CHAPITRE 3 : LES SOLUTIONS À METTRE EN PLACE POUR
AIDER LES RAPPEUSES À SE
POPULARISER EN FRANCE 40
I. UN CHEMIN VERS LA PARITÉ 40
1/ Plus de femmes dans l'industrie, pour un nouveau point de
vue 40
2/ Donner de la visibilité 42
3/ For us, by us 43
II. DES SOLUTIONS CONCRÈTES 44
1/ Créer des safe places 44
2/ Les subventions, clés de la production 46
3/ Le choix stratégique des featurings 47
4/ L'opportunité du digital 48
a - Le pouvoir des plateformes de streaming 48
b - Les services pour artistes indés 50
CONCLUSION 52
BIBLIOGRAPHIE 55
ANNEXES ..57
3
INTRODUCTION
Le rap c'est la nouvelle pop. Aujourd'hui le rap devient le
genre musical le plus populaire en France. Jul, Ninho et Orelsan sont les
artistes les plus écoutés en 2021. On dit d'ailleurs que nous
sommes le 2e pays du rap après les États-Unis. Pourtant, seules
trois rappeuses ont obtenu un disque d'or dans l'Histoire du rap
français : Diam's, Keny Arkana et plus récemment Shay. Pour un
genre aussi populaire, il est légitime de se demander pourquoi il y a si
peu de parité dans la riche proposition artistique du rap
français.
Depuis les années 1990, le rap n'a pas cessé son
ascension dans les charts et dans le coeur des français. Ce style
musical a su diversifier son public et prendre une place essentielle dans
l'industrie musicale française. Aujourd'hui, la scène rap
française est très variée. Pourtant, l'absence des femmes
et plus particulièrement des rappeuses sur cette scène est
frappante. «Et même si moi je les entends, tu vois beaucoup de
femmes dans le rap en France ?» (PAS PRÊT.E.S,
Sopycal)1. Après avoir vu le concert de rappeuse en
liberté à la Machine du Moulin Rouge en octobre 2021, j'ai
commencé à m'interroger sur la place des femmes dans le rap. En
parlant du sujet avec mon entourage, j'entendais toujours ces mêmes
phrases : «il n'y a pas de rappeuses», «c'est moins bien quand
une femme rap» ou «j'adore Diam's, aucune meuf a fait aussi bien
depuis». Notre génération semble avoir oublié que les
femmes sont présentes depuis le début du rap français,
avec des pionnières comme B Love, Saliha ou Sista Cheefa, aux
côtés de NTM, IAM et MC Solaar. Elles ont ouvert la voix à
d'autres rappeuses comme Keny Arkana, Casey ou Lady Laistee, et posé les
bases qui ont permis le succès populaire de Diam's. De même, il y
a bien des rappeuses depuis Diam's, aucune d'elle n'a atteint une
visibilité équivalente, mais Diam's a eu plus de succès
que bien des artistes, pas seulement les autres rappeuses.
L'objectif principal de ce mémoire est d'essayer de
comprendre pourquoi il y a si peu de femmes dans le rap et surtout comment
aider les rappeuses à se populariser en France dans les années
à venir. C'est une problématique ancrée dans
l'actualité, qui constitue un enjeu de l'industrie musicale
française aujourd'hui. Cet enjeu me concerne et concerne ma
génération, car nous
1 Sopycal est une rappeuse française. Extrait
de son dernier morceau Pas Prêtes, 2022.
4
pouvons jouer un rôle dans l'évolution de cette
industrie. La musique étant représentative de son époque,
ce sujet révèle énormément sur la place des femmes
dans notre société. J'ai pris le parti d'interroger un maximum de
professionnels de l'industrie. Ce mémoire est donc le fruit de nombreux
témoignages et de mes observations sur le terrain. J'ai également
tenu à me baser sur le plus d'études possibles, pour
éviter qu'on me reproche une approche trop subjective, j'apporterais
tout au long de ce mémoire beaucoup d'éléments factuels,
de chiffres et d'analyses sociologiques.
Le rap se définit, selon le sociologue Karim Hammou,
par une technique de voix, une façon de parler en rythme. Cela
désigne par la suite un genre musical, avec des techniques musicales et
des révolutions technologiques au niveau de la composition musicale. Les
rappeuses sont des artistes s'identifiant comme femme et qui définisse
leur style musical comme du rap. J'évite le terme «rap
féminin» qui met les artistes féminines dans une
sous-catégorie. En revanche, je parlerais beaucoup dans ce
mémoire de «rap français», en tant que marché
français. Ce marché est composé d'artistes francophones,
englobant notamment des artistes suisses, belges et luxembourgeoises qui ont
une place importante sur le marché musical français. J'ai
décidé de me limiter au marché musical du territoire
français car la place des rappeuses peut constituer des freins et des
enjeux différents dans les autres pays francophones, du fait de leur
culture et de leur histoire.
Pour répondre à la problématique :
qu'est ce qui freine la visibilité des rappeuses dans
l'industrie musicale française et quelles solutions peut-on mettre en
place ? Je justifierai dans un premier temps que les rappeuses
françaises sont présentes, mais sous-représentées
dans le rap français. Ensuite, j'expliquerai pourquoi les rappeuses ont
dû mal à se faire une place dans le rap français, et enfin,
je présenterai les pistes de solutions possibles et existantes pour
aider les rappeuses à se populariser en France dans les années
à venir.
5
CHAPITRE 1 : LES RAPPEUSES SONT
SOUS-REPRÉSENTÉES DANS LE RAP FRANÇAIS
Cette première partie permet de présenter des
données prouvant que les rappeuses ont une place pour l'instant
limitée dans le rap français, mais aussi qu'elles sont quand
même présentes plus que ce que l'on peut le croire. Cela permettra
de problématiser la place des rappeuses dans l'industrie musicale
française.
I. Le public rap en France
1/ Un public diversifié
Avant de dégager des pistes sur pourquoi les rappeuses
sont moins écoutées, on essaye de comprendre quel public consomme
du rap. Le rap est considéré comme un milieu masculin. Dans le
sondage Google Form2 que j'ai créé dans le cadre de
mes recherches, 75% des participants ont répondu «oui»
à la question «trouves tu que le rap est un milieu masculin
?«. Je vais reprendre ici une une étude menée en 2017 par Le
Patch et SoCo Études en partenariat avec l'ARA et le RAOUL,
intitulée «Les jeunes et la musique en Haut de
France».
Dans cette étude qui vise à analyser les
comportements des jeunes quant à la musique, on apprend que le rap est
l'esthétique musicale la plus écoutée dans les Hauts de
France. En effet, 65% des adolescent·e·s
interrogé·e·s citent le rap parmi les styles musicaux
qu'ils·elles aiment, contre 41% qui citent la pop. Ces données
s'apparentent à celles que j'ai récolté via mon sondage
Google Form, où 47% des participants ont répondu «rap»
à la question «Quel style musical écoutes-tu le plus
?», contre 24% la pop. Sachant que 83% des participants appartiennent
à la tranche d'âge 18-24 ans. Plus tard en 2020, un
complément d'étude est publié par AGI-SON, cette fois sur
l'entièreté du territoire français. Il est alors
établi que 67,6% des 12-18 ans écoutent de la musique "hip hop".
Cette catégorie n'inclut par le RnB qui représente 19,5% à
elle seule des écoutes des jeunes de 12-18 ans. Le rap semble aussi
être apprécié autant des collégiens (12-15 ans) que
des lycéens (15-18 ans).
2 Voir le sondage complet en
annexe
6
Les jeunes en général semblent avoir des
goûts musicaux plus éclectiques que les tranches d'âges plus
élevées. Ceci a été théorisé sous le
concept de "goûts omnivores» :
«Les jeunes investissent leurs goûts
musicaux pour diverses raisons : tout d'abord parce que dans l'injonction
sociale contemporaine à s'inventer soi-même, les objets culturels
occupent une place majeure ; ensuite parce que l'adolescence représente
la période au cours de laquelle cette injonction est sans doute la plus
forte. Ces choix produisent donc à la fois des appartenances collectives
et des constructions individuelles générant de
l'identité».3
Selon l'étude de Stéphanie Molinero Les
Publics du rap, le rap est une musique générationnelle. Il
entend par là qu'au début des années 1990, le public rap
était surtout composé de personnes de moins de 20 ans. Ces
personnes qui ont grandi avec le rap ont continué d'en écouter et
à la fin des années 2000, c'était surtout les 30-35 ans
qui écoutaient du rap. En 2020, le rap est le genre le plus
écouté par les 18-35 ans. Dans les années 1990,
l'écoute était socialement mixte, autant écoutée
par les enfants de classes ouvrières que de classes supérieures.
La capacité du rap à miser sur les évolutions
technologiques et de langages lui permet de toujours diversifier son public. Le
public rajeunit et se gentrifie, touchant aujourd'hui un large public. Le
public rap ne se distingue donc pas des publics des autres styles musicaux par
sa classe sociale, mais par son âge. Pourtant, depuis la fin des
années 2000, le rap est de plus en plus écouté dans les
milieux populaires, contrairement à ce qu'on pourrait penser. Le rap
touche donc de plus en plus de monde, et surtout un public de plus en plus
diversifié.
2/ Un public paritaire
Les filles présentent un taux d'appréciation de
genres différents plus élevé que les garçons.
Effectivement, selon l'étude Les Jeunes et la musique en Hauts de
France, 53% des filles aiment le rock contre 38% de garçons, 52%
aiment la pop contre 30% des garçons, 48% la chanson contre 24%, et 37%
des filles aiment les musiques du monde contre 24% des garçons. Les
garçons sont, eux, plus nombreux à écouter de
l'électro et du métal que les filles. Une donnée a
3 PETERSON Richard and KERN Roger, Changing
highbrow Taste: from snob to omnivore, American Sociological Review,
1996.
été déterminante dans mes recherches. La
phrase la plus importante de cette étude reste que «les filles
aiment autant le rap que les garçons». Il y a donc près d'1
jeune sur 2 qui écoute du rap et ce n'est peut-être pas le public
masculin, de classe populaire et zone urbaine que l'on croit. Le public
féminin est effectivement présent dans la musique rap. Si vous
vous rendez à un concert de Ninho, rappeur français qui cumule
plus de 2,5 milliards de vues sur YouTube et qui rassemble aujourd'hui 127
singles d'or, vous n'aurez aucun doute sur la présence du public
féminin. Les rappeurs français les plus populaires doivent
sûrement rassembler un public qui tend vers le 50% masculin et
féminin, alors que le public rap était composé d'un tiers
de femmes à la fin des années 1990.
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