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Exploitation des especes lignieuses dans les mangroves du bois des singes (Douala - Cameroun) enjeux et impacts environnementaux


par Yannick Patient Chuitcheu Nitcheu
Université de Douala - Master 2 2020
  

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II -PERCEPTION ET LOGIQUES DES ACTEURS IMPLIQUEE DANS L'EXPLOITATIONDES ESPESES LIGNEUSES AU BOIS DES SINGES :

L'espace à mangrove du Bois Des Singes fait de plus en plus l'objet de discorde entre différents acteurs intervenant dans ce champ d'action. Les municipalités, l'Etat, les populations autochtones et les groupes étrangers qui s'y sont installés, il y a environ plus d'unedécennie, se livrent à des luttes d'influence. L'espace à mangrove devient par conséquent une plate-forme aux enjeux multiples et variés. Schématiquement, il se dégage plusieurs logiques d'acteurs.

La mangrove revêt une signification pour chaque groupe installé au Bois Des Singes. Les représentations que les groupes se font de cet espace sont totalement contraires aux intérêts des pouvoirs publics. Cette divergence d'intérêts suivant les acteurs se traduit parfois par la contestation et le non-respect des lois et règlements édictés par les autorités administratives. A titre d'illustration les arrêtés municipaux interdisant la construction des habitations dans toute la zone marécageuse sont balayés du revers de la main par les populations en quête des terres. De même l'interdiction d'acquisition des terres dans les cinquante premiers mètres à partir du niveau de la plus basse mer, mentionnée dans l'ordonnance n °74 /2 du 26 juillet 1974, n'est pas respectée par les populations qu'elles soient autochtones ou étrangères. Cette situation est révélatrice de la nature de relations qui existe entre les populations et l'administration au sujet de l'espace à mangrove au Bois Des Singes. En clair, les populations du Bois Des Singesdéveloppent une logique de contestation à l'égard de l'administration. Elles récusent tout de l'administration qui les empêcherait de jouir paisiblement des ressources de la mangrove à l'instar des espèces ligneuses cas de notre étude.

En effet la mangrove regorge de nombreuses ressources (terres, bois, poisson, sable, gravier...). Ainsi les populations autochtones estiment que c'est en résidant près de ces ressources qu'elles assumeront à bon escient leur droit naturel de propriété. Selon eux, il est hors de question d'aller s'installer ailleurs. En effet, tous ceux qui se réclament autochtones affirment que les terres et les ressources qui s'y trouvent appartiennent aux populations qui y vivent. Ainsi l'espace à mangrove du Bois Des Singes passe pour devenir une entité autour de laquelle se construit une identité spatiale ; bien que cet espace n'appartienne véritablement à aucun groupe. Le Bois Des Singesapparait en effet comme un espace éclaté au sein duquel les populations hétéroclites et aux intérêts divergents se côtoient. Il se développe donc chez ces populations dites autochtones un élan de revendication de cet espace qui pourtant, selon la loi relève du domaine public. Cette logique d'appropriation de l'espace à mangrove du Bois Des Singes se heurte contre la puissance publique. Cette situation ambiguë voire conflictuelle entre populations locales soucieuses d'exploiter leurs ressources ligneuses, et les dispositions légales qui leur en interdisent, trouvera- t- elle une issue dans cette localité ? Pour l'instant ce débat n'est pas à l'ordre du jour. Mais toujours est-il qu'avec l'avènement de la décentralisation et surtout du concept de la foresterie communautaire qui est synonyme de transfert de pouvoirs aux collectivités locales avec possibilité de gestion autonome des ressources de toute nature, cette épineuse question sera plus ou moins résolue.

Mais, dans l'attente de l'effectivité de la foresterie communautaire l'espace à mangrove auBois Des Singes fait déjà l'objet de nombreuses représentations populaires. Plusieurs observations et témoignages indiquent que les populations duBois Des Singesentretiennent des liens particuliers avec l'espace à mangrove. Certaines populations du Bois Des Singesconsidèrent l'espace à mangrove comme « un don naturel de Dieu ». La forêt de mangrove auBois Des Singes remplit une double fonction : la fonction matérielle et dans une moindre mesure la fonction spirituelle. La fonction assignée à la forêt de mangrove dépend largement du groupe ethnique et de la classe sociale auxquels l'on appartient. Cette signification est d'autant plus profonde lorsqu'il s'agit des groupes autochtones, c'est-à-dire ceux qui ont entretenu des rapports étroits et séculaires avec cet écosystème. Ainsi pour les autochtones Douala, la mangrove qu'on appelle ici « matanda » n'est pas considérée comme un réservoir de ressources qu'il faille exploiter absolument. Mais c'est un espace, ou un milieu qui représente un fort potentiel culturel. C'est un véritable patrimoine traditionnel à transmettre à la génération future.

Pour le peuple Douala, la mangrove et l'espace côtier en général est le lieu par excellence où séjournent momentanément les esprits de l'eau ou ancestraux. C'est précisément vers l'eau et l'espace côtier souvent recouvert de mangrove que le peuple Douala va à la rencontre des génies de l'eau lors du célèbre festival annuel des peuples Sawa : le « Ngondo ». Vu sur cet angle, la forêt de mangrove n'est pas seulement un écosystème, un ensemble des éléments de la nature (végétation, animaux, poisson, sol, ...), mais une âme, un lieu sacré qui requiert respect, protection et mérite d'être conservé. Il se dégage clairement chez les douala une logique traditionnelle et affective en rapport avec la mangrove et l'espace côtier en général.

En revanche pour les populations allogènes, la mangrove est perçue comme un espace malsain et impropre qui requiert d'être aménagé et urbanisé. De même la mangrove est perçue comme un support des activités matérielles : comme l'exploitation des espèces ligneuses. Cette vision réductrice de la mangrove par les allogènes comme un milieu à exploiter est aux antipodes de celle des autochtones Douala. La mangrove du Bois Des Singes est donc au centre des enjeux divers. Ces enjeux qui sont de plus en plus culturels, sociaux et économiques relèguent au deuxième plan la dimension écologique et environnementale de cet espace pourtant indispensable à la stabilisation et au maintien de l'équilibre de la zone côtière. Nous relevons pour ainsi dire une logique rationnelle en finalité ou en calcul d'intérêt qui caractérise les populations immigrées notamment les étrangers ouest africains mais aussi les populations de l'ouest Cameroun pour qui la mangrove et l'espace côtier n'ont aucune signification. Cette situation relève de l'ignorance et du déficit d'éducation et de sensibilisation des populations ; et la conséquence immédiate qui découle du déficit d'information et d'éducation des populations sur l'importance et les potentialités écologiques de la mangrove est la mise en valeur de cet espace pour des fins d'exploitations et d'urbanisation.

C'est d'ailleurs dans cette perspective d'aménagement et d'artificialisation de l'espace à mangrove que s'inscrit malheureusement le projet « Sawabeach », projet initié par la communauté urbaine de Douala (CUD). Selon la CUD, le projet Sawabeach est porteur de développement multisectoriel. Conçu pour être construit sur une superficie de 1000 ha, Sawabeach devrait « permettre aux habitants de la capitale économique de profiter de sa façade maritime ». En plus de quelques 800 logements, le projet devrait générer selon les projections, 3000 emplois, 345 ha de terrains aménagés dont 100 ha de routes, 100 ha d'espaces verts, 100 ha de canaux et autres lacs sont également prévus. Bref, la CUD prévoit simplement la construction d'une nouvelle ville ; « Celle- ci ne va pas se faire au détriment de la vieille ville » souligne le délégué du gouvernement. Ce projet certes salutaire qui vise à doter la ville de Douala d'infrastructures viables se heurte malheureusement aux aspirations des populations soucieuses de consolider leurs assises foncières dans l'espace à mangrove. De ce point de vue, l'espace à mangrove devient un espace à géométrie variable où des acteurs aux logiques diverses s'emploient, se déploient et s'affrontent. Il convient de souligner que certains acteurs impliqués dans la problématique de l'exploitation des espèces ligneuses de la mangrove au Bois Des Singes sont à l'origine d'un processus de territorialisation à travers des pratiques et des stratégies d'appropriation.

Tableau VII : typologie et logiques d'acteurs au Bois Des Singes

Catégorie d'acteurs

Acteurs

Logiques exprimées

Logiques interprétées

 

Acteurs institutionnels

Services étatiques

- poste mobile des eaux et forêts

Veiller sur l'écosystème du Bois Des Singes

Protection et gestion des espèces ligneuses

- poste mobile des eaux et forêts

Responsabiliser les populations riveraines

Garantir la pérennité des espèces

Communauté urbaine (CUD)

Mettre sur pied une infrastructure moderne (projet SAWA BEACH)

Résoudre les problèmes posés par le phénomène de périurbanisation

Mairies de Douala III et II

Promouvoir les échanges et les investissements

Renforcer l'infrastructure budgétaire

Chefferie traditionnelle

Protéger les intérêts des populations et de l'administration publique

Renforcer sa légitimité auprès des populations

Acteurs

non institutionnels

Groupes

- autochtones

Placer la mangrove au centre de la vie culturelle

Contrôler et gérer les ressources

- étrangers

Aménager l'espace à mangrove.

Exploiter les ressources

Associations

- APEMC

Donner des outils adéquats pour protéger les ressources naturelles et l'environnement

Renforcer sa notoriété d'association écologique

- Association des exploitants de bois du Bois Des Singes (AEBS)

Encadrer les forestiers de l'association

Contrôler les activités du groupe

ONG

et organismes

internationaux

-FAO

- Formation des exploitants

- Appui au renforcement des capacités

-Garantir une prise de conscience sur l'importance des espèces ligneuses

-Réduire la dégradation de la mangrove

Source : enquête sur le terrain

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote