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La redynamisation des "assistés" par le support du sport. Le rôle des encadrants comme possible inflexion d'une logique portée par l'institution ? le cas d'une action atypique de remobilisation par l'activité physique.


par Clément Reussard
Université de Bretagne Occidentale - Master 2 SSSATI 2012
  

Disponible en mode multipage

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Université de Bretagne Occidentale UFR Sport et Education Physique

Master 2 - Sport Santé Société Administration, Territoire, Intégration

LA REDYNAMISATION DES « ASSISTÉS »
PAR LE SUPPORT DU SPORT

Le rôle des encadrants comme possible inflexion d'une logique d'activation
portée par l'institution ?

Le cas d'une action atypique de remobilisation par l'activité physique.

Auteur : Clément REUSSARD

Directeur de mémoire : Alain VILBROD Année universitaire : 2011-2012

Université de Bretagne Occidentale
UFR Sport et EP
20 avenue Le Gorgeu - CS 93837
29238 BREST Cedex 3

1

Remerciements

J'aimerai remercier tous ceux qui ont contribué de près ou de loin à l'élaboration de ce travail de mémoire.

En premier lieu, je souhaite remercier Alain Vilbrod, mon tuteur de mémoire, pour la confiance qu'il m'a accordé et pour ses conseils toujours avisés. Sans son éternel optimisme, je n'aurai pas pu battre en brèche les nombreux moments de découragement que suppose un tel travail.

Je remercie Bernard Moulin, pour m'avoir aussi bien accueilli au sein d' « En Avant Toute ! », pour son humanité, sa générosité et pour tout ce qu'il m'a apporté durant ces dix semaines de stage. Je remercie également Florent Philippe et Yannick Leost qui m'ont également accueilli dans les meilleures conditions.

Merci à mes parents pour tous les sacrifices qu'ils ont consenti et pour le soutien financier qu'ils m'ont toujours apporté dans la réalisation de mes études. Merci à ma mère pour le travail de relecture. Merci à mon frère de m'avoir transmis sa curiosité intellectuelle et son intérêt pour la sociologie. Merci à tous les amis qui m'ont soutenu malgré l'incertitude qui entourait la réalisation de ce mémoire.

Merci à François Le Yondre de m'avoir introduit, de manière aussi fournie, le thème de cette étude par son travail de thèse de très grande qualité.

J'en profite pour exprimer publiquement toute ma reconnaissance à Nicole Quier, mon ancienne professeure d'Histoire-Géographie au lycée Chaptal de Quimper, sans qui je n'aurai jamais envisagé de passer un bac général et encore moins un parcours à l'université.

Enfin, je dédis ce mémoire à toutes les personnes que j'ai eu la chance de rencontrer grâce à « En Avant Toute ! » dont les parcours aussi riches que cabossés ont considérablement enrichi ma vision de la vie.

2

Sommaire

Introduction 3

Partie I - Pauvreté contemporaine et évolution des politiques d'assistance au

regard de l'analyse sociologique 6

1. Etat des lieux de la pauvreté contemporaine : quelques chiffres 6

2. L'approche simmelienne de la pauvreté et de l'assistance 18

3. Du welfare au workfare : mise en place de politiques d'activation et de

responsabilisation des pauvres 21

4. Un climat social et politique stigmatisant à l'égard des « assistés » 27

Partie II - Description de l'action « En Avant Toute ! » 31

1. Historique 31

2. Publics accueillis 33

3. Objectifs 37

4. Fonctionnement 38

5. Financement 44

6. Partenariats 46

7. Perspectives 50
Partie III - L'insertion par le sport comme paradigme des politiques d'activation

51

1. Une convocation du sport par l'institution loin d'être anodine 51

2. Problématique 61
Partie IV - Spécificités de l'action « En Avant Toute ! » et contre-pouvoir de

l'encadrant 64

1. Méthodologie de l'enquête 64

2. Les attentes de l'institution 70

3. Rôle et contre-pouvoir des encadrants 79

4. Le ressenti des participants 89

5. Enjeux d'une approche réfléchie et militante 102

Conclusion 107

Bibliographie 109

Glossaire 112

Annexes 114

3

Introduction

En septembre 2009, dans le cadre de ma première année de Master « SSSATI » à l'université Rennes 2, j'ai assisté à un cours intitulé « Sport et chômage » dispensé par François Le Yondre qui faisait suite à son travail de thèse intitulé « Vrais chômeurs et vrais sportifs. Le sport face au chômage comme instrument disciplinaire ou support de tactiques identitaires : des catégories sociales en jeu. »1

Son étude portait sur des stages de redynamisation par le sport comme activité contractuelle d'insertion pour des publics allocataires du Revenu Minimum d'Insertion (RMI). Elle interrogeait la convocation du sport de plus en plus courante dans ce type de dispositif :

« Ces pratiques suggèrent-elles une persistance des représentations laudatives et essentialistes du sport ? Se fondent-elles sur une équivalence perçue entre compétences sportives et compétences professionnelles ? Ces dispositifs visent-ils la réinsertion professionnelle des participants, le regain d'estime de soi ou simplement l'accès à la pratique sportive dans une logique du sport pour tous ? 2 »

Comme nous le verrons plus tard dans notre étude, Le Yondre démontre par l'observation et l'analyse de deux dispositifs de ce type, que si l'institution, à savoir le Conseil Général, a de bonnes raisons de convoquer le sport, celles-ci n'ont rien de philanthropiques.

Un an plus tard, alors que j'entrais en deuxième année de master « SSSATI » que j'avais décidé de poursuivre à l'Université de Bretagne Occidentale, j'apprenais par hasard l'existence d'un dispositif similaire nommé « En Avant Toute ! » basé à Quimper, ma ville d'origine.

En consultant la page internet de l'action3, je repérais alors quelques éléments faisant écho au cours de Le Yondre, mais aussi quelques originalités qui attirèrent mon attention. Ainsi, je constatais que le dispositif est également destiné aux personnes

1 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs. Le sport face au chômage comme instrument disciplinaire ou support de tactiques identitaires : des catégories sociales en jeu, 2009.

2 Le Yondre F. « Des corps incertains. Redynamisation des chômeurs par le sport. », Le sociographe, n°38, 2012, p.84.

3 Consultable à l'adresse suivante :

< http://www.adsea29.org/index.php?option=com content&view=article&id=82&catid=43&Itemid=78 >

éloignées de l'emploi mais pas uniquement aux allocataires du RMI4 puisque l'action accueille des « hommes et femmes de 18 à 60 ans inscrits dans une démarche d'emploi et bénéficiaires des minimas sociaux ». Au-delà du fait que le public soit élargi, les prestations proposées m'ont semblé différentes notamment dans les types d'activités physiques proposés.

Alors à la recherche d'un stage dans une structure sportive pour effectuer mon travail de mémoire de master deuxième année, je suis allé à la rencontre du responsable de l'action, un dénommé Bernard Moulin. Ce dernier m'a convaincu de l'intérêt de réaliser une étude au sein de son action, et a bien voulu accepter de m'accueillir en stage. J'étais doublement motivé par cette expérience puisque à ce moment là, je préparais en parallèle le concours d'éducateur spécialisé. Ce terrain de stage me donnait la possibilité de connaître un public avec lequel je n'avais jamais eu l'occasion de travailler. Le stage durera dix semaines en tout qui s'étaleront entre novembre 2010 et avril 2011.

Au commencement de l'étude et après lecture de la thèse de Le Yondre, j'avais peur de tomber dans un phénomène de « redite » par rapport au travail qu'il avait mené. Une rencontre avec ce dernier me permettra de me libérer de cette crainte puisque pour lui le dispositif d'« En Avant Toute ! » diffère de façon significative des dispositifs qu'il a pu étudier dans le cadre de sa thèse tant au niveau de l'architecture que des modalités. À partir de là, j'ai souhaité axer mon étude sur la compréhension des raisons qui sont à l'origine de ces différences. Des pistes de réflexion, puis des hypothèses vont rapidement surgir tandis que des rencontres avec mon tuteur de mémoire me permettront de les affiner.

Pour vérifier ces hypothèses, nous avons mené une enquête de type compréhensive sur notre terrain de stage. Cette investigation prendra la forme d'une observation participante dans un premier temps, puis sera complétée dans un second temps par le recueil d'entretiens auprès de personnes se situant à plusieurs niveaux d'intervention dans le dispositif auprès de : l'institution, des encadrants et des participants.

4

4 Devenu depuis RSA (Revenu de Solidarité Active).

5

Ce mémoire se présente comme le résultat de cette enquête. Il se décompose en quatre parties.

Premièrement, nous tenterons d'adopter un regard sociologique sur la pauvreté contemporaine en nous intéressant aux catégories sociales les plus touchées par cette dernière. Puis nous tenterons de comprendre dans quelle philosophie politique se sont développées les politiques d'assistance actuelles qui répondent à cette « nouvelle pauvreté ». Nous comprendrons plus tard l'importance de resituer le dispositif « En Avant Toute ! » dans un contexte économique et social particulièrement marqué par une logique d'activation et de responsabilisation des pauvres.

Dans une deuxième partie, nous exposerons le contexte de stage en décrivant le fonctionnement de l'action « En Avant Toute ! ».

Dans une troisième partie, nous proposerons un résumé du travail de thèse effectué par Le Yondre qui nous permettra de mieux comprendre en quoi ce type de dispositifs d'insertion par l'activité sportive relève d'une convocation que l'on pourrait qualifier de paradigmatique des politiques d'activation. A la suite de cela, nous formulerons une problématique de recherche.

Enfin, dans une quatrième et dernière partie, il s'agira de répondre aux hypothèses formulées dans la problématique en se basant sur le contenu des entretiens recueillis sur le terrain de stage. Cela nous permettra de comprendre quelles sont les attentes de l'institution, quel rôle joue les encadrants au sein d' « En Avant Toute ! » et comment les participants ressentent les spécificités des modalités de cette action. Nous verrons en quoi les encadrants peuvent jouer un rôle clé dans ce type de dispositif et quels enjeux peuvent être associés à leurs pratiques professionnelles.

6

Partie I - Pauvreté contemporaine et

évolution des politiques d'assistance au

regard de l'analyse sociologique

1. Etat des lieux de la pauvreté contemporaine : quelques chiffres

« - La plupart du temps, on commence par me demander « combien ils sont ?». Comme si donner un chiffre allait soulager l'opinion : au moins, on sait quelque chose. Mais contrairement à ce qu'on imagine, la réponse n'est pas évidente, car la valeur des chiffres est relative. Tout dépend en effet des indicateurs statistiques que l'on choisit. [...] Ces chiffres sont utiles pour établir des comparaisons entre pays ou régions, mais il faut savoir qu'ils sont une mesure par définition imparfaite qui relève avant tout d'une convention établie par des instances de production statistique, l'Insee, par exemple. 5 »

Serge Paugam

1. Mise en garde

Serge Paugam attire notre attention sur le caractère tout à fait relatif des données statistiques que l'on trouve généralement sur la pauvreté en France puisque celles-ci relèvent de seuils arbitrairement définis par des instances jugées légitimes de la production statistique. Pourtant, selon lui, il conviendrait de s'arrêter et de s'interroger sur la définition de ces seuils car « aucune catégorisation ne s'impose d'emblée sans prêter à discussion6 ».

5 Paugam S., « Aujourd'hui on retrouve de la compassion envers les pauvres », Télérama, n°3176, 28 novembre 2010, consultable à l'adresse : < http://www.telerama.fr/monde/serge-paugam-aujourd-hui-on-retrouve-de-la-compassion-envers-les-pauvres,62833.php >

6 Paugam S., Duvoux N., La régulation des pauvres. Du RMI au RSA., Paris, PUF, 2008, p.16.

7

Dans cette partie, nous nous attacherons donc davantage à donner les grandes tendances de l'évolution de la pauvreté en France, tout en mettant en exergue les catégories de population les plus touchées par la pauvreté sous ses formes actuelles.

Aujourd'hui en France, un individu est considéré comme « pauvre » quand son niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté. Ce seuil habituellement utilisé était de 50 % du niveau de vie7 médian8, tandis qu'Eurostat, organisme européen, privilégie le seuil à 60 % qui est désormais le plus fréquemment publié.

Selon ce mode de calcul de la pauvreté monétaire, la France dénombrait, en 2009, 4,5 millions de pauvres si l'on fixe le seuil de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian et 8,2 millions de pauvres si l'on utilise le seuil à 60 %.9 Dans le premier cas, le taux de pauvreté est de 7,5 %, dans le second de 13,5 %. L'écart entre les seuils de 50 % et 60 % le montre bien : le taux de pauvreté va presque du simple au double selon que l'on utilise la première ou la seconde définition, et pourtant, comme le rappelle Paugam, « rien ne permet vraiment de dire quel est le seuil le plus pertinent »10. Mesurer la pauvreté relève bel et bien d'une construction statistique arbitraire donc à relativiser. Toutefois, en dépit de ses nombreux défauts11, la mesure de la pauvreté monétaire se basant sur un seuil relatif nous permet de dégager des grandes tendances, nous permettant de mieux nous situer dans l'évolution de la pauvreté en France (depuis 1970). (Voir Graphique 1 et Tableau 1) 12

7 Niveau de vie (définition INSEE) : il est égal au revenu disponible du ménage divisé par le nombre d'unités de consommation.

8 Le niveau de vie médian coupe la population en deux : la moitié des personnes disposent d'un niveau de vie inférieur, l'autre moitié d'un niveau de vie supérieur.

9 En 2009, le seuil de pauvreté situé à 60 % du revenu médian, pour une personne seule, est de 954 euros mensuels, celui à 50 % de 795 euros.

10 Paugam S., « Aujourd'hui on retrouve de la compassion envers les pauvres », Télérama, n°3176, 28 novembre 2010, consultable à l'adresse : < http://www.telerama.fr/monde/serge-paugam-aujourd-hui-on-retrouve-de-la-compassion-envers-les-pauvres,62833.php >

11 Le seuil relatif est fixé arbitrairement, et ne prend pas en compte des éléments importants comme le coût de la vie, le niveau de dette, les frais scolaires, l'exclusion bancaire, etc.

A ce sujet, voir le rapport belge : « Une autre approche des indicateurs de pauvreté », recherche-action-formation, mars 2004.

12 Graphique et tableau tirés de « La pauvreté en France », publié le 20 octobre 2011, Inégalités.fr, consultable à l'adresse : < http://www.inegalites.fr/spip.php?article270 >

Attention au graphique concernant le nombre de personne sous le seuil de pauvreté. La population totale de la France métropolitaine n'étant pas la même en 1970 (50 millions) et 2009 (62 millions). Se reporter au Tableau 1 pour mieux mesurer la baisse de la pauvreté.

2. Evolution de la pauvreté en France depuis les années 1970

Graphique 1 - Evolution du nombre de personnes sous le seuil de pauvreté en France depuis 1970 (en milliers) - Source : Insee

8

Tableau 1 - Evolution du taux de pauvreté depuis 1970 (en %) - Source : Insee

Plusieurs observations s'offrent à nous et peuvent faire l'objet de commentaires.

On observe dans un premier temps que la pauvreté a globalement baissé ces quarante dernières années en dépit des idées reçues. Ainsi elle a baissé des années 1970 jusqu'au milieu des années 1990, pour ensuite rester assez stable jusqu'au début des années 2000.

On note également que le nombre de pauvres est reparti à la hausse depuis 2002. Ainsi, au seuil de 50 % la pauvreté a augmenté de 760 000 personnes (+ 20 %) et de 678 000 personnes (+ 9 %) au seuil de 60 %. Les taux sont passés respectivement de 6,5 % à 7,5 % et de 12,9 % à 13,5 %.13 Dès lors, on peut dire que l'on assiste indéniablement à une nouvelle progression de la pauvreté depuis une dizaine d'années.

Quelles sont les causes de ces évolutions ?

13 « La pauvreté en France », publié le 20 octobre 2011, Inégalités.fr, consultable à l'adresse : < http://www.inegalites.fr/spip.php?article270 >

9

Selon Duvoux14, la baisse générale du taux de pauvreté constatée sur ces quarante dernières années (de 13,5 % en 1970 à 7,5 % en 2009)15 s'explique par la relative efficacité des politiques de protections générales et universelles (notamment de gestion des retraites) qui sont en amont des situations de pauvreté.

Toutefois, notons que la pauvreté repart à la hausse depuis 2002, ce qui constitue un véritable tournant historique depuis cinquante ans. Bien que celle-ci n'a pas explosée statistiquement, Duvoux souligne qu'elle « est vécue plus difficilement dans la mesure où elle a changé de nature »16. Cette nouvelle pauvreté n'affecte pas toutes les catégories de population, certaines étant plus exposées que d'autres.

3. Quelles sont les catégories les plus touchées par la pauvreté ?

Aujourd'hui, la réalité de la pauvreté est extrêmement différente de celle d'il y a deux ou trois décennies. Plusieurs grandes évolutions sont à prendre en compte pour mieux comprendre sa mutation. Tout d'abord, la transformation de l'emploi et du marché du travail. Celui-ci s'est flexibilisé puisque les formes de contrats s'y sont précarisées (passant du CDI au CDD et contrats en intérim), le temps partiel s'y est développé (il a augmenté de 8 % à 17 % de l'emploi total entre 1975 et 2008)17 tandis que le chômage de longue durée s'y est installé. Duvoux souligne d'ailleurs que celui-ci reste « une dramatique exception française »18 (près de 40 % du total des chômeurs).

Prenons également la mesure des transformations qui sont intervenues au niveau de la vie privée : une plus grande liberté et autonomie a été acquise au détriment d'une fragilisation des liens sociaux et une transformation des structures familiales avec l'explosion notamment des familles monoparentales19.

Enfin, les formes d'intégration se sont également transformées, surtout pour les étrangers. Elles se sont durcies et placent ces populations dans une insécurité juridique source de précarité. En témoigne, par exemple, le durcissement de l'accès des étudiants étrangers au marché du travail, décidé en mai 2011 par la « circulaire Guéant » prônant

14 Duvoux N., « La pauvreté dans la France contemporaine : regards sociologiques », intervention à l'occasion du 5e Forum départemental de l'Insertion, Brest, 16 décembre 2010.

15 Si l'on se réfère au seuil de 50 %.

16 Duvoux N., « La pauvreté dans la France contemporaine : regards sociologiques », intervention à l'occasion du 5e Forum départemental de l'Insertion, Brest, 16 décembre 2010.

17 Duvoux N., Le nouvel âge de la solidarité. Pauvreté, précarité et politiques publiques, Paris, Seuil, coll. « La république des idées », 2012, p.43.

18 Ibid., p.10.

19 Voir plus bas.

10

une approche « qualitative et sélective20 » pour diminuer le nombre d'étudiants étrangers pouvant prolonger leur expérience professionnelle en France.

Duvoux dresse le portrait de la pauvreté contemporaine dans la société française. Elle « se concentre dans les catégories les plus frappées par le chômage, jeunes et séniors, quand ils sont peu ou pas qualifiés. Si elle touche principalement les jeunes, elle recommence à augmenter chez les personnes âgées21 [...]. »

Voyons plus en détails ces catégories de population touchées par la pauvreté en commençant à nous intéresser à la pauvreté selon l'âge (voir Tableau 2) 22.

Tableau 2 - La pauvreté selon l'âge (seuil à 50% du niveau de vie médian) - Source : Insee,

enquête revenus fiscaux et sociaux, 2009.

Les jeunes

La pauvreté touche en premier lieu les enfants, les adolescents et les jeunes adultes. Plus de 10 % de l'ensemble de ces tranches d'âge sont en effet sous le seuil de pauvreté à 50 %. Parmi les 4,5 millions de pauvres au seuil de 50 % du niveau de vie médian, 1,5 million (plus du tiers du total) sont des enfants et des adolescents. Bien entendu, les enfants pauvres ne sont pas pauvres tout seuls, c'est que leurs parents disposent de revenus insuffisants notamment du fait du chômage et de bas salaires.

Notons que l'ensemble des moins de trente ans représente la moitié des personnes pauvres, soit 2,28 millions d'individus.

Récemment, la crise économique a conduit à une hausse du chômage qui a touché tous les actifs et en premier lieu les jeunes. De plus, une partie des jeunes adultes

20 Voir circulaire en ligne, consultable à l'adresse :

< http://www.gisti.org/IMG/pdf/noriocl1115117j.pdf >

21 Duvoux N., Le nouvel âge de la solidarité. Pauvreté, précarité et politiques publiques, Paris, Seuil, coll. « La république des idées », 2012, p.10.

22 Tableau tiré de « La pauvreté augmente chez les jeunes mais aussi chez les séniors », publié le

23 février 2012, Inégalités.fr, consultable à l'adresse : < http://www.inegalites.fr/spip.php?article373>

11

qui ne disposent pas de soutien familial se trouvent d'ailleurs en grande difficulté car écartés des minima sociaux23.

Entre 2004 et 2009, la pauvreté (au seuil de 50 %) pour l'ensemble de la population a subi une augmentation de 16 %, passant de 3,9 millions de personnes à 4,5 millions. Sur la même période, celui des jeunes adultes (18-29 ans) a subi une augmentation impressionnante de 40 %: leur taux de pauvreté est passé de 7,9 % à 10,9 %, faisant passer le nombre de jeunes adultes sous le seuil de pauvreté de 670 000 à 941 000 personnes.24

Graphique 2 - Augmentation de la pauvreté chez les jeunes et les séniors Source : Insee, données en milliers, seuil de pauvreté à 50%

Les séniors

Bien que les plus de 60 ans soient globalement moins concernés par la pauvreté (ils ne représentent que 11,2 % du total des personnes pauvres), elle augmente aussi chez eux (voir Graphique 2). Le nombre de pauvres de plus de 60 ans est passé de 381 000 à 543 000 entre 2003 et 2008, là aussi une augmentation de plus de 40 %. Le taux de pauvreté des plus de 60 ans est passé de 3,2 % à 4,1 % entre 2003 et 2008, pour revenir à 3,7 % en 2009.

S'ils sont moins nombreux quantitativement parlant, leur situation n'en est pas moins grave : une partie de ces personnes doivent survivre avec de très bas revenus et surtout, ils n'ont que très peu de chances de sortir de leur situation. Cette hausse résulte en partie de l'augmentation de la population âgée mais pas seulement car si elle a amplifiée dans cette catégorie, c'est sous l'effet, entre autres, des différentes réformes

23 Il faut avoir 25 ans pour prétendre au Revenu de Solidarité Active (RSA).

24 « La pauvreté augmente chez les jeunes mais aussi chez les séniors », publié le 23 février 2012, Inégalités.fr, consultable à l'adresse : < http://www.inegalites.fr/spip.php?article373>

12

de retraites entre 1993 et aujourd'hui, qui ont plongé dans la précarité bon nombre de retraités. Ce phénomène nouveau devrait nous alerter puisqu'il démontre un certain renversement de tendance dans la mesure où jusque là c'était surtout « au sein de ces catégories que les politiques de l'Etat-Providence avaient porté leurs fruits25. » En effet, jusqu'aux années 1960, la pauvreté touchait essentiellement les ménages de retraités. « Il s'agissait de la population entrée sur le marché avant la Seconde Guerre mondiale, c'est-à-dire avant la mise en place d'un système généralisé de retraite. » La situation s'était ensuite considérablement améliorée pour les « gens [qui] avaient cotisé régulièrement et bénéficiaient de pensions satisfaisantes26. » Ainsi, grâce à l'action de l'Etat, la pauvreté chez les personnes âgées avait pu réduire de moitié jusqu'à aujourd'hui.27

Désormais, les inquiétudes se concentrent sur les femmes de plus de 75 ans, dont le taux de pauvreté s'établit à un niveau proche de 15 %. Deux facteurs principaux peuvent expliquer ce phénomène selon le rapport de l'ONPES (Observatoire National de la Pauvreté et de l'Exclusion Sociale) : « la perte du conjoint et le bas niveau des pensions en raison d'une carrière incomplète qui n'est qu'insuffisamment compensé par le minimum vieillesse. Son niveau demeure en effet inférieur au seuil de pauvreté, malgré sa forte revalorisation depuis 200728. »

Comme nous l'avons souligné précédemment, l'évolution de la pauvreté a aussi été marquée par les transformations qui ont touché les formes de vie privée et les modèles familiaux conduisant à une plus grande fragilisation du lien social et à de nouvelles situations de précarité. C'est particulièrement le cas pour les familles monoparentales.

25 Duvoux N., Le nouvel âge de la solidarité. Pauvreté, précarité et politiques publiques, Paris, Seuil, coll. « La république des idées », 2012, p.10.

26 Paugam S., « Aujourd'hui on retrouve de la compassion envers les pauvres », Télérama, n°3176, 28 novembre 2010, consultable à l'adresse : < http://www.telerama.fr/monde/serge-paugam-aujourd-hui-on-retrouve-de-la-compassion-envers-les-pauvres,62833.php >

27 Duvoux N., Op. Cit., p.21.

28 Rapport ONPES 2011-2012, p.26.

13

Familles monoparentales

Depuis les années 1980, le nombre de familles monoparentales a doublé pour atteindre 1,8 million en 2005. Aujourd'hui, 17,7 % des enfants de moins de 25 ans vivent avec un parent seul.29

Leur exposition à la pauvreté est environ trois à quatre fois supérieure à celle des autres ménages. En effet, 32,9 % des familles monoparentales soit 1,6 million de familles, disposent de revenus inférieurs au seuil de pauvreté à 60 % contre 10,8 % des couples. Si l'on considère le seuil à 50 % du revenu médian, les taux sont respectivement de 20,8 % (1 million de familles monoparentales) et 5,8 %. 30

Rappelons que dans la très grande majorité des cas, les familles monoparentales sont des femmes avec enfants, puisqu'en cas de séparation, ce sont elles qui, la plupart du temps, obtiennent la charge des enfants. Elles sont également très touchées par les transformations de l'emploi et la flexibilisation du marché du travail : « Le temps partiel imposé, les horaires irréguliers [...] les obligent à des exercices complètement fous. Elles s'épuisent à travailler pour de maigres salaires et à être présentes en tant que mères auprès de leurs enfants. Aujourd'hui, être femme, être dans le monde du travail dans une situation précaire et avoir des enfants, c'est pratiquement mission impossible pour s'en sortir véritablement31. » D'autant que les femmes continuent encore aujourd'hui de toucher des salaires inférieurs de 27% à ceux des hommes32.

Les familles nombreuses sont également fortement exposées à la pauvreté. Les couples avec un ou deux enfants sont moins touchés et les couples sans enfant

enregistrent, eux, les taux de pauvreté les plus bas. (Voir Graphique 3)33

29 Voir « Familles monoparentales et pauvreté », publié le 1er octobre 2011, Inégalités.fr, consultable à l'adresse : < http://www.inegalites.fr/spip.php?article366 >

30 Ibid.

31 Paugam S., « Aujourd'hui on retrouve de la compassion envers les pauvres », Télérama, n°3176, 28 novembre 2010, consultable à l'adresse : < http://www.telerama.fr/monde/serge-paugam-aujourd-hui-on-retrouve-de-la-compassion-envers-les-pauvres,62833.php >

32 Voir « Les inégalités de salaires hommes-femmes : état des lieux », publié le 22 décembre 2011, Inégalités.fr, consultable à l'adresse : < http://www.inegalites.fr/spip.php?article972 >

33 Graphique tiré du rapport ONPES 2011-2012, p.22

14

Graphique 3 - Taux de pauvreté monétaire par type de ménage de 2005 à 2009 (en %) Sources : Insee, enquêtes revenus fiscaux et sociaux 2005 à 2009

Les travailleurs pauvres

L'existence de travailleurs pauvres découle de plusieurs facteurs. D'abord, de la faiblesse des salaires dans de très nombreux secteurs et notamment du niveau du salaire minimum. Ensuite, du temps partiel, qui réduit en proportion les niveaux de vie. Enfin, il résulte également du fractionnement des emplois : petits boulots, alternances de phases d'emploi et de chômage ou d'inactivité.

Un million de personnes exercent un emploi mais disposent, après avoir comptabilisé les prestations sociales ou intégré les revenus de leur conjoint, d'un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté. Elles sont 1,9 million si l'on prend en compte le seuil à 60 %. Le nombre de travailleurs pauvres a grossi de 104 000 personnes entre 2003 et 2009 au seuil de 50 % et de 132 000 personnes au seuil de 60 % du revenu médian.34

Les chômeurs

Bien évidemment, les personnes au chômage font parties des catégories de population les plus touchées par la pauvreté.

Le chômage frappe d'abord les plus jeunes (voir Graphique 3 et Tableau 3) : 17,2 % des actifs35 de 15 à 29 ans.36 Ceci, du fait de leur inexpérience, mais aussi de

34 Voir « Les travailleurs pauvres en France », publié le 17 juin 2012, Inégalités.fr, consultable à l'adresse : < http://www.inegalites.fr/spip.php?article905>

35 Il ne s'agit pas de l'ensemble des 15-29 ans, dont une partie est scolarisée notamment.

36 Voir « Le taux de chômage selon l'âge et le sexe », publié le 12 avril 2012, Inégalités.fr, consultable à l'adresse : < http://www.inegalites.fr/spip.php?article230 >

15

leur arrivée dans une période économique plus difficile où chacun s'accroche fermement à son emploi. Même avec des salaires inférieurs, l'entrée dans le monde du travail reste un parcours difficile, où s'enchaîne de nombreux stages et des périodes de précarité (missions intérim, Contrat à Durée Déterminée, etc.).

Graphique 4 - Taux de chômage selon l'âge et le sexe - Source Insee, 2010

Tableau 3 - Taux de chômage selon l'âge - Source Insee, 2010

Le niveau de diplôme est également un facteur conditionnant fortement le risque d'être au chômage. En effet, le taux de chômage des non diplômés est près de trois fois plus élevé que celui des personnes qui disposent d'un niveau au moins égal à bac +2. Ainsi, on compte près de 6 % de chômeurs chez les détenteurs d'un diplôme supérieur à bac +2, alors qu'ils sont presque trois fois plus nombreux chez les non diplômés (16,1 %). Le diplôme demeure une arme essentielle sur le marché du travail, que ce soit pour y entrer ou pour progresser dans celui-ci ensuite.

La situation est particulièrement dramatique pour ceux qui sortent du système scolaire sans qualification dans une société qui a tendance a survalorisé le niveau de diplôme par rapport à l'expérience personnelle (voir Graphique 4).

Graphique 5 - Taux de chômage selon le diplôme et l'âge (en %) - Source : Insee, 2010

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D'autant que les écarts de taux de chômage ont tendance à s'accroître entre diplômés et non-diplômés depuis 2007 (voir Graphique 5).

Graphique 6 - Evolution du taux de chômage selon le diplôme - Source : Insee

Ces quelques données chiffrées nous ont permis de mettre en lumière certaines grandes évolutions de la pauvreté en France. Toutefois, il s'agit là d'une analyse incomplète à bien des égards.

Rappelons déjà qu'au cours de cette partie, nous avons uniquement évoqué les chiffres qui concernent la pauvreté monétaire. Or, d'autres données pourraient permettre d'avoir un éclairage différent dès lors que l'on s'intéresse par exemple à la pauvreté selon les conditions de vie.

De même, nous avons ici choisi d'aborder largement les inégalités en termes de revenus, pourtant il s'avère que c'est surtout au niveau des patrimoines que les inégalités se creusent : les 10 % des ménages les moins aisés détiennent moins de 2 700 euros de patrimoine brut (avant remboursement des emprunts). Les 10 % les mieux dotés disposent d'un patrimoine supérieur à 552 300 euros. Soit un rapport de 1 à 205, qui a crû de près d'un tiers depuis 2004. Un écart bien plus important que celui relatif aux revenus, qui était en 2009 de 4,2 entre les 10% les plus modestes et les 10% les plus riches.37

Globalement, les phénomènes de pauvreté sont complexes à évaluer et à saisir dans leur ensemble. Ils dépendent très largement des outils de mesure que l'on décide d'utiliser. Pourtant, l'état des lieux effectué plus haut, même si partiel et imparfait, nous

37 Voir données relatives au patrimoine sur le site de l'Insee, consultable à cette adresse : < http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref id=ip1380 >

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a permis de mieux saisir quelques phénomènes de pauvreté, de mieux voir quelles en sont les grandes tendances en cours avant d'en dégager les catégories les plus touchées.

Dans la suite de notre étude, nous allons nous intéresser à la mise en place des dispositifs de protection sociale et d'assistance qui se sont développés et répandus progressivement dans des contextes socio-économiques et politiques eux aussi en évolution afin de répondre à ces phénomènes de pauvreté.

Toutefois, avant de nous intéresser aux grandes étapes de cette « régulation des pauvres38 » pour reprendre l'expression consacrée dans l'ouvrage de Serge Paugam et Nicolas Duvoux, il convient dans un premier temps de s'intéresser aux apports de Simmel à la sociologie de la pauvreté, à travers son ouvrage Les pauvres (1907)39. Cela nous permettra certainement de désenchanter notre vision de l'aide aux plus démunis.

38 Paugam S., Duvoux N., La régulation des pauvres. Du RMI au RSA., Paris, PUF, 2008.

39 Simmel G., Les pauvres, (1ère édition en allemand, 1907), Paris, PUF, « Quadridge », 1998.

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2. L'approche simmelienne de la pauvreté et de l'assistance

« La pauvreté ne peut [...] être définie comme un état quantitatif en elle-même, mais seulement par rapport à la réaction sociale qui résulte d'une situation spécifique. [...] Ce groupe ne reste pas unifié par l'interaction entre ses membres, mais par l'attitude collective que la société comme totalité adopte à son égard.40 »

Georg Simmel

Définition simmelienne de la pauvreté

Georg Simmel, sociologue allemand, est le premier à s'intéresser à l'assistance et au phénomène de paupérisation du début du XXe siècle dans son ouvrage « Les pauvres » (1907). L'idée principale qui ressort de cet ouvrage pionnier en matière de sociologie de la pauvreté est que « la pauvreté naît d'un rapport social41 » auquel le sociologue doit avant tout s'intéresser plutôt que de donner un apport qualitatif sur les définitions institutionnelles. À ce titre, Paugam, adoptant la définition de Simmel, souligne lui, que « la sociologie de la pauvreté ne peut se satisfaire d'une approche descriptive et substantialiste des pauvres. Elle doit privilégier l'analyse des modes de construction de cette catégorie sociale et caractériser les relations d'interdépendances entre elle et le reste de la société.42 » Pour reprendre la définition originale de Simmel : « Les pauvres en tant que catégorie sociale, ne sont pas ceux qui souffrent de manque et de privations spécifiques, mais ceux qui reçoivent l'assistance ou devraient la recevoir selon les normes sociales. Par conséquent la pauvreté, ne peut dans ce sens, être définie comme un état quantitatif en elle-même, mais seulement par rapport à la réaction sociale qui résulte d'une situation spécifique. [...] C'est à partir du moment où ils sont assistés, peut-être même lorsque leur situation pourrait normalement donner droit à l'assistance, même si elle n'a pas encore été octroyée, qu'ils deviennent parti d'un groupe caractérisé par la pauvreté. Ce groupe ne reste pas unifié par l'interaction entre ses membres, mais par l'attitude collective que la société comme totalité adopte à son égard43. »

40 Simmel G., Op. Cit., p. 96-98.

41 Paugam S., Duvoux N., La régulation des pauvres. Du RMI au RSA., Paris, PUF, 2008, p.10.

42 Ibid., p.17.

43 Simmel G., Op. Cit., p. 96-98.

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Dans cette définition que donne Simmel de la pauvreté, il faut également prendre la mesure du caractère culturellement relatif de la pauvreté puisqu'un pauvre est considéré comme pauvre uniquement par la société ou le groupe dans lequel il évolue « selon les normes sociales » en vigueur. La notion de pauvreté n'est donc pas universelle. Le Yondre résume très bien cette idée ainsi : « Un pauvre est pauvre relativement à la culture de la société, au niveau de besoin qu'elle génère44 ».

Paugam distingue lui plusieurs types de pauvreté selon les sociétés : pauvreté « disqualifiante » (France), pauvreté « intégrée » (pays pauvres), pauvreté « marginale » (pays scandinaves)45. La pauvreté intégrée décrit la situation de pays ou de régions économiquement en retard. Comme cette dernière est depuis longtemps largement répandue, les pauvres ne sont pas stigmatisés et bénéficient de la solidarité familiale ou de la socialisation par une pratique religieuse qui reste intense. La pauvreté marginale correspond à la pauvreté d'une petite partie de la population au sein d'une société prospère. Ces pauvres, considérés comme des « cas sociaux » inadaptés au monde moderne sont fortement stigmatisés. La pauvreté disqualifiante concerne les sociétés postindustrielles touchées par des difficultés économiques. Les pauvres sont considérés à travers l'image de la chute ou de la déchéance. L'angoisse du chômage et de l'exclusion touche une grande partie de la société.

Fonctions de l'assistance aux pauvres

A travers son analyse de la pauvreté, Simmel a été le premier à déconstruire la vision philanthropique que l'on est tenté d'avoir sur le traitement de celle-ci par la société. Dans nos représentations, l'assistance serait une pratique altruiste et vertueuse. Pourtant, il est aisé de démontrer que l'assistance aux pauvres s'attache davantage à satisfaire le donateur que le receveur, et ceci dans l'intérêt premier de la collectivité. Simmel ne manque pas à cet effet de souligner que « la collectivité sociale récupère indirectement les fruits de sa donation46. » L'intérêt pour la nation qui vient en aide aux pauvres est en effet réel à bien des égards : « La fonction de l'assistance est dans ce cas, tout à la fois, de réhabiliter leur activité économique, de les rendre plus productifs, de préserver leur énergie physique, de réduire le risque de dégénérescence de leur progéniture, et enfin, d'empêcher leurs impulsions à user de moyens violents dans le but

44 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs..., 2009, p.163.

45 Paugam S., Les formes élémentaires de la pauvreté, Paris, PUF, 2005.

46 Simmel G., Op. Cit., p. 57.

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de s'enrichir. [...] L'assistance est un facteur d'équilibre et cohésion de la société. Elle est un moyen pour elle d'assurer son autoprotection et son autodéfense47

Suivant l'analyse que fait Simmel sur les fonctions de l'assistance, Paugam lui attribue également une fonction économique, morale et culturelle. Au niveau économique, l'assistance permet de préserver la société du « risque d'abaissement des salaires que le pauvre pourrait engendrer en acceptant de travailler pour trop peu »48. Quant à sa fonction morale et culturelle, « l'existence des pauvres permet de garantir un statut social à ceux qui ne le sont pas, ou pas encore. ». De plus, l'existence de pauvres au sein de la société « encourage les autres catégories à faire preuve de vertus morales comme le travail, la constance dans l'effort, la volonté, la responsabilité individuelle pour se tenir à distance de la déchéance et continuer si possible à gravir l'échelle sociale49. »

Plus désenchantant encore, Simmel n'hésite pas à faire ressortir la fonction résolument conservatrice de l'assistance : « L'assistance se fonde sur la structure sociale, quelle qu'elle soit ; elle est en contradiction totale avec toute aspiration communiste ou socialiste, qui abolirait une telle structure sociale. Le but de l'assistance est précisément de mitiger certaines manifestations extrêmes de différenciation sociale, afin que la structure sociale puisse continuer à se fonder sur cette différenciation. Si l'assistance devait se fonder sur les intérêts du pauvre, il n'y aurait, en principe, aucune limite possible quant à la transmission de la propriété en faveur du pauvre. Une transmission qui conduirait à l'égalité de tous50. » En clair, c'est bel et bien l'assistance qui permet de maintenir les inégalités de la société. Pour Robert Castel dont le sens de la formule est toute aussi désenchantant, on pourrait dire en fin de compte qu'il s'agit de « faire du social pour éviter le socialisme51 ».

À ce titre, l'analyse de Simmel renverse le rapport de causalité généralement perçu entre la pauvreté et l'assistance. Le Yondre le schématise ainsi: « l'assistance n'est plus une réponse mais la cause de la pauvreté dans la mesure où c'est l'action vers la pauvreté qui la fait exister52. »

47 Paugam S., Duvoux N., Op. Cit., p.20.

48 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs..., 2009, p.167.

49 Paugam S., Duvoux N., Op. Cit., p.23.

50 Simmel G., Op. Cit., p. 49.

51 Cité par Vilbrod A. in Bouve C., L'utopie des crèches françaises au XIXe siècle : un pari sur l'enfant pauvre, Peter Lang, 2010.

52 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs..., 2009, p.166.

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3. Du welfare au workfare : mise en place de politiques

d'activation et de responsabilisation des pauvres

« Loin des réalités du terrain, les politiques sociales élaborées dans les hautes sphères gouvernementales subordonnent toujours plus le social aux impératifs glacés de la compétition économique et enferment le réel dans une logique de « choses mortes. » [...]

A quelques exceptions près, un consensus s'est assez rapidement formé parmi les élites politiques nationales et européennes pour considérer que la réduction des inégalités n'était plus à l'ordre du jour ni même du ressort de l'action gouvernementale. Mieux valait, plus modestement, s'en tenir à ce qu'on appelle désormais, du fait de la dégradation de la situation sociale, la lutte « contre la pauvreté et les exclusions ». Dénoncé pour sa trop grande « générosité », l'ambition sociale de sécurité généralisée à l'ensemble des populations a progressivement laissé la place à un système de soutien parcimonieux réservé aux plus nécessiteux. Le projet d'une couverture minimum pour (presque) tous a succédé à l'idéal d'une protection sociale pour tous. » 53

Noëlle Burgi

1. D'une protection sociale universaliste...

Une protection sociale universelle érigée après la Guerre

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les réformateurs sociaux ont créé des systèmes solidaires de protection sociale destinés « à débarrasser les travailleurs de la hantise du lendemain » pour citer Pierre Laroque, père fondateur de la sécurité sociale.

Cet objectif n'avait pas été défini en vertu d'une « vision compassionnelle des rapports sociaux »54. Elle découlait d'une leçon désastreuse de l'Histoire aux sociétés occidentales : ces dernières venaient de connaître une période de désintégration et de conflit allant de 1914 à 1945, traversant la grande dépression des années 1930. Le

53 Burgi N., La machine à exclure. Les faux semblants du retour à l'emploi, Paris, La Découverte, 2006, p.39-40.

54 Ibid., p.41.

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système de protection sociale « devait avant tout protéger d'un éventuel recommencement55 » par peur de voir surgir à nouveau les mêmes causes et les mêmes effets. Elle relevait avant tout d'un « devoir de la collectivité à l'égard de ses membres56 ».

Schématiquement, ce système de protection sociale faisait dériver les droits sociaux directement du contrat de travail de l'assuré et s'étendaient indirectement à ses proches et ses ayants droit. Quant aux pauvres situés à l'extérieur du système productif, il appartenait surtout aux familles, soumises à l'obligation alimentaire de les secourir. La collectivité pouvait également intervenir auprès d'eux, dans le cadre de l'action sociale et par l'intermédiaire des travailleurs sociaux, si l'absence de relation avec le travail était justifiée. Le principe de l'assurance sociale, construit dans un contexte de plein emploi, couvrait les risques des périodes de rupture avec l'emploi, car celles-ci étaient considérées comme involontaires et transitoires.

Ainsi, après 1945 et durant une trentaine d'années, « l'assistance a tendu à décroître à mesure que l'Etat social s'édifiait autour de la notion d'assurance57. »

2. ... à une protection résiduelle centrée sur les exclus

La crise économique qui s'ouvre avec les chocs pétroliers des années 1970 et l'arrivée concomitante du chômage de longue durée vont changer radicalement la donne. La société en sort transformée. Pour Duvoux « l'individualisation a déstabilisé de concert ces deux institutions que sont le marché du travail et la famille traditionnelle. Cette crise est le creuset dans lequel la protection sociale se transforme. »58

Crise des années 1970 et retour au premier plan du néo-libéralisme

À partir de la crise économique des années 1970, le néo-libéralisme s'est imposé de force59 comme la seule politique possible60 puisque les méthodes d'inspiration keynésienne n'ont pas permis de résoudre cette crise. En effet, alors que les gauches

55 Burgi N., Op. Cit., p.41.

56 Ibid.

57 Duvoux N., Le nouvel âge de la solidarité. Pauvreté, précarité et politiques publiques, Paris, Seuil, coll. « La république des idées », 2012, p.17.

58 Ibid., p.23.

59 Voir la « contre-révolution économique et sociale » conduite par Margaret Thatcher lors de la

grève des mineurs du 5 mars 1984 au 6 mars 1985 qui, avec le concours de la « révolution conservatrice » initiée aux Etats-Unis par Ronald Reagan, ouvrit la voie à la globalisation du nouveau paradigme néolibéral (Burgi. N., La Machine à exclure. Les faux-semblants du retour à l'emploi, La Découverte, Paris, 2006, p. 31-32).

60 Le slogan martelé par Margaret Thatcher était alors : « There is no alternative. »

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européennes n'ont pas su proposer de projet commun pour adapter leur théorie économique à cette crise, les néolibéraux, eux, se tenaient prêts à revenir au devant de la scène économique et politique. C'est ainsi que le néo-libéralisme a pu petit à petit se propager à l'ensemble des gouvernements et progressivement remplacer l'éthique du pacte social par « un nouveau cadre redéfinissant les droits et obligations des citoyens qui reposent maintenant sur les règles de la concurrence61. » Il a défini comme priorité la règle de transparence des coûts tout en mobilisant les égoïsmes individuels, interprétant le chômage de masse comme la somme de parcours biographiques. Les politiques sociales ont alors progressivement fait le deuil des principes de solidarité tout en empruntant le chemin d'une conception restrictive de l'efficacité économique.

Développement du workfare

Depuis trois décennies, en Amérique du Nord puis en Europe, les pouvoirs politiques ont développé, sous des formes plus ou moins atténuées, des politiques d'activation à destination des catégories pauvres affectées par le chômage. C'est ce qu'on a appelé la logique de workfare. Elle fait référence à la « mise au travail des pauvres », et succède aux politiques de welfare « État de bien-être collectif » 62. Le but de la manoeuvre ? Rendre le travail « payant63 » en accroissant le différentiel de revenu entre l'assistance et l'emploi. Valérie Pécresse, alors ministre du Budget et porte parole du gouvernement français, exprimait cette idée on ne peut plus clairement le 22 février 2012 sur LCI : « L'idée c'est d'accroître le différentiel entre les français qui vivent de revenus d'assistance et les français qui vivent des revenus du travail. »

Revenons un petit peu en arrière, au début des années 1990. Le consensus, dit « de Washington » développe une critique très forte de l'Etat social, et se donne comme priorités « la privatisation, la contractualisation et le ciblage des dépenses sociales64 ». Le chômage devient dès lors un risque individuel, et non un risque lié au contexte économique. A partir de là, le chômeur (ou le pauvre) doit donc être « incité » à reprendre un emploi , le travail étant présenté comme le « moyen et le vecteur de l'insertion » tandis que « l'activation des dépenses sociales (c'est-à-dire le fait qu'elles ne soient plus simplement curatives, mais capables de sortir les assistés de leur

61 Burgi. N., Op. Cit., p. 27-28.

62 Duvoux N., Le nouvel âge de la solidarité. Pauvreté, précarité et politiques publiques, Paris, Seuil, coll. « La république des idées », 2012, p.67.

63 Voir le slogan britannique en vogue dans les années 1990 : « Making work pay. »

64 Duvoux N., Op. Cit., p.67.

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situation, le plus souvent en les réinsérant sur le marché du travail) s'impose partout sous des modalités différentes65. »

« L'obligation à la citoyenneté », selon Lawrence Mead

Cette profonde transformation de l'aide sociale n'a rien d'une évolution naturelle ou structurelle. Burgi souligne qu'elle n'aurait pas eu lieu sans l'intervention décisive de l'Etat, le redéploiement du pouvoir aux instances supranationales et le travail de réinterprétation du monde et des valeurs collectives « pour faire adhérer, sinon consentir66. » À ce propos, Loïc Wacquant, dans son ouvrage Les prisons de la misère (1999) consacre quelques pages67 aux théories défendues par Lawrence Mead, politologue conservateur de la New York University, auteur du livre Au-delà des droits, obligation à la citoyenneté (1986), qui a durement oeuvré auprès des élites politiques occidentales pour l'adhésion de ces dernières à la doctrine du workfare.

À l'occasion d'un colloque68 en Angleterre en 1997, Mead expliquait que si l'Etat doit s'interdire d'aider les pauvres matériellement, il lui incombe toutefois de les soutenir moralement en leur imposant de travailler. Ce sont les fameuses « obligations à la citoyenneté » (plus tard développées par la politique de Tony Blair en Angleterre69) justifiant la mutation du welfare en workfare. Selon lui, le modèle de l'Etat-Providence a échoué à résorber la pauvreté car trop « permissif » au sens où il n'imposait pas d'obligations de comportements à leurs bénéficiaires. Pour Mead, « Le chômage tient moins aux conditions économiques qu'aux problèmes de fonctionnement personnel des chômeurs », de sorte que « l'emploi, tout du moins pour ce qui est des emplois « sales » et mal payés, ne peut plus être laissé au bon vouloir et à l'initiative de ceux qui travaillent » Il doit même être rendu obligatoire « à l'instar du service militaire qui a permis de recruter dans l'armée ». Pour lui, « Le non travail est un acte politique » qui démontre « la nécessité du recours à l'autorité70 ». Par ailleurs, il prône le remplacement d'un Etat-Providence « maternaliste » par un état punitif « paternaliste » : « Nous avons

65 Duvoux N., Op. Cit. p.67.

66 Burgi N., Op. Cit., p.40.

67 Wacquant L., Les prisons de la misère, Raisons d'agir, 1999, p.36-42

68 Lawrence Mead (éd.), «From Welfare to Work, lessons from America», Londres, Institute of Economic Affairs, 1997.

69 Mead est l'un des grands inspirateur américains de la politique britannique de réforme des aides sociales.

70 Mead L., Beyond Entitlement : The Social Obligations of Citizenship, New York, Free Press, 1986, p.13, 200 et 87

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besoin de savoir pourquoi et comment les pauvres sont méritants, ou pas, et quels types de pression peuvent influer sur leur comportement71 » explique t-il alors.

C'est à peu près cette philosophie de l'aide sociale qui s'est développée, avec quelques exceptions et nuances selon les pays, en Europe et en Amérique du Nord. Duvoux remarque que « le point fondamental est que, même si les réformes sont de natures différentes, voir opposées dans pays socio-démocrates et libéraux, le niveau d'activation est relativement identique. »72

Toutefois, la France, de par son héritage catholique et républicain, et sa vision compassionnelle de l'exclusion est restée étrangère à cette mise au travail des pauvres jusqu'aux années 2000 (et la mise en place de nouvelles politiques d'activation telles que la Prime pour l'emploi en 2001, le RMA73 en 2003, ou encore le RSA74 en 2008).

Le bilan du workfare est cependant plus que mitigé dans la plupart des pays : les politiques d'activation se sont accompagnées d'un renforcement des inégalités75 tandis que se développait le phénomène de « pauvreté laborieuse ».

Le phénomène de « pauvreté laborieuse »

Ces politiques d'activation ont en effet largement participé à la dégradation des normes d'emploi : « En généralisant les emplois précaires et autres « petit boulots », elles ont contribué à faire accepter l'idée que certaines tâches étaient une chance pour les populations pauvres et déqualifiées, considérées de toute façon comme « inemployables » 76 ». Le paradoxe, pour Duvoux est que ces politiques censées juguler la « nouvelle pauvreté » ont accompagné son prolongement dans la « pauvreté laborieuse » traduction du phénomène des « working poor » connu de longues dates dans les pays anglo-saxons77. Duvoux dénombre trois principaux facteurs explicatifs pour expliquer le développement et la persistance de la « pauvreté laborieuse » en France : les bas salaires horaires, les faibles durées de travail et les emplois instables78. Certains secteurs sont néanmoins plus touchés que d'autres par ce phénomène de

71 Mead L., The New Politics of Poverty : The Nonworking poor in America, New-York, Basic Books, 1992

72 Duvoux N., Le nouvel âge de la solidarité. Pauvreté, précarité et politiques publiques, Paris, Seuil, coll. « La république des idées », 2012, p.69.

73 RMA : Revenu Minimum d'Activité

74 RSA : Revenu de Solidarité Active

75 Duvoux N., Op. Cit., p.83.

76 Ibid., p.40.

77 Ibid.

78 Ibid., p.42.

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pauvreté laborieuse : hôtellerie, restauration, nettoyage, service à la personne, agriculture ou encore le commerce79.

Dualisation de la protection sociale

Dans ce contexte de transformation de l'Etat social, la protection sociale s'est « dualisée ». D'un côté, un système assurantiel qui continue de protéger ceux qui ont un emploi et qui contribue à l'utilité sociale et à la production de richesses. De l'autre, pour les non-contributeurs, elle devient « assistancielle et compassionnelle, tout en se teintant d'un procès culpabilisant à l'égard de ceux qui n'auront pas su saisir leur chance. »80 Pour Duvoux, ces derniers subissent « une double peine » puisqu'ils sont, de fait, mis à l'écart à la fois du travail et de ses protections. Le décalage entre les formes d'emplois précaires qui y sont proposées et les exigences de continuité et de stabilité pour avoir droit à la protection sociale exclut de plus en plus de personnes81.

Responsabilisation des pauvres

Le principe de l'activation introduit par la logique de workfare est indissociable d'une certaine responsabilisation des pauvres. Pour Peter Abrahamson, on peut concevoir ce principe « comme découlant d'une responsabilité accrue de l'individu dans la mesure où c'est à ce dernier qu'il incombe d'améliorer sa qualification en prenant part à différentes mesures d'activation82. »

Ainsi, on observe globalement que la pauvreté est traitée de façon de plus en plus séparée de l'évolution générale de la société. Les problèmes des pauvres sont des problèmes spécifiques qui ne concernent qu'eux et pas l'ensemble de la société. Sous-entendu, c'est à eux de surmonter leurs problèmes, car ils sont les propres responsables de leur situation.

Cette philosophie politique de mise au travail des plus pauvres, ainsi que certaines évolutions sociétales, ont abouti à établir un climat de suspicion et de stigmatisation des personnes dépendantes de l'assistance de l'Etat.

79 Rapport de l'ONPES 2011-2012, p.41-42.

80 Lavoué J., « Face aux souffrances sociales : évolution, enjeux et principes de l'éducation spécialisée », in Le métier d'éducateur spécialisé à la croisée des chemins, Sous la direction de Conq N., Kervella J.-P., Vilbrod A., Coll. Travail du social, L'Harmattan, Paris, 2010, p.185.

81 Duvoux N., Op Cit., p.71.

82 Abrahamson P., « La fin du modèle scandinave ? La réforme de la protection sociale dans les pays nordiques », Revue française des affaires sociales, 2005/3 n° 3, p. 105-127.

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4. Un climat social et politique stigmatisant à l'égard des « assistés »

Benoît 83 : - « [...] Parce que quand tu entends les gens, c'est un peu, payer les gens à rien faire quoi... »

Enquêteur : - « T'entends souvent ce discours là... ? »

Benoît : - « Tout le temps, tout le temps ! Tous les gens avec qui j'ai discuté et qui avaient évidemment un travail, quand tu leurs sors ça, ils te regardent mal... S'ils avaient une carabine dans les mains... Ils s'en serviraient je crois. Bon c'est vrai que ça aide pas à se sentir bien... [...] Et en plus souvent les gens qui disent ça, eux-mêmes ils s'en foutent, ils ont eu un boulot facilement, ils ont été pistonné ou alors ils ont eu un boulot depuis tellement d'années qu'ils peuvent plus le perdre donc ils s'en foutent. Tu sais quand t'es dans la galère et qu'on te propose des emplois que d'une semaine ou deux... C'est pas trop motivant quoi. »

(Extrait d'entretien)

Depuis le début des années 2000, le rejet de l'assistance est devenu un élément structurant des représentations sociales et du débat politique français. Les assistés sont suspectés de profiter du système : nous sommes entrés dans « l'ère du soupçon84 ».

Une insécurité sociale qui pousse au rejet de l'assistanat...

[...]86. »

Pour Duvoux, « la paupérisation des classes populaires, le déclassement effectif d'une partie des classes moyennes et la peur du déclassement qui touche l'ensemble de la population se conjuguent pour alimenter un regard ambigu sur les assistés. Ces tensions entretiennent le mythe du chômeur « volontaire » et la désignation de boucs émissaires, d'autant plus commodes qu'ils sont, à quelques exceptions près, silencieux85. » Il relève toutefois un paradoxe : « les tensions les plus fortes apparaissent entre certaines catégories de travailleurs modestes et les bénéficiaires de l'assistance, alors même qu'ils sont proches sociologiquement

83 Benoît est un jeune homme de 28 ans qui touche le RSA. Le prénom a été changé.

84 Duvoux N., Le nouvel âge de la solidarité. Pauvreté, précarité et politiques publiques, Paris, Seuil, coll. « La république des idées », 2012, p.12.

85 Ibid., p.11.

86 Ibid., p.12.

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Robert Castel remarque lui aussi un « rabattement de la conflictualité sociale » sur des catégories très proches. Il note « un mélange d'envie et de mépris qui joue sur un différentiel de situation sociale et fixe la responsabilité du malheur que l'on subit sur les catégories placées juste au-dessus ou juste au-dessous sur l'échelle sociale87. »

Olivier Schwartz souligne que les classes populaires salariées ont le « sentiment d'être lésées à la fois par les décisions qui viennent du haut et par des comportements qui viennent de ceux du bas, d'être lésées à la fois par les puissants et par les plus pauvres.88 »

Quant aux assistés eux-mêmes, Duvoux a observé des discours curieusement très violents à l'égard des « profiteurs ». Pour lui, il s'agit en fait d'un mécanisme de détournement du stigmate. Ainsi, « pour défendre leur dignité, beaucoup reportent le préjugé de l'assisté paresseux ou fraudeur sur d'autres catégories [d'assistés], celles qui sont proches et dont il faut à toute force se différencier89. » C'est ainsi que des tensions apparaissent parmi les populations précaires : les « vieux » critiquent les « jeunes » et inversement, les « blancs » tiennent à se distinguer des « noirs » ou des « arabes » alors que ces derniers accusent les « français » d'ériger des barrières à leur entrée sur le marché du travail, etc.

Du reste, les classes sociales plus aisées ne sont pas non plus indifférentes à l'assistanat, bien au contraire. Régis Bigot observe que « plus on s'élève dans l'espace social, plus on manifeste une satisfaction suspicieuse vis-à-vis de l'assistance90 ». Bien évidemment, cela s'explique en partie du fait que ceux qui les financent ne sont pas ceux qui en bénéficient, et réciproquement. Mais Duvoux, explique qu'il y a autre chose : « l'insistance des discours politiques sur le rejet de l'assistanat par les travailleurs modestes exonère à bon compte les catégories plus favorisées de leur indifférence, voire de leur hostilité91 ».

...alimentée par des discours politiques stigmatisant...

La frustration engendrée par la précarité qui touche nombre de français fait l'objet ces dernières années d'une forte récupération politique visant à détourner les

87 Castel R., L'insécurité sociale. Qu'est-ce qu'être protégé ?, Paris, La République des idées / Seuil, 2007, p.51

88 Schwartz O., « Trois remarques sur la société française contemporaine », La Vie des Idées, 22 septembre 2009, consultable à l'adresse : http://www.laviedesidées.fr/Vivons-nous-encore-dans-une.html

89 Duvoux N., Op. Cit . p.56-57.

90 Bigot R., « Conditions de vie et aspiration des Français », CREDOC, n°265, octobre 2010.

91 Duvoux N., Op. Cit., p.53.

29

rancoeurs sur les « assistés », assimilés, on l'a vu, à des « profiteurs », voire à des « fraudeurs ». Pour Duvoux, « ces discours réactionnaires répondent surtout aux intérêts des classes moyennes et supérieures pour qui le sort des pauvres est une préoccupation de plus en plus lointaine92. » Depuis une quinzaine d'années, un intense travail de politisation a effectivement été mené auprès des travailleurs précarisés rejetant de plus en plus le monde politique. Il a bien fallu reconquérir cet électorat en convoquant des sujets, qu'on pourrait qualifier de faux problèmes, dont les médias se sont fait largement l'écho : la question de la fraude aux aides sociales, le problème de l'insécurité (en 2002), ou les discours virulents sur l'assistance (tenus par les candidats à l'élection présidentielle de 2007) en sont de parfaits exemples. Duvoux explique à ce titre qu'il est devenu « payant, électoralement, de monter les classes populaires salariées contre les « assistés » 93 ».

...bien loin des réalités.

Pourtant, toutes les études menées auprès des assistés démontrent que la réalité est bien différente des idées reçues véhiculées par les médias de masse et les élites politiques. La suspicion à l'égard des assistés bien que très prégnante dans notre société reste très largement infondée.

En premier lieu, il faut souligner que le non-recours aux prestations sociales est très élevé en France. « S'il y a une spécificité de la pauvreté, ce serait plutôt le non-recours94» souligne Duvoux. Par crainte d'être stigmatisé, ou pour cause de lourdeurs administratives, beaucoup de personnes qui pourraient bénéficier d'allocations n'ont pas recours à leurs droits. C'est notamment le cas du RSA-activité puisque plus des deux tiers (68% en fin 2010) des allocataires potentiels du complément d'activité aux travailleurs modestes ne sollicitent pas cette prestation. Tandis que le taux de non-recours au RSA « socle » (l'ancien RMI) serait de l'ordre de 28 % 95. Le non-recours au RSA engendrerait une « non-dépense » de près de 4 milliards d'euros96.

Qui sont les personnes qui ne demandent pas le RSA ? Il s'agit en grande partie d'étrangers ou de personnes qui se perçoivent moins précaires que les allocataires eux-

92 Duvoux N., Op. Cit., p.40.

93 Ibid., p.51.

94 Ibid., p.12.

95 Voir « Le non-recours aux droits en France », publié le 29 septembre 2011, Inégalités.fr, consultable à l'adresse : < http://www.inegalites.fr/spip.php?article1495 >

96 Colomb N., « La moitié des personnes éligibles au RSA n'en fait pas la demande, selon une étude », Actualités Sociales Hebdomadaires, n°2737 du 16/12/2011, p.22-23

30

mêmes : 42 % d'entre elles se considèrent en situation de pauvreté (contre 62 % des allocataires) et ne se classent pas parmi les populations qu'elles pensent être les cibles de la prestation. Parmi les explications du non-recours, la méconnaissance du dispositif concerne 11 % des personnes n'ayant jamais perçu le RSA. Un quart d'entre elles déclarent qu'elles connaissaient son existence mais pensaient ne pas pouvoir bénéficier du dispositif. Certaines pensaient qu'il n'était versé qu'aux personnes ou familles sans emploi, d'autres ne savaient pas auprès de qui faire les démarches. Par ailleurs, une large majorité ignore l'une des mesures incitatives du dispositif, à savoir qu'il est possible de cumuler salaire et totalité du RSA pendant trois mois lorsque l'on reprend le travail. Une petite partie (13 %) des personnes qui connaissent le dispositif savent qu'elles pourraient en bénéficier mais « disent se débrouiller financièrement » ou ne veulent pas « être dépendantes ou redevables ». Pour d'autres, ce sont les démarches qui sont « trop compliquées ». Très peu (2 %) disent qu'elles ne sont « pas intéressées par le RSA ».97

Des taux de non-recours importants sont également observés pour les prestations sociales concernant l'accès aux soins. En 2008, 1,5 million de personnes sur les 6 millions de bénéficiaires potentiels ne disposaient pas d'une CMU (Couverture Maladie Universelle assurant aux plus démunis un accès gratuit aux soins). Au 31 décembre 2010, une étude du Fonds CMU estimait que le nombre de personnes n'ayant pas recours à la CMU-C (couverture maladie universelle complémentaire, mutuelle complémentaire rattachée à la couverture maladie synonyme de sécurité sociale) était de 1,7 million, soit un taux de non-recours de plus de 20 %. Plus spécifiquement, les personnes qui touchent le RSA «socle», et qui sont ainsi systématiquement affiliées à la CMU-C, présentaient un taux de non-recours de 28,9 % en juin 2010.98

De plus, les fraudes dont sont suspectés les assistés ne sont pas plus répandues chez les pauvres que chez les riches et les ultra-riches « passés maîtres dans l'art de l'évasion fiscale »99 comme le rappelle Duvoux. Un manque à gagner énorme pour l'Etat qui contraste fortement avec le non-recours aux droits des personnes les plus démunies...

97 Colomb N., « La moitié des personnes éligibles au RSA n'en fait pas la demande, selon une étude », Actualités Sociales Hebdomadaires, n°2737 du 16/12/2011, p.22-23

98 Voir « Le non-recours aux droits en France », publié le 29 septembre 2011, Inégalités.fr, consultable à l'adresse : < http://www.inegalites.fr/spip.php?article1495#nb3 >

99 Duvoux N., Op. Cit., p.12.

31

Partie II - Description de l'action « En

Avant Toute ! »

1. Historique

1. Genèse

L'action « En Avant Toute ! » a été créé en 1998 après que Patrice Daviaud alors assistant social au Centre Départemental d'Action Sociale (CDAS) de Quimper, ait soulevé quelques interrogations sur la situation de l'homme au sein du couple lors des demandes d'aide sociale. Le constat était le suivant : les femmes sollicitent davantage une aide psychologique ou financière que les hommes. C'est pourquoi, l'idée originale était de mettre en place des activités sportives sur le territoire de Quimper dans le but de toucher un public homme, et plus particulièrement, les hommes allocataires du Revenu Minimum d'Insertion (RMI). Le public visé était donc, à l'origine, exclusivement masculin.

L'essentiel des activités sportives ont été conçues et mises en place dans un premier temps par Patrice Daviaud, qui avait pris quelques contacts au sein du tissu sportif quimpérois, notamment auprès d'une piscine et d'une salle de musculation. Bernard Moulin a dès le départ été embauché pour encadrer l'ensemble des activités. Son premier contrat de travail était alors un Contrat à Durée Déterminée (CDD) à temps partiel, mais il convient de préciser d'emblée qu'il n'était pas employé par le Conseil Général. En effet, depuis la création d' « En Avant Toute ! », c'est l'Association Départementale pour la Sauvegarde de l'Enfance, de l'Adolescence et des Adultes du Finistère (ADSEA29) qui sert d'association support et qui emploie Bernard Moulin. Une association qu'il connaissait déjà pour l'avoir côtoyé lorsqu'il travaillait à Avel-Mor, une Maison d'Enfance à Caractère Social (MECS), d'autant plus qu'il connaissait son directeur de l'époque, Dominique Odot. C'est pourquoi, l'ADSEA29 a facilement accepté de servir de « boîte aux lettres » pour l'action, dans la mesure où elle recevait la subvention du Conseil Général, et la reversait d'une part, à Bernard Moulin sous forme

32

de salaire, et d'autre part, à « En Avant Toute ! », pour couvrir financièrement son fonctionnement.

Subventionnée exclusivement par le Conseil Général, l'expérience originale a duré quatre mois. Il s'agissait en fait d'un premier essai, qui a fait l'objet d'un premier bilan par le Conseil Général, qui a décidé de reconduire l'action sur un plus long terme. A partir de là, l'action « En Avant Toute ! » s'est progressivement développée sur le territoire finistérien et en s'élargissant à de nouveaux publics.

2. Principales évolutions Ouverture à d'autres publics

Tout d'abord, la première évolution importante a été d'ouvrir très rapidement l'action aux femmes car il n'y avait aucune raison que seuls les hommes puissent bénéficier d'activités sportives.

Par ailleurs, l'action s'est progressivement élargie à une plus grande diversité de publics. Bien qu'à l'origine, elle s'adressait uniquement aux hommes allocataires du RMI, l'action s'est peu à peu ouverte à d'autres minimas sociaux, tels que l'Allocation Adulte Handicapé (AAH), l'Allocation de Solidarité Spécifique (ASS) ainsi qu'aux personnes touchant des indemnités de chômage par l'ASSociation pour l'Emploi Dans l'Industrie et le Commerce, plus connu sous le nom d'A.S.S.E.D.I.C. L'action s'est également ouverte aux demandeurs d'asile, aux personnes en situation d'invalidité, puis aux personnes en formation.

Cette ouverture à différents publics est intéressante à bien des égards puisqu'elle a permis non seulement de diversifier son public, mais également de varier les sources de financement. Nous reviendrons plus tard sur ce point.

Développement sur le territoire Concarneau-Quimperlé

Depuis 2008-2009, l'action « En Avant Toute ! » s'est développée sur le territoire de Concarneau et Quimperlé sous l'impulsion du Conseil Général du Finistère avec l'embauche à temps plein d'un deuxième éducateur sportif, Florent Philippe. Il dispose d'un bureau au CDAS de Concarneau et de Quimperlé. Il s'occupe du public des secteurs de Concarneau et Quimperlé de façon autonome. Toutefois, il reste quotidiennement en contact avec Bernard Moulin.

33

À noter qu'une étude de faisabilité a été menée en 2010 sur la possibilité d'un élargissement de l'action au Finistère-nord et plus précisément sur le territoire brestois. Les conclusions de l'étude étaient plutôt encourageantes mais des problèmes de financement persistent.

Prestations de services et nouvelles sources de financement

Depuis 2006, « En Avant Toute ! » a mis en place un partenariat avec le Centre d'Adaptation et de Formation Professionnelle100 (CAFP) puis avec différents Instituts Bretons d'Education Permanente (IBEP) du département (Douarnenez, Quimperlé, Concarneau, Pont-l'Abbé). Désormais, l'action accueille sur différentes activités des jeunes en formation dans l'une des deux structures en échange d'une contrepartie financière.

2. Publics accueillis

Un document de présentation de la structure présente le public d' « En Avant Toute ! » de cette façon : « Il s'agit d'hommes et de femmes sans emploi, de 18 à 60 ans, de toutes origines sociales, culturelles, et géographiques, bénéficiaires des minima sociaux et inscrites dans une démarche d'emploi. »

1. Les caractéristiques des publics d' « En Avant Toute ! »

« En Avant Toute ! » permet aux personnes qui s'y inscrivent de pouvoir se « reconstruire » après avoir été confrontées à des « accidents de vie (chômage, séparation, maladie, déplacement, etc.)101 » pour reprendre ici les termes employés sur la page web102 qui présente l'action.

Toujours selon cette même page, « les personnes sans emploi subissent souvent un choc émotionnel qui provoque un véritable bouleversement intérieur103 », qui se décline « principalement » sous cinq aspects :

100 Qui fait également partie de l'ADSEA 29.

101 Dans un document de présentation de l'action, d'autres « accidents de vie » sont évoqués : « accident, dépression, blessure, méforme, immigration. »

102 Consultable à l'adresse :

< http://www.adsea29.org/index.php?option=com_content&view=article&id=82&catid=43&Itemid=78 >

103 Dans d'autres documents, l'expression « bouleversement intérieur » est remplacée par « séisme intérieur », encore plus forte à mon sens.

34

- « Une perte de repère temporel »

- « Un changement de statut »

- « Une détérioration du lien social »

- « Une diminution de l'estime de soi »

- « La dégradation de la santé et de l'hygiène de vie »

Il me paraît important d'expliciter davantage les cinq bouleversements évoqués

qui peuvent survenir à la suite « d'accidents de vie » en se basant, là-aussi, sur de la documentation interne à la structure :

- La « perte de repère temporel » fait ici référence à un « changement de rythme de vie104 » que peut provoquer ces « accidents de vie ». Bernard Moulin revient souvent sur cette question du temps à travers son ouvrage105 dans un chapitre intitulé « les milliardaires du temps perdu ». Pour lui, le temps constitue une « richesse », « une fortune », « un trésor incalculable » dont il faut savoir tirer profit. Pourtant, généralement ces situations sont vécues difficilement. « Le temps qui passe devient le temps du doute », et peu à peu il devient synonyme d'un « temps mort social ».

- Le « changement de statut » peut être vécu comme « dramatique » car « la considération et la reconnaissance viennent du statut de travailleur ». Le chômage, quant à lui, « est vécu comme une humiliation, un désaveu des compétences professionnelles et des capacités relationnelles. »

- La « détérioration du lien social » peut être un effet logique de la perte d'emploi, car de fait, on ne bénéficie plus des relations professionnelles internes à une entreprise ou une institution.

- La « diminution de l'estime de soi » est souvent liée au changement de statut social vécu après la perte d'un emploi.

- La « dégradation de la santé et de l'hygiène de vie » se constate dans bien des cas, chez des personnes soumises à de tels bouleversements. La personne sans emploi peut alors sombrer dans une « léthargie destructrice et une déchéance physique, en route vers la dépression et son lot de conduites associées (alcool, tabac, médicaments, drogue, télévision, boulimie, anorexie, inaction, apathie) ».

104 Là aussi, tous les termes et expressions entre guillemets proviennent de documents internes ou de présentation de l'action.

105 Moulin B., Guilbaud S., Sport, emploi, et performances... sociales. Être ou avoir ?, édité à compte d'auteur, 2009.

2. Les différents statuts

Sur l'année 2010, 255 personnes étaient inscrites à « En Avant Toute ! ». Un nombre en hausse chaque année depuis la création de l'action en 1998.

Les 255 personnes inscrites peuvent être réparties selon les différents statuts et dispositifs dans lesquels ils sont insérés (voir Tableau 1 et Graphique 1) :

RSA

68

ASS

17

AAH

27

Invalidité

12

Maladie

10

CAE106

8

Formations

90

Demandeurs d'asile

8

Autres

15

Total (inscrits)

255

35

Tableau 4 et Graphique 4 - Répartition par statuts des personnes inscrites du 1er janvier au 31 décembre 2010 dans l'action « En Avant Toute ! », sur l'ensemble des secteurs Quimper/Concarneau/Quimperlé

3. L'orientation

Les personnes inscrites à « En Avant Toute ! » ont été orientées par différents organismes ou institutions. Cette grande diversité constitue une des principales caractéristiques d' « En Avant Toute ! ». En effet, les inscrits n'ont pas tous été orientés dans l'action par des travailleurs sociaux de CDAS ou de Centres Communaux d'Action Sociale (CCAS). Beaucoup le sont par professionnels du secteur médical (médecins, centres de bilan de santé, centres d'alcoologie, centres médico-psycho-pédagogique, etc.) ou quelquefois par des personnes évoluant dans la sphère de l'insertion

106 CAE : Contrat d'Accompagnement dans l'Emploi

« Le contrat d'accompagnement dans l'emploi (CAE) est un contrat de travail à durée déterminée, destiné à faciliter l'insertion professionnelle des personnes sans emploi rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières d'accès à l'emploi. Ce contrat s'adresse aux employeurs du secteur non marchand (collectivités territoriales, associations loi 1901, ...). »

< http://www.travail-emploi-sante.gouv.fr/.../le-contrat-d-accompagnement.html >

36

professionnelle (Mission Locale, Plan Local pour l'Insertion et l'Emploi, etc.). De plus, il ne faut pas sous-estimer le rôle joué par le bouche à oreille et les réseaux informels.

Voici, par ordre d'importance, les différents organismes qui orientent les personnes vers l'action (en gras le nombre de personnes concernées, en italique, le pourcentage que cela représente) :

Institut Breton d'Education Permanente (IBEP)

57

22,35%

Centres Départementaux d'Action Sociale (CDAS)

49

19,22%

Centre d'Adaptation et de Formation Professionnelle (CAFP)

32

12,55%

Relations

19

7,45%

Divers

17

6,67%

Panier de la mer

12

4,71%

Mission Locale

11

4,31%

Ancien stagiaires

9

3,53%

Centres Communaux d'Action Sociale (CCAS)

8

3,14%

Bilan de Santé

7

2,75%

Emmaüs

6

2,35%

Centre d'Accueil de Demandeurs d'Asile (CADA)

6

2,35%

Centres Médico-Psycho-Pédagogique (CMPP)

5

1,96%

Médecins

4

1,57%

Plan Locaux pour l'Insertion et l'Emploi (PLIE)

3

1,18%

An Treiz

3

1,18%

Clinique de l'Odet

2

0,78%

Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie (CCAA)

2

0,78%

Pôle Emploi

1

0,39%

Objectif Emploi

1

0,39%

Ohé Promethée

1

0,39%

Total

255

100%

Tableau 5 - Orientation des personnes inscrites du 1er janvier au 31 décembre 2010 dans

l'action « En Avant Toute ! », sur l'ensemble des secteurs Quimper/Concarneau/Quimperlé

Une sous-partie consacrée aux différents partenariats reviendra ultérieurement sur le rôle joué par chacun de ces partenaires, et l'importance de développer et pérenniser ces partenariats dans un maximum de domaines (social, professionnel, santé, sport).

4. Les conditions d'inscriptions

Pour s'inscrire à « En Avant Toute ! », il faut seulement pouvoir justifier d'un certificat médical de non contre-indication à la pratique sportive.

37

Un entretien avec Bernard Moulin ou Florent Philippe, selon le secteur concerné, a également lieu avant de pouvoir intégrer une activité et de se joindre au reste du groupe. Celui-ci a pour objectif de mieux cerner les motivations de la personne ainsi que de réduire les appréhensions, souvent nombreuses, avant d'intégrer le groupe.

Lors de cette rencontre, la personne comptant s'inscrire doit remplir une fiche de renseignement qui se décompose en trois rubriques :

- « Identité » (nom, prénom, adresse, email, téléphone, situation familiale, nombre d'enfants)

- « Situation Professionnelle » (situation, statut, dernière activité, niveau d'études, domaine de recherche d'emploi, loisirs, véhicule)

- « Motivations » (faire du sport et/ou rompre la solitude et/ou rencontrer des gens)

Il n'y a pas ici à signer de règlement intérieur. Bien sûr, il existe des règles implicites à respecter, inhérentes au bon fonctionnement de tout groupe, comme par exemple : être à l'heure, prévenir à l'avance de ses intentions, participer aux tâches collectives (aider à faire les courses avant de partir sur une activité, participer à la vaisselle au retour, etc.). Mais ces règles ne sont inscrites dans aucun règlement intérieur ou document écrit. Ici, le bon fonctionnement du groupe repose avant tout sur le respect d'autrui.

3. Objectifs

Les objectifs de l'action sont multiples et sont basés sur des « constats de carence et de modification de l'environnement de la personne privée d'emploi » évoqués plus haut via les caractéristiques des publics concernés.

Sur la page consacrée à « En Avant Toute ! » sur le site de l'ADSEA29107, nous pouvons lire ceci :

« Afin de redynamiser les personnes, il est fondamental :

- de rompre l'isolement

- de redonner une image valorisante afin de reprendre confiance en soi

- de redynamiser les énergies et stimuler le potentiel physique, mental et relationnel, d'améliorer l'état de santé et l'hygiène de vie

107 Consultable à l'adresse :

< http://www.adsea29.org/index.php?option=com content&view=article&id=82&catid=43&Itemid=78 >

38

- d'accéder aux loisirs

- d'établir un emploi du temps »

Ces objectifs fondamentaux de l'action répondent quasiment point par point aux « bouleversements » engendrés par les « accidents de vie » (évoqués précédemment), et apparaissent ainsi comme des solutions précises répondant à des problèmes précis.

Toutefois, on note la présence d'un nouvel enjeu qui est celui « d'accéder aux loisirs » qui vient s'ajouter aux autres objectifs fondamentaux.

Les termes employés pour définir les principaux objectifs de l'action peuvent varier légèrement d'un document à un autre. Par exemple, l'objectif « d'établir un emploi du temps » est parfois substitué par « donner des repères temporels » ou « donner des repères dans le temps (programme) ».

A noter que sur des documents internes plus récemment mis à jour, un nouvel objectif apparaît : il s'agit de « lutter contre les barrières sociales et générationnelles ».

4. Fonctionnement

1. Personnel

Le personnel d' « En Avant Toute ! » est aujourd'hui constitué de deux salariés à temps plein, à savoir Bernard Moulin, éducateur sportif et animateur socioculturel, présent sur l'action depuis 1998, et Florent Philippe, éducateur sportif embauché en 2009.

On peut souligner que la structure accueille régulièrement des stagiaires au sein de l'action. Ces stagiaires proviennent de différents horizons et de différentes formations : étudiants en Science et Technique des Activités Physiques et Sportives (STAPS) comme ce fut mon cas, étudiants en formation d'éducateur spécialisé, étudiants en Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l'Education Populaire et du Sport (BPJEPS) option « Animation Sociale » (comme Yannick, stagiaire sur la même période que moi, et une nouvelle stagiaire arrivée après moi), etc.

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2. Activités

Participation

En premier lieu, il convient de rappeler ici que toutes les personnes inscrites à « En Avant Toute ! » ne participent pas aux activités, comme le montre le tableau suivant :

Année 2010

Nombre effectif

Pourcentage

Inscrits

255

100%

Participants

173

67,8%

Tableau 6 - Taux de participation des inscrits sur l'année 2010

Ainsi, sur les 255 personnes inscrites dans l'action sur l'année 2010, seulement 173, soit 67,8% ont participé à au moins une des activités proposées au cours de l'année.

Cette non-participation à hauteur de 32,2%, soit près d'un tiers des inscrits, s'explique par de multiples raisons, comme la peur d'affronter le groupe, une santé trop fragile ou encore le retour à une vie professionnelle peu de temps après l'inscription.

Fréquentation

La fréquentation reste très variable selon les saisons, les activités proposées et les conditions matérielles qui lui sont liées. Du reste, sur l'année 2010 les groupes pris en charge sont en moyenne composés, par jour, de cinq à six personnes sur le secteur de Quimper, et trois à quatre personnes sur le secteur de Quimperlé / Concarneau. Bien sûr, il s'agit là de moyennes qui ne mettent pas en lumière les écarts relativement considérables de fréquentation qui subsistent et nécessitent une grande capacité d'adaptation au quotidien.

La durée de présence dans l'action est environ de six mois, il s'agit là également d'une moyenne et cela varie très fortement d'une personne à une autre sans compter que beaucoup viennent par période, c'est-à-dire qu'ils peuvent venir pendant des mois, disparaître quelques semaines, puis revenir quelques semaines, etc.

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Programme mensuel

Chaque fin de mois, un programme du mois suivant est distribué par courrier ou par mail à l'ensemble des personnes inscrites ainsi qu'aux différents partenaires de l'action susceptibles d'orienter des personnes vers celle-ci.

Ce programme détaille les différentes activités qui vont être organisées, le lieu où elles vont se dérouler, ainsi que les heures et lieux de rendez-vous pour le départ108. Parfois, une activité initialement prévue peut être remplacée ou modifiée selon les envies du groupe, ou les conditions climatiques.

Il est précisé sur ces programmes qu' « afin d'organiser les activités (transport, matériel) » les personnes intéressées doivent s'inscrire « la veille au plus tard ». Cette règle n'est que partiellement respectée puisqu'il arrive que des personnes se décident le jour même, ne préviennent pas de leur venue ou au contraire oublient de se décommander.

Journée type

Une journée type commence à neuf heures du matin, heure de rendez-vous. Un café est servi à ceux qui en veulent, le temps que tout le monde arrive au bureau d' « En Avant Toute ! » situé au sein même du CDAS. S'il s'agit d'une journée marche, c'est parfois l'occasion de décider collectivement du lieu de balade en fonction des envies mais aussi du temps. On prend les affaires dont on aura besoin (reste de nourriture, ustensiles de cuisine) puis tout le monde monte dans le fourgon pour aller faire les courses du midi. Chacun participe aux courses, aide à remplir le caddie et décide du menu109. Il est environ dix heures, le moment de partir sur le lieu d'activité. S'il s'agit d'une activité prévue sur toute la journée, chacun porte une partie du pique-nique dans son sac à dos. Vient l'heure du repas, un moment très important pour le groupe, comme l'explique Bernard Moulin : « Les repas préparés ensemble sont l'occasion d'échanges très riches, très vifs parfois, de confidences et de coups de griffes mais heureusement l'humour a souvent le dernier mot. Ce mélange de cultures, d'expériences diverses, d'âges et de motivations différentes apporte au groupe les richesses que chacun veut bien déposer ou puiser. Ces moments conviviaux permettent à tous de s'exprimer, aux tensions de s'apaiser, au groupe de se réguler et aux estomacs de se caler. Ces moments

108 Voir annexe.

109 Le menu reste un menu basique de pique-nique : pain, salade de crudités, jambon/poulet, chips, fruits, eau, etc.

41

de pause indispensables ont permis au groupe de se souder et aux personnes de vraiment se rencontrer et de créer des liens110 ». L'activité continue l'après-midi, et le retour au CDAS se fait vers seize heures. La journée n'est pas encore finie puisqu'il faut encore laver la vaisselle du midi avant de rentrer chez soi.

Quelles activités ?

« Certaines activités se pratiquent toutes les semaines (piscine, marche), d'autres sont saisonnières (kayak de mer, voile, vélo, badminton) ou occasionnelles (musculation, orientation, ping-pong, pêche, visites d'expositions, etc.). En fonction des contraintes météorologiques et humaines, le programme proposé mensuellement peut être remis en cause et les activités adaptées à la situation du moment. 111 »

A l'échelle de l'année 2010, voici comment se répartissent la participation aux différentes activités proposées sur l'ensemble des secteurs de Quimper, Quimperlé et Concarneau :

Année 2010

Nombre de participants112

Pourcentage

Marche

473

35,5%

Piscine

362

27,1%

Kayak

129

9,7%

Badminton

118

8,8%

Vélo

47

3,5%

Musculation

44

3,3%

Autres

161

12,1%

Tableau 7 - Répartition des activités proposées par « En Avant Toute ! » sur l'année 2010 sur
l'ensemble des secteurs de Quimper, Quimperlé, Concarneau.

Ce tableau permet de rendre compte de la prédominance de certaines activités sur les autres. Ainsi, la combinaison des activités marche et piscine atteint 62,6% de la participation sur la totalité des activités proposées sur l'année 2010 dans l'ensemble des secteurs. Parmi les autres activités proposées par « En Avant Toute ! » : le kayak (9,7%) et le badminton (8,8%) jouent un rôle important ainsi que dans une moindre mesure le vélo (3,5%) et la musculation (3,3%).

110 Moulin B., Guilbaud S., Op. Cit., p.119

111 Ibid., p.111

112 Il s'agit là du nombre total de participants pour chaque activité durant toute l'année, ce qui inclut les participants qui viennent à plusieurs reprises sur la même activité.

Le choix des activités

« Les activités physiques ont été choisies pour la facilité de leur organisation et leur adaptabilité au nombre fluctuant de stagiaires. J'utilise la pratique sportive comme moyen d'expression permettant de rétablir la confiance en soi. A la technicité nécessaire à toute pratique sportive, je préfère privilégier les émotions qu'elle suscite, la solidarité qu'elle nécessite afin de parvenir au terme d'une étape, au bout d'une épreuve. J'essaie dans la mesure du possible de supprimer les causes d'échec et les jugements de valeur en adaptant les activités aux personnes et non l'inverse.113 »

Activité

Période/Fréquence

Intérêt

Marche

Randonnées à pied

Une à deux séances par semaine toute l'année

« Efforts physiques, endurance, découverte,

sens de l'observation, éveil, solidarité,
échanges. »

Piscine Natation

Tous les mercredis de l'année

« Détente, confiance en soi, convivialité,

efforts physiques, réappropriation corporelle, anti-stress, apaisant, stimule les énergies. »

Kayak de Mer

Une séance par semaine de mars à octobre

« Solidarité, échange, adaptation, endurance, observation, apprentissage du milieu marin. »

Badminton

Une séance par semaine de septembre à avril

« Efforts physiques, agilité, adresse,

mouvement, rapidité, ténacité, concentration,

solidarité, complicité, effort physique,
combativité. »

Vélo

Une à deux séances par mois de mars à octobre.

« Efforts physiques, découverte, endurance, solidarité, agilité, volonté. »

Musculation

Quelques séances en

janvier et février

« Image de soi, sens de l'effort,

concentration. »

Orientation

Occasionnel durant toute l'année

« Physique, endurance, découverte, sens de

l'observation, éveil, solidarité, échanges,
prises de décision. »

Gym Douce

Une séance par semaine entre février et avril

 

Module Mer

Deux semaines par an

 

Plage

Occasionnellement entre juin et septembre

 

Séjour

Une à deux fois par an

« Vie de groupe, solidarité, partage,

initiative. »

42

113 Moulin B., Guilbaud S., Op. Cit., p.111

Bilans individuels et collectifs

Des bilans individuels et collectifs sont mis en place quelque fois dans l'année. Dans son livre, Bernard Moulin les justifie ainsi :

« Nous avons mis en place des outils d'évaluation afin de cerner le bien-fondé de cette action. Après quelques mois de présence dans l'action, il est proposé un bilan individuel aux stagiaires qui « s'installent » dans le dispositif ou qui ont besoin d'une aide spécifique. C'est le moment des mises au point par rapport à certains comportements, des conseils personnalisés, des observations sur les progrès réalisés ou des incitations à découvrir d'autres horizons. Ces bilans personnalisés permettent surtout une écoute et un recadrage par rapport aux finalités de l'action « En Avant Toute ! ». Cette action est bien centrée sur la remobilisation vers l'emploi et n'est en aucun cas un atelier occupationnel. Ce bilan individualisé permet de baliser le chemin vers la sortie du dispositif et de repartir sur de nouvelles bases. C'est un moment d'écoute très important où les confidences, les espoirs, les doutes sont exposés. Les bilans collectifs quant à eux sont des rencontres indispensables afin de dynamiser le groupe. Les projets collectifs, les progrès individuels, les difficultés relationnelles et d'organisation, sont abordés lors de ces réunions annuelles. Ce groupe étant en perpétuelle évolution, il est parfois difficile de concilier les bonnes résolutions prisent à un moment donné avec les nouvelles personnes qui intègrent le dispositif en cours d'année.114 »

43

114 Moulin B., Guilbaud S., Op. Cit., p.119

44

5. Financement

1. Répartition des subventions

Voici comment se répartissent les subventions allouées à « En Avant Toute ! » et comment elles ont évoluées entre 2006 et 2010 :

 

2010

 
 

2009

 
 

2008

 
 

2007

 

2006

Conseil Général

84 000 €

 

87

545

54

315

31

000 €

31

000 €

Contrat de Ville (CUCS)

4 850 €

 

4

800

4

800

4

800 €

4

714 €

Subvention Restauration

2 395, 58

4

500

1

671

1

671 €

1

772 €

Subvention CG Nautique

-

 
 

-

 

1

500

1

500 €

1

500 €

Promotion de la Santé

-

 
 

-

 
 

-

 

3

500 €

3

500 €

Fond d'Aide aux Jeunes

-

 

2

330

2

330

2

330 €

2

287 €

Subv . Rotary Club

-

 
 

-

 
 

-

 

2

000 €

 

-

Subv. Agence pour le sport

-

 
 

-

 
 

-

 

3

500 €

 

-

Total

91 245, 58€

99

175

64

616

50 301 €

44

773 €

Tableau 8 - Evolution des subventions (de 2006 à 2010)

On constate que :

- Entre 2006 et 2010, les subventions allouées à « En Avant Toute » ont plus que
doublées. Ceci s'explique par la forte augmentation de celles allouées par le Conseil Général du fait de l'élargissement du secteur d'action d'origine aux territoires de Quimperlé et Concarneau et de l'embauche d'un nouvel éducateur sportif.

- Certaines subventions (notamment celles concernant la Promotion de la Santé, le
Fond d'Aide aux Jeunes) n'ont pas été reconduites.

- En 2010, la subvention attribuée par le Conseil Général a diminué en comparaison
des années précédentes. Ceci est dû à une baisse générale du budget du Conseil Général attribué à l'insertion.

Cette réduction ainsi que la non-reconduction d'autres subventions auparavant obtenues, a conduit « En Avant Toute ! » à développer ses prestations de service pour pallier ce déficit de financement.

2. 45

Le Conseil Général

Il est important de le souligner, le Conseil Général du Finistère reste le grand financeur de l'action. Il en était l'unique financeur à sa création en 1998. Depuis, les sources de financement se sont relativement diversifiées (grâce à l'élargissement du public accueilli) mais l'action reste très fortement dépendante de cette subvention départementale. En effet, en 2010, elle représente 92% du total des subventions, et 78% du total des ressources si l'on tient compte des revenus obtenus par les prestations de service.

3. Le Contrat de ville (CUCS)

La ville de Quimper participe au financement de l'action via le Contrat Urbain de Cohésion Sociale (CUCS) à hauteur de 4850 € en 2010. Cette subvention représente seulement 5% de l'ensemble des subventions obtenues sur l'année 2010. Il est jusqu'ici reconduit d'année en année.

4. Prestations de service (CAFP et IBEP)

Dans le souci de varier ses sources de financement, « En Avant Toute ! » a dû développer des prestations de services auprès de structures comme le Centre d'Adaptation à la Formation Professionnelle (depuis 2006), et l'Institut Breton d'Education Permanente (depuis 2010). Il s'agit en fait d'une convention de sous-traitance qui permet de dégager de nouvelles rentrées d'argent en échange d'une prise en charge hebdomadaire de jeunes dans le cadre d'activités physiques et de découverte.

Selon l'activité proposée et les conditions matérielles inhérentes à celle-ci, le nombre de jeunes pris en charges peut varier. Ainsi parfois, ils constituent l'unique public pris en charge sur la journée (comme par exemple pour une activité kayak) alors que d'autres fois, ils peuvent être mélangés avec le public habituel d' « En Avant Toute ! » (notamment sur les randonnées).

Sur l'année 2010, le montant réalisé pour cet accord est de 6 153, 80 € pour le CAFP et de 9 730 € pour l'IBEP, pour une somme totale de 15 883, 80 €, un revenu non négligeable en ces temps de restriction budgétaire.

5. 46

Financements privés

L'action a bénéficié également de soutien financier d'organismes privés. L'entreprise Veolia, ainsi que la Caisse d'Epargne ont contribué au financement d'un deuxième fourgon.

De même, l'action a bénéficié d'aide financière de la part du Rotary Club à hauteur de 2000 € en 2007, ce qui a permis l'achat de neuf vélos.

6. Récompenses et prix

Il arrive parfois que l'action obtienne des récompenses ou des prix, généralement remis par des entreprises privées qui souhaitent valoriser leur image. Par exemple, en mars 2011, « En Avant Toute ! » a gagné 300 € lors d'une remise de prix organisée par la Caisse d'Epargne.

6. Partenariats

Au cours de diverses présentations d' « En Avant Toute ! » ou d'échanges informels, Bernard Moulin ne cesse de souligner la nécessité de tisser un bon réseau de partenaires pour ce type d'action, et ce en outrepassant les clivages habituels. Selon lui, « le partenariat mis en place a grandement contribué à cautionner l'importance de travailler en réseaux afin de considérer la personne dans sa globalité115 ». « En Avant Toute ! » mêle en effet des partenaires issus de domaines qui se rencontrent rarement, tels que ceux issus du social, de la santé, de l'emploi et du sport qui sont pourtant complémentaires à bien des égards dans le cadre de cette action.

Les articles 20 et 21 de la loi 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale mettent l'accent sur la coordination et la coopération dans le travail social.

Le partenariat est défini comme « une association active de différents intervenants qui, tout en maintenant leur autonomie, acceptent de mettre en commun leurs efforts en vue de réaliser un objectif commun, dans lequel ils ont un intérêt, une responsabilité, une motivation, voire une obligation »116. Un partenariat existe donc

115 Bernard Moulin, article « Sport et travail social », à paraître ...

116 Barreyre J-Y (sous la dir. de), Dictionnaire critique de l'action sociale, Fayard, Paris, 1995.

47

lorsque deux institutions ayant des compétences différentes s'engagent autour d'un projet commun pour répondre aux besoins des usagers.

C'est ce que fait « En Avant Toute ! » dans le cadre de partenariats recouvrant le l'insertion sociale, l'insertion professionnelle, la santé ou encore l'animation et les partenariats extérieurs.

1. Partenariat Insertion Sociale

« En Avant Toute » est en contact permanent avec le CDAS et le CCAS de Quimper, le bureau étant dans les mêmes locaux. C'est un détail important dans la mesure où les assistants sociaux ne peuvent oublier l'existence d' « En Avant Toute », et orientent les personnes qu'elles accueillent qui pourraient en tirer bénéfice vers l'action. De même, « En Avant Toute » est connu de l'association An Treiz117, du Centre d'Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) de l'Escale et des communautés Emmaüs alentours qui peuvent également diriger des personnes vers l'action.

117 «An Treiz est une association qui a pour objet de favoriser dans la durée l'insertion sociale et professionnelle de personnes présentant une déficience intellectuelle et/ou un handicap psychique et/ou cognitif, ainsi que de sensibiliser, d'accompagner, soutenir et former l'environnement professionnel de la personne. » Article 2 des statuts d'An Treiz

48

2. Partenariat Insertion Professionnelle

« En Avant Toute ! » travaille également en partenariat avec des acteurs locaux de l'insertion professionnelle. Ainsi, elle est connue par la Mission Locale, l'ACTIFE118 (ex « PLIE »119) par exemple. Elle travaille également en partenariat avec l'IBEP et le CAFP, comme nous l'avons vu précédemment, se constituant ainsi une autre source de financement. Enfin, elle met en place des ateliers pour aller à la rencontre de possibles employeurs tels que le chantier naval de Trégunc, les ostréiculteurs de la Forêt Fouesnant, Nautisme en Finistère (NEF), etc. afin de découvrir quelques métiers de la mer (via le « module mer »).

118 ACTIFE : Action Territoriale pour l'Insertion, la Formation et l'Emploi.

119 PLIE : Plan Local pour l'Insertion et l'Emploi

3. 49

Partenariat Santé

L'action est également connu des acteurs de la santé : des médecins, centres d'examens de santé et autres centres d'alcoologie de la région (comme le CCAA120) car elle est susceptible de constituer une porte de sortie pour des personnes faisant face à des problématiques de santé ou d'addictions ou ayant subit des traumatismes (comme les personnes accueillies au SAMSAH121).

4. Partenariat Animation

L'action dispose de certains partenaires dans le domaine de l'animation comme par exemple la ville de Quimper, pour obtenir des créneaux pour des gymnases.

120 CCAA : Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie.

121 SAMSAH : Service d'Accompagnement Médico-Social pour Adultes Handicapés (traumatisés crâniens).

50

5. Partenariat Interventions Extérieures

Enfin, « En Avant Toute ! » ne manque pas d'élargir ses contacts dès qu'elle le peut en présentant son action dans différentes écoles (ITES122 de Brest ou IFSI123 Quimper), ainsi que dans divers colloques.

7. Perspectives

Les perspectives de l'action sont difficiles à évaluer en raison de la reconduction ou non des financements d'une année sur l'autre et de la politique adoptée par le Conseil Général.

L'objectif premier d' « En Avant Toute ! » est de pérenniser l'action autour du secteur de Quimper et de Quimperlé/Concarneau. Le secteur de Quimper fonctionne très bien, grâce à la réputation acquise par l'action depuis sa création, le bouche à oreille, les partenaires de longue date. Encore très récent, le secteur de Quimperlé / Concarneau ne jouit pas encore de la même reconnaissance et des mêmes tissus de partenaires. De plus, le public n'est pas le même, il est davantage isolé car davantage rural.

L'élargissement de l'action à d'autres territoires évoqué et même évalué un temps ne semble plus à l'ordre du jour du fait de restrictions budgétaires.

122 ITES : Institut pour le Travail Educatif et Social (école de formation en travail social).

123 IFSI : Institut de Formation en Soins Infirmiers.

51

Partie III - L'insertion par le sport comme

paradigme des politiques d'activation

Une action comme celle menée par « En Avant Toute ! » dans le Finistère sud, proposant des activités physiques à des personnes éloignées de l'emploi, est moins singulière et isolée que l'on serait tenté de le penser. En effet, François Le Yondre, maître de conférences en sociologie du sport à l'université Rennes 2, a mené récemment une thèse124 sur des « stages de redynamisation par le sport » destiné à des allocataires du RMI.

Pour mener à bien son travail, il a réalisé une observation participante au sein de deux stages de ce type essentiellement financés par des Conseils Généraux dans le cadre de leur politique sociale. La lecture de cette thèse a joué un rôle crucial dans notre travail, puisqu'elle viendra nourrir abondamment notre propre analyse de l'action menée par « En Avant Toute ! ».

Avant de nous intéresser aux similitudes et différences entre les stages étudiés par Le Yondre et « En Avant Toute ! », et aux possibles effets de ces dernières, nous tenterons de faire ressortir de manière synthétique les grandes idées développées par Le Yondre au cours de son étude. Celles-ci nous permettront ensuite de formuler une problématique à laquelle nous tenterons de répondre dans la quatrième et dernière partie.

1. Une convocation du sport par l'institution loin d'être anodine

1. Rappel : l'assistance passe par l'activation des publics assistés

Pour comprendre, pourquoi le sport est convoqué dans le rapport d'assistance, il nous faut obligatoirement tenir compte du contexte dans lequel nous sommes. Cela fait

124 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs. Le sport face au chômage comme instrument disciplinaire ou support de tactiques identitaires : des catégories sociales en jeu, 2009.

52

écho à ce que nous avons déjà évoqué précédemment dans la partie intitulée « Du welfare au workfare : mise en place de politiques d'activation et de responsabilisation des pauvres ».

Ainsi, nous avons assisté ces dernières années à un changement de paradigme puisque nous sommes passés d'un Etat-Providence à un Etat social actif. Nous l'avons vu, désormais les politiques d'assistance doivent inciter au travail. Ce changement de paradigme se traduit par un principe d'activation mais aussi de responsabilisation. Le Yondre explique que ce nouveau paradigme « promeut la responsabilité individuelle au premier rang, au risque d'accroître les sentiments de culpabilité chez les bénéficiaires de la protection sociale, et au risque de minimiser la dimension sociale du risque. Celui-ci ne serait plus subi par l'individu pris dans la conjoncture défavorable des déterminants globaux comme le suggérait l'État-Providence et sa protection inconditionnelle. L'activation suppose un risque à gérer par l'individu et qu'il doit dépasser en se mobilisant lui-même125. »

Pour mieux saisir l'idée, relisons la définition que donne Peter Abrahamson des politiques d'activation : « Retenons ici l'idée du « donnant donnant » [qui] est au fondement du principe de l'activation qui implique des droits et des devoirs. On peut concevoir ce principe comme découlant d'une responsabilité accrue de l'individu dans la mesure où c'est à ce dernier qu'il incombe d'améliorer sa qualification en prenant part à différentes mesures d'activation126. » Prendre part à différentes mesures d'activation pour montrer sa volonté de trouver un emploi est finalement devenu une condition de la perception du revenu minimum. Ce principe est selon Morel « une façon de contrôler l'action économique des pauvres « employables » sous la forme d'une relation « contribution-rétribution », conformément aux modalités de distribution du revenu en vigueur dans la société salariale. En ce sens, lier la prestation à l'insertion permet de préserver les fondements de l'ordre social127. »

Si cette logique d'activation prédomine aujourd'hui dans le traitement de la pauvreté par la société, Le Yondre rappelle qu'elle n'existerait pas « sans le soupçon latent d'assistés prêts à bénéficier des droits sans en assumer de devoirs128. » Ce

125 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs..., 2009, p.230.

126 Abrahamson P., « La fin du modèle scandinave ? La réforme de la protection sociale dans les pays nordiques », Revue française des affaires sociales, 2005/3 n° 3, p. 105-127.

127 Morel S., Les logiques de la réciprocité. Les transformations de la relation d'assistance aux Etats-unis et en France. Paris, PUF, 2000, p.210.

128 Le Yondre F. « Des corps incertains. Redynamisation des chômeurs par le sport. », Le sociographe, n°38, 2012, p.88.

53

soupçon latent qui pèse sur les assistés, et que nous avons déjà évoqué plus haut, a certainement contribué au développement des formes de « contractualisation » au sein du travail social. Celles-ci permettent de mettre en avant à la fois les droits, mais aussi (et surtout) d'insister sur les devoirs. C'est cette philosophie qui caractérise les « contrats d'insertion » qu'ont dû signer tous les allocataires du RMI129 qui ont participé aux stages de redynamisation par le sport étudiés par Le Yondre. Ces stages font ici figure de « démarche d'insertion » et se présentent comme une obligation contractuelle conditionnant la perception du revenu minimum.

De fait, si ces stages de redynamisation par le sport existent, pour Le Yondre « il s'agit bien de réactiver l'individu en le relançant dans un rapport social de réciprocité où l'obligation envers autrui redevient motrice de l'activité, voir de l'action. » 130

Le Yondre interprète cette activation sportive comme un « analogon du travail ». Il précise sa pensée : « Disons brutalement que l'allocataire paie de son corps, en l'activant sportivement à défaut de pouvoir l'activer professionnellement, afin que la relation assistancielle demeure une relation réciproque, et surtout afin d'attester, auprès de tous et de façon ostensible, sa conformité à la norme de l'individu dynamique, entreprenant et responsable, voire de la norme du travail. Le sport interviendrait alors comme un analogon du travail dans une situation où, celui-ci fait cruellement défaut, sous forme d'emploi. »131

Toutefois, la convocation du sport pour ce type d'action d'insertion ne s'arrête pas à ces explications.

2. Lien établi entre corps inaptes et chômage prolongé, une déviance à corriger

Le Yondre fait apparaître une autre logique qui vient expliquer en partie le recours au sport pour ce type de public : il s'agit de responsabiliser leur rapport au corps.

En effet, Le Yondre met en avant un dénominateur commun aux publics des stages qu'il a observés : quasiment toutes les personnes sont caractérisées par une « problématique de santé », dixit le jargon des travailleurs sociaux. En fait, il s'agit une « difficulté du rapport au corps » qui est perçue par ces derniers comme un obstacle au

129 RMI : Revenu Minimum d'Insertion

130 Le Yondre F. « Des corps incertains... », Le sociographe, n°38, 2012, p.88.

131 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs..., p.201.

54

retour à l'emploi. Le Yondre évoque les différents cas : « Dans ces problématiques sanitaires, on retrouve essentiellement des cas d'obésité ou de surpoids, d'alcoolisme et plus marginalement, de toxicomanie, d'anorexie ou d'agoraphobie132. »

Le Yondre a relevé cette intention de responsabilisation du rapport au corps au sein même des énoncés de présentation des stages observés. Ces énoncés font clairement le lien entre pathologie et responsabilité individuelle puisque les assistés sont jugés trop négligents vis-à-vis de leur corps. Ces courts extraits d'énoncés recueillis sur des documents de présentation du stage et commentés par Le Yondre permettent de mieux saisir cette responsabilisation (en italique, les extraits directement issus des énoncés des stages) :

« À l'origine de ces problèmes de santé, « certains bénéficiaires du RMI négligent la représentation de leur corps ». Face aux conséquences de cette négligence, la pratique sportive se présente comme un remède : « les activités sportives nécessiteront une acquisition de réflexe de propreté et d'hygiène par des changements de vêtements, des temps de douche... ». Le sport serait donc le support d'un apprentissage des normes corporelles basiques liées à l'hygiène ou à l'équilibre alimentaire. La responsabilité individuelle est clairement ciblée. Malgré la problématique de santé, la logique du soin (médical) est associée à celle de l'activation de la responsabilité individuelle133. »

En clair, pour Le Yondre toutes les personnes en problématique de santé ciblées par ces stages sont définies par l'institution comme « les victimes et les responsables de leur pathologie134. » Au-delà d'une logique de soin médical, il fait observer que « ces maladies sont également reportées sur la responsabilité de l'individu ; sa volonté, son abnégation et son engagement seraient les conditions de son rétablissement corporel et de sa réinsertion professionnelle135. »

À qui s'adressent ces stages ? Pour lui, la proposition de sport s'adresse à une catégorie de population que l'aptitude corporelle incertaine situe à un intermédiaire entre employables et inemployables. « Les assistés sportifs sont finalement à la frontière entre les allocataires inaptes corporellement et dédouanés du devoir de contribution par le travail et les allocataires aptes enjoints à se prendre en charge. Toutefois, en ayant

132 Le Yondre F. « Des corps incertains. Redynamisation des chômeurs par le sport. », Le

sociographe, n°38, 2012, p.88-89.

133 Ibid.

134 Ibid., p.90.

135 Ibid.

intégré le dispositif RMI et ce stage de sport, ils sont bien catégorisés comme des assistés aptes à travailler à condition d'un rétablissement corporel qui passe par un rétablissement éthique136. »

Il s'intéresse également à la terminologie des termes employés dans les énoncés de stage et s'arrête sur l'utilisation du terme « redynamisation » par le sport qui figure dans l'intitulé des deux stages qu'il a observé et qui selon lui témoigne d'une intention de transformer la temporalité de l'assisté. Pour lui, cela « suggère explicitement que le sport soit une activité propre à insuffler un dynamisme à des individus qui en manquent137. »

Malgré la problématique de santé, la logique de soin permettrait de corriger la déviance des individus inaptes tout en s'associant à la logique d'activation de la responsabilité individuelle déjà évoquée. La proposition de sport s'érigerait alors comme « un moyen de lutter contre ce que les économistes nomment la dégénérescence du capital humain, soit la transformation du corps des chômeurs de longue durée en corps inaptes138. » Nous allons voir comment ces actions tentent de lutter contre cela.

55

136 Ibid., p.90-91.

137 Ibid.., p.86.

138 Ibid., p.91.

3. Le sport comme dispositif

À travers sa thèse, Le Yondre fournit une description très fine et détaillée des stages qu'il a pu observer et étudier en s'arrêtant sur les modalités qui encadrent la proposition de sport aux chômeurs. Il les analyse sous l'angle d'un « dispositif » au sens foucaldien du terme c'est-à-dire comme « un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales philanthropiques, bref : du dit, aussi bien que du non-dit, voilà les éléments du dispositif139. »

Utilisant cette perspective foucaldienne, Le Yondre formule l'objectif que pourrait desservir ce dispositif d'activation sportive comme une « reconstruction de l'employabilité du corps des assistés afin de les rendre potentiellement productifs et d'éviter qu'il ne menace les normes corporelles en vigueur et au fondement du système productif140. »

À partir de ce postulat, Le Yondre a pu faire ressortir la philosophie politique à l'origine de ces « lieux stratégiques » en s'intéressant à leur « architecture ». Dans la pensée de Foucault, l'architecture englobe tout ce qui permet de faire fonctionner le dispositif tel qu'il fonctionne. Ici, il s'agit par exemple du règlement, du type d'activités physiques proposées, des procédures de recrutement qui régissent ces stages, etc. Cela doit bien sûr être analysé à la lumière des politiques sociales dans lesquelles ils s'intègrent.

56

139 Foucault M., Dits et écrits. Tome II, 1976-1988. Paris, Gallimard, 2001.

140 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs..., 2009, p.182.

57

Le Yondre a résumé les principales caractéristiques des stages qu'il a observés sous forme d'un tableau récapitulatif 141 :

Tableau 9 - Présentation des stages étudiés par Le Yondre

Que peut-on observer à la lecture de ce tableau ?

Premièrement, on observe que les intitulés mettent l'accent sur le « dynamisme » censé être véhiculé par le sport. Pourtant, ils diffèrent légèrement, le stage A faisant directement allusion à l'insertion professionnelle tandis que le stage B ne parle lui que de « vie sociale ». Néanmoins, de nombreuses similarités se dégagent :

- Tous deux sont financés (quasi-exclusivement) par le Conseil Général de leur département.

- Tous deux sont adressés en priorité aux bénéficiaires du RMI.

- Tous deux demandent comme pré-requis une condition physique acceptable (visite médicale ou test sportif)

- Tous deux sont destinés à des groupes d'une douzaine de personnes.

141 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs..., 2009, p.161.

58

De plus, on apprend dans l'étude de Le Yondre que les stagiaires doivent respecter un règlement intérieur, et se présenter à chaque séance, comme l'indique un extrait du règlement du Stage A142 :

I- ASSIDUITÉ

Les stagiaires sont tenus de participer à toutes les activités correspondant à leur formation et aux applications qui en découlent.

Les absences pour raison de maladie ou d'accident sont justifiées par un certificat médical, ou cas de force majeur avec justificatif transmis au responsable pédagogique sous 48 heures. Les rendez-vous doivent être pris sur les temps libres

II- HORAIRES

Les stagiaires sont tenus de respecter strictement les horaires du programme. En cas de retard, les professeurs et animateurs refuseront l'accès au cours. Dès lors, le retard est considéré comme une absence et prive des avantages liés à la présence.

III- SORTIES

Les sorties pendant les heures de cours sont interdites (sauf autorisations particulières justifiées) et accordées par le responsable de l'association.

Tout stagiaire quittant les lieux sans y être autorisé n'est plus sous la responsabilité de l'association.

IV- EMPLOI DU TEMPS

Un emploi du temps est communiqué aux stagiaires en début de cycle.

V- ÉVALUATIONS

Les stagiaires doivent se soumettre obligatoirement aux obligations.

X- DISCIPLINE GÉNÉRALE

Pour répondre à l'objectif du stage, tout stagiaire se doit d'effectuer en dehors des heures de cours, des actions de recherches d'emplois.

On observe également quelques différences surtout en ce qui concerne le choix des activités sportives. Le stage A propose de la course à pied, de la natation, de la musculation, et du golf tandis que le stage B propose du stretching, du yoga, et de la gymnastique douce en plus de la course à pied.

Reprenant une qualification établie par Bernard Jeu143, Le Yondre fait la distinction entre deux logiques représentées par les sports proposés par le stage A et B. Le premier propose des sports « apolliniens », à l'inverse du second qui propose des sports « dionysiaques ». Cette dénomination mérite quelques explications.

Les sports « apolliniens » sont ceux qui valorisent la force, la mesure, le courage et la recherche du dépassement de soi (alors que le plaisir et l'esthétique restent secondaires). Les stagiaires sont invités à formuler des objectifs personnels pour ensuite tenter de les accomplir dans une logique de progression. Les énoncés du stage mettent l'accent sur les notions d'évaluation, d'objectif mais aussi d'apprentissage de l'effort.

142 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs..., 2009, p.216-217.

143 Jeu B., Analyse du sport. Paris, PUF, 1987.

59

Pour Le Yondre, cette notion « d'apprentissage de l'effort » suggère précisément « d'une part, que l'effort reste à apprendre et qu'il fait défaut aux chômeurs et, d'autre part, que le sport (tel qu'il est conçu ici) permet cet apprentissage144. » C'est bien les notions d'apprentissage de l'effort, et de redynamisation des corps inaptes qui sont visées par cette conception du sport.

Les sports « dionysiaques » sont eux d'une autre logique. Bien qu'ils interviennent sur le corps également, cela se fait d'une façon plus douce ou sensible. Ces activités, comme le chant ou le yoga, permettent d'explorer son corps, de le penser, de mieux le connaître afin de mieux le maîtriser. L'idée, c'est que penser son corps se poste contre un laisser-aller de soi, pour aller dans le sens d'une « restauration d'un rapport responsable avec son corps145. » L'objectif est « de se connaître et utiliser ses pleins potentiels'46 » pour reprendre les termes énoncés par le stage B. Pour Le Yondre, dans cette proposition d'activité sportive, il y a quelque chose qui relève d'une certaine instrumentalisation de l'intime.

Le Yondre observe un double temps dans cette instrumentalisation : « Construction d'un corps comme matière contenant l'identité substantielle de l'individu à qui il appartient de se connaître d'abord, et mise en exergue (et à profit) de cette connaissance dans la perspective de l'insertion professionnelle ensuite. Il y a donc une conception du corps qui est diffusée et qui associe le corps à la singularité de l'individu. Le corps contient l'essence de chacun. Mais cette forme d'intimité doit, dans un deuxième temps, être rendue visible afin de passer de l'essence révélée à la quintessence instrumentalisée (« utiliser ses pleins potentiels »). Le sport est donc bien conçu comme une occasion offerte à l'individu de se réapproprier son corps, mais l'usage qu'il est enjoint à faire de cette propriété reconquise intervient comme un contre-don répondant à la faveur qui lui a été accordée'47. »

Pour Le Yondre, il y a ici intention de construire ou renforcer l'intimité propre à chacun, avant de l'instrumentaliser dans la perspective du maintien de l'ordre social. Pour lui, il s'agit bien là d'une nouveauté ou d'une tendance récente des politiques sociales dont le pouvoir institutionnel continue de s'exercer mais devient de plus en plus invisible. En effet, « L'exercice du pouvoir exercé de haut en bas et venant écraser

144 Le Yondre F. « Des corps incertains...», Le sociographe, n°38, 2012, p.87.

145 Ibid.

146 Ibid.

147 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs..., p.234.

l'individu ouvertement laisse sa place à un pouvoir plus médiatisé et privilégiant la stimulation de l'individu. »148

Le Yondre dénonce donc à travers l'analyse des dispositifs de ces deux stages une intention dissimulée de l'institution de discipliner les corps et d'instrumentaliser l'intime des assistés. Par une double-activation, aussi bien sur les valeurs de l'individu et que sur le corps lui-même, le sport comme outil des politiques d'activation se présente bel et bien comme paradigmatique de cette tendance des politiques sociales actuelles.

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148 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs..., p.234.

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2. Problématique

Le travail mené par François Le Yondre nous a permis de désenchanter à bien des égards notre vision de la proposition sportive destiné à des publics chômeurs dans le cadre d'un contrat d'insertion. À leur étude, il s'avère que ces stages ne sont clairement pas conçus dans le but d'une ouverture à la pratique sportive pour des publics démunis dans une logique de sport pour tous.

Pourtant, la convocation du sport de plus en plus courante dans ce type d'action d'insertion interpelle à juste titre, car loin d'être anodine dès lors que l'on s'y attarde un petit peu. Comme nous venons de le voir dans la troisième partie de notre étude, l'institution y a recours dans un but précis, à savoir reconstruire l'employabilité des stagiaires par la transformation des corps et du rapport à soi. Ce type d'action incarne de façon paradigmatique une logique d'activation des pauvres, issu d'un contexte que nous avons longuement évoqué au cours de notre première partie.

Dès lors, l'institution détient un certain pouvoir sur les assistés, même si celui-ci est moins perceptible qu'un pouvoir de haut vers le bas, et si paradoxalement, il repose finalement sur l'adhésion des assistés. Ces derniers adoptent des « tactiques identitaires » en adhérant ou non à la vision du sport contractuel puisque « au-delà du caractère injonctif de cette pratique sportive, il y a non seulement une possibilité de pratiquer une activité socialement (sur)valorisée, mais surtout une possibilité d'être clairement identifié par l'institution. »149 En s'accommodant de cet espace qui leur permet d'accéder à une conformité apparente, certains adoptent cette conception institutionnelle du sport afin d'en satisfaire une autre plus personnelle en redéfinissant ainsi les façons d'être un assisté. En étant « autrement » un assisté sportif, ils sont différemment assistés et négocient l'identification catégorielle dont ils sont l'objet.

C'est l'objet de la troisième partie de la thèse de Le Yondre dans laquelle il distingue quatre grandes tactiques identitaires employées par les stagiaires : l'adhésion, le retrait, le renversement du stigmate, et le renforcement du stigmate. Il démontre ainsi que les assistés détiennent une légère marge de manoeuvre en choisissant d'adopter l'une ou l'autre tactique. Toutefois, Le Yondre ne manque pas de souligner qu'il s'agit en fin de compte d'adopter l'un de ces « rôles à création prescrite » (par l'institution) au sens de Martucelli : « Bien entendu, il s'agit de rôles et non pas de créativité ou de

149 Le Yondre F. « Des corps incertains...», Le sociographe, n°38, 2012, p.88-89.

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liberté. L'action est restreinte, encadrée, sa signification ultime lui est octroyée de l'extérieur150. » La marge de manoeuvre dont dispose les assistés est donc très limitée.

À notre arrivée sur le terrain de stage, nous avons tout de suite été frappés de constater un décalage important entre ce que propose « En Avant Toute ! », et ce que semble proposer les stages décrits dans la thèse de Le Yondre. Le caractère injonctif de la proposition sportive comme analogon du travail y semble beaucoup moins prégnant. En effet, comme nous avons déjà pu le percevoir au cours de notre deuxième partie, le dispositif de l'action diffère sur de nombreux points : l'action n'est pas uniquement destinée aux personnes allocataires du RSA dans le cadre d'un contrat d'insertion, les personnes inscrites peuvent venir aux activités qu'elles souhaitent (et à l'inverse ne pas venir quand elles ne le souhaitent pas), et les activités proposées semblent assez éloignées de celles observées par Le Yondre (décrites comme des sports « apolliniens » ou « dionysiaques »).

Ces différences vont susciter de nombreuses questions tout au long de mon stage, questions auxquelles nous avons tenté d'apporter des éléments de réponses par une enquête aboutissant sur la réalisation de ce travail de mémoire.

Pourquoi ces différences ? Sont-elles le souhait de l'institution, à savoir le Conseil Général du Finistère ? Si oui, qu'est-ce qui la pousserait à proposer à des publics assistés une action de redynamisation par le sport sous les modalités d'« En Avant Toute ! » ? Et si non, comment expliquer ces différences et qu'est-ce qui en est à l'origine ?

Et c'est par ce questionnement que nous en arrivons à soulever une autre question tout aussi intéressante : quelle rôle joue les encadrants dans ce type de dispositif et ont-ils une influence sur l'impact de l'action ?

Cette hypothèse était déjà suggérée de la manière suivante dans le travail de Le Yondre : « Dans quelle mesure la logique de l'activation est-elle nuancée par les encadrants ? 151 » même si peu approfondie dans sa thèse dont l'objet d'étude porte davantage sur les tactiques identitaires des assistés.

Nous verrons que ce questionnement s'impose telle une évidence dans le cas de notre étude d'« En Avant Toute ! » tant le rôle des encadrants y est prégnant dans la mise en oeuvre de la proposition sportive.

150 Martucelli D., Grammaire de l'individu, Paris, Gallimard, 2002, p.156-157.

151 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs..., 2009, p.234.

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Pour finir, nous nous demanderons quel est l'impact sur le public de l'approche particulière développée par la philosophie politique d' « En Avant Toute ! ».

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Partie IV - Spécificités de l'action « En

Avant Toute ! » et contre-pouvoir de

l'encadrant

1. Méthodologie de l'enquête

Dans le cadre de ma deuxième année de Master SSSATI, j'ai bénéficié de dix semaines de stage au sein de l'action « En Avant Toute ! » entre le 15 novembre 2010 et le 29 avril 2011 entrecoupées de quelques semaines de cours. Ces semaines ont été négociées et planifiées avec Bernard Moulin qui, en fin 2010 avait déjà un stagiaire issu d'une formation BPJEPS152 « animation sociale ». C'est pourquoi, au début, je venais en stage les semaines où lui était en formation et vice-versa, afin que l'encadrement ne soit pas trop élevé par rapport au groupe pris en charge.

Je disposais donc de dix semaines pour relever de la matière sur le terrain dans le but de réaliser un travail de recherche et répondre à mes questionnements. Pour se faire, j'ai choisi d'utiliser deux outils bien connus des sociologues qui se déplacent sur le terrain : l'observation participante et le recueil d'entretiens. L'association de ces deux méthodes permet de lutter contre le traitement isolé que l'on pourrait faire de l'un ou de l'autre et de réinscrire l'enquête dans une certaine réalité. Pour réaliser cette enquête, je me suis appuyé principalement sur la méthodologie suggérée par Stéphane Beaud et Florence Weber dans leur ouvrage Guide de l'enquête de terrain.153

1. L'observation participante

« L'observation est la condition préalable à toute autre forme d'investigation, en même temps qu'elle est une forme d'investigation elle-même. Il convient de « respirer » le problème, avant de s'engager dans son investigation systématique.154 »

Claude Javeau

152 BPJEPS : Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l'Education Populaire et du Sport.

153 Beaud S., Weber F., Guide de l'enquête de terrain, Paris, La Découverte, 1998.

154 Citation tirée d'un cours de Gaëlle Sempé, maître de conférences à l'Université Rennes 2. Impossible de retrouver la référence exacte de cette citation de Claude Javeau.

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L'observation est un outil exploratoire qui permet de rapprocher le chercheur de son terrain en lui permettant d'adapter la suite de son étude. L'intérêt de l'observation réside dans le va-et-vient entre la théorie et le terrain. Il s'agit avant tout d'adopter une démarche compréhensive.

Dès le début du stage et donc de mon observation-participante, la question de mon positionnement s'est posée puisqu'il m'a fallu trouver ma place au sein du groupe en tant qu'étudiant-stagiaire.

Très rapidement, j'ai considéré qu'il aurait été mal venu d'adopter une position d'animateur/éducateur sportif du groupe, étant donné qu'il s'agit d'un groupe réduit (qui peut varier de deux à sept personnes en règle général) et surtout compte tenu du fait que ces personnes n'ont pas besoin d'un encadrement trop prégnant puisqu'ils sont des adultes parfaitement autonomes. D`autant que Bernard Moulin et Florent Philippe animent très bien les activités physiques qu'ils ont programmées et n'ont pas spécialement besoin d'être assistés par quelqu'un. Surtout, je ne souhaitais pas être identifié comme un membre de l'encadrement afin de recueillir des témoignages plus authentiques, notamment au sujet de l'encadrement lui-même. Toutefois, il est arrivé à une ou deux reprises de me comporter comme un encadrant si les circonstances l'imposaient (lors d'un congé maladie de Bernard Moulin, ou si le groupe était en sureffectif).

Je n'ai pas non plus souhaité me présenter ostensiblement comme un étudiant faisant un travail de recherche sur « En Avant Toute ! » dans le cadre de mon Master deuxième année. J'aurais pu observer tranquillement de loin ces activités, en prenant des notes sur mon carnet ethnographique mais cela n'aurait probablement pas servi ma démarche de compréhension de la réalité de ce terrain. Au contraire, je pense que cela aurait introduit de fait une distance entre le chercheur (moi) et les enquêtés. Au mieux, je pense qu'une telle posture aurait considérablement modifié l'équilibre habituel du groupe, au pire, cela aurait suscité des soupçons et certains m'auraient probablement considéré comme un représentant du Conseil Général cherchant à évaluer l'implication de ces personnes dans ces activités physiques.

C'est pourquoi, il me paraissait important de m'engager corporellement avec l'ensemble du groupe. De plus, cela permet de gagner plus rapidement la confiance des enquêtés comme Le Yondre l'a lui aussi remarqué après avoir effectué deux semaines d'observation participante dans chacun des deux stages qu'il a étudiés : « Dans le cadre

d'une enquête sur la pratique sportive, la participation directe est une opportunité pour la profondeur de l'entretien qui suit. L'implication physique du chercheur est une sortie de son rôle strict et un engagement favorisant celui de l'informateur. La narration de soi est un risque, une mise en danger de soi au regard d'autrui. Les interviewés acceptaient d'autant plus facilement cette « prise de risque » que nous étions « avec eux » et mis, nous-mêmes, en danger. D'autant plus que le débridement au cours de la pratique et l'engagement corporel sont souvent perçus comme le dévoilement de son identité réelle. L'association de l'authenticité de l'être à la pratique sportive est fréquemment exprimée à travers ce type d'assertion récurrente : « En sport, on ne peut pas tricher ! » 155. »

Durant ces dix semaines d'observation, j'ai donc choisi d'adopter un positionnement discret, un peu en retrait, pour tenter de modifier le moins possible la dynamique habituelle du groupe même s'il ne faut bien sûr pas tomber dans l'écueil de croire que ma présence n'était pas perçue par l'ensemble du groupe. J'ai donc participé corporellement à toutes les activités proposées. Je n'ai jamais sorti mon carnet ethnographique en présence du groupe, je prenais uniquement des notes à la fin de la journée une fois rentré chez moi. Ce carnet tenu quotidiennement me permettait de mettre sur papier quelques situations de la journée qui m'avait marquées, des propos qui m'avaient interpellés, de noter les activités qu'on avait faites, les participants, les lieux où nous nous sommes rendus, etc. Ce carnet s'est avéré être un outil très utile pour prendre de la distance vis-à-vis de mon terrain d'enquête.

Généralement, si quelqu'un me questionnait sur ma présence parmi le groupe, je me contentais de dire que j'étais « étudiant à la fac », « en stage pour quelques semaines à « En Avant Toute ! » » sans trop donner de détails ni trop en révéler sur ma démarche de recherche. Je préférais parler de la réalisation d'un « dossier » plutôt que d'utiliser le terme « mémoire » qui symboliquement ne représente pas la même chose. En fait, la plupart du temps, Bernard Moulin me présentait comme un « stagiaire/étudiant de la fac de Brest » lorsqu'une personne du groupe était nouvelle et ne me connaissait pas encore. Mais il m'est arrivé, une fois ou deux, de ne pas être identifié comme tel dans un premier temps. Ainsi, il est déjà arrivé qu'un participant pense que je prenais part au stage au même titre que tous les autres participants. En fait, c'était précisément l'effet que je recherchais. J'ai vraiment prêté attention à ne pas introduire de distance avec les enquêtés, que ce soit dans la conversation, ou par exemple de par mes choix

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155 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs..., 2009, p.275.

vestimentaires. Au lieu de m'acheter de nouveaux équipements sportifs tels qu'une paire de chaussure de randonnée par exemple, j'ai préféré venir à ces dix semaines de stage avec une paire de tennis usée et trouée, un vieux jogging (etc.), ce qui je pense pouvait parfaitement donner l'impression que je connaissais des difficultés économiques similaires aux leurs.

Durant les activités, je me suis fait assez discret, tout en cherchant à instaurer une relation de confiance avec les personnes du groupe, mais c'est un positionnement que j'ai affiné petit à petit, notamment grâce à la lecture du carnet ethnographique.

Je me rappelle de mon premier jour de stage, où j'ai fais l'erreur de vouloir discuter avec un peu tout le monde pour tenter d'en savoir un maximum sur leurs parcours, ce qui les avait amenés à « En Avant Toute ! », comment ils en avaient entendu parler, etc. Or je me suis vite rendu compte que tout le monde n'avait pas envie de se raconter aussi rapidement, et encore moins à un inconnu. Cela nécessite l'existence d'une relation de confiance, qui peut mettre plus ou moins de temps à s'installer. C'est pourquoi j'ai de suite rectifié mon approche. Il faut savoir respecter les moments où les personnes préfèrent marcher seules, s'isoler, en se contentant de marcher à leurs côtés, parfois dans le silence, mais aussi savoir repérer les moments où l'échange peut s'engager pour évoquer des sujets aussi divers que variés.

2. Les entretiens semi-directifs

« L'essentiel est de gagner la confiance de l'enquêté, de parvenir rapidement à le comprendre à demi-mot, et à entrer (temporairement) dans son univers (mental). »156

Stéphane Beaud et Florence Weber

Pour tenter de répondre à notre problématique, il nous a été très utile de recueillir des entretiens avec les personnes ressources qui semblaient le plus à même de nous éclairer. Nous avons recueilli au total huit entretiens au cours de notre période de stage. Il nous a semblé important que ces enquêtés soient situés à différents niveaux du dispositif.

Dans un premier temps, il nous a semblé intéressant de cerner les attentes de l'institution vis-à-vis de l'action menée par « En Avant Toute ! ». Pour se faire, nous avons réussi à obtenir un entretien de quarante cinq minutes avec le directeur du service

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156 Beaud S., Weber F., Op. Cit., p.203.

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Insertion et de lutte contre les exclusions au Conseil Général du Finistère, dans son bureau, à la cité administrative de Quimper.

Il nous a paru judicieux de mener également des entretiens avec les deux éducateurs sportifs qui travaillent pour « En Avant Toute ! » à savoir Bernard Moulin et Florent Philippe, pour tenter de comprendre le sens qu'ils mettent derrière leur pratique professionnelle. De même, nous avons également interrogé Yannick, le stagiaire en formation BPJEPS « animation sociale » qui est resté un an et demi en stage à responsabilité avec Bernard et Florent, et qui a même remplacé Bernard une semaine lors d'un congé maladie durant ma période de stage.

Enfin, nous avons pu recueillir quatre entretiens avec des personnes participant aux activités proposées par « En Avant Toute ! » : un homme au RSA, une femme touchant l'AAH, une femme aux Assedic touchant une part d'invalidité, et une femme retraitée qui connaît bien l'action pour l'avoir côtoyée pendant des années. Il ne fut pas aisé d'obtenir des entretiens avec ces personnes. Ainsi, elles m'ont posé de nombreuses questions avant d'accepter de m'accorder un entretien, notamment en ce qui concerne le respect de l'anonymat, l'utilisation du contenu, le but de mon étude. Il a donc fallu dans un premier temps établir une relation de confiance, puis expliquer véritablement le sens de la démarche. Il s'agissait de les rassurer (notamment sur le fait que je n'étais pas du côté de l'institution) et leur expliquer que leurs propos étaient intéressants de mon point de vue (car eux ne se percevaient pas comme des interlocuteurs « légitimes »157). Enfin, il fallait choisir un environnement rassurant (les entretiens ont eu lieu dans un parc, près d'une rivière, dans un bois, bref, à l'écart des oreilles indiscrètes...) et hors-institution puisque l'on sait l'influence que peut avoir le contexte de l'entretien sur les discours. De même, il fallait choisir le bon moment pour leur suggérer un entretien. J'ai inconsciemment choisi de suivre la préconisation de Beaud et Weber à ce sujet : « L'idéal est que la demande d'entretien se fasse dans la continuité d'un échange, notamment parce que l'entretien se fera comme une sorte de prolongement de la discussion ».158 Un entretien a été recueilli à la fin d'une journée d'activité, deux autres après un pot improvisé entre les participants d' « En Avant Toute ! » auquel j'étais convié. Le quatrième a été recueilli après négociation d'un horaire et d'un lieu avec la personne enquêtée.

157 Beaud S., Weber F., Op. Cit., p.193.

158 Ibid., p.191.

Du fait de mes trois années passées en fac de sociologie, je savais que les entretiens recueillis devaient durer suffisamment car des entretiens de courte durée ne font ressortir que des « opinions de surface immédiatement disponible159. » C'est pourquoi, les entretiens recueillis ont duré entre trente minutes et une heure. Pour chaque entretien recueilli, nous étions munis d'une grille d'entretien mais celle-ci nous servait uniquement de rappel des thèmes à aborder.

Enfin, les entretiens ont tous été intégralement retranscrits avec précision, prenant note des moments d'hésitations, de gênes, etc. que les questions ou relances peuvent induire.

Pour l'analyse de ces derniers, nous avons choisi de privilégier une analyse thématique.

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159 Kaufmann J-C. L'entretien compréhensif. Paris, Nathan, 1996.

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2. Les attentes de l'institution

En avril 2011, nous avons donc pu recueillir un entretien de quarante cinq minutes avec Jacques Lern, directeur du service Insertion et de lutte contre les exclusions au Conseil Général du Finistère afin d'en savoir un peu plus sur les attentes de l'institution vis-à-vis d'une action comme « En Avant Toute ! ». Je lui ai présenté le but de ma démarche, à savoir que j'étais étudiant en Master deuxième année de STAPS à l'UBO Brest, que je faisais un stage à « En Avant Toute ! » et que mon intention était de mieux comprendre le discours institutionnel qui se tient derrière une telle action. Il a directement accepté ma requête et nous avons pu fixer un rendez-vous pour un entretien dans son bureau. Avant de démarrer l'entretien, je lui ai expliqué que c'était bien le point de vue de l'institution que je voulais interroger, et que dans ces conditions, il me semblait intéressant dans le cadre de mon enquête de préciser que je le recueillais auprès du directeur de l'insertion au Conseil Général et qu'ainsi, son anonymat serait difficilement respectable. Il a coupé court à mon propos en me précisant que ça ne lui posait aucun problème de parler en son propre nom et son propre statut.

Dans un premier temps, j'ai tenu à savoir ce qu'il mettait derrière le mot « insertion » et « politique d'insertion » :

Jacques Lern : - « Insertion, c'est insertion sociale et insertion professionnelle et l'insertion en tant que telle elle est « emploi ». On va être

clair là-dessus. L'insertion elle est « économique et emploi ». Si l'insertion

vise à l'autonomisation, à l'émancipation des personnes, ça ne peut passer

que par l'emploi. Donc, la finalité de l'insertion elle est vers l'emploi. Et en même temps, l'insertion elle a une dimension évidemment sociale. La dimension sociale de l'insertion elle consiste à prendre les gens là où ils

sont. Euh, on porte des principes du style « nul n'est inemployable », certes.

Nul n'est inemployable c'est un principe d'action, mais ceci dit, il y en a qui

sont plus employables que d'autres. Et y a des gens qui ne vont pas accéder

à l'emploi dès demain. En même temps, même pour ces gens là, la perspective elle doit quand même être emploi parce que c'est par le travail rémunéré qu'on réussit à acquérir son indépendance et son autonomie. C'est pas par les aides sociales. Voilà. Donc ça c'est le principe de la politique d'insertion. »

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Clairement, pour lui l'insertion rime forcément avec emploi car selon lui, seul un travail rémunéré permet de s'émanciper et de gagner son autonomie et son indépendance. Cependant, il admet l'existence de personnes qui sont « moins employables que d'autres ». Pour ceux là, la perspective doit être la même : l'emploi. Dès lors, on imagine que le Conseil Général doit trouver un moyen de travailler sur l'employabilité de ces personnes temporairement « inemployables », ce qui irait clairement dans le sens de la démonstration de la thèse de Le Yondre.

En fait, ce sont les dénommées « actions d'autonomie sociale » (dont « En Avant Toute ! » fait partie) qui doivent s'en charger :

« Y a des actions d'autonomie sociale, « En Avant Toute ! » ça

rentre là-dedans. C'est des actions qui visent à prendre les gens en charge et à les remobiliser socialement, donc souvent dans un collectif. »

Quelles sont les attentes précises du Conseil Général vis-à-vis d'une action d'autonomie sociale comme « En Avant Toute ! » ?

« Une mise en parcours vers l'emploi. Ça veut dire que les personnes arrivent là avec leur histoire. Pour certains c'est une histoire douloureuse, pour d'autres pas forcément... Euh, il y en a qui arrivent cassés, il y en a qui passent par là parce que pendant un moment ils ont perdu un peu le mode d'emploi de la société quoi. Et ce qu'on attend d'une action comme « En Avant Toute ! », c'est qu'elle remette la personne en dynamique. Alors pour ça, et en euh... Le tryptique c'est Projet-Contrat-Parcours. Le projet c'est le moteur pour l'individu. Remettre quelqu'un en projet quoi. La finalité encore une fois, elle est professionnelle et emploi, mais remettre la personne en projet, par rapport à elle-même. Pour moi ça c'est le premier boulot quoi. Le deuxième boulot, c'est lui apprendre, lui réapprendre à négocier, on est dans un collectif, on n'est pas indépendants des autres. Ce que fait chacun a à voir avec le groupe dans lequel il s'inscrit. Ça c'est le premier niveau de négociations. Et puis après, il faut apprendre qu'on ne peut pas venir comme ça que quand on veut quoi... Il y a des jours où on est obligé de s'inscrire à l'avance, et d'anticiper... Et puis après, ça c'est le deuxième niveau... Troisième niveau de négociations, et ben c'est que, cette action là, elle existe parce que y a des institutions qui ont décidé de mobiliser les moyens qui sont les moyens de tout le monde,

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pour que ça fonctionne. Et c'est pas... Même si on ne paye pas c'est quand même pas gratuit quoi. Y'a quelque part une contrepartie. Et la contrepartie, ça peut au bout d'un moment prendre la forme d'un contrat. Et ben, cette contractualisation là, c'est l'inscription de la personne dans son environnement institutionnel. C'est un acte citoyen d'une certaine manière. Donc ça c'est la contractualisation, et tout ça c'est fait pour mettre la personne en dynamique, c'est-à-dire que dynamique par rapport à elle-même, et puis dynamique par rapport au parcours qu'elle va effectuer dans le sens d'une amélioration de la situation. Cette mise en parcours là, au bout du compte, elle sera finalisée emploi. Mais pour l'instant, elle peut simplement être finalisée dans le sens d'une amélioration de la situation. Et ben si je reste là, dans, à « En Avant Toute ! », que je peux travailler avec vous pendant une semaine, un mois, deux mois, si je peux me projeter jusque là, bah voilà à quoi je voudrais arriver quoi. Je voudrais essayer de résoudre ou de réduire mon problème de santé, si je picole, je vais essayer de picoler moins. Si j'ai pas la frite, je vais essayer de retrouver la pêche avec une activité physique régulière, et cætera. Et si en plus, je suis dégoûté des administrations, je ne veux plus voir personne là-dedans, je vais petit à petit me remettre en énergie par rapport à ça et y aller progressivement. Voilà.

Ici on note plusieurs éléments intéressants qui valident clairement les arguments

défendus dans la thèse de Le Yondre. Aux yeux du directeur de l'insertion au Conseil Général, l'action proposée par « En Avant Toute ! » se doit d'être « une mise en parcours vers l'emploi » pour les personnes qui sont prises en charge. Bien que celle-ci « sera finalisée emploi » au bout du compte, pour le moment, « elle peut simplement être finalisée dans le sens d'une amélioration de la situation ». Le but ? Il s'agit de « remettre la personne en dynamique », sous-entendu : la personne est forcément non-dynamique durant sa période d'inactivité comme le notait très justement Le Yondre.

Les moyens ? « Un tryptique Contrat-Projet-Parcours ».

Jacques Lern distingue trois objectifs :

Tout d'abord, il convient de « remettre la personne en projet par rapport à elle-même » car le « projet est moteur de l'individu ». Au passage, on notera que le « par rapport à elle-même » illustre bien l'intention de responsabiliser le rapport des assistés à eux-mêmes.

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Ensuite, « Le deuxième boulot, c'est lui apprendre, lui réapprendre à négocier, on est dans un collectif, on n'est pas indépendants des autres. Ce que fait chacun a à voir avec le groupe dans lequel il s'inscrit. » Cela illustre bien ce que notait Le Yondre dans sa thèse à propos de l'utilité d'un « pouvoir circulaire » au sein d'un groupe. Avoir recours à une dynamique de groupe participe d'une logique de pouvoir, certes moins visible qu'un pouvoir du haut vers le bas, mais tout aussi susceptible de transformer les individus. Les membres du groupe vont s'ajuster les uns aux autres et se conformer dans des rôles.

Enfin, cette action là, même si « on ne paye pas, c'est quand même pas gratuit quoi ». Il fait ici allusion au coût pour la société que représente l'assistance. Elle doit donc donner lieu à une « contrepartie », qui prend ici la forme d'un contrat. Ce dernier confirme « l'inscription de la personne dans son environnement institutionnel », il s'agit pour lui d'un « acte citoyen d'une certaine manière ». Il n'est pas utile de commenter ce discours tant celui-ci fait écho et illustre parfaitement ce qu'on a vu en première et troisième partie de notre travail.

Plus loin dans l'entretien, je lui demande son opinion personnelle sur l'action menée par « En Avant Toute ! », et celle-ci nous indique une bonne connaissance de l'intérêt que peut représenter la convocation de l'activité physique pour ce type de public.

L'approche physique de l'activité est un facteur de mobilisation de

la personne dans son entier quoi. Je pense en plus que les situations de pratique dans l'activité physique ou sportive, nous ramène un peu à l'essentiel non de nous-même, enfin, on peut dire qu'on est, qu'on est en direct avec la personne, les masques tombent, et euh, je crois que c'est une manière aussi d'accéder à la vérité de l'individu mais dans un contexte qui est un contexte positif, pas un contexte jugeant.

Il montre ainsi qu'il a conscience que la pratique sportive dévoile les personnes « dans leur entier » et permet d'accéder « à la vérité de l'individu ».

Plus tard, en fin d'entretien, il nous confie :

C'est des actions qui mériteraient d'être implantées sur le territoire au même titre que les équipes emploi, et qui pourraient être des propositions avec une incitation forte pour beaucoup de personnes qui réussissent pas à se remettre en route ou à remobiliser leurs projets quoi.

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On notera au passage le recours à une « incitation forte » pour mobiliser les

personnes malgré le fait qu'il plébiscite le développement de ce genre d'action.

Pour autant, il pointe du doigt les limites budgétaires du Conseil Général, surtout

dans un contexte de crise économique :

« On part du principe que surtout dans les périodes qui sont des

périodes de resserrement budgétaire comme celle-ci, les besoins sont

illimités et les ressources sont rares. »

[...] « Alors sur le mode de financement des actions, c'est un peu comme je

dis, on est parti du besoin objectif, et on a essayé de le recadrer à la mesure

des possibilités budgétaires quoi. On pourrait imaginer que y a toujours

dans cette affaire là un idéal, et puis après, il y a ce qui est souhaitable. Et

puis, au bout du compte, il y a ce qui est possible quoi. Donc bon, voilà... Et

ça, pour passer de l'un à l'autre, c'est le résultat d'une négociation avec le

partenaire avec qui on essaye de construire quelque chose quoi. »

De quels partenaires parle-t-il alors ? En fait, il faut rappeler ici qu' « En Avant

Toute ! » ne fait pas partie du Conseil Général. C'est une action plus ou moins indépendante (car financée en grande partie par le Conseil Général) et gérée par une association support : la Sauvegarde de l'Enfance (ADSEA 29). Pourquoi ce type d'action ne fait pas partie intégrante du Conseil Général ?

« [...] Parce que c'est un construit, c'est des construits historiques, sociaux et historiques quoi. A un moment donné, le Conseil Général n'a pas la capacité de porter lui-même toute la compétence et toute la capacité d'imagination qui va devoir être mise en oeuvre là. Et puis, il y a une association qui, elle, sent les choses, et elle se dit capable d'essayer un truc quoi... Bah on rentre à ce moment là dans une négociation réciproque, et puis on débouche sur ce que je disais tout à l'heure, ça veut dire que ça va se traduire en un chiffre de subventions, pour que l'expérience puisse fonctionner, on va voir ensemble ce que ça donne. Et puis si ça marche, bah on va pas casser ce qui marche, donc on continue de la même façon... Ça veut dire que la Sauvegarde porte l'affaire, les professionnels qui sont dedans la font tourner, et le Conseil Général cherche les moyens pour pouvoir l'alimenter quoi. »

Cette négociation autour des subventions induit une contrepartie, à savoir, une évaluation, un droit de regard sur les résultats obtenus par les actions subventionnés

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pour décider si oui ou non, la subvention est reconduite d'une année sur l'autre. Les actions doivent entre guillemets « rendre des comptes » au Conseil Général pour négocier les moyens. Concernant l'évaluation d' « En Avant Toute ! » :

« Alors par contre, moi ce que je voudrais bien, c'est que les collègues qui sont sur « En Avant Toute ! », puissent me rendre compte de ça quoi. Je dois dire que ça me faciliterai énormément la négociation des moyens. Mais comme c'est des irréductibles indépendants, évidemment je ne réussis jamais à rien avoir de ce type là. Que des généralités... Bon voilà, je fais avec quoi. »

Enquêteur : - C'est vrai que c'est peut-être pas évident d'avoir un

suivi des personnes qui viennent à « En Avant Toute ! », qui tiennent pas forcément au courant...

Jacques Lern : - (il me coupe.) Oh non ça serait possible, mais euh... ils veulent pas, ils sont que à moitié socialisés, ils n'en ont rien à foutre de l'institution...

On touche là un point sensible et très intéressant, sur lequel on reviendra plus tard

car ce manque de transparence au niveau des résultats nous paraît loin d'être anodin. Plus loin dans l'entretien, le directeur du service insertion nous explique pourquoi

« En Avant Toute ! » n'est pas un service du Conseil Général :

Parce que les compétences qui sont mises en oeuvre dedans sont des compétences que le Conseil Général ne détient pas forcément. Moi j'ai eu l'occasion de dire à plusieurs reprises que l'intérêt de Bernard Moulin, c'est qu'il n'était pas une assistante sociale quoi, c'est autre chose... Bon, et du coup c'est une autre relation aussi avec le public. Donc c'est pour ça aussi qu'on a eu besoin d' « En Avant Toute ! », parce que Bernard Moulin n'était pas travailleur du Conseil Général. Et puis, à côté de ça, le fric qu'on peut mettre nous sur « En Avant Toute ! », on sait que, ça va pas suffire pour faire tourner les deux professionnels qui sont dessus, et puis toute la logistique et l'infrastructure qui va avec. Donc c'est pour ça qu'on ne peut pas verrouiller la convention en disant il faut qu'ils prennent à 100% du public du Conseil Général, ça serait pas juste. Si on faisait ça, ça voudrait dire qu'il faut qu'on ait la capacité de financer la totalité du

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besoin. Comme on n'est pas dans cette capacité là, on dit, ben on demande

à occuper 50% de la convention, et du coup ça autorise la structure « En Avant Toute ! » à aller chercher la moitié de son financement ailleurs quoi.

Revenons un instant sur cette histoire de « convention ». Elle fait en fait référence à la négociation menée entre le Conseil Général et « En Avant Toute ! » au sujet de la prise en charge du public. Cette convention contraint « En Avant Toute ! » à accueillir au minimum 50% de personnes faisant parti du public du Conseil Général (à savoir les allocataires du RSA). Et si la convention est fixée uniquement à 50%, c'est bien parce le Conseil Général ne finance pas intégralement l'action par manque de moyens. C'est d'ailleurs ce qui oblige « En Avant Toute ! » à chercher une partie de son financement ailleurs, lui permettant d'accueillir d'autres types de public non pris en charge par le Conseil Général (problématiques de santé, immigrés, etc.).

À ce sujet, je me permets d'ouvrir une petite parenthèse au sujet d'une instance d'évaluation de l'action qui s'est tenue en décembre 2010 en présence de Bernard Moulin, Florent Philippe, et une représentante du Conseil Général. Durant cette évaluation, la représentante du Conseil Général n'a pas manqué de souligner que la convention de 50% de RSAistes n'était pas respectée et de rappeler que le Conseil Général n'est pas censé prendre en charge les problèmes de santé qui dépendent du portefeuille de l'Etat. La santé, dont l'utilisation du terme doit d'ailleurs être prohibée selon la représentante du Conseil Général qui préfère parler de « bien-être », doit donc rester marginale au sein de l'action car l'institution ne veut pas financer cela. Même chose pour les demandeurs d'asiles qui répondent à un financement de l'Etat. Pour le Conseil Général, il faut absolument augmenter la proportion de RSAistes au sein de l'action. Les encadrants d'« En Avant Toute ! » répondent quant à eux que le problème vient des assistants de service social des différents CDAS du département qui n'ont pas suffisamment le réflexe d'orienter des personnes vers l'action, et, que eux ne peuvent pas refuser des personnes au prétexte qu'elles ne correspondent pas au public du Conseil Général.

À propos de ces instances d'évaluation, le directeur de l'insertion nous explique comment elles fonctionnent :

Il y a deux instances qui servent à évaluer. Alors, maintenant ça se tient avec plus ou moins de rigueur, il y a une première instance qui est l'instance technique, dans laquelle on mesure les situations individuelles et les parcours individuels. Celle-là, elle se tient entre les animateurs d' « En

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Avant Toute ! », et puis les professionnels qui ont orienté les gens vers « En Avant Toute ! ». Ça sera l'occasion de demander à Bernard Moulin si ça tient régulièrement ou pas... Je suis pas sûr que ça soit très régulier... Mais en tout cas c'est un type d'instance qui existe.

On remarque au passage une nouvelle réflexion sur la transparence d'« En Avant Toute ! » semble-t-il peu enclin à participer à l'évaluation de son action...

La deuxième instance c'est le comité de pilotage. Le comité de pilotage c'est un lieu un peu plus institutionnel où on ramène tous les éléments qui servent à évaluer l'action. Ça a lieu ça une fois ou deux, plutôt deux, dans l'année. Et on prend en compte tous les éléments relatant tout le fonctionnement de la structure. Et puis on essaye d'en tirer les analyses au regard des objectifs que je disais tout à l'heure. Est-ce que ça continue à toucher le public ciblé ? Qu'est-ce que ça fabrique avec ce public ? Est-ce que... Est-ce qu'on en a pour son argent quoi... institutionnellement. Voilà, c'est ça.

Au-delà de ces instances d'évaluation, il distingue trois manières d'évaluer l'efficacité de l'action :

La première c'est que les professionnels qui orientent les publics vers l'action, eux, sont en relation fréquente avec « En Avant Toute ! ». Moi ici, au niveau de la direction, j'ai une collègue qui est chargée de l'animation et du développement de l'offre d'insertion sur le territoire qui est en relation fréquente avec « En Avant Toute ! », je pense même qu'elle habite dans les bureaux justes en face. [...] Le deuxième niveau, c'est que j'ai les informations ici que ramènent « En Avant Toute ! », et puis j'ai aussi les informations qu'on me ramène sur « En Avant Toute ! ». Donc on a aussi là un oeil sur ce qui se passe.

Pour finir, il résume assez bien le rapport particulier qui lie le Conseil Général à « En Avant Toute ! », et en quoi ce rapport est différent d'un rapport qui le lierait à un service entièrement sous la coupe du Conseil Général :

Mais il y a un truc sur lequel il faut qu'on soit clair, c'est que, quand c'est un service du Conseil Général, on a un oeil complètement rapproché sur tout ce que ça fabrique quoi. Et « En Avant Toute ! », c'est pas un service du Conseil Général. Donc euh, c'est un partenaire. Et un partenaire

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ça veut dire que, à un moment donné, on s'accorde sur des objectifs, et il nous explique comment il va les atteindre, mais une fois qu'il l'a fait, il est autonome dans le choix et la mobilisation de ses moyens quoi. Donc euh, je pense qu'il est assez sain qu'on ait cette relation un peu distante, dans la mise en oeuvre du projet parce que le partenaire en question il a le droit aussi à son autonomie et à ses choix dans la conduite de l'affaire. Donc on est vigilant aussi à respecter ça. La contrepartie c'est que, quand on est dans des lieux d'évaluation, on demande à ce que ça joue le jeu quoi. On est dans ce type de rapport.

« En Avant Toute ! » est donc considéré comme un « partenaire » du Conseil Général. À ce titre, l'influence de l'institution sur l'action est réduite du fait qu'elle ne soit pas financée à 100% par le Conseil Général. Elle dispose donc d'une certaine autonomie « dans le choix et la mobilisation de ses moyens » et nous pensons que c'est cela qui la différencie des autres actions de redynamisation par le sport. Il parle même d'un « rapport sain » qui s'établit dans ce type de lien. Pour autant, en théorie, l'action doit « jouer le jeu » et appliquer certaines directives de l'institution, tout en démontrant l'efficacité de son action pour que la subvention soit reconduite. Il s'agit là d'une négociation entre l'institution et les encadrants.

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3. Rôle et contre-pouvoir des encadrants

Nos observations et nos hypothèses nous ont très rapidement conduites à penser que l'autonomie (relative) de l'action vis-à-vis du Conseil Général permettait à « En Avant Toute ! » de proposer une offre sportive de remobilisation sous des modalités différentes que celles qui ont lieu dans d'autres actions similaires (cf. thèse de Le Yondre).

Lors d'un entretien, Bernard Moulin, co-concepteur et éducateur sportif au sein de l'action, vient confirmer cette hypothèse :

Enquêteur : - Et pour toi, c'est important de garder une certaine autonomie vis-à-vis du Conseil Général ? Parce que quand j'ai discuté avec [le directeur de l'insertion du Conseil Général], il vous qualifiait « d'irréductibles indépendants » (rires) dans le sens où voilà, j'avais le sentiment qu'il aimerait obtenir plus d'informations...

Bernard Moulin : - Bah oui... Bah oui, je pense, ouais. Mais ça, c'est aussi ce qui fait la force de ce groupe là... Le fait que je suis indépendant me permet de faire des actions, alors que si j'étais vraiment sous la coupe du Conseil Général, y a tellement de réglementations et tout ça, que ça serait complètement sclérosé quoi...On pourrait plus... Là je prends des initiatives que je pourrais pas faire... Faudrait demander au chef, du sous-chef, l'autorisation de... Or là, non, je le fais, bon. A mes risques et périls des fois. C'est important. J'ai toujours travaillé comme ça, je me vois mal être cadré et... Après, ça dépend des personnalités hein...

Plus loin dans l'entretien, il ajoute ceci :

Du coup je ne regrette pas de ne pas être sous le Conseil Général, j'aurai été au Conseil Général, j'aurai été bien plus... Je n'aurai pas pu faire tout ce que j'ai fais. Hein, j'aurai été bien plus cadré, et l'action aurait perdu de son sens. Là, elle a du sens, parce que justement, elle a ses, ses ajustements qu'on peut mettre en place. Sans être obligé de demander... Voilà.

Quelles sont donc les « ajustements » qui donnent « son sens à l'action » et qui en font « sa force » aux yeux des encadrants ?

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Le choix des activités physiques

Dans son ouvrage, Bernard Moulin explique qu'elles ont été choisies « pour la facilité de leur organisation et leur adaptabilité au nombre fluctuant de stagiaires.160 »

Mais il ne s'agit pas uniquement de cela, car pour lui la pratique sportive est un « moyen d'expression permettant de rétablir la confiance en soi. A la technicité nécessaire à toute pratique sportive, je préfère privilégier les émotions qu'elle suscite, la solidarité qu'elle nécessite afin de parvenir au terme d'une étape, au bout d'une épreuve. J'essaie dans la mesure du possible de supprimer les causes d'échec et les jugements de valeur en adaptant les activités aux personnes et non l'inverse.161 »

Il s'agit donc d'activités physiques adaptées aux personnes dont l'objectif est de rétablir la confiance en soi, sans se confronter à l'échec, comme l'explique Florent Philippe :

Florent Philippe : [...] Donc toutes ces démarches là, de sport, et de choix du sport, c'est surtout avec l'optique que y ai du positif, et qu'il y ait de la réussite derrière. Bon si tu fais du foot, ou tu fais un sport genre basket, ou du handball, bah derrière y a quelques échecs... Ou tu perds, ou tu gagnes. Tu vas lancer un ballon de basket, tu vas pas voir le panier, tu vas taper dans un ballon de foot, tu vas pas marquer de buts, tu vois, y a un échec quelque part, et à travers ça, tu vois tout de suite une difficulté. A mon avis, il faut rester dans des trucs simples, basiques. Donc euh... Badminton, Vélo... Où y a pas de compet' quoi, la marche, on fait de la gym... La gym bah c'est pour ressentir son corps, y a pas de compétition, y a que des sensations, et ça c'est le but.

Dans cette conception de la pratique sportive, ce ne sont pas des notions de performance et de « dépassement de soi » qui sont privilégiées, comme constaté dans les stages observés par Le Yondre à travers l'utilisation de sports apolliniens. Ici, les sports convoqués (marche, piscine, kayak, badminton, vélo, musculation) ne semblent pas vraiment s'inscrire dans la même logique. Toutefois, on pourrait s'interroger sur le recours à des activités comme la piscine ou la musculation.

Dans l'ouvrage de Bernard Moulin, l'intérêt de la piscine est décrit par les termes suivant : « Détente, confiance en soi, convivialité, efforts physiques,

160 Bernard Moulin, Serge Guilbaud, Sport, emploi, et performances... sociales. Être ou avoir ?,

édité à compte d'auteur, 2009, p.111

161 Ibid.

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réappropriation corporelle, anti-stress, apaisant, stimule les énergies. » En effet, il ne s'agit pas de natation pure et dure, comme on pourrait l'imaginer, qui consisterait à faire des longueurs dans une simple logique de progression. Pour y avoir participé à de nombreuses reprises, chacun est libre de faire ce qu'il veut durant la durée de la séance (une heure). Certains y vont manifestement pour se détendre ou discuter, tandis que d'autres préfèrent faire des longueurs. Quelques uns ne savent pas nager et apprennent progressivement. La séance se finit généralement par des jeux.

En ce qui concerne la musculation, qui représente seulement 3% de l'offre sportive d' « En Avant Toute ! » sur une année. Il s'agit en effet d'un sport que l'on pourrait qualifier « d'apollinien » pour reprendre le terme de Le Yondre emprunté à Jeu. L'intérêt de l'activité est décrit en ces termes : « image de soi, sens de l'effort, concentration ». Pourtant c'est une activité que Bernard Moulin avoue ne pas vraiment apprécier, et pour cause. Cette activité a été introduite dès la conception de l'action par le Conseil Général et Patrice Daviaud avant même que Bernard ne soit recruté : Enquêteur : - Et donc, au début c'était une concertation pour le choix des activités entre Patrice Daviaud, toi, ...

Bernard : - Bah au début, il avait mis en place, avant que j'arrive déjà, il avait pris des contacts donc... Et avec la piscine Aquaforme qui venait d'ouvrir, avec la salle de muscu, et puis c'est tout... Après c'était moi qui ai mis en place le reste, le kayak, le vélo.... Voilà.

Sur la musculation, Bernard Moulin explique :

La musculation c'était prévu toutes les semaines à un moment, et moi j'ai dis stop au bout de quelques semaines... Après le premier essai. Parce que qu'on n'a pas fait d'activités sportives depuis longtemps, redémarrer par la musculation c'est pas forcément le mieux... Et euh, surtout que... On allait faire ça à l'amicale laïque de Quimper, et il y avait personne pour nous encadrer. Moi je suis pas formé pour la muscu, j'aime pas en plus... Pas plus que ça... Et y avait personne pour encadrer, et les gens s'inscrivaient à l'année, et l'année ça valait à l'époque je sais plus combien, ça valait quand même assez cher, et puis je m'apercevais que les gens, au bout de trois-quatre séances, ils arrêtaient. Parce que... Au mur, je t'ai peut-être dit, y avait plein de photos de beaux mecs, de belles femmes,

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avec des muscles partout, et en quelques séances... Bah on n'arrive pas comme ça. Et puis est-ce que c'est souhaitable ? Je sais pas....

L'adhésion et la liberté de venir ou non

Autre élément de différenciation d' « En Avant Toute ! », et pas des moindre par rapport aux autres actions du même genre : les personnes inscrites font elles-mêmes le choix de venir ou non aux activités. En effet, contrairement aux autres actions de remobilisation par le sport (tout du moins, celles décrites par Le Yondre), les personnes qui s'inscrivent dans l'action ne sont pas tenus d'être systématiquement présentes tous les jours pendant la durée du stage ou durant un délai donné. Elles viennent quand elles le souhaitent.

Bernard Moulin explique ce choix là :

Enquêteur : - [...] Et c'est important aussi que ce soit les personnes qui décident de venir ou pas aux activités... ?

Bernard : - Voilà. Ça c'est important ouais. Que les gens ne soient pas obligés. Là on voit les résultats par rapport à d'autres partenaires comme l'IBEP ou le CAFP ou des fois les gens sont plus ou moins obligés. Ils viennent pas dans le même état d'esprit. Là ils viennent parce qu'ils en ont envie. Et ça c'est primordial. [...] C'est vrai que bon... Le fait de ne pas obliger les gens, et surtout leur donner envie de venir, c'est plus valorisant je pense. Et pour moi, et pour eux.

Enquêteur : - Et ça c'était un choix dès le début d' « En Avant

Toute ! » de s'inscrire dans ce cadre là, où les personnes décident de venir ou non... ?

Bernard : - Euh, oui pour moi, ça a toujours été un choix.

En fait, les personnes sont censées prévenir de leur participation au plus tard la veille de l'activité. Florent Philippe explique la difficulté pour ces personnes de se mobiliser ne serait-ce que pour une seule journée et de se projeter sur le lendemain. Florent : [...] Et ils viennent si ils ont envie, c'est-à-dire qu'ils appellent la veille, et même la démarche d'appeler la veille, je crois que ça

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pose problème, parce que les gens sont au jour le jour... C'est-à-dire que moi à Quimperlé, j'ai des personnes qui m'appellent le matin à sept heures et demi. Pour une balade à neuf heures. Alors bon moi ça tombe bien parce que j'ai pas beaucoup de personnes pour le moment, mais la démarche d'appeler la veille pour eux c'est trop loin déjà. Y a la nuit, et la nuit ils savent pas ce qu'ils vont faire. Alors y en a qui vont se bourrer la gueule, y en a qui vont se droguer, y en a qui vont faire la teuf, y en a qui vont être mal pendant la nuit, parce qu'ils dorment pas... Ils savent pas la gueule qu'ils vont avoir le lendemain matin... Ils peuvent pas appeler entre seize et dix-huit heures pour nous dire « bah tiens je vais me balader[demain] ». Y en a qui le font évidemment, mais d'autres c'est impossible quoi. Donc bon, je leur laisse des fois l'opportunité d'appeler le jour même, pour la balade, mais je peux ou je peux pas. Alors des fois je peux pas et y a beaucoup de déception derrière. Mais bon, c'est des choix, et je pense que c'est le bon choix.

Cette souplesse du cadre permet à des personnes de pouvoir s'inscrire occasionnellement dans ce type d'action alors qu'elles ne le pourraient probablement pas dans un cadre plus rigide. Pourtant, on peut légitimement se dire qu'il s'agit probablement des personnes qui en ont le plus besoin.

Yannick, stagiaire pendant un an et demi, nous parle lui de l'importance de l'adhésion dans ce type d'action :

Yannick : Et pis sur un public fragilisé, difficile à mobiliser, et ben nous en tant qu'animateur on est obligé d'intégrer « bah oui, il va peut-être venir qu'une seule semaine, et les quinze jours après il va pas venir, et puis on va la revoir après, et la personne va réapparaître, alors après, elle n'a pas forcément de compte à nous rendre, c'est vrai. C'est un cheminement qui est personnel après. Si nous, on arrive à faire voir à la personne qu'elle a tout intérêt à suivre ou à participer à telle autre activité, c'est bien si à la fin, la personne voit cet intérêt là aussi. Et si elle ne le voit pas ? Qu'est-ce qu'on peut faire de plus ? A part lui expliquer peut-être ce qu'elle pourrait avoir à y gagner. Mais on peut pas mettre la personne sous la contrainte quoi. Il faut qu'il y ait implication, il faut que la personne soit adhérente, faut qu'elle adhère quoi, qu'elle adhère à l'action, au projet d' « En Avant

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Toute ! ». Et l'adhésion c'est pas sous la contrainte hein. L'adhésion, c'est l'implication de la personne...

La mixité des publics

La mixité des publics est une autre des originalités d' « En Avant Toute ! ». De

fait, l'action est ouverte aux hommes et aux femmes de 18 à 60 ans, et pas seulement aux allocataires du RSA. Le fait qu'elle ne soit pas financée exclusivement par le Conseil Général lui permet d'accueillir d'autres types de publics : problématiques de santé, addictions, demandeurs d'asiles... Mais aussi des jeunes du CAFP ou de l'IBEP dans le cadre d'un partenariat. Bernard Moulin explique :

Bernard : - C'est ça qui fait la particularité d' « En Avant Toute ! », d'intervenir sur des gens, sur des générations différentes là, des statuts différents, des cultures différentes, des origines complètement différentes... Bon, et donc des gens de 18 à 60 ans, on s'imagine pas... Moi quand j'étais beaucoup plus jeune... Je m'imaginais pas aller faire du sport avec des vieux de plus de quarante ans. Maintenant j'en ai encore un peu plus. Et puis, on fait encore des choses ensemble, on n'est pas à la ramasse, au contraire, des fois c'est l'inverse qui se passe, et plutôt que de faire cocorico, tu vois, genre « moi à mon âge, je fais ça, toi t'es pas capable » au contraire, je trouve qu'il y a un échange, dans ce boulot là qui est intéressant. Hein, échange culturel et autre, ... Tu as pu le voir hein, des fois, des complicités qui se mettent en place, des échanges entre les gens, que ce soit dans le côté sportif, dans une activité comme le badminton par exemple, et même dans la marche, dans les pique-niques et tout ça, c'est des moments très forts quoi qui se passent... [...]

Bernard Moulin souligne au passage que cette mixité permet à des personnes qui ne se seraient peut-être jamais rencontrées de faire connaissance et parfois de se voir en dehors de l'action, ce qui les sort de leur isolement.

Et les gens se retrouvent à l'extérieur, c'est ça qui est intéressant... Parce que quand ils ont quitté l'activité, bah tu as vu hein... Et ça, je pense que rien que ça, c'est une réussite pour les gens qui étaient souvent seuls avant, le fait qu'il y ait... Une fois sortie d' « En Avant Toute ! », ils se retrouvent après pour faire... Après ils font ce qu'ils veulent hein. Et ça je

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trouve riche, le fait qu'ils aillent des fois voir des matches de basket ensemble, par exemple, bon...

Yannick plaide lui aussi pour une mixité au sein de l'action et nous donne son point de vue :

Yannick : - Ouais, alors moi je pars d'un postulat que quelque part, toute mixité a du bon. J'veux dire, tu vois, ça te permet d'ouvrir les yeux sur une autre culture, euh, une autre tranche d'âge, un petit jeune de vingt ans, ou dix neuf qui se retrouve en rando avec une personne de cinquante... Un petit jeune qui n'a jamais connu le milieu du travail, et pis euh, qui se retrouve avec une personne qui elle l'a connu et puis qui a la suite d'un licenciement que elle ne connaît plus ou qui en est éloignée... Ouais, t'as des... T'as une mixité intéressante je trouve, ... Alors après, les gens en font ce qu'ils en veulent quoi, mais moi je pars du principe que ça peut être quelque chose de positif, à la base quoi.

La mise en place de partenariats

Le fait de bénéficier d'une certaine autonomie par rapport à l'institution pousse l'action à former des partenariats avec différents acteurs issus de différents domaines. Bernard Moulin insiste souvent sur l'importance de tisser un bon réseau de partenaires, en outrepassant les clivages habituels afin de considérer la personne dans sa globalité. « En Avant Toute ! » mêle en effet des partenaires issus de domaines qui se rencontrent rarement, tels que ceux issus du social, de la santé, de l'emploi, et du sport, qui sont pourtant complémentaires à bien des égards dans le cadre de ce type d'action. Pour lui, il faut pouvoir « tirer sur plusieurs fils à la fois » à la manière d'un marionnettiste, et ne pas « se focaliser » sur un seul aspect du problème. Il s'explique :

Bernard : [...] J'expliquais justement que pour nous le partenariat

est important. On n'a pas la science infuse, et le fait d'aller voir d'autres...

Ça nous permet déjà de sortir, de nous faire connaître dans d'autres milieux... Que ce soit dans la santé, le milieu de l'économie, les milieux sociaux, et le milieu sportif hein... Pour moi c'est important, hein... D'avoir

des partenaires, comme le centre de bilan de santé ici, l'école d'infirmière

où j'interviens, les partenaires sociaux avec le CDAS, le CCAS, avec l'ITES

et tout ça, les partenaires économiques avec la Mission Locale, le Pôle

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Emploi, qu'est-ce qui y a encore ? Bah y a Emmaüs, tout ça aussi, au niveau social. Les partenaires sportifs avec la ville de Quimper, parce qu'on utilise quand même des structures, ou la ville de Quimperlé pour Florent. Et, le fait d'intervenir dans pleins de milieux comme ça, ça renforce l'action ça l'a fait connaître... Et y a certaines personnes quand elles arrivent ici, elles ont plus un problème de santé. Si on se focalise sur ce problème de santé, elles ne vont pas forcément bouger. Quelqu'un qui fume, qui boit... Si on ne voit que cette dimension là, elle va pas bouger... Par contre, si on lui donne envie d'aller soit faire des activités avec nous, ou soit retrouver un logement... Si on agit sur plusieurs axes, elle va bouger. Faut pas se focaliser... Comme des personnes qui n'ont pas travaillé depuis longtemps, si on se focalise que sur le métier, ou sur l'emploi... Si on règle pas les problèmes de santé ou de logement qui sont autour... Ça va pas bouger. Maintenant, il faut pouvoir, un peu comme un marionnettiste... Pouvoir tirer sur plusieurs fils en même temps... ou hein.

Pas de pression par rapport à l'insertion professionnelle

Bien que le Conseil Général considère l'action comme une « mise en parcours vers l'emploi », j'ai été au début un peu étonné que cet objectif d'emploi ne soit quasiment jamais abordé avec les participants durant les activités.

En fait, Bernard Moulin rappelle souvent qu'il n'est pas une assistante sociale, mais qu'il est éducateur sportif. À travers cet échange, on comprend mieux pourquoi Bernard Moulin souhaite faire cette distinction :

Bernard : - [...] Et le fait de pas se présenter comme assistante sociale, ça les libère. En plus je leur dis qu'ils n'ont pas à me dire pourquoi ils sont là, euh... Voilà. Ça les libère beaucoup, en plus comme on les voit, nous, toute la journée, on a l'occasion de discuter de plein de thèmes différents, que ce soit politique, économique, de logement, ou autre... Ou de santé. Et puis, au bout de quelques mois on les connaît, on peut plus les orienter à ce moment là. Les faire aller voir une assistante sociale éventuellement, mais aussi vers, le personnel de santé ou autre hein... Ou vers le travail, parce que y a des gens qui sont sortis d'ici avec un travail... Voilà.

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Enquêteur : - D'accord. Et ouais, c'est vrai vous abordez pas mal de sujets au cours des marches... Mais bizarrement, je vous ai rarement entendu parler que ce soit toi ou Florent, du projet professionnel des personnes ou...

Bernard : - Non, on leur demande quand ils viennent là, quand ils viennent s'inscrire dans quel domaine ils cherchent du travail. Certains n'en cherchent pas tout de suite, parce qu'ils n'en sont pas capables... Parce qu'il y a d'autres problématiques à régler avant. Et pour d'autres, j'ai réussi à en placer quelques uns parce que j'étais à l'écoute... J'étais à l'écoute des emplois qu'il pouvait y avoir. Quand je vois un emploi qui correspondant à une personne ici, je propose. Après bon... Je gère pas tout.

Enquêteur : - D'accord. Et c'est important de ne pas trop mettre l'accent là-dessus, de pas trop mettre de pression... ?

Bernard : - Voilà. Pas mettre de pression dans un premier temps, tant qu'on ne connaît pas la personne. Après, on peut le faire. Y a des gens avec qui j'étais de... Avec qui j'ai arrêté. Parce que y en a qui étaient là pour... Bon... Ça les aidait plus au bout d'un moment cette action là... Donc il fallait mettre un terme pour qu'ils aillent aussi se confronter au monde du travail. Mais bon, depuis treize ans que je fais ça, y en a pas eu beaucoup, y en a peut-être eu, je sais pas, cinq, six... Bon... Qui avait peur du mot « travail »... Mais bon... C'est pas un gros pourcentage par rapport à ce qu'on entend dans le public souvent, chez les gens qui travaillent... Ouais, « les chômeurs c'est des fainéants » ... Non. Ils sont pas dans les conditions où ils vont trouver du travail tout de suite, mais pour moi, c'est un peu la double peine... Certains ont été licenciés... En plus ils sont culpabilisés d'être au chômage... Voilà.

Yannick pense lui aussi qu'il y a un travail à faire au préalable, sur l'intégration sociale, avant de poser la question de l'intégration professionnelle.

Yannick : - Ouais... Mais euh... C'est une prise en compte de la

personne, à un moment donné où tu sens bien qu'elle a pas les armes et les

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outils pour avancer. Donc euh, ça sert à rien de lui parler d'intégration professionnelle, c'est trop tôt quoi. J'veux dire euh...Tu parles d'intégration professionnelle à une personne qui est sujette aux syndromes dépressifs, euh... Qui traîne son mal-être tous les jours, tous les jours. Peut-être que y a d'abord un travail à faire à ce niveau là avant de parler d'intégration professionnelle. Et entre les deux, entre l'intégration professionnelle, et, peut-être travailler sur la fragilité et la construction d'une identité, ou en tout cas, une consolidation de l'identité, et ben, entre les deux, il y a ben je dirai l'intégration, je dirai sociale quoi, voilà.

Nous l'avons vu grâce au recueil de ces entretiens, l'approche particulière d'« En Avant toute ! » n'existe et se maintient que parce qu'elle est portée et partagée par l'ensemble des encadrants. Cette approche contraste avec le discours de l'institution qui lui s'inscrit davantage dans une logique d'activation déjà décrite par Le Yondre, et qui n'a pour finalité que le travail sur l'employabilité et le retour rapide à l'emploi. Les encadrants travaillent davantage à l'intégration sociale des personnes fragilisées que l'action accueille, ainsi qu'au rétablissement d'un mieux-être.

Il faut toutefois nuancer cette explication, puisque si l'action continue de se maintenir dans cette approche, c'est également dû à l'interconnaissance qui lie Bernard Moulin et Jacques Lern, qui se connaissent très bien. Cette amitié permet sans doute de garder une bonne relation avec l'institution, et de rester sur « la même longueur d'ondes » et partager une confiance mutuelle :

Enquêteur : - D'où l'importance d'entretenir de bons liens avec des

personnes comme Jacques Lern, par exemple, ou... ?

Bernard : - Oui, ou avec son service et tout ça, mais bon, ça se fait,

parce qu'ils sont sur la même longueur d'onde... Eux, avec leur... Un peu plus bloqué que moi, mais il faut aussi des gens qui les bousculent...

Intéressons nous maintenant aux principaux concernés par les modalités de cette action : les participants.

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4. Le ressenti des participants

Non sans difficultés162, nous avons réussi à recueillir des entretiens avec trois personnes inscrites à « En Avant Toute ! » et qui ont participées à différentes activités durant mon stage afin de mieux cerner l'impact que peut avoir une telle action sur elles.

Plusieurs thèmes ont été abordés avec elles : ce qui les a conduit à s'inscrire, l'appréhension des débuts ce qu'elles espéraient d' « En Avant Toute ! », l'encadrement, la souplesse du cadre, ce qu'elles en retirent, etc.

L'orientation vers l'action

Benoît, Véronique et Françoise163 nous expliquent comment ils ont connu « En

Avant Toute ! » :

Benoît .
· - [...] Nan mais c'est parce que j'avais été voir le psy qu'il y

a au CDAS. En fait ben lui il m'avait parlé de Bernard et de son association

quoi. Pour rencontrer du monde quoi.

Véronique .
· - Par hasard. Je suis allée faire un bilan médical à ... au centre CPAM, à côté du CDAS en fait. On m'avait conseillé de faire ça, on peut faire un bilan tous les cinq ans je crois, euh voilà, tout ça. Et puis, euh... En attendant, je crois que c'était en attendant des résultats je crois, moi j'suis toujours en train de fouiller sur les docs et tout ça, et sur le portique y avait... Voilà. Ça c'était au mois de mai dernier, enfin y a presque un an. J'me suis dis « tiens, ça me ferait peut-être du bien » parce que justement j'allais pas très bien, moralement tout ça, mais j'ai pas contacté « En Avant Toute ! » tout de suite. [...] Voilà et puis finalement, de fil en aiguille, j'ai pris rendez-vous avec Bernard au mois de septembre. Donc quelques mois après quand même, et puis j'ai commencé en Novembre une fois que mon déménagement était fini. Donc j'ai connu par hasard en fait. Personne ne m'avait aiguillé là-dessus. Et pourtant, des gens auraient dû quoi...

162 Voir partie « méthodologie de l'enquête ».

163 Les prénoms ont tous été changés.

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Françoise . - Alors j'ai connu « En Avant Toute ! » par ma

psychiatre. En arrivant sur Quimper. Elle m'a donné le nom de cette association, et puis c'est comme ça que j'ai connu en fait.

L'appréhension du début

Chacun a senti une certaine appréhension avant d'arriver dans l'action, à des degrés divers.

Benoît ne savait « pas trop dans quoi il allait tomber » :

Benoît . - C'est surtout que je savais pas trop quel genre de truc c'était parce que... Ouais le psy il savait que c'était parce que je voyais personne... Surtout pas des gens de mon âge... Forcément quand il m'en a parlé, je me suis dit « tiens, c'est bizarre, une action avec plein de jeunes » enfin entre guillemets bizarre... Et en fait, la première question que j'ai posé à l'entretien à Bernard c'est « est-ce qu'il y a des jeunes ? » dans l'asso et voilà quoi... Au début c'était un peu... Je savais pas trop dans quoi je mettais les pieds en fait. Parce que Bernard il m'avait pas répondu franchement, il m'avait dit, tu connais sa réponse habituelle quand on lui pose une question c'est « tu verras » (rires) Il aime beaucoup dire ça ! Comme ça il se mouille pas quoi ! J'avoue que je savais pas trop dans quoi j'allais tomber, c'est vrai.

Françoise quant à elle appréhendait le contact avec d'autres personnes :

Françoise . - Bah avant d'arriver, déjà, j'avais ... Moi déjà j'ai l'appréhension du contact avec les gens, donc j'avais cette appréhension déjà. Rien que l'entretien avec Bernard j'appréhendais. Et puis sinon, non. Je me rappelle pas avoir eu d'autres appréhensions.

Véronique explique ne pas avoir eu d'appréhension particulière.

Véronique . - Nan, j'avais pas d'appréhension, je me suis dit, tiens, comme je voyais pas trop grand monde...

Toutefois elle explique qu'au début elle ne souhaitait pas trop échanger avec les autres personnes, et qu'elle avait prévenu Bernard :

J'ai dit à Bernard... Si j'ai pas envie de parler au départ, surtout au

départ j'avais pas trop envie de parler, je sais que je pouvais ne pas

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répondre et que les gens autour de moi pourraient comprendre quoi. Voilà,

comme eux d'ailleurs. Voilà, donc j'avais pas d'appréhension, j'avais hâte

même de commencer parce que c'était faire du sport et moi j'avais besoin

de ça.

Bien qu'elle connaisse déjà la randonnée, elle redoutait tout de même un peu la

fatigue physique :

[...] je me disais, je vais peut-être avoir du mal au départ, j'étais

très très fatiguée parce que j'étais toujours en insomnie mais je me disais

« bah tant pis, je vais me forcer au départ parce que je sais que plus tard,

ça va me faire du bien quoi. » Donc j'étais assez positive là-dessus...

Ce qui les a poussé à s'inscrire

Pour Benoît, il s'agissait avant tout de « se faire des amis » pour sortir de son isolement. C'est pourquoi il espérait rencontrer des jeunes de son âge.

Françoise s'est inscrite pour ne pas être seule, et dans un second temps pour faire du sport :

Françoise .
· - [...] Je pense que je recherche de pas être seule. Et puis faire du sport... [...]

Véronique est également venue à « En Avant Toute ! » dans une optique de rencontre pour rencontrer des personnes avec du vécu et de l'humanité :

Véronique .
· - [...] Quand on n'est pas bien, moi je suis toujours freinée souvent par des problèmes physiques, par rapport à ma santé tout ça... Donc, au fur et à mesure, tu t'uses, puis t'as plus envie de parler aux gens, et les gens en ont marre de t'entendre parler de
(rire gêné) enfin voilà. Toi-même, tu en as marre aussi d'avoir toujours ces trucs là dans ta tête. Donc tu ne vois plus personne, et surtout à un moment donné, enfin moi c'était mon cas, je voyais les gens très vivants autour de moi, les copines très vivantes, ou alors très très négatives, ... Et ça m'allait pas que les gens soient trop vivants autour de moi parce que moi j'étais plus dans ce truc là. Et la copine qui était tout le temps négative, ça m'enfonçait vers le bas encore plus, donc je voyais plus personne ! Et je me suis dit, ben « En Avant Toute ! », ce sont des gens qu'ont un vécu, qui ont des difficultés dans la vie, et qui seront pas forcément là en train de la ramener quoi, qui auront un peu d'humanité en eux et qui seront tranquilles, cool, voilà. Et donc, ça me

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faisait du bien de savoir que je pouvais me retrouver avec des gens comme

ça [...]

En fait la démarche première de Véronique avant de s'inscrire à « En Avant

Toute ! » était de faire du sport, puis elle s'en rendu compte de l'importance de

rencontrer des gens :

Enquêteur .
· - C'était davantage le côté sport que tu recherchais,

ou... Le côté humain ? Ou...

Véronique .
·
(me coupe) - Les deux. Les deux. Euh.. Je pense ma démarche ça a été d'abord le sport, quand j'y pensais, quand j'ai vu le papier, j'ai besoin de m'aérer, je sais que la bonne santé passe par là. J'étais persuadée... Je suis persuadée que quand on fait du sport, on fait beaucoup plus de choses à côté, j'en ai parlé à Bernard... Donc, dont la recherche d'emploi, dont ce sentiment... Enfin retrouver un physique qui permet de se projeter dans un travail aussi. Parce que là, quand on n'est pas en bonne santé, on n'arrive plus à se projeter dans un travail. Quand on n'est pas en bonne santé, on cherche d'abord à se rétablir. Et quand on regarde, par exemple, les offres d'emploi, éventuellement certaines qui pourraient nous convenir, on se dit « mais ouais, d'accord, mais est-ce que je vais tenir physiquement ? » Tu vois ? Donc du coup, on fait pas de démarche, parce qu'on a peur, donc si tu passes, si on passe... Enfin moi c'est ma démarche personnelle, je me suis dit « si je passe par le sport, si je me renforce de cette façon là, petit à petit, peut-être que, si je vois que je tiens physiquement, que la bonne santé arrive, et ben, je vais peut-être pouvoir me projeter à nouveau dans un travail. » Même si je ne peux travailler qu'à mi-temps, parce que de toute façon, je pourrais pas, je pourrais plus travailler à plein-temps. Voilà, ma démarche première c'était ça. Puis je me suis rendu compte que de rencontrer des gens c'était... Han ! Ça fait un bien fou quoi ! Voilà.

Globalement, on s'aperçoit à partir de ces entretiens, mais aussi à partir des échanges durant les activités, que la motivation première des participants est de rompre avec la solitude. Le sport est souvent secondaire dans leur démarche.

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Des activités qu'elles ne feraient pas seules

D'autant plus qu'elles expliquent qu'elles ne feraient pas ces activités si elles devaient les faire seules :

Enquêteur : - Et la rando, c'est quelque chose que tu ferais seule ou

...

Véronique : - J'ai fais seule, mais pas aussi longtemps, pas aussi longuement. Marcher j'ai fais beaucoup, mais j'en avais marre, j'en ai marre d'être seule pour marcher. Quand on est seule pour marcher, au bout d'un moment, on revient avec ses soucis en tête. Donc, marcher avec les autres, en plus dans des paysages magnifiques, là où t'irai pas tout seul, bah ça dégage la tête, ça fait vachement de bien.

Benoît partage cet avis :

Benoît : Pis c'est pas pareil de marcher tout seul, et de marcher en

groupe. La motivation elle n'est pas la même, la fatigue elle n'est pas la même non plus.

Françoise abonde également dans le même sens :

Françoise : - Moi j'ai essayé d'aller à la piscine toute seule, quand j'suis arrivée à Quimper, à Aquarive, et puis euh... (silence)

Enquêteur : - Hmm, oui c'est moins sympa j'imagine... C'est comme la marche peut-être aussi, nan ?

Françoise : - Ouais voilà. J'ai pas fais la marche toute seule, ou si, le centre-ville ou Creac'h Gwen... Mais j'ai du mal à aller seule... Puis seule, ça va bien un temps... Tu peux pas toujours sortir seule, t'as besoin des autres aussi.

Plus tard dans l'entretien, elle explique :

Françoise : - [...] Parce que bon, chez moi j'essaye de me motiver

pour en faire le matin, la gym ou quelque chose comme ça, mais j'arrive pas, j'arrive pas à trouver la volonté d'en faire chez moi.

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Certes, ces personnes ne feraient pas autant d'activités si elles devaient les faire seules. Mais pourquoi ne pas s'inscrire dans un club de sport ?

La crainte du jugement

Françoise .
· - [...] En même temps dans les clubs de sports t'es pas seule quand tu fais du sport, mais... ça serait différent je pense. Mais bon, peut-être que ça me fait peur aussi quelque part. Mais « En Avant Toute ! », c'est sympa, j'aime bien parce que c'est sympa. L'ambiance malgré tout est sympa, et puis je pense que y a pas de jugement qui sont portés...

La crainte du jugement est l'argument principalement avancé si l'on évoque une éventuelle inscription dans un club de sport « classique », mais il y en a d'autres. Ces autres extraits nous permettent de mieux comprendre pourquoi ils ne s'inscrivent pas dans des clubs de sport :

Enquêteur .
· - [...] Et pourquoi finalement aller à « En Avant

Toute ! », plutôt que de s'inscrire dans, je sais pas, dans un club de sport, ou un club de marche ?

Véronique .
· - Pour la chose que je disais au départ, j'ai réfléchit à la marche. Mais la marche, c'est tous les dimanche matins à neuf heures. Avec des gens, c'est souvent des retraités, j'ai fait beaucoup d'activité avec des retraités. J'avais envie de me retrouver avec un mélange de gens, et surtout des gens justement, qui étaient pas forcément en forme qui seraient pas là tout le temps à ... Parce que quand on n'est pas en forme si tu veux, si tu vas avec des gens qui sont en forme, t'es obligé... Pff... Soit tu masques, moi j'ai plus envie de masquer que je suis pas bien. Soit... Comme je te disais tout à l'heure, c'est difficile à supporter, de voir que les gens sont vachement bien, sont en forme autour de toi, ou, ont eu une vie accomplie. Parce que les retraités ils sont content d'être en retraite, ils ont une vie riche ou pas riche, et voilà, pff, voilà. Club de sport en salle ça m'intéresse pas. Ça m'intéressait pas, je voulais faire du plein-air. J'faisais déjà une activité de danse tango si tu veux. Je continue toujours... Bon les gens savent pas, ma vie et tout ça, donc j'avais besoin d'être dans un lieu où j'étais en confiance, où humainement y aurait eu un partage vrai, authentique quoi.

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Enquêteur : - « Authentique » dans le sens où y aurait pas de jugement peut-être, quelque chose comme ça ?

Véronique : - Ouais, c'est ça, où y a pas de jugement. Si j'étais allé dans un club de marche, tôt ou tard on m'aurait posé des questions. Là on parle si on veut. Tu vois ? Comment justifier que tu ne travailles plus depuis longtemps ? Si tu veux éviter de dire que t'as été malade, parce que ça j'ai plus tellement envie d'en parler, parce que... Si j'en parle, on va me donner plein d'exemples « ah oui, tiens y a machin qui est malade en ce moment, y a ceci, y a machine qui est malade » et euh, ça me fera du mal. Ça va me perturber, parce que ça va me ramener à ces amis là. Ça je le sais parce que je l'ai vécu avec une copine qui n'a pas arrêté de me bassiner avec ça et au bout d'un moment, je me suis rendu compte que ça me faisait pas du tout de bien. Donc je veux éviter ça aussi.

Benoît a lui fait la démarche de s'inscrire dans un club de tennis de table, il n'en garde pas forcément un bon souvenir :

Benoît : - Alors je me suis inscrit dans un club de sport, mais c'est

différent je trouve. Bah parce que les gens qui vont dans un club de sport,

c'est pas forcément pour faire des connaissances, ils ont pas forcément envie de parler, tu vois... Souvent en plus, c'est vrai que c'est con de dire ça, nous en fait (il chuchote rapidement à voix basse) comme on est chômeurs, on travaille pas. (reprend sa voix normale) Du coup, on est pas là à parler boulot tout le temps... J'ai fait du tennis de table en club, et c'est vrai que les gens ils parlent beaucoup de boulot...

Il souligne également l'esprit de compétition qui règne dans les clubs de sport, et qui ne lui correspondait pas :

Benoît : [...] Donc, en dehors de ça en faite, ils ont plus un esprit de

compétition... Moi je me rappelle j'étais qu'en loisir en tennis de table, et
déjà là, les gens ils disaient « ouais je vais gagner » moi je disais « je m'en

fous, on compte pas les points, c'est pas grave ». Alors qu'à « En Avant
Toute ! », le but c'est pas ça justement, gagner ou perdre, le fait de faire du

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sport pour le faire. C'est ça que j'aime bien moi, c'est ça qui est différent dans une asso sportive.

L'encadrement

Pour Françoise, l'avantage d' « En Avant Toute ! » par rapport à un club de sport, c'est que les encadrants ne sont pas dans le jugement :

Françoise : - [...] On est pris tel qu'on est. On n'est pas... Ils nous acceptent tels que nous sommes, et je trouve qu'ils sont très... Très dans le social, donc à mon avis, c'est sûr, ça peut pas être comme un prof dans une salle de sport ou... Parce que y a ce côté-là-aussi qui est important.

Enquêteur : - Est-ce qu'il vous pose des questions sur votre situation professionnelle ou sur vos projets... ?

Françoise : - (me coupe) Nan, du tout, nan ils nous en parlent pas non. Nan. Moi je sais quelque fois, ils nous demandent comment ça va, si ça a bougé pour nous ou pas, mais c'est pas pour ça qu'on peut ne plus avoir l'opportunité de venir, on avance chacun à son rythme. On peut continuer à venir.

Lorsque je lui demande quelles sont les qualités requises pour être encadrant à « En Avant Toute ! » Véronique évoque de suite « l'indulgence » des encadrants qu'elle rapporte directement aux vécus164 de ces derniers.

Véronique : - [...] Tu vois, Bernard a un vécu, Yannick je connais pas son vécu mais je pense qu'il a un vécu, qui lui donne une certaine maturité aussi et une certaine richesse humaine à l'intérieur de lui qui peut, qui peut qu'on sent, enfin moi je sens... J'en ai parlé avec lui, je lui ai dis ce que je pensais de lui. Donc ouais, pour moi c'est important. Même si, je sais pas ce qu'ils ont vécu, j'ai pas spécialement envie de le savoir, mais je sens qu'il y a de la matière derrière, y a une indulgence aussi, qui est importante. Ouais, ouais, les qualités humaines sont importantes ouais. Pour ce type de public là.

164 Au cours de nos entretiens avec Bernard, Florent et Yannick, nous avons noté que tous les trois avaient connus des périodes de non-emploi (plus ou moins vécues difficilement).

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Enfin, si je demande à Françoise quelle est le but, selon elle, des encadrants à « En Avant Toute ! », elle me répond :

Françoise : - Moi personnellement, moi je pense que c'est plus pour me pousser à prendre confiance en moi. Et peut-être tout doucement, après je sais pas je me fais peut-être des idées, mais par exemple à partir de chez ma mère, aussi tout doucement. A me faire aller mieux déjà. Pis ouais à prendre confiance, pis à faire d'autres choses sûrement ouais, aller vers d'autres choses.

Enquêteur : - Donc selon toi, « En Avant Toute ! », ça serait plus

pour aider les gens à aller mieux, plutôt que de rediriger les gens vers le marché du travail ? Le but ça serait plus, avant tout, d'aller mieux...

Françoise : - D'aller mieux, ça c'est sûr. C'est sûr qu'y a possibilité

de se réintégrer socialement. Mais faut le vouloir aussi. Et puis pouvoir

bien sûr. Mais je sais que déjà si on va mieux, Bernard l'avait dit, pour lui

c'est déjà important.

Pour Françoise, l'objectif d' « En Avant Toute ! », c'est avant tout d'aider les

gens à aller « mieux ». Mais ces personnes se sont-elles senties « mieux » grâce à

l'action ?

Le bien-être ressenti

Véronique et Françoise ont toutes les deux raconté avoir éprouvé un sentiment très fort de bien-être grâce à « En Avant Toute ! » :

Véronique : [...] Au début, les premières randonnées que j'ai faites avec Bernard, les premières journées là, j'étais assez émue, j'me disais « olala, j'suis avec des gens » ça m'a, ça m'a, y a eu un... je dirai, un recontact avec la vie quelque part, tu vois c'est, voilà. Donc c'était vachement important donc ça m'a reconnecté à quelque chose de vivant, voilà. [...] Donc, cette journée là m'a fait énormément de bien, et le soir je chantais chez moi, tu vois !

Françoise : - Les Monts d'Arrée, et j'avais trouvé magnifique, et je

sais pas hein, je vais dire ça, c'est très personnel, mais j'avais eu un, j'avais

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ressenti... Quelque chose que j'avais pas ressenti depuis très longtemps, depuis l'enfance ou bien l'adolescence... Un sentiment de bien-être en marchant là-bas... Mais c'était impressionnant... J'étais heureuse ! Franchement, j'étais heureuse ! Et j'avais plus ressenti ça depuis très longtemps. Mais ça je l'ai jamais dis à personne. Voilà ! (rire gêné)

Au-delà de ce bien-être parfois ressenti, qu'ont-elles retiré de cette participation à l'action ?

Ce qu'elles en retirent

Véronique met en avant les rencontres qu'elle a faites à « En Avant Toute ! » :

Véronique .
· - [...] Hier, tu vois, si je suis venue à la terrasse voir les filles, enfin vous voir, je savais pas que tu serais là, c'est parce que j'avais vraiment besoin de rencontrer des gens. Ça m'a fait un bien fou hein. Peut-être que même avec Martine, Françoise, elles ont pas de voiture, moi j'en ai une, même si elle est ancienne, je me disais pourquoi pas leur proposer un jour de faire une échappée de deux jours, au Mont-Saint-Michel, ou... Tu vois, on a tellement besoin de ça que... Tu vois, ça aussi c'est « En Avant Toute ! ». C'est recréer des liens et retourner vers une vie intéressante quoi, qui vaille le coup d'être vécue. Ouais, c'est riche ouais.

Elle explique que ces rencontres ont donné lieu à de nouvelles ambitions, de nouveaux projets :

Véronique .
· - [...] Y a quand même des conséquences très positives parce qu'on parle avec les gens. Et par Paulette, j'ai appris que y avait des jardins à Kerfeunteun qui allait s'ouvrir, des jardins familiaux. Donc j'ai appelé la mairie qui m'a dit « mais vous savez, y a des jardins beaucoup plus proches de chez vous qui sont disponibles actuellement » Voilà. C'est comme ça que j'ai eu mon jardin et ça me fait un bien fou. Voilà, donc c'est grâce à Paulette. Qu'est-ce qui s'est passé d'autre encore ? J'ai rencontré Gaëlle aussi, qui a beaucoup d'expériences de vie, et... Qui m'a parlé... Je lui disais, « j'aimerai bien faire du bénévolat et j'aimerai travailler auprès des enfants » tu vois, je lui disais que j'aimerai aller voir à Penhars tu vois si c'est possible ou pas, et elle m'a dit, tout de suite, elle m'a donné son expérience, son vécu à elle. Elle m'a dit, « écoutes, je connais très bien le

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directeur de la MPT de Penhars, c'est l'ancien directeur de la MJC de Douarnenez que j'ai très bien connu. Et question bénévolat, il comprend tout à fait ce que c'est un bénévole, tu seras très très très bien reçue. » Donc ça, c'est une étape que je vais faire, peut-être pas tout de suite, mais c'est une étape que je vais faire bientôt. Tu vois, je vais m'ouvrir à l'extérieur. Voilà, ça fait partie de ma réparation quoi. Donc il y a ces deux points là, Paulette, mon jardin, et Gaëlle, qui a un vécu intéressant et qui peut donner de très bons renseignements aussi. Ouais, des personnes références quoi.

Benoît explique quant à lui que l'action lui a quand même permis de « rebondir un peu », de « se remotiver » et notamment de se projeter sur l'obtention d'un permis de conduire :

Enquêteur .
· -[...] Et du coup pour revenir sur « En Avant Toute ! », ça t'a permis, enfin ça t'a quand même apporté des choses ?

Benoît .
· - Ben probablement si, ça m'a quand même fait rebondir un peu parce que y a des moments bah comme passer mon permis c'est grâce à ça aussi. Le fait de me sentir bien à l'asso, d'être un peu mieux, ça m'a remotivé à faire des trucs genre passer le permis...

Enquêteur .
· - Parce que tu ne l'aurais pas passé sinon ?

Benoît .
· - Ça m'étonnerait. Ça m'étonnerait de moi en tout cas. [...]

Pour moi le permis c'était hors de question que je le passe un jour. En tout cas, dans les années à venir, c'était pas du tout dans mes projets.

Mais toutes ces avancées positives n'auraient peut-être pas été possibles sans une certaine souplesse au niveau du cadre. C'est du moins ce qui est rapporté dans le recueil de ces trois témoignages.

La nécessaire souplesse du cadre

Rappelons en effet que le cadre proposé à « En Avant Toute ! » est souple. Ainsi les participants peuvent venir quand ils le souhaitent, ce qui arrange bien Benoît :

100

Benoît .
· [...] V a pas d'obligation, faut juste demander la veille. Et encore, moi ils sont pas trop chiants la plupart du temps moi c'est le jour même que je me décide.
(rire amusé) Parce que je sais que j'ai un peu de mal des fois à me lever le matin. Ça dépend comment j'ai dormi...

Enquêteur .
· - Parce que ouais, si jamais « En Avant Toute ! » ça fonctionnait genre, tu t'inscris pour trois mois, et puis, t'es obligé de faire les trois mois... Ça t'intéresserait toujours autant, ou est-ce que ton intérêt c'est de pouvoir justement faire d'autres choses à côté ... ?

Benoît .
· - Je pense pas justement, j'aurai du mal à me dire « tiens, pendant trois mois je vais faire ça » ou alors déjà me dire genre une semaine avant « tiens tel jour je vais faire ça ». [...] Et puis tout simplement tu peux te lever le matin et ne pas avoir envie d'aller marcher... C'est vrai que c'est pratique, ils nous obligent pas à nous inscrire forcément. [...] Et puis surtout ça dépend comment je me couche aussi, parce que je sais jamais à quelle heure je vais me coucher... En faite ça peut être 23h, comme ça peut être 3h du matin. Suivant quelle heure tu te couches, tu sais pas comment tu vas te lever. J'arrive pas à m'imposer de me coucher à telle ou telle heure pour me dire « tiens demain y a la rando de Bernard il faut que je me lève à quelle heure ? » J'ai un peu du mal à faire ça...

Même chose pour Véronique qui aurait eu du mal à s'engager dans une action qui impose une présence régulière :

Enquêteur .
· - [...] Et quand t'as décidé de venir à « En Avant Toute ! », tu savais que tu pouvais venir quand tu le voulais et tout... ?

Véronique .
·
(me coupe) - Oui. Ouais, ça j'avais pigé tout de suite,

ouais.

Enquêteur .
· - Et ça, du coup, ça te permettait de... Enfin... Si ça avait été autrement, ça t'aurai toujours intéressée ou... ?

101

Véronique .
·
(me coupe) - Si y avait eu un engagement à tenir ? Non. Parce que quand on est dans cet état là, comme c'est mon cas, on peut pas s'engager dans quoi que ce soit. Donc, euh, c'est mon avis hein. Déjà à côté je m'engage pas, je ne m'engage plus dans les loisirs tout ça, je ne m'engage plus, la seule chose dans laquelle je m'engage pour l'instant, c'est mon jardin, donc effectivement si y avait eu un engagement « être obligée de » non je crois que ça m'aurait fait peur ça par contre...

Elle apprécie la formule souple d' « En Avant Toute ! »

Véronique .
· - [...] Moi je trouve que c'est une formule assez souple, et moi je trouve que pour l'instant, tel que c'est là, ça me convient. [...] C'est assez adéquat, c'est une formule... Comment on appelle ça ?
(elle cherche) Je sais plus... (ça lui revient) « à la carte ! » quelque part. Et on choisit ce qui nous fait du bien. Et parce que quand on est vraiment mal, s'engager, ou être obligé de faire quelque chose, on n'a pas envie hein. Et là, c'est une formule souple.

Françoise partage cet avis :

Enquêteur .
· - Et c'est important qu'on vous laisse le choix de venir ou non aux activités ? Est-ce que t'aurais pu t'engager dans une action similaire mais qui durerait plusieurs semaines ou mois, et où tu devrais venir tous les jours ?

Françoise .
· - Bah pour moi ça serait difficile, parce que je suis pas assidue justement. Et j'ai du mal sur la durée. A ce niveau là c'est vrai qu'ils sont plus souples à « En Avant Toute ! », mais faut prévenir vingt quatre heures avant, et déjà ça c'est difficile quelque fois, de prévenir... Donc oui, le principe il est bien. Et quelque fois on arrête... Moi je me suis vu arrêter plusieurs semaines voir plusieurs mois, mais toujours revenir. Finalement, je suis toujours revenue parce que ça me manquait. Parce que à côté, comme y a rien, forcément... Et puis même, t'as besoin de ça...

102

5. Enjeux d'une approche réfléchie et militante

Nous l'avons vu au cours de notre étude, par rapport à d'autres actions de remobilisation par le sport destinées à des publics éloignés de l'emploi, « En Avant Toute ! » diffère sur de nombreux points. Dans son architecture, on a pu observer que le cadre est beaucoup plus souple, les activités proposées visent davantage le regain de confiance en soi plutôt que la performance et l'apprentissage de l'effort. Au niveau de l'encadrement, on remarque que les éducateurs sportifs n'évoquent presque jamais l'insertion professionnelle et évitent toutes réflexions jugeantes ou culpabilisantes.

Lorsque nous nous sommes interrogés sur la cause de ces différences, nous nous sommes rapidement aperçus qu'elle n'émanait pas d'une volonté de l'institution de proposer une action sous des modalités plus « humaines ». Au contraire, le Conseil Général s'inscrit parfaitement dans un discours politique ambiant prônant l'activation des chômeurs par la « redynamisation » et le travail sur l'employabilité dans l'optique d'un retour rapide à l'emploi. En fait, si l'action a pris cette tournure, c'est sous l'effet de quelques ajustements développés par les encadrants, surtout par Bernard Moulin qui est aux commandes de l'action depuis ses débuts. C'est lui qui a choisi de développer une action ouverte à tous les publics et où la participation se fait sur un principe d'adhésion. Les personnes inscrites sont donc libres de venir ou non aux activités. Qualifiés « d'irréductibles indépendants » par le directeur de l'insertion du Conseil Général, les éducateurs sportifs d' « En Avant Toute ! » souhaitent travailler effectivement dans une certaine autonomie. Pour autant, la pression du Conseil Général reste très élevée puisqu'elle subventionne l'action à hauteur de 80%, subvention qu'elle reconduit, pour l'instant, année après année. Ce partenariat implique dès lors une contrepartie. Ainsi, le Conseil Général aimerait pouvoir s'assurer de l'efficacité de l'action, et exige une certaine transparence vis-à-vis des résultats. Mais les encadrants d' « En Avant Toute ! » estiment ne pas être des assistantes sociales, c'est pourquoi, ils revendiquent sans cesse de ne pas avoir à « pister les gens ». C'est pourquoi, ils ne livrent que des « généralités » lors de ces évaluations, et ne cherchent pas vraiment à savoir à tout prix ce que deviennent les personnes qui sont passées par l'action, et si oui ou non, elles ont retrouvé un emploi. L'objectif est ailleurs, celui de permettre aux personnes d'aller mieux.

Et quand on s'entretient avec les participants d' « En Avant Toute ! », on s'aperçoit que cela fonctionne. Cela se vérifie également par l'observation durant

103

laquelle on a pu remarquer de grands pas en avant pour certaines personnes et cela en moins de six mois.

Si cela fonctionne si bien, c'est bien parce que l'action a su adapter son offre sportive à ce public fragilisé (et non l'inverse) en se détachant progressivement de la logique d'activation souhaitée par l'institution. Les entretiens le confirment, la souplesse du cadre a permis à de nombreuses personnes de s'inscrire et de participer, même périodiquement, aux activités.

Toutefois, il faut souligner que l'approche particulière que propose « En Avant Toute ! » n'aurait probablement pas pu se développer ainsi sans une réflexion de Bernard Moulin sur sa propre pratique, et sans un brin de militantisme.

En effet, Bernard Moulin a travaillé à la réalisation d'un ouvrage expliquant le

sens de son action, sa manière de travailler, et son propre rapport au sport. Ce livre écrit

en collaboration avec Serge Guilbaud, intitulé « Sport, emploi, et performances...

sociales. Être ou avoir ? 165 », lui a permis de prendre du recul sur sa pratique :

Bernard : - Euh... Le bouquin, ça m'a permis, parce que pendant plusieurs années, pendant... Florent est avec moi, depuis, trois ans, quatre ans, je sais plus... Donc, pendant au moins huit ans, j'étais tout seul. Tout seul, un peu le nez dans le guidon comme on dit... Sans trop de recul, y avait aucun écrit sur ce type de travail là, donc le bouquin ça m'a permis de prendre du recul sur ma pratique, sur mes pratiques... Sur mes pratiques de vies professionnelles, sportives, et le fait de prendre ce recul, faire ce livre, ça a été un outil de travail pour moi, parce qu'on me demande souvent ce que je fais... Au départ, j'avais que la parole, maintenant, j'ai les supports, et le livre c'est un support... [...] J'ai pu mettre des mots sur ce que je vivais et ça c'était important. Toute cette recherche là.

Une réflexion et une recherche alimentée par la lecture de nombreux ouvrages sur les thèmes du sport (y compris des ouvrages de sociologie critique du sport), l'emploi, la pauvreté, l'économie, l'éducation, etc. :

Bernard : - [...] Et bon, toutes ces lectures là m'ont aussi aidé bon,

euh... A avoir une autre vision, de mon poste, mais aussi de l'emploi en

165 Moulin B., Guilbaud S., Sport, emploi, et performances... sociales. Être ou avoir ?, édité à compte d'auteur, 2009

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général. Hein... Et de l'école, et de tout ce que j'ai vécu. Donc pour moi, c'était vraiment prendre du recul, sur ... Ma, mes pratiques.

Pour lui, cette remise en question de sa ou ses pratiques est très importante :

Bernard : - [...] Que ce soit dans tous les postes que j'ai eu, au travail... Et dans le sport... Pourquoi on fait tel sport ? [...] Je suis jamais resté enfermé dans une pratique, [...] dès que je me suis mis dans une pratique, je vois le kayak... J'ai été formateur très vite, et j'ai fais progressé le kayak à mon niveau, sur le kayak de mer. J'ai écrit un livre aussi là-dessus. Ici, pareil, dans le boulot d'éducateur sportif, c'est pareil, il n'y avait rien d'écrit là-dessus. Je me suis fais aussi mon outil de travail, Dès que je rentre quelque part, si ça me plaît pas... Je vais faire en sorte de faire progresser l'action, la pratique, ... Donc ça te permet de te questionner, sur ce que tu veux faire... Bon, voilà... Je suis pas ambitieux dans le sens, pour arriver à... Je suis ambitieux dans le fait que je veux être ce que je suis. Et ça c'est vachement important.

Enquêteur : - Ok. Donc ouais, il faut garder une certaine ouverture d'esprit sur...

Bernard : - (me coupe) Bien sûr. D'être curieux ! Ça c'est important.

Une curiosité intellectuelle qu'il a su associer à un brin de militantisme. Pourquoi parler de militantisme ? Selon nous, « En Avant Toute ! » est une action véritablement militante au sens où elle a su se développer sous cette approche particulière malgré la pression du principal financeur davantage dans une logique d'activation des publics, et, malgré le climat ambiant de « soupçon » qui règne en France vis-à-vis des « assistés ». Elle a su se développer en dehors d'un cadre institutionnel bien trop embourbé dans une logique privilégiant l'économique au social ou à l'humain. Cela parfois au prix de nombreuses déconvenues comme la nécessité de trouver de nouveaux financeurs ou d'effectuer de nouveaux partenariats (avec le CAFP et l'IBEP).

C'est pourquoi il nous semble important que chaque professionnel travaillant dans ce type d'action ou plus largement auprès de publics fragilisés sorte des logiques technocratiques et procédurales pour « inventer des postures sociales capables de

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résister à l'utilitarisme ambiant pour donner tout son poids, toute sa dignité à la fragilité166. » comme le clame Jean Lavoué. Car aujourd'hui, on l'a vu, la logique d'activation et de responsabilisation demandent aux citoyens les plus fragiles « une implication, une responsabilisation et un engagement toujours plus grands ! Générant une pléthore d'individus victimes et abattus », elle exige de ces derniers « une exigence de ressources et d'énergie plus grande encore.167 » ce qui pourrait manquer de pertinence et de logique pour quiconque s'y attarde un peu. Jean Lavoué se demande même si le concept de « résilience » si souvent convoqué auprès de ces publics fragiles n'est pas en fin de compte « au service de cette machine à exiger toujours plus de l'individu qui caractérise le néolibéralisme168», pour permettre à ces personnes de « supporter l'insupportable169 ».

Ainsi, aujourd'hui, le rôle de l'éducateur auprès de publics en difficulté a été transformé. Il a quitté « les eaux tranquilles de la légitimité fondée sur une société consciente de ses devoirs de solidarité, au nom des droits de l'homme et du citoyen, pour chaque être qui la constitue. Dans un monde où la valeur se mesure à l'utilité, à la responsabilité, à la contribution, le métier d'éducateur se voit confier la mission de participer à raccorder le plus grand nombre d'individus à la logique consumériste et productrice à laquelle se réduit leur reconnaissance170. »

Pour sortir de cette logique utilitariste, Jean Lavoué nous donne quelques grands axes et pistes à explorer par les professionnels du social :

Tout d'abord, il faut « apprendre à référer la nature des difficultés vécues non à la seule sphère psychologisante et individualisante, mais encore à la réalité sociale. Les problématiques des souffrances individuelles et familiales sont aussi et avant tout des problématiques sociales ! Elles ne relèvent pas d'une seule vision thérapeutique ! Bref ! Ne pas croire que l'éducation spécialisée pourrait se réduire à la seule rééducation comportementale de l'individu171. » En ce sens, il faut arrêter de considérer les chômeurs comme les seuls et uniques responsables de leur situation. Il faut les resituer dans un contexte économique en crise.

166 Lavoué J., « Face aux souffrances sociales : évolution, enjeux et principes de l'éducation spécialisée », in Le métier d'éducateur spécialisé à la croisée des chemins, Sous la direction de Conq N., Kervella J.-P., Vilbrod A., Coll. Travail du social, L'Harmattan, Paris, 2010, p.195

167 Ibid., p.190

168 Ibid., p.192

169 Ibid., p.195

170 Ibid., p.193

171 Ibid., p.195

De même, il recommande aux professionnels du social de s'inscrire davantage comme des acteurs de réseau car c'est « à partir de ces réseaux qu'il [l'éducateur] pourra encourager la création de liens pour les jeunes et les adultes qu'il accompagne172 ». C'est ce que fait Bernard Moulin à « En Avant Toute ! » quand il parle de « tirer sur plusieurs fils à la manière d'un marionnettiste ».

Enfin, les éducateurs doivent prendre place dans les débats sur le sens et l'avenir de notre société, quitte à lutter contre les préjugés en vigueur. Là-aussi, il me semble que c'est un travail militant que fait Bernard Moulin en allant présenter son action dans divers colloques ou instituts de formations.

Ce sont bien là les enjeux à venir d'une approche réfléchie et militante des actions d'insertion par le sport, et plus largement, de toutes les actions, institutions ou associations qui travaillent avec des publics en difficulté.

106

172 Ibid., p.194

107

Conclusion

À travers cette étude, nous souhaitions nous intéresser au rôle des encadrants au sein des actions de remobilisation par l'activité physique destinées à des publics éloignés de l'emploi.

Pour cela, nous nous sommes dans un premier temps imprégnés du travail réalisé par François Le Yondre en 2009 dans le cadre de sa thèse de doctorat intitulée Vrais chômeurs et vrais sportifs. Le sport face au chômage comme instrument disciplinaire ou support de tactiques identitaires : des catégories sociales en jeu. Ce travail avait démontré à travers l'analyse approfondie de deux dispositifs de redynamisation par le sport que la convocation de ce dernier dévoilait une intention de l'institution de travailler sur l'employabilité des participants par la disciplinarisation des corps et la transformation des valeurs.

En effet, au regard d'une analyse foucaldienne de l'architecture des dispositifs, aussi bien les énoncés des objectifs que le choix des activités physiques (et surtout l'utilisation qui en est faite) trahissent une philosophie politique dont la finalité pourrait se résumer à la « reconstruction de l'employabilité du corps des assistés afin de les rendre potentiellement productifs et d'éviter qu'il ne menace les normes corporelles en vigueur et au fondement du système productif173. »

Pour mieux comprendre la philosophie politique qui gouverne ce type d'actions, il faut l'appréhender à la lumière d'un contexte politique, économique et social dans la mesure où elles s'inscrivent de manière paradigmatique dans une logique d'activation (workfare) qui caractérise le traitement de la pauvreté des sociétés actuelles. Cette tendance aujourd'hui répandue jusque dans politiques sociales est en fait le prolongement de l'idéologie économique libérale réintroduite en politique par Reagan et Thatcher à la fin des années 1970. Elle porte le deuil des principes de solidarité assurés par l'Etat-Providence depuis la fin de la Seconde guerre mondiale tout en prônant l'activation des pauvres qui dépendent de l'assistance. Cette injonction participe de la responsabilisation individuelle des assistés qui doivent désormais sortir de leur situation eux-mêmes en participant à ce type d'actions d'insertion pour faire preuve de leur

173 Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs. Le sport face au chômage comme instrument disciplinaire ou support de tactiques identitaires : des catégories sociales en jeu, 2009, p.182.

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bonne volonté à retrouver un emploi. C'est en effet dans une logique de « donnant-donnant » que les assistés sont tenus de respecter un rapport contractuel avec l'institution (et tacitement avec la société) pour obtenir leurs minima sociaux.

Notre étude s'est focalisée sur une « action d'autonomie sociale » de remobilisation par le sport dénommée « En Avant Toute ! » mise en oeuvre dans le sud Finistère depuis 1998. Une analyse du dispositif laisse rapidement apparaître des différences significatives par rapport aux stages de redynamisation par le sport étudiés par Le Yondre, tant au niveau de l'architecture (plus souple) qu'aux modalités de mise en oeuvre des activités physiques (davantage axées sur le « bien-être » et la convivialité).

Nous avons souhaité interroger l'origine de ces différences par le biais d'une enquête compréhensive prenant la forme d'une observation participante ainsi que par le recueil d'entretiens menés à plusieurs niveaux d'interventions du dispositif : au niveau de l'institution, des encadrants, et des participants.

Les résultats de cette enquête mettent en avant le rôle prépondérant qu'ont joué les encadrants dans le développement d'une approche plus soucieuse de l'humain qui caractérise l'action. En effet, ces derniers détiennent une forme de contre-pouvoir au sein du dispositif en utilisant la (relative) autonomie dont ils disposent pour infléchir la finalité « utilitariste » de l'institution qui s'inscrit complètement dans une logique d'activation des « assistés ». Nous avons également noté que des liens d'interconnaissance permettent de maintenir de bons rapports avec l'institution.

Si la finalité de l'institution semble atteinte, même sous des modalités plus humaines, les résultats de cette étude viennent tout de même poser la question des enjeux d'une pratique militante et réfléchie des professionnels encadrants ce type d'action, et plus largement de l'accompagnement des publics en difficulté.

Les conclusions de cette étude gagneraient à être complétées par d'autres enquêtes portant davantage sur l'impact que cette approche plus humaine de la remobilisation par l'activité physique peut avoir sur les participants. Une enquête qui viendrait interroger un échantillon de participants plus large et hétérogène.

Quoi qu'il en soit, ce travail de mémoire m'aura permis d'enrichir considérablement ma vision du travail social tout en participant de manière décisive à la perpétuelle construction de mon identité professionnelle que je souhaite désormais incarner à travers l'exercice du métier d'éducateur spécialisé.

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Bibliographie

Ouvrages, chapitres d'ouvrage et travaux universitaires consultés :

Beaud S., Weber F., Guide de l'enquête de terrain, Paris, La Découverte, 1998

Burgi N., La machine à exclure. Les faux semblants du retour à l'emploi, Paris, La Découverte, 2006

Deroff M.-L., et Karine T., Les travailleurs sociaux et le dispositif RMI : entre représentations et mises en pratique, in Vilbrod A. (dir.), L'identité incertaine des travailleurs sociaux, Paris, L'Harmattan, 2003

Duvoux N., Le nouvel âge de la solidarité. Pauvreté, précarité et politiques publiques, Paris, Seuil, coll. « La république des idées », 2012

Duvoux N., L'expérience vécue des politiques d'insertion. La complémentarité des approches qualitatives et quantitatives, 2008

Ebersold S., La naissance de l'inemployable. Ou l'insertion aux risques de l'exclusion, Presse universitaire de Rennes, coll « Le sens social », 2001

IRES (Institut de Recherches Economiques et Sociales), Les mutations de l'emploi en France, Paris, La Découverte, coll « Repères », 2005

Fustier P., L'enfance inadaptée. Repères pour des pratiques, Presses universitaires de Lyon, 1983

Lavoué J., « Face aux souffrances sociales : évolution, enjeux et principes de l'éducation spécialisée », in Le métier d'éducateur spécialisé à la croisée des chemins,

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Sous la direction de Conq N., Kervella J.-P., Vilbrod A., Coll. Travail du social, L'Harmattan, Paris, 2010

Le Yondre F., Vrais chômeurs et vrais sportifs. Le sport face au chômage comme instrument disciplinaire ou support de tactiques identitaires : des catégories sociales en jeu, 2009

Moulin B., Guilbaud S., Sport, emploi, et performances... sociales. Être ou avoir ?, édité à compte d'auteur, 2009

Paugam S., Duvoux N., La régulation des pauvres. Du RMI au RSA., Paris, PUF, 2008

Schnapper D., L'épreuve du chômage, Paris, Gallimard, 1981 (nouvelle édition Folio), 1994

Simmel G., Les pauvres, (1ère édition en allemand, 1907), Paris, PUF, « Quadridge », 1998

Wacquant L., Les prisons de la misère, Raisons d'agir, 1999

Articles consultés :

Abrahamson P., « La fin du modèle scandinave ? La réforme de la protection sociale dans les pays nordiques », Revue Française des Affaires Sociales, 2005/3 n° 3, p. 105127

Astier I., « Les transformations de la relation d'aide dans l'intervention sociale », Informations sociales, 2009/2 n° 152, p. 52-58

Colomb N., « La moitié des personnes éligibles au RSA n'en fait pas la demande, selon une étude », Actualités Sociales Hebdomadaires, n°2737 du 16/12/2011, p.22-23

Le Yondre F. « Des corps incertains. Redynamisation des chômeurs par le sport. », Le sociographe, n°38, 2012

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Sites internet consultés :

http://www.actuchomage.org/ http://www.adsea29.org/ http://www.cairn.info/ http://www.cg29.fr/ http://www.inegalites.fr/ http://www.insee.fr/fr/ http://www.laviedesidees.fr/ http://www.lemonde.fr/ http://www.onpes.gouv.fr/ http://www.rue89.com/

Conférences, colloques :

Caillat M., « La sociologie, un vrai sport de combat. Le sport, royaume de la pensée unique ? », conférence à la Médiathèque des Ursulines, Quimper, 25 septembre 2010.

Duvoux N., « La pauvreté dans la France contemporaine : regards sociologiques », intervention à l'occasion du 5e Forum départemental de l'Insertion, Quartz, Brest, 16 décembre 2010.

« Les APS au service des personnes adultes en situation de fragilité », Colloque Régional Multidisciplinaire « Insertion et Sport », organisé par « Breizh Insertion Sport », en présence de Bernard Moulin et François Le Yondre, Maison des sports, Rennes, 2 avril 2012.

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Glossaire

· ACTIFE : Action Territoriale pour l'Insertion, la Formation et l'Emploi.

· AAH : Allocation Adulte Handicapé

· ADIE : Association pour le Droit à l'Initiative Economique

· ADSEA 29 : l'Association Départementale pour la Sauvegarde de l'Enfance, de l'Adolescence et des Adultes du Finistère

· ANPE : Agence Nationale Pour l'Emploi

· ASS : l'Allocation de Solidarité Spécifique

· ASSEDIC : ASSociation pour l'Emploi Dans l'Industrie et le Commerce

· BPJEPS : Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l'Education Populaire et du Sport

· CADA : Centre d'Accueil de Demandeurs d'Asile

· CAE : Contrat d'Accompagnement dans l'Emploi

· CAFP : Centre d'Adaptation et de Formation Professionnelle

· CCAA : Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie

· CCAS : Centre Communal d'Action Sociale

· CDAS : Centre Départemental d'Action Social

· CG : Conseil Général

· CPAM : Caisse Primaire d'Assurance Maladie

· CMU : Couverture Maladie Universelle

· CMPP : Centres Médico-Psycho-Pédagogique

· CN : Centre Nautique

· CUCS : Contrat Urbain de Cohésion Sociale

· DDCS : Direction Départementale de l'Action Sociale

· ESAT : Etablissement et Service d'Aide par le Travail

· FSE : Fond Social Européen

· GEIQ : Groupement d'Employeurs pour l'Insertion et la Qualification

· IBEP : Institut Breton d'Education Permanente

· IFSI : Institut de Formation en Soins Infirmiers.

· INSEE : Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques

·

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IREPS : Instance Régional d'Education et de Promotion de la Santé

· IRES : Institut de Recherches Economiques et Sociales

· ITES : Institut pour le Travail Educatif et Social

· MPT : Maison Pour Tous

· MJC : Maison des Jeunes et de la Culture

· NEF : Nautisme en Finistère

· ONPES : Observatoire National de la Pauvreté et de l'Exclusion Sociale

· PLIE : Plan Local pour l'Insertion et l'Emploi

· RSA : Revenu de Solidarité Active

· RMA : Revenu Minimum d'Activité

· RMI : Revenu Minimum d'Insertion

· SAMSAH : Service d'Accompagnement Médico-Social pour Adultes Handicapés

· SCOP : Société Coopérative Ouvrière de Production

· SSSATI : Sport Santé Société : Administration, Territoire, Intégration

· STAPS : Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives

· UBO : Université de Bretagne Occidentale

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Annexes

Articles de presse :

- Paru dans Le Progrès (6 novembre 2009) p.115

- Paru dans Le Télégramme (septembre 2009) p.116

Article paru dans Le Progrès du vendredi 6 novembre 2009 :

« Mes médailles d'or, ce sont les sourires

Bernard Moulin

Ce sportif accompli met sa passion au service d'écorchés de la vie. Au prétexte d'une balade en kayak, d'une randonnnée ou d'un match de badminton, il les aide à se réconcilier avec leur corps, leur tête, les autres... et leur avenir.

veillant d'internat, vendeur, formateur... Il a connu deux procès aux prud'hommes et le chômage. Alors il sait de quoi il parle quand il dit qu'on peut trouver chez chacun les ressources pour remonter la pente : a Ce n'est pas parce qu'on a reçu un coup sur la tête que tout doit s'arrêter. »

Pendant les activités organisées dans le cadre d'En avant toute, on ne passe donc pas trop de temps à s'apitoyer sur le sort des uns et des autres : « Quand on a tous dit une fois qu'on est malheureux, on cherche plutôt à savoir recon-

Bernard Moulin vient de publier, à compte d'auteur et avec la collaboration de Serge Guilbaud, l'ouvrage Sport, emploi et performances... sociales, être ou avoir? illustré parle dessinateur Eric Appéré. Il y établit des parallèles entre les exigences de performance attendues en entreprise et dans la compétition sportive. « Dans les deux cas, l'échec conduit à la mise hors jeu, à ta dévalorisation sociale, regrette-t-il. Moi, je crois que l'on devrait pouvoir calculer le bénéfice humain au-delà de cette performance économique ou sportive. Repenser le système pour que tout ne se mesure pas qu'au score... » Ce livre est le moyen pour Bernard Moulin de transmettre sa vision du sport et de ce que l'on peut en faire pour le bien de tous. Il fait aussi le bilan de l'action En avant toute, au profit des chômeurs de longue durée. Commande du livre auprès de Bernard Moulin, 78, bretagne.aventure@orange.fr (78 euros)

e matin d'octobre, il fai-

C

sait anormalement doux sur la plage de Cap Coz à Fouesnant. Sur une mer d'huile, baignée de soleil, un groupe de kayakistes se préparait à embarquer. Direction BegMeil. Fem-

mes et hommes, jeunes et moins jeunes, écoutaient les consignes du doyen du groupe: Bernard Moulin. L'un des participants se livrait pudiquement « J'appréhende un peu car je suis tombé à l'eau la dernière fois... Mais Bernard m'a aidé remonter et je sais qu'il sera là cette fois encore. Grâce à lui, je reprends confiance en moi. » Tout est dit.

Bernard Moulin est éducateur sportif. Il encadre, à Quimper, le programme En avant toute, une action de mobilisation par le sport des demandeurs d'emploi bénéficiaires des minima sociaux {portée par le Centre départemental d'action sociale et la Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Finistère). Chaque jour, il propose aux volontaires des activités différentes avec l'idée de les aider à se sentir mieux dans leur corps, dans leur tête et avec les autres. «Je m'y emploie à débroussailler la toile d'incertitude et de dévalorisation qui les entoure afin de faire émerger leur potentiel, leurs atouts, leurs richesses intérieures, enfouis derrière une montagne d'hésitations, de mépris, d'humiliations et souvent de solitude », écrit Bernard Moulin dans le livre qu'il vient de publier (lire encadré).

L'éducateur pose un regard bienveillant sur les êtres que la vie a malmenés. Il ne les juge pas. Seul l'intéresse leur pouvoir de résilience: o Les actions d'En avant toute s'inscrivent dans un parcours d'insertion qui implique une démarche d'emploi. Je réussis quand je contribue à redonner l'envie à quelqu'un d'aller de l'avant. Mes médailles d'or, ce sont les sourires retrouvés!» Par l'écoute, l'échange, l'humour mais aussi par l'accompagnement au dépassement personnel dans l'activité sportive, Bernard Moulin retricote patiemment des estimes de soi que le chômage et l'exclusion ont ravagées.

a C'EST UN HOMME RARE, EXTRAORDINAIRE D'HUMANITÉ. n

jACQUES LERN,

DI RECCEUR. DE l'INSERTION

AU CONSEIL GÉNÉRAL

« C'est un homme rare, extraordinaire d'humanité, dit de lui Jacques Lern, directeur de l'insertion au Conseil général du Finistère. Les personnes sur lesquelles il veille savent qu'il ne triche pas parce qu'il est comme elles, à la fois dans et hors du système. I/ fait du social mais est éducateur sportif Il est reconnu dans le milieu sportif et aurait pu être entraîneur, mais ii a choisi - d'être éducateur lia organisé des raids internationaux, mais il ne se sent jamais aussi bien qu'en baie de Douarnenez... Bernard Moulin est un transfrontalier. Et c'est ce qui le rend proche des gens que l'on qualifierait de "borderline". »

«J'ai été élevé dans le milieu agricole à Lan-drévarzec, les rapports humains, la solidarité étaient primordiaux. lis le sont restés pour moi: s Tobte la vie de Bernard Moulin esf affaire

de rencontres. Il puise son énergie clans ses relations aux autres et ne se plait que dans l'échange. Prenez sa découverte de la mer. Le coup de foudre n'a pu se transformer en amour inconditionnel qu'à partir du moment où il a pu être partagé «Je ne voulais pas rester seul en mer. Alors pour naviguer avec d'autres, j'ai passé les diplômes de moniteur. » Et il a été l'un des pionniers du kayak de mer.

RRceingittnit LES !ETffS SONpEYRS

S'il est passionné de sport, la compétition pure ne l'intéresse pas. Pour Bernard Moulin, l'adversaire est un partenaire et la victoire a une bonne blague que l'on fait au copain que l'on a doublé ». Il a touché à tout: le football, le vélo, le kayak, la course à pied, la randonnée, le badminton, le ski... Et croit dur comme fer aux pouvoirs bienfaiteurs de l'activité sportive à condition de ne pas s'en tenir qu'au score mais plutôt de savourer un moment passé avec d'autres, au contact de la nature ou en harmonie avec soi-même. « Le sport ne doit pas être une fin en soi. Ce n'est qu'un moyen de se réaliser physiquement et humainement, assène-t-il. Il m'a souvent donné l'énergie nécessaire pour me remettre en selle après des accidents de la vie. si

Le parcours professionnel de Bernard Moulin a été tout aussi éclectique que son parcours sportif. Entré tôt dans la vie active, il a été tour à tour salarié agricole, ouvrier à la chaîne, animateur socioculturel, manutentionnaire, livreur,'sitr:

naître les petits bonheurs pour en profiter pleinement. Au final, ces chemins détournés vers le mieux-être participent à la reconstruction, au retour vers la vie sociale et vers le travail, » Le programme a obtenu de bons résultats. Bernard Moulin espère ie voir à l'avenir étendu à tout le département. La difficulté: convaincre des partenaires de financer une action qui mise sur les loisirs à une période économiquement peu propice...

Martine de Saint Jan


·

SPORT, EMPLOI et PERFORMANCES--

SOCIALES

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3e Nafie

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rue Eugène Pottier, 29700 Douarnenez

Article paru dans Le Télégramme en septembre 2009 :

La réinsertion par Le sport

Se réinsérer par le sport, c'est ce que propose « En avant toute ». Une quarantaine de personnes y sont inscrites.

Pour Philippe Florent « En avant toute » permet de redonner aux cabossés de la vie une seconde chance.

Offrir aux personnes en perte d'emploi et de repère, une bouée de sauvetage, tel est l'objectif que se fixe « En avant toute ». Une action lancée depuis onze ans sur Quimper, et qui a gagné le secteur de Quimperlé Concarneau depuis le début d'année. Une quarantaine de personnes y sont déjà inscrites.

Pas un club sportif

Philippe Florent, éducateur sportif et responsable du secteur, met en garde: « Ce n'est pas un dub de sport ». Même si marche, piscine, kayak, vélo ou balade avec

âne sont au menu, l'essentiel n'est pas tant la pratique sportive que la reconstruction de soi. Destinés aux personnes bénéficiant de minima sociaux - RMI en majorité -, et fonctionnant sur la base du volontariat, les activités sportives permettent « de mobiliser les personnes en difficulté » pour « les remettre sur les rails ». Histoire de rompre l'isolement et de redonner quelques repères: « Souvent, ils se couchent tard, ils se lèvent tard ».

Une réelle détresse

Sur le principe qu'être bien dans

son corps, c'est être bien dans sa tête, « En avant toute » permet aux bénéficiaires de « reprendre confiance en eux ». « On les voit deux à trois fois par semaine, ils viennent pendant six mois puis ils trouvent un peu d'intérim ». Tous les six mois, un bilan individualisé permet de vérifier la recherche d'emploi. L'année dernière, sur le secteur quimpérois, treize personnes sur les 120 inscrites ont retrouvé du travail. Sur le bassin.d'emploi de Quimperlé et Concarneau, la moyenne d'âge est de l'ordre de 25 ans. Des jeunes qui sont « au début

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de leur recherche d'emploi » mais chez lesquels « il existe une réelle détresse psychologique ». L'ouverture sportive proposée par « En avant toute » permet de leur redonner une motivation. De permettre un nouveau départ.

Stéphane Guihéneuf

Pratique

Permanence, au MAS de Quimperlé le jeudi matin, de 9 h 12 h et au CDAS de Concarneau, le jeudi après-midi, de 14 h â 17 h. Tarif: 1€ la journée.

117

Résumé

La société française actuelle est frappée par une « nouvelle pauvreté » se caractérisant par un chômage de masse et de longue durée. Aujourd'hui, des millions de français n'ont pas d'emploi et survivent grâce aux revenus de l'assistance. Autant de situations de précarités auxquels les dispositifs d'assistance essayent de pallier par l'allocation de revenus minimum et par l'incitation au retour à l'emploi (le workfare).

Dans ce contexte, et comme le montre des études récentes (Le Yondre, 2009), la convocation du sport comme activité contractuelle d'insertion pour ces publics « assistés » n'a rien d'anodine. Elle est le paradigme des politiques d'activation dans la mesure où, bien souvent, elle vise le retour à une employabilité par la disciplinarisation des corps et l'instrumentalisation de l'intime. Il s'agit là d'une double-activation qui travaille aussi bien sur les valeurs de l'individu et que sur le corps lui-même.

Notre étude s'est effectuée au sein de l'action « En Avant Toute ! », action de remobilisation par le sport destinée à des hommes et des femmes de 18 à 60 ans inscrites dans une démarche d'emploi et bénéficiaires des minima sociaux. Etonnamment, cette action présente des différences significatives par rapport à d'autres actions similaires de redynamisation par le sport. Contrairement à ces dernières, les activités physiques ne sont pas utilisées dans un objectif de performance et de dépassement de soi, mais visent davantage à sortir de l'isolement social et retrouver une estime de soi.

Quelles sont les raisons à l'origine de ces différences ? Nos hypothèses nous ont conduites à penser qu'elles sont le fait d'un certain contre-pouvoir des encadrants de l'action allant à l'encontre des intentions de l'institution finançant la quasi-totalité du dispositif.

Une enquête sur le terrain viendra confirmer nos hypothèses et nous permettra de rendre compte de l'impact que peut avoir cette approche particulière sur les participants à l'action. Ils viennent poser la question des enjeux d'une approche humaine et non utilitariste de l'accompagnement des publics en difficulté.

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Abstract

Nowadays, the French society suffers from the phenomenon of « the new poverty », a trend that is characterised by the long-term unemployment. Today, millions of French citizens do not have jobs and they survive thanks to the Welfare. All these poverty cases are covered by social mechanisms of the state; these are supposed to solve these issues by providing a minimum of income and by trying to incite the unemployed to return on the job market (the workfare).

In this context, and as shown in recent studies (Le Yondre, 2009), the fact of using sports as insertion activity, stipulated by contract, for this public is surely not accidental. It is actually the paradigm of the activation policies, taking into consideration that, often enough, its purpose is to return to the employment by a double activation: the discipline of the body and the instrumentation of the personal values.

Our study is focused on the action « En Avant Toute ! », its core objective being the incentive through physical activities, targeted on men and women between 18 and 60 years of age, who are looking for an employment and who survive thanks to the Welfare. Surprisingly enough, this action is significantly different from other similar actions which purpose has been to motivate the public through sports. Situated in contradiction with the other actions, the activities included in «En Avant Toute !» are not used in order to achieve a goal of performance and self-improvement, but they rather seek to overtake the social isolation and to regain one's self-esteem.

Which are the origins of this distinction? Our hypothesis conducted us to the idea that the differences are the result of a kind of counter-power formed by the social workers who lead this action on the field. They tend to modify the philosophy of the action, by positioning themselves in opposition to the intentions of the institution that finances the program almost entirely.

An investigation on the field will confirm our hypothesis and will allow us to realize the impact that this particular approach could have on the participants at the action. We will also reveal the issues related to the human and non-utilitarian approach of the support provided to the people in difficulty.






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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote