0. INTRODUCTION GENERALE
0.1. PROBLEMATIQUE
Parler de l'être dans sa relation avec
l'univers matériel revient en fait à montrer que notre recherche
se situe non seulement dans l'anthropologie philosophique, mais aussiet surtout
dans la métaphysique. Elle s'intitule : De l'avoir pour
la valorisation de l'être. Essai de compréhension de
l'« Etre et Avoir » de Gabriel Marcel.
Observant le monde actuel, il en découle qu'il est
plongé dans une situation de violence prolongée occasionnant la
destruction de vies humaines et le non-respect de la dignité de l'homme
dans son intégrité conduisant à la déshumanisation
ou à l'animalisation. Les hommes se dressent les uns contre les autres
en vue de valoriser la possession tout en détruisant la vie d'autrui.
L'avoir est considéré comme le primat devant l'être et
pourtant, il devrait être son accompagnateur et pour sa valorisation.
L'humanité entière semble être exposée aux
inclinations liées à l'être même de l'homme.
L'avoir-possession préside de plus en plus les relations
interpersonnelles dans la vie actuelle. La coexistence paisible et harmonieuse
des êtres devient presqu'un impossible eu égard les catastrophes,
les phénomènes et les actions désagréables qui
surgissent çà et là. Les plus riches dictent et imposent
la raison, le mode et la règle de vie aux pauvres. Autrement dit, le
bien ou l'avoir fait de l'homme riche, un être puissant, doué de
pouvoir et de force pour dominer les autres et même la nature. Le fait
d'avoir beaucoup plus et la mauvaise gestion de l'avoir semblent conduire
certains hommes à la perdition et à la déchéance
totale. N'est-ce pas cette décadence de l'homme d'aujourd'hui qui pousse
G. Marcel à affirmer que le monde est cassé ?
Par ailleurs, si nous sommes bien d'accord avec G. Marcel, on
pourrait en déduire avec lui, que l'être a perdu sa
considération suite à l'avoir-possession qui entraîne une
dévalorisation de celui-ci au profit de l'avoir. Cependant,
précisons que l'avoir dont nous avons intérêt d'amorcer
l'étude, n'est rien d'autre qu'une multiplicité de biens
matériels ou de l'avoir dans sa généralité ainsi
que de l'avoir technique en particulier. Ainsi, cet aspect montre que
l'être dans le monde n'est rien d'autre qu'une méfiance, qu'une
chose chosifiée. Le monde cherche à valoriser les étants
plus que l'être, c'est d'ailleurs ce qui pourrait entraîner l'oubli
de l'être. A cause de l'avoir et sa mauvaise gérance par l'homme,
l'on est capable de sacrifier la vie humaine aujourd'hui et cela sans remords.
Or l'avoir est censé exister pour contribuer au bien-être de la
personne humaine, son progrès et sa réalisation. On peut tout
faire pour conserver l'avoir mais on ne peut rien pour conserver l'être.
L'humain est déshabillé pour habiller l'avoir. Autrement dit,
l'humain est sacrifié pour valoriser l'avoir au lieu que l'avoir
valorise son être. Cela entraîne évidemment la faillite de
l'être. Or en réalité, l'« Etre et Avoir sont
deux catégories irréductibles. Tout homme éprouve sans
doute la tentation de s'identifier à ce qu'il a, mais y céder ce
qu'il est, et donc manque de l'accès de la métaphysique. L'avoir
n'a de sens que dans l'ordre des corps où celui qui possède est
distinct de ce qu'il a. Il engendre trois tendances : tendance à se
servir de l'objet, à l'utiliser, à le traiter comme un pur
instrument ; tendance à s'y attacher, s'y aborder ; tendance
à exclure autrui de la possession en la considérant comme un
privilège personnel »1(*). Bon nombre d'attitudes humaines appartiennent
à cette catégorie.
Aujourd'hui, cette prédominance de l'avoir sur
l'être se perçoit et se manifeste dans notre existence d'abord par
la considération absolue que nous accordons à la possession
matérielle et ensuite par la manière dont nous traitons et
considérons nos semblables vis-à-vis de l'avoir. L'homme n'occupe
plus la place de choix dans l'existence, mais c'est plutôt
l'avoir-possession qui devient la référence principale. La
dignité de l'homme est dès lors sacrifiée dans la
société. Du reste, il y a nécessairement une relation
entre l'homme et les biens qu'il possède. Car, les
propriétés, loin d'être simplement innocentes, se
présentent au contraire intimement liées à l'existence
individuelle, « Comme s'il y avait entre elles et l'homme qui
possède une communication par le dedans »2(*). Cette relation montre aussi
bien que l'avoir en soi n'est pas forcément dangereux pour l'être
mais qu'il peut aussi et surtout avoir une dimension axiologique pour celui-ci.
Cette situation criante dans laquelle se trouve vautrée
l'humanité dans la relation être-avoir ne peut en aucun cas nous
laisser indifférent. Cependant, que peut-on faire pour
éradiquer ce contraste ? Ne serait-il pas opportun pour nous de
savoir quelle est la portée phénoménologique de l'avoir
dans sa relation avec l'être ou la valeur qu'a l'avoir sur
l'être ? Aussi, que faut-il pour redonner à l'homme sa juste
valeur et retrouver sa vraie primauté face à l'avoir ou le
matérialisme ambiant dont fait preuve la société
moderne ? Quel est l'impact de l'intersubjectivité dans la nature
de l'être ? Ce sont là les quelques inquiétudes
auxquelles nous tenterons de répondre.
La problématique de l'être dans sa relation avec
l'avoir a déjà été sujet de diverses recherches ou
investigations scientifiques par des auteurs forts considérables.
Cependant, nous nous permettons de soutenir qu'aucune réalité
matérielle de quelle envergure qu'elle soit ne peut remplacer
l'être humain, elle ne pourra qu'être pour sa valorisation et non
pour sa réduction. Et que les rapports dans les relations
interpersonnelles ne doivent pas se fonder sur l'avoir qui occasionnerait la
réduction des humains à des matériels manipulables ou
à des êtres chosifiés. Il faut que le matériel ne
dépersonnalise pas l'homme mais qu'il soit à son service et non
le contraire pour que soient conservées la valeur et la dignité
de l'homme.
0.2 INTERET DU SUJET
Dans cette démarche, en nous focalisant sur être
et avoir, notre ambition comme un son de cloche, s'avère
intéressante parce que, nous voulons faire un appel pratico-pratique sur
l'expérience de l'existence humaine qui actuellement n'est plus dans son
séant à cause du matérialisme moderne qui réduit
l'existence humaine à une animalisation existentielle. C'est une
présentation qui vise à galvaniser l'homme afin que celui-ci
prenne conscience de son existence et surtout de son semblable qui est
tombé dans l'oubli à cause des multiplicités des avoirs,
l'avoir technique en particulier en tenant compte d'un bon usage de ceux-ci
pour favoriser une authentique existence. Ainsi, il saura nettement comment se
définir, comment traiter l'autre et/ou se distinguer dans son
historicité devant celui-ci. De ce fait, restituer à l'homme sa
dignité ou sa valeur ontologico-anthropologique, ne va pas sans enjeux
majeurs pour notre monde tombé dans l'oubli. Cette restitution permettra
d'une part de freiner l'apogée de l'empire du matérialisme
régnant sur l'être. Et d'autre part de montrer également
que l'avoir n'est pas un danger pour l'être mais un élément
fondamental sur quoi dépend l'existence même de l'être car
dit-on, il n'est rien sans avoir quelque chose. L'avoir fait partie
d'élément fondamental pour sa réalisation existentielle et
non pour sa dépression.
0.3 LIMITE DE LA
RECHERCHE
Notre travail n'entend pas aborder toutes
les théories sur l'anthropologie philosophique. Nous nous cramponnerons
en effet à celle de Gabriel Marcel dans sa relation ontologique avec le
monde du matériel. Aussi, faut-il préciser que nous ne manquerons
pas de faire souvent référence à d'autres auteurs pour
étayer davantage notre argumentation. Ce serait beaucoup plus le cas
lorsqu'il s'agira de la reprise critique.
0.4. METHODE ET SUBDIVISION
DU TRAVAIL
En vue de mieux atteindre les objectifs que nous nous
assignons dans la présente recherche, nous adopterons la méthode
analytico-compréhensive, qui permettra de mener une démarche
discursive, faisant appel à la compréhension de la vision
marcellienne de l'avoir pour la valorisation de l'être.
Pour mieux entreprendre cette oeuvre intellectuelle, outre
l'introduction et la conclusion générales, nous la
présenterons en trois chapitres. Le premier portera sur la
phénoménologique de l'être et de l'avoir. Il
sera question pour nous de faire ressortir ici l'essentiel de ce que nous
entendons par Etre et Avoir, problème et mystère, dans la
relation de coexistence et aussi la médiation du corps-sujet
(corporéité comme relation de l'être et de l'avoir).
C'est-à-dire de l'avoir ayant une fonction dans son apport à
l'existence humaine.
Dans le deuxième, il sera question de décrire la
conception de l'avoir et la crise de l'être dans la
société moderne. Dans cette partie, nous montrerons
que la crise de l'être est celle d'autrui face à l'objectivation
matérialiste causée parle l'évolution de l'avoir
technologique et bien d'autres avoirs occasionnant sa réduction par la
mauvaise gestion de ceux-ci.
Le troisième et le dernier volet, traitera
de l'intersubjectivité comme fondement de
l'existence. Nous insisterons sur le fait que selon Gabriel
Marcel, l'autre existe, j'existe. Exister, c'est coexister. C'est-à-dire
nous traiterons de la relation de l'être avec autrui sans détour.
Celui-ci prouvera également la considération, la primauté
de l'être au-delà de toute réalité existentielle.
CHAPITRE I :
PHENOMENOLOGIE DE L'ETRE ET DE L'AVOIR
I.0. INTRODUCTION
La phénoménologie de l'Etre et de l'Avoir dans
leur mouvance ou dans leur rapport, sont deux réalités
existentielles liées à l'essence même de l'être
humain.L'être et l'avoir relèvent d'une importance capitale dans
la dynamique de connaissance de l'homme. De ce fait, on ne peut cerner l'homme
dans son existence sans toutefois se référer à certaines
propriétés fondamentales qui mettent en jeu l'Etre et l'Avoir. De
ce point de vue, Gabriel Marcel place l'être dans l'ordre ontologique
considéré comme mystère, puis l'avoir, dans l'ordre de
possession considéré comme problème.
Par ailleurs, il préconise que ces deux modes
d'existence sont indissociables dans la mesure où on ne peut que parler
de l'homme si et seulement si celui-cia ces deux réalités en
lui.Elles luipermettenten effet de pouvoir mieux se réaliser car
l'être doit nécessairement avoir pour exister. Dans ce sens,
l'avoir en premier lieu n'est pas un danger pour l'être, mais son
accompagnateur authentique ou éternel. La fidélité de leur
mariage ou la cohabitation harmonieuse dans leur mode existentiel est
inévitable. C'est en cela que se justifie cet adage populaire qui
soutient que« celui qui n'a rien n'est rien ». Autrement
dit, il faut avoir pour exister et cette exigence paraît
catégorique aujourd'hui pour l'êtrese trouvant jeté dans le
monde. La simple preuve est lefait que l'homme est reconnu et identifié
dans le monde parce qu'étant tributaire d'un corps.Celui-ci est ce qui
constitue sa représentation effective dans le monde,mais pas
totalement,puisqu'il estaussi doté de certaines facultés
essentielles telles que: l'esprit, l'intelligence, la sagesse,etc. Il a aussi
d'autres attributionsnécessairescomme la maison, la famille etc.
C'est l'ensemble de ces propriétés qui fontque l'homme
soitappeléhomme, c'est ce qui le valorise.
En effet, toute la philosophie marcellienne explique
l'être de l'homme partant de sa vie concrète ou réelle.
C'est pourquoi ce présent chapitre se veut une présentation
phénoménologique de l'avoir et de l'être dans leur mouvance
afin de prouver leur relation incontournable. Pour atteindre notre but, notre
devoir portera sur laphénoménologiede l'avoir et de
l'êtredans le mode existential. Il s'agira d'abord pour nous de
comprendre et ensuite d'établir la distinction de l'être et
l'avoir, du mystère du problème, et enfin, de montrer la
coexistence possible de l'être et de l'avoir.
I.1. APPREHENSION MARCELIENNE
DE LA PHENOMENOLOGIE
La phénoménologie est un domaine bien vaste en
philosophie à tel point que d'un auteur à un autre, on rencontre
diverses appréhensions de la question. Concernant Gabriel Marcel, que
peut-on retenir de lui à propos de la
phénoménologie ?
De prime abord, Gabriel Marcel conçoit la
phénoménologie comme une science ou encore, la théorie de
l'apparence. Ensuite, il va plus loin en précisant que la
phénoménologie est un inventaire de la conscience comme milieu de
l'univers. De ce fait, la phénoménologie pourrait en plus
être considérée comme l'inverse de la physique sans pour
autant êtreréduite à une métaphysique, encore moins
à une morale. En clair,la phénoménologie est une
démarche partant de l'expérience en tant qu'intuition sensible
des phénomènes pour essayer d'extraire les dispositions
essentielles de ladite expérience ainsi que l'essence de ce dont on a
fait expérience.Mais par quelle méthodologie faut-il y
arriver ?
Nous avons tantôt dit que Gabriel Marcelconçoit
la phénoménologie comme une science. Il en va de soi qu'il y
applique une certaine méthodologie afin de mieux analyser cette science.
Pour ce faire, il restreint son champ d'analyse en ne considérant que le
point essentiel de la phénoménologie. Faire cependant une telle
restriction est bien loin de la description phénoménologique. Il
le précise comme suit :« Je tiens à
prévenir que cette analyse ne sera pas une réduction. Elle
montrera que nous sommes au contraire en présence d'une donnée
opaque, que nous ne pouvons peut-être même pas investir
complètement »3(*). Mais, poursuit-il, « la reconnaître
d'un irréductible constitue déjà sur le plan philosophique
une démarche extrêmement importante et qui peut même
transformer en quelque manière la conscience qui
l'effectue »4(*).
La phénoménologie de Marcel essaye en effet de saisir
l'expérience avant même qu'elle soit objectivée, afin de la
transmuer en pensée sans la dénaturer par un traitement
scientiste. Elle ne porte pas sur des étatspsychologiques ou mentaux,
mais beaucoup plus sur les modes fondamentaux de la vie personnelle ou sur la
concrétude de l'homme, sur les aspirations, les exigences et les
contenus implicites qu'il faut faireémerger, affleurer à la
lumière de la réflexion. L'expérience, c'est donc la vie
normale, la plus quotidienne, la vie humaine considérée dans ses
expressions les plus humbles et les plus ingénues.
Au regard de ce qui précède, précisons
que la phénoménologiede G. Marcel diffère de celle
deEdmundHusserl en ce sens qu'elle ne consiste pas à une simple
réduction des faits.Elle essaye de se situer d'emblée au niveau
d'une expérience où le psychique et le corps propre viendraient
se donner. Tandis que chez Husserl, il faut faire la
réductiontranscendantale, qui seule enseigne ce que signifie
Ego, et ensuite le mêler au monde. Chez Gabriel Marcel, la
phénoménologie est une reconnaissance aussi lucide que possible
d'unirréductible ou mieux, de la « situation existentielle qui
est mienne et au sein de laquelle je me fais moi »5(*). Il ne s'agit donc pas du
subjectivisme où le sujet est isolé ou de l'objectivation
où l'homme est objectivé. La situation métaphysique
fondamentale qui « me fait moi » n'est pas une
donnée simple.Cela exige une distinction de l'être et de l'avoir
dans leur mode de vie.
I.2 LA DISTINCTION DE L'ETRE
ET DE L'AVOIR
Pour mieux expliciter la distinction de l'être et avoir,
il sied de signaler que parler de l'être c'est différent de
parler de l'avoir, ce sont deux réalités distincteset
irréductibles dans l'existence de leur mode de vie. L'être n'est
pas l'avoir et l'avoir non plus n'est pas l'être.C'est pourquoila
philosophie de Gabriel Marcel sera un empirisme sur ces deux
réalités existentielles. En ce sens qu'elle se veut
« concrète », qu'elle refuse le système et se
défie de l'abstraction. Mais elle n'est pas phénoméniste,
et elle ne se cantonne pas dans la phénoménologie car elle
soutient au contraire que l'expérience humaine, prise dans toute son
ampleur et dans sa richesse, achemine vers une saisie de l'être en
tant qu'être.GabrielMarcel ne s'intéresse aucunement à
l'être en tant qu'être d'Aristote qui résulte d'une
abstraction. Car, le développement de sa pensée a
été dominé, dit-il, par deux préoccupations
« qui peuvent sembler contradictoires » ; la
première consiste en ce qu'il appelle « l'exigence de
l'Etre » etla seconde, ce qu'il qualifie comme « la hantise
des êtres saisis dans leur singularité et en même temps
atteints dans les mystérieux rapports qui les lient »6(*)Enfin,c'est en approfondissant le
sens de toutes les formes de l'expérience humaine qu'il conciliera ces
deux soucis.
Chemin faisant, l'effort de Gabriel Marcel porte sur deux
points : d'aborddistinguer l'êtrede l'avoir, puis
distinguer le mystère du problème.
I.2.1. L'Etre
Le mot Etre a connu une grande évolution dans
l'histoire de la philosophie et une grande littérature en fut
consacrée. C'est unsujet qui a nourri d'immenses débatset qui a
surtout fait couler beaucoup d'encre.Par ailleurs, évoquer l'Etre,
c'estse plonger ipso facto dans la
métaphysique ;consciemment pour les philosophes scientifiques et
inconsciemment pour les non-scientifiques, c'est-à-dire pour ceux qui
font la philosophie de Monsieur Joule (faire de la philosophie sans
conscience). Partant de ce point de vue,l'exigence philosophique ou
scientifique nous recommande de toujours revisiter les anciens pour avoir une
idée de leur vision de la question de l'Etre.
En effet, l'histoire nous enseigne que c'est avec
Parménide que l'être s'est invité dans l'univers
philosophique ou métaphysique. Parménide a fait une grande
ouverture sur le questionnement ou la dimension ontologique. Il soutient que
rien n'est plus grand que l'être, parce que le concept de l'être
embrasse tout et dit tout. Dire « être », cela ne se
limite pas au mot prononcé, mais cela exige la raison. L'être ne
se saisit que moyennant une activité hautement rationnelle. La raison
indique qu'il y a l'être, en-dehors de lui, il n'y a
rien d'où sa formule originale : l'être est et le
non-être n'est pas7(*).Dans cette logique, « je suis
moi-même un être, je participe à l'être, de sorte que
je suis englobé à la question que je pose. Il est impossible de
séparerde la question : qu'est-ce que l'être, de la
question :qui suis-je, moi qui m'interroge sur l'être? Et c'est
même la question décisive, car c'est seulement dans ma
participation à l'être, qui fait de mon être et me fait moi,
que je puisse appréhender l'être »8(*).
Gabriel Marcela toujours été guidé par
une réflexion profonde sur l'être.Cetteréflexion sur
l'êtrepour lui, est une option qu'il énonce en ces
termes : « la neutralité par rapport à
l'être et au non-être est précisément impossible.
Cela veut tout simplement dire qu'il y a une certaine opposition d'où,il
faut choisir entre l'être et le non-être. Cela veut dire qu'il faut
toujours s'engager et qu'il faut prendre position »9(*). Il en résulte que
l'entière recherche philosophique de Marcel prouve cette option pour
l'être.
En effet, la notion de l'être ne s'est
précisée que petit à petit. Dans ses réflexions
philosophiques, les concepts « être et existence »
sont utilisés dans un contexte non technique, mais comme synonyme de
réel. C'est justement dans le Mystère de l'être que
l'existence prendra une signification propre. Celle-ci ne s'assimile plus
à l'être. Si en effet, l'existence ne peut pas être
conçue comme synonyme de l'être, elle en demeure une manifestation
immédiate10(*). Le
problème ontologique est un problème de l'être qui consiste
à examiner sur la totalité et sur moi-même,
considéré comme une totalité au sens analogique. Cet
examen débouche sur la question de l'identité : moi qui
m'interroge. En clair, l'être est considéré ici comme
l'univers intérieur de l'être humain c'est-à-dire du moi
(le moi parlant, le moi agissant, le moi s'interrogeant etc.)
I.2.2. L'Avoir
Le terme « Avoir » dans une vision
simple renvoie intuitivement au verbe auxiliaire des temps composés.
Dans sa généralité, et d'autant plus qu'il sert
davantage : « il peut désigner une possession
(« j'ai une voiture »), un affect (« j'ai de
l'amour pour lui »), une représentation (« j'ai une
idée »), une sensation (« j'ai froid »),
un désir (« j'ai faim »), une
propriété (« le triangle a trois
côtés ») »11(*). Bref, toute relation :
intériorisée ou intériorisée, entre un individu et
ce qui n'est pas lui, ou qui n'en est qu'une partie. Si j'ai un corps par
exemple, c'est que je ne suis pas que mon corps. Sur ce, l'avoir s'oppose
à l'être, et le suppose.
Au fond, ce terme renferme une entrée en possession de
quelque chose ou une manière d'être ou encore
représentationen soi d'un aspect. Par cette compréhension, nous y
ressentons une certaine réciprocitémettant en interaction un
sujet et un objet. C'est ainsi qu'on peut dire avec forte considération
que « l'avoir se rapporte aux choses, et les choses sont constantes et
scriptables. Etre se rapporte à l'expérience, et
l'expérience humaine est en principe non descriptible12(*). De ce point de vue, Gabriel
Marcel élucide cette notion de l'avoir qui s'applique bel et bien aux
choses tout en considérant son corps comme son avoir d'une
manière axiologique. Dans la mesure où l'avoir est simplement ce
qu'on a, ce qu'on possède et qui, en réalité est
différent de soi. C'est ce qu'il exprime en affirmant
que « ce qu'on a, ce sont les choses(ou ce qui peut
êtreassimilé à des choses et dans la mesureprécise
où cette assimilation est possible) »13(*). Ici se pose la question du
problème et du mystère.
I.2.3. LA DISTINCTION PROBLEME
ET MYSTERE
Gabriel Marcel présente une nette distinction entre un
problème et un méta-problème qu'il nomme autrement
mystère. En général, nous pensons qu'un problème
est de l'ordre objectif, matériel ou physique, tandis qu'un
méta-problème semble bien être de l'ordre spirituel ou de
l'être. Appliquer donc à des méta-problèmes les
techniques propres aux problèmes s'avère vain. En d'autres
termes, là où il y a problème, le sujet travaille sur des
données placées devant lui. Celles-ci lui sont extérieures
et sans relation quelconque avec sa nature. En ce sens, le problème est
de même ordre que la technique, que l'avoir, puisque le sujet n'est
occupé que des objectifs placés devant lui. Les cernant, il les
intellectualise et les définit en vue d'une éventuelle
connaissance de leur nature ou configuration. Ce qui n'est pas le cas dans le
méta-problème. Bref, le problème est de l'ordre ordinaire
que l'on peut édulcorer. C'est-à-dire une chose qui se trouve
placée devant moi.
De ce point de vue, on est, en fait, loin du plan
extérieur sujet-objet, car les questions portent moins sur la chose
devant soi, que sur la nature de l'être même de l'homme en tant que
corps-sujet qui est censé cerner par la chose. Le statut ontologique du
questionnant est donc mis en cause et vient en premier. En ce sens, le
mystère est de l'ordre de l'être, c'est-à-dire de l'ordre
extraordinaire ou superficiel. Notons toutefois que mystère ne veut pas
dire inconnaissable, car un certain repère demeure néanmoins
possible. Il est en réalité, « un problème qui
empiète sur ses propres données, qui les envahit et se
dépasse par là même comme
problème »14(*).
A voir de plus près, il est une chose qui se trouve
à cheval de cette distinction problème-mystère : le
corps humain. En d'autres termes, le corps humainprésente une double
nature. Il semble d'abordêtre comme un problème puisque, en effet,
une étude objective sur lui, est possible. En second lieu, il
paraîtêtre aussi de l'ordre de l'être en ce sens qu'il
échappe à toute prisetechnique et dépassemême la
connaissance qui veut l'étudier. A notre avis, ce qui est certain, le
corps est moins un problème qu'un mystère. Bien qu'il soit un
mystère, il n'est pas pour cela inconnaissable. Intéressons-nous
maintenant à la relationéventuelle de coexistence du corps-sujet
comme avoir-être. Peut-on se demander : l'avoir est-il la condition
de possibilité de l'être ou l'inverse ?
I.3. LA COEXISTENCE DE
L'ETRE ET DE L'AVOIR DANS LEUR MOUVANCE
I.3.1. La corrélation
entre l'être et l'avoir
Il n'y a pas de mots plus usuels que les termes
« Etre » et « Avoir », pas de mots plus
embarrassants que ceux-ci dans une approche philosophique. Heidegger et Martin
Buber en notre temps, Aristote, dans l'antiquité l'ont également
fait remarquer. Nous disons : la terre est ronde, ma montre est sur la
table. J'ai une femme. Cette propriété est à moi, etc.
Autant d'exemples, autant de sens différents qui mettenten relation
l'être et l'avoir.Gabriel Marcel n'est pas resté muet face
à ces deux concepts et surtout face à leur interrelation dans le
temps et l'espace. Gabriel Marcel se veut concret et pragmatique lorsqu'il
affirme que, « être et avoir sont deux catégories
irréductibles »15(*).« Tout avoir se définit en quelque
façon en fonction de mon corps, c'est-à-dire de quelque chose
qui, étant un avoir absolu, cesse par là même d'être
un avoir en quelque sens que ce soit »16(*). « Je ne puis,
poursuit-il, (...) dire que j'ai un corps, du moins à proprement parler,
mais la mystérieuse relation qui unit à mon corps est à la
racine de toutes mes possibilités d'avoir »17(*). Autrement dit, l'être
doit nécessairement avoir comme l'avoir doit nécessairement
être pour exister, que ce soit du point de vue concret, psychologique,
moral, intellectuel car tout ce que l'être a, fait partie de la
possession, de l'avoir. A défaut, son existence sera inexistable.C'est
à juste titre que nous affirmerons que non seulement je suis mon corps
mais également j'ai mon corps comme j'ai mon être.
Dans la même visée, Erich FROMM souligne
que : « Le choix entre avoir et être, en tant que
notion contraire, ne frappe pas le sens commun. Avoir, semblerait-il, est une
fonction normale de notre vie : pour pouvoir vivre, il faut avoir
certaines choses afin d'en tirer plaisir. Au contraire, il semblerait qu'avoir
est l'essence même de l'être ; et que celui qui n'a
rien n'est rien»18(*). C'est dire que pour subsister, l'homme a besoin des
biens élémentaires. Ces biens, sont sa possession, et c'est par
elle qu'il affirme : il pense que c'est dans le respect de cette
possession que consiste sa liberté19(*). L'homme de droit formel ne trouve sa dignité
que dans la possession légale de ses biens. Mais il est impossible
d'identifier complètement la dignité humaine à la chose
possédée. « Tout être a quelque chose :
un corps, des vêtements, un toit... ou, pour l'homme et la femme
modernes, un poste de télévision, une machine à laver,
etc. Vivre sans rien avoir est pratiquement impossible »20(*). En clair, l'avoir en soi,
n'est rien d'autre qu'un élément fondamental pour la valorisation
et pour l'accomplissement de l'être car on ne peut pas l'être avec
son avoir. Il faut avoir pour exister ou pour survivre. Avoir et être
font la spécificité de l'homme. L'avoir est toujours et
déjà au service de l'homme depuis son apparitiondans l'univers.Il
en va de même pour Denis BOSOMI sur la coexistence de l'esprit et du
corps car : « l'esprit (l'être) sans le concours de
la matière (avoir) serait inefficace ; l'esprit en nous a besoin du
corps pour agir pleinement et donc pour être pleinement
lui-même »21(*).L'être a nécessairement besoin de
l'avoir pour se réaliser pleinement. C'est pourquoi, le slogan de
corporéité, veut tout simplement dire chez Gabriel Marcel,
coexistence du corps-sujet ou de l'être et avoir au sens propre de notre
terme fondamental.
L'avoir pour Gabriel Marcel, a toujours et déjà
été un élément de valeur pour l'êtreà
première vue de sa pensée. On peut bien le déduire par
cette phrase de Gabriel Marcel : « Il y a bien un sens
où il est vrai de dire que le corps est un avoir, puisqu'il est comme
zone frontière entre l'être et avoir »22(*). En d'autres termes, le corps
est pris comme une médiation entre le moi et la chose
possédée (l'avoir).
Pour Gabriel Marcel, bien que le corps soit un avoir, il est
aussi une réalité qui est au-delà de toute conception
objectivante, il est de l'ordre de l'être.Pour lui, la
corporéité, selon qu'elle exprime l'unité de l'homme,
corps-sujet (être et avoir), est la manière humaine
d'être-au-monde, d'être
inséré, d'être-en-situation. De
ce fait, la corporéité, c'est « mon corps, c'est
renouer avec l'existence »23(*). En effet, sur le plan philosophique, aborder la
question de la corporéité, c'est réfléchir sur le
sens même de l'existence humaine. Dans la mesure où nous
considérons le corps humain comme « la matrice de
l'existence » ou le nexus de ma présence au monde rendu
manifeste24(*). Dans cette
perspective, le corps comme l'avoir ou une possession dans la dimension humaine
de l'être, est le lieu de révision de la métaphysique et de
toutes les théories qui instrumentalisent l'homme. Il est donc une
approche concrète pour une anthropologie philosophique
renouvelée.
I.3.2 La
corporéité comme épiphanie de l'être dans le
monde
En réalité, s'il existe, à la suite de ce
qui vient d'être dit, une façon privilégiée et
exclusive où les êtres humains sont présents, d'abord
à eux-mêmes, aux autres et enfin au monde, c'est bien quand ils
sont ou ont un corps. C'est par notre corps comme avoirque nous pouvons nous
dire réellement situés dans le monde, dans l'espace. Par le
corps, nous sommesdes existants. Précisons cependant que, nous pouvons
avoir l'avantage du corps commeun avoir qui valorise la présencede
l'être dans le monde.
La notion de l'existence n'a de sens que par la
présence desrevêts. Car, exister, selon Gabriel Marcel, n'est rien
d'autre qu'être ou avoir un corps, et par sa médiation être
de plain-pied avec le monde. Lorsque, écrit-il, je dis :
j'existe(...) je vise obscurément le fait que je ne suis pas seulement
pour moi que je suis manifeste, il vaudrait mieux de dire que je suis
manifeste(...) j'existe : cela veut dire : « j'ai de
quoi me faire connaître ou reconnaître soit par autrui soit par
moi-même en tant que j'affecte pour moi une altérité
d'emprunt ; et tout ceci n'est pas séparable du fait qu'il y a mon
corps»25(*). La
corporéité c'est donc la manière propre aux humains
d'être au monde, d'être manifesteet pour soi et pour autrui.
Dès lors, dire que le moi est présent au monde par son corps
revient à affirmer qu'il est dans un corps comme le support du moi et
non en dehors de celui-ci. En gros, le moi est inséré ou
incarné.
I.3.3. La
corporéité comme épiphanie de l'incarnation de
l'être
Dans sa position et son approche ontologiques, Gabriel Marcel
nous présente l'incarnation comme « la donnée
centrale de la métaphysique, la situation absolument première
où s'amorce l'ontologie, mais contrairement à toutes les
interprétationsclassiques et courantes, il est impossible de la penser
sans tricherie : elle est simplement la donnée à partir
delaquelle le fait de l'être est impossible, l'indubitable non pas
logique rationnelle, mais existentielle, le centre d'ombre non pensable
où s'établit l'acte de penser l'être, le mystère du
je suis qui se répercute et se prolonge dans le mystère
ontologique, parce qu'ils sont tous deux l'émanation d'une
réalité plus profonde encore, que nous nous pourrions appeler le
mystère de ontique »26(*).
Partant de cette assertion, le point de départ de toute
réflexion philosophique, note Marcel est « le premier pas
que doit faire un philosophe, c'est de reconnaître sa situation
incarnée au monde. Sa situation d'être incarné est le
repère central de la métaphysique »27(*). Dans ce sens, l'homme ne
pourra être reconnu que dans la mesure où il a son corps comme son
avoir au sens propre du terme, de l'avoir pour la valorisation de l'être.
C'est pourquoi, le fait qu'il a un corps valorisedéjà son
existence, sa manière d'être au monde parce quesans celui-ci, il
ne sera pas reconnu. L'êtren'est reconnu que sur le fait qu'il a et qu'il
est.
Sans doute, Gabriel Marcel ne conçoit pas un autre plan
d'existence où la conscience(le moi ou l'être) peut
êtredonnée à elle-même et aux autres si ce n'est
qu'en étant insérée dans un corps. En effet, pour lui, la
conscience n'est telle que si elle est dans un corps ; quand elle est
« insertion en tant qu'acte »28(*). Il est vrai donc qu'on ne
peut pas penser la conscience en dehors du corps car, ainsi qu'on vient de le
souligner, la conscience ne peut êtredonnée à
elle-même et aux autres consciences que comme corps.Cette dernière
phrase ne doit pas porter de confusion. Elle signifie que la conscience n'est
corps qu'insérée dans un corps et nécessairement
liée à lui au point que leur relation signifie solidarité
et identité. Précisons par ailleurs que c'est dans ces termes que
Gabriel Marcel pose autrement le problème de l'union de l'âme et
du corps, mieux l'union de l'être et avoir.
I.3.4. De l'hylémorphisme
comme union du corps et du moi (être et voir)
D'emblée, c'est en s'inspirant de la
coexistabilité et de l'indentificabilité de deux modes
d'existence du corps dans ses rapports avec la conscience ou de l'être et
avoir que Gabriel Marcel affirme l'union du corps et du moi. Dans son
entendement, en effet, le corps humain se présente à nous d'une
manière objective et individuelle. D'abord comme mode objectif, lequel
mode est valable pour toute conscience douée de conditionsde
perceptibilités, de perceptions analogues aux nôtres. Puis comme
mode individuel qui est lié à la conscience et est saisi dans la
perceptibilité de la perception interne. En effet, c'est une perception
cénesthésique selon son entendement.
Sur ce, la relation entre ces deux modes marque qu'ils sont
solidaires car l'un implique l'autre de manière que le corps ne
peutêtre donné au moi dans un rapport interne que parce qu'il lui
est donné spécialement29(*). La solidarité entre ces modes implique
à son tour l'identité mêmede ces deux modes d'existence du
corps par rapport à la conscience. Ainsi, Gabriel Marcel pense
que « en tant que ma conscience se transcende elle-même
comme immédiate, elle s'oblige à penser un contenu intelligible
qui ne participe pas de l'existence ; ce contenuprésente ce
caractèreambigu d'être soi tout en sortant en soi(...) Il
paraît, poursuit-il, que ceci ne devient intelligible qu'à
condition de poser la solidarité et l'identité de ces deux modes
d'existence, c'est-à-dire comprendre que ce contenu n'est en soi qu'en
sortant de soi »30(*).
Affirmer donc que le corps est uni, solidaire et identique au
moi, d'après ce qui précède, revient à conclure que
le moi est le corps. Aussi Gabrieldéclarepar
ailleurs : « Je suis mon corps »31(*). Cette justification laisse
dire : « Il n'est légitime de dire : je suis
mon corps, que pour autant que j'arrive à reconnaître ce corps
comme n'étant pas en dernièreanalyse assimilable à cet
objet, à un objet, comme n'étant pas quelque chose. (...) C'est
pour autant que j'entretiens avec lui un mode de relation(...) qui ne se laisse
pas objectiver, que je puism'affirmer identique à mon
corps(...) »32(*). Je suis mon corps veut dire d'après Gabriel
Marcel, je suis identique à mon corps, que le moi et le corps ne font
qu'un ensembleinséparable. C'est autant dire que le moi est dans cette
perspective l'être, et puis le corps l'avoir. Pour dire qu'on ne peut pas
séparer l'être et l'avoir. La coexistence de leur mode de vie est
incontournable. Ils font la réalitéde l'homméité de
l'homme.
CONCLUSION
Notre préoccupation dans ce premier chapitre a
consisté àmener une démarche
phénoménologique de l'avoir dans sa mouvance avec l'être
humain dans la pensée marcellienne partant de leur mode de
vie.C'est-à-dire de la valeur qu'a l'avoir sur l'être car celui-ci
ne peut pas ne pas exister sans l'avoir. Ces deux réalitéssont
complémentaires. En revanche, l'être est appréhendé
dans la sphère de l'esprit et l'avoir dans la sphère de l'objet
comme complément de l'êtredans le bon sens du mot et de l'avoir en
tant que corps-sujet et comme un bien de l'être.
Cela étant, la condition existentielle de l'être
pour l'avoir, se comprend sur le fait que l'être a également
certaines possessions qui lui permettent de pouvoir survivrenotamment, au
niveau psychologique et matériel, puis sur le fait qu'il a son corps
comme le dévoilement de son existence au monde ou bien comme un
élément fondamental sur lequel il se fait reconnaître.
D'où la pertinence de la corporéitécomme zone
frontière entre l'être et l'avoir.
En ce sens, la relation de l'être et de l'avoir stipule
déjà notre style de vie ou notre façon d'exister dans le
monde. Cela nous donne également la possibilité de
reconnaître que nous sommes fait pour avoir, c'est-à-dire
être pour avoir, notre existence dépend par ailleurs de notre
possession.Pour donner un sens à celle-ci, nous devons être en
action pour sa valorisation. Cela doit se réaliser également par
le travail car c'est en travaillant que nous pouvons valoriser notre
existence.
Au-delà de la réalité de l'Etre et de
l'Avoir ou de leur coexistence, nous avons remarqué aussi avec Gabriel
Marcel que c'est souvent la mauvaise gestion développée par
l'être sur l'avoir qui entraîne sa réduction voire son
oubli. Dans cette dynamique, cela entraîne également l'oubli de
l'autre au niveau relationnel. Nonobstant cette considération, l'avoir,
faut-il le préciser, n'est pas un danger. Cette réduction se base
beaucoup plus sur la façon de considérer la technologie. Plus on
lui accorde une supra importance, plus on tend à l'objectiver. Or la
trop grande objectivation de la technologie implique ipso facto
l'aliénation de l'homme et pire même, l'exploitation de l'homme
par l'homme. Quelles en sont les conséquences et les manifestations
visibles dans le monde moderne ?Le prochain chapitre nous en dira plus.
DEUXIEME CHAPITRE :
L'AVOIR ETLA CRISE DE L'ETRE DANS LA SOCIETE MODERNE
II. 0. INTRODUCTION
S'il y a un terme qui est aujourd'hui en vogue, celui de la
crise en est un. Qui dit crise dit problème ou difficulté qui se
pose et à laquelle il faut trouver une solution, il faut décider.
C'est la « crisologie » qui invite à
réfléchir pour trouver les voies de sortie. Comme le symbole
donne à penser, ainsi la crise donne également à
réfléchir sur les voies permettant de la juguler et de
l'arrêter. La crise produit une situation défavorable à
tous les niveaux et sur tous les plans. Ce qui fait qu'elle revête
plusieurs formes entre autres la crise économique, politique, morale,
culturelle, de modèles, de valeurs, de vocations religieuses et la crise
intersubjective ou de l'altérité33(*). C'est donc un concept prêt à assumer
n'importe quelle situation.
De ce fait, ce chapitre se base beaucoup plus sur la
conception de l'avoir technique ainsi que sur d'autres avoirs.G. Marceln'est ni
hostile, ne dénigre point et ne rejette en aucun cas l'avoir en
généralet l'avoir technique en particulier34(*). Car en effet, l'avoir en
général participent et contribuent au progrès et au
développement de l'être humain dans son intégralité.
Par contre, il dénonce le fait que l'être entre en crise à
cause de la mauvaise gestion qu'il fait de l'avoir. Et cela pourrait
occasionneren lui l'oubli de son existence et celle de sonprochain. Le
« nous » et la relation mutuelle sont exclus à cause
de cette mauvaise gérance que l'homme manifeste ou cultive surl'avoir.
L'homme se chosifie par lui-même et chosifie par la même occasion
son alter ego. Il noue ses relations sur base depossession. Nous sommes dans
une époque fortement dominée par le matérialisme. Ainsi,
pour être considéré et remarqué dans la
société actuelle, il faut nécessairement avoir certains
moyens matérielsor ceux-ci ne sont pas le fond, nefont pas partiede
l'être et ne définissent pleinement pas la trame de fond de
l'être dans sa totalité. La mauvaise gestion de l'avoir technique
et la louche considération de l'avoir au détriment de
l'être, conduisent catégoriquement l'être à la
déchéance en lui ôtant sa dignité. L'homme dans de
telles conditions perd sa sacralitéet reste radicalement accroché
à sa dimension animalemétaphysique et religieuseliée
à son essence35(*).
Le réduire à un objet, c'est lui enlever son poids ontologique,
car l'avoir est fait pour son épanouissement et son progrès, et
non pour sa réduction.
Dans ce contexte, une réflexion sur ces
problèmes déshumanisants paraît d'emblée comme une
nécessité et une condition de survie, car nous déplorons
le fait même de nous retrouver dans une société comme
celle-ci.Pour donner à l'homme les possibilités de se
reconstruire, il faut viser plus haut afin que l'êtreait une vision
théologique en usant et en considérant l'avoir. Pour mieux cerner
cette réflexion, nous partirons de la crise de l'être du point de
vue de l'avoir technologique, de la crise de l'être par objectivation de
l'avoir-possession, de l'ambivalence de l'avoir, de l'avoir et la suppression
de l'autre ainsi que de la conception logique de la technoscience.
II.1. LA CRISE DE L'ETRE ET
L'AVOIR TECHNOLOGIQUE
La crise de l'avoir technologique est celle qui a
été occasionnée par la mauvaise gestion qu'a l'homme face
à la technologie ou par sa mauvaise manière de l'utiliser. Jadis,
la technique ou la technologie était une nécessité pour
s'assurer une vie meilleure contrairement à l'usage qu'en fait le monde
aujourd'hui. De nos jours, nous constatons que l'homme n'est plus capable de
réaliser certaines choses par lui-même à cause de la
technique. L'élève des temps contemporains par exemple n'est plus
en mesure d'opérer des calculs mentaux à cause de la
prolifération des calculettes. Le monde moderne nous apparaît
comme un univers où la technique est reine. Cela entraîne
également la crise de l'être dans le monde. Prenons le cas d'une
mère porteuse ou d'autres femmes qui ne veulent plus supporter leurs
charges décident de les transmettre à d'autres personnes. Partant
de ces constats, on en vient à l'évidence que l'homme fuit la
souffrance, il cherche toujours des échappatoires pour ne pas subir
certaines contraintes de la vie. Beaucoup plus de valeurssont
accordéesà l'avoir technologique au détriment des
personnes humaines. Cette manière de considérer l'avoir
technologique dans la société moderne crée des conditions
d'existence dans laquelle la vie de l'homme devient invivable et où
l'être est tombé en crise,oublié et incapable de se
réaliser pleinement par son propre effort.
En fait, la technologie dont l'expansion nous
révèle les récentes merveilles et succès,
crée le confort, augmente la facilité des communications,
fabrique des produits chimiques qui peuvent guérir miraculeusement
desmaladies réputées graves. Cela nous pousse à
reconsidérer son appréciation et son acceptation. Par ailleurs,
pourquoi n'aimerions-nous pas aussi qu'elle garantisse la
sécurité économique, la santé naturelle,
l'équilibre moral et mental ? Estimons tout simplement avec Alexis
Carrel que la réalité vécue, « les dons de la
technologie se sont abattus comme une pluie d'orage sur la
société trop ignorante d'elle-même pour les employer
sagement »36(*).
Aussi, sont-ils devenus des facteurs de destruction, à telle enseigne
qu'on se demande s'ils ne rendrontpas catastrophique cette troisième
guerre à laquelle le monde se prépare. Et encore, si la
technologie ou plus précisément les inventions de ladite
technologie ne sont-elles pas responsables de la mort de millions d'hommes
actuels occasionnée par la Covid-19.251658240
251659264De ce point de vue, la société
technocratique, c'est-à-dire, un monde où désormais tout
s'explique par la technique, a, aux yeux de Marcel, déshumanisé
l'homme, en ce sens qu'elle a amené d'une part, un oubli des valeurs
humaines dans la phénoménologie des rencontres et la
déconsidération de l'autre, telles que la fidélité,
la patience, l'humanité, etc. d'autre part, elle a vidé des mots,
tels que la liberté, la personne, la démocratie, le
développement... de leur contenu authentique, ainsi que de leur
profondeur37(*). Les
réalités que ces mots devraient véritablement
désigner sont elles-mêmes l'objet d'une inflation monétaire
comparable. Cette situation implique de façon logique une disparition
générale de la confiance, du crédit entre les personnes.
Ici, les relations se présentent sous le mode de l'avoir,
car... « L'ordre de l'avoir se confond avec celui où des
techniques sont possibles »38(*). Pris dans ce sens, le monde de l'avoir, c'est celui
où les êtres sont unis par un rapport externe, de
type « sujet-objet ». Ils sont de ce fait, sur
eux-mêmes, ils communiquent par des signes médiateurs.
Néanmoins, précisons que le terme « objet ou
avoir » n'est pas initialement péjoratif chez Marcel comme
nous l'avions souligné dans le premier chapitre. L'objet, comme il le
définit lui-même, c'est ce qui est « placé devant
moi, en face de moi : gegenstand »39(*), auquel je dois trouver
solution et non l'objet à ma place.
Cependant, l'homme ne peut vivre sans les objets ou l'avoir,
mais s'il s'en contente, il n'est pas pleinement homme. S'agissant du but de la
technique, Gabriel Marcel estime « qu'au niveau de l'individu,
la technique serait entièrement bienfaisante si elle demeurait au
service d'une activité spirituelle orientée vers des fins
supérieures, même au plan international, la technique pourrait
être considérée comme un don inestimable si elle
s'exerçait au bénéfice d'une humanité
unifiée, ou plus exactement concertante. Mais dès le moment
où ceci n'est réalisé ni au plan de l'individu ni au plan
des grandes collectivités humaines, il devient tout à fait
manifeste que la technique est appelée à changer au contraire en
malédiction(...) »40(*). Il méprise quant à lui, la technique
d'avilissement qui est pour lui : « l'ensemble des
procédés délibérément mis en oeuvre pour
attaquer et détruire chez les individus appartenant à une
catégorie déterminée le respect qu'ils peuvent avoir sur
eux-mêmes, et pour les transformer peu à peu en déchet qui
s'appréhende lui-même comme tel, et ne peut enfin de compte que
désespérer, non pas simplement intellectuellement, mais
vitalement, de lui-même »41(*). En outre, c'est l'homme qui est à la base de
cette crise car c'est lui qui a toute potentialité de créer et de
manier la technique par sa raison. C'est pourquoi Martin Heidegger dira
que « de tous les étants, seul l'homme qui existe parce
qu'il est le centre de tout et c'est à lui seul que revient la
gérance des autres étants ou de ce qui est, parce que
l'être est chaque fois lui-même dont l'être est chaque fois
à lui »42(*). Il tombe en crise parce qu'il ne sait pas bien
utiliser de la technologie par le désir de pouvoir beaucoup plus
accumuler. Martin Buber à son tour souligne que « dans la
mesure où l'homme se satisfait des choses qu'il expérimente et
utilise, il vit dans le passé et son instant est dénué de
présence »43(*).
Cette crise peut être également celle
d' « un homme qui a perdu le sens de l'être, qui ne se
meut que parmi les choses, et de choses utilisables destituées de leur
mystère, l'homme qui a perdu l'amour ; chrétien sans
inquiétude, incroyant sans passion, il fait basculer l'univers de sa
folle course vers l'infini autour d'un petit système de
tranquillité psychologique et sociale »44(*). Donc, l'individu reste
préoccupé par le moyen et non par la fin des choses, vivant sans
valeurs et dont le souci majeur est l'accumulation des biens, voire de
l'avarice précautionneuse sans penser à sa vie, à celle de
l'autre et à la nature. De ce fait, la valeur de l'homme n'est pas une
valeur économique ou technologique, mais une valeur non mesurable et
irremplaçable. Se traiter mutuellement comme moyen et se servir les uns
des autres pour atteindre nos buts, serait sans doute la réduction
d'autrui à un avoir, à un simple matériau de notre action
ou à un objet, c'estôter à autrui sa
dignité45(*). C'est
dans cette optique que Kant dira : « Agis toujours de
manière à traiter l'humanité, aussi bien dans ta personne
que dans la personne de l'autre, comme une fin et à ne t'en servir
jamais comme d'un simple moyen »46(*). Cette chosification se manifeste aujourd'hui chez
les personnes qui mettent l'avoir au détriment de l'être. On
pourrait mieux comprendre cela à partir de quelques exemples.
Considérons le cas d'un parent qui fracasse la main de son enfant parce
que celui-ci aurait éraflé la peinture de sa nouvelle
voiture. On pourrait relever également ces personnes qui
assassinent d'autres humains puis se servent de certains organes du corps pour
sacrifier à des divinités en vue d'obtenir des biens
matériels et financiers.Il y a aussi le cas de certaines entreprises
dans lesquelles les personnes sont embauchées selon leur pouvoir
d'achat, selon leur rang social ou selon leurs relations sociales. Ainsi, en
lieu et place de la question centrale d'entretien « que sais-tu
faire ? » que le patron devrait poser au candidat, c'est
plutôt la question « qui t'envoie? » qui est
posée. Et cela en vue de baliser le champ relationnel du candidat avant
de se prononcer sur son cas. Ce faisant, l'ampleur de la technique dans
le monde actuel, avec sa prétention d'instrumentaliser à outrance
la vie de l'homme, n'a plus à être démontré. En
effet, « si le savoir technique s'est imposé dans les
domaines de la vie humaine, celle-ci ne saurait se remarquer de façon
péremptoire que dans l'éventail des biens actuellement mis
à la disposition de l'homme »47(*). Malheureusement aujourd'hui, nous constatons que
c'est l'homme qui est mis à la disposition de la technique car il est
pris en servitude par sa propre création.
A voir de près les choses, le progrès de la
technique a conduit l'homme à une surabondance de biens où
trône l'avoir, mieux encore l'homme propriétaire. En effet, tel
que mentionné précédemment, l'avoir préside de plus
en plus les relations interpersonnelles dans notre monde. Nous assistons
à des désastres qui rendent la vie pénible surtout
pour les personnes les plus vulnérables. Les plus riches deviennent de
plus en plus forts, tandis que les pauvres deviennent de plus en plus pauvres
voire miséreux. Et dans cette décadence du tissu social, les
riches s'arrogent le pouvoir de dominer sur les pauvres. De ce fait, l'homme
devient synonyme de souffrance pour l'homme à cause de l'avoir. Ce
dernier modifie les relations entre les êtres. Cela suscite une crise de
l'être face à l'avoir du fait que d'autres personnes à
cause de leur manque, n'ont plus la capacité, voire la liberté de
manifester leur droit, ils vivent comme des personnes qui ne sont pas des
sujets de droit. Dans une telle situation, la vie perd son caractère
sacré, l'homme n'est plus considéré à sa juste
valeur, car au lieu d'être une fin, il devient un moyen, une chose, un
objet.
Il est bien triste de constater aujourd'hui que l'existence de
l'homme semble se justifier dans une dynamique qui se résume en une
course effrénée des biens matériels qui deviennent le
ciment qui noue les relations entre les êtres. Relation dans laquelle,
une catégorie d'êtres est considérée comme
inferieure à cause de sa situation de pauvreté
matérielle.Cette relation est aussi biaisée dans le contexte du
savoir intellectuel et du pouvoir technique. Certaines personnes dotées
d'une puissance intellectuelle remarquable se croient supérieures aux
autres ; il en est de même pour celles qui ont une grande
maîtrise de la technique. Leur savoir et leur connaissance deviennent un
obstacle pour l'épanouissement des autres. Ces personnes deviennent
dépendantes de leur savoir, d'où la difficulté à
développer une vie sociale louable.Tous ces conflits qui mettent en
péril l'être sont liés à la façon dontl'homme
considère l'avoir. De ce fait, que représentel'avoir pour l'homme
contemporain ? Comment considère-t-il l'avoir ?
II. 2. CRISE DE L'ETRE ET
OBJECTIVATIVATION DE L'AVOIR-POSSESSION
La crise de l'êtrea aussi comme agent
vecteurl'objectivation de l'avoir-possession. Cependant, qu'entendons-nous par
``objectivation de l'avoir-possession'' ?L'avoir-possession faut-il le
rappeler, est une impulsion passionnée de retenir, de garder, d'amasser
pour soi et rien que pour soi, c'est avarice incarnée.« Un
homme objet, est essentiellement un être dont la valeur d'être en
tant qu'être, c'est-à-dire, le point ontologique
s'effrite »48(*). Ainsi, pour Marcel, « traiter
l'autre, un homme, comme objet, c'est, en effet, le considérer comme
nous considérons un ustensile : à la fois identifier son
être avec ce que nous connaissons et ne voir en lui qu'une somme de
qualités ou de fonctions sur lesquelles nous pouvons exercer des
techniques »49(*). Ainsi, dans l'univers marcellien, traiter autrui
comme un objet, c'est-à-dire, à la troisième personne,
comme un « lui », c'est le traiter comme absent, même
si physiquement il est présent. Par présence, Marcel n'entend
pas : « le fait de se manifester extérieurement,
mais celui bien moins objectivement définissable de me donner à
sentir qu'il est avec moi »50(*).
Gabriel est persuadé quant à lui qu'il y a un
sens où l'on peut considérer le corps humain ou son autre comme
un simple avoir ou une chose car le corps est plus fondamental dans l'ordre de
l'être ou du corps-sujet différent des choses matérielles,
des objets. C'est sous l'angle scientifique et technique que Marcel voit le
corps comme un objet ou un avoir outre cette réalité rien
d'autre. En effet, dans ce domaine, toute réalité de l'univers
est envisagée comme un objet et étudiée par la science. Il
l'exprime en ces termes : « Le corps est
« objet » en tant qu'il donne prise à la
connaissance « scientifique » et qu'il se prête
à tout un ensemble de techniquesextrêmement variées qui
vont de l'hygiène à la chirurgie. Ou pour prendre une
illustration hélas ! Contemporaine, dans la mesure où il
peut être manipulé et malmené par des
tortionnaires »51(*). De fait, le corps est confondu avec d'autres objets,
il n'est investi par rapport à eux d'aucun privilège quel qu'il
soit. Il est objet pour autant puisqu'il peut être étudié
par l'anatomie, qu'on peut prendre soin de lui par l'hygiène, qu'on peut
le disséquer par la chirurgie.
Par ailleurs,selon Gabriel Marcel, l'avoir-possession
est « celui où se trouve exprimé le
caractère possessif même quand l'élément possessif
lexical a subi une ellipse »52(*). L'avoir peut de cette façon revêtir des
modalités très différentes.Remarquons que l'indice de
possession ou possessif est aussi marqué lorsqu'on dit par
exemple : « j'ai une voiture, de l'argent, une maison ou
une arme »53(*).
La voiture ou la maison, voire l'argent sont des avoirs. Ce genre de possession
engage la personne dans une voie un peu différente que lorsqu'on
dit : « j'ai le temps de réaliser ou de faire telle
ou telle chose »54(*). Dans cette dernière phrase, nous percevons
suffisamment le rapport de possession malgré la résignation de
l'indice possessif « ma ou mon ». Ce rapport n'est
essentiellement signifiant que dans le contexte d'une chose
possédée et d'un possesseur ou d'un sujet possédant.
C'est-à-dire que l'avoir-possession, fait appel à un certain
contenu ; disons plus, à un centre « qui (chose)
rapporté à un qui (sujet) traité comme le pense
Marcel « comme un centre d'inhérence ou
d'appréhension de cet objet »55(*).
Par conséquent, l'avoir-possession, implique le facteur
de revendication exclusive. C'est dire que toute possession se
caractérise par la présence d'un sujet revendicateur exclusif. Ce
sujet dit possesseur peut être moi-même sujet-centre qui n'est
qu'une forme analogue de ce moi qui lui est prototype. Mais le bien que l'homme
a, n'est pas en soi une entité intrinsèque à
soi-même, comme le cas du nez, desbras, du ventre, des oreilles, de la
bouche ou des jambes par exemple ; le bien est extérieur à
la personne tant que son existence est indépendante de ce
dernier56(*). L'avoir est
un ``objet là'', situé dans l'espace et le temps. Disons que
l'objet se révèle extérieur au possesseur. Bien qu'il soit
extérieur, celui-ci est aussi le lieu où se révèle
l'opposition du dedans et du dehors. Mieux, comme le soutient
Marcel, cette chose possédée se situe dans le registre
où l'extériorité et l'intériorité se
distinguent l'une de l'autre.
En effet, le possesseur s'évertue toujours à
ajouter à soi son bien et à en faire autant que possible quelque
chose qui lui est intérieur. Pourtant, le fait d'être
possédé, n'est qu'une caractéristique accidentelle
à la chose en question. Surtout lorsque cet objet produit est
extérieur au possesseur, distinct de lui dans l'espace et distinct de
lui aussi dans leurs destinées. Il s'ensuit que l'avoir revêt une
double dimension lui conférant un caractère quelque peu
ambigu.
II. 3. L'AMBIVALENCE DE
L'AVOIR
De l'opposition susmentionnée, se dégage une
tension entre l'intériorité et l'extériorité qui
s'exerce dans la personne impliquée dans la relation de l'avoir. Cette
tension naît du choc entre l'extériorité qui
caractérise tout avoir et de l'effort d'intériorisation
déployé par l'homme face au désir de posséder et
surtout de mal gérer cet avoir. Il est tout à fait certainqu'il y
a un lien entre l'homme et la chose qu'il possède, ce lien n'est pas
comme stipule Marcel, une simple conjonction externe, cette chose atteint ce
dernier dans son intériorité et s'identifie essentiellement
à lui57(*), comme
déjà présenté. En effet, Gabriel Marcel nous
instruit à ce propos en ces termes : « ce bien en tant
qu'une chose soumise aux vicissitudes propres aux choses, peut-être
perdu, détruit. Il devient ainsi le centre d'une sorte de tourbillon de
craintes, d'anxiétés, par-là se traduit
précisément la tension liée (sic) à l'ordre de
l'avoir »58(*).
D'autre part, un secret comme cas typique ne peut être
traité comme un avoir que dans la mesure où le sujet le garde ou
qu'il peut le trahir : c'est en même temps qu'il est sien et
mérite d'être exposable, arrachable. Le secret entendu au sens de
l'engagement et tel qu'employé ici ne fait pas mention de notre
réflexion dans ce travail. Ainsi, Marcel estime
que « l'avoir ne se situe donc pas du tout dans un registre(...)
où l'intériorité et l'extériorité ne se
laissent plus réellement séparer(...) ce qui importe, c'est la
tension entre l'une et l'autre »59(*). Ainsi, cette exposition pour se dérouler,
nécessite la présence d'autrui. Remarquons en outre que cet autre
que moi-même peut être considéré comme une menace
qu'il faut écarter afin de garantir la protection de son bien.
II. 4. AVOIR ET SUPPRESSION
DE L'AUTRE
Dans l'opposition qui marque le bien possédé,
nous supposons nécessairement la présence du qui et du quid,
c'est-à-dire qu'il n'y a d'avoir que pour un sujet60(*). Mais cette permanence se veut
par essence menacée du fait même de la tension avec l'autre. Dans
la dynamique des possessions, nous percevons comme menace l'autre en tant
qu'autre, l'autre qui peut être le monde en lui-même et en face
duquel on se sent douloureusement soi. Car, comme le dira
Marcel, « cet objet exposé qui est mien peut être
arraché ou altéré avec l'autre »61(*). Pour garder son bien et
éviter qu'il soit arraché, il faut créer
l'indifférence vis-à-vis de l'autre, créer une attitude de
sabotage entendu ici, un renvoi dos à dos, car l'un est jugé
archaïque et conflictuel et l'autre contemporain et souple. Cela
entraîne également la crise de l'être.
Dans cette lutte, l'homme devient le centre de tant
d'inquiétudes et de craintes. Et dans la mesure où l'avoir peut
lui être arraché, le possesseur tente de l'incorporer ; de
s'y attacher fermement, de former avec lui un complexe unique et
indécomposable, supprimant ainsi l'espace pour l'autre, comme le dit
Marcel, en manifestant des comportements d'indifférence De cet
attachement, il résulte que lorsque l'avoir n'est pas maintenu dans son
rôle de dépendance, le sujet possesseur est asservi, voir exclu.
Par ailleurs, l'homme dans sa possession se trouve souvent en
face de choses parmi lesquelles certaines entretiennent avec lui des
relations d'une nature spéciale et mystérieuse62(*). Ces biens ne lui sont pas
seulement extérieurs, mais aussi intérieurs. G. Marcel le
souligne quand il prône que : « l'homme s'attache
à ces objets comme s'il y avait entre ceux-ci et lui communication par
dedans mais cette communication pose problème où l'homme ne la
gère pas bien et la laisse sublimée sur son être63(*). En d'autres mots, nous
pouvons dire que les objets dont dispose l'homme l'atteignent. Et dans la
mesure où l'être est attaché à ces derniers sans
maîtrise, il est manifeste qu'ils exercent sur lui une puissance que cet
attachement même leur confère et qui s'accroît avec lui.
Notons en plus que l'avoir implique le pouvoir de disposer.
C'est pourquoi l'homme ne peut disposer de son bien que dans la mesure de son
pouvoir. Ainsi posséder un bien présuppose en effet, les
capacités et les limites d'appropriation. De cette façon, le bien
ou l'avoir fait de l'homme un être puissant, doué de pouvoir et de
force qui influe sur les autres. En d'autres termes, si la personne qui
possède quelque chose (un bien) tente toujours «
d'intérioriser et s'incorporer à l'avoir en s'y accrochant sans
mesure, son être devient assimilable à ce
bien »64(*).
Dans ce sens, « l'avoir tend à se sublimer, à se
transmuer en être »65(*).
Il en va de même dans une situation ouvrière
causée par la technique. En effet, dans un monde soumis au primat de la
technique, les ouvriers sont réduits non seulement à un ensemble
de fonctions, ou simplement assimilables à la machine ; mais
encore, la majeure partie des ouvriers ne se rendent plus compte de leur
état, soit ils ont perdu la capacité et/ou la possibilité
de réfléchir sur leurs propres conditions, soit ils sont
séduits et aliénés, par l'émancipation de la
technologie.
Ce faisant, la mentalité technologique crée un
sous-homme ayant perdu la capacité de réflexion et de
discernement dont les attributs sont caricaturés de la vie contrefaite.
On a ainsi tendance à oublier dans le rapport politique,
économique, et industriel la considération de la dignité
de l'autre en tant que personne. Tout dépend alors de la conception
qu'on se fait de la personne. Dans un tel monde,« l'archétype
humain, c'est l'homme dont le rendement est objectivement discernable qui vaut
tant de dollars » c'est-à-dire, en fin de compte, celui dont
l'activité est plus assimilable à celle d'une machine. C'est sur
le modèle de la machine que l'homme est plus couramment
pensé(...) »66(*). Partant de ce constat, l'ouvrier se sent mal
à l'aise dans son existence, dépouillé de son
ipséité, comme le dira G. Marcel. La dégradation menace
l'intégrité humaine, tandis que la technique tente de la
réduire à rien. L'homme moderne se trouve devant un embarras de
choix, ne sachant plus à quoi s'en tenir entre l'important et
l'accessoire.
II. 5. LA CONCEPTIONLOGIQUE
DE LA TECHNOSCIENCE
L'évolution de la théorie marcelliennesur
l'avoir comme susmentionné, se justifie dans le sens où elle nous
permet de saisir l'ambiguïté et les conséquences qu'instaure
l'avoir dans le contexte actuel de la technoscience. Ceci est d'autant plus
vraisemblable qu'en ce début du troisième millénaire, les
avoirsengendrent par le développement de la science et de la
technologie,une influence sans condition sur l'existence de l'homme et
paraissentune préoccupation majeure. D'oùla
nécessité pour nous de nous interroger comme suit : quelle
est la portée ontologique de l'homme d'aujourd'hui dans sa relation avec
l'avoir ?Est-elle prometteuse ou réductrice pour sa
dignité ?
II. 5. 1. Vers la dérive
ontologique de l'avoir
Au regard du paragraphe précédent, il sied de
noter que l'homme en se soumettant à la domination de la production
scientifique, se réduit à un objet et devient par ce fait
étranger à lui-même. Ainsi, le fait d'être sous
l'emprise ou l'asservissement de l'avoir, l'homme tente de se définir
dans la dynamique de l'extériorité.L'être humain devient
pour ainsi dire objectivable et caractérisable,c'est-à-dire qu'il
devient comme un objet. Pis encore, il s'assimile à ce qu'il
possède à cause de la mauvaise gestion de cet éventuel
avoir. Cette identification à l'objet entraîne une dissipation
brusque de la profondeur métaphysique de l'être existentiel.
De cette manière, se présente, en effet, le
danger ontologique que court l'homme à l'heure actuelle de s'identifier
aux avoirs et aussi de se laisser emballer et dominer par le progrès de
la technologie. Gabriel Marcel souligne cette déchéance en
précisant que, le risque de l'homme, accumulateur des avoirs, est de
tenter de faire un avec ces derniers, qui, cependant sont loin d'être en
réalité l'être.
Remarquons, par ailleurs, que cette tentative de s'identifier
à son avoir et de faire un avec lui devient le propre de la civilisation
occidentale.Une forme d'individualisme radical se développe dans la
mesure où la présence de l'autre dans son espace vital est
perçue comme une perpétuelle menace contre son bien-être,
son confort.Et cela entraîne logiquement la tendance au repli sur soi,
à l'isolement, à la fermeture vis-à-vis des autres.La
mauvaise gérance ou la tendance à placer l'avoir au
détriment de l'être,occasionne la crise de l'être. Il se
révèle donc une sorte d'anxiété ressentie par
l'homme comme un souci rongeur, paralysant et brisant tout élan
d'initiative d'altérité et d'intersubjectivité dans le
monde actuel. L'alter ego pour l'homme devient son avoir, cet avoir avec qui il
partage son existence. Il s'ensuit que cette peur peut, par ailleurs, se
transmuer comme le dit Marcel : « en une inertie
intérieure qui vit le monde comme une stagnation »67(*). Par-là, l'homme
devient fermé à toute espérance. A travers ce
désespoir, se décrète en quelque sorte « la
mort de la vie », la mort anticipée par l'homme au contact des
avoirs produits par le progrès de la technoscience. Cette mort est la
conséquence directe de l'asservissement par l'avoir, car l'être
possédant, devient inévitablement l'être
possédé.
II. 5. 2. Le drame de l'avoir
technoscientifique sur l'être
L'appropriation de l'avoir scientifique semble influer
mortellement sur l'être de notre temps. Cette influence opère une
sorte d'obstacle déchirant qui fait perdre à l'homme son poids
ontologique, engendrant même son auto-négation. Cela
apparaît clairement dans le lien entre avoir et désir ainsi que
dans l'avoir et l'indisponibilité.
II. 5. 2. 1. Avoir et
désir
La phénoménologie de G. Marcel reconnaît
que l'avoir est déjà en substance présent dans le
désir ou la convoitise provoquée par la mauvaise foi de l'homme.
Ces désirssont à la fois « auto-centrique et
héro-centrique »68(*) ; disons qu'ils apparaissent en lui-même
comme héro-centrique, alors qu'en réalité, il est
auto-centrique. De plus, désirer, c'est avoir en n'ayant pas
encore ; c'est avoir en pensée. Par ailleurs, le désir,
comme le soutient G. Marcel relève « du nous voudrions bien,
et porte, comme l'avoir sur quelque chose qui est extérieur à
soi-même »69(*). L'avoir désiré, se veut
être « présent,
immédiat »70(*). D'où la contradiction au sein du désir
entre le rêve de possession et l'indigence dans la réalité
qui entraîne au coeur de l'homme une souffrance et une brûlure. Ce
faisant, cette souffrance entraînée par le désir
caractérise surtout l'homme moderne qui est fasciné par le mode
de vie paré par l'éclat de la production scientifique.
Cette fascination est porteuse d'un partage de l'être
dans la mesure où la soif, ou l'envie de l'abondance des avoirs
impressionnants de la technoscience, transporte ce dernier par ses
désirs vers les milieux où se trouvent accumulés ces
biens. A travers ce refuge, s'opère alors la négation de son
être qui veut s'identifier définitivement à l'être
foncier et extérieur, la situation dans laquelle il se sent repu
existentiellement. Nous pouvons le remarquer, l'homme dans ce monde
impressionné par les avoirs scientifiques, vit en homme d'une
espérance enfouie dans l'autre et, dans son effort, il rêve
toujours de posséder comme l'autre.
II. 5. 2. 2. Avoir et
indisponibilité
Faire de l'avoir un objet de désir radical,
empêche l'homme d'établir une relation existentielle vraie et
juste. Ceci dit, lorsque l'homme se crispe sur son bien, celui-ci devient, pour
lui, le centre du monde, l'instance suprême à partir de laquelle
il juge les autres. Selon G. Marcel, « la préoccupation de ce
dernier reste anxieusement braquée sur ce bien qui alors absorbe
totalement son coeur »71(*).L'homme se met de cette façon dans un
état d'indisponibilité radicale dont il est difficile de
l'arracher. Cette indisponibilité place l'homme dans une inertie et une
stérilité qui limitentson effort de créativité.
Par ailleurs, quand nous réfléchissons sur les
guerres, sur le désordre et les conflits qui existent dans le monde,
nous voyons également que l'avoir a instauré une attitude
d'indisponibilité qui caractérise les hommes de ce temps à
la poursuite effrénée de ces avoirs mis à leur disposition
par le progrès de la technoscience. Ainsi, l'homme parvenu à
l'accumulation des biens, s'y accroche au prix même de perdre sa
dignité et de subir l'humanisation sous-humanisante. G. HOTTOIS le
montre bien en stipulant que « les attitudes de sous
humanisation prises par les accumulateurs nordiques, non contents de voir se
partager leurs avoirs n'ont point réussi à injecter la conscience
de l'effort libérateur en vue de
l'indépendance »72(*).
CONCLUSION
Tout au long de notre parcours, il a été
question de remarquer que l'homme face aux multiples inventions
créées par lui-même et par ricochet, la mauvaise
gestionqu'il fait de ses inventions (avoir technologique et bien d'autres
avoirs),perd de plus en plus l'essentiel de son être, et surtout sa
propre dignité puis discrédite également la dignité
des autres par le fait de donner beaucoup plus de valeur aux avoirs
récents oubliant son autre et lui-même. La fraternité
authentique n'existe presque plus et même le sens du partage est exclu au
sein de la société moderne. L'avoir n'est plus au service de
l'être mais l'être au service de l'avoir.
Partant de cela, nous avons constaté que les relations
sont présentées, dans cette analyse, tout simplement comme un
rapport extrinsèque, rapport de « choses » dans
l'espace et le temps, sans qu'il y ait pour autant l'essentiel du
« nous », à savoir la présence naturelle de
deux sujets, l'intimité spirituelle. L'objet ou l'avoir s'il est
physiquement présent devant moi, en face de moi, demeure absent ;
il est le type même de l'absence, car il existe sans tenir compte de
moi73(*). Il n'a pas de
conscience. Le fait d'accorder beaucoup de crédit à l'avoir tout
en oubliant son existence et celle des autres est à la base de la crise
liée à notre existence. A ce propos, écrit
Marcel, « nous pouvons, par exemple, avoir le sentiment
très fort que quelqu'un qui est là dans la même
pièce, tout près de nous, quelqu'un que nous voyons et que nous
pouvons toucher, n'est cependant pas présent, qu'il est infiniment plus
loin de nous que tel être aimé qui est à des milliers de
lieues ou qui, même, n'appartient plus à notre
monde » 74(*).
Mais aussitôt que cet inconnu se découvre
à moi comme un foyer de vie, de souffrance, de souci, une
transfiguration s'opère ipso facto. Parce qu'en ce temps, nous
coexistons. Il s'approche de moi, il n'est plus absent, il m'est
présent, il n'est plus « lui », il devient
« toi ». Il y a donc là un passage, un
progrès de « lui » au « toi »,
de la connaissance à l'amour. Cet amour, relève du
« toi », de la deuxième personne.
En ce moment, l'autre cesse d'être pour moi quelqu'un
dont je m'entretiens avec moi-même, il cesse d'être encadré
entre moi-même ; ce moi-même avec qui j'étais
coalisé pour l'examiner, pour le juger, a comme fondu dans cette
unité vivante qu'il forme maintenant avec moi. Et par là, s'ouvre
le chemin qui mène à la dialectique de l'amour et de
l'altérité.De ce fait, la relation être et autrui est
évidente. Etre avec autrui consiste réellement à donner
sens à son existence car l'autre est le miroir de mon existence. La
considération de l'autre comme humain consiste à
reconnaître sa propre dignité étant donné que pour
Gabriel Marcel, l'être n'est pas dans l'ordre de l'avoir mais bien plus
de celui de mystère. Il est essentiellement intersubjectif.Mais quel est
le fondement de l'existence humaine dans sa relation interpersonnelle ?
Laissons le prochain chapitre tenter d'y répondre.
CHAPITRE III :
L'INTERSUBJECTIVITE : FONDEMENT DE L'EXISTENCE AUTHENTIQUE
III. 0. INTRODUCTION
La spécificité du deuxième chapitre
était de prouver la crise de l'être face aux avoirs par la
mauvaise gestion que l'être ou l'homme cultive sur ceux-ci. Le
présent chapitre se veut une reconnaissance de soi et la
considération de l'autre, par une approche intersubjective qui semble,
un effort d'entrevoir des possibilités de la restitution ontologique de
l'homme afin de favoriser une ambiance existentielle authentique
d'être-avec et non celle de l'avoir qui réduit l'être
à un objet ou à une chose. L'homme transcende ce plan, il est un
être. Sa relation avec autrui est une relation existentielle75(*). Marcel soutient à ce
propos que, rencontrer quelqu'un « n'est pas seulement le
croiser, c'est être au moins un instant auprès de lui, avec lui,
c'est dirai-je d'un mot dont je devrai user plus d'une fois, une
co-présence »76(*). « Ainsi l'altérité est
l'expérience la plus immédiate de la vie humaine, la
réalité la plus fondamentale à la quelle personne ne peut
échapper »77(*).
Cette considération ne s'opère qu'à
partir de l'incarnation. Celle-ci est le véritable moyen de
reconnaissance de soi et de l'autre. Car « si tu veux connaître
les autres, regarde dans ton propre coeur. Mais si tu veux te comprendre
toi-même, regarde comment se comportent les autres »78(*). L'autre est le miroir de
mon existence, il n'est ni un enfer, ni un avoir ou un objet mais bien plus,
mon alter ego, celui par qui, je me réalise amplement, celui
par qui je partage la même condition d'existence. Il est, en effet, le
fondement de mon existence.
Notons d'emblée que le terme d'intersubjectivité
est d'un usage assez récent dans la philosophie concrète de G.
Marcel. La réalité qu'il désigne était cependant
perçue par lui-même dès ses premières recherches.
C'est elle qui a frappé bon nombre de commentateurs, lesquels ont
considéré la pensée marcellienne sous la rubrique d'une
philosophie de la communion. C'est en effet sur la communion, la
présence, la participation, que cette philosophie est centrée et
c'est sur cet aspect qu'elle tâche d'expliquer en définitive ces
grands axes : union au monde, à soi, telle que nous l'avions
présentée au premier chapitre et l'union à Dieu79(*). Dans sa philosophie, le
métaphysicien de la communion s'oppose à celle de Sartre, pour
qui l'enfer c'est, les autres. Pour Marcel, il n'y a qu'une souffrance, c'est
d'être seul (égoïsme). Selon lui, le bonheur consiste dans la
communion avec autrui c'est-à-dire dans l'altérité ou dans
l'intersubjectivité80(*).
Dans cette logique, l'intersubjectivité est quelque
chose de totalement nouveau par rapport au rapport objectif qui semble la
précéder et l'engendrer. Elle n'en est nullement le prolongement.
Les signes médiateurs du rapport objectif restent tout à fait
étrangers à la formation de cette nouvelle expérience de
l'autre81(*). Le rapport
objectif est un rapport tout abstrait, constitué simplement par le
savoir qui n'atteint que des termes logiques et jamais l'être même,
tandis que l'intersubjectivité est un rapport concret, une participation
amoureuse comme qui, seule, atteint vraiment l'être dans toute sa
richesse, son essence voire son épanouissement, en laissant la
profondeur de l'autre se manifester. Ainsi, pour mieux cerner la cogitation de
cette philosophie dialogique, nous parlerons dans un premier temps de
l'intersubjectivité horizontale, dans un deuxième temps de
l'amour comme principe fondamental de de l'intersubjectivité
authentique, puis de l'intersubjectivité verticale ou fondamentale. Une
conclusion mettra fin à cette cogitation.
III. 1. INTERSUBJECTIVITE
HORIZONTALE
L'intersubjectivité horizontale est celle que nous
appelons et considérons chez Gabriel Marcel comme
l'intersubjectivité qui noue la relation de l'`'être-avec''. C'est
un rapport qui est essentiellement un rapport d'être à être,
un rapport de présence mutuelle en `'toi'' ou en `'nous''.
C'est-à-dire de l'être-avec-autrui comme le fondement de l'existe
authentique. L'autre, c'est celui par qui nous communion et vivons ensemble de
par notre existence. C'est une intersubjectivité
« katabaino », il s'agit de
l'intersubjectivité terrestre. En effet, l'ouverture à l'autre,
la communion avec l'autre ou encore le problème de l'autre dans sa
considération métaphysique diffèrent de celle de la
relation objective que Marcel appelle « une relation
d'absence ». Elle est une des grandes conquêtes de la
philosophie existentielle. La philosophie dialogique clame que l'homme en tant
qu'être humain n'est pas autosuffisant, il ne s'accomplit que dans la
relation avec autrui, car au commencement était la relation82(*). La relation est donc
primordiale dans la nature de l'homme. Dans ce sens, le problème de
l'autre se présente dans la dynamique de G. Marcel comme une implication
de la question « qui suis-je ? ». Le sujet qui pose la
question se rend compte qu'il n'a pas la qualité nécessaire de la
résoudre. Il y a en lui comme un certain vide existentiel. L'autre
surgit alors comme suppléant cette carence constatée. L'autre est
comme le point de repère pour vérifier la validité de ma
réponse sur moi-même d'abord et sur l'être ensuite. Dans ce
sens, Gabriel Marcel pense que cette démarche ne doit pas
être dans la ligne du « je pense donc je
suis » cartésien ou le « ich denke »
kantien, mais dans celle « les autres existent donc je
suis »83(*).
Ceci dit l'autre est celui qui me révèle mon existence, celui par
qui je me vois comme un être existant, le fondement de mon existence.
L'homme ne tombe pas du ciel dans sa venue au monde, mais il
passe par la médiation des personnes pour devenir personne et cette
dimension de la personnalité se réalise dans la
société avec les autres. L'existence authentique est
l'existence-en-commun pour Marcel; c'est le toi qui restitue à la
personne son véritable être ; ce qui le rend lui-même.
L'homme se définit essentiellement par son ouverture, sa
disponibilité à autrui.
De cette manière, la communion ou la relation avec
autrui devient résultante d'un effort incessant et héroïque
de chacun pour élucider ses propos ténébreux
intérieurs et pour se rendre ainsi perméable, ouvert, disponible
à autrui. L'originalité de Marcel consiste ici dans le fait
d'avoir mis l'accent sur « l'affectivité, mieux sur l'amour,
au point que l'intersubjectivité se confonde ou s'identifie avec
l'amour »84(*).
« L'être-avec n'est pas chez lui, une simple appartenance ou
coappartenance au monde, une existence en commun dans une entreprise ou une
action, etc. Tous ces «lieux« sont la base matérielle de la
rencontre véritable qui est `réciprocité des
consciences', communauté des coeurs, communion spirituelle.
L'intersubjectivité est pour lui, l'ouverture à autrui,
détente, le décentrement de soi et accueil de l'autre ; elle
exclut toute tension »85(*), elle est `intercourse', ``nexus'', ``unité
sentie'', participation basée sur un consensus qui par définition
ne peut être que senti et qu'inintellectualisable »86(*). Elle suppose un domaine
où les mots toi-même, moi-même, cessent de désireux
noyaux distinctions l'un de l'autre. Elle est une communion ineffable, un
lieu intime tel que celui qui existe entre moi et mon corps. Elle n'est pas
seulement un échange réciproque entre des personnalités
distinctes ; elle affecte aussi le sujet lui-même, lequel est
foncièrement intersubjectif87(*).
De ce qui précède, l'intersubjectivité
horizontale n'est possible que dans le domaine du `'toi'', c'est-à-dire,
de l'autre vu à la deuxième personne, à qui je peux
m'adresser, lancer un appel, une invocation, avec qui je peux me
réaliser pleinement comme humain. Sans l'autre l'existence n'est rien.
L'existence authentique ne peut qu'être vraie et juste en vivant avec les
autres qui, au fond donnent du sens à notre existence. C'est dans cette
perspective que Martin BUBER dans sa philosophie du `'Je-Tu'', met en
lumière le caractère concret et sensible de
l'altérité. Celle-ci nous est intimement intime. La constitution
de notre humanité est ouverture à l'autre, puisque le `'Tu'' nous
es inné88(*). Les
hommes, en naissant, ont tous toujours et déjà un `'Tu''
inné qui ne se réalise pleinement que dans la relation. Dans la
relation `'Je-Tu'', chacun a son rôle que l'un ne peut inclure dans
l'autre. Le `'Je'' est responsable au-devant du `'Tu'' comme
également le `'Tu'' ne peut ignorer la présence du `'Je''.
Il n'y a pas de relation que là où il y a la présence de
deux termes. Dans cette perspective, « toute relation est
réciprocité »89(*). Cela montre également que l'existence
authentique ne se réalise qu'en relation avec les autres.
Dans « Mit-sein », Martin Heidegger nous
démontre que le `'Je'' jouant le rôle du Dasein comme
(l'être jeté dans le
monde)être-dans-le-monde n'a jamais été seul, mais
avec les autres étants. Il affirme à ce propos qu'exister, c'est
exister avec les autres et que « le monde auquel je suis a
toujours été un monde que je partage avec les autres, parce que
l'être-au-monde est un avec. Le monde où réside le
Dasein est un monde partagé avec le prochain90(*). Les autres nous
accompagnent, ils sont ceux par lesquels je suis. Il s'agit principalement d'un
rapport selon lequel, le sujet se reconnaît en tant que tel, que par
rapport à autrui, et c'est dans cette reconnaissance d'autrui que
naît l'existence. L'homme ne peut être, et être conscient que
s'il se trouve en présence d'autres sujets conscients qui
éveillent sa conscience.
De ce fait, la réflexion de Marcel sur le `'Je-Tu''
n'aboutit qu'à la communion de `'nous''. Il ne voit aucun autre chemin
que le moyen dynamique de l'expérience où nous nous rencontrons
consubstantiellement. C'est dans celle-ci qu'il y a ou devrait avoir une
mutuelle réceptivité, une communion sans anfractuosité,
une véritable co-présence. Pour lui, l'être serait le
`'nous'' dont participent `'je'' et `'Tu'' qui ne sont qu'au titre des
termes de cette relation. C'est dans une même vision qu'apparaissent
l'être-relation, ma personnalité et celle d'autrui, termes de
cette relation91(*).
Pour DenisBOSOMI, « le `'Je-Tu'' confère
à la personne sa pleine valeur. La personne ne s'accomplit totalement
que dans cette référence à l'autre. »92(*). C'est dans cette logique que
nous comprenons la pensée de Tshiamalenga Ntumba. Selon cette
conception, seule une communion « bisoiste »
(nous), est compatible avec l'avènement de cette société
mondiale, qui garantit la paix, la fraternité, le développement
et la prospérité pour tous93(*). Ce faisant, « nous sommes avec tous
et avec tout, c'est-à-dire, nous sommes `'un'' avant d'être
distincts en `'Je'', `'Tu'',... Cela, c'est le primat de la
bisoité tant théandrique qu'anthropologico-cosmique
(...). Bref, toutes les relations consacrées par l'histoire et la
culture »94(*).
Dans cette relation, il n'y aura pas de pouvoir de domination,
de la réduction de l'être ou une stratégie en titre
lucratif, mais bien plus celle de la considération de l'autre en tant
que toi-même dans son fond, c'est-à-dire dans sa valeur
ontologique intégrale. Elle sera également celle où
l'avoir sera au service de l'être et non l'inverse. Comme on le voit,
l'intersubjectivité dans ce sens ne peut qu'être
conditionnée par l'invocation, par l'appel que je lance à autrui.
L'amour fait partie de cet élément qui crée
l'intersubjectivité car pour Marcel, l'amour me révèle
à moi-même en même temps qu'il me révèle
à l'autre. En quoi consiste cet amour ?
III. 2. L'AMOUR :
PRINCIPE FONDAMENTAL DE L'INTERSUBJECTIVITE AUTHENTIQUE
L'intersubjectivité à en croire Gabriel Marcel,
se fonde sur le principe d'amour. Il ne s'agit pas ici d'un amour
stratégique ou par intérêt, où se trouve les
personnes qui tissent leurs relations en fonction du bien matériel mais,
bien plus d'un amour vrai, sincère, juste et clair
extrinsèquement qu'intrinsèquement. C'est-à-dire l'amour
dans sa pleine dimension métaphysico-anthropologique. Un amour qui
valorise l'être et qui met en dehors toutes mauvaises
considérations de l'être comme un avoir ou une chose afin de le
laisser apparaître dans toute sa dimension, sa capacité et sa
qualité. Dans cette optique, l'amour profit ou encore l'amour
basé sur des intérêts égoïstes n'existe pas
dans l'entreprise de ce fameux philosophe chrétien. C'est d'ailleurs ce
type d'amour égoïste que le fondateur de l'Académie appelle
autrement `'trompe-l'oeil''. Pour Platon en effet, le Vrai ne demeure pas dans
les apparences ou dans le monde sensible mais bien plus dans le monde
intelligible c'est-à-dire dans le fond de l'être95(*). Ainsi, l'amour ne pourra
qu'être Vrai si et seulement s'il est vrai dans son essence, dans sa
complétude dans l'intimité de l'homme.
Gabriel Marcel dans Journal Métaphysique
souligne que « dès le moment où on aime un
autre être, où on est aimé par lui, une redouble
solidarité se crée »96(*). Pour lui, l'amour est échange,
créateur et vie. De ce fait, sans amour vrai, il n'y aurait pas
d'amitié vraie et sans amitié vrai, personne ne choisirait de
vivre.
Ainsi considéré, l'amour n'est pas objet de la
pensée, il est mystérieux par nature. C'est ce que NGIMBI
NSEKA soutient cetteidée lorsqu'il affirme que Marcel est
hardi et va plus loin quand il réclame l'amour comme méthode
d'approche de la réalité humaine. Avec l'amour dit-il,
« nous sommes d'emblée passés de l'ordre du `'lui'', de
l'impersonnel qui caractérise la science, la connaissance objective,
à l'ordre du `'toi'', du personnel ou de l'interpersonnel,
à un objet où les catégories de l'objectif et du subjectif
perdent la signification qu'elles ont en épistémologie, a un
ordre où, même si ces catégories sont corrélatives
l'une à l'autre, elles sont pourtant indifférentes chacune au
sort de l'autre. L'objet, c'est ce qui ne tient pas compte de moi. Or pour me
réaliser moi-même, pour m'accomplir, j'ai besoin d'un autre qui
m'apporte la part de richesse dont, être fini, je manque
forcément. Cet autre qui peut jouer ce rôle, c'est celui dont je
peux attendre une réponse. C'est l'autre que moi, que
j'appelle `'tu''. Car autrui dans sa plénitude de
l'altérité personnelle, c'est la deuxième
personne »97(*).
En aimant vraiment et réellement, je deviens tout
à fait différent, je suis transfiguré. L'autre aussi
transfiguré par le même amour ; l'amour fait
disparaître l'objet comme objet, et `'lui'' cède la place au
`'toi''98(*). L'amour, vu
comme vie spirituelle, est créateur : créateur du sujet, de
l'aimant, mais aussi de ce sur quoi il porte, c'est-à-dire, de
l'être aimé. Car l'homme est un
« être-avec » : c'est en réalité
à partir de l'autre ou des autres que nous pouvons comprendre et
seulement à partir d'eux. Avec l'autre donc, l'homme est plus que
lui-même, sans l'autre, il devient moins que lui-même. Pour Marcel,
le rapport avec l'autre suppose fondamentalement une réceptivité
réciproque. Recevoir c'est faire participer à une certaine
plénitude. Nous sommes consubstantiellement unis les uns aux et unis
à l'être99(*). Dans la mesure où cette
réceptivité est posée, on peut parler de la
communauté car celle-ci « n'est possible qu'à
partir du moment où des êtres se reconnaissent mutuellement comme
différents, comme existant ensemble dans une différence
même100(*). On
pourrait encore dire mieux que les hommes forment la communauté dans la
mesure où ils se reçoivent mutuellement dans leurs
différences même.
Ainsi aimer l'autre de telle manière est sans doute
bien mais, Gabriel Marcel vise encore plus loin ; il vise en effet
l'intersubjectivité verticale ou fondamentale car d'après lui, la
relation d'homme à homme, est une relation finie. Cette relation se
prolonge au `'Toi Suprême'', le divin. Celui-ci occupe une place
primordiale dans la pensée de ce philosophe français, à
cause de sa forte référence à la religion et au
christianisme en particulier. A travers l'autre, on arrive au Toi
divin, principe et fondement de toutes choses et de toute existence. En
tant que Toi Absolu, il est Un, il est Vrai, il
est Bon et Beau, c'est en lui que l'homme s'accomplit
fondamentalement dans son intégralité101(*). C'est dans
l'intersubjectivité verticale que l'exclusivité et
l'inclusivité absolues coïncident en une unité qui englobe
le Tout.
C'est dans cette optique de la finalité et de grandeur
que le monde de l'Etre s'oppose radicalement au monde de l'Avoir, nonobstant
leur corrélation ainsi que la valeur que l'Avoir occasionne à
l'Etre. Ce dernier reste au sommet, son existencen'est pas
nécessairement dépendant de l'avoir. Il n'y a rien de plus grand
que L'Etre ;il englobe tout et dit tout.
De ce fait, la méthode qui peut dévoiler
l'être dont s'occupe la métaphysique constitue un véritable
effort rationnel. Cette méthode se fait par questionnement progressif.
Ainsi, ayant poussé jusqu'aux derniers questionnements, on parvient
à affirmer l'être comme la nécessité absolue qui
garantit le processus même par lequel nous menons notre réflexion.
La métaphysique confesse ouvertement l'existence de l'être, en
niant radicalement le néant. C'est donc la seule lumière de la
raison qui, en remontant de cause en cause, vient placer Dieu au bout de la
chaîne pour ne pas remonter à l'infini102(*). Ceci est purement le
résultant d'une démarche strictement métaphysique.
Venons-en.
III. 3. L'INTERSUBJECTIVITE
VERTICALE OU FONDAMENTALE
L'intersubjectivité verticale ou fondamentale est celle
de la communion de l'homme avec Dieu, le Toi Suprême ; le
Toi Absolu dans l'expression marcellienne. Le plus
caractéristique de cette option est l'aspect personnel que Marcel
attribue, en dernière analyse, à cet au-delà. La
transcendance absolue, l'au-delà authentique, une personne absolue, qui
enveloppe une fidélité absolue103(*). La sommité de toute chose.
C'est l'intersubjectivité
« anabaino », il s'agit précisément
de monter, c'est-à-dire disposer l'esprit à s'élever vers
la contemplation des réalités plus les hautes et sublimes, celle
de l'Etre Suprême. Le rapport de l'homme avec Dieu est un rapport de la
nécessité. Comme un plus un font nécessairement deux,
l'homme aussi a nécessairement besoin de Dieu pour sa pleine
réalisation. L'homme sans Dieu n'existe pas. S'agissant de la relation
avec Dieu, Kierkegaard souligne que, pour un homme ou chrétien, les
plaisirs sensuels ou les valeurs universelles ne comptent pas, mais c'est le
rapport que chacun entretient avec Dieu qui importe104(*). Ceci dit, dans toute la
réalisation de l'homme, Dieu est et demeure la référence
par excellence et incontournable sur laquelle l'homme peut compter pour son
épanouissement et son accomplissement. L'ouverture au Toi
Absolu est fondamentale dit Marcel, « puis qu'en la niant, je me
nie moi-même. Car sans Transcendance, tout se chosifie, le sens de
l'existence est alors étouffé et l'homme entre dans la
désespérance »105(*). De ce fait, l'homme est appelé à
exprimer toujours les germes de la Transcendance, pour préserver sa
valeur anthropologico-métaphysique.
Pour Gabriel Marcel, l'intersubjectivité ne trouve son
couronnement que dans la communion avec Dieu. Il est son fondement
nécessaire et sa justification métaphysique. D'après lui,
l'amour entre personnes est la seule façon d'affirmer Dieu car celui-ci,
nous a créé que par son image et par son amour, le visage de
l'autre est le même que celui de Dieu. Dieu est le `'Toi
Suprême''. Ici Marcel n'essaye pas de prouver l'existence de Dieu
car cette attitude aurait pour conséquence l'objectivation de Dieu. Mais
son problème est d'envisager la possibilité de justifier l'acte
de foi. Celui du rapport de la liberté qui existe entre l'homme et Dieu.
Pour lui, ce rapport authentique entre l'homme et Dieu, c'est celui du type
que l'amour parvient à constituer entre les amants106(*). Le `'Toi Suprême''
pour lui est la non-convertibilité de Dieu en un `'lui''. Car celui-ci
réduit la personne à une chose. La seule façon d'atteindre
cette Transcendance, c'est l'invocation et la prière. Jugée,
traitée comme on objet du savoir, elle cesserait d'être Dieu, de
telle sorte que « lorsque nous parlons de Dieu, ce n'est pas de
Dieu que nous parlons »107(*). Dieu est toujours dans le présent de ma vie,
il est toujours réponse à la carence existentielle ou des
questions qui tenaillent l'origine à laquelle je bute.
Pour Gabriel Marcel, Dieu est considéré comme le
couronnement et le fondement fondamental de l'intersubjectivité.
L'être n'est vraiment présent qu'en la pensée aimante. La
relation aux autres constitue une voie qui mène à l'être,
mais d'elle-même elle ne se vit pas pleinement. Elle a besoin de trouver
un fondement solide. Ce n'est que dans la transcendance qu'elle peut le
trouver. Ainsi, les considérations sur le `'Toi Suprême'' sont
bien le prolongement et le couronnement qui mène à
l'intersubjectivité verticale qui fait, le fondement authentique de
notre existence.
Nous pouvons déduire de ces considérations que
quelle que soit « l'attribut par quoi on veut designer Dieu, il
s'agit toujours d'un concept-limite »108(*). Ce concept vise
« une réalité qui peut être accessible
qu'à l'invocation, qu'à la prière »109(*). Autant dire que Dieu est
objet de foi et non de la connaissance objective. Mais la foi, loin
d'être une évasion, est l'acte par lequel l'homme s'accomplit et
se réalise véritablement. C'est l'acte par lequel, ayant reconnu,
préalablement, son indigence fondamentale, sa déficience
ontologique qui le rend impuissant à `'résoudre'' l'énigme
qu'il est lui-même, l'homme s'en remet à celui qui seul connait
vraiment et donne sens à sa vie ; Dieu.
Ainsi, axer la vie sur le transcendant ou sur l'au-delà
ne peut pas vouloir dire une « évasion par le
haut ». L'exigence de transcendance, c'est l'exigence ontologique,
l'exigence d'être, qui est au coeur de la vie, l'ultime secret dont la
vie n'est que l'obscur, laborieux enfantement. Et le Toi Suprême ou Dieu,
c'est cette exigence qui découvre son visage authentique110(*).
CONCLUSION
Au terme de ce troisième chapitre, nous sommes en droit
de rappeler que notre exercice a été celui de prouver la
théorie de l'intersubjectivité comme fondement de l'existence
authentique. Dans le premier point, nous avions parlé de
l'intersubjectivité horizontale qui est celle qui noue la relation de
l'être avec autrui. Dans le deuxième point, nous nous sommes
attelé sur l'amour principe fondamental de l'intersubjectivité
authentique et le dernier point sur l'intersubjectivité verticale ou
fondamentale qui avait pour tâche de démontrer la relation de
l'homme avec le Toi Suprême, le Divin.
Démontrer la théorie de
l'intersubjectivité comme fondement de l'existence a montré que
je n'existe qu'à partir des autres. L'autre est le miroir de mon
existence étant donné que notre vie est fondamentalement
intersubjective de par son essence. L'existence de l'homme sans le concours de
l'autre n'est rien, elle n'est qu'une souffrance. Le bonheur ne réside
qu'en étant avec les autres. Car l'homme ne pourra mieux se
réaliser qu'en vivant avec les autres, parmi ses semblables, où
réside une vie ou une existence authentique. L'autre me rappelle mon
existence, c'est par lui et avec lui que j'existe, je me reconnais et je me
réalise comme un être existant.
Cette intersubjectivité se fonde et se réalise
par l'amour, un amour véritable et sincère. C'est une
intersubjectivité où l'existence humaine prime sur l'avoir
c'est-à-dire elle s'écarte de la réduction de l'autre
à un objet ou une chose, un avoir. L'Etre humain demeure au-dessus de
toute réalité existentielle.
L'intersubjectivité reste imparfaite sans fondement
solide qui est Dieu, le Toi Suprême qui n'en est pas seulement le
fondement, mais aussi son couronnement nécessaire. La communion avec
l'autre qui constitue le nous n'a de sens plein que lorsqu'il a son fondement
en Dieu. Car toute existence trouve son accomplissement en Dieu. Dieu est
l'Etre par qui tout découle, le fondementfondamental et la
finalité de toute chose, l'Alpha et l'Omega de
tout.
CONCLUSION GENERALE
Notre recherche sur « De l'avoir
pour la valorisation de l'être » chez Gabriel
Marcel avait pour but de saisir la corrélation entre l'être et
l'avoir Dans le premier chapitre; nous avons d'abord saisi l'originalité
de la conception marcellienne de l'être et l'avoir, mystère et
problème partant de l'analyse phénoménologique. Nous y
avons souligné que la relation entre l'être et l'avoir est
incontournable de par la nature de l'homme. L'homme pour mieux se
réaliser à nécessairement besoin d'avoir certaines
propriétés. L'être et l'avoir relèvent d'une
importance capitale dans la dynamique de connaissance de l'homme. C'est dire
que celui qui n'a rien n'est rien, il faut avoir pour exister, c'est une
exigence catégorique.
Dès lors, l'être se place dans l'ordre du
mystère, l'avoir dans l'ordre de la possession considérée
comme problème. Il en ressort que l'homme nese reconnaîtcomme
homme que partant de son corps, c'est-à-dire de la
corporéité comme son épiphanie dans le monde qui constitue
sa présence, l'union de l'être et de l'avoir, celle de l'autre
dans le monde ; et d'autres facultés spirituelles qui constituent
son essence ainsi que d'autres attributions extérieures comme la maison,
l'argent, etc. ; pour sa réalisation. C'est non seulement
l`ensemble de ces propriétés qui le fonde et le valorise. Et cela
conduit à la problématique de l'avoir et la crise de l'être
dans la société moderne; laquelle problématique fut
l'objet de notre deuxième chapitre.
Cette crise ne s'occasionne pas par l'avoir ou les
biensmatériels, mais bien plus de celle de la mauvaise gestion que
l'homme cultive sur celui-ci, car seul l'homme est conscient parmi tous les
étants, l'avoir n'a pas de conscience. C'est la crise des multiples
avoirs et la crise de l'avoir technique en particulier. Le fait de mal
gérer celle-ci et donner beaucoup de primat à l'avoir à la
place de l'être brise l'élan émancipateur de l'homme voire
sa déchéance et celle de son alter ego.
C'est-à-dire ça brise le sens de l'intersubjectivité.
L'homme par le fait de beaucoup accumuler s'oublie lui-même et son autre.
Le nous et la relation mutuelle sont exclus à cause de cette
mauvaise gérance que l'homme manifeste sur l'avoir. Cette mauvaise
gestion joue en défaveur de l'être et le conduit
catégoriquement audéclin en lui ôtant sa dignité.
Alors que l'avoir est fait pour son épanouissement et son
progrès, et non pour sa réduction. Le corps humain n'est pas un
avoir au sens profond de la chose, il relève au contraire du domaine de
l'être, il est un, il est corporéité selon Marcel. La vie
de l'homme est sacrée de par son essence.
Dans cette vision, il y a la nécessité de placer
l'être au-dessus de toute réalité existentielle. L'homme de
ce fait, ne peut vivre sans les objets ou l'avoir, mais s'il s'en contente, il
n'est plus pleinement homme. Se traiter comme un moyen et se servir les uns des
autres pour atteindre nos buts, serait sans doute la réduction de
soi-même et de l'autrui à un avoir, à un simple
matériau, c'est ôter àlui-même et à autrui sa
valeur ontologique. Ainsi, l'être reste dans l'ordre de mystère et
non de problème ou de l'avoir.
Le troisième chapitre s'est penché sur
l'intersubjectivité authentique qui constitue le fondement et la
récupération de l'existence de cette crise de l'être. La
relation interpersonnelle est évidente. Etre avec autrui consiste
réellement à donner sens à son existence car l'autre est
le miroir de mon existence. La considération de l'autre comme humain
consiste ici à reconnaître sa propre dignité et celle des
autres. L'autre n'est ni un enfer, ni un objet ou un avoir mais plutôt
mon alter ego, celui avec qui je partage la même condition de
l'existence. Il est en effet, le fondement de mon existence. L'avoir dans cette
condition, ne pourra qu'être un moyen pour la valorisation de
l'être et non pour sa ruine.
Nous ne pouvions que mieux nous réaliser lorsqu'on se
traitera mutuellement comme des humains. En mettant notre existence en premier
lieu dans toute chose,cela nous permettra de vivre une vie authentiquement,
humaine et morale. La communion véritable entre être et autrui
nous plonge dans la dynamique spirituelle, celle de l'amour. Ce dernier me
révèle à moi-même en même temps qu'il me
révèle à l'autre. Un amour parfait, véritable,
sincère et juste. Avec l'amour, nous passons de l'ordre du `'lui'' qui
caractérise la personne à une absence, à un objet,
à l'ordre du `'toi'' qui est fondamental.
En aimant réellement et véritablement, cela nous
conduit directement vers le Toi Suprême, vers Dieu. A travers l'autre, on
arrive au divin qui n'est rien d'autre que le couronnement et le fondement de
l'intersubjectivité. C'est dans cette optique de la finalité et
de la grandeur que le monde de l'être s'oppose radicalement à
celui de l'avoir. Dans notre condition existentielle, nous devrons toujours
mettre l'homme en évidence. La possession nous aide simplement à
nous réaliser, mais l'existence, la vie quantà elle,
dépasse tout et dit tout. L'on doit luter afin que l'être ne soit
jamais sacrifié à cause du bien matériel mais au
contraire,c'est l'avoir qui doit être subordonné à
l'être. L'avoir sera dans cette société matérialiste
au service de l'être pour sa valorisation et non pour sa
dépression. Il n'y a rien qui dépasse la vie humaine, elle est et
elle demeure dans toute son ampleur fondamentale, métaphysique et
mystère.
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrage de base
MARCEL, G., Etre et Avoir, Paris, Aubier-Montaigne,
1968.
Autres ouvrages de l'auteur
1. MARCEL, G., Journal métaphysique, Paris,
Gallimard, 1935.
2. IDEM, Les hommes contre l'humain, Paris, La colombe,
1951.
3. IDEM, Le mystère de l'être. Réflexion
et mystère, T.1, Paris, Ed. Aubier-Montaigne, 1963.
4. IDEM, Du refus à l'invocation, Paris,
Gallimard, 1964.
5. IDEM, Essai de la philosophie concrète, Paris,
Gallimard, 1967.
6. IDEM, Position et approches concrètes du
Mystère ontologique, Paris, Béatrice-Nauwelaerts, 1967.
Autres ouvrages :
7. BANONA NSEKA, D., Technique et dignité humaine.
Perspectives contemporaines à partir de Gabriel Marcel, Bruxelles,
Louvain-la-Neuve, 1998.
8. BOSOMI LIMBAYA, D., L'homme et sa destinée. Le
parcours de l'anthropologie philosophique de s. Augustin, s. Thomas et J. de
Finance, Kinshasa, USAWA, 2013.
9. IDEM, L'ardeur métaphysique. Manuel
d'enseignement classique, Kinshasa, USAKIN, 2015.
10. IDEM, Les thèmes majeurs de la philosophie
contemporaine. Itinéraire systématico-spéculatif,
KINSHASA, USAKIN, 2016.
11. IDEM, La laïcité et la religiosité.
A la recherche de l'essence de l'homme, KINSHASA, USAKIN, 2019.
12. BUBER, M., Je et Tu, Traduit de l'allemand par G.
Bianquis. Préface de Gaston Bachelard, Paris, Aubier, 1992.
13. CARREL A., L'homme, cet inconnu, Paris, Plon,
1935.
14. COMTE-SPONVILLE, A., Dictionnaire philosophique,
Paris, PUF, 4e éd., 2013.
15. DENIS, H., Dictionnaire des philosophes.
Préface de Ferdinand ALQUIE, de l'Institut Introduction de Marcel
CONCHE, Avant-propos de Bernard BOURGEOIS. Deuxième édition revue
et augmentée :1993, novembre, Paris, PUF, 1984.
16. FROMM, E., Avoir ou Etre ? Un choix dont
dépend l'avenir de l'homme. Traduction française :
Edition Robert Laffont, S.A., Paris, 1978.
17. HEIDEGGER, M., Etre et Temps, Paris, Gallimard,
1927.
18. KANT, E., Fondement de la métaphysique des
moeurs. Trad. V. Deblos in OEuvres philosophiques, Paris, Gallimard, T.
II, 1985.
19. MOUNIER, E., Le personnalisme. Coll. Que
sais-je ?, Paris, 1995.
20. MORFAUX, L-M., L'homme et le monde, Paris, Armand
Colin, 1977.
21. NGIMBI NSEKA, H., Tragique et intersubjectivité
dans la pensée de Gabriel Marcel, MAYIDI, 1981.
22. PALMIER, J-M., Hegel. Essai sur la formation du
système hégélien, Paris, Cherche-Midi, 1968.
23. VAN PARYS, J.-M., Dignité et droit de l'homme,
Recherche en Afrique, Kinshasa, Canisius, 1996.
24. WAELHENS, A.,La philosophie de Martin Heidegger.
Esquisse d'une lecture interne, Paris, L'Harmatan, 2003.
25. THONNARD, J.-F., Extraits des grands philosophes,
Paris, Desclée, 1963.
26. TROISFONTAINE, R., De l'existence à l'être.
La philosophie de Gabriel Marcel, T.1, Paris, Louvain-Nauwelaerts,
1968.
Revues :
27. BAGOT, Connaissance et Amour. Essai sur la philosophie de
Gabriel Marcel (Bibliothèque des Archives de philosophie, 7è
section : philosophie contemporaine, 2), Paris, Beauchesnes et ses fils,
1958, Cité par C. ELONGO LUKULUNGA, Pensée Agissante, p.
71-80.
28. ELONGO LUKUNGA, « De l'être avec
dans la philosophie de G. Marcel. Une approche ontologique de la
communication » in Pensée Agissante, Vol. 2,
n°4, (juillet-décembre, 1996), p. 71-80.
29. NKETO LUMBA, C., Cité par Hubert KAVUSA,
« Entrevue avec le professeur NKETO LUMBA Cléophas »
in L'homme, cette excédentarité inclôturable,
N°83, Kinshasa, Canisius, (janvier 2010), p. 69-74.
TABLE DES MATIERES
EPIGRAPHE
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défini.
DEDICACE
2
AVANT-PROPOS
3
0. INTRODUCTION
GENERALE.....................................................................6
0. 1.
PROBLEMATIQUE.................................................................................6
0.2 INTERET DU SUJET
8
0.3 LIMITE DE LA RECHERCHE
8
0.4. METHODE ET SUBDIVISION DU TRAVAIL
8
CHAPITRE I : PHENOMENOLOGIE DE L'ETRE ET DE
L'AVOIR
9
I.0. INTRODUCTION
9
I.1. APPREHENSION MARCELLIENNE DE LA
PHENOMENOLOGIE
10
I.2 LA DISTINCTION DE L'ETRE ET DE L'AVOIR
12
I.2.1. L'Etre
12
I.2.2. L'Avoir
14
I.2.3. LA DISTINCTION PROBLEME ET MYSTERE
14
I.3. LA COEXISTENCE DE L'ETRE ET DE L'AVOIR DANS
LEUR MOUVANCE
15
I.3.1. La corrélation entre l'être et
l'avoir
15
I.3.2 La corporéité comme
épiphanie de l'être dans le monde
17
I.3.3. La corporéité comme
épiphanie de l'incarnation de l'être
18
I.3.4. De l'hylémorphisme comme union du
corps et du moi (être et avoir)
19
CONCLUSION
20
DEUXIEME CHAPITRE : L'AVOIR ET LA CRISE DE
L'ETRE DANS LA SOCIETE MODERNE
21
II. 0. INTRODUCTION
21
II.1. LA CRISE DE L'ETRE ET L'AVOIR
TECHNOLOGIQUE
23
II. 2. CRISE DE L'ETRE ET OBJECTIVATION DE
L'AVOIR-POSSESSION
27
II. 3. L'AMBIVALENCE DE L'AVOIR
29
II. 4. AVOIR ET SUPPRESSION DE L'AUTRE
29
II. 5. LA CONCEPTION LOGIQUE DE LA TECHNOSCIENCE
31
II. 5. 1. Vers la dérive ontologique de
l'avoir
31
II. 5. 2. Le drame de l'avoir technoscientifique sur
l'être
32
II. 5. 2. 1. Avoir et désir
33
II. 5. 2. 2. Avoir et indisponibilité
33
CONCLUSION
34
CHAPITRE III : L'INTERSUBJECTIVITE :
FONDEMENT DE L'EXISTENCE AUTHENTIQUE
36
III. 0. INTRODUCTION
36
III. 1. INTERSUBJECTIVITE HORIZONTALE
38
III. 2. L'AMOUR : PRINCIPE FONDAMENTAL DE
L'INTERSUBJECTIVITE AUTHENTIQUE
41
III. 3. L'INTERSUBJECTIVITE VERTICALE OU
FONDAMENTALE
43
CONCLUSION
45
CONCLUSION GENERALE
46
BIBLIOGRAPHIE
49
TABLE DES MATIERES
52
* 1 G.MARCEL, Cité par
R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, Seizième
Edition, Paris, Beauchesne, 1960, p. 152.
* 2IDEM, Etre et
Avoir, Paris, Aubier-Montaigne, 1968, p. 206.
* 3 G. MARCEL, Etre et
Avoir, Paris, Aubier-Montaigne, 1935, p. 227.
* 4Ibid.
* 5 R. TROISFONTAINES,
De l'existence à l'être, Paris, Louvain-Nauwelaerts,
1968, p. 2010.
* 6H. Denis, Dictionnaire
des philosophes. Préface de Ferdinand ALQUIE, de l'institut
introduction de Marcel CONCHE, avant-propos de Bernard BOURGEOIS.
Deuxième édition revue et augmentée :1993, novembre,
Paris, PUF, 1984, p.1910.
* 7 Cf. D. BOSOMI LIMBAYA,
L'ardeur métaphysique. Manuel d'enseignement classique,
Kinshasa, USAKIN, 2015, p. 39.
* 8 G. MARCEL, cité
par R. VERNAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op.cit., p.
154.
* 9 Cf. IDEM,
Présence et immortalité, Paris, Flammarion, 1959, p.
136.
* 10 G. MARCEL,
Mystère de l'être. Réflexion et Mystère,
Paris, Aubier-Montaigne, 1963, p. 26.
* 11 A. COMTE-SPONVILLE,
Dictionnaire philosophique, Paris, PUF, 4e éd.,
2013, p. 112.
* 12 Cf. E. FROMM, Avoir
ou Etre ? Un choix dont dépend l'avenir de l'homme, Paris,
Robert Laffont, 1978, p. 107.
* 13 G. MARCEL, Etre et
Avoir, op.cit., p. 225.
* 14 G. MARCEL, Etre et
avoir, op.cit., p. 250.
* 15 G. MARCEL, Cité
par Roger Vernaux, op.cit., p. 152.
* 16 IDEM, Etre et
Avoir, op.cit., p. 119.
* 17Ibid. p.
122.
* 18 E. FROMM,
op.cit., p. 33.
* 19 Cf. J-M.
PALMIER,Hegel. Essai sur la formation du système
hégélien, Paris, Cherche-Midi, 1968, p. 98.
* 20 E. FROMM,
op.cit., p. 41.
* 21 D. BOSOMI LIMBAYA,
L'homme et sa destinée. Le parcours de l'anthropologie philosophique
de s. Augustin, s. Thomas et J. de Finance, Kinshasa, USAWA, 2013, p.
75.
* 22 G. MARCEL, Etre et
Avoir, op.cit., p. 102.
* 23 NGIMBI NSEKA,
Tragique et intersubjectivité dans la pensée de Gabriel
Marcel, MAYIDI, 1981, p. 55.
* 24Cf. C. NKETO LUMBA,
cité par H. KAVUSA, « Entrevue avec le professeur NKETO LUMBA
Cléophas » in L'homme, cette excédentarité
inclôturable, N°83, Kinshasa, Canisius, (janvier 2010), p.
69-74.
* 25 G. MARCEL, Essai de
philosophie concrète, Paris, Gallimard, 1940, p. 30.
* 26 IDEM, Position et
approches concrètes du Mystère ontologique, Paris,
Béatrice-Nauwelaerts, 1967, p. 16.
* 27 G. MARCEL, Etre et
Avoir, op.cit., p. 144.
* 28 NGIMBI
NSEKA,op.cit., p. 56.
* 29 Cf. Ibid.,
57.
* 30NGIMBI NSEKA,
op.cit., p. 58.
* 31 G. MARCEL,
Mystère de l'être, op.cit., p. 119.
* 32Ibid., p.
116-117.
* 33Cf. D. BOSOMI LYMBAYA,
Les thèmes majeurs de la philosophie contemporaine.
Itinéraire systématico-spéculatif, KINSHASA, USAKIN,
2016, p. 120-121.
* 34 Cf. D. BANONA NSEKA,
Technique et dignité humaine. Perspectives contemporaines à
partir de Gabriel Marcel, Bruxelles, Louvain-la-Neuve, 1998, p. 11-12.
* 35 Cf. D. BOSOMI LYMBAYA,
La laïcité et la religiosité. A la recherche de
l'essence de l'homme, KINSHASA, USAKIN, 2019, p. 21.
* 36 A. CARREL, L'homme,
cet inconnu, Paris, Plon, 1935, p. 20.
* 37 Cf. G. MARCEL,
Mystère de l'être, op.cit., p. 41.
* 38 IDEM, Etre et
avoir, op.cit., p. 208.
* 39Ibid.
* 40 G. MARCEL, Les
hommes contre l'humain, Paris, La Colombe, 1951, p. 50.
* 41Ibid., p.
36.
* 42 M. HEIDEGGER, Etre
et Temps, p. 156.
* 43 M. BUBER, Je et
Tu, p. 31.
* 44 E. MOUNIER, Le
personnalisme. Coll. Que sais-je ?, Paris, 1995, p. 493.
* 45Cf. D. BANONA NSEKA,
op.cit., p. 53.
* 46 E. KANT, Fondement
de la métaphysique des moeurs. Trad. V. Deblos in OEuvres
philosophiques, Paris, Gallimard, T. II, 1985, p. 295.
* 47 G. HOTTOIS,
op.cit., p. 36.
* 48 ELONGO
LUKUNGA, « De l'être avec dans la philosophie de G.
Marcel. Une approche ontologique de la communication » in
Pensée Agissante, Vol. 2, n°4, (juillet-décembre. 1996)
p. 75.
* 49 J. PARRAIN-VIAL,
Gabriel Marcel et les niveaux de l'expérience (Philosophies de
tous les temps), Paris, Seghers, 1966, p. 208.
* 50 G. MARCEL, Du refus
à l'invocation, Paris Gallimard, 1940, p. 201.
* 51TROISFONTAINES, R,
De l'existence de l'être, op.cit., p. 176.
* 52 G. MARCEL, Etre
avoir, op.cit., p. 199.
* 53Ibid.p. 200.
* 54Ibid.
* 55Ibid., p.
201
* 56Ibid., p.
198.
* 57G. MARCEL,
Être et avoir, op.cit., p. 201.
* 58Ibid., p.
203-204.
* 59Ibid.
* 60 Cf. G. MARCEL,
Être et Avoir, op.cit. p. 204.
* 61Ibid.
* 62 Cf. Ibid.
* 63Ibid., p.
206.
* 64G. MARCEL,
Être et avoir, op.cit., p. 207.
* 65Ibid., p.
208.
* 66 R. TROISFONTAINES,
op.cit., p. 86.
* 67 G. MARCEL, Etre et
avoir, op.cit., p. 209.
* 68G. MARCEL, Etre et
avoir, op.cit., p. 2010.
* 69Ibid., p.
213.
* 70Ibid., p.
211.
* 71 G. MARCEL, Etre et
avoir, op.cit., p. 217.
* 72 G. HOTTOIS, cité
par Kizito, « Technoscience en Afrique », in
Raison ardente, n°57, Kimwenza, 1999, p. 126.
* 73 Cf. ELONGO LUKULUNGA,
« De l'être avec dans la philosophie de Gabriel Marcel. Une
approche de la communication », op.cit., p. 73-74.
* 74 G. MARCEL,
Mystère de l'être, op.cit., p. 221.
* 75 Cf. G. MARCEL,
Cité par R. Vernaux, Histoire de la philosophie contemporaine,
op.cit., p. 153.
* 76 IDEM, Essai de la
philosophie concrète, Paris, Cerf, 1940, p. 22.
* 77 D. BOSOMI LIMBAYA,
Les thèmes majeurs de la philosophie contemporaine.
Itinéraire systématico-spéculatif, op.cit., p. 60.
* 78 A. WAELHENS, La
philosophie de Martin Heidegger. Esquisse d'une lecture interne, Paris,
L'harmattan, 2003, p. 36.
* 79 Cf. NGIMBI NSEKA,
Tragique et intersubjectivité dans la pensée de Gabriel
Marcel, op.cit., p. 3.
* 80 Cf. Ibid., p.
4.
* 81 Cf. BAGOT,
« Connaissance et Amour. Essai sur la philosophie de Gabriel
Marcel » (Bibliothèque des Archives de philosophie, 7è
section : philosophie contemporaine, 2), Paris, Beauchesnes et ses fils,
1958, cité par ELONGO LUKULUNGA, Pensée Agissante, p.
74.
* 82 M. BUBER, Je et
Tu, op.cit., p. 127.
* 83 G. MARCEL, Etre et
Avoir, op.cit., p. 129.
* 84 IDEM,
Mystère de l'être, op.cit., p. 37.
* 85Ibid. p.
193.
* 86Ibid. p.
132.
* 87 Cf.H. NGIMBI NSEKA,
Tragique et intersubjectivité dans la pensée de Gabriel
Marcel, op.cit., p. 7.
* 88 Cf. M. BUBER, Je et
Tu, op.cit., p. 119.
* 89Ibid., p.
25.
* 90 Cf. L-M. MORFAUX,
L'homme est le monde, Paris, Armand Colin, 1977, p. 76.
* 91 Cf. TROISFONTAINES R,
op.cit., p. 227.
* 92D. BOSOMI LIMBAYA,
Les thèmes majeurs de la philosophie contemporaine.
Itinéraire systématico-spéculatif, op.cit.,
p. 62.
* 93 Cf. C. ELONGO
LUKUNGA, « De l'être avec dans la philosophie de G.
Marcel. Une approche ontologique de la communication » in
Pensée Agissante, Vol. 2, n°4, (juillet-décembre.
1996), p. 79.
* 94Ibid., p.
80.
* 95 Cf. J.-F. THONNARD,
Extraits des grands philosophes, Paris, Desclée, 1963, p.
43.
* 96 G. MARCEL, Journal
métaphysique, Paris, Gallimard, 1935, p. 138.
* 97 H. NGIMBI NSEKA,
Tragique et intersubjectivité dans la pensée de Gabriel
Marcel, op.cit., p. 195.
* 98 Cf. G. MARCEL,
Journal métaphysique, op.cit., pp. 145-146.
* 99 Cf. G. MARCEL,
Essai de la philosophie concrète, op.cit., p. 16.
* 100 Cf. Ibid.
* 101 Cf. D. BOSOMI
LIMBAYA, L'ardeur métaphysique. Manuel d'enseignement
classique, op.cit., p. 61.
* 102 Cf. Cf. D. BOSOMI
LIMBAYA, L'ardeur métaphysique. Manuel d'enseignement classique,
op.cit., p. 39.
* 103 Cf.G. MARCEL,
Etre et Avoir, op.cit., p. 119.
* 104 D. BOSOMI
LYMBAYA,Les thèmes majeurs de la philosophie contemporaine.
Itinéraire systématico-spéculatif, op.cit.,
p. 24.
* 105 G. MARCEL, Du
refus à l'invocation, Paris, Gallimard, 1964, p. 217.
* 106 G. MARCEL,
Journal métaphysique, op.cit., p. 137.
* 107 G. MARCEL,
Journal métaphysique, op.cit., p. 158.
* 108 IDEM, Etre et
Avoir, op.cit., pp. 213-214.
* 109Ibid., p.
37.
* 110Ibid., p.
113.
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