II -PERCEPTION ET LOGIQUES
DES ACTEURS IMPLIQUEE DANS L'EXPLOITATIONDES ESPESES LIGNEUSES AU BOIS DES
SINGES :
L'espace à mangrove du Bois Des Singes fait de plus en
plus l'objet de discorde entre différents acteurs intervenant dans ce
champ d'action. Les municipalités, l'Etat, les populations autochtones
et les groupes étrangers qui s'y sont installés, il y a environ
plus d'unedécennie, se livrent à des luttes d'influence. L'espace
à mangrove devient par conséquent une plate-forme aux enjeux
multiples et variés. Schématiquement, il se dégage
plusieurs logiques d'acteurs.
La mangrove revêt une signification pour chaque groupe
installé au Bois Des Singes. Les représentations que les groupes
se font de cet espace sont totalement contraires aux intérêts des
pouvoirs publics. Cette divergence d'intérêts suivant les acteurs
se traduit parfois par la contestation et le non-respect des lois et
règlements édictés par les autorités
administratives. A titre d'illustration les arrêtés municipaux
interdisant la construction des habitations dans toute la zone
marécageuse sont balayés du revers de la main par les populations
en quête des terres. De même l'interdiction d'acquisition des
terres dans les cinquante premiers mètres à partir du niveau de
la plus basse mer, mentionnée dans l'ordonnance n °74 /2 du 26
juillet 1974, n'est pas respectée par les populations qu'elles soient
autochtones ou étrangères. Cette situation est
révélatrice de la nature de relations qui existe entre les
populations et l'administration au sujet de l'espace à mangrove au Bois
Des Singes. En clair, les populations du Bois Des Singesdéveloppent une
logique de contestation à l'égard de l'administration. Elles
récusent tout de l'administration qui les empêcherait de jouir
paisiblement des ressources de la mangrove à l'instar des espèces
ligneuses cas de notre étude.
En effet la mangrove regorge de nombreuses ressources (terres,
bois, poisson, sable, gravier...). Ainsi les populations autochtones estiment
que c'est en résidant près de ces ressources qu'elles assumeront
à bon escient leur droit naturel de propriété. Selon eux,
il est hors de question d'aller s'installer ailleurs. En effet, tous ceux qui
se réclament autochtones affirment que les terres et les ressources qui
s'y trouvent appartiennent aux populations qui y vivent. Ainsi l'espace
à mangrove du Bois Des Singes passe pour devenir une entité
autour de laquelle se construit une identité spatiale ; bien que
cet espace n'appartienne véritablement à aucun groupe. Le Bois
Des Singesapparait en effet comme un espace éclaté au sein duquel
les populations hétéroclites et aux intérêts
divergents se côtoient. Il se développe donc chez ces populations
dites autochtones un élan de revendication de cet espace qui pourtant,
selon la loi relève du domaine public. Cette logique d'appropriation de
l'espace à mangrove du Bois Des Singes se heurte contre la puissance
publique. Cette situation ambiguë voire conflictuelle entre populations
locales soucieuses d'exploiter leurs ressources ligneuses, et les dispositions
légales qui leur en interdisent, trouvera- t- elle une issue dans cette
localité ? Pour l'instant ce débat n'est pas à
l'ordre du jour. Mais toujours est-il qu'avec l'avènement de la
décentralisation et surtout du concept de la foresterie communautaire
qui est synonyme de transfert de pouvoirs aux collectivités locales avec
possibilité de gestion autonome des ressources de toute nature, cette
épineuse question sera plus ou moins résolue.
Mais, dans l'attente de l'effectivité de la foresterie
communautaire l'espace à mangrove auBois Des Singes fait
déjà l'objet de nombreuses représentations populaires.
Plusieurs observations et témoignages indiquent que les populations
duBois Des Singesentretiennent des liens particuliers avec l'espace à
mangrove. Certaines populations du Bois Des Singesconsidèrent l'espace
à mangrove comme « un don naturel de Dieu ». La
forêt de mangrove auBois Des Singes remplit une double fonction : la
fonction matérielle et dans une moindre mesure la fonction spirituelle.
La fonction assignée à la forêt de mangrove dépend
largement du groupe ethnique et de la classe sociale auxquels l'on appartient.
Cette signification est d'autant plus profonde lorsqu'il s'agit des groupes
autochtones, c'est-à-dire ceux qui ont entretenu des rapports
étroits et séculaires avec cet écosystème. Ainsi
pour les autochtones Douala, la mangrove qu'on appelle ici
« matanda » n'est pas considérée comme un
réservoir de ressources qu'il faille exploiter absolument. Mais c'est un
espace, ou un milieu qui représente un fort potentiel culturel. C'est un
véritable patrimoine traditionnel à transmettre à la
génération future.
Pour le peuple Douala, la mangrove et l'espace côtier en
général est le lieu par excellence où séjournent
momentanément les esprits de l'eau ou ancestraux. C'est
précisément vers l'eau et l'espace côtier souvent recouvert
de mangrove que le peuple Douala va à la rencontre des génies de
l'eau lors du célèbre festival annuel des peuples Sawa : le
« Ngondo ». Vu sur cet angle, la forêt de mangrove
n'est pas seulement un écosystème, un ensemble des
éléments de la nature (végétation, animaux,
poisson, sol, ...), mais une âme, un lieu sacré qui requiert
respect, protection et mérite d'être conservé. Il se
dégage clairement chez les douala une logique traditionnelle et
affective en rapport avec la mangrove et l'espace côtier en
général.
En revanche pour les populations allogènes, la mangrove
est perçue comme un espace malsain et impropre qui requiert d'être
aménagé et urbanisé. De même la mangrove est
perçue comme un support des activités matérielles :
comme l'exploitation des espèces ligneuses. Cette vision
réductrice de la mangrove par les allogènes comme un milieu
à exploiter est aux antipodes de celle des autochtones Douala. La
mangrove du Bois Des Singes est donc au centre des enjeux divers. Ces enjeux
qui sont de plus en plus culturels, sociaux et économiques
relèguent au deuxième plan la dimension écologique et
environnementale de cet espace pourtant indispensable à la stabilisation
et au maintien de l'équilibre de la zone côtière. Nous
relevons pour ainsi dire une logique rationnelle en finalité ou en
calcul d'intérêt qui caractérise les populations
immigrées notamment les étrangers ouest africains mais aussi les
populations de l'ouest Cameroun pour qui la mangrove et l'espace côtier
n'ont aucune signification. Cette situation relève de l'ignorance et du
déficit d'éducation et de sensibilisation des populations ;
et la conséquence immédiate qui découle du déficit
d'information et d'éducation des populations sur l'importance et les
potentialités écologiques de la mangrove est la mise en valeur de
cet espace pour des fins d'exploitations et d'urbanisation.
C'est d'ailleurs dans cette perspective d'aménagement
et d'artificialisation de l'espace à mangrove que s'inscrit
malheureusement le projet « Sawabeach », projet
initié par la communauté urbaine de Douala (CUD). Selon la CUD,
le projet Sawabeach est porteur de développement multisectoriel.
Conçu pour être construit sur une superficie de 1000 ha, Sawabeach
devrait « permettre aux habitants de la capitale économique de
profiter de sa façade maritime ». En plus de quelques 800
logements, le projet devrait générer selon les projections, 3000
emplois, 345 ha de terrains aménagés dont 100 ha de routes, 100
ha d'espaces verts, 100 ha de canaux et autres lacs sont également
prévus. Bref, la CUD prévoit simplement la construction d'une
nouvelle ville ; « Celle- ci ne va pas se faire au
détriment de la vieille ville » souligne le
délégué du gouvernement. Ce projet certes salutaire qui
vise à doter la ville de Douala d'infrastructures viables se heurte
malheureusement aux aspirations des populations soucieuses de consolider leurs
assises foncières dans l'espace à mangrove. De ce point de vue,
l'espace à mangrove devient un espace à géométrie
variable où des acteurs aux logiques diverses s'emploient, se
déploient et s'affrontent. Il convient de souligner que certains acteurs
impliqués dans la problématique de l'exploitation des
espèces ligneuses de la mangrove au Bois Des Singes sont à
l'origine d'un processus de territorialisation à travers des pratiques
et des stratégies d'appropriation.
Tableau VII : typologie et logiques d'acteurs
au Bois Des Singes
Catégorie
d'acteurs
|
Acteurs
|
Logiques exprimées
|
Logiques interprétées
|
|
Acteurs institutionnels
|
Services étatiques
|
- poste mobile des eaux et forêts
|
Veiller sur l'écosystème du Bois Des Singes
|
Protection et gestion des espèces ligneuses
|
- poste mobile des eaux et forêts
|
Responsabiliser les populations riveraines
|
Garantir la pérennité des espèces
|
Communauté urbaine (CUD)
|
Mettre sur pied une infrastructure moderne (projet SAWA
BEACH)
|
Résoudre les problèmes posés par le
phénomène de périurbanisation
|
Mairies de Douala III et II
|
Promouvoir les échanges et les investissements
|
Renforcer l'infrastructure budgétaire
|
Chefferie traditionnelle
|
Protéger les intérêts des populations et
de l'administration publique
|
Renforcer sa légitimité auprès des
populations
|
Acteurs
non institutionnels
|
Groupes
|
- autochtones
|
Placer la mangrove au centre de la vie culturelle
|
Contrôler et gérer les ressources
|
- étrangers
|
Aménager l'espace à mangrove.
|
Exploiter les ressources
|
Associations
|
- APEMC
|
Donner des outils adéquats pour protéger les
ressources naturelles et l'environnement
|
Renforcer sa notoriété d'association
écologique
|
- Association des exploitants de bois du Bois Des Singes
(AEBS)
|
Encadrer les forestiers de l'association
|
Contrôler les activités du groupe
|
ONG
et organismes
internationaux
|
-FAO
|
- Formation des exploitants
- Appui au renforcement des capacités
|
-Garantir une prise de conscience sur l'importance des
espèces ligneuses
-Réduire la dégradation de la mangrove
|
Source : enquête sur le terrain
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