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La mise en œuvre de la responsabilité de protéger en Afrique. étude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye).


par Bansopa Linda DARATE
Université d'Abomey-Calavi, Bénin - Master II Droit International et Organisations Internationales  2017
  

Disponible en mode multipage

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RÉPUBLIQUE DU BÉNIN

******

UNIVERSITÉ D'ABOMEY-CALAVI

**********

FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCES POLITIQUES

**********

ÉCOLE DOCTORALE

**********

MEMOIRE PRESENTÉ EN VUE DE L'OBTENTION DU DIPLÔME DE
MASTER EN DROIT INTERNATIONAL ET ORGANISATIONS
INTERNATIONALES

THÈME

LA MISE EN OEUVRE DE LA RESPONSABILITÉ DE

PROTÉGER EN AFRIQUE : ÉTUDE DE QUELQUES

CAS RÉCENTS (MALI, CENTRAFRIQUE, LIBYE)

Réaliséet présenté par: Bansopa Linda DARATÉ

Sous la direction de:

Arsène-Joël ADELOUI

Professeuragrégé de droit public Université døAbomey-Calavi

Année académique 2015-2016

La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

AVERTISSEMENT

La Faculté de Droit et de Sciences Politiques nøentend

donner aucune approbation ni improbation aux

opinions émises dans ce mémoire. Celles-ci sont

considérées comme propres à leur auteur.

Réalisé et présenté par Bansopa Linda DARATE Page i

La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

DEDICACE

A René DARATE, mon père et à Chantal TIGRI, ma mère ;

Je dédie ce mémoire.

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La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

REMERCIEMENTS

Nous remercions le Professeur Arsène-Joël ADELOUI d'avoir accepté de travailler sur ce sujet passionnant. Merci pour son aide, sa disponibilité, et ses conseils avisés. Merci d'avoir pris le temps de nous faire bénéficier de sa connaissance approfondie de la matière.

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La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

RÉSUMÉ

Notion dégagée des travaux de la Commission internationale sur l'intervention et la souveraineté des Etats (la CIISE) mise sur pied à l'initiative du gouvernement canadien et coprésidée par Gareth Evans et Mohamed Sahnoun, la responsabilité de protéger met en avant une acception renouvelée de la souveraineté de l'Etat. Celle-là ne peut plus reposer seulement, sur un principe de liberté et d'immunités, mais comporte des obligations à l'égard des populations vivant sur son territoire, que l'Etat doit respecter et dont il doit répondre. Ainsi, en cas de manquements graves de l'Etat à ses obligations de protection, la souveraineté ne saurait plus être, dans tous les cas, un obstacle infranchissable à une action de la Communauté internationale, tenue elle-même d'exercer ses propres responsabilités en matière de protection des populations. La responsabilité de protéger a donc une dimension individuelle et collective, appelée à être exercée solidairement en faveur des populations menacées ou victimes de violences de masse. La notion de responsabilité de protéger qui a le soutien d'une large partie de la communauté internationale, mais aussi des détracteurs, fait l'objet d'un travail de réflexion et d'approfondissement sous l'égide des Nations Unies.

Cette contribution a pour objet de montrer, derrière les procès d'intention faits à ce concept, les questions et les difficultés que son application peut soulever aux différentes phases de sa mise en oeuvre, tant pour l'Etat territorial auquel cette responsabilité incombe au premier chef, que pour la communauté internationale, investie de cette responsabilité, à titre subsidiaire, en cas d'impossibilité ou de mauvaise volonté de l'Etat territorial de s'acquitter de ce devoir.

Préciser les différents moyens et conditions d'action au titre de la responsabilité de protéger est d'autant plus urgent aujourd'hui que la pratique de l'intervention en Libye a fait passer la notion de responsabilité de protéger de la théorie à la pratique.

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La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

ABREVIATIONS ET SIGLES

AFRI Annuaire Français de Relations Internationales

AGNU Assemblée Générale des Nations Unies

Art. Article

AUF Agence Universitaire de la Francophonie

CEDEAO Communauté Economique des États de l'Afrique de l'Ouest

CEEAC Communauté Economique des Etats de l'Afrique Centrale

CER Communautés Economiques Régionales

CICR Comité International de la Croix-Rouge

CIISE Commission Internationale de l'Intervention et de la Souveraineté

des États

CIJ Cour Internationale de Justice

COPAX Conseil de Paix et de sécurité de l'Afrique Centrale

CPI Cour Pénale Internationale

CSNU Conseil de Sécurité des Nations Unies

Dir. Directeur

Doc. Document

ECOMOG ECOWAS Monitoring Group

EUFOR European Union Force (Force de l'Union européenne)

FORPRONU Force de protection des Nations Unies

GPHN Groupe de Personnalités de Haut Niveau sur les menaces, les

défis...

HCDH Haut Commissariat aux Droits de l'Homme

HCR Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés

Ibid. Ibidem

Id. Idem

In Dans

Infra Ci-dessous

MICOPAX Mission de Consolidation de la Paix en Centrafrique

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La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

MINUAD Mission conjointe des Nations unies et de l'Union africaine au

Darfour

MINUSCA Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la
Stabilisation en Centrafrique

MINUSMA Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la
Stabilisation au Mali

MISCA Mission Internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite
africaine

MISMA Mission Internationale de soutien au Mali sous conduite africaine

MONUC Mission de l'Organisation des Nations unies en République

Démocratique du Congo

: Numéro

OCHA Bureau de la coordination des affaires humanitaires

OMP Opérations de maintien de la paix

ONG Organisation non gouvernementale

ONU Organisation des Nations Unies

ONUCI Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire

op. cit. Opus Citatem (ouvrage déjà cité)

OTAN Organisation du Traité de l'Atlantique Nord

OUA Organisation de l'Unité Africaine

p. Page

PAM Programme Alimentaire Mondial

par. Paragraphe

pp. Pages

R2P Responsabilité de protéger

Rap. Rapport

RCA République Centrafricaine

RDIDC Revue de droit international et de droit comparé

Rec. Recueil

Res. Résolution

RGDIP Revue Générale de Droit International Public

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La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

RICR Revue Internationale de la Croix-Rouge

s. Suivant(e)s

SFDI Société Française pour le Droit International

SGNU Secrétaire Général des Nations Unies

Supra Ci-dessus

TPI Tribunal Pénal International

TPIR Tribunal Pénal International pour le Rwanda

TPIY Tribunal Pénal International pour løex-Yougoslavie

UE Union Européenne

UA Union Africaine

UMA Union du Maghreb Arabe

V. Voir

Vol. Volume

Réalisé et présenté par Bansopa Linda DARATE Page viii

La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

SOMMAIRE

INTRODUCTION GENERALE 1

PREMIERE PARTIE : UN CADRE DE MISE EN OEUVRE IMPRECIS ..12

CHAPITRE I: DES MODALITES DE MISE EN OEUVRE VARIABLES ..14

Section 1 : Le traitement des crises au cas par cas

14

Section 2 : L'appréciation ambiguë des critères de l'intervention militaire

23

CHAPITRE II : DES MOYENS DE MISE EN OEUVRE CONFUS

.32

Section 1 : Le mélange de l'humanitaire et du militaire : l'humanitaire armé

32

Section 2 : La conséquence : une situation intenable

40

 

DEUXIEME PARTIE : UNE MISE EN OEUVRE EQUIVOQUE .

50

CHAPITRE I : UNE FERME VOLONTE DE PREVENIR

. 52

Section 1 : Les mécanismes pertinents de prévention

. 52

Section 2 : Les faiblesses des mécanismes de prévention .

63

CHAPITRE II : DES INTERVENTIONS CONTROVERSEES

72

Section 1 : Des réactions lentes et peu efficaces

72

Section 2 : Des processus de reconstruction inachevés

. 84

CONCLUSION GENERALE

96

BIBLIOGRAPHIE

... 99

 

La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

INTRODUCTION GENERALE

Réalisé et présenté par Bansopa Linda DARATE Page 1

Réalisé et présenté par Bansopa Linda DARATE Page 2

La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

Les événements tragiques tels que l'Holocauste, les champs de la mort du Cambodge, le génocide au Rwanda et les massacres de Srebrenica1 ont profondément assombri le XXe siècle, conduisant ainsi Kofi Annan alors Secrétaire général des Nations Unies et d'autres dirigeants dans le monde à se demander si l'Organisation des Nations Unies et les autres institutions internationales devaient s'attacher exclusivement à la sécurité des États sans tenir compte de celle des populations vivant sur leur territoire. Reconnaissant la justesse de cette inquiétude ainsi que les carences du système international en ce qui concerne la protection des civils dans les conflits armés, son successeur, le Secrétaire général Ban Ki-Moon2, relèvera dans son rapport intitulé "La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger", que ces diverses tragédies témoignent de « l'incapacité foncière de chaque État de s'acquitter de ses responsabilités les plus élémentaires et impérieuses, ainsi que de l'échec collectif des institutions internationales »3.

En effet, la Communauté internationale, souvent partagée entre le respect de la souveraineté nationale et l'impératif d'intervenir à des fins humanitaires, n'a pas toujours su comment réagir face aux atrocités de masse. Le débat relatif à l'action onusienne en situation de crise a connu de nombreuses évolutions ; mais une étape fondamentale a été franchie en 2000 avec l'avènement du concept de responsabilité de protéger. Adopté par les États membres des Nations unies en 2005, lors du 60ème Sommet mondial des Nations Unies4, le principe de la responsabilité de protéger a été appliqué pour la première fois en Afrique notamment en Libye5 et en Côte d'Ivoire6 en 2011.

1 Les deux derniers sous la surveillance du Conseil de sécurité et des forces de maintien de la paix de l'ONU.

2 Prédécesseur de l'actuel Secrétaire général Antonio Guterres.

3 Assemblée générale de l'ONU, Rapport du Secrétaire général, La Mise en oeuvre de la responsabilité de protéger, Doc. ONU, A/63/677, 12 janv. 2009, paragraphe 5, p. 4.

4 Réunion plénière de Haut niveau de la soixantième session de l'Assemblée Générale des Nations Unies, tenue du 14 au 16 septembre 2005 au siège de l'ONU à New York.

5 La Libye a connu un conflit armé issu d'un mouvement de contestation populaire, assorti de revendications sociales et politiques, qui s'est déroulé entre le 15 février 2011 et le 23 octobre 2011. Cette crise est à l'origine de l'intervention militaire internationale de 2011. Celle-ci est une opération militaire multinationale sous l'égide de l'ONU, qui s'est déroulé entre le 19 mars 2011 et le 31 octobre 2011, dont l'objectif est la mise en oeuvre de la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies. Cette résolution instaure une zone d'exclusion aérienne au dessus du territoire de la Jamahiriya arabe libyenne et permet de « prendre toutes les mesures jugées nécessaires pour protéger les populations civiles »

Les noms de codes des interventions mandatées par l'ONU sont : l'opération Harmattan menée par la France, l'opération Ellamy menée par le Royaume-Uni, l'opération Odyssey Dawn menée par les Etats-Unis, l'opération Mobile menée par le Canada et l'opération Unified Protector menée par l'OTAN.

Réalisé et présenté par Bansopa Linda DARATE Page 3

La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

Ainsi, les récentes crises en Afrique, notamment en Libye et en Côte d'ivoire ont relancé la polémique sur la notion de « responsabilité de protéger », ou sur ce que certains7 appellent encore le « droit » ou le « devoir d'ingérence humanitaire »8. Ces expressions qui, depuis bientôt trente ans, sont présentes dans les médias, suscitent inlassablement de vifs débats, aussi bien politiques, juridiques que philosophiques. Si, en ce XXIème siècle, tout le monde s'accorde à dire que l'on ne peut plus tolérer des violations flagrantes et massives des droits de l'homme, l'intervention onusienne pour motifs humanitaires a toujours suscité des controverses, voire des critiques, que ce soit par sa présence ou par son absence9. On se trouve en effet tiraillé entre la nonintervention éthiquement problématique et l'intervention toujours risquée et jamais incontestée10. La responsabilité de protéger alimente aujourd'hui des débats alléchants dans le monde des internationalistes. Pour ne pas se laisser emporter par l'engouement médiatique qui utilise souvent les expressions sans en donner la véritable portée, il est nécessaire d'éclaircir la notion de responsabilité de protéger, en retraçant ses origines et en précisant son contenu.

Impuissante face à la situation au Rwanda, paralysée face à la situation au Kosovo, l'ONU avait laissé d'un côté se perpétrer un génocide et de l'autre se dérouler une intervention armée sans l'accord du Conseil de sécurité. Aussi, consciente de la gravité de ces manquements et des contradictions qu'ils révélaient une fois de plus, la Communauté internationale a commencé à débattre sérieusement de la manière de réagir avec efficacité quand les droits des citoyens sont violés de manière flagrante et systématique. La question fondamentale qui se posait alors était celle de savoir si les

6 La Côte d'Ivoire a connu une crise qui s'est déroulée du 28 novembre 2010 au 4 mars 2011, après le second tour de l'élection présidentielle ivoirienne de 2010 dont le résultat a conduit à un différend électoral. Ce deuxième tour des élections a opposé le président sortant Laurent Gbagbo à l'ex Premier ministre Alassane Ouattara. Ce dernier sera déclaré vainqueur par la Commission Electorale Indépendante tandis que le premier après un recours devant le Conseil constitutionnel sera proclamé vainqueur par cet organe. La Côte d'Ivoire s'est alors trouvée dotée de deux présidents, de deux premiers ministres et de deux gouvernements. L'échec des négociations afin d'amener Laurent Gbagbo a reconnaître sa défaite face à son adversaire largement soutenu par la Communauté internationale, et le déclenchement dès janvier 2011 des heurts entre partisans des deux camps motiveront le Conseil de sécurité de l'ONU a adopter la résolution 1967 du 19 janvier 2011 autorisant l'envoi de 2000 casques bleus supplémentaires dans le cadre de l'ONUCI (opération des nations unies en Côte d'Ivoire).

7 Peters A., « Le droit d'ingérence et le devoir d'ingérence ÀVers une responsabilité de protéger », Revue de droit international et de droit comparé, 2002, pp. 290-308, ici p. 296.

8 Massrouri M., « La responsabilité de protéger », MOREILLON L., Droit pénal humanitaire, 2ième édition, Bruxelles, Bruylant, 2009, p.197.

9Ibid.

10 Abdelhamid H., Bélanger M., Crouzatier J.-M., Douailler S., Maila J., Mbonda E.-M, Mihali C., Tassin E., (dir), Sécurité humaine et responsabilité de protéger, l'ordre humanitaire international en question, Archives contemporaines, AUF, 2009, p. 112.

Réalisé et présenté par Bansopa Linda DARATE Page 4

La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

Etats jouissent d'une souveraineté inconditionnelle sur leurs propres affaires ou si la Communauté internationale a le droit d'intervenir dans un Etat à des fins humanitaires. C'est dans ce contexte que l'ancien Secrétaire général Kofi Annan, a lancé à l'Assemblée générale des Nations Unies en 1999 puis en 2000, des appels éloquents invitant la Communauté internationale à parvenir une fois pour toutes à un consensus sur ces problèmes et à forger une nouvelle unité sur les questions fondamentales de principe et de procédure. Le Secrétaire général a posé directement la question incontournable en ces termes : si l'intervention humanitaire constitue effectivement une atteinte inadmissible à la souveraineté, comment devons-nous réagir face à des situations comme celles dont nous avons été témoins au Rwanda ou à Srebrenica, devant des violations flagrantes, massives et systématiques des droits de l'homme, qui vont à l'encontre de tous les principes sur lesquels est fondée notre condition d'êtres humains?11 . En réponse à cet appel, le Gouvernement du Canada et un groupe de grandes fondations, annonçaient à l'Assemblée générale en septembre 2000 la création d'une Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États (ci-après CIISE ou Commission).

D'abord avancé par Francis M. Deng12 dans ses travaux sur le sort réservé aux personnes déplacées et aux réfugiés13, ensuite évoqué dans un rapport produit par le Danish Institute of International Affairs en 199914, puis développé dans un rapport de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États (CIISE) publié en décembre 200115, le concept de responsabilité de protéger a subséquemment été interprété comme une nouvelle « norme prescrivant une obligation collective internationale de protection » par le Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement16 ; et certains le considèrent désormais comme l'innovation « la plus importante en lien avec les menaces d'atrocités de

11 Tiré du Rapport du Millénaire du Secrétaire Général intitulé « Nous les peuples : le rôle des Nations Unies au XXIè siècle », Doc. A/54/2000, 27 mars 2000, p. 36.

12 Homme politique et diplomate originaire du Soudan du sud. Il débuta sa carrière aux Nations Unies en tant que spécialiste des droits de l'homme.

13 Deng F. M., Kimaro S., Lyons T., Rothchild D. & Zartman I.W., Sovereignty as Responsibility ; Jentleson B.W., Coercive Prevention, pp. 18-23 ; Deng F.M., « From 'Sovereignty as Responsibility' to the 'Responsibility to Protect' », pp. 353-370.

14Danish Institute of international Affairs, Humanitarian Intervention.

15 Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États (CIISE), La responsabilité de protéger, Ottawa, décembre 2001.

16 Nations Unies, Groupe de personnalité de haut niveau, Un monde plus sûr, §§ 202-203.

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La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

masse depuis l'adoption de la Convention sur le génocide en 1948 »17. Le concept de responsabilité de protéger», sera enfin érigé en principe et adopté par les États membres des Nations unies en 200518, à l'issue du 60ème Sommet mondial des Nations Unies.

Connu sous le vocable « R2P »19, dans le jargon des Nations unies, la « responsabilité de protéger », désigne l'obligation qui incombe à chaque Etat de protéger ses populations contre les génocides, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les nettoyages ethniques20. C'est également l'obligation qui incombe à la Communauté internationale, d'assister l'Etat (en proie à un conflit), dans la mise en oeuvre de sa responsabilité de protéger sa population, ou de le suppléer lorsqu'il est défaillant21.

L'origine du mot « responsabilité » peut être retracée à deux étymologies complémentaires : au verbe latin « spondere » signifiant, promettre, s'engager à se porter garant de quelqu'un ou de quelque chose, et « respondere » c'est-à-dire, répondre ou répondre de. Le mot « répondre » implique dès lors l'idée de se tenir garant du cours d'évènements à venir22. Plus spécialement on répond à une exigence ; celle de faire face à un devoir, à une charge qui nous incombe23. Dans le domaine du droit, et en particulier du droit civil et du droit pénal, la notion de responsabilité semble être définie avec plus de précision. Elle renvoie essentiellement à une « obligation » : celle de réparer un dommage causé à autrui24 (droit civil) ou de subir la

17Albright M.K. & Cohen W.S., Preventing Genocide, American Academy of Diplomacy, 2008, p. 98.

18 Voir les paragraphes 138 et 139 du Document final du Sommet mondial des Chefs d'Etat et de Gouvernement de septembre 2005 à New-York, doc. ONU A/60/L.1 (2005).

19 L'acronyme R2P À prononcez RtoP, « à l'anglaise » Àfait partie du langage de l'Organisation des Nations Unies (ONU).

20 Document final du Sommet mondial de 2005, 16 septembre 2005, Doc. off. NU A/60/L.1, par. 138. 21Ibid. par. 139.

22 Eberhard C., « La responsabilité en France: Une approche juridique face à la complexité du monde », in Sizoo E. (dir), Responsabilité et cultures du monde. Dialogue autour d?un défi collectif, Éditions Charles Léopold Mayer, Paris, 2008, pp 155-182. (Version Provisoire).

23 En effet, le terme « responsabilité » n'est pas dénué de toute ambiguïté. En 1970, la Cour internationale de Justice dans l'arrêt Barcelona Traction débute son raisonnement en l'utilisant comme un synonyme du mot « obligation ». Cela suggère donc, à première vue, que la responsabilité de protéger est un devoir des États et de la communauté internationale À « a duty to protect ». Néanmoins, le mot « responsabilité » peut aussi revêtir une connotation plus morale, un engagement solennel ou une promesse.

24 Le droit civil rattache la notion de responsabilité à la réparation des préjudices individuels. L'article 1382 du Code Civil français de 1804 dispose à cet effet « Tout fait quelconque de l'homme qui cause dommage à autrui, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

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La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

punition prévue comme conséquence de ce dommage25 (droit pénal). Il faut remarquer que la notion d'obligation est centrale dans le concept même de responsabilité. Qu'il s'agisse de réparer un dommage ou de subir un châtiment, la situation se présente toujours sous le signe d'une « obligation ». Mais dans la thématique de la « responsabilité de protéger », si la notion d'obligation conserve toute sa place, il n'en est pas de même des autres éléments comme la réparation et le châtiment qui perdent tous leur sens. Ici, l'objet de cette responsabilité (protéger), affecte le concept et oblige à rechercher son sens dans d'autres domaines tels la morale et la politique.

Le registre de la morale vient enrichir le concept de responsabilité en lui donnant une extension qui déborde le cadre de la réparation et de la punition pour englober l'engagement que l'on peut avoir à l'égard des autres et surtout des personnes qui sont à notre charge. C'est cette responsabilité qui est définie par Emmanuel Levinas26 en termes de « responsabilité pour autrui », en tant qu'obligation qu'impose à chaque personne le visage ou le regard de l'autre. La modalité de cette responsabilité est la prospection et non la rétrospection, comme le souligne Hans Jonas27. On envisage non pas ce qui est arrivé, mais ce qui peut arriver, en particulier aux autres.On retrouve ici l'enjeu de la responsabilité de protéger. Si la protection consiste à mettre des personnes à l'abri d'un danger potentiel, soit en empêchant que ce danger se produise, soit en limitant ses conséquences une fois qu'il se manifeste ; la responsabilité de protéger renvoie vers ce qu'il convient de faire en pareille situation d'imminence du danger.

Dans un autre registre, la responsabilité devient politique quand elle se définit comme obligation incombant à un Etat ou à une institution publique d'assurer la protection ou la sécurité des personnes qui sont à sa charge. La responsabilité du point de vue politique, en rapport avec la thématique de la sécurité humaine, met en évidence l'une des fonctions principales d'un Etat. Le rapport de la CIISE fait de l'Etat le principal titulaire de la responsabilité de protéger et relie la légitimité de l'Etat au respect de cette obligation. Tel est le sens de la souveraineté mise en oeuvre par ledit

25 Voir Cornu G. (dir.) et Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2005, 7e éd., 970 p., « Responsabilité pénale ».

26 Levinas E., Ethique et infini, Paris, Fayard, 1982, p. 92.

27 Jonas H., Le Principe responsabilité, Paris, Flammarion, 1995, p. 179.

Réalisé et présenté par Bansopa Linda DARATE Page 7

La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

rapport28. Non plus une souveraineté dans un sens défensif, mais une souveraineté prise comme devoir d'un Etat envers ses citoyens. Dès lors, un Etat qui n'assume pas la responsabilité politique de protection de ses citoyens est un Etat défaillant. Par cette défaillance, il oblige, d'autres instances (organisations internationales, gouvernementales ou non gouvernementales) à intervenir afin que les citoyens appartenant à cet Etat bénéficient de la protection qui leur est due. C'est une responsabilité subsidiaire, au second degré (la responsabilité première incombant toujours à l'Etat territorial), mais elle révèle toute son importance quand l'Etat territorial n'assume pas sa propre responsabilité et, pire, quand il est lui-même, à l'origine des menaces qui pèsent sur ses citoyens29.

Inscrite aux paragraphes 138 et 139 du Document final du Sommet mondial des Chefs d'Etat et de Gouvernement de septembre 2005 à New-York, la responsabilité de protéger est désignée comme le devoir général tant des Etats que de la communauté internationale de « protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité »30.Selon ce Document « cette responsabilité consiste notamment dans la prévention de ces crimes, y compris l'incitation à les commettre, par les moyens nécessaires et appropriés »31.Ainsi, à travers ces définitions, on peut déduire que la responsabilité de protéger comprend trois (03) obligations particulières : la responsabilité de prévenir, la responsabilité de réagir et la responsabilité de reconstruire.

La première obligation consiste à éliminer à la fois les causes profondes et les causes directes des conflits internes et des autres crises produites par l'homme qui mettent en danger les populations.

Quant à la seconde, elle consiste à réagir devant des situations où la protection des êtres humains est une impérieuse nécessité, en utilisant des mesures appropriées

28 Rapport de la CIISE, La Responsabilité de protéger, Publication du Centre de recherches pour le développement international(CRDI), déc. 2001, p. 14, § 2. 15.

29 Cette perspective pose l'épineux problème de l'ingérence politique ou, selon la terminologie apparemment moins choquante, de l'ingérence humanitaire. Mais en même temps, si la responsabilité est de nature politique, dans le sens où elle est ci- dessus définie, elle se soumet aux aléas de ce que l'on appelle, dans les théories réalistes des relations internationales, la realpolitik. Et du coup, la dimension politique de la responsabilité, qui était censée donner à la responsabilité morale la force pragmatique qui lui manquait, risque d'être ce par quoi cette responsabilité est susceptible de ne point s'exercer selon les conditions dictées, précisément, par la rationalité instrumentale de ladite realpolitik.

30 Document final du Sommet mondial des Nations Unies, doc. ONU A/60/L.1 (2005), §138. 31Ibid.

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La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

pouvant prendre la forme de mesures coercitives telles que des sanctions et des poursuites internationales et, dans les cas extrêmes, en ayant recours à l'intervention militaire. Enfin, en ce qui concerne la troisième obligation, elle consiste à fournir, surtout après une intervention militaire, une assistance à tous les niveaux afin de faciliter la reprise des activités, la reconstruction et la réconciliation, en agissant sur les causes des exactions auxquelles l'intervention devait mettre un terme ou avait pour objet d'éviter.

Evoqué dans plusieurs situations de crises à travers le monde, le principe de la responsabilité de protéger a trouvé en Afrique le premier terrain de sa mise en oeuvre. Ce qui justifie à plus d'un titre le thème de nos travaux, « La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique ».

En effet, après les horribles massacres des guerres sierra-léonaises et libériennes, le génocide rwandais et la guerre sans fin du Congo Kinshasa, le début des années 2000 avait semblé marquer pour l'Afrique, un certain nouveau départ. Mais dès 2010, la guerre civile ivoirienne, larvée depuis une dizaine d'années, s'est achevée sur une épreuve de force où plus de 3000 personnes ont connu la mort. La partition du Soudan, censée ramenée la paix dans cette région, tourne à l'affrontement armé. Pire, les coups d'Etats militaires, que l'on croyait définitivement dépassés, ont de nouveau refait surface. Nous en voulons pour preuve la récente expérience burkinabé32. Ainsi, l'Afrique, devons-nous l'admettre, est depuis plusieurs décennies le théâtre de nombreuses crises sociopolitiques, d'une complexité sans cesse croissante33, faisant de la protection des populations, une obligation difficile à remplir34. Par conséquent, nous présenterons notre thème en tenant compte particulièrement des récentes crises intervenues en Afrique et plus précisément en Libye, en Côte d'Ivoire, en République

32 Gilbert Diendéré, ex bras-droit de l'ancien Président Blaise Compaoré, nommé le 17 septembre 2015 dans la matinée, à la tête du Conseil national de la démocratie (CND) prit au soir, par un coup d'état militaire, les rênes du Burkina Faso en prenant en otage une partie du gouvernement de transition (établi après le départ de Blaise Compaoré) dont le Président de la transition, Michel Kafando, et son Premier ministre Isaac Zida, déclarés démissionnaires.

33 La fin de la Guerre froide a transformé la nature et la typologie des conflits armés auxquels est confronté le monde du XXIe siècle. Le contexte d'après la chute du mur de Berlin est caractérisé par la multiplication des conflits internes plus meurtriers et la multiplication des conflits interétatiques.

34« Les victimes civiles sont en effet de loin les plus importantes. On sait que c'est une tendance qui se généralise à travers le monde, et les deux premières guerres mondiales sont révélatrices de ce changement. Au début de ce siècle, environ 90% des victimes de guerre étaient des soldats ; aujourd'hui, environ 90% sont des civils ».GENDREAU F., « La dimension démographique des conflits armés africains », in L'Afrique face aux conflits, Revue Afrique contemporaine, numéro spécial, 4e trimestre 1996, p. 135.

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La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

Centrafricaine et au Mali. En outre, la mise en oeuvre de la responsabilité de protéger faisant intervenir le triptyque prévention--réaction--reconstruction, nous nous intéresserons aux modalités d'application de chacun de ces trois (03) éléments.

La fréquence et l'intensité des conflits armés en Afrique rendent hélas d'une permanente actualité le principe de la responsabilité de protéger et la question de son applicabilité. L'enjeu étant de préserver les droits et la vie de personnes qui sont victimes innocentes d'un conflit, le principe de la responsabilité de protéger a une grande légitimité. Mais on s'aperçoit que, dès lors qu'il s'agit de sa mise en oeuvre concrète, énormément de questions se posent. On a beau avoir établi des critères précis pour délimiter le pouvoir d'intervention de la communauté internationale ou de l'un ou l'autre de ses membres au nom de la responsabilité de protéger, la définition de la frontière en-deçà de laquelle on doit rester devient très vite une question d'interprétation, voire d'intérêt. C'est dans ce cadre qu'on se demande si le principe de la responsabilité de protéger est assez efficace quand il s'agit de la question de sa mise en oeuvre dans le contexte régional africain ? Autrement dit, quelle est la portée des moyens de mise en oeuvre de la responsabilité de protéger dans les conflits armés en Afrique ?

Si nous admettons que la responsabilité de protéger a sans doute influencé un nombre croissant de discussions et de processus décisionnels35, les principales questions opérationnelles restent en suspens : Qui décide ? Qui agit ? Quelle action ? A cet égard ; il n'y a guère eu d'évolutions depuis le rapport de la CIISE qui préconisait le développement de lignes directrices claires sur ces différentes questions. Au cours de la décennie écoulée, nombreuses ont été les occasions manquées de prouver l'efficacité concrète de la responsabilité de protéger. L'ONU et les

35 Si, en 2008, la R2P n'est que brièvement mentionnée parmi les principaux thèmes abordés par le Secrétaire général de l'ONU dans son rapport à l'Organisation (Où la R2P figure dans la rubrique relative aux droits de l'homme, à l'Etat de droit, à la prévention du génocide à laquelle elle est associée, ainsi qu'à la démocratie et à la bonne gouvernance. Cf. Rapport du Secrétaire général sur l'activité de l'Organisation, AGONU, Doc. off. 63e session, sup. n° 1 (A/63/1), p. 17), en janvier 2009, ce dernier consacrait un rapport développé à la mise en oeuvre du principe. Et, après qu'en juillet 2009, elle lui eut consacré plusieurs jours de débats à l'initiative de son président (Documents officiels de l'Assemblée générale, soixante troisième session, Séances plénières, 96e à 101e séance, et rectificatif, A/63/PV.96 à 101), l'Assemblée générale des Nations Unies adoptait par consensus, le 14 septembre 2009, sa première résolution en la matière (Assemblée générale de l'ONU, A/RES/63/308). Cette résolution était présentée par le Guatémala et coparrainée par 67 Etats, dont la France avec toute l'Union européenne. L'année 2009 a donc été, comme l'a souligné le Secrétaire général, « une année décisive pour la mise en oeuvre de la responsabilité de protéger » (Assemblée générale de l'ONU, Rapport du Secrétaire général, Alerte rapide, évaluation et responsabilité de protéger, A/64/864, 14 juil. 2010, §14.

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organisations régionales africaines ont à maintes reprises fait recours à la responsabilité de protéger en Afrique. Cependant, la question qui se pose est celle de savoir si l'application qui est faite de ce principe rend possible la protection efficace et satisfaisante des populations vulnérables ?

La responsabilité de protéger a, depuis son origine, souffert de son amalgame avec l'intervention militaire. De ce fait, les débats ont souvent été monopolisés par la question du recours à la force. Même si, aujourd'hui, les partisans de la responsabilité de protéger mettent l'emphase sur la prévention ainsi que sur les autres moyens d'intervention et de coercition (médiation, sanctions mais aussi mesures judiciaires), nombre de discussions portent, de fait, sur l'utilisation de la force armée.Selon le Rapport de la CIISE, la responsabilité de protéger contient non seulement la responsabilité de réagir et de reconstruire, mais surtout la responsabilité de prévenir. Cependant, il est aisé de constater que les poursuites internationales de même que l'intervention militaire ont ravi la vedette à la prévention ainsi qu'à la reconstruction. De fait, cela suscite des interrogations quant à la place réservée à la prévention et à la reconstruction dans la mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique.

Le premier intérêt de ces questions est qu'elles nous aident à penser ou à repenser, dans une perspective analytique, le principe de la responsabilité de protéger. Le second intérêt est qu'elles nous aident à étudier ce principe dans une perspective plus pratique, à l'épreuve de sa mise en application en Afrique notamment. C'est dans ce sens que le cas de la Lybie, au-delà de son caractère tragique, peut constituer un exemple intéressant. En fait, ce cas permet d'évaluer la portée éthique et politique de la responsabilité de protéger, présentée comme réponse au dilemme de l'intervention humanitaire, et appliquée pour la première fois en Libye en 2011.

La responsabilité de protéger constitue une avancée importante dans l'éthique des relations internationales36, si l'on considère en particulier ce qui en constitue l'objet central : faire de la protection des droits de l'homme une responsabilité globale, en accordant à ce principe de responsabilité globale une supériorité éthique et même une priorité politique par rapport au principe juridique de non-ingérence. Cette

36 MBONDA (E.-M.),« Responsabilité de protéger et éthique de l'intervention humanitaire armée : réflexions éthiques a partir du cas libyen », Institut Afrique Monde, Université Catholique d'Afrique centrale, Yaoundé, p. 2.

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importance de la responsabilité de protéger n'est pas fondamentalement remise en cause par son instrumentalisation et ses dévoiements par les acteurs internationaux. En réalité, aucun grand principe normatif, aucune grande doctrine n'est à l'abri de pareilles dérives (on a pratiqué l'inquisition au nom de Jésus, et on tue au nom d'Allah). Celles-ci doivent être considérées comme une interpellation, une invitation à retravailler le principe pour en éliminer autant que possible les ambiguïtés. Et c'est toujours le principe lui-même qui fournit des arguments pour dénoncer son instrumentalisation.

Il est indéniable que plusieurs études37 ont été consacrées à la protection des populations civiles en temps de guerre. On peut donc se demander à juste titre pourquoi une étude de plus sur ce thème ? La réponse à cette interrogation réside dans le fait qu'un sujet aussi complexe nécessite plusieurs approches, dans le sens où aucune analyse ne peut prétendre instruire à elle seule l'étude d'une réalité sociale. Notre démarche méthodologique sera basée sur l'analyse fonctionnaliste, à travers laquelle nous montrerons l'utilisation réelle qui est faite du principe de la responsabilité de protéger en Afrique et particulièrement en Libye, en Centrafrique et au Mali.

En vue d'analyser l'efficacité de la responsabilité de protéger en Afrique, il convient d'aborder dans un premier temps le cadre de sa mise en oeuvre (Première partie) afin de rendre compte de ses différentes facettes. Ensuite,dans un second temps, il convientd'examiner l'effectivité de son application en Afrique (Deuxième partie).

37 SASSE (A.), L'ONU et la responsabilité de protéger en Afrique, Mémoire de DEA, Université d'Abomey-Calavi, 2012, 91 pages. KELLY (A.), Populations civiles et conflits armés dans la CEDEAO, Mémoire de DEA, Université d'Abomey-Calavi, 2004. BALGUY-GALLOIS (A.), Droit international et protection de l'individu dans les situations de troubles intérieurs et de tensions internes, Thèse, Université de Paris I, 2008. CODJO (J.), La régionalisation de la mise en oeuvre de la responsabilité de protéger : cas de la CEDEAO, Mémoire de DEA, Université d'Abomey-Calavi, décembre 2012.

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PREMIERE PARTIE : UN CADRE DE MISE EN OEUVRE IMPRECIS

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Dans la sphère académique, médiatique comme politique, on se réfère souvent à la R2P comme à une norme émergente38. L'article 38 du Statut de la Cour internationale de justice énumère les sources reconnues du droit international et reconnaît que : les conventions et traités constituent des sources de droit. Le droit coutumier ainsi que les « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées »39 en sont d'autres. La R2P n'est présente dans aucun traité, ne constitue pas non plus une règle de droit coutumier, et va plutôt à l'encontre des principes généraux du droit international. Cependant, dans son rapport intitulé "La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger"40, le Secrétaire général Ban Ki-moon souligne que « les dispositions des paragraphes 138 et 139 du Documentfinal du Sommet sont fermement ancrées dans des principes bien établis de droit international ». Il constate également qu' « en vertu du droit international conventionnel et coutumier, les Étatssont tenus de prévenir et de réprimer le génocide, les crimes de guerre et les crimescontre l'humanité »41. En outre, certains auteurs considèrent que la R2P est qualifiée de soft Law, puisque adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies en 2005.

Quoi qu'il en soit, ce principe a dans son application révélé ses insuffisances et son manque de clarté du point de vue des conditions de sa mise en oeuvre (Chapitre 1) ou encore du point de vue des moyens de son application (Chapitre 2).

38 Rapport du Groupe de Personnalité de Haut niveau sur les menaces, défis, et changements, 2004, paragraphe 203, http://www.un.org/peacebuilding/pdf/historical/hlp_more_secure_world.pdf

39 « Les conventions internationales, soit générales, soit spéciales, établissant des règles expressément reconnues par les Etats en litige; la coutume internationale comme preuve d'une pratique générale, acceptée comme étant le droit; les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées; sous réserve de la disposition de l'article 59, les décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations, comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit », Statut de la Cour internationale de Justice, article 38.

40 Rapport du secrétaire général, La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger, Doc. off. NU, A/63/677, 12 janvier 2009, p. 8.

41Ibidem, paragraphe 3, page 4.

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CHAPITRE I: DES MODALITES DE MISE EN OEUVRE VARIABLES

« On ne peut attendre que la théorie soit perfectionnée pour commencer à répondre aux situations urgentes dans le monde » a déclaré Edward Luck42 le 12 juillet 201143. Mais s'il est vrai que certaines régions du monde telle que l'Afrique font face à des crises sécuritaires et humanitaires auxquelles il est impérieux de répondre efficacement, il faudrait tout de même que les pratiques tendant à porter secours et à protéger relèvent de l'application de règles claires ayant préalablement fait l'objet d'un consensus au sein de la Communauté internationale ; ce qui ne semble pas être le cas du principe de la responsabilité de protéger. Aussi, assiste-t-on à une application sélective du principe en fonction de la crise (Section 1), ainsi qu'à une appréciation ambiguë des critères du recours à la force dans le cadre du principe (Section 2).

Section 1 : Le traitement des crises au cas par cas

Libye, Mali, République centrafricaine, trois (03) Etats dont les noms résonnent désormais comme des dossiers majeurs de politique internationale en raison des crises auxquelles ils font face. Dans chacun de ces Etats, des interventions militaires sont menées à des fins de protection des populations civiles. L'analyse de ces différents cas fait état d'une divergence des fondements des interventions (Paragraphe 1), ainsi que d'une légalité ambivalente des interventions (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La divergence des fondements des interventions

Dans les trois crises analysées, l'action de la Communauté internationale a été une réaction au cas par cas à des situations déjà critiques, afin d'éviter que celles-ci ne s'aggravent davantage et avec l'idée qu'au-delà d'un certain seuil il serait trop tard pour agir. Ainsi, alors qu'en Libye et au Mali, c'est la menace de dégénérescence de la crise qui a fondé l'intervention militaire (A), en RCA, celle-ci a été décidée suite aux nombreux massacres enregistrés et face à l'imminence d'un crime de génocide (B).

42 Conseiller spécial du Secrétaire Général Ban Ki-moon de 2008 à 2013.

43Conférence sur l'importance des arrangements régionaux et sous régionaux dans l'application du principe de « responsabilité de protéger », AGNU, 65e session, 3e dialogue interactif informel sur le thème de la « responsabilité de protéger », 12 juillet 2011

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A- La menace de commission de crimes internationaux comme base des interventions en Libye et au Mali

La R2P a un champ d'application matérielquel que peu délimité. En effet, les paragraphes pertinents44 du Document final de 2005 intitulés « Devoir de protéger les populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l'humanité » sont assez clairs sur ce point. Ces quatre crimes internationaux sont à la fois la condition de la mise en oeuvre et l'objet de la R2P. Cependant, les interventions en Libye et au Mali tendent à montrer que même en l'absence de ces crimes internationaux, la probabilité de leur survenance peut suffire à déclencher la R2P.

L'intervention militaire, représente une ingérence directe et physique à l'intérieur des frontières d'un Etat. C'est une intrusion très grave, qui présente des risques inévitables d'abus45. Pourtant, dans certains cas exceptionnels, où « la violence est si manifestement attentatoire à la conscience de l'humanité »46, il est nécessaire d'entreprendre une intervention coercitive armée. Dès lors, il paraît primordial de déterminer le seuil de violence qui justifierait une telle intervention. La Commission prévoit que l'intervention armée ne pourra se justifier que dans les cas les plus extrêmes, celle-ci devant avoir pour but de mettre un terme ou d'éviter « des pertes considérables en vies humaines, effectives ou appréhendées, qu'il y ait ou non intention génocidaire, qui résultent soit de l'action délibérée de l'Etat, soit de sa négligence ou de son incapacité à agir, soit encore d'une défaillance dont il est responsable; ou un nettoyage ethnique' à grande échelle, effectif ou appréhendé, qu'il soit perpétré par des tueries, l'expulsion forcée, la terreur ou le viol »47.De manière plus générale, la Commission s'abstient de définir ce que l'on doit comprendre par l'acception « à grande échelle » ou « des pertes considérables en vies humaines ». L'optimisme de la CIISE, qui justifie cetteimprécision en avançant que, dans la pratique, des situations de ce type nedonneront pas lieu à des désaccords majeurs, n'est pas partagé par tous. Eneffet, à quel moment pourra-t-on estimer

44 Document final du Sommet mondial de 2005, 16 septembre 2005, Doc. off. NU A/60/L.1, par. 138 & 139.

45 Voir entre autres BRICMONT J., Impérialisme humanitaire, Droit de l'homme, droit d'ingérence, droit du plus fort ?, Aden, Bruxelles, 2005.

46 Expression empruntée à la CIISE (rapport de la commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats, cité ad note 2, § 4.13).

47 Pour davantage de détails, voir infra « principes de précaution », section 2 du présent document, paragraphe 1

(B).

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que la condition de la juste cause est bien réalisée? Plus cyniquement, à partir de combien de morts peut-on considérer qu'une intervention s'avère nécessaire?

La Commission a inclus dans la première catégorie de circonstances, les cas où la population aurait été massivement exposée à la famine et/ou à la guerre civile, ainsi que les cas de catastrophes naturelles ou écologiques extraordinaires48. Dans toutes ces circonstances, la finalité est d'arrêter ou d'éviter le péril d'une population civile, dans les cas où l'Etat n'interviendrait pas. La CIISE va encore plus loin, en prévoyant qu'une action militaire peut êtrejustifiée pour anticiper ces massacres à grande échelle. Cette possibilité posetoutefois une série de problèmes, dont le plus manifeste est celui de la preuveclaire de la menace de « pertes en vies humaines considérables» ou de «nettoyage ethnique à grande échelle ». Comme solution à cette difficulté, la Commission propose que la gravité de la situation soit évaluée par un organisme non gouvernemental, impartial et universellement respecté tel quela Croix-Rouge49.

La crise libyenne surgit de manière assez inattendue dans le contexte du Printemps arabe50 qui s'est déclenché en Tunisie en décembre 2010 par une révolte populaire qui provoqua la chute de Ben Ali. Le même mouvement s'étend en Égypte et se solde par le départ de Hosni Moubarak. En Libye par contre, ce mouvement s'est développé, mais s'est vite transformé en guerre civile entre les partisans de Khadafi et un groupe de rebelles basé en particulier à Benghazi. Le Guide libyen, Mouammar Khadafi essaie alors de garder le contrôle de la situation en organisant une action combinée de résistance et de répression. Mais très vite la crise s'intensifie et se transforme en guerre civile entre les Khadafistes et les groupes rebelles ayant pour fief Benghazi. C'est dans ce contexte que le Conseil des droits de l'homme dans son rapport A/HRC/RES/S-15/1 du 25 février 2011, condamne la détérioration de la situation des droits de l'homme en Libye depuis février 2011, notamment les violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme en cours, et en particulier les attaques aveugles contre des civils, les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, la détention arbitraire, la torture et les violences sexuelles contre des femmes

48 Rapport de la commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats (CIISE), par. 4 §20. 49Ibid., par. 4 § 29.

50 Vague de révoltes dans les pays d'Afrique du Nord contre leurs « dictateurs ». Il a concerné notamment la Tunisie, la Libye et l'Égypte.

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et des enfants, violations dont certaines pourraient constituer selon ledit Conseil, des crimes contre l'humanité51. Ainsi, le Conseil de Sécurité adopta le 26 février 2011, la Résolution 1970. Dans cette résolution, le Conseil de Sécurité « se déclarant gravement préoccupé par la situation en Jamahiriya arabe libyenne, et condamnant la violence et l'usage de la force contre des civils », fait état de « violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme, notamment la répression exercée contre des manifestants pacifiques », tout en « exprimant la profonde préoccupation que lui inspire la mort de civils et dénonçant sans équivoque l'incitation à l'hostilité et à la violence émanant du plus haut niveau du Gouvernement libyen et dirigée contre la population civile ».Suite à l'échec manifeste de la résolution197052, le Conseil de sécurité tirant argument de l'urgence martelé avec beaucoup d'emphase par la France53 notamment, adopta le 17 mars 2011, la Résolution 1973 par laquelle, il instaure une zone d'exclusion aérienne en Libye « afin d'aider à protéger les civils54». Et autorise les États membres à prendre « toutes les mesures nécessaires » pour protéger la population civile.

Pour ce qui est de l'intervention armée au Mali, bien que sollicitée par les autorités maliennes, elle a également été motivée par l'imminence du danger ; la gravité de la menace. En effet, profitant de la confusion qui a suivi le coup d'Etat militaire du 22 mars 2012, les séparatistes touareg du Mouvement National de Libération de l'Azawad (MNLA) se sont emparés du nord du Mali avec le soutien d'Ansar Dine, un mouvement islamiste lié à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Des dissensions sont ensuite apparues entre les deux formations. Les séparatistes touareg ont proclamé l'indépendance de la zone, mais les djihadistes ont récusé

51§1 de la résolution A/HRC/RES/S-15/1 du 25 février 2011.

52 Appel à l'arrêt de toute violence contre les civils et au respect des Droits de l'homme, saisie de la Cour Pénale Internationale, embargo sur les armes, interdiction de voyage et gel des avoirs concernant les autorités politiques et militaires libyennes et certains fils de Kadhafi.

53 Alain Juppé, par exemple, lors des délibérations du Conseil de sécurité pour l'adoption de la résolution 1973, a affirmé : «Nous n'avons plus beaucoup de temps. C'est une question de jours, c'est peut-être une question d'heures. Chaque jour, chaque heure qui passe, resserre l'étau des forces de la répression autour des populations civiles éprises de liberté, et notamment de la population de Benghazi. Chaque jour, chaque heure qui passe alourdit le poids de la responsabilité qui pèse sur nos épaules. Prenons garde d'arriver trop tard ! Ce sera l'honneur du Conseil de sécurité d'avoir fait prévaloir en Libye la loi sur la force, la démocratie sur la dictature, la liberté sur l'oppression.» Voir le Compte-rendu de la 6498e séance du Conseil de sécurité. Conseil de sécurité, « Couverture des réunions », http://www.un.org/press/fr/2011/CS10200.doc.htm.

54 Résolution 1973, paragraphe 6.

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l'initiative et se sont engagés à poursuivre leur combat pour l'instauration de la "charia" dans tout le pays. Mieux armés, ces derniers ont pris le dessus. Ainsi, au Mali, l'intervention et plus précisément le lancement de l'opération Serval55 a été décidée alors que les groupes armés avaient pris le contrôle d'une partie du pays depuis plusieurs mois et qu'ils avançaient sur Bamako, dont la chute aurait signifié la désagrégation définitive de l'État malien.

S'il est vrai qu'une action rapide face à une crise peut permettre d'en limiter les effets, il n'en demeure pas moins qu'une action précipitée et insuffisamment préparée peut fortement entacher les processus de négociations. En Libye, la motivation invoquée est certes humanitaire, puisqu'il s'agit de protéger les populations, notamment celles de Benghazi qui étaient sous la menace d'une brutale répression de la part des autorités libyennes. Mais l'intervention militaire des alliés occidentaux n'a pas été précédée d'une véritable tentative de négociation puisque les premiers bombardements contre les objectifs libyens ont commencé deux jours seulement après l'adoption de la résolution. De même, l'urgence est elle-même dictée par l'évolution très rapide de la situation au Mali. Ainsi, le Président François Hollande annonça-t-il la décision d'intervenir au Mali le 11 janvier 2013 au matin, l'action militaire commençant dès la fin de la journée. Ce très faible préavis était la conséquence de la reprise de l'offensive des djihadistes au nord du Mali début janvier qui pouvait directement menacer Bamako.

B- La commission de massacres massifs comme base de l'intervention en

RCA

En République centrafricaine, l'intervention a été décidée après plusieurs semaines d'aggravation des troubles et l'apparition de massacres. En effet, en décembre 2012, les rebelles de la Séléka --alliance de factions dissidentes de l'UFDR (Union des Forces Démocratiques pour le Rassemblement) et CPJP (Convention des Patriotes pour la Justice et la Paix), et de plusieurs petits groupes rebelles --s'emparent de plusieurs villes stratégiques. En janvier 2013, un accord entre le Président Bozizé et les opposants est conclu à Libreville. Au mois de mars 2013, suite aux multiples

55 Opération militaire conduite par la France déployée le 11 janvier 2011 et autorisée par la Résolution 2104 de Conseil de sécurité de l'Onu (Paragraphe 26) le 25 juin 2014.

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violations de l'accord, le Président Bozizé est chassé du pouvoir par un coup d'Etat et Michel Djotodia, chef du groupe rebelle Séléka se proclame président. Très tôt, des affrontements meurtriers éclatent à Bangui entre habitants et combattants de la Séléka. En l'espace de quatre mois, des centaines de meurtres sont commis, dont plus de 400 attribués au groupe rebelle Séléka. La Fédération internationale des ligues des droits de l'homme qualifie ces meurtres de « crimes les plus graves contre la population ». C'est dans ce contexte que le Conseil de Paix et de Sécurité de l'Union africaine décide lors de sa 380ème réunion, le 17 juin 2013, de soutenir la mise en place d'une Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA). Cette décision est confirmée dans le Communiqué PSC/PR/COMM.2 (CCCLXXXV) du Conseil le 19 juillet 2013, qui vient préciser les contours de la mission devant englober les forces de la MICOPAX56 (Mission de consolidation de la paix en Centrafrique) déjà présentes en Centrafrique. Aussi, le Conseil de sécurité de l'ONU se déclarant « vivement préoccupée par la situation qui règne en République Centrafricaine sur le plan de la sécurité, qui se caractérise par un effondrement total de l'ordre public et par l'absence de l'état de droit57 » ; insistant également sur « les violations du DIH et les nombreuses violations des droits de l'homme qui sont commises notamment par des éléments de la Séléka, notamment les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, les arrestations etdétentions arbitraires, les actes de torture, les violences sexuelles à l'encontre des femmes et d'enfants, les viols, le recrutement et l'emploi d'enfants et les attaques contre les civils58 » ; et « soulignant à cet égard la nécessité d'une intervention rapide de la communauté internationale59 », « Autorise le déploiement de la MISCA pour une période initiale de 12 mois60 » par sa résolution 2127 du 5 décembre 2013. Par cette même résolution, le Conseil de sécurité « Autorise les forces françaises en République centrafricaine à prendre toutes mesures nécessaires, temporairement et dans la limite de leurs

56 Mission de la Force multinationale des Etats d'Afrique centrale (FOMAC) bénéficiant du soutien financier de la logistique de l'Union européenne et de la France. Ayant pour but d'assurer la sécurité des populations en RCA, la MICOPAX prend effet le 12 juillet 2008 et est remplacée le 15 décembre 2013 par la MISCA.

57 Résolution 2121 autorisation du déploiement de la MISCA en RCA, CSNU, 10 octobre 2013. 58Ibid.

59 Résolution 2127 sur la situation en RCA, CSNU, S/RES/2127 (2013), p. 1, paragraphe 3. 60Ibid, paragraphe 28, p. 7.

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capacités et dans les zones où elles sont déployées, pour appuyer la MISCA dans l?exécution de son mandat, énoncé au paragraphe 28 [...] ».

Paragraphe 2 : La légalité ambivalente des interventions

La décision d'intervenir dans un conflit n'est pas un acte anodin. C'est pourquoi celle-ci doit absolument refléter la volonté de la Communauté internationale. Cette volonté s'exprime par le biais d'un mandat, c'est-à-dire une autorisation.Si dans la pratique le pouvoir d'autoriser une intervention semble appartenir au Conseil de Sécurité (B), celui-ci est parfois écarté de certaines interventions lorsqu'il manque d'agir promptement (A).

A- L'intervention française non autorisée a priori au Mali

La Commission est absolument persuadée qu'il n'y a pas d'organe mieux placé, que le Conseil de sécurité pour s'occuper des questions d'intervention militaire à des fins humanitaires. La Commission est donc convenue de ce qui suit :

- L'autorisation du Conseil de sécurité doit être dans tous les cas sollicitée avant d'entreprendre toute action d'intervention militaire. Ceux qui préconisent une intervention doivent demander officiellement cette autorisation, obtenir du Conseil qu'il soulève cette question de son propre chef, ou obtenir du Secrétaire général qu'il la soulève en vertu de l'Article 99 de la Charte des Nations Unies; et

- Le Conseil de sécurité doit statuer promptement sur toute demande d'autorisation d'intervenir s'il y a allégations de pertes en vies humaines ou de nettoyage ethnique à grande échelle; le Conseil devrait dans ce cadre procéder à une vérification suffisante des faits ou de la situation sur le terrain qui pourraient justifier une intervention militaire61.

Pour mieux étayer sa démonstration, la Commission analyse la capacité juridique du Conseil de sécurité, sa légitimité, la question du veto, sa volonté politique ainsi que les résultats attendus.

Sur le plan juridique, le Conseil de sécurité tire sa capacité de l'article 42 de la charte des nations unies. Cet article l'autorise, lorsque les mesures d'ordre non militaire s'avèrent inadéquates, à décider toute action qu'il juge nécessaire au maintien

61Rapport de la commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats, La responsabilité de protéger, p. 54, par. 6§ 15.

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ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales.Au regard des dispositions de cet article, le Conseil de sécurité possède les pouvoirs nécessaires pour déclencher une intervention militaire à des fins humanitaires dans le cadre de la responsabilité de protéger. Ces pouvoirs ont fait l'objet d'une interprétation stricte pendant la guerre froide mais, depuis qu'elle a pris fin, le Conseil de sécurité a adopté une conception très large de ce qui constitue « la paix et la sécurité internationales » à cette fin et, dans la pratique, une autorisation accordée par le Conseil de sécurité a pratiquement toujours été universellement considérée comme conférant une légalité internationale à l'action à entreprendre62.

Plusieurs interventions militaires se sont succédées au Mali (la MISMA, la MINUSMA et l'opération Serval). Alors que la MISMA63 et la MINUSMA64 ont reçu une autorisation du Conseil de sécurité, l'opération Serval conduite par la France a été déployée le 11 janvier 2013 sans mandat du Conseil de sécurité65, avant d'être autorisée postérieurement dans la résolution 216466.

B- Des interventions autorisées en Libye et en RCA

L'intervention militaire de 2011 en Libye est une opération multinationale sous l'égide de l'ONU. Autorisée par la Résolution 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU, elle s'est déroulée du 19 mars au 31 octobre 2011. A travers cette résolution, le Conseil de sécurité autorise certains Etats membres de l'ONU agissant à titre national ou dans le cadre d'organismes ou d'arrangements régionaux et en coopération avec le Secrétaire général, « à prendre toutes mesures nécessaires f...] pour protéger les populations et les zones civiles menacées d'attaques en Jamahiriya arabe libyenne, y compris à Benghazi, tout en excluant le déploiement d'une force d'occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n'importe quelle partie du territoire libyen ...»67.

62 Rapport CIISE, La responsabilité de protéger, pp. 54-55, par. 6 §16, 17, 18.

63Rés. 2085, CSNU, 20 déc. 2012.

64Rés. 2164 sur la situation au Mali, paragraphe 13 (mandat de la MINUSMA).

65 Cependant dans sa Résolution 2056 (2012) sur la situation au Mali, le Conseil de Sécurité « demande aux

Etats membres d'envisager et de prendre des mesures pour empêcher la prolifération d'armes et de matériels

connexes de tout type dans la région du Sahel, en particuliers des systèmes portatifs de défense antiaérienne,

conformément à sa résolution 2017 (2017) » (Paragraphe 21).

66Rés. 2164, paragraphe 26 (mandat de l'opération Serval).

67Rés 1973, par. 4.

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Les noms de codes des interventions des armées mandatées par l'ONU sont l'opération Harmattan pour la France, l'opération Ellamy pour le Royaume-Uni, l'opération Odyssey Dawn pour les Etats-Unis, l'opération Mobile pour le Canada. L'ensemble de ces opérations sont conduites par l'OTAN à partir du 31 mars 2011 dans le cadre de l'opération Unified protector.

En RCA, le Conseil de sécurité, vivement préoccupé par l'état de la sécurité qui se caractérise par la faillite totale de l'ordre public, l'absence de l'état de droit et des tensions interconfessionnelles, autorise le déploiement de la MISCA dans sa résolution 212768 du 5 décembre 2013. Appuyée par des forces françaises (agissant dans le cadre de l'opération Sangaris) autorisées « à prendre temporairement toutes mesures nécessaires »69, la MISCA est chargée, notamment, de contribuer à protéger les civils et rétablir la sécurité et l'ordre public, à stabiliser le pays et à créer les conditions propices à la fourniture d'une aide humanitaire aux populations qui en ont besoin. Elle sera remplaçée par la MINUSCA70 créée par la résolution 214971 adopté le 10 avril 2014 par le Conseil de sécurité de l'ONU pour une période initiale venant à expiration le 30 avril 2015.

En effet le Conseil de sécurité prend le soin de rappeler que c'est « au gouvernement centrafricain qu'il incombe au premier chef d'améliorer la sécurité et de protéger ses civils, dans le plein respect de l'état de droit, des droits de l'homme et du droit international humanitaire »72. Le 10 octobre 2013, le Conseil rappelle à nouveau cette obligation, en déclarant qu'il compte sur la mise en place rapide de la mission internationale de soutien à la Centrafrique, sous une direction africaine (MISCA) qui contribuerait à la création d'une République centrafricaine stable et démocratique, laquelle serait en mesure d'assumer « sa responsabilité de protéger sa population civile »73. Mais la situation se dégradant chaque jour davantage, le Conseil finit par autoriser le 10 avril 2014, la création d'une opération de maintien de la paix,

68 S/RES/2127 (2013), par. 28.

69 S/RES/2127 (2013), par. 50.

70Les tâches prioritaires du mandat de la MINUSCA sont énumérées au paragraphe 30 de la résolution. Il s'agit

entre autre de la protection des civils, de l'appui à la mise en oeuvre de la transition, y compris les efforts en

faveur de l'extension de l'autorité de l'Etat et du maintien de l'intégrité territorial.

71 S/RES/2149 (2014), par. 18.

72S/RES/2031 (2011).

73S/ RES/2121 (2013).

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la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation des Nations unies en République centrafricaine (MINUSCA)74. La MINUSCA succède ainsi à la MISCA75.

Section 2 : L'appréciation ambiguë des critères de l'intervention militaire

La responsabilité de protéger comporte dans sa phase réactionnelle la possibilité d'une intervention militaire. La CIISE dans son rapport énumère les critères particuliers (Paragraphe 1) auxquels doit répondre toute intervention militaire. Cependant, face à la récurrence de l'usage de la force dans l'application de la responsabilité de protéger, le respect de ces critères est aujourd'hui aléatoire (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les conditions particulières du recours à la force

Lancer une intervention militaire étant une mesure extrême, elle doit être prise dans des conditions et circonstances bien définies. La CIISE énumère six critères qui recoupent l'ensemble des conditions requises pour justifier une action coercitive armée. Il s'agit de la juste cause, la bonne intention, le dernier recours, la proportionnalité des moyens, les perspectives raisonnables et l'autorité appropriée. Nous décrirons dans un premier temps les deux critères qui nous semblent les plus difficiles à appréhender, à savoir la juste cause et l'autorité appropriée (A). Ensuite nous examinerons les quatre autres critères, connus sous l'appellation de « principes de précaution » (B).

A- La juste cause et l'autorité appropriée

L'intervention militaire à des fins de protection humaine étant considérée comme une mesure exceptionnelle et extraordinaire nécessite pour qu'elle soit justifiée, un préjudice grave et irréparable touchant des êtres humains qui se commet ou risque de se commettre76. Walzer, l'un des théoriciens à qui l'on doit la résurgence de la doctrine de la guerre juste, estimait que seuls, la destruction imminente ou effective d'une communauté politique et les actes qui « choquent la conscience morale de l'humanité » peuvent donner lieu à l'intervention étrangère et, ipso facto, constituer

74S/RES/2149 (2014).

75 Le transfert d'autorité entre les deux entités devant avoir lieu le 15 septembre 2014 selon la résolution S/RES/2149.

76 Rapport CIISE, La responsabilité de protéger, p. 37, par. 4 § 18.

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une exception au paradigme légaliste77. La Commission prône comme critère décisif pour cela la « juste cause ». Celle-ci est en effet atteinte lorsque l'une des deux conditions suivantes est remplie:

a) des pertes considérables en vies humaines, effectives ou appréhendées, qu'il y ait ou non intention génocidaire, qui résultent soit de l'action délibérée de l'État, soit de sa négligence ou de son incapacité à agir, soit encore d'une défaillance dont il est responsable; ou

b) un « nettoyage ethnique » à grande échelle, effectif ou appréhendé, qu'il soit perpétré par des tueries, l'expulsion forcée, la terreur ou le viol78.

Les situations nécessitant une intervention militaire peuvent être perceptibles par tout le monde. Mais il demeure vital de déterminer au delà de tout doute raisonnable si les évènements satisfont aux critères à remplir, car on est souvent confronté malgré la sacralité des faits à des versions multiples et contradictoires, présentées parfois dans le but de désorienter ou de tromper l'opinion. Dans ces cas, obtenir une information objective et précise est une tâche difficile mais essentielle. Le problème serait résolu s'il existait un organisme universel, impartial et respecté chargé de signaler la gravité de la situation et de démontrer l'incapacité ou le refus de l'Etat concerné d'agir79. Le CICR a été proposé mais pour des raisons évidentes, il a refusé d'assumer un rôle de ce type80.

En ce qui concerne la condition relative à løautorité appropriée, la Commission érige le Conseil de sécurité en autorité compétente et appropriée pour décider de la mise en oeuvre d'une intervention militaire dans le cadre de la responsabilité de protéger. Elle énonce en ces termes : « il n'y a pas de meilleur organe, ni de mieux placé que le conseil de sécurité de l'organisation des nations unies pour autoriser une

77 WALZER M., Just and Unjust Wars: A Moral Argument with Historical Illustrations (New York: Basic Books, 1977), chapitre VI.

78Rapport CIISE, op. cit., p. 37, par. 4 § 19.

79 Vu la carence institutionnelle, selon la Commission, il est essentiel de tenir compte des rapports de certains organismes crédibles tel que le Haut Commissariat des nations unies aux Droits de l'Homme, le Haut Commissariat des nations unies aux Réfugiés ainsi que d'autres ONG crédibles en la matière. Par ailleurs, la Commission note avec beaucoup d'insistance le rôle moteur que peut jouer le Secrétaire général sur la base de l'article 99 de la Charte des nations unies qui lui permet d'attirer l'attention du Conseil de sécurité sur toute affaire qui, à son avis, pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Il s'agit là d'un pouvoir qui pourrait avoir une influence extrêmement importante, mais qui est jusqu'ici « sous utilisé ». Rapport CIISE, La responsabilité de protéger, p. 40.

80 Rapport CIISE, op. cit., p. 37, par. 4 § 19.

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intervention militaire à des fins de protection humaine »81. On ne pouvait raisonnablement pas s'attendre à ce que la commission envisage un recours à des institutions autres que celles qui existent déjà, et qui ont déjà eu à gérer, avec des échecs comme avec quelques succès, des crises d'une gravité extrême82. Mais la Commission introduit une extensibilité lorsqu'elle juge nécessaire - après avoir cependant insisté sur le fait qu'il ne s'agit pas d'envisager des solutions de rechange au critère de l'autorité appropriée, puisque les Etats envisageant d'intervenir devront solliciter l'autorisation du Conseil - de ne pas non plus « écarter complètement toute possibilité de recours à d'autres moyens d'assurer la responsabilité de protéger », dans le cas où le Conseil « rejette[rait] expressément une proposition d'intervention alors que des questions humanitaires et de droits de l'homme se posent très clairement, ou qu'il ne donne[rait] pas suite à cette proposition dans un délai raisonnable83».L'indétermination apparaît dès lors de façon très claire. L'autorité appropriée pour déclencher l'intervention peut être le Conseil de sécurité, et en cas d'inaction de celui-ci, un Etat ou une association ponctuelle d'Etats peuvent mettre en oeuvre la responsabilité de protéger par une coercition militaire lorsque d'importantes pertes en vies humaines se produisent ou risquent de se produire84. Comme si la Commission s'était rendue compte de l'ambigüité créée à ce sujet, pour se justifier elle termine l'examen de la question de l'autorité appropriée en s'interrogeant pour déterminer au fond, quel serait le moindre mal entre celui que « l'ordre international subit parce que le Conseil de sécurité a été court-circuité ou celui qu'il subit parce que des êtres humains sont massacrés sans que le conseil de sécurité ne lève son petit doigt85 ». Il est vrai que l'hypothèse d'un silence de la part du Conseil de sécurité face à des massacres, des viols et des tortures est inadmissible, mais la stabilité et l'ordre juridique international voudraient que le Conseil de sécurité soit le seul organe à lancer une telle intervention, encore qu'il faille résoudre ses problèmes intrinsèques notamment ceux de la représentativité et du droit de veto.

81Rapport CIISE, p. XII.

82 MBONDA Ernest-Marie, « Responsabilité de protéger et éthique de løintervention humanitaire armée : réflexions éthiques a partir du cas libyen », Institut Afrique Monde, Université Catholique d'Afrique centrale, Yaoundé, p. 15.

83 Rapport CIISE, op. cit., par. 6 § 23.

84 THIBAULT Jean-François, « L'intervention humanitaire armée, du Kosovo à la responsabilité de protéger : le défi des critères », in Annuaire français des relations internationales, Volume X, 2009, p. 6.

85 Rapport CIISE, par 6 § 37.

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La commission essaie de résoudre ces problèmes en recommandant aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité, un usage moins égocentrique de ce droit de veto, en précisant qu'ils « devraient s'entendre pour renoncer à exercer leur droit de veto, dans les décisions ou leurs intérêts vitaux ne seraient pas en jeu, afin de ne pas faire obstacle à l'adoption des résolutions autorisant des interventions militaires qui, destinées à assurer la protection humaine, recueillent par ailleurs la majorité des voix86». Mais pareille recommandation, estime le professeur Ernest-Marie Mbonda, ne modifie en rien l'ordre des choses. Si les intérêts vitaux des membres du Conseil de sécurité constituent le critère à partir duquel ils peuvent être amenés à renoncer à l'exercice de leur droit de veto, on est très loin de la priorité accordée aux besoins des personnes qui se trouvent dans la détresse et qui ont besoin d'un secours urgent, indépendamment, précisément, des intérêts vitaux de quiconque87. En outre, poursuit le professeur Mbonda88, un membre permanent peut bien considérer, comme contraire à ses intérêts vitaux, une intervention dans un territoire soumis à son contrôle pour des raisons économiques, idéologiques ou stratégiques (le cas du Darfour, avec la Chine, constitue à cet égard un exemple plus qu'illustratif)89.

B- Les principes de précaution

Ces principes sont au nombre de quatre, il s'agit : de la bonne intention, du dernier recours, de la proportionnalité et des perspectives raisonnables.

D'abord la bonne intention. Ce critère veut que toute intervention militaire soit motivée par le but primordial de faire cesser ou d'éviter des souffrances humaines. Ainsi l'emploi de la force ne peut viser dès le départ la modification des frontières, la promotion d'une revendication d'autodétermination ou encore le reversement pur et

86 Rapport CIISE, p. XIII.

87 MBONDA Ernest-Marie, « Responsabilité de protéger et éthique de l'intervention humanitaire armée : réflexions éthiques a partir du cas libyen », Institut Afrique Monde, Université Catholique d'Afrique centrale, Yaoundé, p. 16.

88 MBONDA Ernest-Marie, « Responsabilité de protéger et éthique de l'intervention humanitaire armée : réflexions éthiques a partir du cas libyen », Institut Afrique Monde, Université Catholique d'Afrique centrale, Yaoundé, p. 16.

89 Selon le professeur Mbonda, une décision plus audacieuse et plus cohérente aurait consisté, pour les rédacteurs de ce rapport, à proposer une élimination pure et simple du droit de veto, et un élargissement du Conseil de sécurité à d'autres Etats représentant des régions et des intérêts jusque là exclus des grandes instances de décision. La proposition, faite par un certain nombre d'auteurs, d'instituer à l'ONU une seconde chambre représentant la société civile, avec droit de veto, à côté de l'Assemblée générale qui représente les gouvernements, revêt ici toute son importance. A ne pas lui reconnaître cette importance, on compromet durablement les chances pour les deux milliards d'êtres humains en proie à l'extrême pauvreté et à toutes les formes d'insécurité.

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simple d'un régime en place. Pour cristalliser le critère de bonne intention, la Commission prône des interventions collectives, la détermination du soutien de la population à l'intervention, et l'opinion des pays de la région à ladite intervention90.

Etant donné que le désintéressement total relève de l'idéal, mais pas toujours de la réalité, c'est à une combinaison de motivations, dans les relations internationales comme partout ailleurs, qu'il faudra s'attendre. Vu aussi le coût et les risques d'une intervention militaire, l'Etat peut être contraint politiquement de justifier son intervention en prétendant agir dans son propre intérêt. Cet intérêt propre peut prendre selon la Commission, la forme d'une volonté d'éviter que ne s'installent dans le voisinage des réfugiés en nombre excessif, des trafiquants de drogues ou des terroristes91. En fait, il est impossible dans l'état actuel des relations internationales de faire preuve d'une bonne intention qui soit exempte de vices ; si c'était le cas les interventions à des fins de protection humaine seraient fort nombreuses, car dans le monde, rares sont les Etats qui respectent scrupuleusement les droits de l'homme, et c'est chaque jour que l'on commet dans un coin du monde mille barbaries, et en général aucun Etat ne songe à les faires cesser92. Il faut donc que les Etats recherchent à tout prix à éviter les confusions, les zones d'ombre et les demi-mesures, et se prononcer de façon très claire sur leur position et agir toujours en collégialité.

Ensuite le dernier recours. Avant de penser à une coercition militaire dans la mise en oeuvre de la responsabilité de protéger, toutes les voies diplomatiques et non militaires de prévention ou de règlement pacifique des crises humanitaires doivent avoir été explorées et épuisées. Ce qui revient à dire que l'intervention ne saurait être justifiée tant que la responsabilité de prévenir n'a pas été pleinement accomplie93. Il faut donc passer au peigne fin toute la palette de mesures préventives ainsi que toute la gamme d'action autres que militaires et constater leur échec avant de se lancer dans une action militaire directe.

Puis la proportionnalité des moyens. L'intervention doit employer des moyens proportionnels à l'objectif humanitaire poursuivi. Ainsi par sa durée, son ampleur et

90 Rapport CIISE, La responsabilité de protéger, p. 40. 91Idem.

92 ALIBERT C., Du droit de se faire justice dans la société internationale depuis 1945, Paris, L.G.D.J, 1983, p. 250.

93 Rapport CIISE, La responsabilité de protéger, p. 41

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son intensité, l'intervention doit être limitée à ce qui est strictement nécessaire pour réaliser son but94. Les interventions à des fins de protection humaine doivent être menées dans le strict respect des règles du droit international humanitaire, et éviter d'aggraver la situation ou d'avoir des répercussions non escomptées sur l'Etat objet de l'intervention.

Enfin, les perspectives raisonnables. Une coercition militaire doit avoir la possibilité de réussir, c'est-à-dire de faire cesser ou d'éviter les atrocités ou souffrances qui l'ont motivé, de façon raisonnable. A l'opposé, l'intervention militaire perd tout son sens et ne saurait être justifiée si elle n'assure pas effectivement la protection voulue, ou si elle aboutit à des conséquences pires que celles de l'inaction, surtout si elle déclenche un conflit plus vaste.

Paragraphe 2 : Le respect des critères face à la récurrence du recours à l'option militaire

Bombardements de grande ampleur en Libye (A), reconquête au sol au Mali (B), sécurisation de certaines zones en République centrafricaine, bref le recours répété à l'outil militaire en si peu de temps a de quoi interpeller. Certes, les modes d'interventions mobilisés ou envisagés ont été différents et évalués au cas par cas. La force a néanmoins été présentée chaque fois comme la solution. Les moyens engagés se composent le plus souvent des moyens interarmés, mais sont de nature différente. Tous les engagements récents ont pour point commun une supériorité des Occidentaux, que ce soit la supériorité aérienne, la supériorité de feu, ou encore la supériorité technologique. Dès lors, face à l'arsenal de guerre souvent mobilisé notamment par les forces occidentales, est-il toujours possible de concilier les objectifs militaires et le respect des critères d'intervention (tels que la bonne intention, le dernier recours, la proportionnalité des moyens et des perspectives raisonnables)?

A- Les bombardements de grande ampleur en Libye

La réponse de la Communauté internationale au conflit en Libye repose sur deux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies ouvrant la voie à de nombreuses mesures politiques, légales, humanitaires et militaires. La résolution 1970,

94Rapport CIISE, op. cit., p. 42.

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adoptée le 27 février 2011, a imposé un embargo sur les armes, gelé les avoirs à l'étranger des leaders libyens, imposé une interdiction de voyage aux principales figures politiques du pays, et saisi de la situation le procureur de la Cour pénale internationale. La résolution 1973, adoptée le 17 mars 2011, a autorisé « toutes les mesures nécessaires » pour mettre en place une zone d'exclusion aérienne destinée à protéger les civils des attaques imminentes et faciliter la délivrance de l'aide humanitaire. Le 19 mars 2011, une coalition initiale conduite par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France a été formée afin d'appliquer la résolution 1973. Le 30 mars 2011, l'OTAN prit le contrôle de l'action militaire internationale95 en Libye dans le cadre de l'opération « Unified Protector », afin d'assurer l'embargo sur les armes, la zone d'exclusion aérienne et la protection des civils des attaques ou des menaces d'attaque.

Depuis le début des opérations, jusqu'au 28 mai 2011, les forces aériennes de l'OTAN ont opéré 8729 sorties, dont 3327 sorties de frappe96. Les frappes aériennes de l'OTAN sur les cibles militaires établies à Tripoli et dans d'autres villes du pays ont inévitablement donné lieu à des inquiétudes sur les éventuels « dommages collatéraux ». L'expérience de l'ONU lors de son intervention « humanitaire » au Kosovo dans les années 1990 est un rappel salutaire que la force aérienne n'est pas, à elle seule, un moyen efficace pour mettre un terme à la violence contre la population civile, et qu'elle peut même devenir contre-productive à court terme. De plus, l'action militaire en Libye est perçue comme ayant pris le pas sur les efforts qui auraient pu permettre d'arriver à une résolution politique. Et, au-delà du désir évident de voir l'élimination du régime de Kadhafi, il reste que l'orientation stratégique de la mission demeure floue. Bien que les informations fournies par l'OTAN ne mentionnent pas de frappes aériennes ayant causé des dommages civils, de nombreux articles de presse et des rapports font référence à de tels incidents. Lors de son rapport sur la Libye, HumanRights Watch a annoncé la mort de 72 civils qui ont péri pendant les raids

95 Au 31 mai 2011, la coalition est constituée de plusieurs Etats dont : Belgique, Bulgarie, Canada, Danemark, France, Grèce, Italie, Jordanie, Pays-Bas, Norvège, Qatar, Roumanie, Espagne, Suède, Turquie, Emirats arabes unis, Grande-Bretagne, États-Unis.

961er rapport de la Commission d'enquête internationale chargée d'examiner les allégations de violation du droit international humanitaire et des droits de l'homme, Conseil des droits de l'homme (ONU), juin 2011.

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militaires de l'OTAN97. Pour Fred Abrahams98, Seules les attaques sur des cibles militaires sont permises par le droit international et dans certains cas, de graves questions restent posées sur la nature réelle des cibles que l'OTAN visait.Le nombre des civils tués dans les raids aériens de l'OTAN en Libye est resté bas compte tenu de l'ampleur des bombardements et de la longueur de la campagne, a souligné HumanRights Watch. Néanmoins, l'absence d'une cible militaire clairement définie dans sept des huit sites visités par Human Rights Watch suscite l'inquiétude quant à la possibilité que les lois de la guerre aient été violées99. Les interventions causent généralement des « dommages collatéraux », non négligeables. Alors qu'on fait valoir l'importance d'apaiser les populations et de vaincre le terrorisme, les suites de ces interventions rappellent qu'il reste très improbable d'imposer la démocratie ou une révolution populaire, et encore moins en bombardant une population. Déstabiliser une région a des conséquences humaines à long terme. Les conséquences sociales et économiques d'un conflit ne sont pas non plus à négliger dans ce calcul. L'agriculture, les infrastructures, le commerce local ne se rebâtissent pas du jour au lendemain et cela vulnérabilise les populations pendant plusieurs années après un conflit.

B- La reconquête au sol au Mali

L'intervention au Mali a engagé diverses forces armées au sol. D'abord la MISMA, ensuite la MINUSMA et enfin Serval.

La première intervention tire son mandat de la Résolution 2085 du Conseil de sécurité en date du 20 décembre 2012 qui « autorise le déploiement sous conduite africaine d'une mission internationale de soutien au Mali pour une période initiale d'une année ». La Résolution 2085 attribut à la MISMA la mission d'aider à « reconstituer la capacité des forces armées maliennes » afin de permettre aux autorités de reprendre le contrôle des zones du nord de son territoire, tout en préservant la population civile. Créée le 17 janvier 2013 pour une période initiale d'une année, cette force sera dissoute puis remplacée par la MINUSMA en juillet 2013. Cette dernière

97 http://www.hrw.org/fr/news/2012/05/14/otan-les-op-rations-ayant-entra-n-la-mort-de-civils-en-libye-doivent-faire-lobjet-de (page consultée le 17 août 2017 à 23h 45 min).

98Fred Abrahams est conseiller spécial à Human Rights Watch et auteur principal du rapport.

99Art 14 de la convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre dispose : « Les Puissances protectrices et le Comité international de la Croix-Rouge sont invités à prêter leurs bons offices pour faciliter l'établissement et la reconnaissance de ces zones et localités sanitaires et de sécurité ».

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créée le 25 avril 2013 par la résolution 2100 du Conseil de sécurité (votée à l'unanimité) est autorisée à prendre toutes les mesures requises pour s'acquitter entre autre du mandat de stabilisation de la situation dans les principales agglomérations et de contribuer au rétablissement de l'autorité de l'Etat dans tout le pays. Le déploiement maximal de la MINUSMA autorisé par l'ONU est de 12 640 personnels, dont 11 200 soldats.

Quant à l'Opération Serval menée par la France, l'histoire retient qu'elle fut un succès même si des critiques acerbes se font entendre. En effet, le 11 janvier 2013, la France déclenchait sa plus importante opération militaire depuis 50 ans : elle déployait dans l'urgence 4 000 hommes sur le sol malien pour stopper l'offensive des djihadistes vers le sud du pays et reconquérir le nord tombé entre leurs mains dix mois plus tôt. L'opération Serval fut applaudie quasi unanimement, de Paris à Bamako. Un an plus tard, pourtant, des sifflets commencèrent à se faire entendre. Au Mali, la militante altermondialiste et ancienne ministre Aminata Traoré se fait l'écho d'une opinion publique qui a amèrement rangé ses drapeaux français brandis en janvier 2013 pour tirer à boulets rouges sur la gestion française de l'après-guerre100. Dans Ø'La gloire des imposteurs : lettre sur le Mali et l'Afrique101'', Aminata Traoré et l'écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop racontent au jour le jour l'effondrement du Mali. Ils s'insurgent contre Ø'la lecture purement militaire de la crise Ø' adoptée par la France, ainsi que sa posture guerrière qui a masqué un vide politique abyssal.

Le but ultime de la R2P est la protection des populations civiles en des situations précises. L'atteinte de ce but requiert le déploiement des moyens aussi bien militaires qu'humanitaires. Historiquement, l'action des militaires se distinguait clairement de celle deshumanitaires, cette situation a évolué depuis la mise en place d'opérations multidimensionnelles comportant à la fois les volets militaire et humanitaire qui ont souvent tendance à se confondre.

100 http://m.nouvelobs.com/monde/guerre-au-mali/20140110.OBS2015/mali-serval-un-opération-pas-si-réussie.html, (consulté le 20 août 2017 à 08 h 39 min).

101 Boubacar Boris Diop & Aminata Traoré, La gloire des imposteurs : lettre sur le Mali et l'Afrique, éd. Philippe Rey, 2014, 240 p.

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CHAPITRE II : DES MOYENS DE MISE EN OEUVRE CONFUS

L'humanitaire est devenu un justificatif d'intervention militaire102. Une intervention pour motif humanitaire peut recouvrir diverses actions diplomatiques, des actions médicales et de secours d'urgence, des pressions politiques, des sanctions économiques comme le rappelle la Résolution 1674103 du Conseil de sécurité; mais elle peut aussi consister dans une action militaire officiellement motivée par le secours d'une population touchée par la répression. C'est ce mélange des genres qui sera au coeur de cette étude : l'analyse sera centrée sur les risques que présente l'intervention militaire d'un Etat ou plusieurs sur le territoire d'un autre Etat dans un but officiellement humanitaire, et sur les dangers qui découlent du mélange de l'humanitaire et du militaire. Car, la confusion ne manque pas souvent de s'installer entre l'humanitaire et le militaire (Section 1). De cette confusion, découlent des conséquences (Section 2) qu'ils convient de relever.

Section 1 : Le mélange de l'humanitaire et du militaire : l'humanitaire armé

Les textes internationaux notamment les rapports104 du Secrétaire général des Nations unies relatifs au concept de « responsabilité de protéger » sont clairs : la détresse d'une population appelle une assistance humanitaire, puis en l'absence d'accord entre les intéressés, une intervention politique des Nations unies pour trouver diplomatiquement une solution politique. Le militaire ne doit être employé que dans des cas extrêmes et rarissimes. Cependant, il est aisé de constater que l' « humanitaire armé » se généralise depuis une décennie sous deux formes principales. Il s'agit des opérations civilo-militaires (Paragraphe 1) d'une part, et des missions intégrées de maintien de la paix (Paragraphe 2), d'autre part.

102 On en arrive ainsi à qualifier une guerre d' « humanitaire » (expression largement utilisée par les journalistes et les analystes politiques lors de la guerre du Kosovo en 1999) comme si l'adjectif pouvait adoucir la réalité d'un conflit où des personnes sont tuées et des « dommages collatéraux » acceptés au nom de la croisade nécessaire contre le mal du moment.

103 Résolution sur la protection des civils dans les conflits armés, CSNU, 28 avril 2006.

104 Rapport du Secrétaire Général des Nations Unies, La protection des civils dans les conflits armés, New York, ONU, 28 octobre 2007, S/2007/643. Rapport du Secrétaire général, Responsabilité de protéger : réagir de manière prompte et décisive, Doc. A/66/874À S/2012/578, 25 juillet 2012.

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Paragraphe 1 : Les opérations civilo-militaires

De prime abord antinomique, ce couple civilo-militaire est la résultante d'un dilemme plus large, qui est celui du devoir moral et éthique d'intervenir au nom des droits fondamentaux de la personne, et des limites auxquelles cette même intervention est confrontée si elle reste exclusivement dans le « pré carré » de l'intervention d'humanité. De nature diverse (A), les opérations civilo-militaires ont une portée relative (B).

A- La nature des opérations

La réflexion débouchant sur une militarisation de l'humanitaire a débuté dans les années 1990, aux États-Unis. Un processus de coordination inter-agences est mené entre le département d'État, le Pentagone105 et USAID106 (United States Agency for International Development) ; il s'agit d'intégrer les systèmes civils et militaires destinés à gérer les crises. L'objectif est double : rationaliser l'action publique (et ainsi, faire des économies) ; rechercher l'unité de l'effort pour plus d'efficacité militaire. L'idée est d'impliquer les forces armées américaines dans des opérations de stabilisation et de secours d'urgence en même temps que de combat ; ainsi en Afghanistan et en Irak, les PRT107 (Provincial Reconstruction Teams) pratiquent des interventions humanitaires et des actions de reconstruction, mais aussi des missions de renseignement et de propagande. La confusion des genres est totale : le militaire « étasunien » fait de l'humanitaire un instrument de domination asymétrique de l'ennemi. Ce qui signifie bien sûr la fin de l'humanitaire indépendant, neutre108, impartial109, garantissant l'accès à toutes les victimes110.

105Par métonymie, Département de la Défense des Etats-Unis.

106Agence des Etats-Unis pour le développement international, USAID est chargée du développement économique et de l'assistance humanitaire dans le monde.

107Ces équipes régionales, constituées d'experts civils et militaires aux ordres du commandement, ont pour but de favoriser le rétablissement de la normalité institutionnelle et économique dans leur zone d'action en parallèle et en accompagnement de l'action sécuritaire des unités agissant dans la même zone. Cette évolution, sans doute inéluctable, pose avec une acuité nouvelle la question de la relation entre forces armées et ONG humanitaires dans les zones d'intervention internationale.

108La neutralité signifie ne pas prendre parti dans les hostilités, et ne jamais s'engager dans des controverses d'ordre politique, religieux ou idéologique.

109L'impartialité est le corollaire du principe d'humanité en ce qui concerne les souffrances humaines ; elle peut être définie comme l'absence de toute discrimination basée sur la race, la nationalité, la religion, les opinions politiques ou tout autre critère similaire.

110 D'autant que se développent, parallèlement, des sociétés privées d'aide humanitaire, branches des « sociétés privées de sécurité »: un phénomène encore marginal, mais qui pourrait représenter un danger et une dérive en termes d'éthique.

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Ce modèle a ensuite été diffusé en Europe au nom de l'interopérabilité entre alliés au sein de l'OTAN. Ainsi en France, le Livre blanc sur la défense111 publié en juin 2008 insiste-t-il sur « l'importance des opérations civiles et mixtes civilo-militaires dans la gestion des crises » et affirme-t-il rechercher une « synergie entre les composantes militaires et civiles des interventions ». L'aide à la population, les projets de développement économique et culturel s'imposent comme des actions tactiques permettant d'atteindre les objectifs fixés aux armées par les chefs politiques, au même titre que les actions coercitives de sécurité ; le nouveau concept est celui d' « approche globale de la gestion du conflit ». La diffusion des normes anglo-saxonnes112 est encore facilitée par la politique européenne de sécurité et de défense : cette dernière est fondée sur le principe d'une capacité globale et cohérente pour la prévention et la gestion des crises, comportant des capacités militaires mais aussi des capacités civiles de gestion des crises, pour mener les missions dites de Petersburg (missions humanitaires, de maintien de la paix ou d'évacuation de ressortissants ; désarmement et stabilisation)113. L'union européenne souligne la complémentarité entre le militaire et l'humanitaire pour la réalisation de ce type de mission. Mais la réalité est moins simple. Cette évolution inquiète de plus en plus les acteurs humanitaires indépendants, car en diluant le rôle de chacun, la confusion de genre est un danger réel.

B- La portée des opérations

La répartition des tâches entre institutions militaires et civiles relève souvent d'un principe flexible et ad hoc qui fait que l'armée se charge des activités pour lesquelles les organisations civiles ne sont pas du tout compétentes ou qu'elles ne pourraient accomplir à court terme. Les tâches civiles sont conduites provisoirement par les forces militaires et transmises aux organisations civiles dès que possible. Les activités conduites par les civils et les militaires se chevauchent inévitablement, mais l'action de l'armée doit clairement compléter, et non pas concurrencer, celle des acteurs humanitaires.

111 Livre blanc chargé de définir une stratégie globale de défense et de sécurité pour la France de 2009 à 2020.

112 Dès 1996, l'armée américaine a adopté la théorie des trois blocs : les Marines doivent être à même de développer, dans un contexte et en même temps, trois types de missions : maintien de la paix, guerre totale et opérations humanitaires. (Voir Biquet (J.-M.), Militaires-humanitaires : une relation difficile, Morale Laïque, n° 139, avril 2003.)

113 Parmi les missions (dites de « tâches de Petersburg ») attribuées par le traité d'Amsterdam à l'armée européenne, se trouve en bonne place l'assistance humanitaire.

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Il n'est pas toujours aisé de faire cohabiter, et surtout coopérer, acteurs militaires et acteurs humanitaires bien qu'ils soient de facto engagés dans une démarche globale ayant la même finalité ultime, la paix et la normalité. Si la coopération entre ces deux acteurs est relativement facilitée lorsqu'ils relèvent tous deux d'autorités étatiques ou internationales, il n'en va pas de même quand il s'agit, pour la composante humanitaire, d'ONG soucieuses par principe d'échapper soit à la tutelle des forces d'intervention soit à l'assimilation de leur action spécifique à celle de ces forces. Avant d'examiner plus loin, cette problématique de la relation entre forces armées et organisations humanitaires non gouvernementales, il paraît nécessaire de préciser quel est le positionnement général, doctrinal et pratique, des forces armées vis-à-vis de l'action humanitaire.

En premier lieu, il convient de rappeler que, par destination, les forces armées sont organisées et équipées pour agir dans les contextes les plus difficiles et exigeants, ce qui bien sûr leur confère une certaine aptitude matérielle à intervenir dans le champ de l'humanitaire de « crise ». Riches en systèmes de communication et d'information, en moyens de mobilité tous terrains, en capacités logistiques leur garantissant une grande autonomie, les forces armées sont un outil régalien que les autorités politiques sont toujours enclines à utiliser pour faire face à des situations de catastrophe ou d'urgence humanitaire. Différente est l'action à vocation humanitaire qui peut être conduite par les forces armées dans le cadre d'une intervention militaire, en général internationale, dans une zone de crise globale plus ou moins aiguë. Il s'agit alors, pour les forces, d'une action « annexe », qui a pour objet premier de concourir à la satisfaction d'un mandat général de préservation, de rétablissement ou d'imposition de la paix dans une zone de conflits114.

Pour les militaires, dans ce cadre d'action additionnelle aux actions qui relèvent de la sécurité (qui est leur mission première et toujours principale), l'engagement « humanitaire » répond à des principes de base clairement définis. Ainsi les actions humanitaires ne doivent pas constituer un « frein » à l'action militaire proprement dite et l'engagement de moyens à cet effet est toujours secondaire par rapport à

114 A cette fin et pour concevoir et organiser cette action, les états-majors opérationnels disposent en Europe notamment d'un bureau spécifique, celui de l'Action civilo-militaire (ACM), qui a pour mission de traiter de toutes les relations entre forces et environnement civil, dont la composante humanitaire n'est, il faut le souligner, qu'un des éléments.

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l'engagement des moyens nécessaires pour les tâches de sécurité. De ce fait, la disponibilité des forces armées à prendre en charge des actions humanitaires est éminemment variable selon les théâtres d'opération, selon le moment ou la phase de gestion de la crise et selon le niveau de forces engagées. L'engagement « humanitaire » dépend donc beaucoup du contexte sécuritaire en lui-même, mais aussi de « l'intérêt » qu'il peut représenter pour les forces dans le cadre de l'atteinte de leurs objectifs. Il peut en effet concourir, par la nature du contact qu'il permet avec les populations, à obtenir des informations fort utiles, ou encore à éviter que les militaires ne soient perçues comme une armée d'occupation, si leur présence se prolonge. Il peut aussi contribuer à renforcer le moral du soldat, par les actions gratifiantes qu'il induit moralement et psychologiquement, et aussi, plus largement, renforcer la légitimité de l'intervention militaire, en particulier si celle-ci n'est pas indiscutablement établie (que ce soit aux yeux des autochtones ou de l'opinion publique). On voit donc bien que si les considérations éthiques ne sont certes pas absentes dans l'engagement des soldats dans les actions humanitaires, celles-ci sont, d'un point de vue plus global, un moyen de contribuer à la réalisation de l'objectif sécuritaire et non une fin en soi. De ce fait, elles se distinguent nettement dans leurs fondements de l'action conduite par les ONG humanitaires.

Paragraphe 2 : Les missions « intégrées » de maintien de la paix

Le maintien de la paix est une tâche essentielle des Nations unies. Les opérations de maintien de la paix de l'ONU se sont diversifiées (A) au fil du temps ; allant des opérations traditionnelles de maintien de la paix115, aux opérations élargies de maintien et d'imposition de la paix116, puis aux opérations de soutien de la paix117.

115 Pendant la première phase, les Nations Unies ont développé et mis en pratique ce que l'on appelle aujourd'hui des opérations traditionnelles de maintien de la paix. L'accent y était mis sur le consentement et la coopération, ainsi que sur le non-recours à la force, excepté en cas de légitime défense. Ces missions ont consisté à veiller au respect d'accords de cessez-le-feu et d'armistice dans le cadre de conflits armés internationaux, à surveiller des frontières, à jouer le rôle de tampon entre belligérants, à assister à des opérations de retrait de troupes, et à contrôler ou même organiser des élections. Elles se sont clairement révélées à la fois distinctes des activités humanitaires et complémentaires de ces dernières.

116 Dans la période de l'immédiate après-guerre froide, le concept de maintien de la paix a acquis une dimension plus large et plus ambitieuse. Les opérations ont conduit les Nations Unies à s'engager toujours davantage dans toute une série de conflits armés non internationaux, ainsi qu'à participer au processus de reconstruction politique nationale, notamment la réhabilitation de structures étatiques effondrées. Certaines des tâches assignées aux forces de maintien de la paix n'étaient plus clairement distinctes de l'action humanitaire, par exemple dans des contextes où il s'agissait notamment de distribuer des secours humanitaires. Dans certains cas, l'attribution floue

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Le maintien de la paix implique de plus en plus un volet humanitaire en plus du volet militaire. Il convient d'analyser la portée de l'élargissement des activités de maintien de la paix(B).

A- La nature des missions

A observer les activités de l'ONU depuis le milieu des années 1990, on se rend compte que les opérations humanitaires sont de plus en plus militarisées; le recours aux forces armées dans les tâches d'assistance humanitaire est désormais la règle. Tout comme les armées occidentales ont développé le concept d'Actions civilo-militaires, le Département des opérations de maintien de la paix des Nations unies a développé la notion de mission « intégrée » ou « multidimensionnelle » : le chef de la mission de paix (représentant spécial du Secrétaire général) dirige les militaires mais coordonne également les agences spécialisées (PAM, UNICEF, HCR, OMS...). De même, le concept, d'origine militaire, de CIMIC (Civil Military Cooperation) défini comme : « la coordination et la coopération, dans l'appui à une mission, entre le commandant et les acteurs civils, incluant la population nationale, les autorités locales, ainsi que les organisations non-gouvernementales et les agences internationales et régionales », consiste à nouer des contacts avec les civils, en réalisant des projets de court terme intéressant la population, afin de « gagner les esprits et les coeurs ». De plus, les quick impact projects menés par les unités combattantes sont censés faciliter l'acceptation de la force dans la zone concernée. Il peut s'agir de la création ou de la réfection des infrastructures, d'aide à l'agriculture, de soutien éducatif ou sanitaire.

Depuis le début des années 2000, un nombre croissant d'opérations de paix ont vu inclure dans leurs mandats des clauses relatives à la protection des civils en situation de conflit armé. En 2000, le Conseil de sécurité établissait dans sa résolution 1296118 que les pratiques qui consistent à prendre délibérément pour cible des civils, à commettre des violations systématiques, flagrantes et généralisées du droit international humanitaire, ainsi qu'à refuser au personnel humanitaire l'accès aux civils durant un conflit armé, pouvaient constituer une menace contre la paix et la

des responsabilités s'est vue aggravée par le fait que les objectifs politiques des forces de maintien de la paix et d'imposition de la paix étaient peu clairs et leurs mandats mal définis.

117 Certains signes indiquent aujourd'hui que les Nations Unies entrent dans une nouvelle phase en matière de maintien de la paix, une phase marquée par un accroissement de l'assistance humanitaire.

118 Résolution sur la protection des civils dans les conflits armés, S/RES/1296 (2000).

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sécurité internationales. Le Conseil de sécurité affirmait être disposé, le cas échéant, à prendre les mesures appropriées et à veiller à ce que les opérations de maintien de la paix se chargent, si possible, de la protection des civils en cas de menace imminente contre leur intégrité physique119. Cet engagement a été honoré à l'occasion de nombreuses opérations de paix et conformément aux recommandations du rapport Brahimi120, la protection humaine dimension, désormais primordiale du maintien de la paix s'est reflétée dans les mandats121, les règles d'engagement et dans les effectifs des missions. La notion de sécurité élargie ou globale, défendue par de nombreux États, est à cet égard venue appuyer les politiques de sécurité humaine mises en oeuvre au sein des opérations complexes.

Les missions militaires des Nations Unies constituent un élément essentiel de la gestion réussie d'un conflit. Dans certains contextes chaotiques, elles peuvent se révéler indispensables pour assurer le respect du droit international humanitaire et rétablir ainsi les conditions de sécurité nécessaires à la conduite d'activités humanitaires. Cela dit, il conviendrait que les opérations de maintien de la paix, et spécialement celles d'imposition de la paix, se distinguent clairement, de par leur nature, des activités humanitaires122. Les forces militaires ne devraient pas être directement impliquées dans l'action humanitaire. En effet, si c'était le cas, les organisations humanitaires seraient associées, dans l'esprit des autorités et de la population, à des objectifs politiques ou militaires qui vont bien au-delà des préoccupations d'ordre humanitaire.

119 S/RES/1296 (2000), par. 15 : Le Conseil de sécurité « Se déclare disposé à examiner s'il est approprié et possible de créer des zones de sécurité provisoires et des couloirs de sécurité pour la protection des civils et l'acheminement de l'assistance lorsqu'il y a menace de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre contre la population civile ».

120 Rapport du Groupe d'étude sur les opérations de paix de l'Organisation des Nations Unies, Doc. A/55/305-S/2000/809, 21 août 2000.

121 Résolutions 1973 (2011), 2100 (2013), 2121 (2013).

122 Cornelio Sommaruga, président du Comité international de la Croix-Rouge. Discours prononcé lors d'une conférence sur l'action humanitaire et les opérations de maintien de la paix, [organisée par l'Institut des Nations Unies pour la formation et la Recherche (UNITAR), l'Institute of Policy Studies (Singapour) et le National Institute for Research Advancement (Japon). Elle s'est tenue à Singapour, du 24 au 26 février 1997], soulignait que « Le recours à la force contre la volonté des parties à un conflit à même pour des raisons humanitaires valables, par exemple pour permettre la fourniture de l'assistance à transformerait nécessairement l'action humanitaire en opération militaire ». Pour lui, « la simple menace d'employer la force dans le but de faciliter l'action humanitaire peut compromettre celle-ci, en particulier parce qu'une telle menace ne peut être maintenue indéfiniment. »

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B- La portée des missions

Plusieurs opérations de maintien de la paix ont été chargées de protéger des civils. Il s'agit notamment de la MONUC, la MINUAD, la FINUL II et récemment, de la MINUSMA, de la MINUSCA et de l'intervention militaire menée en Libye sur le fondement de la résolution 1973 du Conseil de sécurité tout comme d'autres, menées par des organisations régionales. En effet, à côté de la croissance des opérations de paix onusiennes et de leurs pans civils, une certaine régionalisation de la sécurité collective s'est imposée dans les années 2000, consacrant l'Union africaine, l'Union européenne ou l'OTAN en tant qu'acteurs du maintien de la paix. En dépit de dissonances certaines au sein de leurs institutions respectives, l'Union européenne et l'Union africaine ont d'ailleurs plébiscité la responsabilité de protéger. L'Acte fondateur123 de l'UA organisait dès 2000 un mécanisme de lutte contre les génocides et autres crimes de masse au sein des États membres de l'Organisation. Certains mandats délivrés par le Conseil de sécurité à des organisations régionales ont ainsi inclus ou consacré des missions de protection, à l'instar de l'opération militaire de l'Union européenne EUFOR Tchad-RCA en 2008-2009 ou de la Mission de l'Union africaine au Soudan (pour le Darfour), à laquelle succédera la mission hybride UN-UA, la MINUAD, en 2008, le Conseil de sécurité a également autorisé le déploiement de la MISCA124 en Centrafrique, et celui de la MISMA125 au Mali (des missions sous conduite africaine).Dans le cadre de ces opérations, cependant, bon nombre de missions de protection ne furent pas encadrées par la responsabilité de protéger. La résolution 1706 votée en 2006 par le Conseil de sécurité invoquait bien la responsabilité de protéger comme l'un des fondements de l'opération, mais celle-ci n'avait pu être déployée face au refus de Khartoum. Il faudra attendre la résolution 1769, votée près d'un an plus tard et dépourvue de référence à la responsabilité de protéger, pour que le déploiement de la MINUAD soit finalement accepté par le gouvernement soudanais.

123 Article 4 « L'Union africaine fonctionne conformément aux principes suivants : [...] h. Le droit de l'Union d'intervenir dans un Etat membre sur décision de la Conférence, dans certaines circonstances graves, a savoir : les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l'humanité ».

124 Résolution 2121, CSNU, 10 octobre 2013.

125 Résolution 2085, CSNU, 20 déc. 2012.

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De manière générale, ces missions de protection humaine demeurent hautement sensibles. Sur le terrain, elles nécessitent un commandement éclairé : pour des soldats de la paix, recourir à l'usage de la force armée, même à un niveau tactique, est une gageure. En effet, comment interpréter en temps voulu des règles d'engagement telles que l'intention hostile ou la menace imminente contre l'intégrité physique de civils, sans pour autant entrer en guerre ou remettre en cause la légitimité de la mission ? Les « retours d'expérience » de la MONUC témoignent de ces difficultés. Au niveau stratégique, les contributions des États membres à l'ONU, via les organisations régionales demeurent soumises à une conditionnalité politique et opérationnelle. Des coopérations ponctuelles et structurelles ont été développées ces dernières années, entre les différents acteurs du maintien de la paix (renforcement des capacités africaines, coordination UE-ONU, par exemple) ; et la construction des capacités occupe une place substantielle au sein de nombreuses opérations, consacrant une stratégie de lutte contre la faillite des États. Néanmoins, les opérations de paix continuent d'être pourvues au cas par cas et selon une logique ad hoc et les missions de protection humaine ne font pas exception à la règle.

Section 2 : La conséquence : une situation intenable

Les actions d'intégration sont souvent accueillies défavorablement en raison de la confusion des genres qu'elles suscitent dans l'esprit des populations. Pour accéder aux victimes et revendiquer une certaine liberté d'expression, il est indispensable de n'apparaître ni partie prenante dans le conflit, ni dépendant de la politique d'une puissance étrangère, l'amalgame est courant : les ONG sont perçues par les populations afghanes, ivoiriennes ou irakiennes comme « occidentales » et assimilées aux forces d'occupation. En Somalie déjà, l'intervention militaire américaine avait permis l'acheminement des convois d'assistance, mais n'avait guère contribué à améliorer la sécurité des personnels des ONG humanitaires, vite assimilés aux forces américaines. C'est pourquoi en août 2004, Médecin Sans Frontière quitte l'Afghanistan après vingt-quatre ans de présence ininterrompue ; elle dénonce le risque que les forces alliées font courir aux équipes humanitaires et condamne l'implication de militaires dans les actions humanitaires et de reconstruction ; elle réaffirme qu'en période post-conflit, les actions humanitaires doivent relever de la

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seule compétence des ONG. De ces faits, l'on déduit aisément qu'il existe des tensions entre militaires et humanitaires (Paragraphe 1). Cette difficile cohabitation tend à dénaturer l'humanitaire (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les tensions entre militaires et humanitaires

L'interaction entre les militaires et les agences humanitaires (A) est régie par des directives civilo-militaires, mais dans les faits, les tensions entre les deux parties sont nombreuses. L'existence de telles tensions, met souvent en péril la protection des civils (B).

A- L'interaction entre agences humanitaires et forces militaires

L'illustration la plus récente du mélange des genres est sans doute le conflit sanglant commencé en février 2011 à Benghazi, puis étendu à l'ensemble de la Libye. Il s'agit dans un premier temps d'un conflit armé non international, devenu conflit armé international126 après les deux résolutions du Conseil desécurité : le 27 février 2011, la résolution 1970 impose un embargo sur les armes, gèle les avoirs à l'étranger des dirigeants libyens, leur impose une interdiction de voyage, saisit le procureur de la Cour pénale internationale et le 17 mars 2011, la résolution 1973 autorise « toutes les mesures nécessaires » pour mettre en place une zone d'exclusion aérienne destinée à protéger les populations civiles contre les attaques et faciliter la délivrance d'une aide internationale ; l'OTAN prend le contrôle de l'action militaire internationale.

Dans l'interaction entre les agences humanitaires et les forces militaires, les tensions sont quotidiennes. D'une part, les humanitaires refusent que les militaires interviennent dans la gestion de l'aide, alors que ces derniers font remarquer qu'en cas de conflit, le droit international humanitaire leur donne la responsabilité morale et légale de protéger les civils et de faciliter la distribution de l'aide. D'autre part, les militaires ne comprennent pas la contribution des humanitaires en situation de crise, alors que les agences et les O.N.G. sont parfaitement expérimentées pour évaluer les besoins, assurer des soins, acheminer et distribuer l'aide alimentaire et autre.

126 «Un conflit armé existe chaque fois qu'il y a un recours à la force armée entre Etats [CAI] ou un conflit armé prolongé entre les autorités gouvernementales et des groupes armés organisés ou entre de tels groupes au sein d'un Etat [CANI]». T.P.I.Y., arrêt Tadic, 1995, §70.

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En effet, les opérations menées en Libye poursuivent deux objectifs officiels : d'abord protéger la population civile ; c'est l'application du principe de la responsabilité de protéger. Les agences humanitaires sont sceptiques sur l'opération de l'OTAN pour trois raisons : la nature asymétrique du conflit qui est en fait une guerre civile plus qu'un conflit international ; la méthode des frappes aériennes, qui provoquent des dommages collatéraux importants127; le défaut d'orientation stratégique claire de la part de l'OTAN et l'absence d'une solution politique. Ensuite, faciliter l'aide : les agences ne souhaitent pas un soutien des militaires. Elles s'appuient sur les « directives des Nations unies pour l'utilisation des ressources et de la protection civile dans le cadre d'opérations d'aide humanitaire et de situations d'urgence complexes »128; or l'idée essentielle développée dans ces directives est celle du « dernier ressort129» : les ressources militaires peuvent être utilisées pour l'aide humanitaire uniquement lorsqu'aucune ressource civile équivalente n'est disponible, lorsque toutes les options alternatives ont été explorées, lorsque ces ressources sont utilisées à des fins précises et pendant une période limitée. L'adoption de ces directives est une conséquence de la confusion humanitaire - militaire en Irak et en Afghanistan et des effets dommageables de cette confusion pour les populations civiles et les humanitaires. Pour les populations civiles : soit elles refusent les soins et les vivres des humanitaires, car elles sont attaquées à titre de représailles si elles les acceptent ; soit elles les détournent au profit des belligérants (et donc n'en profitent pas). Pour les humanitaires : soit ils sont confondus avec les militaires ; soit ils ne sont pas considérés comme neutres et impartiaux ; dans tous les cas, ils sont attaqués par les belligérants.

Il existe également des tensions quant au rôle des militaires internationaux dans la « facilitation » de l'aide humanitaire. Alors que l'OTAN a insisté sur le fait qu'elle ne jouerait pas le « rôle de leader » dans la fourniture de l'aide, l'Union européenne (UE) a planifié le déploiement d'une force militaire (EUROFOR Libye) pour soutenir les efforts humanitaires, y compris en sécurisant les ports et les corridors

127 Comme c'était le cas au Kosovo, en Afghanistan et en Irak.

128 Directives MCDA-mars 2003, Révision I- 2006

129 Il ne doit être fait appel aux ressources militaires que lorsqu'il n'existe aucune ressource civile comparable et que seule l'utilisation des ressources militaires permettra de répondre à un besoin humanitaire impératif. Les ressources militaires auxquelles il a été fait appel doivent en conséquence être les seules disponibles et les seules capables de répondre aux besoins de la situation.

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humanitaires130. Certains acteurs humanitaires ont refusé que les militaires aient un rôle à jouer dans la réponse humanitaire. Une telle position s'avère cependant inappropriée, faute de prendre en compte le fait que les militaires, particulièrement lorsqu'ils sont partie prenante à un conflit, ont la responsabilité morale et légale de protéger les civils et de faciliter leur accès à l'aide131. En Libye, les deux principaux objectifs du Conseil de sécurité sont la protection des civils et la facilitation de l'aide humanitaire. Ils nécessitent donc pour être atteints des efforts coordonnés par les militaires et les humanitaires, que cela se fasse dans le cadre d'une véritable coopération ou d'une simple coexistence.

B- Les répercussions sur la protection des civils

Bien que déployés sur les même zones de conflit, militaires et humanitaires ont en effet des logiques d'engagement différentes. Ils ne poursuivent pas les mêmes objectifs. Les actions civilo-militaires prônées aux États-Unis et en Europe ne servent qu'à créer un environnement favorable à la force ; l'humanitaire n'y est conçu que comme un outil de gestion des crises. Pour les ONG humanitaires en revanche, une séparation claire doit être établie entre l'activité militaire et leurs actions sur le terrain. Cependant, dans le débat qui ne manque pas de les opposer, le militaire l'emporte fatalement sur l'humanitaire. En témoigne, le livre blanc français, publié en 2005, intitulé « Doctrine sur la coopération civilo-militaire » : il distingue le rôle des militaires (pour réduire les menaces) et celui des diplomates et des humanitaires (en termes de soutien à la gouvernance, à la reconstruction et au développement). Il souligne que« l'approche globale, c'est la coordination des efforts de tous les acteurs au profit d'un objectif commun » ; et indique que celle-ci «ne vise pas à militariser les actions humanitaires ». Mais en cas d'urgence, les militaires sont les seuls à disposer des capacités d'intervention spécifiques et rapidement mobilisables. De plus, quand l'action militaire est au premier plan, il revient aux militaires de coordonner l'ensemble des actions sur le terrain.

130ØLibya : UN will only request military support for aid mission «as last resort°, The Guardian, 18 avril 2011. 131Humanitarian Policy Group, « Libye : la possible confusion humanitaire-militaire en question », Humanitaire, [En ligne], URL : http://humanitaire.revues.org/936 (consulté le 27 août 2017 à 17h 24 min).

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Bernard Kouchner132 dans le numéro de janvier-mai 2007 de la revue Inflexions (26-29), prétend, qu'il existe une « convergence » entre humanitaires et militaires. Pour Crouzatier, cette « convergence » n'est pas neutre; elle est au contraire potentiellement dangereuse133. La confusion est dangereuse parce qu'il est difficilement concevable qu'une opération militaire se limite à des objectifs strictement humanitaires ; ce serait un « service minimum humanitaire »134, alors qu'une intervention militaire doit servir à appuyer ou imposer une solution politique. Une puissance qui déclenche une intervention militaire agit systématiquement en fonction d'objectifs politiques et stratégiques qui sont toujours prépondérants par rapport aux mobiles humanitaires proclamés. Et c'est toujours en fonction de ces mobiles prépondérants qu'une action militaire sera menée. Il n'existe pas de « soldats humanitaires » ; il n'y a que des soldats avec une mission... forcément militaire. La confusion est également dangereuse parce que les erreurs qu'elle entraîne, dans l'esprit des populations, sur l'image et les intérêts des ONG va conduire ces dernières, pour ne pas exposer les volontaires internationaux et les équipes locales, à éviter certaines zones et certains pays; on assistera alors à un recul des capacités d'intervention et une réduction de l'aide effectivement apportée aux populations nécessiteuses.

Qualifier une opération militaire d' « humanitaire » signifie implicitement que l'intervenant est humanitaire et celui qui s'y oppose diabolique ; elle conduit naturellement à une discrimination entre les « bonnes » victimes du côté humanitaire, et les « mauvaises » victimes parmi les opposants, comme on l'a constaté hier en Irak, en Libye et ailleurs. Les objectifs déclarés de la mission de l'OTAN, tels que soulignés par le Conseil de sécurité, sont partagés par les humanitaires : protéger la population civile et garantir leur accès à une aide vitale. Les tensions se font sentir au niveau des différentes stratégies et tactiques que les acteurs militaires et humanitaires estiment adaptées pour parvenir à ces fins. La manière dont la mission militaire sera mise en oeuvre pour protéger la population civile, sa chance probable de réussite et la perception de cette situation en Libye et plus généralement dans toute la région

132 Médecin et homme politique français, cofondateur de Médecin sans frontières et de Médecins du monde, ministre de différents gouvernements de Gauche et de Droite. Ministre des Affaires étrangères et européennes de mai 2007 à novembre 2010. Egalement Représentant spécial du SGNU au Kosovo de juillet 1999 à janvier 2001.

133 CROUZATIER Jean-Marie, La responsabilité de protéger : avancée de la solidarité internationale ou ultime avatar de l'impérialisme, in revue aspect n° 2, 2008, p. 27.

134Ibid.

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façonneront le degré de coordination possible entre civils et militaires. Le dialogue est essentiel afin de limiter les risques pour les civils, que ce soit par le partage d'analyses ou la promotion de l'adhésion au droit international humanitaire. De solides efforts de coordination civile et militaire sont nécessaires pour gérer la relation entre les agences militaires et humanitaires, pour faciliter leur entente complémentaire et justifier leur séparation lorsque des motifs tactiques et conceptuels l'exigent. En Libye, tout comme en Afghanistan, en Irak et au Pakistan, toute confusion entre les objectifs humanitaires, militaires et politiques peut avoir de lourdes conséquences sur la population civile, mettant en péril les efforts déployés pour atteindre les objectifs partagés consistant à sauver des vies et fournir de l'aide.

Il est vrai que l'humanitaire seul est quelques fois impuissant ; mais s'il est accompagné de l'intervention militaire, il est forcément dénaturé.

Paragraphe 2 : La dénaturation de l'humanitaire

« Le recours à la force contre la volonté des parties à un conflit, même pour des raisons humanitaires valables, par exemple pour permettre la fourniture de l'assistance, transformerait nécessairement l'action humanitaire en opération militaire »135. La « militarisation » de l'humanitaire a donc pour corollaires, le détournement des objectifs humanitaires (A) d'une part et le recul des capacités d'intervention humanitaire (B) d'autre part.

A- Des objectifs détournés

Dans le numéro de janvier-mai 2007 de la revue Inflexions136, Bernard Kouchner explique que les convergences entre militaires et humanitaires doivent beaucoup à la pratique : c'est sur le terrain en Bosnie, au Kosovo, en Somalie et en Afghanistan que les humanitaires et les militaires ont appris à travailler ensemble et à collaborer. Par delà les différences historiques et culturelles, il souligne les similitudes des problématiques auxquelles militaires et humanitaires sont confrontés, la progressive convergence de leurs outils et de leurs pratiques, et enfin leurs objectifs

135 CROUZATIER Jean-Marie, La responsabilité de protéger : avancée de la solidarité internationale ou ultime avatar de l'impérialisme, in revue aspect n° 2, 2008, p. 49.

136Voir Revue Inflexions, numéro de janvier-mai 2007, pp. 26-29.

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communs : « la protection des populations, la paix, la démocratie »137. Et d'insister sur leur complémentarité : « Si les militaires disposent d'outils logistiques supérieurs à ceux des organisations humanitaires, celles-ci sont en revanche plus à même d'offrir des services de proximité aux populations»138.

Bernard Kouchner oublie pourtant de revenir aux origines du phénomène : l'humanitaire armé est d'abord au service de la politique de puissance ; l'Afghanistan en est une sorte de laboratoire depuis 2001139. Dans ce pays ravagé par des décennies de guerre, une grande partie de la population survit grâce à l'aide internationale au début des années 2000. Or le 11 septembre 2001, le gouvernement afghan est dénoncé par les Etats-Unis comme « ennemi » et Washington commence des préparatifs militaires. En prévision de la campagne de bombardement, les Etats-Unis exigent la suppression des convois humanitaires en provenance du Pakistan et la fin des actions du PAM et des ONG sur le terrain, créant un début de famine dans certaines régions.

L'opération militaire impériale est qualifiée « d'humanitaire » puisque les avions larguent successivement des bombes, des colis de vivres et des tracts de propagande. Après l'invasion de l'Irak, les opérations humanitaires restent sousle contrôle américain140. Avec cette invasion, l'humanitaire devient une arme : le 17 mars 2003, le président Bush déclare que les Etats-Unis apporteront une aide alimentaire dans le sillage des opérations militaires, mais à condition que Saddam Hussein soit chassé141 ; autrement dit, il conditionne la survie dela population à la capitulation du régime ; sur le terrain l'aide est parfois utilisée comme un outil de marchandage, subordonnée à la fourniture d'informations par la population civile.

137Ibidem p. 27. 138Ibidem p 28.

139 CROUZATIER Jean-Marie, La responsabilité de protéger : avancée de la solidarité internationale ou ultime avatar de l'impérialisme, in revue Aspect n° 2, 2008, p. 49.

140 Cette expérience est sans doute considérée comme positive puisque l'humanitaire est enrôlé à partir de 2002 dans la « guerre contre le terrorisme ». L'USAID exige de la part des ONG l'adhésion explicite à ses principes politiques de lutte contre le terrorisme pour avoir accès à son financement ; bien peu d'ONG refuseront (à notre connaissance, seules Handicap International, AICF et Oxfam) ; les dirigeants « étasuniens » décident ainsi quels pays et quelles populations méritent de bénéficier d'une aide humanitaire.

141?...as our coalition takes away their power [the lawless men who rule Iraq], we will deliver the food and medicine you need.??. Discours du président Bush à la nation. Ce discours établissait un bilan des douze années de diplomatie sur la question irakienne depuis la fin de la Guerre du Golfe Persique en 1991. Le président Bush y annonçait l'envoi de troupes américaines dans le cadre d'une intervention armée en Irak dans le but de préserver la sécurité des Etats-Unis. Discours disponible sur https://www.monde-diplomatique.fr/cahier/irak/a9941 (consulté le 19 octobre 2017 à 21h 20 min).

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Par ailleurs, l'action militaire en Libye est perçue comme ayant pris le pas sur les efforts qui auraient pu permettre d'arriver à une résolution politique. Et, au-delà du désir évident de voir l'élimination du régime de Kadhafi, il reste que l'orientation stratégique de la mission demeure floue.Mais les preuves disponibles attestent néanmoins du besoin apparent de protection physique des civils sous la menace imminente d'une attaque. À ce stade, la capacité des agences humanitaires à fournir cette protection physique semble restreinte, mais l'OTAN et les acteurs humanitaires peuvent jouer des rôles complémentaires de protection, prôner le respect du droit international humanitaire y compris par l'OTAN elle-même et mener un plaidoyer pour le droit d'asile.

B- Le recul des capacités d'intervention humanitaire

Si les militaires nationaux et les forces de paix multinationales sont critiqués par les ONG pour leur empiètement de plus en plus manifeste sur le terrain humanitaire, la dérive politique de certaines ONG est tout aussi manifeste. Nous sommes bien loin des affirmations d'indépendance par rapport aux États durant les années soixante-dix, et de la volonté de rendre compte des réalités constatées sur le terrain, aussi dérangeantes soient-elles pour les puissances. Mais les ONG n'ont pas le choix, en raison de la part croissante dans leurs budgets de financements institutionnels, et de la pression des bailleurs de fonds publics : l'UE, les États-Unis déterminent les priorités et orientent l'aide, et les ONG doivent volens nolens142 s'y adapter ; ou elles seront dans l'impossibilité d'obtenir leur part sur le « marché » des crises humanitaires. Les notions d'impartialité, d'indépendance et d'éthique semblent aujourd'hui bien désuètes. C'est ainsi que les bailleurs de fonds décident des sujets à la mode : Droits de l'homme et promotion des femmes, puis plus récemment lutte contre la corruption, et sauvegarde de l'environnement. C'est ainsi que les ONG deviennent leurs prestataires de services, éléments complémentaires des stratégies militaires143. Il est certain que l'accès aux populations les plus vulnérables ne sera possible que si un climat de confiance s'établit entre humanitaires et acteurs locaux. Cela nécessite une transparence dans

142 Locution latine synonyme de l'expression « bon gré mal gré ». En droit international public, cette locution signifie : « qui est indépendant de la volonté des parties ».

143 CROUZATIER Jean-Marie, La responsabilité de protéger : avancée de la solidarité internationale ou ultime avatar de l'impérialisme, in revue aspect n° 2, 2008, p. 27.

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leursmanières d'opérer (au profit exclusif des civils dans le besoin), leurs objectifs et leur identité qui se doit d'être neutre, indépendante et impartiale. Aussi, dans une perspective optimiste faudra t-il envisager l'action militaire de la responsabilité de protéger comme un continuum dans lequel la communauté internationale a un droit de regard, et dont celui qui s'engage doit exécuter les trois paliers du principe dont la reconstruction, troisième palier, estaussi important que les autres. Cette perception de la responsabilité de protéger permettra de diluer certains maux décriés ci-haut.

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CONCLUSION PARTIELLE

La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique présente différentes facettes notamment en ce qui concerne les fondements de l'intervention dans les différentes crises analysées ainsi que les divers moyens déployés en vue de leur résolution.

D'abord, en ce qui concerne les fondements des interventions, notre étude relève une imprécision et une variabilité des conditions d'intervention. Cet état de choses réside principalement dans l'imprécision du cadre d'application du principe de la responsabilité de protéger. Alors que dans certains cas, l'imminence de la commission de crimes internationaux a servi de fondement à l'intervention, dans d'autres cas, l'on a attendu que ces crimes soient commis avant d'intervenir.

En outre, les moyens mis en oeuvre notamment militaires et humanitaires dans le cadre de la responsabilité de protéger, présentent des risques en ce sens que l'humanitaire est de plus en plus confiée aux militaires ; ce qui altère forcément la neutralité de l'action humanitaire.

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DEUXIEME PARTIE : UNE MISE EN OEUVRE EQUIVOQUE

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La responsabilité de protéger a, depuis son origine, souffert de son amalgame avec l'intervention militaire. De ce fait, les débats ont souvent été monopolisés par la question du recours à la force. Même si, aujourd'hui, les partisans de ce principe mettent l'accent sur la prévention, nombre de discussions portent, sur l'utilisation de la force armée.

Mettre en oeuvre la responsabilité de protéger signifie prévenir avant tout, agir ensuite, et reconstruire enfin. Il s'agit d'un continuum adopté par la Commission et qui consiste à mettre en oeuvre tous les moyens possibles afin de prévenir la survenance des crimes ou catastrophes, puis agir lorsque ces moyens se sont avérés inefficaces. En plus, elle innove avec un aspect qui n'a souvent pas été pris en compte celle de la reconstruction, désormais après la prévention et l'action, on a la responsabilité de reconstruire. Dans ce continuum, toute tentative visant à délimiter la responsabilité de protéger selon l'une ou l'autre des opérations de paix est réductrice. Afin de mieux cerner les différents aspects de la mise en oeuvre de la R2P, il convient d'aborder dans un premier temps la ferme volonté des organisations internationales de prévenir la commission de certains crimes internationaux (Chapitre I). Ensuite, dans un second temps, il convient de relever les controverses engendrées par les différentes interventions (Chapitre II).

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CHAPITRE I : UNE FERME VOLONTE DE PREVENIR

Depuis la fin de la guerre froide, la scène internationale a enregistré de nombreux conflits, qui se distinguent des conflits traditionnels par leur caractère davantage civil qu'international, leur intensité, la nature des victimes et des acteurs qui y participent, sans que la Communauté internationale parvienne toujours à y faire face de manière efficace. Il est maintenant bien connu que certaines crises humanitaires tragiques, comme celle du Rwanda en 1994, auraient pu être désamorcées si tout le dispositif de prévention et de réaction prévu par l'ONU et par certaines autres institutions avait été mis en place144. En conséquence, en tirant les leçons des échecs du passé, le concept de prévention semble s'imposer aujourd'hui comme l'une des notions centrales du discours politique international, dans un monde toujours traversé par de multiples menaces (conflits interétatiques, conflits intra-étatiques, terrorismes, génocides, insécurité humaine, crises humanitaires, etc.). Si, pendant longtemps, ce sont les notions de « réaction » ou de « gestion » qui semblaient définir la posture politique et analytique la plus « appropriée » en matière de crises politiques et humanitaires, il est devenu aujourd'hui plus « commode » de se référer à la notion de « prévention145 » et de lui accorder une importance primordiale146.

Afin de mieux appréhender la volonté de prévenir les conflits en Afrique, nous passerons en revue, les mécanismes pertinents de prévention (Section 1). Ensuite, nous relèverons les différentes faiblesses qui entravent l'efficacité de ces mécanismes (Section 2).

Section 1 : Les mécanismes pertinents de prévention

La CIISE rappelle que la prévention efficace suppose la réunion de trois conditions essentielles à savoir l'outillage préventif, l'alerte rapide, et avant tout, la

144 D'après la Commission Carnegie pour la prévention des conflits meurtriers, la communauté internationale a consacré dans les années 90 près de 200 milliards de dollars à la gestion des conflits dans le cadre de sept interventions majeures (Bosnie-Herzégovine, Somalie, Rwanda, Haïti, golfe Persique, Cambodge et El Salvador), mais aurait pu économiser 130 milliards de dollars si elle avait opté pour une approche préventive plus efficace.

145 Fondamentalement, les efforts de prévention visent bien évidemment à réduire, sinon éliminer complètement, la nécessité d'une intervention. Cela étant, même lorsque ces efforts ne permettent pas d'empêcher un conflit ou une catastrophe, ils constituent une condition préalable nécessaire à une réaction efficace.

146 La Commission préconise une ferme volonté de prévention dans les Etats, et celle-ci doit se manifester tant au niveau des causes profondes (lointaines) que directes (immédiates) des crises humanitaires. De plus, elle plaide pour un mécanisme d'alerte rapide comme moyen d'information en vue toujours de prévenir la survenance d'un péril imminent.

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volonté politique. Elle précise également que « Par delà les détails concrets, ce qu'il faut de la part de la communauté internationale, c'est un changement fondamental d'état d'esprit, un passage d'une «culture de la réaction» à une «culture de la prévention"»147. Les moyens de prévention des conflits se sont énormément diversifiés ces dernières décennies au plan international (Paragraphe 1) de même qu'au plan régional africain (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La diversité des moyens de prévention au plan international

Dans son rapport sur la prévention des conflits armés148, le Secrétaire général Kofi Annan établit une distinction entre la prévention immédiate, à laquelle on a recours lorsque la violence paraît imminente et qui, dans une large mesure, relève de la diplomatie, et la prévention structurelle, qui suppose qu'on s'attaque aux causes profondes des conflits armés potentiels. C'est traditionnellement par la diplomatie préventive que l'ONU aborde directement le problème de la prévention immédiate et c'est pourquoi les efforts sont actuellement centrés sur le moyen de progresser dans la mise en oeuvre d'une stratégie de prévention structurelle, qui traiterait les causes politiques, sociales, culturelles, économiques, environnementales et autres causes structurelles qui sont souvent à la base des symptômes immédiats de conflits armés. Cette approche peut être judicieuse en cas de menaces à la paix et à la sécurité telle que le terrorisme. Une telle analyse permet de distinguer les moyens politico-diplomatiques (A) de prévention des moyens d'ordre économique, judiciaire et militaire (B).

A- Les moyens politico-diplomatiques

Les mesures de prévention directe d'ordre politico-diplomatique comportent notamment l'intervention directe du Secrétaire Général149 de l'ONU, ainsi que les

147 CIISE, La responsabilité de protéger, §3.42, p. 30.

148 Rapport SGNU, A/55/985-S/2001/574 et Corr.1, 12 octobre 2003.

149 Le mandat concernant la prévention des conflits trouve son origine dans l'Article 99 de la Charte aux termes duquel le Secrétaire général peut attirer l'attention du Conseil de sécurité sur toute affaire qui, à son avis, pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationales. L'efficacité des bons offices dépend souvent de la marge de manoeuvre dont dispose le Secrétaire général.

Le Département des affaires politiques est le principal outil opérationnel qui permet au Secrétaire général d'exercer ses bons offices.

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missions d'établissement des faits150, les efforts des commissions de personnalités éminentes, le dialogue et la médiation par le biais des bons offices151, les appels internationaux et les ateliers de dialogue et de résolution des problèmes dans le cadre d'une seconde filière non officielle.

Dans son rapport du 26 août 2011 intitulé Les fruits de la diplomatie préventive152, le Secrétaire général Ban Ki-Moon met l'accent sur l'action diplomatique adoptée pour prévenir ou atténuer la multiplication des conflits armés. Il y énumère plusieurs outils et instruments à savoir : les bons offices du Secrétaire général, les envoyés des Nations unies153, les bureaux régionaux, les missions politiques résidentes (telle que le Bureau intégré des Nations Unies pour la

150 Par la résolution 2127 (2013), adoptée à l'unanimité de ses 15 membres, le Conseil de sécurité décide de créer rapidement une commission d'enquête internationale, pour une période initiale d'un an, chargée d'enquêter sur les violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme qui auraient été perpétrées en République centrafricaine « par quelque partie que ce soit » depuis le 1er janvier 2013.

151 Les bons-offices et la médiation ont été codifiés par le Titre II de la Convention de la Haye du 18 octobre 1907 pour le règlement pacifique des conflits internationaux (art. 2 à 8). Ces dispositions indiquent dans quelles circonstances les parties en conflit ont recours aux bons-offices et à la médiation, l'objet des bons-offices et de la médiation, le rôle du médiateur, ainsi que les modalités de leur organisation. Il ressort de l'article 4, par exemple, que « Le rôle du médiateur consiste à concilier les prétentions opposées et à apaiser les ressentiments qui peuvent s?être produits entre les Etats en conflit ».

152 Rapport du Secrétaire général, S/2011/552, 26 août 2011, paragraphes 16 et suivants.

153 Immédiatement après le début de la crise libyenne, le 17 février 2011, Ban Ki-Moon, Secrétaire général de l'ONU à l'époque, nomma comme envoyé spécial en Libye le diplomate jordanien Abdelelah Al-khatib. Al-khatib devait servir de médiateur entre le Conseil National de Transition (CNT), les dirigeants politiques de la révolution et le régime de Kadhafi pour mener à une résolution du conflit.

Le 26 avril 2011, à peine quelques semaines après avoir fait d'al-Khatib son représentant spécial, Ban ki-Moon nomma alors le militant des droits de l'homme britannique, Ian Martin, conseiller spécial sur la Libye, avec pour mission de commencer la planification post-conflit, en collaboration avec al-Khatib. Plusieurs semaines plus tard, Martin arriva à Tripoli et assuma la charge d'installer la Mission de soutien de l'ONU en Libye (UNSMIL). Martin sera remplacé en octobre 2012 par Tarek Mitri, un universitaire libanais fort d'une expérience gouvernementale de niveau ministériel et, surtout, qui maîtrisait l'arabe. Début 2014, Mitri essaya de négocier un accord inclusif de partage du pouvoir, associant toutes les forces politiques principales du pays; mais son idée n'obtint pas le soutien escompté de certains acteurs clés.

Le rôle de l'UNSMIL avait désormais radicalement changé. Il ne s'agissait plus d'aider la transition vers la démocratie et de mettre en place de nouvelles institutions publiques mais d'oeuvrer au rétablissement de la paix et à la résolution des conflits. Cela mena à nouveau à un changement : Mitri fut remplacé par Bernardino León, diplomate espagnol bien ancré dans le paysage politique.

León prit le relais en août 2014 et s'attela tout de suite à lancer un nouveau processus inclusif de dialogue politique. Dès début septembre de nouvelles négociations furent entamées dans la ville libyenne de Ghadames, à la frontière algéro-libyenne. Le nouveau processus fut très mouvementé, et plusieurs processus parallèles se déroulèrent dans divers pays arabes et européens.

Ce processus culmina avec la signature de l'accord de Skhirat, au Maroc, le 17 décembre 2015. Cependant, León qui démmisionna démissionna deux mois plus tôt sera remplacé par Martin Kobler, diplomate allemand, nommé fin octobre 2015. Ce dernier sera remplacé en juin 2017 par le nouvel envoyé spécial des Nations unies, le Libanais Ghassan Salamé, un intellectuel réputé et un diplomate chevronné.

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consolidation de la paix en République centrafricaine (BINUCA), les missions d'établissement des faits et d'enquête154, etc.

La diplomatie préventive s'est rapidement développée et a évolué, mais elle n'est ni aisée, ni simple, ni forcément toujours couronnée de succès. Elle continue de buter sur de grands obstacles et aléas, les chances de succès étant souvent tributaires de multiples facteurs, dont l'un des plus importants a trait à la volonté des parties. Si les parties ne veulent pas la paix ou ne sont pas disposées à faire des concessions, il est extrêmement difficile, en particulier pour des intervenants externes, de les persuader de changer d'avis. Ici, le lien entre la diplomatie préventive et le pouvoir de mettre en action des mécanismes incitatifs et des facteurs dissuasifs peut être capital pour convaincre les principaux acteurs, en respectant pleinement leur souveraineté, qu'ils ont intérêt à opter pour le dialogue et contre la violence et, si nécessaire, d'accepter une aide extérieure à cet effet.

Cependant, dans les situations de crise interne en particulier, on peut craindre les ingérences indues ou les « internationalisations » non souhaitées des affaires intérieures du pays. Faute de possibilité d'intervention, la communauté internationale peut se retrouver impuissante devant une situation qui manifestement se détériore et où les pertes en vies humaines s'accumulent alors que c'est paradoxalement à ce stade qu'un espace pour l'action politique peut parfois s'ouvrir et lorsqu'une menace particulièrement grave ou imminente plane sur la paix et la sécurité internationales, l'action diplomatique peut ne pas être efficace et nécessiter d'autres formes complémentaires de pression, y compris, si nécessaire, des mesures coercitives155.

Toutefois, des mesures peuvent être prises pour maximiser les chances de succès de la diplomatie. Les éléments clefs qui, au vu de l'expérience de l'ONU et d'un bon nombre de ses partenaires, se sont révélés essentiels à cet égard sont décrits

154 L'ONU a mis en place un certains nombre de commissions d'enquêtes dans le cadre de plusieurs crises en Afrique ; en Libye et en RCA notamment : cas de la Commission d'enquête internationale chargée d'examiner les allégations de violation du droit international humanitaire et des droits de l'homme en Libye, établie en février 2011 par le Conseil des droits de l'homme (ONU) ; et de la Commission internationale d'enquête sur les violations des droits de l'homme commises en République centrafricaine, établie en janvier 2014.

155 En cas d'échec de ces mesures, la prévention directe d'ordre politico-diplomatique peut aller jusqu'à la menace ou l'imposition des sanctions politiques, l'isolement diplomatique, la suspension de la participation aux travaux de certaines organisations, les restrictions frappant les avoirs de certaines personnes, l'opprobre jeté sur des personnes ou des instances désignées nommément, ou des mesures de même type. Rapport CIISE, La responsabilité de protéger, p. 27, paragraphe 3 § 26.

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dans le rapport du Secrétaire général156. Il s'agit de : l'alerte précoce, la flexibilité des actions de diplomatie préventive, la création de partenariats avec les organisations régionales et sous-régionales, la durabilité des actions de diplomatie préventive, l'évaluation de l'efficacité des actions de diplomatie préventive, et la disponibilité des ressources humaines de qualité.

Aussi bien en Libye, en Centrafrique qu'au Mali, l'ONU a dans un premier temps essayé d'établir le contact avec les parties au conflit par le biais notamment des envoyés spéciaux, des représentants résidant nommés par le Secrétaire général en vue de mener les négociations devant faciliter le retour de la paix. Dans chacun de ces cas, l'action diplomatique de l'ONU a connu différentes facettes.

B- Les moyens économique, judiciaire et militaire

Les mesures de prévention directe d'ordre économique peuvent comporter des incitations aussi bien positives que négatives. Parmi les incitations positives, on peut citer la promesse de financements ou d'investissements nouveaux ou de conditions commerciales plus favorables. Une distinction s'impose ici entre, d'une part, les programmes ordinaires d'aide au développement et d'assistance humanitaire et, d'autre part, les programmes mis en oeuvre à titre préventif ou pour consolider la paix et éviter que des problèmes n'entraînent la reprise d'un conflit violent. Il faut s'attacher tout particulièrement à faire en sorte que cette assistance contribue à prévenir ou atténuer les sources de conflit au lieu de les exacerber. Les efforts de prévention directe d'ordre économique peuvent aussi avoir un caractère plus coercitif et prendre la forme, notamment, de menaces de sanctions commerciales et financières, d'un retrait des investissements, de menaces de retrait du soutien du Fonds monétaire international ou de la Banque mondiale, et d'une annulation de l'aide et d'autres formes d'assistance157.

Nous avons aussi une palette de mesures de prévention directe d'ordre juridique. Parmi lesquelles, on cite les offres de médiation et d'arbitrage, voire de règlement, et le déploiement d'observateurs chargés de surveiller le respect des normes relatives aux droits de l'homme et d'aider à rassurer les communautés ou groupes qui s'estiment en danger. Par ailleurs, la menace d'adoption ou d'application effective de sanctions

156 Rapport du SGNU, La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger, paragraphes 43 et suivants.

157 Rapport CIISE, La responsabilité de protéger, p. 27, paragraphe 3 § 27.

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juridiques internationales est devenue un nouvel élément important de la panoplie des outils de la prévention. La création des tribunaux pénaux et spéciaux internationaux comme ceux de l'ex-Yougoslavie158, du Rwanda159, de la Sierra Leone160, du Timor Orientale, du Liban ainsi que la mise en place effective de la Cour pénale internationale constituent de précieux moyens de dissuasion161 et de prévention d'autres crimes relevant de la responsabilité de protéger surtout dans les pays post-conflit.

Concernant les mesures de prévention directe d'ordre militaire, la Commission note qu'elles sont plus limitées, mais il importe néanmoins de les mentionner. Elles peuvent prendre la forme d'opérations de reconnaissance à distance, et en particulier, d'un déploiement préventif consensuel, dont l'exemple le plus évident, et le plus réussi à ce jour, est celui de la force de déploiement préventif des nations unies en Macédoine (FORDEPRENUE). Dans les cas extrêmes, la prévention peut aller jusqu'à la menace de l'emploi de la force162.

La Commission précise également que le passage d'une prévention à caractère incitatif à des mesures plus intrusives et contraignantes doit être fait avec tout le sérieux possible, parce qu'il a des implications majeures.

La prévention des conflits doit être intégrée aux politiques, à la planification et aux programmes, aux échelons national, régional et international. Et, la communauté internationale doit consacrer plus d'énergie, plus de ressources, plus de compétences et plus de détermination à la prévention.Une intervention militaire ne doit être envisagée que lorsque la prévention échoue, et le meilleur moyen d'éviter l'intervention est donc de faire en sorte qu'elle n'échoue pas. Le plus important au delà des détails concrets est qu'il faut de la part de la communauté internationale un changement fondamental d'état d'esprit.

A l'instar de l'ONU, d'autres organisations internationales notamment africaines sont également dotées de systèmes de prévention des conflits.

158 TPIY créé par la Rés. 827 du Conseil de sécurité du 25 mai 1993.

159 TPIR créé par la Rés. 955 du Conseil de sécurité du 8 novembre 1994.

160 TSSL créé par la Rés. 1315 du Conseil de sécurité du 14 août 2000.

161 Rapport CIISE, La responsabilité de protéger, p. 28.

162 Rapport CIISE, La responsabilité de protéger, p. 28, par. 3 § 32.

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Paragraphe 2 : L'existence de moyens de prévention au plan régional africain

L'Afrique, à l'instar d'autres régions du monde dispose également de moyens de prévention des conflits aussi bien dans le cadre de l'Union africaine (A), qu'au sein de certaines organisations sous-régionales (B).

A- Dans le cadre de l'Union africaine

Il ne fait aucun doute qu'au cours du demi-siècle écoulé, le continent a accompli des progrès significatifs en matière de paix et de sécurité. Sur le plan institutionnel, l'OUA et l'UA ont mis en place des structures qui ont permis de renforcer la capacité du continent à prévenir les crises et les conflits et à les gérer ou les régler lorsqu'ils surviennent. Notablement, les initiatives prises au niveau de l'OUA ont abouti à l'adoption, en juin 1993, de la Déclaration du Caire portant création du Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits. Subséquemment, ce Mécanisme a, dans le cadre de la transition de l'OUA à l'UA, donné naissance au Protocole relatif à la création du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS), qui a été adopté à Durban, en juillet 2002, et entré en vigueur en décembre

2003. Des étapes importantes ont été franchies
dans l'opérationnalisationde l'Architecture continentale de paix et de

sécurité163 (APSA) prévue par le Protocole, ainsi qu'en témoignent la mise en place du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS), du Groupe des Sages et, tout récemment, du réseau « PanWise 164», constitué du Groupe des structures similaires au niveau régional et d'autres acteurs actifs dans la prévention des conflits et la médiation. Afin de s'acquitter de sa mission, l'APSA, à travers le CPS, peut mettre en oeuvre aussi bien

163 L'Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA) est le dispositif de maintien de la paix et de la sécurité en Afrique, mis en place sous l'égide de l'Union africaine. Le principal pilier institutionnel de l'APSA est le Conseil de paix et de sécurité, qui est appuyé dans l'accomplissement de sa mission par trois autres piliers, en l'occurrence, le Groupe des sages, le Système continental d'alerte rapide (SCAR), la Force africaine en attente (FAA) et le Fonds spécial pour la paix (FSP). Ses objectifs sont, entre autres, la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité, l'anticipation et la prévention des conflits sur le continent, le rétablissement et la consolidation de la paix, la reconstruction post-conflit, ainsi que la promotion de la démocratie, de la bonne gouvernance, de l'Etat de droit et des droits fondamentaux de la personne humaine. Pour une vue d'ensemble sur l'APSA, voir Matthieu FAU-NOUGARET et Luc Marius IBRIGA (dir.), L?Architecturede paix et de sécurité en Afrique. Bilan et perspectives, Paris, L'Harmattan, 312 p.

164Pan-African Network of the Wise (Réseau panafricain des sages), créé en 2013 est un réseau de coordination des acteurs non gouvernementaux dans le domaine de la médiation. Il a pour but de promouvoir une approche plus concertée et plus inclusive de la diplomatie préventive, de la médiation et de la résolution des conflits dans le contexte de l'architecture africaine de la paix et de sécurité.

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des procédures de règlement pacifique des conflits que des mesures militaires de règlement des conflits. Les procédures de règlement pacifique, qui nous intéressent ici, comprennent, notamment, l'alerte rapide et la diplomatie préventive, les bons-offices, la médiation, la conciliation et l'enquête, qui sont expressément visés par l'article 6, alinéa 1, b) et c) du Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité. A cet effet, le CPS dispose de larges pouvoirs et peut, en vertu de l'article 8, § 5, mettre en place des comités ad hoc de médiation, de conciliation et d'enquête. Toutefois, aussi bien l'Acte constitutif de l'Union africaine que le Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité autorise divers organes à initier des activités de médiation. Ainsi, la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement, en tant qu'organe suprême de l'Union, peut donner mandat à un ou plusieurs de ses membres pour engager des missions de médiation dans un conflit donné. Le Président en exercice de la Conférence peut également, de son propre chef, ou sur mandat de celle-ci, entreprendre des activités de médiation. De même, le Président de la Commission de l'Union africaine, en tant que premier fonctionnaire de l'Union, peut, de son propre chef ou sur mandat de la Conférence ou du CPS, entreprendre, de lui-même ou à travers ses Envoyés ou Représentants spéciaux, des activités de médiation165. Ainsi, la médiation occupe une bonne place dans la nouvelle Architecture africaine de paix et de sécurité. Grâce au dialogue qu'elle engendre, la médiation permet d'analyser les causes profondes des conflits, d'appréhender leurs dimensions multiformes et de prendre en considération les préoccupations et attentes de toutes les parties. De ce fait, elle peut se révéler particulièrement utile avant l'éclatement d'un conflit, après la naissance de celui-ci et même après son apaisement lorsqu'il s'agira de reconstruire la paix166. A la suite de l'OUA, l'Union africaine a développé et systématisé la pratique des médiations comme moyen de règlement pacifique des conflits interétatiques ou

165 Il ressort de l'article 10, § 2, c) du Protocole relatif au Conseil de paix et de sécurité que le Président de la Commission « peut, de sa propre initiative ou à la demande du CPS, user de ses bons-offices, soit personnellement, soit par l'intermédiaire d'Envoyés spéciaux, de Représentants spéciaux, du Groupe des sages ou des Mécanismes régionaux, pour prévenir les conflits potentiels, régler les conflits en cours et promouvoir les initiatives et efforts de consolidation de la paix et de reconstruction post-conflits ».

166 Avant l'éclatement du conflit, la médiation peut apparaître comme un outil de prévention, dans la mesure où elle permet de traiter de façon précoce les facteurs « confligènes » et d'éviter l'escalade de la violence, en donnant l'occasion aux belligérants de trouver un terrain d'entente aux problèmes qui les opposent. Après la naissance du conflit, la médiation peut apparaître comme un instrument efficace d'apaisement ou de règlement de celui-ci, permettant de parvenir à un arrêt des hostilités et des violences, officialisé par un accord de cessez-le-feu. Voir VETTOVAGLIA Jean-Pierre, « Introduction » à l'ouvrage sur Médiation et Facilitation dans l'espace francophone : théorie et pratique, op. cit., pp. 2, 3.

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intra-étatiques, avec des succès variables. Depuis sa mise en place en 2002, elle a entrepris directement des actions de médiations dans plusieurs crises internes et apporté son soutien à des médiations initiées par les Communautés économiques régionales(CER). Parmi les médiations importantes qu'elle a initiées, on peut mentionner tout particulièrement : la médiation de l'ancien Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, dans la crise postélectorale de 2008 au Kenya167, celle du Panel de haut niveau dans la crise postélectorale en Côte d'Ivoire en 2011168, la médiation du Panel de haut niveau dans la crise libyenne de 2011169.

Si ces actions sont une source de légitime fierté, elles ne cachent pas moins les graves défis qu'il reste à relever dans le domaine de la paix et de la sécurité. De fait, l'Afrique reste confrontée à la persistance de conflits, de l'insécurité et de l'instabilité dans différentes régions du continent, avec les conséquences humanitaires et socio-économiques qui en découlent. De nouvelles crises comme celles du Mali et de la République centrafricaine (RCA), ont éclaté, cependant que d'autres, telles que le conflit du Sahara occidental, le différend entre l'Ethiopie et l'Erythrée et celui entre ce dernier pays et Djibouti, ont jusqu'ici tenu en échec toutes les tentatives de recherche d'une solution. Par ailleurs, les progrès accomplis en termes de règlement des conflits demeurent particulièrement fragiles, susceptibles qu'ils sont d'être à tout moment

167 Suite à la crise postélectorale qui avait frappé le Kenya après la contestation des résultats du scrutin présidentiel du 27 décembre 2007, l'ancien Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, avait, sous mandat de l'Union africaine, conduit une médiation réussie entre les protagonistes, le Président Mwai Kibaki et l'opposant Raila Odinga à travers la signature d'un accord politique de partage de pouvoir entre les deux protagonistes. Cet accord de paix a également permis le retour à la paix et des réformes constitutionnelles au Kenya.

168 A la suite de la crise postélectorale déclenchée par la proclamation des résultats du second tour de l'élection présidentielle du 20 novembre 2010 en Côte d'Ivoire, et face à l'incapacité de la CEDEAO d'y trouver une issue pacifique, l'Union africaine a successivement désigné le Président sud-africain Thabo M'Beki, le Premier Ministre Kényan Raila Odinga et le Président de la Commission Jean Ping, pour assurer la médiation entre les parties ivoiriennes. Devant l'échec de ces médiations, elle a mis en place un Panel de haut niveau composé de cinq Chefs d'Etat (le Président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, le Président tchadien Idriss Deby Itno, le Président tanzanien Jakaya Kikwete, le Président sud-africain Jacob Zuma et le Président burkinabè Blaise Compaoré), du Président de la Commission de l'Union, Jean Ping, et du Président de la Commission de la CEDEAO James Victor Gbeho. Voir Communiqué du CPS n° PSC/AHG/COMM(CCLIX) du 28 janvier 2011.

169 Face à la crise libyenne déclenchée en février 2011, à la suite de la répression sanglante par le régime de Mouammar El Kaddhafi des mouvements de contestation, l'Union africaine a mis en place un panel de haut niveau composé de cinq Chefs d'Etat (Mohamed Ould Abdel Aziz de la Mauritanie, Amani Toumani Touré du Mali, Jacob Zuma d'Afrique du Sud, Yoweri Museveni d'Ouganda et Denis Sassou N'Guesso du Congo) pour engager une médiation entre le gouvernement libyen et les représentants du Conseil national de la Transition. Ce Comité de haut niveau a proposé, à l'issue de sa première rencontre tenue le 19 février 2011 à Nouakchott, une feuille de route en cinq points incluant : un cessez-le-feu immédiat ; la protection des civils ; l'aide humanitaire ; le déploiement d'un mécanisme international de surveillance et un dialogue politique inclusif pour répondre aux aspirations du peuple libyen. Cependant, cette feuille de route, acceptée par le colonel Kaddhafi, a été rejetée par le CNT. Voir Communiqué du CPS n° PSC/PR/COMM.2(CCLXV) du 10 mars 2011.

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remis en cause, que ce soit au Mali, dans les Grands Lacs, en Somalie, au Darfour, ou dans les relations entre le Soudan et le Soudan du Sud. Ces situations requièrent une attention de tous les instants et un engagement continu.

B- Les divers systèmes de prévention sous-régionaux

L'Union africaine est composée de huit (08) Communautés Economiques Régionales170 (CER , considérées comme des acteurs clés travaillant avec l'Union pour garantir la paix et la stabilité dans leurs régions respectives. Les CER dans le but de rendre efficace la prévention des conflits dans leurs régions se sont dotées de mécanismes de prévention bien organisés en théorie, mais d'une efficacité parfois douteuse en pratique. Dans le souci d'être succinct, nous n'étudierons que les mécanismes de prévention de certaines de ces organisations sous-régionales ; notamment la CEDEAO, la CEEAC et l'UMA.

La décennie 1990 a été particulièrement décisive pour l'évolution de la CEDEAO vers une organisation capable d'interventions diplomatiques mais aussi militaires en cas de menaces graves à la sécurité d'un Etat membre et de l'espace communautaire dans son ensemble. La CEDEAO à travers l'ECOMOG171 a ainsi joué un rôle clé dans la résolution laborieuse des guerres civiles longues et dévastatrices au Libéria (1990-1997 et 2003-2007) et en Sierra Leone (1991-2002). Cependant, c'est en janvier 2008 que la CEDEAO adoptera un Cadre de prévention des conflits. Ce cadre est composé entre autres, de deux mécanismes essentiels. Il s'agit : de l'alerte précoce (organisée par le Département d'alerte précoce, le Réseau d'intervention ECOWARN172, les Bureaux zonaux d'alerte précoce) et de la diplomatie préventive (avec pour acteurs principaux : les Bureaux du Représentant et des envoyés spéciaux du Président de la CEDEAO, le Conseil des Sages, le Conseil de médiation et de sécurité, le Président de la Commission). La CEDEAO a initié de nombreux processus

170 Le Marché Commun pour l'Afrique de l'Est et l'Afrique Australe (COMESA), la Communauté de l'Afrique de l'EST (CAE), la Communauté de Développement de l'Afrique Australe (SADC), l'Autorité Intergouvernementale pour le Développement (IGAD), la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), la Communauté Économique des États de l'Afrique Centrale (CEEAC), l'Union du Maghreb Arabe (UMA) et la Communauté des États Sahélo sahariens (CEN-SAD).

171 ECOWAS Monitoring Group,

172ECOWAS Early Warning and Response Network, (Mécanisme d'alerte précoce et de réponse urgente aux conflits : CEWARN).

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de médiation dans la sous-région ouest africaineavec des succès variables, notamment en Côted'Ivoire, au Togo, en Guinée, en Guinée-Bissau et au Mali173.

Pour ce qui est de la CEEAC, elle dispose également d'un mécanisme de prévention des conflits en Afrique centrale ; il s'agit du COPAX174 (Conseil de paix et de sécurité de l'Afrique centrale) dont le protocole fut adopté le 24 février 2000 et est entré en vigueur en janvier 2004. Visant entre autres à développer et intensifier la coopération sous-régionale en matière de sécurité et de défense, le COPAX dispose de quatre (04) instruments opérationnels : la Commission de défense et de sécurité, le Mécanisme d'alerte rapide de l'Afrique centrale (MARAC)175, la Force multinationale de l'Afrique centrale (FOMAC)176, et la Direction des affaires politiques et diplomatiques (DAPD). Sur la base de ces divers instruments, la CEEAC s'est investie dans la résolution de la crise en Centrafrique (Etat membre) en organisant notamment en janvier 2013 des pourparlers de paix avec le Président congolais Denis Sassou-Nguesso, comme médiateur. Ces pourparlers aboutiront à la signature des Accords de Libreville177 le 11 janvier 2013. Par ailleurs, à la suite de deux sommets extraordinaires178 des chefs d'État et de gouvernement de la CEEAC tenus à N'Djamena, les 3 et 18 avril 2013, Un Comité de suivi présidé par le médiateur et composé d'États membres de la CEEAC et de partenaires internationaux est créé

173 A l'initiative des parties en conflit ou à la demande de la CEDEAO, le Président burkinabè, Blaise Compaoré, a conduit plusieurs médiations en Afrique de l'Ouest, permettant un retour à la paix ou un apaisement des conflits, notamment au Togo, en Côte d'Ivoire, en Guinée et au Mali.

174 Organe opérationnel de la CEEAC, créé le 25 février 2000 à Yaoundé, constitue le principal instrument de la prévention et du règlement des conflits dans la sous-région.

175 Il s'agit d'un système de collecte, à l'échelle de chaque pays membre, de l'information tactique et stratégique sur les risques, les causes et les dynamiques conflictuelles dans la CEEAC. L'information, traitée par le Centre d'observation et de surveillance, alimente en principe une banque de données sur la sous-région et permet de structurer et de mettre en action les capacités intégrées (négociation, résolution des problèmes, médiation, facilitation et assistance technique).

176 C'est le bras armé du COPAX. Elle est une force, non permanente, constituée de contingents nationaux interarmées, de polices et de modules civils, en vue d'accomplir, à titre préventif ou opérationnel, des missions de paix, de sécurité et d'assistance humanitaire. Elle est mobilisée à l'issue de la saisine, soit par un État membre, soit par l'ONU ou l'UA. Son déploiement est géré par les instances politiques de la COPAX (conférence des chefs d'État et de gouvernement qui prend toutes les décisions engageant le COPAX, le conseil des ministres chargé du suivi et de l'exécution des décisions de la conférence et composé des ministres des Affaires étrangères ou des Relations extérieures, de la Défense ou des Forces armées, de l'Intérieur ou de la Sécurité, ou de tout autre ministre commis par son État).

177 Ces Accords recouvrent trois (03) documents : une déclaration de principe sur la résolution de la crise politique et sécuritaire du pays, un Accord de cessez-le-feu et un Accord politique.

178 Sommets au cours desquels les chefs d'État de la Communauté définissent notamment des nouvelles mesures pour la transition en RCA, et recommandent la création d'un Conseil national de transition, qui ferait office de parlement du pays.

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pour garantir l'application des accords, ainsi qu'un Groupe de contact international chargé de mobiliser l'appui de la communauté internationale.

Au Maghreb, l'Union du Maghreb Arabe (UMA) créé le 17 février 1989 par le traité de Marrakech et réunissant cinq Etats (Tunisie, Algérie, Libye, Mauritanie, Maroc) fait de la contribution à la préservation de la paix, l'un de ses objectifs. Mais depuis 1994, cette organisation semble être en sommeil. L'absence d'une réelle implication de sa part dans la crise libyenne, par le biais évidemment d'initiative commune et concrète n'a pas étonné.

Médiation, bons offices, alerte rapide constituent aujourd'hui des outils précieux dans la prévention des conflits en Afrique. Cependant, il y a, dans le domaine de la prévention, autant de succès que d'échecs, en raison de nombreux aléas et risques qui pèsent souvent sur ces différents mécanismes.

Section 2 : Les faiblesses des mécanismes de prévention

Les moyens de prévention présentent dans la pratique certaines limites. On distingue entre autres l'inefficacité du système d'alerte rapide (Paragraphe 1) et l'absence de volonté politique (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L'inefficacité du système d'alerte rapide

L'analyse lacunaire (A) qui est parfois faite des informations collectées et les nombreuses sources d'information (B) existantes constituent souvent les principales faiblesses de ce système.

A- L'analyse lacunaire des informations

Plusieurs possibilités s'offrent à qui tente de décrire voire de définir la notion d'Alerte Précoce. Ainsi Lund179 relie-t-il l'Alerte Précoce au concept de diplomatie préventive qui intègre les efforts pour prévenir ou contenir les conflits, l'idée principale étant qu'il vaut mieux intervenir avant que le conflit n'atteigne un niveau de violence difficilement gérable. Le critère principal dans cette approche préventive est ainsi l'intensité du conflit et la préconisation d'une action dans une phase de conflit de

179 Lund, Preventive Diplomacy and American Foreign Policy: A Guide For the Post-Cold War Era. Bibliothèque du Congrès, 1994.

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faible intensité, à distinguer des mesures à prendre dans un contexte de haut niveau de violence180.

D'autres proposent une approche sensiblement différente et assimilent l'alerte précoce à la notion générale de prévention des conflits, laquelle se réfère à des situations dans lesquels l'incompatibilité des buts poursuivis par des adversaires est contrôlée afin d'éviter le déclenchement des hostilités. Selon cette approche, représentée par Rupesinghe181, le but de l'alerte précoce est la prévention de toute forme de conflit violent. Telle est la perspective qui a notre préférence et l'on présentera à la suite la définition donnée par F.E.W.E.R182 (Forum on Early Warning and Early Response) qui, aujourd'hui, fait consensus : l'alerte précoce est « la collecte systématique et l'analyse de l'information sur des régions en crise et dont la vocation est :

a) d'anticiper le processus d'escalade dans l'intensité du conflit ;

b) de développer des réponses stratégiques à ces crises ;

c) de présenter des options d'action aux acteurs concernés afin de faciliter la prise de décision ».

A ce jour, l'alerte rapide déclenchée en cas de menace de conflit meurtrier relève essentiellement d'une démarche ad hoc et non structurée183. Pour remédier à ce problème, la Commission, emboitant le pas au Groupe d'étude sur les opérations de paix de l'ONU, propose la mise en place d'un système d'alerte rapide qui sera centralisé au siège de l'Organisation, sous le contrôle du secrétariat général. Il sera donc créé un service, composé d'un petit nombre d'experts formés à la prévention des conflits, relevant du secrétariat général, qui va centraliser et traiter les données venant de

180 Une telle description tend à montrer que les notions de diplomatie préventive et d'Alerte Précoce ne visent pas à la prévention de la violence en tant que telle, mais à empêcher le déclenchement d'hostilités sans retour. Le problème est alors de bien distinguer l'Alerte Précoce de la notion de « Conflict Management », de gestion des conflits.

181Kumar Rupesinghe, né en 1943 est un militant des droits de l'homme, de la prévention et de la résolution des conflits. Secrétaire général de l'ONG International Alert (AI) de 1992 à 1998. Ecrivain originaire du Sri-lanka, il est à l'origine de plus de 40 livres et 200 articles dont Ø?Early Warning, Early Response''.

182 Créé en 1997, FEWER est une organisation à but non lucratif mise en place pour répondre au génocide rwandais de 1994.

183 Cette carence a conduit à la création des ONG tel que « International Crisis Group » qui surveillent des régions du monde où des conflits semblent en gestation et informent sur ce qui s'y passe. Elles s'emploient très activement à alerter les gouvernements et les médias si elles estiment qu'une action préventive s'impose d'urgence. Leur action est complétée par les moyens de surveillance et d'établissement de rapports dont disposent des organisations internationales et nationales de défense des droits de l'homme telles qu'Amnesty International, Human Rights Watch et la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme.

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plusieurs sources, et prévenir ainsi des conflits violents susceptibles de provoquer des violations massives des droits de l'homme, voire des génocides184.

La mise en place de ce service requiert une participation active des intervenants régionaux, qui ont une connaissance approfondie de la situation locale. Les conflits en gestation partagent certes un certain nombre de caractéristiques communes, mais chacun d'entre eux possède aussi, sous une forme ou une autre, des traits qui lui sont propres. Les intervenants régionaux sont souvent mieux placés pour comprendre la dynamique locale, encore que cela n'aille pas sans inconvénients, d'autant plus qu'ils ne sont souvent pas indifférents à l'issue d'un conflit meurtrier. La Commission recommande de mettre davantage de ressources au service des initiatives régionales et sous-régionales de prévention des conflits, ainsi que pour favoriser la réaction de capacités propres à améliorer l'efficacité des organisations régionales et sous-régionales dans les domaines du maintien de la paix, de l'imposition de la paix et de l'intervention185.

B- La grande divergence des sources d'information

Bien que l'alerte précoce s'est développée et améliorée, le contexte dans lequel elle s'inscrit a évolué au cours de la dernière décennie. Il y a quelques années encore, l'information sur les situations en gestion dans différentes régions du monde était rare et la difficulté consistait à en obtenir davantage. Aujourd'hui, les choses se sont en quelque sorte inversées, en ce sens que l'information disponible est volumineuse et doit être triée, évaluée et intégrée. Mais la prévision des crises demeure une affaire hasardeuse et la communauté internationale est encore, de temps à autre, prise de court, comme ce fut le cas pour les violences ethniquement ciblées qui ont ravagé le sud du Kirghizistan en juin 2010 ou le déclenchement inattendu de la vague de troubles populaires qui a secoué le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord en 2011.

Il paraît donc important de savoir comment une situation donnée peut être qualifiée comme étant un cas réel pour l'application de la R2P.

Le premier pas est évidemment de recueillir des informations fiables et exactes. Plusieurs acteurs contribuent dans cette phase à la collecte des informations. D'une part, il existe des sources indépendantes comme les organismes de la société civile de

184 Rapport CIISE, La responsabilité de protéger, p. 24, par. 3 § 13. 185Rapport CIISE, La responsabilité de protéger, p. 25.

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l'Etat concerné (ou en dehors), les ONG nationales et internationales et d'autre part, des sources officielles et intergouvernementales des États et des organisations régionales et internationales. Au sein de l'ONU, plusieurs organes ou personnes sont chargés de cette question : le Haut Commissariat aux Droits de l'Homme (HCDH), le Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR), les deux conseillers spéciaux du Secrétaire général pour la prévention du génocide et pour la responsabilité de protéger et, le cas échéant, le représentant ou l'envoyé spécial du Secrétaire général pour une situation spécifique186.

Les informations obtenues sont analysées et permettent d'évaluer et de qualifier la situation sur le terrain. Ces dernières années, l'ONU a essayé d'instaurer un mécanisme d'alerte rapide pour coordonner ces évaluations et avertir les autorités compétentes en cas de situations dangereuses187. De toute façon, ces qualifications constatant les éléments constitutifs des crimes188 constituent une base suffisante pour déclencher la R2P. Donc la qualification explicite d'une situation comme pouvant constituer un tel crime n'est pas nécessaire malgré son importance dans certains cas189.

La question qui se pose en la matière est de savoir quel document invoquer pour justifier l'engagement de la Communauté internationale lorsqu'il existe divers rapports et évaluations parfois contradictoires, venant d'organes et de personnes différentes au sein ou en dehors de l'ONU190 ? Il n'y a pas de réponse définitive. Le défi tient au fait qu'il n'existe pas en droit international d'autorité exclusivement compétente pour faire une évaluation. Pourtant, afin d'éviter tout abus de droit, on peut penser que seules les évaluations officielles de certains organes compétents de l'ONU comme le Secrétaire général et ses deux conseillers spéciaux, le Conseil de sécurité ou le Conseil des droits

186 Pour connaître d'autres organes importants en la matière au sein de l'ONU V. Rap. du SG : Alerte rapide, évaluation et la responsabilité de protéger, Doc. A/64/864, 14 juillet 2010.

187 Cet effort est renforcé surtout par le paragraphe 138 du document de 2005 qui exige la mise en place d'un dispositif d'alerte rapide. Le Secrétaire général propose que si ses deux conseillers spéciaux en la matière, après avoir évalué la situation en tenant compte de toutes les informations fournies au sein de l'Organisation, estiment qu'il y ait un risque de commission des crimes, ils en avertissent, par son intermédiaire, le Conseil de sécurité et d'autres organes compétents. V. son Rap. (Rapport du millénaire du Secrétaire général (SG) : Nous les peuples : le rôle des Nations unies au XXIe siècle, Doc. A/54/2000, 27 mars 2000, p.36), p.8, par.18.

188 Comme par exemple, la torture systématique, prendre délibérément des civils comme cibles, etc.

189 Surtout pour prendre des mesures coercitives. La qualification trop tôt d'une situation comme un crime peut compromettre les efforts diplomatiques déployés afin de résoudre la crise. Au contraire, faire une telle qualification en temps voulu aide à mobiliser la volonté politique requise pour l'action rapide.

190 Le risque est que des situations ne relevant pas de la R2P soient qualifiées comme telles et conduisent donc à une utilisation abusive de cette notion, ou au contraire, qu'on s'abstienne d'agir là où il en est le cas.

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de l'homme doivent être prises en compte pour déclencher une telle responsabilité. Ce qui néanmoins reste critiquable.

Le rapport Brahimi191 recommande à ce sujet, la création d'une unité de gestion de l'information etd'analyse stratégique chargée de satisfaire les besoins du Secrétaire général et desmembres du Conseil exécutif pour la paix et la sécurité en matière d'information etd'analyse. En l'absence d'une unité de ce genre, le Secrétariat restera une institutionà la remorque des événements, incapable de les anticiper, et le Comité exécutif nesera pas en état de remplir le rôle pour lequel il a été créé. En outre, le rapport propose que soit mis sur pied un Secrétariat à l'information età l'analyse stratégique (SIAS) du Comité exécutif pour la paix et la sécurité (CEPS) chargé de créer et de gérer des bases de données intégrées sur les questions relativesà la paix et à la sécurité, d'assurer une diffusion rationnelle de ces données au seindu système des Nations Unies, de produire des analyses axées sur les politiques, deformuler des stratégies à long terme à l'intention du CEPS et de porter les menacesde crises à son attention. Le SIAS pourrait aussi proposer et gérer l'ordre du jour duCEPS, contribuant ainsi à en faire l'organe décisionnel que prévoyaient les réformesinitiales du Secrétaire général192. Une bonne volonté politique est nécessaire pour la réalisation de telles reformes.

Paragraphe 2 : L'absence de volonté politique

Le passage de l'alerte rapide à la réaction rapide ne peut se faire sans une réelle volonté politique des divers acteurs capables d'intervenir dans la crise. Cependant, cette volonté étant encore à bâtir, la réaction rapide (A) et l'impartialité (B) que requièrent les situations de crises font gravement défaut et constituent par là même les faiblesses du système d'alerte rapide.

A- Le manque de réaction rapide

Il faut le reconnaître : les alertes précoces sont abondantes, non seulement dans les services de renseignement mais aussi dans la presse, chez les chercheurs, ou encore parmi les hommes d'affaires. Ce qui manque, ce n'est pas l'alerte mais l'attention, la décision, l'action. C'est ici que les gouvernements ont tendance à passer à côté :

191 Rapport du Groupe d'étude sur les opérations de paix de l'ONU (Rapport Brahimi), Doc. A/55/305-S/2000/809, 21 aout 2000.

192Ibid, Création d'une unité de gestion de l'information et d'analyse stratégique au Siège (par. 65 à 75)

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l'observation est plus facile, l'attente est plus sûre, l'inaction est plus prudente, et soudain, le moment propice à l'action précoce est passé et l'on se trouve en plein milieu d'une crise. L'alerte précoce n'est utile que si elle débouche sur l'action précoce. D'après le rapport Brahimi, les six à 12 semaines qui suivent un cessez-le-feu ou la conclusion d'un accord de paix sont souvent la période la plus critique pour l'instauration d'une paix stable et la crédibilité d'une nouvelle opération. Les occasions perdues durant cette période se représentent rarement. Le Groupe d'étude recommande que l'Organisation des Nations Unies revoie la définition de la « capacité de déploiement rapide et efficace » de façon à entendre par là l'aptitude à déployer pleinement des opérations de maintien de la paix de type classique dans un délai de 30 jours à compter de l'adoption de la résolution du Conseil de sécurité créant une telle opération, ou dans un délai de 90 jours dans le cas d'une opération complexe193.

Par ailleurs, le rapport Brahimi recommande d'élargir le Système de forces et moyens en attente pour y inclure plusieurs forces multinationales homogènes de la taille d'une brigade, dotées des éléments précurseurs nécessaires, qui seraient établies par des États membres en concertation, de façon à pouvoir disposer de forces solides pour le maintien de la paix, comme il l'a préconisé. Il recommande également que le Secrétariat envoie une équipe sur place pour déterminer, préalablement au déploiement, si les États susceptibles de fournir des contingents sont prêts à répondre aux exigences des opérations de maintien de la paix en matière de formation et d'équipement. Les unités qui ne remplissent pas les conditions requises ne doivent pas être déployées.

Pour faciliter un déploiement rapide et efficace, le Groupe d'étude recommande l'établissement, dans le cadre du Système de forces et moyens en attente, d'une liste régulièrement actualisée de personnels sous astreinte une centaine d'officiers expérimentés et parfaitement qualifiés, qui serait soigneusement examinée et approuvée par le Département des opérations de maintien de la paix. Des équipes constituées à partir de cette liste, pouvant être mises à disposition dans les sept jours, seraient chargées de traduire dans des plans d'opérations concrets et tactiques, avant le déploiement des contingents, les concepts stratégiques définis dans leurs grandes

193 Rapport du Groupe d'étude sur les opérations de paix de l'ONU (Rapport Brahimi), op. cit., Normes de déploiement rapide et personnel spécialisé sous astreinte (par. 86 à 91 et 102 à 169).

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lignes au Siège pour les missions et viendraient renforcer un élément de base du Département des opérations de maintien de la paix pour faire partie d'une équipe de démarrage.

Le Groupe d'étude demande également aux États Membres de constituer des réserves nationales renforcées de personnel de police civile et d'experts apparentés désignés à l'avance en vue de leur déploiement pour des opérations de paix des Nations Unies, pour aider à satisfaire les besoins importants en services de personnel de police civile et en spécialistes dans des domaines apparentés (justice pénale /respect de la loi) dans le cas des opérations en rapport avec un conflit interne. Le Groupe d'étude exhorte en outre les États Membres à envisager de mettre en place des programmes et partenariats régionaux conjoints pour former les membres de leurs réserves nationales respectives à la doctrine et aux normes des Nations Unies applicables à la police civile194.

Le Groupe recommande enfin que le Secrétaire général soit autorisé, avec l'approbation du Comité consultatif pour les questions administratives et budgétaires (CCQAB), à engager des dépenses à concurrence de 50 millions de dollars bien avant l'adoption par le Conseil de sécurité d'une résolution établissant une opération nouvelle lorsqu'il est évident que l'opération sera vraisemblablement créée.

B- L'absence d'impartialité

La mise en oeuvre de la Responsabilité de protéger doit faire face à des défis considérables, au premier titre desquels la présence de l'indispensable volonté politique et d'un consensus international. Face aux risques d'instrumentalisation du principe à des fins de politique étrangère, c'est ce dernier qui constitue le gage de légitimité de son application.

En effet, les mesures au titre de la R2P ou de la protection des populations sont décidées et mises en oeuvre par les États : si le consensus au Conseil de sécurité et les courants des opinions publics sont un test pour les « motifs de protection », qui doivent en principe constituer l'objectif premier de l'intervention, les États n'en demeurent pas moins guidés par leurs objectifs propres, politiques par excellence. Ce dilemme

194 Rapport du Groupe d'étude sur les opérations de paix de l'ONU (Rapport Brahimi), Doc. A/55/305-S/2000/809, op. cit., paragraphe 122, p. 24.

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concerne les opérations de paix onusiennes ou menées par des organisations régionales, mais il est d'autant plus prégnant lorsqu'une opération militaire coercitive est en cause. Ainsi, l'opération coordonnée par l'OTAN en Lybie au printemps 2011 semble poursuivre non pas un, mais deux agendas : la protection des civils et la chute du régime. Si le premier relève de la responsabilité de protéger pour laquelle un mandat de l'ONU a été voté, le second relève d'un choix politique de la coalition. Or, ce dernier demeure inavouable dans le cadre de la R2P, parce qu'il remet directement en cause la souveraineté étatique. Le même dilemme avait marqué la campagne de bombardements de l'OTAN au Kosovo en 1999 alors menée sans mandat du Conseil de sécurité : comme l'expliquait Rony Brauman195. Ces logiques concurrentes expliquent en partie pourquoi de nombreuses situations dramatiques pour les civils ne donnent lieu à aucune mesure collective de la part de la Communauté internationale. Non seulement les rapports de force au Conseil de sécurité conditionnent la reconnaissance de l'existence de massacres, d'un génocide ou de crimes contre l'humanité, nonobstant leur réalité objective, mais la situation géopolitique ou géostratégique pèse également lourd sur toute intervention. Ainsi le Conseil de sécurité a-t-il invoqué la R2P dans plusieurs résolutions sur le Darfour en 2006, mais pas lors de l'écrasement des manifestations pacifiques en Birmanie l'année suivante ; de même une opération militaire de protection a-t-elle été lancée dès les débuts de la guerre civile en Libye en mars 2011, tandis que l'idée même d'une intervention en Syrie, à la même période et dans le même contexte des révolutions arabes, demeure hors de question.

Par ailleurs, la volonté politique, comme le rappelle Hugo Slim196, est souvent présentée comme la clé ultime du succès de la lutte contre les génocides et autres atrocités massives : une action militaire est bien souvent susceptible d'engendrer une situation pire, pour les civils, que celle qu'elle est censée éviter. Ainsi des tergiversations sur le Darfour, où les options furent limitées par les risques de voir

195 Le discours « humanitariste » qui semblait guider la guerre contre la Serbie de Milosevic « effaçait les considérations politiques qui en étaient à l'origine. Que les Nations européennes décident, dans le cadre d'une alliance militaire, de mettre un terme à la politique criminelle d'un pays européen, la Serbie, voilà qui [relevait] pourtant d'un programme politique décent » Rony Brauman, Humanitaire : le dilemme, Paris, Textuel, 2007 (nouvelle éd.).

196 Directeur de recherché à l'Institute of Ethics, Law and Armed Conflict de l'Université d'Oxford. Il a conseillé plusieurs sociétés en matière de droit de l'homme et de résolution des conflits dont BP. Auteur de l'ouvrage intitulé Les civils dans la guerre.

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annuler le processus de paix parallèle Nord-Sud, ou de provoquer un embrasement régional. En outre, les prévisions raisonnables de réussite d'une intervention sont trop souvent dominées par des considérations autocentrées de la part de leurs promoteurs : à cet égard, l'intervention militaire en Libye, en dépit de sa légitimité, n'est pas sans faire craindre le glissement d'un scénario « Kosovo » vers un scénario à l'irakienne. Dans ces deux cas, nonobstant la supériorité militaire, c'est le consentement des populations qui fit la différence.

Les quatre cas auxquels la Communauté internationale a voulu limiter la portée de la responsabilité de protéger sont censés en constituer les garde-fous. Or leur qualification, leur reconnaissance qui doit donner lieu à l'action collective est conditionnée par des facteurs éminemment politiques. Le recours à la R2P en Libye, qui en renforce certes la logique dissuasive, ne doit pas faire oublier les nombreuses situations où aucun consensus ne vient secourir les civils. Que ce soit en mode diplomatique ou coercitif, pacifique ou militaire, la responsabilité subsidiaire de la Communauté internationale reste largement tributaire des intérêts des États membres.

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CHAPITRE II : DES INTERVENTIONS CONTROVERSÉES

La responsabilité de protéger est une institution neutre, et un instrument efficace pour résoudre les problèmes de l'heure. Mais sous cette apparence généreuse et désintéressée, le principe est cependant lourd de dangers. L'histoire européenne et occidentale témoigne de conquêtes, des croisades, des génocides, des guerres coloniales, d'exploitation économique et sociale au nom de Dieu, de la civilisation, du développement. Il y a lieu alors de se demander avec Jean-Marie Crouzatier sans être exagérément pessimiste, comment ne pas soupçonner que l'assistance au nom de l'humanitaire repose sur des motifs politiques ou opportunistes ?

Les interventions à des fins de protection humaine ont parfois caché des motifs moins avouables dans l'histoire de l'humanité, encore que la frontière entre l'humanitaire et le politique est assez souvent floue197. Ce point de vue pourrait être justifié au regard des réactions lentes et relativement efficaces (Section 1) face aux crises en Afrique. De plus, la reprise des conflits que les interventions étaient censées régler met le doute sur l'effectivité de la mise en oeuvre de l'obligation de reconstruire (Section 2).

Section 1 : Des réactions lentes et peu efficaces

La responsabilité de réagir de la Communauté internationale n'est engagée que lorsque l'État n'est « manifestement » pas capable d'assumer la responsabilité de protéger ou qu'il commet lui-même l'un des quatre crimes mentionnés. De ce point de vue, la responsabilité de la Communauté internationale n'est que complémentaire par rapport à celle de l'État. Cela pose un problème quant au moment de la réaction internationale, à savoir, quel est le point à partir duquel il devient « manifeste » que l'État ne va pas assumer la responsabilité de protéger ? Une difficulté supplémentaire peut apparaître lorsque la communauté internationale décide de réagir en l'absence d'une demande précise de l'État concerné, car celui-ci peut soutenir que la responsabilité internationale a été engagée trop tôt. D'un autre côté, attendre que l'incapacité de l'État de réagir lui-même devienne « manifeste » peut retarder beaucoup la réaction internationale et causer des pertes supplémentaires en vies humaines qui auraient pu être évitées. Ces difficultés sont apparues en pratique lors de

197BIAD Abdelwahab, Droit international humanitaire, Paris, Ellipses, p. 93.

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la crise au Darfour198. En Afrique la mise en oeuvre de la R2P s'est faite à travers d'une part l'instauration de mesures coercitives dont l'efficacité reste relative (Paragraphe 1). D'autre part, l'on assiste à des interventions militaires problématiques (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La relative efficacité des mesures coercitives autres que la force militaire

L'échec des mesures préventives n'entraine pas automatiquement une intervention militaire, il est important et nécessaire de réagir par des mesures coercitives constitutives des sanctions d'ordre politique, économique et militaire (A), ces mesures ne sont toutefois pas toujours efficaces (B).

A- Les diverses sanctions appliquées

La sanction internationale, mise en place dans le cadre de l'ONU, ne doit pas être confondue avec la définition pénale de la sanction qui existe en droit interne. En effet, les sanctions onusiennes ont essentiellement pour but de manifester publiquement la réprobation de la Communauté Internationale face au comportement gravement illégal d'un Etat. En pratique, les sanctions visent à exercer une pression politique et /ou une contrainte matérielle sur un acteur. Depuis les premières mesures à l'encontre de la Rhodésie du Sud en 1966 puis à l'encontre de l'Afrique du Sud en 1970, le Conseil de sécurité a eu recours à l'outil des sanctions de manière croissante et dans des situations de plus en plus variées : intervention dans un conflit armé, déblocage d'un processus politique, lutte contre la prolifération d'armes de destruction massives ou lutte contre le terrorisme.

Ainsi, les mesures prises par le Conseil de sécurité n'ont pas d'autres ambitions que celle de faire cesser l'acte illicite. La sanction vise simplement à rétablir l'efficacité de la règle de droit bafouée mais il n'y a pas, comme en droit interne, l'idée de réparation ou de pénitence.

Pour donner effet aux décisions du Conseil de sécurité, la Charte met à sa disposition deux types de sanctions. Grâce aux mesures exclusives de l'emploi de la force prévues à l'article 41, le Conseil peut décider la rupture, partielle ou totale, des

198Bellamy Alex J., « Responsibility to Protect or Trojan Horse? The Crisis in Darfur and Humanitarian Intervention After Iraq », Ethics and International Affairs, vol. 19, 2005, pp. 3154.

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relations économiques et diplomatiques ainsi que toutes les communications avec l'Etat visé. L'objectif est d'isoler, économiquement et politiquement l'Etat cible° pour l'amener à cesser son comportement fautif. Dans le cas où ces mesures se révéleraient inadéquates, l'article 42 de la Charte offre alors la possibilité au Conseil de sécurité de recourir à l'emploi de la force. Le Conseil a, dans la quasi-totalité des cas, procédé par gradation dans son utilisation des sanctions. Le recours aux sanctions militaires représente le stade ultime de la contrainte et leur efficacité, bien qu'entachée par la lourdeur de la procédure de décision, n'est pas remise en cause.

Le mécanisme de sanctions exclusives de l'emploi de la force n'a été utilisé qu'à deux reprises199, dans la période 1946-1990, en raison d'une utilisation systématique du droit de veto par les deux grandes puissances, Etats Unis et URSS.

La fin de la guerre froide a amorcé en 1990 un renouveau dans l'activité de l'ONU et les régimes de sanctions se sont multipliés. Cette recrudescence de l'utilisation des mesures coercitives de l'article 41, a débuté avec le régime de sanctions prévu par la Résolution 661 du 6 août 1990 avec pour objectif la libération du Koweït. Ce régime de sanctions subsiste encore aujourd'hui, malgré le retrait des forces irakiennes du Koweït en 1991 et malgré la chute du dictateur Saddam Hussein en 2003, mais avec la suspension de nombreuses mesures, notamment celles relatives à l'embargo généralisé. En parallèle de cette intervention en Irak, le Conseil de sécurité a décidé la mise en place d'environ une quinzaine de régimes de sanctions, dont la plupart en Afrique.

Il s'agit des sanctions qui limitent la capacité de l'Etat visé dans ses interactions avec le monde extérieur sans l'empêcher physiquement d'agir à l'intérieur de ses frontières, et elles ont pour but de persuader les autorités de l'Etat en question d'agir ou de s'abstenir d'agir de telle ou telle autre manière.

199 La première intervention fait suite à la déclaration d'indépendance de gouvernement rhodésien en 1965. Le Conseil de sécurité a rapidement pris une résolution interdisant toutes relations commerciales et financières avec cette colonie anglaise. Le régime de sanction a cependant perduré jusqu'en 1979 malgré la création de l'Etat du Zimbabwe. La deuxième intervention du Conseil de sécurité au titre de l'article 41 a, elle aussi, duré plus de dix ans. La résolution 418 (1977) a imposé un embargo sur les armes à destination de l'Afrique du Sud pour manifester la désapprobation de la Communauté Internationale vis à vis de la politique d'apartheid de cet Etat. La doctrine s'accorde pour reconnaître la contribution des sanctions à l'abolition du régime d'apartheid, bien que d'autres facteurs soient entrés en ligne de compte. Le Conseil a mis fin au régime de sanctions à l'encontre de l'Afrique du Sud en 1994.

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A partir des sanctions énumérées à l'article 41 de la Charte, le Conseil de sécurité a développé, dans la pratique, toute une palette de mesures qui lui permettent d'adapter son intervention en fonction de l'objectif qu'il cherche à atteindre. Dans la pratique, il ne se limite pas à un seul type de sanctions, ils les emploient souvent cumulativement afin de renforcer leur impact sur l'Etat cible.

Sur le plan militaire200 :

Les embargos sur la vente de matériel militaire et de pièces de rechange201 ; L'interruption de la coopération militaire et des programmes d'entrainement.

Sur le plan économique202 :

Les sanctions financières visant les avoirs étrangers d'un pays, d'un mouvement

rebelle ou d'une organisation terroriste, ou d'un dirigeant bien déterminé ;

Les restrictions frappant les activités lucratives touchant par exemple le pétrole, le diamant, le bois, les drogues, étant entendu que ces produits sont souvent la principale motivation des conflits ;

L'interdiction des liaisons aériennes à destination ou à provenance d'un lieu donné.

Sur le plan politico-diplomatique :

Les restrictions touchant la représentation diplomatique notamment l'expulsion du personnel diplomatique ;

Les restrictions sur les déplacements des dirigeants politiques des mouvements rebelles dans le monde ;

200 Lorsqu'il décide la mise en place d'un embargo sur les armes, le Conseil de sécurité ne vise pas à isoler économiquement le pays mais simplement à le priver des moyens de poursuivre son comportement fautif. En effet, la guerre, qu'elle soit entre Etats ou entre différentes factions à l'intérieur d'un Etat, ne peut se poursuivre sans armes.

201Par sa résolution 2127 (2013) sur la situation en République centrafricaine, le Conseil de sécurité décide d'instaurer, pour une période initiale d'un an, un embargo sur les armes pour empêcher la fourniture, la vente ou le transfert à la République centrafricaine d'armements et de matériels connexes de tous types. Il décide de plus de créer un comité des sanctions chargé, en particulier, de veiller au respect, par tous les États Membres, dudit embargo.

202 Les sanctions économiques sont les plus importantes des sanctions imposées à un Etat. Elles sont de deux natures. Il peut s'agir de sanctions commerciales ou de sanctions financières. Elles sont destinées à asphyxier un pays jusqu'à ce qu'il vienne à composition, leur but [est de] le contraindre à se conformer aux décisions substantielles du Conseil, en exerçant sur lui une pression par des atteintes à des intérêts le plus souvent étrangers au domaine de l'obligation violée.

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La suspension de la participation203, l'expulsion ou encore le refus d'admission dans une organisation internationale et l'interruption de la coopération technique ou financière offerte par ces organismes.

Toutes ces mesures sont censées prouver la bonne foi de la Communauté internationale qui s'abstient jusqu'à l'extrême de mener une action militaire, ce qui peut dissiper tout malentendu sur les motifs et les intentions des décideurs au moment du lancement d'une action militaire, mais aussi attirer l'attention de l'Etat concerné sur le risque d'une intervention militaire auquel il s'expose s'il s'entête ou reste réticent à toute intervention extérieure.

Le cas de la Libye est à cet effet très illustratif. En effet, alors que l'idée d'une intervention militaire en Libye était encore en gestation, de nombreuses sanctions d'ordre économique et politique furent prises dès février 2011 contre les responsables libyens pour tenter de mettre un terme aux violences perpétrées par le régime°. Ainsi, le 24 février 2011, la Suisse fût-elle le premier État à décider, de bloquer, avec effet immédiat, tous les éventuels avoirs que le dirigeant libyen et son entourage pourraient détenir dans le pays. Le 28 février 2011, les États-Unis ont indiqué avoir bloqué au moins "30 millions de dollars d'actifs libyens".

L'Union européenne a quant à elle adopté, le 3 mars, une série de sanctions contre la Libye. Elle a notamment décidé de mettre en place un embargo sur les armes et une interdiction d'exporter du matériel susceptible d'être utilisé à des fins de répression interne. Le texte prévoit en outre un gel des avoirs financiers du colonel Kadhafi ainsi que d'une vingtaine de ses proches.

Entre temps, le 26 février 2011, le Conseil de sécurité des Nations unies a saisi la Cour pénale internationale (CPI) sur la situation dans le pays. Plus tard, le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, a annoncé l'ouverture d'une enquête contre Mouammar Kadhafi et plusieurs hauts responsables libyens, suspectés de "crimes contre l'humanité".

L'Assemblée générale des Nations unies a également suspendu le 1er mars 2011 la Libye du Conseil des droits de l'Homme, par un vote à l'unanimité.

203La suspension de la République centrafricaine (le 23 mai 2013) du Processus de Kimberley de certification des diamants au lendemain du putsch du 24 mars 2013; au motif que le diamant aurait servi à financer la rebéllion ayant renversé le régime de François Bozizé.

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Etant donné le caractère non limitatif de l'énumération des mesures prévues par l'article 41 de la Charte, le Conseil de sécurité n'a pas hésité à diversifier les domaines d'intervention des sanctions et à étendre leur champ d'application. Il a aussi prévu la mise en place de comités de sanctions et de groupe d'experts pour contrôler le respect des sanctions. Cette malléabilité a permis la création de régimes de sanctions très variés et spécifiques à chaque situation.

Cependant, à l'heure du bilan, les diplomates et les experts concluent à un résultat mitigé et des doutes se font entendre quant à l'efficacité des régimes de sanctions non coercitives mis en place par le Conseil de sécurité.

B- L'effectivité ambiguë des sanctions

Le mécanisme de sanctions prévu par la Charte des Nations unies offre énormément de possibilités d'interventions au Conseil de sécurité. Car les mesures envisageables sont diverses et variées, elles peuvent s'adapter à tout type de situation. De plus, le Conseil a, dans la pratique, respecté une certaine graduation dans l'emploi des sanctions. Les sanctions peuvent être graduées en fonction de leur champ d'application matériel. Ainsi, les mesures mises en place ont pu être renforcées, au fur et à mesure, face à l'absence de résultats positifs. En effet, l'article 41 prévoit que les mesures peuvent être "totales ou partielles". Le Conseil de sécurité peut recourir aux mesures coercitives de façon graduelle en imposant tout d'abord à l'Etat concerné un embargo sélectif et en augmentant peu à peu la pression sur cet Etat en instaurant un embargo généralisé. Cette progression dans l'usage des sanctions permet au Conseil de sécurité d'assortir ses résolutions d'un «ultimatum», ce qui «favorise le dialogue par l'invocation d'une contrainte encore virtuelle»204.

Cependant, malgré la souplesse et l'adaptabilité des sanctions ainsi que les efforts du Conseil de sécurité pour "calibrer" ces mesures en fonction de chaque situation, le bilan est plutôt mitigé quant à leur efficacité. Il est difficile de déterminer la part de succès attribuable à un régime de sanction lorsque l'objectif de celle-ci a été atteint, étant donné la multitude de facteurs qui peuvent intervenir. Il existe des désaccords dans la doctrine concernant l'efficacité ou non de certains régimes de

204 MEDHI R., « Les Nations Unies et les sanctions, le temps des incertitudes », in MEDHI R. eds. Les Nations Unies et les sanctions: Quelle efficacité?, Huitièmes rencontres internationales d'Aix en Provence (10 et 11 septembre 1999), Pedone, Paris, 2000, page 31.

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sanctions. L'un des arguments qui peut être avancé pour prouver l'inefficacité des sanctions est celui de la prolongation dans le temps de nombreux régimes, avant de pouvoir aboutir à des résultats plus ou moins positifs. Le processus de sanctions coercitives est effectivement long à mettre en place notamment en ce qui concerne les sanctions économiques et militaires et un certain délai peut être nécessaire avant que les sanctions produisent l'effet attendu. Il faut quelques jours voire quelques semaines pour que les produits visés par un embargo commencent à manquer. De plus, à l'annonce d'une future résolution du Conseil de sécurité, les factions armées des pays concernés profitent du temps nécessaire à l'adoption et à la mise en place du régime de sanction, pour établir un stock d'armes. Selon certains experts, des sanctions appliquées trop longtemps sans produire de résultats significatifs perdent leur justification205.

Ce qui nuit surtout à l'efficacité des mesures coercitives et conduit à leur pérennisation est le non respect de ces régimes de sanctions par les Etats membres de l'Organisation soit parce qu'ils ne peuvent pas en assurer le respect, soit parce que le respect de ce régime est contraire à leurs intérêts. Les sanctions prises par le Conseil de sécurité au titre de l'article 41 de la Charte des Nations Unies sont aujourd'hui confrontées à une remise en cause de leur efficacité, c'est-à-dire leur capacité à atteindre l'objectif qui leur est assigné. En effet, la plupart des régimes ont mis plusieurs années avant d'obtenir des résultats plus ou moins positifs. Certains régimes n'ont d'ailleurs pas pu empêcher le recours à la force, n'ayant qu'un impact limité sur la situation. De plus, même lorsque les sanctions parviennent au résultat recherché, il est impossible de déterminer la part de succès imputable aux mesures collectives, étant donné la multitude d'éléments qui participent au règlement de la situation (négociations, présence militaire, menace ou utilisation de sanctions unilatérales).

Mais au-delà de leur capacité à atteindre l'objectif fixé, l'efficacité des sanctions a été sérieusement entamée par les conséquences désastreuses qu'elles ont pu avoir sur les droits de l'homme. En effet, l'une des critiques formulées par la doctrine, d'ailleurs largement reprise par les médias, est la dimension collatérale des

205 Selon Kofi Annan, Si les sanctions peuvent, dans certains cas, apparaître comme des outils performants, certains types de sanctions, notamment les sanctions économiques, sont des instruments grossiers, infligeant souvent de graves souffrances à la population civile, sans toucher les protagonistes°, K. ANNAN dans son rapport de début 1999 sur l'Afrique.

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sanctions à l'encontre de la population de l'Etat cible mais aussi à l'encontre des Etats tiers. Dans le Supplément à l'agenda pour la paix de 1995, le Secrétaire Général des Nations Unies reconnaît que les "sanctions ont toujours des effets non intentionnels ou non souhaités". Il est vrai que les sanctions interviennent la plupart du temps dans des Etats en crise dont la population est déjà gravement touchée par la guerre, la disette ou encore l'absence de soins médicaux. Mais alors que leur but est de rétablir le droit, les sanctions vont aboutir à l'effet inverse de celui recherché et aggraver une situation déjà alarmante. L'exemple extrême de l'Irak repris par de nombreux spécialistes et journalistes n'est malheureusement pas le seul exemple d'effets "pervers" des sanctions.

La question est alors de savoir s'il faut privilégier la réalisation de l'objectif visé par la sanction sur les dommages collatéraux envers la population de l'Etat cible et des pays tiers. L'efficacité des sanctions oui, mais à quel prix ?

Pour atténuer les répercussions humanitaires des mesures économiques, le Conseil de sécurité assortit, tous ses régimes de sanctions "d'exceptions humanitaires". Cependant, celles-ci ne permettent pas de remédier à la gravité de la catastrophe humanitaire qui touche les pays sanctionnés. D'où la réflexion actuelle des auteurs206 mais aussi des experts de l'ONU sur la notion de "sanctions intelligentes" (smart sanctions), des sanctions plus humaines et sans répercussion sur les populations.

Paragraphe 2 : Des interventions militaires problématiques

Lancer une intervention militaire étant une mesure extrême, elle doit être prise dans des conditions et circonstances bien définies. Cependant, dans la pratique, l'on assiste souvent au non respect aussi bien des conditions de l'intervention (A), que des mandats du Conseil de Sécurité (B).

A- Le respect partiel des conditions de l'intervention

Au printemps 2011, l'OTAN a ainsi utilisé la responsabilité de protéger les civils pour justifier une intervention militaire rapide en Libye. Pourtant, il existait

206United Nations, Les Nations Unies Aujourd'hui, United Nations Publications, 2008, 418 p. ; Djacoba Liva Tehindrazanarivelo, Les sanctions des Nations unies et leurs effets secondaires: Assistance aux victimes et voies juridiques de prévention, Graduate Institute Publications, 2014, 526 p. ; Pascal Teixeira, Le Conseil de sécurité à l' aube du XXIe siècle: quelle volonté et quelle capacité a-t-il de maintenir la paix et la sécurité internationales?, Rapports de recherche, United Nations publication, United Nations Institute for Disarmament Research, UNIDIR, 2002, 107 p.

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plusieurs autres alternatives d'intervention et la guerre lancée pouvait déstabiliser la région entière à court et moyen terme. Des médiations politiques ont été rejetées par l'OTAN. La première proposition de sortie de crise a été celle de février 2011 initiée par des pays d'Amérique du Sud : l'Alliance Bolivarienne207 (AB) a offert une médiation pour une résolution pacifique en vue d'empêcher l'attaque des grandes puissances occidentales, car les pays de l'Alliance Bolivarienne estiment être dans la ligne de mire et que leur processus de transformation sociale exige d'abord et avant tout la paix et la souveraineté nationale. Ils ont ainsi suggéré d'envoyer une délégation internationale qui puisse être conduite par l'ex-président des États-Unis Jimmy Carter208 pour commencer un processus de négociation entre le gouvernement et les groupes armés coalisés derrière le Conseil national de transition (CNT). L'Espagne s'est dite intéressée par cette idée qui a été rejetée par Nicolas Sarkozy et David Cameron. Pour sa part, le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle209, a notamment exhorté la France à ne pas rejeter cette offre sans l'examiner.

Second exemple : en mai 2011, Jacob Zuma210, le président sud-africain, a été chargé par l'Union africaine (UA) de négocier un accord de paix et ce pour la deuxième fois, la précédente tentative d'avril 2011 n'ayant pas abouti. Jacob Zuma a réitéré son appel au cessez-le-feu, déplorant que les raids aériens de l'OTAN sapaient les efforts de l'UA. Le cessez-le-feu était le premier point d'une feuille de route qui prévoyait notamment une période de transition, suivie d'élections démocratiques. L'initiative a été acceptée par le régime de Kadhafi mais rejetée par le CNT, l'organe

207Les ministres des Affaires étrangères des pays de l'Alba, l'Alliance bolivarienne des pays de la gauche latino-américaine se sont retrouvés le 4 mars 2011 à Caracas en présence d'Hugo Chavez pour trouver une solution politique à la crise libyenne. Les ministres ont signé un communiqué commun qui appelle à éviter toute intervention militaire. Disponible sur : http://www.rfi.fr/ameriques/20110305-crise-libye-hugo-chavez-met-garde-le-monde-occidental-contre-toute-tentative-mili (consulté le 22 octobre 2017 à 14h 42).

208Homme d'État américain, 39e président des États-Unis en fonctions de 1977 à 1981. Après son départ de la Maison-Blanche, il se pose en médiateur de conflits internationaux et met son prestige au service de causes caritatives. En 2002, il reçoit le prix Nobel de la paix. Il se distingue également en littérature politique, étant l'auteur de nombreux livres. Il est actuellement le plus ancien président américain encore en vie et le deuxième plus âgé après George H. W. Bush.

209(1961-2016), il fut un homme politique allemand membre du Parti libéral-démocrate (FDP). Ministre fédéral des Affaires étrangères d'Allemagne du 28 octobre 2009 au 17 décembre 2013.

210Homme d'État sud-africain, président de la République depuis le 9 mai 2009. Issu de l'ethnie Zoulou, autodidacte, membre de l'aile gauche du Congrès national africain (ANC), il est vice-président de la République d'avril 1999 à juin 2005 et succède à la tête du Congrès national africain (ANC) au président Thabo Mbeki lors du congrès du parti en décembre 2007. Ancien cadre de la lutte anti-apartheid emprisonné durant dix ans à Robben Island, au large du Cap, Jacob Zuma est très populaire auprès des militants de l'ANC. En mai 2008, le Time le classe huitième sur sa liste des cent personnes les plus influentes au monde.

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de direction des rebelles, et les pays dominants de l'OTAN. Lors de cette mission, Jacob Zuma211 a relevé que le fait de « demander la permission de l'OTAN » pour se rendre en Libye « sapait l'intégrité de l'Union africaine ».

Avant que la France et la Grande-Bretagne ne décident de renverser le régime libyen, celui-ci a été pendant plusieurs années un allié de l'Union européenne (UE), notamment dans sa lutte contre l'immigration irrégulière, dite clandestine, venant d'Afrique. La Libye a ainsi participé au contrôle du départ des migrants à partir de son territoire en appui à l'Union européenne.

C'est avec précipitation que le Conseil de Sécurité a adopté la Résolution 1970 du 26 février 2011, quelques jours seulement après le début des événements de Benghazi. En comparaison, de nombreux conflits dans le monde ne suscitent que des réactions très tardives, notamment en République démocratique du Congo. Les observations de l'Inde regrettant le fait « qu'il n'existait pratiquement aucune information crédible sur la situation sur place » n'ont pas été prises en considération. Pourtant, comme ce fut le cas lors de l'intervention en Irak en 2003, toutes les preuves d'exactions massives du régime libyen n'étaient pas réunies et cela ne pouvait donc justifier une intervention. L'intervention a tout de même été lancée, à l'instigation de la France, des États-Unis et de la Grande Bretagne, malgré l'abstention de la Chine, de la Russie, de l'Inde, du Brésil et de l'Allemagne. Au moment de l'intervention et par la suite, personne ne pouvait affirmer, preuves à l'appui, que la paix et la sécurité mondiales étaient menacées. En cautionnant l'intervention militaire étrangère en Libye, l'ONU a contrevenu à l'article 2(7) de sa Charte qui proscrit l'intervention dans les affaires internes d'un pays, sauf si la paix et la sécurité internationales sont menacées.

Les tentatives de médiation politique initiées par de nombreux pays d'Amérique du Sud212 et de l'Union africaine ont été rejetées en bloc par les grandes puissances. Le

211 Dans le cadre de cette mission, un comité composé de cinq chefs d'Etat - Afrique du Sud, Congo, Mali, Ouganda et Mauritanie - a été installé. Ce comité a passé en revue les efforts de médiation devant aider à un règlement de la crise. D'emblée, Jacob Zuma a souligné la «préoccupation» du comité et de l'assemblée de l'UA devant les «bombardements continus de l'OTAN», ajoutant que «la finalité de la résolution 1973 [NDLR : de l'ONU, adoptée le 17 mars] était de protéger le peuple libyen et faciliter les efforts humanitaires».

212M. Carter pourrait faire partie de la mission internationale visant à régler la situation en Libye. C'est un homme de bonne volonté, ce que Fidel Castro a plusieurs fois souligné", a déclaré M. Chavez en mars 2011. Le plan du leader vénézuélien prévoyait d'envoyer en Libye une mission de médiateurs de plusieurs pays d'Amérique latine, d'Europe et de Proche-Orient. Elle sera chargée de négocier une sortie de crise afin

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17 mars, la Résolution 1973 s'ajoute à la Résolution 1970 du 26 février. Leur fondement est le « devoir de protéger les populations civiles », sans que le Conseil de Sécurité ne néglige de rappeler « son ferme attachement à la souveraineté, à l'indépendance » de la Libye. Le but de la Résolution 1973 est de « faire cesser les hostilités » et « toutes les violences » face à l'augmentation des morts civiles dont l'ampleur sera par la suite remise en question, notamment par Amnesty International. Les méthodes recommandées par les deux résolutions pour y parvenir sont de « faciliter le dialogue », de mettre en oeuvre un « embargo sur les armes », de geler « les avoirs du clan Kadhafi et de ses affiliés », tout en instaurant un contrôle de l'espace aérien pour éviter l'intervention de l'aviation libyenne. L'intervention terrestre en est exclue par le Conseil de sécurité. Pourtant, elle a bel et bien débuté avant même le début des frappes aériennes213.

B- Le dépassement des mandats

C'est en 2011 que la responsabilité de protéger devient un instrument à part entière dans les enceintes de l'ONU, à la suite de l'adoption des résolutions 1970 puis 1973 du Conseil de sécurité qui autorisent une intervention de la Communauté internationale en Libye, dans l'objectif de faire face à un manquement manifeste de l'État libyen à protéger sa population.

En effet, les mises en demeure adressées au gouvernement du Colonel Kadhafi par le Conseil de sécurité étant restées sans réponse, le Conseil décide dans sa résolution 1973 de l'application de mesures coercitives sur le territoire. L'intervention de l'OTAN, dans le cadre d'une coalition internationale et sous l'égide de l'ONU est alors critiquée par de nombreux États qui accusent cette dernière de violer les limites de son mandat, la Charte des Nations Unies et la R2P elle-même. Ces États

d'empêcher une intervention militaire étrangère. La France et les Etats-Unis se sont opposés aux propositions du président vénézuélien. Disponible sur: https://fr.sputniknews.com/international/20110305188779319/ (consulté le 22 octobre 2017 à 14h 08 min).

213 Le ministre russe des Affaires étrangères a estimé que l'Otan "dérapait vers une opération terrestre" en Libye, qui serait "déplorable", après la première intervention d'hélicoptères de combat britanniques et français, ont rapporté samedi 4 juin les agences russes.

"Nous avons donné notre vision des actions de l'Otan. Nous considérons que ce qui se déroule, consciemment ou inconsciemment, dérape vers une opération terrestre," a déclaré Sergueï Lavrov, cité par l'agence Interfax.

"Cela serait tout à fait déplorable", a-t-il ajouté, à l'occasion d'une conférence de presse à Odessa, en Ukraine,

après le premier engagement d'hélicoptères de l'Otan. Disponible sur:
http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20110604.OBS4517/libye-l-otan-derape-vers-une-intervention-terrestre.html (consulté le 22 octobre 2017 à 14h02 min.)

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soupçonnent également l'ONU de vouloir provoquer l'avènement d'un changement de régime politique214, et non uniquement de protéger une population civile des crimes de droit international, comme le prévoit normalement la responsabilité de protéger.

Les analystes politiques, de même d'ailleurs que les autres membres du Conseil de sécurité qui avaient approuvé cette résolution, à savoir la Chine et la Russie, n'ont pas manqué après-coup de souligner ou de dénoncer une interprétation extensive de la résolution 1973 qui ne prescrivait ni implicitement, encore moins explicitement, le bombardement des objectifs militaires libyens au sol, le soutien à l'opposition armée (Conseil National de Transition) et au final le renversement du Gouvernement Khadafi dans les conditions tragiques bien connues.

Pour d'autres situations postérieures à la crise libyenne, la responsabilité de protéger a également été invoquée mais à moindre échelle, notamment en raison de la situation actuelle en Libye, dont l'environnement sécuritaire et politique demeurent très fragile. Il en est ainsi pour la crise centrafricaine qui a éclos depuis quelques années, lorsque les groupes armés, de confession musulmane pour la plupart, les Séléka (« l'alliance ») ont chassé le président François Bozizé du pouvoir pour y placer le musulman Michel Djotodia, tandis que la Centrafrique abrite une population majoritairement chrétienne. Cette crise a suscité moins de débats au Conseil que les crises libyennes et syriennes.Si la situation centrafricaine dispose de tous les éléments de faits réunis pour invoquer la responsabilité de protéger, cette dernière a été en réalité peu développée dans les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, ou alors de façon implicite au point de donner l'impression d'un abandon du terme de « responsabilité de protéger ». Toutefois, les idées maitresses de cette doctrine sont bel et bien omniprésentes dans les travaux du Conseil de sécurité concernant la République centrafricaine.

L'application de la responsabilité de protéger en Libye en 2011 a suscité bien des critiques. L'OTAN et ses alliés ont été accusés d'avoir utilisé la force pour « changer le régime » et, ce faisant, d'être allés au-delà du mandat qui visait la prévention de massacres. La polémique s'est instaurée. Arguant qu'il fallait faire

214 Drain Michel, Madinier Jacqueline & Viénot Denis, La responsabilité de protéger, colloque du 26 janvier 2013, faculté des sciences sociales et économiques (FASSE) de l'institut catholique de paris, Justice et paix France & Pax christi À France, Paris, janvier 2015, p. 17.

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preuve de « responsabilité en protégeant », le Brésil a demandé que la responsabilité de protéger soit encadrée. La Russie, soutenue par la Chine, avait de son côté désormais un prétexte pour mettre un frein à une évolution qui lui déplaisait et redonner force au principe de souveraineté. Depuis, ses vetos répétés sur la Syrie ont fait fi des souffrances de la population. La responsabilité de protéger n'est pas pour autant jetée aux oubliettes. Une résolution récente215 du Conseil de sécurité sur le génocide se réfère d'ailleurs au texte du sommet de 2005. Au Soudan du Sud et en République centrafricaine, l'action collective, sans être menée au nom de la responsabilité de protéger, est conforme à son esprit216. Mais si le principe est toujours accepté, soutenu même par une grande majorité d'États, le désaccord sur les modalités est profond. Le débat engagé à l'ONU est pour l'instant infructueux. Derrière les discours, l'interventionnisme occidental, jugé excessif, est sur la sellette. Les opposants à la responsabilité de protéger peuvent s'en réjouir. Le débat est toutefois toujours alimenté par la proposition française d'un renoncement volontaire des membres permanents à l'exercice de leur droit de veto en cas de massacres massifs. Mais la France pourrait faire davantage et marquer plus de disponibilité dans la discussion sur les conditions de l'usage de la force dans ces situations, avec un objectif : parvenir à une application moins contestée d'un principe qui se voulait un progrès de civilisation mais qui reste encore une entreprise inachevée.

Section 2 : Des processus de reconstruction inachevés

La responsabilité de réagir doit ipso facto s'accompagner de la responsabilité de reconstruire, telle est le voeu de la Commission et le troisième palier de la responsabilité de protéger. Il faut donc établir une stratégie post-intervention, afin de mieux consolider et garantir la paix « peace bulding217 » après les conflits et d'assurer une véritable réconciliation et de relancer le développement du pays. L'objectif ici est d'empêcher que ne réapparaissent les facteurs qui ont suscité l'intervention militaire. Pour réussir le pari de la reconstruction la Commission propose de travailler sur trois domaines majeurs sur lesquels les efforts doivent se concentrer, il s'agit de la sécurité,

215 Résolution 2150, adopté à l'unanimité le 16 avril 2014, CSNU, 7155e séance.

216 Le Conseil de sécurité ne mentionne plus explicitement la R2P. Dans de nombreuses résolutions relatives aux crises, par exemple dans le cas du Mali ou de la République centrafricaine, il maintient néanmoins une référence atténuée à la protection des populations civiles, tout en soulignant qu'elle relève en premier lieu de leur Etat.

217 DUPUY P-M., Droit International Public, 9ème édition, Paris, Dalloz, 2008, p. 645.

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de la justice, et du développement218. C'est là un processus dynamique, à l'instar d'une courroie de transmission, au sein duquel les efforts et les investissements engagés dans la reconstruction d'un pays, dans ses dimensions politiques, sécuritaire, économique et sociale sont autant de maillons qu'il s'agit de connecter les uns aux autres afin d'assurer le bon déroulement et le succès de l'ensemble : un maillon manquant ou faible risquant de bloquer le fonctionnement de l'ensemble de manière à mener à l'impasse ou à la rechute. La phase post-intervention (Paragraphe 1) est donc une étape fragile qui s'accompagne de la poursuite pénale (Paragraphe 2) des auteurs des crimes.

Paragraphe 1 : La phase post-intervention

La responsabilité de protéger implique non seulement la responsabilité de prévenir et de réagir mais aussi celle de reconstruire. En conséquence, si une intervention militaire est décidée, il faut qu'il y ait un véritable engagement à contribuer à ramener une paix durable et à promouvoir la bonne gouvernance et un développement durable. La nécessité de se doter d'une stratégie post-intervention est d'une extrême importance lorsqu'une intervention militaire doit être envisagée. L'objectif d'une stratégie post-intervention doit donc être d'aider à empêcher les facteurs qui ont suscité l'intervention militaire de renaître ou simplement de refaire surface. Plusieurs obligations sont inhérentes (A) à la réalisation de la responsabilité de reconstruire. Celle-ci passe également par une bonne politique de désarmement (B).

A- Les obligations inhérentes

Rien ne saurait remplacer une stratégie claire et efficace post-intervention.L'organisation d'un système judiciaire efficace est une condition sine qua non pour compléter le but de l'intervention. En effet, si une force d'intervention a pour mission de protéger les populations contre de nouvelles violations des droits de l'homme mais qu'il n'existe aucun système en état de fonctionnement pour traduire les coupables en justice, non seulement la mission de la force est de ce point de vue irréalisable, mais l'ensemble de l'opération risque de perdre en crédibilité tant sur place qu'au plan international219. Les décideurs internationaux doivent donc veiller à ce que la reforme de la justice, et la dotation à celle-ci de tous moyens humains et matériels

218 Rapport CIISE, La responsabilité de protéger, par. 5, p. 43 et suivants.

219 Rapport CIISE, La responsabilité de protéger, p. 46.

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nécessaires à son bon fonctionnement en vue de poursuivre les coupables des crimes soient effectives. Sinon la réconciliation nationale reste un vain slogan.

Une question connexe liée à la justice et à la réconciliation concerne le retour des réfugiés, des déplacés, et les droits légaux des rapatriés originaires des minorités ethniques ou autres. Ces derniers ne sont pas toujours traités sur le même piédestal que les autres en ce qui concerne la prestation des services de base, l'aide au rapatriement, les pratiques d'embauche et les droits de propriété. De sérieux problèmes se posent lorsqu'ils doivent expulser des occupants temporaires de leurs propriétés, encore que ceux-ci peuvent aussi être réfugiés, ou encore lorsqu'ils veulent recouvrer leurs biens. A cela, il faut ajouter les obstacles bureaucratiques ou administratifs, qui compliquent davantage la situation220. Il faut pour remédier à cela, selon la Commission, supprimer les complications bureaucratiques et administratives sur le retour des uns et des autres, mettre un terme à l'impunité des criminels de guerre connus ou présumés, et adopter des lois non discriminatoires en matière de propriété. Au lieu d'expulser encore, il vaut mieux agrandir notablement le parc immobilier selon des projets bien conçus qui doivent être pris en compte par les donateurs et décideurs internationaux.

Le développement constitue l'épine dorsale de l'indépendance et de la stabilité d'un Etat. C'est pourquoi toute intervention devrait se donner pour finalité, en matière de consolidation de la paix, de promouvoir autant que faire se peut la croissance économique, la renaissance des marchés et le développement durable.Les autorités (internationales) intervenantes sont tenues d'oeuvrer pour le transfert des projets de développement aux acteurs et dirigeants locaux, et de veiller au financement de ces projets. Cette démarche est très importante car si les combattants prennent vite conscience des choix et des possibilités qui s'offrent à eux, et si la communauté a rapidement des preuves concrètes que la vie civile peut effectivement retrouver son cours normal dans des conditions de sécurité, leur réaction sera d'autant plus positive sur la question du désarmement et les questions connexes221. En clair, les intervenants doivent tout mettre en oeuvre pour relancer l'économie de l'Etat concerné. Ils doivent pour cela travailler avec les autorités locales et une coordination des efforts des ONG

220Ibid.

221 Rapport CIISE, La responsabilité de protéger, p. 47.

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qui peuvent apporter une contribution non négligeable en la matière. Il faut pour cela une planification préalable et un financement certain.

Notons que les dispositions du chapitre XII de la charte de l'ONU confortent les propos de la Commission à ce sujet. La disposition pertinente à cet égard est l'article 76, où il est noté que le but du système est de favoriser le progrès politique, économique et social des populations du territoire considéré ; d'encourager le respect des droits de l'homme ; d'assurer l'égalité de traitement dans le domaine social, économique et commercial à tous les peuples ; et d'assurer également l'égalité de traitement dans l'administration de la justice.

Au sujet de l'autodétermination, la Commission précise que fondamentalement, la responsabilité de protéger est un principe conçu pour réagir à des menaces à la vie humaine, et non un instrument servant à réaliser des objectifs politiques tels que l'autonomie politique accrue, l'autodétermination ou l'indépendance de groupes particuliers dans le pays concerné. L'intervention elle-même ne doit pas servir de base à de nouvelles revendications séparatistes222. Néanmoins, la mise en oeuvre de la protection signifie généralement le soutien ou le rétablissement d'une forme ou une autre d'auto-administration et d'autonomie territoriale, ce qui signifie aussi généralement que des élections soient facilitées et éventuellement supervisées, ou tout au moins surveillées, par les autorités intervenantes.

B- La pénible mise en oeuvre du processus Désarmement-Démobilisation-Réinsertion

L'une des fonctions essentielles d'une intervention étant la sécurité de la population, il est essentiel de prévoir cette protection même après le conflit à tous les membres de la population indépendamment de leur appartenance politique ou origine ethnique, car assez souvent les situations post-conflits sont caractérisées par de massacres perpétrés en représailles, voire d'un nettoyage ethnique, parce que les groupes victimes peuvent s'en prendre à ceux qui étaient alliés à leurs anciens oppresseurs comme ce fut le cas au Rwanda223.

222Ibid, p. 48.

223 Lire à ce sujet NKUNZUMWAMI Emmanuel, La Tragédie Rwandaise : Historique et perspectives, Paris, L'Harmattan, 1996.

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La sécurité englobe aussi la question du désarmement, de la démobilisation, et de réinsertion des combattants des différents groupes armés. Il est donc important de prévoir ce programme dès le départ de l'intervention à des fins de protection humaine. La reconstitution de l'armée et de la police nationales doit se faire avec beaucoup de soins, surtout parce qu'elles doivent intégrer des combattants des anciennes forces militaires rivales. Ce processus est important parce qu'il contribue efficacement à la réconciliation nationale. Les donateurs et décideurs internationaux doivent veiller à ce qu'il y ait des fonds suffisants pour former après l'intervention les nouvelles forces de l'armée et de la police, mais aussi des officiers militaires et de police pour servir des formateurs aux forces locales.

Le dernier aspect de la sécurité est lié au désengagement des troupes d'intervention qui doit être planifié préalablement à l'intervention. Le problème est très capital parce que tout désengagement non planifié ou mené dans la précipitation, peut avoir des conséquences désastreuses et peut au bout du compte discréditer les aspects positifs de l'intervention. La place accordée au suivi des interventions n'a pas été la même pour l'opération au Mali et celle en Libye. Les deux pays sont différents et la nature même du problème qui s'est posé impliquait des traitements différents. On constate néanmoins en Libye que, une fois le « succès » militaire passé, le manque de préparation du suivi de l'intervention a abouti à une dégradation importante de la situation224, dans ce pays. L'ensemble de la Communauté internationale se trouve en difficulté225, car les autorités centrales ne gouvernent guère au-delà des environs de la capitale. La situation est telle que les représentants de l'État libyen sont entièrement soumis à des jeux de clans et de milices sur lesquels ils n'ont guère d'influence. Qu'il s'agisse du blocage de certains terminaux pétroliers de l'Est du pays depuis août 2013

224La Jamahiriya est en proie à un véritable chaos entretenu par des chefs de guerre, et autres milices tribales incontrôlables sur fonds d'infiltration criminelle et terroriste. Elle est devenue le repaire des trafiquants de toutes sortes notamment d'êtres humains parmi les nombreux migrants qui y transitent. Elle abrite de nombreuses cellules djihadistes affiliées à DAESH qui profite de la situation pour s'implanter et mener des actions terroristes dans la région et même en Europe.

225Le Président Macron a organisé le 25 juillet 2017 dernier une rencontre à la Celle-Saint-Cloud entre les deux principaux protagonistes de la crise libyenne, le Maréchal Khalifa Haftar, chef de l'Armée Nationale Libyenne (ANL) et le Président Fayez El Serraj à la tête du gouvernement d'Union Nationale reconnu par la Communauté Internationale. Cette réunion tenue en présence de Ghassan Salamé, médiateur de l'ONU pour la Lybie, a débouché sur une déclaration en guise d'engagement notamment le désarmement des milices, la lutte contre le terrorisme, la gestion des flux migratoires et la tenue d'élections démocratiques au printemps. Disponible sur: https://blogs.mediapart.fr/thierry-paul-valette/blog/080917/crise-libyenne-primaute-la-mediation-africaine (consulté le 22 octobre 2017 à 16h15 min).

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ou de l'enlèvement, pour quelques heures, le 10 octobre 2013, d'Ali Zeidan, le Premier ministre libyen, chaque semaine atteste que la tendance n'est pas à la construction de l'État libyen, mais plutôt au délitement de la situation politique et sécuritaire. Le Sud libyen pourrait devenir une zone franche à même d'abriter des camps d'entraînement liés à des réseaux terroristes. Cet état de choses laisse à penser que la décision d'intervenir ait été prise sans anticipation de ce qui pourrait se passer par la suite.

Au Mali, le processus de transition politique a été lié à la feuille de route de l'opération militaire Serval notamment. Peu après la fin de l'opération militaire, les troupes de l'ONU sont entrées en action et un processus s'est enclenché, là où il s'était complètement enlisé en Libye. La Communauté internationale a lancé au Mali des programmes de développement. L'élection présidentielle malienne s'est bien déroulée, les tractations entre les autorités centrales et les groupes du nord du pays se poursuivent et les réflexions sur la forme institutionnelle du Mali progressent vers l'idée d'une relative décentralisation. La situation malienne, comme la situation au Sahel en général, demeure très complexe et très incertaine. L'existence d'une volonté nationale et internationale d'appliquer une approche globale portée avant tout par les maliens ne garantit absolument pas le succès de la transition. Les efforts français et internationaux se heurtent à un problème de leviers pour toucher aux causes profondes de la crise. Les problématiques de développement et de reconstruction de l'État malien sont très complexes, et la communauté internationale ne dispose pas nécessairement d'outils. Les tensions entre le nord et le sud du Mali, les menaces qui pèsent sur l'activité pastorale (structurante dans le modèle économique traditionnel de la zone) ou encore les gains que représentent les multiples trafics (drogues à destination du marché européen, armes en provenance d'Afrique du Nord, produits subventionnés en provenance d'Algérie ou de Libye vendus dans tous les pays frontaliers) sont autant d'obstacles à un règlement des problèmes qui ont mené à la crise au Nord Mali.Par ailleurs, dans un autre contexte, la République centrafricaine continue de connaître son

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cortège d'exactions et l'accumulation des haines entre les diverses composantes de sa population226.

Paragraphe 2 : La brûlante question des poursuites pénales

La création du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, du Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie et du Tribunal Spécial pour la Sierra Leone a profondément modifié l'ordre juridique pénal en mettant fin à l'exclusivité de la compétence étatique pour juger les individus. Ces juridictions jouissent d'une primauté sur les juridictions nationales étatiques pour juger les coupables de crimes contre l'humanité. Un tel bouleversement est important, puisqu'il met en cause l'un des attributs essentiels de l'Etat : la justice. Et si la création consécutive de la Cour Pénale Internationale ne correspond nullement à la mise en place d'un ordre juridictionnel international227, il n'y a pas de doute, en revanche, sur le fait que la justice pénale internationale existe, à travers l'ensemble de ces juridictions ad hoc, spéciales ou permanentes qui la composent à ce jour et qui pourraient être créées demain sur le même modèle. Toutefois, la question de son effectivité reste incertaine (A). C'est pourquoi des perspectives (B) sont proposées en vue de sa dynamisation.

A- L'effectivité contestée de la justice pénale internationale

Plus encore que les tribunaux pénaux internationaux, la justice mondialisée qu'incarne la Cour Pénale Internationale doit affronter des défis juridiques, politiques et même culturels de taille, pour la mise en oeuvre de ce devoir de poursuite. Ces défis sont d'abord ceux qui concernent l'affirmation de l'existence même d'une justice pénale internationale effective, c'est-à-dire acceptée et mise en oeuvre par l'ensemble des Etats membres de la Communauté internationale ou avec leur aide ou leur coopération. Ces défis sont aussi, et ceci se révèle à la pratique, ceux liés à la conduite des procès, dans un souci de bonne administration de la justice, celle qui allie à la fois

226 Dans un entretien accordé à France 24, Faustin-Archange Touadéra rejette l'analyse de l'ONU pointant "des risques avant-coureurs de génocide" dans son pays. Selon le président centrafricain, les violences sont générées par un "vide sécuritaire" qui profite aux groupes armés tournés vers la "prédation" et le "grand banditisme".

Le départ de Centrafrique de la force française Sangaris, début 2016, était "prématuré", regrette-t-il par ailleurs. "L'armée centrafricaine doit se reconstruire. Aujourd'hui, il faudrait renforcer la capacité des casques bleus de la Minusca", la mission de l'ONU dans le pays, affirme-t-il, estimant qu'il faudrait "trois ou quatre contingents supplémentaires" pour couvrir les besoins sécuritaires. Disponible sur: http://www.france24.com/fr/20170920-entretien-faustin-archange-touadera-president-republique-centrafrique-violences (consulté le 22 octobre 2017 à 17h07 min).

227 Conformément à l'article 17 du Statut de la CPI, cette dernière est une juridiction complémentaire et subsidiaire aux juridictions internes.

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la nécessité de réprimer (punir les coupables), de réparer, mais aussi d'aider à la reconstruction (le retour à la paix).

Le développement des principes de juridiction universelle et la création parallèle de juridictions pénales internationales est bien la concrétisation d'une mondialisation de la justice caractérisée par une synchronisation des principes légaux issus de différents systèmes juridiques, où les coupables peuvent être jugés par différents tribunaux - internationaux, nationaux ou étrangers - mais bénéficient des mêmes normes de procès équitable. Ce fut un défi en soit, que de parvenir à la mise en place d'un tel système de justice pénale internationale228.

Mais il reste, à l'égard de la mise en oeuvre effective de la justice pénale internationale, deux défis à surmonter : le premier est l'adaptation des législations pénales nationales aux exigences du droit pénal international ; le second est la coopération effective des Etats avec les juridictions pénales internationales229. Au-delà du symbole et de son rôle essentiel aujourd'hui, la Cour pénale internationale apparaît en effet comme une institution fondamentale pour la promotion et la survie de la responsabilité de protéger. La CPI véhicule un message juridique fort, qui compose avec la R2P, un ensemble qui doit se parfaire et parvenir à un compromis qui conviendrait à l'ensemble de la Communauté internationale, malgré son fonctionnement encore fragile du à la non ratification de son Statut230 par de nombreux États et des obstacles politiques ou diplomatiques importants qui freinent son activité. En effet, des États influents comme les États Unis ou la Russie n'ont pas ratifié le statut. Cela affecte et diminue l'impact fort que pourrait avoir la Cour sur une justice internationale sans faille, et démontre à quel point les intérêts des États sont fondamentaux pour le bon fonctionnement tant d'une doctrine que d'une institution juridique internationale.

Dans le cadre de la mise en oeuvre de la R2P en Libye, le Procureur de la CPI a été saisi par la résolution 1970 du Conseil de sécurité231. En application de cette

228Abessolo (S.), « Responsabilité de protéger et ordre juridictionnel international : les défis de la justice pénale internationale », Colloque international sur « la prévention des conflits et la sécurité humaine en Afrique : la mise en oeuvre de la responsabilité de protéger », Libreville, 20 et 21 juin 2007, p. 13.

229 Coopération remise en cause notamment par l'UA qui soutient les déclarations de retrait de certains Etats africains de la Cour pénale internationale accusée de s'acharner sur l'Afrique.

230 Statut de Rome, Acte constitutif de la CPI, entré en vigueur le 1er juillet 2002.

231 L'article 13 du Statut de Rome attribue cette compétence au Conseil de sécurité de l'ONU.

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résolution, un Bureau concernant la Libye a été mis en place aux fins de procéder à des enquêtes sur les allégations de violations graves des droits de l'homme. Depuis la résolution 1970 du Conseil, la CPI a délivré plusieurs mandats d'arrêt contre des individus232 accusés d'avoir commis ou ordonnés la commission des actes contraires au droit international humanitaire en Libye. En outre, la question des exactions et crimes commis au Mali est également pendante devant la CPI.

Par ailleurs, en RCA la création de la Cour pénale spéciale233, tribunal mixte (national et international) chargé de juger les crimes les plus graves est inédite. Cependant, dans un pays contrôlé par les groupes armés et toujours déchiré par les violences, les moyens d'enquête de cette Cour semblent dérisoires.

B- Les perspectives de dynamisation

La Cour Pénale Internationale procède d'un tout autre contexte. Etablie par un traité à la participation facultative, elle « repose sur une idée plus générale et plus abstraite de justice comme une composante autonome de l'ordre du monde, qui existe indépendamment de toute politique concrète »234. A cet égard, le défi du Statut de Rome était sa ratification par soixante Etats, pour que celui-ci entre en vigueur. Ce défi a été relevé. Mais il en reste un autre, majeur, difficile : la conciliation de l'indépendance de l'autorité judiciaire avec une politique pénale internationale dont l'action dépend de la coopération des Etats et de la volonté du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Le concept de politique pénale d'une juridiction internationale dépasse donc celui des poursuites et recouvre l'ensemble de l'activité du tribunal. Ce défi, étroitement lié aux intérêts particuliers des Etats, est plus difficile à relever.

L'exploration des perspectives d'une justice pénale internationale universelle au service de la mise en oeuvre de la responsabilité de protéger inspire deux observations finales, pour terminer. Tout d'abord, il n'échappera à personne les liens évidents entre les différents crimes internationaux : ils sont tous commis dans des situations conflictuelles et de grande instabilité politique, où prospèrent tant la grande criminalité

23215 août 2017 : la CPI délivre un mandat d'arrêt contre Mahmoud Al-Werfalli (Officier de l'armée du Général Haftar) accusé de crimes de guerre ; 27 juin 2011 : la CPI délivre des mandats d'arrêt contre Saif Al-Islam Kadhafi (fils de M. Kadhafi), et Mouammar Kadhafi (Dirigeant libyen) pour crimes contre l'humanité.

233 Créée par la loi n° 15.003 du 3 juin 2015, afin d'enquêter, instruire et juger les violations graves des droits humains et du droit internetional humanitaire commis sur le territoire de la RCA depuis le 1er janvier 2003.

234 Sur Serge, « Le droit international pénal entre l'Etat et la société internationale », Actualité et Droit International, Octobre 2001.

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organisée que les trafics d'armes et le terrorisme. Dans ce contexte, mettre fin à l'impunité pour des crimes qui mettent en péril l'Humanité est non seulement une obligation morale, mais aussi une exigence politique pour assurer la stabilité géopolitique de toutes les régions du monde. A cet égard, quelle que soit la différence de nature entre les Tribunaux Pénaux Internationaux et la Cour Pénale Internationale, il convient que la justice pénale internationale, dans son ensemble, apparaisse comme un instrument de retour à la paix, pouvant s'adapter à ses diverses exigences, et non comme un mécanisme automatique de justice abstraite. C'est de cette manière que la communauté internationale pourra assumer cette exigence de stabilité géopolitique à l'échelle du monde.

Ensuite, ainsi que le souligne Martin Kirsch, Président de la Cour Pénale Internationale, « avec l'évolution de certaines législations nationales, les Tribunaux pénaux internationaux crées en 1993 et 1994 représentent une des premières manifestations du passage de la communauté internationale d'une culture de l'impunité à une culture d'imputabilité. Leur héritage est considérable puisqu'ils ont démontré qu'une justice pénale internationale était faisable et viable. Leur expérience a servi de référence pour la rédaction du Statut de Rome et du Règlement de Procédure et de Preuve de la Cour, et leur jurisprudence servira certainement de précédent lorsque la CPI traitera des affaires qui seront portées devant elle »235. Autrement dit, si un ordre juridictionnel international n'existe pas encore, le processus de création d'une justice pénale internationale efficace est irréversible ; il constitue un inexorable pas en avant dans l'histoire de l'humanité et dans la lutte contre l'impunité.

Ainsi, le système actuel de protection des droits de l'homme bénéficie de moyens juridiques et institutionnels suffisamment développés pour assurer la mise en oeuvre judiciaire de la responsabilité de protéger. Il doit être complété par les initiatives que prendront les Etats pour le renforcer. A ce stade, il convient de rappeler qu'en vertu du principe de complémentarité de la Cour Pénale Internationale, la responsabilité principale de l'administration de la justice pénale internationale revient aux Etats. Dès lors, l'une des premières conséquences indirectes de l'existence de la

235 Kirsch Martin, Les enjeux et les défis de la mise en oeuvre de la C.P.I. : la construction des institutions, Conférence à l'Université de Montréal, les 2 et 3 mai 2003.

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Cour Pénale Internationale est la modification de la législation interne des Etats parties au Statut de Rome afin d'y intégrer la sanction des crimes internationaux.

Il n'est pas contestable que les Tribunaux Pénaux Internationaux ont démontré leur aptitude à juger en toute indépendance les responsables des crimes commis en ex-Yougoslavie et au Rwanda, quelle que soit leur place dans la hiérarchie civile ou militaire et leur communauté d'origine.

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CONCLUSION PARTIELLE

Après avoir épuisé tous les moyens préventifs si un Etat ne peut pas ou ne veut pas, redresser la situation, des mesures interventionnistes de la part d'autres membres de la communauté des Etats dans son ensemble peuvent s'avérer nécessaires. Ces mesures peuvent être d'ordre politique, économique, judiciaire et dans les cas extrêmes elles peuvent comprendre une action militaire.

L'on comprend que l'action militaire est le dernier des recours, et d'autres mesures autres que l'intervention militaire, peuvent être mises en oeuvre.

En outre, une société qui sort d'un conflit a des besoins particuliers. Pour éviter que les hostilités n'éclatent à nouveau tout en posant les bases d'un développement robuste, elle devra s'attaquer en priorité aux impératifs que sont la réconciliation, le respect des droits de l'homme, la représentativité du régime politique et l'unité nationale, le rapatriement et la réinstallation rapide, sûre et bien ordonnée des réfugiés et des personnes déplacées, la réinsertion des ex-combattants, notamment, dans une société productive, la résorption de la masse des armes de petit calibre en circulation et la mobilisation de ressources intérieures et internationales pour la reconstruction et la reprise économique. Chacun de ces impératifs prioritaires est lié à tous les autres et le succès suppose un effort concerté et coordonné sur tous les fronts.

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CONCLUSION GENERALE

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Le continent africain est sans conteste aujourd'hui l'une des parties du monde qui fait face au plus grand nombre de conflits armés (une quarantaine depuis les années 1970), la plupart étant constitués de conflits internes à l'image des guerres en Libye, au Mali et en Centrafrique. Ces nouvelles formes de conflits ont la fâcheuse conséquence de toucher directement à la sécurité des populations civiles. C'est pourquoi le principe que tout Etat a la responsabilité de protéger sa propre population contre le crime de génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et le nettoyage ethnique a été consacré par le Sommet mondial de 2005 à l'unanimité des chefs d'Etat et de gouvernement présents. La responsabilité de protéger semble être un instrument efficace pour résoudre les problèmes de l'heure. Elle a vocation à être un principe au coeur de la souveraineté interne de l'Etat, principe déterminant de son comportement vis-à-vis de sa population. Mais la R2P conditionne également le respect dû à la souveraineté externe de l'Etat, inviolable seulement et pour autant que l'Etat, avec ou sans l'aide de la communauté internationale, est en mesure d'empêcher, de stopper et de réprimer toute violence de masse subie par sa population sur son territoire. Susceptible sans doute de constituer à terme un progrès significatif de l'effectivité du droit international des droits de l'homme et du droit international humanitaire dans l'ordre interne des Etats comme dans l'ordre international, la responsabilité de protéger vient prêter main forte à l'ensemble des efforts de la communauté internationale pour faire sortir nombre d'Etats de la violence dans laquelle ils sont enferrés et favoriser l'avènement de la paix civile. La R2P se révèle un concept structurant une série d'actions, incombant à un nombre important d'acteurs. Sans être encore une norme de droit international général, la R2P s'affirme comme un principe de comportement universel pour tous les Etats et la communauté internationale, que leurs différentes organisations représentatives sont appelés à intégrer dans leur action. La responsabilité de protéger participe ainsi à l'affirmation, à l'aube d'un nouveau siècle encore lourd de risques et de menaces, du plus essentiel des nouveaux droits émergents des populations : celui de vivre en paix et à l'abri de la peur à l'intérieur des frontières de leurs Etats.

Toutefois, sous son apparence généreuse et désintéressée, le principe est lourd de dangers. Il y a fort à craindre que la responsabilité de protéger ne soit qu'un simple

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instrument pour servir des intérêts égoïstes dans un monde où les Etats ne visent que leurs intérêts236. En effet, la responsabilité de protéger est un principe à l'opposé d'un droit d'intervention armée, même s'il n'exclut pas in fine cette éventualité. Or, le débat, qu'il soit politique ou doctrinal, s'est engagé presqu'immédiatement dans cette voie, retombant dans les ornières dont la responsabilité de protéger entendait précisément faire sortir la question237. En outre, à l'analyse de l'application de la R2P en Libye, au Mali et en Centrafrique, il ressort que la réaction de la communauté internationale n'appelle pas l'exécution d'une stratégie dont il faudrait suivre à la lettre les différentes étapes ni ne nécessite la survenance d'événements déclenchants" qui feraient l'objet d'une définition rigoureuse"238. S'il est évident que vouloir enserrer la R2P dans des critères déterminés et des procédures strictes, risquerait de paralyser l'action ou de la retarder de façon préjudiciable aux populations, cette résolution peut s'avérer nécessaire lorsqu'on considère le pouvoir de décision dévolu au Conseil de sécurité en matière d'application du principe de la R2P. Le rôle reconnu au Conseil de sécurité renvoie inévitablement à ce stade à la question du droit de veto de ses membres permanents, lesquels pourraient soit faire échec à toute réaction de la communauté internationale dans des situations où manifestement il y a nécessité d'intervenir, soit autoriser des interventions sur la base de raisons fallacieuses. Miser sur la bonne volonté des membres permanents et sur leur seul sens des responsabilités pour s'abstenir de recourir à un droit de veto particulièrement soumis aux intérêts nationaux et stratégiques de ceux qui en usent peut sembler une parade bien fragile. Néanmoins, il n'est pas exclu que l'affirmation d'un principe engageant la communauté internationale dans son ensemble, comme celui de la R2P puisse par lui-même être susceptible de faire évoluer l'appréciation que l'on peut avoir de l'usage du droit de veto et de faire apparaître une forme de responsabilité politique, au plan international239.

236 BIAD Abdelwahab, Droit international humanitaire, Paris, Ellipses, p. 93

237SZUREK (S.), « La responsabilité de protéger : Mauvaises querelles et vraies questions », Anuario Colombiano de Derecho Internacional (ACDI) n.° 4, Bogota, 2011, p. 58.

238 ONU, A.G., La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger. Rapport du Secrétaire général, Doc. A/63/677, 12 janvier 2009, par. 49 à 66, pp. 23-31.

239 Sur l'idée de responsabilité politique, voir SZUREK S., «Responsabilité de protéger, nature de l'obligation et responsabilité internationale», in S.F.D.I., La responsabilité de protéger, Colloque de Nanterre, Paris, Pedone, 2008, pp. 126-133.

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Nous les peuples : le rôle des Nations Unies au XXIè siècle, rapport du Millénaire du Secrétaire Général, 27 mars 2000, Doc. A/54/2000.

Rapport du Groupe d'étude sur les opérations de paix de l'ONU (Rapport Brahimi), Doc. A/55/305-S/2000/809, 21 aout 2000.

BOUTROS-GHALI (B.), « Amélioration de la capacité de prévention des conflits et du maintien de la paix en Afrique : rapport du Secrétaire Général, 1995, extrait du document des Nations Unies A/50/711 et S/1995/911.

IV- TEXTES OFFICIELS

A- INSTRUMENTS INTERNATIONAUX Charte des Nations Unies, 1945.

Convention de Genève (IV) relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (1949)

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La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

Document final du Sommet mondial du millénaire de 2005.

Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I) (1977)

Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II) (1977)

Statut de Rome portant création de la Cour Pénale Internationale, 17 juillet 1998.

B- INSTRUMENTS REGIONAUX AFRICAINS

Accord de Lusaka du 10 juillet 1999. Acte constitutif de l'Union Africaine.

Protocole portant création du Conseil de Paix et de Sécurité de l'Union africaine, Durban, 9 juillet 2002.

V- RESOLUTIONS

A- RESOLUTIONS DE L'ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS

UNIES

Résolution 43/131 de l'Assemblée Générale des Nations Unies.

Résolution 60/1 AGNU,Document final du Sommet mondial de 2005, A/RES/60/1, 16 septembre 2005.

B- RESOLUTIONS DU CONSEILS DE SECURITE

S/RES/2085, autorisant le déploiement de la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA) sous conduite africaine, (2012).

S/RES/2071 concernant la protection des populations civiles et la condamnation des violations des droits de l'homme au Nord Mali

S/RES/2029, Tribunal international chargé de juger les personnes accusées d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais accusés de tels actes ou violations

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La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

commis sur le territoire d'Etats voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994, (2011).

S/RES/1975, La situation en Côte d'Ivoire, (2011).

S/RES/1973, La situation en Jamahiriya arabe libyenne, (2011).

S/RES/1970, Paix et sécurité en Afrique, (2011).

S/RES/1674, Protection des civils en période de conflit armé, (2006).

S/RES/1304, Situation concernant la République Démocratique du Congo, (2000). S/RES/ 955, Situation concernant le Rwanda, (1994).

VI- THESES

BALGUY-GALLOIS (A.), Droit international et protection de l'individu dans les situations de troubles intérieurs et de tensions internes, Thèse, Université de Paris I, 2008.

CARVALLO-DIOMANDE (A. H.), L'action humanitaire en cas de catastrophes : droit applicable et limites, Thèse Droit public, Université de Poitiers, 2014. Disponible sur Internet < http://theses.univ-poitiers.fr>

VII- MEMOIRES

BIDOUZO (T. S.), Le Conseil de Sécurité des Nations Unies et la crise somalienne : renonciation ou carence fonctionnelle ?, Mémoire de DEA, Université d'Abomey-Calavi, novembre 2012, 126 pages.

CODJO (J.), La régionalisation de la mise en oeuvre de la responsabilité de protéger : cas de la CEDEAO, Mémoire de DEA, Université d'Abomey-Calavi, décembre 2012.

IROTORI (R. G.), Les conflits armés devant la diplomatie humanitaire, Mémoire de DEA, Université d'Abomey-Calavi, 2010, 106 pages.

SASSE (A.), L'ONU et la responsabilité de protéger en Afrique, Mémoire de DEA, Université d'Abomey-Calavi, 2012, 91 pages.

KELLY (A.), Populations civiles et conflits armés dans la CEDEAO, Mémoire de DEA, Université d'Abomey-Calavi, 2004.

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La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

VIII- JURISPRUDENCE

Affaire Bemba, Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, ICC-01/05-01/08, 21 juin 2016.

Affaire du détroit de Corfou, Albanie contre Royaume-Uni, Arrêt sur le fond, CIJ, Rec. 1949.

Barcelona Traction, Light and Power Company Ltd (Belgique c. Espagne), fond, C.I.J., arrêt du 5 février 1970, Rec. 1970.

Affaire Thomas Lubanga, Décision de confirmation des charges, le Procureur contre Thomas Lubanga, 29 janvier 2007, ICC-01/04-01/06.

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La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

TABLES DES MATIERES

Avertissement . i

Dédicace . ii

Remerciement . iii

Résumé iv

Abréviations et sigles . v

Sommaire .. viii

INTRODUCTION GENERALE 1

PREMIERE PARTIE : UN CADRE DE MISE EN OEUVRE IMPRECIS 12

CHAPITRE I : Des modalités de mise en oeuvre variables ..14

Section 1 : Le traitement des crises au cas par cas 14

Paragraphe 1 : La divergence des fondements des interventions .14

A- La menace de commission de crimes internationaux comme base de

l'intervention en Libye et au Mali 15

B- La commission de massacres massifs comme base de l'intervention en

RCA 18

Paragraphe 2 : La légalité ambivalente des interventions 20

A- L'intervention française non autorisée a priori au Mali 20

B- Des interventions autorisées en Libye et en RCA 21

Section 2 : L'appréciation ambiguë des critères de l'intervention militaire 23

Paragraphe 1 : Les conditions particulières du recours à la force 23

A- La juste cause et l'autorité appropriée 23

B- Les principes de précaution 26

Paragraphe 2 : Le respect des critères face à la récurrence du recours à l'option

militaire 28

Réalisé et présenté par Bansopa Linda DARATE Page 109

La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

A- Les bombardements de grande ampleur en Libye

. 28

B- La reconquête au sol au Mali

.. 30

 

CHAPITRE II : Des moyens de mise en oeuvre confus .

. 32

Section 1 : Le mélange de l'humanitaire et du militaire : l'humanitaire armé

32

Paragraphe 1 : Les opérations civilo-militaires

33

A- La nature des opérations

. 33

B- La portée des opérations

.... 34

Paragraphe 2 : Les missions « intégrées » de maintien de la paix

. 36

A- La nature des missions .

37

B- La portée des missions

39

 

Section 2 : La conséquence : une situation intenable

. 40

Paragraphe 1 : Les tensions entre militaire et humanitaire

.41

A- L'interaction entre agences humanitaires et forces militaires 41

B- Les répercussions sur la protection des civils 43

Paragraphe 2 : La dénaturation de l'humanitaire ... 45

A- Des objectifs détournés .. 45

B- Le recul des capacités d'intervention humanitaire .. 47

Conclusion partielle 49

DEUXIEME PARTIE : UNE MISE EN OEUVRE EQUIVOQUE 50

CHAPITRE I : Une ferme volonté de prévenir .. 52

Section 1 : Les mécanismes pertinents de prévention 52

Paragraphe 1 : La diversité des moyens de prévention au plan international 53

A- Les moyens politico-diplomatiques . 53

Réalisé et présenté par Bansopa Linda DARATE Page 110

La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

B- Les moyens économique, judiciaire et militaire ... 56

Paragraphe 2 : L'existence de moyens de prévention au plan régional africain . 58

A- Dans le cadre de l'Union africaine 58

B- Les divers systèmes de prévention sous-régionaux .. 61

Section 2 : Les faiblesses des mécanismes de prévention 63

Paragraphe 1 : L'inefficacité du système d'alerte rapide 63

A- L'analyse lacunaire des informations 63

B- La grande divergence des sources d'information 65

Paragraphe 2 : L'absence de volonté politique 67

A- Le manque de réaction rapide ... 67

B- L'absence d'impartialité . 69

CHAPITRE II : Des interventions controversées 72

Section 1 : Des réactions lentes et peu efficaces 72

Paragraphe 1 : La relative efficacité des mesures coercitives autres que la force

militaire ..73

A- Les diverses sanctions appliquées ... 73

B- L'effectivité ambiguë des sanctions . 77

Paragraphe 2 : Des interventions militaires problématiques 79

A- Le respect partiel des conditions de l'intervention . 79

B- Le dépassement des mandats 82

Section 2 : Des processus de reconstruction inachevés 84

Paragraphe 1 : La phase post-intervention .... 85

A- Les obligations inhérentes 85

Réalisé et présenté par Bansopa Linda DARATE Page 111

La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

B- La pénible mise en oeuvre du processus Désarmement-

Démobilisation-Réinsertion . 87

Paragraphe 2 : La brûlante question des poursuites pénales ... 90

A- Løeffectivité contestée de la justice pénale internationale 90

B- Les perspectives de dynamisation ... 92

Conclusion partielle 95

CONCLUSION GENERALE . 96

Bibliographie .. 99

Table des matières 108






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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand