si menaçant.
Jeanne Bordeau parle alors ici d'un réel
rééquilibrage entre le texte et l'image. L'iconographie peut ici
avoir des mots et du contenu. Une entreprise éprouve maintenant des
émotions, des rêves, de l'affirmation. Un individu surnourri
d'informations, les marques et hommes politiques gagneront sur le long terme un
équilibrage rationnel et sensible.
Qu'il soit rhétorique ou non, menaçant puis un
outil de maïeutique, le storytelling est avant tout un art. Et comme toute
pratique artistique, il faut savoir la maîtriser avant de s'en servir,
que ce soit le storytelling, ou bien l'art de narrer.
B - La construction du récit
1) L'art de narrer
« Les bonnes histoires sont éternelles, leur
morale est temporelle. {É} Les entreprises sont les nouveaux narrateurs,
les consommateurs les nouveaux narrataires. »65
64 Naomie Klein, No Logo, La tyrannie des
marques, Actes sud, 2002, 752 p., citée par Jeanne Bordeau,
hélas le numéro de page n'était pas indiqué.
65 Sébastien Durand, Le storytelling, le
guide pratique pour raconter efficacement votre marque, France, Dunod,
2018, p. 9.
31
Pour reprendre L'Illiade et
l'Odyssée, que tout le monde pense connaître, sans
forcément les avoir lues, il s'agit bien de deux camps : des
héros, au sens strict comme au sens figuré, de chaque
côté. Aujourd'hui, le genre cinématographique
américain triomphant le plus est celui des super-héros. New-York,
Gotham City, Métropolis : tous des super-héros sans talon
d'achille (ou presque, en faisant abstraction de Superman et de sa
kryptonite).66
Autrement dit : une seule trame narrative suffit à
conquérir une population à travers les siècles, à
la différence de l'issue du combat. Dans L'Illiade, les
assaillants remportent la bataille grâce au cheval de Troie, alors que
dans les films du type Avengers, ce sont les
assiégés.
Un autre genre connaît une montée fulgurante, les
héros solitaires. Tout comme Ulysse de l'Odyssée, ils
veulent rentrer chez eux après un long voyage, ou situation similaire.
Mais sur le chemin, il rencontrera vents et marées l'en empêchant,
pour tout de même y arriver.
Autrement dit, les schémas narratifs se
répètent, au fur et à mesure des siècles, pour
conquérir le coeur de la population.
« Les moyens de communication actuels permettent de
retrouver l'interactivité des contes premiers
»67. Jusqu'à maintenant, et nous le
verrons dans la troisième partie de ce mémoire, les mythes ont
été très utilisés à travers la
littérature, la poésie, et le cinéma. Cependant, il
semblerait qu'aujourd'hui, la plupart des personnes que l'on écoute ne
savent plus nous faire rêver. « Notre époque est en manque de
mythes »68.
Mais ce manque n'a pas été très long. Les
marques se sont empressées de foncer dans ce vide. Elles sont devenues
les narrateurs, et les consommateurs, les narrataires.
La mythologie reste toujours dans un coin, avec comme exemple
Nike, et son logo représentant les ailes de la déesse de la
victoire, Nikê, faisant donc un empire de cette marque, avec des
champions ayant aux pieds des chaussures les menant vers la victoire.
N'oublions pas non plus que les fondateurs des entreprises
deviennent des hérauts/héros, comme Steve Jobs, dont l'exemple a
été donné avec Apple.
Au fur et à mesure du temps, des méthodes ont
été développées pour créer un storytelling
fort et impactant. Ces méthodes sont d'ailleurs très
utilisées chez Disney par exemple, pour émouvoir son public. Deux
des méthodes les plus connues sont P.A.S et A.I.D.A.
66 Sébastien Durand, Le
storytelling, le guide pratique pour raconter efficacement votre
marque, opt. cit. p. 14.
67 Idem.
68 Ibid, p. 16.
32
Il faut d'abord imaginer une situation où tout va bien,
un personnage auquel vous pouvez vous identifier. Puis d'un seul coup tout
s'effondre, cela crée de l'empathie pour ce personnage, comme vous vous
identifiez à lui. Il trouve ensuite une solution, puis tout s'effondre
à nouveau, il y a de la tension, mais le héros arrive.
Ce schéma se calque donc sur deux méthodes : PAS
(Problem Ð Agitate Ð Solve), et AIDA (Attirer Ð Intéresser
Ð Désir Ð Action)69.
La méthode AIDA a été créée
en 1898, par un des pionniers de la publicité, Elias St-Elmo.
C'était au départ un outil de vente pratique, et AIDA
était seulement un entonnoir créé à partir
d'études de clients sur le marché américain. C'est le
« pape de la vente » Heinz Goldmann qui l'adapte
définitivement à la vente en 195470.
AIDA, c'est passer par l'accroche avec le A. Le I passe par le
rationnel. Il prouve qu'il a bien fait d'être là, et raconte
toutes les choses passionnantes qu'il a à dire pour que le D tout ce
qu'il a, pour finir avec le A.
Pour PAS, c'est à peu près la même chose.
On commence par chercher le problème de notre audience, et on en parle.
Les cerveaux de ces derniers vont donc être en alerte et vont
automatiquement se sentir concernés. On agite ce problème,
jusqu'à ce qu'il fasse mal. Ensuite, on explique comment en
sortir71.
Le point culminant de ces deux méthodes est bien
entendu l'émotion, que ce soit pendant la face du désir pour
AIDA, ou encore lorsque l'on touche au coeur du problème pour PAS. Et,
à chaque fois, c'est juste avant de trouver la solution72.
Cependant, comme énoncé lors de l'introduction,
la société actuelle fuit, consciemment ou non, les
publicités. Jakob Nielsen, titulaire d'un doctorat dans les interactions
homme-machine, a d'ailleurs prouvé que les internautes détournent
leurs visages des messages publicitaires dans les pages web.
69 Ballot, Estelle, Le storytelling ? -
Épisode 45, podcast, Le podcast du marketing, diffusé le 29
octobre 2020, 19min17.
70 Baffert, Aurélie, « Revivez un
siècle d'histoire de la vente »,
ActionCo.fr, 26 octobre 2015,
https://www.actionco.fr/Thematique/process-vente-1216/Diaporamas/revivez-siecle-histoire-vente-260305/1954-methode-aida-260315.htm,
consulté le 21 mars 2022.
71 Ballot, Estelle, Le storytelling ? -
Épisode 45, podcast, Le podcast du marketing, diffusé le 29
octobre 2020, 19min17. Cette référence concerne tout le
paragraphe.
72 Idem.
33
Et pour cette réalité, il en va de même
pour les campagnes.
C'est pourquoi agences, annonceurs, entreprises et hommes
politiques lors de leurs campagnes ne veulent plus perdre de temps : ils se
concentrent directement sur la deuxième étape de la
méthode AIDA : l'intérêt.
Maintenant, il faut divertir et provoquer des émotions.
Les émotions, voilà ce qui rend quelque chose de
mémorable. Pour les marques, c'est le plus important, et c'est ce qui
fera la différence au moment de l'achat, de même pour les
campagnes.
Si les histoires sont efficaces, si les émotions
marquent le consommateur, c'est parce que le chemin de la tête passe par
le coeur. Pascal, le philosophe, le disait déjà à son
époque, et c'est encore vrai dans la nôtre. Les émotions
donnent du sens à ce qui nous arrive, nous en tant qu'individu, et nous
place dans la linéarité de notre vie73.
Les histoires ont pour propriété, de rassurer,
en plus de donner un sens à ce que la population peut vivre. Dans un
premier temps, une certaine longévité peut être un premier
facteur, surtout lors d'une crise économique. Lorsqu'un produit de luxe
portera la mention « depuis 1918 », un gage de qualité
s'effectuera tout de suite.
Pour cette réassurance, c'est-à-dire donner du
sens et rassurer, il n'y a pas besoin d'être un produit de luxe. Il
suffit seulement qu'un produit soit gage de longévité, et
deviendra automatiquement transgérationnel : un individu le consommera
dans son enfance, puis à l'âge adulte, puis le fera consommer
à ses enfants.
Le but de rassurer sur la longévité a un
objectif : ces années d'expérience sont la base numéro du
storytelling : le storytelling projectif.
Les Grecs croyaient-ils à leurs mythes ?
Peut-être. Storytelling, vrai ou faux ? Telle est la question. S'il
fonctionne, c'est parce que les consommateurs veulent bien y croire. Le
désir passe avant la réalité. L'émotion avant tout.
On accepte que Mario ait plusieurs vies dans le jeu vidéo parce qu'on le
désire, notre cerveau est notre complice. Mais jusqu'où
l'émotion peut rendre un individu crédule ?
La ligne est fine, et si l'on accepte ces conventions
artificielles, le lien entre narrataire et narrateur se resserre.
73 Durand, Sébastien, Le storytelling, le
guide pratique pour raconter efficacement votre marque, opt. cit. p.
20.
34
C'est pourquoi l'émotion doit surpasser la raison, tout
en dosant la crédulité. Elle n'a pas pour autant la raison comme
ennemie.
L'émotion est là pour susciter de
l'intérêt, comme nous l'avons vu. Cependant, même si
certaines marques sont très émotionnelles, elles doivent
répondre à d'autres aspects sur lesquels elles sont attendues au
tournant. Comme Nespresso, avec la qualité/prix, son impact
environnemental, etc. Si une marque est juste émotionnelle, elle n'a
plus aucune plus-value. Le storytelling est avant tout un vecteur
d'émotions au sens de la raison, au service d'une stratégie.
Pour mener à bien une stratégie de marque, il
faut certes des émotions, mais également de l'intuition, pour
créer un storytelling intuitif. Lorsque les consommateurs ont
commencé à devenir de moins en moins crédules, il a fallu
arrêter de vendre des produits avec des histoires, mais se concentrer sur
la marque. Sébastien Durand parle alors de « brand storytelling
»74.
À la manière des grands films hollywoodiens, les
marques s'ancrent dans le paysage des consommateurs grâce à de
belles histoires, en redoublant leur créativité. Comme dit plus
haut, depuis les peintures rupestres, des histoires sont racontées.
Lorsque l'on voit, deux zones de notre cerveau s'activent. Alors que lorsque
l'on raconte, c'est différent : au fur et à mesure de l'histoire,
des zones de traitement se mettent en mouvement. Arnaud Hacquin75
parle de dégustation dans le cortex sensoriel.
Le narrataire et le narrateur sont alors en « totale
synchronisation émotionnelle »76. L'auteur du livre
blanc explique également que d'après un chercheur de Princeton,
dont le nom n'est pas cité, les cerveaux agissent de façon
synchronisée. C'est-à-dire que lorsqu'un narrateur va raconter
une histoire, la personne en face va ressentir les mêmes
émotions.
La domination de la narration est bien présente. C'est
à elle seule la clé irrésistible du
succès.
74 Sébastien Durand, Le storytelling, le
guide pratique pour raconter efficacement votre marque, opt. cit.
p. 73.
75 Hacquin, Arnaud, « Transmédia
Storytelling, Comment tirer parti des nouvelles d'écritures
médiatiques ? », Jardin des marques, expérience
transmédia,
http://www.jardindesmarques.com/LivreBlanc.Transmedia.Storytelling.Jardindesmarques.pdf,
consulté le 17 novembre 2021.
76 Ibid, p. 24.
35
Oui, « On n'a jamais autant écrit
»77, comme l'a dit Jeanne Bordeau. De l'Homo Sapiens à
nos jours, en passant par l'Antiquité, le storytelling a toujours
été présent, sous toutes les formes possibles, mais
surtout, dans tous les domaines. De nombreux chercheurs et professionnels de la
communication l'ont étudié et les avis divergent à son
sujet. Technique de commercialisation, de manipulation, une fois positif et une
fois négatif. Dans tous les cas, ils sont d'accord sur un point : le
storytelling est indispensable. La publicité banale est finie, et les
émotions dues à cet art narratif sont maintenant une
priorité.
De grands narrateurs, tels que Martin Luter-King ou Nelson
Mandela ont eu recours à cet art. Il structure nos imaginaires, comme le
font les histoires depuis toujours. Mais au de-là de ça, le
storytelling structure également le monde dans lequel les individus
d'aujourd'hui vivent, d'où la présence de ce dernier des domaines
tels que la politique.
Le mot-clé de cet art : émotion. Les
émotions créent du lien, s'ancrent dans le temps et mobilisent.
Et pour ce, pour créer ses sentiments, diverses méthodes ont
été créées au cours de toutes ces années.
Et pour que ça marche, il faut que notre cerveau
accepte d'y croire. C'est ainsi que les marques sont devenues les Nelson
Mandela de notre époque, et que, comme nous avons commencé
à le voir, elles cherchent à recréer des mythes et
légendes.
Troisième partie
III - Le storytelling des marques et l'engagement des
consommateurs
Plus que jamais, aujourd'hui, les marques définissent
leur identité à travers un storytelling. Cela définit qui
elles sont, ce qu'elles sont et pourquoi elles sont. C'est à ce moment
précis qu'un consommateur va pouvoir développer une relation
amoureuse avec celle-ci. C'est d'ailleurs ainsi que Signal ne représente
pas seulement un dentifrice, mais un sourire éclatant. L'engagement des
consommateurs pour ces marques n'est donc plus un hasard. Certaines
n'hésitent d'ailleurs plus à aller plus loin, en élaborant
de toute pièce leurs produits avec leurs futurs narrataires afin de
créer une base de consommateurs forts.
77 Jeanne Bordeau, « La véritable histoire
du storytelling », art. cit, p. 2.
36
A - Comment les marques s'approprient-elles le storytelling 1)
Les marques, ces grands orateurs
Nous l'avons vu ensemble dans la deuxième partie, la
société a besoin de savoir ce qui est bon ou non pour elle. Par
exemple, elle besoin d'histoires pour impliquer les individus dans
l'armée. Cela permettait à cette société de
fonctionner. Avec les grands orateurs, il en est de même.
À la manière de ces derniers, certaines marques
arrivent à faire tomber amoureux leurs consommateurs, nous pas pour une
cause, mais pour elles-mêmes. Et ce, grâce aux émotions de
l'art du storytelling.
Iligo et AOL ont d'ailleurs réalisé une
étude sur l'impact des émotions lors d'une publicité sur
les consommateurs. Pour ce faire, ils ont eu recours à la reconnaissance
faciale pouvant décrypter 6 émotions différentes (la joie,
la tristesse, la surprise, le dégoût, la peur et la confusion) via
webcam. L'étude a été réalisée en 2016 sur
800 personnes différentes, tous âges et sexes confondus, devant 8
spots publicitaires, à l'internationale afin d'avoir les
résultats les plus riches possibles.
Cette étude a donc permis de prouver que les
émotions sont ce qui touchent le plus un individu, et ce qui l'aide
à se remémorer une publicité. « Les résultats
montrent que les réponses émotionnelles aux annonces sont plus
influentes sur l'intention d'achat d'une personne que le contenu en
lui-même »78.
C'est pourquoi le storytelling est également
très important lors de la notion de zapping (notion dans laquelle un
spectateur aura tendance à changer de chaîne lorsqu'il voit une
publicité commerciale, ou du moins, à ne pas la regarder jusqu'au
bout). Par exemple, ça n'a pas été le cas pour la
publicité « L'amour, l'amour »79
d'Intermarché de l'agence Romance, qui fait preuve d'un réel
storytelling. Encore maintenant, elle est citée par beaucoup de
consommateurs. Elle a été un précurseur de spot
publicitaire pour beaucoup d'autres marques et la première d'une longue
saga pour Intermarché.
78 Mydigitalweek, « Étude
AOL : l'émotion au coeur de l'efficacité publicitaire »,
My Digital Week, 7 février 2017,
https://mydigitalweek.com/etude-aol-lemotion-coe%%9Cur-de-lefficacite-publicitaire/,
consulté le 23 avril 2022.
79 Romance Agency, « On a tous
une raison mieux manger », Romance,
https://www.romance-agency.com/works/lamour-lamour/?lang=fr,
consulté le 24 mars 2022.
37
Ce n'est bien sûr qu'un exemple parmi tant d'autres ou
la notion de zapping n'est pas pris en compte. Il existe cependant une
corrélation certaine entre une réaction émotionnelle
positive, et le fait de ne pas « zapper » la publicité.
Se remémorer une marque, c'est également en
tomber amoureux : c'est ce qu'on appelle avoir des Lovemarks. Les marques
utilisent alors le système de réassurance de storytelling, vu
précédemment, pour qu'un produit marche sur la longueur par
exemple. « J'utilise depuis toujours le même shampoing : Head &
Shoulders. Cela peut vous sembler ridicule. Effectivement, c'est un shampoing
antipelliculaire et je n'ai pas de cheveux, encore moins de pellicules !
Pourtant, j'aime Head & Shoulders et je n'achèterai jamais rien
d'autre »80.
Pour créer une lovemark, les orateurs vont faire appel
à trois émotions : le mystère, l'intimité et la
sensualité. Et ces lovemarks n'appartiennent alors plus fabricants, plus
aux producteurs, et plus entreprises. Elles appartiennent à ceux qui les
aiment.
Kevin Roberts fait alors la différence entre deux types
d'émotions : les primaires, et les secondaires. Liste qu'il
établit81 selon le chercheur du King's College de Londre,
Dylan Evans : la joie, le chagrin, la colère, la peur, la surprise et le
dégoût. L'auteur explique également qu'en ce qui concerne
les émotions primaires, elles peuvent se ressentir en étant seul.
Alors que les émotions secondaires quant à elles (amour,
culpabilité, honte, fierté, envie et jalousie), ne
80 Kevin Roberts, Lovemarks : le nouveau souffle
des marques, Organisation, 2004, p. 22.
81 Kevin Roberts, Lovemarks : le nouveau souffle
des marques, opt. cit., p. 44.
38
naissent qu'en présence de quelqu'un d'autre. «
Elles forment la combinaison volatile à partir de laquelle se
créent les relations et sont, par conséquent, essentielles
»82.
Partout, et tout le temps, les gens veulent de
l'émotion. « L'émotion est aujourd'hui un sujet de recherche
sérieux et légitime. D'ailleurs, dès que les scientifiques
s'y sont mis, il leur a fallu très peu de temps pour démontrer ce
qui était déjà évident aux yeux de ceux qui se
donnaient le mal d'y prêter attention. »83
Le produit vient à séduire, comme le ferait un
orateur. Il lit son produit avec des émotions spécifiques.
Psychologiquement, l'émotion fera remonter le produit en mémoire
ce qui l'ancrera de façon durable. Typiquement, et nous y reviendrons
plus tard, les publicités de Noël sont très fortes
là-dessus pour promouvoir cet esprit bon enfant à leur marque.
Comme par exemple la publicité de Bouygues Telecom84,
promouvant l'amour d'un père envers son fils, et la joie d'une famille
grandissante. Ou encore le célèbre « C'est pas Versailles
»85 ici de TotalEnergies. Il reste en tête car il joue
sur les émotions, la joie dans le cas présent, là
où une représentation tarifaire générique n'aurait
eu aucun impact.
Capture d'écran de la publicité « C'est
pas Versailles ici ! » de Bouygues Telecom.
82 Idem.
83 Ibid, p. 39.
84 ArtboxLTproduction, Le Noël inoubliable
de Bouyges Telecom | 2018 Artbox Production Home, publicité,
YouTube, diffusée le 15 novembre 218, 1min31.
85 PubTélé, Total direct «
c'est pas Versailles ici ! » - Publicité, publicité,
YouTube, diffusée le 18 décembre 2019, 21s.
39
« Aimer, c'est agir »86. Pour revenir au
mystère, à l'intimité et à la sensualité, ce
ne sont pas seulement des mots, c'est l'Amour avec un grand A, dont nous
parlions dans l'introduction. Ce sont des histoires légendaires, des
rêves, des mythes et leurs icônes encore une fois, de
l'inspiration. De l'empathie, de l'engagement et de la passion. Ce sont
également les cinq sens.
Ce qu'il faut retenir de ces Lovemarks, c'est qu'elles sont
avant tout personnelles. Lorsque qu'un individu en choisit une (peut-on
vraiment dire que l'on choisit sa Lovemark ? n'est-ce pas comme lorsque l'on
tombe amoureux de quelqu'un ?), il la défendra envers et contre tout.
Les marques fortes ont toujours été des
Lovemarks. Ce que le concept de Lovemark apporte, c'est une structure pour
guider la réflexion. Je pense que les marques ayant été
créé des relations et une fidélité basées
sur l'émotionnel méritent déjà le nom de Lovemark.
Il y a un moyen de comprendre ce qu'est une Lovemark. Il suffit de regarder
quel serait le sentiment du consommateur si l'on supprimait une marque à
laquelle il est attaché ! Comment réagirait-il ? Dans notre cas,
je sais que si l'on retirait du marché les Pampers que la mère
trouve parfaites pour son enfant, nous entendrions ses récriminations !
De la même manière, si l'on ôtait le rouge à
lèvres Covegirl qu'une ado estime parfaitement assorti à son
teint, elle serait furieuse. Cela serait également vrai de Tide avec
chlore et d'Ariel. Il suffit donc de la mesure d'un lien affectif, d'un
attachement à la marque qui ne repose pas seulement sur la
raison.87
La fidélité pour une marque se définirait
alors comme « un engagement à racheter régulièrement
un produit ou un service préféré dans le futur, provoquant
ainsi l'achat répété de la marque, en dépit des
influences situationnelles et des efforts marketing pouvant inciter à un
changement de comportement »88. En effet, cela provoquerait un
sentiment amoureux si fort, et une relation si particulière, qu'un
nouveau concept est arrivé. Des coeurs sont arrivés dans les
logos, comme Miko, et des marques de parfums par exemple, s'appellent «
Amour », ou « Amor », pour intensifier ce concept. D'autres
marques vont plus loin, et ne passent pas par quatre chemins, comme Volkswagen,
en demandant directement à sa cible s'ils veulent « uns histoire
d'amour qui tienne la route ».
86 Kevin Roberts, Lovemarks : le nouveau souffle
des marques, opt. cit., p. 76.
87 Jim Stengel cité par Kevin Robert dans
Lovemarks : le nouveau souffle des marques, opt. cit., p. 79.
Malheureusement, l'ouvrage de base n'était pas cité.
88 Lubica Hikkerova, Ltifi, Moez, «
Antécédents et rôles modérateurs de la
fidélité à la marque », Gestion 2000, vol.
35, no. 6, 2018, p. 102, citant Oliver, sans donner plus de
précisions.
40
Pour Kevin Roberts, plus de doute. « L'amour était
le maillon manquant, le seul moyen de renforcer l'émotionnel et de
créer les nouveaux types de relations nécessaires aux marques
»89.
L'amour qu'un individu porte pour une personne et pour une
marque reste cependant différent. Lorsque l'on ressent de l'amour pour
une marque, Albert Noël90 nous explique que la composante du
souvenir rentre en jeu, ainsi que la passion pour la marque, la connexion
positive et la certitude de l'attitude pour celle-ci, la longue relation ainsi
que la confiance que l'on lui porte. Des limites sont néanmoins à
noter. L'angoisse de la séparation est bien présente, car
l'individu à tendance à idéaliser la marque. La
sphère de l'intimité est à prendre en compte, ainsi que
l'univers du rêve, du plaisir et du souvenir.
Toujours d'après Albert Noël, la
fidélité envers une marque relève de variables
psychologiques, d'éléments cognitifs comme l'idéalisation
et la qualité, affectifs comme l'intimité et les émotions
ressenties, ou encore les deux, avec la confiance mutuelle qui se
crée.
Pour Kaufman91, cinq caractéristiques sont
à inclure dans le sentiment d'amour envers une marque. La passion,
l'attachement, l'évaluation, les émotions et les
déclarations. Ce sont ces caractéristiques qui vont aider les
chercheurs à établir des échelles de mesure.
Pour apporter une définition claire du concept de
confiance envers la marque, voici la proposition de Gefen et Straub :
La confiance est un ensemble de croyances relatives à
l'intégrité (honnêteté du partenaire qui devrait
tenir ses promesses), la bienveillance (le partenaire devrait agir dans les
intérêts de l'autre partie), la compétence (la
capacité du partenaire à répondre aux besoins de l'autre
partie) et la prédictibilité (le partenaire devrait agir de
manière prévisible et avoir un comportement constant) du
fournisseur ou de la marque.92
La confiance qu'un individu va accorder à une marque va
alors de pair avec l'attachement, l'amour et la fidélité qu'il
lui porte. Plus le consommateur va avoir une image
89 Kevin Roberts, cité par
Noël Albert dans « Le sentiment d'amour pour une marque :
déterminants et pertinence managériale », Management
& Avenir, vol. 72, no. 6, 2014, p. 72. Nous n'avons pas plus
d'informations quant à la source de la citation d'origine.
90 Noël Albert dans « Le
sentiment d'amour pour une marque : déterminants et pertinence
managériale », Management & Avenir, vol. 72, no. 6,
2014, p. 72.
91 Cité par Lubica
Hikkerova et Ltifi, Moez, « Antécédents et rôles
modérateurs de la fidélité à la marque », art.
cit. p. 103.
92 Gefen et Straub cités
par Lubica Hikkerova et Ltifi, Moez, « Antécédents et
rôles modérateurs de la fidélité à la marque
», art. cit. p. 104. Hélas, il n'y a pas plus de
précisions quant à la provenance de la source initiale.
41
positive vers celle-ci, plus il va l'aimer, plus il va lui
faire confiance, plus l'attitude positive va se renforcer, notamment le
bouche-à-oreille, et ainsi, la confiance également.
Comme on tombe amoureux d'un discours d'un orateur, on tombe
amoureux d'un discours de marque. Mais les marques ont réussi à
faire mieux : faire tomber amoureux d'elles-mêmes directement. Et les
émotions sont le moyen le plus facile pour elles d'arriver à leur
fin. Lorsqu'il y a sentiments, il y a amour. Et lorsqu'il y a amour, il y a
souvenir, ce qui permet à la marque de s'ancrer dans le paysage du
consommateur. Plusieurs types d'émotions existent, tout comme il y a
plusieurs critères à prendre en compte pour accorder sa confiance
à une marque. On ne tombe pas amoureux d'une marque comme l'on tomberait
amoureux d'une personne.
Lorsque l'amour apparaît entre un consommateur et une
marque, nous avons vu que la composante du souvenir arrive. Mais pourquoi ?
2) Mythes, contes et légendes, sont-ils (re)vus ?
Ulysse, personnage principal de l'Odyssée
d'Homère, roi d'Ithaque, époux de Pénélope et
père de Télémaque, part pour la guerre de Troie.
Après cette guerre qui dura dix ans, il essaya de rentrer chez lui.
Cependant, sur le chemin, ses compagnons et lui
rencontrèrent le cyclope Polyphème, qui les garda prisonniers.
C'est grâce à une ruse d'Ulysse, qui lui creva l'oeil, qu'ils
réussirent à s'échapper. Malheureusement, ce cyclope
n'était pas n'importe qui. Ce n'était qu'autre que le fils de
Poséidon, qui lui jeta un sort. Dès lors, Ulysse et ses camarades
furent maudits à naviguer pendant dix ans avant de pouvoir rentrer chez
eux.
C'est ainsi que pendant une vingtaine d'années, voguant
d'aventures en aventures, traversant vents et marrées, Ulysse dû
attendre de rentrer chez lui. C'est grâce à Circée que le
héros aux mille ruses pût enfin retrouver sa femme et son fils.
Cette histoire a pour but de rappeler le schéma
narratif d'une histoire. Il y a tout d'abord la situation initiale (Ulysse part
en guerre, puis il va rentrer chez lui), puis l'élément
perturbateur (sur la route il crève l'oeil de Polyphème, donc le
père de celui-ci lui lance un sort). S'en suit les
péripéties (toutes les aventures durant dix ans), le
dénouement (l'aide de Circée), et enfin, la situation finale
(Ulysse rentre chez lui).
42
Il y a d'ailleurs une différence notoire entre
schéma narratif et schéma actanciel. Par définition, le
schéma actanciel met l'accent sur les personnages et les relations
qu'ils ont entre eux, alors que le schéma narratif, quant à lui,
mettra l'accent sur les actions.93
La point différenciant majeur entre les deux est que
certains éléments peuvent manquer dans le schéma
actantiel, ce qui n'est pas le cas dans le schéma narratif, qui lui, est
fixe.
Le schéma actantiel a lui aussi ses composants. Le
sujet (qui accomplit la mission), l'objet (ce que le sujet cherche à
obtenir, qui peut être réel ou abstrait), le destinateur (ce qui
pousse le sujet à agir), le destinataire (tous ceux qui obtiennent un
bénéfice/avantage à la fin de la mission), les opposants
(ceux qui nuisent au bien de la mission), et enfin, les adjuvants (ceux qui
aident au bien de la quête, ils peuvent être humains, abstraits,
etc.).94
Ce qui nous intéresse ici, c'est l'adjuvant. Toutes les
marques répondent non seulement au schéma narratif, mais
également au schéma actantiel, grâce à leur
storytelling de plus en plus puissant. Et c'est dans ce deuxième
schéma qu'elles se mettent le plus en valeur.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, la marque
ne répond pas au sujet principal. Elle aura pour rôle l'adjuvant,
et aidera le consommateur à accomplir sa quête. Elle n'est pas le
but de la quête mais le moyen d'arriver à la fin d'une quête
narrative.
Par exemple, dans la publicité Hollywood Chewing-gum
« Extra Gum Ð L'histoire de Juan et Sarah È95. La
marque est seulement là pour rassembler et faire tomber les deux
personnes, elle n'est pas le sujet principal, qui, dans le cas présent,
est Juan et Sarah, à la quête de l'amour.
93 Anonyme, « Schéma actantiel (ou
actanciel) »,
https://www.alloprof.qc.ca/fr/eleves/bv/francais/le-schema-actantiel-ou-actanciel-f1051,
Alloprof, consulté le 28 avril 2022.
94 Anonyme, « Schéma actantiel (ou
actanciel) »,
https://www.alloprof.qc.ca/fr/eleves/bv/francais/le-schema-actantiel-ou-actanciel-f1051,
consulté le 28 avril 2022.
95 Anthem Entertainment, Extra Gum - Can't Help
Falling In Love Feat. Haley Reinhart, publicité, YouTube,
diffusée le 14 octobre 2015, 1min58.
43
Capture d'écran de la publicité «
Extra-Gum - L'histoire de Juan et Sarah » de Holywood Chewing-Gum
Pour qu'une histoire soit bonne, certaines
caractéristiques sont à prendre en compte. Ces
caractéristiques, Guillaume Lamarre les a
répertoriées96.
Une histoire doit d'abord être simple. Qui dit simple,
dit facile à retenir, comme les « légendes urbaines »
par exemple. Elle doit également être surprenante, d'où les
méthodes du type PAS et AIDA. Ensuite, il faut que l'histoire soit
concrète. Le storytelling parle à celui qui l'écoute, et
de même que le simple, plus ce sera concret, plus on retient. Une
histoire doit être crédible. Comme pour l'engagement, une
promesse, voire un contrat, se crée entre le storyteller et le lecteur.
Un pacte de confiance. Si quelque chose cloche dans une scène, c'est
qu'en réalité, quelque chose clochait déjà dans
celle d'avant.
D'ailleurs, ce que les marques font en habillant les acteurs
d'une certaine façon selon le produit vendu joue dans ce critère,
d'où les importances des égéries. Et enfin, dernier
critère, l'histoire doit être émouvante. Nous avons
déjà fait tout un point sur les émotions. Le point
culminant d'une histoire, c'est déclencher des émotions. Par
exemple, bien qu'il ne s'agisse pas d'une marque en soit, dans le film
Vice-Versa de Disney, la joie ne va pas sans la tristesse. Ici, c'est une
question de pathos. C'est l'ensemble des éléments qui vont
permettre de déclencher de la passion, et des émotions. Le but
est que le consommateur devienne acteur et se mette à la place des
protagonistes.
96 Guillaume Lamarre, L'art du
storytelling, opt. cit, p. 76.
44
Guillaume Lamarre97 rappelle que le plus important
est de toujours bien garder son thème en tête. Comme les fables de
La Fontaine, afin que le public retienne la morale de l'histoire.
En parlant de Jean de La Fontaine, rien de mieux que ses
fables pour plaire et instruire. Dans le cas de ce mémoire, n'en
déplaise au lièvre et à la tortue ce ne sera plus à
la plus connue d'elles que l'on s'intéressera ici.
Avec son pouvoir d'illustrer les travers humains part des
mises en scène d'animaux anthropomorphes, « Le Pouvoir des fables
»98 parue en 1678 s'en démarque en faisant parler des
humains.
Cette fable porte bien son nom, en mettant en avant, non
seulement des comportements sociaux, mais surtout une certaine narration
captivante et rythmée, et un exemple réel de pratique de
storytelling, déjà à cette époque-là.
Deux personnages s'affrontent : l'orateur et le peuple
d'Athènes. Dans cette fable se trouve également une autre fable :
une fable dans la fable. Jean de La Fontaine s'adresse lui aussi directement
à l'Ambassadeur Paul de Barillon, lors d'un conflit entre la France et
l'Angleterre.
C'est pourquoi l'utilisation d'un « nous », «
Nous sommes tous d'Athène en ce point »99.
Procédé toujours utilisé, nous l'avons vu, par Emmanuel
Macron lors de ces campagnes comme par exemple « Parce que c'est notre
projet » !
L'orateur était avant tout présent pour
prévenir le peuple qu'ils étaient en danger, mais personne ne
l'écoute. « L'Orateur recourut A ces figures violentes
»100, mais cela ne marcha toujours pas. C'est lorsqu'il se mit
à raconter des histoires qu'enfin... « A ce reproche
l'assemblée, »101 « Par l'apologue
réveillée, »102, « Se donne entière
à l'Orateur : »103.
97 Guillaume Lamarre, L'art du storytelling,
opt. cit, p. 112.
98 Anonyme, « LE POUVOIR DES FABLES »,
Abstemius, emprunté à l'anecdote de l'apologue
ésopique de L'Orateur Démade,
http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/pouvfabl.ht,
consulté le 17 mars 2022.
99 Ibid. - Vers 65.
100 - Vers 61
101 Anonyme, « LE POUVOIR DES FABLES », Abstemius,
emprunté à l'anecdote de l'apologue ésopique de L'Orateur
Démade,
http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/pouvfabl.ht,
consulté le 17 mars 2022.
102 Ibid. - Vers 62.
103 Ibid. - Vers 63.
45
Jean de La Fontaine prouve donc que déjà
à l'époque, les histoires étaient utilisées afin de
se faire écouter, et pour cibler directement les personnes à qui
l'on voulait envoyer un message, même si elles se trouvaient loin de
nous. De bonnes histoires ainsi que des bonnes émotions sont bien plus
efficaces que mille discours. Un art subtil pour illustrer des propos pouvant
avoir un fort impact dans le monde du discours en touchant l'Homme à la
tête, mais surtout au coeur.
Pour revenir sur le dernier point de Guillaume Lamarre, il est
important de garder son thème en tête non seulement pour ne pas se
perdre soi-même, mais également pour ne perdre son auditoire. Et
pour cela, quoi de plus simple que de reprendre des histoires.
Car oui, les mythes, contes et légendes sont-ils vus et
vécus, ou bien revus ?
Selon Yuval Noah Harari, « de grands nombres d'inconnus
peuvent coopérer avec succès en croyant à des mythes
communs »104. Comme expliqué avec l'Homo Sapiens, c'est
grâce à sa capacité à s'adapter et à mettre
au point des récits que l'homme a dominé sur la
planète.
Les histoires racontées et rappelées sont ce qui
marche le mieux. Par exemple, dans les publicités, beaucoup de ce qui
est diffusé vient de ce que l'on connaît déjà sont
des parodies d'histoires ou encore d'épisodes historiques.
Par exemple, la publicité pour Amazon Prime de novembre
2021. La plateforme de streaming a donc choisi la princesse
Raiponce105 prenant elle-même son destin en compte, pour
prouver que sur Amazon Prime, tout est possible.
104 Yuval Noah Harari, cité par Sébastien Durand
dans Le storytelling, le guide pratique pour raconter efficacement votre
marque, op.cit., p. 10. La citation provient de Sapiens, Une
brève histoire de l'humanité de l'éditeur Albin
Michel.
105 PubTélé, Amazon Prime - Raiponce «
et tout devient possible » Pub 30s, publicité, YouTube,
diffusée le 19 novembre 2021, 31s.
46
47
Capture d'écran de la publicité « Raiponce,
et tout devient possible » de Amazon Prime
Arnaud Hacquin a une explication à tout
ça106. Le fait de rattacher une histoire à une
expérience ou à des émotions déjà
vécues, cela a un certain impact sur notre cerveau. Ce dernier a
été programmé pour raconter et écouter des
histoires. Depuis toujours, c'est ce qu'un individu fait toute la
journée, la nuit comme le jour. Dès qu'il entend une histoire, il
veut automatiquement la rattacher à une expérience passée,
et donc à une émotion similaire. C'est d'ailleurs pour cela que
certaines fois, comme nous l'avons vu, les cerveaux agissent de façon
synchronisée. Qui n'a jamais dit « ah tient, ça me
rappelle... ! » ?
Comme nous l'avons vu également, tout individu est
lui-même à part entière un storytelling, dès lors
qu'il naît et jusqu'à sa mort. C'est pourquoi certaines
publicités arrivent à toucher autant. Comme pour la
publicité Ouigo « Vous avez 20 ans, profitez-en
»107. Ayant pour but de vendre ses bons plans voyages à
prix réduits pour voyager en France, cette publicité a tout pour
toucher les jeunes de 20 ans, mais pas que. Avec cette musique de Charles
Aznavour « Hier encore j'avais 20 ans », une musique qu'un grand
homme aurait d'ailleurs qualifiée « que les gens de 20 ans ne
peuvent pas connaître », et toutes ces minis séquences
regroupant des situations dans lesquelles tout individu de 18 à 25 ans
environ peu se reconnaître, cette publicité est un
succès.
106 Hacquin, Arnaud, « Transmédia Storytelling,
Comment tirer parti des nouvelles d'écritures médiatiques ?
», Jardin des marques, expérience transmédia,
http://www.jardindesmarques.com/LivreBlanc.Transmedia.Storytelling.Jardindesmarques.pdf,
consulté le 17 novembre 2021.
107 Stratégies, Rosapark pour Ouigo - « Vous
avez 20 ans, profitez-en » - Mai 2019, publicité, YouTube,
diffusée le 16 mai 2019, 1min33.
Capture d'écran de la publicité « Vous avez
20 ans, profitez-en » de Ouigo
En parlant de musique, deux genres se dégagent ici. La
musique extradiégétique et intradiégétique.
Ces deux procédés cinématographiques sont
de plus en plus utilisés en publicité pour faire passer des
émotions. À la base, ce n'était que le son
extradiégétique. Puis petit à petit, le son
intradiégétique a fait son apparition, pour que l'on se sente
transporté par le personnage. Par exemple, lorsqu'un personnage met ses
écouteurs, et que la musique commence à ce moment-là, il
est encore plus facile de s'identifier à lui que si la musique
débutait dès le départ
C'est exactement ce qu'il se passe pour la publicité
« Lait drôle la vie »108 de Monoprix. Encore une
fois, la marque joue le rôle d'adjuvant pour réunir deux
personnes.
108 Stratégies, Rosapark pour Monoprix, « Lait
drôle la vie » - mai 2017, publicité, Youtube,
diffusée le 16 mai 2017, 4min02.
48
Ici, le chant commence lorsque l'enfant met les
écouteurs dans ses oreilles. Tout du long, le spectateur pourra se
trouver à la place de ce petit garçon et grandira avec lui, avec
une seule attente : que la fille comprenne que c'est lui, donc nous, qui glisse
les étiquettes d'emballage dans ses affaires.
La musique intradiégétique a un rôle
d'identification au même rôle que le storytelling. Et la musique au
sens large du terme est un vecteur d'émotions puissant, permettant au
public d'être plus réceptif au son. Effectivement, ce dernier
possède un véritable vocabulaire verbal, ce qui fait que «
les ressentis de chaque cible en entendant la musique sont bien
différents. Il en est de même en ce qui concerne les
réactions »109.
Le style de musique joue également un rôle
important comme outil de persuasion. Une étude a été
réalisée en 1993110 par Areni C.S et
KIM D dans un magasin de vins. IL a été démontré
que lorsque de la musique classique était diffusée, les
consommateurs étaient plus à même d'acheter, que lorsque de
la musique du type « Top 50 » était mise. De même, un
magasin a fait un test de diffuser de la musique française. Les clients
allaient automatiquement vers le rayon vins français, et vers les vins
allemands lorsque de la musique allemande était en route.
Il est pertinent de notifier que la musique favorise la
mémoire. Lorsqu'une publicité possède une musique, elle
sera plus facile à se remémorer, surtout lorsque le client
apprécie la musique. Cela lui apporte une note positive. D'ailleurs, non
seulement le type de musique n'est pas choisi par hasard, mais le mode de
diffusion non plus. Une femme aura plus de plaisir à regarder une
publicité avec une ambiance calme et paisible, alors que pour un homme,
le volume sera un peu plus fort111.
De plus, la musique favorise le produit. Par exemple, les
publicités avec un solo de piano mettront en avant la beauté de
leur produit, tandis qu'une publicité avec une musique d'opéra du
type du thème de l'Hiver des Quatre Saisons de Vivaldi, ce sera pour
mettre en avant l'élégance et la robustesse de ce produit.
109 Bertrand, « Le rôle de la musique dans la
publicité », MusiClic, 1er avril 2020,
https://www.musiclic.com/blog/le-role-de-la-musique-dans-la-publicite.asp,
consulté le 3 mai 2022.
110 Bertrand, « Le rôle de la musique dans la
publicité », MusiClic, 1er avril 2020,
https://www.musiclic.com/blog/le-role-de-la-musique-dans-la-publicite.asp,
consulté le 3 mai 2022.
111 Idem.
49
En conclusion, « rappelons d'abord que le storytelling
n'invente pas un mythe ; il met au jour une part sensible qui a toujours
existé dans l'univers des marques »112.
Joseph Campbell a développé, dans la fin des
années 1940, le concept du monomythe113. Ce concept aurait
pour but de démontrer que chaque histoire serait au final la même.
Dans tous les cas, on raconte l'histoire d'un héros. Ce sera
également la même structure. Les histoires peuvent être
racontées de façon différente, mais dans le fond, elles
sont seulement rappelées, et non réinventées. Le
schéma actanciel le prouve d'ailleurs, et c'est pourquoi certaines
caractéristiques sont à prendre en compte pour réussir ces
cinq étapes.
Si l'Homo Sapiens a réussi à s'imposer
grâce à son adaptabilité à raconter des histoires,
les histoires rappelées et les parodies historiques sont aujourd'hui ce
qui se fait de mieux, avec une adaptabilité dont nos ancêtres
seraient fiers.
Le cerveau humain veut pouvoir se rattacher de ce qu'il
connaît déjà. L'Humain s'aime tellement qu'il veut pouvoir
tout rattacher à lui, tout connaître et tout savoir. Lorsqu'il
voit une publicité, un individu veut pouvoir se dire « ah mais je
reconnais ! », ou encore « oh mais c'est moi ! ». C'est pour
cela que la publicité Ouigo marche si bien. L'identification n'a jamais
aussi bien marché qu'au XXIe siècle, que ce soit de
par les images ou par la musique, comme avec l'usage du son
intradiégétique.
Cependant, certains ne sont pas en faveur du storytelling et
des mythes pour vendre des produits. Pour citer Yannick Jaulin, comme dit plus
haut : « Le storytelling est une méthode intéressante pour
déclencher des émotions, libérer des frustrations. Quand
on se sert de cette maïeutique pour révéler l'âme
collective d'une entreprise, cela est favorable ; beaucoup moins quand on se
sert d'un mythe pour vendre un produit {É} »114.
C'est pourquoi d'autres veulent aller encore plus loin, et
cherchent d'autres moyens de conquérir et acquérir de nouveaux
clients, afin de susciter de l'engagement.
112 Jeanne Bordeau, « La véritable histoire du
storytelling », L'Expansion Management Review, art. cit. p.
97.
113 1000 idées de culture générale, LE
MONOMYTHE (Joseph Campbell) - Comment devenir un héros ?,
documentaire, YouTube, diffusé 25 février 2018,
14min21.
114 Yannick Jaulin, cité par Jeanne Bordeau, dans
« La véritable histoire du storytelling », art. cit,
p. 5. L'auteur n'a pas donné plus d'informations quant à la
provenance de la citation.
50
B - Le crowdfunding et la co-création de marque : de
nouveaux modes d'engagement participatifs
Il est d'abord important de définir ces deux termes.
Pour ce qui est du crowdfunding, c'est un financement participatif, permettant
de mettre en avant des start-ups, des particuliers (ou non) sur des plateformes
prévues à cet effet. Le but est de récolter des fonds sous
forme de petits ou gros montants auprès d'un large public afin de
financer un projet, sans intérêts.115 En ce qui
concerne la co-création de marque, c'est tout simplement une
stratégie marketing visant à collaborer adroitement avec les
consommateurs de sa marque.116
1) Le crowdfunding, un engagement solidaire
Cécile Palusinski rappelle que bien que les termes
crowdfunding ou encore campagne de financement sont dès lors
utilisés :
Le monde grec ancien pratiquait déjà la
souscription privée : des amis ou membres de confréries
religieuses se cotisaient pour aider l'un d'entre eux, racheter un prisonnier,
restaurer un sanctuaire ou un gymnase, consacrer une statue ou une offrande.
Les Grecs initiaient également des collectes de fonds, à
l'initiative de l'Assemblée, sous forme de contributions volontaires et
gratuites, en vue d'un objet commun.117
Plus le temps passe, et plus les campagnes participatives
voient le jour, et surtout, voient grand. La statue de la Liberté, la
Sagrada Fam«liaÉ Il en faut plus pour décourager ces
financements, et ça marche. Avoir la possibilité de participer
d'une façon ou d'une autre à ces constructions, cela donne une
dimension proportionnelle à la taille et à la réputation
de ces architectures à l'engagement.
Dès la Première Guerre Mondiale, «
l'État français décide d'accorder des subventions communes
qui doivent trouver les financements complémentaires
»118. C'est alors que les premières stratégies de
crowdfunfing commencent : on se dirige vers le grand public, les
mécènes, et la presse.
115 Définition du crowdfunding, Capital avec
Management,
https://www.capital.fr/votre-carriere/crowdfunding-1316742.
116 Définition de la co-création de marque,
Infonet,
https://infonet.fr/lexique/definitions/co-creation/.
117 Cécile Palusinski,, Le crowdfunding. Presses
Universitaires de France, p. 7., citant Léopold Migeotte, Les
Souscriptions publiques dans les cités grecques, édition
Droz, 1992, p. 4.
118 Cécile Palusinski, Le crowdfunding, opt. cit.
p. 9.
51
KissKissBankBank, Ulule, Cocorico... Que des noms originaux
dont on ne se serait pas douté qu'un jour, ils deviendraient des
mastodontes du crowdfunding. Ce mode de fonctionnement, mettant donc en lien
les entreprises et les particuliers, s'ouvrent de plus en plus au monde de
l'engagement pour les marques. Effectivement, les marques se montrent
aujourd'hui de plus en plus créatives. C'est donc tout simplement vers
les campagnes de crowdfunding qu'elles vont s'orienter pour leur lancement, ou
tout simplement pour le lancement d'un de leur produit, si ce n'est pour se
faire connaître.
Faire une campagne de financement participatif, c'est comme
faire du « gagnant-gagnant », « des partenariats
bénéfiques aux entreprises comme aux plateformes de dons
»119. La marque va se faire connaître et pourra financer
son produit (dans le cas d'un jeu de société par exemple), et la
plateforme de dons prendra une commission. Le taux d'engagement sera alors de
plus en plus élevé. Par exemple, La Grand scène à
Lille est un concept store, street-food, coffe shop et organise des
événements culturels tout au long de l'année. Ils ont
ouvert grâce à leur campagne de crowdfunding. Pour chaque personne
faisant un don, non seulement celle-ci recevait un verre en cadeau (selon le
montant donné, et à récupérer sur place), mais elle
avait également son prénom écrit sur le mur
derrière le bar. Un moyen ingénieux d'engager le consommateur de
façon durable ! De même pour Mozart, qui à partir du
XVIIIe siècle (début des grandes initiatives de
financement participatif), offrait certaines de ces partitions signées
de sa main pour ceux finançant ses concertos joués à
Vienne, afin de financer les frais d'impression, très chers à
l'époque120.
Le BtoB s'inscrit de plus en plus dans cet univers de
plateforme de dons. Bien qu'il y en existe une multitude, les deux plus
grosses, que ce soit en BtoB ou en BtoC datent de 2010 et de 2013 :
KissKissBankBank et Ulule. Il suffit que les marques veuillent sponsoriser un
projet qui leur tient un coeur pour le faire. « Quand on leur demande
s'ils souhaitent être accompagnés par une marque, dans 99% des cas
la réponse est oui »121.
119 Anonyme, « {LU} Le crowdfunding, un nouveau levier
d'engagement pour les marques », Carenews, 25 avril 2018 et mis
à jour le 27 avril 2018,
https://www.carenews.com/fr/news/10534-lu-le-crowdfunding-un-nouveau-levier-d-engagement-pour-les-marques,
consulté le 16 février 2022.
120 Cécile Palusinski,, Le crowdfunding. Presses
Universitaires de France, p. 8.
121 Alexandre Boucherot, patron d'Ulule, cité dans «
{LU} Le crowdfunding, un nouveau levier d'engagement pour les marques »,
Carenews, 25 avril 2018 et mis à jour le 27 avril 2018,
https://www.carenews.com/fr/news/10534-lu-le-crowdfunding-un-nouveau-levier-d-engagement-pour-les-marques,
hélas sans donner plus de précisions.
52
Ici, l'engagement des consommateurs n'est pas direct.
Cependant, il pousse et favorise l'engagement par la suite.
En 2017, afin de renforcer la relation
donnant-donnant-engagement-consommateur-plateforme de dons, Ulule avait
organisé le « Ulule Tour Québec », en parcourant 12
villages grâce au soutien de la Banque Nationale du Canada. Cette
tournée avait pour but de rechercher des porteurs de projets. Une
façon d'engager, à la fois des consommateurs ne connaissant pas
la plateforme et des porteurs de projets séduits par l'idée.
C'est alors que KissKissBankBank s'est équipée
de « Goodeed : une start-up de dons en ligne financés par la
publicité {É} qui va devenir une plateforme dédiée
aux marques »122. Ne serait-ce pas le moment de faire appel au
storytelling ?
Pour conclure, le crowdfunding, que l'on lui donne ce nom ou
non, ne date pas d'hier. Son évolution au fil du temps a fait voir des
projets mondialement connus, d'où la démocratisation vers une
cible plus large, la création de plateforme, pour que chacun puisse
monter son propre projet à son échelle, en espérant qu'un
jour, celui-ci puisse voir le jour. Que ce soit en BtoB ou en BtoC, plus
important pour ces personnes est de faire en sorte que leurs participants
à la campagne soient engagés, que le projet devienne le leur
également.
2) Mieux comprendre ses consommateurs : la co-création
de marque
« Gagnant-gagnant ». Bien que le crowdfunding soit
basé sur ce principe, il n'y a rien de plus vrai en ce qui concerne la
co-création de marque. Cette stratégie de marketing participatif
marque des avantages et des inconvénients, et les « conso-makers
»123 sont les acteurs au coeur de cette stratégie.
Univers retail donne l'exemple de l'Ikea Madelaine, «
conçu par et pour les parisiens »124. Ce magasin a
été imaginé par 1200 personnes ayant adhéré
au programme de fidélité d'Ikea. Petite parenthèse, le
fait même que les membres de la communauté d'Ikea soient
appelés la Ikea Family provoque un engagement certain pour la marque.
122 Anonyme, « {LU} Le crowdfunding, un nouveau levier
d'engagement pour les marques », Carenews, 25 avril 2018 et mis
à jour le 27 avril 2018,
https://www.carenews.com/fr/news/10534-lu-le-crowdfunding-un-nouveau-levier-d-engagement-pour-les-marques,
consulté le 16 février 2022.
123 Anonyme, « La co-création, une stratégie
d'innovation gagnant-gagnant ? », Univers retail, 4 juin 2019,
https://www.universretail.com/la-co-creation-une-strategie-dinnovation-gagnant-gagnant/,
consulté le 16 février
2022.
124 Idem.
53
Pour revenir au cas, lors du jour d'ouverture, ce n'est pas
moins de 29 000 personnes qui sont arrivées, record battu. Et ce,
grâce à cette stratégie de co-création de marque.
Les conso-makers ont alors l'impression de faire partie de la marque, de
l'avoir créée également, et d'avoir participé
à quelque chose de grand. Dans le cas présent, en regardant
autour d'eux dans le magasin Ikea, il peut être facile de penser pour eux
que telle ou telle table a été posée ici grâce
à eux, que ça devient en quelque sorte « leur »
magasin.
« 62% des Français ont déclaré
souhaiter aider leur marque préférée à créer
des produits et des services »125. La co-création de
marque marche de plus en plus au fil des années car les consommateurs
sont de plus en plus difficiles. Ils veulent devenir des consom'acteur. Ils
savent ce qu'ils aiment car ils consomment en masse, c'est pourquoi leur
demande devient de plus en plus approfondie. C'est ainsi que grâce
à cette stratégie, l'expérience utilisateur devient une
plue value reconnaissante et engageante du côté du consommateur,
mais également du côté de la marque afin d'accroître
sa visibilité. L'inventivité et le savoir-faire du consommateur
lui revient à lui-même et l'engage dans un processus de
création engageant.
L'auteur de l'article « La co-création, une
stratégie d'innovation gagnant-gagnant ? » met cependant en
garde contre deux risques majeurs126. Les consommateurs
impliqués dans la stratégie doivent dans un premier temps garder
en tête que leurs besoins et désirs ne sont pas les seuls, et que
l'attente finale doit satisfaire toute la cible concernée. Elle doit
également être raccord avec l'image de marque. De plus, la
co-création ne doit pas être le final de son projet. Ce qu'il est,
c'est la rentabilité, comme le montre le projet Ikea Madeleine. La
co-création est avant tout un justificatif à une
stratégie.
Cependant, avant d'être une stratégie, la
co-création de marque une création de valeurs entre les
consommateurs et les marques. L'image de cette dite marque est en jeu. C'est
pourquoi une création de valeurs est en vigueur et ne doit pas
être prise à la légère. Nous avions parlé, au
début de ce mémoire, du prisme de Kapferer (p. 12) en ce qui
concerne l'identification de marque. Dans le cas présent, cette
identité ne doit jamais être oubliée.127
125 Chiffre tiré du baromètre de l'utilité
des marques 2018, Opinionway & Supper - Anonyme, « La
co-création, une stratégie d'innovation gagnant-gagnant ? »,
Univers retail, 4 juin 2019,
https://www.universretail.com/la-co-creation-une-strategie-dinnovation-gagnant-gagnant/,
consulté le 16 février 2022.
126 Idid, cependant, ce n'est pas une donnée
chiffrée.
127 Zeitoun, Valérie, Haddad, Samuel, Michel,
Géraldine, « Chapitre 7. La marque coopérative : comment
concilier engagement social et réalité du marché »,
Aude Deville éd., Valeurs coopératives et nouvelles pratiques
de gestion. EMS Editions, 2020, p. 137.
54
« Aujourd'hui, la marque est considérée
comme un objet social porteur de sens et de valeurs qui crée de la
valeur auprès des clients sur la base de trois dimensions : la
confiance, l'identification, et l'attachement »128
Si l'on prend La Grand Scène, toujours à Lille,
les consommateurs ont confiance en elle. Elle est bienveillante et
crédible. Sur leur Instagram, ils réalisent
régulièrement des votes pour savoir si telle ou telle ambiance
l'on a préféré, et ainsi de suite. Pour l'identification,
le processus est le même. Lorsque l'on y est, on sait exactement le type
de personne que l'on va rencontrer grâce à l'ambiance par exemple.
Et pour la troisième dimension, l'attachement, grâce à
leurs différents choix de consommations, que ce soit au bar ou pour les
différents stands de nourritures, ou leurs différentes
animations, il est facile de s'attacher au lieu et de retrouver les mêmes
habitués.
Un autre exemple concret : la marque de jeux pour enfants
Oxybul. Depuis 1993, ils proposent de faire tester les jeux qu'ils produisent
aux familles. En voulant encore plus loin, il est possible de garder les jouets
pendant 10 jours, et de donner une note sur 10 avec des commentaires afin de
garantir une expertise poussée pour la marque. Une réelle
expérience de co-création de marque entre la marque et les
consommateurs.129 L'engagement de ces derniers n'aura jamais
été aussi fort.
Mais cela va encore plus loin. Trois dimensions pour
créer de la valeur auprès des consommateurs, et trois dimensions
pour créer de la valeur auprès des collaborateurs : signification
(le sens construit), vision (le sens qui fonde l'action), émotions (le
sens vécu)130. Selon Valérie Zeitoun, Samuel Haddad et
Géraldine Michel, « des dirigeants, des gestionnaires et des
experts s'accordent aujourd'hui pour dire que la marque joue un rôle
déterminant auprès des collaborateurs, et que le management par
la marque est une source d'innovation »131.
128 Zeitoun, Valérie, Haddad, Samuel, Michel,
Géraldine, « Chapitre 7. La marque coopérative : comment
concilier engagement social et réalité du marché »,
Aude Deville éd., Valeurs coopératives et nouvelles pratiques
de gestion. EMS Editions, 2020, p. 140.
129 Anonyme, « La co-création, une stratégie
d'innovation gagnant-gagnant ? », Univers retail, 4 juin 2019,
https://www.universretail.com/la-co-creation-une-strategie-dinnovation-gagnant-gagnant/,
consulté le 16 février 2022.
130 Zeitoun, Valérie, Haddad, Samuel, Michel,
Géraldine, « Chapitre 7. La marque coopérative : comment
concilier engagement social et réalité du marché »,
Aude Deville éd., Valeurs coopératives et nouvelles pratiques
de gestion. EMS Editions, 2020, p. 145.
131 Idem.
Pour la signification, dès lors que chaque
employé prend soin d'une marque, elle devient alors une
copropriété, et chacun en est co-responsable. Tout le monde peut
donc se retrouver en elle, elle prendra de la valeur au fil du temps et cela
lui assurera de la pérennité. Pour la dimension de la vision,
lorsque les collaborateurs ont les mêmes valeurs, dont nous avons
parlé précédemment, cela donne plus de sens à la
marque et au projet, qui devient alors commun. Et enfin, les émotions.
Nous en avons parlé tout au long de ce mémoire. Consommateurs,
comme collaborateurs, lorsque les émotions entrent en jeu,
l'identification en fait de même, ainsi que l'estime de soin, et le
fameux engagement.132
En conclusion, basée sur une stratégie «
gagnant-gagnant », la co-création de marque ne pourrait pas marcher
sans les consommateurs et les collaborateurs. Les français aiment ce
principe, et veulent aider leurs marques préférées
à évoluer et devenir des consom'acteurs. Confiance,
identification, attachement, signification, vision et émotions.
Voilà les mots-clés de cette stratégie. Bien que des
risques soient présents, il ne devient rien de plus engageant que la
co-création de marque.
55
132 Zeitoun, Valérie, Haddad, Samuel, Michel,
Géraldine, « Chapitre 7. La marque coopérative : comment
concilier engagement social et réalité du marché »,
Aude Deville éd., Valeurs coopératives et nouvelles pratiques
de gestion. EMS Editions, 2020, p. 140.
56
Conclusion
Au terme de cette étude, il est donc important de
rappeler la problématique de laquelle nous étions partis : «
Pourquoi le storytelling marketing réussit à engager une aussi
grande partie des consommateurs ? ». Nous avons tout d'abord vu ensemble
le concept même de l'engagement, et les différentes dimensions que
celui-ci peut prendre, avec l'appropriation du monde du travail, tout en le
rapprochant au mieux au storytelling. Cette pratique même a doucement
pris la place pour remonter au fil du temps. L'art du storytelling a
été abordé sous tous les angles, caractéristiques,
qualités et défauts, pour laisser place aux marques, mythes,
contes et légendes. Enfin, les notions d'engagements, storytelling et
marques ont été abordées dans les concepts de crowdfunding
et co-création de marques.
Si le storytelling marche aussi bien, et qu'il réussit
au final à engager une aussi grande partie des consommateurs, c'est par
le souvenir. Nous l'avons vu, et Joseph Campbell nous le confirme : le concept
du monomythe démontre que chaque histoire est la même. C'est ainsi
que tout devient un souvenir constant, que chaque histoire nous en rappelle une
autre.
L'Homme, avec un grand H, s'aime par nature, et même
s'il aura souvent du mal à l'assumer, il aura toujours une part
d'égocentrisme relativement élevée. C'est pourquoi voir
quelque chose qui pourra lui rappeler un élément de sa vue
personnelle suscitera automatiquement en lui un sentiment de joie, et
très souvent, provoquera d'achat. Nous l'avons vu, mais qui n'a jamais
dit « Oh ça me rappelle... ! » en entendant une histoire, ou
encore plus, devant une publicité ?
Les émotions et les souvenirs sont ce qui font tourner
le monde. Et ce, grâce au storytelling. L'étape venant
après : l'engagement.
Cependant, les campagnes de crowdfunding et la
co-création de marque ne seraient pas en train de mettre en péril
l'art du storytelling dans sa fonction d'engagement ? Nous l'avons
étudié ensemble, près de 62% des français
aimeraient aider leur marque préférée à
s'améliorer, et ce genre de concept se développe de plus en plus
dans le monde. Une façon parfaite pour les marques de s'améliorer
tout en engageant leurs consommateurs tout en les gardant près d'elles.
Mais après tout, la recette parfaite n'est-elle pas de lier ces deux
concepts et le storytelling ?
57
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FORMULAIRE D'ENGAGEMENT ANTI-PLAGIAT
Le plagiat consiste à reproduire un texte, une partie
d'un texte, toute production littéraire ou graphique, ou à
paraphraser un texte sans indiquer quel en est rauteur.
Le plagiat enfreint les régies de la
déontologie de renseignement supérieur et II constitue une fraude
dans les travaux donnant Lieu ô notation. Le plagiat constitue
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propriété Intellectuelle, susceptible d'être
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Lorsque l'auteur d'un travail universitaire éprouve le
besoin de s'appuyer sur un autre texte, II doit le faire en respectant les
règles suivantes :
- lorsqu'un extrait, môme court, est cité
exactement, II dolt être placé entre guillemets (ou en retrait et
en caractères Légèrement plus petits si le texte fait plus
de quelques lignes) et la référence ]nom de rauteur et source)
doit être indiquée ; rextralt cité dolt être
court;
- lorsque le texte ou un passage du texte est
paraphrasé ou résumé, la référence (nom de
rauteur et source) doit être donnée.
Ces obligations s'appliquent de la môme manière
en cas de textes originellement publies sur Internet et de traductions
(originales ou non] ; elles concernent aussi les Illustrations, tableaux et
graphiques.
En cas de plagiat dans un devoir, dossier ou mémoire,
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mémoire, se verra éiminé de l'examen de certification. En
outre, il pourra être passible
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La procédure disciplinaire ne présage pas
d'éventuelles poursuites judiciaires dans le cas où le plagiat
est aussi caractérisé comme étant une
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Je sousslgné(e] Girod Agathe
étudlant(e) en PR04 au Cesacom
déclare avoir pris connaissance du formulaire
d'engagement antl-plagiat et m'engage à indiquer toutes les
références des textes sur lesquels je m'appuierai dans mes
devoirs et travauxc.
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Fart à Lite 1, /4.S/2Q ,2 Signature
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