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Les relations franco-sénégalaises de 1975 à  1982: la coopération politique et socio-économique


par Thiama Ciss
Université de Paris Diderot - Master 2 2021
  

Disponible en mode multipage

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Juillet 2021

1

Université de Paris
UFR GHES, Département Histoire
Master 2 « Histoire, civilisations, patrimoine »
Spécialité « Mondes africains, américains, asiatiques et moyen-orientaux :
sources, sociétés, enjeux »

Mémoire de Master

Les relations franco-sénégalaises : la coopération politique
et économique de 1974 à 1982

Thiama CISS

Sous la direction de Didier NATIVEL

2

Sommaire

Dédicace ..3

Remerciements .4

Liste des abréviations .5-6

INTRODUCTION 7-33

PREMIERE PARTIE :BILAN DE LA COOPÉRATION

FRANCO-SÉNÉGALAISE ..34-51

Chapitre 1:L'assistance technique . 36-40

Chapitre 2 : La coopération socio-économique .. 41-51

DEUXIÈME PARTIE : LA RÉVISION DES ACCORDS DE COOPÉRATION

FRANCO-SÉNÉGALAISE ..52-75

Chapitre 1 : Les négociations . 54-67

Chapitre 2 : Les nouveaux accords de coopération 68-75

TROISIEME PARTIE : APPLICATION ET IMPACTS DES NOUVEAUX

ACCORDS .76-104

Chapitre 1 : Applications .78-93

Chapitre 2 : Impacts .. 94-104

CONCLUSION .. 105-110

BIBLIOGRAPHIE . 111-118

3

Dédicace

Je dédie ce mémoire à mon feu père Sidy et à ma mère Mbène

4

Remerciements

Je remercie Monsieur Didier Nativel, mon directeur de recherche pour l'accompagnement, la disponibilité et les conseils.

Mes remerciements s'adressent à Monsieur Huetz De Lemps, professeur d'histoire à l'université de Nice qui m'a encadré au Master 1, à Monsieur Mamadou Fall, professeur d'histoire à l'université de Dakar et l'ensemble des professeurs du Centre d'études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques.

Je remercie ma mère qui est toujours à mes côtés malgré la distance, mes frères et soeurs.

Je ne peux pas clore cette liste sans citer Assane Gueye, un proche qui m'a beaucoup soutenu, mes copines Yali, Hawa, spécialement à Terry pour la lecture et le soutien moral, à Thierno Barry, Ismaila Sagna, Bakari, Preciosa et Madame Karine Teepe.

5

Liste des abréviations

AOF : Afrique occidentale française

BNDS : Banque nationale du Sénégal

CCCE : Caisse centrale de coopération économique

COFACE : Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur

COFEGES : Conseil fédéral des groupements économiques du Sénégal

CNUCED : Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement

ENFOM : Ecole nationale de la France d'outre-mer

FAC : Fonds d'aide et de coopération

FIM : Fonds monétaire international

GES : Groupement économique du Sénégal

NOEI : Nouvel ordre économique international

ONU : Organisation des Nations Unies

OPEP : Organisation des pays exportateurs de pétrole

ORTS : Organisation de la radio-télévision du Sénégal

PAS : Programme d'ajustement structurel

PME : Petite et moyenne entreprise

SAED : Société d'aménagement et d'exploitation des terres du Delta

SODEFITEX : Société des fibres et du textile

SONEPI : Société nationale d'étude et de promotion industrielle

SOSAP : Société sénégalaise d'armement à la pêche

UDES : Union des étudiants du Sénégal

6

UEMOA : Union économique et monétaire de l'Ouest africaine UGTSF : Union générale des travailleurs sénégalais en France UMOA : Union monétaire de l'Ouest africaine

UNIGES : Union des groupements économiques du Sénégal UNTS : Union nationale des travailleurs du Sénégal

7

INTRODUCTION

8

Contextualisation.

Les années 1970 constituent un tournant décisif dans les relations franco-africaines d'une manière générale et plus particulièrement celles franco-sénégalaises. Ces dernières vont connaître une phase de contestations et de remises en questions. Le système de coopération mis en place avant même les indépendances pour définir les nouveaux rapports franco-africains, est sur le point de décliner. Ce sont les accords de coopération et leurs objectifs qui sont au coeur des préoccupations. Pour pouvoir comprendre cette phase des relations franco-africaines, il faut commencer par la politique de coopération qui a été mise en place.

Tout d'abord essayons de définir le terme coopération. Son étymologie vient du latin cum , «avec», et operare « faire quelque chose, agir ». Le terme renvoie à l'idée de collaborer. Cependant son sens varie en fonction du contexte dans lequel il est employé. Dans le cadre des relations franco-africaines, la coopération se définit comme un mode de relations qui implique la mise en oeuvre d'une politique suivie, pendant une certaine durée, et destiné à les rendre plus proches grâce à des mécanismes permanents. Les relations établies dans plusieurs domaines ne mettent cependant pas en cause l'indépendance des unités concernées.1Cette définition s'applique également à la coopération internationale, née au lendemain de la Première Guerre mondiale mais qui ne prendra ses marques qu'après la seconde avec la création de l'ONU. La charte de l'organisation consigne l'émergence des principes d'égalité des États dans le cadre de promouvoir la paix et de combattre les inégalités. La coopération fut donc le moyen le plus efficace pour mettre en oeuvre ces principes. De plus l'accession à l'indépendance des anciennes colonies européennes donne une nouvelle mission à la coopération internationale à savoir combattre le sous-développement. En d'autres termes, la coopération au développement qui selon une approche première classique et presque unanimement acceptée, désigne les transferts des pays du Nord vers ceux du Sud des ressources financières et de savoir-faire provenant de sources publiques ou privées, le motif de ces transferts étant le rattrapage du développement économique, la solidarité, la recherche d'une plus grande justice sociale et la diminution des disparités. Par conséquent le terme même de coopération a vu son sens évolué comme l'a bien noté Albert Bourgi qui a fourni un

1 Gonidec Pierre François, Relations internationales, Paris, Editions Montchrestien, 1974, p.396.

9

travail primordial sur la coopération franco-sénégalaise et dont nous aborderons plus loin: « son usage s'est peu à peu limité aux rapports entre les pays développés et le Tiers-monde »2. Ces rapports sont essentiellement axés sur l'assistance technique afin d'aider les nouveaux Etats indépendants à prendre leur envol économique et social. En règle générale, les anciennes métropoles se sont assignées cette tâche, et la politique française de coopération en Afrique s'identifie bien à ce système.

Il n'existe pas de date officielle commémorant cette politique de coopération, mais nous pouvons en retracer la genése.La coopération franco-africaine a démarré durant la phase de la décolonisation, à partir de 1945. En effet, au lendemain de la seconde guerre mondiale, la France concrétise l'association de ses colonies au sein de l'Union française, avec notamment la création de la zone Franc (Franc des Colonies Françaises d'Afrique). Certaines études à l'instar de l'article de Claude Freud intitulé La zone franc est-elle le bouc émissaire de l'échec du développement?, affirment que la zone franc fut une conséquence de la crise de 1929 qui a poussé la France à se replier sur ses colonies. Elle s'est efforcée d'organiser ses échanges à l'intérieur d'un espace économique, autour duquel elle pouvait dresser des barrières protectionnistes. Le décret du 26 décembre 1946 ne fait qu'instituer cette nécessité en renforçant le contrôle de la zone. Cette dernière dépasse ses attributions monétaires et lance les bases d'une zone d'intégration politique et commerciale : l'Union française. Celle-ci est alors composée d'une part de la France métropolitaine, des départements et territoires d'outre-mer, formant la République française et d'autre part des territoires et Etats associés. Cette période post-guerre est en quelque sorte le moment de prise de conscience par les peuples sous domination coloniale qui aspirent de plus en plus à l'autonomie. L'indépendance devenant inéluctable, la France devait trouver une alternative pour sauver son empire.

C'est dans ce contexte que naît en 1958 la Communauté. Elle regroupait la France et ses colonies qui deviennent des Etats membres. Il ne faut pas perdre de vue que ce processus est une continuité depuis 1944, mais dont les appellations et les termes juridiques ont changé pour s'adapter à la situation. En effet, c'est le titre VIII de la Constitution de l'Union française qui sera réadapté pour donner naissance à la Communauté : « La Communauté est ainsi assurément fille de l'Union française »3. La Communauté donne plus d'autonomie aux colonies qui gèrent leurs affaires intérieures. En revanche, la politique étrangère, la défense, la

2 Bourgi Albert, La politique française de coopération en Afrique : le cas du Sénégal, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1979, p.2.

3 Turpin Frédéric, 1958, « La communauté franco-africaine : un projet de puissance entre héritage de la IVe République et conceptions gaulliennes. » In Outre-mer, Tome 95, n°358-359, 1er semestre 2008, 1958 et l'outre-mer français, p.54.

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monnaie, la politique économique et financière commune et la politique des matières premières stratégiques sont les domaines de compétences de la Communauté. Alors ce fédéralisme devient contraignant pour les Africains qui veulent bénéficier d'une autonomie sur le plan international. Par conséquent, la Communauté contractuelle est sur le point de disparaître car l'alinéa 3 de l'article 86 de la Constitution de 1958 stipule ainsi: «qu'un État membre de la Communauté peut également par voie d'accords, devenir indépendant sans cesser de ce fait d'appartenir à la Communauté » .La Fédération du Mali regroupant le Sénégal et le Soudan utilise alors cette disposition et demande son indépendance. Elle sera suivie du Madagascar et des autres pays africains en 1960. Cette décision de la Fédération du Mali met fin sur le plan juridique la Communauté naissante et pousse la République française a modifié le 4 juin 1960 la Constitution de 1958. Cette loi permet en quelque sorte de maintenir la Communauté sous une autre forme. Elle permet de concilier indépendance et appartenance à la Communauté. De ce fait la Communauté contractuelle devient une Communauté conventionnelle comme le souligne Frédéric Turpin, historien français dont l'un de ses ouvrages principaux est De Gaulle, Pompidou et l'Afrique: décoloniser et coopérer dans un article : « Il s'agit d'offrir aux Etats membres de la première Communauté qui veulent devenir indépendants la possibilité d'y demeurer sous la forme d'une association formalisée par des accords de coopération avec la France et de participations aux institutions de la Communauté »4.

C'est à partir de ce moment que les accords de coopération sont nés et régissent les relations franco-africaines. C'est la Fédération qui signe les premiers accords avec la France pour pouvoir accéder à la souveraineté internationale par le biais d'un transfert de compétences. L'échange de lettres de l'accord particulier entre les deux parties a été significatif à ce propos : « Je vous serais obligé de vouloir bien, en me donnant acte de cette communication, me confirmer que, dès la proclamation de l'indépendance du Mali, le Gouvernement de la Fédération procédera à la signature des accords définissant les principes et les modalités de la coopération librement instaurée entre la République française et la Fédération du Mali au sein de la Communauté rénovée ainsi que de l'accord multilatéral sur les droits fondamentaux des nationaux de la Communauté, de la convention d'établissement et de la convention sur la conciliation et Cour d'arbitrage »5. C'est donc la Communauté qui a donné naissance à la coopération franco-africaine et lui a cédé ses institutions les plus significatives. De ce fait, le

4 Turpin Frédéric, « Le passage à la diplomatie bilatérale franco-africaine après l'échec de la Communauté », In Relations Internationales, 2008/3, (no 135), pp.25-35.

5 Archives nationales, Paris, « Coopération, Cabinet et service rattaché au Ministre, chargé de mission (1959-1985) », cote 20000137/1.

6 Turpin Frédéric, « L'Union pour la Nouvelle République et la Communauté franco-africaine : un rêve de puissance évanoui dans les sables algériens ? (1958 - 1961) », In Histoire Politique, 2010/3 (n° 12), p.5.

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Secrétariat général de la Communauté auprès du président de la République et le Ministre d'Etat pour les relations avec la Communauté sont remplacés par le Conseil pour les affaires africaines et malgaches et le Secrétariat général à la présidence de la République pour la Communauté et les affaires africaines et malgaches. Avec ces institutions, le Général De Gaulle, président de la République française et de la Communauté assure la pérennité de son pré-carré africain. Pour le Général il n'a jamais été question d'indépendance mais plutôt un moyen de préserver ses anciennes colonies ou du moins de continuer à influencer sur leur gestion. Cette volonté a été exprimée au sein du gouvernement. Michel Debré affirmait ainsi le 11 mai 1960 devant l'assemblée nationale : « Nous avons tout pesé, nous avons mesuré à la fois l'héritage du passé, les exigences du présent et les probabilités de l'avenir et nous avons que le vrai problème est le suivant :à l'administration directe appuyée sur l'unité des souverainetés, il faut substituer par la force des choses, la collaboration politique, intellectuelle, économique et administrative, fondée sur l'association des souverainetés en créant au-dessus de cette association une union politique garantie par certaines institutions »6. Malgré la mise en place d'un ministère de la coopération qui devait coordonner toute la politique étrangère, les relations avec les Etats africains deviennent particulières. Le Secrétariat général à la présidence des affaires africaines et malgaches devient l'instance qui organise désormais toute la coopération avec chacun des pays africains. Contrairement à l'esprit de la Communauté qui était fédérative, la coopération franco-africaine tend au bilatéralisme à l'exception des accords en matière monétaire autour de la Zone Franc. Les États africains adhèrent à cette politique de coopération durant toute la première décennie de l'indépendance Cependant il ne faut pas perdre de vue que les accords de coopération ont été signés dans l'urgence et ces États n'ont pas eu le temps de peser les contraintes. Leur principal souci était de relever les défis économiques, sociaux et politiques de leur État naissant et ces tâches s'avéraient impossibles sans le soutien de l'ancienne métropole. Cette dernière en contrepartie demande une coopération qui lui permettra de préserver sa présence. Ce nouveau système de relations franco-africaines résiste durant la première décennie des indépendances. En revanche, les objectifs et les modalités n'étaient pas compatibles à l'exercice de la souveraineté des Etats africains. En outre, la scène internationale subissait en ce moment d'importants bouleversements sur le plan économique et politique dont nous en revenons amplement plus loin. Par conséquent la particularité de la politique française de

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coopération en Afrique est confrontée à de sévères critiques par ses partenaires africains, les opposants français et des experts en coopération. Le Gouvernement français avait pris conscience que sa politique de coopération méritait réflexion et de nouvelles orientations. C'est dans ce cadre qu'une étude fut demandée. Celle-ci fut confiée à Jean-Marcel Jeanneney, économiste et ministre de l'industrie de 1959 à 1962, qui produit un rapport en 1963. Nous n'avons pas eu la chance de consulter ce rapport. En revanche, certaines lectures nous ont permis d'avoir un aperçu de ses grandes lignes. Ce fut le cas à travers l'article de Sylviane Guillaumont Jeanneney intitulé «La politique de coopération avec les pays en développement selon le rapport Jean-Marcel Jeanneney. Un rapport d'actualité, vieux d'un demi siècle". Le plan du rapport lui même est significatif en posant trois questions essentielles à savoir : Quelles sont les raisons d'une politique française de coopération avec les pays en voie de développement ? Quel montant de ses ressources la France peut-elle consacrer à cette politique sans compromettre son développement ? Où et selon quelles modalités les ressources consacrées à la coopération doivent-elles être affectées ? et en dernier point il préconise une réforme des structures administratives de la coopération.7

Selon Jean-Marcel Jeanneney, l'aide française ne répond pas à des objectifs économiques : « les vraies raisons d'une politique française de coopération sont d'ordre éthique et politique au sens noble du terme ». Il est important de souligner que plusieurs idées ont été avancées sur les raisons d'une politique française de coopération surtout avec ses anciennes colonies. Parmi les thèses les plus soutenues demeure celle des intérêts économiques. Souvent ce sont les avantages que lui apportent la Zone Franc et les matières premières stratégiques ainsi que ses entreprises en Afrique qui sont soulignés. Parfois les chiffres ne traduisent pas la réalité, cependant l'attitude de la France pour maintenir des liens étroits avec ses ex-colonies nous pousse à creuser cette hypothèse. En tout état de cause, le rapport exclut cette thèse. Par contre, il soutient que l'aide à l'Afrique doit rester prioritaire mais non exclusive. D'où la nécessité d'élargir la zone géographique notamment en Amérique latine. Cette vision sera incluse dans le programme du Général de Gaulle entre 1964 et 1966. L'expression Tiers-monde rarement utilisée par lui apparaît à cette époque avec une signification clairement géopolitique : « Il y'a dans le monde de grandes réalités au milieu desquelles, vit la France. Ce sont deux pays actuellement colossaux, États-Unis et Russie soviétique..., la Chine,

7 Jeanneney Guillaumont Sylviane, «La politique de coopération avec les pays en développement selon Jean Marcel Jeanneney. Un rapport d'actualité vieux d'un demi-siècle», Fondation pour les études et recherches sur le développement international, no 38, février 2012, p.2

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l'Europe occidentale, enfin le Tiers monde d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine »8. Le fait que le rapport souligne ce point peut être considéré comme une suspicion sur le fait que la France utilise ses ex-colonies pour pouvoir peser sur la scène internationale. Elle faisait une politique d'endiguement pour empêcher les deux superpuissances(Etats-Unis et URSS) d'exercer une influence sur son précieux pré-carré. C'est pas étonnant que la politique française de coopération s'oriente un peu vers ce domaine. En effet, les dirigeants de la France libre ont toujours considéré que le prestige et la grandeur de la France se trouvaient dans son Empire. La lecture de ce rapport ne laisse apparaître aucune notion sur le caractère « néocoloniale » de la politique française de coopération. En revanche le rapport émet une mise en garde sur les éventuels « dangers de l'assistance technique de substitution, ses charmes pour les dirigeants des pays aidés et le risque de néo-colonialisme (p.28 et p.37 du rapport) »9. Partant des éléments évoqués en dessus concernant le contexte de naissance des accords de coopération, le caractère « néocolonial » de la politique française de coopération n'est plus à démontrer. En outre, les mécanismes et les instances de cette politique sont héritiers de l'époque coloniale et la dernière partie du rapport l'a traité largement. Il s'agit d'une remise en cause de la coopération et une proposition de réforme de structures administratives de cette coopération. En effet, les deux problèmes majeurs sont la dispersion des centres de décision et le manque d'autonomie des institutions d'aide en charge de prendre des décisions concrètes. Notons que cette partie n'a jamais été publiée dans la presse du moins jusqu'en 1984. Nous supposons que les critiques ont été trop sévères à l'encontre du gouvernement. Par conséquent aucune recommandation du rapport n'a été appliquée immédiatement. Malgré le fait que cette partie du rapport est rangée dans les tiroirs, il aura une réelle portée historique car dix ans après ces mêmes interrogations ou critiques ou encore remise en question vont resurgir.

Comme nous l'avons souligné au début de ce texte, les années 1970 sont riches en évènements dans les relations internationales d'une manière générale et particulièrement dans celles franco-africaines. Nous allons voir que ces bouleversements ont largement contribué à la demande de révision des accords de coopération franco-africains. Tout d'abord, abordons la position des pays désignés « pays en voie de développement » qui se situent dans le Tiers monde sur la scène internationale avec leur quête d'un nouvel ordre économique mondial. Pour comprendre cet épisode, il est opportun de connaître quelques événements clés. En effet,

8 Smouths Jacques Adda Claude Mari, La France face au Sud : le miroir brisé, Paris, Editions Karthala, 1989, p.12.

9 Jeanneney Guillaumont Sylviane,op.cit, p11.

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depuis 1964, le problème de sous-développement des pays du Tiers monde est devenu une préoccupation pour les Nations Unies avec la conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement. Les revendications des pays en voie de développement sont la correction des termes de l'échange afin d'atteindre un commerce mondial plus équitable. Ils réaffirment leur position par la Charte d'Alger en 1967 et en 1971 par la déclaration de Lima. Si la revendication du Tiers monde est cohérente est dû au fait que ce bloc a su s'organiser depuis 1955 lors de la conférence de Bandoeng. Le tiers-monde est devenu un bloc important avec l'accession à l'indépendance de la quasi-totalité des pays qui étaient sous domination coloniale et est en mesure de « changer » le cours de l'histoire. Ce sont ces pays coalisés du Sud qui étaient les premiers à dénoncer l'hégémonie du dollar. En 1972, ils portent l'idée d'un nouvel ordre économique mondial lors de la 3e CNUCED par le biais de la charte solennelle des droits et devoirs des États ». L'idée se résume en ces termes : « établir d'urgence des normes généralement acceptées qui régiront de manière systématique les relations économiques entre les États, reconnaître l'impossibilité d'instaurer un ordre juste et un mode stable tant qu'une charte tendant à protéger les droits de tous les pays, en particulier des pays en voie de développement, n'aura pas été formulé»10. Par conséquent les pays de l'OPEP donnent le ton en 1973 en augmentant le prix du baril de pétrole et poussent les pays riches à négocier. En outre, en 1974 lors de la sixième session spéciale de l'Assemblée générale de l'ONU, les pays du Tiers monde exposent quelques orientations économiques. Ces dernières sont entre autres la stabilisation dans le temps des revenus tirés des matières premières après l'augmentation de leur prix. Faire passer leur part dans la production industrielle mondiale de 8% en 1979 à 25% d'ici 2000 tout en demandant un transfert de technologie et un contrôle des sociétés multinationales. Il a été question également de la conversion en dons de la totalité des créances des pays les moins avancés et sur une période de grâce de cinq ans pour les créances des autres. L'ONU approuve par consensus la déclaration du NOEI dont les bases sont «l'équité, l'égalité souveraine,l'interdépendance, l'intérêt commun et la coopération entre tous les etats, indépendamment de leur système économique et social, qui corrigera les inégalités et rectifiera les injustices actuelles»11. Parmi les principes les plus significatifs de la charte, nous pouvons citer le principe (j) qui se résume ainsi: «Rapports justes et équitables entre les prix des matières premières, des produits primaires, des articles manufacturés et semi-finis exportés par les pays en voie de développement et les prix des matières premières, des

10 Colard Daniel, «La charte des droits et devoirs économiques des Etats», In Etudes internationales, 1975, 6(4), p.447.

11 Assemblée générale-Sixième session extraordinaire, Dossier 3201, 1er mai 1974, p.4.

12 Idem

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produits primaires, des articles manufacturés, des biens d'équipement et du matériel importés par eux en vue de provoquer, au profit de ces pays, une amélioration soutenue des termes de l'échange, qui ne sont pas satisfaisantes, ainsi que l'expansion de l'économie mondiale»12 Cependant cette situation ne profite pas longtemps aux pays en voie de développement. Leur nombre important, 77 au total n'a pas empêché les pays du Nord à préserver leur supériorité économique. L'échec du NOEI peut être expliqué par le fait que le Tiers monde ne constitue pas un ensemble homogène mais plutôt une multitude de pays avec des différences économiques. Désormais il existe des Tiers mondes qui vont subir les conséquences d'un système économique qui leur impose le Programme d'Ajustement Structurel (PAS) dès 1980.

La position de la France sur le sujet est difficile à cerner. Cependant nous savons que la France n'appréciait pas l'hégémonie économique exercée par les États-Unis. Il s'agit donc pour elle d'une occasion à saisir pour déstabiliser cette hégémonie si la lutte du G77 aboutisse. Elle a apporté son soutien en quelque sorte aux pays du Tiers monde même si elle ne voulait pas l'affirmer. C'est dans ce cadre qu'elle a tenté de réunir les grandes puissances économiques dans un Congrès dans le but de trouver une solution à ces revendications du Tiers monde, d'où l'appellation du G7 par opposition au G77. Ces limites du combat des pays en voie de développement n'ont pas empêché les pays africains de prendre conscience des enjeux et de la nécessité de revoir leur politique de coopération avec la France. Nous pouvons affirmer donc l'hypothèse selon laquelle le contexte économique international a été décisif dans la contestation et la remise en cause de la politique française de coopération en Afrique.

Avant d'aborder les actions qui ont été menées, nous tenons à souligner que la France n'était pas indifférente aux incohérences de sa politique de coopération. C'est la raison pour laquelle elle va demander une étude sur le sujet. Il s'agit du rapport de Georges Gorse, homme politique qui devient ministre de l'information dans le nouveau Gouvernement de Pompidou de 1967 à 1968 avant de devenir diplomate et est chargé par Jacques Chaban-Delmas d'un rapport sur la coopération en 1971. Ce rapport n'a pas fait l'objet d'une publication mais nous savons que la ligne directrice est axée sur une remise en question des modalités de la politique française de coopération. Grâce à quelques notes retrouvées dans les archives diplomatiques, nous pouvons énumérer ces quelques passages permettent de s'en rendre compte : une aide particulière pour l'organisation de force de sécurité et d'une armée nationale. Cette forme de coopération doit disparaître le plus rapidement possible, elle présente en effet l'inconvénient grave de mêler les assistants techniques à des responsabilités

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de gestion qu'ils sont très mal placés pour assumer et risque de retarder la prise de conscience par les nationaux de leurs propres problèmes de développement »13. Le rapport qualifie cette coopération comme : « une coopération de substitution dans des États où la décolonisation est achevée depuis plus de dix ans. La coopération technique française demeure beaucoup trop orientée vers les tâches de gestion et n'a pas donné une priorité suffisante à la formation des personnels nationaux qui pourraient assumer la relève »14. Le rapport recommande « une politique plus active de prospection et de recrutement de personnel qualifié pour la conception et la mise en oeuvre des programmes d'assistance technique multilatérale. Cette politique devra porter une attention particulière aux zones géographiques où notre présence devrait être plus marquée notamment en Asie, au Moyen Orient et en Amérique Latine »15. Le rapport a réitéré les recommandations du rapport Jeanneney à savoir élargir la zone d'intervention et se défaire de son pré-carré. Ces recommandations ne seront pas appliquées par le Gouvernement qui ne cesse de demander des rapports sur le sujet. Nous faisons allusion à la commission d'études dirigée par Serge Michailof en 1993 dont nous aborderons dans le paragraphe état de l'art. Nous ne sommes pas en mesure d'affirmer si le rapport Gorse a fait échos au niveau des États africains. Cependant nous avons remarqué que ses observations et ses préconisations ont donné le ton à ces derniers. Dès lors une vague de contestations des accords de coopération franco-africaine se dessine dans tout le pré-carré.

Ce sont les événements de mai 1972 à Madagascar qui furent l'élément déclencheur. En effet, Madagascar fut le théâtre d'un vaste mouvement de contestation qui va aboutir à une révolte. « Ses acteurs contestent la réalité de la rupture avec la France, récusent la pertinence de sa commémoration et demande une autre indépendance, cette fois réelle, débarrassée du poids écrasant de l'ancienne puissance coloniale »16. Parmi les revendications nous pouvons retenir la révision des accords de coopération signés depuis juin 1960, l'usage de la langue malgache en lieu et place de la langue française et le remplacement des cadres français par des Malgaches. Et plus signifiant encore lors de la journée sanglante de mai 1972 on peut lire dans une banderole les mots : « Étudiants et travailleurs luttent ensemble pour que les Accords de coopération soient réduits en cendre comme l'Hôtel de ville »17. A travers ce mouvement, il est clair que la remise en cause du partenariat franco-malgache fut la

13 Archives diplomatiques, La Courneuve, Direction des affaires africaines et malgaches, Coopération 1959-1979, 52-02, no 238.

14 Idem.

15 Idem.

16 Blum Françoise, « Madagascar 1972 : l'autre indépendance. Une révolution contre les accords de coopération », In Mouvement Social, 2011/3, (no 236), pp.61-87.

17 Idem.

17

préoccupation première des manifestants. C'est un événement phare dans les relations franco-africaines et mérite une étude beaucoup plus ample. Mais il nous intéresse ici du fait qu'il y a eu similitudes avec les évènements de mai 1968 au Sénégal. Pourtant ces derniers étaient particuliers dans le continent africain mais n'ont pas eu l'échos du mai 1972 malgache. En d'autres termes, il n'a pas réussi à mobiliser le reste des ex-colonies dans sa mouvance. Nous aborderons ce mouvement dans notre première partie. Il faut retenir que le mouvement malgache a été un succès car dès 1973, les accords de coopération sont renégociés et la malgachisation devient effective dans l'enseignement primaire et secondaire. Le cas malgache a sonné le glas dans le cas où il appelle à une rupture avec l'ancienne métropole. Nous n'avons pas repérer un cas pareil dans le continent pendant cette même année, cependant, il va inspirer quelques pays à l'instar de la Mauritanie. Cette dernière demande une révision complète de ses accords de coopération avec la France et décide de sortir de l'UMOA. La tendance s'élargit dans les autres pays mais par voie de négociations. Ce fut le cas du Sénégal que nous avons choisi comme exemple.

Le Sénégal occupe une place privilégiée dans les relations franco-africaines. Ce statut est dû certainement au fait qu'il a été la première colonie française d'Afrique subsaharienne, son laboratoire dans le cadre de la mise en valeur des colonies. Enfin, il fut la capitale de l'AOF.

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Problématique et rappel historique.

Les relations franco-sénégalaises constituent une vieille tradition. Les premiers contacts datent du XVe siècle après la découverte des côtes africaines par les explorateurs européens. Cependant, l'installation des Français au Sénégal ne sera effective qu'à partir de 1659 avec leur première fortification à Saint-Louis. Par la suite ils obtiennent la concession définitive de Gorée des Anglais en 1814 grâce au traité de Paris. Gorée a été un lieu très convoité par les Anglais et les Français même si elle n'avait pas encore son importance dans le commerce atlantique. Ceci est sans doute dû à son emplacement signifiant en portugais « bonne rade » d'après une expression de Boubacar Barry dans La Sénégambie du XVe au XIXe siècle. Traite négriere, islam et conquete coloniale, par opposition à Saint-Louis qui était réputé difficile. Les Français vont l'occuper en 1667 avant de la perdre en 1780 au profit des Anglais. Par la suite, elle reste française et devient un lieu stratégique dans le domaine commercial. C'est à partir de cette période que Français et Sénégalais entrent en relation de manière durable à partir d'un système d'échange dont l'esclave était au centre. Pendant cette période, nous pouvons parler d'un commerce relativement équilibré dans la mesure où Français et Sénégalais y participaient de manière libre. Cependant, du fait de certains traités, les chefs africains étaient poussés à commercer exclusivement avec les autorités françaises. Pour une étude plus poussée, nous pouvons référer aux travaux de Boubacar Barry cité en dessus et ceux de Mbaye Gueye, L'Afrique et l'esclavage. Une étude de la traite négriere.L'esclavage est un sujet encore sensible et complexe, dont nous ne pouvons effectuer l'analyse nécessaire dans ce travail mais il constitue un des épisodes des rapports franco-sénégalais. Non seulement Gorée a été un entrepôt d'esclaves et de marchandises dans le commerce triangulaire mais aussi un lieu de brassage culturel. Par conséquent une importante communauté est née de ce brassage et va jouer un rôle déterminant dans la gestion de la future colonie du Sénégal. Aujourd'hui, le rôle de Gorée dans la mémoire de l'esclavage n'est plus à contester et elle devenue patrimoine mondiale de l'Unesco depuis 1980. Saint-Louis aussi a eu un rôle important dans ces relations au point de devenir l'un des principaux emblèmes de la présence française au Sénégal. Cette phase, qu'on peut qualifier de précoloniale, est déterminante dans les relations franco-sénégalaises. Par la suite, après l'abolition officielle de l'esclavage en 1848, les Français se sont lancés dans la conquête intérieure du pays qui est effective en 1854. Le sujet fut amplement traité par Alain Sinou dans Comptoirs et villes coloniales du Sénégal: Saint-Louis, Gorée, Dakar.(1993), Boubacar Barry, Samir Amin dans

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Le royaume du Waalo: le Sénégal avant la conquête.(1983) Cette stratégie a totalement modifié les rapports entre les deux peuples. C'est le début de la conquête coloniale qui fut le théâtre d'affrontement entre résistants et conquérants pour le contrôle du territoire qui correspond à l'actuel Sénégal et qui était dominé par plusieurs royaumes dont les plus importants furent ceux du Cayor, du Waalo, du Baol, du Fouta Toro et du Sine-Saloum. Chaque royaume était dirigé par un roi administré par ses vassaux. Les relations entre royaumes étaient parfois conflictuelles et cordiales aussi par le biais des alliances. Cette situation a joué à la faveur des Français qui appliquent la règle « diviser pour mieux régner ». Les affrontements ont été sanglants et les pertes furent importantes. La résistance contre la conquête coloniale n'était pas seulement armée mais également pacifique avec les autorités religieuses comme Cheikh Ahmadou Bamba, le fondateur du mouridisme qui est la plus importante confrérie religieuse du Sénégal. Malgré leurs efforts, la conquête sera effective grâce à Faidherbe qui était le Gouverneur de Saint-Louis de 1854 à 1861. A partir de ce moment le Sénégal devient une colonie française et ses habitants des sujets de l'Empire. Les autorités coloniales vont appliquer une administration directe et assimilationniste sur le territoire. Cependant, il est important de savoir que les habitants des quatre communes à savoir Dakar, Saint-Louis, Gorée et Rufisque étaient des citoyens français. Ils avaient des représentants à l'Assemblée nationale française du fait qu'ils sont composés en majorité de blancs et de métis avant que les noirs envahissent la scène politique avec leur premier député Blaise Diagne. Cette situation prévaut jusqu'en 1946 avec l'Union française puis la loi cadre en 1956 qui supprime l'indigénat. Puis, en 1958, la Communauté va permettre la gestion interne du pays par l'élite naissante. Cette communauté a évolué pour donner naissance à la République du Sénégal en 1960 après l'éclatement de la Fédération du Mali en 1959. La Fédération, très éphémère à cause des divergences entre les figures politiques des deux pays, a demandé l'indépendance et a signé les premiers accords de coopération avec la France. Après son éclatement le Sénégal fut l'héritier de ses accords de coopération dont le premier fut celui portant sur le transfert des compétences. Comme nous l'avons déjà souligné plus haut, la condition de l'indépendance était en quelque sorte la signature des accords de coopération si on se réfère aux échanges de lettres entre le gouvernement de la République française et celui de la Fédération : « Je vous serais obligé de vouloir bien, en me donnant acte de cette communication, me confirmer que dès que la proclamation de l'indépendance du Mali, le Gouvernement de la Fédération procédera à la signature des accords définissant les principes et les modalités de la coopération librement instaurée entre la République française et la Fédération du Mali au sein de la Communauté rénovée ainsi que l'accord multilatéral sur les

18 Archives nationales de Paris,Coopération, Cabinet et service rattachés au ministre, chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/1-20000137/4.

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droits fondamentaux des nationaux des Etats de la Communauté »18. Cet accord figure dans la liste des accords signés par la France et le Sénégal.

Les accords de coopération franco-sénégalaise couvrent tous les secteurs et ont pour objectif d'accompagner le pays nouvellement indépendant dans son développement économique et social. Désormais, ce sont ces accords de coopération qui régissent les relations franco-sénégalaises. Durant toute la première décennie de l'indépendance le système demeure intact et obtient l'approbation des deux parties. En revanche, la vague de contestation qui a touché tout le continent n'a pas épargné le Sénégal et Françoise Blum dans Révolutions africaines. Congo, Sénégal et Madagascar, l'a largement étudié. En 1973, le Sénégal demande la révision de ses accords de coopération avec la France. Cette phase constitue un tournant dans les relations françaises postcoloniales. Les négociations vont démarrer début 1974 et les nouveaux accords vont être signés pour la plupart en mars et septembre de la même année. Cependant, les nouveaux accords de coopération n'entreront en vigueur qu'en 1975. Date qu'on a retenu comme point de départ dans ce travail et 1982 comme limite. Cette tranche chronologique couvre toute la présidence de Valéry Giscard d'Estaing et semble annoncer un point de rupture dans les relations franco-africaines.

Pourquoi le choix d'un tel sujet ? Notre choix est parti du constat de la rareté des travaux sur l'histoire des relations franco-sénégalaises. Les études qui traitent du sujet relèvent de l'économie, du journalisme et de la politique. En outre, nous avons remarqué durant notre cursus scolaire et surtout universitaire que les travaux sur les rapports franco-sénégalais se limitent à la colonisation. Nous voulions comprendre pourquoi la phase postcoloniale, qui est dense, n'est guère prise en compte par les chercheurs. C'est donc d'abord pour combler un certain ce vide historiographique que nous avons choisi ce thème et cette période. Par ailleurs, la question des rapports diplomatiques franco-sénégalais est aussi intéressante à analyser dans le cadre plus large des relations internationales d'une manière générale et particulièrement dans les relations Nord-Sud. L'exemple du Sénégal reflète assez bien l'évolution des rapports entre pays nouvellement indépendants et une ex-métropole. Il est à noter que depuis les années 1980, la présence française en Afrique a commencé à diminuer au profit notamment de la Chine. Des observateurs comme l'auteur Adama Gaye dans son ouvrage intitulé Chine-Afrique: le dragon et l'autruche. Essai d'analyse de l'évolution contrastée des

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relations sino-africaines. (2006) ou bien encore celui de Thierry Bangui, La Chine, un nouveau partenaire de développement de l'Afrique. Vers la fin des privilèges européens sur le continent noir?(2009), s'intéressent beaucoup à ce phénomène et soutiennent que la « Chine-Afrique » est devenue une alternative à la France-Afrique. Ce sont des questions qui méritent une étude précise et l'histoire est la discipline la mieux placée pour accomplir cette tâche.

Au départ nous avions même envisagé de faire une étude comparative entre les deux modes de présence. Mais nous avons jugé que même si les méthodes employées par la Chine ressemble beaucoup à celles des Français, il serait difficile pour nous d'enquêter sur la « Chine-Afrique » dont l'analyse relève d'une histoire immédiate. Finalement nous avons limité notre étude à la seule coopération franco-sénégalaise pour laquelle nous avons plusieurs interrogations :

- Peut-on parler de partenariat entre le Sénégal et la France ?

- Le terme « néocolonialisme » peut-il être appliqué aux relations franco-sénégalaises ? - La coopération franco-sénégalaise a-t-elle été décisive dans le développement du Sénégal ?

Pour répondre à ces questions, nous nous sommes appuyés sur des documents officiels présents aux archives nationales et diplomatiques de la France. Mais avant d'exposer les résultats de nos recherches au niveau des archives, nous allons faire un état des lieux de la bibliographie.

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État des lieux de la bibliographie.

La première remarque qui s'impose est la rareté de la production historique sur le sujet surtout au niveau africain. Cette situation est peut-être due au fait que c'est une histoire un peu récente et que la plupart des archives ne sont pas ouvertes. Cependant un travail pionnier dans la coopération franco-africaine a été mené par deux historiennes. En 2012, est paru un ouvrage collectif coordonné par deux historiennes Françoise Raison-Jourde et Odile Goerg, Les coopérants français en Afrique. Portrait de groupe (années 1950-1990). L'ouvrage a pris l'initiative de retracer le parcours des coopérants en prenant en compte leur motivation, leur vécu et leur retour en France. Il a distingué les différentes générations en partant des anciens élèves de l'ENFOM jusqu'aux jeunes volontaires. Il demeure utile pour le cas du Sénégal dans le cadre où il a étudié des Portraits de coopérants antillais et guyanais au Sénégal. Par la suite, est paru Coopérants et coopération en Afrique: circulations d'acteurs et recompositions culturelles(des années 1950 à nos jours, dans la revue d'Histoire d'Outre-mer en 2014. La publication est récente mais elle a eu le mérite d'initier cette historiographie. C'est un ouvrage capital pour la compréhension de l'histoire de la coopération franco-africaine du fait de sa méthodologie mais plus important de l'expérience de ses auteurs qui étaient des coopérantes. Ces dernières s'appuient autant sur des témoignages d'anciens coopérants et de leurs partenaires dans les pays d'accueil que sur un travail documentaire (archives, revues de coopérants etc.). Les auteurs nous ont suggéré les pistes à explorer en ces termes : « Les contemporains ont réorienté la recherche vers l'Administration coloniale et la coopération : ruptures et continuités, les Interactions entre les coopérants et leurs partenaires en situation universitaires ou scolaire l'Interrogation concernant les circulations et les informations des pratiques et des savoirs et enfin l'ouverture d'autres formes de coopération »19. L'ouvrage ne mentionne néanmoins pas le cas du Sénégal, mais ses conclusions peuvent lui être appliquées.. Quant à la coopération franco-sénégalaise à proprement parler, nous n'avons pas trouvé de travaux d'historiens sur le sujet. Cependant des lectures alternatives nous ont permis de combler ce vide. En effet diverses disciplines l'ont abordé à savoir : la sociologie, le journalisme, le droit, l'économie etc. Nous allons en exposer quelques-uns :

Le premier ouvrage important sur la coopération franco-sénégalaise est celui d'Albert Bourgi, intitulé La politique française de coopération en Afrique : le cas du Sénégal20. C'est un texte

19 Goerg Odile, Suremain de Marie-Albane (dir.), « Coopérants et coopération en Afrique. Circulation d'acteurs et recompositions culturelles (des années 1950 à nos jours) », In Outres-mers revue d'histoire, tome 101, no 384-385, 2014, p8.

20 Bourgi, op. cit.

21 Idem p. 13.

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qui a valeur de sources pour notre recherche, car il a été publié en 1979. Il est issu d'une thèse d'État, soutenue le 30 septembre 1976. Malgré le fait qu'il est un ouvrage juridique, son contenu dépasse ce cadre et englobe plusieurs aspects comme l'histoire, l'économie, la politique etc. Cette oeuvre est capitale pour la compréhension non seulement des relations franco-sénégalaises mais aussi celles franco-africaines. L'ouvrage est riche en documentation du fait que l'auteur connaît les deux pays puisqu'il a occupé des fonctions dans l'administration sénégalaise, ce qui lui permet d'accéder à des informations capitales. Il reste volumineux avec plusieurs thématiques. Il ne se limite pas au seul cas du Sénégal, des comparaisons avec d'autres pays sont faites et tous les aspects de la politique française de coopération sont pris en compte. Bourgi commence par une définition de la coopération d'une manière générale pour une meilleure compréhension de celle française. Il nous a présenté les mécanismes, les objectifs et les institutions de la politique française de coopération en Afrique. Selon ses dires, il est difficile d'élaborer une politique de coopération pour la France du fait qu'elle poursuit « deux objectifs contradictoire à savoir :d'une part, assumer une part de responsabilité à l'égard de l'ancien Empire en octroyant l'aide matérielle et culturelle nécessaire à la réalisation des objectifs de progrès économique et social, d'autre part conserver une place privilégiée dans la vie politique, sociale et culturelle des nouveaux Etats et par la même occasion substituer à la domination directe une forme nouvelle d'influence certes diffuse mais aussi dangereuse que la précédente »21. Pour lui, l'une des incohérences de cette politique de coopération est la dispersion de ses institutions qui doivent être rattachées à un seul organisme. Pour le cas du Sénégal, son idée principale est de voir comment les règles établies par les textes ont été mises concrètement en application et les résultats sur les relations entre la France et le pays. Il a également fait une comparaison avec un pays comme le Madagascar dont le cas s'éloigne de celui sénégalais dans cette seconde phase des relations franco-africaines postcoloniales. Dans l'ensemble c'est un texte bien structuré avec un plan bien détaillé. La documentation est riche et variée. La première décennie de la coopération franco-sénégalaise est bien analysée. Cependant l'auteur a tendance a affirmé que le Sénégal a du mal à se libérer de la dépendance française. Alors que des efforts ou le besoin de changement ont été présents depuis 1968. La sénégalisation des entreprises qui a été commencé depuis 1970 devrait être prise en compte dans cette étude. Dans une note pour le ministre de l'ambassadeur français au Sénégal du 23-9-73, il déclare que le « président Senghor a fortement marqué sa volonté de faire accélérer le processus de transfert aux nationaux des responsabilités économiques et cela par le biais :d'une sénégalisation des

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emplois, étendus d'ici 1980 à tous les postes sénégalisables en vue de laquelle les entreprises ont été priées de présenter un plan détaillé avant la fin de l'année, du transfert au Sénégal des centres de décision, une insertion progressive des hommes d'affaires sénégalais dans les structures de l'économie ». Pour les nouveaux accords de coopération, l'auteur ne nous a pas fait part des moments de négociations qui étaient primordiales. Nous avons réussi à retrouver des traces sur ses journées de négociations. Mais nous pouvons comprendre que ces dernières n'étaient pas médiatisées et l'auteur n'a pas pu avoir les informations nécessaires. Nous avons réservé un chapitre entier à cette phase de négociations dans notre deuxième partie. C'est un ouvrage à valeur de sources, en revanche je pense que ses conclusions sont hâtives. Au moment de la rédaction du texte, les nouveaux accords venaient d'être publiés dans le Journal officiel de la République française et il était très tôt de mesurer leur impact dans les rapports entre les deux pays. L'oeuvre de Bourgi reste fondamentale pour nous, car il a eu le mérite de mener une réflexion sur la politique française de coopération en Afrique. En outre, son statut de juriste reste essentiel pour la compréhension des accords de coopération. Et enfin son cas d'étude à savoir le Sénégal est bien représentatif de cette coopération. C'est un texte qui m'a été précieux du fait des informations et des analyses qu'il livre et de sa bibliographie. Je ne prétends pas prendre sa suite mais la compléter en partie grâce aux archives que j'ai pu consulter.

Un deuxième ouvrage a été très important pour ma recherche : Coopération et néocolonialisme de Sally Ndongo. C'est un texte un peu particulier du fait que l'auteur est un syndicaliste qui exprime un point de vue et s'exprime de manière très différente de ce que l'on peut lire habituellement sur la coopération. Ndongo est en effet un militant qui était très engagé dans la communauté africaine immigrée en France dans les années 1960 et 1970. Il est le fondateur de l'Union générale des travailleurs sénégalais en France en 1961. Quand on plonge dans son essai, c'est le ton employé qui le distingue. On peut le qualifier de manifeste qui dénonce la politique française de coopération. Il considère cette coopération comme un outil de ré-exploitation du continent qu'il qualifie de « néo coloniale ». La deuxième partie de son ouvrage peut étayer nos dires et il utilise l'expression nouvelle orientation de l'impérialisme français en Afrique : « Si les Français continuent à exploiter la presque totalité des richesses africaines et bénéficient de vivre librement en Afrique, il n'en est pas de même pour les africains vivant en France. Victimes du pouvoir politique, de la répression policière, exploités par les patrons, intimidés par certaines organisations d'« aide aux migrants », abandonnés par le gouvernement, négligés par leurs compatriotes intellectuels africains et

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victimes de la racaille de toutes sorte, les travailleurs africains ne sont pas prêts à voir résolus leurs problèmes »22. La lecture de ce livre nous laisse penser qu'il s'agit d'une expression de l'indignation suscitée par la condition difficile des immigrés africains en France. S'il s'agit d'un essai et non d'une recherche scientifique, celui-ci a sans doute eu un impact sur les autorités sénégalaises. En effet, dans les nouveaux accords de coopération surtout en matière de circulation des personnes et d'établissement, ces dernières ont supprimé toute notion d'assimilation. Désormais les Français sont des étrangers comme les autres ressortissants et sont obligés d'être conformes à la législation du pays sur les étrangers. Cependant des facilités leur ont été faites. Nous y reviendrons amplement. Dans une correspondance de l'ambassadeur français au Sénégal on peut noter ceci : « Pour informer nos compatriotes des nouvelles dispositions les concernant en application du nouvel accord sur la circulation des personnes. Il ressortait de ce communiqué que des facilités étaient accordées à nos ressortissants résidents au Sénégal pour régulariser leur situation en déposant aux services de police leur demande de carte d'étranger entre le 1er et le 31 mars 1975 »23. Nous ne pouvons pas dire pareil du côté français. En effet, les immigrés sénégalais furent victimes de mauvais traitements : « des refoulements dont sont victimes des ressortissants sénégalais pourvus d'un visa délivré par leurs autorités est en effet du point de vue sénégalais en violation de l'accord de circulation du 29 mars 1974 »24. Nous aurons l'occasion d'en reparler dans la troisième partie sur les effets des nouveaux accords de coopération.

Si nous regrettons l'absence de références à ses sources dans l'ouvrage de Ndongo, nous pouvons lui reconnaître une description précise des relations franco-africaines. Il s'agit du témoignage de quelqu'un qui a subi les effets de cette coopération. Or, il n'est pas facile de trouver un point de vue d'un sénégalais sur le sujet. Il a donc le mérite de nous offrir ce vécu que beaucoup d'ouvrages évacuent. Dans notre dernière partie, nous ferons appel à lui quand nous nous pencherons sur les conséquences de cette coopération et le ressenti des populations. Il faut savoir que des sommes importantes sont déboursées dans le but d'aider ces dernières. Donc il est nécessaire de savoir si cette aide a vraiment touché les destinataires sans oublier le contact avec les agents de coopération. De fait, j'estime que le livre de Ndongo, replacé dans son contexte, constitue en soi un ouvrage critique tout à fait utile pour analyser la coopération franco-africaine.

22 Ndongo Sally, Coopération et néocolonialisme, Paris, Maspero, 1972, 199 p.

23 Archives nationales de Paris,Coopération, Cabinet et service rattachés au ministre, chargé de mission (1959-1985),cote 20000137/1-20000137/4.

24 Idem

25 Feuer Guy, « La révision des accords de coopération franco-africains et franco-malgaches. », Annuaire français de droit international, volume 19,1973, p. 720.

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Toujours dans la perspective de mieux comprendre notre sujet, nous estimons que l'article de Guy Feuer intitulé « La révision des accords de coopération franco-africains et franco-malgaches », est indispensable. C'est également un texte qui a valeur de sources puisqu'il a été publié en 1973. Il aborde la question du contexte de révision des accords de coopération franco-africaine et malgache. Autrement dit, quelles sont les causes d'un tel changement. Pour l'auteur, ceci résulte des mécanismes du système ainsi que de son objectif : « Les accords franco-africains correspondaient du côté français à un projet unique, à une sorte de « grand dessein» qui succédait à la communauté agonisante et qui exprimait une vision politique ordonnée et du côté des États africains, à la volonté de conjoindre une aspiration authentique à l'indépendance avec le maintien des liens verticaux et horizontaux tissés par l'histoire et maintenus par une décolonisation amiable »25. Il a avancé la thèse selon laquelle, l'objectif visé par la coopération franco-africaine, à savoir accompagner le développement des pays nouvellement indépendants, est contradictoire dans la pratique. Cette dernière s'incline plus à la poursuite du rayonnement de la France sur le plan international qu'aux moyens de développement des ex-colonies. Nous avons déjà évoqué ce point plus haut à travers le rapport Jeanneney qui avance plutôt les raisons morales. Son analyse laisse apparaître aussi l'intérêt économique et stratégique de la politique française de coopération en Afrique. C'est son objectif contradictoire à la pratique qui serait à l'origine des bouleversements du système de coopération. Mais il ne faut pas perdre de vue le contexte international de l'époque qui semble jouer un rôle déterminant dans ce processus. L'auteur met par ailleurs l'accent sur la division des États africains quant à la tentation de réviser les accords de coopération. Il distingue à ce propos deux groupes à savoir les pays qui ont quitté la zone Franc à l'instar de la Mauritanie et du Madagascar d'une part et, d'autre part, les États africains qui ont y demeurer. D'après nos connaissances, cette division affirme le caractère bilatéral de la coopération franco-africaine. Elle s'adapte en fonction de la position des pays vis-à-vis de la France. Feuer n'avait pas la possibilité de formuler des conclusions définitives quant au processus en cours qui ne faisait qu'être entamé. Mais nous serons en mesure de donner suite à son travail pour le cas du Sénégal. Grâce aux sources archivistiques, nous savons suivant quelles modalités le Sénégal a souhaité réviser ces accords en 1974.

Enfin, il est difficile d'aborder la question de la coopération dans les années 1970, sans avoir recours au point de vue des experts qui ont écrit sur le sujet ultérieurement. Pour ce faire nous avons travaillé sur l'ouvrage dirigé par Serge Michailof, La France et l'Afrique. Vade-mecum

26 Michailof Serge (dir.), La France et l'Afrique. Vade-mecum pour un nouveau voyage, Paris, Karthala,1993, p.57.

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pour un nouveau voyage. C'est un ouvrage collectif dont l'objectif était de faire le bilan de la coopération franco-africaine après quatre décennies. Il s'agit en quelque sorte d'un diagnostic général sur le sujet et pour répondre à la demande de la ministre de la coopération et du développement, Edwige Avice qui désirait connaitre le degré d'efficacité de la coopération française en Afrique. Elle n'a pas échappé à la tradition initiée par le rapport Jeanneney. En tant qu'homme de terrain, le directeur de cet ouvrage maitrise bien le sujet et fournit une analyse indépendante. Il procède d'abord par une série d'interrogations : la coopération française n'oublie-t-elle pas les plus déshérités ? Quel rôle a, dans le contexte préoccupant du continent, cette coopération ? Contribue-t-elle à enfoncer le continent où à le faire émerger? Des questions pertinentes qui tout au long du livre sont l'objet de diverses tentatives de réponses. Mais parmi les limites de la coopération franco-africaine pointée dans l'ouvrage demeure l'inégalité des rapports. Selon Michailof « coopérer c'est collaborer, il ne peut y avoir de coopération réelle entre un donateur et un quémandeur »26. Ensuite, il a souligné la dispersion des institutions de la coopération qui sont exclues du ministère des affaires étrangères. Par exemple sur le plan financier deux organes différents sont distingués à savoir le Fond d'Aide et de Coopération (FAC) et la Caisse Centrale de Coopération Economique (CCCE), qui affirment le manque de coordination des institutions de la coopération. Mais la principale limite mise en avant porte sur l'organisation de cette coopération franco-africaine. En effet, cette dernière était confiée au Secrétariat des affaires africaines et malgaches qui rendait compte directement au chef de l'État. En outre, il faut souligner la mauvaise répartition par secteur d'activité et les projets à long terme très inadaptés au développement des pays concernés. C'est ce qui pousse les auteurs de ce document à s'adresser d'une part aux Français et aux Africains, surtout à sa jeunesse, pour leur dire comment l'argent de l'aide est utilisé. Cependant, ce livre ne met pas en avant que les limites de la politique française de coopération en Afrique. Il a abordé les réussites de cette dernière. Parmi celles-ci figure la coopération décentralisée qui a pour champ de prédilection l'appui aux collectivités locales. En effet, les collectivités françaises ont des compétences et des savoir-faire directement opérationnels pour leurs partenaires africains. Par exemple, le projet « Pader (Projet d'animation et de développement de Bignona avec le département de la Savoie) a suscité la création de groupement d'intérêt économique pour la gestion des services urbains comme les ordures ménagères ». Les experts recommandent aux autorités de sortir du pré-carré pour intégrer d'autres pays qui pourraient jouer un rôle déterminant dans l'économie de la région,

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comme ce fut le cas du Nigéria. Et d'être conscient que le temps du néo-colonialisme est révolu et que les Africains sont conscients maintenant des enjeux de cette coopération : « Lorsqu'on interroge les Africains, on est également frappé par l'importance que revêt à leurs yeux la notion de partenariat. Ils attendent de notre part une relation beaucoup plus contractuelle et diversifiée. Ils refusent de se laisser enfermer dans les formes de coopération traditionnelles et font remarquer que les temps ont changé »27.

Il s'agit en somme d'un ouvrage très riche qui a réussi à faire un diagnostic et à proposer des solutions pour rendre efficace la coopération franco-africaine. Cependant, il risque de subir le même sort que les rapports précédents en l'occurrence des rapports Gorse de 1971 et Abelin de juin 1975 à la demande du Président Giscard d'Estaing et confié à son ministre de la coopération Pierre Abelin. Une production de ce type, nous laisse affirmer que chaque présidence depuis De Gaulle a tenté à sa manière de préserver une politique de coopération en Afrique. Néanmoins, les fondements du système ont résisté au fil du temps malgré les remaniements. La tranche chronologique de notre sujet qui coïncide avec la présidence de Giscard d'Estaing, qui se présentait comme un modernisateur de la politique africaine de la France, le prouve à merveille.

27 Idem, p.12.

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Aux archives nationales de Paris, les informations relatives à la coopération franco-sénégalaise sont inventoriées dans les fonds d'archives du ministère de la Coopération.

Méthodologie

Ces quelques références sont loin d'être exhaustives tant la bibliographie sur la coopération franco-africaine est très variée. Mais il faut rappeler que nous nous concentrons exclusivement sur la coopération franco-sénégalaise. Notre but est bien de savoir quels types de relations entretiennent les deux pays ? Pour ce faire, nous avons pris un certain recul en commençant en 1960, date de l'indépendance, tout en sachant que les relations franco-sénégalaises remontent au XVe siècle. La méthodologie employée a été de lire d'abord des ouvrages clés de la bibliographie existante pour avoir un aperçu global sur le sujet. Ces lectures m'ont fait comprendre que le Sénégal n'est pas un cas exclu des relations franco-africaines mais plutôt un exemple parmi tant d'autres. Mais il est clair que l'essentiel de mes recherches a consisté à consulter et exploiter des documents déposés aux archives nationales à Paris, aux archives diplomatiques à la Courneuve.

Quand nous avons choisi ce sujet, nous avons été avertis par un éventuel manque de documentation. Et ce fut en effet le cas au Sénégal où les archives nationales ne disposent pas de beaucoup de documents sur le sujet. Nous ne savons pas aussi si les sources existent ou bien nous ne sommes pas autorisés à y accéder. Jusqu'à présent nous n'avons pas d'explications satisfaisantes. Les rares documents que nous avons pu consulter étaient regroupés dans la série intitulée « Coopération internationale ». Pour la plupart, ce sont des coupures de journaux contemporains qui relatent la conclusion ou la mise en place d'un projet entre les deux pays. Cette situation se dresse souvent aux chercheurs africains qui ne disposent pas des moyens nécessaires dans le continent surtout pour les sciences sociales qui restent marginales. Par conséquent, nous avons surtout eu recours aux archives de l'ancienne métropole pour pallier ce manque de sources. En effet, les archives nationales de Paris nous ont fourni assez d'informations sur la coopération franco-sénégalaise. Le principal souci que nous avons rencontré est la crise sanitaire liée au Covid qui a entraîné la fermeture des archives pendant un certain temps et aussi la difficulté de trouver une place en salle de lecture après la réouverture. De fait, nous n'avons pas eu le temps de consulter tous les documents disponibles sur le sujet.

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Ces archives sont regroupées par secteurs ou services. Nous allons prendre quelques exemples :

Coopération, Cabinet et service rattachés au ministre, chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/1-20000137/75. Dans ce répertoire y figure le fonds complet du Sénégal dont l'intervalle de cote est 20000137/1-20000137/31. Ce fonds contient des documents de diverses natures. Ce sont des documents produits par l'administration publique. Nous avons parcouru plusieurs cartons qui nous ont permis de formuler nos hypothèses. Le fonds est structuré en deux grandes parties à savoir A) Cadre juridique et grandes lignes de la coopération franco-sénégalaise B) FAC et autres financements. C'est la première partie que nous avons beaucoup sollicitée. Elle comporte trois divisions intéressantes : Accords et conventions liant le Sénégal et la France, Dialogue intergouvernementale et Orientation générale de la coopération franco-sénégalaise. En complément nous avons consulté des fonds d'autres services du ministère de la Coopération. Il s'agit entre autres :

Coopération, Chargé de mission auprès du ministre de la Coopération (1976-1983), cote 19850097/13-19850097/15. Il contient des documents du cabinet de Jean-Pierre Cot, ministre délégué chargé de la coopération et du développement. Ces documents sont classés par pays. Pour le Sénégal, ils se retrouvent au carton 8 (19850097/8),

Coopération, Direction du développement économique (1960-1983), cote 19860024/1-19860024/27. Il a répertorié toutes les activités et fonctionnement de cette direction avec tous les services confondus. Ce qui fait que nous n'avons pas tiré grandes choses,

Coopération, Direction des politiques du développement, services des politiques bilatérales. Bureau Afrique de l'ouest (1968-1982), cote 19850153/1-19850153/12. C'est un fonds qui a été très utile. En effet, il renferme les dossiers de chargés de mission géographique envoyés au Sénégal. Ces dossiers prennent en compte l'enseignement, la recherche scientifique, les voyages officiels, les infrastructures, le commerce et l'industrie,

Coopération, Direction des politiques du développement (1962-1984), Secrétariat des programmes. Ce fonds est réservé aux financements du FAC.

Nous avons également consulté le répertoire Enseignement supérieur et universités, Direction général des enseignements supérieurs (1959-1969), cote 19770510/1-19770510/12. Le carton F bis 2 nous a fourni des renseignements sur la naissance et le développement de l'université

28 Archives nationales, Paris,Coopération, Cabinet et service rattaché au Ministre, chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/1.

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de Dakar. Ce qui nous a servi dans notre première partie particulièrement sur les événements de mai 1968 à l'université.

Le dépouillement de ses archives montre une multitude de documents. Nous y retrouvons des copies d'accords de coopération, de conventions ou encore de projets d'accords de coopération. A cela il faut ajouter les notes du ministère de la coopération, les correspondances des ambassadeurs français au Sénégal à leur ministre de tutelle. Il ne faut pas oublier les compte-rendu de réunion du comité interministériel franco-sénégalais, les notes de ministres des rapports de mission, les statistiques relatives aux agents de coopération, aux financements et au budget etc. Par le biais de ces sources, nous avons décidé de prendre en compte le début de la coopération franco-sénégalaise. Ce qui correspond à la première décennie de l'indépendance pour pouvoir comprendre la deuxième génération d'accords de coopération. Les cartons 1 à 4 du répertoire Coopération, Cabinet et service rattaché au ministre (1959-1985) nous a permis de retrouver les accords signés ou paraphrasés entre les deux pays en 1960. Ce sont des textes juridiques et nous ne sommes pas qualifiés à l'interprétation de tels textes. Cependant une simple lecture de ses articles nous laisse penser qu'il y a une étroite collaboration voire une cogestion du Sénégal par les deux pays. Nous allons juste prendre l'exemple de la convention d'établissement de 1960 pour s'en rendre compte. Les articles les plus significatifs affirment ceci :

« Article 2 - En ce qui concerne l'ouverture d'un fonds de commerce, la création d'une exploitation, d'un établissement à caractère industriel, commercial, agricole ou artisanal, l'exercice des activités correspondantes, et l'exercice des activités professionnelles salariées, les nationaux de l'une des parties contractantes sont assimilés aux nationaux de l'autre partie contractante sauf dérogations imposées par la situation économique et sociale de ladite partie.

Article 5 - Les nationaux de l'une des parties contractantes seront sur le territoire de l'autre partie, représentés dans les mêmes conditions que les nationaux de celle-ci aux assemblées consulaires et aux organismes assurant la représentation des intérêts économiques.

Article 12 - Chacune des parties contractantes réserve aux nationaux de l'autre partie le statut particulier défini par la présente convention à raison du caractère spécifique des relations entre les deux Etats. Le bénéfice de ces dispositions particulières ne peut pas être automatiquement étendu aux ressortissants d'un Etat tiers »28 Ce n'est pas le moment de

29 Ibid.

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mesurer l'impact d'un tel accord au niveau des pays. En revanche, nous savons qu'il concorde avec la réalité sur le terrain. Au Sénégal, les Français ont préservé leurs acquis économiques, politiques et sociaux. Ils détiennent dans l'ordre 70% pour les entreprises commerciales, 80% pour les industrielles et 56% pour les banques. Concernant les ressortissants sénégalais en France, nous ne disposons pas de données qui prouvent qu'ils occupent une place importante dans l'économie française. Nous avons vu en dessus avec Sally Ndongo leurs conditions de vie et de travail qui sont souvent décriées. Cette collaboration étroite entre les deux pays prévaut jusqu'en 1974, après la signature des nouveaux accords de coopération. En tant que Etat nouvellement indépendant, le Sénégal avait besoin d'être assisté car ne disposant pas assez d'agent pour le fonctionnement de ses services. Grâce à ces accords de coopération, un quota de coopérants est envoyé chaque année en fonction de la demande de l'État sénégalais et de la capacité de la France. Nous pouvons retrouver leurs traces grâce aux registres. C'est l'enseignement qui reçoit le plus grand nombre. L'analyse des sources nous suggère que la présence française n'était pas pérenne durant toute cette période. En effet nous savons que dès 1968 avec les événements de mai, l'État sénégalais a commencé à intégrer ses nationaux dans la vie économique du pays afin qu'ils prennent la relève des coopérants. Les archives nous ont renseigné sur la volonté de sénégalisation des postes qui est estimé entre 1000 et 1200 emplois sur 1700 postes de travail tenus alors par les expatriés. Nous y reviendrons plus amplement dans la première partie.

Au sujet des accords de coopération entre les deux États, les documents disponibles aux archives laissent entrevoir une volonté de révision de la part du Sénégal depuis 1973 avec, notamment une lettre du président Senghor qui l'évoque explicitement. Ceci nous a été rapporté par l'ambassadeur français au Sénégal dans une de ses dépêches : « J'ai l'honneur de porter à votre connaissance que le gouvernement sénégalais a décidé de réviser les accords de coopération conclus par le Sénégal avec la France depuis son accession à l'indépendance. [...] »29 En outre, ces sources nous renseignent sur la procédure des négociations, la rédaction, la signature des nouveaux accords. Il faut souligner que les négociations n'étaient pas toujours à l'amiable car certains accords ont suscité de houleuses négociations en l'occurrence la convention d'établissement et de circulation des personnes. Concernant l'application des nouveaux accords, les sources sont silencieuses, elles ne soulignent que les incidents diplomatiques qui avaient lieu entre les deux pays concernant le nouvel accord sur la

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circulation et l'établissement des personnes, sans oublier la lenteur de la ratification des nouveaux accords par la France.

Les archives diplomatiques de la Courneuve dessinent le même schéma avec les archives de la Direction des affaires africaines et malgaches, Généralités 1959-1979, 238. Ce fonds, très riche, renferme beaucoup d'informations. Grâce au rapport Gorse , nous avons pu comprendre la politique française de coopération avec les pays du Sud particulièrement ceux d'Afrique. A cela s'ajoute la coopération économique avec d'autres partenaires comme les organismes internationaux. En effet, la France participe faiblement à la coopération multilatérale au profit de celle bilatérale avec son pré-carré africain ; tendance qui se décline car elle a élargi son champ d'action comme le recommandait le rapport Gorse. C'est grâce à ce fonds d'archives que nous disposons de chiffres sur les coopérants et la répartition par secteur et par pays. Le véritable problème des archives diplomatiques est qu'il y a beaucoup de restrictions. Il existe un fonds sur le Sénégal, mais celui-ci est en cours de classement et n'est pas encore accessible au public.

Les archives françaises sont donc absolument nécessaires pour notre sujet. Elles nous ont fourni une quantité de données cruciales sur le sujet. Cependant, certains documents que nous aurions pu consulter sont soumis à des restrictions et notre demande de dérogation a été rejetée à deux reprises. Il s'agit des archives du Secrétariat général des affaires africaines et malgache et de la Communauté. Les archives privées du fonds Foccart nous auraient également beaucoup aidé mais nous n'avons pas pu les consulter. Malgré ces limites nous avons tenté de fournir un travail pertinent et nous comptons si l'occasion se présente continuer à interroger d'autres sources.

Notre travail s'articule autour de trois parties. Dans la première, nous souhaitons faire un Bilan de la coopération franco-sénégalaise de 1960 jusqu'à la révision, ce qui nous permettra de comprendre les raisons d'une telle décision. Cette partie met en avant le contenu et les objectifs de la coopération franco-sénégalaise. Elle est divisée en deux sous-parties à savoir : L'assistance technique et La coopération socio-économique. La deuxième partie est consacrée à la Révision des accords de coopération. Elle abordera successivement des Négociations et des Nouveaux accords de coopération. La dernière partie porte sur l'Application et les Impacts de ces derniers sur les deux pays.

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PREMIÈRE PARTIE:

LE BILAN DE LA COOPÉRATION FRANCO-SÉNÉGALAISE DE 1960 à 1974

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Depuis l'indépendance, les rapports franco-sénégalais sont régis par les accords de coopération. Comme nous l'avons vu plus haut, le Sénégal a hérité des accords de coopération signés dans le cadre de la Fédération du Mali. Le traité d'amitié et de coopération constitue le gage des accords de coopération franco-sénégalaise. Nous estimons que ce traité a été mis en place pour préserver les liens étroits entre les deux peuples. Cependant, celui-ci pourrait être perçu comme une ingérence et une volonté de contrôle si on se réfère à son article 2 : « Le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Sénégal échangeront des informations sur les problèmes d'intérêts communs ». Cet article laisse penser à la politique de limitation de l'influence des deux grandes puissances mondiales(Les Etats-Unis et l'URSS) par la France. Les intérêts communs sont donc la politique internationale et les endroits stratégiques. En outre l'article 9 avait stipulé la création d'un comité ministériel inter-états. Ce comité fut l'organe exécutif de la coopération. Cette dernière intervient dans la presque totalité des domaines à l'instar de ceux économique, social, culturel, militaire, politique etc. Au moment de la révision, on peut dénombrer 72 accords sans compter ceux qui sont devenus caducs. Nous avons choisi les domaines de l'assistance technique et socio-économique. Ces deux secteurs demeurent les plus actifs de la coopération franco-sénégalaise. À travers ces secteurs nous tentons de vérifier notre hypothèse de départ qui suppose une cogestion du pays entre la France et le gouvernement sénégalais. En d'autres termes, c'est l'autonomie du pays qui est remise en cause.

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Chapitre 1:L'assistance technique.

L'assistance technique constitue l'un des outils principaux de la coopération franco-sénégalaise. Pour seconder le gouvernement du Sénégal, la France met à sa disposition des coopérants qui interviennent dans divers secteurs. Cette disposition a été souligné dans le titre II des accords intitulé « De l'aide de la France au Mali » plus précisément à l'article 9 : « La République française et la Fédération du Mali conviennent que la France secondera les efforts de la Fédération pour son développement. Et l'article 10 stipule que : « L'aide de la République française à la Fédération du Mali se manifestera notamment par la réalisation d'études, la fourniture d'équipements, l'envoi d'experts et de techniciens, l'octroi de concours financiers ». Avec l'éclatement de la Fédération, une convention relative au concours en personnel apporté par la République française au fonctionnement des services publics de la République du Sénégal fut signée entre les deux pays. Son contenu définit les modalités de l'assistance ainsi que les obligations des deux parties. Chaque année, un quota d'agents de coopérations sont octroyés au Gouvernement sénégalais par la France. Au préalable, ce gouvernement doit estimer ses besoins par secteur et par ordre de priorité. Ensuite, il doit les soumettre à la République française qui en fonction de ses moyens les valide. La totalité des charges revient à la France. En revanche, le Gouvernement sénégalais doit fournir un logement décent pour chaque agent mis à sa disposition. En outre, il doit verser une somme forfaitaire en guise de participation. Cette somme est fixée par un protocole d'application de l'article 17 de la convention relative aux concours en personnel. Elle s'élevait à 55 000 francs CFA par agent, en dehors du personnel de l'enseignement supérieur pris en charge par le ministre de l'Éducation nationale français. Jean Claude Gautron, professeur à la Faculté de droit de l'université de Dakar de 1962 à 1970, est l'auteur d'un article en 1964 sur l'évolution des rapports franco-sénégalais qui nous apprend que : « La convention du 14 septembre 1959 prévoyait une rémunération par la République du Sénégal conformément aux textes applicables aux fonctionnaires sénégalais, la différence entre ladite rémunération et celle conforme à la réglementation en vigueur pour le service d'outre-mer français demeurant à la charge du gouvernement français. A titre transitoire, la République française prenait à charge tout ou partie de la rémunération due par le Sénégal. Un accord particulier annexe à la convention du 14 septembre 1959 fit application de la disposition transitoire, le gouvernement français s'engageait à assurer la rémunération du personnel mis à la disposition du Sénégal, cependant à titre de contribution à la rémunération de ce personnel, le Sénégal s'engage à

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verser une allocation forfaitaire mensuelle de 45 000 francs CFA. Un protocole d'accord en date du 12 juin 1963 a élevé cette allocation forfaitaire à 55 000 francs CFA par mois »30.

C'est l'enseignement qui absorbe la plus grande quantité de coopérants. Le nombre de ces derniers s'élevait à 1523 en 1960. Il faut préciser que le Sénégal occupe la seconde place après le Madagascar pour 16,38% des effectifs totaux de l'assistance technique française31. En matière d'enseignement, le gouvernement sénégalais définissait les programmes. Mais cette prérogative est en quelque sorte limitée car la République française devait donner son aval. D'ailleurs, un alinéa précise que les programmes sont fixés d'un commun accord et le comité est là pour veiller à son application. Cependant, l'enseignement supérieur échappe totalement au contrôle du gouvernement sénégalais. L'université de Dakar était considérée comme la dix-huitième université française et fut gérée par le ministre de l'Éducation nationale. C'est cette dernière qui gère les 220 membres du personnel enseignant et administratif de l'université. Nous reviendrons plus tard sur l'accord de coopération en matière d'enseignement supérieur. Après l'enseignement, c'est l'administration qui concentre le plus de coopérants dont la plupart sont des anciens administrateurs de la France d'Outre-mer. Une étude a montré qu'après les indépendances, les administrateurs se sont reconvertis pour la plupart pour devenir coopérants. Ceci confirme la thèse selon laquelle la coopération fut un substitut de l'empire colonial français. C'est la nomination qui s'adapte aux différentes époques. Pour une meilleure compréhension de ce phénomène, nous avons lu l'article de Hélary Julien intitulé : « Des empereurs sans empire : l'administrateur colonial devient coopérant ». In : Outre-mer, tome 101, no 384-385, 2014. Coopérants et coopération en Afrique : circulations d'acteurs et recompositions culturelles (des années 1950 à nos jours). Il nous a démontré que l'idée de la coopération a commencé à germer dans l'école de la France d'Outre-mer dès les années 1950. Selon lui : « Devenir coopérant ne serait donc pas la découverte d'une nouvelle aventure comme pour les volontaires du service national, mais bien le prolongement, voire, pour ceux entrés à l'École de la France d'outre-mer à la fin de la période coloniale la réalisation d'une vocation »32. Dans ce même ordre d'idée, il affirme que : « en devenant conseillers des affaires admiratives, certains anciens administrateurs d'Outre-mer peuvent se diriger vers le ministère de la coopération ; en devenant

30 Gautron Jean Claude. « L'évolution des rapports franco-sénégalais ». In Annuaire français de droit international, volume 10, 1964, pp.841-842.

31 Archives nationales de Paris,Coopération, Cabinet et service rattachés au ministre, chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/1-20000137/4.

32 Hélary Julien. «Des empereurs sans empire : l'administrateur colonial devient coopérant». In : Outre-mer, tome 101, no 384-385, 2014. Coopérants et coopération en Afrique : circulations d'acteurs et recompositions culturelles (des années 1950 à nos jours), p.39

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administrateurs des affaires d'Outre-mer, d'autres restent en place en Afrique comme conseillers des nouveaux gouvernements et conservent ainsi quelques années durant une influence politique, administrative, économique patente »33. Pour le Sénégal on peut citer à titre d'exemple Philippe D., qui faisait partie de la promotion magistrature de la France d'Outre-mer en 1953. Après avoir servi au Niger, il devient chargé de mission au ministère de la coopération au sein de la direction de la coopération technique. Par la suite il fut directeur de la formation administrative au centre de formation et de perfectionnement administratif de Dakar de 1966 à 1973 et puis conseiller technique au Secrétariat d'Etat de la promotion humaine de 1974 à 1978. Néanmoins, il faut noter que ces anciens administrateurs coloniaux seront remplacés par des cadres nationaux formés à l'Ecole nationale d'administration dès 1968, dans le cadre de la sénégalisation de l'administration. La même situation se retrouve dans l'enseignement primaire et secondaire. La sénégalisation des postes découle en grande partie du contexte socio-économique et politique de mai 1968. Nous y reviendrons dans le chapitre suivant. En tout état de cause, l'assistance de la France au Gouvernement sénégalais ne cesse d'évoluer. La France intervient également dans la formation, la fourniture et l'équipement des forces armées sénégalaises comme définit dans « l'article 5 : La République française met à la disposition de la Fédération du Mali, en fonction des besoins exprimés par celle-ci, les officiers et les sous-officiers français dont le concours lui est nécessaire pour l'organisation, l'instruction et l'encadrement de ses forces armées.[...] Ces personnels sont mis à la disposition des forces armées maliennes pour remplir des emplois définis correspondant à leur qualification. Ils sont soldés de tous leurs droits par l'autorité française et sont logés ainsi que leur famille par l'autorité malienne »34. La coopération militaire franco-sénégalaise est trop complexe et souvent les accords en ce sens n'ont pas fait l'objet de publications. C'est la raison pour laquelle nous ne l'avons pas prise en compte dans notre étude. Il ne faut pas perdre de vue que l'assistance technique couvre tous les secteurs. En effet, la France assiste le gouvernement sénégalais sur le plan international en participant à la formation de son corps diplomatique. Elle le représente également au sein des organismes internationaux et dans les pays où il n'a pas de représentants diplomatiques.

Après examen de ce qui suit nous pouvons dire que la France est plus que présente dans la gestion du gouvernement sénégalais. Cette situation est la conséquence des politiques menées par les autorités impériales en matière de gestion des colonies. En effet,

33 Idem, p.48.

34 Archives nationales de Paris, Coopération, Cabinet et service rattachés au ministre, chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/4.

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l'administration directe et la politique d'assimilation se focalisent sur un contrôle total des populations de statut indigènes. En appliquant cette administration, les autorités coloniales ont laissé de côté un élément essentiel qui pouvait faciliter l'assimilation. Il s'agit de la mise en valeur des colonies. Cette entreprise ne démarre que très tardivement. Il faut en effet attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour qu'un programme de mise en valeur réelle soit mis en place. Sophie Dulucq affirme le même constat en ces termes: «Dans l'immédiat après-guerre, la France commença en effet à investir directement et à équiper ses territoires d'outre-mer. L'équipement public essentiellement ports, routes, voies ferrées, bâtiments administratifs, avait été réalisé jusqu'en 1946 uniquement sur des ressources locales. La création du Fonds d'investissement pour le développement économique et social, le 30 avril 1946, marqua le début de cet apport massif des capitaux publics métropolitains»35 Ce retard s'explique au fait que la plupart des territoires sous administration française en Afrique étaient des colonies d'exploitation. Donc les administrateurs coloniaux ne voyaient pas l'intérêt d'instruire, de former et de créer des infrastructures pour les indigènes. Tout le travail de ces derniers reposait sur l'agriculture d'exportation et l'exploitation des matières premières qui devraient être drainées vers la Métropole. L'équipement était exclusivement orienté dans ce domaine comme le souligne Dulucq: «Cet équipement se réduisait en fin de compte au minimum indispensable des circuits de traite»36 Pour s'adapter au contexte d'après-guerre, il devient nécessaire d'intégrer les autochtones dans la gestion des colonies. Cela est passé par une formation des colonisés et une mise en valeur des territoires d'outre-mer. Pourtant, les formations offertes restaient subalternes car elles devaient uniquement permettre à ces derniers de seconder l'administration coloniale et non d'occuper des postes de cadres et de responsables(Pape Ibrahima Seck,La stratégie culturelle de la France en Afrique. L'enseignement colonial(1817-1960), Harmattan, 1993). L'indépendance politique des colonies a mis fin à cette forme de mise en valeur. Par conséquent, les pays nouvellement indépendants étaient obligés d'avoir recours à l'assistance technique. Cette dernière est alors rendue légitime par la coopération franco-africaine. Le but de cette assistance était d'accompagner ces États dans le fonctionnement de leurs services publics en attendant que les nationaux prennent la relève. Il est important de noter que le Sénégal constitue une exception, en tant que capitale de l'Afrique occidentale française, il a constitué un laboratoire pour la France et, à ce titre, a bénéficié d'infrastructures et d'un système éducatif plus avancé par

35 Dulucq Sophie, La France et les villes d'Afrique noire francophone: quarante ans d'intervention(1945-1985). Approche générale et étude de cas: Niamey, Ouagadougou et Bamako, Paris, Harmattan, 1997, p.14.

36 Idem

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rapport aux autres colonies. Mais l'éclatement de l'AOF a porté un coup à cette position et le Sénégal n'a pas su s'adapter. Il avait la possibilité de décoller économiquement mais au contraire, il n'a pas cessé de dépendre de l'aide française.

En somme, l'objectif de l'assistance technique tarde à se réaliser. De fait, les Sénégalais ont commencé à exprimer leur volonté de prendre en main la gestion de leur pays. Le Gouvernement sénégalais s'est retrouvé en situation de crise et il fallait trouver un moyen d'intégrer ses nationaux. Ce point peut être abordé dans la coopération socio-économique.

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Chapitre 2: La coopération socio-économique.

Depuis 1960 plusieurs accords ont été signés entre les deux pays dans le domaine socio-économique. La lecture et l'interprétation de ces accords montrent une assimilation totale des nationaux des deux pays. Pour s'en rendre compte, nous avons choisi l'accord de coopération en matière de marine marchande, la convention d'établissement et enfin l'accord domanial.

L'article 3 de l'accord de coopération en matière de marine marchande stipule que : « Les navires ayant la nationalité de l'un des États jouissent dans les ports, les eaux territoriales et les eaux réservées de l'autre État du même traitement que les navires de cet Etat en ce qui concerne la pêche et l'écoulement des produits.

L'organisation commune des campagnes de pêche et la fixation des modalités d'écoulement de leurs produits font l'objet de décision d'une commission technique administrative composée des fonctionnaires des deux Etats »37. Jusqu'à présent nous n'avons pas encore trouvé de trace sur cette commission technique administrative. En revanche, nous savons que les fonctionnaires sénégalais à l'époque ne sont autres que les coopérants mis à la disposition du Sénégal par le gouvernement français. Nous avons choisi d'aborder cet accord car la pêche est l'un des secteurs clés de l'économie sénégalaise. Nous allons en rendre compte que ce secteur demeure totalement à l'écart de l'économie nationale mis à part la fourniture de thon par l'armement français aux usines sénégalaises de conserve dans les limites du contingent fixé chaque année38. Pour étayer nos propos nous allons analyser la principale société du secteur. Il s'agit de la Société sénégalaise d'armement à la pêche. Elle a été fondée le 23 octobre 1962 dans le cadre du premier plan quadriennal. « Son objectif principal était la constitution d'une flotte thonière destinée à compléter l'activité saisonnière des thoniers canneurs de pêche fraîche basques et bretons qui assurent pendant environ six mois, par an de novembre à avril, l'approvisionnement des conserveries installées dans le pays »39. Les orientations de cette société sont tout à fait compréhensibles du fait qu'elle est issue du plan

37 Idem.

38 Bonnardel Régine. Les problèmes de la pêche maritime au Sénégal. In : Annales de Géographie, t78, no 425,1969, pp 25-56

39 Domingo Jean. Deux expériences de développement de la pêche maritime au Sénégal. In : Cahiers d'outre-mer. N137-35e année, Janvier-mars 1982. P.37.

40 Idem.

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quadriennal. En effet, le budget de ce plan est élaboré en fonction de l'aide de la France à travers les financements de la Caisse centrale de coopération économique et du Fond d'aide et de coopération. Il faut aussi savoir que ces organismes ont une réelle domination sur les sociétés dont ils assurent le financement. C'est ce qui explique le fait que le secteur de la pêche échappe totalement au gouvernement sénégalais. Cependant, la situation ne perdurera pas car la société évolue et des mesures sont préconisées par le gouvernement. Les évènements de mai 1968 n'ont pas laissé de choix à ce dernier. C'est dans ce cadre qu'une loi relative à la pêche a été votée. Cette loi organise le contrôle des ressources nationales et réservé en priorité aux nationaux l'exploitation des ressources halieutiques40. Elle a eu un impact sur la SOSAP qui en 1969 comptait 53 cadres européens et 140 employés et marins sénégalais. Avec la sénégalisation, elle compte désormais 590 salariés en quasi-totalité sénégalaise. La sénégalisation sera appliquée à l'ensemble de l'économie et des postes. Nous en reviendrons plus amplement. L'analyse de cet accord de coopération montre dans les débuts une présence française accrue, voire un contrôle sur un secteur clé de l'économie. Par la suite nous avons noté une évolution tendant vers la libération du joug français afin de prendre en main les commandes.

Afin de démontrer que les rapports entre les deux pays étaient très étroits, nous souhaitons faire le point sur la convention d'établissement. Cette convention illustre bien l'assimilation des nationaux des deux pays et a un impact considérable sur l'économie du pays. Les articles les plus significatifs sont entre autres :

« Article 2. En ce qui concerne l'ouverture d'un fonds de commerce, la création d'une exploitation, d'un établissement à caractère industriel, commercial, agricole ou artisanal, l'exercice des activités correspondantes et l'exercice des activités professionnelles salariées, les nationaux de l'une des parties contractantes sont assimilés aux nationaux de l'autre partie contractante sauf dérogation imposée par la situation économique et sociale de ladite partie.

Article 4. Tout national de l'une des parties contractantes a la faculté d'obtenir sur le territoire de l'autre partie des concessions, autorisations et permissions administratives ainsi que de conclure les marchés publics dans les mêmes conditions que les nationaux de cette partie.

Article 5. Les nationaux de l'une des parties contractantes seront sur le territoire de l'autre partie représentés dans les mêmes conditions que les nationaux de celle-ci aux

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assemblées consulaires et aux organismes assurant la représentation des intérêts économiques »41. Ces passages permettent de saisir les intérêts français au Sénégal. Rappelons qu'au moment de l'indépendance les Français détenaient 70% pour les entreprises commerciales, 80% pour les industrielles et 56% pour les banques. Quantitativement, le nombre des Sénégalais résidents sur le territoire français n'était pas important et leur place dans l'économie de ce pays est marginale. C'est la France qui tire le plus d'avantage sur cet accord de coopération. Ce dernier valide l'hypothèse de l'indépendance politique et la dépendance économique. En effet, tous les secteurs de l'économie du pays sont accaparés par les expatriés français. La composition de la Chambre de commerce de Dakar en constitue une parfaite illustration. Elle est dirigée depuis 1954 par Henri-Charles Gallenca et compte huit Sénégalais contre quarante-cinq Français. Voici ce que Françoise Blum, historienne et auteur d'un article sur le mai 1968 au Sénégal, note sur le président de cette institution : « Les secteurs clés de l'économie de notre pays sont plus que jamais détenus par les grands trusts internationaux, français en particulier [...] le nom de Gallenca. Français, président de la chambre de commerce et d'industrie de Dakar, administrateur de 16 sociétés au Sénégal, membre du Conseil d'administration de 8 sociétés, directeur de la Compagnie des textiles de l'ouest africain, président de la société des textiles sénégalais, membre du Conseil économique et social du Sénégal et enfin grand commandeur de l'Ordre national »42. A cela, s'ajoutent les industries textiles et l'extraction de phosphates qui demeurent des domaines importants. Un autre secteur-clé sous contrôle français est celui de la banque. Cependant, il faut nuancer cette analyse car la forte présence française dans l'économie du pays comporte des avantages pour ce dernier. En effet, la production d'arachide, qui a entraîné une croissance moyenne du PIB de 3% par an, a bénéficié largement du soutien de la France. Cette dernière assurait la garantie de l'écoulement par le biais d'un prix soutenu. La fin de ce prix de soutien ainsi que la concurrence d'autres oléagineux ont entraîné une chute importante des apports arachidiers. Néanmoins les secteurs clés de l'économie sont restés dans les mains des expatriés français. Cela constitue bien sûr une véritable entrave pour la promotion et l'intégration des hommes d'affaires sénégalais. Par conséquent, ces derniers vont mener des actions pour la libération du secteur économique. Ce sont deux syndicats à savoir l'Union nationale des travailleurs du Sénégal et le l'Union des groupements

41 Archives nationales, Paris, Coopération, Cabinet et service rattaché au ministre, chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/1.

42 Blum Françoise, «[Et ce qu'il y a eu de commun]».Révolutions africaines ? Congo, Sénégal, Madagascar années 1960-1970, Rennes, PUR, p.72.

43 Archives nationales, Paris, Coopération, Cabinet et service rattaché au Ministre, Chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/1.

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économiques du Sénégal qui vont porter le combat pour donner suite à l'appel des étudiants. C'est à partir de ce moment que les événements de mai 1968 commencent au Sénégal et ont pour conséquence majeure la sénégalisation des emplois et de l'économie. Nous allons traiter amplement ce phénomène après avoir évoqué l'accord de coopération en matière domanial.

Le domaine constitue un enjeu de taille dans les relations franco-sénégalaises. En effet, tous les bâtiments et domaines étaient immatriculés au nom de l'État français au moment de l'indépendance. Désormais, tout devait être cédé au gouvernement sénégalais tout en préservant certains acquis. Il ne faut pas perdre de vue que le Sénégal en 1957 était constitué de quatre domaines à savoir le domaine public de l'État français, le domaine privé de l'État français, le domaine privé du groupe de territoire et le domaine privé du territoire du Sénégal. Si les domaines privés du groupe de territoire et du territoire du Sénégal ont fait l'objet d'une réglementation, les dépendances du domaine public ont été incorporées de plein droit au domaine public du Sénégal par application du principe de l'État successeur sans indemnité. Cependant, le domaine privé de l'État français a fait l'objet d'une convention. L'article 36 en matière économique et financière stipule que : « La propriété de toutes les dépendances domaniales immatriculées au nom de la République Française sera transférée à la Fédération du Mali. La commission paritaire prévoit l'application en jouissance à la République Française de celles de ces dépendances, ou biens équivalents, qui resteront nécessaires aux services de la République Française sur le territoire de la Fédération du Mali

La commission déterminera la liste des fonds de terre acquis sur crédits du budget de l'État français dont la propriété sera reconnue à la République française ainsi que la liste des constructions de toute natures constituées au moyen de tels crédits, sur lesquels un droit de superficie lui sera reconnu. Elle déterminera dans ce dernier cas les compensations éventuellement dues au propriétaire du sol. »43. D'une certaine manière, la France s'est retirée et en même temps elle reste propriétaire d'un nombre important de biens immobiliers au Sénégal. Ce dernier est devenu locataire dans son propre territoire. L'accord domanial atteste de ce fait, la persistance de l'influence française sur place.

Comme pour d'autres pays africains francophones et anglophones, l'indépendance politique était acquise pour le Sénégal. Pourtant, on l'a compris, l'économie restait concentrée entre les mains des expatriés, surtout français. Contrairement au Sénégal, le Mali s'est montré radical à la politique française de coopération depuis l'éclatement de la

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Fédération. Il a adopté un socialisme africain, inspiré de celui communiste. Jusqu'en 1968, sa politique extérieure consiste à affirmer sa souveraineté vis à vis de la France. Sur le plan national, cette propagande se manifeste par une africanisation dès le début. Ibrahima Baba Sidibé note à ce propos que: «En effet, l'indépendance a été aussi synonyme de promotion sociale et d'avantages matériels pour une certaine catégorie de la population issue des villes. Cette élite de remplacement, attachée très tôt à une politique d'africanisation des cadres, a pris les commandes de l'Etat colonial sans annoncer de changements significatifs en termes d'administration»44. Le gouvernement malien concrétise sa rupture avec la France en créant en juillet 1962 le Franc malien. Le choix de la voie malienne a eu des conséquences sur le développement économique et l'enseignement du pays. Le commerce extérieur du Mali transitant par les ports de Dakar et d'Abidjan fait face au blocage de ses deux voisins qui sont les principaux alliés de la France dans la sous-région. Le Sénégal a toujours compris que l'aide française a été primordiale dans son développement. Cependant l'intervention française était devenue trop pesante pour les nationaux. Par conséquent, ces derniers ont exprimé leur désir d'intégrer l'économie. Leur combat fut facilité par les évènements de mai 1968 à Dakar. Abordons justement les facteurs qui ont été déterminants dans la libération économique du pays. À l'instar du mai 1968 français, celui du Sénégal a été l'oeuvre des étudiants de l'université de Dakar qui contestaient la réduction de leur bourse. En effet, celle-ci était réduite de la moitié et versée sur dix mensualités au lieu de douze. Par conséquent, les étudiants vont déclencher une grève illimitée en mai 1968. Même si le problème des bourses en est l'élément déclencheur, les étudiants contestent le fonctionnement de l'université mais aussi la présence française dans le pays. « Dans le domaine de l'enseignement supérieur, toute perspective d'une juste politique de formation des cadres est annihilée par le fait qu'au-delà des déclarations qui prétendent à l'université sénégalaise à vocation universelle, le gouvernement sénégalais n'effectue aucun contrôle sur celle-ci, qui n'est en réalité qu'une Université française installée au Sénégal »45. Pour renchérir l'Union des étudiants du Sénégal(UDES) notait dans son mémorandum que : « Nous voyons ainsi que la politique de fractionnement des bourses et leur réduction à 10 mensualités au lieu de 12 ne peuvent trouver d'autres justifications que dans le sabotage systématique de la formation des cadres indispensables au pays en vue de maintenir en

44 Sidibé Ibrahima Baba, Les relations franco-maliennes à la recherche d'un nouveau souffle, In GEMDEV éd, Mali-France. Regard sur une histoire partagée, Paris, Karthala, Hommes et sociétés, 2005, pp.350-351.

45 Blum Françoise « Sénégal 1968 : révolte étudiante et grève générale », Revue d'histoire moderne et contemporaine, 2012/2, (n 59-2), p 149.

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permanence l'assistance technique »46. Ces passages montrent que les étudiants sont alors préoccupés par la trop forte présence française qui constitue un véritable obstacle pour leur éventuel emploi. Il faut savoir que cette remarque est antérieure aux événements de mai 1968. Dans une dépêche du 21 septembre 1964, l'ambassadeur français au Sénégal mettait en garde ses supérieurs et écrivait à ce propos : « Les attaques des étudiants dans ce pays visent, une fois encore, la politique de sabotage menée par le corps enseignant français dans les établissements supérieurs et secondaires du Sénégal, pour empêcher la formation de cadres qualifiés »47. Donc mai 1968 a accéléré, voire rendu légitime ces revendications estudiantines. Le mouvement universitaire gagna très vite de l'ampleur avec le ralliement des élèves du secondaire et des syndicalistes. Par conséquent l'UNTS (Union nationale des travailleurs du Sénégal) qui souhaite une africanisation des cadres et le remplacement des Français aux postes de direction profite du mouvement pour lancer leurs revendications. Françoise Blum le souligne d'ailleurs dans son article: «Comme les étudiants, les travailleurs sont de plus en plus sensibles au thème et à la nécessité de la sénégalisation des entreprises ou des administrations. L'Union nationale des travailleurs sénégalais, la centrale syndicale qui a obtenu 90,30% des suffrages lors des élections des délégués d'entreprises, l'a inscrit au coeur de ses revendications »48 Très vite, toutes les régions du Sénégal baignent dans le mouvement du mai 1968. Le gouvernement a pris des mesures drastiques en fermant l'université et arrêtant des étudiants et des syndicalistes. Pourtant, il était trop tard pour stopper ce mouvement qui gagne de plus en plus d'ampleur. Ainsi, le gouvernement n'a d'autre choix que de négocier car la stabilité politique du pays est carrément chamboulée. Donc mai 1968 a été décisif dans la remise en cause des relations franco-sénégalaises. Le gouvernement sénégalais adoptera certaines mesures pour rendre plus souple la présence française au Sénégal. C'est dans ce cadre qu'est née la sénégalisation. Il faut savoir que les idées d'une telle entreprise ont germé dans l'Union des groupements économiques du Sénégal (UNIGES), la première organisation des hommes d'affaires sénégalais née de la fusion en 1967 de la Fédération des groupements économiques du Sénégal(regroupant depuis l'indépendance les opérateurs économiques: commerçants, transporteurs, artisans, industriels) et la Chambre syndicale du patronat sénégalais créée en 1964 par des jeunes cadres rentrés de la france. Le premier congrès de l'UNIGES s'est tenu les 22 et 23 mai 1968. Lors de ce congrès, les membres ont souligné le fait que les secteurs économiques tels que le commerce

46 Archives nationales, Paris, Enseignement supérieur et universités, Direction générale des enseignements supérieurs (1959-1969), cote 19770510/2.

47 Ibid.

48 Françoise Blum, op.cit., p.157.

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et l'industrie, producteurs de richesses étaient concentrés entre les mains des ressortissants de l'ancienne puissance coloniale. De ce fait, ils désirent intégrer les circuits économiques du pays. Nous pouvons retenir quelques passages importants : « Les grands trusts qui contrôlent notre économie sont dominés par les capitaux français dans l'ordre de 70% pour les entreprises commerciales, de 80% pour les industrielles et de 56% pour les banques. Les Français sont alors bien représentés non seulement dans l'enseignement supérieur mais dans tous les secteurs, que ce soit au plus haut niveau du pouvoir, des administrations ou des entreprises. La plupart des cadres sont français et bien entendu même à part équivalent ce qui est rare payés beaucoup mieux que les natifs. [...]. L'Union nationale des travailleurs sénégalais souhaite l'africanisation des cadres et le remplacement des français aux postes de direction »49 . De fait, c'est la Chambre de commerce de Dakar qui est visée. Elle fut l'institution symbolique pour libérer l'économie nationale. Pendant cette période, elle comptait huit sénégalais contre quarante-cinq français. Pour remédier à cette situation, des élections sont organisées et un Sénégalais du nom d'Amadou Sow devient le président. Elle compte désormais soixante membres dont trente-deux sénégalais contre vingt-huit français. Toujours dans le même ordre d'idée, l'UNIGES réclamait « une participation plus accrue des nationaux aux activités commerciales, que ce soit dans l'import-export ou dans la distribution des produits et marchandises aussi bien ceux venus de l'extérieur que ceux du pays ainsi qu'aux activités industrielles »50. Au sommet de l'économie sénégalaise se trouvait une bourgeoisie française, ensuite une classe moyenne libano-syrienne et enfin une paysannerie et une classe ouvrière51. Cette structuration va subir d'importantes modifications sous l'initiative des hommes d'affaires sénégalais. Face à la détermination de ces derniers mais aussi à des craintes politiques, le gouvernement sénégalais décide de les accompagner dans leur intégration économique. C'est dans ce cadre qu'est né le Groupement économique du Sénégal en 1970, issu de la fusion de l'UNIGES et du Conseil fédéral des groupements économiques du Sénégal (COFEGES). Ce groupement a été créé par le gouvernement de Senghor dans le but de déstabiliser l'UNIGES. En tout état de cause, l'intégration des nationaux dans les circuits économiques du pays est lancée. Par conséquent, on assiste en janvier 1969 à la naissance de la Société nationale d'étude et de promotion industrielle dans le cadre de favoriser le développement de la petite et moyenne entreprise au Sénégal. En outre le gouvernement applique les lois no 71-74 du 28 juillet 1971 qui organisent et

49 Blum, op.cit.

50 Labanté Nakpane, L'Etat sénégalais face aux aspirations à une sénégalisation plus poussée des entreprises commerciales et industrielles :1968-1980, p.65

51 Idem

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restructurent les secteurs du commerce et de l'industrie, no 72-46 du 12 juin 1972 encourageant la création ou l'extension des Petites et moyennes entreprises(PME) ainsi que l'insertion des nationaux dans les circuits économiques52. En parallèle, il entame une sénégalisation des cadres et des entreprises. Cette opération s'est déroulée par voie de dialogues. Cette option peut être expliquée par le fait que le secteur privé joue un rôle important dans l'économie du pays et que ce secteur est en majorité détenu par les expatriés français. Comme nous l'avons évoqué en haut, l'assistance technique française couvrait tous les secteurs et l'objectif était que les nationaux puissent prendre la relève dès que possible. A ce moment de la sénégalisation, le gouvernement a jugé nécessaire que certains secteurs aient été prêts à être gérés par les nationaux. C'est ce que nous explique une note pour le ministre retrouvée dans les archives nationales de Paris. Pour le gouvernement sénégalais, il s'agit "d' accélérer le processus de transfert aux nationaux des responsabilités économiques et par le biais d'une sénégalisation des emplois étendus d'ici 1980 à tous les postes « sénégalisables », en vue de laquelle les entreprises ont été priées de présenter un plan détaillé avant la fin de l'année du transfert au Sénégal des centres de décision, une insertion progressive des hommes d'affaires sénégalais dans les structures de l'économie »53. Soucieux de préserver ses relations étroites avec son ancienne métropole, le Gouvernement sénégalais a proposé un accord de sénégalisation des postes dont le nombre a été évalué entre 1000 et 1200 sur 1700 détenus par les expatriés. En contrepartie, « le Sénégal s'engage à adapter la formation aux besoins des entreprises par le biais d'une orientation prioritaire de l'enseignement supérieur vers les disciplines techniques, octroyer des bourses de stage dans les entreprises où les intéressés sont appelés à faire carrière, campagne d'information visant à valoriser le rôle du secteur privé dans la vie nationale, engagement à prendre par le gouvernement du Sénégal d'ouvrir un quota supplémentaire de postes d'expatriés pour les entreprises nouvelles qui s'implantent d'ici 1980 »54. Par conséquent les entreprises étaient priées de présenter des plans de sénégalisation. Certaines l'ont fait mais d'autres n'ont même pas fait d'effort et cela endurcit la position du gouvernement sénégalais qui parle désormais d'accélération de la sénégalisation. Son président Senghor l'a exprimé dans le journal le Monde le 24 juillet 1973 : « Senghor a fait savoir qu'en matière de sénégalisation des emplois, les élites de son pays avaient de plus en plus le sentiment d'être mené en bateau. En conséquence de quoi il a annoncé que désormais des mesures d'autorités allaient succéder en ce domaine à la politique

52 Idem

53 Archives nationales de Paris,Coopération, Cabinet et service rattaché au Ministre, Chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/4.

54 Idem

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conciliante de dialogue. En particulier, toutes les entreprises sont obligées de présenter avant la fin de l'année un plan de sénégalisation qui une fois approuvé par le gouvernement aura ensuite force de loi ». Il faut noter que ces propos expriment une sorte d'ultimatum face au refus des entreprises. Rappelons que Maguette Lo, alors ministre, témoignait que : « Fin juin 1970, je reçois les réponses des entreprises qui dans une parfaite unanimité, propose un plan décennal de sénégalisation pyramidal des emplois : les postes subalternes seraient sénégalisés à partir du 1 janvier 1971 pour arriver progressivement au bout de dix ans à la direction de l'entreprise. En réponse j'indique que chaque entreprise devra au 30 juin 1971 avoir à sa tête un sénégalais »55. Cette décision n'a pas laissé indifférent les entrepreneurs étrangers qui ont même reçu une visite de l'inspection du travail pour l'application de ces mesures. Ce fut le cas de Lesieur, une entreprise française spécialisée dans la production d'huile d'arachide : « Lesieur avait reçu une mission de l'inspection du Travail. Une des observations dans son alinéa 2 comporte la sénégalisation immédiate des postes occupés dont les noms suivants puis elle enjoint d'avoir à engager dès à présent des homologues sénégalais en vue de la sénégalisation des postes occupés par des expatriés désignés et fixe le délai limite à observer pour la sénégalisation de chacun de ces emplois »56. Décision prise en l'absence du président Senghor qui est plutôt favorable au dialogue et il a justifié sa position déjà en mars 1972 quand il parle de « tâche urgente de résorber le chômage et de placer nos diplômés qui ne sont pas orientés vers le secteur public dans les entreprises installées au Sénégal »57. Cependant, la position du gouvernement sénégalais reste difficile à comprendre. Elle oscille entre prendre la position de ses partenaires français et éviter un nouveau soulèvement politique et social. Senghor a tenté de se justifier d'après une dépêche de l'ambassadeur français au Sénégal en date du 21 avril 1972 : « Dans l'exposé de ce qui constitue désormais la doctrine du gouvernement sénégalais en ce qui concerne la sénégalisation des emplois, le chef de l'État a multiplié les mises en garde afin de dissiper tout malentendu tant à l'égard de ceux qui lui reprochent d'être trop timoré que de ceux qui surtout accusent le gouvernement de vouloir brûler les étapes et de pratiquer une politique nuisible au développement de l'économie nationale ». Ces propos sont adressés d'une part aux jeunes diplômés et hommes d'affaires sénégalais qui accusent au gouvernement son caractère « néocolonial » et réclament la libération de l'économie des mains des expatriés. D'autre part, ces propos concernent aussi les partenaires extérieurs surtout français qui détiennent la quasi-totalité du

55Camara Ousmane, Mémoire d'un juge africain. Itinéraire d'un homme libre, Paris, Karthala, 2010, p.171.

56 Archives nationales de Paris,Coopération, Cabinet et service rattaché au Ministre, chargé de mission (1959-1985), cotes 20000137/1-20000137/4.

57 Le nombre de jeunes diplômés s'élevait à 820.

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secteur privé ainsi que des postes importants du secteur public. Ces partenaires jugent qu'il est trop tôt pour céder la place aux nationaux. Cette réaction rend dans le même temps compréhensible le fait que le gouvernement sénégalais n'ait cessé de se prononcer sur ce sujet, comme nous l'avons souligné. Il est par exemple nécessaire de revenir sur les principaux passages du discours du président Senghor du 21 juillet 1973 car la question y occupe une place essentielle : « La sénégalisation des emplois, inéluctable car elle est une des conditions de l'indépendance économique sera réaliste et progressive. Elle portera sur les emplois sénégalisables ; elle ménagera les réfugiés des deux Guinée et des Îles du Cap-Vert ainsi que les nationaux des Etats africains avec lesquels le Sénégal a conclu des accords de réciprocité en matière d'emploi, elle respectera dans les entreprises à capitaux étrangers, les postes légitimement occupés par des ressortissants du pays investisseur, tels certains postes de la technique et du secrétariat particulier ; elle se fera enfin par le dialogue avec les responsables du secteur privé »58. Cette décision du gouvernement sénégalais a menacé les intérêts économiques français, au point que son ambassadeur, La Chevalière, n'a pas manqué de le souligner dans une correspondance du 17 août 1973 : « le président du SCIMPEX, syndicat des commerçants importateurs et prestataires de services et exportateurs m'a confié son inquiétude en me remettant copie d'une circulaire adressée aux employeurs par l'inspection régionale du travail du Sine-Saloum à Kaolack en a noté le ton impératif d'une part (délai de sénégalisation ramené à la durée du préavis de licenciement réglementaire c'est-à-dire de 1 à 3 mois) et surtout apparemment discriminatoire : il s'agit en effet de sénégalisation des emplois détenus par les expatriés français et les libanais non naturalisés sénégalais. Lors de notre entretien, il m'a paru pessimiste car il croit que l'ampleur et l'accélération de la sénégalisation porteront un grave préjudice à une entreprise dont on sait la bonne place dans la hiérarchie des intérêts économiques proprement français au Sénégal et en France. Il en appréhende par ailleurs, les implications sociales, selon lui la firme pourrait invoquer le cas de force majeure pour rejeter sur le gouvernement sénégalais la responsabilité du paiement des indemnités diverses dues au personnel licencié »59. Ces passages montrent bien l'inquiétude des chefs d'entreprise français. Par conséquent, ils tentent de contrer cette entreprise du gouvernement sénégalais mais aussi faire savoir à la France que c'est un combat qui dépasse le secteur privé. Nous n'avons pas besoin de rappeler le nombre important d'expatriés français qui occupent des postes cadres au Sénégal. Leur

58 Idem.

59 Archives nationales de Paris,Coopération, Cabinet et service rattaché au Ministre, Chargé de mission (1959-1985), cotes 20000137/1-20000137/4.

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remplacement par des nationaux pose le problème de leur réintégration dans le territoire français, même si les accords de coopération prévoient une pareille éventualité. Ni le gouvernement sénégalais, ni celui français ne s'attendaient à une accélération de la sénégalisation. Cette dernière en grande partie due aux conséquences du mouvement social de mai 1968 et la crainte du gouvernement sénégalais d'un nouveau soulèvement.

Le bilan de la sénégalisation reste, on le voit, mitigé. La contestation de mai 1968 a constitué un déclencheur d'une sénégalisation de l'économie. Des efforts ont été entrepris par le gouvernement sénégalais dans le but d'intégrer les hommes d'affaires dans les circuits économiques du pays, assurer la relève par les nationaux des postes occupés par les expatriés, promouvoir les petites et moyennes entreprises pour conquérir le secteur privé concentré dans les mains des expatriés. Mais force est de constater que cette entreprise n'a pas été évidente. D'un côté, le gouvernement devait faire face à un risque de soulèvement politique et social. De l'autre, il lui paraissait essentiel de préserver de bonnes relations avec son ancienne métropole. L'État sénégalais a donc essayé, par le biais de négociations, de satisfaire les deux parties. Pourtant, malgré ces efforts : « La sénégalisation a été mal appliquée. En effet, dans les entreprises étrangères, les postes ont été sénégalisés et non les responsabilités. Dans ces conditions, on y a davantage assisté à une concentration de ces dernières entre les mains d'une poignée d'expatriés »60.

Certes les limites de cette politique sont évidentes. En revanche, l'aspiration à une autonomie totale ne s'est pas tarie et les Sénégalais sont parvenus à investir davantage l'économie de leur pays.

Ce qu'il faut retenir dans cette première partie est que les sources que nous avons consultées convergent pour confirmer la persistance d'une hégémonie économique française au Sénégal après 1960. Les secteurs les plus actifs de la coopération franco-sénégalaise, à savoir l'assistance technique et la coopération socio-économique, ont contribué à maintenir l'influence et le contrôle de la France sur le pays durant toute la première décennie de l'indépendance. Dans le même temps, la coopération franco-sénégalaise est elle-même remise en cause par une partie de l'opinion. Ce mouvement s'est même amplifié en mai 1968 et a obligé le gouvernement sénégalais à prendre certaines mesures dans le but d'intégrer les nationaux dans l'économie du pays et assurer la relève des expatriés français. Pour pouvoir

60 Diop Momar Coumba, La société sénégalaise entre le local et le global, Editions Karthala, Paris, 2002, p.36.

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exécuter de telles décisions, il était nécessaire de revoir sa coopération avec la France. Par conséquent, le gouvernement sénégalais demande officiellement la révision de ses accords de coopération avec cette dernière.

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DEUXIÈME PARTIE:

LA RÉVISION DES ACCORDS DE COOPÉRATION FRANCO-SÉNÉGALAISE.

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« On a trop souvent fait des accords de coopération un problème théorique, alors qu'il s'agit surtout de morale ? en ce sens qu'il faut toujours tant qu'on ne les a pas dénoncés, appliquer honnêtement les accords que l'on a signés. C'est la position du Sénégal. Cependant, il ne faut pas oublier le problème pratique : la loi reflète la réalité en la devançant. Des accords qui ne reflètent plus la réalité doivent être révisés. Mais cette révision doit se faire dans l'amitié, si l'on veut, du moins qu'elle réponde à ses objectifs. Pour sa part, le Sénégal se refuse à suivre en matière de révision d'accords avec la France, se soit par complexe, soit par démagogie »61.

Cette déclaration a été faite à un journaliste du Monde le 4 juillet 1972 par Léopold Sédar Senghor. Elle peut être replacée dans le contexte des vagues de contestation des accords de coopération franco-africains. Ces propos peuvent nous aider à comprendre la position du Sénégal par rapport aux événements de mai 1972 à Madagascar ainsi que la sortie de la Mauritanie de la zone Franc. Le Sénégal fait partie du groupe de pays des modérés vis-à-vis de la politique française de coopération contrairement au groupe des radicaux composé essentiellement de la Mauritanie et de Madagascar. En outre, les radicaux en sortant de l'Organisation commune africaine et malgache (OCAM), perturbe la cohésion du groupe établi depuis les années 1960. Senghor tient beaucoup à cette organisation qui est un substitut à la Communauté de 1958. Pour le président sénégalais, il n'était pas question de faire sécession mais plutôt de rediscuter de l'ancienne relation coloniale. Il restera sur ses positions et en juillet 1973, son ministre de l'information affirmait que « le président Senghor rencontrerait le président Pompidou après les vacances et s'entretiendrait avec lui de l'adaptation des accords franco-sénégalais ». Ici on remarque qu'il n'est alors pas question de révision. Cependant, il change rapidement de ton en octobre 1973 en demandant la révision de ses accords de coopération avec la France. Dans cette partie nous aborderons la phase des négociations des nouveaux accords d'abord et ensuite il sera question de la mise en vigueur des nouveaux accords.

61 Archives nationales de Paris Coopération, Cabinet et service rattaché au Ministre, Chargé de mission (1959-1985),, cotes 20000137/1-20000137/4.

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Chapitre 1: Les négociations

Le président Senghor avait soutenu l'idée que son pays n'avait pas besoin de publicité pour demander la révision de ses accords de coopération avec la France. Il a privilégié le dialogue durant tout ce processus. Dans sa lettre qu'il avait adressé au Président de la République français, on peut retenir ces quelques passages : « A la lumière de ce qui précède, vous voudrez bien considérer la présente lettre comme la demande officielle du gouvernement pour l'ouverture de négociations en vue de la révision des accords de coopération entre la France et le Sénégal ». Et il renchérit d'après une note de l'ambassadeur français au Sénégal : « le gouvernement sénégalais se propose de réviser les accords de coopération dans l'amitié avec la France et a l'intention pour marquer cette volonté de signer avec elle un traité d'amitié et de coopération qui sera un accord cadre régissant les rapports franco-sénégalais »62. Même si le gouvernement sénégalais suggérait que les modalités et la date des négociations soient fixées d'un commun accord, il prend l'initiative d'énumérer les accords à réviser et de faire des propositions sur le déroulement des négociations. Dans une dépêche de l'ambassadeur français au Sénégal, 137 accords sont dénombrés par le gouvernement sénégalais. Parmi ces 137, 64 sont des conventions de financement exclus de la révision et d'autres sont considérés comme caduques car ne répondant plus à la situation. Au final, 49 accords sont concernés : « [...] Le gouvernement sénégalais souhaiterait voir les futures négociations commencer et se poursuivre dans l'ordre par la révision des accords de défense ainsi que les problèmes connexes, des accords relatifs à la coopération en matière économique, monétaire et financière, à l'établissement et à la circulation des personnes, au concours en personnel, à la politique étrangère, à l'enseignement et à la recherche et enfin aux autres domaines techniques ». Finalement, le gouvernement sénégalais fait parvenir une liste de 39 accords à réviser. Nous avons remarqué un changement important avant même l'ouverture officielle des négociations. En effet, c'est le gouvernement sénégalais qui prend les initiatives et décide en quelque sorte de l'orientation des futures négociations. Et Senghor soulignait lors d'une conférence de presse du 7 décembre 1973 que : « Nous agissons d'une façon méthodique et réaliste, en refusant de dramatiser la situation pour la bonne raison que nous n'avons pas besoin d'exciter l'opinion publique sénégalaise »63. La France suit le plan sénégalais. Cependant c'est tout à fait logique puisque c'est le Sénégal qui a demandé la révision de ses

62 Idem.

63 Archives nationales de Paris, Coopération, Cabinet et Services rattachés au ministre, chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/1.

64 Idem.

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accords de coopération avec la France. Il faut savoir que les négociations officielles étaient prévues pour mars 1974 mais dès le 4 janvier le gouvernement sénégalais fait parvenir à la France ses propositions de révision des accords de coopération. C'est à partir de ces propositions que les discussions seront établies. La méthodologie sénégalaise consistait d'abord à énumérer les accords qui feront l'objet d'une révision comme nous l'avons souligné tout en haut et ensuite proposer des projets d'accords à la France. Cette dernière fournira des contre-projets à partir des projets sénégalais. Même si les deux parties affirment lors des déclarations que les négociations se sont faites dans l'amitié et le dialogue, nous avons remarqué des phases chaudes et des désaccords. La France n'était pas tout à fait d'accord sur le fait que le gouvernement sénégalais avait décidé que 64 accords parmi les 137 qui les liaient étaient jugés caduques sans avoir été consultée au préalable. Malgré cela les discussions sur les nouveaux accords ont continué. Il faut tout de même préciser que certains accords ont fait l'objet de tensions entre les deux parties. Il s'agit notamment des accords sur la circulation des personnes, la convention d'établissement, sur la pêche et la marine marchande ainsi que sur le concours en personnel apporté par le gouvernement français au gouvernement sénégalais. Les discussions sur la circulation des personnes ont été houleuses car la partie sénégalaise a totalement modifié le texte : « Il est apparu en effet que la délégation sénégalaise avait reçu instruction de saisir cette occasion pour marquer les mécontentements du gouvernement sénégalais en ce qui concerne le traitement réservé à ses ressortissants à leur entrée en France. Elle a indiqué que son objectif était de parvenir à une convention réaliste, c'est-à-dire reflétant la situation exacte telle qu'elle a été constatée par les autorités sénégalaises »64. Nous reviendrons sur cette question, mais avant de le faire, il est nécessaire de connaître le texte de la convention sur la circulation des personnes signé à Dakar le 21 janvier 1964. Parmi les articles les plus significatifs de ce texte, on peut citer ses deux premiers articles : « Article 1. Pour se rendre sur le territoire de la République du Sénégal, les nationaux français quel que soit le pays de leur résidence, doivent être en possession d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport, même périmé depuis moins de cinq ans, des certificats internationaux de vaccinations obligatoires exigés par la législation en vigueur dans cet État et garantir leur rapatriement.

Article 2. Pour se rendre sur le territoire de la République de la France, les nationaux sénégalais quel que soit le pays de leur résidence, doivent être en possession d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport, même périmé depuis moins de cinq ans, des certificats

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internationaux de vaccinations obligatoires exigés par la législation en vigueur dans cet État et garantir leur rapatriement. ». Il ne faut toutefois pas perdre de vue la convention de 1959 entre les États de la Communauté dont son article 2 stipulait que « Tout national d'un État de la Communauté peut entrer librement sur le territoire de tout autre État de la Communauté, y voyager, y établir sa résidence dans le lieu de son choix et en sortir ». Nous avons jugé nécessaire de la citer car dans la pratique elle a prévalu jusqu'à la révision de 1974 même si la convention citée en dessus l'avait abrogée. Le gouvernement sénégalais compte bien remédier à cette situation. Par conséquent, le dialogue a été tendu entre les deux parties si on en croit à une note du Secrétariat d'État aux affaires étrangères des journées du 18 et 19 février 1974 : « De très nombreuses difficultés apparaissent à la discussion de ce texte, et une mauvaise humeur évidente de la délégation sénégalaise se manifeste. [...]. Très mauvaise ambiance (pire que la veille). Les Sénégalais durcissent considérablement leurs positions d'hier après-midi. L'examen du projet de convention se termine, mais la quasi-totalité est réservée ». Ici la position sénégalaise se manifeste par une volonté de changement. Et une lecture de son projet de convention sur la circulation des personnes peut nous permettre de nous en rendre compte. Les deux premiers articles sont significatifs du fait qu'ils sont tout à fait nouveaux : « Article 1. Pour se rendre sur le territoire de la République du Sénégal, les nationaux français quel que soit leur pays de résidence, doivent être en possession d'un passeport en cours de validité, revêtu des certificats internationaux de vaccinations obligatoires exigés par la législation en vigueur dans cet État. Ils doivent également garantir leur rapatriement.

Article 2. Pour se rendre sur le territoire de la République de la France, les nationaux sénégalais quel que soit leur pays de résidence, doivent être en possession d'un passeport en cours de validité, revêtu des certificats internationaux de vaccinations obligatoires exigés par la législation en vigueur dans cet État. Ils doivent également garantir leur rapatriement ». Comparé au texte antérieur où aucun document n'était exigé pour circuler d'un pays à l'autre, ces deux articles du nouveau texte sénégalais sont des éléments novateurs. La partie sénégalaise durcit effectivement sa position en ajoutant dans ces deux articles « un certificat d'hébergement et un certificat d'immigration délivré par les autorités sénégalaises compétentes ». Toujours dans le même ordre d'idée, on peut continuer à énumérer les articles clés de la convention : « Article 6. Les ressortissants français désireux de s'établir au Sénégal et les ressortissants sénégalais désireux de s'établir en France pour y exercer une activité non

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salariée ou sans y exercer une activité lucrative, doivent produire sous peine d'expulsion toutes justifications sur les moyens d'existence dont ils disposent.

Article 7. 1) Pour tout séjour en territoire sénégalais devant excéder trois mois, les ressortissants français doivent, sous peine d'expulsion, posséder et présenter à toute réquisition la carte d'identité d'étranger délivrée par les autorités sénégalaises compétentes.

2)Pour tout séjour en territoire français devant excéder trois mois, les ressortissants sénégalais doivent sous peine d'expulsion, posséder et présenter à toute réquisition le titre de séjour exigé par la législation française en vigueur.

Article 8. Les nationaux de chacune des parties contractantes désireux d'exercer sur le territoire de l'autre une activité professionnelle, devront en outre, pour être admis sur le territoire de cette partie, justifier de la possession :

1) d'un certificat de contrôle médical qui doit être établi dans les deux mois précédant le départ

2) d'un contrat de travail écrit et revêtu du visa du Ministère du Travail du pays d'accueil lorsqu'il s'agit d'un travail salarié »65.

Les négociateurs français ont été un peu surpris par ce texte sénégalais et ont proposé un contre-projet. Pour la délégation française, l'ajout aux articles 1 et 2 d'un certificat d'hébergement et d'un certificat d'immigration correspond à un visa déguisé. Elle a réservé ces articles et a demandé à l'étudier. Pour l'article 6, elle juge nécessaire de revoir la forme mais le principal souci reste les inconvénients qui peuvent en découler sur le tourisme. Quant à l'article 7, la délégation française propose un simple refoulement au lieu d'une expulsion qui a un caractère pénal. Selon elle : « La France ne pourrait pas prévoir en ce qui la concerne une clause aussi sévère pour les ressortissants sénégalais »66. Un autre point essentiel qui a semé la discorde entre les deux parties est l'assujettissement à l'impôt : « Tout ressortissant français ou sénégalais, qui en raison de son séjour en territoire sénégalais ou français, est assujetti au paiement d'un impôt sur le revenu, ne pourra quitter le territoire de l'État ou il est assujetti au paiement dudit impôt que sur présentation quitus fiscal délivré par les autorités compétentes ». Mais ce point sera amplement discuté dans la convention d'établissement. N'ayant pas eu de terrain d'attente lors de ces deux journées, les deux parties ont continué à

65 Archives nationales de Paris Coopération, Cabinet et service rattaché au Ministre, chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/2

66 Ide, m.

67 Archives nationales de Paris,Coopération, Cabinet et service rattaché au Ministre, Chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/1.

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étudier les projets de convention proposés par chacune. Même si d'autres rencontres entre les experts des deux parties ne sont pas prévues avant la date de l'ouverture officielle des négociations à savoir le 25 mars, la correspondance par l'intermédiaire de l'ambassadeur français au Sénégal a permis la continuité des échanges. Nous pouvons retenir que des concessions ont été faites du niveau des deux parties et qu'au final elles sont convenues à un accord le 29 mars. Dans une lettre du 16 mars 1974, l'ambassadeur français au Sénégal déclarait que : « Le gouvernement sénégalais a renoncé à sa demande relative à l'institution d'un certificat d'immigration délivré par les autorités locales compétentes. De même toutes mentions à des expulsions possibles ont disparu du texte »67. Nous verrons le contenu de cet accord dans le chapitre suivant. L'un des points forts des négociations de la révision des accords de coopération franco-sénégalais est la convention d'établissement. Rappelons que même si le gouvernement sénégalais ne l'admet pas, les évènements de mai 68 et ses conséquences ont été déterminantes dans sa décision de révision des accords de coopération qui le liaient à la France. Les revendications les plus significatives étaient l'intégration des hommes d'affaires sénégalais dans les secteurs de l'économie et la contestation d'une présence française devenue de plus en plus gênante. Le gouvernement ne pouvait pas prendre de mesures sans heurter les intérêts de ses partenaires français. Il était nécessaire donc de réadapter comme il a dit ses accords de coopération. Par conséquent la convention d'établissement en constitue une clé importante. Celle de 1960 conclue entre les deux pays conférait la notion d'assimilation et le statut particulier aux nationaux des deux parties. Nous pouvons pour illustration en citer quelques articles :

« Article 2. En ce qui concerne l'ouverture d'un fonds de commerce, la création d'une exploitation, d'un établissement à caractère industriel, commercial, agricole ou artisanal, l'exercice des activités correspondantes et l'exercice des activités professionnelles salariées, les nationaux de l'une des parties contractantes sont assimilés aux nationaux de l'autre partie contractante sauf dérogation imposées par la situation économique et sociale de ladite partie

Article 4. Tout national de l'une des parties contractantes, a la faculté d'obtenir, sur le territoire de l'autre partie, des concessions, des autorisations et permissions administratives, ainsi que de conclure les marchés publics dans les mêmes conditions que les nationaux de cette partie.

Ces quelques articles les plus significatifs du texte sénégalais marquent un net changement par rapport au texte précédent et la partie française n'a pas manqué de le souligner. Dans une

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Article 5. Les nationaux de l'une des parties contractantes seront, sur le territoire de l'autre partie, représentés dans les mêmes conditions que les nationaux de celle-ci aux assemblées consulaires et aux organismes assurant la représentation des intérêts économiques.

Article 12. Chacune des parties contractantes réserve aux nationaux de l'autre partie le statut particulier défini par la présente convention à raison du caractère spécifique des relations entre les deux États. Le bénéfice de ces dispositions particulières ne peut être automatiquement étendu aux ressortissants d'un État tiers ».

Le gouvernement sénégalais considère que cette convention bénéficie plus aux nationaux français. Comme la convention sur la circulation des personnes, il faut parvenir à une situation réaliste. Maintenant passons en revue le nouveau texte sénégalais de convention d'établissement. C'est un texte tout à fait nouveau qui est rédigé à partir de la convention d'association entre la Communauté économique européenne et les États africains et malgaches associés. La lecture du nouveau texte sénégalais laisse apparaître ceci :

« Article 1. Chaque partie contractante applique, sur son territoire, aux nationaux de l'autre partie, le droit d'établissement prévu par la convention d'association entre la Communauté économique européenne et les Etats africains et malgaches associés, sauf dérogations imposées par la situation économique et sociale de l'une ou de l'autre d'entre elles.

Article 2. Ce droit d'établissement comporte sous réserve des dispositions relatives aux mouvements de capitaux, l'accès aux activités non salariées et leur exercice, la constitution et la gestion d'entreprises et notamment des sociétés ainsi que la création d'agences, de succursales ou de filiales.

Article 4. Les nationaux de chacune des parties contractantes bénéficieront sur le territoire de l'autre partie, de la législation du travail, des lois sociales et de la sécurité sociale dans les mêmes conditions que les nationaux de cette partie.

Article 6. Les nationaux de l'une des parties contractantes seront assujettis sur le territoire de l'autre partie contractante et conformément aux lois et règlements en vigueur de celles-ci, aux droits, taxes ou contributions quels qu'en soit la dénomination.

Les dispositions du présent article s'appliquent aux personnes morales comme aux personnes physiques ».

68 Idem.

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note du Secrétariat aux Affaires Étrangères, nous pouvons lire ceci : « Le projet sénégalais de convention d'établissement modifie radicalement le statut de nos ressortissants. La notion de statut particulier est abandonnée, le concept d'assimilation des nationaux de l'une et de l'autre partie contractante disparaît. Il n'y a plus aucune disposition relative au respect des droits acquis par les personnes physiques et morales. Plus aucune clause relative aux possibilités d'accès des citoyens français à la fonction publique, aux professions libérales, aux assemblées consulaires, aux groupements syndicaux ainsi qu'à la faculté d'obtenir des concessions, autorisations et permissions administratives et de conclure des marchés publics »68. C'est l'article 4 seulement qui a conservé le principe d'assimilation. La partie française propose, pour sa part, un contre-projet. Ce dernier a tendance à conserver l'ancien texte dont l'article 1 n'affiche aucun changement. Parmi les articles du contre-projet, plusieurs sont à citer :

« Article 2. Sous réserve des accords entre les deux parties sur la circulation des personnes, les nationaux de chacune des parties contractantes peuvent entrer librement sur le territoire de l'autre, y voyager, y établir leur résidence dans le lieu de leur choix et en sortir à tout moment.

Article 3. Les nationaux de chacune des parties contractantes jouissent sur le territoire de l'autre partie, dans les mêmes conditions que les nationaux de cette partie, du droit d'investir des capitaux, d'acquérir, de posséder, gérer ou de louer tous biens meubles ou immeubles, droits et intérêts d'en jouir et d'en disposer.

Article 5. En ce qui concerne l'accès et l'exercice des activités commerciales, agricoles, industrielles et artisanales, les nationaux de l'une des parties contractantes sont assimilés aux nationaux de l'autre partie sauf dérogation justifiée par la situation économique et sociale de ladite partie.

Il en va de même à propos de l'exercice des activités salariées sans préjudice des dispositions concernant les conditions prévues à cette fin par les accords en vigueur entre les deux pays.

Article 6. Les nationaux de chacune des parties contractantes ne sont pas assujettis sur le territoire de l'autre partie à des droits, taxes, impôts ou contributions, sous quelque dénomination que ce soit autre ou plus élevés que ceux qui sont perçus sur les nationaux de cette partie se trouvant dans la même situation ».

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Les deux parties ne sont pas parvenues à un accord car les discussions ont été faites à partir de la proposition française et certains articles étaient non discutables pour la partie sénégalaise. Comme tout accord ou attente, un compromis s'impose et une partie du gouvernement français en est bien conscient. Un conseiller technique français indiquait dans une note que : « En ce qui concerne l'établissement, le réalisme implique à s'écarter de la réciprocité et de retenir la notion de compensation eu égard aux quarante milles français qui sont installés au Sénégal et y détiennent une part importante de l'économie, et aux vingt-trois milles Sénégalais qui n'occupent en France que des emplois de modestes travailleurs ». La partie sénégalaise avait beaucoup insisté lors des négociations d'un contingent d'immigrés sénégalais en France et que la partie ne pouvait pas donner de suite à cette demande. Elle a accepté de le mettre en suspense car nous verrons que ça va revenir même après la signature du nouvel accord. De son coté, elle a fait des efforts : « L'ambassadeur Diakha Dieng, représentant du Sénégal en France et secrétaire général de l'union africaine et malgache de la coopération économique [...], déclare que d'une part son gouvernement était entièrement d'accord pour reconnaître au profit de nos ressortissants déjà établis au Sénégal le privilège de droit acquis (à condition toutefois que tout en exprimant la même idée ne soit pas repris dans le texte) et pour consentir également à nos compatriotes dans cette situation, des facilités en ce qui concerne les conditions de leur séjour dans le pays ». Il faut souligner également que le gouvernement français a promis d'étudier la proposition sénégalaise en ce qui concerne un contingent d'immigrés et l'envoi d'un expert au Sénégal pour étudier la question et l'ouverture d'un office d'immigration à Dakar. Sur ces concessions, un texte a été rédigé et signé le 29 mars et nous verrons le contenu de ce texte dans le chapitre suivant.

Toujours dans sa volonté de réadapter ses accords de coopération avec la France, le gouvernement sénégalais juge nécessaire de donner un caractère nouveau au concours en personnel que lui apporte cette dernière. À l'instar des discussions citées en dessus, cet accord a fait l'objet d'amples discussions. Il faut savoir qu'au moment des indépendances, le problème de la relève de l'administration coloniale s'est posé au futur gouvernement sénégalais à l'instar de toutes les anciennes colonies. Ceci est dû au fait qu'une poignée d'autochtones avait accès à l'école et était formée pour seconder les administrateurs coloniaux. Cette position subalterne n'était pas propice à la gestion des services publics. Cependant l'assistance technique, qui constitue un volet primordial de la coopération franco-sénégalaise comme nous l'avons vu, a été perçue comme une solution convenable pour les deux gouvernements. C'est dans ce cadre qu'une convention sur le concours en personnel

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apporté par le gouvernement de la République française au gouvernement sénégalais a été conclue depuis 1959. D'une manière générale cette convention fixait les modalités du concours dont les plus significatifs sont : le fait que le Sénégal doit porter à la connaissance de la France la liste des agents par secteur et assurer le logement des agents mis à sa disposition. D'autre part, le gouvernement sénégalais participe à la rémunération des agents pour une somme mensuelle de quarante-cinq mille francs CFA par personne. Cette dernière est élevée à cinq mille francs CFA par un protocole d'accord du 12 juin 1963. Il faut préciser que cette participation sénégalaise ne concerne pas le personnel de l'enseignement supérieur qui est totalement à la charge de La République française. Cette dernière assure la formation, le transport et verse à titre de rémunération, pour chaque membre du personnel une indemnité égale à la différence entre la rémunération à laquelle l'intéressé peut prétendre en vertu de la réglementation française et la contribution forfaitaire qu'il reçoit du gouvernement de la République du Sénégal. Pourtant, il faut noter que cette convention générale est accompagnée de deux annexes qui précisent le statut de certains personnels comme les Volontaires du Progrès, issus de l'association française des volontaires du progrès créée en 1963 par les autorités françaises avec comme but d'envoyer des jeunes français en mission de deux en Afrique,et enfin le personnel enseignant et celui militaire hors cadre. Pendant les négociations de la nouvelle convention relative au concours en personnel, le gouvernement sénégalais a apporté des modifications importantes et l'ambiance des discussions nous en dit plus. En effet, la partie sénégalaise n'a pas seulement effectué une mise à jour de l'ancien texte, il a présenté un texte qui tend à uniformiser tout le personnel de l'assistance technique. Il s'agit d'assimiler les Volontaires du Progrès et d'évoquer un silence sur les conditions particulières d'emploi du personnel enseignant et du personnel militaire hors cadre. Nous pouvons retenir quelques éléments du texte sénégalais :

« Article 1. La présente convention s'applique à toutes les catégories de personnel, y compris les personnels dits volontaires du Progrès mis à la disposition du gouvernement de la République du Sénégal par le gouvernement de la République française.

Article 3. Le personnel est agréé par le gouvernement de la République du Sénégal et a pour vocation de former des cadres sénégalais, l'affectation du personnel est décidée par le gouvernement de la République du Sénégal. Les emplois sont confiés au personnel pour une durée d'une année renouvelable, en cas de besoin. Une décision de l'autorité sénégalaise compétente doit intervenir pour constater la reconduction. Ce personnel sera remplacé au fur et à mesure que la relève pourra être assurée par des nationaux sénégalais.

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Article 11. La répartition des charges financières du personnel entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Sénégal est fixé selon les modalités suivantes :

1). Le gouvernement de la République du Sénégal s'engage à verser à titre de participation à la rémunération de chaque membre du personnel mis à sa disposition, une indemnité forfaitaire mensuelle de 55.000 francs CFA.

Pour sa part, le gouvernement de la République française verse à titre de rémunération, pour chaque membre du personnel une indemnité égale à la différence entre la rémunération à laquelle l'intéressé peut prétendre en vertu de la réglementation française et la contribution forfaitaire qu'il reçoit du gouvernement de la République du Sénégal.

Les dispositions ci-dessus ne s'appliquent pas au personnel de l'enseignement supérieur qui demeure entièrement pris en charge par le gouvernement de la République française.

2). Le gouvernement de la République du Sénégal fournit à chaque membre du personnel mis à sa disposition un logement meublé décent.

Article 17. Sur demande du gouvernement de la République du Sénégal et en vue de l'accomplissement de tâches définies par le gouvernement sénégalais, la République française s'engage à mettre à sa disposition des personnels dit Volontaires du Progrès ».

Cette mise à disposition ne comporte en contrepartie de la part du Gouvernement de la République du Sénégal que le logement dans le lieu d'affectation, la gratuité des soins médicaux et des frais d'hospitalisation, l'exonération des droits et taxes pour leurs effets et objets personnels importés lors de leur première installation au Sénégal, l'exonération de tout impôt direct à l'exception des taxes pour services rendus69. Fidèle à son procédé, la partie française propose un contre-projet. Ce dernier s'écarte légèrement du texte sénégalais et le Secrétaire des Affaires Étrangères affirmait à ce propos que : « Ce projet ne comporte pas de profondes modifications susceptibles de remettre en cause les principes généraux de notre concours en personnel, mais il est loin d'être entièrement satisfaisant tant par certains de ses innovations que par ses lacunes »70. Les points essentiels du texte français sont l'homogénéité du personnel de l'assistance technique, leur affectation, leur notation et le problème de logement. Le nouveau texte de la convention est fait sur la base du texte français qui a réussi à

69 Archives nationales, Paris,Coopération, Cabinet et service rattachés au Ministre, Chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/1.

70 Idem.

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convaincre la partie sénégalaise à considérer la particularité de certains personnels mais aussi de s'engager à offrir un logement convenable. À l'article 1, il apporte une légère modification en la reformulant ainsi : « La présente convention s'applique à toutes les catégories de personnel mis à la disposition du Gouvernement de la République du Sénégal par le gouvernement de la République française. Certains concours en personnel peuvent cependant faire l'objet de conventions particulières notamment pour le fonctionnement de certains services ou établissements et pour l'exécution de décisions temporaires à objectifs déterminés ». Avant d'exposer ce nouveau texte, nous pouvons aborder le cas de l'enseignement supérieur dont le personnel sort du lot. Il faut savoir que la réadaptation des accords de coopération en matière d'enseignement supérieur entre les parties française et sénégalaise a commencé depuis 1970 suite aux évènements de mai 1968. Dans notre première partie, nous avons souligné le fait que l'université de Dakar a continué de conserver son statut d'établissement français même après l'indépendance du pays. Il était entièrement à la charge de la République française. Pendant la soumission des accords de coopération en matière d'enseignement supérieur à l'Assemblée nationale française, le secrétaire d'État aux relations avec les États de la Communauté soutenait que : « D'ores et déjà l'université de Dakar est d'une qualité incomparablement supérieure aux autres universités étrangères d'Afrique. Il faut qu'elle fasse la preuve de cette supériorité sur l'université que les Russes s'apprêtent à installer en Guinée ». Toujours dans le même sillage il dit que : « La gestion d'une part, l'administration de l'autre, sont confiés à la France. Le recteur, les professeurs et le personnel sont nommés dans des conditions absolument identiques à celles des autres universités françaises. Le personnel continue d'ailleurs de relever du ministère de l'éducation nationale de la République française. C'est là évidemment un hommage rendu à notre enseignement et un gage pour le maintien de notre influence culturelle »71. Après l'éclatement de la Fédération du Mali, l'accord franco-sénégalais d'août 1961, reprend ces mêmes dispositions. Cependant en mai 1964, un nouvel accord en matière d'enseignement supérieur est conclu entre les deux pays. Ce texte est une innovation du point de vue du gouvernement sénégalais car il affirme sa souveraineté internationale et confirme que l'université de Dakar est un établissement public sénégalais. Le rapporteur de l'Assemblée nationale du Sénégal lors de la soumission du texte l'a décrit ainsi : « Toutefois, afin de sauvegarder la valeur de l'enseignement dispensé, il est prévu que la législation et la réglementation française concernant le personnel enseignant, les programmes d'études, la scolarité et les examens sont introduits dans le droit sénégalais.

71 Journal officiel de la République française, débats parlementaires, séance du 6 juillet 1960, p.1727.

72 Archives nationales, Paris, Enseignement supérieur et université, Direction générale des enseignements supérieurs, cote 19770510/2.

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Parallèlement, les diplômes délivrés par l'université de Dakar conformément à cette réglementation, sont valables de plein droit sur le territoire français.

L'autre innovation essentielle du nouvel accord consiste dans l'accroissement considérable de la participation financière sénégalaise aux dépenses de fonctionnement de l'université ».

Cette année, le gouvernement sénégalais n'a participé que symboliquement d'une somme de 55 millions sur 1600 millions. En participant de manière progressive aux dépenses de fonctionnement de sa propre université qui demeure entièrement à la charge d'un pays étranger, il lance « la décolonisation » de l'enseignement supérieur. Malgré ces futures dispositions, le mode de fonctionnement de l'université reste inchangé et par conséquent nous avons assisté aux événements de mai 1968. Nous l'avons déjà souligné en dessus mais nous tenons à vous citer un passage important du Mémorandum de L'union des étudiants sénégalais en mai 1968 : « Nous voyons ainsi que la politique de fractionnement des bourses et leur réduction à 10 au lieu de 12 mensualités ne peuvent trouver d'autres justifications que dans le sabotage systématique de la formation des cadres indispensables au pays en vue de maintenir en permanence l'assistance technique ». Ces événements n'ont pas laissé de choix aux parties contractantes car tous les efforts fournis jusqu'ici risquent de partir à néant. Finalement un nouvel accord est conclu entre les deux parties en février 1970. Pendant la préparation de ce nouvel accord les experts de la partie française avaient bien souligné les grandes lignes que doivent prendre ce nouvel accord pour éviter dans l'avenir de tels soulèvements. Parmi ces recommandations, nous pouvons retenir que : « Les universités sont désormais des institutions nationales de formation dont les structures sont définies en fonction des besoins des Etats et ne sont plus le démarquage des structures françaises, ce qui exclut l'introduction automatique dans le droit de ces pays des dispositions légales régissant en France le fonctionnement des universités. Les programmes de développement de ces institutions sont définis uniquement en fonction des besoins locaux et non plus en tenant compte du modèle français des enseignements. Les personnels enseignants français sont placés sous le régime de la coopération technique et leur mode de nomination éventuellement de remise en disposition et de rémunération sont ceux de ce personnel »72. Cependant, en regardant de près le nouvel accord, nous avons l'impression que le changement n'est apparent. L'article 1 du texte de 1964 qui stipulait que : « La République française s'engage à aider la République du Sénégal

73 Archives nationales,Paris, Coopération, Service rattaché auprès du ministre, Chargé de missions

(1959-1985),Cote 20000137/1.

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à maintenir et développer sur son territoire un enseignement supérieur d'un niveau égal à celui de l'enseignement supérieur français » est repris en février 1970 en ces termes : « La République française s'engage à aider la République du Sénégal à maintenir et à développer un enseignement supérieur de niveau international ». En outre, l'article 2 affirme que « Les autorités sénégalaises déterminent l'organisation et le contenu des enseignements dispensés par l'Université de Dakar, un établissement public sénégalais afin de faciliter leur adaptation aux réalités africaines et de permettre la formation de cadres correspondants aux besoins »73. Une remarque très intéressante est le fait qu'on retrouve toujours dans bon nombre d'articles de l'accord, un alinéa qui rappelle l'engagement des deux parties par le terme «accord partie». Ce qui signifie que la France doit valider ces programmes proposés par le gouvernement sénégalais. Un autre changement concerne les diplômes. Désormais ils ne sont plus admis de plein droit sur les deux territoires mais plutôt en équivalence. Malgré ces réajustements, cet accord n'échappe à la révision des accords de coopération franco-sénégalaise de 1974. Le gouvernement sénégalais cherche à renforcer son contrôle sur l'enseignement supérieur notamment sur le personnel et les orientations des programmes. Selon la délégation française, le projet sénégalais restreint l'intervention française à la seule université de Dakar laissant ainsi hors du champ de la coopération les établissements de formation supérieure et technique, prévoit l'application au personnel de l'enseignement supérieur de la convention générale relative au concours en personnel car un article de ce texte lui dispense du versement de la contribution forfaitaire mensuelle de 55 000 francs CFA par agent et en enfin il prévoit également la prise en charge provisoire par la France du personnel enseignant africain. Le contre-projet français s'est axé sur ces trois points et propose à la place une intervention à l'université et tous les établissements de l'enseignement supérieur, supprimer toute mention du personnel africain dans le texte, trouver une faille dans le texte sénégalais pour réclamer la participation forfaitaire mensuelle pour les agents de l'enseignement supérieur. En tout état de cause, les deux parties sont parvenues à un accord en mars 1974 et nous verrons ce texte dans le chapitre suivant.

D'après notre compréhension des sources, les négociations pour la révision des accords de coopération franco-sénégalaise n'étaient pas faciles et se démarquent carrément du schéma traditionnel des rapports franco-africains. La partie sénégalaise s'est montrée très persuasive et a essayé de confirmer sa souveraineté internationale. Mais dans les relations internationales, la force est preuve de persuasion et ce sont les pays développés qui la

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détiennent. Par conséquent, les négociations balancent toujours en leur faveur et dans ce cas, le gouvernement sénégalais était obligé de mettre à côté certains de ses souhaits. Ce qu'il faut retenir dans cette phase est la pression exercée par l'opinion publique sénégalaise en particulier et africaine, de manière plus générale, sur les diplomates sénégalais. L'ambassadeur français au Sénégal, La Chevalière notait dans une dépêche du 13 février 1974 que : « Les conversations qui ont eu lieu entre les délégations française et sénégalaise du 11 février ont fait apparaître le désir du Sénégal, très sensibilisé aux critiques et reproches que ses relations jugées très étroites avec la France lui valent de la part de certains pays du Tiers-monde, d'éviter dans la rédaction des nouveaux accord de coopération tout ce qui pourrait paraître institutionnaliser des liens trop exclusifs avec notre pays »74. Il renchérit en affirmant « La délégation sénégalaise rappelé à son souhait de voir abandonner tout principe d'assimilation et de réciprocité, et d'éviter tout ce qui pourrait être interprété comme présentant une possibilité de traitement préférentiel en notre faveur ». Ces notes sont en faveur de l'une de nos hypothèses qui soutenait que le Sénégal avait demandé la révision de ses accords avec la France non par nécessité des intérêts du pays mais plutôt pour soigner son image face à ses détracteurs. Nous avons aussi remarqué que la volonté de changer la donne était bien présente chez certains experts sénégalais comme son chef de délégation, Barka Diarra qui sera remplacé par Assane Seck en mars 1974, lors de la signature des nouveaux accords. Cette décision confirme l'habitude du président Senghor envers les membres du gouvernement qui risquent en quelque sorte de compromettre sa relation précieuse avec la France. Un point qui a attiré notre attention, est le fait qu'aucun Français ne figure dans la liste de la délégation sénégalaise et pourtant à ce moment, on trouvait beaucoup d'experts et de techniciens français dans chaque ministère. De notre point de vue, ces Français qui connaissent bien les besoins sénégalais et comprennent aussi le système français, pourraient être d'une grande utilité pour le gouvernement sénégalais pendant les négociations. Leur absence est due au simple fait d'une recommandation de l'ambassadeur français au premier ministre Michel Debré: « Il faudrait également poser le principe que, lorsque la France aura à négocier avec le Sénégal, la délégation sénégalaise ne soit pas composée en totalité, sinon en majorité de ressortissants français »75.

Les deux parties se sont réjouis du déroulement des négociations et des nouveaux accords de coopération. Maintenant nous pouvons nous intéresser au contenu de ces nouveaux accords.

74 Idem.

75 Blum Françoise, op.cit, P.62.

76 Archives nationales, Paris, Coopération, Cabinet et service rattachés au Ministre, Chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/1.

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Chapitre 2:. Les nouveaux accords de coopération

Les nouveaux accords de coopération franco-sénégalaise ont été signés le 29 mars 1974 à Paris. Ces accords couvrent presque tous les domaines que ce soit politique, économique, social et culturel. Désormais les relations franco-sénégalaises sont régies par ces nouveaux accords. Nous allons choisir quelques exemples afin d'avoir un aperçu sur ces derniers. Tout d'abord, il faut savoir que les accords de coopération entre la France et le Sénégal ont un socle ou un gage qui n'est autre que le traité d'amitié et de coopération. C'est un texte qui définit les grandes lignes ainsi que les modalités d'exécution de la coopération entre les deux pays. Son préambule met en avant entre autres la consécration des liens d'amitié existants entre les deux pays, le développement et le renforcement de la coopération dans les domaines politique, économique, social, culturel et technique sans oublier le fondement de cette coopération sur la base de l'égalité et du respect mutuel de la souveraineté nationale. Ce traité prévoit la création d'un comité ministériel franco-sénégalais qui sera l'organe exécutif : « Article 6. Pour veiller à la mise en oeuvre des principes et à la poursuite des objectifs définis dans le présent traité, il est créé un comité ministériel franco-sénégalais composé de délégations des deux pays présidés par leurs ministres des affaires étrangères ou tous autres ministres désignés à cet effet. Toutes les relations de coopération ainsi que l'application des différents accords conclus entre les deux États relèvent de sa compétence »76. En outre, ce traité affirme dans son article 4 la nécessité de renforcer la coopération dans les domaines de la culture, des sciences, de la technique et de l'éducation. Ces points sont prioritaires pour le gouvernement sénégalais surtout dans le domaine culturel qu'il considère comme le commencement et la fin de tout développement. Nous n'avons pas besoin de souligner la place qu'occupe la culture dans la vision et la pensée du président Senghor. L'intervention française est plus importante en ce qui concerne l'assistance technique. Nous verrons dans la partie suivante que cette dernière a été au coeur des préoccupations des deux parties depuis l'application des nouveaux accords. Le traité d'amitié et de coopération affiche un texte tout à fait nouveau par rapport à celui de 1960. Néanmoins, il a gardé son principe et reflète avant tout les relations amicales voire étroites entre les deux peuples. Nous n'avons pas eu l'occasion de vérifier si la France a conclu un tel traité avec d'autres pays africains, mais dans l'esprit du gouvernement sénégalais il permet de préserver ce lien étroit. Ce traité n'a pas manqué de prendre en compte le droit international en matière de coopération et se veut conforme à la Charte des Nations Unies. C'est une innovation majeure car la coopération

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franco-africaine est entrain dans une phase de « normalisation » comme l'a souligné Jean Touscoz : « La coopération bilatérale de la France avec les pays africains francophones a traversé depuis le début de la présente décennie une crise grave ; elle fait actuellement l'objet d'une certaine normalisation. [...] Cette normalisation tend à soumettre la coopération bilatérale de la France avec les pays africains francophones au droit commun de la coopération internationale »77. Dans le cas sénégalais, nous avons remarqué que la quasi-totalité des accords de coopération avec la France font désormais référence au droit international. Du point de vue de la forme, cela inclut un grand changement quant à la réalité il reste à déterminer la pratique et les impacts. Nous en reviendrons dans notre dernière partie. A part ce traité d'amitié et de coopération qui est l'accord cadre, nous allons voir les accords que nous avions abordé dans le chapitre précédent. Mais avant nous voulons juste souligner la part importante qu'occupe le domaine politique dans cette coopération. Malheureusement dans le chapitre précédent nous n'avons pas abordé d'accord politique car nous avons considéré que les négociations n'étaient pas très houleuses par rapport aux exemples que nous avons choisis. Cependant y'a eu un changement surtout en matière de représentation diplomatique. En effet, le nouveau texte a supprimé l'existence des Hauts Représentants et du Décanat d'office au profit de l'Ambassadeur de France. Et l'article 1 le confirme : « Chacun des Etats accrédite auprès de l'autre un représentant ayant rang et titre d'Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire et dont l'ordre de préséance dans le corps diplomatique est fixé conformément à la pratique internationale ». En outre y'a plus de référence au truchement du Gouvernement français pour la transmission des directives de celui sénégalais aux agents diplomatiques et consulaires français. Donc plus de consultation dans le domaine de la politique étrangère et l'article 2 du nouveau texte stipule que : « La République française assure à la demande de la République du Sénégal sa représentation auprès des Etats et organisations là où la République du Sénégal n'a pas de représentation propre. Dans ce cas les agents diplomatiques et consulaires ainsi que les délégués français agissent conformément aux directives du Gouvernement du Sénégal transmises par l'intermédiaire des autorités françaises »78. La rédaction de ce texte a su respecter le droit commun de la coopération internationale. Toujours dans le cadre des nouveaux accords, nous allons revenir sur les exemples du chapitre précédent à savoir la convention d'établissement, l'accord sur la

77 Touscoz J. (1974). « La normalisation de la coopération bilatérale de la France avec les pays africains francophones » (aspects juridiques). Études internationales, 5(2), pp.208-211.

78 Archives nationales, Paris, Coopération, Cabinet et service rattachés au Ministre, Chargé de mission (1959-1985),, cote 20000137/1.

79 Idem.

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circulation des personnes, la convention sur le concours en personnel et l'accord en matière d'enseignement supérieur.

Les négociations sur la convention d'établissement n'étaient pas faciles mais plutôt houleuses. Dans le but de parvenir à un accord le 29 mars, les deux parties ont dû faire des concessions car le nouveau texte n'a pas intégré les premiers articles du texte sénégalais. Finalement, il est constitué sur la base du texte français qui n'affiche pas un grand changement par rapport à l'accord précédent. Les articles 1 et 2 sont formulés ainsi : « Article 1. Tout national de l'une des parties contractantes jouit des libertés publiques sur le territoire de l'autre dans les mêmes conditions que les nationaux de cet Etat. Ces libertés s'exercent conformément à la législation en vigueur sur le territoire de chacune des parties contractantes : « Article 2. Sous réserve des accords entre les deux parties contractantes sur la circulation des personnes, les nationaux de chacune des parties peuvent entrer librement sur le territoire de l'autre, y voyager, y établir leur résidence dans le lieu de leur choix et en sortir à tout moment. [...] »79. Même si ces deux articles ont l'air identiques au texte précédent, il faut savoir qu'une notion importante a été supprimée à savoir celle d'assimilation et de statut particulier. Il faut noter, chose importante, que le projet sénégalais est absent dans ce nouveau texte. Mais le tir semble être rectifié sur un point dans l'échange de lettre qui a suivi cet accord pour confirmer l'article 4 du projet sénégalais : « Les nationaux de chacune des parties contractantes bénéficieront sur le territoire de l'autre partie, de la législation du travail, des lois sociales et de la sécurité sociale dans les mêmes conditions que les nationaux de cette partie ». Il est nécessaire de préciser quand même que le nouveau texte comporte de nouveaux articles qui s'adaptent à la situation. Il s'agit des articles 11 et 12:

article 11 « Les nationaux français, personnes physiques ou morales, établis sur le territoire sénégalais à la date d'entrée en vigueur de cette présente convention peuvent continuer à exercer leurs activités. Les nationaux sénégalais, personnes physiques ou morales, établis sur le territoire français à la date d'entrée en vigueur de cette présente convention peuvent continuer à exercer leurs activités. » ;

article 12 qui renchérit en ces termes : « Est considéré comme établi sur le territoire de l'une des Parties, tout national de l'autre Partie y exerçant ses activités depuis au moins trois mois avant la date de signature de la présente convention ».

80 Ibid.

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Enfin, les deux parties décident d'étendre le statut particulier à d'autres Etats dans l'article 13 « Chaque partie se réserve le droit d'accorder le cas échéant, un traitement plus favorable aux ressortissants d'un Etat tiers voisin ou appartenant à une même zone de solidarité économique ou politique »80.

Nous pouvons affirmer que les modifications ont été importantes et donnent un air nouveau à la convention d'établissement, signée le 29 mars, et dont l'entrée en vigueur était prévue dans deux mois après la signature. Nous verrons dans la troisième partie que ce nouvel accord a eu d'énormes impacts au niveau des pays. Il en va de même pour l'accord sur la circulation des personnes.

Celui-ci est complémentaire de la convention d'établissement. C'est pour cela qu'il est indispensable de les analyser ensemble. Nous avons vu lors des négociations que l'atmosphère était trop tendue entre les deux parties et il s'est avéré difficile de trouver un terrain d'attente. Finalement un accord sera conclu le 29 mars. Ce nouvel accord peut être qualifié d'innovant par rapport au précédent. L'examen de ce nouvel accord nous laisse constater que les propositions des deux parties ont été prises en compte. Les changements apparaissent dès les premiers articles qui étaient proposés par la partie sénégalaise. La délégation française l'a adoptée après la suppression de quelques alinéas. Désormais les articles 1 et 2 stipulent que : « Article 1. Pour se rendre sur le territoire de la République du Sénégal, les nationaux français quel que soit le pays de leur résidence, doivent être en possession d'un passeport en cours de validité, ainsi que des certificats internationaux de vaccinations obligatoires exigés par la législation en vigueur dans cet État. Ils doivent également garantir leur rapatriement.

Article 2. Pour se rendre sur le territoire de la République française, les nationaux sénégalais, quel que soit le pays de leur résidence, doivent être en possession d'un passeport en cours de validité, ainsi que des certificats internationaux de vaccinations obligatoires exigés par la législation en vigueur dans cet État. Ils doivent également garantir leur rapatriement ».

Même si ces deux premiers articles ont fait la différence par rapport au texte précédent, les deux innovations majeures à l'instar du certificat d'immigration et l'attestation d'hébergement sont absentes du texte. Pourtant ces deux éléments allaient changer la donne en matière de circulation des personnes entre les deux parties. En revanche, les articles 6 et 7

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ont régularisé les modalités d'entrée et de séjour. En effet, l'article 6 affirme que : « Les nationaux de chacune des parties contractantes désireux d'exercer sur le territoire de l'autre partie une activité professionnelle devront, en outre, pour être admis sur le territoire de cette partie, justifier de la possession :

1. D'un certificat de contrôle médical délivré par [...].

2. Les nationaux de l'une des parties, désireux d'exercer sur le territoire de l'autre partie une activité professionnelle salariée devront, en outre, pour être admis sur le territoire de cette partie, justifier de la possession d'un contrat de travail écrit et revêtu du visa du Ministère du travail du pays d'accueil ».

L'article 7 ajoute que : « Pour tout séjour en territoire sénégalais devant excéder trois mois, les ressortissants français doivent posséder et présenter à toute réquisition l'autorisation de séjour ou la carte d'identité d'étranger délivrée par les autorités sénégalaises compétentes. Pour tout séjour en territoire français devant excéder trois mois, les ressortissants sénégalais doivent posséder et présenter à toute réquisition le titre de séjour délivré par les autorités françaises compétentes »81.

Tenant compte du nombre important d'expatriés(quarante milles français et vingt trois milles sénégalais) dans les pays et le brassage qui s'est établi entre populations au fil des siècles, un article spécifique a été rédigé. Il s'agit de l'article 13 qui stipule que : « Les ressortissants de l'une des parties contractantes résidant sur le territoire de l'autre partie au 1er janvier 1974 sont automatiquement dotés d'un titre de séjour renouvelable dont la validité ne saurait inférieure à cinq ans. Ce document devra être demandé dans un délai qui ne pourra pas excéder six mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente convention ».

Ces quelques lignes résument bien la nouvelle convention sur la circulation des personnes entre les deux pays. Cependant, le gouvernement sénégalais n'avait pas cessé de formuler une demande de quotas d'immigrés pour les Sénégalais lors des négociations et au-delà. Cette requête n'a pas été prise en compte dans cette présente convention mais des promesses lui ont été faites dans l'échange de lettres qui a suivi la signature. On peut retenir ceci : « J'ai l'honneur de vous faire savoir que le Gouvernement français fera ce qui est en son pouvoir pour répondre au voeu ainsi exprimé, dans les limites compatibles avec la conjoncture économique et sociale française »82. Il faut savoir qu'en ce moment les autorités françaises

81 Idem.

82

83 Idem.

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avaient gelé en quelque sorte l'immigration et craignaient qu'en accordant ce quota au Sénégal, elles vont être obligées de l'étendre vers d'autres pays. La nouvelle convention entrera en vigueur plutôt que prévu et les conséquences n'ont pas tardé à se faire sentir dans les deux pays. Nous y reviendrons dans la troisième partie.

Un autre accord très significatif relatif à la coopération franco-sénégalaise est celui qui porte sur le concours en personnel. Il régla les modalités de l'assistance technique entre les deux pays. L'enjeu de cet accord était important du fait de la sénégalisation en cours des emplois et de son économie.

À la différence du texte précédent qui prenait en compte la différence de statut de certains personnels, le nouvel accord tend à uniformiser le statut des coopérants et marque une volonté de la mainmise du Gouvernement sénégalais sur le personnel d'assistance technique. Ainsi, l'article 1 marque cette volonté d'uniformisation quand il affirme que : « La présente convention s'applique à toutes les catégories de personnel mis à la disposition du Gouvernement de la République du Sénégal par la République française. Certains concours en personnel pourront cependant faire l'objet de conventions annexes ou particulières, notamment pour le fonctionnement de certains services ou établissements et pour l'exécution de missions temporaires à objectifs déterminés ». Parmi les innovations majeures de ce texte figurent le but et les objectifs précis du concours en personnel. En effet, l'alinéa 2 de l'article 2 l'a bien mentionné. Cependant, le texte a limité l'objectif de contrôle des coopérants français par le Gouvernement sénégalais. Ce dernier peut prendre des initiatives mais il lui faut toujours l'aval de l'autre partie. Certains passages justifient nos propos, comme dans l'alinéa 1 de l'article 3 : « Le gouvernement de la République du Sénégal communique au Gouvernement de la République française la liste des emplois à pourvoir comportant pour chacun de ceux-ci : indication du lieu de résidence, description des attributions et des qualifications souhaitées » ; ou encore dans l'article 5 : « Toute mutation d'un agent visé par la présente convention envisagée par le Gouvernement de la République du Sénégal dont le résultat serait de changer le lieu d'affectation, le niveau ou la nature de l'emploi auquel il a été nommé en vertu de l'alinéa précédent, devra faire l'objet d'une consultation entre l'autorité sénégalaise compétente et la représentation française au Sénégal »83.

En ce qui concerne la répartition des charges financières, les modalités sont restées les mêmes à savoir une participation de la part du Sénégal et le reste revenant à la République

84 Archives nationales, Paris, Coopération, Cabinet et services rattachés au Ministre, Chargé de missions (1959-1985), cotes 20000137/1- 20000137/2.

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française. C'est le protocole d'application de l'article 17 de cette présente convention qui a déterminé les modalités de la charge. Selon ce protocole, « le Gouvernement de la République du Sénégal s'engage à verser à compter de la date d'entrée en vigueur de la convention relative au concours en personnel apporté par la République française à la République du Sénégal, à titre de contribution à l'ensemble des charges prévues à l'alinéa 1 de l'article 17, pour chacun des agents considérés et pour toute la durée de mise à disposition comprenant la durée du congé administratif réglementaire faisant suite au séjour accompli, une allocation forfaitaire mensuelle de cinquante-cinq mille francs CFA contre valeur de mille cent francs français. Le personnel d'enseignement supérieur étant pris en charge par le ministre français de l'éducation nationale ne donnera pas lieu au versement de l'allocation forfaitaire mensuelle prévue »84.

Malgré le souci d'uniformisation exprimé, des conventions annexes ont été conclues pour déterminer le statut de certains personnels. C'est le cas pour le personnel enseignant dont l'annexe a défini les modalités de notation en ces termes « Afin de permettre le déroulement normal de la carrière du personnel enseignant, le Gouvernement de la République du Sénégal autorise le contrôle pédagogique de ces personnels et leurs examens professionnels dans les conditions prévues par la réglementation en vigueur dans la République française ». Il en va de même pour les magistrats qui « continuent à être régis par les dispositions statutaires qui leur sont propres sans préjudice des dispositions du présent accord ». Enfin, les personnels militaires cadres hors budget dont l'annexe « a pour but de déterminer les mesures particulières applicables aux personnels militaires autre que ceux visés à l'annexe 1 de l'accord de coopération en matière de défense ».

La nouvelle convention relative au concours en personnel a été adaptée en fonction de la situation et des besoins du Sénégal. Cependant nous avons assisté dès son entrée en vigueur, des plaintes de la part du Gouvernement de ce dernier relatives aux coopérants mis à sa disposition. Ce point sera amplement développé dans la dernière partie.

Pour clôturer l'analyse de ces nouvelles dispositions, nous allons nous intéresser au nouvel accord en matière d'enseignement supérieur. Nous avons déjà abordé les accords précédents à savoir ceux de 1961, 1964 et 1970. Celui de 1974 n'affiche aucun changement par rapport à celui de 1970. La seule différence notable est le silence relatif au personnel africain pris en charge provisoirement par la France. Il fallait l'inclure dans la révision mais

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l'essentiel des réajustements ont été faits dans l'accord précédent. Ce dernier devrait être appliqué pour pouvoir répondre aux besoins du gouvernement sénégalais en cadres et dans sa politique de sénégalisation. Pourtant, il faut savoir que le personnel de l'enseignement supérieur n'a pas pu répondre aux attentes du gouvernement. Par conséquent, plusieurs notes ont été adressées aux autorités françaises pour souligner les manquements de l'assistance technique d'une manière générale et particulièrement l'enseignement supérieur.

Lors de leur déclaration à la presse, les deux gouvernements ont affirmé qu'ils ont révisé leurs accords de coopération « sans bruit, ni propagande intempestive ». Cette expression est fondée car les négociations ont eu lieu à huis clos car l'opinion publique n'était pas impliquée ou du moins n'a pas réussi à se faire entendre sur le sujet. Il est difficile d'avoir le point de vue de l'opposition sénégalaise ainsi que des populations à cette époque. Cependant, nous avons vu que certaines phases des négociations étaient plutôt délicates et nous reviendrons sur quelques incidents diplomatiques dans notre prochaine partie. Ce que nous pouvons retenir à propos de cette phase des relations franco-sénégalaise est, entre autres, que plusieurs facteurs ont été décisifs pour expliquer la réadaptation des accords de coopération : les changements économiques et socio-politiques intervenus au Sénégal, les réformes administratives françaises en politique étrangère, l'impact du nouvel ordre économique mondial et le désir de changement des pays africains. Ce n'a pas été pas une opération facile car un système mis en place depuis une décennie se retrouve totalement remis en cause. Ainsi, les relations franco-sénégalaises jugées trop étroites devraient être « normalisées ». Les deux parties ont essayé de conserver une certaine proximité entre les deux peuples mais il s'est parfois avéré difficile d'allier amitié et droit international. En tout état de cause, dans la quasi-totalité des nouveaux accords, le préambule fait toujours référence à l'amitié entre les deux peuples.

En somme, vingt-huit accords ont été signés en mars 1974 à Paris et publiés dans le Journal officiel. Trois autres accords ont été paraphés en septembre à Dakar sur trente neufs qui ont été listés par le gouvernement sénégalais. Précisons que nous n'avons pas pris en compte les accords de coopération en matière de défense du fait qu'ils sont classés secrets. La plupart des nouveaux accords sont entrés en vigueur en 1975 sauf ceux en matière de circulation des personnes et d'établissement qui avaient été anticipés. Il nous faut désormais nous pencher sur les impacts que ces nouveaux accords ont eu sur les deux pays.

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TROISIÈME PARTIE:

APPLICATION ET IMPACTS DES NOUVEAUX ACCORDS

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Les accords de coopération franco-sénégalaise ont été réadaptés le 29 mars 1974 dans l'ensemble. Le contenu des nouveaux accords dessine une nouvelle forme de relation. En effet, les relations très étroites entre les deux peuples ont tendance à disparaître au profit de liens fondés sur le droit commun international. Cette rupture a eu des impacts au niveau des deux pays surtout dans les domaines économique, social et politique. Nous verrons dans cette partie l' application des nouveaux accords ainsi que leurs impacts.

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Chapitre 1: L'application des nouveaux accords.

La quasi-totalité des nouveaux accords de coopération franco-sénégalaise a été signée le 29 mars 1974 à Paris à l'exception de trois d'entre eux qui ont vu le jour en septembre de la même année à Dakar. Ces accords devraient entrer en vigueur deux mois après leur signature, cependant la procédure législative demeure très longue, surtout du côté français. Pourtant le gouvernement français décide d'anticiper l'entrée en vigueur de la nouvelle convention d'établissement et du nouvel accord en matière de circulation des personnes.

La ratification des accords se fait le plus souvent par voie législative à l'Assemblée nationale. Elle peut néanmoins se faire par un simple échange de lettres par les représentants des deux parties. Concernant les nouveaux accords de coopération franco-sénégalaise, nous avons remarqué deux tendances. La partie sénégalaise ne tarde pas à soumettre l'ensemble des accords à l'Assemblée nationale. Le 20 décembre 1974, cette dernière a voté vingt-neuf projets de loi autorisant le Président de la République à ratifier tous les accords de coopération signés à Paris le 29 mars. La rapidité de la procédure du côté sénégalais s'explique par le fait que la mouvance présidentielle ne rencontre pas d'opposition ouverte. Il faut savoir que Senghor avait mis en place un système politique reposant le parti unique, comme dans la plupart des États africains, et les partis de l' opposition vivaient alors dans la clandestinité. Cette situation confère tous les pouvoirs au Président Senghor, ce malgré la séparation des pouvoirs(O'Brien, Momar-Coumba Diop et Mamadou Diouf, La construction de l'Etat au Sénégal, 2002)

Du côté français, la procédure n `était pas si rapide. Il faut attendre deux ans pour que les accords soient ratifiés . En effet, ils n'ont reçu l'approbation de l'Assemblée nationale que le 19 décembre 1975. Par la suite, deux mois ont été nécessaires pour qu'ils prennent effet après la date d'échanges des instruments de ratifications. Ces accords ne sont publiés au Journal officiel de la République française qu'au 17 novembre 1976. Néanmoins certains accords ne seront pas publiés dans ce journal et nous en ignorons la raison. Dans une dépêche adressée à l'ambassadeur français au Sénégal par son ministre

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de tutelle, nous avons repéré une liste d'accords à ne pas publier. Parmi ceux-ci, nous pouvons retenir : les accords militaires, les accords concernant l'état des personnes, les accords de coopération culturelle et technique, les accords en matière économique et financière et enfin l'accord domanial. Cette lente procédure s'explique par le fait que l'Assemblée nationale française est un organe indépendant du pouvoir exécutif: il faut convaincre les députés de l'utilité de ces nouveaux accords. Néanmoins certains observateurs estiment que ce traitement est exclusivement réservé à la coopération franco-africaine. Ainsi Jean Chesneau n'a pas manqué de le souligner dans une note à l'attention de Monsieur Georges Roux, conseiller technique au Cabinet du Ministre des affaires étrangères : « En effet une fois signés, ces accords sont au plan interne français voués aux tribulations d'une chaîne procédurière dont la longueur, dans la plupart des cas pourrait semble-t-il être sensiblement réduite, afin de rapprocher de la date de conclusion, celle de la mise en vigueur et d'éviter la création de vides juridiques fâcheux et même dangereux. Le cas des accords conclus avec le Sénégal en 1974 est particulièrement significatif : signés le 29 mars 1974, ils sont entrés en vigueur en juillet et septembre 1976 et publiés en novembre 1976 »85. La partie sénégalaise en l'occurrence le gouvernement dénonce également cette procédure et rappelle à tout moment à son partenaire ses engagements. Dans une lettre datée du 26 mai 1976, l'ambassadeur français au Sénégal avait reporté ceci : « Par ailleurs le ministre porte à la connaissance de l'ambassade que le Sénégal a ratifié, depuis le 5 juin 1975, l'ensemble des accords et conventions signés entre les deux pays et qu'il laisse le soin à la partie française de fixer une date pour l'échange des instruments de ratification à Paris »86. Cette attitude de la partie française confirme la remarque de Bourgi sur la coopération franco-sénégalaise. Il note que le Sénégal applique à la lettre les accords signés avec la France au moment où cette dernière n'a même pas ratifié ces accords par l'Assemblée nationale. Si le Sénégal ne peut que dénoncer la lenteur de la procédure de son partenaire, il envisage déjà d'autres alternatives. En effet, Senghor déclarait le 2 mai 1974 que : « Il reste que devant le désengagement de la France et l'ignorance de son opinion publique qui nous traite de mendiants de l'Elysée, nous sommes obligés de réfléchir et de chercher un complément, sinon une alternative à la coopération française qui s'affaiblit d'année en année »87. Ces propos font allusion à la diversification des partenaires extérieurs car la politique

85 Archives nationales, Paris, Coopération, Cabinet et service rattaché, Chargé de missions (1959-1985), Cote 20000137/2.

86 Ibid.

87 Idem.

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étrangère du Sénégal se limitait à la France. Il renoue les liens avec la République de la Chine après une rupture au profit de Taiwan en 1971. Les relations entre les deux pays connaissent une nouvelle crise diplomatique de 1996 à 2005. Les Etats-Unis et l'URSS deviennent également des partenaires non négligeables. «L'URSS contribue au financement de la troisième tranche de la SOSAP pour la construction de 10 thoniers suite à l'accord sino-soviétéque de 1965»88.

Le fait que les accords de coopération avec le Sénégal soient coincés dans un carcan procédurier, n'a pas empêché la France de mettre en application l' accords en matière de circulation des personnes et la convention d'établissement. En effet, elle a décidé d'anticiper l'entrée en vigueur de ces deux accords pour le 15 juillet 1975. Son gouvernement décide : « d'assujettir à compter du 1er janvier 1975, les ressortissants sénégalais au régime de carte de séjour ». Cette décision ne pose pas de problèmes car les ressortissants sénégalais résidant en France à la date du 1er décembre 1974 seront dotés d'un titre de séjour valable de cinq ans comme le prévoit cet accord et renouvelable pour la même durée. Par conséquent les autorités sénégalaises n'y voient pas d'inconvénients et son ministre des affaires étrangères a donné son approbation en ces termes : « M. Assane Seck m'a confirmé que ces dispositions ne soulevaient pas d'objections de la part du gouvernement sénégalais. Celui-ci envisage d'ailleurs de prendre des mesures analogues à l'égard des français résidents au Sénégal »89. Lesdites mesures du gouvernement sénégalais sont entre autres, un communiqué de presse pour informer les ressortissants français des nouvelles mesures et des centres d'enregistrement pour obtenir la carte d'identité étrangère. Des dispositions particulières sont mises en place pour les demandeurs de cette carte:ils reçoivent un reçu pour la durée de fabrication. En outre, les Français sont dispensés de la formalité du visa aller et retour pour la sortie et l'entrée au Sénégal. Le gouvernement sénégalais n'a pas voulu mentionner les dispositions prises à l'égard des ressortissants français. En revanche, il assure aux autorités françaises que toutes les dispositions ont été prises si nous croyons à une note de l'ambassadeur français au Sénégal : « Le communiqué du ministre de l'intérieur ne précise pas l'automaticité de la délivrance ni la validité, pour une durée de cinq ans, de la carte. Le ministre sénégalais de l'intérieur me confirme cependant qu'il en est bien ainsi [...] mais qu'aucune publicité n'est

88 Domingo Jean, op.cit, p.38.

89 Archives nationales, Paris, Coopération, Cabinet et service rattaché, Chargé de mission(1959-1985), cote 20000137/2.

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donnée pour ménager éventuellement la susceptibilité des tiers. La gratuité m'est également confirmée »90 .

Malgré les assurances françaises, la réalité de la situation est toute autre sur le territoire français. Des incidents ont été notés car des ressortissants sénégalais furent victimes de refoulements malgré leur statut légal. Ces faits sont rapportés par André Guillabert, ambassadeur du Sénégal à Paris en mars 1975 dans une déclaration: « [...]. Mais là où nous sommes contraints à l'indignation, c'est essentiellement la façon dont le contrôle et le refoulement sont effectués dans les aérodromes. Des travailleurs sénégalais ou africains en situation régulière, qui revenaient de congé et qui étaient titulaires de contrats de travail en bonne et due forme ont été refoulés. »91. Magatte Lô de retour de mission à Paris renchérit en ces termes:« Il est exigé, à présent de tout ressortissant sénégalais désireux d'envoyer de l'argent à destination du Sénégal, non seulement une carte d'immatriculation, d'ailleurs difficilement obtenu mais encore la justification des raisons et des motifs de ce que les autorités françaises considèrent comme un transfert de devises»92. Il s'agit là du premier incident diplomatique entre les deux pays depuis l'indépendance.Le gouvernement sénégalais condamne ces traitements et les considère comme une violation du nouvel accord sur la circulation des personnes. En réaction, le Président Senghor dévoile ses intentions dans une dépêche adressée à l'ambassadeur français au Sénégal en ces termes : « C'est mon devoir de signaler qu'actuellement, les élites sénégalaises ont l'impression, comme les élites du Maghreb au demeurant, que le racisme se développe en France non certes au niveau des dirigeants mais au niveau des fonctionnaires et des travailleurs manuels. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé l'inscription à l'ordre du jour de la Conférence de Bangui, de la question d'immatriculation. J'en profiterai pour parler également de la question des mandats »93. Nous pensons que Senghor a rédigé cette lettre ayant à l'esprit le caractère crucial que cette Conférence Bangui revêt pour la France. En effet, il s'agit du deuxième sommet franco-africain (dont le premier avait eu lieu le 13 novembre 1973 et était présidé par Georges Pompidou). Le fait d'inscrire un tel sujet à l'ordre du jour, va à l'encontre du projet français de maintien de son influence et de son « image positive» sur le continent africain. En outre,cet épisode trouble de la coopération franco-africaine détonne avec le thème de la conférence centré sur le « dialogue Nord-Sud ». Les autorités françaises tentent alors de se

90Archives nationales, Paris, Coopération, Cabinet et service rattaché, Chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/2.

91 Idem.

92 Idem.

93 Idem.

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justifier en soutenant que ces faits sont des actes isolés de certains fonctionnaires et assurent que les mesures nécessaires seront prises. Lors de la réunion de presse suivant cette conférence, Valéry Giscard d'Estaing s'exprime en ces termes : « Il y a un problème qui était important qui était celui de la circulation des personnes et de la manière dont cette circulation des personnes doit être organisée, Eh bien certains de nos partenaires ont fait part de leur préoccupation, voire des critiques qu'ils avaient à émettre à cet égard et nous avons examinés ensemble les solutions possibles »94. Ces propos semblent destiner au président Senghor qui avait décrié les traitements dont étaient victimes ses ressortissants.

Nous supposons que la décision du Gouvernement français d'appliquer le plutôt possible le nouvel accord relatif à la circulation des personnes relève en grande partie de sa volonté de contrôle de l'immigration. Pour justifier de telles mesures, il avance une meilleure prise en charge des immigrés Africains en assurant une formation, un logement et une réelle intégration, nécessaire dans une situation économique difficile avec un taux de chômage qui ne cesse de grimper. Cependant les autorités françaises semblent ignorer le fait que les Africains résidant sur le territoire français, occupent pour la quasi-totalité les emplois les plus difficiles et les plus dégradants. Ce qui nous fait penser que ces emplois n'ont pas une réelle influence sur le taux de chômage en France. Dans le cadre d'une meilleure politique en matière d'immigration, les autorités françaises ont signé avec le Sénégal un accord sur la formation en vue de retour et de l'insertion dans l'économie sénégalaise des travailleurs ayant émigrés temporairement en France. Cet accord, signé le 1er décembre 1980 a été soumis à l'Assemblée nationale pour approbation sans vote. Cette demande est due au fait que le contenu de l'accord n'est pas clair, les modalités de formation, la prise en charge et la manière d'insertion ainsi que les secteurs visés ne sont pas définis. Le seul argument plausible qu'ils sont avancés est formulé en ces termes : « Notre politique consiste à l'heure actuelle, à compter sur le retour naturel des immigrés dans leur pays d'origine en interdisant les entrées, sauf, bien entendu aux étrangers bénéficiant d'un régime spécial et notamment aux réfugiés politiques »95 . Même si le projet insiste sur le départ volontaire, l'avenir des immigrés reste incertain car la majeure partie de ces derniers occupe un emploi subalterne en France. En outre, le Gouvernement du Sénégal est confronté à un problème d'intégration de ses diplômés dans le marché du travail. Nous ne connaissons pas les suites de cet accord ni les bénéficiaires car notre étude s'arrête à l'année 1982. La décision des autorités françaises en matière de circulation des personnes peut également être interprétée comme un début de désengagement

94 Archives du site internet de l'Elysée.

95 Archives nationales, Paris, Assemblée nationale,cote 20060604/10.

96 Archives nationales, Paris, Coopération, Cabinet et service rattaché, Chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/1.

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vis-à-vis de son pré carré au profit d'une intégration européenne. Cette hypothèse se confirme en 1980 lorsque la France passe le relais des investissements et du diagnostic économique aux institutions de Bretton Woods avec le Programme d'Ajustement Structurel (PAS). Le Sénégal fut le premier pays africain à signer ce programme. Nous en reviendrons plus tard. Le gouvernement français n'a fait que profiter de l'occasion du nouvel accord sur la circulation des personnes pour mettre en place ses mesures en matière d'immigration.

Toujours dans le cadre d'application des nouveaux accords de coopération franco-sénégalaise, la première réunion du comité interministériel franco-sénégalais s'est tenue les 11 et 12 décembre 1975. Cette réunion définit les nouvelles orientations de la coopération franco-sénégalaise. Son compte rendu se résume ainsi : « Faisant suite aux missions de dialogue (octobre 1974) et de programmation (mai 1975), cette réunion allait permettre de tester concrètement les nouvelles orientations de la politique de coopération notamment la globalisation et la programmation des diverses formes d'aide »96. Parmi ces nouvelles orientations figurent la priorité aux investissements dans des projets de développement bien définis mais surtout l'assistance technique. Pour cette dernière la nouveauté réside dans la participation sénégalaise qui est doublé en juillet 1976. Elle passe de 50.000 à 100.000, malgré le fait que la somme est déjà définie par le nouvel accord de coopération sur le concours en personnel. Le Gouvernement sénégalais décide finalement de passer à la globalisation. En d'autres termes il prend en charge les coopérants de plus qu'il aura à demander.

Depuis la mise en place des nouveaux accords de coopération, le problème de l'assistance technique a demeuré le sujet essentiel de la coopération franco-sénégalaise. Plusieurs échanges sont consacrés à ce sujet. Il faut noter que la partie sénégalaise a souligné les manquements de l'assistance technique à l'occurrence le nombre insuffisant des coopérants ainsi que de leur qualification. Lors des négociations, le gouvernement sénégalais avait insisté sur la nécessité d'avoir des formateurs qui pourront former les cadres dont le pays a besoin. Cette formulation permettrait aussi la relève par les nationaux et pourrait aboutir plus tard à la disparition de l'assistance technique. Cependant, lorsque le nombre de coopérants mis à sa disposition est réduit, le gouvernement sénégalais exige le contraire et propose une prise en charge totale du surplus. En réalité, le problème réside dans le fait que les agents proposés par le Gouvernement sénégalais ne conviennent pas à celui français. D'ailleurs Madieng

97 Ibid.

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Diakhaté, le ministre de la Coopération et du Plan, le souligne bien quand il affirme que : « Il arrive souvent qu'une candidature convenant parfaitement au Sénégal et proposé par lui sur un poste existant ou considéré comme vacant soit rejetée par les bureaux parisiens et qui en même temps ou plus tard me soit pour agrémentation une autre candidate pour ces bureaux ». Pour rappel, le président Senghor avait souligné le manque de qualification des coopérants en ces termes : « Il faudrait que les assistants techniques fussent mieux formés. On nous envoie, le plus souvent, des boys scouts, c'est-à-dire des jeunes gens qui viennent en Afrique noire par curiosité et pour passer le temps de leur service militaire, au mieux afin d'acquérir une expérience, quand on devrait nous envoyer des hommes d'expérience »97. Senghor fait ici allusion aux Volontaires du service national qui sont de jeunes coopérants en opposition aux anciens fonctionnaires de l'ENFOM. Pour le Gouvernement sénégalais ces jeunes coopérants ne sont pas capables d'assumer le rôle de formateur dont le pays a besoin.

En outre, dans cette seconde phase de la coopération franco-sénégalaise, le gouvernement français est confronté à un problème budgétaire suite à l'inflation qui a touché l'économie. Par conséquent, le budget du ministère de la coopération est réduit, ce qui impacte l'assistance technique au Sénégal. Le nombre de coopérants a fortement diminué, ce qui pousse les pays africains à passer au système de la globalisation. Pour avoir une idée de la chute du nombre de coopérants depuis la révision des accords de coopération franco-sénégalais, nous passons en revue quelques indications. En 1975, le Sénégal comptait 1342 agents contre près de 2000 dans la première décennie. En 1976, le nombre passe à 1312 dont 1019 dans l'enseignement. Nous avons souligné plus haut que la diminution des effectifs de la coopération est due par le problème de l'inflation en France. Pour le cas du Sénégal, le président Senghor considère que la suppression de certains postes porte un coup à la transition vers la relève par les nationaux. Il souhaite donc le maintien de ces postes, voire la création d'autres postes. Dans une lettre adressée au président Giscard d'Estaing le 16 février 1977, il souligne les problèmes de l'assistance technique. Selon Senghor, c'est un non-respect des trois principes définis dans l'accord de coopération entre les deux pays. Ces trois principes sont: la fixation du montant alloué à l'assistance technique au Sénégal par la France, la définition des options et la fixation des postes demandés par le Sénégal et enfin la prise en charge des frais occasionnés par le supplément d'assistants techniques par le Sénégal.Il suppose aussi le fait que tous les coopérants sont gérés désormais parmi le ministère de la Coopération constitue un obstacle dans l'évolution de carrière des coopérants et n'encourage pas les expérimentés à

98 Archives nationales, Paris, Coopération, Cabinet et service rattaché auprès du ministre, Chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/2.

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venir.Il faut savoir que une partie des coopérants surtout ceux de l'enseignement supérieur fut géré par le ministre de l'éducation nationale.Dans ladite lettre, Senghor insiste sur l'objectif du gouvernement sénégalais : « Ce que nous souhaitons encore une fois à Dakar, c'est d'avoir des enseignants de valeur qui nous aident à former nos formateurs pour assurer la relève de l'assistance technique dans les meilleures conditions et dans les plus brefs délais ». Pour que l'assistance réponde à son objectif qui consiste à se supprimer, il faut insister sur la formation des cadres. Cependant la demande de Senghor de maintenir le nombre d'assistants techniques voire l'augmenter paraît contradictoire en première lecture. En revanche, si nous nous basons sur sa correspondance précédente, nous nous rendons compte que c'est la qualification des coopérants que le président sénégalais cherche à préserver. Il n'hésite pas à intervenir pour le maintien de certains coopérants dont les contrats ont été expirés et qui devaient quitter leurs postes.L'ensemble de ces éléments pousse le Gouvernement sénégalais à dédoubler depuis le 1er juillet 1976 sa participation financière par agent et de proposer à passer au système de globalisation. Dans une lettre adressée à l'ambassadeur français au Sénégal, il note ceci : « Je m'étonne que les autorités françaises, après nous avoir conseillé d'imiter la Côte d'Ivoire qui prenait entièrement à sa charge le supplément d'assistance technique qu'elle demandait, nous refusent maintenant ce supplément d'assistance technique qu'encore une fois, nous sommes prêts à prendre entièrement à notre charge »98.

Le problème de l'assistance technique révèle un certain nombre de limites de part et d'autre. Depuis l'indépendance, le budget de l'assistance technique ne cesse d'augmenter et les résultats escomptés tardent à se réaliser. Le Gouvernement sénégalais depuis la révision des accords de coopération comme nous l'avons souligné ci- dessus, insiste sur la nécessité de formation des cadres. Pourtant, il n'arrive toujours pas à mettre en place une véritable planification des besoins du pays en termes de cadres. De fait, les secteurs prioritaires sont mal définis malgré l'existence d'une commission mixte franco-sénégalaise pour le recrutement ; ce qui explique que depuis 1975, l'évolution du Sénégal en matière d'assistance technique suit un sens inverse par rapport aux autres pays comme la Côte d'Ivoire. Cette tendance s'explique par le fait que le Gouvernement sénégalais a du mal à se passer d'agents de coopération qui servent depuis une décennie dans le pays et qui coûtent plus chers par rapport aux Volontaires du service national. Le problème fut abordé par la Commission de recrutement franco-sénégalais du 14 mars 1977. En effet, la délégation française exprime ce souhait : « qu'il fut procédé dès 1977 au remplacement d'environ soixante-dix agents

99 Archives nationales, Paris, Coopération, Cabinet et service rattaché auprès du ministre, Chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/29.

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actuellement en service au Sénégal depuis de nombreuses années et qui pourraient être remplacés par des professeurs qualifiés plus jeunes et moins coûteux »99Il faut ajouter à cela l'intervention du Président Senghor pour le maintien d'un certain nombre de postes. De 1975 à 1977, nous avons constaté que ce point occupait une place importante dans la correspondance de l'ambassadeur français au Sénégal. Souvent il s'agit d'une réallocation, d'une demande de prolongation ou d'intervention de Senghor pour plaider la cause d'un coopérant. Parfois le poste même n'est pas véritablement défini dans sa mission. Le président Senghor demanda ainsi dans une lettre au ministre de la Coopération de recruter un agent qu'un ami lui avait recommandé et qu'une fois sur place il lui confierait ses tâches. Pourtant, les commissions mixtes ont été créées pour définir une liste des postes chaque année et par ordre de priorité. La hausse des effectifs s'explique aussi par le développement du secteur privé et parapublic où les salaires sont plus élevés que dans l'administration. Ce secteur attire au fur et à mesure des étudiants sénégalais ou des jeunes fonctionnaires. La partie française a contribué également à la hausse de l'assistance technique au Sénégal. En effet les autorités françaises n'ont pas réussi à passer d'une coopération de complaisance à une coopération d'objectifs plus volontaires et plus sélectifs. Ce qui veut dire qu'il est temps de rompre avec la coopération de substitution. Par exemple, dans l'enseignement supérieur, certains agents continuent de dépendre de l'éducation nationale alors que le ministère de la coopération à la charge de ce secteur. Par conséquent, le recrutement est confronté à un problème de coordination. Le Gouvernement sénégalais a de plus en plus recours à l'assistance technique car la partie française n'est pas toujours à jour pour l'envoi des agents. Cela est dû au désistement de certains coopérants. En l'année scolaire 1977-1978, quarante coopérants devant servir dans l'enseignement secondaire étaient absents si nous référions au dire de l'ambassadeur français au Sénégal. Ce sont des agents qui ont désisté et que le ministère de la coopération cherche à remplacer. Compte tenu de toutes ces circonstances, le Gouvernement sénégalais a préféré recruter directement ses coopérants. Les agents de coopération ne sont plus motivés à servir en Afrique du fait des problèmes liés à leur réintégration et l'évolution de leur carrière. Le problème fut exposé par l'ambassadeur dans une lettre du 25 novembre 1976 pour donner suite à des protestations de coopérants : « Le bureau SNESUP a préféré par égard pour le pays d'accueil transformer l'intention de grevé en motion de protestation qui m'a été remise ». Les problèmes énumérés sont : « le déroulement des carrières n'est plus

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assuré, l'impossibilité de titularisation pour les contractuels remplissant les conditions, les possibilités de réintégration sont bloquées »100.

Après l'examen de ce qui précède nous avons constaté que l'assistance technique est restée le centre des préoccupations de la coopération franco-sénégalaise. Dans le cadre des nouvelles orientations de la coopération, il fallait revoir les modalités et les mécanismes pour la rendre plus efficace. Les propositions du Gouvernement du Sénégal en matière de globalisation semblent aller dans ce sens et reçoivent l'approbation de la partie française. Le système de globalisation permet de réduire les dépenses de l'assistance technique pour les autorités françaises. Il donne plus de liberté aux États africains dans le recrutement d'agents de coopération. Après l'accord du Président de la République française aux propositions du Président Senghor, les techniciens du ministère de la coopération ont étudié les nouvelles dispositions. Selon une note du directeur de la coopération technique et culturelle, il s'agit entre autres : « d'expliquer à nos partenaires sénégalais que nous avons en charge la reconversion des coopérants français à leur retour en France, et que nous ne pouvons pas être indifférents à l'augmentation des effectifs d'assistants techniques. En particulier, la plupart des enseignants qui ne sont pas fonctionnaires estiment avoir droit à la titularisation du fait de leur service en Afrique. [...]. En conséquence, il convient d'envisager avec nos partenaires du Sénégal, l'étude d'une nouvelle forme juridique de recrutement du personnel non titulaire. Les contrats seraient signés directement entre le Sénégal et la personne privée concernée. L'État français n'interviendrait qu'en garantie des obligations de l'Etat sénégalais, pour recruter les candidats, enfin pour assurer leur reconversion à leur retour en France »101. Ces propositions semblent convenir aux deux parties. En 1977, nous avons même noté une légère augmentation du nombre de coopérants qui passe de 1312 à 1518. Par ailleurs, cinquante-cinq postes ont été créés dans le cadre de la globalisation. Nous ne sommes pas en mesure de dire si le système de globalisation a eu les résultats escomptés en matière de qualité d'enseignement par manque de documentation. Mais nous avons vu que les techniciens du ministère de la coopération avaient suggéré au Sénégal d'inscrire le montant que lui coûterait chaque coopérant français et de le comparer à un agent sénégalais. En d'autres termes , ils lui recommandent de privilégier le recours aux nationaux Ils avaient raison car le système de globalisation a finalement coûté trop cher au Gouvernement sénégalais. Dans une note pour le ministre du 22 juillet 1981, nous pouvons lire ceci : « [...] 3 milliards de francs CFA, la

100 Ibid.

101 Archives nationales, Paris, Coopération, Cabinet et service rattaché au pré du ministre, Chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/2.

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somme due par le Sénégal de septembre 1980 au 30 juin 1981. A cet égard, il conviendrait sans doute de tirer la leçon de l'échec de la globalisation au Sénégal et de rechercher un positif correspondant mieux à la situation financière de ce pays »102. Si le Gouvernement sénégalais avait eu recours à ses nationaux, il pourrait éviter des dépenses excessives et accomplir la sénégalisation entamée depuis le début des années 1970.

L'assistance technique ne se limite pas aux agents qui sont sous contrat et qui servent sur place. Il faut prendre en compte les experts qui partent en mission sur demande du Gouvernement sénégalais. Nous avons repéré plusieurs missions d'experts dans la période suivant la révision des accords. Ces missions sont coûteuses, et nécessitent d'avoir des objectifs bien définis, ce qui fait que certaines demandes ont été rejetées ou classées sans suite. C'est le secteur agricole qui est en tête, car il est au coeur des préoccupations du Gouvernement sénégalais. En effet, l'économie de traite s'est maintenue au Sénégal après l'indépendance et l'arachide reste le principal produit d'exportation du pays, également indispensable aux industries locales. Le Gouvernement sénégalais souhaite également limiter ses importations alimentaires et il s'est lancé dans une politique d'auto-suffisance alimentaire à travers l'agriculture irriguée. C'est dans ce cadre que la France est sollicitée pour le financement de ce projet, donnant naissance à la SAED(Société d'aménagement et d'exploitation des terres du Delta) en 1965. L'objectif était de réduire le déficit alimentaire et d'exporter le riz cultivé dans le Delta du fleuve Sénégal. L'assistance technique française à ce niveau s'est centrée sur la participation au financement et l'envoie d'experts. Ces derniers devraient s'occuper de l'aménagement des superficies cultivables, de l'encadrement des paysans ainsi que de leur formation. Nous ne sommes pas en mesure d'estimer le coût de la participation de la France. Mais certains observateurs ont avancé l'hypothèse d'un échec de l'entreprise : « Le choix des autorités sénégalaises a été de favoriser la production de riz en culture irriguée dans la vallée du fleuve Sénégal avec pour objectif de produire à terme les trois cents milles tonnes de riz qui sont importés. Ce choix entraîne des coûts excessifs, triples de ceux du riz importé »103. En 1981, la SAED disparaît à la suite du désengagement de l'Etat sénégalais dans le cadre de la mise en place des PAS. Il faut prendre en compte les caractéristiques climatiques du milieu: le Sénégal est un pays du Sahel, confronté aux aléas climatiques, il a souffert de la sécheresse et de la désertification dont la plus importante est celle de 1973-1974.

102 Archives nationales, Paris, Coopération, Direction des politiques de développement, Secrétariat des programmes (1962-1984), cote 19960069/13.

103 Rodney Walter, Et l'Europe sous développa l'Afrique. Analyse historique et politique du sous-développement, Paris, Editions Caribéennes, 1986, pp. 251-252.

104 Archives nationales, Paris, « Coopération, Cabinet et service rattaché auprès du ministre, Chargé de mission (1959-1985) », cote 20000137/4.

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Dans la seconde partie de notre étude, nous n'avons pas pris en compte l'accord de coopération en matière économique et monétaire du fait de son caractère multilatéral. Il est important d'y revenir pour pouvoir aborder l'investissement français au Sénégal depuis la révision de cet accord. Pour mémoire, la partie sénégalaise avait déjà émis des critiques sur les modalités d'exécution des programmes du Fonds d'aide et de coopération(FAC) et de la Caisse centrale de coopération économique(CCCE). Dans une dépêche du 21 février 1974, l'ambassadeur français au Sénégal a transmis les exigences sénégalaises en ces termes : « Les Sénégalais contestent les modalités d'exécution des projets qui leur sont imposés dans les conditions particulières des conventions de financement, et qui n'ont pas prévues d'accords parties. Ils demandent en particulier que l'exécution des projets soit faite conformément aux lois et règlements sénégalais en matière administrative et financière. [...] que l'approvisionnement en matériels, fournitures soit fait en priorité sur le marché sénégalais et subsidiairement sur les marchés de la zone franc même si les prix sont plus chers sur le marché sénégalais. Les sénégalais souhaitent en fait que le FAC n'impose pas pour l'exécution des projets, des personnels français alors qu'existent des cadres sénégalais de compétence équivalente »104. Ces critiques de la part des Sénégalais portent sur la méthode d'intervention de ces deux institutions durant la première décennie de l'indépendance. Il faut noter que ces institutions sont héritières de la période coloniale. En effet la CCCE a remplacé la Caisse centrale de la France libre qui a été créée par ordonnance du 2 décembre 1941. Le 2 février 1944, elle devient la Caisse centrale de la France d'outre-mer, et le 30 décembre 1958, elle prend la dénomination de la caisse centrale de coopération économique, un établissement public et une institution financière destinée à jouer un rôle de banque de développement pour les Etats de la Communauté de 1958. Quant au FAC, il est issu du Fonds d'investissement pour le développement économique et social (FIDES) des territoires d'outre-mer mis en place le 30 avril 1944. Le FAC finance l'assistance technique, la coopération militaire et accorde des financements pour les infrastructures économiques et sociales. C'est dans ce cadre que depuis l'indépendance ces deux institutions interviennent dans le financement de plusieurs projets au Sénégal. La part du Sénégal dans l'investissement français en Afrique reste importante. Il occupe la quatrième place pour les prêts de la CCCE et la neuvième pour le FAC avec un taux de 9,89%. L'aide s'est crue dans les années 1970, passant de 306 millions de Francs en 1974 à 440 millions de Francs en 1977. Ces tendances sont confirmées dans une note pour le ministre de la coopération français: « Au cours des dernières années, bien que le

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Sénégal ait pu juger insuffisante l'aide française il n'en est pas moins, l'un des pays les plus aidés tant par le volume de l'assistance technique apportée à la formation de ses cadres et au fonctionnement de ses services publics, que par celui des concours financiers »105. Toutes les statistiques reconnaissent qu'après la Côte d'Ivoire et le Gabon, c'est le Sénégal qui attire le plus l'attention en matière d'aide. Cette tendance conforte l'hypothèse selon laquelle l'aide française s'oriente plus vers les pays les moins «nécessiteux». En d'autres termes, l'aide est liée à la richesse du pays en matières premières stratégiques. Contrairement aux autres bailleurs de fonds, la France accorde l'aide la plus élevée aux pays ayant le plus fort PIB par tête comme le Togo, le Gabon et le Maurice. Pour le cas du Sénégal, ce n'est pas la somme qui pose problème, ce sont plutôt les modalités et l'efficacité de cette aide qui sont remises en cause. La Caisse centrale n'intervient qu'à la demande de l'Etat sénégalais, et son intervention est soumise à des raisons d'efficacité dans la gestion du projet. C'est à travers les programmes du Plan quadriennal, utilisé comme moyen de planification depuis l'indépendance que le Gouvernement sénégalais soumet sa demande à la Caisse. Dans son ouvrage intitulé Pouvoir financier et indépendance économique en Afrique. Le cas du Sénégal, Guy Rocheteau retrace l'histoire des différentes interventions de la Caisse depuis l'indépendance. D'après son analyse, les critères de sélection des projets de la caisse sont trop rigoureux et n'encouragent pas l'investissement industriel productif sur place. Dans ce cas, l'intervention de la caisse profite aux grands groupes industriels français au détriment de l'intérêt national sénégalais. Nous pouvons reprendre quelques passages de son texte à ce propos : « Les difficultés de fonctionnement de la BNDS (Banque nationale du Sénégal) et des Établissements publics sénégalais enregistrés jusqu'aux environs de 1972, ont justifié qu'un certain nombre de dossiers qui lui étaient présentés n'aient pas reçu de suites ou aient été rectifiés en fonction de ses propres exigences propres. Les améliorations apportées dans l'administration des services publics expliquent ainsi, en partie, la disparition presque complète à partir de 1974 des prêts directement consentis à des sociétés privées au profit des Sociétés partiellement ou totalement sous le contrôle économique de la Puissance Publique »106. Les investissements de la Caisse au Sénégal sont concentrés dans les industries destinées au marché français particulièrement les matières premières dont les produits finis constitueront les exportations de la France vers le pays. Rocheteau le résume ainsi : « La Caisse centrale a concentré ses efforts, jusqu'à date récente, sur l'exploitation des mines de phosphates de Taïba, sur l'extension ou la création

105 Ibid.

106 Rocheteau Guy, Pouvoir financier et indépendance économique en Afrique. Le cas du Sénégal, Paris, Karthala, 1982, pp.115-116.

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d'unités industrielles venant en substitution d'importations et sur la création ou l'extension d'activités impulsées par un développement ainsi contenu dans les limites très traditionnelles et dont elle n'a guère cherché à modifier la trajectoire »107. Il renchérit : « Tous les investissements industriels au Sénégal ayant bénéficié d'avance à long terme de la CCCE ont été réalisés à titre exclusif ou principal par des entreprises françaises et les plus importants d'entre eux ont donné lieu simultanément à un courant d'importation de biens d'équipement français, repérable au niveau des achats sur crédit de fournisseurs garantis par la COFACE(Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur) »108. Nous pensons que ces propos appuient les critiques émises par les Sénégalais et que nous avons soulignées plus haut. Ils affirment également le caractère lié de l'aide français. Le schéma consiste à se fournir en équipements auprès de fournisseurs français et recourir aussi à des experts français. « Une aide de 100 francs accordée par le Fonds d'aide et de coopération entraîne en achat de produits français qui peut être évalué entre 67 et 72 francs ! »109. Cependant il faut nuancer ce point de vue car la Caisse intervient également dans des projets d'intérêt national pour le Sénégal, finançant « tous projets ayant pour caractéristique commune de permettre au Sénégal de valoriser sur place ses ressources naturelles et d'envisager une politique d'exportation de ses produits finis (Société sénégalaise d'armement à la pêche(SOSAP), Société de maraîchage industriel(BUD-Sénégal)issue d'une convention bilatérale entre l'Etat sénégalais et la bud-Hollande, Société de développement et de fibres textiles (SODEFITEX) ). Elle a de même participé au lancement de grands projets comme la zone franche industrielle de Dakar dont elle a financé la premier phase »110. Quant au FAC, c'est le même schéma qui se dessine puisqu'il est en partie intégré à la CCCE. Le montant des crédits accordés au Sénégal par le FAC de 1973 à 1981, s'élève à 320760000 francs français soit une moyenne annuelle de 35640000 francs français.

Le bilan de l'intervention française au Sénégal reste mitigé. Depuis l'indépendance, elle n'a cessé d'accompagner le Sénégal dans ses objectifs de développement économique et social. La France est intervenue dans ce cadre par le biais de l'assistance technique et des investissements. Ses agents de coopération ont fait fonctionner les services publics du Sénégal au moment où le pays peinait à former ses nationaux. De plus, elle a financé et accompagné plusieurs projets de développement. Cette intervention française était d'une importance telle que certains observateurs ont commencé à s'interroger sur la souveraineté réelle du pays.

107 Idem, p.119.

108 Idem, p.120.

109 Brunel Sylvie, Le gaspillage de l'aide publique, Paris, Editions du Seuil, 1993, p.57.

110 Rocheteau, op.cit, p.122.

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Cependant, il est opportun de souligner les limites de la coopération franco-sénégalaise. Parmi les plus significatives, se trouve la question de l'efficacité de la gestion de l'aide. En effet, cette dernière n'a pas pu véritablement atteindre son objectif premier: le décollage économique et social du Sénégal. Deux décennies après l'indépendance, le pays se trouve encore dans une situation économique catastrophique. Il est obligé d'appliquer une politique d'austérité à partir de 1981 dans la mesure où il a signé un accord d'ajustement structurel avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Cette décision marque le début du désengagement de la France qui n'a plus les moyens d'agir toute seule dans le pays. Néanmoins, elle participe aux négociations du Programme d'ajustement structurel(PAS) par le biais de ses experts. Elle reconnaît aussi, d'une certaine manière, sa part de responsabilité dans la situation du pays et décide d'apporter une aide d'urgence dans la plus grande discrétion111. Les autorités françaises pensent que le PAS est la meilleure solution pour sortir le pays de la situation. Ce programme a pour objectifs principaux: d'assurer une stabilisation économique et financière au cours des deux premières années ainsi qu'une croissance économique soutenue au cours des trois dernières années. Pour atteindre de tels objectifs, le pays doit arriver à l'augmentation de l'épargne publique, à la croissance limitée et sélective des investissements, à l'amélioration de la dette extérieure et à l'expansion de la production agricole. C'est sur la base de ces principes que la France conditionne sa contribution au PAS si nous référons à une dépêche de l'ambassadeur français au Sénégal datée du 24 juillet 1981 : « Sur la base de ces recommandations, le gouvernement français a décidé d'apporter une contribution importante à l'effort que vous avez entrepris pour rétablir les équilibres économiques et financier et engager le Sénégal dans la voie d'un nouveau développement. Cette aide a revêtu diverses formes : avance immédiate de trésorerie, prêt de la Caisse centrale de coopération économique, intervention du trésor français pour le réaménagement de la dette publique dans le cadre du Club de Paris, remise des arriérés dues au titre des charges de l'assistance technique, intervention accrue du Fonds d'aide et de coopération, et éventuellement, subvention budgétaire en 1982 »112. En définitive, cette période peut être envisagée comme le passage du « paternalisme français » vers d'autres partenariats plus internationaux. Cependant cette transition ne s'effectue pas sans l'accompagnement de la France. Considérant la proximité temporelle de la période que nous étudions, nous estimons

111 Archives nationales, Paris, Coopération, Direction des politiques de développement, Secrétariat des programmes(1962-1984), cote 19960069/13.

112 Archives nationales, Paris, « Coopération, Direction des politiques de développement, Secrétariat des programmes (1962-1984) », cote 19960069/13.

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qu'il est trop tôt pour avancer des conclusions sur les résultats du PAS dans le pays. Cependant, nous avons vu que les populations ont souffert tout au long des cinq premières années du PAS.Pour une analyse plus approfondie sur le sujet, nous pouvons se référer aux travaux de Gilles Duruflé, L'ajustement structurel en Afrique(Sénégal, Côte d'Ivoire, Madagascar), 1988. Au vue de tous ces éléments, les observateurs ont eu le mérite de s'interroger sur l'efficacité de l'aide. Le Sénégal ne semble répondre à aucun «des traitements prescrits» par les économistes pour pouvoir sortir du sous-développement. Nous ne sommes pas en mesure de savoir si le Sénégal s'était libéré de la dépendance économique de la France, il aurait pu réussir son décollage économique. Si nous nous basons sur sa situation géographique et ses avantages infrastructurelles au moment de l'indépendance par rapport aux autres pays africains francophones, nous pensons qu'il aurait eu la capacité de développer une industrie florissante, en reconquérant l'ancien marché de l'AOF et en privilégiant le partenariat Sud-Sud notamment dans la zone de l'Union économique et monétaire de l'ouest africaine(UEMOA). Pour pouvoir savoir si la coopération franco-sénégalaise a été décisive dans la marche du pays vers le progrès, il est nécessaire d'analyser et de mesurer ses impacts. Pour se faire nous pensons qu'étudier la perception qu'en ont eu les populations concernées est le meilleur moyen de s'en rendre compte.

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Chapitre 2: Impacts de la coopération franco-sénégalaise

La France est restée pendant longtemps un partenaire traditionnel pour le Sénégal. Cela n'est pas sans conséquences. En effet, les Sénégalais ont tendance à percevoir la France comme l'ancien colonisateur qui malgré l'indépendance a maintenu sa présence dans le pays. Cette situation remet en cause l'idée même d'indépendance. Nous l'avons vu plus haut, l'assistance technique, l'accord sur la circulation des personnes et la convention d'établissement, renforçant la présence française, les Sénégalais se sentent exclus de la gestion de leur propre pays. Ces assertions convergent pour annoncer notre hypothèse: les populations ont aussi leur point de vue sur la coopération franco-sénégalaise. En d'autres termes, il est opportun de recueillir leur témoignage sur le sujet. C'est une tâche qui s'annonce difficile car les documents émanant de ces populations sont rares. Souvent c'est le gouvernement qui s'exprime à leur place. Cependant, ce manque de documentation ne doit pas être une entrave. Les populations, étant les bénéficiaires directes de cette coopération sont les mieux placées pour s'exprimer. Nous tenons à souligner dans cette partie que les sources dont nous nous appuyons sont en quelque sorte subjectives. Les deux sources que nous avons utilisées sont produites par des militants et syndicalistes. Nous pensons que leur témoignage peut être représentatif de l'opinion des populations.

En ce qui concerne la période de révision des accords de coopération, nous nous appuyons sur l'ouvrage de Sally Ndongo, Coopération et néocolonialisme. Ce dernier considère que ce sont les immigrés qui sont les victimes de la coopération franco-sénégalaise. Son témoignage est important du fait qu'il est lui-même immigré et dirige l'Union générale des travailleurs sénégalais en France. Ndongo dénonce les conditions de travail et de logement des immigrés africains d'une manière générale et particulièrement des immigrés sénégalais. Pour comprendre sa position, il faut revenir sur le mouvement migratoire du Sénégal vers la France. En effet, la plupart des ressortissants sénégalais en France sont issus de la région du fleuve Sénégal. Cette dernière est confrontée à la sécheresse qui accroît davantage la pauvreté des populations. Nous avons précédemment évoqué les énormes investissements agricoles pour l'aménagement du Delta dans le cadre de la SAED. Ce sont les conséquences de tels aménagements combinées aux aléas climatiques qui ont poussé les paysans à migrer vers la France. Ndongo, issu de cette communauté, était paysan à la base. Il

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a débarqué en France en tant que «boy» de cuisine avant de trouver un travail à la mairie de Puteaux. Dans son ouvrage, il fait une comparaison entre les nationaux sénégalais résidents en France et les Français qui vivent au Sénégal. Si les seconds bénéficient de tout le confort nécessaire pour résider au Sénégal, les premiers peinent à trouver un logement et un travail décent.Ndongo ne donne pas de références pour étayer ses dires mais nous avons démontré dans le deuxième chapitre de la première partie la place importante qu'occupe les expatriés français dans l'économie du Sénégal. Il s'indigne sur la complicité des États africains face à l'exploitation de leurs ressortissants. Pour le cas du Sénégal, il condamne Senghor et son gouvernement qui n'ont pas veillé à l'application des accords signés avec la France surtout en matière de sécurité sociale. Ndongo nous livre des faits importants à ce propos. D'après lui, les travailleurs sénégalais cotisent pour la Caisse d'assurance française mais pour se soigner ou percevoir l'allocation(logement, retraite) demeure un parcours du combattant, ce qui décourage les bénéficiaires. En matière de logement, les travailleurs africains sont cantonnés dans des foyers contrairement aux Français qui ont un logement décent à disposition au Sénégal dans le cadre de leur travail. Le point le plus important est la perception des Français vis-à-vis des immigrés africains. Ces derniers sont souvent confrontés à des maladies tropicales qu'ils peuvent contracter ou d'autres, mentales comme l'affirme Ndongo : « Les troubles psychiatriques surviennent le plus souvent dans la période de la crise d'adaptation, du troisième au sixième mois de séjour »113Selon lui, les immigrés africains sont perçus comme une main-d'oeuvre facile à exploiter par le patronat. Ces passages de son ouvrage nous en dit beaucoup : « toute tentative d'adhésion de sa part à un syndicat provoque, de la part du patronat, des mesures d'intimidation plus directe. Il y a plus : alors qu'en vertu des accords passés entre son pays et la France l'exercice de ses droits syndicaux dans ce dernier pays lui est garanti en principe, il découvre que de sérieuses restrictions en réduisent considérablement la portée »114. Quant aux forces de l'ordre, elles soumettent ces immigrés à un contrôle permanent. Dans ce même ouvrage, il nous transcrit le témoignage d'un étudiant sénégalais qui s'est marié avec une Italienne. Cet étudiant a été victime de violence policière dans la gare malgré le fait qu'il tenait son bébé d'un an et demi dans les bras : « Leurs coups étaient si violents que j'avais perdu connaissance. C'est ainsi que je n'ai pas su à quel endroit j'étais ensuite conduit ». Si les autorités sénégalaises ne semblent pas préoccupées par le sort de ses ressortissants, c'est que pour elles, d'après Ndongo, l'immigration est perçue comme une opposition à la construction nationale. Cela est d'autant plus vrai lorsqu'il s'agit d'

113 Ndongo Sally, Coopération et néo-colonialisme, Paris, Librairie François Maspero, 1976, p.150.

114 Ibid., p.103.

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étudiants que le Gouvernement cherche à tout prix à contrôler et pour cause l'opposition au régime se forme le plus souvent en France. Les syndicalistes entrent également dans cette catégorie. Ndongo représente ainsi la parfaite illustration de ce mouvement et il sera réduit à une situation d'exil de fait jusqu'au départ de Senghor en 1981.Mahamet Timera, professeur de sociologie à l'université de Paris Diderot, spécialiste des migrations et auteur de Les Soninkés en France. D'une histoire à l'autre. (1996) nous le confirme dans un article en ces mots : « Du point de vue de beaucoup d'États d'origine, la France, première destination, sera perçue comme une sorte de sanctuaire de l'opposition. Opposition au néocolonialisme des gouvernements africains et français même si l'État français était loin d'être tendre avec les militants et les syndicats étudiants africains (FEANF ou Fédération des étudiants d'Afrique noire en France, Association des étudiants sénégalais en France) »115.

Il faut savoir qu'en France, la présence de travailleurs africains est davantage ressentie par les populations qui sont voisines et collègues de travail. Ce qui fait que ces travailleurs sont jugés responsables de la perturbation de leur environnement direct ou, avec le regroupement familial, de l'échec de leurs enfants à l'école.Cette perception n'a cessé de creuser le fossé entre ces deux peuples qui cohabitent. Olivier Milza le souligne dans son article en ces termes: Cette concentration conduit à la constitution de véritables ghettos, à un climat tendu qui facilite la propagation du racisme. De plus, pour de nombreuses familles françaises, l'attribution d'un logement est retardée. A l'école, les enfants français et immigrés étudient dans de mauvaises conditions. Pour les communes, les dépenses sociales s'accroissent fortement»116 Pour la bourgeoisie française, leur présence est moins dérangeante du fait qu'elle les côtoie rarement. Ce milieu privilégié, au nom de la charité ou d'un certain humanisme, n'hésite pas débourser son argent pour des associations qui plaident pour la cause du Tiers-monde. Pour les hommes politiques surtout de droite, il faut traiter les immigrés africains selon le désir de leurs dirigeants. Ils ne peuvent pas assurer un logement et un travail décent à un travailleur sénégalais qui incarne l'opposition du Gouvernement Senghor. Ce Point de vue est confirmé dans un article de Philippe Rygiel quand il note que: « à l'intérieur, les rapports du gouvernement; qui tentent en contradiction tout à la fois avec les normes juridiques, les engagements internationaux de la France et le soucis de certains secteurs de la droite française de conserver de bons rapports avec les ex-colonies, rencontrent

115 Timera Mahamet, « Mots et maux de la migration. De l'anathème aux éloges », Cahiers d'études africaines, 30 juin 2014, p.30.

116 Milza Olivier, «La gauche, la crise et l'immigration. Années 1930-Années 1980», In: Vingtième siècle, revue d'histoire, no 7, juillet-septembre 1985, p.136.

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une opposition multiforme, à gauche bien sur, mais aussi au sein de l'appareil d'état et d'une partie de la majorité»117Quant aux militants de l'ultra-gauche, ils considèrent les travailleurs africains comme faisant partie intégrante de la classe ouvrière française. Selon ce même auteur: «Les conditions de vie et de travail faites aux migrants sont, dans la foulée du moment 1968, vigoureusement dénoncées par des mouvances d'extrême gauche et une partie des forces syndicales»118. Cette coalition de gauche regroupe le parti communiste et le parti socialiste. Ces deux partis n'étaient pas toujours dans la même longueur d'onde car le parti communiste qui défendait l'intégration des immigrés dans la classe ouvrière dans une note de J. Perrot: « L'immigration est un facteur important de l'accroissement des rangs de la classe ouvrière»119 , change de position en 1981 pour un retour au pays dans le but de réabsorber le chômage. Au même moment le parti socialiste se réapproprie leur position selon les dires de Milza: «Il s'agit surtout, pour les socialistes, de promouvoir, non l'assimilation, mais l'insertion sociale des immigrés résidents, en particulier par l'affirmation de l'égalité des droits»120. Il renchérit en rapportant les propos d'Emmanuel Plas dans l'hebdomadaire l'Unité: «On ne peut pas isoler la population immigrée de l'ensemble de la classe ouvrière. De fait ... c'est tout le parti qui doit se mobiliser sur les principes de l'internationalisme et du front de classe»121. En dehors de cette frange de l'opinion, il faut le noter, des Français ordinaires souvent anonymes se sont engagés dans la lutte des immigrés africains surtout dans le domaine de la santé et du logement.

En somme, la coopération franco-sénégalaise a eu un impact sur le territoire français. Les nouveaux accords de coopération relatifs à la circulation des personnes et à l'établissement ont réussi à limiter le nombre d'entrées sur le territoire. Cependant, le système de regroupement familial a perturbé le quotidien de certains nationaux français qui doivent cohabiter désormais avec d'autres familles africaines, une cohabitation qui est parfois mal perçue des deux côtés. L'adaptation du travailleur sénégalais sur le territoire français était difficile du fait de la culture et de la langue d'autant plus que ces travailleurs sont majoritairement des ruraux et des analphabètes. À travers l'exemple de Sally Ndongo, nous savons qu'ils ont dû se battre pour leur existence et la reconnaissance de leurs droits. Ils ont contribué à la fin de l'exploitation de certains travailleurs par leurs patrons qui les gardent

117 Rygiel Philippe, Les politiques d'immigration en France des années 1970 aux années 1990, Les cahiers de

l'institut de la Confédération générale du travail d'histoire sociale, 2013, p.23.

118 Idem

119 Milza Olivier, op.cit., p.132.

120 Ibid, p.134.

121 Idem, p.136.

122 Le film a été tourné en langue wolof que nous maîtrisons. Nous avons pris l'initiative de transcrire en français certains extraits.

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dans l'illégalité. Le Gouvernement sénégalais aussi a modifié sa stratégie vis-à-vis de ses ressortissants. D'abord en 1981, il signe un accord pour le retour et l'insertion des travailleurs sénégalais immigrés temporairement en France même si nous avons souligné le caractère flou de cet accord plus haut. Puis, dès 1983, un ministre délégué chargé des immigrés est mis en place au gouvernement. Cependant, nous savons que ces deux initiatives ont montré très tôt leurs limites, particulièrement dans le cas du ministère qui a été dirigé par une syndicaliste de la mouvance présidentielle à savoir Fambaye Fall Diop dans le but de contrer les revendications des Sénégalais de l'extérieur. Dans une démarche similaire, nous analyserons dans cette sous-partie l'impact de la coopération franco-sénégalaise sur la population sénégalaise et la perception de cette population vis-à-vis des Français installés au Sénégal.

Il est difficile de retrouver des traces écrites du point de vue de la population sénégalaise sur la coopération franco-sénégalaise. Néanmoins un film de Sembene Ousmane sorti en 1992 sous le titre de Guelwaar, nous permet d'appréhender ce point de vue. Nous avons à l'esprit que ce genre de source n'est pas historique car relevant de la subjectivité. De ce fait, il ne traduit pas fidèlement la réalité. Il s'agit d'une comédie qui met en scène une famille catholique et une famille musulmane pendant une période de deuil. Le personnage principal, Guelwaar est un père de famille catholique qui est décédé et son cadavre est sur le point d'être enterré dans un cimetière musulman à la suite d'une erreur administrative. À cette occasion, le chef major de la gendarmerie est intervenu pour régler la situation. Or le gouverneur de la région ainsi qu'un politicien sont également impliqués dans cette histoire. Nous avons cité ces autorités représentatives du Sénégal de l'époque car elles ont joué un rôle dans la mort du personnage principal. Au-delà de cette intrigue, le film relate la vie du défunt dans un contexte marqué par une sécheresse et une famine chez les paysans. Le film montre bien que ces derniers sont devenus dépendants de l'aide alimentaire qui passe par les autorités politiques en l'occurrence, le député maire Fall. Ce dernier l'utilise comme moyen pour se faire réélire. Lors d'une réunion dans la famille du défunt, l'une des femmes de l'ami de ce dernier avait déjà dénoncé l'aide alimentaire en ces termes : « Jamais nos parents n'ont attendu de personne, encore moins des toubabs, leur nourriture pour eux et pour leurs enfants. Sans les toubabs, toi et tes semblables au gouvernement vous crèverez de faim. Et tu parles d'Indépendance ! L'Indépendance est valable pour le père de famille qui nourrit sa famille. S'il ne le peut pas, il n'est pas indépendant. Des épaves ! Aucune dignité ! »122. Cette femme s'adresse à son mari qui est incapable de prendre soin de sa famille et qui se permet

123 Même procédé.

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d'épouser une seconde femme. Ces mêmes remarques refont surface lors d'une cérémonie de distribution de dons alimentaires qui réunit les donateurs, les autorités politiques et le peuple, Guelwaar a pris la parole et dénoncé ce qu'il appelle mendicité. Voici en résumé son discours : « Un doigt pointé à l'horizon indique un chemin. Cinq doigts tendus, adressés à un étranger signifie la mendicité. Nos dirigeants nous ont réunis pour pouvoir accéder à l'aide. Regardez nos dirigeants qui remercient sans cesse à notre nom les donateurs. Nous, le peuple, qui n'avons pas de parole et qui dansons pour l'aide. Aucune dignité! Il faut ouvrir les yeux. Aucune famille ne peut se fonder sur une perpétuelle mendicité. Depuis trente ans, les mêmes cérémonies se passent ici et ailleurs. L'aide qu'on nous distribue va nous tuer. Elle a tué toute dignité et tout courage. Est-ce que vous saviez que les donateurs de l'aide se moquent de nous. Et que nos enfants qui vivent chez eux ont honte. C'est nous seuls qui pouvons changer les choses. La sécheresse, la famine sont accrues à cause du pays qui quémande sa survie auprès d'autrui. Et leur seul mot sera merci ! Merci ! »123. C'est ce discours qui le conduit à la mort car le député-maire souhaitait le faire taire à jamais. Après que son cadavre fut déterré du cimetière musulman pour le ramener dans sa «demeure éternelle», les enfants de sa communauté arretent le camion chargé de dons alimentaires sur le chemin du retour. Ils vont détruire tous les sacs de riz, de farine et de maïs et les piétinent. Un tel acte symbolise le boycott de l'aide et une prise de conscience vis-à-vis des autorités politiques qui sont finalement dépendantes de l'aide.

Il faut savoir que l'auteur de ce film, Sembene Ousmane, à travers la littérature et le cinéma a mis en scène de manière critique les rapports entre Européens et Africains depuis son roman Le docker noir(1960) en passant par Xala(1975) et Le Mandat(1968). De fait, pour nous ce film constitue bien un document alternatif, aux textes officiels, pour pouvoir comprendre les relations franco-sénégalaises.

L'aide et notamment alimentaire arrivant souvent par l'entremise d'un intermédiaire, n'est pas nécessairement illustrative du contact direct entre Français et Sénégalais après les nouveaux accords de coopération. Pour mieux saisir la cohabitation entre les deux peuples sur le territoire sénégalais, il convient de s'intéresser aussi aux coopérants.

Pour la majorité des Sénégalais, les coopérants prennent la relève des fonctionnaires coloniaux français dont un certain nombre les obligent à payer l'impôt et, dans tous les cas, vivaient dans un certain confort. L'application des nouveaux accords de coopération ne modifie pas fondamentalement le train de vie des expatriés français. La sénégalisation des

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postes ne touche que des emplois subalternes et la direction et le capital étant toujours dans la main des expatriés. Cette situation a accentué la frustration des nationaux envers ces derniers. L'opinion publique sénégalaise a pu voir le Sénégal comme une province française dirigée par Senghor qui ne faisait qu'obéir à des ordres venus de Paris. Nous nous permettons d'employer cette expression car Senghor a toujours été vu comme un Français d'une manière générale en Afrique et particulièrement au Sénégal. Cheikh Faye, professeur au département des sciences économiques et de l'administration à l'université de Québec note dans son ouvrage intitulé, Tutelle coloniale. Le Sénégal, 13e territoire d'Outre-mer de la France: « De 1963 à décembre 1980, la préférence française a guidé presque toutes les décisions économiques importantes du Président Senghor, même si les événements de mai 1968, qui ont sérieusement ébranlé son pouvoir, étaient parvenus à faire infléchir, tant soit peu cette doctrine»124De plus, les Français qui résident au Sénégal ne se mélangent pas avec la population. Ils habitent dans les quartiers résidentiels(le quartier de Plateau ou encore celui de Fann) de la capitale. Dans les provinces, ils disposent d'un logement de service. Si en France les immigrés sénégalais par leur habitat insalubre perturbent le décor des nationaux, au Sénégal c'est l'habitat luxueux des expatriés français qui révolte la population. Notre travail se limite à l'année 1982, mais il faut comprendre que le rejet que les Sénégalais ressentent vis-à-vis de la France, notamment au sein de la jeunesse sénégalaise, tire son origine de la période coloniale. Pour pouvoir comprendre ce phénomène, il faut voir la structuration des villes coloniales du Sénégal comme Dakar et Saint-Louis. En effet ces villes étaient divisées en ville blanche et ville indigéne. Par conséquent, les indigènes s'approprient la ville de leur manière en nommant les rues. Pour un approfondissement sur le sujet nous pouvons nous référer aux travaux d'Alain Sinou sur les Comptoirs et villes coloniales du Sénégal. Saint-Louis,Gorée, Dakar.(1993) ou encore les travaux d'Ousseynou Faye, Une enquête d'histoire de la marge, production de la ville et population africaines à Dakar, (tomes I et II 2000)Nous l'avons déjà souligné, le fait que les programmes de développement soient subordonnés aux appréciations des autorités françaises et non aux besoins locaux ont mené le pays aux PAS. Ces derniers ont gelé les emplois de la fonction publique et les problèmes de l'enseignement dont souffre le pays encore aujourd'hui. Même dans le jargon familial, nous retrouvons des expressions de rejet de la France que nous prononçons inconsciemment. Par exemple en wolof : « Dakar avancé, Paris délou guinaw » qui veut dire littéralement : « vive l'avancement de Dakar et le recul de Paris ». Nous pouvons évoquer également les contestations de la statue de Faidherbe à

124 Faye Cheikh, Tutelle postcoloniale. Le Sénégal, 13e territoire d'Outre-mer de la France, Paris, Harmattan, 2020, p.13.

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Saint-Louis ou encore la place de l'Europe à Gorée. Les autorités locales soutiennent que ces monuments font partie du patrimoine historique du pays.

Il faut toutefois noter que dans les campagnes où les coopérants sont en contact direct avec les populations, la perception est différente. Les villageois le perçoivent comme l'encadreur agricole ou l'infirmier qui les secourt ou encore l'agent qui a installé la pompe d'eau potable. Ces réalisations ne laissent pas insensibles les ruraux. La plupart des réalisations de la coopération franco-sénégalaise est médiatisée par la presse écrite et parfois l'Organisation de la radio-télévision du Sénégal(ORTS). Cette publicité contribue à préserver une meilleure image du Français chez les nationaux. Nous pensons que cette meilleure image passe grâce aux autorités religieuses qui jouent un rôle de canalisateur dans le pays. En effet, depuis la colonisation, ces autorités religieuses étaient devenues des partenaires économiques de l'administration coloniale. Elles cultivaient l'arachide qui représentait le principal produit de l'économie de traite. Après l'indépendance, cette place fondamentale de l'arachide n'a pas disparu et les autorités religieuses ont continué d'exercer un certain pouvoir et de disposer de revenus en s'appuyant sur une main-d'oeuvre constituée de ses talibés(disciples). Le Président Senghor avait compris leur importance en passant une alliance avec eux. Cette stratégie lui a permis d'obtenir l'adhésion des populations rurales à son parti. Ce schéma est d'autant vrai avec la confrérie mouride dont le deuxième khalif(successeur et guide) était un ami de Senghor: « Durant le khalifat de Falilou Mbacké, Senghor pouvait profiter de son amitié avec le khalif général et d'une conjoncture politique et économique favorable pour punir les mauvais paysans»125. Nous pouvons nous référer aussi aux travaux de Jean Copans sur Les marabouts de l'arachide (1988) ou ceux de Christian Coulan sur Le marabout et le prince(Islam et pouvoir aSénégal) (1981) pour élargir ce point.

Pour leur part, les hommes d'affaires sénégalais adoptent des positions différentes vis-à-vis des expatriés français. Ils les considèrent comme des concurrents qui pendant longtemps les ont empêché de prendre en main l'économie nationale. La phase de sénégalisation de l'économie n'a pas entièrement changé la donne . En effet, le fait que le capital de la plupart des entreprises au Sénégal est resté étranger, amène les hommes d'affaires à partager avec les expatriés ces sociétés. Par conséquent, ils sont devenus des collaborateurs. Rappelons que les hommes d'affaires sénégalais réclamaient leur participation dans l'économie et non l'éviction totale des étrangers. Par le soutien du Gouvernement, ils sont parvenus à détenir des parts dans des sociétés mixtes. Donc pour les hommes d'affaires,

125 Diop Momar-Coumba, «L'Etat, la confrérie mouride et les paysans sénégalais», In Travail, capital et société, avril 1984, Vol 17, No 1, p.60.

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les Français passent du statut de concurrents à celui de partenaires. Pour les hommes politiques, en particulier ceux de la mouvance présidentielle, les ressortissants français étaient indispensables pour la marche du pays vers le développement. Tous les cabinets ministériels fonctionnaient alors grâce aux conseillers français. Ces hommes politiques considéraient que les nationaux n'étaient pas à la hauteur d'une telle tâche. A titre d'exemple, nous pouvons citer une note de l'ambassadeur de France au Sénégal, à propos de l'Institut national d'éducation populaire et sportive de Thiès. Selon ses dires, «cet institut est composé de 12 membres dont seul le directeur est Sénégalais. Or le Gouvernement comptait le remplacer par un Français126». Ceci confirme une fois de plus l'attitude du Gouvernement sénégalais en matière de sénégalisation. Il estime toujours que les nationaux ne sont pas assez formés pour prendre la relève. Pourtant, les autorités françaises ont encouragé le Gouvernement sénégalais à employer des nationaux. Jusqu'en 1981, la France s'est engagée à verser au Sénégal une subvention compensatoire pour faciliter l'africanisation des postes de professeurs (7.020.000 F en 1975-1976 et doit diminuer chaque année). Il n'était pas nécessaire de préciser les hommes politiques car de 1962 à 1976, il y avait un parti unique au Sénégal. Pourtant, certains partis politiques ont continué à vivre dans la clandestinité. Ce qui fait qu'il est difficile de connaître leur position par rapport à la coopération franco-sénégalaise. Nous pensons que le point de vue des partisans de Mamadou Dia127 peut nous éclairer sur le sujet. Il faut savoir que Dia a cogéré le pays avec Senghor depuis 1958 dans le cadre de la Fédération du Mali, ensuite dans le cadre de la République du Sénégal jusqu'en 1962. Il était partisan du OUI malgré son idéologie indépendantiste et, comme Senghor, considérait que le pays n'était pas prêt pour une indépendance totale. Cependant cette phase prématurée devrait aboutir au bout de quatre ans à une autonomie complète. Donc Dia était tout à fait en accord avec la coopération française. Cependant, il était clair dans la définition de cette dernière : « Nous étions adeptes d'une politique de coopération avec la France, privilégiée du fait des liens historiques et linguistiques nous unissant, mais dans le respect de notre indépendance que nous voulions réelle. D'une manière générale, toute coopération internationale devait s'inscrire dans le cadre que nous avions conçu, en appoint aux objectifs nationalistes que nous nous étions fixés, et dans le respect des règles de conduite que nous avions édictées »128.

126 Archives nationales, Paris, Enseignement supérieur et universités, Direction générale des enseignements supérieurs(1959-1969), cote 19770510/2.

127 Mamadou Dia était sénateur de 1948 à 1956, député du Sénégal de 1956 à 1958, premier ministre dans le cadre de la Fédération et président du Conseil de 1960 à 1962 avant d'être accusé de coup d'Etat et condamné de 1962 à 1974.

128 Patrick Drama Bocar Niang, « Si vous faites l'âne, je recours au bâton ! » Mamadou Dia et le projet de décolonisation du Sénégal : lignes de force, limites et perceptions (1952-2012), In Outre-mer, 2019/1, No 402-403, pp.140-141.

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Partant de cette définition, Dia comptait bien l'appliquer à travers son programme de développement dont les objectifs principaux étaient la diversification de la production, l'autogestion à partir des communautés de base, en voulant à travers les coopératives, libérer les paysans du système de traite arachidière. Ce programme fut développé dans le Plan quadriennal du Sénégal. D'après Dramé et Niang : « Son objectif phare est, sur une période n'excédant pas quatre années, de démanteler l'économie de traite héritée de la colonisation et de mettre fin à la monoculture de l'arachide par la diversification agricole »129. Ces deux auteurs soutiennent que le projet de Dia allait à l'opposé de la politique française de coopération en Afrique : « Quant à l'aide publique au développement, elle est difficilement conciliable avec les objectifs socialistes définis par Dia, en ce sens que c'est la France qui détermine des secteurs prioritaires vers lesquels celle-ci est orientée ». Leur propos est tout à fait fondé car Senghor l'avait déjà averti selon les dires de Dia en ces termes : « Cependant, il faisait de temps en temps l'écho d'amis qui se plaignaient que ma politique était en train d'apeurer les capitaux et qu'à la limite elle les ferait fuir »130. Roland Colin, qui était le chef de Cabinet de Dia et ami de Senghor depuis son parcours universitaire, soutient que c'est son projet de développement qui conduit à la crise de 1962. Par conséquent, il a été écarté et emprisonné jusqu'en 1974. Même si sa position vis-à-vis de la coopération franco-sénégalaise est antérieure à la période de révision des accords, elle reste valable et s'applique à ses « héritiers ». Nous faisons référence aux étudiants et syndicalistes qui sont devenus l'opposition en quelque sorte après l'instauration du parti unique par Senghor en 1963. L'hypothèse émise est que la politique française de coopération a triomphé au Sénégal car tous ses détracteurs ont été écartés. En outre, c'est l'accord de Senghor qui consistait à devenir réellement indépendant au bout de vingt ans a été appliqué à la règle. De fait, son départ du pouvoir en 1981 et le début de désengagement de la France ont annoncé la fin du pacte néocolonial. Il faut attendre l'alternance de 2000, avec le président Wade, pour pouvoir parler d'un véritable retrait français. Celui-ci a été symbolisé par le départ de la base militaire de Dakar, l'arrivée de nouveaux partenaires, notamment les Emirats arabes et la Chine, et enfin la libéralisation du port autonome de Dakar d'où se désengage le groupe Bolloré. Cette période nécessite une étude plus approfondie mais nous voulons résumer l'évolution de la présence française au Sénégal après Senghor.

129 Idem, p. 134.

130 Roland Colin, Thomas Perrot, Étienne Smith, «Alors, tu ne m'embrasse plus Leopold?»In Afrique contemporaine, 2010, No 233, p.130.

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L'application des nouveaux accords de coopération franco-sénégalaise ont modifié de façon partielle les rapports franco-sénégalais. Les nationaux des deux pays n'avaient plus le droit de circuler librement dans le territoire de l'autre partie. Par conséquent, nous avons assisté à des incidents diplomatiques à propos de refoulements de travailleurs sénégalais résidents en France. De leur côté aussi les expatriés français ont vu leur privilège disparaître totalement sur le territoire sénégalais. Nous avons également remarqué que les nouveaux accords de coopération en essayant d'appliquer de nouvelles orientations de la politique de coopération, ont conduit le Gouvernement sénégalais dans le cadre de la globalisation dans un déséquilibre économique important. À cela, il faut ajouter la mauvaise gestion de l'aide et des projets d'investissement inappropriés. Le bilan de l'intervention française est finalement l'application des PAS en 1981 qui consacrent le début du désengagement de la France en Afrique.

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CONCLUSION

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La première révision des accords de coopération franco-sénégalaise ne constitue pas un cas isolé. Elle entre dans la vaste vague de contestations et de remise en question de la politique française de coopération en Afrique qui a débuté dans les années 1970. Si ces mouvements découlent du changement de situation politique et socio-économique des États africains, ils obéissent également au contexte international avec le nouvel ordre économique mondial. Il faut prendre en compte aussi les différents raports demandés par les autorités françaises dans le cadre de sa politique de coopération avec le Tiers-monde ces facteurs, il faut y ajouter, les différents rapports demandés par les autorités françaises sur sa politique de coopération avec le Tiers-monde. Cependant, le cas sénégalais présente quelques particularités. En effet 1972, est considérée comme une date-charnière à la suite des événements de Madagascar qui contestent les accords de coopération franco-africaine. Ce qui fait la particularité du Sénégal est le fait que la coopération avec l'ancienne métropole a été pointée du doigt depuis mai 1968 par les étudiants et les syndicalistes. Par la suite, des réformes ont été faites par le Gouvernement sénégalais dans le but de sénégaliser l'économie du pays et permettre aux hommes d'affaires d'intégrer ce secteur qui échappait au pays au profit des expatriés français. Il faut savoir que mai 1968 a bien poussé les autorités sénégalaises à réviser les accords de coopération en matière d'enseignement supérieur. Dès lors, les rapports franco-sénégalais ont été bouleversés. Même si le Gouvernement sénégalais a soutenu que le Sénégal ne suivait pas la tendance en faisant référence aux autres pays africains à l'instar de Madagascar et de la Mauritanie. Néanmoins, il n'a pas pu résister en demandant la révision de ses accords de coopération avec la France. Dans le discours du Gouvernement c'est le terme réadaptation qui est souvent utilisé.

En tout état de cause, la demande est officielle dès 1973 et la partie sénégalaise a pris l'initiative d'énumérer la liste des accords et a suggéré les lignes directrices à adopter. Toujours fidèle à sa vision, Senghor n'envisage pas la révision comme une rupture avec l'ancienne métropole coloniale. Pour lui, il s'agissait d'une réadaptation voire un réaménagement de ses accords avec la France. Tout au long du processus, il était question de garder les liens très étroits qui unissaient les deux peuples. Dans ses discours,notamment celui de juillet 1973 le mot dialogue est souvent répété et le traité d'amitié et de coopération en est la preuve. Les deux parties ont toujours mis en avant la bonne attente et l'ambiance cordiale lors des phases de négociation. En revanche, nous avons vu que tel n'a pas toujours été le cas. En particulier quand les autorités sénégalaises ont annoncé que certains accords étaient

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devenus caducs ou ne répondaient plus à la situation sans consulter la partie française. Si cet épisode a été facile à surmonter, la suite des conversations s'est annoncée tendue. En effet, la partie sénégalaise était davantage animée par un souci de rendre réciproque l'application des accords au niveau des deux territoires. Le Sénégal s'est souvent vu reprocher le fait d'appliquer à la lettre les accords de coopération contrairement à la partie française. Ce qui fait que les accords relatifs à la circulation des personnes, à l'enseignement supérieur à la pêche et la marine marchande, la convention d'établissement et le concours en personnel ont fait l'objet de désaccord entre les deux parties. Ce sont ces secteurs où les nationaux des deux parties étaient totalement assimilés. Cette assimilation était plus bénéfique aux expatriés français qui détenaient la quasi-totalité du secteur économique. À la suite des évènements de mai 1968, qui ont failli ébranler son pouvoir, le gouvernement de Senghor a été obligé de remédier à la situation. Ce n'était pas une tâche facile car il fallait prendre en compte les différents acteurs à savoir les capitaux étrangers et le peuple. Et nous avons relevé les contradictions du gouvernement à ce niveau. Lors des négociations, la partie sénégalaise a proposé des projets d'accords totalement nouveaux et qui modifiaient la nature des rapports entre les deux pays. La partie française a été même surprise et n'a pas manqué de souligner le caractère sévère de certains articles. Ce fut le cas des deux premiers articles du projet d'accord de coopération sur la circulation des personnes. Nous avons vu dans la première partie que les nationaux des deux parties pouvaient circuler librement d'un territoire à l'autre grâce à l'accord relatif à la circulation des nationaux dans le cadre de la Communauté. Le Sénégal l'a repris à son compte après l'éclatement de la Fédération du Mali. Par conséquent plus d'une décennie, la circulation était libre au niveau des deux territoires. C'est le même schéma qui s'est dessiné dans l'établissement des personnes qui conférait tous les privilèges économiques aux expatriés français. Donc la partie sénégalaise dirigée par Barka Diarra, a élaboré des stratégies qui ont été innovantes. La lecture des projets d'accords de la partie sénégalaise laisse apparaître un changement total par rapport aux accords précédents. Cependant nous n'avons pas manqué de souligner les contre-projets français qui ont réussi à basculer voire démanteler les propositions sénégalaises à leur faveur. Finalement, les accords retenus comportent que très peu d'articles des projets initiaux de la partie sénégalaise. En ce sens, il est difficile de parler véritablement de bouleversement. Ce qu'il faut retenir dans ces phases de négociation sont les tactiques employées par les deux parties pour convaincre leur partenaire. En outre, la partie sénégalaise a montré ses capacités de négociation en tant que nouvel État.

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Les nouveaux accords de coopération franco-sénégalaise furent signés le 29 mars 1974 à Paris sauf trois en septembre à Dakar. La nouveauté de ces accords réside dans la référence au droit commun international. C'est tout à fait compréhensif car nous parlons de normalisation des accords de coopération franco-africaine. Si la rédaction des articles respecte les normes du droit international, nous avons pu repérer un certain nombre de limites au niveau pratique. Il faut noter que le Sénégal avait ratifié l'ensemble des accords signés avec la France depuis le 20 décembre 1974. Il faut en revanche attendre le 19 mars 1975, pour que ces accords reçoivent l'approbation parlementaire en France. Et ils ne seront ratifiés qu'au 16 juillet 1976. Cependant les autorités françaises n'ont pas hésité à anticiper l'entrée en vigueur de l'accord sur la circulation des personnes. L'application de ce dernier a suscité quelques tensions. En effet, des nationaux sénégalais résidant régulièrement sur le territoire français ont été victimes de refoulement et de traitement indigne de la part de certains fonctionnaires français. Au même moment les autorités sénégalaises font tout pour faciliter les expatriés français les nouvelles démarches administratives à suivre ; voire de leur accorder secrètement quelques acquis par rapport aux ressortissants d'autres pays. Nous avons souligné que les autorités françaises ont saisi l'occasion pour stopper l'immigration sous couvert du chômage.

En application des nouveaux accords, les deux parties ont défini les nouvelles orientations de la coopération lors de la première réunion du comité ministériel. Parmi les points les plus significatifs, demeure l'assistance technique. Cette dernière a été au coeur des préoccupations de la coopération depuis la signature des nouveaux accords. Le Gouvernement sénégalais n'a pas cessé de décrier l'insuffisance des agents de coopération et la qualité de formation. C'est dans ce cadre que le pays est passé au système de globalisation sans oublier l'augmentation de sa participation financière qui devient double. Le système de globalisation va à l'encontre du premier objectif de l'assistance technique qui est de disparaître pour permettre la relève par les nationaux. Le bilan pour le Sénégal a été négatif car il s'est retrouvé avec un déséquilibre économique sans précédent. Un autre point des nouvelles orientations de la coopération franco-sénégalaise portait sur le problème des investissements. L'intervention française dans le pays a été très importante en volume. Cependant, les modalités d'exécution des projets financés par le FAC et la CCCE ont été vivement critiquées. Leur intervention obéit aux intérêts des entreprises françaises et non aux besoins locaux. Les énormes investissements en matière agricole ont consisté à maintenir la monoculture arachidière au détriment des cultures vivrières. Par conséquent, les paysans s'endettent davantage et sont exposés aux sécheresses voire à des famines.

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La France n'ayant plus les moyens d'intervenir toute seule dans le pays a cédé sa place aux institutions internationales notamment à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international. Cette période signe le début de son retrait. Néanmoins, elle a reconnu en quelque sorte son échec et a tenté de sortir le pays de la crise en lui accordant une aide spéciale qui devrait rester secrète. Il faut aussi savoir que la France a participé aux négociations des PAS grâce à ses experts.

Les nouveaux accords de coopération franco-sénégalaise ont eu de multiples impacts dans les deux pays. L'aménagement du Delta du fleuve Sénégal a par exemple poussé les paysans à migrer vers la France. Ces immigrés sénégalais qui n'ont pas une réelle reconnaissance de leur Gouvernement éprouvent d'énormes difficultés économiques. En effet, ils n'ont pas droit à un logement décent comparé aux expatriés français qui travaillent au Sénégal. En outre, ils ont peiné à bénéficier des avantages de la sécurité sociale bien stipulée par l'accord entre les deux pays. Cette situation est due au fait que la partie sénégalaise n'a pas exigé assez le respect de cet accord. Sally N'dongo a bien mis en lumière et dénoncé tous les problèmes que les travailleurs africains rencontrent sur le territoire français. Les populations françaises ont leur propre vision sur la coopération franco-sénégalaise. Pour le citoyen ordinaire qui cohabite avec les travailleurs sénégalais dans le même quartier, le rapport entre les deux a perturbé son quotidien. La bourgeoisie et le patronat les voient comme une main-d'oeuvre abordable. Nous n'avons pas manqué, par ailleurs, de souligner que certains nationaux français qui ont participé à leur lutte et qui sont animés par un esprit humaniste. Nous pouvons donc affirmer que dans le territoire français, la coopération franco-sénégalaise a réussi à modifier le quotidien voire le point de vue d'un certain nombre de la population. Les Français n'ont plus l'apanage d'aller à la rencontre des Sénégalais. Désormais ces derniers font le voyage et estiment trouver un travail dans le cadre des accords de coopération.

Dans les années 1970, c'est un climat tout à fait différent qui règne sur le territoire sénégalais. L'impact des nouveaux accords réside dans la perception des locaux vis-à-vis des expatriés français. Ces derniers occupants des logements dans les quartiers les plus chics de la capitale au détriment des nationaux dont la majeure partie vit dans des bidonvilles, attirent le mépris et la méfiance des populations locales. Pour le jeune diplômé local et le travailleur, le coopérant constitue une entrave dans l'évolution de sa carrière malgré les débuts de sénégalisation des postes et de l'économie. Pour l'homme d'affaires sénégalais, il est à la fois concurrent et partenaire. Dans le milieu rural, nous avons vu que la vision des populations

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vis-à-vis du Français a été modifiée. À la place de l'administrateur qui le forçait à payer l'impôt et travailler gratuitement, elles voient l'encadreur agricole, l'infirmier et le bienfaiteur de l'eau potable. Cette image positive a été possible grâce aux autorités religieuses qui sont de véritables partenaires de la coopération franco-sénégalaise. À cela il faut ajouter les messages de propagande véhiculés par les médias. Concernant les politiciens, nous l'avons bien souligné à travers le film Guelwaar que ce sont eux qui profitent de cette coopération surtout par le biais de l'aide afin de maintenir une clientèle politique.

Nous pouvons affirmer que la révision des accords de coopération franco-sénégalaise n'a pas modifié dans la pratique les rapports entre les deux pays. Le Sénégal est resté dépendant de la France. Cette situation de dépendance a compromis d'une certaine manière sa souveraineté. La coopération franco-sénégalaise a failli à sa première mission qui était d'accompagner le pays dans son décollage économique et social. Deux décennies se sont écoulées après l'indépendance et le pays s'est retrouvé dans une crise économique et sociale qui l'a conduit aux PAS. En perspective, l'échec de ses deux premières générations des accords de coopération qui ont conduit les deux parties à revoir les modalités. La priorité est désormais de favoriser une coopération dont les effets sur les populations sont plus bénéfiques et rapides. C'est dans ce cadre qu'est née la coopération décentralisée depuis 1994. Il faut, dans le même temps, prendre en compte l'arrivée de nouveaux partenaires comme la Chine, les États-Unis et la Russie ainsi que l'importance accordée à la coopération sous régionale. La Chine est alors perçue au Sénégal, surtout avec l'arrivée de Wade au pouvoir, comme une alternative à la coopération française. Sur ce sujet nous avons déjà citer les travaux de Adama Gaye et de Thierry Bangui.

Pour terminer, nous pouvons soutenir l'idée que le projet de coopération franco-sénégalaise a survécu au fil des décennies et a même dépassé sa date d'échéance qui avait été fixée à vingt ans. Ceci a été indéniablement rendu possible grâce au Président Senghor. Son départ au pouvoir en 1981 a signé le début de la fin du pacte néocolonial. Cependant, c'est sa mort en 2001 qui met fin aux relations très étroites entre les deux pays avec l'absence de la France lors de ses funérailles.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry