Léa PIACENTINI
Bachelor 3 de Production Artistique Année 2021/2022
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Mémoire de fin d'études
LA PLACE DES RAPPEUSES DANS
L'INDUSTRIE MUSICALE FRANÇAISE
Tuteur de mémoire :
Monsieur Bertrand HELLIO
REMERCIEMENTS
Je souhaite avant tout remercier toutes les personnes qui ont
rendu possible la réalisation de ce mémoire, qui ont pris le
temps de témoigner ou de partager leurs travaux.
Merci à mon tuteur Bertrand Hellio, manager, booker,
organisateur de festival, auteur et intervenant à l'ISCPA Paris, pour
ses conseils qui m'ont aidé à développer ma
réflexion.
Merci à Emmanuelle Carinos de m'avoir redirigée
vers Karim Hammou, et merci à lui de m'avoir partagé ses travaux,
qui ont été très importants pour mes recherches.
Merci à Renaud Durussel, Moïse Bouton, Mekolo
Biligui, Gauthier Benoît, l'équipe de Rappeuz, Josué
Bananier, Ekloz et Liouba pour leurs précieux témoignages.
Je remercie aussi ma famille pour leur soutien et leur
écoute durant la préparation de ce mémoire.
TABLE DES ILLUSTRATIONS
Illustration 1 : Graphique sondage Écoutes-tu des
rappeuses ?......................................................7
Illustration 2 : TOP 10 singles les plus écoutés en France en
2021.....................................9 Illustration 3 : Les
communautés de rappeurs en
France................................................10 Illustration 4 : Photo
d'une publicité pour le tremplin Rappeuse en
liberté..........................44 Illustration 5 : Graphique sondage
Comment tu découvres de nouveaux artistes
?......................48 Illustration 6 : Schéma, Rap, qui
possède quoi
?...........................................................................50
SOMMAIRE
INTRODUCTION 3
CHAPITRE 1 : LES RAPPEUSES SONT
SOUS-REPRÉSENTÉES DANS LE RAP FRANÇAIS 5
I. LE PUBLIC RAP EN FRANCE 5
1/ Un public diversifié 5
2/ Un public paritaire 6
II. LA PLACE DES RAPPEUSES DANS LE MARCHÉ MUSICAL
FRANÇAIS 7
1/ Les rappeuses existent bel et bien 8
2/ Les rappeuses, grandes absentes des ventes 8
3/ Les rappeuses sont mal intégrées
auprès des rappeurs 9
4/ Les rappeuses sont absentes des bases de données
10
CHAPITRE 2 : LES FREINS QUI EMPÊCHENT LES
RAPPEUSES DE S'IMPOSER DANS LE RAP
FRANÇAIS 12
I. APPROCHE SCIENTIFIQUE 12
1/ Un sexisme de société 12
a - Tuyau percé ;...12
b - Déni d'antériorité 13
2/ Rap de fille 14
II. LA REPRÉSENTATION DES FEMMES
DANS LE RAP 16
1/ Diam's, «l'exception» 16
2/ La représentation des rappeuses dans les oeuvres
audiovisuelles récentes 18
a - Validé 18
b - Diana Boss 19
c - Nouvelle École 19
d - Reines 20
2
3/ La représentation des rappeuses dans les
médias 21
a - Opposition de genres dans la critique
spécialisée 21
b - La représentation des rappeuses dans les
médias généralistes 23
III. DÉMONSTRATION D'UN CERCLE VICIEUX, LIANT PUBLIC
ET INDUSTRIE 25
1/ Le rap, victime de stéréotypes 25
2/ C'est plus dur pour une femme de se lancer dans le rap
26
3/ Un manque de prise de risque de la part de l'industrie
musicale 30
4/ Relation entre le public et les rappeuses 32
a - Les rappeuses américaines ont la côte en
France 32
b - Le public est-il prêt à écouter des
rappeuses francophones ? 35
c - Un public invisibilisé 37
CHAPITRE 3 : LES SOLUTIONS À METTRE EN PLACE POUR
AIDER LES RAPPEUSES À SE
POPULARISER EN FRANCE 40
I. UN CHEMIN VERS LA PARITÉ 40
1/ Plus de femmes dans l'industrie, pour un nouveau point de
vue 40
2/ Donner de la visibilité 42
3/ For us, by us 43
II. DES SOLUTIONS CONCRÈTES 44
1/ Créer des safe places 44
2/ Les subventions, clés de la production 46
3/ Le choix stratégique des featurings 47
4/ L'opportunité du digital 48
a - Le pouvoir des plateformes de streaming 48
b - Les services pour artistes indés 50
CONCLUSION 52
BIBLIOGRAPHIE 55
ANNEXES ..57
3
INTRODUCTION
Le rap c'est la nouvelle pop. Aujourd'hui le rap devient le
genre musical le plus populaire en France. Jul, Ninho et Orelsan sont les
artistes les plus écoutés en 2021. On dit d'ailleurs que nous
sommes le 2e pays du rap après les États-Unis. Pourtant, seules
trois rappeuses ont obtenu un disque d'or dans l'Histoire du rap
français : Diam's, Keny Arkana et plus récemment Shay. Pour un
genre aussi populaire, il est légitime de se demander pourquoi il y a si
peu de parité dans la riche proposition artistique du rap
français.
Depuis les années 1990, le rap n'a pas cessé son
ascension dans les charts et dans le coeur des français. Ce style
musical a su diversifier son public et prendre une place essentielle dans
l'industrie musicale française. Aujourd'hui, la scène rap
française est très variée. Pourtant, l'absence des femmes
et plus particulièrement des rappeuses sur cette scène est
frappante. «Et même si moi je les entends, tu vois beaucoup de
femmes dans le rap en France ?» (PAS PRÊT.E.S,
Sopycal)1. Après avoir vu le concert de rappeuse en
liberté à la Machine du Moulin Rouge en octobre 2021, j'ai
commencé à m'interroger sur la place des femmes dans le rap. En
parlant du sujet avec mon entourage, j'entendais toujours ces mêmes
phrases : «il n'y a pas de rappeuses», «c'est moins bien quand
une femme rap» ou «j'adore Diam's, aucune meuf a fait aussi bien
depuis». Notre génération semble avoir oublié que les
femmes sont présentes depuis le début du rap français,
avec des pionnières comme B Love, Saliha ou Sista Cheefa, aux
côtés de NTM, IAM et MC Solaar. Elles ont ouvert la voix à
d'autres rappeuses comme Keny Arkana, Casey ou Lady Laistee, et posé les
bases qui ont permis le succès populaire de Diam's. De même, il y
a bien des rappeuses depuis Diam's, aucune d'elle n'a atteint une
visibilité équivalente, mais Diam's a eu plus de succès
que bien des artistes, pas seulement les autres rappeuses.
L'objectif principal de ce mémoire est d'essayer de
comprendre pourquoi il y a si peu de femmes dans le rap et surtout comment
aider les rappeuses à se populariser en France dans les années
à venir. C'est une problématique ancrée dans
l'actualité, qui constitue un enjeu de l'industrie musicale
française aujourd'hui. Cet enjeu me concerne et concerne ma
génération, car nous
1 Sopycal est une rappeuse française. Extrait
de son dernier morceau Pas Prêtes, 2022.
4
pouvons jouer un rôle dans l'évolution de cette
industrie. La musique étant représentative de son époque,
ce sujet révèle énormément sur la place des femmes
dans notre société. J'ai pris le parti d'interroger un maximum de
professionnels de l'industrie. Ce mémoire est donc le fruit de nombreux
témoignages et de mes observations sur le terrain. J'ai également
tenu à me baser sur le plus d'études possibles, pour
éviter qu'on me reproche une approche trop subjective, j'apporterais
tout au long de ce mémoire beaucoup d'éléments factuels,
de chiffres et d'analyses sociologiques.
Le rap se définit, selon le sociologue Karim Hammou,
par une technique de voix, une façon de parler en rythme. Cela
désigne par la suite un genre musical, avec des techniques musicales et
des révolutions technologiques au niveau de la composition musicale. Les
rappeuses sont des artistes s'identifiant comme femme et qui définisse
leur style musical comme du rap. J'évite le terme «rap
féminin» qui met les artistes féminines dans une
sous-catégorie. En revanche, je parlerais beaucoup dans ce
mémoire de «rap français», en tant que marché
français. Ce marché est composé d'artistes francophones,
englobant notamment des artistes suisses, belges et luxembourgeoises qui ont
une place importante sur le marché musical français. J'ai
décidé de me limiter au marché musical du territoire
français car la place des rappeuses peut constituer des freins et des
enjeux différents dans les autres pays francophones, du fait de leur
culture et de leur histoire.
Pour répondre à la problématique :
qu'est ce qui freine la visibilité des rappeuses dans
l'industrie musicale française et quelles solutions peut-on mettre en
place ? Je justifierai dans un premier temps que les rappeuses
françaises sont présentes, mais sous-représentées
dans le rap français. Ensuite, j'expliquerai pourquoi les rappeuses ont
dû mal à se faire une place dans le rap français, et enfin,
je présenterai les pistes de solutions possibles et existantes pour
aider les rappeuses à se populariser en France dans les années
à venir.
5
CHAPITRE 1 : LES RAPPEUSES SONT
SOUS-REPRÉSENTÉES DANS LE RAP FRANÇAIS
Cette première partie permet de présenter des
données prouvant que les rappeuses ont une place pour l'instant
limitée dans le rap français, mais aussi qu'elles sont quand
même présentes plus que ce que l'on peut le croire. Cela permettra
de problématiser la place des rappeuses dans l'industrie musicale
française.
I. Le public rap en France
1/ Un public diversifié
Avant de dégager des pistes sur pourquoi les rappeuses
sont moins écoutées, on essaye de comprendre quel public consomme
du rap. Le rap est considéré comme un milieu masculin. Dans le
sondage Google Form2 que j'ai créé dans le cadre de
mes recherches, 75% des participants ont répondu «oui»
à la question «trouves tu que le rap est un milieu masculin
?«. Je vais reprendre ici une une étude menée en 2017 par Le
Patch et SoCo Études en partenariat avec l'ARA et le RAOUL,
intitulée «Les jeunes et la musique en Haut de
France».
Dans cette étude qui vise à analyser les
comportements des jeunes quant à la musique, on apprend que le rap est
l'esthétique musicale la plus écoutée dans les Hauts de
France. En effet, 65% des adolescent·e·s
interrogé·e·s citent le rap parmi les styles musicaux
qu'ils·elles aiment, contre 41% qui citent la pop. Ces données
s'apparentent à celles que j'ai récolté via mon sondage
Google Form, où 47% des participants ont répondu «rap»
à la question «Quel style musical écoutes-tu le plus
?», contre 24% la pop. Sachant que 83% des participants appartiennent
à la tranche d'âge 18-24 ans. Plus tard en 2020, un
complément d'étude est publié par AGI-SON, cette fois sur
l'entièreté du territoire français. Il est alors
établi que 67,6% des 12-18 ans écoutent de la musique "hip hop".
Cette catégorie n'inclut par le RnB qui représente 19,5% à
elle seule des écoutes des jeunes de 12-18 ans. Le rap semble aussi
être apprécié autant des collégiens (12-15 ans) que
des lycéens (15-18 ans).
2 Voir le sondage complet en
annexe
6
Les jeunes en général semblent avoir des
goûts musicaux plus éclectiques que les tranches d'âges plus
élevées. Ceci a été théorisé sous le
concept de "goûts omnivores» :
«Les jeunes investissent leurs goûts
musicaux pour diverses raisons : tout d'abord parce que dans l'injonction
sociale contemporaine à s'inventer soi-même, les objets culturels
occupent une place majeure ; ensuite parce que l'adolescence représente
la période au cours de laquelle cette injonction est sans doute la plus
forte. Ces choix produisent donc à la fois des appartenances collectives
et des constructions individuelles générant de
l'identité».3
Selon l'étude de Stéphanie Molinero Les
Publics du rap, le rap est une musique générationnelle. Il
entend par là qu'au début des années 1990, le public rap
était surtout composé de personnes de moins de 20 ans. Ces
personnes qui ont grandi avec le rap ont continué d'en écouter et
à la fin des années 2000, c'était surtout les 30-35 ans
qui écoutaient du rap. En 2020, le rap est le genre le plus
écouté par les 18-35 ans. Dans les années 1990,
l'écoute était socialement mixte, autant écoutée
par les enfants de classes ouvrières que de classes supérieures.
La capacité du rap à miser sur les évolutions
technologiques et de langages lui permet de toujours diversifier son public. Le
public rajeunit et se gentrifie, touchant aujourd'hui un large public. Le
public rap ne se distingue donc pas des publics des autres styles musicaux par
sa classe sociale, mais par son âge. Pourtant, depuis la fin des
années 2000, le rap est de plus en plus écouté dans les
milieux populaires, contrairement à ce qu'on pourrait penser. Le rap
touche donc de plus en plus de monde, et surtout un public de plus en plus
diversifié.
2/ Un public paritaire
Les filles présentent un taux d'appréciation de
genres différents plus élevé que les garçons.
Effectivement, selon l'étude Les Jeunes et la musique en Hauts de
France, 53% des filles aiment le rock contre 38% de garçons, 52%
aiment la pop contre 30% des garçons, 48% la chanson contre 24%, et 37%
des filles aiment les musiques du monde contre 24% des garçons. Les
garçons sont, eux, plus nombreux à écouter de
l'électro et du métal que les filles. Une donnée a
3 PETERSON Richard and KERN Roger, Changing
highbrow Taste: from snob to omnivore, American Sociological Review,
1996.
été déterminante dans mes recherches. La
phrase la plus importante de cette étude reste que «les filles
aiment autant le rap que les garçons». Il y a donc près d'1
jeune sur 2 qui écoute du rap et ce n'est peut-être pas le public
masculin, de classe populaire et zone urbaine que l'on croit. Le public
féminin est effectivement présent dans la musique rap. Si vous
vous rendez à un concert de Ninho, rappeur français qui cumule
plus de 2,5 milliards de vues sur YouTube et qui rassemble aujourd'hui 127
singles d'or, vous n'aurez aucun doute sur la présence du public
féminin. Les rappeurs français les plus populaires doivent
sûrement rassembler un public qui tend vers le 50% masculin et
féminin, alors que le public rap était composé d'un tiers
de femmes à la fin des années 1990.
II. La place des rappeuses dans le marché musical
français
Si on se doute que 100% de ceux qui écoutent du rap
écoutent des rappeurs, 47% des participants à mon sondage Google
Form ont répondu non à la question Écoutes-tu
des artistes de rap féminines (rappeuses) ?. Ceux qui ont
répondu non ont dit à 64% qu'ils sont ouverts à
écouter des rappeuses, mais qu'ils n'en connaissent pas. 20% ont dit
qu'ils connaissent des rappeuses mais qu'ils n'aiment pas leur musique.
L'analyse de ces données me fait dire qu'il y a un souci de
visibilité des projets féminins de rap car ils existent bel et
bien. De plus, vu le nombre et la richesse des propositions, il est peu
probable qu'absolument aucun projet de rappeuse existant ne plaise à un
auditeur de rap.
7
Graphique extrait du sondage Google Form, voir en annexe.
8
1/ Les rappeuses existent bel et bien
J'ai pu interroger Éloïse Bouton, journaliste et
fondatrice de Madame Rap, sur la question.
Le média Madame Rap recense les rappeuses qui
s'identifient comme femmes ou LGBTQ+ dans le monde. Au mois de mai 2022, la
page compte 413 rappeuses professionnelles, c'est-à-dire ayant sorti au
moins un projet, pour 2800 dans le monde entier. Je n'ai pas trouvé de
données sur le nombre de rappeurs en France, cependant on peut
s'étonner du nombre de rappeuses recensées.
Selon Éloïse Bouton, fondatrice de Madame Rap, sur
les 413, il y aurait environ 350 rappeuses actuellement en profession.
Pourtant, seuls 3 ou 4 noms reviennent chez le grand public. À la
question 3 du sondage Google Form Les artistes de rap français que
tu écoutes le + (1 à 3), 152 réponses ont
été données, avec seulement deux fois le nom de Chilla
apparaissant et une fois celui de Diam's, donc deux rappeuses. À la
question 5 Écoutes-tu des rappeuses, si oui qui ? Ce sont
également les noms de Chilla et Diam's qui ont été le plus
cités, suivis de Shay.
2/ Les rappeuses, grandes absentes des ventes
Selon les bilans annuels de la SNEP, dans le top 20 des ventes
d'albums en France en 2021, 12 étaient des albums rap/hiphop. Aucun de
ces 12 albums n'était un album de rappeuse. De même, le top 50
compte 29 albums rap/hip hop, et aucun de rappeuse. Pareil pour le top single
2021, 11 singles de rap trouvent leur place dans le TOP 20, avec en tête
La Kiffance de Naps. Aucun single de rappeuse, francophone ou autre,
ne se place dans ce top 20. Toujours selon les chiffres publiés par la
SNEP, le Top 10 des albums de rap les plus vendus en 2021 est composé
exclusivement d'hommes : PNL, Booba, Djadja & Dinaz, Naps, Ninho (avec deux
albums, Jefe et M.I.L.S 3), Jul, Damso, SCH, et, en
tête, Orelsan avec 340 000 exemplaires de son album Civilisation
vendus.
9
TOP 10 singles les plus écoutés en France en
2021, Spotify Wrapped
Dans l'enquête de Baron & Pineau l'implantation
du rap à Fécamp, menée dans deux lycée en
2011, les rappeurs les plus cités sont ceux qui sont les plus
diffusés au moment de l'enquête : Soprano, Eminem, La Fouine, et
dans une moindre mesure Booba et Mister You. Les rappeurs de la région
arrivent derrière, et Zikr's est le plus cité avant
Médine.
Seulement trois rappeuses françaises ont obtenu un
single d'or, ce qui correspond à 50 000 ventes. Cela correspondait
à 75 000 ventes avant 2009, donc l'époque où l'a obtenu
Diam's. C'est bien plus tard en 2020 que Shay obtient ses 50 000 ventes pour
son album Antidote. Pour Keny Arkana c'est plus long, elle obtient un
disque d'or en mars 2021 pour son album Tout Tourne Autour Du Soleil
sorti en 2012.
2/ Les rappeuses sont mal intégrées auprès
des rappeurs
Par ailleurs, de plus en plus d'albums collectifs voient le
jour depuis l'initiative de Bande Organisé en 2020. Sur les 157
artistes de Classico Organisé, qui sort en novembre 2021,
seulement deux sont des rappeuses, Doria et Keny Arkana. Je cite un titre d'un
article de Mou'v : «Une réussite collective. En réunissant
157 artistes de Marseille et Paris sur le Classico Organisé,
Jul peut être fier d'avoir une nouvelle fois marqué l'histoire du
rap français, comme personne avant lui». Il est légitime de
se demander pourquoi il y a si peu de femmes dans ce projet qui
représente une réussite collective. Pourquoi ne pas avoir
invité d'autres rappeuses ? «Je pense qu'il n'y a tout simplement
pas pensé», m'a répondu Mekolo Biligui, journaliste rap,
lors de son interview. Une version féminine de Bande Organisée a
vu le jour sur YouTube et comptabilise 2,850 millions de vues. Le morceau
réunit les rappeuses Saaphyra, Veemie, Tehila Ora, Lil So, Ladyland,
Léna Morgan, Mina West et Mel. De même, Braquage à la
Lyonnaise et 93 Empire à l'initiative de Jayel et Sofiane
ne comptent aucunes rappeuses. Val de Rap, sorti le 10 juin et
représentant les artistes du 94, présente 2 rappeuses sur sa
compilation de 50 artistes: Chana et Amy.
10
On voit ici que Shay est la seule rappeuse
intégrée à une «communauté» de rappeurs
sur le marché français, avec des liens avec Booba, Niska,
Damso... Beaucoup de rappeuses sont isolées et ne sont pas
invitées sur les projets de rappeurs (feats, collectifs...).
4/ Les rappeuses sont absentes des bases de
données
Le travail de recensement que réalise Madame Rap est
purement manuel, elle les trouve sur les réseaux, plateformes de
streaming, par le bouche à oreille... D'autres plateformes qui font
offices de base de données à de nombreux chercheurs comme Genius
ne font pas le même travail. Genius est une sorte d'encyclopédie
numérique qui permet de rassembler les oeuvres musicales. Le concept de
Genius est d'expliquer les paroles des chansons. Ça fonctionne sur le
crowdsourcing, c'est-à-dire que, comme Wikipédia, il est
alimenté par les internautes. Karim Hammou explique que «pour de
multiples raisons, ces communautés d'amateurs s'investissent dans le
projet en introduisant des biais sexistes»4. De nombreux
travaux de sciences humaines et sociales utilisent Genius pour leurs recherches
sur la musique et le rap. Les rappeuses sont largement absentes du site, leurs
morceaux sont peu détaillés. «Début 2019, toutes les
rappeuses françaises bénéficiaient ainsi ensemble d'une
attention de la part de la communauté des amateurs moins importante que
le rappeur Booba seul».
Que ce soit la nouvelle génération de rappeuses, ou
celle présente avant Diam's, le public ne semble pas voir les rappeuses
françaises. En effet, si il y en aurait plus de 350 actives en France
aujourd'hui, elles sont très peu représentées dans les
ventes et les certifications et ont peu de visibilité. Le grand public
doit en connaître 3 ou 4. Elles semblent également peu se
mélanger aux rappeurs français, qui ne leur donnent pas vraiment
de «force».
11
4 HAMMOU Karim, Le Genius n'a pas de sexe,
Hypothèses, Sur un son rap
12
CHAPITRE 2 : QUELS FREINS EMPÊCHENT LES RAPPEUSES
DE S'IMPOSER DANS LE RAP FRANÇAIS ?
De plus en plus de projets féminins qualitatifs sortent
sur les plateformes. Comment alors expliquer cette absence des femmes dans les
artistes de rap les plus écoutés ? J'ai voulu comprendre si le
public est réticent à écouter des rappeuses, si les
professionnels de l'industrie sont réticents à promouvoir les
rappeuses ou si le manque venait plutôt de leur part, si elles sont
réticentes à se lancer dans le rap. Je vais ici démontrer
que c'est avant tout un problème de société, qui impact
l'industrie, le public et les rappeuses.
I. Approche scientifique
Il me semble important d'apporter une vision sociologique
à cette recherche. Plusieurs chercheurs comme Karim Hammou, Emmanuelle
Carinos, Marie Sonnette, ou Denis Constant Martin, en sociologie et
ethnomusicologie, ont commencé des recherches sur le rapport des genres
dans le rap. Dans cette partie, je me baserai essentiellement sur leurs
travaux, en relevant les points qui sont les plus pertinents pour ce
mémoire.
1/ Un sexisme de société
a - Tuyau percé
Dans tous les domaines de la société, les femmes
sont bloquées à un certain niveau de la hiérarchie. Leur
progression est freinée. Elles sont largement absentes des postes les
plus élevés de la hiérarchie. Dans la musique par exemple,
13% de femmes ont été recensées par Karim Hammou à
des postes de décision dans les entreprises qui font plus de 10 millions
de chiffre d'affaires. Cette notion est théorisée comme «le
plafond de verre». Elle est aussi présente dans le métier
d'artiste. Peu de rappeuses accèdent à un niveau
élevé de notoriété, pouvant être
qualifié de mainstream. Bien que ce soit un niveau difficile à
atteindre pour tout artiste, on voit bien que dans le rap, à part
quelques noms connus du grand public comme Diam's, Chilla, Shay... La
13
plupart des artistes rap qui atteignent ce niveau sont des
hommes. Seules trois rappeuses francophones ont obtenu un disque d'or,
équivalant à 50 000 ventes depuis 2009.
Il existe d'autres termes pour qualifier des
phénomènes équivalents. La notion de tuyau percé
explicite le fait que les femmes sont éjectées à chaque
niveau d'une organisation et sont donc de moins en moins présentes, plus
on monte les échelons. La « falaise de verre » montre
également que les femmes sont uniquement promues à des postes de
pouvoir lorsque l'entreprise est en crise. Selon l'institut belge pour
l'égalité des femmes et des hommes, le manque de
compétence des femmes peut difficilement être invoqué et le
plafond de verre engendre une perte énorme de potentiel. En effet, les
entreprises caractérisées par un équilibre de genre au
niveau du management obtiennent de meilleurs résultats. Karim Hammou
illustre cette notion avec comme exemple, qu'on ne compte que 5% d'album rap
publié par des femmes, alors qu'au début des années 2000,
40% des femmes constituaient le public rap. Avec la féminisation des
pratiques culturelles, ce chiffre est aujourd'hui plus proche des 50%. Pour
Karim Hammou, le rap a toujours été traité dans les
médias comme le genre machiste par excellence, mais ça
permettrait de reconnaître qu'il y a du sexisme dans le milieu plus
facilement que dans d'autres domaines. Le sexisme vient aussi bien d'autres
rappeurs, du public, des directeurs de labels, de la critique musicale...
Cet entre soi masculin participe à l'invisibilisation
des rappeuses. Cela impact aussi la direction artistique imposée
à certaines rappeuses. On les pousse vers la pop et le RnB. Les styles
sont associés à des genres, et plus généralement,
la douceur et la mélodie au féminin et la violence au masculin.
«Une fille qui chante avec une voix douce et une guitare acoustique
ça marche très bien, mais si elle veut être lead singer
d'un groupe de metal on considère que y' a pas de place pour
ça» (Renaud Durussel, interview complète en annexe).
b - Déni d'antériorité
Le déni d'antériorité est le fait de
consacrer un caractère exceptionnel et nouveau à un
événement, alors qu'il ne l'est pas vraiment. Il est souvent
lié à la présence des femmes dans un milieu. Par exemple :
"à l'échelle de l'histoire littéraire, une des
procédures de disqualification
14
des femmes consiste à réitérer le
caractère inédit de leur présence : les écrivaines
sont toujours nouvelles en littérature»5. C'est ce qui
se passe dans le cas des rappeuses. À part Diam's, très peu de
gens peuvent citer des rappeuses, pourtant, les femmes sont présentes
dans le rap dès ses débuts : B.love, Sté Strauz, Saliha,
Melaaz, Casey, Keny Arkana, Princesse Aniès, Lady Laistee. Diam's a
été le premier succès commercial, mais pas la
première rappeuse. De plus, on a l'impression qu'après elle, il
n'y a plus eu de rappeuses. Hors, une nouvelle génération est
bien présente, puisqu'on estime le nombre de rappeuses à 350
actuellement6, et c'est probablement plus. Les médias font
normalement ce travail de mémoire, c'est eux qui construisent une
nostalgie autour de Diam's et oublient trop souvent de mentionner une rappeuse
qui sort son album, ou les pionnières du rap en France, qui avait
d'ailleurs eu un succès à leur époque. Il faut le
rappeler, pour que le public ne pense pas qu'à chaque fois qu'une femme
se lance dans le rap, c'est exceptionnel. «Les déclarer novices
dans cet espace de la création, les prive collectivement de l'existence
d'une filiation légitime. Cette assertion répétée
d'une période à l'autre, entrave continûment leur
participation à la littérature, leur infligeant un «
déni d'antériorité».
2/ Rap de fille
Malgré les 2800 femmes et personnes LGBTQ+ qui sont
artistes de rap dans le monde, selon le média Madame Rap, «les
artistes masculins sont la norme, et être une femme reste une
particularité» (Éloïse Bouton, fondatrice de Madame
rap).
Dans notre culture, fille équivaut à moins bien.
Une rappeuse est perçue comme inférieure à un rappeur.
Martin Winckler, sur un tout autre sujet, a étudié le sexisme
dans les études médicales. Il a trouvé que le corps de la
femme a été beaucoup moins étudié que le corps de
l'homme. Cela veut dire, d'une part, qu'on sait moins bien soigner une femme
qu'un homme. D'autre part, que le corps de l'homme est beaucoup plus
représenté dans les ouvrages de médecine. Je trouve
pertinent de citer son travaille car il s'applique finalement à la
vision de la femme de manière générale. Cela prouve aussi
l'importance de la représentation et de la visibilité pour
façonner l'image collective. «D'ériger le corps masculin en
norme a comme conséquence de traiter le
5 NAUDIER Delphine, Genre et activité
littéraire : les écrivaines francophones, 2010
6 Chiffres Madame Rap
15
corps féminin comme corps différent, comme corps
spécifique, comme corps qui dévie de la norme. Pour cette raison,
la médecine a depuis l'Antiquité décrit le corps
féminin comme inférieur à celui de l'homme, instable,
pathologique». Ceci se vérifie dans bien d'autres écrits.
Par exemple : «La froideur et l'humidité, associées à
un tempérament flegmatique, rendent les femmes naturellement plus
faibles parce qu'elles sont physiquement imparfaites, empêchées
par un corps constamment malade.»7. Ces idées sont
véhiculées depuis la mythologie, et affectent jusqu'à ce
qui devrait être un domaine purement objectif et scientifique comme la
médecine. Wittig rappelle, lui, que le concept de
«différence des sexes» constitue «ontologiquement les
femmes en autres différents. Les hommes eux ne sont pas
différents. (Les Blancs non plus d'ailleurs ni les maîtres mais
les Noirs le sont et les esclaves aussi).» On imagine bien alors, qu'un
domaine aussi soumis à la subjectivité que l'art, la musique, est
terriblement impacté par ces idées sexistes et patriarcales,
comme la femme étant une suite de l'homme, une réplique moins
qualitative.
C'est pour cela que du simple fait de leur genre, les
rappeuses sont soumises à une pression bien plus élevée
que les hommes. La critique est intransigeante. Une rappeuse, pour être
considérée comme «forte» devra être excellente.
Là où, un rappeur dont le flow est correct, une punchline est
sympa ou le concept du son est fun, pourra percer plus facilement. Dès
les débuts du rap en France, les femmes abordent ce sujet «Combien
de fois j'entends les mecs dire des meufs qu'elles n'avaient pas assez de
punch, qu'elles n'assuraient pas au niveau des paroles etc... et tandis
qu'elles regroupent à peu près toutes les mêmes
qualité que les mecs espéraient chez une rappeuse, maintenant
elles ne sont pas assez féminines» (Sista Cheefa, 1995). Saliha,
bien que son nom soit rarement connu du grand public, est une pionnière
du rap en France. Elle dit en 1997 «Quand tu es une fille sur
scène, le public a plus d'idées préconçues, de
préjugés (...) Tu as intérêt à te battre deux
fois plus».
On voit donc bien que le sexisme présent dans notre
société rend l'accès au rap plus difficile pour les
artistes féminines que les artistes masculins. Dans la perception
générale du public, et parfois dans la leur, une rappeuse serait
moins douée qu'un rappeur. Dans la prochaine partie,
7 DORLIN, La matrice de la race :
Généalogie sexuelle et coloniale de la nation
française, 2006
16
j'aborderais la responsabilité des médias et le
rôle des oeuvres audiovisuelles dans la perception et l'existence des
rappeuses auprès du public.
II. La représentation des femmes dans le rap
1/ Diam's, «l'exception»
Inutile de vous présenter l'interprète de La
Boulette ou Confessions Nocturnes. Dans ma Bulle est
l'album de rap le plus vendu entre 2000 et 2013, avec presque 850 000 disques
vendus. En 2004, elle gagne la Victoire de la musique du meilleur album rap.
C'est la première femme a gagner dans cette catégorie
créée en 1999. Diam's a marqué l'histoire du rap
français, et c'est souvent la seule rappeuse que le grand public, toutes
générations confondues, sait citer. Je me suis demandée
pourquoi on la considère autant comme une exception et si cela ne
participe pas à invisibiliser les rappeuses.
Diam's décide de se retirer du rap game en 2009, elle
fait son premier retour médiatique ce mois-ci (juin 2022) pour
présenter son biopic Salam.
J'aimerais rappeler dans un premier temps que, si aucune
rappeuse n'a atteint son succès en termes de ventes et
popularité, pratiquement aucun rappeur n'a atteint son succès non
plus. L'image d'exception de Diam's a été associée
à un talent inégalable. S'il n'est pas question de remettre en
question son talent et sa carrière, on peut se demander pourquoi les
rappeuses sont toujours comparées à Diam's et pourquoi c'est
toujours la rappeuse française la plus médiatisée alors
qu'elle a arrêté sa carrière depuis 2009.
L'immense succès de Diam's s'explique de plusieurs
manières. Elle a commencé en prouvant ses talents de kickeuse,
mais n'a pas hésité par la suite à se tourner vers des
styles plus populaires comme la variété. Elle parlait de la
société comme de ses amours, donc les thèmes
abordés parlaient à tout le monde. Elle a suivi la technologie
(pionnière de l'autotune en France), elle a fait le choix
d'apparaître dans des émissions Grand Public (Nouvelle Star). Son
label à aussi décider de féminiser son image pour son
album Brut de Femme en 2003. Elle était aussi blanche
17
et de de classe moyenne, ce qui la rendait plus acceptable en
tant que figure médiatisée et grand public, par rapport à
d'autres rappeuses de l'époque. «Diam's n'était pas qu'une
kickeuse. Son succès, elle le doit aussi au fait qu'elle a fait de la
variété. Elle a pu toucher un public plus sensible
d'adolescentes. Diam's était un girlband à elle toute seule
finalement» (Sylvain Bertot).
À l'époque, Diam's ne faisait pas tant
l'unanimité, elle était même parfois vivement
critiquée par les autres rappeurs et la presse
spécialisée. Aujourd'hui, elle n'est plus là pour sortir
un album «décevant», ou déclencher une nouvelle
polémique. Les médias construisent et entretiennent depuis son
départ une nostalgie autour d'elle, alors même qu'ils l'ont
poussé à mettre fin à sa carrière. Elle
témoigne de son expérience avec les médias dans son
documentaire Salam: «vous avez oublié je
crois»; «ils ont brisé l'amour qu'il y avait entre moi et le
public»8. Le talent des nouvelles rappeuses ne devrait en aucun
cas être comparé à celui de Diam's. Certaines de la
nouvelle génération la connaissent à peine, d'autres n'ont
jamais mentionné une quelconque influence de sa part ou volonté
de l'égaler. On ne dit jamais d'un rappeur émergent qu'il n'est
pas aussi doué que Booba. Les styles de rap même n'ont souvent
rien à voir. Finalement, on les compare seulement parce que ce sont des
femmes dans le rap. «En France on aime bien les exemplaires uniques. Comme
s'il n'y avait de la place que pour une personne. Il y a eu une grande rappeuse
et on dit aux nouvelles qu'elles n'auront jamais son succès. En plus
elle allait très mal durant sa carrière. On pousse les femmes
à être en compétition entre elles comme s'il y avait peu de
places.» (Éloïse Bouton)9.
Diam's n'est ni la première rappeuse ni la
dernière. Des femmes lui ont ouvert le rap avant elle mais n'ont jamais
atteint un succès aussi populaire. Pour cette raison, les médias
cultivent ce déni d'antériorité. «Ainsi c'est
l'industrie qui a écrit l'histoire de Diam's. C'est finalement cette
grosse machine qui a le plus profiter de son succès. Donc l'industrie se
sert allègrement de cette image de Diam's qu'elle a
fabriqué» (Mekolo Biligui)10. Pendant que la presse
étale son ancre pour continuer à faire l'éloge de Diam's,
elle invisibilise les nouvelles rappeuses qui arrivent derrière.
Pourtant, ce sont les
rappeur.eu.s de notre
génération qui feront le futur du rap français.
8 Témoignage de Mélanie Diam's dans son
documentaire Salam, produit par Brut. Vu au cinéma le 2 juillet
2022
9 Voir l'interview complète
d'Éloïse Bouton en annexe
10 BILIGUI Mekolo, Le fantôme de Diam's
hante les rappeuses françaises, Hiya
18
2/ La représentation des rappeuses dans les oeuvres
audiovisuelles récentes
Entre 2021 et 2022, plusieurs projets audiovisuels mettant en
scène des rappeuses voient le jour. Ces séries, émissions
ou documentaires ont la particularité de toucher un public large, pas
seulement des fans de rap. Grâce à cela, ils jouent un rôle
dans la perception que le grand public a des rappeuses. Si ces projets sont
produits dans une tendance de montrer les femmes dans le rap, ils sonnent
parfois faux, et peuvent entretenir une image faussée des rappeuses.
a -Validé
La série Validé est créée
par Franck Gastambide, Charles Van Tieghem, Xavier Lacaille et Giulio Callegari
et diffusée sur Canal +. Elle se déroule dans le paysage du rap
français. Sa deuxième saison met en scène une rappeuse.
Synopsis : Un an après la mort tragique de Clément, William et
Brahim lancent le label Apash Music pour honorer la mémoire de leur ami.
Ils misent tout sur Sara, une jeune rappeuse qui, en plus de son combat pour
exister en tant que femme dans le rap game, voit son passé trouble
ressurgir.11
Dans une interview pour Europe 1, Franck Gastambide dit «le
parcours d'une femme dans le rap est forcément, lui aussi, pas
ordinaire. D'abord parce qu'elles ne sont pas nombreuses. Et aussi parce
qu'elles ont des embûches qui ne sont pas les mêmes.".
«Pour la saison 2 de Validé,
j'espérais qu'ils parlent d'une rappeuse justement, mais je trouve que
ça n'a pas été bien exploité, le rap est devenu
secondaire.» (Mekolo Biligui)12.
Le sujet de la femme dans le milieu du rap est laissé
tombé pour une intrigue qui se base sur la vie personnelle du personnage
principal. Sara est développée comme mère, comme ex-copine
et comme love interest, moins comme rappeuse. Je pense que c'était la
meilleure chose à faire de montrer une rappeuse pour cette
deuxième saison, mais la série n'a pas fait passer les messages
qu'elle aurait pu. Mettre une rappeuse au coeur de cette deuxième saison
était la meilleure chose
11 Synopsis de Validé saison 2,
Allociné
12 Voir l'nterview complète de Mekolo Biligui
en annexe
19
à faire pour apporter un nouveau discours à la
série. Il faut reconnaître que celle-ci reste singulière
dans le paysage des séries françaises, et même si elle
romance et fantasme sûrement un peu trop le milieu dans cette saison,
b - Diana Boss
Diana Boss est une série de France TV Slash
écrite par Marion Seclin. Elle met en scène Malika, qui essaye de
trouver sa place entre son job d'avocate et le rap. Cette série apporte
un point de vue différent des autres projets. C'est le seul projet
audiovisuel français sorti récemment, qui met en scène une
rappeuse et qui a été écrit par une femme. Pour Marion
Séclin, le rap est secondaire. D'ailleurs, on lui a imposé
«femme» et «rap». C'est avant-tout une série
féministe, qui fait évoluer son personnage entre deux monde
opposés dans les consciences, et pourtant tous deux bien sexistes. Le
personnage de Malika est présenté dans la courte série,
à travers son ambition et les freins auxquels elle fait face en tant que
femme racisée. Ça fait du bien de ne pas la présenter
comme love interest d'une romance qui prendrait trop de place dans la
narration. Cette série a été produite par France TV Slash
dans un souci de tendance, montrer les femmes dans le rap c'est à la
mode. Pourtant, c'est peut-être la plus juste dans la présentation
des enjeux de son personnage féminin. Au moins, on ne nous rabâche
pas à quel point c'est exceptionnel et dur d'être une rappeuse,
mais que ces freins sont présents dans bien des milieux.
c - Nouvelle École
Nouvelle École est une émission
produite par Netflix et sortie le 9 juin 2022. C'est la version
française de Rythm & Flow aux États-Unis. Les
jurés Shay, Niska et SCH cherchent la nouvelle pépite du rap
français, entre Bruxelles, Paris et Marseille. Malgré des
incohérences dans le show et un montage plutôt expéditif,
qui implique pour l'instant peu le spectateur dans l'émission, il faut
reconnaître la présence de rappeuses au casting telles que
Soumeya, Leys, KT Gorique, Turtle White... On sent la volonté des
showrunners de montrer des femmes. C'est une bonne chose car cette
émission signée Netflix sera probablement regardée par un
public large, qui n'a pas le réflexe d'aller découvrir des
rappeuses. On note cependant la représentation ambivalente des
rappeuses, d'un côté par Shay qui a un discours féministe,
et de l'autre par Niska qui a des
20
propos problématiques. Il dit à la rappeuse Leys
dès le premier épisode qu'il va falloir qu'elle fasse la
différence, car c'est un milieu de requins et très masculin,
après avoir ajouté que le rap féminin en France c'est
difficile car on ne voit pas beaucoup de femmes qui rap et que, peu de meufs
ont le niveau. Je trouve que ça met une pression sur les rappeuses, qui
doivent faire leurs preuves plus que leurs concurrents masculins, sous
prétexte que c'est un milieu masculin. De plus, il dit que de ce qu'il
écoute, peu de rappeuses ont le niveau, plaçant ainsi encore une
fois le rap féminin comme catégorie inférieure face
à un rap masculin.
d-Reines
Reines, pour l'amour du rap, est un documentaire
diffusé sur Canal + en octobre 2021. 5 rappeuses sont réunies
pour faire un morceau. Ahoo cumule aujourd'hui plus de 5 millions de
vues sur YouTube et réunit les artistes Chilla, Davinhor, LeJuiice,
Vicky R et Bianca Costa. Le documentaire s'ouvre sur un titre de Diam's sans
que ce soit justifié, pour introduire un faux planète rap et des
interventions comme «est-ce qu'il faut être sexy pour réussir
?». On ne comprend pas pourquoi Vicky R et Bianca Costa n'ont pas la
parole en 1h15, seules 3 des artistes ont droit à un portrait.
Même si Bianca Costa a créée sa Bossa trap, c'est quand
même une artiste plus ancrée dans la pop que le rap, on à
l'impression qu'elle a été appelé pour apporter une touche
latino au morceau. Cependant, certains témoignages sont
intéressants. Chilla nous parle des escroqueries et des rencontres
malveillantes qu'elle a faites au début de sa carrière, qui est
une réalité de beaucoup d'artistes, et encore plus pour les
femmes dans la musique. Elle raconte aussi qu'elle a été
dérangé d'être considérée comme
représentante du combat féministe, et qu'elle ne voulait pas
être perçu seulement à travers cette image. Vicky R et
Davinhor expliquent aussi plus tard dans une interview qu'on fait croire aux
femmes qu'il n'y a de place que pour une seule rappeuse, alors que les
propositions sont extrêmement variées. Finalement, le documentaire
est une bonne initiative, mais il aurait été judicieux
d'impliquer plus de femmes dans sa production. En effet, aucune beatmakeuse n'a
été appelée sur le morceau, le documentaire est produit et
réalisé par un homme, même le chef opérateur est un
homme, la seule intervenante féminine est la directrice artistique
Juliette Fivet.
21
Si on sent la volonté de ces projets de mettre en avant
des rappeuses, ils ont quand même tendance à les présenter
à travers leur absence. Hors, on a vu que les rappeuses sont de plus en
plus nombreuses en France, on ne peut plus présenter l'exception de la
femme qui rap. De plus, la plupart de ces projets sont à l'initiative et
réalisés par des hommes. Diana Boss est la série
qui souffre le moins du male gaze. Ainsi, les enjeux des rappeuses sont
présentés de manière un peu fausse, romancée et
fantasmée.
3/ La représentation des rappeuses dans les
médias
a - Opposition de genres dans la critique
spécialisée
Les médias ont une importance capitale dans la
perception qu'à le public d'un artiste. «Les professionnels du
jugement, sont responsables de la première attribution publique de sens
et de valeur à une oeuvre» (Buch, 2006)13. Ils peuvent
transformer l'image d'un artiste en mettant en lumières certains points
et en écartant d'autres, ce que Karim Hammou théorise comme des
«prises» et des «décrochages». Ils utilisent aussi
parfois un lexique associé à un genre, qui contribue à
opposer artistes masculins et féminins. On sépare ici les
médias en deux catégories, les médias
généralistes et les médias spécialisés.
Certains chercheurs ont mis en lumière ce
phénomène, en montrant que la presse relaie de nombreux propos
sexistes. Karim Hammou a étudié la réception critique de
Diam's et Booba dans les années 2000. Ces deux artistes, stars du rap
depuis les années 2000, ont fait des choix de carrière similaires
et pourtant la presse spécialisée leur a accordé une
reconnaissance inégale.
Dans une étude qu'elle a mené, Catherine Rudent
explique que les musiciens hommes sont associés à des termes de
grandeur et les musiciennes à des termes de petitesse. À cause de
ce lexique «genré», les critiques contribuent à
transformer la simple différence de sexe en hiérarchie. Karim
Hammou confirme cela dans Prises et décrochages de genre : la
réception critique de Diam's et Booba dans les années 2000.
Il ajoute à cela que «Diam's est bien plus souvent renvoyée
à son sexe et à son âge» tandis que «la seule
mention de lȉge de Booba
13 BUCH Esteban, le cas Schönberg. Naissance
de l'avant-garde musicale, 2006
22
relevée dans l'abcdr, est l'occasion de souligner sa
maturité.» Si les artistes femmes sont associées à
une notion de sensibilité, de vulnérabilité et de
faiblesse, l'homme est associé à la force, la violence, la
puissance. Les deux rappeur-euse Diam's et Booba sont déjà
sexualisés dans leurs oeuvres. Leurs paroles sont explicites, quand, par
exemple, Diam's est «une jeune demoiselle qui cherche un mec mortel»,
Booba rappe «Si t'es une chienne je suis un loup, moi». Ces paroles
sont amplifiées par des choix de direction artistique clairs, Booba est
presque toujours en gros plan sur ses couvertures d'album, avec un air dominant
et sa musculature mise en avant. Diam's n'est pas au premier plan sur les
couverture d'albums, elle est cachée, elle a l'air perdue, cherchant de
l'aide, elle regarde vers le bas. Brut de Femme est la seule
couverture d'album où ne voit qu'elle. Son maquillage et ses bijoux sont
mis en avant, hors, ce n'était pas son choix esthétique mais
celle de son équipe, dans une optique de la féminiser dès
2003 : « La directrice artistique image de l'époque trouve que
Mélanie a un grand nez, alors elle le cache sur la pochette. Et il n'y a
pas de hit, alors que la meuf peut faire des hits. Je réinvestis 100 000
euros. Je mets Stéphane Djigui et toute l'équipe dessus,
là ils font Incassable, DJ, et trois autres titres. Je
mets Nathalie Canguilhem en direction image, qui va lui faire une belle petite
coupe et va lui mettre deux anglaises. Tu te souviens de ces boucles d'oreilles
? C'est elle». (Benjamin Chulvanij,
2015)14. Ce qui est intéressant dans
l'étude menée par Karim Hammou, c'est qu'on découvre que
même si ces artistes choisissent d'eux même (ou bien leur
équipe) de se sexualiser, les médias par la suite relèvent
systématiquement les mentions sexuelles dans l'oeuvre de Diam's, mais
ignorent la plupart du temps, la violence des propos de Booba. Pour l'abcdr,
média spécialisé rap, «dans la bulle de Diam's, les
filles ne sont visiblement que mamans ou putains». Booba, lui, donne une
vision de la femme comme étant simplement une putain, mais aucun
média spécialisé ne le relève. C'est plutôt
dans la presse généraliste que certains journalistes s'insurgent,
mais souvent ils s'en servent pour alimenter cette vision du rap violente,
sexiste et homophobe. Plus généralement, la femme artiste est
facilement associée au mainstream quand elle vend beaucoup, dans un sens
péjoratif, qui sous entend un manque de qualité. L'homme artiste
de son côté, n'est pas mainstream mais sa qualité est telle
qu'elle est reconnue par le grand public. «Il est parfois difficile de
faire le tri entre la sincérité franche et le calcul
commercial» (Abcdr à propos de Diam's, Dans ma bulle).
Karim Hammou insiste sur le fait que la presse spécialisé
consacre à l'époque Booba comme figure maître du rap
français, et que ce n'est pas le
14 Entretien avec Benjamin Chulvanij,
Abcdrduson, 2015
23
cas de Diam's : «La presse spécialisée
(...) valorise Booba comme un artiste génial tout au long de la
période étudiée, mais ne confère jamais ce statut
à Diam's».
Ce n'est pas que dans le rap que les artistes, selon leur
genre, reçoivent des critiques différenciées, mais dans
tous les styles musicaux.. Si on se tourne vers la pop, Taylor Swift a de
nombreuses fois exprimé son mécontentement face aux critiques qui
lui donnent l'image de n'écrire que des chansons sur ses exs :
«C'est un angle très sexiste. Personne ne dit ça à
propos d'Ed Sheeran ou Bruno Mars. Ils écrivent des chansons à
propos de leurs exs, leur vie amoureuse, et personne ne dit que c'est un red
flag, ou qu»ils sont niais»15.
b - La représentation des rappeuses dans les médias
généralistes
La presse non spécialisée dans le rap touche un
public large et a une mission plus d'information que d'analyse. Elle ne
présente pas le rap et ses artistes de la même manière que
la presse spécialisée musique. Je vais ici montrer comment la
presse généraliste façonne et entretient l'image du rap
comme appartenant aux artistes de banlieue, racisés et véhiculant
des valeurs de violence, de sexisme et d'homophobie, et comment cela impacte
dans notre cas les rappeuses. Je me base, dans cette partie, sur une
étude publiée en 2019 par Marion Dalibert intitulée
Les masculinités ethno racialisées des rappeur.euse.s dans la
presse.
Dans les médias généralistes, les
artistes de rap sont présentés avec leur lieu de naissance et
leurs origines : «Casey, une rappeuse d'origine martiniquaise»
(Article du Parisien, 2019), «Oxmo Puccino : l'enfant du 19ème
arrondissement» (Reportage BFMTV, 2012), Booba a une «mère
blanche, et un père noir, d'origine sénégalaise»
(Article Libération, 2012). L'enfance, quand elle est associée
à la misère, est régulièrement mise en avant :
«Kenny Arkana fait ses premières fugues à 9 ans»
(Libération, 2007); «Un jour le père disparaît sans
laisser d'adresse, et le gamin commence à mal tourner»
(Télérama à propos d'Abd El Malik, 2006).
15 Taylor Swift en interview pour 2DayFMSydney, 2014
(citation originale en anglais)
24
La presse généraliste n'hésite pas
à parler de la masculinité virile des rappeurs et de la
façon dont les femmes et les minorités sexuelles sont
représentées. Elle associe bien souvent la violence aux rappeurs
racisés, en présentant les rappeurs blancs comme des exceptions,
les opposant à la violence des «autres» rappeurs. Ici un
exemple qui parle d'Orelsan : «de la périphérie Caennaise
pour conter (...) cette réalité des jeunes de sa
génération, à l'opposé de la désastreuse
caricature Booba et consort(...)» (Libération, 2008). Certains
rappeurs racisés sont valorisés dans les médias, mais ils
sont présentés alors comme des exceptions, les opposants aux
autres rappeurs racisés : Abd El Malik «ne se conforme pas aux
idées que l'on peut se faire du rap et des rappeurs» (Figaro,
2006). Ils sont présentés comme de bon maris et père de
famille : Oxmo Puccino est «en couple depuis très longtemps avec
madame» (Libération, 2012), Disiz est «catégorique sur
le port du voile : ma femme est un trésor. La préserver, ce n'est
pas la cacher» (Libération, 2003).
Les rappeuses ont plus la côte dans la presse
généraliste que dans la presse spécialisée : Kenny
Arkana est «la sensation rap» de l'année 2007 pour
Libération. Elles sont quand même, et de la même
façon que les rappeurs blancs et les rappeurs racisés
«respectueux», présentées comme des exceptions :
Princesse Aniès est «une des trop rares rappeuses de la
scène française» (Libération, 2007); «Chilla,
une rappeuse pas comme les autres» (France Inter, 2019). Elles sont plus
valorisées car elles correspondent au public cible de ces médias,
en incarnant des valeurs plus douces que les rappeurs, qui leur sont
attribuées malgré elles comme vu dans la partie
précédente. Cependant, elles sont fortement rattachées
à la masculinité. Casey et Princesse Aniès sont des
«garçons manqués» (Libération, 2005);
«cette trentenaire cultive l'androgynie, le mauvais caractère et
peut se montrer d'aussi mauvais goût que ses collègues masculins
(...) Heureusement, elle ne cache pas longtemps sa tendresse». (Casey,
rap colérique, Libération, 2007). Cette masculinité
est valorisée lorsqu'elle s'oppose à l'image de la femme
hypersexualisée : Kenny Arkana a «développé une
esthétique allant à l'encontre de l'imagerie bimbo». (Le
Monde, 2014).
On voit bien que la presse généraliste construit
une image précise du rap et des valeurs qu'il transmet. Là
où les médias spécialisés font des prises et des
décrochages sur les informations qu'ils mettent en avant, les
médias généralistes font des exceptions de tous les
profils des
25
rappeurs qui ne correspondent pas au profil violent, sexiste
et homophobe. Cette notion d'exception empêche les rappeuses de s'imposer
dans l'imagerie publique du rap et les garde au rang de minorités du
hip-hop. Les médias, en étant un lien direct entre le projet d'un
artiste et le public, ont une forte influence sur cette imagerie publique et
par conséquent, une responsabilité de ce qu'ils relaient et
mettent en avant du rap.
III. Démonstration d'un cercle vicieux, liant public
et industrie 1/ Le rap, victime de stéréotypes
Pour indication, dans le sondage que j'ai mené, 75% des
participants trouvent que le rap est un milieu masculin et 36% trouvent que les
textes de rap sont misogynes.
Le rap subit de nombreux stéréotypes : musique
vulgaire, misogyne, violente... Je ne vais pas prétendre que ce n'est
pas le cas, mais il est vrai qu'on s'arrête souvent sur cette image sans
chercher plus loin, comme si le rap n'était pas un mouvement musical
complexe et savant. Pourtant, la musique est un reflet de la
société dans laquelle nous vivons. De plus, on a tendance
à oublier que la misogynie est présente dans tous les domaines de
la société, et dans tous les styles de musique. Ce n'est pas
propre au rap. La sociologue Emmanuelle Carinos avait été
invitée dans un débat de Public Sénat sur les violences
sexistes dans le rap, lors duquel elle avait mis en avant cette phrase de
Michel Sardou : «J'ai envie de violer les femmes, de les forcer à
m'admirer», tirée de sa chanson Les Villes de Solitudes.
J'ajoute à cette réflexion sa chanson Être une
femme en 2010, qui avait fait beaucoup de bruit auprès des
mouvements féministes, on comprend pourquoi si on se concentre sur les
paroles. On peut aussi citer Léo Ferré, artiste à la plume
glorifiée jusque dans nos programmes de lycée, qui parle de la
misogynie dans une interview de 1971 : «La femme est un objet
extraordinaire (...) Il n'y a pas de femme grand génie (...) C'est pas
assez intelligent, jamais. L'intelligence des femmes c'est dans les
ovaires». On voit davantage le sexisme et la violence dans le rap,
perçu comme une musique de classe populaire et de personnes
racisées, que dans des musique considérées comme plus
savantes, où l'artiste est facilement dissocié de son art. C'est
comme si on refusait la capacité de second degré, de narration au
rap. Les textes, comportant un langage plus familier et cru, jouent aussi
sur
26
l'imagerie collective, alors que l'objectivation des femmes
est la même et est résolument ancrée dans toutes les
générations musicales.
Cette image du rap peut avoir un impact sur les filles qui
souhaitent devenir rappeuse. Elles peuvent avoir peur de se lancer, ne pas se
sentir légitimes. Certaines subissent une pression de leur entourage qui
a en tête une image dévalorisante de la femme dans le rap.
La rappeuse Pumpkin estime que «par manque de
modèles, ou pour des raisons d'éducation, elles ne se projettent
pas à ces postes et n'envisagent pas se lancer dans ces métiers
qu'elles considèrent inconsciemment comme masculins.»
Le rap est en réalité un microcosme de la
société, les critiques que subissent les femmes qui se lancent
dans ce milieu, sont les mêmes que dans beaucoup d'autres. Artiste est en
plus de tout ça un métier où on est exposé, tout
est pris en compte, le look et la vie privée souvent autant que la
musique. L'art a une particularité, c'est que chacun peut donner son
avis, il n'y a pas besoin d'être un média spécialisé
ou un expert, d'avoir fait des études sur le sujet pour évaluer
la qualité d'une prestation scénique, d'un album ou d'un clip.
Tout le monde écoute de la musique, et tout le monde donne son avis. Ce
phénomène est encore plus vrai depuis l'arrivée des
réseaux sociaux.
2/ C'est plus dur pour une femme de se lancer dans le
rap
Je me suis en grande partie basée sur des
témoignages pour écrire cette partie.
Les rappeuses subissent la même pression que les femmes
dans la société en général, et
particulièrement que dans tous les corps de métiers d'expertise,
bien souvent considérés comme masculins. La plupart des chefs
étoilés sont des hommes, la plupart des stylistes haute couture
sont des hommes... De même dans la musique, les femmes sont peu
présentes dans l'électro ou le rock par exemple. Combien de
grandes DJs ou guitariste est-on capable de citer? «C'est
déjà difficile pour un homme de se faire une place, alors une
femme c'est pire» (Gauthier Benoit, fondateur de Rappeuz). Ce parcours du
combattant inclut souvent de nombreuses réflexions qui n'ont pas de
rapport avec la musique des artistes féminines. Trop grosses ou trop
maigres, trop jeunes ou trop âgées, trop masculines ou trop
vulgaires... Beaucoup ont témoigné avoir connu ce
27
genre de discours durant leur carrière, et ont du mal
à trouver des professionnels qui les comprennent et les accompagnent.
«Être une femme et a forciori une femme noire dans
le milieu de la musique c'est difficile. On doit rentrer dans une case. Les
mecs du milieu n'ont pas à répondre à ces limites. La
façon dont on s'habille, ce qu'on dit envoie un message selon la
société. Si on essaye de répondre à ces limites
notre musique sera très bridée» (Maud Elka,
rappeuse)16.
«Des paroles chantées par un artiste homme
n'auront pas le même effet que les mêmes paroles prononcées
par une artiste femme. Idem pour le timbre de voix ou encore la
musicalité, dont certaines caractéristiques sont associées
au masculin, d'autres au féminin» (Éloïse
Bouton)17. En fait, à toute époque et dans tout style
musical, on attribue certaines possibilités au masculin, et d'autres,
plus réductrices, au féminin. Par exemple, dans la musique
romantique du 19e siècle, les compositrices subissent le même
genre de réflexions que les rappeuses aujourd'hui. «La composition
c'est pour les hommes»; «c'est extraordinaire qu'une femme ait pu
composer quelque chose d'aussi solide et sérieux» (le violoniste
Joseph Joachim à propos d'une oeuvre de Clara Schumman). Même dans
la composition, un concerto de piano pouvait être tolérable pour
une femme, mais les compositions à cordes étaient
considérées comme masculines, car trop expansives pour les
femmes. Pourquoi les compositrices Clara Schumann, Fanny Mendelssohn ou Ethel
Smyth ne sont-elles pratiquement jamais programmées en concert, et
pourquoi Beethoven, Mozart (qui avait une soeur tout aussi talentueuse), Bach,
Berlioz... Font partie de notre culture au point qu'on les connaît tous
au moins de nom, même si l'on ne consomme pas de musique dite classique ?
On peut parler du même déni d'antériorité et
d'invisibilisation que pour les rappeuses, que ce soit à l'époque
ou encore aujourd'hui, puisque les médias ne font pas de travail
d'archivage et de mémoire. Sakira Ventura a créé une carte
du monde où elle recense les compositrices de toutes époques, de
la même façon que madame rap pour les rappeurs-euses femmes et
LGBTQ+.
16 Maud Elka, interview pour
RAPPEUSES, RiffX, 2019
17 BOUTON Éloïse,
Rap, Nos oreilles sont-elles sexistes?, 2021
28
Le métier d'artiste est un métier d'exposition.
Ainsi, les rappeuses subissent des critiques plus dures, voire souvent des
insultes uniquement à cause de leur genre. Les réseaux sociaux
permettent à chacun d'exprimer son avis. Cela entraîne pour les
rappeuses, de s'exposer souvent à beaucoup de haine, sur leur musique
mais souvent sur des éléments qui n'ont pas de lien comme leur
physique.
«Shay est d'assez loin celle qui obtient le moins de
likes et le plus de dislikes sur YouTube, ce que l'on pourrait lier à
des dispositions sexistes des publics et aux difficultés d'être
une femme dans des métier d'homme à l'heure des réseaux
sociaux (...) Le genre semble ainsi jouer sur le type de succès des
rappeurs» (Corentin Roquebert, 2020)18.
Les femmes et personnes LGBTQ+ peuvent subir du
harcèlement dans le milieu, du fait de leur genre. «Il y a parfois
un regard super violent, qui les sexualise, les diminue. J'ai eu des retours de
rappeuses qui allaient juste répéter en studio et qui ont
été découragées par ce que l'ingé son leur
faisait une réflexion, ou des groupes de mecs qui trainent autour.»
(Éloïse Bouton).
«Lors d'un casting Buzzbooster, il y a une artiste
féminine qui est montée sur scène. Des gamins dans la
salle ont crié la fameuse vanne twitter, les femmes c'est à la
cuisine. J'ai du prendre le micro pour dire que c'est intolérable dans
la culture hip hop. C'était avant même qu'elle puisse commencer sa
prestation» (Mekolo Biligui).
Bintily est une artiste candidate au tremplin Rappeuz que j'ai
rencontré lors du casting à La Place Hip Hop. Inspirée par
Kery James, Diam's, Chilla ou encore ses récents coups de coeur Sopycal
et Kalika, elle m'a confié qu'on lui reprochait souvent que son projet
était soit trop pop pour le rap, soit trop rap pour la pop. Elle s'est
beaucoup demandé si 30 ans ce n'est pas trop tard pour se lancer en tant
qu'artiste. C'est sa propre vision et ce qu'on lui a fait ressentir. Les femmes
ont plus tendance à ressentir le syndrome de l'imposteur. De plus, il y
a une sorte de date de péremption qui plane autour d'elle, un âge
où elles ne sont plus «potables» pour la musique.
18 ROQUEBERT Corentin, Le capital social des
rappeurs : les featurings entre gains de légitimités et
démarche d'authentification professionnelle, 2020
29
«Un jour, un homme m'a dit cette phrase: Tu devrais
t'activer, dans 4 ans c'est fini pour toi ! Tu sais pour les femmes c'est pas
pareil... Cette phrase m'a hantée. Sans vraiment m'en rendre compte,
j'ai appréhendé les 30 ans comme si, passé cet âge,
je n'aurais qu'une option: mettre mon ambition et mes rêves aux
oubliettes. Heureusement, à bientôt 32 ans, tout me prouve le
contraire» (Ehla, chanteuse)19.
Pour une femme en général, tout est plus
scruté que les hommes, et souvent des choses qui n'ont rien à
voir avec leur profession (physique, âge, antécédants...).
Il n'y aucun doute qu'à cause des stéréotypes que subit le
rap, et des stéréotypes qui pèsent sur les femmes en
général, les rappeuses sont exposées à du
harcèlement du fait de leur genre. Tout cela met beaucoup plus de
pression sur les artistes féminines.
«J'ai déjà été en
présence de rappeurs que je trouvais moins fort que moi, mais en
général ils sont plus arrogants que les meufs. Enfin, ils ont une
confiance disproportionnée quand les meufs vont avoir tendance, de
manière générale, à plus se remettre en question et
à douter. On va se poser plus de questions parce qu'on sait qu'on est
plus scruté par la société. Mais c'est valable dans tous
les domaines « (Liouba, rappeuse)20.
Certaines artistes refusent cependant de se placer en victime
de leur genre, et apportent un point de vue différent, montrant
qu'être en minorité de genre constitue une différence
exploitable voire avantageuse. Pour elles, il ne faut pas avoir peur d'un
plafond de verre et se concentrer sur son projet.
«On sort du lot, quand on est une fille dans un milieu
d'hommes» (Fanny Polly, rappeuse)21.
«Y a des avantages et des inconvénients. C'est pas
un sujet que je relève, je fais juste de la musique» (LeJuiice,
rappeuse)22.
19 Interview pour le magazine Madmoizelle, 2020
20 Voir interview complète de Liouba en
annexe
21 Fanny Polly, interview pour
RAPPEUSES, RiffX, 2019
22 LeJuiice, interview pour
RAPPEUSES, RiffX, 2020
30
«Il y a une espèce de norme sur les rappeuses.
Soit t'es le cliché du petit mec, soit t'es la meuf méga
sexualisée. Moi je reste moi-même et j'assume autant ma
sexualité, j'ai pas peur d'en jouer, que le fait de vraiment
rapper» (Ekloz, rappeuse)23.
«Il y a souvent plus de mecs dans les
événements rap mais quand y a une meuf qui passe et qui
déchire tout le monde s'en rappelle. Je pense que c'est dommage de s'en
sentir victime, parce que c'est toi qui décide si tu es victime et
ça peut être une force aussi. Je pense que les filles qui veulent
rapper doivent simplement rapper et si elles se retrouvent face à un
connard soit elles font pas attention soit elles le remettent à sa
place. En tout cas j'ai l'impression qu'aujourd'hui le monde est avec
nous» (Liouba).
3/ Un manque de prise de risque de la part de l'industrie
musicale
Être signé en label est une étape
importante dans la carrière d'un artiste. Avoir un label est souvent
l'assurance d'un certain revenu et de moyens de productions plus larges pour
leurs projets. Le principe d'artiste indépendant a pris beaucoup de
place aujourd'hui. Si de plus en plus d'artistes se tournent vers
l'autoproduction pour garder un maximum de liberté créative, il
ne faut pas oublier qu'un artiste ne réussit jamais seul. Avoir un
entourage professionnel et une structuration est essentiel. La plupart signent
toujours en label mais des contrats moins contraignants que le mythique contrat
d'artiste. Se construire cet entourage professionnel, manager, label,
distributeur, bookeur etc... Peut s'avérer être une
véritable épreuve. Pour un artiste, il est extrêmement
important de s'informer un maximum sur le fonctionnement de l'industrie
musicale avant de se lancer pour préserver leurs intérêts,
leur liberté créative et ne pas tomber sur des personnes
malveillantes. L'accès à l'information et à
l'accompagnement étant compliqué, les artistes ne savent souvent
pas comment rencontrer des interlocuteurs qui pourront les aider à
développer leur projet.
Pour les entreprises, signer des rappeuses représente
une «prise de risque». Quand je l'ai interrogé sur la
question, Gauthier Benoit, fondateur du tremplin féminin Rappeuz, m'a
répondu qu'en France on a tendance à s'enfermer dans un style qui
marche. Il y a une vraie peur de la prise de risque. Signer un rappeur
constitue moins un risque que signer une rappeuse, car il aura
23 Voir interview complète d'Ekloz en annexe
31
plus de potentiel de vente. On sait comment les marketer par
coeur, le public est toujours ouvert à de nouveaux rappeurs. Une
rappeuse serait moins bien accueillie par le public selon eux. Ces labels
misent sur des projets qui rapportent plus. La crise du COVID n'arrange pas les
choses, les sociétés de production qui ont beaucoup souffert
s'aventurent moins avec de nouveaux profils.
Ce n'est pas un secret qu'on est plus exigeants avec les
femmes. «On signe souvent les rappeuses quand elles ont déjà
un public ou qu'elles sont vraiment excellentes» (Mekolo Biligui). On peut
pointer du doigt les Directeurs artistiques, dont le métier est de
chercher de nouveaux talents pour les signer en label. Ces
révélateurs de talents sont en première ligne pour
repérer les artistes de demain, mais ils semblent passer à
côté des centaines de rappeuses qui se lancent.
Parfois, on les pousse à faire des sons plus pop car
plus vendables, plus grands publics. On attend d'une femme qu'elle chante, pas
qu'elle kicke. Ce problème vient aussi du fait que la plupart des postes
à responsabilité dans l'industrie musicale sont occupés
par des hommes. En effet, le sociologue Karim Hammou a recensé 13% de
directrices et de gérantes dans les sociétés
d'enregistrement sonore et d'édition musicale dont le chiffre d'affaires
est supérieur à 10 millions d'euros par an. Les projets
développés par ces artistes passent donc toujours par une
validation masculine avant d'être sortis. «Ça les emmerde
parce qu'ils ne s'attendent pas toujours à ce qu'une petite meuf qui
rappe connaisse un peu son sujet et les mettent face à leurs propres
limites Tu te rends compte qu'on ne te prend pas vraiment au
sérieux» (Pumpkine, rappeuse).
Josué Bananier rappelle que c'est avant tout une
industrie. Du point de vue d'un chef d'entreprise, les entreprises doivent
avant tout assurer leurs rémunérations, elles prennent donc le
moins de risques possibles, elles ne se lanceront donc pas si le public ne suit
pas. Il ne faut pas attendre un label pour se développer et se
construire un public. «Depuis la crise du disque, les
rémunérations sont plus compliquées. Les grands labels ne
font pas du développement d'artistes comme avant. Le travail est fait
par les artistes eux-mêmes ou des labels indés. Si ça
marche, les majors arrivent et signent derrière. Je ne peux pas
blâmer l'industrie à 100%. Par contre, il faut avoir plus de
personnes en interne qui ont l'envie de faire monter la scène des
rappeuses.»24
24 Voir l'interview complète de Josué
Bananier en annexe
32
Pour certains, le public n'est pas prêt à suivre
des rappeuses. Pour d'autres, c'est une excuse des labels qui ne veulent pas
les produire. Alors le public est-il réticent à écouter
des rappeuses ?
4/ Relation entre le public et les rappeuses
a - Les rappeuses américaines ont la côte en
France
Si on se tourne du côté des États-Unis,
les rappeuses vivent une belle période : Nicky Minaj, Cardi B, Doja Cat,
Saweetie, Megan The Stallion... Les projets féminins sont nombreux et
n'ont pas de mal à faire du bruit à l'international. Cardi B est
la première rappeuse de l'histoire à obtenir un disque de diamant
aux États-Unis, soit dix millions de ventes pour son single Bodak
Yellow en mars 2021. Elle est également cinq fois disque de platine
pour son single WAP en featuring avec Megan Thee Stallion. Il est
clair que ces artistes ont leur public en France, et que personne ne remet en
question leur carrière ou leur talent de kickeuse. Comment expliquer que
l'engouement autour des rappeuses américaines ne suive pas pour les
rappeuses françaises ?
Le dernier clip de Shay «DA», sorti le 29 avril 2022
a suscité de vives critiques sur les réseaux sociaux. L'artiste
exécute une chorégraphie dans un lieu qui rappelle un
laboratoire. Quand on se penche sur ces critiques, on comprend vite leur
caractère problématique. Shay s'est vue d'abord reprocher le fait
de s'être inspiré de Cardi B. Deuxièmement, elle a
reçu beaucoup de critiques sur l'aspect «vulgaire» du clip.
Enfin, elle s'est vue dans la plupart des critiques rattachée à
d'autres hommes de l'industrie : «Qu'elle laisse le titre DA à PNL
seulement», «Booba a donné une carrière à Shay
mais elle a préféré dormir pendant 3 ans avant de revenir
avec un son guez», «Le Motif, c'est à cause de toi, tu aurais
dû aider ta soeur au lieu de devenir youtubeur» (Tweets).
On se demande alors en quoi s'être inspiré d'une artiste
américaine constitue un problème. Les rappeurs ne se cachent
jamais de s'inspirer d'autres rappeurs américains, pour le flow, les
textes, les instrumentales ou la direction artistique des clips. Chez PNL par
exemple, l'influence de Young Thug se ressent dans leur premier album Le
Monde Chico, par le style vestimentaire, l'autotune ou les instrumentales.
Nekfeu, de son côté, s'inspire largement de Drake, dans ses
projets Cyborgs et Feu. On sent le flow d'Energy de
Drake dans les titres Martin Eden et Mal aimé. Sans
compter l'influence des projets de Kanye West sur les artistes de rap
français. Les
33
références directes ne se font même pas
rares. L'inspiration est vue dans DA comme quelque chose de
négatif, alors que c'est un reproche rarement fait aux artistes
masculins. C'est en plus loin de relever du domaine du plagiat, les paroles
sont en français et Shay construit un univers bien à elle.
N'est-ce pas normal de retrouver des influences de la rappeuse qui vend le plus
dans le monde ces dernières années, dans les projets rap ?
À la suite de son clip, elle a reçu des
critiques qu'on peut qualifier de «slutshaming», concernant sa danse
et sa tenue, jugée vulgaire par certains. Cette chorégraphie
n'est pourtant pas vraiment différente dans le clip de Liquide
avec Niska, qui n'avait pas eu un accueil aussi violent. Les rappeuses
américaines, de leur côté, semblent plus à l'aise
avec l'image de leur corps et la sexualisation. Le public américain ne
serait probablement pas choqué par le travail de Shay. Pour Mekolo
Biligui, «les rappeuses américaines ont une autre façon de
considérer le corps, je pense qu'en France on a un souci avec ça.
On le met à distance en se disant que c'est une autre culture, mais
quand c'est la nôtre ça ne passe pas.» Certains
titres où la sexualisation est très poussée sont de gros
succès à l'international et la France n'y échappe pas. Par
exemple, la danse évocatrice de WAP de Cardi B et Megan Thee
Stallion, a été reprise par de nombreux internautes comme un
challenge. Autre exemple, le phénomène
révélé par Tik Tok, la rappeuse Ashnikko. Cette artiste
présente un univers robotique et futuriste, qui tourne autour de la
sexualité. Ces textes et ses clips sont très évocateurs,
pourtant le public français qui la suit ne s'en formalise pas.
Pour Renaud Durussel, programmateur du festival suisse
Transform «Il y a un rapport à la féminité et aux
valeurs que la femme est censée incarner en France qui est
différent de ce que l'on retrouve dans le mainstream américain.
C'est probablement une question de culture qui dépasse le cadre de la
musique»25.
La femme, dans l'imaginaire du rap en France, est soit la
petite soeur, soit une femme respectable (souvent la mère de famille),
soit une salope. Si l'homme peut aborder des sujets sexuelles pour lui ou la
femme, ça ne passe pas quand la femme en parle, pour elle ou pour
l'homme. Le public est habitué à voir les artistes
américaines se sexualiser, c'est plus rare pour les artistes
francophones. L'américain constitue un fantasme, un gage de
«qualité» dans
25 Voir l'interview complète de Renaud Durussel
en annexe
34
l'imaginaire du public français, que les artistes
francophones ne sont a priori pas capables d'atteindre, quoi qu'ils fassent ce
sera une copie.
Enfin, l'artiste féminine est ramenée aux hommes
qui l'entourent, toujours en la comparant de manière péjorative.
Un artiste masculin aurait fait mieux, son frère aurait dû
décider à sa place, elle n'est pas digne d'avoir
été signée par un artiste masculin... Comme si la femme
seule ne peut pas être talentueuse ou légitime.
Denis-Constant Martin rappelle dans son livre Quand le rap
sort de sa bulle26, que les rappeuses américaines ont
adopté à la fin des années 2000 des postures
particulières pour sortir des rôles auxquels elles étaient
cantonnées dans le rap fait par les hommes. Elles ont eu le choix, en
réalité, soit de réagir avec la même violence pour
les hommes que celle utilisée contre elles, soit en adoptant une posture
de «mec», soit de se sexualiser pour devenir un objet de
désir. Ces postures leur permettent de récupérer leur
pouvoir face à l'objectivation dont elles sont victimes dans les
discours des hommes. Elles ont créé la rappeuse
«désirable mais dangereuse». «Comme les femmes sont
présentes depuis le début de l'histoire du rap aux
États-Unis, et ont rapidement pris ces positions, c'est resté
dans dans la culture américaine, et l'image que l'on en a. Les rappeuses
françaises, elles se distinguent dès leurs débuts des
rappeuses américaines.» Ça a forgé notre vision
séparée de ce que peuvent et ne peuvent pas faire ces artistes
selon leur genre, mais aussi selon leur nationalité.
Les rappeuses américaines ont donc bien la côte
en France, elles ne sont pas jugées aussi durement par le public
français, sous prétexte que c'est «américain»,
et les français n'ont pas le droit de les prendre pour exemple. Il y a
probablement une recherche culturelle plus approfondie à faire sur le
sujet, et ça doit toucher à bien d'autres domaines qu'à la
musique. La sexualité, la réussite et la
célébrité sont perçues différemment dans ces
deux cultures. Ça peut expliquer pourquoi le public français
présent pour les rappeuses américaines, ne suit pas les rappeuses
francophones. Les paroles en anglais mettent aussi une distance avec l'oeuvre
et l'écoute que l'on en fait. Les États-Unis ont peut-être
bien toujours dix ans d'avance sur nous comme on l'entend
26 MARTIN Denis-Constant : Quand le rap sort de sa
bulle. Sociologie politique d'un succès populaire, 2012
35
souvent. Est-ce que pour autant on doit considérer que
le public français n'est «pas prêt» à
écouter des rappeuses ?.
b - Le public est-il prêt à écouter des
rappeuses francophones ?
Dans mon sondage, 65% des participants ont dit qu'ils
étaient ouverts à écouter des rappeuses mais qu'il n'en
connaissent pas. 20% ont dit qu'ils n'apprécient pas la musique des
rappeuses qu'ils connaissent. On m'a aussi déjà dit qu'il n'y a
pas assez de choix et de diversité artistique parmi les rappeuses
existantes. Au vu de ces réponses, il est clair que l'accès aux
rappeuses est bloqué. Comme évoqué dans la première
partie de ce mémoire, le grand public pense qu'il y a très peu de
rappeuses, hors, nous savons grâce au média Madame Rap qui les
recense, qu'il y en a au moins 350 en activité aujourd'hui. Le point de
vue féminin apporté au rap dans leur musique constitue en
lui-même une proposition qui diffère de ce que l'on a l'habitude
d'entendre. J'ai pu assister au casting parisien du tremplin Rappeuz de cette
année. La diversité des profils était étonnante.
Chaque participante avait un univers bien à elle. Les propositions
masculines sont tellement courantes, que beaucoup se ressemblent dans le style
musical, les textes, les instrumentales, l'attitude... Il suffit de regarder
les propositions drill mises en ligne chaque jour. Peu d'artistes
réussissent à apporter un point de vue nouveau et original, ou
une sonorité différente. Pour les artistes féminines,
visiblement, l'originalité ne suffit pas. Les quelques rappeuses
signées en label sont souvent marketée comme
«l'exception», «la femme qui rap». Hors, on ne peut plus
présenter cela comme un phénomène exceptionnel. Il faut
banaliser la femme qui rap pour mettre les artistes masculins et
féminins sur un pied d'égalité.
Le marché de la musique est certes lié aux
goûts du public, mais le public est dépendant de l'offre qu'on
leur présente. L'industrie à un réel pouvoir d'influence
sur les goûts du public grâce à un outil qu'on appelle le
marketing. Les surprises font partie du métier. Parfois un artiste buzz,
parfois il floppe. Ce n'est pas toujours prévu, il y a tout le temps une
part de risque. «Surtout après le covid personne ne veut
prendre de risque. Dénicher de nouveaux talents c'est pas attendre que
le public mette des likes» (Éloïse Bouton). Faut-il attendre
que le public réclame des rappeuses, où prendre le risque de leur
offrir de la visibilité ? On oublie que le rap a été
longtemps mis de côté, alors qu'il avait bel et bien un public,
laissé de côté par les médias
36
mainstreams et spécialisés en musique.
Aujourd'hui, même schéma pour les rappeuses. Elles sont absentes
des médias dédiés au rap. Ceux-ci sont «responsables
de la première attribution publique de sens et de valeur à une
oeuvre» (Buch, 2006). Autrement dit, ces médias donnent de la
crédibilité ou non à un artiste et jouent un rôle
décisif dans les goûts du public attaché au rap. Chez
Booska P, par exemple, média référence du rap
français, les rappeuses sont peu nombreuses à avoir droit
à des contenus portraits (interview, reportages, freestyles...). Il n'y
en a qu'une seule, Doria, pour la sortie de son album Dès le
départ en juin 2021.
Il y a encore des idées préconçues sur la
crédibilité d'un rappeur, la street credibility. Dans cette
vision, la femme n'est pas légitime à rapper. «Les hommes
sont meilleurs dans le milieu. Leur voix est plus faite pour ça»,
«elles reprennent les codes (...) du rap mais ça sonne faux»
(extraits du sondage Google Form). Elles ne peuvent pas avoir cette street
credibility, associée à la violence, à la vente de drogue,
à la misère et à la virilité. On notera que des
rappeurs ne correspondant pas à ces critères en ont fait les
frais aussi, comme Bigflo & Oli, mais que ça n'a pas
empêché l'industrie de miser sur eux. Leur carrière s'est
bien développée au final, en touchant un public très jeune
et familial dans un premier temps.
«Toi t'es une go donc tu peux pas faire de rap, c'est
sûre que t'as jamais côtoyé la misère. Ouais c'est
possible, mais toi tu parles bien de vendre de la drogue alors que tu n'as
jamais visser» (Tous à table, Leys)27.
Le public peut-il réellement être prêt
à accueillir un nouvel artiste ? Bien que certaines époques et
contextes sociaux-politiques soient propices au développement de
certains artistes, la réussite d'un artiste est avant tout basée
sur son talent et son travail. Le marketing peut changer la donne, selon
l'image qu'on donne à l'artiste. L'industrie est responsable de
l'invisibilisation des rappeuses. Dans une période aussi fructueuse pour
le rap en France, qui est devenu la nouvelle pop28, il n'y a pas
d'excuses pour aussi peu de parité dans l'offre présentée
au public. La prise de risque fait partie du métier, et le public finira
par reconnaître la qualité si on la présente comme telle.
Aussi, il est possible qu'on cible le mauvais public, car une partie est
invisibilisée..
27 Extrait du morceau Tous à table de
la rappeuse Leys, 2020
28 Phrase notamment reprise par Chilla ou Franck
Gastambide en interview, difficile de savoir qui en est à l'origine
37
Peut-être que les rappeuses attirent un public qui a
dû mal à se reconnaître dans l'offre rap que l'on a
l'habitude d'écouter ?
c - Un public invisibilisé
Paulo Higgins s'intéresse aux difficultés pour
les femmes et les personnes queers à se qualifier d'amateur·ice du
genre hip-hop dans sa note de recherche Femmes et Queers : des publics
subalternes et cachés du rap français ? Pour constituer un
public, un groupe doit non seulement savoir qu'il en est un mais aussi pouvoir
réaliser des actions et émettre des critiques sur les
critères définissant les pratiques d'amateurs du genre. Se
définir comme amateur et faire partie d'un public permet d'appartenir et
de se distinguer. La musique écoutée ou pratiquée permet
de s'identifier à un groupe, à une classe sociale et joue un
rôle social chez l'individu. Stéphanie Montero a
enquêté sur les publics rap à la fin des années
2000, et mis en avant un phénomène de hiérarchisation des
pratiques du public rap, qui illégitime un certain type de public. Le
rap est associé depuis les années 1990 à la figure du
jeune de banlieue (selon le sociologue Karim Hammou). Dans les années
2000, cette image est amplifiée et transformée par les
médias, en associant le jeune de banlieue à une figure sexiste et
homophobe, donnant ainsi cette direction à l'image publique du rap. Si
l'image public du rap est un milieu masculin, sexiste et homophobe, alors il
est logiquement impensable que les personnes s'identifiants comme femme ou
queers (toute personne sortant des normes cishétérosexuelle),
puissent être amateur·ice de rap. Je parle ici d'amateurisme comme
étant plus que de la consommation. La pratique culturelle d'un amateur
tient un rôle important dans sa vie. Il y a une certaine forme de
connaissances, liée à un intérêt fort pour ce style
musical et donc une «légitimité» à
émettre des avis et critiques. Ceci peut expliquer la réflexion
que m'a faite Mekolo Biligui lors de son interview : «Les femmes sont bien
présentes dans l'écoute du rap mais ne s'expriment pas beaucoup.
On les voit en concerts mais ce ne sont pas elles qui donnent leur avis sur les
réseaux». On a vu dans la première partie que le
public rap est autant féminin que masculin. Pourtant, on a l'impression
que le public masculin drive les goûts musicaux, surtout dans le rap. En
réalité, les femmes et les personnes queers ont plus de mal
à se reconnaître comme amatrices de rap. La faible présence
de femmes dans l'industrie à des postes de décisions, sur des
plateaux radios ou TV pour s'exprimer dans des débats à propos du
rap y est pour quelque chose. La présence sur les concerts de rap est
38
également plus difficile pour les femmes et personnes
queers. En effet, de nombreux témoignages de violence envers des
personnes queers et d'agressions sexuelles envers des femmes existent. La
sécurité est un critère plus important pour ces personnes
que pour les hommes cishétéros pour se rendre à des
événements musicaux. Elles se sentent plus à l'aise
d'aller dans des événements spécialement féminins
ou LBGTQ+, ou encore pour voir des artistes eux-mêmes queers et
engagés féministes.
Comme vu dans la première partie, il y a autant de
femmes que d'hommes qui consomment du rap, le public féminin est juste
invisibilisé car il s'exprime moins aisément. En
réalité, les femmes et les queers constituent une part de
marché non négligeable pour l'industrie musicale. On a
remarqué qu'une rappeuse attire un public plus diversifié,
d'homme, de femme et de queers.
Pour cibler le public de l'artiste, énorméments
de critères existent (style musical, thèmes abordés,
âge, image...). Il y a autant de cas que d'artistes, je ne fais donc pas
de généralités. On sait par exemple, que les femmes
constituent une cible essentielle de l'industrie musicale, beaucoup d'artistes
l'ont compris. Un rappeur comme Hatik cible un public visiblement plus
féminin. Une rappeuse comme Soumeya est écoutée par 60%
d'hommes29. De plus, les femmes rapportent plus, dans le sens
où elles achètent plus facilement des places de concerts ou des
albums, et qu'elles viennent plus souvent en groupe sur les
événements. «Les femmes sont majoritaires dans la plupart
des autres équipements culturels : théâtres, spectacles de
danse ou de cirque, concerts de musique classique mais aussi musées et
lieux d'exposition» (Olivier Donnat, féminisation des pratiques
culturelles)30. Selon une étude du ministère de
la culture, en juin 2005, 41% des filles de 15/24 ans se sont rendues en
concert contre 28% des garçons. Le problème est que le public
féminin est souvent associé au mainstream et à quelque
chose de «moins bien». Un rappeur comme Hatik va probablement
être «illégitimé» par les amateurs de rap. Au
contraire, un artiste de rap qui a un public plus masculin sera
considéré par les amateurs comme plus qualitatif. Les public
queers, eux, sont simplement dissociés du rap, on ne s'attend pas
à les trouver dans les publics rap, ils sont donc parfois oubliés
des stratégies marketing. Tout ça est lié à
l'association du rap au sexisme, à l'homophobie et à la
transphobie, ce qui illégitime et
29 Voir La Récré, Les femmes
ont-elles leur place dans le rap ?
30 DONNAT Olivier, Féminisation des pratiques
culturelles, 2005
39
invisibilise les femmes et les queers des publics rap et
à l'inverse donne de la légitimité à la critique
émise par les publics masculins.
Quand on parle de public il faut aussi différencier le
public mainstream et de niche. Un artiste à succès n'est pas,
comme on le pense souvent, un artiste qui touche le grand public. Les rappeuses
ont pour l'instant un public dit de «niche», c'est pourquoi on a
parfois l'impression qu'elles ne sont pas suivies, ou qu'elles n'ont pas de
succès. Celui-ci à l'avantage d'être plus fidèle
à l'artiste et de plus acheter (places de concerts, merchandising...),
que le public mainstream qui est plus volage. Il peut être attiré
grâce à un tube, mais ne pas suivre l'artiste par la suite. "Un
marché de niche permet de se concentrer sur un marché très
étroit et de cibler une clientèle précise tout en
améliorant ses marges grâce à la faible concurrence»
(dictionnaire du marketing). Un artiste peut très bien vivre en
s'entourant de sa niche, et viser des tubes plus populaires par la suite si
c'est ce qu'il souhaite. «On a trop cette image du succès comme
étant grand public. Un artiste qui ne passe pas sur des médias
mainstream peut très bien vivre et remplir des zéniths.»
(Josué Bananier, interview complète en annexe).
Finalement, les enjeux des femmes dans le rap
s'intègrent dans un fond de sexisme propre à la
société française en général. Les
mécanismes d'invisibilisations et de reconnaissance des rappeuses sont
les mêmes que dans la plupart des domaines. On peut ajouter à cela
la particularité du métier d'artiste qui présente une plus
grande exposition, ainsi que des stéréotypes qui touchent la
musique rap. Si l'industrie musicale est liée au public et à ses
goûts, elle a aussi un pouvoir d'influence sur ce public. Ainsi, une
certaine responsabilité des projets qu'elle décide de produire et
présenter.
40
CHAPITRE 3 : LES SOLUTIONS À METTRE EN PLACE POUR
AIDER LES RAPPEUSES À SE POPULARISER EN FRANCE
On a abordé dans le chapitre deux, les freins qui
empêchent les rappeuses de s'imposer dans le rap français. Si ces
freins sont nombreux et profondément ancrés dans notre
société, je pense que nous avons le moyen de faire bouger les
choses au sein de notre industrie, en mettant en place des actions simples. De
plus, les nouveaux outils digitaux destinés aux artistes
indépendants sont un enjeu à saisir pour rendre la proposition
musicale plus inclusive. La musique est importante dans une culture, de ce fait
l'industrie musicale a une responsabilité sur le public et la
visibilité qu'il donne aux femmes.
Tout ce que je vais présenter dans cette partie
relève de la préconisation, et est basé sur les
témoignages des professionnels du milieu et mes observations sur le
terrain.
I. Un chemin vers la parité
Je pense que le plus important est de donner un maximum de
visibilité aux rappeuses et de féminiser l'industrie musicale
française. Assurer la parité dans l'industrie musicale et dans la
programmation, jusqu'à peut-être mettre en place des quotas,
pourrait créer un cercle vertueux qui aiderait les rappeuses à se
populariser auprès du public et ce, de la manière dont elles le
souhaitent.
1/ Plus de femmes dans l'industrie, pour un nouveau point de
vue
Les artistes féminines qui veulent réaliser
leurs projets musicaux se retrouvent dans une chaîne de production avec
bien souvent que des hommes impliqués dans la création et la
vente de leur musique. En studio, il y a encore trop peu de femmes
ingénieures du son ou beatmakeuses, les directeurs artistiques et
producteurs qui opèrent par la suite sont aussi bien souvent des hommes.
Si cela peut paraître anodin, la vision qui est portée lors de la
création de la musique et lors de la stratégie commerciale est
entièrement masculine, en plus de celle de l'artiste, et transforme la
vision de celle-ci. C'est un phénomène qu'on appelle le male
gaze. «Le procédé n'est
41
évidemment pas conscient (...) Le male gaze est l'un
des résultats d'une société sexiste dans laquelle les
décideurs sont trop souvent des hommes et où les femmes sont
avant tout considérées pour leurs attraits physiques»
(Clotilde Boudet)31. Avoir plus de femmes qui accompagnent les
rappeuses tout au long de la chaîne de production musicale permettrait
d'apporter un regard féminin, mais aussi que certaines artistes se
sentent plus à l'aise pour construire l'image qu'elles souhaitent
réellement projeter. J'insiste sur le fait que ce
phénomène reste très inconscient, peu de femmes par
exemple, font la demande d'enregistrer en studio avec une ingénieure du
son femme. Je pense pourtant, que cela peut être très
intéressant artistiquement, et amener les artistes à s'aventurer
vers des propositions que l'on n'a pas l'habitude de voir.
«Renouveler les gens qui ont la parole, qui sont
chroniqueurs ou animateurs, les producteurs ou réalisateurs, les
décideurs ... il faut un renouvellement de génération et
de point de vue. Il faut juste arrêter de mettre que des hommes à
tous les postes» (Mouv', Être une femme dans le milieu du rap
c'est pas gagné).
Ce n'est pas seulement dans la chaîne de production
qu'il faut plus de femmes, mais dans l'industrie en général,
à la tête de labels mais aussi de médias, invitées
sur des plateaux tv, des débats, des critiques musicales... Il faut
être intransigeant sur la parité en général, et
donner l'occasion aux femmes de s'exprimer, sur n'importe quel sujet, pas que
sur la place des femmes. «Les femmes sont surtout invitées pour
parler de sujets féminins, de rappeuses»32. Même
si c'est important d'en parler, il serait tant que la question «les femmes
ont-elles leur place dans le rap ?» devienne has been. Il faut
également en finir avec le terme de rap féminin, qui crée
une catégorie, qui, dans les esprits est inférieure au masculin
(foot féminin, artiste féminine de l'année...). En
Angleterre, les Brits Awards ont aboli les catégories genrées
pour l'édition 2022, c'est Adèle qui a remporté le prix
d'artist of the year et non female solo artist comme en
2016.
Il faut peut-être mettre en place des quotas de
parité. On se rend compte que les artistes femmes sont
sous-représentées dans les programmations de festivals. Certains
programmateurs utilisent
31 BOUDET Clotilde, On vous explique le male
gaze, Les Potiches, 2020
32 Radio France, Mouv', Être une femme dans
le milieu du rap c'est pas gagné, 2022
42
encore comme excuse qu'elles sont peu nombreuses ou
n'apportent pas le même public. En Suisse, elles représentent
entre 6% et 33% des programmations, selon la taille du festival. «C'est
quand même curieux de trouver encore si peu de femmes en 2022. J'estime
que la mission d'un directeur de festival est de chercher cette
diversité. On doit étendre son champ d'action, faire un effort
pour aller les chercher directement dans les labels ou dans les agences,
là où elles se trouvent» (Albane Schlechten, directrice de
la FCMA). Finalement, on ne leur donne jamais leur chance. De même, on
compte seulement 17 % d'auteures-compositrices enregistrées à la
SACEM, seules 16 % des Victoires de la Musique du meilleur album ont
été décernées à des femmes et les aides
accordées à des projets musicaux portés par des femmes
s'élèvent à 25 % du montant global des aides (MaMa
Festival 2019).
Voir plus de femmes s'exprimer aura un impact sur le public
féminin et lui montrera qu'il est légitime pour les femmes en
tant que public aussi, d'exprimer leurs critiques, leurs avis, leurs
goûts en termes de musique. Voir plus de rappeuses et de femmes à
des postes de décision incitera aussi d'autres femmes à se lancer
dans le rap, en tant qu'artistes ou productrices, ou tout autre métier
considéré comme masculin. Le but en fait, est de créer un
cercle vertueux.
2/ Donner de la visibilité
Donner plus de visibilité aux rappeuses est
probablement la solution la plus basique et la plus efficace. Plus on montre
des rappeuses au public, plus le public en écoutera, et l'industrie
suivra. Il faut arrêter de penser que les femmes sont rares dans le rap.
La visibilité ça passe par mentionner les projets féminins
qui sortent, faire un portrait d'une rappeuse plutôt que d'un rappeur de
temps en temps. Il faut leur donner la parole sur des critiques, des
masterclass, des débats... La visibilité peut aussi être
donnée par exemple, sur des supports de communication, au lieu de
choisir un rappeur, on choisit une rappeuse. En clair, présenter une
artiste qui rappe comme normal et courant dans le rap pour faire évoluer
l'image du rap comme un milieu masculin. Il est important aussi de ne pas
parler des rappeuses par rapport à leur genre, ne pas les
présenter comme des exceptions et faire plus de sujets où on ne
leur demande pas simplement ce que ça fait d'être une femme dans
le rap.
43
«Les questions c'est soit tu penses quoi de Diam's, ou le
féminisme, être une femme dans le rap... Elles ont envie de parler
d'art, qu'on leur pose des questions sur leurs textes, leur clip, leur vision
du monde...» (Lola Levent, fondatrice de DIVA Management)33
«Si elles n'abordent pas le sujet, je n'en parle pas dans
mes articles, sauf si je sens qu'elles ont envie de s'exprimer sur le sujet,
alors on en discute» (Lise Lacombe, co-rédactrice en cheffe de
Mosaïque)34.
«Plus on mettra des personnes de genres, milieux
différents dans des postes à responsabilité, plus on
apportera de la diversité dans l'industrie et au public. S'il y a peu de
femmes DA dans les majors, ça veut dire que tous les artistes que l'on
voit sont choisis par des hommes» (Éloïse Bouton).
Pour contrer le déni d'antériorité, il
faut aussi rappeler l'histoire du rap, notamment que les femmes sont là
depuis le début, et pas que Diam's. Le média Mosaïque
préconise un travail d'archivage, retrouver les enregistrements de
rappeuses qui ne sont pas forcément sur les plateformes, les interviews
etc... C'est un travail nécessaire pour rappeler que les femmes ont leur
place dans le rap, en mettant en lumière les rappeuses d'hier, on donne
accès à celles d'aujourd'hui.
3/ For Us, by Us
«Il y a beaucoup de dispositifs de
révélation/accompagnement qui existent mais sont montés
par des hommes blancs cisgenres. Ça ne veut pas dire que ce n'est pas
une bonne chose, mais j'ai peur qu'à terme le business se fasse à
leur dépens. Donc plus d'initiatives faites par les femmes, for us by
us.» (Éloïse Bouton).
Si avoir plus de femmes à des postes de décision
dans les grandes entreprises existantes est important, on peut aussi
créer de nouvelles structures, par des femmes et pour des femmes pour
33 Lola Levent pour Aujourd'hui Demain, The
Red Bulletin podcast, 2022.
34 Intervention de Lise Lacombe lors de la
conférence Rapper au féminin, Upercut festival, 2022
44
apporter un regard féminin neuf sur la production et
les artistes. De plus, il faut veiller à ce que les artistes se
développent de la manière qu'elles le souhaitent et en
sécurité tout au long du processus de création, production
et promotion. Pour cela, l'entourage professionnel compte
énormément. Comme pour tout artiste mais encore plus pour des
profils minoritaires qui connaissent plus de risques dans l'industrie, il faut
que l'équipe de l'artiste comprennent leurs enjeux, conscients ou
inconscients.
C'est ce que fait Lola Levent, une journaliste musicale qui a
fondé DIVA Management, pour les artistes qui s'identifient comme femme
ou LGBTQIA+. DIVA représente notamment les artistes Angie, Lazuli,
Joanna, Neslas, Lou CRL et Yanis. La boite propose aussi des rendez-vous pour
accompagner les artistes qui le souhaitent dans leur développement de
carrière, avec des conseils en stratégie image, media training ou
comment bien choisir ses partenaires business. DIVA défend la
diversité dans l'industrie musicale et le soutien entre femmes.
«J'essaye de mettre en valeur la prise de paroles des
femmes elles-même». «Les artistes que j'accompagne font la
musique que j'ai toujours rêvé d'écouter» (Lola
Levent).
II. Des solutions concrètes
1/ Créer des safe places
Ces dernières années, de nouveaux
événements rap 100% féminins ont vu le jour. C'est le cas
du tremplin Rappeuz créé en 2019 et Rappeuse en liberté
créé en 2021. Rappeuz a eu près de 150 candidatures lors
de sa première édition, et Rappeuse en liberté plus de
300. Les événements non mixtes constituent des places pour ces
artistes féminines. Elles y sont plus à l'aise pour
s'exprimer.
«Ça marche à fond. Les rappeuses sont super
demandeuses de ça. J'ai fait beaucoup de tests en
événements mixtes/non mixtes. Ça en rassure certaines
d'être en non mixtes, elles ont tendance à plus se
45
lâcher. Devant un public mixte, certaines se censurent,
s'habillent différemment et font des textes différents. Le
problème c'est surtout pour les artistes émergentes, une fois
qu'elles sont confirmées c'est un peu moins compliqué»
(Éloïse Bouton).
En 2021, Transform Festival en Suisse a organisé une
édition de son tremplin spécialement réservée aux
femmes et aux personnes faisant partie des minorités de genre. Cela
partait d'un constat, lors de leur deux premières éditions en
2019 et 2020, ils avaient eu 10% de candidatures féminines.
L'édition 2021 a eu le même nombre de candidatures que les
anciennes, avec uniquement des femmes cette fois. Grâce à l'impact
médiatique qu'à eu cette édition, il ont reçu 10
fois plus de candidatures féminines pour l'édition mixte de
2022.
«Ça leur garantit une sorte de safe place pour
présenter leurs projets. Elles sont prudentes au début de leur
carrière, et osent moins se mélanger aux rappeurs masculins»
(Renaud Durussel, programmateur pour Transform Festival).
En plus de ces événements non mixtes, il est
important de permettre aux rappeuses de rencontrer les bons interlocuteurs pour
leurs projets, et qu'elles puissent bénéficier d'accompagnement
pour se structurer et avancer par la suite. Il y a une difficulté
à se construire un entourage professionnel et à s'informer chez
les artistes indépendants.
J'ai rencontré les rappeuses Nanor et Asfar Shamsi sur
le casting de Rappeuz Paris le 10 mai. Je leur ai demandé quels freins
elles rencontraient et ce qui leur manquait pour développer leur projet.
Ce qui est revenu c'est un besoin d'accompagnement, une aide pour structurer
leur projet, le fait que produire sa musique coûte cher aussi, et enfin
que la plupart des concours et tremplins n'offrent pas de feedbacks sur les
projets non retenus. Dans la mesure du possible, il faut faire un retour aux
artistes qui ne sont pas sélectionnés, pour leur permettre
d'avancer dans leur carrière.
«À partir du moment où tu candidates tu
peux bénéficier de nos conseils. C'est important pour nous de
donner un vrai feedback aux rappeuses et surtout de les rencontrer chez elles.
On veut leur permettre d'avancer dans leur projet.» (Gauthier
Benoît, fondateur du tremplin Rappeuz)
46
Le but, en plus de les mettre à l'aise, est de garantir
aux rappeuses un gain de visibilité et un accompagnement pour leurs
projets, tout ça avec une promesse de bienveillance.
2/ Les subventions, clés de la production
En France, il y a 5 organismes principaux qui distribuent des
subventions pour les artistes : la SACEM, la SCPP, la SPPF, l'ADAMI, le CNM.
Selon le site
monprojetmusique.fr,
qui liste toutes les aides existantes, un artiste peut financer
jusqu'à 50% de son projet musical (à comprendre EP/album voir
single). Les aides existantes comprennent la production phonographique,
jusqu'à la promotion/marketing du projet, en passant par la
réalisation de clip (aide CNC). Chaque subvention a ses propres
critères, il faut donc bien se renseigner.
De nombreux témoignages montrent que les programmateurs
d'événements et producteurs ont tendance à miser sur des
artistes hommes plutôt que femmes car ils pensent que l'investissement
est moins risqué, que ça «marchera mieux» et que le
public suivra plus facilement. Si c'est important de changer les
mentalités et de garantir la parité, il faut aussi trouver des
solutions pour inciter les structures à s'intéresser aux
rappeuses.
«Il y a un manque de labels en suisse. Ils vont
capitaliser sur des projets de rappeurs, qui ont un plus gros potentiel de
vente. Surtout après deux années de covid, il faut remplir les
caisses. À cachet égal, il y a de fortes chances qu'on remplisse
plus avec un rappeur, qu'une rappeuse» (Renaud Durussel).
«C'est naturel de penser à un mec. On se dit
qu'ils sont plus fédérateurs. Un mec, ça peut amener un
public de mecs et de meufs (...) soit on se le dit, soit c'est totalement
inconscient, et donc ancré dans la tête des
gens»35
Une solution pour limiter la prise de risque que l'on a
abordé dans le chapitre deux serait de créer des subventions pour
les rappeuses et les structures qui en produisent. Il faudrait aussi faciliter
l'accès à ces subventions, notamment pour les artistes
indépendants. C'est souvent un véritable
35 Article Mouv', Être une femme dans le
milieu du rap c'est pas gagné, 2022
47
parcours du combattant pour monter et soumettre les dossiers,
encore plus pour obtenir les subventions. Des structures comme la
Neuvième Muse, créée par Céline Bakond, offrent aux
artistes un service d'accompagnement et de conseil, qui prend en charge
l'administratif dans le rap. Les subventions et l'administratif sont des
étapes clés de la production musicale, beaucoup d'artistes ne
sont pas assez informés sur les subventions existantes et les dossiers
à monter. Ainsi, ce genre de service permet à l'artiste
indépendant de structurer son projet et obtenir des moyens de
production. En plus des quotas, garantir des subventions pour les structures
qui produisent, programment ou accompagnent des rappeuses pourra rassurer les
chefs d'entreprises et permettre aux artistes de se développer plus
facilement.
3/ Le choix stratégique des featurings
Les featurings ont une place importante dans le marché
du rap français. Ils permettent aux artistes de diversifier leur
proposition artistique, de trouver un nouveau public, de visibiliser d'autres
artistes, de se légitimer dans le milieu professionnel et auprès
du public. Ils peuvent jouer un rôle important dans la visibilisation des
rappeuses.
«Le featuring est un lieu d'intégration dans le
monde du rap et les artistes invitant font de leur position professionnelle un
levier intégrateur» (Corentin Roquebert).
Si un rappeur invite une rappeuse pour un feat, cela lui donne
non seulement de la visibilité mais une légitimité
auprès du public du rappeur. Il faut casser le traditionnel feat
rappeur/chanteuse et inviter des rappeuses sur des couplets où elles
kickent pour banaliser le fait qu'une femme puisse kicker «aussi
bien» qu'un homme. Ce mouvement d'intégration des rappeuses dans le
paysage du rap français doit donc également venir des rappeurs,
et de leurs labels.
«Les valeurs du hip hop, c'est l'entraide et faire avec
les moyens du bord. Même la soeur, si tu la trouves forte, tu la portes.
Même si elle te fera de l'ombre parce qu'elle est plus forte, tu la
portes. Il faut faire des feats avec des rappeurs, où elles montrent
qu'elles kickent.» (Josué Bananier).
Enfin, les recommandations algorithmiques des plateformes de
streaming sont largement influencées par les featurings dans les
morceaux. Cela pourrait donc pousser les rappeuses dans les algorithmes et
permettre aux auditeurs qui écoutent le morceau en feat de
découvrir de nouvelles artistes.
4/ L'opportunité du digital
a - Le pouvoir des plateformes de streaming
Les plateformes de streaming comme Spotify, Deezer, Apple
Music, YouTube Music... sont les principaux facteurs de nouvelles
découvertes musicales. Dans mon sondage Google Form, 45,5% des
participants ont répondu qu'ils découvraient de nouveaux artistes
plutôt sur les plateformes de streaming (l'entourage arrivant en
deuxième avec 35%). Les plateformes de streaming ont donc un rôle
dans la visibilité qu'à un artiste face aux auditeurs.
48
Graphique extrait du sondage Google Form, voir en annexe
«Quand j'écoute des rappeurs, on me propose que
des rappeurs par la suite. Quand j'écoute des rappeuses, on me propose
uniquement des femmes, même si ça n'a rien à voir comme
Angèle, Shakira etc...» (Éloïse Bouton).
49
Des chercheurs de l'université d'Utrecht ont
analysé les pratiques d'écoute de 330 000 utilisateurs sur neuf
ans. Ils ont découvert que seulement 25% des artistes
écoutés sont des femmes, que la première chanson
recommandée est toujours signée par un homme et que les
utilisateurs devaient attendre la septième chanson pour que l'algorithme
recommande le morceau d'une femme. L'algorithme des plateformes de streaming
est fait de telle manière à analyser les écoutes de
l'auditeur et l'enferme ensuite petit à petit dans un genre musical, en
lui faisant des recommandations qu'il considère comme proches de ses
goûts. On peut se demander si c'est une bonne chose que ce soit le
facteur numéro un pour le public de découverte de nouveaux
artistes, puisque les plateformes de streaming ne poussent pas vraiment
l'auditeur à diversifier ses écoutes et ses goûts. Ainsi,
les rappeuses ne sont pas avantagées par ces plateformes, car, si
l'auditeur ne recherche pas de lui-même des rappeuses, elles ne lui
seront probablement pas recommandées.
Les chercheurs de l'université d'Utrecht ont
proposé un remaniement de l'algorithme de ces plateformes, qui
permettrait de revoir le classement des artistes
masculins. il suffirait d'abaisser le
rang des morceaux d'artistes masculins d'un nombre de places fixes, pour faire
remonter les artistes féminines dans les recommandations.
Entrer en playlists sur les plateformes de streaming est aussi
un enjeu important pour un artiste. En effet, deux tiers du temps
d'écoute de Spotify sont consacrés aux playlists. Si des
playlists algorithmiques sont créées en fonction des
écoutes de chaque utilisateurs, les playlists éditoriales sont
aussi très importantes. Celles-ci sont créées et
gérées par les équipes des plateformes de streaming
elles-mêmes. «19 des 20 meilleures playlists en 2020 ont
été créées par des éditeurs et
éditrices de playlists Spotify, totalisant près de 161,5 millions
de followers»36. Elles représentent
également un tiers du temps d'écoute sur Spotify. Ainsi, le
pouvoir d'exposition qu'elles offrent est énorme, et le fait qu'elles
soient créées par l'équipe de la plateforme offre une
sorte de garantie de qualité dans la perception de l'auditeur. «Les
playlists des sites de streaming remportent un vif succès : 8 jeunes sur
10 les écoutent ; elles ont un rôle de prescripteur puisqu'un
jeune sur 2 y a récemment découvert un artiste»
(AGI-SON)37. Si les curateurs de ces
36 iMusician, Pourquoi les playlists Spotify
sont-elles importantes ?, 2020
37 Comment les 12-18 ans écoutent-ils de la
musique ?, SoCo pour AGI-SON, 2019
50
playlists pensent à intégrer plus d'artistes
féminines et plus de rappeuses dans leurs playlists éditoriales,
ce serait un gros coup de pousse. À l'inverse, leur absence de ces
playlists les invisibilise. Veiller à la parité dans ces
playlists est important et boosterait les écoutes des rappeuses, en plus
de faciliter leur découverte par de nouveaux auditeurs. À titre
d'exemple, dans la playlist Rapstars de Deezer en juin 2022, il y
avait un titre d'une rappeuse (Shay, DA), sur un total de 50 titres.
J'ai aussi remarqué que la playlist Rap Chill, toujours sur
Deezer, comptait un peu plus de titres de rappeuses, c'est-à-dire 4 sur
50 au total. Cependant, 3 de ces titres de rappeuses étaient en
featuring avec des hommes (LeJuiice ft La pépite; Zinée ft Sean;
Vicky R ft A2H). Un morceau seulement de rappeuse seule (Eesah Yasuke,
Fuck1rsa) figurait donc dans cette playlist.
b - Les services pour artistes indés
On sait qu'aujourd'hui, le marché de la musique en
France se construit de plus en plus autour de l'artiste
«indépendant», qui reste maître de ses décisions
et propriétaire de sa musique. L'industrie du rap se compose de labels
indépendants, qui repèrent et développent les artistes et
sont reliés aux majors via différents contrats. Des entreprises
comme Believe proposent des solutions de distribution et de marketing pour ces
labels et artistes «indés».
Depuis plusieurs années, ces services vont plus loin
grâce à l'émergence de plateformes qui répondent
à des besoins précis de ces artistes indépendants. RekYou
pour trouver un studio d'enregistrement, Groover pour contacter des
professionnels de la musique, Bridge audio pour stocker les fichiers audios,
Base For Music pour créer des campagnes digitales... Sans oublier les
agrégateurs qui permettent à n'importe qui de distribuer sa
musique sur les plateformes de streaming (Tunecore, Imusician, Distrokid...).
Ces plateformes rendent accessibles à tous la production musicale, et,
combinées, permettent de réaliser un projet presque en 360.
Grâce à ces plateformes, les artistes ont aujourd'hui toutes les
clés en main pour produire eux-mêmes leurs projets. Ce sont aussi
de vrais leviers de rencontre, RekYou avec son service Musical Project Manager,
propose un accompagnement de projet complet de la production à la
promotion en s'adaptant aux besoins de chaque artiste; Groover permet aux
artistes d'avoir un feedback, et plus si affinités, de
professionnels.
51
En se servant de ces services pour réaliser leurs
projets, les rappeuses n'auront pas à attendre qu'on les repère.
Elles gardent le contrôle sur leur création. Ces services sont
«neutres», dans le sens où ils n'auront pas de
rémunération sur le projet de l'artiste. Cela peut éviter
de tomber sur un DA qui les pousse à faire de la pop parce que ça
se vend mieux. Ces services sont rarement seulement des plateformes, ils
proposent en général un accompagnement et des conseils
précieux.
«Les rappeuses doivent exploiter tout le digital. Les
réseaux YouTube, TikTok, Insta, et des nouvelles plateformes qui se
créent. Ça leur permet de s'exprimer comme elles veulent et de
toucher le public qui leur correspond. Les outils comme RekYou, Groover, Base
For Music etc... Il faut qu'elles s'en saisissent. La technologie en
général, comme les NFTs, pareil.» (Josué Bananier,
fondateur de RekYou).
52
En clair, construire un projet solide musicalement comme
visuellement, et connaître son public est important pour une artiste, si
elle veut garder le contrôle sur sa musique et s'entourer d'une
équipe qui lui correspond. Les réseaux sociaux et les services
qui naissent du digital sont une opportunité pour les rappeuses de
pousser leurs projets, sans attendre que l'industrie leur donne leur chance.
53
CONCLUSION
Le rap est une musique récente, puisqu'il est apparu
avec la culture hip-hop au début des années 80' en France. Ce
milieu a depuis ses début une image masculine, «C'était un
esprit maschiste de base, genre, j'emmène pas ma meuf au concert de
NTM»38. Pourtant, les femmes ont toujours participé
à son développement. L'absence des rappeuses dans l'industrie
musicale française est plutôt une question de visibilité.
Effectivement, nous avons constaté que les rappeuses sont bien
présentes, avec plus de 350 actives en France aujourd'hui, et plusieurs
centaines d'autres qui postulent à des tremplins ces deux
dernières années. Cependant, leur présence ne se ressent
pas dans les ventes et dans les featurings des rappeurs plus largement
écoutés.
De nombreux freins empêchent les rappeuses d'avoir une
forte visibilité. Le rap subit des stéréotypes qui
décrédibilisent les femmes qui se lancent dans le milieu, en plus
de constituer des dangers pour celles qui y évoluent, du fait de la
misogynie, de leur minorité et d'une exposition forte du métier
d'artiste (exposition sur les réseaux sociaux, lieux avec beaucoup
d'hommes). C'est en réalité un problème bien plus large,
puisque les femmes connaissent des freins et des enjeux similaires dans
d'autres métiers et styles musicaux. Selon les chiffres du Mama
Festival, en 2019, seules 17 % des compositrices sont inscrites à la
SACEM, seules 16 % des Victoires de la musique du meilleur album sont
décernées à des femmes, et les projets musicaux
portés par des femmes représentent 25 % des subventions totales.
On se rend compte que l'industrie n'ose pas assez prendre les devants pour
promouvoir les rappeuses, alors qu'elles ont le potentiel de diversifier la
proposition artistique et attirer un nouveau public vers le rap, tout comme de
plaire à celui existant.
Je pense que l'industrie musicale a une responsabilité
envers le public, puisque la musique joue un rôle essentiel dans notre
culture. Nous avons le devoir de faire du milieu musical une safe place d'une
part, et d'offrir une parité et une diversité dans les genres et
propositions artistiques des artistes que l'on produit. On sait que les
médias jouent un rôle clé dans la construction de l'image
des artistes auprès du public, donc dans la manière dont ils
représentent les artistes femmes. De leur côté, les
rappeuses peuvent exploiter les évolutions technologiques et tous les
38 JOEYSTARR, MANOEUVRE Philippe, Mauvaise
réputation, 2022
54
outils existants pour se construire d'elles-même et
revendiquer leur proposition, si ça plaît au public, l'industrie
suivra.
La place des femmes dans le rap semble devenir un sujet
à la mode. On voit de plus en plus de débats et
conférences sur ce thème. Il ne faut pas oublier cependant, que
l'on ne représente pas le grand public quand on est un passionné
ou un professionnel de la musique. En effet, les personnes qui assistent
à ces conférences constituent un public averti ou concerné
non représentatif du marché. Il faut continuer jusqu'à ce
que les rappeuses soient démocratisées auprès du public
rap. Je suis en tout cas optimiste sur l'évolution de la place des
femmes et des rappeuses dans l'industrie musicale française ces
prochaines années. De nombreuses femmes abordent ces sujets, des
solutions sont mises en place. On voit des rappeuses remporter la 1ère
place de tremplins mixtes comme Eesah Yasuke pour Buzzbooster ou YEND pour le
concours TracexRekYou. D'autres comme Leys, même si elles ne gagnent pas
se sont démarquées lors de concours et on sent un engouement du
public. Moona ou Laeti bénéficient aussi d'une exposition
dûe à leur rôle dans des séries. Enfin, LeJuiice,
Doria, Davinhor et pleins d'autres commencent à faire du bruit
auprès du public. Ce qui est sûr, c'est que les prochaines
années seront déterminantes et ce sujet concerne pleinement ma
génération, les producteurs, journalistes, directeurs artistiques
en formation. Je pense donc que c'est important d'en parler et de sensibiliser
à ce sujet les jeunes qui souhaitent travailler dans l'industrie
musicale. Il est fort possible que dans quelques années, une femme qui
rap ça ne choquera plus.
On pourrait aussi étudier le rôle de la
communauté LGBTQIA+ dans l'industrie musicale, qui elle aussi est
largement oubliée ou mise dans des cases.
55
BIBLIOGRAPHIE
LIVRES
- ABCDR DU SON, L'Obsession Rap, Marabout, 256 p,
2019
- MARTIN Denis-Constant, Quand le rap sort de sa bulle,
Seteun-Irma, 192 p, 2010 - JOEYSTARR, MANOEUVRE Philippe, Mauvaise
réputation, J'ai Lu, 285 p, 2022
ÉTUDES :
- HAMMOU Karim, Prises et «décrochages» de
genres : la réception critique de Diam's et Booba dans les années
2000, 2017
- HIGGINS Paulo, Femmes et Queers : des publics subalternes
et cachés du rap français, 2020
- ARNOLD Aron, La voix genrée, entre idéologies
et pratiques - Une étude sociophonétique, 2017 - DALIBERT
Marion, Les masculinités ethno racialisées des rappeur.euse.s
dans la presse, 2019
- PRONOVOST Gilles, LAPOINTE Marie-Claude et PRÉVOST
Anne-Sophie, Musique et cosmopolitisme culturel chez les jeunes,
2021
- FERRARO Andrés, SERRA Xavier et BAUER Christine,
Break the Loop: Gender Imbalance in Music Recommenders, 2021
- ROQUEBERT Corentin, Le capital social des rappeurs : les
featurings entre gains de légitimités et démarche
d'authentification professionnelle, 2020
- L'impact du rap en France (Tsugi et Super! À
l'initiative de Rebull, en partenariat avec la Sacem), 2021
- Comment les 12-18 ans écoutent-ils de la musique ?
(SoCo pour AGI-SON), 2019 - SNEP, Chiffres et ressources, Top Albums, Top
Singles et certifications
56
PODCASTS :
- RAP GRENOUILLE, Consultation Rapologique («Les
Femmes dans le rap», «Les Publics du rap», «Industrie et
rap»)
- LA RÉCRÉ, Les femmes ont-elles leur place
dans le rap? - Madame Talk
ARTICLES
-
https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/musique/shay-la-rappeuse-qui-veut-feminiser-le-hip-hop-
01-06-2019-8084118.php
-
https://hiya.fr/2021/12/02/le-fantome-de-diams-hante-les-rappeuses-francaises/
https://surunsonrap.hypotheses.org/3869,
https://surunsonrap.hypotheses.org/3508
-
https://www.booska-p.com/musique/dossiers-musique/quelle-est-la-trace-laissee-par-13-organise/
-
https://madamerap.com/2021/06/09/rap-nos-oreilles-sont-elles-sexistes/
-
https://www.mouv.fr/musique/les-femmes-et-la-production-rap-part-2-la-france-213953
-
https://www.justfocus.fr/more/le-saviez-vous/pourquoi-et-comment-le-rap-est-devenu-la-musique
-la-plus-ecoutee-en-france.html
-
https://ancre-magazine.com/rap-francais-femmes-a-quand-un-peu-de-respect/
-
https://www.radiofrance.fr/franceculture/pour-faire-emerger-des-rappeuses-il-faut-prendre-des-ris
ques-2106774
-
https://ancre-magazine.com/cardi-b-kanye-west-featuring-rappeuses-us/
-
https://ancre-magazine.com/rap-francais-femmes-a-quand-un-peu-de-respect/
-
http://www.lehall.com/galerie/colloquefemmes/premiere-journee/des-filles-dans-le-rap/
-
https://www.la-croix.com/Culture/Musique/Lemergence-femmes-scene-rap-2020-03-16-1201084
296
-
https://www.francetvinfo.fr/culture/musique/rap/le-rap-francais-une-relation-compliquee-avec-ses
-rappeuses_3692877.html?fbclid=IwAR18F0G2oaIbmcmWENEnfstpxX-ILGFAAt8tA7hZJDSe
MIRBf8rAEvqA-bY
-
https://www.mouv.fr/musique/rap-fr/etre-une-femme-dans-le-milieu-du-rap-c-est-pas-gagne
-
https://www.booska-p.com/musique/actualites/les-femmes-et-le-rap/
-
https://imusician.pro/fr/ressources/guides/comprendre-integrer-playlist-spotify#:~:text=Sans%20s
urprise%2C%20ce%20sont%20celles,Top%2050%2C%20g%C3%A9n%C3%A9r%C3%A9e%2
0automatiquement).
57
ANNEXES
Retranscription des interviews
Renaud Durussel, programmateur pour Transform Festival
(28/04/2022)
Pourquoi faire une édition du Tremplin
réservée aux femmes et aux personnes faisant partie des
minorités de genre ?
- Suite à un constat après les éditions 2019
et 2020, où il y avait très peu de candidatures féminines
(environ 1 sur 10). L'édition 2021 a eu le même nombre de
candidatures que les anciennes, avec uniquement des femmes cette fois.
Pourquoi les rappeuses ont osé candidater à
cette édition spéciale et pas les années
précédentes ?
- Ça leur garantit une sorte de «safe place»
pour présenter leurs projets. Elles sont prudentes au début de
leur carrière, et osent moins se mélanger aux rappeurs masculins.
Elles se sont apparemment senties plus à l'aise d'être en
compétition avec uniquement des femmes. Mais grâce à
l'impact médiatique qu'à eu cette édition, on a
reçu 10 fois plus de candidatures féminines pour l'édition
2022, qui est mixte, par rapport à celles de 2019 et 2020.
Comment expliquer qu'il y a peu de femmes qui ont le
branding de rappeuse ?
- Le rap subit encore beaucoup de stéréotypes.
On associe les femmes à quelque chose de plus mélodique, qui peut
se réfugier dans la pop. Pourtant il y a des rappeuses comme LeJuiice,
Davinor, Darkqueen, Lagale, Doria qui kickent. Ça va aussi avec
l'évolution du rap qui devient de plus en plus mélodique.
Pourquoi on considère qu'il n'y a pas de rappeuse
après Diam's ?
- Diam's avait une image peu féminine. Ça a
aussi marché pour ça. Les rappeuses qui kickent revendiquent une
certaine puissance, virilité, qu'elles travaillent à leur sauce.
C'est moins accepté pour une femme. J'ai l'impression que ça
change petit à petit. Le Juiice par exemple incarne quelque chose de
féminin, avec un discours de rapport aux hommes et à la
séduction assez «traditionnel», mais avec beaucoup de kick
derrière.
Pourtant, aux États-Unis, ça n'a pas
l'air d'être un souci d'assumer une image séductrice tout en
kickant fort comme Nicky Minaj, Cardi B, Doja Cat... Pourquoi le même
schéma marche moins pour les rappeuses françaises ?
- Il y a un rapport à la féminité et aux
valeurs que la femme est censée incarner en France qui est
différent de ce qu'on retrouve dans le mainstream américain.
C'est probablement une question de
58
culture qui dépasse le cadre de la musique. Une fille
qui chante avec une voix douce et une guitare acoustique ça marche
très bien, mais si elle veut être lead singer d'un groupe de metal
on considère que y' a pas de place pour ça.
Le rap est misogyne ?
- Oui mais pas plus que Johnny Hallyday. Il faudrait
défendre la légitimité des cultures urbaines pour aider
les rappeuses.
Quelles solutions pour aider les rappeuses à se
populariser ?
- Garantir la parité sur les scènes. Leur offrir
de la visibilité. Faire en sorte que les structures s'intéressent
aux femmes rappeuses. Il y a un manque de labels en suisse. Les structures qui
ne sont pas très solides (ex : assos, petits labels), vont plus
capitaliser sur des projets de rappeurs, qui ont un plus gros potentiel de
vente. Surtout après deux années de covid, il faut remplir les
caisses. À cachet égal, il y a de fortes chances qu'on remplisse
plus avec un rappeur, qu'une rappeuse. On pourrait créer des labels pour
ça. Avoir plus de femmes dans le reste de l'industrie (productrices,
journalistes, dans les jurys...). Augmenter les subventions pour les projets de
rappeuses. Il faudrait aussi simplifier les demandes de subvention car pour les
artistes qui débutent c'est difficile. Utiliser des images de femmes sur
les supports de communication rap peut aussi aider à les visibiliser.
Tu es optimiste quant à la popularité des
rappeuses dans les années à venir ? - Carrément,
rien que le tremplin de cette année est un méga bon signe !
Des rappeuses suisses à recommander ?
- Badnaiy, VVS Panthere, Dark Queen, Lagale, Naomie Lareine
59
Éloïse Bouton, Fondatrice de Madame Rap
(04/05/2022)
Pourquoi avoir créé le média Madame
Rap ?
- Pour plusieurs raisons. D'abord parce que j'ai toujours
écouté du rap et des rappeuses, et je trouvais dommage qu'elles
ne soient pas plus mises en avant dans les médias grands publics et
spécialisés. Ensuite, j'étais investie dans plusieurs
associations féministes et à l'époque, dans certains
milieux féministes, c'était mal perçu d'écouter du
rap. Les arguments étaient les mêmes qu'aujourd'hui : paroles
affreuses, musique sexiste, mise en scène dégradante dans les
clips... Je ne comprenais pas pourquoi le rap cristallisait cette
idée-là plus que d'autres courants artistiques. Je voulais
montrer que ce n'est pas incompatible et que c'est au contraire un bon moyen
d'expression. Enfin j'étais pigiste et on refusait souvent mes articles
en me disant que c'était un sujet de niche. J'ai voulu créer un
espace où je peux écrire librement sur ce sujet, qui ne me
paraît pas être de niche.
Comment se fait le travail de recensement chez Madame Rap
?
- C'est moi qui m'occupe du listing, c'est beaucoup de
recherche sur les réseaux, sur soundcloud et sur BandCamp, C'est
passionnant. Il y a presque 2800 rappeuses que j'ai recensé dans le
monde aujourd'hui.
Vous avez eu l'impression que les médias
étaient réticents à donner de la visibilité aux
rappeuses ?
- Oui, dans les médias rap comme grands publics. Il y a
des grands noms du journaliste rap qui ne mettent pas suffisamment les
rappeuses en avant. On voit des top de l'année sans aucunes femmes
dedans, c'est pénible.
Pourquoi à votre avis ?
- C'est pratiquement que des hommes à la tête de
ces structures. Ils reproduisent un entre soi. Plus on mettra des personnes de
genres, milieux différents dans des postes à
responsabilité, plus on apportera de la diversité dans
l'industrie et au public. S'il y a peu de femmes DA dans les majors, ça
veut dire que les artistes que l'on voit sont choisis par des hommes. On
retrouve le fameux «male gaze».
Le manque de femmes à des postes de
décisions dans l'industrie musicale joue-t-il un rôle dans
l'invisibilisation des rappeuses ?
- Oui clairement et ça impact aussi la manière
dont elles sont marketées, présentées, promues. Elles
dépendent d'un regard masculin.
60
Vous pensez que le public aussi est réticent
à accepter les rappeuses ?
- Pour moi pas du tout. C'est un discours piège
véhiculé par les hommes. On sait que ce qui marche c'est la
promo. Si les moyens sont mis, le public s'y intéressera
forcément.
Est-ce qu'une rappeuse devrait viser un public
plutôt féminin ?
- Je pense qu'il ne faut pas s'intéresser au genre.
C'est avant tout du rap. C'est évident qu'une Cardi B n'est pas
écoutée que par des femmes. Comme on est dans un pays globalement
sexiste, «rap de fille» est synonyme de «moins bien».
Même les algorithmes des plateformes sont étranges par rapport
à ça. Quand j'écoute des rappeurs, on me propose que des
rappeurs par la suite. Quand j'écoute des rappeuses, on me propose
uniquement des femmes, même si ça n'a rien à voir comme
Angèle, Shakira etc... Le public masculin a aussi besoin d'une sorte de
validation de leurs goûts par d'autres hommes. Shay par exemple a
été validée par Booba. C'est pour ça que les
journalistes masculins ont peur de perdre leur public en parlant de
rappeuses.
Justement on écoute beaucoup de rappeuses
américaines en France, pourquoi le public ne suit pas les rappeuses
francophones ?
- Je pense que c'est dû à un manque
d'accès à ces artistes. Le décalage est énorme
entre les rappeuses qui existent et celles qui sont visibles. C'est plus facile
d'être découvert pour un rappeur. Il y a environ 350 rappeuses
actives aujourd'hui en France. Le grand public doit en connaître 3 ou 4
maximum.
Les femmes ont peur de se lancer dans le rap
?
- Oui, il y a beaucoup de pression sociale à cause des
clichés du rap de la part des proches. Elles se prennent aussi beaucoup
de réflexions sexistes. Ça en décourage certaines. J'ai
fait beaucoup d'open mics test, mixte et non mixte. Les filles avant tendances
à beaucoup plus se lâcher et moins se censurer devant un public
non mixte. Les textes et les tenues étaient différents. C'est
sûrement moins difficile une fois que c'est une artiste confirmée
que pour les artistes émergentes qui doivent faire leurs preuves. Une
rappeuse qui assume de se sexualiser, si y a pas d'homme qui l'a couverte
derrière, est vite slutshamée. Je pense que c'est difficile pour
des artistes comme Davinhor et LeJuiice qui traitent de sujets comme le
patriarcat et les hommes, et qui sont féministes même si elles ne
se définissent pas comme ça. Quand il y a un manque de
féminité ou dans des modèles de genre différents,
le public s'y intéresse moins.
Est-ce que c'est gênant pour les rappeuses
d'aujourd'hui de toujours leur rappeler le succès de Diam's
?
- Si elles n'ont pas cité Diam's comme une de leur
référence, je ne vois pas pourquoi les comparer. On oublie qu'il
y a eu des rappeuses avant en plus. Elle n'est même plus présente
musicalement. Elle a arrêté sa carrière. Les médias
ont créé une nostalgie autour d'elle. En France on aime bien
61
les exemplaires uniques. Comme s'il n'y avait de la place que
pour une personne. Il y a eu une grande rappeuse et on dit aux nouvelles
qu'elles n'auront jamais son succès. En plus elle allait très mal
durant sa carrière. Les nouvelles générations de rappeuses
de 16/17 ans pour la plupart n'ont même pas grandi avec elle et font de
la musique très différente. On pousse les femmes à
être en compétition entre elles comme s' il y avait peu de
places.
Quelles solutions existent aujourd'hui pour donner de la
visibilité aux rappeuses ?
- Il y a pleins de choses. J'essaye d'encourager les artistes
à se structurer. Il y a beaucoup de dispositifs de
révélation/accompagnement qui existent mais sont montés
par des hommes blancs cisgenres. Ça ne veut pas dire que ce n'est pas
une bonne chose, mais j'ai peur qu'à terme le business se fasse à
leur dépens. Donc plus d'initiatives faites par les femmes. Même
si c'est difficile de trouver les ressources, l'argent etc... Les médias
grand publics doivent arrêter de parler des rappeuses à travers le
genre. Il n'y a pas de rap féminin/masculin. Diversifier l'industrie.
Mettre en place des quotas pour les programmations. On sait que ce
système fonctionne.
Il y a une réticence à signer des
rappeuses, par ce que ça «marche moins» ?
- Le métier de DA c'est un métier de prise de
risque. Aujourd'hui on peut signer ou programmer juste au nombre de vues.
Surtout après le covid, personne ne veut prendre de risque.
Dénicher de nouveaux talents c'est pas attendre que le public mette des
likes.
On en attend plus d'une artiste que d'un artiste
?
- Clairement. Après on le sait, comme dans tous les
domaines de la société les femmes doivent en faire 25 fois plus.
Certains mecs qui rap à peu près correctement ou qui font un son
un peu fun, et qui ont quelques vus seront plus facilement signés. Les
femmes elles vont se faire insulter plus facilement. Quand un rappeur à
souvent besoin d'un seul titre, on va attendre qu'une rappeuse nous convainque
avant de dire qu'on aime bien. On connaît les injonctions contradictoires
«trop grosse», «trop maigre», «trop vieille»,
«trop jeune», «vulgaire», «pas assez
féminine». Il vaut mieux s'en amuser, et certaines en jouent, sinon
on ne s'en sort pas. Je pense encore une fois que ça peut se
régler avec plus de diversité dans les instances de
décision.
Vous êtes optimistes sur la popularité des
rappeuses dans les années à venir ?
- Oui je trouve que les choses évoluent. Je vois via
Madame Rap qu'il y a tout le temps des nouvelles artistes. Il y a plus de
solidarité, sûrement grâce aux réseaux sociaux.
J'espère juste qu'elles resteront libres dans leur succès et que
ce ne sera pas approprié par des hommes. On a besoin de sortir de ce
male gaze.
C'est important d'apporter un point de vue féminin
sur ces artistes ?
62
- Oui. Il y a des initiatives pour mettre en lumière
les rappeuses qui ont été prises récemment qui sont
à côté de la plaque. C'est en partie dû au fait que
ce soit des projets portés par des hommes. Par exemple, dans le
documentaire Reines de Canal +, il n'y aucune beatmakeuse. Ce
n'était pourtant pas compliqué d'en trouver. De plus, Bianca
Costa ne se définit même pas comme rappeuse. Sur les centaines
existantes, ils n'ont pas fait l'effort de trouver 5 artistes qui se
définissent comme rappeuse. Quelle image ça renvoie ? Au lieu de
les mettre en lumière, on fait croire qu'il n'y en a quasiment aucune.
Même le titre Reines pose un problème. C'est pour
ça qu'il faut plus de femmes à la tête de ces projets,
sinon ça sonne faux et on le sent. Peut-être que ce n'est pas
fini, mais c'est choquant de voir aussi peu de parité sur des compiles
à 30 voir 150 rappeurs. C'est agaçant qu'on m'appelle pour
ça, sans regarder que je ne parle pratiquement pas d'hommes.
63
Mekolo Biligui, journaliste spécialisée rap
(10/05/2022)
C'est plus difficile pour une femme de se lancer dans le
rap ?
- Oui mais ce n'est pas spécifique au rap. Le rap
n'échappe pas à la misogynie, comme les corps de métiers
d'expertise aussi. Il y a forcément un ratio plus faibles de personnes
qui s'identifient comme féminines. C'est un métier d'exposition
donc il y a plus de critiques sur les réseaux. On peut voir sur le
dernier clip de Shay beaucoup de commentaires misogynes.
On a reproché à Shay de s'inspirer de
Cardi B, pourtant il y a un public français pour les rappeuses
américaines qui ne suit pas les rappeuses françaises, qu'est ce
que tu en penses ?
- Les rappeuses américaines ont une autre façon
de considérer le corps, je pense qu'en France on a un souci avec
ça. On le met à distance en se disant que c'est une autre
culture, mais quand c'est la nôtre ça ne passe pas. Je pense que
les américains ne seraient pas du tout choqués par Shay.
Après les rappeuses américaines subissent aussi des critiques,
mais ça a l'air de prendre moins d'ampleur qu'en France.
On a du mal à trouver un public pour les rappeuses
?
- Typiquement Shay est très suivie par le public, mais
je pense qu'on ne considère pas le bon public. Les femmes sont bien
présentes dans l'écoute du rap mais ne s'expriment pas beaucoup.
On les voit en concert mais ce ne sont pas elles qui donnent leur avis sur les
réseaux. Finalement le «public twitter» n'est pas si
représentatif du public des artistes. Les gars parlent beaucoup, donc on
a l'impression que le public masculin drive les goûts musicaux. En
réalité, beaucoup d'artistes savent très bien que s'ils
ramènent un maximum de femmes dans leur public, un public masculin va
suivre.
Le public masculin attend-il une validation masculine
?
- Le Juiice où une Zinée, elles sont
arrivées avec leur voix, leurs prods et leur univers et je pense que
c'est ça qu'on a vu en premier. Après c'est vrai que souvent on
attend qu'un journaliste masculin les «valide» avant d'avoir un
engouement des médias. Mais je pense aussi qu' une artiste
féminine va amener un public plus large et plus représentatif de
la jeunesse. Par exemple, dans quelque chose de plus pop, le public d'Aya
Nakamura est sûrement plus représentatif de la jeunesse
d'aujourd'hui, avec des femmes, des hommes, des personnes queers. Peu de
personnes ont compris ça et ont commencé à capitaliser
dessus. Il y a des populations qui ont du mal à trouver des artistes qui
leur parlent et à qui ils s'identifient, et les artistes
féminines ont ce pouvoir d'amener un public plus large.
Les médias sont-ils réticents à
donner de la visibilité aux rappeuses ?
64
- Forcément j'écris sur moins de filles mais
j'essaye d'en mentionner dès qu'on peut. La question aussi c'est la
parité dans les journalistes, sur les plateaux etc... Quand il y a des
gros médias qui citent les sorties d'album et qu'il y a une femme qui
sort un album et qu'on ne la cite pas, c'est un manque d'effort. Il y a moins
de rappeuses, on peut se permettre de les mettre en avant quand on peut. On
donne un accès difficile à ces rappeuses, donc le public en
connaît 3,4 sur les centaines qui existent. Même les journalistes
du milieu n'arrivent pas à citer des noms.
Est-ce que c'est embêtant pour les rappeuses de
leur rappeler le succès de Diam's ?
- Oui. On ne ramène pas les rappeurs à Booba. On
parlera d'inspiration à la limite, mais dans le cas de Diam's on
l'oppose aux autres rappeuses.
Est-ce que ça bloque du côté des
labels ?
- Ouais, il y a une impression de prendre des risques en
signant une rappeuse. Parfois il y a des directions artistiques un peu
bizarres, on les pousse peut-être trop vers la pop alors qu'elles n'en
ont pas toutes envie. On les signe souvent quand elles ont déjà
un public ou qu'elles sont vraiment excellentes. On est plus exigeants envers
les femmes, mais ça c'est un problème de
société.
Qu'est ce qu'on peut faire pour aider les rappeuses
à se visibiliser ?
- Dans notre profession en tant que média, il faudrait
qu'on essaye d'être plus équitable dans les propositions qu'on
fait. Chaque média à sa communauté, si tout le monde s'y
met on aurait vraiment un impact. En fait, il faudrait surtout qu'on vive dans
une société moins misogyne. C'est pareil dans pleins d'autres
milieux. Regarde, il y a peu de guitaristes femmes, ou de femmes dans
l'électro. Si on voit plus de femmes visibles sur les plateaux, dans les
labels, ça va amener un public féminin qui va se dire qu' elles
aussi elles peuvent avoir et donner un avis sur le rap. La mentalité
vient aussi du public, ce sera difficile de la changer si la
société reste la même.
Qu'est-ce que tu penses des représentations
grand public des rappeuses comme la série Validé, Diana Boss, le
documentaire Reines ?
- Pour Validé, j'espérais qu'ils parlent d'une
rappeuse dans la saison 2 justement, mais je trouve que ça n'a pas
été bien exploité, le rap est devenu secondaire. Je n'ai
pas vu la série avec Moona mais ça m'a l'air pas mal. On voit
dans le jury de la nouvelle émission de Netflix qu'il y a Shay. De toute
façon avec les réseaux on ne peut plus ignorer qu'il y a des
femmes qui rappent. Reines il y a beaucoup de trucs qui vont, tout le monde n'a
pas un portrait, le planète rap c'est un faux, dès le
générique c'est Diam's, ils auraient pu choisir quelqu'un
d'autre, ou mettre le son d'une des rappeuses du documentaire.
Qu'est ce que tu penses des initiatives de tremplins 100%
féminins ?
65
- C'est très bien comme initiatives. Je comprends que
les femmes soient plus à l'aise dans ces événements. J'ai
eu un cas l'année dernière lors d'un BuzzBooster régional.
Il y a une artiste qui est montée sur scène et des jeunes dans le
public qui lui ont crié «les femmes c'est à la
cuisine». Ça va à l'encontre des valeurs de la culture
hip-hop. Les organisations doivent être intransigeantes sur ce genre de
comportement. La seule artiste féminine va se prendre des
réflexions sexistes avant même de commencer.
Tu es optimiste quant à la popularité des
rappeuses dans les années à venir ?
- Oui, il y a des filles qui tracent leur route. À
force de travail ça marchera. LeJuiice, par exemple, est hyper forte,
ça ira pour elle. Eesah Yasuke aussi, je la suis de près et je
pense que ça va marcher pour elle, même si c'est fastidieux.
Après il faut revoir la notion de popularité. Certains artistes
moins exposés vivent très bien et ont trouvé leur public.
J'insiste aussi sur le fait qu'on ignore le public féminin et LGBTQ+
alors qu'il est bien présent.
66
Gauthier Benoît, Fondateur de Rappeuz (10/05/2022)
Pourquoi avoir voulu monter un tremplin de rap
spécialement féminin ?
- À la base on est une structure qui s'appelle
CallMeFemcee, on accompagne des artistes émergentes internationales dans
leur développement. On avait des rappeuses anglaises, tunisiennes,
italiennes...dans notre collectif. On s'est rendu compte qu'il y a un
véritable besoin d'accompagnement, certaines font des rencontres
malveillantes.
Comment se passent les candidatures ?
- C'est en ligne. Il y a une présélection.
Ensuite elles viennent passer les castings sur les lieux partenaires (Paris,
Ivry, Lilles, Marseille). 2 finalistes par villes donc une finale avec une
dizaine de candidates. On est très accessibles par les candidates. On
est proche d'elles, on fait pas mal d'accompagnement et de rencontres. C'est
très humain, à partir du moment où tu candidates tu peux
bénéficier de nos conseils. C'est important pour nous de donner
un vrai feedback aux rappeuses et surtout de les rencontrer chez elles. On veut
leur permettre d'avancer dans leur projet.
En quoi consiste l'accompagnement que vous proposez aux
participantes ?
- L'accompagnement s'adapte à leurs besoins. On va
discuter avec elle, si elle a besoin de studio ou d'instrus on va les
présenter à des pros bienveillants et si c'est de la
stratégie ou du développement scénique on va travailler
dessus.
Les artistes que vous rencontrez sont-elles
déjà structurées ?
- Un des critères de participation est de ne pas avoir
plus d'un partenaire pro (exemple: label ou distributeur). Après on a de
plus en plus de candidates qui rappent depuis longtemps et qui n'arrivent pas
à s'entourer.
Comment le tremplin a évolué au fur et
à mesure des éditions ?
- La 1ère édition était en 2019, on a eu
plus de 150 candidatures, les castings étaient en live mais pas la
finale. La 2e édition était spéciale puisque
c'était pendant le COVID, donc 100% en ligne. On a pu reprendre le live
l'année dernière, il y avait une énergie de ouf. Cette
année, pour la 4e édition, il y a une salle partenaire en plus,
le Hangar à Ivry. On a fait Lilles le 5 mai, La Place le 10 mai,
Bordeaux le 15 mai au Rock School Barbey et le 19 mai, Marseille. En plus il y
a eu une présélection à Brest, et la gagnante est prise en
charge pour passer le casting à Paris. On monte en level et on est super
contents.
67
Quels freins empêchent les rappeuses de se
développer ?
- C'est un mélange de plein de choses. C'est
déjà difficile pour un artiste homme de se faire une place, alors
une femme c'est pire. Surtout de se faire un réseau. Elles peuvent
tomber sur beaucoup de gens malveillants, qui font tomber leur projet à
l'eau.
Il y a une réticence à leur donner de la
visibilité ?
- La réalité c'est qu'en France on s'enferme
beaucoup dans un style «qui marche». Sur le tremplin on voit plein de
profils et de propositions différentes. Il y a une diversité
d'images, de textes... Le rap est une industrie, il y a des codes, et un manque
de prise de risque.
Comment les rappeuses peuvent-elles gagner en
visibilité ?
- La plupart des artistes qui viennent ne savent pas par
exemple que dans beaucoup de villes il y a des structures d'accompagnement
comme les SMAC. Il y a aussi cette image du rap qui doit marcher à
grande échelle, «je dois faire du buzz». Alors qu'une bonne
stratégie est de d'abord s'implanter localement, identifier les pros
autour d'elles, fidéliser un premier public... Souvent les projets des
rappeuses stagnent dans le processus de professionnalisation. Elles ont
dû mal à intégrer un réseau.
On écoute beaucoup de rappeuses
américaines en France, pourquoi le public ne suit pas les rappeuses
francophones ?
- L'industrie essaye de copier les codes américains.
Ducoup, le public préfère écouter les américains.
Alors que dans le rap français y a des textes, Il y a plein de choses
à mettre en avant. Mais c'est un problème de
société. Comme le dernier titre de Shay, les gens ont
l'impression que ça fait pareil en moins bien. Le public français
a du mal à soutenir. C'est fou ce qui passe à la radio en
comparaison de la diversité énorme de profils et de projets qu'on
voit ici.
Qu'est ce que vous pensez du fait qu'on ramène
souvent les rappeuses à Diam's ?
- C'est chiant. «Alors c'est vous la nouvelle
Diam's» ? Des fois tu accompagnes une rappeuse et on te dit «j'aime
bien Chilla», le rapport ? Au début, nos partenaires
s'inquiétaient du niveau de la finale. Alors qu'attend, on a 150
candidates, des castings avec des pros, le niveau sera forcément
là.
68
Josué Bananier, manager de Liouba et cofondateur de
RekYou (27/05/2022)
Comment en es-tu venu à manager Liouba
?
- Avant Liouba je manageais un autre artiste, c'est là
que j'ai fait mes premières armes. J'avais décidé
d'arrêter les missions de manager car ça prenait beaucoup de
temps. J'ai rencontré Liouba à l'issue d'un Rekord Live où
elle performait. Ça a été un coup de coeur musical et
humain. Ça m'a donné envie de reprendre cette casquette que
j'aime beaucoup. Quand je l'ai vu je me suis dit que c'est une pépite,
j'ai envie de l'aider à se polir et devenir l'artiste qu'elle souhaite
être. Je ne suis pas fan d'artistes mais de ceux qui les entourent. J'ai
passé beaucoup de temps à étudier les stratégies
mises en place par les équipes des artistes que je suivais.
Il y a une différence entre l'analyse et la
pratique du métier de manager ?
- Carrément. Déjà on avait changé
de période, il n'y avait pas YouTube, Twitter, Instagram avant... Les
codes ont changé. Je me suis rendu compte que le travail est
énorme, surtout qu'il faut prendre en compte la vie perso de l'artiste.
Il y a beaucoup d'humain dans ce métier.
Quel est le public de Liouba ?
- Liouba est écoutée par une majorité
d'hommes. J'aimerais équilibrer son public. Déjà parce que
le public féminin achète plus facilement des places de concert.
J'aimerais aussi qu'elle ait une communauté féminine plus forte,
qui s'identifie à elle. J'aimerais qu'elle soit un role model. Voir des
rappeuses sur scène, ça fait aussi passer le message aux autres
femmes que c'est possible, et petit à petit continuer à faire
monter la scène féminine rap. Le public masculin est important
aussi, pour mettre en place des featurings rappeuse/rappeur, où la
rappeuse à l'espace de montrer qu'elle sait kicker, au lieu du
traditionnel rappeur/chanteuse.
Les publics masculin/féminins sont attirés
par des critères différents ?
- Dans le cas de Liouba, la plupart du public qui la voit en
concert ne la connaît pas. Après on a eu des filles qui se sont
déplacées de Belgique pour la voir, parce qu'elles ont
accroché à son univers. Il y a aussi des hommes qui se
reconnaissent dans son discours. Un homme qui va voir Cardi B va venir passer
un bon moment parce qu'il kiffe ses sons, mais aussi parce qu'elle joue sur ses
attributs et que visuellement ça va leur plaire. S'il va voir un
rappeur, le physique il s'en moque, il vient participer à un concert
pour la musique. Une femme peut aussi apprécier une rappeuse qui joue
sur ses attributs par ce qu'elle s'assume et décomplexe. Pour moi, si tu
veux atteindre un public mainstream, tu joues sur l'image et la
sexualité,si tu veux toucher ta niche, tu restes toi même. Le
public masculin qui viendra voir une rappeuse avec une image plus masculine,
viendra pour son flow, sa personnalité, son show. Finalement, on a
l'impression qu'elles plaisent moins, alors qu'elles ont un public de niche, et
le ce public est bien plus fidèle
69
donc ce n'est pas négatif. On a trop cette image du
succès comme étant grand public. Un artiste qui ne passe pas sur
des médias mainstream peut très bien vivre et remplir des
zéniths. Lala&ce par exemple, elle a son public. Elle a su
récupérer un public LGBT qui n'avait pas assez de profils
auxquels ils s'identifient.
Quelle stratégie tu adoptes pour Liouba
?
- Les sujets qui animent Liouba ne sont pas des sujets qui
touchent trop le public mainstream, le vegan, l'humain, le bien être...
Ces thèmes-là vont la porter vers son public, de niche. Dans un
deuxième temps, elle a des titres qui ont un potentiel mainstream, mais
ce n'est pas l'objectif absolu car le public mainstream est de toute
façon très instable. Mon but est qu'elle puisse vivre de sa
musique.
C'est différent de manager un rappeur et une
rappeuse ?
- Un artiste est un artiste. Après, un homme peut
aborder tous les sujets, une femme risque plus en parlant de certains sujets.
Il faut prendre ça en compte dans le management, voir avec l'artiste si
elle est prête et à l'aise de développer une image qui
pourrait être sensible auprès du public, et qui pourrait lui
apporter de la haine. Aujourd'hui tu n'as plus besoin de venir de cité
pour faire du rap. Il y a un plafond de verre pour les filles qui reste dans
les esprits. La parade qui a été trouvée, à mon
avis, c'est de pousser la sexualisation. Et là les rappeurs veulent des
feats avec la go. Les valeurs du hip hop, c'est l'entraide et faire avec les
moyens du bord. Même la soeur, si tu la trouves forte, tu la portes.
Même si elle te fera de l'ombre parce qu'elle est plus forte, tu la
portes. Il y a des schémas qu'il faut qu'on casse. Travailler avec une
rappeuse c'est un combat, faut pousser, faut arriver avec toujours plus de
créativité. Il faut faire des feats avec des rappeurs, où
elles montrent qu'elles kickent. Une rappeuse doit pouvoir s'imposer sans se
sexualiser si ce n'est pas ce qu'elle souhaite.
Pourquoi on a pas le même engouement en France
pour les rappeuses francophones que pour les rappeuses américaines
?
- Parce que les États-Unis ont réussi à
se construire un imaginaire dans le public français. C'est plus
acceptable dans la tête des gens parce qu'ils sont habitués
à voir des rappeuses américaines. C'est une question de culture
aussi. En France on joue avec les mots, on a la chanson française. Dans
l'imaginaire français, la femme n'est pas censé avoir des mots
crus ou se sexualiser. On les a jamais trop médiatisées les
femmes du rap, à part Diam's. Donc le public n'est toujours pas
habitué.
Il y a une réticence de la part de l'industrie
musicale française à leur donner de la visibilité
?
- Il ne faut pas oublier que c'est une industrie. Les labels
n'ont pas d'intérêt à miser sur un projet qui ne rapporte
pas. Si tu te positionnes en tant que chef d'entreprise, ton but c'est de faire
de l'argent. Depuis la crise du disque, les rémunérations sont
plus compliquées. Les grands labels ne
70
font pas du développement d'artistes comme avant. Le
travail est fait par les artistes eux-mêmes ou des labels indés.
Si ça marche, les majors arrivent et signent derrière. Je ne peux
pas blâmer l'industrie à 100%. Par contre, il faut avoir plus de
personnes en interne qui ont l'envie de faire monter la scène des
rappeuses. Malheureusement il y a aussi un problème de
compétition pour certains rappeurs ou DA qui n'ont pas envie qu'une
femme soit considérée comme «plus forte» qu'eux, par ce
qu'ils pourraient vendre moins. Il est temps que des structures et
médias s'imposent avec de nouvelles lignes éditoriales et mettent
en valeur des rappeuses. Je pense que vu tous les collectifs qui se montent il
y a un engouement qui se crée et le public sera au rendez-vous.
Quelles solutions existent pour aider les rappeuses
à se visibiliser ?
- Tout le digital. Les réseaux YouTube, TikTok, Insta,
et des nouvelles plateformes qui se créent. Ça leur permet de
s'exprimer comme elles veulent et de toucher le public qui leur correspond. Le
tout est de produire du contenu. Il y a beaucoup de vu et revu chez les
rappeurs. Faut amener quelque chose de plus. Plus de violence ? Plus de douceur
? Plus conscient? Il faut être créatif, au niveau du marketing
c'est une erreur de se calquer sur le modèle des autres rappeurs. Parle
de ce que t'as vécu. J'aimerais bien entendre parler de la cité
à travers les yeux d'une fille. Arriver avec un autre regard, quelque
chose qu'on a jamais entendu. Liouba par exemple, qui avant elle s'est
présenté comme rappeuse vegan. Faut que le projet soit unique
niveau image, DA, musique. C'est comme ça qu'elles pourront plaires aux
médias mainstream. Les outils comme RekYou, Groover, Base4music etc...
faut qu'elles s'en saisissent. Les NFTs pareils.
Tu es optimiste pour la suite ?
- Au début personne ne regardait le foot
féminin, maintenant elles remplissent des stades, les médias s'y
intéressent parce qu'ils savent que ça va être rentable.
C'est pareil pour les rappeuses, ça prend du temps mais ça va
venir. Faut s'y intéresser et se battre, et si c'est pas cette
génération là ce sera la prochaine qui en
bénéficiera. J'y crois fort. Quand je vois Liouba, Lazuli,
Lala&ce sur scène c'est juste lourd.
71
Ekloz, rappeuse (08/06/2022)
Est-ce que tu peux rapidement me raconter comment t'as
décidé de te lancer dans le rap ?
- J'étais en spécialité danse au
lycée, mon but était de devenir prof de danse. Le rap m'est
tombé dessus comme ça pendant mes années de lycée
et je me suis concentrée dessus à fond après le bac.
Quelle place à la scène dans ta
carrière ?
- La scène pour moi c'est le centre, c'est de là
que tout part. J'avais l'habitude de créer mes morceaux en pensant
à la scène, à l'énergie, à la foule. Quand
il y a eu le COVID j'ai dû me recentrer, j'ai perdu mon premier centre de
motivation. Comme la scène c'était ma plus grosse perspective
d'évolution, j'ai eu peur d'avoir loupé le coche. Quand c'est
reparti je m'attendais pas à tourner autant. J'ai dû avoir 25
dates depuis le début de l'année sans démarcher. J'ai
réussi à être crédible professionnellement, je ne
fais plus de dates payées par exemple. En tout cas la scène c'est
ça qui me parle et qui me rappelle pourquoi je fais de la musique.
Le texte est important pour toi ?
- Oui je fais du rap, c'est la base. J'ai besoin qu'il y ait
du sens partout, dans ma musique, dans mes clips... Je ne vais pas faire des
choix purement esthétiques que je n'arrive pas à justifier.
Quels artistes t'ont influencés ?
- J'ai découvert le rap par la scène, les
événements donc la scène indé locale. Je trouve
qu'aujourd'hui ça se branle beaucoup sur scène. Surtout des gros
artistes qui sont décevants. Le rap indé tel que je l'ai connu
était beaucoup plus brut, féroce. Celui qui m'a mis une claque en
terme scénique et d'écriture c'est Furax Barbarossa. J'ai compris
via lui ce que c'était vraiment le rap. Ça m'a parlé.
L'avantage du rap par rapport à la danse c'est que tu peux en faire
partout, avec n'importe qui, t'as pas besoin de conditions
particulières.
C'est qui ton public ?
- J'ai un public hyper hétéroclite. Je pense que
j'ai gardé le rap d'où je viens, dans l'écriture, le rap
plus à l'ancienne, old school dans le fond de ce que je fais, mais que
la forme. J'arrive à toucher un public hyper large. L'énergie
tout le monde est capable de la percevoir. De ce que je peux voir, les gens
sont limite surpris de kiffer ce que je fais. Il y a un peu une image
posée sur les rappeuses. On me dit «d'habitude j'aime pas les
rappeuses, j'aime pas le rap féminin mais toi tu amènes quelque
chose». J'ai pas mal de personnes qui me disent d'habitude «j'aime
pas le rap mais toi». Après je pense que j'arrive à un bon
moment, où ça devient la mode de pas rapper sur
72
du rap, ce créneau d'esthétique musical est en
train de s'ouvrir et je rentre dans la brèche, je ne me limite pas. Je
sais que les plus anciens vont kiffer l'écriture, les plus jeunes sont
moins attentifs à l'écriture mais il y a des rimes et ils turn
up.
Y a des gens qui avaient des préjugés parce
que t'es une rappeuse ?
- Ouais ça y en a toujours. Il y a une espèce de
norme sur les rappeuses. Soit t'es le cliché du petit mec, soit t'es la
meuf méga sexualisée. Moi je reste moi-même et j'assume
autant ma sexualité, j'ai pas peur d'en jouer, que le fait de vraiment
rapper, c'est la culture qui me parle. Je vois que les gens
s'intéressent et c'est trop cool.
On t'as vu sur le Cypher de KT Gorique, tu cherches
à t'entourer d'autres rappeuses/femmes dans l'industrie ?
- Ce n'est pas quelque chose que je cherche. Je ne suis pas
là pour me faire des copines. Y un truc de pseudo solidarité sur
les rappeuses. On a pas besoin de se tenir la main entre meufs. Après
m'entourer de femmes dans le business évidemment. J'ai eu besoin
à un moment donné de rajouter des femmes dans mon équipe.
Niveau rigueur désolée, il y a plus de professionnalisme chez les
nanas. Après je vais pas aller copiner avec des artistes femme, si je
kiffe je kiffe, comme pour les mecs.
Est-ce que parfois on te rattache à d'autres
rappeuses par ce que t'es une femme ?
- Oui tout le temps. Le «ah tu me fais penser à
Keny Arkana, Diam's, Lala&ce...» je l'ai eu pas mal de fois. Ça
tourne autour des 5 mêmes blazes.
J'ai vu que t'as été
sélectionnée à pleins de tremplins, notamment les
Inouïs. Qu'est ce que ça t'a apporté ?
- Ça m'a apporté de croire en moi. Je suis une
meuf du Sud, j'arrive à Paris et tu sais ça va vite Paris. Tu te
permets de rêver un peu plus grand. J'ai des objectifs très
précis, toujours dans une optique de progression mais je ne me mets pas
trop en danger. Quand j'arrive dans ce genre de dispositif je me dis que j'ai
de la chance. Ça me permet de me rendre compte que je ne suis pas
larguée et que je suis légitime d'être là. Ça
confirme et renforce tout le travail que je faisais déjà en
fait.
C'est quoi tes prochains projets ?
- J'ai sorti un EP il y a un mois, c'était un gros
projet, on a travaillé longuement dessus. Donc là c'est prendre
des vacances.
73
Liouba, rappeuse (14/06/2022)
Est-ce que tu peux rapidement me raconter comment t'as
décidé de te lancer dans le rap ?
- Au début, j'étais plus
intéressée pour travailler avec les chevaux. C'est mes
premières histoires de coeur qui m'ont poussé à
écrire un rap. J'étais très en colère contre un
garçon, et c'était le seul moyen de lui dire d'aller niquer sa
mère. Ça m'a trop fait du bien donc j'ai continué à
écrire du rap pour le plaisir. L'été suivant mon bac, je
ne savais pas trop ce que je voulais faire. C'est ma meilleure amie qui m'a
fait comprendre que je voulais faire de la musique. Je suis donc partie
à Londres faire des études de songwriting. Je suis revenue
à Paris et j'ai rencontré mon manager en 2019 pendant un
showcase.
C'était évident pour toi de te tourner vers
le rap comme style musical ?
- J'ai une famille qui a une vraie relation avec la musique,
donc j'en ai toujours beaucoup consommé mais quand j'étais petite
c'était plutôt Mickael Jackson, AC/DC et Missy Elliott. J'ai
découvert le rap à 11 ans grâce au copain de ma grande
soeur. Disiz, Kendrick Lamar, Kanye West, Kid Cudi et Jay Z. Ça a
changé ma vie. J'écoutais ça matin midi et soir. Je
connaissais tout Disiz par coeur. Y a pas grand monde qui écoutait du
rap dans le milieu où je vivais, classe moyenne, école à
la maison. J'ai continué à écouter du rap en grandissant,
c'était un peu punk pour moi. Ça me permet d'exprimer des
émotions fortes, comme la colère. J'ai aussi toujours aimé
l'écriture et la poésie. Je trouve que le rap est un bon format
pour l'écriture.
Pourquoi tu choisis de rapper aussi en anglais
?
- Jusqu'à mes 16 ans, à part Disiz et mon
père, j'écoutais que des artistes anglophones. C'est aussi une
forme de protection, parce que les gens vont faire moins attention à ce
que tu dis, et j'ai toujours beaucoup aimé cette langue. Ça m'est
venu naturellement, la première chanson que j'ai écrite à
12 ans je l'ai écrite en anglais. C'est plus tard, quand j'étais
à Londres que j'ai voulu tester le français, voir comment
ça sonnait avec moi. Aujourd'hui je préfère écrire
en français, même si je garde les deux. Rien ne pourra remplacer
ta langue maternelle.
C'est quoi la Vegan Trap ?
- J'ai toujours aimé le rap et la trap, mais les textes
tournent souvent autour de choses violentes et insignifiantes, qui ne me
parlent pas trop. Il y avait besoin de ramener autre chose. C'est l'attitude
trap avec une intention de partage et de bienveillance, qui sont des valeurs
importantes pour moi. Je ne correspond pas à l'archétype du/de la
rappeur/rappeuse. Je médite, je fais du cheval, je suis dans la
bienveillance. Donc créer mon propre style ça me permet de me
sentir légitime de faire de la trap.
74
Tu connais ton public ?
- Pas encore vraiment, mais j'ai l'impression qu'il peut
être éclectique. Je me rends compte que je touche un public de mon
âge comme un public de 40-50 ans. On me dit souvent «j'aime pas
forcément le rap mais toi j'aime bien ce que tu fais, ton
énergie».
Tu penses que c'est plus dur pour une femme de se lancer
dans le rap ?
- Je pense que c'est surtout au niveau individuel. Un jour
j'ai fait une scène et on m'a demandé si ça ne me faisait
pas peur d'être la seule fille. Forcément ton genre joue sur ton
expérience. Faut savoir quelle place tu veux avoir et t'en tenir
à ça. Il y a souvent plus de mecs dans les
événements rap mais quand y a une meuf qui passe et qui
déchire tout le monde s'en rappelle. Je pense que c'est dommage de s'en
sentir victime, parce que c'est toi qui décide si tu es victime et
ça peut être une force aussi. Je pense que les filles qui veulent
rapper doivent simplement rapper et si elles se retrouvent face à un
connard soit elles font pas attention soit elles le remettent à sa
place. En tout cas j'ai l'impression qu'aujourd'hui le monde est avec nous.
C'est important de faire des collaborations
rappeurs/rappeuses ?
- J'aime autant rapper que chanter même si je
présente plutôt du rap. C'est important de faire des
collaborations avec des mecs et montrer que t'as pas besoin d'avoir des
couilles pour découper une prod. Faut pas se retenir d'être plus
forte qu'un mec. J'ai déjà été en présence
de rappeurs que je trouvais moins forts que moi, mais en général
ils sont plus arrogants que les meufs. Enfin, ils ont une confiance
disproportionnée quand les meufs vont avoir tendance, de manière
générale, à plus se remettre en question et à
douter. On va se poser plus de questions parce qu'on sait qu'on est plus
scruté par la société. Mais c'est valable dans tous les
domaines. Je pense que c'est notre rôle en tant que femme de prendre
notre liberté et et d'être maitres de notre bonheur. Ce ne sont
pas les mecs qui vont nous le donner. Par contre, ça ne veut pas dire
que all men are trash. Les femmes et les hommes c'est génial,
il faut juste que tout le monde se respecte.
C'est quoi tes projets pour la suite ?
- Cet été il y a des Super Liouba
Friday, qui sont des freestyles, qui sortiront tous les vendredis. Un
vendredi sur trois il y aura un vrai single avec potentiellement un clip.
À partir de la rentrée j'aurais des sorties de single une fois
par mois. Donc plein de choses qui arrivent, j'ai beaucoup de titres en stock.
Faire un max de concerts aussi. J'en ai deux de prévu pour la fête
de la musique, un au Cargo l'aprem et un à Vitry le soir. Le 2 juillet
j'ai un concert dans le 14e arrondissement. Objectif : plus de live et plus de
contenu !
SONDAGE
Mené dans le cadre de recherches pour ce mémoire,
sur une population aléatoire (78 participants).
La place des femmes dans le rap français
78 responses Publish analytics Sexe
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L Copy
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77 responses
|
· Femme
· Homme Autre
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·
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Âge L Copy
76 responses
75
Le style musical que tu écoutes le +
77 responses
· -18
· 18-24
· 25-34
· 35-44
· 45-54
· 55-64
· 65ou+
Q Copy
· Pop
· Rap
· Rnt3
· becta
· Rock
· Metal
· Classique
· Jazz
· Autre
E
76
Les artistes de rap français que tu écoutes le +
(1 à 3) :
69 responses
Plk, Laylow, nekfeu
Marwa / ninho
Hugo tsr I nekfeu f kenny arkana
Nekfeu
Aucun
Laylow, Alpha Wann, Népal
Nekfeu, orelsan, damso
Booba - Jul - Damso
Nekfeu, Jok'air, Chilla
1) Bigflo et Dli (vos grands mères avec les jugements
ils ont des ptn de texte) 2 Diam's / 3 Nekfeu
sch, jul,
Alpha Wann, Josman, Laylow Orelsan
Ninho, Timal, DA Llzy Ninho / Vald / orelsan Nekfeu, Damso,
Josman Nekfeu orelsan vald Abd al Malik MC Solar Damso Lomepal Hamza Damso,
Nekfeu, 4keus Bigflo et Oli I scylla
PLK ninho laylow
Nekfeu, Jul, Naps
Ninho, laylow, josman
Vald, Luv Resval, Leto
Josman, Laylow, Hamza
Laylow Vald Guizmo
La feve, sopico et kekra
Nekfeu / Damso / vald
Ninho, PLK, Niska
damso, pnl, lomepal
Aucune
Pnl mhd
Alpha wann, sch, ninho
Georgia, Naps et Damso
laylow
Damso
jwles, rx nephew, hook
Green Montana, bakari, Luidji
Pnl, so la lune, django
0
1. Nekfeu 2. Orelsan 3. LauCarré
Damso, Orel San
Laylow - Green Montana - Dinos
Nekfeu Lord Esperanza
laylow niro ninho
slimka, timal, kaza
Laylow, Josman, Hamza
Jul, Kekra, Makala
nekfeu, IAM
Ninho Booba Damso
Sopico, Laylow,
Orelsan, Damso, Lomepal
maitre girns, black m (j'ai honte)
Orelsan
Orelsan. Vald. Damso
Booba, Dinos, Laylow
Nekfeu Dinos alpha wann
Nek le fennek / Makala / Hamza
Lesram, alpha wan, disiz
Laylow ninho pnl
Base 221 / ZKR 1 Dinos
Chilla, shy, riles
1. Georgia 2. Plk 3. Lefa
Mister y tayc leto
Ninho - Booba - Jul
Orelsan, Stupeflip, Alpha Wann
|
|
|
Lamepal, Orelsan et Nekfeu
Écoutes-tu des artistes de rap féminines
(rappeuses) ? Q Copy
77 responses
Si oui qui ? L Copy
39 responses
3
3 (7.7%)
2 (5.1%)
2
1 (2.61t(A.(1.$1':p..:
.:p,,,,o,:,:0!.
1.:Gt :1':(1' ·(:1i(1.'(;1
o!{1!(1.'(:1?(:1'o-(1.'(p.Ti!{2!61i(:1.(:1' ·( ·`s1:'f( ·l*..:g(..-t(ep
0
Arnelygram Chilla, candi Diams' Lala &Ce Marwa Shay
chilla
Chilla, LeJui... Diam's / Chil... Doria, Baby... Le juiice,
sh... Shay le juiice, meryl
39 responses
· Je suis ouvert(e) à en écouter mais je n'en
connais pas
·
Lot]
J'en connais quelques une mais je n'aime pas leur musique Je
préfère quand elles chantent
· Je n'écoute pas de rap
81
82
 ton avis pourquoi il y a moins de femmes dans le rap ?
55 responses
Peur de se lancer dans ce milieu, ne pense pas avoir la voix
adaptée Car c'est un milieu assez jeune, il faut le tps que ça se
mette en place
Parce que c'est un milieu qui s'est construit avec des hommes
avec des sujets écoutés par les hommes et qu'on a du mal à
laisser la place aux femmes et bien qu'il y en ai les gens
préfèrent entendre ce genre de musique cru venant d'un homme (pq
jsp)
Question de culture je pense,mais elles vont trouver leur place
...... Milieu très misogyne
C'est un milieu très masculin qui peut être
intimidant pour une femme. De plus, même si elles ont le talent pour
rapper on va plus les pousser à rester sur un style pop/r&b
Cf : Validé saison 2
Parce que c'est un milieu historiquement masculin, et que comme
dans de nombreux domaines, malgré leur talent, les femmes doivent se
battre 2 fois plus pour être prises au sérieux et se faire une
place.
Parce que ce monde a été catégorisé
comme un monde masculin de gros connards qui jouent au jeu de "qui a la plus
grosse bite" Les femmes étant plus subtiles et valant mieux que
ça ne trouve pas leur place. Elles sont mieux que les autres
voilà tout. Malheureusement ajd les gens aiment bien les connards. (Et
je dis ça en tant qu'homme)
Selon moi, que peu (de rappeuses) réussissent à
faire du rap sans emprunter les codes misogyne des rappeurs mais qui, pour moi,
sonnent faux chez elles. Je trouve ça dommage que peu arrivent a
vraiment recréer de nouveaux codes.
Parce que depuis Diams, elles ont peur de ne pas être
à son niveau
Je pense que cela pourrait être du pour la simple et bonne
raison que pour la grande majorité de l'univers du rap .. le rap est
masculin
Parce qu'on ne leur laisse pas assez de place alors qu'elle
valent toutes autant que les hommes sur beaucoup de points
milieu vulgaire machiste Gangsta qui prône le chouf le fric
et la frime
Je pense que l'image d'une femme dans le rap français
n'est pas assez crédible aux yeux des gens comparé aux US par
exemple
Parce qu'elle serait automatiquement jugée masculine. Une
femme qui rappe est accompagnée de beaucoup de clichés. Sachant
que le rap est souvent misogyne, on est
|
|
Pas assez de diversité dans les artistes féminines
artistiquement parlant Ce n'est pas très valorisé
Je pense que le rap a été perçu dès
le début comme un style de musique masculin car c'est un style à
l'origine « violent », engagé, revendicateur. Dans la
société dans laquelle nous vivons nous sommes malheureusement
encré dans des clichés stupide. La femme ne peut être en
colère ou avoir des combats sinon elle serait traité
d'hystérique ou de folle. Elle doit rester discrète,
féminine, gentille. Et le rap est tout l'inverse. C'est bien sûr
complètement misogyne de penser comme ça et cela rentre dans une
société archaïque et très machiste.
Vu la misogynie de ce monde, ça donne pas trop envie de
s'y lancer je pense
Trop masculin centré elles ont peur de karim
Bizarrement, ce serait peut être l'image du rap qui est
plus adapté à l'homme. (Je ne suis pas d'accord avec
ça)
Sans offence je trouve qu'il y a très peu de femmes qui
ont un très bon niveau. Mais aussi trop d'hommes qui ont un niveau moyen
et qui percent plus que des femmes du même niveau
parce que c'est un milieu extrêmement misogyne (comme toute
l'industrie de la musique d'ailleurs)
Le milieu a l'air très fermé, il faut souvent
être bien entouré et le rap vient moins naturellement chez les
femmes lorsqu'elle commence à chanter
Aucune idée
Le patriarcat ! Je pense que on considère que c'est un
milieu d'hommes et que du coup, les femmes qui veulent faire du rap doivent
rencontrer énormément d'obstacles !
Milieu plus masculin
Parce que
Les hommes sont meilleures dans le milieu. Leur voix est plus
faite pour ça
Manque de visibilité (dans les feats...)
Manque de reconnaissance
Pas de représentante forte comme à l'époque
(Diams)
Beaucoup moins crédible malheureusement au vue de leur
sexe (pas mon avis personnel)
La culture rap est plutôt masculin de base même si
ça a tendance à s'équilibrer avec le temp
l'évolution des moeurs, la place de la femme dans la
société de manière globale etc.
|
|
conditionné à ce que femme et rap ne fonctionnent
pas ensemble.
C'est un milieu trop fermé, comme beaucoup de
métier en France où la femme n'est pas assez reconnu
Parce que la culture du rap est misogyne et sexiste, et je pense
que beaucoup de femmes rappeuses sont découragées et/ou
invisibilisées
Secteur majoritairement masculin, difficile de s'y faire une
place Le stéréotype que le rap est un milieu masculin
Plus dur à découvrir que Gazo par exemple
Surement due au « milieu » mysogine + «industrie
» surement retissante a introduire des femmes dans le rap....
La visibilité est surtout portée sur les hommes
Cela reste un milieu assez machiste mais pas fermé pour
autant
A cause des origines même du RAP, musique quartiers
populaires souvent associée à des propos violents dans les
années B0.
peut-être parce que le rap est une musique issue de milieux
populaires dans lesquels les moeurs sont moins progressistes, les femmes sont
donc beaucoup moins poussées à créer que les hommes qui
ont un quotidien compliqué et qui ont trouvé l'envie de
l'exprimer
Leurs textes ne diffusent sur les chansons pas la même
sujet que les garçons
C'est un milieu tellement misogyne qui se fonde quasiment (et
c'est bien dommage) sur un discours violent et discriminatoire pour les femmes,
ce doit être extrêmement difficile, d'abord de se lancer et ensuite
de tenir le cap
Je pense que malheureusement dans l'opinion publique et comme
beaucoup de domaines, le monde du rap est dominé par une
représentation et quasi total d'artistes masculins et qu'on ne donne pas
assez de place aux femmes
Je pense que c'est un milieu très masculin et qui est plus
écouté par des garçons que par des filles. C'est donc +
difficile pour une femme de s'y faire une place, l'audience n'étant pas
aussi ouverte
parce que le rap reste un milieu masculin et sexiste,
considéré dans la culture populaire comme vulgaire et les femmes
ne sont pas autorisés à l'être, elles sont aussi
malheureusement considérées comme des personnes qui n'ont rien
n'a revendiqué, le but du rap étant à mon avis de
revendiquer des idées et aspects sous un angle plus
démocratisé
C'est en train de changer tranquillou
Penses-tu que les rappeuses vont se populariser dans les
années a venir ?
60 responses
Oui
oui
Oui
Je trouve que plus en plus de femme sont écouter et
ça ne peut allez qu'en s'améliorant
Certainement
Je pense que oui mais va falloir charbonner et changer les
mindsets
Absolument
Malheureusement non
Je l'espère et j'ai hâte de voir ça!
Graaaave
J'espère
Probablement
Elle le commence déjà avec aya nakamura
Je pense et j'espère sincèrement
Yes
pourquoi pas ?
C'est possible mais ça restera compliqué
J'espère bien
J'espère
je l'espère !!
Totalement!
Oui sûrement mais lentement
Sûrement
Oui, en esperant que sa ne soit pas que marketings et qu'elles
puissent si installer durablement !
Oui je pense que beaucoup on du potentiel et que ce n'est qu'une
question de temps. Oui si elles trouvent un moyen de renouveler le genre
peut-être avec le temps mais étant donné que
ça n'a pas l'air d'être la priorité de la cause
féministe je pense qu'il faudra plus de temps
Non
Peut être si elles suivent le chemin de diam's
Je l'espère, on voit des hommes rappeurs tenir de plus en
plus un discours relativement éveillé, ils sont encore rares mais
ça apparaît par rapport à il y a quelques années ou
c'était carrément inexistant, j'espère que ça peut
ouvrir l'auditoire à l'idée qu'il n'y a aucune raison de ne pas
écouter de rappeuse
Je l'espère oui
Je pense que ça peut arriver car les rappeurs misogynes
comme tu l'évoquais sont moins nombreux qu'avant et cela change les
codes du milieu et laisse la porte ouverte aux femmes !!
je l'espère et je pense que oui !
Ouep
J'espère.. car de ce fait il yen aura plus qui seront plus
talentueuse
Oui, parce que le rap évolue mais surtout parce que les
mentalités changent. Avec les mouvements comme Me too ou autre, ils
peuvent être moteur de changement. Il y a encore beaucoup à faire
et cela reste très bouché mais j'ai de l'espoir.
Je ne sais pas mais je l'espère
Inshallah
Oui ! J'espère !!
Sûrement oui
j'espère !!
Je pense que oui progressivement
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Le]
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