4. DISCUSSION
Les résultats de nos travaux montrent que la
consommation des substances psychotropes varie suivant des
caractéristiques sociodémographiques à savoir,
l'âge, le sexe, le niveau d'instruction, la religion, etc. C'est
d'ailleurs ce qu'a soutenu plusieurs travaux de recherche ayant orienté
l'étude des déviances en rapport avec les psychotropes (Beck et
al. 2008), selon l'âge (BEYELER, 1996), le revenu (TISSERON, 2017),
etc.

Besoins primaires Maslow
: Sécurité (psychologiques, affectifs,
moraux, santé, revenus et ressources...), estime
et appartenance
Type de psychotrope :
Déterminants sociaux :
Importés : Café
; Cigarette, Alcool ; Tramol
; Autres *** Local Tabac, Alcool
.
Nature de la régulation
: Répression **** Perception sociale
: indifférence & interdiction
Formes d'utilisations
****
Chiquer : Tabac Boire : Alcool & Café
Automédication :
médicaments psy. Fumer : cigarettes
- Individuellement, - En cachette - En groupe, - En
publique
Marchés Boutiques Cafétérias Distributeurs
ambulants
Intra Villages :
Modes d'accès
Relation économique :
Achat
COUT
DOSES + FREQUENCES
Mode d'approvisionnement
Dépendance / Mésusage Doses
élevée Dépendance modérée Dépendance
forte Dépendance physique Dépendance psychique
Inter & Extra villages : Grossistes &
semis grossistes
Villages voisins, Pays voisins : Nigéria,
Ghana, etc.
Combinaison
Relation sociale :
Don Troc Echanges
Figure 29 : Mécanisme concourant
à l'usage de substances psychotropes au Nord Bénin
Source : BONE, 2019
p. 76
Utilisation des substances psychotropes dans
l'agriculture au Nord Bénin: acteurs, mécanisme et incidences
agricoles
La figure 29 ci-dessus résume le mécanisme
concourant à l'usage de psychotropes en agriculture au Nord
Bénin.
Dans le contexte agricole, huit principaux facteurs motivent
l'usage des psychotropes par les agriculteurs. Il s'agit par ordre
d'importance, de la satisfaction des besoins : de sécurité
sociale et de santé, d'estime, sécurité psychologique,
sécurité des revenus et ressources, d'appartenance (avoir des
amis), d'affection, de manger (physiologique) et enfin de stabilité
affective. Ainsi, de façon objective, la satisfaction de ces besoins
passe en premier lieu par la volonté du producteur à assurer sa
sécurité sociale et médico-sanitaire, à travers
l'automédication par les médicaments psychotropes ou « faux
médicaments psychotropes » réglementairement proscrit ou
l'usage du tabac traditionnellement réputé pour ses vertus «
tradi-thérapeutiques », afin d'assumer les effets du travail ardu
du quotidien et soulager la fatigue et la douleur. En second lieu, la
satisfaction des besoins d'estime, d'appartenance et d'affection,
intègre la volonté du producteur à être davantage
productif. Le producteur comme le sportif, vise l'endurance, donc une meilleure
performance au travail à travers le dopage par les substances
psychotropes à savoir le café, le tabac, le tramol. Le double
usage des médicaments psychotropes en dehors du champ médical
pour améliorer ses performances agricoles et soulager des
symptômes ou des souffrances, vont ainsi dans le même sens que les
travaux de l'INSERM, pour qui ; l'automédication suivant cette
orientation vise entre autres l'affiliation sociale (INSERM, 2012).
Il faut cependant soustraire à cette
considération, l'orientation «hédoniste» que propose
l'INSERM (2012), lorsque l'automédication se restreint au double usage
rappelé plus haut dans le contexte agricole. Le producteur, plutôt
que le plaisir, vise essentiellement la santé et la
productivité.
Le producteur fait entre autres usages des psychotropes
disponibles pour résister aux autres facteurs de psychologique ou de
stress liés aux activités agricoles (rareté des pluies,
stress lié au rendement, etc.) dans un ensemble marqué par
l'environnement social (croyance, tradition, influence familiale, la
disponibilité et le prix/coût) pesant sur l'individu agricole. Ces
résultats confirment l'ensemble des facteurs déterminants de
l'abus des psychotropes en tant que déviance telle que soutenues par les
théories sur les déviances sociales. Le producteur, comme tout
individu social, fait usage des substances psychotropes pour presque les
mêmes raisons.
Dans tous les cas, l'usage des psychotropes vient
répondre à un besoin, celui de gérer combler un manque. Ce
manque n'est pas forcément lié aux symptômes de sevrage aux
opiacés comme
p. 77
Utilisation des substances psychotropes dans
l'agriculture au Nord Bénin: acteurs, mécanisme et incidences
agricoles
propose l'INSERM (2012), mais bien au-delà, il peut
être lié aux besoins fondamentalement humains tels que
présenté par Maslow (physiologique, de sécuritaire,
d'appartenance, d'estime ou de s'accomplir). Il faut toutefois rappeler que
d'autres travaux plus récents ont proposé une classification des
besoins humains. Il s'agit de ceux de Frederick Herzberg (1959) pour qui les
besoins humains peuvent être regroupés en deux facteurs à
savoir les facteurs d'hygiènes (relations interpersonnelles, statut,
sécurité de l'emploi, etc.) et de motivation (Accomplissement,
progression, reconnaissance, responsabilité, etc.) ; puis ceux de
Clayton P. Alderfer (1969) qui catégorise les besoins en 3 classes
à savoir : les besoins d'existence (besoins physiologiques et de
sécurité tels que la faim, la soif et le sexe); les besoins de
relation et d'estime sociale et externe (participation avec la famille, les
amis, les collègues et les employeurs) et les besoins de
Grandir-croissance (estime interne et actualisation de l'individu).
En milieu rural, notamment dans le Nord Bénin, l'usage
des psychotropes est motivé par la satisfaction des besoins de
sécurité (besoins primaires ; 61%) que de besoins
supérieurs (39%). La consommation des psychotropes pourrait de fait
être un indicateur de faible performance agricole dans un contexte
où, l'aspiration à des besoins supérieurs tels que
l'innovation, le pouvoir etc., ne sont quasiment pas manifestés par les
producteurs qui en font usage. Ce résultat renforce de fait
l'idée soutenue par Maslow, selon laquelle, on peut agir sur les
motivations "supérieures" d'une personne qu'à la condition
expresse que ses motivations primaires (besoins physiologiques et de
sécurité) soient satisfaites. On peut ainsi comprendre facilement
l'idée selon laquelle, en Afrique de l'Ouest, beaucoup de
décideurs considèrent l'incapacité des acteurs locaux
d'innover ou d'adopter des innovations développées par la
Recherche & Développement comme une caractéristique d'une
agriculture familiale peu performante du fait de son conservatisme pesant, de
l'illettrisme de ses producteurs et de niveaux de ressources et
d'investissement trop bas [(Chambers et al. 1994), (Floquet et al.
2015)] ; le Bénin étant un pays de l'Afrique l'ouest.
Au nord Bénin, les facteurs sociaux, les formes
d'accès et d'utilisation des psychotropes par les agriculteurs varient
selon le type de la substance et non selon le type de producteurs ou le type de
spéculation agricole. La proximité avec les pays frontaliers tels
que le Nigéria notamment influence les types de psychotrope les plus
utilisés d'une commune à une autre.
En effet, le mode d'accès est intra, inter et extra
villages. Cette relation est définie par l'interaction des
différents acteurs qui sont à l'intérieur comme à
l'extérieur des villages. Le mode d'accès extra-villages rappelle
l'aspect transfrontalier justifiant les importations de psychotropes. Une fois
accessibles dans les villages, deux types de relations assurent
p. 78
Utilisation des substances psychotropes dans
l'agriculture au Nord Bénin: acteurs, mécanisme et incidences
agricoles
l'approvisionnement des psychotropes par les acteurs : les
relations économiques et sociales. La relation économique
intégrant l'achat de la substance suivant des coûts variables
d'une substance à une autre est la plus développée.
Par ailleurs, les formes d'utilisation des substances
psychotropes observées, relèvent d'une part de la nature de la
régulation de la mise en oeuvre dont la répression qui occasionne
l'attitude à se cacher, mais aussi une répression souple
justifiant l'attitude à consommer parfois en groupe et/ou en public.
L'usage en public des psychotropes traduit aussi d'autre part une certaine
indifférence sociale dans l'usage des psychotropes. Cette situation
interpelle de fait la conscience collective, sur la nécessité
d'une régulation plus forte pour que les agriculteurs à long
terme ne deviennent principalement objet de profonds désordres sociaux
faute de régulation sérieuse. Du fait des incidences sociales
multiples et délicates de l'utilisation des psychotropes chez les
agriculteurs au Nord Bénin, les mesures de contrôle des
frontières doivent être ainsi renforcées afin d'agir
essentiellement sur la quantité de psychotropes disponible sur les
marchés ruraux, car moins les psychotropes seraient disponibles sur les
marchés, moins l'opportunité d'en consommer au-delà de la
norme subsisterait.
Les doses utilisées par les producteurs traduisent une
certaines dépendance/addiction ou un mésusage des psychotropes de
nature sociale disponible dans les marchés. Cette forme d'utilisation
est davantage renforcée par le cout/prix d'acquisitions des substances
par tous les producteurs, surtout ceux à faibles revenus et le faible
niveau d'instruction des producteurs. Cela confirme d'ailleurs les
résultats de Giovino selon qui, les sujets aux faibles revenus et des
faibles niveaux d'éducation sont plus à même de
débuter un usage du tabac et ont moins de chance de l'arrêter
(Giovino, 2007). Ainsi, l'usage des psychotropes tels qu'observés au
Nord Bénin, pourrait par ailleurs traduire une certaine
sensibilité ou vulnérabilité des producteurs qui le
consomment à la pauvreté. Si les coûts d'acquisition des
substances sont revus à la hausse, cela permettra, une recrudescence des
achats et de fait une diminution des approvisionnements en psychotropes et leur
consommation par les agriculteurs
La consommation des substances psychotropes peut
également, servir d'indicateur de faible performance agricole et de
vulnérabilité à la pauvreté. On comprend alors
pourquoi la consommation de psychotropes est plus faible dans la commune de
Banikoara que dans les autres communes étudiée ; la commune de
Banikoara étant la première commune productrice de la
spéculation agricole la mieux organisée au Bénin.
p. 79
Utilisation des substances psychotropes dans
l'agriculture au Nord Bénin: acteurs, mécanisme et incidences
agricoles
L'hypothèse formulée n'est donc fondamentalement
pas vérifiée. Il faut toutefois notifier que la consommation des
psychotropes est influencée par quelques caractéristiques
sociodémographiques.
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