II.2.3 La qualité des institutions
« Les contrats régissent les flux
d'échanges internationaux. Ils précisent les mécanismes de
prise de décision et de résolution des litiges et permettent
ainsi de sécuriser les relations marchandes. Or, la mise en application
des contrats repose sur l'efficacité et sur la qualité des
institutions »19.
La disponibilité de l'information et
l'évaluation du risque sont des préoccupations
particulièrement importantes pour des étrangers qui font du
commerce avec un pays. Même si un pays réduit ses obstacles au
commerce, les tiers peuvent avoir des réticences à commercer avec
ce pays si, par exemple, ils ne sont pas convaincus que les contrats seront
exécutés ou ne sont pas sûrs que les paiements seront
effectués. La qualité des institutions nationales a donc de
l'importance pour le commerce international (Anderson L. H. et
Young J.; 2000)20. La notion d'institution est
multiple: elle recouvre des règles formelles et informelles de
comportement, des moyens de faire respecter ces règles, des
procédures de médiation en cas de litige, des sanctions en cas
d'infraction aux règles et des organisations apportant leur appui
à des opérations marchandes21. Les institutions sont
plus ou moins développées, selon que ces différents
éléments fonctionnent plus ou moins bien. Elles peuvent inciter
les individus à se lancer dans des activités commerciales,
à investir dans le capital humain et physique et à entreprendre
des travaux de recherche-développement et d'autres travaux, ou les en
dissuader. Il est depuis longtemps reconnu que le bon fonctionnement du
marché dépend dans une large mesure de la qualité des
institutions. Les activités marchandes font intervenir des êtres
humains, et les institutions ont pour objet de réduire les incertitudes
que soulève une information insuffisante au sujet du comportement
d'autres individus dans ce processus d'interaction humaine. Les institutions
peuvent agir de plusieurs façons:
19 DE Sousa et Disdier, 2006, page 126
20 Anderson et Young (2000) présentent un
cadre théorique dans lequel l'absence de respect du droit a un effet
négatif sur le commerce.
21 Voir North (1994) et Banque mondiale (2002).
North (1990) établit une distinction entre institutions et
organisations, qualifiant les premières de règles et les secondes
d'acteurs. Cette distinction joue aussi un rôle dans la présente
section, bien que dans le terme générique
«institutions» y désigne également les
organisations.
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· Elles réduisent les asymétries de
l'information en transmettant des renseignements sur les conditions, les
produits et les acteurs du marché;
· Elles réduisent le risque en définissant
et faisant respecter les droits et contrats de propriété qui
précisent quels sont les bénéficiaires, les biens et les
dates de transaction;
· Elles limitent l'action des responsables politiques et
des groupes d'intérêt en leur faisant rendre des comptes aux
citoyens.
Les institutions sont donc de nature à influer
fortement sur les activités économiques en général
et sur le commerce en particulier. Les institutions nationales contribuent pour
beaucoup au succès des réformes commerciales. La qualité
des institutions a tendance à influer sur le volume des échanges
générés par la libéralisation commerciale, avec des
conséquences implicites sur le plan du bien- être et de la
croissance induits par cette même libéralisation. L'organisation
institutionnelle d'un pays peut aussi influer sur le niveau d'acceptation
sociale des réformes commerciales intérieures, ce qui s'explique
par le fait que la libéralisation des échanges peut être
désavantageuse pour certaines personnes à court et
éventuellement à long terme. Le mode de traitement de ces
dommages individuels et la mesure dans laquelle ils sont pris en compte par les
institutions peuvent infléchir les sentiments d'une partie de la
population vis-à-vis de la libéralisation des échanges.
Pour comprendre l'importance des institutions pour le commerce
en général et le commerce international en particulier, il est
intéressant d'étudier de plus près l'histoire des
institutions qui ont soutenu le commerce international. Les problèmes
que rencontrent les négociants n'ont guère changé avec le
temps, à l'inverse des institutions qui ont cherché à
résoudre ces problèmes. Or les institutions ont toujours dû
s'acquitter des mêmes tâches. De nos jours, le contrôle de
l'exécution des contrats peut représenter un problème pour
le commerce international.
L'absence d'un système juridique efficace peut
être très préjudiciable au commerce, comme l'explique, par
exemple, BIGSTE L. (2000). Cet auteur examine les pratiques
contractuelles des entreprises manufacturières africaines en utilisant
les résultats d'enquêtes menées au Burundi, au Cameroun, en
Côte d'Ivoire, au Kenya, en Zambie et au Zimbabwe. Ils montrent que la
flexibilité contractuelle est très répandue et qu'il
s'agit d'une réponse rationnelle au risque. Plus l'environnement est
risqué, plus les cas d'inexécution d'un contrat sont nombreux et
plus la probabilité de renégociation d'un contrat est
élevée. Les manquements aux
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obligations contractuelles et le recours à des avocats
et aux tribunaux pour faire exécuter le contrat initial sont rares pour
la simple raison qu'il n'existe pas de système juridique efficace. Au
lieu de cela, les fournisseurs et les clients remplissent leurs obligations,
mais d'une manière «flexible» les livraisons sont parfois en
retard ou la qualité des produits livrés est parfois
différente de ce qui a été commandé, il arrive
aussi que les clients paient tardivement. Dans ces conditions, les
étrangers sont souvent surpris par les retards dans l'exécution
des engagements et par les demandes de renégociation des contrats. Ils
sont habitués à travailler dans un environnement très
différent et peuvent avoir du mal à comprendre qu'un comportement
apparemment imprévisible soit une réponse rationnelle à un
système inefficace. Cela peut expliquer pourquoi les
sociétés étrangères éprouvent des
difficultés à exercer leurs activités dans de telles
conditions et pourquoi les fabricants locaux peinent à prendre pied sur
les marchés d'exportation.
Un autre problème lié aux institutions qui joue
un rôle important dans les échanges est le contrôle de
l'exécution des contrats lorsque la fourniture des biens ou des services
et leur paiement n'ont pas lieu au même moment. Le commerce implique
généralement un échange de biens ou de services contre de
l'argent. La probabilité que des transactions aient lieu s'accroît
si des crédits (commerciaux) peuvent être utilisés
c'est-à-dire s'il est possible de payer aujourd'hui pour quelque chose
qui sera fourni ultérieurement ou d'obtenir des marchandises aujourd'hui
et de les payer plus tard. Le problème est que la personne qui accorde
le crédit, que ce soit sous forme monétaire ou sous forme de
biens ou de services, doit avoir une certaine assurance qu'elle obtiendra
ultérieurement ce qui a été décidé au moment
où l'affaire a été conclue. Pendant ce qu'il est convenu
d'appeler la révolution commerciale qui a eu lieu entre le XIe et le
XIVe siècle, le recours au crédit était déjà
chose courante en Europe entre des personnes vivant non loin les unes des
autres. Des partenaires commerciaux proches sont supposés se
connaître et, par conséquent, être en mesure de juger s'ils
peuvent se faire confiance ou non.
Depuis l'article pionnier D'ANDERSON J. et MARCOUILLER D.
(2002), plusieurs auteurs se sont intéressés au lien entre la
qualité des institutions et les échanges. ANDERSON J. et
MARCOUILLER D. (2002) montrent que les institutions faibles accroissent les
risques inhérents au commerce international que sont, le respect
imparfait des contrats, le vol et la corruption. A partir d'un modèle de
demande d'importation, dans un modèle risqué, ils mettent en
évidence que l'insécurité des échanges
réduit les importations bilatérales car elle augmente le prix des
biens échangeables de façon équivalente à une taxe
cachée ou à un droit
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de douane. Dans le même élan, TURINI et PERSELE
VAN Y (2002), soulignent que les différences de cadres juridiques entre
les pays expliquent en partie les effets frontières (CALLUM MC, 1995).
En effet, dans leur modèle, le changement de cadre juridique accroit le
risque de non-respect des contrats.
Le choix de cette variable pour expliquer le commerce intra
CEMAC trouve tout son sens quand on considère le mauvais positionnement
qu'occupent les pays de cette sous-région dans le classement de
plusieurs ONG s'intéressant à cette question. en effet, en zone
CEMAC, La corruption qui résulte de la complexité des
règles administratives, de l'insuffisante information des acteurs sur
les lois, règles et dispositions régissant les échanges
régionaux notamment, sont autant arguments qui militent en faveur du
choix de cette variable. A cela il faut ajouter la cupidité des agents
affectés au contrôle, pratiques qui se traduisent par la
multiplication des points de contrôle, le long des corridors nationaux et
régionaux. Les conclusions du 11ème rapport de
l'observatoire des pratiques anormales, publiées en 2010, constataient
une sorte d'aggravation des rackets opérés par les forces de
contrôle dans la sous-région: Le nombre minima de contrôles
aux 100 km se situe autour de deux. Il est de 3 en Côte-d'Ivoire et 4 au
Sénégal ; le montant minima de rackets aux 100 km se chiffre
à 999 FCFA et est observé en RCA. Le maximum se chiffre à
7 443 FCFA et est observé au Cameroun et au Congo.
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