Institut d'études politiques de Paris ECOLE
DOCTORALE DE SCIENCES PO
Mémoire en Histoire
L'administration de la coercition légitime
en
République
Les institutions de l'État
face à l'anarchisme dans les années
1880
Amélie Gaillat
Mémoire dirigé par Nicolas Roussellier
- Maître de conférences (Habilité)
à
Sciences Po.
Soutenu le 5 juin 2019
Jury :
M. Nicolas Delalande, Associate Professor
(Habilité) à Sciences Po
M. Quentien Deluermoz, Maître de
conférence (Habilité) à l'Université Paris 13 M.
Nicolas Roussellier, Maître de conférence (Habilité)
à Sciences Po
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Amélie Gaillat- «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les
années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
2019
Remerciements
Je tiens à remercier chaleureusement Nicolas
Roussellier pour avoir accepté de diriger ce travail et les conseils
précieux qu'il m'a apporté tout au long de nos discussions. Je
remercie aussi Odile Gauthier-Voituriez pour son aide concernant la recherche
documentaire et Mathieu Fulla pour ses relectures et ses
recommandations.
Ma reconnaissance va aux personnels des Archives de la
Préfecture de police de Paris, des Archives nationales et des Archives
départementales du Rhône pour leur gentillesse et leur
disponibilité qui m'ont permis de réaliser ce travail dans les
meilleures conditions.
Je remercie également la Libraire
La Gryffe et le centre de documentation libertaire de
Lyon, ainsi que Laurent Gallet pour son aide et ses conseils. J'adresse toute
ma reconnaissance et ma sympathie à Dominique Petit, qui a mis à
ma disposition de nombreuses photos de documents d'archives se rapportant au
mouvement anarchiste. Je me dois aussi de remercier mes ami-e-s Olivia et Axel
qui m'ont accueillie chez eux à Lyon dans le cadre de ma visite aux
Archives départementales du Rhône.
Je tiens à exprimer ma gratitude à
l'égard de mes ami-e-s Amandine, Claire, Chloé et Maxime, qui ont
pris le temps de relire ce mémoire et d'en discuter. En outre, je
remercie mes collègues de la Fondation Jean-Jaurès qui m'ont
permis de développer un autre regard sur ce travail de recherche et mes
colocataires pour leur soutien et leur bonne humeur.
Enfin, un grand merci va à mon frère,
mes grands-parents, et mes parents qui ont toujours cru en moi. Ce
mémoire n'aurait pu voir le jour sans les corrections apportées
par ma mère et l'esprit anarchiste qu'elle y a
insufflé.
Amélie Gaillat- «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les
années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
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Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les
années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
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L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les
années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
2019
Sommaire
TABLE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS 8
TABLE DES DOCUMENTS 9
INTRODUCTION 12
Du mythe anarchiste à la légitimation
de la République comme régime d'ordre et de
liberté 13
L'anarchisme : de Proudhon à
la Commune de Paris 15
La répression des anarchistes aux premières
heures de la République opportuniste : une
zone d'ombre de la littérature
20
Pour une approche « multi-institutionnelle
» de la répression de l'anarchisme 22
Une histoire de l'État au croisement de
l'appareil policier et de l'anarchisme 25
Trois moments à distinguer 27
PREMIÈRE PARTIE. DE L'AVÈNEMENT DE LA
RÉPUBLIQUE À LA LUTTE CONTRE LES
ANARCHISTES (1879-1882) 29
CHAPITRE 1 : UNE TOUTE JEUNE RÉPUBLIQUE À
L'ÉPREUVE DE L'ANARCHIE 30
1.1- L'affrontement de deux conceptions de la
Révolution 30
A) Un régime libéral qui fait débat 31
B) L'émergence d'une culture anarchiste hors des
institutions 37
1.2- Une machine d'État face à un
mouvement libertaire en pleine structuration 42
A) Le Congrès de Londres de 1881 et la stratégie
de la propagande par le fait 43
B) Une menace venue de la gauche nécessitant une
réponse structurelle 48
CHAPITRE 2 : AU SERVICE DE LA RÉPUBLIQUE ! 56
2.1- Une organisation policière complexe
héritière du pouvoir impérial 56
A) La technostructure de la Haute-Police 57
B) La relative épuration des cadres de l'Empire
: De la « promotion » des commissaires de Police
à l'affaire
de La Lanterne 60
2.2. -Une police politique compatible avec la
République ? 69
A) La Direction de la Sureté Générale
: une institution au coeur du renseignement républicain
70
B) La préfecture de Police : Un État dans
l'État 74
DEUXIÈME PARTIE. QUAND UN ATTENTAT LYONNAIS
RÉVÈLE L'EXISTENCE D'UNE MACHINE
D'ETAT (?88?-1884) 83
CHAPITRE 3 : DE L'EXPLOSION DE
L'ASSOMMOIR AU PROCÈS DES 66 84
3.1- Les anarchistes face à la technostructure
policière lyonnaise 85
5
A)
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L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les
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Une préfecture du Rhône bien dotée 85
B) De la surveillance à la traque des anarchistes de Lyon
89
3.2- Les enjeux d'un procès pour l'exemple
94
A) Administrer l'arrestation des militants anarchistes
94
B) La nécessité de désigner un coupable
101
CHAPITRE 4 : DE LA POLICE À LA JUSTICE POLITIQUE 105
4.1 - La notion de délit d'opinion en
République 106
A) Soixante-six condamnés pour tentative de
reconstitution de l'Internationale 106
B) Un procès et une doctrine anarchiste largement
débattus 111
4.2 - La magistrature, autre acteur de la
répression politique 115
A) Encore un héritage du régime impérial ?
116
B) Les magistrats : fonctionnaires de l'État
avant tout ? 120
TROISIÈME PARTIE. UNE DOCTRINE
RÉPUBLICAINE NOURRIE PAR LA PRATIQUE DU
MAINTIEN DE L'ORDRE (1884-1893) 127
CHAPITRE 5 : LE MAINTIEN DE L'ORDRE
RÉPUBLICAIN, UNE PRATIQUE NÉCESSAIREMENT JACOBINE ? 128
5.1 - L'après procès des 66 : mutation du
mouvement anarchiste et émergence de
nouveaux modes d'action 128
A) Actes individuels et solidarités libertaires 129
B) Les actions anarchistes à Lyon après le
procès des 66 : mais que fait la police ? 134 5.2 -
Évolution du maintien de l'ordre républicain
: Loi Municipale et fonds secrets pour
lutter contre les « ennemis de
l'intérieur » 141
A) La Loi Municipale de 1884 : une rupture Républicaine ?
141
B) Nouvelles explosions, nouvelles méthodes
policières ? 145
CHAPITRE 6 : QUAND LA RÉPUBLIQUE RENONCE À SON
DESTIN 153
6.1 - Mythe, menace et échecs
politiques 153
A) Entre dynamite et fait divers, un difficile maintien
de l'ordre 154
B) Difficultés policières et réponses
insuffisantes 158
6.2 - Quel modèle pour l'avenir ?
164
A) Nouvel attentat, nouvelles réponses 164
B) Un maintien de l'ordre incompatible avec la garantie
juridictionnelle des libertés 169
CONCLUSION 174
La République contre les anarchistes 175
Une machine d'État
conditionnant la pratique du pouvoir des républicains
177
Une administration de la coercition légitime
se révélant dans les sources de l'histoire de
l'anarchisme 178
Etudier la Troisième République sous le prisme
de « l'État secret » 181
6
ÉTAT DES SOURCES 185
TABLE DES ANNEXES 199
Annexe 1 - Attentats et autres actions anarchistes
(1881-1893) 200
Annexe 2 - État des militants condamnés
lors du procès des 66 205
Annexe 3 - Texte de la loi Dufaure du 14 mars 1872
213
Annexe 5 - Texte des lois «
Scélérates » 216
Annexe 6 - Etat des anarchistes arrêtés
à la suite des perquisitions de 1892 224
Annexe 7 - Organisation anarchiste, réponses
à la circulaire du 13 décembre 1893 225
INDEX NOMINATIF 240
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années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
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Table des Sigles et abréviations
ADR : Archives départementales du
Rhône
AIT : Association Internationale des
Travailleurs
AN : Archives nationales
APP : Archives de la Préfecture de
police
DSG : Direction de la Sûreté
générale
IIHS : International Institute of Social
History
8
PP : Préfecture de police
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Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les
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Table des documents
Graphique
Tableau
|
1
|
1
-
|
Périodiques
états des militants
|
|
anarchistes (1880-1894)
p.38
anarchistes (1893-1894)
p.41
|
Archive
|
1
|
|
- Correspondance
|
de
|
|
la
|
Sûreté
p.52
|
(1880)
|
Archive
|
2
|
-
|
Correspondance
|
de
|
|
la
|
Sûreté
p.52
|
(1882)
|
Archive
|
3
|
-
|
Correspondance
|
de
|
|
la
|
Sûreté
p.53
|
(1882)
|
Archive
|
4
|
-
|
Correspondance
|
de
|
|
la
|
Sûreté
p.53
|
(1882)
|
Archive
|
5
|
-
|
Correspondance
|
de
|
|
la
|
Sûreté
p.53
|
(1882)
|
Schéma
|
1 :
|
La
|
Structure policière
|
à
|
la
|
fin
|
du XIXe
p.57
|
siècle
|
Tableau
|
2
|
-
|
Les commissaires
|
de
|
|
police
|
sous la
|
IIIe
|
République p.61
9
Tableau 3 - Les sorties du corps de gardiens de la paix,
1872-
1878 .p.65
Tableau 4 - Les sorties du corps de gardiens de la paix,
1879-
1882 .p.68
Graphique 2 - Gardiens de la paix révoqués
entre 1872 et 1882 à
Paris .p.68
Graphique 3 - Evolution des effectifs de la « Police
Spéciale », 1860-
1900 .p.73
Tableau 5 - Actes anarchistes les plus marquants à
la suite du procès des
66 .p.129-130
Tableau 6 - Attentats à Lyon après le
procès des
66 .p.135-136
Tableau 7 -Actes anarchistes visant les bureaux de
placements et les commissariats
parisiens (1888-1889)
p.150-151
Tableau 8 - Les attentats anarchistes des années
1892-
1893 .p.157- 158
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L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les
années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
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10
Graphique 4 - Evolution du montant des fonds secrets
du ministère de l'Intérieur (1870-1900)
p.160
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années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
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L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les
années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
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Introduction
Amélie Gaillat- «
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Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les
années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
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« Je crains moins de rencontrer un voleur qu'un
homme de la police pendant la nuit. Le premier me prendra ma bourse, mais
l'autre me prendra ma liberté1. »
Aux lecteurs bercés par le mythe de la
Troisième République, il peut sembler étonnant que le
député radical Eugène Delattre reprenne ces mots du
journaliste Louis Veuillot à la Chambre des députés en
1884.
Les opportunistes ont fini par accéder à
la tête des institutions en 1879 et aspirent à concrétiser
le rêve des révolutionnaires de 1789. Le nouveau gouvernement,
composé de fervents opposants au Second Empire à l'instar de
Ferry et Gambetta, ou de jeunes intellectuels animés par un désir
de justice comme Clemenceau cherche à concilier les communards et la
Chambre des députés en libéralisant la presse et en
autorisant les réunions publiques. Or, le régime qu'ils
défendent reste assimilé au désordre et aux barricades et
leur légitimité à assurer l'ordre et la
sécurité est sans cesse remise en cause par l'opposition
antirépublicaine2. Ceci les contraint à
développer une politique du maintien de l'ordre, en principe compatible
avec la doctrine libérale du régime.
Dans le même temps, les opportunistes font face
à des adversaires de cette utopie démocratique qui
n'hésitent pas à faire entendre leurs voix. Les
orléanistes et les légitimistes espèrent reprendre les
institutions à leur compte et restaurer la monarchie, tandis que depuis
les bancs situés à l'extrême gauche de la Chambre des
députés, le nouveau gouvernement subit des assauts des plus
virulents. En outre, ces débats ne se limitent pas à l'enceinte
du Palais Bourbon mais se prolongent dans une presse en pleine expansion et au
sein des réunions animées par les groupes
libertaires.
Du mythe anarchiste à la
légitimation de la République comme régime d'ordre et de
liberté
Désignés par d'innombrables patronymes,
que ce soit par les journalistes, la police ou les militants eux-mêmes,
les anarchistes apparaissent comme les véritables ennemis
politiques
1 Louis Veuillot, cité à la Chambre des
députés le 17 janvier 1884 par Eugène Delattre,
Journal Officiel de la République, 18 janvier
1884.
2 Jean Marc Belière et Réné
Lévy, Histoire des Polices en France : de l'ancien
régime à nos jours, Nouveau Monde
éditions, 2013, p.28.
13
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L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les
années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
2019
des républicains. Les partisans du mouvement
révolutionnaire dénoncent une « République bourgeoise
»3 qui de par ses institutions trahit le peuple et la
démocratie. En effet, c'est elle qui en 1871 a réprimé
dans le sang les barricades érigées par ses propres enfants, et
c'est elle encore qui a voté en 1872 la loi Dufaure interdisant
l'Association Internationale des Travailleurs (AIT)4. Cependant,
nonobstant l'aspect idéologique qui oppose les républicains et
les anarchistes, la réalité administrative, judiciaire et
législative marque une rupture entre ces deux groupes et leurs
conceptions de l'exercice du pouvoir début des années
1880.
Ainsi, si nous constatons dans ce travail l'existence
d'une police secrète et l'utilisation de moyens illégaux pour
lutter contre les ennemis politiques de la République,
l'originalité de notre recherche réside dans l'analyse de la
coercition légitime de l'anarchisme par l'administration
républicaine. Par ailleurs, nous proposons une réflexion sur
l'existence d'une machine d'État qui conditionne l'application des
politiques publiques du maintien de l'ordre au début de la
Troisième République. Notre recherche nous permet d'interroger le
libéralisme politique revendiqué par le gouvernement opportuniste
dans les années 1880 et de dresser un portrait des institutions en
charge des politiques de surveillance et de répression de l'anarchisme.
Ce mémoire trouve son origine dans la question suivante : la
République a t-elle participé à la construction d'un mythe
anarchiste pour se légitimer ?
L'anarchisme est un objet connu de la recherche en
histoire, popularisé par Jean Maitron qui s'est attaché à
décrire le mode de fonctionnement des groupes libertaires et à
étudier les parcours des militants à la lumière de leur
correspondance et de leurs propres écrit5. Certes, ceci n'a
pas empêchés les historiens de s'appuyer sur les informations
recueillies par les pouvoirs publics tout au long de l'époque
contemporaine. Ces donnés éclairent l'ampleur du mouvement et la
menace qu'il représente pour la République. Cependant, ils n'ont
jamais exploité ces sources pour ce qu'elles sont : des
témoignages du fonctionnement de la machine d'État et de son
appareil de coercition légitime. Ce mémoire propose un autre
regard sur l'anarchisme et s'attache à étudier une période
généralement
3 Nous reprenons ici l'expression utilisée par
Karl Marx pour désigner le régime de 1848 dans Les
luttes de classe en France, 1848-1850, Editions sociales,
1970.
4 Voir le texte de la loi en Annexe 3.
5 Jean Maitron insiste sur son utilisation des
archives privées du mouvement anarchiste conservée à
l'International Institute of Social History d'Amsterdam dans
Le Mouvement anarchiste en France, tome 2 : de 1914 à nous
jours, Gallimard, 2007, p. 210.
14
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L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les
années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
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considérée comme un moment d'apaisement
entre la Commune et les « lois scélérates ». Il s'agit
également de raconter une histoire de l'État républicain
à la fin du XIXe siècle sous le prisme du maintien de
l'ordre.
L'anarchisme : de Proudhon à la Commune de
Paris
Nourrissant tous les fantasmes depuis la fin du
XIXe siècle, les membres du « parti
révolutionnaire »6 fascinent autant qu'ils effraient une
population nouvellement convertie à la presse de masse et à la
culture des faits divers7. Cependant, et malgré la
prolifération de journaux libertaires au début de la
Troisième République, les acteurs de l'époque ignorent
beaucoup des principes de l'anarchisme tandis qu'aujourd'hui cette
pensée est avant tout connue des milieux intellectuels.
Cela peut s'expliquer par l'absence d'un unique
théoricien de la doctrine - à l'inverse de Karl Marx pour le
communisme - mais aussi par l'approche par la négative du pouvoir
politique dans la philosophie anarchiste8. Le terme anarchie issue
du grec ancien an et arkhé fait en effet référence
à l'absence d'autorité ou de gouvernement9. Les
anarchistes n'aspirent donc pas à prendre le pouvoir au travers des
institutions existantes mais à les renverser par tous les moyens pour
instaurer une société autogestionnaire et basée sur le
postulat que les individus sont libres, bien intentionnés et
sociaux-solidaires10. Malgré les différents courants
idéologiques qui traversent ce mouvement, les anarchistes se pensent
comme une « famille politique possédant une identité commune
très forte » selon l'historien Gaetano Manfredonia11. Si
l'anarchisme ne peut être défini en tant que doctrine de
gouvernement, ses militants partagent une culture politique propre qui permet
de saisir les fondements de la pensée libertaire12.
L'émergence de cette dernière est historiquement datée et
résulte du
6 Expression utilisée à de nombreuses
reprises par le préfet de Police dans ses rapports quotidiens au
ministre de l'Intérieur - Archives de la Préfecture de Police
(APP) BA89 - BA90.
7 Dominique Kalifa, La culture de masse en
France. 1, 1860-1930, Éditions la Découverte, 2001,
p. 88.
8 Maxime Foerster, et al., L'anarchisme, M.
Milo, 2013, p. 8.
9 Daniel Guérin, L'anarchisme: de la
doctrine à la pratique; suivi de Anarchisme et marxisme, Gallimard,
1981, p. 19.
10 Ibid., p. 9-10.
11 Manfredonia, Gaetano. « La culture politique
libertaire » dans Berstein, Serge. Les cultures politiques en
France. Éd. du Seuil, 1999, p. 244.
12 Ibid., p. 245.
15
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L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les
années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
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contexte économique et social spécifique
à la France du XIXe siècle13. L'anarchisme
se veut être une réponse, à l'instar des mouvements
socialistes qui apparaissent à la même période, aux
conséquences de l'industrialisation sur les travailleurs des villes. Les
historiens considèrent alors la publication en 1840 de
Qu'est-ce que la propriété ?
de Pierre-Joseph Proudhon comme « l'acte fondateur de la
pensée anarchiste » 14 . Dans cette oeuvre, celui-ci condamne le
système capitaliste et la tromperie que représente selon lui la
propriété privée. Considérant l'homme comme un
individu rationnel en capacité de produire des changements, il
prône la mise en place du mutuellisme au travers des associations de
paysans pour « convertir les inégalités naturelles en
égalités sociales »15. Par ailleurs, Proudhon
participe à la révolution de 1848 et est élu
député de la Constituante en tant que socialiste. Pour lui le
régime qui s'installe parvient à parachever son idéal
libertaire :
« La République est une anarchie positive.
Ce n'est ni la liberté soumise à l'ordre comme dans la monarchie
constitutionnelle, ni la liberté emprisonnée dans l'ordre, comme
l'entend le Gouvernement provisoire. C'est la liberté
délivrée de toutes ses entraves, la superstition, le
préjugé, le sophisme, l'agiotage, l'autorité; c'est la
liberté réciproque, et non pas la liberté qui se limite;
la liberté non pas fille de l'ordre, mais mère de
l'ordre16. »
Sa pensée se précise ensuite sous le
Second Empire : il exalte la liberté individuelle face à
l'intérêt général et développe la
théorie du fédéralisme définissant la politique
comme une construction du bas vers le haut17. Cette théorie
est à l'origine du développement de différentes «
fédérations » anarchistes à partir des années
1870 sur le territoire français, qui prennent la forme de libres
associations autogestionnaires.
La pensée proudhonienne se retrouve par
ailleurs défendue au sein de l'Association Internationale des
Travailleurs créée en 1864 en Angleterre dans la
continuité politique de la révolution de 1848. Puis en 1868, un
intellectuel russe d'origine aristocratique rejoint l'Internationale et vient
prolonger la philosophie de Proudhon en prônant une organisation
antiautoritaire face au collectivisme marxiste. Il s'agit de Mikhaïl
Bakounine, qui contribue à diffuser largement la culture politique
anarchiste au début des années 1870. Karl Marx exclut Bakounine
et ses disciples de l'AIT en 1872, révélant alors la fracture
idéologique qui sépare
13 Ibid., p. 246.
14 Maxime Foerster et al,
op.cit., p. 53.
15 Ibid., p. 61
16 Pierre-Joseph Proudhon, Solution du
problème social, Pilhes, 1848, p.119.
17 Maxime Foerster et al,
op.cit., p. 62.
16
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L'administration de la coercition légitime en République.
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années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
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le communisme et l'anarchisme18. Enfin,
c'est une autre personnalité du monde intellectuelle russe qui joue un
rôle déterminant dans la mise en place de l'action anarchiste en
France dans les années 1880. Pierre Kropotkine, géographe de
profession, devient l'animateur d'un mouvement anarchiste
particulièrement ancré à la frontière
franco-suisse. Avec l'aide d'Elisée Reclus - reconnus pour ses travaux
de géographe et partisan de l'anarchisme - il fonde le journal
le Révolté en Suisse en 1879, ce qui
lui permet de diffuser une pensée anarcho-communiste basée sur la
notion « d'aide mutuelle ». Cette tendance de l'anarchisme prolonge
la vision fédéraliste de Proudhon en l'associant à celle
du communisme, puisque Kropotkine prévoit l'organisation de la
société en communautés (ou communes)
autogérées, suivant le célèbre adage formulé
par Louis Blanc mais popularisé par Marx : « De chacun selon ses
moyens, à chacun selon ses besoins ». Pierre Kropotkine
défend la mise en place d'un anarchisme à travers le principe de
la « propagande par le fait » : « La révolte permanente
par la parole, par l'écrit, par le poignard, le fusil, la dynamite
(...), tout est bon pour nous qui n'est pas la
légalité19 ». Il fait d'ailleurs partie des
délégués envoyés au Congrès de Londres en
1881 - qui acte la stratégie de la propagande par le fait - où il
représente la fédération anarchiste
révolutionnaire. Il se fait néanmoins arrêter en octobre
1882 à Lyon et se retrouve parmi les soixante-six accusés du
« procès des anarchistes », accusés de vouloir refonder
l'AIT en janvier 1883.
Par ailleurs, revenir sur l'épisode de la
Commune de Paris est nécessaire pour comprendre le développement
d'une philosophie anarchiste en France qui se confronte au régime de la
Troisième République. La République est proclamée
à Lyon et à Marseille, révélant l'existence d'une
province acquise à l'idéal de la Révolution
française depuis plusieurs années20. Le 4 septembre
1870 le « gouvernement de la Défense Nationale » se
présente à l'Hôtel de Ville comme le veut la tradition
révolutionnaire21. Si, au premier abord on peut voir ici une
forme de ritualisation rappelant février 1848, René Rémond
affirme en
18 Nicolas Delalande évoque ces tensions et
entre Marx et Bakoukine et notamment l'exclusion de ce dernier dans La
lutte et l'entraide, l'âge de solidarités ouvrières,
Éditions du Seuil, 2019, p. 31-32 et 47-48.
19 Kropotkine dans le
Révolté, le 25 décembre 1880
cité dans Daniel Guérin, L'anarchisme...,op.cit., p.
103.
20 Jean-Marie Mayeur, La vie politique
sous la Troisième République: 1870-1940,
Éditions du Seuil, 1984, p.14.
21 Ibid., p.15.
17
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L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les
années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
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évoquant le 4 septembre, « c'est à
peine si on peut parler de journée populaire » 22 . Les
modérés prennent en effet le contrôle de ce nouveau
régime chargé de repousser les attaques de la Prusse tout en
essayant d'asseoir sa légitimité sur l'ensemble du
pays23. Cette Troisième République apparaît
comme la seule voie pouvant écarter le retour de la monarchie et la
dictature bonapartiste mais subit rapidement son déficit de
légitimité révolutionnaire24. En province puis
à Paris, la Commune se révèle comme le moment
insurrectionnel nécessaire à un peuple nourri depuis des
années à la doctrine républicaine. La capitulation du
gouvernement de « Défense Nationale » face à la Prusse
et les élections du 8 février 1871 portant au pouvoir une
assemblée conservatrice amènent le peuple de la capitale à
se soulever.
Comme l'explique Jacques Rougerie, les participants de
cette insurrection populaire se revendiquent de différents idéaux
politiques ; ils sont républicains, jacobins, proudhoniens,
républicains-socialistes ou encore collectivistes25. La
Commune est ainsi glorifiée par les deux tendances de l'Internationale,
les « bakouninistes » et les « marxistes », juste
après la Semaine Sanglante. Comme l'explique le philosophe Normand
Baillargeon, cet événement a été « l'occasion,
pour ces deux visions et ces deux conceptions du politique, de la
révolution et du rôle de l'État d'être mises à
l'épreuve des faits »26. Pour Karl Marx : « Le
Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré à
jamais comme le glorieux fourrier d'une société nouvelle. Le
souvenir de ses martyrs est conservé pieusement dans le grand coeur de
la classe ouvrière »27. De son côté,
Bakounine voit dans l'insurrection une manifestation pratique de l'anarchie. Il
fait de la Commune un moment fondateur de l'histoire du mouvement libertaire et
de l'autogestion :
« C'est un fait historique immense que cette
négation de l'État se soit manifestée
précisément en France, qui a été jusqu'ici par
excellence le pays de la centralisation politique, et que ce soit
précisément Paris, la tête et le créateur historique
de cette grande civilisation française, qui en ait
22René Rémond cité
dans Quentin Deluermoz, Histoire de la France contemporaine, Tome
3. Le crépuscule des révolutions, 1848-1871,
Editions du Seuil, 2012, p.320.
23 Jean-Marie Mayeur, La vie politique sous
la Troisième République...,
op.cit., p.16.
24 Agulhon, Maurice. La République. Tome I,
l'élan fondateur et la grande blessure, 1880-1932.
Hachette Littératures, 1990, p.25.
25 Jacques Rougerie, « La commune et la gauche
» dans Becker et Candar Histoire des gauches en France.
Volume 1, L'héritage du XIXe siècle, La
Découverte, 2005, p.95.
26 Normand Baillargeon, L'ordre moins le pouvoir,
Agone, 2008, p. 94.
27 Karl Marx, La Guerre Civile en
France, 1871, Editions Sociales, 1845,
p.63.
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Amélie Gaillat- «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les
années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
2019
pris l'initiative, Paris se découronnant et
proclamant avec enthousiasme sa propre déchéance pour donner vie
à la France, à l'Europe, au monde
entier28.»
Carlo Cafiero, autre figure du mouvement anarchiste et
rallié aux bakouninistes, estime que l'anarchie peut se réaliser
dans le développement des communes29, à l'instar de
celles qui ont pris place à Paris, Lyon et Marseille en 1871.
Néanmoins, d'autres militants se montrent plus critiques
vis-à-vis de la Commune, notamment Elisée Reclus qui a
participé à l'insurrection :
« Jusqu'à maintenant, les communes n'ont
été que de petits États, et même la Commune de
Paris, insurrectionnelle par en bas, était gouvernementale par en haut,
maintenait toute la hiérarchie des fonctionnaires et des
employés. Nous ne sommes pas plus communalistes qu'étatistes,
nous sommes anarchistes (...). Les idées émises sur la commune
peuvent laisser supposer qu'il s'agit de substituer à la forme actuelle
de l'État, une forme plus restreinte, qui serait la commune. Nous
voulons la disparition de toute forme étatiste, générale
ou restreinte, et la commune n'est pour nous que l'expression
synthétique de la forme organique des libres groupements
humains30.»
Pierre Kropotkine partage ce sentiment
d'inachevé, considérant que la Commune « ne rompit pas avec
la tradition de l'État, du gouvernement représentatif »
encourageant dorénavant des « actes révolutionnaires
socialistes » pour faire des « communes de la prochaine
révolution » des organisations indépendantes31.
Néanmoins, ceci ne remet pas en cause l'émulation politique que
représente l'insurrection parisienne et son rôle dans la diffusion
des idées anarchistes. De nombreux communards condamnés au bagne
se « convertissent » à l'Anarchie durant leur exil. Ils s'en
font les portes paroles lors de leur retour en France à la suite de
l'amnistie, à l'instar Louise Michel déportée en
Nouvelle-Calédonie, qui devient par la suite une figure du mouvement -
particulièrement surveillée par la police - dans les
années 1880.
La répression de la Commune a eu de lourdes
conséquences sur l'Internationale et le mouvement anarchiste. Dans un
premier temps, un véritable réseau de solidarité
ouvrière impulsée par l'AIT s'organise, permettant à plus
de 5 000 militants de fuir dans les pays jouxtant la France et même en
Amérique32. Notons que la Commune n'a pas seulement
été un événement parisien ; la ville de Lyon
où s'organise un large mouvement ouvrier connaît un
soulèvement de même ampleur. Pour échapper aux arrestations
qui les guettent après que le
28 Mikhail Bakounine, La commune de Paris, et la
notion d'Etat..., Temps Nouveau, 1899, p.7.
29 cité dans Jacques Rougerie, « La
commune et la gauche » dans Becker et Candar Histoire des
gauches en France, op.cit., p.195.
30 Elisée Reclus, Le
Révolté, deuxième année, n°17, 17
octobre 1880.
31 Pierre Kropotkine, La Commune: la Commune
de Paris, la brochure mensuelle, 1937, p.18.
32 Nicolas Delalande, La lutte et l'entraide...,
op.cit., p.155-156.
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Amélie Gaillat- «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les
années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
2019
gouvernement a repris le contrôle sur les villes
insurgées, les militants lyonnais fuient vers la Suisse en passant par
le massif jurassien. Nicolas Delalande note par ailleurs que 800 personnes se
réfugient dans la Confédération helvétique dont la
moitié à Genève33, soulignant la concentration
d'Internationalistes dans les départements frontaliers.
La répression des anarchistes aux
premières heures de la République opportuniste : une zone d'ombre
de la littérature
Les années au pouvoir des opportunistes
représentent dans l'esprit de certains historiens - à l'instar de
Maurice Agulhon - l'apogée d'un peuple et d'une nation autour d'un
idéal commun de libéralisme politique34. L'historien
Gilles Candar insiste pour sa part sur la révision constitutionnelle de
1879 qui « marque la victoire complète des républicains
» avec le retour de la Chambre des députés dans
Paris35. Enfin, Vincent Duclert note la mise en place d'un «
régime de gouvernement et d'une définition de la cité
offrant à ses membres un droit d'engagement et une autonomie politique
»36.
Tandis que le gouvernement de la « Défense
Nationale » a réprimé dans le sang la Commune de Paris, les
opportunistes qui accèdent au pouvoir en 1879 tentent de
réunifier une nation française divisée depuis plusieurs
années. Ils accordent l'amnistie aux bagnards mais ne remettent
aucunement en cause la loi Dufaure, à l'origine de la condamnation en
1883 de soixante-six anarchistes de la région lyonnaise. La doctrine de
la « nation réunie » régit les réformes
engagées par les républicains dès leur arrivée
à la tête de l'État et entraîne la promulgation de la
loi d'amnistie des communards. Si cet acte de pardon collectif permet aux
exilés de rentrer en métropole, de retrouver leurs droits
civiques et de réintégrer la société, la loi vise
à faire oublier l'événement qui a divisé les
citoyens de la République quelques années auparavant. Cette loi
est en accord avec la doctrine des républicains obsédés
par l'unicité du régime37. Comme le déclare
Gambetta dans son célèbre discours du 21 juin 1880 : « Il
faut
33 Ibid., p.156.
34 Agulhon, Maurice. La
République..., op.cit.,
p.7.
35 Gilles Candar, Histoire politique de la IIIe
République, La Découverte, 1999, p. 16.
36 Vincent Duclert, La République imaginée:
1870-1914. Édité par Henry Rousso et Joël Cornette,
Belin, DL 2010, p. 138.
37 Stéphane Gacon, « L'amnistie de la Commune
(1871-1880) », Lignes, vol. 10, no. 1, 2003, pp.
45-64.
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Amélie Gaillat- «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les
années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
2019
...que vous mettiez la pierre tumulaire de l'oubli sur
tous les crimes et tous les vestiges de la Commune, et que vous disiez à
tous... qu'il n'y a qu'une France et qu'une République ! 38
». Les opportunistes se détachent ainsi d'un passé
conflictuel en exaltant cette unité de la patrie dans de nouveaux
symboles, à l'instar de la Marseillaise
devenue hymne nationale l'année
précédente.
Tout ceci renforce le sentiment de rejet des militants
libertaires vis-à-vis de la République bourgeoise à la fin
du XIXe siècle, ne faisant pas de mystère sur leurs convictions
révolutionnaires dans les journaux et les réunions publiques.
Cette diffusion médiatique donne à l'anarchisme une dimension
menaçante que ne revêtent pas les oppositions de droites et de
gauches présentes à la Chambre des députés. La
République ne peut affirmer son autorité gouvernementale face
à des individus refusant toute organisation partisane et
étatique. Il devient alors nécessaire pour les
républicains de répondre à cette menace, mais les
structures administratives à leur disposition sont encore
imprégnées du souffle du Second Empire.
La remise en cause de la dimension libérale de
la Troisième République a fait l'objet de récents travaux.
Arnaud-Dominique Houte s'est employé à montrer dans son histoire
de la France contemporaine que le nouveau régime souffre largement des
héritages politiques et institutionnelles du Second Empire39.
Nicolas Roussellier, quant à lui, a montré dans son travail sur
le pouvoir exécutif que les monarchistes sont les réels
bâtisseurs de cette Troisième République, que les
républicains ont accepté les fondements monarchistes de ce
régime et ont même voté les principes institutionnels qui
le compose40. Sébastien Laurent a pour sa part raconté
une histoire du XIXe siècle sous le prisme de l'État
secret, révélant la complexité du système qui
régit les politiques de maintien de l'ordre en
France41.
Concernant les travaux sur le mouvement anarchiste, il
faut évoquer en plus des travaux de Jean Maitron, ceux de Gaetano
Manfredonia et de Vivien Bouhey qui ont analysé
38 Cité dans Vincent Duclert, La
République imaginée..., op.cit.,p.
172.
39 Arnaud-Dominique Houte, La France
contemporaine. 4, Le triomphe de la République, 1871-1914,
Points Seuil, 2014.
40 Nicolas Roussellier, La Force de
Gouverner : le pouvoir exécutif en France
XIXe-XXIe siècles. Gallimard, 2015,
p. 93.
41 Sébastien-Yves Laurent, L'Etat
secret, l'information et le renseignement en France au XIXe siècle:
contribution à une histoire du politique (1815-1914), HDR,
2004 et Politiques de l'ombre: État, renseignement et
surveillance en France, Fayard,
2009.
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Amélie Gaillat- «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les
années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
2019
les rapports qui existent entre anarchisme et
République. Manfredonia travaille désormais sur la
répression policière du mouvement sur l'ensemble du territoire
français basés sur l'étude des Archives
départementales42, tandis que Bouhey s'est
intéressé aux réseaux du mouvement anarchiste au travers
des archives policières locales en plus de celles de la
Préfecture de police43. En outre, André
Nataf44 et Céline Beaudet45 se sont
intéressés aux modes de vies libertaires. Gaetano Manfredonia a
aussi étudié de près à la doctrine anarchiste
complétant ainsi les travaux de Jean Maitron46.
Il faut par ailleurs citer le travail du juriste
Jean-Pierre Machelon intitulé la République contre
les libertés qui reste l'oeuvre de référence
sur la remise en cause du libéralisme de la Troisième
République dont l'analyse de la répression du mouvement
anarchiste a largement servi dans le cadre de ce
travail47.
Par conséquent, l'objectif de ce mémoire
n'est pas d'écrire une nouvelle histoire de l'anarchisme en France dans
la continuité de Jean Maitron et Gaetano Manfredonia mais de s'inscrire
dans un récit plus large de l'État au début de la
Troisième République. L'étude du mouvement anarchiste
révèle la présence d'une administration de la coercition
légitime en charge de la mise en place d'un maintien de l'ordre
républicain au début des années 1880.
Pour une approche « multi-institutionnelle
» de la répression de l'anarchisme
« La Troisième République, on le sait,
s'est installée dans un lit dont elle a largement hérité,
même si il lui restait à en parachever le cadre 48
».
42 Pour exemple : Gaetano Manfredonia, «
Surveillance et répression de l'anarchisme sous la IIIème
République, 1879-1914 : le cas de la Creuse et de la Corrèze
», dans Archives en Limousin, n°46, 2016,
p.49-59.
43 Vivien Bouhey, Les anarchistes contre la
République, 1880 à 1914: contribution à l'histoire des
réseaux sous la Troisième
République. Presses Universitaires de Rennes,
2008.
44 André Nataf, La vie quotidienne
des anarchistes en France: 1880-1910, Hachette, 1986.
45 Céline Beaudet, Les milieux
libres: vivre en anarchiste à la Belle époque en
France, Editions Libertaires, 2006.
46 Gaetano Manfredonia, Anarchismes et
Changement social, Atelier de Création Libertaire, 2007 ;
« La culture politique libertaire » dans Berstein, Serge,
Les cultures politiques en France, Éd. du
Seuil, 1999.
47 Jean-Pierre Machelon, La
République contre les libertés ?: les restrictions aux
libertés publiques de 1879 à 1914, Presses de la
fondation nationale des sciences politiques, 1976.
48 Quentin Deluermoz., Le crépuscule
des Révolutions..., op.cit., p.
8.
22
Amélie Gaillat- «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les
années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
2019
Il est en effet essentiel pour les républicains
défenseurs d'une conception libérale et démocratique du
pouvoir, de se séparer - dans un premier temps - mais surtout de
renouveler les cadres politiques de l'Empire. « Les préfets de
Gambetta » sont nommés dans ce but : des avocats, journalistes et
autres intellectuels, républicains de la première heure, prennent
la place des fonctionnaires bonapartistes49. Ce choix n'est pas
seulement symbolique, il est aussi pragmatique. Les préfets sont les
premiers représentants de la République, et donc du peuple, en
province ; leur fonction est au coeur du système républicain.
Après l'administration publique, c'est la justice et la police que le
gouvernement doit réformer. Il est nécessaire d'une part
d'écarter les magistrats du Second Empire aux tendances conservatrices
et dont les républicains se méfient en raison de leur
proximité avec l'ordre impérial50. D'autre part, il
est primordial de faire de la police secrète de Napoléon III un
outil au service du maintien de l'ordre républicain. Comme
l'écrit La République française,
journal fondé par Léon Gambetta :
« La police de la République doit
désormais s'inspirer, comme tous les services publics, du seul
intérêt de la justice. La police, dans de telles conditions ne
sera ni moins honnête, ni moins respectable que toute autre grande
administration (...) Elle n'aura ni blouses blanches, ni faiseurs de bombes
(...) Il y a là, comme partout ailleurs, un héritage ignoble que
nous ne saurions accepter pour le nouveau régime : l'héritage du
système impérial51. »
Néanmoins, c'est dans les arcanes de cette
institution dense aux contours et aux hiérarchies flous
qu'apparaît le visage conservateur de cette toute jeune
République. Les anarchistes deviennent alors la cible médiatique
et politique d'un gouvernement opportuniste cherchant à acquérir
sa légitimité tout en renforçant son pouvoir à la
tête de l'État. Les républicains, qui ont attendu si
longtemps avant de se faire élire, refusent d'être remis en cause
par des « agitateurs professionnels » de l'ordre public.
Par ailleurs, la notion « d'ordre public »,
qui est avant tout un concept juridique, prend forme en France au moment de la
mise en place d'une société fondée sur l'État de
droit. En droit civil il est possible de résumer la notion comme telle :
« caractère des règles juridiques qui s'imposent pour des
raisons de moralité ou de sécurité impératives dans
les rapports
49 Pour plus de détails, voir Vincent Wright,
Les préfets de Gambetta, Presses de
l'Université Paris-Sorbonne, 2007.
50 Jean-Pierre Royer et al., Histoire de
la justice en France: de la monarchie absolue à la
République, Presses universitaires de France, 2001, p.
681.
51 Cité par Jean-Marc Berlière et
René Lévy dans Histoire des polices en France,
op.cit, p.27
23
Amélie Gaillat- «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les
années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
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sociaux52 ». Toutefois, il semble
nécessaire de proposer une définition historique de ce qu'est
l'ordre public et ce que suppose son maintien dans le cadre d'un gouvernement
républicain. Dans son ouvrage Policiers dans la
Ville, Quentin Deluermoz propose de conclure son propos sur la
possibilité d'une « construction sociale et culturelle d'un ordre
public » :
«ll ne s'agit ainsi pas «d'ordre
public» au sens général, et la démarche tend au
contraire à montrer qu'il faut historiciser la notion. Cet ordre
dépend ici des forces policières et militaires, du régime
politique, de la nature de l'espace urbain, des configurations des groupes
sociaux en présence, mais aussi de l'état juridique de la
société, de l'intégration à l'État, des
systèmes de sensibilités qui définissent les limites du
tolérable et de l'intolérable et des effets des rencontres
quotidiennes. (...). Il ne s'agit pas non plus de «l'ordre public du
XIXe siècle», dans la mesure où plusieurs types
d'ordre coexistent alors en même temps. Si l'on définit l'ordre
public comme une forme organisée de relation dans un espace ouvert
à tous, il faut évoquer la continuité d'ordres
extérieurs à l'activité policière, propres à
la rue et à ses habitants. (...) Il s'agit donc d'un ordre public parmi
d'autres. Étant continu dans le temps et l'espace, et dans la mesure
où il s'accompagne de l'élaboration d'un nouveau type d'espace
public, il peut néanmoins être qualifié plus
particulièrement de «public» 53 .
»
Cette définition historicisée nous
permet de défendre une approche « multi-institutionnelle » du
maintien de l'ordre à la fin du XIXe siècle qui se
construit autour de la surveillance et de la répression du mouvement
anarchiste. Nous constatons la présence d'une administration de la
coercition légitime composée de plusieurs institutions
policières et judiciaires, notamment la Préfecture de police de
Paris, la direction de la Sûreté générale, mais
aussi les préfectures départementales et la magistrature.
Toutefois, malgré la présence de ce réseau administratif,
le maintien de l'ordre reste l'apanage d'une technostructure policière
héritière des régimes passés et échappant en
partie au contrôle gouvernemental. Si le terme de technostructure peut
sembler ici anachronique (il désigne habituellement les cadres
dirigeants des administrations post Seconde Guerre mondiale), il nous
paraît néanmoins adapté pour définir l'appareil
policier de la fin du XIXe siècle. Le ministère de
l'Intérieur bénéficie encore des fonds secrets mis en
place par les administrations précédentes dont il se sert,
notamment, pour financer des activités de police politique sans avoir
besoin d'en informer le pouvoir central. Dans le cadre de la répression
de la menace anarchiste, la technostructure policière couplée au
reste de l'administration coercitive engage une machine d'État
conditionnée par les institutions du passé et dont le rôle
consiste à protéger le régime à tout
prix.
52 Jean-Luc Albert et al. Lexique des
termes juridiques, Édité par Serge Guinchard et
Thierry Debard, Dalloz, 2015.
53 Quentin Deluermoz, Policiers dans la ville: la
construction d'un ordre public à Paris
(1854-1914). Publications de la Sorbonne, 2012,
p.319.
24
Amélie Gaillat- «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les
années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
2019
De par cet héritage, le maintien de l'ordre
public entre souvent en conflit avec les libertés fondamentales
instaurées par la Troisième République. Dans le cas du
mouvement anarchiste, il est important de noter qu'au cours de l'année
1882 de nombreux militants ont été condamnés pour «
délit de presse » ; c'est par ailleurs la charge principale qui est
retenue contre Antoine Cyvoct en 1883 à la suite de l'explosion du
théâtre Bellecour à Lyon. Le militant, d'abord
accusé de l'attentat, est finalement condamné pour provocation
aux meurtres à la suite d'un article qu'il a publié dans le
journal le Droit
Social54. Quant à la
liberté de réunion, la loi prévoit en
réalité la présence d'un officier de police quel que soit
la nature du rassemblement : « Un fonctionnaire de l'ordre administratif
ou judiciaire peut être délégué, à Paris, par
le préfet de police et, dans les départements, par le
préfet, le sous-préfet ou le maire, pour assister à la
réunion » 55 . Ceci constitue la preuve de la mise en place d'un
maintien de l'ordre républicain adapté aux principes
libéraux du régime.
Une histoire de l'État au croisement de
l'appareil policier et de l'anarchisme
Notre première intuition a donc
été de chercher une trace de cette hypothèse dans les
archives du gouvernement opportuniste. Or, il est nécessaire de noter
que le travail gouvernemental n'existe pas dans les années 1880 au sens
moderne du terme. Il n'y a pas de cabinets ministériels officiels, ni de
secrétariat général faisant le lien entre les ministres.
Par conséquent, nous nous sommes appuyés sur les comptes rendus
des débats officiels de la Chambre des députés pour
déterminer la position politique officielle adoptée par les
républicains face à l'anarchisme56.
Ensuite, à la vue des sources utilisées
par les historiens de l'anarchisme, nous avons largement exploitée les
Archives de la Préfecture de police (APP) et des sous-série F7
« Police Générale » et BB « Justice » des
Archives nationales sur la période 1879-1893. L'administration
policière étant en charge de la surveillance politique sur
l'ensemble du
54 Les procès de Lyon dit « procès
des 66 » et les charges qui pèsent sur Antoine Cyvoct feront
l'objet d'un chapitre à part entière.
55 Loi du 30 juin 1881, Article 9
:
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025148185
56 L'ensemble des comptes rendus analysés est
accessible en ligne via Gallica :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb328020951/date.r
25
Amélie Gaillat- «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les
années 1880 » - Mémoire IEP de Paris -
2019
territoire français, les archives produites par
les institutions qui la composent nous informent sur la diversité des
acteurs du maintien de l'ordre républicain. Par ailleurs, il est
important de noter que cette mission de renseignement politique reste la
prérogative de la haute-police. Par conséquent, les archives du
ministère de la Guerre ne témoignent d'aucun acte de surveillance
du mouvement anarchiste par les officiers de l'armée57. Les
gendarmes apparaissent dans ce mémoire seulement comme des co-acteurs,
avec les policiers en tenue, du maintien de l'ordre public.
Notre travail comprend aussi le dépouillement
d'un grand nombre de cartons de la Série 4M « Police » des
Archives départementales du Rhône (ADR). Ceci s'explique par la
présence d'un grand nombre de militants anarchistes dans la
région lyonnaise à la fin des années 1880, par la tenue du
procès des 66 en janvier 1883 mais aussi par les prérogatives
policières que détient le préfet du Rhône depuis
1873. Il ne faut pas considérer l'anarchisme comme un mouvement
politique seulement implanté dans la capitale, de même que les
politiques du maintien de l'ordre ne sont pas l'apanage du pouvoir central.
Ainsi, les ADR conservent un grand nombre de rapports de surveillance
politique, des documents illustrant les liens entre la préfecture du
Rhône et le ministère de l'Intérieur et des dossiers de
comptabilité confirmant l'infiltration d'indicateurs au sein des groupes
libertaires à des fins de renseignement.
Enfin, notre travail de recherche est
complété par l'analyse de documents issus du fonds Max Nettlau,
numérisés et accessibles en ligne via le site de
l'International Institute of Social History
(IISH) d'Amsterdam58. En outre, les sources imprimées de
l'époque permettent de mieux saisir les positions des acteurs de
l'histoire. Des cadres de l'appareil policier et d'éminents militants
dévoilent leurs secrets et leurs ressentis dans leurs souvenirs. Les
écrits des théoriciens de l'anarchisme renseignent aussi sur
l'évolution de la doctrine durant les premières décennies
de la Troisième République.
Trois organisations de haute-police composent alors
notre organigramme : la Préfecture de police de Paris qui est en charge
de la police municipale de la capitale, la
57 Ni la salle des inventaires virtuels, ni les
travaux des historiens du mouvement anarchistes et de la police ne font
références à une surveillance des anarchistes par
l'armée. Ceci nous a aussi été confirmé par un
chercheur lors de la première séance de la Saison 23 du
séminaire METIS qui s'est tenue au Centre d'Histoire de Sciences Po le
18 février 2019.
58 IISH, Max Nettlau Papers. Accès via :
https://search.iisg.amsterdam/Record/ARCH01001.
26
préfecture du Rhône qui détient
des prérogatives de police exceptionnelles et la Direction de la
Sûreté générale. Ces deux dernières
administrations agissent sous le contrôle hiérarchique du
ministère de l'Intérieur, alors que le préfet de Police
possède une certaine autonomie dans sa mission de maintien de l'ordre du
territoire parisien.
Ainsi, ce travail s'appuie sur des sources publiques
produites par les acteurs du maintien de l'ordre à la fin du
XIXe siècle.
Trois moments à distinguer
Dans un premier temps nous pensons qu'il est essentiel
de revenir sur les fondements de la Troisième République et des
premières lois qui succèdent l'arrivée au pouvoir des
opportunistes. Nous souhaitons présenter en parallèle la
structuration du mouvement anarchiste au début des années 1880 et
la technostructure policière complexe en charge de sa surveillance et de
sa répression. Dans une seconde partie nous étudions les rouages
de la machine d'État à travers l'exemple du procès des 66.
Cet événement est au coeur de notre mémoire et permet de
se pencher sur l'administration de la coercition légitime et sur le
rôle joué par la « justice politique » au début
de la Troisième République. Enfin, notre dernière partie
propose une réflexion sur la pratique du pouvoir en République et
l'évolution des politiques du maintien de l'ordre dans le cadre des
attentats anarchistes du début des années 1890.
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Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 29
Première Partie. De l'avènement de la
République à
la lutte contre les anarchistes (1879-1882)
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 30
Chapitre 1 : Une toute jeune République à
l'épreuve de
l'anarchie
Dans ce premier chapitre, nous souhaitons
éclairer le parallèle qui existe entre l'arrivée des
opportunistes au pouvoir ainsi que l'idéologie libérale qu'ils
soutiennent, et la structuration en France d'un mouvement anarchiste
défendant un autre idéal social. Le rôle «
limité » du président du conseil et la distribution des
portefeuilles ministériels déterminent les orientations
administratives et révèlent
l'hétérogénéité du système de la
coercition légitime. Dans le même temps, les
compagnons1 se structurent autour de réseaux installés
sur l'ensemble du territoire de la République2. La
législation garantissant la liberté de la presse au début
des années 1880 favorise autant les feuilles libertaires diffusant les
doctrines que les quotidiens de tous bords. Menaçant l'ordre politique
et social bourgeois installé depuis la chute du Second Empire,
l'anarchisme apparaît comme la première épreuve des
opportunistes arrivés au pouvoir en 1879.
Nous reviendrons ici sur la mise en place des
institutions de la Troisième République et la façon dont
elles conditionnent l'exercice du pouvoir du nouveau gouvernement. Ceci
consiste à étudier l'historiographie riche concernant cette
période et de présenter les débats qui en
découlent. Associant cette étude à une réflexion
sur le mouvement anarchiste et son aversion pour les structures
étatiques, ce chapitre permet de poser le cadre politique dans lequel
s'inscrit notre travail.
1.1- L'affrontement de deux conceptions de la
Révolution
Quand Grévy, Ferry ou encore Gambetta
accèdent à la tête de l'État à la fin des
années 1870, ils espèrent installer dans la durée ce
régime républicain qu'ils défendent depuis des
1 Expression
employée par les anarchistes pour se désigner entre eux ; nous
l'utiliserons tout au long du mémoire.
2 Sur les réseaux voir
Vivien Bouhey, Les anarchistes contre la République...,
op.cit.
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années. Sous le Second Empire, leurs valeurs
libérales ont été réprimées et leur
liberté d'opinion niée. Après avoir été les
« anarchistes » du pouvoir impérial, les opportunistes ne
s'attendent pas à voir un ennemi politique émerger sur leur aile
gauche. Pourtant, à la Chambre des députés et dans les
réunions publiques, des voix s'élèvent contre cette
République bourgeoise et viennent défier l'idéal
libéral du nouveau gouvernement
A) Un régime libéral qui fait
débat
« Mais, messieurs, ces doctrines mêmes, que
vous avez le tort d'appeler radicales, car elles ne touchent pas au
radicalisme, -- il serait plus vrai de dire qu'elles appartiennent à un
libéralisme avancé, -- ces doctrines ont échoué
devant la Chambre, parce que celle-ci n'a pas trouvé que leur heure
fût venue3. »
Si les lois constitutionnelles de 1875 dessinent les
contours des institutions de la troisième République, c'est le
gouvernement opportuniste qui définit la forme parlementariste du
régime dans les années 1880. Cependant, il ne s'agit pas
seulement de proposer la meilleure organisation gouvernementale
républicaine possible, mais d'imposer à travers ces institutions
la doctrine libérale face aux partisans d'un retour à la
monarchie.
Tout d'abord, la « constitution de 1875 »
consacre la toute puissance du pouvoir législatif favorisant alors les
travaux d'un parlement bicaméral composé de la Chambre des
députés et du Sénat tout en déterminant la
prééminence du président de la
République4. Néanmoins, lorsque Jules Grévy est
élu par la nouvelle majorité républicaine en 1879, il
renonce à son droit de dissolution de la Chambre et laisse place au
régime d'Assemblée que Mac Mahon, son prédécesseur,
a tenté d'étouffer. De plus, les lois constitutionnelles de 1875
consacrent l'irresponsabilité du chef de l'État qui doit nommer
un président du Conseil des ministres, assumant alors cette «
responsabilité ». Si en réalité le texte ne fait
aucune mention de cette fonction, le président du Conseil se
révèle être, durant la « République
des
3 Jules Ferry à la
Chambre des députés, séance du 18 juin 1877,
Journal officiel de la République
française, 19 juin 1877, p.4509.
4 Vincent Duclert,
La République imaginée...,
op.cit., p. 91-92.
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Les institutions de l'État face à l'anarchisme
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républicains »5, le
véritable dépositaire du pouvoir exécutif. Par
conséquent, le chef de l'État le choisit en fonction de la
façon dont il veut infléchir la politique intérieure.
L'historien Jean-Marie Mayeur explique alors que le président de la
République dispose d'une certaine liberté d'action par rapport au
président du Conseil, puisque ce dernier est contraint par l'absence de
majorité, liée à la faible organisation des partis
politique, d'être le véritable chef du gouvernement6.
Jules Grévy a en effet su se servir de cette prérogative à
son avantage en décidant de ne pas choisir Gambetta qui risquait de lui
faire de l'ombre. Il choisit de nommer Henry Waddington en 1879, dont le mandat
est marqué par ses altercations avec la Chambre, en particulier le
groupe de l'Union républicaine mené par Gambetta, ce qui le
pousse à démissionner en décembre de la même
année7. En s'effaçant au profit du régime
d'assemblée, le nouveau chef de l'État se crée une
position stratégique pour influencer à sa guise le pouvoir
législatif.
Par ailleurs, après avoir subi la
première crise institutionnelle de son histoire le 16 mai 1877, la
Troisième République se prépare à de nouvelles
élections législatives qui participent à son ancrage en
profondeur dans la société française8. Dans ce
contexte, Jules Ferry s'exprime à la Chambre des députés
en juin 1877 ; il y défend le régime libéral et
modéré de la République comme réponse aux besoins
de la nation française en cette fin de XIXe siècle9.
Ce libéralisme revendiqué par les opportunistes, trouve ses
origines dans la philosophie des Lumières et l'idéal de la
Révolution de 1789. En effet, cette doctrine philosophique,
héritière de la Réforme, émerge avec l'État
nation en opposition aux régimes impérieux et religieux qui
dominent l'Europe. Le pouvoir civil apparaît alors comme une
autorité politique légitime et entraine le développement
de la conscience et de l'autonomie de l'individu10. Ceci
suppose
5 Pour reprendre
l'expression popularisée par Jacques Chastenet dans son
livre La République des républicains:
1879-1893, Hachette, 1954.
6 Jean-Marie Mayeur, La
vie politique sous la Troisième République...,
op.cit., p. 100.
7 Ibid.,
p.71.
8 Vincent Duclert,
La République imaginée..., op.cit.,
p. 128-129.
9 Jules Ferry à la
Chambre des députés, séance du 18 juin 1877,
Journal officiel de la République
française, 19 juin 1877, p.4509.
10 David Alcaud et al.,
Dictionnaire de Sciences Politiques, Sirey, 2010,
p.229.
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la création d'une nouvelle forme de
gouvernement basée sur la représentation et la séparation
des pouvoirs théorisée par Montesquieu puis mise en place dans
une certaine mesure à la suite de la Révolution française.
Les partisans de cette doctrine ont alors lutté tout au long du
XIXe siècle en Europe et en France pour repousser les
gouvernements monarchistes et impérialistes afin d'instaurer un
système légitimant la démocratie et le pouvoir populaire.
La défense des droits de l'homme, la promulgation d'un droit
constitutionnel, la séparation des Églises et de l'État,
et la célébration de la liberté individuelle se retrouvent
donc au centre du projet républicain, à la suite de la
défaite du Second Empire.
Cet idéal libéral s'incarne à la
fin des années 1870 dans la figure de Léon Gambetta, qui, fort de
son expérience d'avocat et de son combat historique contre le
régime impérial, devient le porte-parole des républicains
lors de la campagne des législatives de 1877. Le discours qu'il prononce
à Lille en août de cette même année lui permet de
conduire son camp à la victoire mais surtout de poser les principes de
l'idéal républicain. En effet, il évoque l'unité de
la nation française, survivant à la chute des gouvernements et se
réalisant dans la République. Il défend le principe de
souveraineté populaire basé sur le suffrage universel et conclut
son discours sur cette phrase qui a marqué l'Histoire : « Quand la
France aura fait entendre sa voix souveraine, croyez-le bien, Messieurs, il
faudra se soumettre ou se démettre »11. Pour Gambetta et
ses soutiens, la République permet de dépasser les partis et de
réaliser un gouvernement du peuple, seule issue de la défaite de
1870 qui hante encore la nation. Par ailleurs, il est impératif d'unir
le camp républicain divisé entre libéraux progressistes et
partisans de la Révolution sociale depuis la Commune de Paris. Le
manifeste des « 363 » rédigé par Eugène Spuller
en mai 1877 est alors un moyen d'unifier la République et de
dépasser les clivages internes. Le lieutenant de Gambetta écrit
en effet dans ce texte : « La République sortira plus forte que
jamais des urnes populaires, les partis du passé seront
définitivement vaincus, et la France pourra regarder l'avenir avec
confiance et sérénité »12. Cette
déclaration permet donc de réunir dans le même camp la
majorité de la Chambre des députés, allant d'Adolphe
Thiers à Georges Clemenceau, et de présenter 363
11 Discours de Léon
Gambetta à Lille le 15 août 1877 cité dans Vincent Duclert,
La République imaginé...,op.cit.,
p.148.
12 Vincent Duclert, La
République imaginée..., op.cit.,
p.143.
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candidats sous l'étiquette du parti
républicain lors des élections législatives13.
C'est donc le pragmatisme des républicains et l'exaltation d'un
idéal national démocratique qui leur permettent de conserver leur
majorité à la Chambre en octobre 1877.
Par ailleurs, une des premières mesures
adoptées par les républicains lorsqu'ils prennent le
contrôle des institutions en 1879, est l'amnistie des communards. Cette
mesure, défendue auparavant par Victor Hugo au Sénat et Georges
Clemenceau à la Chambre, est enfin adoptée par la majorité
républicaine à la suite de la prise de parole éloquente de
Gambetta :
« La République, c'est un gouvernement de
démocratie ; c'est le gouvernement qui est le plus fort de tous les
gouvernements connus contre la démagogie. Pourquoi ? Parce qu'il ne
gouverne et ne réprime ni au nom d'une famille ni au nom d'une maison,
mais au nom de la loi et de la France14. »
La nécessité d'unir la nation
française transparaît aussi dans les lois de 1881 concernant les
libertés de la presse et de réunion. Une partie de
l'historiographie considère ces lois libérales comme
l'accomplissement de l'idéal de 1789. Maurice Agulhon évoque un
régime marquant l'apogée de la nation française et
qualifie de « fondatrices » les années au pouvoir des
opportunistes 15. Quant à Vincent Duclert, il note dans la
République imaginée : « La
fondation démocratique opérée en cette fin de
XIXe siècle attacha la République à une forme
de souveraineté civique qui continue de la définir
»16. Jérôme Grondeux, lui, insiste sur le «
projet démocratique libéral » des hommes arrivés au
pouvoir en 187917 ; les républicains accordant à la
« liberté comme valeur une grande place », on peut qualifier
le régime de « république libérale
»18. Néanmoins, notre objectif ici est de se positionner
contre
13Ibid.,
p.142.
14 Discours de Léon
Gambetta à la Chambre des députés le 21 juin 1880
cité dans Vincent Duclert, La République
imaginée..., op.cit., p.172.
15 Maurice Agulhon,
La République..., op.cit.,,
p.7.
16 Vincent Duclert,
La République imaginée..., op.cit.,
p.138
17 Jérôme
Grondeux, La France contemporaine,
Édité par Jean-François Sirinelli, Librairie
générale française, 2000, p.84.
18 Ibid.,
p.88.
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l'historiographie majoritaire insistant sur l'ultra
libéralisme - au sens du XIXe siècle - de ces
législations en montrant leur limite et leur dimension
pragmatique.
Il faut tout d'abord se rappeler que sous le Second
Empire, l'opinion, sous toutes ses formes, a connu une période de
répression sans précédent. Le début de la
Troisième République correspond alors à une période
de renaissance pour les journaux qui profitent de la révolution des
modes de transports et des impressions pour se développer. Ils sont peu
couteux et sont produits en masse, ce qui leur confère une
véritable influence politique. Les républicains ont conscience du
pouvoir de la presse qui retrouve sa liberté dès les
années 1870, et tendent à la considérer comme une
alliée19. C'est un canal d'influence direct sur l'opinion
publique, largement utilisé par les parlementaires qui n'hésitent
pas à fonder des journaux reflétant leur ligne politique. C'est
le cas de Gambetta avec La République
Française, Clemenceau avec La
Justice, ou encore Louis Andrieux, préfet de police, qui
crée dès 1876 Le Petit Parisien. Par
conséquent, les opportunistes dont les valeurs coïncident avec la
libéralisation de l'opinion, trouvent aussi dans la loi du 29 juillet
1881 sur la liberté de la presse un outil de propagande politique.
Néanmoins, les membres siégeant à l'extrême gauche
de la Chambre des députés reprochent à cette loi de ne pas
être assez libérale. En effet, Georges Clemenceau argumente en
faveur de la suppression de l'article concernant le délit d'outrage au
Président de la République, qui apparaît selon lui comme
une forme de « délit d'opinion »20. C'est en fait
l'article 23, relatif à la provocation par voie de presse et
s'appliquant de par l'article 26 aux offenses commises contre le
président de la République, qui marque une première
contradiction aux principes libéraux du nouveau
gouvernement.
Article 23 : Seront punis comme complices d'une action
qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou
menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit
par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures,
emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole
ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans
des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches
exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au
public par voie électronique, auront directement provoqué
l'auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a
été suivie d'effet. Cette disposition sera également
applicable lorsque la provocation n'aura été suivie que d'une
tentative de crime prévue par l'article 2 du code
pénal.
19 Jean-Marie Mayeur, La
vie politique sous la Troisième République...,
op.cit., p.75.
20 Vincent Duclert, La
République imaginée..., op.cit., p.167-168.
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Article 26 : L'offense au Président de
la République par l'un des moyens énoncés dans l'article
23 est punie d'une amende de 45 000 euros. Les peines prévues à
l'alinéa précédent sont applicables à l'offense
à la personne qui exerce tout ou partie des prérogatives du
Président de la République.
Ainsi, les députés radicaux sont les
premiers à remettre en cause le libéralisme des opportunistes
arrivés au pouvoir en 1879. Ils interpellent régulièrement
les ministres à la Chambre et font du parlement une instance critique de
la République21. Il est important de souligner ici l'absence
d'un véritable parti Républicain - malgré le manifeste des
« 363 » - à la Chambre des députés ; ce sont
différents groupes installés à la gauche des bancs du
Palais Bourbon qui défendent un système de valeurs communes mais
n'ont pas les mêmes aspirations en terme de régime. Les
républicains se retrouvent dans leur rejet du pouvoir personnel, et
autour des notions de patriotisme et de laïcité22, ce
qui peut paraître relativement limité. Par conséquent, le
groupe de la Gauche radicale défend une République
démocratique et sociale affiliée à un régime
montagnard et ses membres, déjà opposés aux lois
constitutionnelles de 1875, sont favorables à la suppression du
président de la République et du Sénat23. Ceci
illustre les divisions idéologiques qui existent au sein de la gauche
républicaine depuis la Commune de Paris, mais qui nourrissent aussi la
réflexion sur la pratique du pouvoir et les orientations politiques du
régime. Ainsi, le député d'extrême-gauche Georges
Clemenceau qualifié de « tombeur de ministère »
apparaît en réalité comme un orateur talentueux mettant en
pratique le rôle de contre pouvoir du parlement24.
Malgré le charisme et les discours de
Léon Gambetta, les radicaux ne sont pas convaincus par la forme
pragmatique et modérée proposée par le leader de la
nouvelle majorité. Ceci explique alors pourquoi « la
République des républicains » subit les affronts d'une
extrême-gauche parlementaire qui finit par s'étendre à
l'extérieur du Palais Bourbon.
21 Vincent Duclert, La
République imaginée..., op.cit.,
p.180.
22 Jean-Marie Mayeur,
La vie politique sous la Troisième
République..., op.cit., p.88.
23 Ibid.,
p.89.
24 Ibid.,
p.89.
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B) L'émergence d'une culture anarchiste hors des
institutions
« L'Histoire, dès ses origines, nous montre
toujours, ça et là, et souvent de toutes parts à la fois,
des négateurs du principe d'autorité.
»25
Longtemps associés au courant de pensée
socialiste, les anarchistes se détachent des quelques élus
socialistes de la Chambre des députés au début de la
troisième République26. Comme l'explique Nicolas
Delalande, l'échec de l'Internationale en 1872 à la suite de
l'exclusion des antiautoritaires et de leur leader Mikhaïl Bakounine,
donne naissance à deux courants rivaux : le socialisme et
l'anarchisme27. Ainsi, ces tensions et le refus de la politique et
des institutions revendiqué par les leaders du mouvement anarchiste
depuis une dizaine d'année expliquent la raison de leur absence dans les
instances parlementaires28. Les républicains au pouvoir
semblent alors surpris de cette contestation formulée par des groupes
révolutionnaires, s'exprimant dans des réunions publiques et non
à la Chambre des députés. De plus, les compagnons
s'organisant en fédérations et non en groupes politiques
structurés à l'inverse des conservateurs et des radicaux, il est
difficile pour le gouvernement d'évaluer leur nombre, leur degré
d'influence et le danger qu'ils représentent.
Cette difficulté se pose, dans une moindre
mesure, à tout historien étudiant ce mouvement, puisqu'il
n'existe pas de liste recensant l'ensemble des membres par
fédération, ni de programmes électoraux. Cependant,
l'émulation philosophique propre à l'Anarchisme conduit à
la production de brochures, de journaux et autres écrits de militants
souhaitant diffuser leur pensée au plus grand nombre. Par ailleurs, la
correspondance qu'entretiennent les différents leaders aide à
reconstituer l'histoire du mouvement. Ce travail de recherche -
réalisé en premier lieu par Jean Maitron - ne peut se limiter aux
« archives »29 produites par
25Max Nettlau,
Bibliographie de l'anarchie cité dans
Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1,
op.cit., p.24.
26 Jean-Marie Mayeur, La
vie politique sous la Troisième République....,
op. cit, p.92.
27 Nicolas Delalande, La
lutte et l'entraide..., op. cit. , p. 31-32.
28 Ibid,
p.32.
29 Il est plus juste de
considérer la production des militants comme des papiers privés
et non des archives volontairement gardées et
classées.
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les militants. Les historiens de ce mouvement se sont
en effet tournés vers l'administration républicaine et son
rapport aux partisans de la Révolution. Les déclarations des
députés, les rapports de la préfecture de police et les
circulaires du ministère de l'Intérieur nous renseignent autant
sur l'histoire de l'Anarchisme en France à la fin du XIXe
siècle que sur sa perception par les institutions.
Tout d'abord, la loi sur la liberté de la
presse favorise la parution de journaux ouvertement anarchiste au début
des années 1880. Ces feuilles deviennent alors la première source
d'information, autant pour l'historien, que pour le militant et l'agent de
police, concernant les actions et l'organisation du mouvement libertaire en
France. Si Jean Maitron relativise le nombre de journaux puisque plusieurs
d'entre eux paraissent sous différents noms, l'étude statistique
des numéros issus à l'année tend à confirmer le
développement de la pensée anarchiste à la fin du
XIXe siècle30. Aussi, il présente une
courbe en progression quasi-régulière entre 1880 et 1886, passant
de seize numéros à cent-seize, et un pic à 247
numéros parus annuellement en 1892 après une légère
baisse31.
Graphique 1 - Périodiques anarchistes
(1880-1894)
300
250
200
150
100
50
0
1880 1881 1882 1883 1884 1885 1886 1887 1888 1889 1890 1891 1892
1893 1894
Nombre de numéros
Nombre de numéros
Source : Jean Maitron, Le mouvement
anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.140.
30 Jean Maitron,
Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit.,
p.139.
31 Ibid,
p.140.
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C'est donc à l'aide de ces périodiques
apparaissant dans les centres névralgiques du mouvement que les
anarchistes diffusent leur doctrine au « grand public ». Lyon
apparaît logiquement comme un des bastions du parti libertaire puisque
qu'entre 1882 et 1884, la ville compte 99 numéros contre 15 à
Paris, même si la capitale redevient le coeur de l'action anarchiste
à partir de 188532. Quant à la feuille la plus
populaire, les historiens s'accordent pour dire que c'est Le
Révolté, fondée en Suisse en 1879 et
animée par les leaders de l'époque : Pierre Kropotkine,
Elisée Reclus ou encore Jean Grave33. Son premier tirage est
estimé à 1500 exemplaires avant de monter à 3000
dès 1883. Le journal déménage ensuite à Paris en
avril 1885, favorisant la structuration du mouvement dans la capitale, et passe
d'une publication bimensuelle à un tirage hebdomadaire l'année
suivante34.
De ce fait, les idées disposent d'une tribune
publique, au moins à Lyon et à Paris, dans les années
1880. Cependant, il se révèle impossible de chiffrer le lectorat
de la presse libertaire. Pour déterminer le poids et l'impact du
mouvement, il faut avant tout tenter d'estimer le nombre de partisans que
compte le mouvement. Pour ceci, l'historien se base sur les informations des
principaux organes de presse anarchiste ainsi que sur les données
récoltées par l'administration policière. L'indicateur de
la préfecture de police Droz, infiltré dans la
Fédération Jurassienne, compte quarante-deux groupes
répartis sur l'ensemble du territoire français, dont seize dans
la capitale et trois à Lyon en octobre 188135. Le journal
Le Révolté fait état de chiffres
similaires pour Paris un an plus tard, en précisant que « ces
groupes n'ont pas un bien grand nombre d'adhérents, il est vrai, et ne
sont pas d'une bien grande activité36. » Selon Jean
Maitron, en juin 1883, un rapport de police non signé
recense
32 Ibid,
p.141.
33 Gaetano Manfredonia,
« L'anarchisme », dans Jean-Jacques Becker, Histoire des
gauches en France. Volume 1, La Découverte, 2005, p.
444-462.
34 René
Bianco, Répertoire des périodiques de langue
française : un siècle de presse anarchiste d'expression
française, 1880-1983, Thèse de doctorat,
Université d'Aix-Marseille, 1987.
35 APP, fonds du cabinet
du préfet de police, BA 438. L'Internationale en Suisse - 1879-1883,
Droz, La Chaux-de-Fonds, 13 octobre 1881.
36 « Réunion anarchiste du 13 au 14
août 1882 », Le Révolté,
quatrième année, n°13, 19 août 1882.
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treize groupes à Paris, réunissant
environ 200 personnes37. Ce nombre augmente légèrement
au cours des années puisque le 20 février 1887, l'agent « 22
» établit dans un rapport que la capitale compte dix-neuf groupes
et donc 500 membres en tout38.
Dans la région lyonnaise, deuxième
pôle militant du mouvement, les anarchistes eux-mêmes estiment lors
du procès des 66 en 1883 que 6000 hommes gravitent autour du «
parti anarchiste »39. Cependant, Jean Maitron estime que ce
chiffre est largement exagéré, confondant membres engagés
et sympathisants, mais servant trop bien les besoins de l'accusation, il n'a
jamais été remis en cause par cette dernière40.
Aussi, d'après Marcel Massard, les effectifs militants ont
considérablement été réduits à la suite de
la condamnation d'un grand nombre de compagnons par la cour d'appel du
Rhône41. Quatre groupes deviennent alors les principaux
animateurs du mouvement dans la région entre 1883 et 188442.
Un premier groupe connu sous le nom de « l'Etendard Révolutionnaire
», compte huit membres du quartier de la Croix-Rousse, mais dont les
réunions tiennent plus du caractère amical que
révolutionnaire. Un autre groupe se réunit dans le même
secteur mais ne rassemble que quatre membres et porte le nom de son principal
animateur, le « groupe Thivollier » 43. Puis, le groupe « La
Lutte » - du nom du journal fondé par celui-ci - permet au
mouvement anarchiste de rester en vie à Lyon après le
procès des 66. Ses dix-neuf membres s'organisent principalement autour
de l'hebdomadaire qu'ils publient mais peuvent aussi compter sur des contacts
noués avec d'autres groupes en France et à l'étranger,
notamment en Suisse, pour
37 APP, BA 73. Rapport du
13 Juin 1883 cité dans Jean Maitron, Le mouvement
anarchiste en France, tome 1, op. cit., p.125.
38 APP, BA 75. Rapport agent
« 22 », Paris, 20 février 1887.
39 Toussaint Bordat et al.
Le procès des devant la police correctionnelle et la Cour d'appel de
Lyon, Imprimerie nouvelle, 1883, p.128.
40 Jean Maitron,
Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit.,
p.126.
41 Marcel Massard,
Histoire du mouvement anarchiste à Lyon (1880-1894),
Atelier de création libertaire, 2016, p.79.
42 Ibid.,
p.79.
43
Ibid.,p.80.
favoriser leur propagande44. Enfin, un
dernier groupe composé exclusivement d'anciens détenus est
formé mais connaît un succès très
limité45. Massard note néanmoins le poids de la presse
anarchiste dans la région, outil indispensable pour favoriser la
propagande, mais constate que sur une douzaine de réunions publiques
tenues entre 1883 et 1885, seulement deux rassemblent plus de 400
personnes46. Nous sommes donc loin du chiffre des « 6000
sympathisants » avancé lors du procès des « 66 »
et il est donc nécessaire de relativiser l'importance de
l'activité anarchiste dans les années 1880 qui semble très
faible comparée à celle des groupes politiques
représentés à la Chambre.
Concernant la décennie 1890, Jean Maitron
indique qu'il n'a pu récolter suffisamment de données pour
établir des statistiques du nombre de militants47.
Néanmoins, à la suite d'une circulaire envoyée à
tous les préfets, en décembre 1893, le ministère de
l'Intérieur propose un premier recensement du nombre d'anarchistes
présents dans le pays.48. Puis, en décembre 1894,
l'institution dresse un nouvel état numérique du mouvement sur
l'ensemble du territoire français. Voici le tableau que Jean Maitron
présente dans son oeuvre pour comparer ces données49
:
Tableau 1 - États des militants
(1893-1894)
Date/Lieu
|
Seine
|
Rhône
|
Loire
|
Fin décembre 1893
|
700 à 800
|
178
|
1500
|
Fin décembre 1894
|
430
|
305
|
342
|
Source : Jean Maitron, Le mouvement
anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.128.
44 Ibid., p.
81.
45 Ibid., p.
82.
46 Ibid., p.
86.
47 Jean Maitron,
Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit.,
p.127.
48 AN, F7 12504. Mesures
de surveillance et tournées de conférence (1882-1898).
Organisation anarchiste - Réponses à la circulaire du 13
décembre 1893. Le document sera analysé précisément
dans chapitre 6.
49 Jean Maitron,
Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit.,
p.128.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 41
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 42
Selon l'historien, l'écart important que l'on
retrouve entre les deux années s'explique par le fait que les
préfets en 1893 ont cherché à établir le nombre de
sympathisants du mouvement et non le nombre de militants comme en
189450. Il avance alors que le « parti anarchiste » compte
un millier de militants au milieu des années 1890, 4500 sympathisants et
estime qu'environ 100 000 personnes sont potentiellement influencées par
les idées libertaires en France51.
En somme, on ne peut pas parler de « parti
anarchiste » au sens sociologique du terme - une organisation basée
sur une idéologie politique, hiérarchisée et dont le but
est de prendre le pouvoir par les institutions - mais d'un réseau de
militants libertaires se développant sur le territoire français
dans les années 1880. Or, les différents groupes qui le composent
ont conscience, de par leur nombre, du faible impact de leur mouvement. Il
apparaît nécessaire de se rencontrer pour définir une
action politique commune et de plus grande ampleur. Depuis la dissolution de la
Première Internationale en 1876, il n'existe plus d'organisation
transnationale préparant la « révolution populaire ».
Le congrès antiautoritaire qui se tient à Londres en juillet 1881
se veut être le moment refondateur d'une nouvelle AIT dans laquelle se
retrouvent et s'organisent les anarchistes du monde entier.
1.2- Une machine d'État face à un
mouvement libertaire en pleine structuration
Nous constatons une temporalité similaire entre
la mise en place de la République des républicains et le
développement de l'anarchisme sur le territoire français. Dans
quelle mesure les militants représentent un danger pour le gouvernement
opportuniste et quelle réponse apporte la machine d'État à
cette menace venue de son aile gauche ?
50 Ibid.,
p.128.
51 Ibid.,
p.130.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 43
A) Le Congrès de Londres de 1881 et la
stratégie de la propagande par le fait
La période que nous étudions ici est
donc marquée par le Congrès International Anarchiste qui se tient
à Londres du 14 au 20 juillet 1881. Réunissant une quarantaine de
délégués - le chiffre exact varie selon les sources - de
fédérations et groupes du monde entier, ce congrès
réalise « L'union, si longtemps méditée, des
socialistes-révolutionnaires des deux mondes (...) »52.
Par ailleurs, ce rassemblement définit la stratégie de la
nouvelle AIT consistant en la « propagande par le fait ». Ce mode
d'action encourage les militants à s'engager sur le terrain de
l'illégalité, favorisant le « fait insurrectionnel » et
« la révolte permanente » pouvant mener à terme
à la révolution53. Cet événement
revêt donc une place centrale dans notre étude du mouvement
anarchiste et du défi qu'il pose à l'administration
républicaine. En plus d'organiser les militants et de définir
leur orientation politique, le Congrès de Londres donne corps à
la menace que représente l'anarchie pour la
République.
Les archives personnelles de certains compagnons
présents à cette réunion nous offrent un premier
éclairage sur ce rassemblement au caractère inédit. Max
Nettlau, premier historien du mouvement libertaire, a conservé dans ses
papiers une liste de noms de personnes présentes au
congrès54. On sait donc que les philosophes Pierre
Kropotkine, Enrico Malatesta et Carlo Cafiero se sont rendus à Londres
à cette occasion55. Néanmoins, c'est dans les papiers
de Gustave Brocher que l'on retrouve le plus d'éléments sur le
congrès56. Un premier document attire particulièrement
notre attention : c'est un manifeste produit à l'intention des «
révolutionnaires des deux mondes » et diffusé le 18 mars
1881, à l'occasion de l'anniversaire de la commune, pour annoncer la
tenue du Congrès International Socialiste
Révolutionnaire57. Il y est alors indiqué que l'ordre
du jour sera la « Reconstitution de
52« Le Congrès International de Londres
», Le Révolté, troisième
année, n°11, 23 juillet 1881.
53 Jean Maitron,
Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op. cit.,
p.83.
54 International Insttute of
Social History (IISH). Max Nettlau Papers. London 1881, Notes by
Nettlau. 1881.
55 Ibid. Max Nettlau
Papers. London 1881, Notes by Nettlau. 1881.
56 ISSH, G. Brocher Papers.
Congrès socialiste révolutionnaire de Londres (14-19 juillet
1881).
57 Ibid.,
Prospectus d'annonce du Congrès, intitulé "Aux
révolutionnaires des deux mondes". [c. 18 mars 1881]. 1
feuillet.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 44
l'Association Internationale des travailleurs »,
les pays participants et dans certains cas les noms de leur
délégués58. Puis, dans le grand nombre de
papiers déposés par Gustave Brocher, on retrouve une liste des
délégués établie par Max Nettlau à l'aide
des notes rédigées par son ami59. L'historien a
compté 46 représentants venus de toute l'Europe et même des
États-Unis, ce qui nous permet d'évaluer l'importance du
Congrès de Londres pour la communauté anarchiste
mondiale60.
Aussi, il est important de constater l'écho
qu'a produit l'événement dans la presse. Les débats de la
rencontre sont logiquement relatés en détails dans les journaux,
notamment le Révolté qui consacre
presque entièrement son numéro du 23 juillet 1881 au compte-rendu
de l'événement61. Néanmoins, le
périodique fondé en Suisse et représenté par
l'intellectuel russe Pierre Kropotkine à Londres, n'est pas le seul
à relater le congrès. Parmi les titres, on retrouve dans les
archives de la préfecture de police des extraits du journal
La Révolution Sociale, financé par le
préfet Andrieux62. L'hebdomadaire, animé par des
anarchistes ignorant que leur feuille sert de courroie de transmission à
la préfecture de police, écrit le 17 juillet que « pour la
première fois depuis la Commune de Paris, tous les socialistes
sincères vont se rencontrer sur le seul terrain d'union pratique : celui
de la Révolution par la force, seul moyen pour les exploités d'en
finir avec leurs exploiteurs »63. Un extrait de La
Justice, journal fondé par Georges Clemenceau, a aussi
été relevé par les agents de la PP ; il présente un
compte rendu succinct des deux premières journées du
congrès, signalant la volonté pour les partis
révolutionnaires de se retrouver au sein d'une forte organisation tout
en gardant leur autonomie64. De plus, d'autres quotidiens nationaux
et locaux informent leur lectorat de la
58 Ibid.
Prospectus d'annonce du Congrès, intitulé "Aux
révolutionnaires des deux mondes". [c. 18 mars 1881]. 1
feuillet.
59 Ibid. Liste des
délégués établie par Max Nettlau à partir
des notes de G. Brocher.
60 Ibid. Liste des
délégués établie par Max Nettlau à partir
des notes de G. Brocher.
61 « Le Congrès International de Londres
», Le Révolté,
troisième année, n°11, 23 juillet
1881.
62 APP, BA 30. Congrès
Socialiste International tenu à Londres (Mai 1881).
63 Ibid., « Le
Congrès de Londres » , La Révolution
Sociale, 17 Juillet 1881.
64 Ibid., «
Congrès socialiste de Londres », La Justice,
19 Juillet 1881.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 45
tenue du congrès. Le Petit
parisien publie la brève suivante dans son numéro du
18 juillet 1881 :
« Un congrès socialiste international se
tient en ce moment à Londres ; la première séance a eu
lieu le 14 juillet. De nombreux délégués de France, de
Suisse, d'Espagne, d'Italie, de Belgique, d'Amérique, etc., assistaient
à la réunion65. »
Le Soleil, quotidien monarchiste
modéré, indique dans son numéro du 20 juillet 1881 la
présence de Louise Michel et de Pierre Kropotkine au congrès et
note que « les discours ont été généralement
passionnés et violents.66 » Egalement, le
Courrier de Saône-et-Loire insiste sur la présence de
« l'amère Michel » à Londres
qui aurait dit qu'elle « rêvait depuis dix ans la tempête
prochaine qui doit détruire le dernier trône et le dernier autel
»67. Une grande partie de la presse française couvre le
Congrès de Londres, quitte à parfois nourrir le mythe du «
complot anarchiste ».
Par ailleurs, la préfecture de police dispose
d'au moins d'un agent installé en Angleterre, l'informant de la
structuration du mouvement sur place, avant même le début du
congrès de Londres. On imagine que c'est un indicateur infiltré
au sein du mouvement, puisqu'il signe toujours ses rapports d'une étoile
« * »68 et non avec un titre d'officier. Dans le carton BA
30 issu du fonds « Cabinet du Préfet » et de la
sous-série « Affaires Générales », se trouve un
dossier concernant le congrès de Londres69. Or, le document
le plus ancien retrouvé dans ce dossier est bien antérieur
à l'événement de juillet 1881, puisque c'est une lettre
envoyée depuis la capitale anglaise le 12 mars 1880 par l'agent «
étoile » :
« Depuis quelque temps, j'entends parler d'un
Congrès International qui se tiendrait prochainement à Londres.
Tous les chefs des différentes écoles socialistes doivent s'y
rendre. On citre entre autres parmi les Allemands devant prendre une part
active à ces manifestations, M. Hascenclever, député au
parlement allemand70. »
65 « Nos Informations », Le Petit
Parisien, n°1726, 18 juillet 1881.
66 « Etranger - Grande-Bretagne et Irlande »,
Le Soleil, neuvième année, n°200,
20 juillet 1881.
67 « Correspondance », Courrier de
Saône-et-Loire, 41e année, n° 9,936,
23 juillet 1881.
68 A partir de maintenant,
cet individu est référencé par le terme « agent
«étoile» ». 69APP, BA 30. Congrès
Socialiste International tenu à Londres (Mai 1881).
70 Ibid., agent « étoile
», Londres, 12 mars 1880.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 46
Ces quelques lignes nous apportent un grand nombre
d'informations sur les méthodes qu'emploie la police française
pour surveiller les hors de ses frontières. Elle dispose d'un
informateur installé à Londres au moins depuis le début
des années 1880, qui semble être bien intégré dans
les milieux anarchistes puisqu'il « entend parler » d'un
Congrès, ce qui suppose sa proximité avec les militants vivants
en Angleterre. Il est alors possible que ce soit un individu partisan des
idées libertaires, devenu par la suite indicateur pour la police, ou
alors un « agent provocateur » infiltré par la
préfecture de Paris. Il pourrait s'agir d'Egide Spilleux dit Serraux,
financé par le préfet Andrieux sur lequel nous donnerons plus de
détails en chapitre 2, puisqu'un rapport retrouvé aux Archives
nationales concernant l'Internationale indique que « L'agent secret de M.
Andrieux, alors préfet de police » a assisté au
congrès de Londres de 188171. Néanmoins, ce document
non signé et non daté apparaît comme une preuve assez
maigre pour venir confirmer cette hypothèse.
Par ailleurs, ce qui nous importe n'est pas
l'identité de l'agent « étoile » mais le type
d'informations qu'il communique à la préfecture de police de
Paris. D'une part, il suit de près la mise en place du Congrès
plus d'un an avant celui-ci, et d'autre part il correspond quasi
quotidiennement avec la France sur le moindre développement concernant
l'événement. Aussi, ses rapports se font de plus en plus longs au
moment de la tenue du Congrès en juillet 1881. Le premier en date du 15
de ce mois et faisant cinq pages, indique la présence de trente-cinq
délégués, parmi lesquels Émile Gautier, Louise
Michel et Pierre Kropotkine, ainsi que celle de Serraux,
délégué du journal La Révolution
Sociale ce qui contredirait la théorie selon laquelle il se
cacherait derrière l'identité de l'agent « étoile
»72. Le niveau de détails de cette lettre induit donc
l'infiltration de ce correspondant de la police dans les milieux puisqu'il a
manifestement assisté aux débats du Congrès. D'autre part,
ses rapports sont largement repris par l'administration policière et
transmis dans les différents services. Le 9 octobre 1880, le
71 AN, F7 12504. Mesures
de surveillance et tournées de conférence (1882-1898). «
Détails sur l»Internationale, sa formation, ses principaux chefs et
ses ramifications avec le parti anarchiste et nihiliste en France et à
l'Etranger », sans date.
72 APP, BA 30.
Congrès Socialiste International tenu à Londres (Mai 1881), agent
« étoile, Londres 15 juillet 1881.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 47
chef du 1er Bureau de la préfecture
de Police transmet une note au chef de la Police municipale dans laquelle il
fait référence à la correspondance de l'agent «
étoile » concernant le projet d'un congrès international
à Londres73. De plus, ce document administratif a un tout
autre intérêt pour nous puisqu'il dévoile les rapports
hiérarchiques qui existent au sein de la préfecture de Police.
Ainsi, le chef de Cabinet du préfet prie le chef de la Police municipale
de « vouloir se tenir au courant (...) de la suite qui pourrait être
donnée au projet de congrès international anarchiste (...) et
rendre compte au cabinet du résultat de ses soins »74.
Par conséquent, le préfet attend du chef de la Police Municipale
qu'il lui transmette toutes les informations que ses agents ou autres
indicateurs arrivent à glaner sur ce projet de réunion. En outre,
le 29 novembre 1880, un officier de paix - agent sous les ordres directs du
chef de la Police Municipale75 - rédige un rapport dans
lequel il explique que le correspondant « étoile » le
renseigne sur les raisons de la tenue du
congrès76.
Cependant, il est important de noter que les
informations reçues par la préfecture de police concernant
l'événement de juillet 1881 ne proviennent pas seulement de cet
indicateur « étoile » et ne sont pas toujours envoyées
depuis Londres. En effet, l'administration parisienne obtient des informations
à propos du Congrès de la part de ses agents adressant des
rapports officiels ou transmettant des informations sur la situation depuis
l'étranger. Par exemple, en décembre 1880, un courrier
envoyé depuis le cabinet de la Préfecture de Police, reproduit
une lettre du militant anarchiste Most 77. Puis, le 17 juillet 1881
- troisième jour du Congrès - un individu anonyme transmet depuis
Bruxelles une copie du Bulletin de Londres produit
par Chauvière, anarchiste belge et représentant « Les
Cercles réunis », au cabinet du Préfet78. Le
correspondant Droz infiltré dans les groupes Suisse transmet aussi
depuis Neuchâtel le 17 mars 1881 des informations à propos du
Congrès :
73 Ibid., «
Note 12913 pour Monsieur le chef de la Police Municipale », Paris, le 9
octobre 1880.
74 Ibid. « Note
12913 pour Monsieur le chef de la Police Municipale », Paris, le 9 octobre
1880.
75 Un organigramme de la
préfecture de Police est présenté dans le chapitre
2.
76 APP, BA 30.
Congrès Socialiste International tenu à Londres (Mai 1881),
Rapport, Paris, le 29 novembre 1880.
77Ibid., Copie d'une
lettre signée Most, Paris, décembre 1880.
78Ibid., Bruxelles, 17 juillet
1881.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 48
«Dans trois mois, le Congrès qui se
tiendra à Londres donnera le (?) de la vaste organisation Internationale
; mais d'ici là, on ne peut qu'engager ( ?) à beaucoup de
surveillance. A Paris surtout, car il est maintenant curieux de voir combien,
dans quelques jours les esprits révolutionnaires s'exaltent et le 18
mars de demain, va prouver ( ?) l'espoir et la folie d'une bonne
quantité d'organisateurs des banquets »79.
Par conséquent, l'événement
anarchiste se produisant à Londres en 1881 n'est pas seulement
documenté par les « correspondants » présents dans la
capitale anglaise durant cette période, mais aussi par les agents
suivant les groupes à Paris et ailleurs à l'étranger. La
préfecture de Police a conscience de l'organisation en réseau qui
caractérise le « parti révolutionnaire » - comme le
nomme Louis Andrieux dans ses rapports quotidiens - et s'appuie donc sur des
informateurs installés aussi bien en France qu'à
l'étranger. Néanmoins, elle n'est pas la seule institution en
charge de cette surveillance puisqu'elle la partage avec d'autres
administrations liées au ministère de l'Intérieur. De
plus, le développement d'une surveillance accrue du mouvement anarchiste
à Londres et sur l'ensemble du territoire français est du ressort
d'un pouvoir républicain doutant de sa légitimité
politique.
B) Une menace venue de la gauche nécessitant une
réponse structurelle
Cette remise en cause entendue depuis les bancs
radicaux à l'assemblée et au sein des groupes libertaires, pose
directement la question de la légitimité du régime
installé par les opportunistes. Idéalistes, les hommes au pouvoir
ne pensent pas que le peuple puisse se soulever contre la République.
Cependant, l'exercice de l'État les oblige à aller à
l'encontre des valeurs libérales qu'ils ont toujours défendues
dans le but de protéger le régime qu'ils ont
bâti.
Jusqu'à présent, notre travail de
recherche nous a amené à étudier les bases du
système mis en place par les républicains en 1879. C'est au
travers des discours des parlementaires et des textes des lois «
fondatrices » que l'opinion du gouvernement libéral se dessine. En
terme d'archives, le Journal Officiel de la République
Française se trouve être notre principale source pour
comprendre les motivations qui animent les opportunistes80
.
79Ibid., «
Extrait d'un rapport Droz », Neuchâtel, 17 mars 1881. 80
Plus particulièrement les débats de la Chambre des
Députés.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 49
Néanmoins, avant 1883 et le procès des
anarchistes de Lyon, les activités du mouvement libertaire ne sont
jamais évoquées directement à la Chambre et ne semblent
donc pas être considérées par le gouvernement81.
Pourtant, les dossiers retrouvés aux Archives de la préfecture de
Police montrent que l'institution s'intéresse de près au
mouvement et ceci dès l'arrivée des républicains au
pouvoir82. Nous avons alors cherché du côté du
gouvernement une volonté de surveiller et réprimer le mouvement
anarchiste. Comme le pouvoir exécutif associé à la
fonction de président du Conseil se révèle être
très faible au début de la troisième République,
l'influence du chef du gouvernement sur l'ensemble du système
exécutif de l'État dépend en grande partie de son
charisme. L'Histoire a donc avant tout retenu les travaux des gouvernements
Gambetta, Ferry et Waldeck-Rousseau mais a oublié les noms de Charles
Duclert et d'Armand Fallières. Ceci s'explique par l'absence d'un poste
clairement défini de « premier ministre » qui fait de lui un
membre du gouvernement presque comme les autres puisqu'il reste en charge d'un
portefeuille ministériel. Par conséquent, il n'existe pas de
cabinet ni de structure administrative en charge de la politique globale de la
nation. Ne jouissant pas non plus de la même légitimité que
les élus des deux Chambres, l'influence du président du Conseil
sur la technostructure administrative de la République est très
limitée83. La faiblesse du pouvoir exécutif
associée à cette fonction empêche la réalisation
d'un travail gouvernemental au sens moderne du terme et à la
constitution de fonds d'archives relatifs. Ainsi, sont conservés aux
archives de l'Assemblée Nationale seulement les comptes rendus des
débats de la Chambre des députés pour les années
1880. Si l'institution possède aussi des fonds de députés
et de groupes parlementaires, aucun ne correspond à notre
période84. Il est alors nécessaire de se tourner vers
les archives des autres administrations assumant la responsabilité du
pouvoir exécutif au début de la troisième
République, pour saisir la forme que prend l'exercice de l'État
face à la montée de l'anarchisme.
81 La recherche par mot
clés dans Gallica révèle que le terme est utilisé
trois fois en 1882 mais jamais dans son sens premier.
82 Voir APP, BA 73 à
BA 78. Anarchistes (1881-1893).
83 Arnaud-Dominique Houte,
La France contemporaine...,
op.cit., p.61.
84 Hélène
Saudrais, « Les fonds parlementaires et politiques aux Archives de
l'Assemblée nationale »,
Histoire@Politique, vol. 25, no. 1, 2015, p.
212-225.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 50
Les contours d'un maintien de l'ordre
républicain commencent à se dessiner au début des
années 1880. En effet, la promulgation des lois sur la liberté de
la presse et de la liberté de réunion nécessite un
contrôle judiciaire et politique. L'historiographie étudiée
précédemment insiste sur les impacts sociaux de ces
législations à la fin du XIXe siècle et leurs
limites, notamment sur le plan des libertés individuelles85.
Cependant, un des objectifs de ce travail est de proposer une réflexion
sur les institutions républicaines et la réalité de
l'exercice du pouvoir exécutif qu'elles éclairent durant cette
période. Malgré le libéralisme affiché et
défendu à la Chambre des députés, les archives des
administrations en charge du maintien de l'ordre révèlent des
tendances antilibérales. Le ministère de l'Intérieur
apparaît rapidement comme l'acteur central du dispositif de
contrôle judiciaire et politique de l'ordre public et social. Etant en
charge des administrations préfectorales et policières, il
concentre donc une certaine quantité de pouvoir qui se retrouve ensuite
partagée entre différentes directions. Il est difficile de parler
à la fin du XIXe siècle de travail gouvernemental au
sens moderne du terme. Certes, les ministres s'entourent de
hauts-fonctionnaires ou d'amis et membres de leur famille qui exercent le
rôle de conseillers mais la fonction n'est aucunement
définie86. Ce sont dans les mémoires des hommes de
gouvernement que l'on retrouve des traces de ces cabinets peu formels
87. L'absence de structure officielle empêche la mise en place
d'un secrétariat général en charge de la gestion et de la
circulation des informations, expliquant pourquoi les archives sont muettes
à propos de l'activité gouvernementale au début de la
Troisième République. Néanmoins, plusieurs fonds
conservés aux Archives nationales apportent un éclairage sur les
divisions administratives qui structurent le travail du ministère de
l'Intérieur.
Dans le cas spécifique du maintien de l'ordre,
ce sont les fonds concernant la Direction de la Sûreté
Générale (DSG) qui nous renseignent sur les coulisses de
l'exercice du pouvoir. Cette administration, sous tutelle de sa grande rivale
la préfecture de police entre 1874 et 1876, est ensuite
déclassée au rang de sous-direction entre novembre 1881
et
85 Jean-Pierre Machelon,
La République contre les libertés
?...,op.cit,
P.143.
86 Pierre Baral, «
Les cabinets ministériels sous la IIIe République (1871-1914)
dans Origines et histoire des cabinets des ministres en
France, Genève, Librairie Droz, 1975, p.67-68.
87 Ibid.,
p.67.
décembre 188288. Chargée
à la fois des questions d'administration générale, mais
aussi de la sécurité extérieure et intérieure de
l'État, la DSG réalise des missions de surveillances dans le but
d'empêcher les complots, attentats et autres troubles à l'ordre
public89. Elle n'a en réalité sous ses ordres que les
commissaires spéciaux des chemins de fer, réalisant des missions
de police secrète, et fait pâle figure en terme de technostructure
face aux services de la police parisienne90. Malgré cela,
elle détient une place centrale dans la machine d'État
républicaine à la fin du XIXème siècle.
La sous-série F7 « Police
générale » des Archives nationales révèle une
partie du travail administratif et politique réalisée par les
agents de la DSG. En effet, la Sureté Générale consigne
l'ensemble des courriers qu'elle transmet aux acteurs du maintien de l'ordre en
France, soulignant son rôle fondamental au sein du dispositif
policier91. Ainsi, on retrouve dans les registres de correspondance
à la fois la réalité de l'exercice du pouvoir
exécutif et la dimension politique de ce pouvoir. Chaque page des
registres correspond à une date précise et se divise en trois
colonnes : Destinataire - objet -
classement. Dans le cadre de nos recherches, nous avons
consulté ceux des années 1880 à 1883. Nous y retrouvons
alors l'existence d'une surveillance de certains groupes politiques et
d'organes de presse qui rentre à la fois en conflit avec les lois «
fondatrices » des années 1880 mais aussi avec les valeurs
libérales de la République. Nous reproduisons ici cinq exemples
issus de ces registres dont l'analyse apporte un certain éclairage sur
l'organigramme de la pratique du pouvoir.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 51
88 Jean-Marc Berlière,
Le monde des polices en France: XIXe-XXe
siècles. Éd. Complexe, 1996, p.19-20.
89 Ibid.,
p.21.
90 Ibid.,
p.21-22.
91 AN, F7 12412-12427.
Correspondance de la Sûreté générale :
enregistrement (1871-1886).
Archive 1 - Correspondance de la Sûreté
(1880)
Départ du 10 Mars 1880
|
Destinataire
|
Objet
|
Classement
|
Isère
|
Relatif à l'organisation d'un journal socialiste
révolutionnaire et d'une association politique dans le
département de l'Isère et dans toute la région du Sud-Est
sous le nom de Chambre syndicale fédérale
ouvrière
|
Chambres syndicales Isère
|
Source : AN, F7 12421.
Archive 2 - Correspondance de la Sûreté
(1882)
Départ du 7 Mars 1882
|
Destinataire
|
Objet
|
Classement
|
A tous les
préfets
(Circulaire)
|
Instructions relatives à la surveillance des
ouvriers dans les ateliers et chantiers
|
Surveillance des
ouvriers
Renseignements
Généraux
|
Source : AN, F7 12423.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 52
Archive 3 - Correspondance de la Sûreté
(1882)
Départ du 27 Mars 1882
|
Destinataire
|
Objet
|
Classement
|
Police
|
Demande de renseignements sur le groupe de l'Alliance
Socialiste et sur les principaux membres
|
Agissements révolutionnaires
Seine
|
Source : AN, F7 12423.
Archive 4 - Correspondance de la Sûreté
(1882)
Départ du 16 octobre 1882
|
Destinataire
|
Objet
|
Classement
|
Aude
|
Demande de renseignement sur la formation à
Narbonne d'un groupe d'études sociales qui prendra pour titre le «
drapeau rouge »
|
Agissements révolutionnaires
(Aude)
|
Source : AN, F7 12423.
Archive 5 - Correspondance de la Sûreté
(1882)
Départ du 7 novembre 1882
|
Destinataire
|
Objet
|
Classement
|
Hérault
|
Demande de renseignement sur le
Journal « Le Droit Naturel »,
organe anarchiste révolutionnaire de la région du
midi
|
Brochures & Journaux
|
Source : AN, F7 12423.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
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L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 54
L'Archive 1 prend la forme de la majorité des
envois que l'on retrouve dans les registres de correspondance. En effet, la DSG
transmet la plupart de ses informations - ou directives comme on le voit pour
les Archives 4 et 5- aux préfectures locales qui sont
subordonnées au ministère de l'Intérieur. Cependant, si
nous avons choisi de reproduire cet exemple du 10 mars 1880 pour l'Archive 1,
c'est parce qu'il témoigne de l'attention dont certains groupes
politiques font l'objet. Ici, on peut relativiser le degré de
surveillance à laquelle sont soumises les organisations
d'extrême-gauche, néanmoins on use des réseaux policiers
pour renseigner une administration locale de l'existence de journaux et
d'associations liées au mouvement révolutionnaire.
Néanmoins, les Archives 4 et 5 soulignent la vigilance de la
Sûreté vis-à-vis des libertaires. Par conséquent,
elle somme les préfectures locales sur lesquelles elle exerce un pouvoir
de coercition, de lui transmettre des informations sur ces « ennemis de la
République ». De la même manière, l'Archive 3 nous en
apprend davantage sur les relations qui existent entre la DSG et la PP. La
Sûreté demande en effet à la préfecture de police,
désignée par le destinataire « Police », de la
renseigner sur le groupe de « l'Alliance Socialiste et sur les principaux
membres ». Malgré la rivalité qui peut exister entre ces
deux services, ils tendent à collaborer lorsqu'il s'agit de questions de
police politique. Enfin, l'Archive 2 nous en apprend plus sur le fonctionnement
administratif du ministère de l'Intérieur, puisque la DSG
transmet ici une circulaire à toutes les préfectures. Elle nous
intéresse d'autant plus qu'elle concerne la surveillance d'ouvriers sur
l'ensemble du territoire français et qu'elle est classée comme
« Renseignements Généraux ».
Ces cinq exemples issus des registres de
correspondance de la DSG des années 1880 et 1882 nous renseignent sur le
fonctionnement hiérarchique de l'administration policière et nous
permettent de remettre en cause le libéralisme revendiqué par les
républicains arrivés au pouvoir durant cette période.
D'une part, la DSG est effectivement chargée d'une mission de
surveillance et de renseignement qui concerne, entre autres, les ennemis
politiques de la République. Celle-ci prend forme à travers le
signalement de journaux et de groupes politiques, et devient le sujet de
directives transmises à l'ensemble de l'administration
préfectorale comme en témoigne le Tableau 3. Par ailleurs, si le
signalement du journal socialiste de l'Isère présenté dans
le Tableau 1 précède la promulgation de la Loi sur
la liberté de la presse, le Tableau 5 démontre
l'attention que la sureté témoigne pour les feuilles et interroge
sa compatibilité avec la législation de juillet 1881.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 55
Les fonctions de surveillance et de renseignement
politique de la DSG interrogent sur l'existence même d'une institution de
ce type sous un gouvernement libéral tel que se définit la «
République des républicains » ; cette contradiction sera
nécessairement discutée dans un futur chapitre. Aussi, il est
primordial d'étudier en profondeur la structure de l'administration
française dans les années 1880, qui, à l'inverse des
institutions politiques, n'a pas connu de « transition naturelle »
vers l'idéal républicain.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 56
Chapitre 2 : Au service de la République !
Nous constatons qu'il est nécessaire de
relativiser le libéralisme qui caractérise le régime
républicain des années 1880. En effet, malgré les discours
en faveur des libertés individuelles à la Chambre des
députés et la promulgation de législations
définitivement libérales dès 1881, la pratique du pouvoir
reste influencée par une machine d'État structurellement
pragmatique. Cette réalité transparait dans la difficulté
qu'a la République à s'affranchir de l'administration
impériale malgré les discours des partisans du nouveau
régime démocratique. Par ailleurs, la place occupée par
une technostructure policière relativement autonome au sein des
institutions républicaines conditionne l'approche technique du respect
des « libertés fondamentales ».
Le gouvernement opportuniste mené par un
président du Conseil sans réel pouvoir n'a pas le monopole du
pouvoir exécutif1. Un ensemble d'acteurs est en charge des
politiques du maintien de l'ordre dans les années 1880 et influence
largement l'exercice de l'État. Dans ce chapitre, nous étudions
en détails les structures de l'appareil policier qui témoignent
d'une continuité administrative prenant le pas sur les « ruptures
républicaines »2. Le nouveau régime subit-il cet
héritage ou en profite t-il pour se protéger des menaces
politiques accompagnant sa mise en place ?
2.1- Une organisation policière complexe
héritière du pouvoir impérial
Lorsque la République est proclamée le 4
septembre 1870, ses dirigeants souhaitent cantonner au passé le Second
Empire et se détacher de ses cadres de gouvernement. C'est cette
nécessité de transition démocratique qui pousse Gambetta
à renouveler entièrement le corps préfectoral et nommer
des fonctionnaires animés par la volonté de servir le
régime républicain3. Aussi, la réorganisation
de l'administration publique doit passer par une réforme profonde de la
police impériale, institution autoritaire et répressive des
partisans de la
1 cf. Chapitre 1.
2 Arnaud-Dominique Houte,
Le triomphe de la
République...,,op.cit. p.79.
3 Nous vous renvoyons ici
à l'ouvrage de Vincent Wright, Les préfets de
Gambetta, op.cit.
Préfecture de Police (PP)
Direction de la Sûreté
Générale (DSG)
Ministère de l'Intérieur
Préfecture du Rhône
Préfectures Départementales
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 57
République. La question de l'épuration
des cadres policiers est un enjeu qui revient à chaque changement de
régime tout au long du XIXe siècle en France et
s'impose plus ou moins naturellement. Au début de la Troisième
République, malgré une volonté politique affichée,
les conflits idéologiques et les contraintes matérielles
entravent le nettoyage nécessaire d'une structure policière
complexe.
A) La technostructure de la Haute-Police
Jusqu'ici nous avons évoqué
différentes administrations dépositaires du pouvoir de police et
impliquées dans la surveillance du mouvement anarchiste. Le
ministère de l'Intérieur, la direction de la Sûreté
générale et la préfecture de police apparaissent comme les
acteurs centraux du maintien de l'ordre et semblent indispensables au
fonctionnement administratif de la République. Nous souhaitons
préciser leur rôle dans l'organigramme qui compose la machine
d'État à la fin du XIXe siècle et ainsi
permettre au lecteur de saisir les dynamiques de ce que l'on a appelé
ici la « technostructure de la Haute-Police ».
Schéma 1- La structure policière à
la fin du XIXe siècle
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 58
Au début de la troisième
République, le ministère de l'Intérieur dispose d'un
certain nombre de prérogatives qui font de lui un acteur central du
gouvernement. En effet, il est en charge du service pénitentiaire, de la
gestion de la santé publique, de l'assistance publique et, ce qui nous
intéresse ici, de la police au sens le plus large du terme. Ne pouvant
effectuer de manière isolée cette mission de maintien de l'ordre
qui concerne l'ensemble du territoire français, il dispose de
l'administration préfectorale le représentant sur place et
délègue une partie de ses pouvoirs à certaines
institutions. Le schéma 1 résume donc de manière
simplifiée la forme que prend la hiérarchie policière
issue du ministère de l'Intérieur. Ce dernier jouit d'une grande
autorité sur les préfectures départementales, auxquelles
il transmet des directives par la voie administrative de la circulaire,
à l'exception de la préfecture du Rhône qui dispose de
pouvoirs de police similaires à ceux de la préfecture de Paris et
qui joue un rôle particulier dans la mission de surveillance et de
répression des anarchistes4. Ensuite, la DSG prend le relais
du ministère de l'Intérieur sur les questions de renseignement
politique. Malgré des effectifs relativement réduits et disposant
de peu de pouvoir, elle est cependant assez autonome vis-à-vis de sa
hiérarchie et se détache entièrement au début des
années 1880 de la tutelle autrefois exercée par la
préfecture de police de Paris. Cette dernière se montre aussi
très indépendante sur son territoire, mais reste en contact avec
sa hiérarchie et sa rivale.
Nous reprenons alors le schéma
réalisé par Jean-Marc Berlière et René Lévy
dans Histoire des polices en France pour
détailler les fonctions de ces différentes
administrations5. Les fonctions de police dites «
générales » sont assurées par la Gendarmerie et la
Sûreté Générale. La première, corps militaire
dépendant du ministère de la guerre, n'est pas le coeur de notre
propos. La seconde assure la fonction de Direction de police au
ministère de l'Intérieur, composée des commissaires
spéciaux des chemins de fer en charge de la police politique sous la
Troisième République ainsi que du contrôle des ports et
frontières. Berlière souligne qu'elle est la seule police
à disposition du gouvernement. Aussi, les agents présents en
permanence sur les réseaux ferroviaires sont capables : «
d'observer l'état des esprits ou d'intervenir dans la vie politique
»6. Par ailleurs, la DSG recrute et gère la
carrière de
4 Le statut particulier de la
préfecture départementale du Rhône est
détaillé en Chapitre 3.
5 Jean-Marc Berlière
et René Lévy, Histoire des polices en
France, op.cit. p.46.
6 Ibid.,
p.305.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 59
l'ensemble des commissaires en tête des polices
municipales et du personnel des polices étatisées. Quant aux
fonctions de polices territoriales, elles sont partagées entre trois
acteurs : les polices municipales, les polices municipales
étatisées et la préfecture de police. Les premières
sont présentes dans toutes les villes de plus de 5000 habitants et
exercent leur pouvoir sur le territoire de la commune. Le maire et un
commissaire de police - recruté par la DSG, mais payé par la
municipalité- dirigent conjointement la police municipale ce qui
entraine souvent des conflits. Le nombre d'agents à leur charge est
variable et parfois très limité. S'ils sont recrutés et
payés par le maire, ils peuvent être révoqués par le
préfet. Dans les années 1880, seule la ville de Lyon jouit d'une
police municipale étatisée qui exerce alors ses missions sur
l'ensemble de l'agglomération. Les pouvoirs de police du maire sont
transférés au préfet du Rhône et à son
secrétaire général et l'ensemble des agents de la police
municipale étatisée sont recrutés, mutés et
payés par l'État. Enfin, la Préfecture de Police
présente un statut particulier au sein de cette police territoriale. Son
chef, le préfet de police, est nommé par le gouvernement devant
lequel il est responsable et, au début de la troisième
République, il doit être élu au parlement ; Louis Andrieux
est donc député du Rhône au moment où il
accède à ce poste en 1879. La PP est la police la mieux
dotée, avec 10 000 agents à la veille de la première
guerre mondiale, répartis entre la police municipale « en tenue
», la Sûreté - à ne pas confondre avec la DSG -
chargée de la police criminelle, et les brigades de recherches assurant
le travail de police politique dans les années 1880. Si la PP est
financée par la municipalité, elle reçoit en plus une
contribution de l'État ce qui fait d'elle un organisme très
puissant.
Du point de vue des sources disponibles pour
étudier la technostructure policière républicaine, nous
nous appuyons en particulier sur la sous-série F7 du ministère de
l'Intérieur et des archives de la préfecture de police
conservées au Pré Saint-Gervais. Aussi, les sources
imprimées de la fin du XIXe siècle nous renseignent
largement sur l'organisation des services. Les écrits des acteurs de
l'époque, notamment ceux de Louis Andrieux7, sont à
manier avec précautions mais sont nécessaires pour saisir toute
la complexité de cette machine d'État. Enfin, concernant les
archives de la DSG qui pourraient nous renseigner plus
7 Louis Andrieux
Souvenirs d'un préfet de police, J.
Rouff, 1885.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 60
précisément sur la doctrine du «
maintien de l'ordre républicain », la plupart sont classées
dans le « Fonds Moscou » restitué par la Russie en 1994. En
effet, l'organisation ne disposant pas des moyens humains et matériels
pour gérer les nombreux documents produits par ses agents, les rapports
et autres dossiers de travail se retrouvent rangés dans des cartons
empilés dans les couloirs des bureaux de la rue des
Saussaies8. Ainsi, les Nazis en profitèrent pour emporter
avec eux ce « butin de la mémoire » pensant surement y trouver
des informations précieuses. Si l'Union Soviétique a
récupéré ces documents et si la Russie a fini par les
rendre à la France, ces archives demandent un travail d'analyse
délicat aux chercheurs étudiant l'histoire de la
Sûreté Générale. Les inventaires du « Fonds
Moscou » mis en ligne par les AN indiquent notamment l'existence de
documents relatifs à l'organisation et au fonctionnement du service, de
dossiers de surveillance policière concernant la vie politique et la
presse française.
Voici donc dans quel cadre d'analyse notre
étude du maintien de l'ordre républicain est
réalisée. Il est maintenant nécessaire de constater dans
quelle mesure l'appareil policier s'adapte à la doctrine libérale
du nouveau régime. Cependant, il semble que malgré, les «
annonces d'intentions » des républicains, le nouveau gouvernement
doit s'entourer de fonctionnaires de la Haute-Police qui ne sont pas toujours
ralliés à sa cause.
B) La relative épuration des cadres de l'Empire : De
la « promotion » des commissaires de Police à l'affaire de La
Lanterne
« Les temps approchent où la loi sera
supérieure à la police et où le respect de la
liberté individuelle deviendra une réalité9.
»
La République, régime synonyme de
démocratie et de libéralisme, a conscience de la
nécessité de réformer un appareil policier
dévoué au pouvoir impérial et s'empresse donc de
s'attaquer aux fonctionnaires bonapartistes. Cependant la tâche se
révèle plus difficile que prévu à cause des
soubresauts qui agitent l'installation de la République dans les
années 1870.
8 Bélière et
Lévy, Histoire des polices en France ..., op.cit.
,p.310.
9 Le « vieux petit
employé », 33e lettre, La Lanterne,
troisième année, n° 63, 13 janvier
1879.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 61
Les contraintes d'effectifs et la
nécessité d'avoir des agents efficaces sur l'ensemble du
territoire remettent en cause l'épuration des cadres de
l'Empire.
A travers l'étude du « Fonds Moscou
», Laurent Lopez montre l'impossibilité pour la République
de se défaire de l'héritage impérial en étudiant le
corps des commissaires de police10. Comme des contraintes purement
matérielles empêchent les républicains de « purger
» les cadres de la haute-police ayant servi sous le Second Empire, des
fonctionnaires pas nécessairement ralliés au nouveau
régime sont conservés par le gouvernement. L'historien s'attache
alors à mesurer l'épuration des commissaires de polices durant
les années 1870 en se basant sur les dossiers nominatifs qui ont
été restitués par les russes dans les années 1990.
Ces archives concernent donc les effectifs de la Sûreté
Générale et non de la préfecture de police11.
Aussi, pour des raisons de temps et de classement, Laurent Lopez s'est
basé sur les trois premières boîtes - soit trois milles
fiches de commissaires sur les douze-mille qui composent la série - et a
fini par comparer 381 « carrières » séparées en
trois groupes durant les années 187012. Nous reproduisons en
partie le tableau réalisé par l'historien résumant les
effectifs de chaque groupe13.
Tableau 2 - Les commissaires de police sous la IIIe
République
381 commissaires de police ayant vécu les
transitions politiques des années 1870
|
Fonctionnaires ayant entamé
leur carrière avant 1870
comme agent de police,
secrétaire de commissariat ou commissaire de
police
|
Anciens militaires de la gendarmerie impériale
ou de la garde de Paris ayant
été nommés commissaires sous
la République
|
Candidats devenus commissaires entre 1870 et
1878
|
173
|
79
|
129
|
Source : Laurent Lopez « Servir la République
après avoir juré fidélité à Napoléon
III »
10 Laurent López,
« Servir la République après avoir juré
fidélité à Napoléon III »,
Histoire & mesure [En ligne], XXIX-2 | 2014, mis
en ligne le 31 décembre 2017, consulté le 10 septembre
2018.
11 Ibid.,
p.109-110.
12 Ibid.,
p.110-111.
13 Ibid.,
p.111.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 62
La première catégorie identifiée
par Laurent Lopez est la plus importante et concerne les fonctionnaires en
activité sous le Second Empire. L'auteur cherche donc à constater
si le passage au nouveau régime a impacté la carrière de
ces policiers. La police impériale semble être dans la ligne de
mire des républicains dès leur arrivée au pouvoir, puisque
le nouveau préfet de police Émile de Kératry
procèderait à de nombreuses révocations, tandis que
Gambetta et Ferry proposent la suppression du poste du chef de la police
parisienne dès décembre 187014. Néanmoins,
l'analyse des fiches nominatives des commissaires de police montre que sur 173
agents, seulement 13 sont « mis en inactivité » à la
suite de la proclamation de la République en septembre
187015. Parmi eux, on compte huit révocations directement
liées au changement de régime, trois mises en
disponibilité et deux relevés de fonctions16. La
faiblesse de ce chiffre montre qu'il n'y a pas eu d'épuration massive
des cadres policiers du Second Empire par la République au début
des années 1870. De plus, les événements de la Commune
incitent le gouvernement installé à Versailles à
réinstaurer les commissaires mis en disponibilité moins d'un an
plus tôt17. La victoire des conservateurs en février
1871 permet aussi la réintégration de sept des huit
fonctionnaires révoqués en septembre 187018. Au
début de la Troisième République, on ne peut donc pas
parler d'épuration des agents de la Sûreté
Générale mais de courtes interruptions de carrière
liées à la difficile installation du nouveau
régime.
Laurent Lopez insiste sur le fait que les
carrières des commissaires ont été davantage
impactées par les mutations politiques qui s'opèrent dans les
années 1870 que lors du changement de régime19. Alors
que le conservateur Albert de Broglie revient au pouvoir le 16 mai 1877
à la tête d'un gouvernement « d'ordre moral », il
décide de dissoudre la Chambre majoritairement républicaine un
mois plus tard et d'organiser de nouvelles élections
14 Ibid.,
p.114.
15 Ibid.,
p.115.
16 Ibid.,
p.118.
17 Ibid.,
p.123-124.
18 Ibid.,
p.123-126.
19 Ibid.,
p.118.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 63
législatives. Durant cette période de
préparation du scrutin, on assiste non pas à une vague
d'épuration mais de mutations qui touchent 282
fonctionnaires de police20. Si cinq d'entre eux sont
révoqués, l'historien estime que 36 commissaires subissent une
mutation « défavorable », contre 33 « favorables »
puisqu'elles garantissent de meilleurs traitements ou des postes à plus
grandes responsabilités. De plus, le gouvernement du seize-mai en
profite pour nommer 27 commissaires de police. Laurent Lopez pose
l'hypothèse que ces mutations sont liées à la
préparation des élections et que les conservateurs cherchent
à s'entourer d'agents ralliés à leur cause21.
En tout cas, le pouvoir exécutif joue un rôle déterminant
lorsqu'il s'agit des carrières des agents de la Sûreté
générale.
Enfin, l'historien s'intéresse à la
période 1877-1878 marquant le retour des républicains à la
Chambre et confirmant l'impact du changement de majorité sur les
mutations des commissaires de police. Elles se révèlent encore
plus importantes que pour la période précédente et
même si on ne constate que deux révocations, 60% des policiers
sont soumis à des changements de carrière. Ceux-ci s'imposent en
réaction aux décisions du gouvernement de l'ordre moral : «
les commissaires révoqués ou relevés de leurs fonctions
par le gouvernement d'Albert de Broglie sont ensuite
réintégrés dès les premiers mois de 1878, en
répercussion à la formation d'une Chambre à
majorité républicaine et d'un gouvernement de centre-gauche
à partir de la mi-décembre 187722». Cependant,
les commissaires réinstallés par la majorité
républicaine ne sont pas nécessairement des agents nommés
durant les années 1870. En effet, Joseph Berton, commissaire en poste
sous le second Empire est révoqué en 1870 avant d'être
réintégré un an plus tard. Il subit une nouvelle
révocation peu de temps avant les élections législatives
de 1877 avant de profiter d'une mutation favorable en février
187823.
Ainsi, que ce soit après la chute du Second
Empire ou pendant la mise en place du régime républicain durant
les années 1870, on ne peut pas parler d'épuration massive de la
police bonapartiste. Il y a très peu de révocations
définitives, et le fait d'avoir servi sous
20 Ibid.,
p.121.
21 Ibid.,
p.121.
22 Ibid.,
p.126.
23 Ibid.,
p.124-125.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 64
l'empire n'empêche pas les commissaires de
connaître des évolutions de carrière. Les raisons
derrière cette « conservation » des fonctionnaires ne sont pas
explicitées dans les fiches nominatives mais en plus des besoins en
effectifs, on peut supposer que les forces politiques locales influencent le
destin des commissaires de police. Pour nuancer la faiblesse de cette
épuration, il est important de noter qu'elle a tout de même
concerné les membres les plus éminents de l'administration du
Second Empire que la République ne pouvait conserver24. Les
républicains font donc le choix de réformer en surface l'appareil
policier, se séparant seulement des commissaires les plus hostiles au
nouveau régime. Il nous paraît alors nécessaire de
constater si le résultat est le même au sein de la
préfecture de Police de Paris, autre institution détenant un
pouvoir de coercition légitime en France.
Pour ceci, il nous faut réaliser une
étude statistique sur les révocations des gardiens de la paix sur
la même période que celle menée par Laurent Lopez, soit
entre 1870 et 1872. Les dossiers administratifs conservés aux archives
de la Préfecture de Police nous fournissent toutes les données
nécessaires pour notre analyse25. De plus, nous nous
inspirons du travail de Quentin Deluermoz - qui a largement
étudié l'histoire de la préfecture de Police de
Paris26 - pour saisir la complexité du processus visant
à écarter les agents servant autrefois le pouvoir
impérial. S'appuyant particulièrement sur les archives du
fonctionnement administratif de la PP, l'historien propose en annexe de son
livre un tableau présentant l'évolution du personnel de la police
municipale dans les années 1890. Nous avons repris le carton
associé à la cote DA 193 sur laquelle Quentin Deluermoz base son
analyse, pour étudier l'évolution des effectifs policiers pour
les décennies 1870 et 188027.
24 Arnaud-Dominique Houte,
Le triomphe de la République..., p.80.
25 APP, sous-série DA
- Police administrative.
26 Quentin Deluermoz,
Policiers dans la ville..., op.cit. 2012.
27 APP, DA 193. Police
municipale, statistique des opérations (1872-1900).
Tableau 3 - Les sorties du corps de gardiens de la
paix, 1872-1878
Année
|
Démissions
|
Révocations
|
Décès en service
|
Départs à la Retraite
|
Réformés
|
1872
|
488
|
247
|
43
|
238
|
14
|
1873
|
320
|
86
|
47
|
275
|
4
|
1874
|
265
|
100
|
40
|
302
|
14
|
1875
|
366
|
104
|
32
|
370
|
16
|
1876
|
338
|
73
|
43
|
320
|
18
|
1877
|
317
|
66
|
46
|
271
|
5
|
1878
|
208
|
89
|
68
|
193
|
4
|
Source : APP, DA 193. Police municipale, statistique des
opérations (1872-1900).
Comme le montre le tableau 3, notre étude des
effectifs de la préfecture de police commence en 1872 alors que celle de
Laurent Lopez sur les commissaires de police débute au moment de la
proclamation de la Troisième République, soit deux ans plus
tôt. Nous devons donc en tenir compte et nous adapter aux contraintes
archivistiques pour mener à bien notre analyse. Il nous faut d'abord
étudier les chiffres de la PP indépendamment de ceux de la DSG
pour mesurer l'ampleur de l'épuration puis déterminer si les
« points de ruptures » sont les mêmes que ceux
repérés par Lopez.
En premier lieu, il est nécessaire de rapporter
ces chiffres à un effectif global pour mesurer l'ampleur de ces
révocations : le travail de Jean-Marc Berlière et de René
Lévy nous permet de poser le contexte statistique de notre
étude28. On compte alors 4000 policiers dit « en tenue
» ou gardiens de la paix en 1870, 7000 en 1871 puis 8000 en
189229. Des chiffres bien supérieurs à ceux des autres
villes et qui font de Paris un « laboratoire de la
modernité
28 Jean-Marc Berlière
et René Lévy, Histoire des polices en France ...,
op. cit., p. 57-64.
29 Ibid.,
p.63-64.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 65
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 66
policière » selon les
historiens30. Si on considère alors que la PP compte une
moyenne de 7000 gardiens de la paix sur la période 1872-1878, le
pourcentage de révocations paraît très faible. En 1872,
l'année où il y a le plus de révocations soit 247 selon le
tableau 3, cette « réforme » concerne moins de 4% des
policiers en tenue de la PP. On ne peut donc pas parler d'épuration en
profondeur de l'institution parisienne.
Par ailleurs, on note des points de rupture quelque
peu différents de ceux avancés par Laurent Lopez. En effet, les
deux autres années où les révocations sont les plus
importantes sont les années 1874 et 1875 et concernent un peu plus d'1%
des agents de la PP. La proportion paraît tellement faible qu'il est
difficile d'y voir un lien avec la perte du contrôle de la
Sûreté générale et les lois constitutionnelles
promulguées durant cette période. De plus, le retour du
gouvernement de l'ordre moral en 1877 ne semble pas affecter la PP comme la
DSG, et l'institution parisienne connaît seulement une
légère augmentation des révocations à la suite de
l'arrivée des républicains au pouvoir. En effet, le tableau 3
montre que 89 gardiens de la paix ont été révoqués
en 1878 contre 66 en 1877. Néanmoins, ce chiffre ne représentant
que 1,27 % de l'ensemble des gardiens de la paix, on ne peut pas
considérer que la mise en place du gouvernement opportuniste entraine
une remise en cause des cadres de la préfecture de police. Cette
dernière semble donc jouir d'une certaine autonomie puisqu'elle ne
connaît pas les mutations administratives liées au changement de
majorité.
Cependant, l'institution parisienne se retrouve au
centre des préoccupations de la République lorsqu'il s'agit de
l'héritage des cadres du Second Empire. Entre 1878 et 1879, une
série d'articles est publiée dans le quotidien républicain
La Lanterne par un homme se faisant passer pour un
« vieux petit employé » de la Préfecture de
Police31. L'auteur de ces écrits - qui n'est autre qu'Yves
Guyot, un journaliste républicain-radical - s'attaque à la police
des moeurs mais dénonce aussi la présence de bonapartistes dans
les sphères dirigeantes de l'institution. Tandis que la
préfecture de police engage un procès contre le journal
dès 1879, l'affaire éclate à la Chambre. Les
députés des bancs d'extrême gauche font part de leur
indignation face à cette révélation, à l'instar de
Georges Clemenceau qui insiste sur la
30 Ibid.,
p.65.
31 Les numéros du
journal sont en ligne sur Gallica.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 67
présence du personnel de l'empire aux postes
les plus importants au sein de la préfecture de police :
« C'est qu'en effet, messieurs, tout le monde
reconnaît ici dans cette Chambre (...) que le personnel qui nous a
été légué, dans les différentes
administrations, par les gouvernements monarchiques qui se sont
succédé dans ce pays, a besoin d'être remanié dans
sa composition, remanié dans sa doctrine (...), remanié dans sa
méthode d'action. Eh bien, s'il y a une administration où cette
nécessité de modifications profondes dans le personnel se fasse
énergiquement sentir, c'est assurément la préfecture de
police. (...) C'est d'autant plus grave, que, dans la préfecture de
police, le personnel c'est la doctrine, le personnel c'est la méthode
d'action 32.. »
Selon Jean-Marc Berlière, si les radicaux font
preuve d'autant de véhémence à la Chambre, c'est parce
qu'ils ne comprennent pas comment des hommes qui ont toujours lutté
contre la République restent en fonction à la suite de la
victoire des partisans de ce régime33. Ainsi, le discours de
Clemenceau évoque la possibilité d'une « police
républicaine » et interroge sur l'essence même d'un corps de
police : doit-il être politiquement compatible avec le régime de
gouvernement qu'il est supposé préserver ? Dans un premier temps,
la réponse semble être positive, puisque le scandale de
la Lanterne pousse à la démission le
ministre de l'Intérieur Émile de Marcère ainsi que le
préfet de police Albert Gigot. En reprenant les dossiers statistiques
conservés aux archives de la préfecture de Police nous pouvons
réaliser le tableau 3 ci-dessous34. Voyons si les
révélations d'Yves Guyot ont entraîné un changement
en profondeur de l'institution.
32Georges Clemenceau
à la Chambre des députés, séance du 3 mars 1879,
Journal Officiel de la République
Française, 4 mars 1879, p.1644.
33 Jean-Marc Berlière,
Le monde des polices en France..., op.cit.,p.
93.
34 APP, DA 193. Police
municipale, statistique des opérations (1872-1900).
Tableau 4 - Les sorties du corps de gardiens de la paix,
1879-1882
Année
|
Démissions
|
Révocations
|
Décès en service
|
Départs à la Retraite
|
Réformés
|
1879
|
156
|
65
|
47
|
288
|
5
|
1880
|
248
|
75
|
61
|
457
|
8
|
1881
|
299
|
74
|
44
|
550
|
9
|
1882
|
387
|
63
|
71
|
531
|
6
|
Source : APP, DA 193. Police municipale, statistique des
opérations (1872-1900).
La proportion d'agents en tenue révoqués
se montre extrêmement faible par rapport à l'effectif total de ce
corps. Le tableau 4 indique qu'en 1880, l'année où les
révocations sont le plus nombreuses, elles concernent à peine
plus de 1% d'un effectif de 7000 agents. Malgré, l'arrivée des
opportunistes au pouvoir et le scandale de la Lanterne
la préfecture de police connaît un degré
d'épuration encore plus faible que celui exercé dans les
années 1870 comme en témoigne le graphique
ci-dessous.
Graphique 2 - Gardiens de la paix
révoqués entre 1872 et 1882 à Paris
250 200 150 100
50
0
|
|
|
|
|
Révocations
|
1872 1873 1874 1875 1876 1877 1878 1879 1880 1881 1882
Source : APP, DA 193. Police municipale, statistique
des opérations (1872-1900).
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Les institutions de l'État face à l'anarchisme
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Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 69
Par conséquent, que ce soit pour la
Sûreté Générale ou la préfecture de Police,
on ne peut pas évoquer une épuration massive de l'appareil
policier à l'arrivée des républicains au pouvoir.
L'étude du « fonds Moscou » concernant la DSG et les
révélations du journal La Lanterne sur
les pratiques antirépublicaines des agents de la PP soulignent la
difficulté qu'a la République à se détacher des
cadres du Second Empire. Il est nécessaire de s'interroger sur la
façon dont cet héritage conditionne la doctrine du maintien de
l'ordre et sa pratique au début des années 1880.
2.2. -Une police politique compatible avec la
République ?
Si l'affaire de La Lanterne
entraine la démission du ministre de l'Intérieur et
du préfet de police en 1879, ceci n'empêche pas le gouvernement de
chercher par tous les moyens à faire de faire de l'institution
policière une administration au service de la République.
L'opposition des radicaux à la Chambre, le développement d'un
mouvement ouvrier dans les usines et l'affirmation du mouvement anarchiste
représentent une menace pour les opportunistes d'après l'appareil
policier. Une idéologie du renseignement politique se développe
au sein des institutions républicaines dans le but de protéger le
nouveau régime mais favorise dans le même temps des pratiques que
l'on peut qualifier d'antilibérales.
Avant toute chose, il est important de
s'intéresser à la notion de « police politique
républicaine » qui détermine les moyens de répression
de l'anarchisme par l'administration de la Troisième République.
Cette notion paradoxale interroge les historiens qui se demandent quelle
nécessité il y a pour un régime démocratique de
posséder un organe de renseignements politiques. Jean-Marc
Berlière et Marie Vogel formulent ainsi ces questions :
« La police politique a-t-elle une fonction, un
rôle à jouer dans un régime où, par
définition, le gouvernement représente la volonté de la
majorité des citoyens ? Doit-elle protéger une forme de
gouvernement qui ne saurait s'imposer que par le consentement de la Nation ?
Doit-elle surveiller l'opinion, les agissements des opposants alors que la
liberté est la règle ? Un gouvernement émanant du suffrage
universel a-t-il besoin, comme Napoléon III d'une police pour savoir
« quel accord règne entre ses actes et les voeux de la Nation
» alors que la presse, les élections permettent aux citoyens
d'exprimer leur opinion et leurs choix politiques 35 ?
»
35Jean-Marc
Berlière et Marie Vogel, « Aux origines de la police politique
républicaine », Criminocorpus [En ligne],
Histoire de la police, Articles, mis en ligne le 01 janvier 2008,
consulté le 09 avril 2018., p. 5.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 70
Émile de Marcère, ministre de
l'Intérieur du gouvernement opportuniste défend pour sa part
l'existence d'une telle institution lorsque le scandale de la
Lanterne éclate publiquement : « Est-ce que, enfin, il
n'y a plus de partis adversaires de la République ? Certes, ces partis
sont impuissants, ils le savent bien ; mais vous admettrez bien avec moi qu'il
est utile qu'on les surveille, qu'on sache ce qu'ils font 36».
Si le ministre se retrouve dans l'obligation de démissionner notamment
parce qu'il cautionne une organisation rejetée par les
républicains les plus radicaux, les archives de la PP et les registres
de correspondance de la DSG indiquent que les pratiques de police politique se
poursuivent dans les années 1880.
A) La Direction de la Sureté Générale
: une institution au coeur du renseignement républicain
Retrouvant son autonomie au milieu des années
1870, la Sûreté Générale tente de s'affirmer au sein
de l'appareil policier maintenu par le nouveau régime. Pour ceci, elle
doit démontrer qu'elle est nécessaire et efficace dans sa mission
de protection de la République. Ainsi, il faut pour ses chefs, à
l'instar d'Émile-Honoré Cazelles, développer une
véritable idéologie favorisant la mise en place d'une police
politique républicaine et redonner à la DSG une place centrale
dans l'administration du maintien de l'ordre.
En effet, le directeur de la Sûreté
Générale adresse le 30 juin 1880 à Ernest Constans,
ministre de l'Intérieur, un rapport qui a fait date dans l'histoire de
la police républicaine et dans lequel il défend la
nécessité d'un service de renseignements politiques en
République. Ce document auquel nous ferons à présent
référence sous le terme de « rapport Cazelles », est
selon Sébastien Laurent : « la vision (...) d'un haut-fonctionnaire
républicain préoccupé en premier lieu de la
stabilité du nouveau régime et donc de la nécessité
de surveiller les ennemis politiques37». Aussi, il est
considéré par Jean-Marc Berlière et Marie Vogel comme le
texte
36 Emile de Marcère
à la Chambre des députés, séance du 3 mars 1879,
Journal Officiel de la République, 4 mars
1879, p.1650.
37 Sébastien-Yves
Laurent, Politiques de l'ombre: État, renseignement et
surveillance en France, Fayard, 2009,
p.262.
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L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 71
fondateur de l'administration policière
républicaine38. Il nous paraît alors nécessaire
d'analyser ce rapport en détail pour comprendre en quoi il influe sur la
politique du maintien de l'ordre au début des années
1880.
Tout d'abord le directeur de la Sûreté
défend son administration en expliquant que ses agents assurent deux
fonctions essentielles à tout gouvernement : « D'une part, ils
veillent à l'exécution des lois et d'un certain ordre de
règlements, de l'autre ils recueillent et portent à la
connaissance de hauts fonctionnaires chargés d'exercer
l'autorité, les renseignements qui doivent servir de base à la
politique intérieure du Gouvernement39». Cazelles
regrette que la mission d'information, réduite au rapport envoyé
quotidiennement par le directeur de la Sûreté au ministre de
l'Intérieur, ne jouisse pas des moyens dont elle a le
besoin40. Ceci le mène à comparer son service à
sa grande rivale :
« Tandis que la Préfecture de Police
commande à un personnel nombreux et expérimenté, comme
elle manie un budget considérable, la Direction de la
Sûreté, comme si ce service n'était qu'un accessoire, n'a
qu'un personnel peu nombreux, mal distribué, de capacité
médiocre et un budget qui ne permet ni l'extension nécessaire du
personnel officiel, ni le recrutement d'un personnel auxiliaire d'agents
secrets 41.»
La question économique est donc centrale au bon
fonctionnement d'un service de police politique dont l'existence est
justifiée par la présence de forces partisanes s'opposant au
régime. Émile-Honoré Cazelles fait notamment
référence à l'Internationale et ses motivations
révolutionnaires sur lesquelles l'administration républicaine
manque cruellement d'information :
« (...) au moment où un parti politique
affiche le dessein de coordonner toutes les forces de la classe ouvrière
pour en faire l'instrument d'une révolution sociale, et où un
autre parti songe à exploiter le mécontentement des
prolétaires pour les enrôler comme auxiliaires du
césarisme, l'administration ignore le nombre et le caractère de
ces associations appelées Chambres syndicales : elle ne saurait
distinguer celles qui se renferment dans les limites légales
tracées par leurs intérêts professionnels, de celles qui
tendent à s'engager par une fédération dans la voie des
agitations révolutionnaires. L'administration peut bien se douter qu'il
y a là un danger mais elle ne
38 Jean-Marc Berlière
et Marie Vogel, « Aux origines de la police politique républicaine
», art.cit., p. 1.
39 Rapport Cazelles
reproduit dans Jean-Marc Berlière et Marie Vogel, « Aux origines de
la police politique républicaine », p. 6.
40 Ibid.,
p.6.
41 Ibid.,
p.6-7.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 72
peut dire avec quelle précision ni la
proximité, ni l'intensité de ce danger, elle ne peut donner au
gouvernement les renseignements qui le mettraient à même
d'arrêter un plan de campagne rationnel et de chercher avec succès
les mesures à exécuter42.»
L'appareil policier prend conscience de la menace
venue de l'extrême-gauche qui remet en cause sur le plan doctrinal le
régime de la République, mais manque de moyens pour en informer
précisément sa hiérarchie. Par conséquent, le
directeur de la Sûreté propose plusieurs pistes au ministre de
l'Intérieur pour remédier à la faiblesse de son service.
Il estime nécessaire d'augmenter le nombre de commissaires
spéciaux qui pourraient selon lui « rendre plus de services comme
agents d'information 43». Il estime que la Direction de la
Sûreté possède 28 commissaires spéciaux sur
l'ensemble du territoire français chargés de renseigner et
prévenir la sécurité du gouvernement, même s'il
reconnaît qu'ils sont aidés dans leur tâche par des agents
de grades inférieurs. Pourtant, selon Cazelles le rôle des
commissaires est essentiel puisqu'ils transmettent leurs rapports à la
fois à la DSG et aux préfets départementaux qui s'appuient
largement sur les informations recueillies pour réaliser au mieux leur
travail de police. Le directeur de la Sûreté indique alors une
solution pour améliorer leur travail: « A l'aide des fonds de
police alloués aux Préfets, ou de quelque argent mis directement
à leur disposition par l'administration centrale, il leur serait
aisé d'organiser dans leur rayon un service de reconnaissance au moyen
d'agents secrets 44». Par ailleurs, Cazelles se désole
aussi que l'administration de l'État - les préfets, la DSG et
donc le gouvernement - recueille la majorité de ses informations
politiques dans la presse, outil peu fiable selon lui. « Un journal est
une arme dont un parti se sert pour l'attaque et pour la défense »
écrit t-il, c'est pourquoi le ministère de l'Intérieur a
besoin d'employer des agents chargés d'analyser la propagande
politique45. Enfin, Émile-Honoré Cazelles appelle
à une réforme économique de l'administration
policière : « Mais si l'administration ne peut armer le
Gouvernement de la République de tous les moyens de défense, elle
peut tirer meilleur parti de ceux qu'elle possède actuellement et du
personnel qu'elle peut rétribuer avec les ressources
42 Ibid.,
p.7.
43 Ibid.,
p.8.
44 Ibid.
45 Ibid.,
p.9.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 73
des budgets de 1880 et
188146.»
Ce rapport insiste donc sur la nécessité
de mieux armer, d'un point de vue financier et d'effectifs, la police
spéciale des chemins de fer pour faire d'elle une police de
renseignement nécessaire à la protection de la République.
S'il est difficile pour le chercheur d'analyser l'impact doctrinaire de ce
texte sur les institutions policières françaises, on peut
néanmoins constater statistiquement si la situation a
évolué. Pour aider à la compréhension et à
l'analyse, nous reproduisons en partie un graphique concernant la police
spéciale des chemins de fer47.
Graphique 3 - Evolution des effectifs de la « Police
Spéciale », 1860-1900
900 800 700 600 500 400 300 200 100
0
|
|
|
|
1860 1870 1880 1890 1900
|
Source : Jean-Marc Berlière et René
Lévy, Histoire des polices en France..., op.cit.,
p.308.
Nous constatons une baisse du nombre d'officiers de la
police spéciale durant les années 1870. Mais à partir de
1880, à la suite du rapport Cazelles, les effectifs augmentent
progressivement jusqu'aux années 1890, avant de connaître un
véritable pic à la suite des
46 Ibid.
47 Jean-Marc Berlière
et René Lévy, Histoire des polices en
France..., op.cit., p.308.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 74
attentats de 189248. Cette mobilisation de
l'appareil policier lors du passage à la République suppose que
les structures de coercition légitime existantes contraignent le nouveau
régime à développer une doctrine du maintien de l'ordre en
insistant sur la menace anarchiste. Cela a permis à la machine
d'État de se protéger et de développer à terme ses
moyens financiers.
Par ailleurs, si la DSG semble être avant tout
l'instigatrice d'une doctrine du renseignement politique en République,
une autre institution a cherché à la mettre en oeuvre. La
préfecture de police de Paris grâce à ses moyens ancre dans
ses pratiques les méthodes de police secrète et s'en sert pour
surveiller les anarchistes.
B) La préfecture de Police : Un État dans
l'État
Grande rivale de la DSG qu'elle a
contrôlée jusqu'en 1874, la préfecture de police de Paris
jouit d'une place particulière dans le dispositif administratif
républicain. De par son statut unique - même si les
préfectures des départements de la Seine et du Rhône
disposent de certaines de ses prérogatives - elle dispose de moyens
humains et financiers supérieurs aux autres institutions du
ministère de l'Intérieur favorisant ses activités de
police politique.
Les révélations du journal
La Lanterne obligent l'administration
républicaine à réformer en partie l'institution
policière. Après la démission du ministre de
l'Intérieur et celle du préfet de police Albert Gigot, le
député du Rhône Louis Andrieux est nommé à ce
poste à très haute responsabilité le 5 mars 1879. Le
nouveau chef de la police parisienne est alors en charge de redonner à
son administration sa « splendeur d'antan » et de l'installer au
centre du dispositif du maintien de l'ordre républicain. Il use des
pouvoirs exceptionnels attribués à la fonction pour mettre en
place un « État dans l'État ». Son mandat est
marqué par une lutte acharnée contre le « parti de la
révolution » qui résulte en la mise en place d'une
surveillance accrue des milieux libertaires perdurant tout au long des
années 1880.
Tout d'abord, un ouvrage écrit par Louis
Puibaraud, se faisant passer pour un rédacteur du journal
Le Temps en 1887, nous permet de mieux comprendre le
fonctionnement
48 Jean Maitron a
qualifié la période du début des années 1890 comme
une « ère des attentats » que nous étudions en
détail dans le Chapitre 6.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 75
interne de la préfecture de
Police49. Cet essai a pour but de faire la promotion de
l'institution, de la défendre des accusations de « police
secrète » qu'elle subit tout au long des années 1880 et
ainsi de la présenter comme une administration digne de la
République50. On ne peut donc pas se fier aux opinions de
l'auteur sur les questions de police politique ici, mais son livre nous permet
cependant de dresser un organigramme de l'administration policière. Il
commence par expliquer que la préfecture de police de Paris est
organisée en deux secteurs : le service actif et le service
sédentaire regroupant des bureaucrates dont font partie les commissaires
de police51. Ces derniers sont en effet des magistrats, des «
hommes de cabinet » ne disposant pas d'agents en tenue sous leurs
ordres52. Si leur mission concerne les questions de
sûreté, ils doivent demander au chef de la police municipale de
leur fournir des agents des brigades. Pour toute autre opération, ils
s'adressent à l'officier de paix de l'arrondissement pour qu'il leur
fournisse le nombre de policiers dont ils ont besoin53. En outre, la
police municipale regroupe l'ensemble des agents de la PP : les gardiens de la
paix « en tenue » et les brigades « en bourgeois », soit
les agents des brigades de recherches et de la
Sûreté54. Ces policiers sont sous les ordres du Chef de
la Police municipale et non du préfet de police qui a sous sa charge le
service sédentaire des bureaucrates de la cité et des
commissaires de police55. Puibaraud insiste sur le fait que le
préfet de Paris est avant tout un magistrat dirigeant des
administrateurs et qu'il n'est pas de son ressort de donner des missions de
police politique aux agents « actifs ». Par ailleurs, le «
journaliste » se penche sur l'organisation des brigades en bourgeois, soit
les inspecteurs de police, qui ne portent pas d'uniforme mais des habits
civils. Il explique que le service est dirigé par un commissaire de
police prenant le titre de « chef de la Sûreté » depuis
1879 et répondant aux ordres directs du
49 Louis Puibaraud,
La police à Paris, son organisation - son fonctionnement,
par un rédacteur du Temps, Librairie du Temps,
1887.
50 Louis Puibaraud est un
cadre important de la préfecture de police et s'attèle donc
à en faire la propagande
51 Louis Puibaraud,
La police à Paris..., op. cit.,
p.3.
52 Ibid., p.5.
53 Ibid.,
p.6.
54 Ibid.,
p.9.
55 Ibid.,
p.10.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 76
chef de la police municipale56. Cette
brigade assure le service du centre, le service de renseignement, et le service
de la voie publique, elle ne possède pas d'arme et ses agents sont
l'élite de la préfecture de police selon Puibaraud57.
Il remet aussi en cause tous les fantasmes qui peuvent exister autour de ce
corps, assurant que les agents en Sûreté ne font plus recours aux
indicateurs issues des bas milieux parisiens mais
s'appuient tout de même sur des « éclaireurs » qui
peuvent être récompensés financièrement pour leurs
informations58. L'institution parisienne répudie les
méthodes obscures des régimes précédents et exerce
sa fonction en toute transparence et légalité. Par
conséquent, Puibaraud réfute l'idée que les brigades de la
Sûreté et les brigades de recherches puissent être
assimilées à des polices secrètes59. Il
considère les brigades de recherches comme des « reporters de
journaux » qui se rendent dans les réunions publiques, rapportent
au chef de la police municipale ce qu'ils ont pu y entendre et ne « font
jamais de politique60. » Le « journaliste » explique
que les deux premières brigades sont employées aux rapports
concernant les réunions et les officiers de paix qui y sont
attachés jouent un rôle primordial dans le recueillement
d'informations sur l'ensemble des « partis » 61.Le fait
que ces brigades soient rattachées au chef de la police municipale et
non au préfet permet à Puibaraud d'affirmer qu'elles n'ont pas de
rôle politique. D'autant plus que la quatrième brigade de
recherches, en charge des rapports politiques et placée dans la main du
préfet a été supprimée en 187962.
Cependant, Louis Andrieux qui a procédé à cette abolition,
peu de temps après son arrivée à la tête de
l'institution parisienne, indique dans ses mémoires qu'il a
supprimé cette brigade composée d'espions et d'agitateurs pour
installer une nouvelle police secrète entièrement
dévouée à son autorité63. On ne peut pas
savoir si Puibaraud ignore le but de la manoeuvre ou si cela fait partie de sa
propagande.
56 Ibid.,
p.20.
57 Ibid.,
p.20-22.
58 Ibid.,
p.23.
59 Ibid.,
p.41-42.
60 Ibid.,
p.45.
61 Ibid.,
p.47.
62 Ibid.,
p.43.
63 Louis Andrieux Souvenirs d'un préfet de
police, op.cit., p. 36.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 77
Cependant, pour écarter définitivement
les accusations qui pèsent sur la préfecture de police, il prend
le temps d'évoquer l'existence d'une police secrète en
parallèle de l'institution parisienne :
« La vérité est que la
Préfecture de police a une haute mission qu'elle doit remplir et qu'elle
remplit par les seuls moyens possibles (...) il importe de défendre les
droits politiques de tous les citoyens, le domaine inviolable de la
souveraineté nationale et la République (...). Ce n'est plus le
patrimoine contesté d'un homme seul mais bien le sacré de tous
que le Préfet de police a la charge (...) défendre contre les
attaques coalisées des perturbateurs de tous les partis. Pour cela il
doit être renseigné sur leurs efforts, sur leurs projets, sur
leurs espérances. C'est de toute nécessité, de toute
légitimité 64.»
Louis Puibaraud justifie donc l'existence d'une police
politique républicaine, ne faisant pas partie intégrante de la
Préfecture de Police mais apparaissant comme un outil sur lequel
l'administration s'appuie pour réaliser sa mission de protection du
régime. Il explique alors que les seuls « agents secrets » de
la police sont en fait des hommes appartenant à un groupe et à un
parti qui renseignent la préfecture sur leurs intentions dans le cas
où celles-ci représenteraient une menace pour la
République65. Il n'existe donc pas de police secrète
à Paris mais seulement une administration prête à tout pour
assurer la défense du gouvernement qu'elle s'est jurée de servir.
Cependant, les historiens tendent à montrer que la préfecture de
police dispose en réalité des moyens humains et financiers pour
mener à bien cette mission et qu'elle met définitivement en place
des pratiques pour surveiller les ennemis de la République et reste donc
maîtresse de son destin. Sébastien Laurent insiste sur le fait que
l'institution parisienne est dotée d'un budget largement
supérieur à celui des Affaires étrangères et de la
Sûreté Générale, lui permettant d'attacher aux
brigades de recherches des centaines de fonctionnaires66. Par
ailleurs, le chercheur indique que les policiers bénéficient de
fonds spéciaux accordés par le ministère de
l'Intérieur pour financer leur mission de renseignement via des
indicateurs67. On est donc loin des individus venant rapporter de
façon altruiste le contenu des réunions politiques comme le
défend Puibaraud.
64 Louis Puibaraud, La police à Paris...,
op. cit., p. 91-90.
65 Ibid.,
p.91.
66 Sébastien-Yves
Laurent, Politiques de l'ombre...,op.cit.,
p.280.
67 Ibid.,
p.281.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 78
Par ailleurs, si l'analyse de l'institution
préfectorale parisienne revêt une place importante au sein de
notre de recherche, c'est parce qu'elle exerce la surveillance la plus
importante du mouvement anarchiste dans les années 1880. Que ce soit
Jean Maitron, Gaetano Manfredonia ou encore Constance Bantman qui compare dans
sa thèse les méthodes policières françaises et
britanniques68, les spécialistes de l'histoire de
l'anarchisme insistent sur le lien particulier qui unit les militants
libertaires et les agents en tenues de la préfecture de
Police.
En premier lieu, nous avons cherché à
déterminer la place que détient l'administration parisienne dans
le dispositif policier de la Troisième République. Par
conséquent, nous nous sommes intéressé à la
relation qu'elle entretient avec le ministère de l'Intérieur,
dont elle dépend hiérarchiquement. L'importance des
renseignements politiques fournis par la préfecture de police au
gouvernement grâce à ses agents installés dans toute la
France et même à l'étranger est notable. Tandis que
Sébastien Laurent considère que les rapports quotidiens transmis
par le préfet de police au ministre ne contiennent que des informations
ouvertes, se voulant un bulletin « journalistique » de la vie dans la
capitale69, ces archives révèlent selon nous l'ampleur
de la surveillance mis en place par l'institution et la place centrale qu'elle
occupe au sein de la machine d'État. La sous-série BA «
Cabinet du Préfet - Affaires générales »
réunit plusieurs cartons consacrés à ces rapports
rédigés par le préfet et destinés au ministre de
l'Intérieur70. Nous étudions plus
précisément les années 1880 et 1881 durant lesquelles
Louis Andrieux est à la tête de la préfecture de police et
nous constatons que le « parti révolutionnaire » est
évoqué très régulièrement dans ces notes
quotidiennes. Ses membres les plus éminents sont scrutés de
près par la préfecture de police, à l'instar de Louise
Michel nommée le 17 septembre, les 11, 14 et 16 novembre, ainsi que le 2
et le 13 décembre 188071. Les sections « renseignements
de l'étranger » informent aussi sur les groupes installés
hors de France, notamment les sections suisses de l'Internationale. Le rapport
du 8 octobre
68 Constance Bantman,
Anarchismes et en France et en Grande-Bretagne, 1880-1914:
échanges, représentations, transferts,
Université Paris 13, 2007.
69 Sébastien-Yves
Laurent, Politiques de l'ombre..., op. cit.,,
p.281.
70 APP, BA 89 et cotes
suivantes. Rapports quotidiens du préfet au ministre de
l'intérieur.
71 APP, BA 89. Rapports
quotidiens du préfet au ministre de l'intérieur
(1880).
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 79
1880 souligne que l'organisation est largement
perturbée par l'amnistie des communards et le retour de ses membres
français réfugiés jusqu'ici à la Chaux-de-Fonds, de
l'autre côté de la frontière jurassienne72. Le
préfet Andrieux s'attache aussi à transmettre les comptes rendus
de réunions, auxquelles ses agents ont assisté, au ministre de
l'Intérieur. Le rapport du 19 mars 1881, coïncidant avec les dix
ans de la commune de Paris, contient plus de sept pages sur un banquet
organisé par Émile Gautier et Louise Michel la
veille73. Par ailleurs, le congrès de Londres est
évoqué à plusieurs reprises dans les documents
envoyés dans le courant du mois de juillet 188174. De plus,
dans la section « Renseignement de l'Etranger » du rapport du 6
juillet, Andrieux indique qu'on lui a écrit de Londres le 4 juillet
à propos de la mise en place du Congrès75. Il reprend
en fait un rapport de l'agent « étoile » retrouvé sous
la cote BA 30 des archives de la préfecture de Police76. Si
le contenu de ce rapport semble peu intéressant, il témoigne de
la place centrale de l'institution parisienne dans le dispositif policier de la
République, puisqu'elle étend son pouvoir de surveillance bien
au-delà de la capitale française et n'hésite pas à
s'appuyer sur des indicateurs pour mener à bien sa mission. Enfin, le
rapport du 27 octobre 1881 illustre la surveillance accrue dont fait preuve la
préfecture de police vis-à-vis des anarchistes. Il contient
à la fois des informations concernant le groupe anarchiste du
Vème arrondissement, le compte-rendu d'une réunion de
travailleurs et des détails sur la vie de Louise
Michel77 . Certes, le préfet ne
donne jamais son opinion sur les faits qu'il rapporte ni ne donne d'indication
stratégique pour se prémunir contre la menace anarchiste.
Malgré cela, ces rapports témoignent du degré de
communication qui existe entre la préfecture de police et le
ministère de l'Intérieur et démontrent alors
l'étendu des moyens de l'administration parisienne dans la mise en place
d'une véritable surveillance politique.
Cette dernière est en fait rendue possible par
les prérogatives de la loi du 30 juin 1881 concernant la liberté
de réunion. En effet, l'article 9 affirme :
72Ibid. Rapport du 8
octobre 1880.
73 APP, BA 90. Rapport du 19
mars 1881.
74 Ibid. Rapports du
6, du 12 et du 24 juillet 1881.
75 Ibid.. Rapport du
6 juillet 1881.
76 APP, BA 30. Congrès
Socialiste International tenu à Londres (Mai 1881), Lettre du 4 juillet
1881.
77 APP, BA 90. Rapport du 27
octobre 1881.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 80
« Un fonctionnaire de l'ordre administratif ou
judiciaire peut être délégué : à Paris, par
le préfet de police, et dans les départements, par le
préfet, le sous-préfet ou le maire, pour assister à la
réunion. Il choisit sa place. Le droit de dissolution ne devra
être exercé par le représentant de l'autorité que
s'il en est requis par le bureau, ou s'il se produit des collisions et voies de
fait.78 »
Ceci explique la présence de nombreux rapports
retrouvés dans les cartons des APP rédigés par les
policiers et transmis à leur hiérarchie79. Ces
informations concernant le mouvement libertaire se retrouvent ainsi dans les
rapports quotidiens que le préfet de police transmet au ministère
de l'Intérieur. Cependant, dans les nombreux cartons concernant les
anarchistes, on retrouve à la fois des documents de surveillance
produits par des agents de la préfecture mais aussi des lettres
envoyées par des indicateurs anonymes. Sous la côte BA 73 des APP
on est face à des rapports officiels signés par le
Contrôleur Général de la police sur une réunion
anarchiste tenue à Saint-Denis80 et des notes envoyées
par un dénommé Droz. Cet indicateur qui écrit toujours
depuis la Chaux-de-Fonds en Suisse a notamment renseigné la
préfecture de police sur le congrès de Londres en juillet
188181. Il indique par exemple le 23 octobre 1881 que « le
Groupe l'alarme de Narbonne est composé de 72 membres et qu'il fait
parti du groupement secret de l'association internationale des
travailleurs82». Il semble que Droz se soit infiltré
dans les groupes installés en Suisse, ce qui lui permet d'obtenir des
informations sur l'ensemble du réseau libertaire européen. Par
ailleurs, d'autres documents issus du carton BA 73 ne sont pas signés,
comme c'est le cas d'une lettre envoyée depuis Paris le 30 mai 1882
donnant de nombreux détails sur les militants parisiens et une
manifestation tenue au Père-Lachaise83. On peut alors
supposer que c'est un « agent secret » de la préfecture qui
rapporte sur l'activité du groupe anarchiste qu'il a
introduit.
78 Texte de la loi du 30 juin
1881 sur Legifrance :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025148185
79 APP, BA 73 à BA 78.
Anarchistes (1881-1893).
80 APP, BA 73.
Rapport du 10 janvier 1883.
81 cf. Chapitre
1.
82 APP, BA 73.
Extrait d'un Rapport Droz, le 23 octobre 1881.
83 Ibid., 1883.
Lettre non signée envoyée le 30 mai 1882.
La mission de surveillance du « parti
révolutionnaire » est donc à la fois confiée aux
agents des brigades de recherches mais aussi à des indicateurs non
officiels vivant au plus près des militants. Les archives remettent donc
en question les réfutations de Louis Puibaraud concernant la police
secrète. De plus, le préfet de Police Andrieux écrit
lui-même dans ses mémoires : « L'agent secret, c'est le
journaliste qui se fait remarquer par sa violence contre le gouvernement dans
les feuilles d'opposition, c'est l'orateur qui, dans les réunions,
demande aux prolétaires d'en finir avec l'exploitation capitaliste
(...)84. » Il explique d'ailleurs qu'il ne faut pas «
fantasmer » cette fonction et qu'il est financé par les fonds
secrets dont dispose le préfet et non le budget de la police municipale
servant à rémunérer les inspecteurs de
police85. Le gouvernement républicain a en effet maintenu ce
système de financement du ministère de l'Intérieur -
soumettant seulement le vote de son budget au parlement - au même niveau
que sous l'empire soit deux millions de francs, ce qui souligne
l'ambiguïté de la République vis-à-vis de la «
police secrète » 86. Ces « fonds reptiles »
comme les appelle Louis Andrieux semblent avoir permis au préfet de
police de dépasser le cadre institutionnel fixé par
l'administration en matière de surveillance politique. Il
révèle dans ses mémoires qu'il a créé et
financé le journal libertaire La Révolution Sociale
pour pouvoir observer et manipuler à terme les militants :
« Donner un journal aux anarchistes, c'était d'ailleurs placer un
téléphone entre la salle des conspirations et le cabinet du
préfet de police87». Par ailleurs, Andrieux ne se
contente pas de surveiller les militants de Paris puisque les APP
révèlent qu'il existe des dossiers concernant la surveillance des
anarchistes de Lyon88. Le préfet de police étant aussi
député du Rhône, il n'est pas étonnant qu'il arrive
à installer des agents dans cette région.
En somme, l'institution parisienne joue un rôle
majeur dans la surveillance du mouvement anarchiste au début de la
troisième République. Elle est aussi l'instigatrice
des
84 Louis Andrieux,
Souvenirs d'un préfet de police,
op.cit. p. 33.
85 Ibid.,
p.32-33.
86 Sébastien-Yves
Laurent, Politiques de l'ombre...,op.cit.,
p.252.
87 Louis Andrieux,
Souvenirs d'un préfet de police, op.cit., p.
339.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 81
88 APP, BA 394. Menées
des socialistes et des anarchistes à Lyon (1881-1885).
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 82
nombreuses pratiques de police politique
républicaine s'inscrivant dans un système plus large du maintien
de l'ordre à la fin du XIXe siècle.
Les années 1880 permettent au gouvernement des
opportunistes d'engager les réformes sociétales qu'il
défend depuis la fin du Second Empire en maitrisant une opposition de
droite à la Chambre des députés. Si l'opposition de gauche
se fait parfois entendre à l'assemblée, les partisans de la
révolution sont soumis au contrôle d'une police politique
s'inscrivant dans la continuité du régime impérial. La
technostructure policière met en place un véritable réseau
de surveillance des groupes libertaires passant par Paris, Lyon et allant
jusqu'à Londres. Ainsi, les agents et indicateurs de la
Sûreté et de la Préfecture de Police notent
consciencieusement les moindres déplacements et déclarations des
militants, prêts à réagir s'ils décident de passer
à l'action.
A Lyon, épicentre du mouvement
révolutionnaire, c'est un équilibre politique jusqu'ici
idéal pour les républicains bascule lors d'une nuit d'automne
1882. Une explosion retentit au café du Théâtre Bellecour
le 22 octobre 1882 au soir et entraine la réaction de la machine
d'État en charge de la protection de la République. On passe donc
d'un système de surveillance policière à une large
opération de répression politique qui vise à
préserver et légitimer le nouveau régime face à
ceux qui le remettent en cause.
Amélie Gaillat - «
L'administration de la coercition légitime en République.
Les institutions de l'État face à l'anarchisme
dans les années 1880 » - Mémoire IEP de
Paris - 2019 83
Deuxième partie. Quand un attentat lyonnais
révèle
l'existence d'une machine d'Etat (1882-1884)
84
Chapitre 3 : De l'explosion de l'Assommoir au
procès des 66
Le procès des 66 qui se tient à Lyon en
janvier 1883 a fait l'objet de rare travaux historiographique. Dans son ouvrage
de référence, Jean Maitron ne prend pas le temps d'y consacrer un
véritable chapitre et se contente de le présenter en une dizaine
de pages1. Quant aux historiens de la Troisième
République, ils donnent la priorité à l'étude des
« lois scélérates » dès qu'il s'agit
d'évoquer les attentats anarchistes, certains limitant d'ailleurs les
actions des militants libertaires aux années 1890 à l'instar de
Maurice Agulhon2. Seul Marcel Massard s'attarde sur le procès
des 66 et ses conséquences dans son livre sur l'histoire du mouvement
anarchiste à Lyon3. Laurent Gallet a cependant
réalisé un travail de recherche sur ce sujet, analysant la
façon dont l'événement a été traité
par la presse lyonnaise à l'époque4. Il a par la suite
réalisé une étude très complète sur Antoine
Cyvoct5, le militant considéré comme responsable de
l'attentat de l'Assommoir. Quant aux sources imprimées de
l'époque, un seul écrit consacré au procès a
été retrouvé, soit un texte faisant le compte-rendu des
audiences et proposé par des partisans du mouvement
libertaire6. Par conséquent, le dépouillement d'un
important corpus de sources primaires permet de remédier à
certaines lacunes historiographiques.
Ce chapitre retrace la chronologie des
événements qui débouchent sur le procès des 66 et
met en lumière les enjeux politiques soulevés par cette
affaire.
1 Jean Maitron,
Le Mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit.,
p.167-176.
2 Maurice Agulhon,
La République..., op.cit.,
p.130.
3 Marcel Massard,
Histoire du mouvement anarchiste à
Lyon...,op. cit.
4 Laurent Gallet,
Le mouvement anarchiste et la presse lyonnaise: le procès
des 66 de 1883, mémoire de maîtrise, 2000 (non
paginé).
5 Laurent Gallet,
Machinations et artifices: Antoine Cyvoct et l'attentat de
Bellecour (Lyon, 1882), Atelier de Création
Libertaire, 2015.
6 Toussaint Bordat et al.,
Le procès des anarchistes devant la police correctionnelle et la
Cour d'appel de Lyon, Imprimerie nouvelle, 1883.
85
3.1- Les anarchistes face à la technostructure
policière lyonnaise
Que ce soit pour les historiens du mouvement
anarchiste aujourd'hui ou pour les agents de la police politique au
début des années 1880, il n'y a pas de surprise à ce que
le premier attentat anarchiste de la Troisième République se
produise à Lyon. En effet, la ville est un épicentre du mouvement
depuis l'épisode de la Commune en 1871 et concentre l'attention de la
préfecture de police de Paris et des autorités du
département du Rhône. Lyon rivalise avec Paris pour le titre de
« capitale du mouvement anarchiste français » à la fin
du XIXe siècle mais aussi comme « chef-lieu » du maintien de
l'ordre. En effet, la préfecture du Rhône dispose d'une place
particulière au sein de l'appareil policier de la Troisième
République et semble être la seule institution à pouvoir se
mesurer à la Préfecture de police. Il est donc nécessaire
de s'intéresser aux prérogatives de l'administration
policière lyonnaise et d'analyser ses pratiques en termes de
surveillance du mouvement libertaire au début des années
1880.
A) Une préfecture du Rhône bien
dotée
Le procès des 66 prend place à Lyon
où les réseaux libertaires sont particulièrement actifs.
La ville a en effet bénéficié tout au long des
années 1870 des activités de la Fédération
jurassienne qui se sont étendues au-delà du massif du Jura. Puis
en 1879, à la suite du congrès ouvrier de Marseille, Lyon est
désigné comme le siège de la «
Fédération de l'Est ». Enfin, le retour des amnistiés
de la Commune qui s'étaient réfugiés en Suisse en 1871
favorise la diffusion de la propagande anarchiste7. Face à ce
mouvement libertaire très actif dans la région, la
République dispose d'une nouvelle administration policière
à laquelle elle a confié les pouvoirs nécessaires pour
surveiller - et à terme punir -ses opposants
révolutionnaires.
De fait, la préfecture du Rhône est
apparue précédemment au sein de notre technostructure
policière en charge de la coercition légitime au début des
années 1880. Il n'est donc pas étonnant que les historiens qui
ont étudié le mouvement anarchiste dans la région
lyonnaise se soient largement appuyés sur la série 4M «
Police » des Archives Départementales du Rhône. Encore une
fois, c'est au prisme de la technostructure policière que cette
recherche appréhende l'histoire de l'anarchisme à la fin du XIXe
siècle. La
7 Marcel Massard,
Histoire du mouvement anarchiste à
Lyon,op.cit., p.30-31.
86
surveillance exercée par la police lyonnaise
sur les militants libertaires est comparable à celle exercée par
les agents de la préfecture de police8. En effet, la
préfecture du Rhône jouit des prérogatives similaires
à celles de l'institution parisienne depuis 1873, ce qui est
confirmé par la loi du 21 avril 18819. Ce régime
spécial de la préfecture départementale du Rhône
peut être vu comme une conséquence indirecte de l'épisode
de la Commune de Lyon qui a révélé la présence de
nombreux militants anarchistes dans la région. Il faut néanmoins
replacer la ville dans une histoire plus longue du système policier
français. Comme l'explique Amos Frappa, Lyon est pionnière dans
la mise en place de la police spéciale puisque comme Paris elle se dote
d'un service de Sûreté dès les années
183010. À partir ce moment-là, l'organisation
lyonnaise entame « une marche vers l'autonomie achevée en 1873
» 11. C'est ainsi qu'un « commissaire spécial pour
la Sûreté » est officiellement nommé, devenant un
acteur essentiel dans le dispositif de renseignements12. Prenant le
pas sur les services de la police municipale, le service de la
Sûreté, à travers le commissaire spécial, se place
juste derrière le Secrétaire général pour la police
dans l'organigramme de l'institution. Au contact des commissaires
d'arrondissement, le chef de la Sûreté joue un rôle de
pivot, essentiel dans la gestion des informations13. Dans leur
étude sur la police publiée en 1887, Hogier et Grisson consacrent
un chapitre à la police de Lyon, affirmant que « la police
lyonnaise est plus pratique à certains points
de vue que celle de la ville de Paris »14. Ils insistent
ensuite sur le fait que le secrétaire général de la police
- s'apparentant au poste de « préfet de police de Lyon » -
n'est pas en compétition avec le commissaire spécial de la
Sûreté comme à Paris. Si l'institution lyonnaise est plus
« pratique » à leurs yeux, cela est dû à une
meilleure organisation hiérarchique des services comparée
à celle de l'administration parisienne. Par conséquent,
l'autonomie dont
8 Archives
Départementales du Rhône - Inventaire 1M à 4M. Trente
cartons correspondent à l'entrée « Anarchistes », ce
qui montre l'importance du travail de surveillance exercée par la police
lyonnaise.
9 Ibid., voir «
Réimpression du Répertoire Publié en 1978 (Philippe
Paillard) ».
10 Amos Frappa, « La
Sûreté lyonnaise dans le système policier français
(début XIXe-début XXe siècle)
», Criminocorpus [En ligne], Histoire de la
police, Articles, mis en ligne le 10 avril 2014, p.2.
11 Ibid.,
p.5.
12 Ibid.,
p.5.
13 Ibid.,
p.5.
14 Georges Grison et F.
Hogier, Les hommes de proie : la police, ce qu'elle
était, ce qu'elle est, ce qu'elle doit être,
La Librairie Illustrée, 1887, p.308.
87
dispose la préfecture du Rhône en
matière d'attribution policière tend à susciter des
rivalités avec la préfecture de police de Paris, modèle de
la police spéciale jusqu'au début de la Troisième
République. Ceci n'empêche pas les deux institutions d'entretenir
une correspondance régulière selon Amos Frappa, notamment dans le
but de se tenir au courant des méthodes policières
développées par leur « rivale
»15.
Autre tentacule de la pieuvre à laquelle
s'apparente la technostructure policière des années 1880, la
préfecture du Rhône concurrence sa collègue parisienne
notamment sur le terrain de la police politique, d'autant plus qu'elle
possède les moyens de ses ambitions. En effet, elle
bénéficie largement des fonds secrets maintenus par le
gouvernement républicain. Dans la série F7 des archives
nationales, on retrouve en effet un carton consacré aux fonds secrets
dans lequel se trouve un dossier concernant spécifiquement la
préfecture du Rhône16. Le ministère de
l'Intérieur considère que l'institution lyonnaise de par son
statut particulier réalise des missions de police secrète et doit
donc être financée par le gouvernement. C'est en tout cas ce que
sous-entend un document en date du 21 mars 1878 : « Indépendamment
de l'allocation mensuelle de deux mille francs accordée sur le Chapitre
XII à Mr le Préfet du Rhône, pour frais de police
secrète, il lui est alloué un crédit supplémentaire
de quinze cents francs par mois pour le même service, à partir du
1er Février 1878 »17. Puis, le 3 novembre
1880 un arrêté rétablit les « frais
supplémentaires de sureté générale [du
préfet du Rhône] » alors supprimés le 9 juin de la
même année18. Ce document nous indique par ailleurs
qu'il y a une potentielle tentative de suppression des fonds secrets mais que
la préfecture du Rhône nécessite cependant un budget
spécifique à ses missions de « Sûreté
Générale » - et non plus de « police secrète
» - ne comprenant pas les traitements de ses agents de police.
Malgré ce changement de toponymie, le ministère de
l'Intérieur ne rompt pas avec les pratiques du Second Empire et
légitime ces activités « de l'ombre » en les
finançant.
Des traces de cet argent « secret »
apparaissent dans la comptabilité de la préfecture du Rhône
et le type d'activités - potentiellement de police politique - qu'elle
finance. Si les
15 Amos Frappa,
« La Sûreté lyonnaise dans le système
policier français... », art. cit., p.13.
16 AN, F7 12828. Fonds
secrets. Sommes allouées au préfet du Rhône (1840-1882);
débats à la Chambre (18841912).
17 Ibid. Sommes
allouées au préfet du Rhône (1840-1882).
Arrêté du Ministre de l'Intérieur, le 21 mars
1878.
18 Ibid. Sommes
allouées au préfet du Rhône (1840-1882).
Arrêté du Ministre de l'Intérieur, le 3 novembre
1880.
88
dossiers de la série 4M 74 «
Budget-Comptabilité (1880-1932) » des ADR sont loin d'être
exhaustifs, nous avons tout de même réussi à identifier des
dépenses s'apparentant à des frais de « police
secrète » et donc passées sur les fonds secrets du
ministère de l'Intérieur19. Par exemple, une pochette
intitulée « Commissariat spécial - Comptes des
dépenses. 1881-1902 » retrace de façon mensuelle «
l'état des dépenses du commissariat près la
Préfecture du Rhône »20. Ainsi, le 5 janvier 1881
on a dépensé quinze francs pour « indications », le 16
janvier c'est vingt francs qui sont payés pour le même motif alors
que le 14 janvier, dix francs sont consacrés à la «
surveillance particulière internationaliste21 ». Les
frais pour « indications » représentent la plus grande part
des dépenses du commissariat spécial et concernent sans surprise
les militants anarchistes : le 17 septembre 1881 on paye dix francs pour «
Indications sur le parti Socialiste Révolutionnaire »22
et le 2 octobre c'est cinq francs qui sont débloqués pour des
photographies du « parti Révolutionnaire »23. On
suppose alors que ce dossier retrouvé aux ADR concerne la
comptabilité des fonds secrets, parce que les traitements des policiers
- directement réglés par l'État 24 - et autres
dépenses « normales » ne sont pas indiqués.
Ceci nous confirme que la préfecture du
Rhône a donc les moyens financiers de mettre en place une surveillance
politique du mouvement libertaire qui s'organise dans la région
lyonnaise.
19 Nous remercions par
ailleurs Laurent Gallet de nous avoir indiqué cette source qui s'est
révélée très utile à notre
travail.
20 ADR, 4M 74.
Budget-Comptabilité (1880-1932). « Commissariat spécial -
Comptes des dépenses. 1881-
1902 ».
21 Ibid.
État des dépenses faites pour les besoins du
commissariat spécial près la Préfecture du Rhône, du
1er au 31 Janvier 1881 inclus.
22 Ibid.
État des dépenses faites pour les besoins du
commissariat spécial près la Préfecture du Rhône, du
1er au
30 Septembre 1881 inclus.
23 Ibid. État
des dépenses faites pour les besoins du commissariat spécial
près la Préfecture du Rhône, du 1er
au
31 Octobre 1881 inclus.
24 Jean-Marc Berlière
et René Lévy, Histoire des polices en France...,
op.cit. p.46.
89
B) De la surveillance à la traque des anarchistes de
Lyon
Cependant, il ne faut pas minimiser la menace que
représentent plusieurs centaines d'anarchistes déterminés
à renverser par la force le pouvoir républicain. En effet, le
principe de la propagande par le fait est adopté lors du Congrès
de Londres en 1881 et encourage donc les actes de révolte
illégaux et violents - dont le meurtre - contre la classe
bourgeoise25. Néanmoins,
l'arrestation de soixante-six militants pour reconstitution de l'Association
Internationale des Travailleurs entre en contradiction avec les valeurs
libérales promues par les opportunistes et interroge sur
l'efficacité de la mesure pour lutter contre des actions individuelles
et de nature terroriste26, à
l'instar de l'explosion de Bellecour. Il faut à la fois replacer le
procès des 66 dans le contexte plus large d'une menace anarchiste qui se
dessine durant cette période tout en interrogeant les enjeux liés
à la surveillance des militants lyonnais.
Une rapide chronologie des événements
précédent l'attentat de l'Assommoir semble donc nécessaire
pour tenter de saisir les motivations derrière la mise en place d'une
surveillance politique du mouvement anarchiste lyonnais. Tout d'abord, Pierre
Kropotkine écrit dans Le Révolté
le 25 décembre 1880 un article encourageant
déjà la propagande par le fait -plusieurs mois avant le
Congrès de Londres- sans la nommer : « La révolte permanente
par la parole, par l'écrit, par le poignard, le fusil, la dynamite (...)
tout est bon pour nous qui n'est pas la légalité
»27. Puis, dans la nuit du 15 juin
1881, a lieu un attentat manqué contre la statue d'Adolphe Thiers
à Saint-Germain-en-Laye. Si cet événement a
été provoqué par Louis Andrieux via le journal
La Révolution Sociale qu'il a lui-même
fondé28, cela n'en fait pas moins
la première attaque anarchiste de la Troisième République.
Ensuite, quelques mois après le congrès de Londres, Emile
Florion, un jeune ouvrier tisseur se met en tête d'assassiner Gambetta,
mais ne pouvant approcher sa cible, il tire sur un médecin rue
de
25 cf. Chapitre
1.
26 A noter que le mot
« terroriste » n'est pas encore automatiquement employé
à cette période pour qualifier les attentats anarchistes, mais
est utilisé pour qualifier le climat qui traverse la ville de Lyon
après l'explosion de l'Assommoir par le journal Le
Gaulois, le 31 octobre 1882.
27 « L'Action », Le
Révolté, deuxième année, n°22, 25
décembre 1880.
28 cf. Chapitre
2.
90
Neuilly avant de tenter de se suicider le 20 octobre
188129. Alors que sa victime s'en sort
indemne et que lui-même a échoué à se donner la
mort, il déclare lors de son procès « Vive la
révolution sociale 30 ».
Cependant, Jean Maitron ne considère pas cet événement
comme un acte de propagande par le fait, mais plutôt comme un geste
désespéré puisque le jeune ouvrier venait d'être
licencié et tente de se suicider juste après
l'attaque31. Ceci n'empêche pas les
militants anarchistes de célébrer Emile Florion et son action
contre les « bourgeois », comme l'illustre un article du
Droit Social paru le 30 avril 1882 : « Eh bien,
nous aussi, en avant ! En avant les Florion (...) jusqu'au jour où le
dernier bourgeois disparaîtra
»32. On peut ensuite citer l'acte de
l'ouvrier Fournier à la suite d'une grève à Roanne en mars
1882 qui est considéré comme « la propagande par le fait la
plus féconde » par les rédacteurs du journal Le
Révolté33. Le
jeune ouvrier sans travail a en effet ouvert le feu sur le patron qu'il
considérait comme responsable de la crise mais ne l'a pas blessé.
Cependant, il regrette par la suite son acte et ne s'est jamais
revendiqué anarchiste34.
Finalement, ce sont les agissements de la « Bande Noire
» de Montceau-les-Mines au milieu de l'année 1882 qui rendent
publique la menace anarchiste. Jean Maitron propose un récit
éclairant sur ces évènements :
« Depuis quelques temps on signalait dans la
région industrielle et minière, qui a pour centres principaux
Montceau-les-Mines et Le Creusot, des conciliabules mystérieux tenus la
nuit dans les bois. L'opinion publique rattachait ces réunions suspectes
à des menées socialistes dont le but immédiat restait mal
défini et à une organisation secrète qu'on
désignait communément sous le nom de Bande
noire35. »
Ainsi, à partir du mois d'août 1882,
cette « Bande noire » mal identifiée s'attaque la nuit aux
croix catholiques qui parsèment la région tout en envoyant des
lettres de menaces aux notables de Montceau, notamment le curé et le
maire de la ville. À la suite d'attaques à la dynamite et
à la hache d'une chapelle de Bois-Duverne et finalement sa mise à
feu le 15 août 1882, le gouvernement décide de réprimer
violemment le groupe, aboutissant au procès de
29 Jean Maitron,
Le Mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit.,
p.210.
30 La Gazette des tribunaux,
27-28 février 1882.
31 Jean Maitron,
Le Mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit,
p.210. 32« La Véritable Lutte », Le
Droit Social, Première année, n°12, 30 avril
1882.
33 « Mouvement Social - France »,
Le Révolté, quatrième
année, n°3, 1er Avril 1882.
34 Jean Maitron,
Le Mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit.,
p.154-155.
35 Ibid.,
p.155.
91
vingt-trois ouvriers appartenant à des Chambres
syndicales36. La « Bande noire » apparaît donc comme
le premier mouvement révolutionnaire organisé et en
capacité de se soulever contre la République alors que l'acte
d'accusation considère les inculpés comme des « membres
violents du parti ouvrier » liés aux « foyers de propagande
collectiviste ou anarchiste »37. Cependant, les participants
aux actions de Montceau-les-Mines ne revendiquent aucunement le principe de la
propagande par le fait et ne se considèrent pas comme des militants
anarchistes. L'avocat des accusés, M. Laguerre, déclare ainsi
dans sa plaidoirie : « Les Chambres syndicales et la
fédération de Saône-et-Loire n'ont [...] absolument rien en
commun avec le parti anarchiste de Lyon »38. Pourtant, les
agissements de Montceau sont ancrés dans la conscience collective comme
les premières actions d'un mouvement anarchiste qui vient remettre en
cause l'équilibre politique et social de la
République.
Ceci n'empêche pas la préfecture du
Rhône d'investir des fonds dans la surveillance du mouvement anarchiste
lyonnais au début des années 1880. Celle-ci prend la forme
classique de présence d'agents de police lors de réunions
militantes ou repose sur des indicateurs intégrés aux groupes
libertaires. Quels types d'informations la préfecture du Rhône
recueille t-elle à l'aide de ses méthodes de surveillance ? Par
ailleurs, il nous faut vérifier si les futurs accusés de janvier
1883 font l'objet d'un large contrôle, et ceci précédemment
à l'attentat de l'Assommoir. C'est sous la cote 4M 307 Agissements
anarchistes (1881-1883) des ADR que nous retrouvons un grand nombre de preuves
de cette surveillance39. Dans cette boîte réunissant
plus de cinq-cents documents, on dispose de nombreux rapport du commissaire
spécial près de la préfecture du Rhône à
destination du secrétaire général de la Police. Ils sont
souvent très détaillés et la précision des
informations nous amène à penser qu'elles sont en grande partie
fournies par des indicateurs « infiltrés »40
36 Ibid.,
p.156.
37 Acte d'accusation
cité dans Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France,
tome 1, op.cit., p.157.
38 La Gazette des
tribunaux, 22 décembre 1882.
39 ADR, 4M 307.
Agissements anarchistes (1881-1883).
40 Comme nous l'avons
déjà évoqué dans le Chapitre 1, le terme «
infiltré » est à manier avec précaution. En effet,
les indicateurs de la police ne sont pas des agents ou des mouchards
envoyés par leur hiérarchie espionner les groupes mais semblent
plutôt être des militants engagés qui décident de
donner des informations sur leurs compagnons contre de l'argent.
92
au sein du mouvement anarchiste. Aussi, c'est
semble-t-il sur cette boîte que Marcel Massard s'appuie pour
décrire les activités des anarchistes lyonnais avant l'attentat
de Bellecour41. Par exemple, il reprend le rapport du commissaire
spécial concernant une réunion publique en date du 22 octobre
1881 qui a résulté en un grand désordre42. Il
est en effet écrit à la fin du rapport : « Cette
réunion, comme je l'avais prévu, avait attiré un public
assez nombreux, mais elle n'a provoqué que des rires et de
l'indifférence pour les organisateurs et les orateurs qui s'y sont fait
entendre »43. Ce sont des documents similaires que nous
retrouvons sous la cote 4M 307 et qui nous confirment l'attention dont font
l'objet les militants anarchistes, d'autant plus qu'on retrouve un rapport ou
une note envoyée quasi quotidiennement entre 1881 et 188344.
Néanmoins, certaines archives issues de cette boîte renseignent
sur les méthodes de surveillance employées par la police
lyonnaise et nous apportent un premier éclairage sur le procès
des 66. Le 6 janvier 1882, le commissaire spécial détaille le
contenu d'une réunion qui a eu lieu au domicile de Toussaint Bordat, ce
qui confirme donc que c'est une personne nécessairement proche des
militants qui a pu récolter ces informations échangées
dans un cadre privé45. Ce rapport est envoyé plus d'un
an avant le procès et on y retrouve déjà le nom de
plusieurs des accusés : « Hier soir la commission des sections du
parti socialiste révolutionnaire s'est réunie chez le sieur
Bordat. Y assistaient les deux frères Trenta pour la section de la
Guillotière. Borias, Dupuis et Déamicis pour la section des
Brotteaux ; Ribeyre et Martin pour la section de la Croix-Rousse46
». En plus de nous permettre de constater cette surveillance accrue de
plusieurs membres du mouvement anarchiste, ce rapport indique la façon
dont les militants perçoivent ce contrôle politique :
« Borias et Bordat ont manifesté des
inquiétudes au sujet de l'attitude du Gouvernement et
déclaré que M. le Préfet du Rhône et celui de
Marseille seront probablement changés et remplacés par des
fonctionnaires à poigne sous prétexte que M. Gambetta veut se
débarrasser non pas des révolutionnaires car il y en a dans tous
les rangs comme dans tous les comités, mais des
41 Marcel Massard,
Histoire de mouvement anarchiste à
Lyon...,op.cit., p.38-58.
42 Ibid.,
p.44.
43 ADR, 4M 307, «
Rapport sur la Réunion publique organisée par le parti Socialiste
Révolutionnaire tenue le Samedi 22 Octobre 1881 au domicile du sieur
Bens, salle de la Perle, à la Croix Rousse ».
44 Ce nombre de documents
vient encore confirmer que la préfecture du Rhône a mis en place
un véritable réseau de surveillance du mouvement
libertaire.
45 ADR, 4M 307. Lettre du
commissariat spécial près la préfecture du Rhône en
date du 6 janvier 1882.
46 Ibid. En gras
nous avons indiqué les militants inculpés lors du procès
des 66.
93
anarchistes auxquels il en veut. Bordat a
ajouté que d'après les renseignements qu'il avait reçus de
Paris, il n'y avait rien d'étonnant à ce qu'une belle nuit on fit
une razzia des anarchistes. En conséquence et en prévision d'un
coup de main de cette nature il a engagé ceux du parti en mesure de
pouvoir le faire à s'armer d'un revolver et, en cas d'arrestation de
nuit, à en faire usage sans crainte, attendu qu'en pareil cas il y a
légitime défense47.»
Les militants ont donc conscience de la surveillance
dont ils font l'objet et se préparent à de potentielles
arrestations. Ils estiment aussi que cette répression est la
volonté du gouvernement républicain qui cherche à «
se débarrasser » de ses opposants. Les anarchistes se
considèrent donc comme les véritables ennemis de la
République et ont conscience du contrôle politique auquel ils sont
soumis. Ceci est confirmé par les informations très
précises détenues par la police sur les membres les plus actifs
du mouvement, notamment leur profession et leur adresse, comme en
témoigne une liste de noms retrouvée sous la cote 4M
30748. Ainsi, la police connaît l'identité et l'adresse
de 116 personnes - dont 13 femmes indiquées à la fin -
présentes lors d'une réunion privée le 17 septembre 1881.
D'une part, ceci appuie l'idée que des individus insérés
dans le mouvement renseignent la police ; nous sommes dans le cadre d'une
réunion privée à laquelle n'aurait pu assister un agent de
police et il faut bien connaître les compagnons pour disposer d'autant
d'adresses. D'autre part, on constate la présence sur cette liste des
noms et adresses de plusieurs futurs accusés du procès des 66
soit 21 individus identifiés sur cette liste49. La police
lyonnaise possède dès le mois de septembre 1881, soit plus d'un
avant l'explosion de Bellecour, les informations nécessaires pour
procéder aux perquisitions et arrestations de plusieurs militants
anarchistes. Par ailleurs, on retrouve dans la boîte 4M 307 une «
Liste des membres du parti socialiste révolutionnaire Lyonnais »
datant de 1882 - nous n'avons pas plus de précisions sur la date - mais
elle indique l'adresse de 54 militants50. Neuf d'entre eux font
partie des accusés du procès de
47 Ibid. Ces
personnes sont : Joseph Bernard, Auguste Blonde, Toussaint Bordat, Henry
Boriasse, Jean Marie Bourdin, Jospeh Victor Bruyère, Michel Antoine
Chavrier, Lazard Adolphe Dard, Jean Marie Dupoizat, Jospeh Genoud, Michel
Huggonard, Pierre Martin, Jules Charles Morel, François Pautet, Jacques
Peillon, Joseph Etienne Ribeyre, Jean Marie Thomas, Joseph Trenta, Jules
Trenta, Emile Viallet, Charles Voisin.
48 ADR, 4M 307. «
État des personnes ayant assisté à la Réunion
privée du parti socialiste révolutionnaire tenue le 17 septembre
1881, chez Célérier, rue St- Elisabeth, 108 ».
49 Ibid. «
État des personnes ayant assisté à la Réunion
privée du parti socialiste révolutionnaire tenue le 17 septembre
1881, chez Célérier, rue St- Elisabeth, 108 ».
50Ibid. « Liste
des membres du parti socialiste révolutionnaire Lyonnais »,
1882.
94
janvier 1883 et on peut se demander si ces «
états d'identités » ont été dressés en
vue de futures arrestations.
Malgré les informations détenues par la
police lyonnaise sur les motivations répréhensibles des
compagnons, la machine d'État a eu besoin d'un événement
déclencheur pour entrer en action et s'attaquer à la menace que
représente le mouvement anarchiste pour la
République.
3.2- Les enjeux d'un procès pour l'exemple
Ainsi, l'explosion du café de l'Assommoir a
deux conséquences directes mais bien distinctes. D'une part, ce crime
politique contre la République nécessite une réponse
publique qui passe par l'identification et l'arrestation d'un coupable. D'autre
part, il apparaît comme le prétexte tant attendu pour enfin tenter
d'étouffer les voix discordantes du régime puisque les partisans
de la révolution sont accusés de vouloir reformer l'Association
Internationale des Travailleurs (AIT), interdite par la loi Dufaure de mars
1872. L'attentat de Bellecour légitime alors l'arrestation de dizaines
de militants dans les semaines suivantes et permet aux forces policières
d'envoyer un signal à l'ensemble des militants anarchistes du territoire
français. La vague d'arrestation qui coïncide avec l'explosion et
le procès qui en découle dépassent la simple
réponse sécuritaire et révèlent les logiques
politiques de l'administration du maintien de l'ordre
républicain.
A) Administrer l'arrestation des militants anarchistes
Le processus d'arrestation qui suit l'explosion de
l'Assommoir révèle en effet toute l'ampleur et la
complexité de la machine d'État engagée dans ce processus
de lutte contre un ennemi politique venu de la gauche de la République.
Ceci nous permet alors de ne pas aborder le procès des 66 comme une
réaction logique à l'attentat de Bellecour, mais bien comme le
moment où se révèle l'administration de la coercition
légitime.
Dans un premier temps, nous souhaitons
déterminer la chaîne de commandement qui conditionne
l'enquête sur l'explosion du 22 octobre 1882 et les arrestations qui s'en
suivent. Ceci nous permet de nous interroger sur l'autonomie que la
préfecture du Rhône dispose en pratique vis-à-vis du
ministère de l'Intérieur et d'analyser les méthodes
employées par la
95
police lyonnaise en réaction à
l'attentat. Un dossier dépouillé aux AN dédié
à l'attentat du café-théâtre Bellecour et à
celui du bureau de recrutement de Lyon qui a eu lieu le lendemain51
nous permet d'étudier le fonctionnement de l'administration de la
coercition légitime dans le cadre de cette affaire52. On y
apprend que le préfet du Rhône informe immédiatement par
télégramme le ministre de l'Intérieur de l'explosion du
théâtre Bellecour dès le 23 octobre53. Deux
jours plus tard, voici la réponse télégraphique de Paris
à la préfecture :
« J'attends de vous, par
télégramme, les détails les plus circonstanciés sur
les deux explosions du café de Bellecour et du bureau de recrutement,
les victimes qu'elles ont faites, leurs auteurs présumés et le
résultat des recherches dont ils sont l'objet. Urgence extrême
à assurer rapide et complète
répression54.»
La dernière phrase apporte de nouvelles
interrogations : faut-il réprimer violemment les auteurs de l'attentat
car c'est en effet un acte criminel ? Le ministre sous-entend-il qu'il faille
réprimer le mouvement libertaire lyonnais qui semble avoir
fomenté l'explosion ? Ce télégramme annonce-t-il la tenue
du procès des 66 trois mois plus tard ? Cette dernière
hypothèse confirmerait donc que l'explosion de Bellecour est
l'événement qui enclenche le processus de répression des
anarchistes par la machine d'État. Par ailleurs, à la vue de la
gravité de l'affaire qui fait plusieurs blessés et causera
même le décès du jeune employé de commerce Louis
Miodre55, il est nécessaire pour la police d'arrêter au
plus vite le poseur de bombe. C'est sur l'ouvrier tisseur et gérant du
journal anarchiste l'Etendard Révolutionnaire, Antoine Cyvoct,
que se portent les soupçons56. Ceci explique alors pourquoi
un des dossiers du coffre du ministère de l'Intérieur dit «
Fonds Panthéon » conservé aux Archives nationales concerne
le jeune militant lyonnais57. Ici, on retrouve une lettre du
préfet du Rhône adressé au ministre de l'Intérieur
le 25 octobre 1882 et où il indique avoir « cru devoir prendre
et
51 Une seconde explosion a
eu lieu à Lyon le 23 octobre 1883 à un bureau de recrutement,
personne n'a été blessé.
52 AN, F7 121516. Agissements
anarchistes - Rhône (1882-1900) ; Seine (1892-1900).
53Ibid. Télégramme du 23
octobre 1882, Préfet à Intérieur.
54 Ibid.
Télégramme du 25 octobre 1882, Intérieur
à Préfet du Rhône.
55 Marcel Massard,
Histoire de mouvement anarchiste à Lyon..., op.cit.
p.61.
56 Nous évoquons en
détail cette question dans la sous-partie suivante.
57 AN, F7 15943/1. «
Fonds Panthéon » Antoine Cyvoct.
96
provoquer les mesures exceptionnelles (...) pour
rechercher les auteurs ou les complices de ces attentats »58.
Tous les agents de la préfecture du Rhône sont donc
mobilisés dès le 23 octobre - « dès le lundi matin
» dans la lettre - pour arrêter au plus vite le ou les coupables.
C'est aussi dans cette lettre que les « anarchistes » sont
désignés pour la première fois comme les responsables de
l'explosion de Bellecour et du bureau de recrutement59. On peut donc
supposer que « les mesures exceptionnelles » évoquées
sont les perquisitions et arrestations de différents militants
déjà connus des services de police. Il explique cependant qu'il a
renforcé la surveillance des milieux anarchistes et s'est appuyé
sur le procureur de la République pour ordonner la coopération du
commissaire spécial de la Sûreté et celui de la
préfecture du Rhône sur ces questions de
renseignements60. Cette lettre est donc centrale pour comprendre le
déroulé de l'enquête concernant l'attentat de l'Assommoir
et le rapport de la police lyonnaise au mouvement libertaire. Néanmoins,
comme nous l'avons précédemment expliqué, l'administration
du maintien de l'ordre est une technostructure composée de plusieurs
acteurs61 et la réaction de la machine d'État à
la suite de l'explosion du théâtre Bellecour n'implique pas
seulement les forces de police lyonnaises. C'est pourquoi nous retrouvons dans
les Archives de la Préfecture de Police plusieurs documents
révélant l'implication de l'institution parisienne dans
l'enquête menée sur l'attentat. Louis Andrieux, toujours
député du Rhône au moment où il devient
préfet de police, met en place une surveillance des anarchistes
Lyonnais, vraisemblablement poursuivies par son successeur Ernest Camescasse,
et dont la preuve se trouve sous la cote BA 394 « Menées des
socialistes et des anarchistes à Lyon (1881-1885) »62.
À la suite de l'explosion de l'Assommoir, plusieurs
télégrammes sont transmis par les « agents secrets » de
l'institution parisienne présents dans la région lyonnaise. Par
exemple, un individu qui signe sous le patronyme Havas rédige depuis
Lyon le 26 octobre 1882 un télégramme faisant état de
l'arrestation de deux individus potentiellement impliqués dans
l'attentat63. Ceci nous montre donc que la
58 Ibid. Lettre du
préfet du Rhône au ministre de l'intérieur le 25 octobre
1882.
59 Ibid. Lettre du
préfet du Rhône au ministre de l'intérieur le 25 octobre
1882.
60 Ibid. Lettre du
préfet du Rhône au ministre de l'intérieur le 25 octobre
1882.
61 cf. Chapitre
2.
62 APP, BA 394.
Menées des socialistes et des anarchistes à Lyon
(1881-1885).
63 Ibid.
Télégramme Lyon, 26 octobre 1882, Havas
Paris.
97
préfecture de Police se tient au courant de
l'avancée de l'affaire via des canaux de communication
indépendants de sa hiérarchie. Cette méthode tend à
confirmer l'idée que l'institution parisienne jouit d'une
véritable autonomie vis-à-vis des autres institutions du maintien
de l'ordre, se situant à part dans la technostructure policière
et cherchant à s'émanciper de toute subordination. Cependant, la
mise en place de ce type de pratiques n'empêche pas la machine
d'État de l'impliquer aux côtés des autres acteurs du
maintien de l'ordre lorsque la République se retrouve menacée par
le mouvement anarchiste. Ainsi, le 8 novembre 1882, le Préfet de police
reçoit un courrier de l'intérieur le priant d'envoyer plusieurs
de ses agents pour aider à faire avancer l'enquête concernant
l'attentat du café Bellecour :
« Monsieur le Préfet, M. Le Garde des
Sceaux Ministre de la Justice, me fait connaître que la police de
sûreté de Lyon, malgré son zèle et son
dévouement ne peut à l'heure actuelle suffire à sa
tâche. Il ajoute que l'opinion publique et les magistrats du Parquet,
accueilleraient avec une satisfaction marquée l'envoi d'un certain
nombre d'agents de votre Préfecture64.»
Ce document nous révèle à la fois
que la préfecture du Rhône se retrouve à traiter cette
affaire de grande ampleur et qu'elle bénéficie d'un
éclairage important de la part de la presse. De plus, ceci indique que
la technostructure policière n'est pas la seule impliquée dans
l'enquête, puisque la justice prend aussi sa place dans l'administration
de la coercition légitime65. Ces documents nous montrent
aussi comment se met en place la coopération entre les différents
acteurs du maintien de l'ordre.
Il nous paraît maintenant nécessaire de
revenir sur les arrestations des futurs accusés de janvier 1883 en
analysant leur temporalité et en montrant qu'elle dépasse
largement le cadre de l'enquête de l'attentat de Bellecour. Dans son
mémoire portant sur le procès des 66 et la presse lyonnaise,
Laurent Gallet apporte un éclairage intéressant sur la vague
d'arrestations des militants anarchistes lyonnais à la fin de
l'année 1882 en réalisant un tableau « récapitulatif
de l'état des 66 accusés du procès de Lyon
»66. Il se base notamment
64 Ibid. Lettre du
Ministère de l'Intérieur au Préfet de Police, 8 novembre
1882.
65 Cette question est
traitée dans le Chapitre 4.
66 Laurent Gallet,
Le mouvement anarchiste et la presse lyonnaise...,
op.cit.,(non-paginé).
98
sur les cartons 4M30767 et
4M30868 conservées aux ADR, ainsi que sur d'autres
informations tirées du dictionnaire biographique du mouvement ouvrier
69 et des articles de presse de l'époque. Nous reproduisons
en annexe 2 ce tableau que nous avons complété et nous
présentons ici les enseignements que nous pouvons en tirer. Tout
d'abord, Laurent Gallet indique que sept des futurs accusés du tribunal
correctionnel de Lyon sont en prison au moment où se produit l'attentat.
On sait en effet que Claude Crestin a été condamné au mois
d'août précédent à la suite de la diffusion d'un
article, à deux ans de prison et 100 francs d'amande pour provocation
à crimes, meurtres et pillages mais aussi à un an et un jour de
prison pour outrage à magistrat70. Ensuite, on constate que
Toussaint Bordat a lui été arrêté quelques jours
avant l'attentat dans le cadre de l'affaire de la bande noire de
Montceau-les-Mines71. Laurent Gallet précise dans son livre
sur l'attentat de Bellecour publié en 2015, que Bordat a fait l'objet
d'une instruction lancée par le procureur de Charolles dès le 12
octobre 1882 à la suite d'affichage de placards anarchistes la veille de
l'explosion de la maison d'un industriel à Saint-Vallier72.
La série U « Justice » des ADR nous confirme par ailleurs
l'attention portée à certains militants anarchistes dont
Toussaint Bordat73. Aussi, sous la cote
2 U 433-434 on retrouve un document indiquant qu'un
mandat d'arrêt a été délivré contre
Régis Faure à Chalon-sur-Saône dès le 20 octobre
188274. Cependant, la notice biographique
67 ADR, 4M 307.
Agissements des anarchistes ; poursuites contre Joseph Bonthox et Crestin ;
rapports de police (1881 - 1883).
68 ADR, 4M308.
Procès des anarchistes (janvier 1883) ; état des condamnés
; souscriptions en faveur des détenus ; articles de presse ;
pièces de procédure (1883).
69 Le Maitron [en
ligne] accessible via :
http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/
70
http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article79498,
notice CRESTIN Claude, Dominique par Maurice Moissonnier, version mise en ligne
le 30 mars 2010, dernière modification le 30 mars 2010.
71
http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article153823,
notice BORDAT Toussaint [Dictionnaire des anarchistes] par Jean Maitron, notice
revue par Rolf Dupuy et Laurent Gallet, version mise en ligne le 7 mars 2014,
dernière modification le 17 décembre 2018.
72 Laurent Gallet,
Machinations et artifices..., op.cit.,
p.61-62.
73 ADR, 2 U 433-434. 16
août 1882. BORDAT Toussaint, BERNARD Joseph, BONTHOUX CRESTIN et autres.
Affiliation à une société internationale (dossier
incomplet).
74 Ibid.16
août 1882. BORDAT Toussaint, BERNARD Joseph, BONTHOUX CRESTIN et autres.
Affiliation à une société internationale (dossier
incomplet).
99
d'Octave Liégeon ne précise aucune date
d'arrestation dans le cadre du procès75 et celle de Pierre
Martin affirme seulement que celui-ci a été arrêté
à la « mi-octobre » 188276 ; ceci ne nous dit pas
si elle précède bien l'explosion du théâtre
Bellecour. Dans son livre, Laurent Gallet, sans donner de date précise,
explique néanmoins que Liégeon et Martin sont en premier lieu
poursuivis dans le cadre d'une procédure instruite par le juge
d'instruction de Chalon-sur-Saône77. Par ailleurs, l'historien
indique dans le même ouvrage que Michel Sala et Victor Fages ont en fait
été arrêtés début décembre 1882 donc
bien après l'attentat78. Concernant, Antoine Desgranges,
Laurent Gallet a corrigé sur la notice du Maitron le statut du militant,
arrêté le 25 octobre 188279, d'autant plus qu'il
affirme dans son livre qu'il est soupçonné d'être l'auteur
de l'explosion de l'Assommoir 80. Il faut donc prendre les
données de Laurent Gallet avec précaution et les croiser avec
d'autres sources pour établir une chronologie des arrestations des 66
accusés de Lyon. Nous retrouvons alors aux ADR sous la cote 4M 307 un
sous-dossier intitulé « Parti Anarchique - Arrestation du 19 au 24
octobre 1882 » dans lequel est classé un courrier du commissaire
spécial du Rhône adressé au secrétaire
général de la Police de Lyon. Il est alors indiqué qu'un
mandat d'arrêt a été délivré contre Jolly,
Péjot et Renaud le 23 octobre 1882 pour « meurtre assassinat dans
le but d'exciter à la guerre civile »81. On note en
effet l'arrestation de Péjot dès le 24 octobre dans le tableau de
Laurent Gallet et la fuite des deux autres compagnons. Il explique par ailleurs
dans Machinations et Artifices que le peu de preuves
réunies contre les compagnons concernant l'explosion de l'Assommoir et
les soupçons portés sur Antoine Cyvoct font basculer
leur
75
http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article82671,
notice LIÉGEON Octave, version mise en ligne le 30 mars 2010,
dernière modification le 30 mars 2010.
76
http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article154338,
notice MARTIN Pierre [Dictionnaire des anarchistes] par Jean Maitron, Guillaume
Davranche, version mise en ligne le 13 mars 2014, dernière modification
le 21 mars 2015.
77 Laurent Gallet,
Machinations et artifices..., op.cit.,
p.69.
78 Ibid.,
p.72.
79
http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article153899,
notice DESGRANGES Antoine [Dictionnaire des anarchistes] par Laurent Gallet,
version mise en ligne le 5 avril 2014, dernière modification le 6 avril
2014.
80 Laurent Gallet,
Machinations et artifices..., op.cit.,
p.66.
81 ADR, 4M 307. «
Parti Anarchique - Arrestation du 19 au 24 octobre 1882 », lettre du
commissariat spécial au Secrétaire général pour la
Police, 24 octobre 1882.
100
arrestation dans le cadre du procès des
6682. Cependant, ce que nous révèle le tableau de
Laurent Gallet c'est que la majorité des 66 a été
arrêtée le 19 novembre 1882. Dans son livre, l'historien explique
que la veille près de 7000 personnes se sont réunies lors d'une
manifestation anarchiste pour répondre aux attaques qui se tiennent
depuis l'explosion de l'Assommoir contre les militants
libertaires83. En réponse à ce rassemblement, la
police arrête vingt-sept animateurs du mouvement qui sont alors
inculpés pour affiliation à une société
internationale et non dans le cadre de l'explosion du 22 octobre84.
Marcel Massard affirme pour sa part que « les pouvoirs publics
étaient décidés à impliquer [les anarchistes] afin
de s'en débarrasser » ; le 19 novembre est selon lui un « coup
de filet contre les membres de la Fédération
révolutionnaire »85. Du côté des ADR on
retrouve plusieurs documents relatant cette vague d'arrestations. Un rapport du
commissaire spécial de la Sûreté de Lyon daté du 15
au 19 novembre 1882 indique l'arrestation de quatorze militants anarchistes
pour « affiliation à une association Internationale des
Travailleurs »86. De plus, un télégramme
chiffré envoyé par le préfet du Rhône au ministre de
l'Intérieur donne une liste de vingt-sept militants anarchistes - nombre
que l'on retrouve dans le tableau de Laurent Gallet - arrêtés dans
le cadre de l'exécution d'un mandat décerné par le juge
d'instruction du tribunal de Lyon87. Si le télégramme
confirme que les individus sont arrêtés pour affiliation à
l'A.I.T., le préfet précise à la fin de son envoi : «
Je crois savoir que le juge d'instruction a déclaré les mandats
en raison tant des renseignements locaux dont vous aurez copie que de ceux de
Chalons et de Charolles »88. À partir de ce
moment-là, le cadre de l'instruction pour l'attentat du
théâtre Bellecour a largement été
dépassé pour entrer dans une phase de répression
assumée du mouvement anarchiste.
Les militants arrêtés avant le 19
novembre et à un moment suspectés d'avoir fomenté
l'explosion du 22 octobre 1882, se retrouvent impliqués dans une vaste
opération de
82 Laurent Gallet,
Machinations et artifices..., op.cit.,
p.66.
83 Ibid.,
p.68.
84 Ibid.,
p.69.
85 Marcel Massard,
Histoire du mouvement anarchiste à Lyon...,op. cit.,
p.62-63.
86 ADR, 4M 307. Rapport du 15
au 19 novembre 1882, le Commissaire spécial de la Sûreté au
préfet.
87 Ibid. Chiffre
spécial, Préfet à intérieur Paris, non
daté.
88 Ibid. Chiffre
spécial, Préfet à intérieur Paris, non
daté.
101
répression du mouvement anarchiste lyonnais.
S'il est logique que la machine d'État réagisse lorsque le
régime républicain est menacé, les réponses qu'elle
apporte questionne la pratique du pouvoir des républicains qui va
à l'encontre de la doctrine libérale.
B) La nécessité de désigner un
coupable
Si le procès des 66 ne juge pas les coupables
de l'attentat de Bellecour mais le mouvement anarchiste pour tentative de
reconstitution de l'AIT, il est nécessaire de répondre aux
attentes du public ému par cet acte de violence en désignant un
responsable. Le militant et gérant de presse Antoine Cyvoct se
révèle être le candidat idéal. Il a en effet
publié un article intitulé « Un bouge » dans le journal
libertaire Le Droit Social le 12 mars 1882. Dans
celui-ci il incitait ses camarades de lutte à s'en prendre au
théâtre Bellecour89. Une chasse à l'homme
s'engage donc dès le lendemain de l'explosion alors que Cyvoct se
réfugie en Suisse avant d'être arrêté en
Belgique.
Cité lors du procès des 66 en janvier
1883 alors qu'il est en fuite, son instruction se tient devant la cour
d'assises du Rhône en décembre de la même année.
Pourtant, Antoine Cyvoct a toujours clamé son innocence et n'est
d'ailleurs pas reconnu comme le poseur de bombe du théâtre
Bellecour. Il est en fait jugé coupable d'avoir incité à
commettre ce crime ce qui lui vaut une condamnation à mort90.
Si sa peine est finalement commuée en travaux forcés au bagne de
Nouvelle-Calédonie91, le procès du jeune militant
anarchiste vient confirmer le rôle de la machine d'État dans la
répression des opposants politiques de la République. D'une part,
Cyvoct à l'instar des condamnés du procès des 66 est
soumis à la surveillance accrue de l'administration policière. En
effet, Laurent Gallet indique que son nom apparaît pour la
première fois dans les archives de la police lyonnaise le 7 août
1882 dans un rapport indiquant qu'à la suite d'une réunion, le
jeune homme est désigné comme le nouveau gérant du
journal
89 « On y voit surtout
après minuit, la fine fleur de la bourgeoisie et du commerce...Le
premier acte de la révolution sociale devra être de
détruire ces repaires ». Extrait de
l'article « Un bouge » publié dans Le Droit
Social et reproduit dans Laurent Gallet, Machinations
et artifices..., op.cit., p. 393.
90 Ibid., p.
192.
91 Ibid.,
p.204.
102
l'Etendard Révolutionnaire92. Dans
le « Fonds Panthéon » conservé aux archives nationales,
on retrouve par ailleurs l'extrait d'un rapport de la préfecture du
Rhône en date du 19 août 1882 donnant un grand nombre
d'informations sur le militant anarchiste :
« Le sieur Cyvoct (Antoine Marie) gérant
du Journal l'Etendard n'est âgé que de 21 ans, il fait partie de
la classe 1881 et se trouve compris ( ?) sous le N° 160 dans la
première portion du contingent (...) Il appartient à une famille
considérée à Lyon, ses parents lui ont fait donner une
instruction assez complète, chez les frères de la doctrine
chrétienne (...) Par suite de la fréquentation de ce débit
de boissons [lieu où Cyvoct a rencontré Bordat], il est devenu
subitement un membre actif du parti révolutionnaire93.
»
Ce document que nous ne présentons pas dans son
entièreté, révèle que la police suit de près
Antoine Cyvoct depuis qu'il s'est rapproché des cercles anarchistes
lyonnais. De plus, un rapport classé sous la même cote confirme
que Cyvoct est surveillé par les services de police de la région
dès le 22 août 188294, soit trois mois avant l'attentat
du théâtre Bellecour. Ce contrôle politique est
assumé par les services policiers de Lyon puisqu'il est rapporté
à sa hiérarchie. Le ministère de l'Intérieur sait
donc que la préfecture du Rhône a mis en place une surveillance du
mouvement libertaire et est informé quotidiennement - comme c'est le cas
à Paris avec le préfet de Police95 - de
l'activité du « parti anarchiste » dans la région.
Aussi, le 31 août 1882 la préfecture du Rhône rapporte que
Cyvoct lors d'une réunion anarchiste ayant eu lieu le 16 août, a
proféré des menaces de mort contre les juges et jurés qui
ont condamné ses camarades anarchistes Claude Crestin et Joseph
Bonthoux96. Un autre rapport daté du 3 octobre de la
même année indique que Cyvoct « préconise la
grève des conscrits » lors de réunions publiques et «
se disposerait à partir pour la Belgique afin de se soustraire à
l'appel sous les drapeaux97 ». Enfin, un document est
envoyé au ministère de l'Intérieur par le commissaire
spécial de Lyon le 18 octobre indiquant que Cyvoct « est toujours
disposé à
92 Ibid.,
p.27.
93 AN, F7 15943/1. «
Fonds Panthéon ». Antoine Cyvoct. Extrait d'un rapport du
préfet du département du Rhône en date du 19 août1
882.
94Ibid. . Extrait
d'un rapport du préfet du Rhône en date du 22 Août
1882.
95 cf. Chapitre
2.
96 AN, F7 15943/1. «
Fonds Panthéon » Antoine Cyvoct. Extrait d'un rapport du
préfet du Rhône, le 31 Août
1882.
97Ibid. Extrait d'un
rapport du préfet du Rhône, le 6 octobre 1882.
103
passer la frontière » supposant ainsi que
le jeune lyonnais se trouve encore dans la région quatre jours avant
l'explosion de Bellecour98. Néanmoins, le militant anarchiste
ayant toujours clamé son innocence publie une défense dans le
journal l'Hydre Anarchiste en 188499, quelques mois avant
son départ pour le bagne de Nouvelle-Calédonie. Il affirme avoir
quitté Lyon le 9 octobre 1882 pour échapper aux poursuites
liées à son arrestation du 7 octobre100. Les archives
de la police lyonnaise étant « muettes » entre le 9 octobre et
l'attentat du 22 octobre selon l'expression de Laurent Gallet, elles ne nous
permettent pas d'établir la présence de Cyvoct à Lyon
durant cette période101. Par ailleurs, il explique avoir pris
la décision de quitter Lyon car des nouvelles venues de Paris
indiquaient des arrestations dans la région à la suite des
troubles de Montceau-les-Mines. En effet, Bordat venait de se faire
arrêter et il avait le « pressentiment » qu'il n'était
pas en sécurité à Lyon102. Ceci rappelle le
document étudié précédemment daté du mois de
janvier 1882 et expliquant que Bordat s'attend à une potentielle
arrestation massive de militants anarchistes commandée par le
gouvernement103.
Par ailleurs, si le procès des « 66 »
a marqué l'histoire à cause de sa nature politique, celui de
Cyvoct revêt une dimension beaucoup plus dramatique. En effet,
l'accusé n'est aucunement déclaré coupable d'avoir
posé la bombe à l'Assommoir mais d'avoir incité à
cet attentat par la publication d'un article dans Le Droit
Social104. Le procès s'achève malgré tout en
une condamnation à mort pour Antoine Cyvoct, jugement inattendu de
l'aveu des jurés eux-mêmes105. Ce verdict,
disproportionné à la vue de ce qui est reproché au
militant anarchiste, fait l'objet de réactions contrastées. Dans
le Fonds Panthéon on retrouve un dossier nommé « Impression
produite par la condamnation à mort prononcée contre Cyvoct
»
98 Ibid. «
Fonds Panthéon » Antoine Cyvoct. Lettre du 18 Octobre 1882. «
Fonds Panthéon ».
99 « Défense de Cyvoct », L'Hydre
Anarchiste, première année, n°3, 9 mars
1884.
100Ibid., 9 mars
1884.
101 Laurent Gallet, Machinations et
artifices..., op.cit., p. 45.
102 « Défense de Cyvoct », L'Hydre
Anarchiste, première année, n°3, 9 mars
1884.
103 ADR, 4M 307. Lettre du commissariat spécial
près la préfecture du Rhône en date du 6 janvier
1882.
104 On a précédemment
évoqué l'article « Un bouge » reproduit dans le livre
Laurent Gallet Machinations et artifices...,
op.cit., p. 393.
105 Ibid. p. 192.
104
et rapportant à la fois les sentiments des
camarades de l'accusé et l'opinion des « honnêtes gens
»106. Les habitants de Montceau-les-Mines, région
où les groupes anarchistes sont très actifs, se disent
soulagés de la condamnation de Cyvoct alors que ses partisans
s'abstiennent de tout commentaire107. À la Chaux-de-Fonds,
les militants sont « exaspérés » par le jugement auquel
ils ne s'attendaient pas et certains appellent à de nouveaux attentats
en représailles108. Il est important de noter que ni
l'opinion publique, ni les partisans de l'accusé, et encore moins les
jurés, ne s'attendaient à la peine capitale pour celui qui a
été déclaré « complice » de l'explosion.
En effet, comme le rapporte le journal le
Progrès, le jury a signé le recours en grâce
concernant le jeune Cyvoct109. Par ailleurs, dès le 14
décembre, le ministre de l'Intérieur demande au préfet du
Rhône de lui transmettre un rapport concernant ce recours en grâce
ainsi que son avis110. Le fonctionnaire indique se ranger du
côté de l'avis du président des Assises et du procureur
général, tous les deux en faveur à ce que la peine de
Cyvoct soit commuée en travaux forcés à
perpétuité111. Si le jeune militant échappe
finalement à la peine capitale, ces réactions mettent en
lumière toute l'ambiguïté de l'administration coercitive
dans sa mission de répression du mouvement anarchiste.
Il lui faut répondre aux attentes d'une
société française inquiétée par la menace et
protéger le régime républicain contre ces «
agitateurs » tout en restant dans un cadre défini par une
société libérale. Cependant, l'influence que la machine
d'État exerce sur le pouvoir exécutif remet en cause la doctrine
gouvernementale. Le processus qui entraine l'arrestations d'un grand nombre de
militants lyonnais et le procès qui en découle illustre une
pratique de pouvoir prenant le pas sur les principes démocratiques.
L'analyse en détail du procès des 66 met en lumière le
« multi-institutionnalisme » du maintien de l'ordre et
révèle la dimension
politique qui conditionne les institutions
judiciaires.
106 AN, F7 15943/1. « Fonds Panthéon »
Antoine Cyvoct.
107 Ibid. « Fonds
Panthéon » Antoine Cyvoct. Rapport du 15 décembre
1883.
108 Ibid., Rapport du 17
décembre 1883.
109 Ibid., Extrait du journal
Le Progrès, le 22 décembre
1883.
110 Ibid.,
Télégramme chiffré du 14 décembre
1883.
111 Ibid., Lettre du 19
décembre 1883.
105
Chapitre 4 : De la police à la justice
politique
« Vous croyez ainsi montrer que vous êtes,
comme on dit, des hommes de gouvernement ; vous montrez seulement que vous
êtes des hommes d'autorité absolue »1.
A la fin de l'année 1882, la préfecture
du Rhône applique toute l'étendue de ses méthodes de police
politique pour écrouer les principaux acteurs du mouvement anarchiste.
Du 8 au 19 janvier 1883 se tient devant le tribunal correctionnel de Lyon le
« procès-spectacle » du « parti révolutionnaire
» dont se délecte la presse et les députés les plus
conservateurs2. Le procès des 66 apparaît avant tout
comme un procès politique et non la condamnation d'un mouvement
terroriste ; ceci révèle les contradictions d'un pouvoir
exécutif libéral qui tente par tous les moyens d'empêcher
un mouvement de gauche contestataire de se développer3. Les
soixante et une condamnations pour tentative de reconstitution de l'AIT
affaiblissent en effet le mouvement, mais divisent le camp républicain
pris dans l'engrenage de la machine d'État. Ce n'est pas seulement la
technostructure policière qui contraint le gouvernement à
réprimer les anarchistes, mais un système de justice politique
entièrement dévoué à la protection du
régime.
Dans ce chapitre, il est donc nécessaire de
s'interroger sur ce que révèle le procès des 66 de
l'administration de la coercition légitime. Les institutions
policières n'ont pas le monopole de la répression politique
puisque l'appareil judicaire détient lui aussi une place importante au
sein de la machine d'État. En outre, bien plus qu'une réponse
publique à la menace anarchiste qui pèse sur la
République, le procès des 66 s'inscrit dans un contexte plus
large de légitimation du nouveau régime de gouvernement face aux
« ennemis de l'intérieur ».
1 Georges Clemenceau
à la Chambre des députés le 27 janvier 1883 à
propos des hommes du gouvernement et du procès des 66,
Journal Officiel de la République
Française, 28 janvier 1883, p.154.
2 Voir Laurent Gallet,
Le mouvement anarchiste et la presse lyonnaise..., op.cit,
(non paginé).
3 Jean Maitron,
Le Mouvement anarchiste en France..., op.cit
p.173.
106
4.1 - La notion de délit d'opinion en
République
Dans un premier temps, le procès des 66
présente une première rupture dans le contrat libéral
conclu par les républicains lors de leur arrivée au pouvoir en
1879. Cette instruction semble entrer en contradiction avec les lois concernant
la liberté de la presse et de réunion, puisque les anarchistes
sont jugés pour reconstitution de l'AIT, interdite par la loi Dufaure
promulguée en 1872. Par conséquent, la notion de délit
d'opinion est au centre des débats devant le tribunal correctionnel de
Lyon au début de l'année 1883. À la Chambre des
députés, ce sont les représentants de la gauche radicale
qui s'insurgent contre cette atteinte aux libertés fondamentales
à l'instar de Georges Clemenceau4. Néanmoins, c'est
dans la presse que l'on retrouve plus précisément l'opinion des
différentes forces politiques sur ce procès comme le soutient
Laurent Gallet dans son mémoire5.
Alors que les opportunistes alertent sur la menace que
représente selon eux l'Internationale pour le régime en place,
les oppositions de droite et de gauche considèrent le procès des
66 comme un moyen pour les Républicains d'asseoir leur pouvoir de
répression6. Cet événement met aussi en avant
les fractures d'une société française divisée entre
conservateurs et radicaux que les opportunistes ont tenté
d'unifier.
A) Soixante-six condamnés pour tentative de
reconstitution de l'Internationale
Le procès, qui dure une dizaine de jours, est
marqué par les déclarations éloquentes des militants les
plus aguerris se défendant pour la plupart eux-mêmes7.
Ceci est un moyen pour eux de faire la promotion de la doctrine libertaire et
de révéler les contradictions du libéralisme absolu
associé à la Troisième République.
4 Voir séance de la
Chambre des députés du 23 janvier 1883, Journal
Officiel de la République Française, 23 Janvier
1883, p.115.
5 Voir Laurent Gallet,
Le mouvement anarchiste et la presse lyonnaise..., op.cit. (non
paginé).
6 Cette synthèse en
ligne résume les différentes positions politiques
vis-à-vis du procès :
https://rebellyon.info/La-presse-lyonnaise-et-les
7 C'est le cas de Pierre
Kropokine, Toussain Bordat, Joseph Bernard et Emile Gautier.
107
Un compte-rendu des débats devant le tribunal
correctionnel intitulé Le procès des anarchistes
devant la police correctionnelle et la Cour d'appel de Lyon
réalisé par des partisans du mouvement
constitue la source principale des historiens souhaitant étudier
l'événement8. Les éditeurs de cette chronique
dénoncent un « procès de tendance » et assument leur
volonté de défendre les anarchistes contre les accusations
d'affiliation à l'Internationale9. Ils font le choix de ne
pas publier les plaidoiries des avocats constituant l'ensemble de l'audience du
18 janvier : « Du reste, notre livre étant publié pour la
propagande des idées anarchistes et non pour publier ce que peuvent
penser des avocats bourgeois sur les lois et légalité (...) nous
n'avons pas cru devoir les insérer »10. Ce choix
éditorial souligne les larges tensions politiques que cristallisent le
procès des 66 et qui divisent la société française.
Cependant, du côté des publications « bourgeoises »,
nous ne retrouvons pas de chroniques similaires prenant la défense de la
République. Même la revue annuelle Causes criminelles
et mondaines, éditée par Albert Bataille et relatant
les affaires judiciaires de l'année écoulée, fait mention
des procès de Montceau-les-Mines et du gréviste Fournier mais pas
de celui de Lyon11. Ceci ne l'empêche pas de se placer
clairement du côté du gouvernement lorsqu'il s'agit de la
répression du mouvement anarchiste : « L'année 1882 marque
une évolution nouvelle de l'armée socialiste et anarchiste. Pour
la première fois depuis la Commune, les révolutionnaires passent
des paroles aux actes, et la « justice bourgeoise » est forcée
d'intervenir12.»
Par conséquent, Jean Maitron, Marcel Massard ou
encore Laurent Gallet se sont donc largement appuyés sur Le
procès des anarchistes pour relater le jugement des 66 dans
leurs oeuvres respectives. Tout d'abord, il est important de noter que des
mesures de sécurité exceptionnelles sont prises dès le
début du procès : pour accéder à l'audience il faut
présenter
8 Toussaint Bordat, et
al., Le procès des anarchistes devant la police correctionnelle et
la Cour d'appel de Lyon, op.cit. ; nous n'avons
pas retrouvé de documents retranscrivant l'ensemble du procès et
avons conscience du biais que présente cette source. Dans les dossiers
d'archives, nous retrouvons seulement des comptes rendus succincts des
journées du procès rédigés par des agents de
polices assistant aux audiences n'apportant pas d'informations
complémentaires.
9 Ibid. «
Avant-Propos ».
10 Ibid.,
p.111.
11 Ces
évènements sont évoqués dans le chapitre
3.
12 Albert Bataille,
Causes criminelles et mondaines. 3, année 1882.
E. Dentu, 1883, p.313.
108
une carte spéciale, d'abord à
l'extérieur du palais de justice puis une nouvelle fois avant de
pénétrer à l'intérieur de la grande salle où
se déroule l'instruction13. Aussi, la compagnie
entière du 98e de ligne de l'armée garde le hall du
palais de justice, tandis qu'une douzaine de gendarmes de réserves
occupent la salle d'audience alors que chaque prévenu est entouré
par deux agents de police14. Ces dispositions de
sécurité perturbent largement le procès. Les
accusés se plaignent d'ailleurs dès le deuxième jour de
l'audience qu'il leur est impossible de suivre les interrogatoires, ayant
beaucoup de mal à entendre les déclarations à cause des
forces de l'ordre occupant plus de la moitié de l'espace15.
Ce même jour, la femme de Kropotkine fait un malaise durant
l'interrogatoire de son mari expliquant qu'il y a « des gens en nombres si
pressé qu'il n'y a plus moyen de respirer »16. En outre,
les compagnons subissent pendant l'audience diverses provocations. Bordat
interrompt l'interrogatoire de Jules Trenta rapportant qu'un capitaine
d'infanterie l'a menacé lui et ses amis en tenant les propos suivants :
« J'ai arrangé vos camarades de la Commune, et si vous aviez
affaire à moi, je vous arrangerai de même »17. Le
lendemain, Péjot fait connaître au début de son
interrogatoire qu'il s'est fait traiter de « pâle voyou » par
un journaliste présent dans la salle18. Enfin, les
rédacteurs du compte-rendu du procès indiquent que Didelin
déclare lorsqu'on l'interroge qu'un agent de police l'a traité de
lâche lors de son arrestation19. Ainsi, le procès se
déroule dans une atmosphère particulièrement
tendue.
L'accusation a divisé les soixante-six
prévenus en deux groupes. Certains sont accusés d'être
affiliés depuis moins de trois ans à une association
internationale quand d'autres sont en plus chargés d'avoir occupé
des fonctions dans ladite association20. Si la majorité des
militants assument leur appartenance à des groupes anarchistes et
réaffirment les principes de la doctrine libertaire, ils remettent en
cause l'accusation d'appartenance à l'Internationale,
13 Marcel Massard,
Histoire de mouvement anarchiste à Lyon..., op.cit.,
p. 63.
14 Laurent Gallet,
Machinations et artifices..., op.cit.,
p.75.
15 Le procès des
anarchistes..., p. 29.
16 Ibid., p.
31.
17 Ibid., p.
35.
18 Ibid.,
p.47.
19 Ibid.,
p.50.
20 Jean Maitron,
Le Mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit..
p.171.
109
puisqu'elle a été dissoute en
187721. Emile Gautier, militant reconnu pour ses qualités de
propagandiste et d'orateur rejette cette idée dans la défense
qu'il présente aux jurés le 13 janvier 1883 :
« Ai-je le droit d'être anarchiste ?
Voilà la véritable et la seule question de ce procès. Il
résulte en effet du réquisitoire que l'Internationale
n'est autre chose que la Fédération lyonnaise ; or je n'en
fais pas partie. Cette Internationale, -démontrée, on sait
comment, par l'instruction - n'existe donc pas en tant qu'association et, par
suite, ne tombe pas sous le coup de la loi de 1872. L'association est chose
précise, strictement définie : où est le siège
social de celle-ci ? où est sa caisse ? quels sont ses statuts ?
où est l'administration de cette société que vous
poursuivez ? Est-ce que les congrégations religieuses, les
jésuites, la franc-maçonnerie ne sont pas des associations
internationales ? Les sociétés financières
elles-mêmes ne sont-elles pas aussi internationales ? (...) L'ancienne
Internationale était bien réellement une association, mais elle
est tombée au Congrès de la Haye. La loi de 1872 punit le
délit d'affiliation à l'Internationale ; or, il est bien certain
que le mot affiliation veut dire réception dans une
société après certains engagements (...) La conclusion
s'impose donc d'elle-même : l'Internationale n'existe
pas22.»
Malgré les longs débats et
l'éloquence de certains des accusés pendant leurs
interrogatoires, seulement cinq d'entre eux sont acquittés par le
verdict prononcé le 19 janvier 1883. Les soixante et un autres subissent
des peines allant de six mois de prison, cinquante francs d'amendes et cinq ans
d'interdiction de droits civils à cinq ans de prison, deux mille francs
d'amende, dix ans de surveillance et quatre ans d'interdiction des droits
civils23. Kropotkine, Gautier, Bernard et Bordat, les militants les
plus connus des soixante six accusés sont soumis à la plus
extrême des condamnations, considérées comme lourdes pour
une affaire de délit d'opinion24. Nous reproduisons en
détail dans un tableau présenté en annexe de ce chapitre
les différentes peines auxquelles sont condamnés les militants et
ainsi constater la sévérité du jugement. Est-il en
adéquation avec les dispositions prévues par la loi Dufaure de
1872 ?
Il est donc nécessaire de regarder de plus
près le contenu de cette loi du nom du garde des Sceaux de
l'époque et votée le 14 mars 1872 un an après
l'écrasement de la Commune de Paris par le gouvernement de «
l'ordre moral ». Le texte de cette législation visant à
interdire l'Association Internationale des Travailleurs est reproduit en annexe
de ce chapitre. Or nous constatons que l'article deux prévoit pour
affiliation à l'AIT une peine de trois mois à deux
21 Marcel Massard,
Histoire du mouvement anarchiste à Lyon..., op.cit.,
p.65.
22 Toussaint Bordat, et al.,
Le procès des anarchistes...,
p.84.
23 Ibid.,
p.134.
24 Jean Maitron,
Le Mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit..,
p.173.
110
ans de prison, une amende de 50 à 4000 francs
ainsi qu'une privation des droits civils pendant cinq ans au moins et dix ans
au plus pour tout français ou étranger25. Aussi, les
membres qui « auront accepté une fonction dans une de ces
associations ou qui auront sciemment concouru à son
développement, soit en recevant ou en provoquant à son profit des
souscriptions » peuvent être soumis à une peine de cinq ans
de prison, à une amende de 2000 francs et à la surveillance de la
haute-police pour cinq ans au moins et dix ans au plus d'après l'article
trois26. Le jugement apparaît donc conforme à ce qui
est prévu par la loi, néanmoins nous pouvons nous demander si
cette dernière est digne d'une République libérale. Au
moment de sa promulgation en mars 1872, elle a suscité de nombreux
débats et a été dénoncée par les
Républicains alors minoritaires à la Chambre. Par exemple, le
député syndicaliste et ancien membre de l'AIT Henri Tolain
développe une longue argumentation le 4 mars 1872 contre la
législation, insistant sur le fait que l'Internationale est devenue un
bouc émissaire universel27. Deux jours plus tard, c'est le
célèbre député socialiste Louis Blanc qui reproche
à la loi de ne pas condamner des actes mais des doctrines et donc de
créer un « délit intellectuel »28. Enfin, le
14 mars 1872, dernier jour de débats à la Chambre avant
l'adoption de la loi, les discussions se concentrent sur la liberté des
ouvriers à s'organiser ainsi que leur place dans le système
capitaliste. Henri Tolain s'empresse alors de déclarer : « Il est
légitime que les ouvriers puissent s'entendre et se concerter pour la
défense de leur salaire ; mais il est illégitime, il est
dangereux, il est coupable qu'ils puissent suspendre le travail
»29. Le député de la Seine insiste donc sur la
question de la liberté d'opinion qui est au centre de cette loi. Ceci
n'empêche pas la Chambre d'adopter l'article premier de la loi ce jour
là à 493 voix pour et 106 contre30. Cependant, son
utilisation lors du procès des anarchistes à Lyon en janvier 1883
fait ressurgir les débats sur la liberté d'expression qui
divisent le camp républicain au pouvoir.
25 Loi Dufaure, 14 mars 1872,
Art.2.Voir Annexe 3.
26 Loi Dufaure, 14 mars 1872,
Art.3.Voir Annexe 3.
27 Voir la séance du 4
mars 1872, Journal Officiel de la République
Française, 5 mars 1872, p.1568.
28 Voir la séance du 6
mars 1872, Journal Officiel de la République
Française, 7 mars 1872, p.1615.
29 Henri Tolain à
la Chambre des députés le 13 mars 1872, Journal
Officiel de la République Française, 14 mars 1872,
p.1809.
30 Ibid.,
p.1814.
111
Dès leur arrivée au pouvoir en 1879, les
opportunistes accordent l'amnistie aux communards mais ne remettent pas en
cause la loi Dufaure. Il faut y voir ici la volonté d'unifier la nation
française à la suite de l'installation définitive de la
République et non de rétablir l'Internationale qui continue
à diviser les citoyens autant que la classe politique. Cependant, le
procès de Lyon et l'application de la loi du 14 mars réactive les
tensions qui divisent le camp républicain à la Chambre, qui
s'expriment publiquement dans les journaux de l'époque.
B) Un procès et une doctrine anarchiste largement
débattus
Comme nous interrogeons la contradiction qui existe
entre la tenue d'un procès d'opinion et les valeurs libérales
prônées par le nouveau régime, nous cherchons à
avoir la vision du gouvernement opportuniste et de ses opposants politiques sur
l'événement de 1883. Or, c`est à la lecture des journaux
de l'époque que nous pouvons déterminer l'opinion des
différentes forces politiques à propos de l'instruction des
anarchistes31.
Dans un premier temps, nous constatons que les
journaux conservateurs et républicains dressent des portraits peu
flatteurs des militants anarchistes. Le Courrier de Lyon
organe précédemment orléaniste mais
apparemment républicain modéré durant cette
période32 décrit les militants comme des «
Inconscients qui portent sur le front la preuve palpable de leur
déformation intellectuelle »33. De son
côté, Le Progrès, connu pour son
républicanisme et le soutien qu'il témoigne au régime en
place, considère les anarchistes comme « de pauvre diables au
cerveau mal équilibré »34. Pour sa part,
Le Nouvelliste, quotidien ouvertement clérical
et royaliste, s'en prend au philosophe Pierre Kropotkine écrivant que
« (ses) utopies contrastent singulièrement avec celles qui germent
généralement dans un cerveau bien équilibre
»35. Si ces feuilles d'horizons politiques différents
diffusent une image des accusés très similaire, elles'opposent
définitivement lorsqu'il en vient de proposer une analyse de
la
31 Les journaux et
articles cités par la suite sont tiré du mémoire de
Laurent Gallet Le mouvement anarchiste et la presse lyonnaise: le
procès des 66 de 1883 et de la synthès
publiée sur le site rebellyon.info :
https://rebellyon.info/La-presse-lyonnaise-et-les#nb19
32 D'après Laurent
Gallet dans Le mouvement anarchiste et la presse lyonnaise...,
(non paginé).
33 Le Courrier de
Lyon, 11 janvier 1883.
34 Le
Progrès, 20 janvier 1883.
35 Le Nouvelliste,
16 janvier 1883.
112
doctrine anarchiste. Ainsi, les périodiques les
plus conservateurs n'hésitent pas à attribuer au régime
Républicain la paternité du mouvement
révolutionnaire36. La Décentralisation,
organe légitimiste réduit la pensée
libertaire à une « théorie républicaine
poussée jusqu'au bout »37. Le Salut
public, d'obédience cléricale et monarchiste,
écrit « entre la doctrine de Monsieur Ferry et celle de
l'anarchiste Gautier, on s'aperçoit qu'il n'y a que des nuances (...) ce
sont les enfants du même père ; ils ont été nourris
au même lait »38. Le journal bonapartiste La
Comédie Politique va même jusqu'à affirmer que
l'anarchisme est une fiction créée de toute pièce par le
gouvernement opportuniste cherchant à se légitimer39.
En réponse à ces accusations, les journaux républicains
reprochent aux précédents régimes de nourrir la doctrine
anarchiste, à l'instar du Courrier de Lyon:
« (...) ce n'est pas la république qui les [anarchistes] a faits.
Ils ont appris ce qu'ils savent sous l'Empire (...) la république est
obligée de prendre ses précautions pour se garder des plus
dangereux produits de la société impérialiste et de
l'éducation impériale d'autrefois »40. Et une
dizaine de jours après avoir attaqué le Second Empire, le
quotidien républicain modéré accuse les anarchistes du
procès de Lyon de s'être alliés avec les Monarchistes en
faisant appel à des « avocats royalistes » d'après le
journal, dans le seul but de faire tomber la République41.
Ainsi, chaque camp politique instrumentalise le mouvement anarchiste pour
attaquer et décrédibiliser son adversaire.
Analysons maintenant les réactions de ces
différents journaux à l'annonce du verdict et leurs avis sur les
condamnations - très lourdes pour certaines - qui concernent
soixante-et-un des soixante six prévenus. Les journaux soutenant le
gouvernement opportuniste trouvent que le verdict est adéquat et
appellent la République à montrer l'exemple dans la lutte contre
« les ennemis de l'intérieur ». En effet, Le
Rhône estime que le procès est un moyen pour la
République de « rallier au régime actuel bien des
conservateurs qui ne voyaient le salut de la France que dans une
réaction monarchique, seule capable, d'après eux, de garantir la
sécurité
36 Laurent Gallet,
Le mouvement anarchiste et la presse lyonnaise...,
op.cit., (non paginé).
37 La
Décentralisation, 17 janvier 1883.
38 Le Salut public,
15 janvier 1883.
39 La Comédie
Politique, 25 mars 1883.
40 Le Courrier de Lyon,
11 janvier 1883.
41 Le Courrier de
Lyon., 25 janvier 1883.
113
du pays »42. Le Courrier
de Lyon accepte aussi ce jugement qui permet de légitimer
le nouveau régime : « Si l'on avait renvoyé indemnes les
anarchistes du procès de Lyon, il est incontestable que la
société ne se serait pas crue défendue par les lois
actuelles ; Et les feuilles réactionnaires auraient beau jeu à
crier : voilà ce que la République nous vaut ! »
43. Du côté des organes conservateurs, les avis sont
moins uniformes. L'Eclair, journal
catholique, estime à la suite du procès en appel que les
accusés n'ont pas suffisamment été punis44.
Cependant, Le Salut public fait le choix de remettre
en cause l'intérêt de l'affaire qui n'est « pas aussi grande
qu'on pouvait le supposer »45. Ainsi, l'étude de la
presse lyonnaise au moment de la tenue du procès des 66
révèle que la question anarchiste complexifie le traditionnel
clivage conservateurs/ républicains. Comme l'explique Laurent Gallet,
« la presse républicaine modérée cherche à
légitimer le procès en affirmant que l'Internationale complote
contre la sécurité du pays » alors que les oppositions de
gauche comme de droite estiment que « ce procès n'a pas de raison
d'être ; il est un simple faire-valoir nécessaire au maintien du
gouvernement »46.
Par ailleurs, si nous insistons sur les articles parus
dans les journaux à l'époque c'est parce qu'ils illustrent
clairement les positions des différents groupes politiques. En
étudiant ci-dessous les débats que peut susciter le procès
des 66 à la Chambre des députés, nous constatons avant
tout les divisions qui traversent le camp républicain. Le 23 janvier
1883, soit quatre jours après le verdict rendu par le tribunal
correctionnel de Lyon, les députés discutent au palais bourbon
une loi relative à la réforme de la justice dont la question de
l'inamovibilité des magistrats. Le député radical Georges
Clemenceau en profite alors pour qualifier de « procès politiques
» les instructions de Lyon et de Montceau, condamnant des «
malheureux pour avoir exprimé des opinions et sans qu'aucun fait ait
été relevé contre eux »47. Puis, quelques
jours plus tard, le représentant du 18e arrondissement de
Paris reprend
42 Le Rhône,
22 janvier 1883.
43 Le Courrier de Lyon,
15 mars 1883.
44 L'Eclair, 17 mars
1883.
45 Le Salut public,
9 janvier 1883.
46 Laurent Gallet,
Le mouvement anarchiste et la presse lyonnaise...,
op.cit., (non paginé).
47 Georges Clemenceau
à la Chambre des députés le 23 janvier 1883,
Journal Officiel de la République
Française, 24 janvier 1883, p.115.
114
la parole pour dénoncer la stratégie des
opportunistes consistant à réprimer les opposants du
régime pour se légitimer. Il accuse en effet les opportunistes de
renoncer aux doctrines libérales instaurées par la
Révolution française avant de déclarer : « Vous
croyez ainsi montrer que vous êtes, comme on dit, des hommes de
gouvernement ; vous montrez seulement que vous êtes des hommes
d'autorité absolue »48. Clemenceau rejette l'idée
que la pratique du pouvoir doit remettre en cause les valeurs sur lesquelles
les républicains se sont fait élire. Les soutiens du gouvernement
se retrouvent alors à défendre le verdict répressif du
procès des 66 qui rentre directement en contradiction avec la
République. Ce qui permet à Louis Andrieux de déclarer
devant la Chambre toute la haine que lui inspire le mouvement anarchiste. Alors
que l'assemblée débat sur « la situation des membres des
familles qui ont régné en France», l'ancien préfet de
Police redevenu « simple » député du Rhône
prononce les paroles suivantes :
« Les hommes qui ont incendié Paris et
ceux qui ont assassiné les otages ne sont pas des citoyens ! Ceux qui,
dans les réunions publiques, ceux qui, dans les journaux, nient
l'idée de patrie ne sont pas des citoyens ! Les membres des associations
internationales ne sont pas des citoyens. Je le répète, avec ces
distinctions subtiles, on peut justifier toutes les mesures arbitraires, toutes
les mesures contre la liberté49.»
Les tensions politiques qui se sont
cristallisées autour du procès de Lyon réapparaissent
à la Chambre et soulignent l'échec des opportunistes dans leur
tentative d'unifier le camp républicain. Cette opposition
révèle aussi la volonté du gouvernement d'apparaître
comme légitime aux yeux d'une société bourgeoise par sa
capacité à maintenir l'ordre. Par conséquent, lorsque le
député de gauche radical Henri Maret dépose une
proposition de loi d'amnistie pour les condamnés de Lyon et
Montceau-les-Mines, Waldeck-Rousseau refuse en faisant appel à
l'argument de l'autorité du pouvoir exécutif :
« Nous ne croyons pas qu'il y ait lieu de voter
la proposition de l'honorable M. Maret ; non pas que nous ayons le moins du
monde l'intention de crier au péril social, - la société
française n'est pas en péril par les anarchistes, -mais de ce que
la société n'est pas en péril je ne pense pas qu'il
s'ensuive que les lois doivent rester vaines (...) Dans ce prétendu
mouvement anarchiste, vous trouverez un certain nombre d'individualités,
une poignée de factieux, quelques malfaiteurs, quelques malades ; vous
ne trouverez rien qui, de près ou de loin, puisse représenter un
parti dans la nation... et par conséquent on peut envisager ces faits
avec autant de sécurité et d'aversion.
48 Georges Clemenceau
à la Chambre des députés le 27 janvier 1883,
Journal Officiel de la République
Française, 28 janvier 1883, p.154.
49 Louis Andrieux à
la Chambre des députés le 1er février 1883,
Journal Officiel de la République
Française, 2 février 1883, p.206.
115
Mais quand il s'agit d'un acte politique, quand il
s'agit de savoir si l'on est en présence de personnes qui
méritent une mesure de clémence comme l'amnistie, j'affirme qu'il
faut se souvenir de ce qu'ils sont, se rappeler ce qu'ils ont dit et ne pas
leur faire dans votre clémence et dans votre pitié une part
qu'ils n'ont certes pas encore méritée50.
»
Le ministre de l'Intérieur n'accorde aucun
crédit à une menace anarchiste capable de renverser l'ordre
social bourgeois, mais en fait un exemple de la démonstration du
monopole de la violence légitime du pouvoir républicain. Et dans
sa volonté d'asseoir son autorité, le gouvernement
considère légitime de bafouer le principe de liberté
d'opinion pourtant fondateur du régime. Par ailleurs, ces paroles de
Waldeck-Rousseau sont en totale adéquation avec les arguments
avancés par la presse républicaine en faveur du
jugement.
En somme, au delà de la condamnation du
mouvement anarchiste, c'est la question de la liberté d'opinion et des
principes établis par les lois de 1881 qui entrent en jeux. Le
gouvernement arrivé au pouvoir en 1879 se retrouve pour la
première fois à faire un choix entre ses valeurs libérales
et le besoin d'asseoir sa légitimité. La machine d'État
dévoile qu'elle ne se repose pas seulement sur la technostructure
policière mais que l'administration judiciaire a aussi un rôle
à jouer dans la politique du maintien de l'ordre au début des
années 1880.
4.2 - La magistrature, autre acteur de la
répression politique
Nous constatons que les discussions à la
Chambre des députés au moment du procès des 66
s'inscrivent toujours dans un débat plus large concernant la
réforme de la justice. Par conséquent, pour saisir tous les
enjeux liés à la répression du mouvement anarchiste au
début des années 1880, il nous faut nous intéresser de
plus près à l'institution judiciaire. Celle-ci permet
d'étendre l'analyse de la technostructure du maintien de l'ordre en
interrogeant la place des magistrats dans l'appareil d'État
républicain. Si la notion d'indépendance de la justice fait
partie intégrante de l'idéologie libérale, ce principe
fondamental est mis à l'épreuve par l'administration judiciaire
D'une part, les travaux de Royer et Machelon révèlent la limite
de l'épuration des cadres juridiques à l'instar de ceux de la
haute police et
50Pierre Waldeck-Rousseau
à la Chambre des députés le 19 mars 1883,
Journal Officiel de la République
Française, 20 mars 1883, p.665.
116
présentent la magistrature comme un corps
relativement conservateur51. D'autre part, les dossiers des
magistrats conservés aux AN retracent le parcours d'hommes souvent en
fonction sous le second empire récompensés pour avoir traduit en
justice les anarchistes de Lyon52. Ces éléments nous
permettent alors d'étudier la dimension politique de la justice sous la
Troisième République.
A) Encore un héritage du régime
impérial ?
« La notion de justice politique a toujours
suscité une grande répugnance chez les esprits libéraux
» écrit le juriste Jean-Pierre Machelon dans son ouvrage
La République contre les libertés
?53. Partant de ce postulat, il est
logique de trouver dans la tradition républicaine une opposition de
principe à ce concept. Or, en 1883, seuls les députés les
plus radicaux semblent encore attacher de la valeur à un pouvoir
judiciaire indépendant, les opportunistes trouvant un
intérêt politique à faire de la justice une autre
composante de la machine d'État.
Comme pour l'administration policière, il est
nécessaire de s'interroger sur une possible épuration des
institutions judiciaires par les républicains en 1879 et plus
particulièrement sur le corps de la magistrature dont les «
compromissions avec l'ordre impérial » n'ont pas été
oubliées par les plus libéraux54. Le débat sur
la réforme de l'organisation judicaire qui se tient à la Chambre
tout au long de l'année 1883 fait écho aux positions des
députés les plus radicaux. Ainsi, Camille Pelletan argumentant en
faveur d'un changement en profondeur de la magistrature en profite pour
évoquer les liens de ses membres avec le Second Empire :
« Et alors, messieurs, je me rappelais ces
longues protestations contre la magistrature inamovible qui remplissent les
programmes politiques depuis le commencement de ce siècle. Je me
rappelais le rôle politique de la magistrature depuis le jour où
elle a bien un peu traîné sa robe dans la boue
51 Jean-Pierre Royer et
al. Histoire de la justice en France: du XVIIIe siècle
à nos jours. Puf, 2016. et Jean-Pierre Machelon, «
L'épuration Républicaine. La loi du 30 août 1883 »
dans L'épuration de la magistrature de la Révolution à
la Libération: 150 ans d'histoire judiciaire,
Éd. Loysel, 1994, p.87-100.
52 AN, BB 6 (II). Dossiers de
carrière des magistrats.
53 Jean-Pierre Machelon,
La République contre les libertés ?...,
op.cit., p.130.
54 Jean-Pierre Royer et al.,
Histoire de la justice en France...,
op.cit., p.689.
117
de décembre, jusqu'à celui où elle a
dépassé, par son concours exubérant, les espérances
et peut-être même les désirs des chefs du gouvernement de
l'ordre moral55. »
Néanmoins, la question de l'épuration de
la magistrature, à l'instar de celle de la police, se pose à
chaque changement de régime. Ainsi, dès le début de
l'année 1871 le ministre de la justice de la Défense Nationale,
Adolphe Crémieux, fait passer deux décrets écartant les
magistrats ayant participé aux commissions mixtes de 185256.
A la suite de la victoire de Thiers à l'Assemblée fin
février 1871, Jules Dufaure est nommé garde des Sceaux et fait
voter un texte le 25 mars de la même année pour annuler les
décrets Crémieux57. Par ailleurs,
l'inamovibilité des magistrats n'est pas remise en cause durant cette
période, et lorsque Dufaure est nommé président du conseil
en 1877 il s'attaque aux réformes mises en place à la chute de
l'Empire pour préserver une magistrature à tendance conservatrice
en accord avec l'opinion de la société française de cette
période58. Nous pouvons ici faire un parallèle avec
les épurations et les contres épurations qui ont touché la
direction de la Sûreté Générale en 1870 directement
liées au changement de majorité59. En 1873, lors du
retour du gouvernement de l'ordre moral, la magistrature se ferme aux candidats
républicains60. Les tensions politiques qui marquent
l'année 1877 voient l'institution judiciaire se faire instrumentaliser
par le pouvoir conservateur promouvant des avocats à tendance
Bonapartiste61. La victoire des Républicains par la suite
permet à Jules Dufaure de reprendre son poste de ministre de la justice
mais sa réforme reste modérée - il écarte seulement
les magistrats les plus notoirement antirépublicains - et ne remet pas
en cause la question de l'inamovibilité de ce corps de
55 Camille Pelletan
à la Chambre des députés le 28 mai 1883,
Journal Officiel de la République
Française, 29 mai 1883, p.1089.
56 Association
française pour l'histoire de la justice, L'épuration de la
magistrature de la Révolution à la Libération: 150 ans
d'histoire judiciaire, ed. Loysel, 1994,
p.70-71.
57 Ibid.,
p.75.
58 Ibid.,
p.77.
59 cf. Chapitre
2.
60 Association
française pour l'histoire de la justice, L'épuration de la
magistrature de la Révolution à la
Libération...,
op.cit. p.78-79.
61 Ibid.,
p.79-80.
118
justice62. La similarité avec
l'appareil policier est flagrante : les opportunistes s'attaquent à la
réforme du personnel qui a une dimension publique mais ne contestent pas
les fondements de l'institution. La machine d'État se constitue
largement des institutions instaurées par les régimes
précédents.
Cependant, en comparaison avec les mandats de Jules
Dufaure, cette question de la réforme de la magistrature semble
être au centre des réflexions républicaines dès la
fin des années 1870, puisque Jules Grévy déclare
dès 1878 : « Je ne connais qu'une réforme à
réaliser dans la magistrature, c'est sa suppression »
63. Par la suite, ce débat va se cristalliser autour de la
contradiction qui existe entre la République et l'inamovibilité
de certains corps judiciaires64. Ainsi, la loi du 30 août 1883
révèle que les républicains au pouvoir ne prennent pas de
décisions définitives concernant cette réforme, puisqu'ils
se prononcent seulement pour la suspension d'une durée de trois mois des
magistrats65, continuant à entretenir une relation
ambiguë avec cette institution dépendante du pouvoir
exécutif. Jules Ferry, alors président du conseil, assure la
même année que lui et les opportunistes demandent « des
magistrats respectueux des institutions républicaines, non des
magistrats de combat »66. La question d'une épuration de
la magistrature à défaut de sa suppression apparaît comme
la stratégie privilégiée par le nouveau gouvernement.
C'est dans cette logique que s'inscrit le remplacement d'une grande partie du
personnel du parquet peu de temps après la nomination d'Henry Waddington
à la présidence du conseil en 187967. Selon,
Jean-Pierre Royer et ses coauteurs, malgré les débats qu'elle a
pu susciter, la loi du 30 août 1883 à entraîné
l'éviction de plus de 900 magistrats68. Remettant en cause
les propos de Ferry, Machelon considère que la loi est un « texte
de combat qui ne dit pas son nom »69 et s'apparente à
une épuration brutale
62 Ibid.,
p.81.
63 Cité par
Jean-Pierre Royer et al., Histoire de la justice en France : du
XVIIIe siècle à nos jours, op.cit.,
p.691. 64Ibid.,
p.696.
65 Ibid.,
p.698-699.
66Ibid.,
p.700.
67 Ibid.,
p.706.
68 Ibid.,
p.710.
69Association
française pour l'histoire de la justice, L'épuration de la
magistrature de la Révolution à la Libération...,
op.cit., p.89.
119
pour les 600 magistrats dont les postes ont
été supprimés à la suite de la suspension de
l'inamovibilité70. Néanmoins, les protestions des
radicaux peuvent être considérées comme légitimes
puisque la réforme des opportunistes ne rompt pas avec le système
de « patronage politique » cher aux régimes
précédents, car la nomination des candidats reste l'apanage du
gouvernement71. De plus, Jean-Pierre Machelon relativise largement
l'impact qu'a la législation sur « l'amélioration du statut
des magistrats »72. Le juriste reproche notamment aux
opportunistes leur manque d'ambition réformatrice en 1883, conservant
à leur avantage la servilité du juge au gouvernement qui
l'emploie73. Ceci transparaît directement dans le refus de
l'élection de la magistrature, confirmant de la même façon
des pratiques de nominations héritées de gouvernements
autoritaires. Jean-Pierre Machelon souligne enfin les contradictions de la loi
du 30 août 1883 qui permettent aux opportunistes de maintenir la
magistrature dans leur giron en se contentant de
l'épuration74. De la même façon, la suppression
des postes permet l'élimination des magistrats les plus
conservateurs75. Jules Simon reproche donc au gouvernement de faire
cette « réforme pour faire sortir de la magistrature les magistrats
dont les opinions ne sont pas conformes aux nôtres »76.
Le lendemain, le garde des Sceaux Felix Martin-Feuillé réplique
que la loi permet d'écarter les magistrats les plus hostiles à la
République tout en conservant leur indépendance et que le
rapporteur du projet affirme qu'un gouvernement ne peut pas « conserver
dans des fonctions publiques ses adversaires »77. Machelon
conclut pour sa part que la loi du 30 août s'est
70 Ibid.,
p.94.
71 Ibid.,
p.723.
72 Jean-Pierre Machelon,
La République contre les libertés?..., op.cit.,
p.77.
73 Ibid.,
p.80.
74Association
française pour l'histoire de la justice, L'épuration de la
magistrature de la Révolution à la Libération...,
op.cit., p.90.
75 Ibid.,
p.94.
76 Jules Simon au
Sénat le 19 juillet 1883, Journal Officiel de la
République Française, 20 juillet 1883,
p.938.
77 Felix
Martin-Feuillé au Sénat le 20 juillet 1883, Journal
Officiel. Débats parlementaires. Sénat, 21 juillet
1883, p.937-953.
120
appliquée « dans des conditions
désastreuses pour l'indépendance de la magistrature
»78 en reprenant les mots de Théodore Zeldin affirmant
que la Troisième République a fait des magistrats «
plutôt des fonctionnaires que des arbitres indépendants
»79.
Si les plus remarquables collaborateurs de l'Empire
ont bien été écartés par cette législation
de reforme de la justice, les républicains ne remettent pas en cause
l'inamovibilité des magistrats. Ce corps judiciaire reste donc
attaché à l'État et le procès des 66
révèle alors l'intérêt pour les «
fonctionnaires » de justice de se conformer à la volonté du
gouvernement républicain.
B) Les magistrats : fonctionnaires de l'État avant
tout ?
La Troisième République a fait de la
justice un instrument au service du pouvoir exécutif. Au delà de
la contradiction que représente cette dépendance des magistrats
dans un régime libéral, il est nécessaire de noter que ce
corps judiciaire est plus politique que l'appareil policier. Quel rôle a
alors pu jour cette magistrature réunie autour du triptyque «
religion, famille, propriété »80 dans le
procès des anarchistes qui précède la loi du 30 août
1883 ?
Jean-Pierre Machelon considère que les juges en
charge de l'instruction ont largement bénéficié de la
« confiance » du pouvoir exécutif pour démanteler le
« parti anarchiste »81. Malgré le manque de
preuves, la plupart des militants ont été condamnés
à la peine maximale prévue par la loi Dufaure, ce qui
d'après le juriste révèle la collusion entre le
gouvernement et les membres de la classe judiciaire lyonnaise82.
Néanmoins, cet argument peut paraître un peu faible, et notre
démarche d'historien nous pousse à aller chercher dans les
archives une trace de cette complicité. Nous avons alors pris le temps
de consulter les dossiers de carrières des
78 Association
française pour l'histoire de la justice, L'épuration de la
magistrature de la Révolution à la
Libération..., op.cit.
, p.100.
79 Ibid.,
p.100
80 Ibid.,
p.88
81 Jean-Pierre Machelon,
La République contre les libertés?.., op.cit.,
p.423.
82 Ibid.,
p.424.
121
magistrats impliqués dans le procès des
66 conservés aux Archives Nationales83. Cette source de
l'histoire politique peu exploitée met en lumière la composition
sociale du corps de la magistrature tout en soulignant l'ambiguïté
qui la lie au pouvoir exécutif.
Les archives révèlent que ces «
fonctionnaires » ont souvent bénéficié du soutien de
la part de personnalités des pouvoirs publics et le rôle qu'ils
ont joué dans la répression des militants libertaires en 1883 a
tendance à influencer positivement leur carrière84. Le
premier dossier que nous avons consulté est celui d'Edouard Bloch, alors
Avocat Général à Lyon au moment du procès des 66
puis devenu procureur dans cette même ville à partir de
188585. Son premier poste à Lyon, il le doit en partie au
soutien du sous secrétaire d'État aux travaux publics, David
Raynal, et du sénateur Edouard Millaud qui adresse une note au garde des
Sceaux pour recommander Edouard Bloch86. Ce document vient ainsi
confirmer la thèse selon laquelle le corps de la magistrature souffre de
l'héritage des régimes précédents basés sur
le « copinage politique » et non les nominations
démocratiques87. Ceci démontre qu'au début de
la Troisième République, la séparation des pouvoirs
judicaires et exécutifs n'est pas une priorité. De plus, dans une
lettre de recommandation envoyée au ministre de la justice, David Raynal
qualifie Bloch de « républicain effronté
»88, pouvant sous-entendre qu'il est qualifié pour
répondre aux attentes du gouvernement. L'avocat général de
Lyon fait aussi l'objet de compliments de la part de ses collègues,
à l'instar de Fabreguette procureur général de la ville au
moment de la répression des anarchistes. Il félicite en effet
Edouard Bloch pour le réquisitoire qu'il a mené lors du
procès d'Antoine Cyvoct en décembre 1883, insistant sur son
éloquence supérieure à celle de Laguerre, le
défenseur du jeune militant89. Si Bloch a pour sa
83 AN, BB 6 (II). Dossiers
de carrière des magistrats ; nous remercions Laurent Gallet de nous
avoir indiqué cette source.
84 On a consulté
aux AN les dossiers suivants : BB 6(II)/453. Edouard Bloch ; BB 6(II)/477.
Joseph-Ernest Cuaz ; BB 6(II)/525. Louis-François-Denis-Melchior Jacomet
; BB 6(II)/583. Jean-Marie-Clotilde-Eugène Rigot ; BB 6(II)/607.
Jean-Baptiste Vial.
85 AN, BB 6(II)/453. Edouard
Bloch.
86Ibid. « Note
pour Monsieur Le Garde des Seaux », Paris, le 29 mai 1881.
87 Jean-Pierre Royer et al.,
Histoire de la justice en France : du XVIIIe siècle
à nos jours, op.cit.,
p.723.
88 AN, BB 6(II)/453, Lettre
de David Raynal, 30 octobre 1880.
89Ibid. Note de
Fabreguette, procureur Général à Lyon, le 13
décembre 1883.
122
part commencé sa carrière de magistrat
au tout début de la Troisième République 90, on
constate que plusieurs « fonctionnaires » impliqués dans le
procès des anarchistes ont en fait débuté sous l'empire.
C'est le cas de Joseph-Ernest Cuaz, qui a commencé sa carrière en
août 1869 pour être finalement nommé juge d'instruction
à Lyon en décembre 187991. Dans son dossier de
candidature pour la place de Conseiller à Lyon à laquelle il
postule en 1886, il est indiqué qu'il a « donné plus d'une
fois ses gages au gouvernement de la République qu'il sert loyalement
»92, expliquant pourquoi il a échappé à la
vague d'épuration menée par les opportunistes. Cependant,
l'année suivante, Cuaz et Rigot - un autre magistrat du procès
des 66 - subissent une campagne de dénonciations anonymes les accusant
d'être hostiles au gouvernement :
« Ces deux personnages [Rigot et Cuaz] sont
très antipathiques aux institutions du Gouvernement actuel, et
l'affichent hautement. Tout en faisant un indigne commerce très lucratif
de leur situation judiciaire, au détriment de la véritable
justice (...) Ils passent une partie de leur temps dans le Cercle de la rue de
la République (...) et finissent très souvent le restant [de
leurs nuits] dans des maisons malfamées, en compagnie de la fange du
peuple (...) Le dit Cercle est composé de personnages
réactionnaires au régime de la nation et profitant de toutes les
occasions possibles pour donner des fêtes extraordinaires, toutes les
fois que ces fêtes peuvent être considérés comme
Antipatriotiques. Alors même que pendant les fêtes nationales ils
s'abstiennent complètement, et usent de tout leur pouvoir pour entraver
l'élan du public93.»
Malgré une défense des deux magistrats
rédigée par le président de la cour d'appel de Lyon
assurant leur dévouement au gouvernement94, Joseph-Ernest
Cuaz n'est jamais décoré.
Ce n'est pas le cas de Jean Marie Clotilde
Eugène Rigot, nommé chevalier de la légion d'honneur le 13
juillet 189395. Le cas de ce magistrat ayant commencé sa
carrière sous le Second Empire et échappant à
l'épuration déclenchée par la loi du 30 août 1883,
illustre
90 Edouard Bloch commence
sa carrière comme substitut du procureur à Tour en
décembre 1870. Voir AN, BB 6(II)/453.
91 AN, BB 6 (II)/477.
Joseph-Ernest Cuaz.
92Ibid. «
Présentation du Procureur Général et du Premier
Président pour la place de Conseiller à Lyon en remplacement de
M. Fabre décédé. »
93 Ibid. Lettre
anonyme adressée au Ministre de la Justice et transmisse le 24 mai 1887
au président de la cour d'appel de Lyon.
94 AN, BB 6 (II)/477. Lettre
du Président de la cour d'appel de Lyon au Ministre e la justice, le 23
juillet 1887.
95 AN, BB 6 (II)/583. Jean
Marie Clotilde Eugène Rigot. Voir aussi son dossier de légion
d'honneur conservé sous la cote LH/2332/1 et accessible en ligne via la
base Léonore.
123
particulièrement bien l'ambiguïté
qui existe entre ce corps de justice et les gouvernements dont ils
dépendent. Tout d'abord, nous retrouvons dans son dossier de nombreuses
lettres de recommandations durant la période précédent le
passage à la République questionnant son attachement
idéologique à l'Empire. En effet, dans une lettre en date du 29
janvier 1857 - donc avant que Rigot ne fasse partie de la magistrature - le
procureur général de Nîmes indique au garde des Sceaux que
« Mr. Rigot est trop jeune pour avoir engagé des opinions
politiques, avant les grands événements qui ont récemment
fixé le sort de la France » ajoutant cependant qu'il a les
mêmes sentiments concernant le pouvoir impérial que son parent, le
député Curnier96. Ce dernier semble être le
député Léonce Curnier, représentant du
département du Gard entre 1852 et 1853 et siégeant parmi le
groupe de la majorité dynastique. D'abord soutien du
général Cavaignac en 1848, il oeuvre par la suite au
rétablissement de l'Empire97. L'année suivante, le
Procureur Général de Nîmes dresse un portrait
élogieux du jeune substitut Rigot mais indique que son «
dévouement à la personne ou au gouvernement de l'empereur n'est
pas équivoque »98. Cependant, quelques mois plus tard,
dans le cadre d'une recommandation pour un poste de substitut au procureur, il
conclut la présentation positive qu'il fait de l'avocat par cette phrase
: « Mr. Rigot est dévoué au Gouvernement impérial
»99. Ces formules souvent présentes en fin de lettre,
apparaissent comme une forme de gage attendu par le gouvernement
impérial s'assurant ainsi d'avoir à son service des magistrats
compatibles avec l'Empire. Rigot ne subissant pas l'épuration de 1879,
il est intéressant de voir quels sont les avis du pouvoir
républicain sur ce magistrat. Ceci ne l'a pas empêché de
poursuivre sa carrière car, comme l'indique une note produite par le
ministère de la justice en 1884, il n'est « pas républicain,
mais ne s'est jamais compromis »100. Ceci est confirmé
par une notice individuelle datée de la même année le
concernant : « Ses tendances politiques ne sont pas ardemment
républicaines mais son attitude est et sera toujours d'une correction
parfaite. Nous avons constamment trouvé en lui un collaborateur loyal
et
96 Ibid. Lettre du
procureur général de Nîmes au Gardes des Sceaux, 29 janvier
1857.
97 Voir la notice de
Léonce Curnier en ligne sur la base donnée des
députés français :
http://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/%28num
dept%29/9576
98 AN, BB 6 (II)/583. Lettre
du Procureur Général fait au parquet de la cour de Nîmes le
10 avril 1858.
99 AN, BB 6 (II)/583. Lettre
du Procureur Général fait au parquet de la cour de Nîmes le
30 novembre 1858.
100Ibid. «
Ministère de la Justice et des Cultes - 1884, Rigot Jean Marie Clotilde
Eugène, 57 ans, Juge d'instruction à Lyon ».
124
dévoué »101. Par
ailleurs, concernant les dénonciations anonymes dont Rigot et Cuaz ont
fait l'objet en 1887, une note retrouvée dans le dossier du premier
indique qu'elles sont tout à fait fausses102. Cependant, on
peut se demander si le magistrat originaire de l'Hérault ne jouit pas
d'une certaine approbation de la part du gouvernement républicain car il
a participé à la répression des anarchistes de Lyon en
1883. Dans la note du ministère de la justice citée
précédemment, il est en effet indiqué que Rigot « a
instruit en novembre 1883 avec zèle et abnégation l'affaire de la
fédération révolutionnaire Lyonnaise »103.
C'est cependant par les mots de Fabreguette, Procureur Général de
Lyon, dans une présentation le concernant rédigée en juin
1883, que l'on peut trouver une trace de collusion avec le gouvernement
républicain :
« Lorsque des poursuites ont été
introduites, au mois de novembre dernier, contre la fédération
révolutionnaire Lyonnaise, affiliée à l'association
internationale des travailleurs, cette information délicate et
laborieuse lui [Rigot] a été confiée. M. le garde des
Sceaux Devès, qui était bien renseigné, m'avertissait que
c'était le seul juge instructeur capable de mener à bien une
procédure aussi difficile. Il me déclara même que la
Chancellerie avait résolu de récompenser M. Rigot si celui-ci,
entrant dans les juges du Gouvernement, le secondait énergiquement dans
la réalisation de son oeuvre
répressive104.»
Ces propos sous-entendent que le ministère de
la Justice a instruit l'affaire du procès de Lyon dans le seul but de
réprimer le mouvement anarchiste et qu'il s'est entouré de
magistrats rattachés à sa cause pour mener à bien sa
mission.
Enfin, la carrière d'un autre membre du parquet
lyonnais au moment du procès des 66 nous permet de saisir toute
l'ambiguïté de la fonction de magistrat vis-à-vis du
gouvernement qui le nomme. Louis François Denis Melchior Jacomet,
né en 1835, exerce les fonctions de juge à Prades à partir
d'août 1866 avant d'être nommé Vice-Président de la
cour d'appel de Lyon en juin 1882 puis Conseiller de cette même
juridiction à partir de juin 1883 et décoré Chevalier de
la Légion d'Honneur en juillet 1891105. Commençant sa
carrière sous l'Empire, il demande au ministre de la Justice de le
nommer juge à Prades en février 1866 en précisant qu'il
« professe pour sa Majesté l'Empereur et pour la Dynastie
Impériale le plus profond
101Ibid. «
Ministère de la Justice - Notice Individuelle, 1884 »
102 Ibid. Note du 27 juillet
1887.
103 Ibid. «
Ministère de la Justice et des Cultes - 1884, Rigot Jean Marie Clotilde
Eugène, 57 ans, Juge d'instruction à Lyon ».
104 Ibid. «
Présentation du Procureur Général pour la place de
Conseiller à la Cour d'appel de Lyon ».
105AN, BB 6(II)/525. Louis
François Denis Melchior Jacomet.
125
dévouement »106. Malgré
ces propos, il n'est pas écarté lors du passage à la
Troisième République et nous pouvons nous demander si cette
formule d'allégeance à l'Empereur reste justement une formule et
non un témoignage de rattachement idéologique. D'autant plus que
dans une lettre que l'avocat adresse au Sous-Secrétaire d'État en
mai 1882 dans l'espoir d'obtenir un poste de conseiller à la cour
d'Appel de Lyon, il écrit :
« Je suis profondément
dévoué au régime actuel. Mon amour pour la
République n'est pas platonique : il s'est affirmé en public, il
s'est manifesté dans des écrits, et, dernièrement encore,
il trouvera un écho dans la presse républicaine de Paris et de la
Province. (...) Il y a environ deux ans, les membres du Cercle
Républicain de St-Etienne ont bien voulu me choisir à
l'unanimité pour leur Président107.»
Comme pour la formule concernant le régime
impérial rédigée quelques années auparavant, on
peut se demander si Jacomet est un républicain de conviction ou
seulement un pragmatique, conscient de ce que le gouvernement opportuniste
attend de lui. Ainsi, dans la présentation qu'il dresse de Jacomet pour
le poste de Conseiller à la cour d'appel de Lyon, le Procureur
Général Fabreguette insiste sur le dévouement du magistrat
à la République « éclairé sur le Régime
Impérial en 1870 » et son travail remarquable lors du procès
des 66 qui lui a valu des menaces de la part de militants108.
Fabreguette réitère d'ailleurs son admiration pour le magistrat
l'année suivante dans la notice individuelle concernant Jacomet et dans
sa présentation du candidat pour le poste de Président de Chambre
à la Cour d'appel de Lyon109.
En somme, on ne peut s'empêcher de noter que le
fait d'avoir servi sous le Second Empire n'empêche pas ces avocats de
mener de grandes carrières sous la Troisième République,
d'échapper à l'épuration du 30 août 1883 et
même d'être récompensés. A travers l'instruction des
militants anarchistes apparaît une justice politique, dont les membres
sont entièrement dévoués à l'État et au
gouvernement. Le fait d'avoir fait du procès des 66 un véritable
signal envoyé aux ennemis de la République, permet aux magistrats
qui ont servi
106 Ibid. Lettre de Jacomet au
Ministre de la Justice, 27 février 1866.
107 Ibid.. Lettre de Jacomet au
Sous-Secrétaire d'État , 21 mai 1882.
108 Ibid. «
Présentation du Procureur Général pour la place de
Conseiller à la Cour d'appel de Lyon - 1883 ».
109 Ibid. «
Ministère de la Justice - Notice Individuelle, 1884 » et «
Présentation du Procureur Général pour la place de
Président de Chambre à la Cour d'appel de Lyon »
126
sous le Second Empire d'être
réhabilités et de profiter dans le même temps d'avancements
de carrières et de distinctions honorifiques.
Au début des années 1880, les
Républicains conservent et s'appuient sur une institution judiciaire
dépendante du pouvoir exécutif pour réprimer le mouvement
anarchiste. Malgré les contradictions de la notion de « justice
politique » et les valeurs d'un gouvernement ayant revendiqué des
principes libéraux, le régime installé à la suite
du Second Empire est largement conditionné par les héritages du
passé. Il est en effet difficile de se détacher d'une machine
d'État contraignant l'ensemble des institutions du maintien de l'ordre.
Cependant, si la question de l'inamovibilité des magistrats rentre en
contradiction avec les lois constitutionnelles de 1875110 et
nécessite une réforme plus profonde que celle proposée par
la loi d'août 1883, nous constatons que les opportunistes tirent
largement profit de cette dépendance du parquet. Ceci nous amène
nécessairement à nous interroger sur les pratiques du pouvoir
d'un gouvernement républicain subordonné à une machine
d'État et en lutte permanente contre des ennemis anarchistes remettant
en cause leur légitimité.
110 Association française pour l'histoire de la
justice, L'épuration de la magistrature de la Révolution
à la Libération: 150 ans d'histoire judiciaire,
p.75.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
127
Troisième partie. Une doctrine
républicaine nourrie
par la pratique du maintien de l'ordre (1884-1893)
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
128
Chapitre 5 : Le maintien de l'ordre républicain,
une pratique nécessairement jacobine ?
L'étude du mouvement anarchiste au début
de la Troisième République révèle l'existence d'une
technostructure du maintien de l'ordre en partie héritée des
anciens régimes. Or, la remettre en cause semble être une des plus
grandes difficultés à laquelle les opportunistes sont
confrontés. Ceci est à la fois lié à une machine
d'État en charge de l'administration de la coercition légitime et
à la nécessité pour le pouvoir exécutif d'asseoir
son autorité. La question de l'efficacité de ces méthodes
de répression se pose aussi à la suite du procès des 66 :
quels impacts ont-elles eu réellement sur le mouvement anarchiste et la
doctrine du maintien de l'ordre en République ?
Nous constatons que la réponse concrète
à apporter pour contrer la menace libertaire de plus en plus notoire
marque un tournant dans la politique répressive des opportunistes. De
plus, l'institution policière se retrouve au centre de toutes les
attentions et le gouvernement tente de la contrôler sur l'ensemble du
territoire à l'aide de Loi Municipale de 1884. Ce chapitre étudie
la forme que prend le maintien de l'ordre dans une société dans
laquelle se concrétise la propagande par le fait et analyse l'impact que
ces politiques répressives ont sur la pratique du pouvoir des
opportunistes.
5.1 - L'après procès des 66 : mutation du
mouvement anarchiste et émergence de nouveaux modes d'action
Le procès de Lyon marque autant l'opinion
publique que les militants au début des années 1880. Si les
réunions se multiplient pour défendre les compagnons et que les
demandes de grâces affluent1, c'est dans les actes terroristes
qu'il faut voir la réponse de l'anarchisme à ces condamnations.
Le mouvement, se radicalisant à la suite de l'instruction des 66, fait
l'objet d'une attention publique sollicitant une réponse
gouvernementale. La répression du mouvement anarchiste illustre-t-elle
une évolution de la pratique du pouvoir exécutif au début
de la Troisième République ?
1 AN, BB 24. Mélanges
; dossiers de recours en grâce. Volume 2 (An XII-1885).
A) Actes individuels et solidarités libertaires
A la suite du procès de Lyon, des grandes
figures du mouvement tels que Kropotkine, Bordat, Bernard et les militants les
plus actifs de la région lyonnaise ont été
écroués. Le gouvernement espérait avoir envoyé un
signal fort aux compagnons de tout le pays en s'appuyant sur la
législation interdisant l'Internationale. Cependant, les réunions
se poursuivent dans toute la France, malgré l'interdiction de l'AIT et
les mobilisations demandant la grâce des accusés affluent. Au lieu
de l'enrayer, le procès des 66 a redynamiser le militantisme anarchiste,
comme en témoigne le tableau 5 listant de façon non-exhaustive
les actes anarchistes qui touchent la France dans les années suivant le
verdict.
Tableau 5 - Actes anarchistes les plus marquants à
la suite du procès des 662
Date
|
Actions des anarchistes
|
Conséquences
|
9 Mars 1883.
|
Manifestation des sans travail à Paris, pillage
de trois boulangeries, - Participation de Louise Michel, Joseph Tortelier, et
Émile Pouget.
|
Affrontement avec les forces de l'ordre - Louise
Michel est arrêtée le 30 mars et condamnée à 6 ans
de prison et 10 ans de surveillance de haute police.
|
27 Février 1884
|
Louis Chaves tue la mère
supérieure d'un couvent d'une banlieue de
Marseille qui l'avait congédié de son emploi de jardinier - il se
proclamera "anarchiste convaincu et d'action".
|
Louis Chaves est tué dans la fusillade avec les
gendarmes venus l'arrêter.
|
2 Nous excluons les faits
qui se produisent à Lyon durant cette période puisque qu'ils sont
listés dans le tableau 6 et analysé dans la sous-partie
suivante.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
129
5 mars 1886
|
Attentat contre la bourse de Paris organisé par
Charles Gallo.
|
Quelques dégâts, aucun
blessé - Charles Gallo est condamné
à 20 ans de prison le 15 juillet 1886.
|
5 octobre 1886
|
Clément Duval cambriole un hôtel
particulier, rue Monceau à Paris.
|
Revendication de la
« reprise individuelle » - Clément
Duval est condamné à mort le 11 janvier 1887 avant d'être
gracié et envoyé au Bagne.
|
Sources : Jean Maitron, Le Mouvement
anarchiste en France, tome 1, op.cit. ; Vivien Bouhey, Les
Anarchistes contre la République...,op.cit.
C'est à Marseille qu'a lieu le premier acte de
propagande par le fait post-procès des 66. Louis Chaves tue la
supérieure du couvent dans lequel il était employé et
blesse la sous-directrice ; il est finalement abattu par les gendarmes venus
l'arrêter3. Avant de commette son acte, il a cependant
transmis au journal lyonnais l'Hydre Anarchiste
une lettre expliquant son geste :
« On commence par un pour arriver à cent
comme dit le proverbe. Eh ! bien je veux avoir la gloire d'être le
premier à commencer, et d'ouvrir la voie à ceux qui seront assez
résolus (sic) pour me suivre (...) Ce n'est
pas avec des paroles, ni avec du papier que nous changerons (sic)
les choses existantes. Le dernier conseil que j'ai donné
aux vrais anarchistes, aux anarchistes d'action, est (sic)
de s'armer à mon exemple d'un bon revolver, d'un bon
poignard, et d'une boîte d'allumettes. (...) Je vais commencer par
incendier un couvent de religieuses, mettre à mort la supérieur
et la sous-supérieure qui m'ont jeté sur le pavé
(...)4.»
Le militant signe cette lettre par « CHAVES
Louis. Anarchiste convaincu et d'action »5 et revendique
ouvertement le premier acte de propagande par le fait de la Troisième
République puisque les responsables de celui de l'Assommoir n'ont jamais
fait la promotion de leur acte. Il est important de noter que c'est à un
organe de presse lyonnais que Chaves adresse sa lettre,
3 Jean Maitron,
Le Mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit.,
p.211.
4 Louis Chaves, L'Hydre
Anarchiste, première année, n°3, 9 mars
1884.
5 Ibid., 9 mars
1884.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
130
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
131
considérant la ville comme l'épicentre
du mouvement, d'autant plus qu'elle a bénéficié d'une
attention particulière lors du procès des 66. Par ailleurs, ces
propos et l'acte violent qui s'en est suivi témoignent d'une menace bien
réelle et il est logique d'attendre une réponse de la part de la
République. Pourtant, on ne trouve pas de traces de l'acte de Chaves aux
ADR alors que la préfecture surveille les journaux de la région,
ni aux Archives nationales qui contiennent un grand nombre de dossiers sur les
attentats anarchistes. Cette absence de document peut s'expliquer par la
volonté du pouvoir exécutif de ne pas faire la promotion de cet
acte. Le gouvernement souhéité éviter de faire de Chaves
un martyr pour les anarchistes étant donné qu'il a
été abattu par la force publique. Ensuite, le 5 mars 1886, la
bourse de Paris est la cible d'une attaque à l'acide. L'auteur des faits
est Charles Gallo, récemment « converti » à
l'anarchisme ; il est aussi armé d'un révolver, mais ne touche
personne. Ne faisant aucun blessé, il est condamné à vingt
ans de prison en juillet 18866. Enfin, il faut citer l'acte de
Clément Duval, partisan de la « reprise individuelle » qui
pille un hôtel particulier à Paris le 5 octobre 18867.
Ce membre du groupe « La Panthère des Batignolles »
théorise cette méthode de la propagande anarchiste. Il explique
que c'est un moyen de résoudre par la force la question sociale en s'en
prenant à la propriété, en terrorisant les bourgeois et en
véhiculant la pensée libertaire à travers ce type
d'actions qui à terme mènera à la
révolution8. A la suite de sa condamnation, cet inconnu
devient le héros des compagnons, si bien qu'une souscription est ouverte
par le journal le Révolté pour
permettre à sa compagne de le rejoindre au bagne en 18909.
L'action anarchiste prend donc différentes formes tout au long des
années 1880. La propagande écrite menée par les journaux
et les réunions publiques vise à propager la doctrine libertaire,
la « reprise individuelle » et les incitations aux pillages des
boulangeries à Paris s'attaquent pour leur part au capitalisme et
à la propriété privée, quant à la propagande
par le fait, elle a pour but de préparer la révolution en
terrorisant les bourgeois10.
Par ailleurs, si le procès des 66 et les
condamnations qui ont touché les leaders du mouvement libertaire ont eu
des conséquences directes sur les activités de propagande, ils
ont mis en lumière la solidarité qui existe entre les compagnons.
En effet, les partisans de
6Jean Maitron,
Le Mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit.,
p.211. 7Jean Maitron, Le Mouvement
anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.183-184.
8 Vivien Bouhey,
Les Anarchsites contre la République...,
op.cit., p.147-148.
9 Ibid.,
p.186.
10 Pour plus de
détails, voir le chapitre de Vivien Bouhey « L'action contre la
République au cours de la décennie 1880 » dans
Les Anarchsites contre la République...,
op.cit, p.93-158.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
132
l'anarchisme se mobilisent pour faire des demandes de
grâce et ainsi libérer plusieurs figures du mouvement. Les
archives témoignent de cette pratique puisque plusieurs dossiers
concernent les condamnés du tribunal correctionnel de Lyon11.
Ils permettent d'étudier l'influence des différents acteurs de
l'administration de la coercition légitime et de mesurer l'impact de la
mobilisation populaire. Joseph Bernard, considéré comme l'un des
leaders du mouvement, subit la peine la plus lourde de cinq ans de prison, 2
000 francs d'amende et dix ans de surveillance pour avoir exercé des
responsabilités dans la nouvelle AIT12.
Incarcéré à la prison de Clairvaux en mars 1883, il en
sort dès le 28 août 1885, gracié par l'autorité
judiciaire13. Pourtant, le Procureur Général
Fabreguette rappelle en juillet 1884 dans un avis concernant Bernard son
parcours au sein des organisations anarchistes de Lyon et Paris et s'oppose
à tout commutation de peine qui « produirait le plus
déplorable effet »14 selon lui. Il faut cependant croire
que le parquet de la Cour d'Appel de Lyon n'a pas grande influence sur les
décisions gracieuses puisque le militant est libéré
l'année suivante. D'autant plus qu'en même temps qu'il
rédige cet avis concernant Bernard, Fabreguette fait de même pour
le cas d'Antoine Desgranges - lui aussi gracié en août 1885 -
écrivant : « J'estime que son recours en grâce doit
être absolument rejeté. Son admission produirait l'effet le plus
déplorable dans l'opinion publique »15. Un autre
document retrouvé dans les archives du ministère de la justice
nous en apprend plus sur la hiérarchie administrative qui
détermine ces recours en grâce16. On constate alors que
les demandes de Bernard et de Desgranges, parmi celles d'autres militants, sont
issues d'une proposition du ministère de
l'Intérieur17, ayant potentiellement une influence
supérieure à celle du Procureur Général de la Cour
d'appel de Lyon. Par ailleurs, dans le dossier concernant Antoine Desgranges,
plusieurs documents nous permettent de saisir les éléments de
procédure des recours en grâce18. Une note
confidentielle rédigée par le Directeur de la prison de
Clairvaux, où le militant est emprisonné, souligne sa
11 AN, BB 24/875. Dossier
1233 - Anarchistes de Lyon.
12 cf. Chapitre
4.
13 AN, BB 24/875. Dossier
1233 - Anarchistes de Lyon, « Demande en Grâce - Bernard Joseph
».
14 Ibid. «
Avis sur la mesure gracieuse proposée au profit de Bernard (Joseph)
serrurier - Lyon le 31 Juillet 1884, Le Procureur Général
Fabreguette ».
15 Ibid. «
Avis sur la mesure gracieuse proposée au profit de Desgranges Antoine -
Lyon le 31 Juillet 1884, Le Procureur Général Fabreguette
».
16 Ibid. Tableau
« Ministère de la Justice - Demandes en grâce
».
17 Ibid. Tableau
« Ministère de la Justice - Demandes en grâce
».
18 Ibid. «
Demande en Grâce - Bernard Joseph ».
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
133
bonne conduite et précise que « sa mise en
liberté ne paraîtrait nullement dangereuse »19.
Puis, une lettre en date du 18 août 1885 indique que le président
de la République a bien accordé une grâce de remise de
peine à Antoine Desgranges et que c'est au Ministère de
l'Intérieur d'assurer l'exécution de la
décision20. Cependant, le Procureur Général de
la Cour d'Appel de Lyon21 et le Procureur de la
République22 s'assurent au nom du Garde des Sceaux de
l'exécution de la décision présidentielle. Ainsi, les
institutions judiciaires et policières sont impliquées dans ce
processus de recours en grâce sur lequel elles exercent une grande
influence.
Également, le cas de Pierre Kropotkine attire
notre attention puisque le penseur de l'anarchie, disposant d'une solide
réputation dans les milieux intellectuels français et
étrangers, bénéficie d'une pétition demandant sa
libération signée par de nombreuses
personnalités23. Si de nombreux sujets anglais à
l'instar du philosophe Herbert Spencer et de l'égyptologue Samuel Birch
sont à l'origine de cette mobilisation, elle est aussi soutenue par
Victor Hugo écrivant en marge du document : « Toutes les demandes
d'amnistie m'intéressent. Celle-ci me touche vivement et je l'appuie
»24. Ainsi, le 14 janvier 1886 le prince Russe est
gracié entièrement25. Cette fois-ci c'est une
mobilisation populaire qui fait pression sur l'administration de coercition
légitime pour libérer le compagnon anarchiste. Par ailleurs,
plusieurs des accusés ont bénéficié d'une remise de
peine dans les deux années au plus tard suivant leur emprisonnement.
Ceci est le cas de Joseph Bonthoux, Émile Gautier, Octave
Liégeon, Jean-Baptiste Ricard et Charles Voisin26. A l'instar
de Bernard et de Kropotkine, Toussaint Bordat, Claude Crestin, Pierre Martin et
Jean Renaud bénéficient de grâce entière au mois de
janvier 188627. Sur les soixante-et-un condamnés du
procès de Lyon, dix d'entre eux sont libérés ou
graciés entièrement dès 1886, sachant que certains
purgeaient
19 Ibid. « 6
août 1885 - Maison centrale de Clairvaux - Quartier spécial -
Résumé de notes du Directeur ».
20 Ibid., 18
août 1885 - Lettre de ministère de l'Intérieur
adressée au Ministre de la Justice.
21Ibid., 1er
septembre 1885 - Lettre du Procureur Général de la
République adressée au Ministre de la Justice.
22 Ibid., 17 août 1885 - Lettre du
Procureur de la République adressée au Ministre de la
Justice.
23Ibid.
«Demande en Grâce - Kropotkine Pierre
».
24 Ibid.
«Demande en Grâce - Kropotkine Pierre
».
25 Ibid. Tableau
« Ministère de la Justice - Demandes en grâce
».
26Ibid. Tableau
« Ministère de la Justice - Demandes en grâce » ; voir
tableau reproduit en annexe sur le procès des 66.
27 Ibid. Tableau
« Ministère de la Justice - Demandes en grâce » ; voir
tableau reproduit en annexe sur le procès des 66.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
134
jusqu'à 5 ans de prison, 2000 francs d'amende,
10 ans de surveillance et 4 ans de privation des droits civils car
considérés comme les meneurs de l'anarchisme
français28.
La condamnation de 1883 pour tentative de
reconstitution de l'Internationale est apparue comme une large opération
de répression du mouvement libertaire français menée par
la machine d'État. Ces grâces présidentielles rappellent
que le pouvoir central conserve une marche de manoeuvre vis-à-vis de la
technostructure du maintien de l'ordre. Certes, les archives mettent en avant
le rôle décisif joué par le ministre de l'Intérieur.
Mais le pouvoir de grâce restant une prérogative du
Président de la République, il est probable que cette
décision ait été prise en conseil des ministres et ait
été impulsée par le président du
Conseil29. Dans ce cas, l'administration de la coercition
légitime revêt une forme d'autant plus complexe liée
à la volonté de l'exécutif de garder la main sur les
politiques du maintien de l'ordre
B) Les actions anarchistes à Lyon après le
procès des 66 : mais que fait la police ?
Dans l'optique d'enrayer la propagation des
idéaux anarchistes et la structuration du mouvement, la machine
d'État a fait en sorte qu'une soixantaine de militants soient
condamnés en janvier 1883 de manière très publique. Les
motifs invoqués de tentative de reconstitution de l'Internationale et
d'incitation aux meurtres dans le cas d'Antoine Cyvoct ne constituent
aucunement une répression d'actes terroristes mais bien d'opinion. Ceci
entraine une mutation des méthodes de propagande employées par
les anarchistes de Lyon à laquelle la police n'est pas
préparée.
Dans la région où s'est tenue le
procès, une baisse logique des effectifs militants est constatée
puisqu'une cinquantaine de membres actifs ont été
condamnés30. Les groupes tentent de se reconstituer mais il
est difficile de s'organiser maintenant que les instigateurs sont en fuite ou
ont été arrêtés31. Néanmoins,
malgré le manque de force militante, le mouvement continue son
activité propagandiste à l'aide du journal La Lutte
du groupe du
28 Voir Annexe 2 -
État des militants condamnés lors du procès des
66.
29 L'absence de
compte-rendu des discussions du conseil des ministres ne nous permet pas de
vérifier cette hypothèse.
30 Marcel
Massard, Histoire du mouvement anarchiste à
Lyon...,op.cit., p. 79.
31 On a notamment
constaté qu'un grand nombre de réunions se tenait chez Bordat, ce
qui a nécessairement un impact sur le mouvement.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
135
même nom32. Cet hebdomadaire devient
l'organe anarchiste de référence à la suite du
procès, incitant à la propagande par le fait contre le
capitalisme et les bourgeois, tout en expliquant comment fabriquer des
explosifs33. Largement surveillé par le gouvernement, le
périodique dut changer sept fois de titre durant ses quinze mois
d'existence34. Le journal publie notamment chaque semaine une
rubrique intitulée « produits antibourgeois » consistant en
des recettes pour fabriquer des bombes35. Son influence est à
souligner puisque la ville de Lyon connaît un certain nombre d'attentats
et de tentatives d'attentats, sans graves conséquences, dans les
années suivant sa parution. Marcel Massard dresse la liste - que nous
reproduisons dans le tableau 6 - de ces actes visant à soulever les
masses et plus prompts à entrainer la
révolution que les mouvements de
grèves36.
Tableau 6 - Attentats à Lyon après le
procès des 66
Date
|
Attentat
|
Conséquences
|
16 septembre 1883
|
Tentative d'incendie au
journal le Progrès.
|
Sans gravité.
|
7 octobre 1883
|
Explosion d'une bombe
à la mairie du 4e arrondissement.
|
Dégâts insignifiants,
aucun blessé.
|
14 octobre 1883
|
Explosion d'une bombe dans l'enclos des
Capucins.
|
Quelques dégâts, aucun
blessé.
|
32 Marcel Massard,
Histoire du mouvement anarchiste à Lyon...,op.cit.,
p. 81.
33 Ibid.,
p.83.
34 Ibid.,
p.82.
35 Ibid.,
p.90-91.
36 Ibid. p. 91.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
136
16 octobre 1883
|
Bombe trouvée non éclatée contre le
mur de l'église Saint-Pothin.
|
Aucune, la bombe n'a
pas explosé.
|
29 octobre 1883
|
Explosion d'une boîte à poudre devant le
café du Rhône rue Gasparin.
|
Aucun dégât, ni blessé.
|
4 novembre 1883
|
Explosion d'une bombe posée sur la fenêtre
du docteur Albert, rue Montgolfier.
|
Aucun dégât.
|
26 février 1884
|
Découverte d'une bombe non explosée dans
les chantiers de la Buire, à la Guillotière.
|
Aucune, la bombe n'a
pas explosé.
|
6 octobre 1884
|
Explosion d'une bombe à la caserne de gendarmerie
rue Saint-Hélène.
|
Vitres brisées.
|
16 décembre 1886
|
Explosion d'une bombe à l'usine Allouard, à
la Mulatière.
|
Dégradations des murs.
|
25 décembre 1886
|
Découverte d'une bombe non éclatée
à l'église de Saint-Nizier pendant l'office de
Noël.
|
Aucune, la bombe n'a
pas explosé.
|
8 février 1887
|
Explosions de deux bombes à la permanence de
police du palais de justice.
|
Dégâts matériels importants, sept
agents blessés dont deux grièvement.
|
Source : Marcel Massard, Histoire du
mouvement anarchiste à Lyon..., op.cit.,
p.91.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
137
Les Archives départementales du Rhône
restent notre source essentielle pour étudier ces attentats et la
façon dont la police lyonnaise a mené les
enquêtes37. Un dossier très complet présente en
effet une liste des agissements anarchistes lyonnais, similaire à celle
reproduite dans le tableau 6, mais l'affaire de Saint-Nizier et l'attentat du
Palais de Justice font l'objet d'une attention toute particulière. Il
faut savoir que pour l'incendie du journal Le
Progrès, la bombe de la mairie du 4e
arrondissement et celle de l'enclos des Capucins, les coupables n'ont pas
été retrouvés38. Et si la police
soupçonne a juste titre les anarchistes et renforce sa surveillance des
milieux, ceci n'arrête pas les militants lyonnais qui continuent à
fabriquer et poser des bombes artisanales régulièrement
jusqu'à la fin des années 188039. Concernant l'affaire
de Saint-Nizier, le coupable n'a jamais été retrouvé mais
elle a particulièrement attiré l'attention de la police
puisqu'elle a reçu une lettre lui informant que l'auteur de cet attentat
n'est autre qu'un certain Lucien Morelle40. En réalité
c'est ce dernier qui a envoyé le courrier à la police, se rendant
responsable d'un acte qu'il n'a pas commis et apportant de ce fait la preuve
d'un déséquilibre mental41. Cependant, il indique dans
sa lettre qu'il a aidé Cyvoct et Chautant à préparer
l'attentat de Bellecour - en reprenant des détails connus des journaux -
tout en donnant des informations sur les explosions qui ont eu lieu à
Lyon entre 1883 et 188642. Morelle semble bien connaître le
milieu anarchiste puisqu'il donne le nom de nombreux militants et annonce le
projet d'un futur attentat43 : s'agit-il de celui du palais de
justice qui se produit le 7 février 1887 ? Alors qu'il est
écroué à la prison de Saint-Paul, il transmet au cabinet
du juge d'instruction une lettre qu'il prétend avoir reçue et
donnant des détails sur l'explosion du palais de justice :
« Je te donne avis que Hochard (de Narbonne)
Deffire (de Genève) et Van Balon (de Bruxelles) ont résolu de
désobéir à tes ordres et de mettre leurs menaces à
exécution pour faire sauter le Palais de Justice et
l'Hôtel-de-Ville avec deux barils de dynamite et en creusant un
souterrain. Des
37 ADR, 4M 306. Attentats
divers et tentatives de sabotage : usines Allouard, Palais de Justice (1882 -
1888).
38 Marcel Massard,
Histoire du mouvement anarchiste à
Lyon...,op.cit., p. 92-93.
39 Ibid.,
p.93-94.
40 ADR, 4M 306. «
Copie d'une lettre adressée à Monsieur Prieur, Commissaire de
police du quartier de la Bourse, 2e Arrondissement à Lyon -
Grenoble le 28 décembre 1886 - Signé : Auguste Mille,
négociant à Grenoble ».
41Marcel Massard,
Histoire du mouvement anarchiste à Lyon...,op.cit
p. 94.
42 ADR, 4M 306. «
Copie d'une lettre adressée à Monsieur Prieur, Commissaire de
police du quartier de la Bourse, 2e Arrondissement à Lyon -
Grenoble le 28 décembre 1886 - Signé : Auguste Mille,
négociant à Grenoble ».
43 Ibid. «
Copie d'une lettre adressée à Monsieur Prieur, Commissaire de
police du quartier de la Bourse, 2e Arrondissement à Lyon - Grenoble le
28 décembre 1886 - Signé : Auguste Mille, négociant
à Grenoble ».
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
138
renseignements que j'ai pu obtenir, ils sont
disposés à louer une Chambre aux abords de ces édifices et
je suis porté à croire qu'ils mettront leurs menaces à
exécution (...)44.»
Si ce document a bien été reçu
avant l'explosion, il donne des indications précieuses aux forces de
police. Cependant, selon Marcel Massard, Morelle se présentant comme un
déséquilibré, l'administration n'a pas tenu compte de ces
indications45. Aux ADR, un dossier contenant des coupures de presse
à propos de l'attentat du Palais de Justice montrent que certains
journaux reprochent à la police son manque d'efficacité sur cette
affaire46. Dès le 9 février, Le
Progrès écrit que « depuis quelques temps
divers bruits étaient parvenus à la police sur certains individus
» et que « les menaces, depuis longtemps formulées, ont
été mises hier à exécution ».47
L'Express pour sa part estime que les explosions étaient
prévisibles, seulement il aurait fallu que la police tienne compte des
lettres de Morelle annonçant l'attentat48. Le
Courrier de Lyon écrit une dizaine de jours après
l'attentat que l'enquête n'avance pas, estimant que «
l'impunité des coupables semble devenir la règle » ajoutant
qu'il « est certain qu'il y a là un vice soit dans le
fonctionnement de la police soit dans celui de l'instruction, - mais vraiment,
il est temps de prendre des mesures que réclame l'inquiétude
publique »49. Selon Massard, ses accusations
d'inefficacité ont poussé les forces de police à redoubler
leurs efforts pour retrouver les coupables de l'attentat du Palais de
Justice50.
Par ailleurs, l'évènement est un moyen
pour les journaux de donner leurs opinions sur l'origine des explosions.
Le Petit Lyonnais estime que « les auteurs de
ces attentats sont des agents de la monarchie (...) car la monarchie seule a
intérêt à faire passer la France pour le foyer de la
révolution »51. La Tribune de
son côté accuse l'institution policière d'avoir posé
les bombes pour légitimer les demandes de fonds secrets :
« On nous informe, à 11 heures moins 10
minutes du soir, que deux bombes (?) viennent de faire explosion dans la rue
Saint-Jean, derrière le Palais-de-Justice (...) Du reste, tant
tués que blessés,
44 Ibid. Lettre du
juge d'instruction adressé au Secrétaire Général
pour la Police à Lyon le 12 février 1887. 45Marcel
Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon...,
op.cit., p. 94.
46 ADR, 4M 306. «
Attentat du Palais de Justice - Extraits de Journaux »
47 Ibid. « Les
Bombes à Lyon - Double explosion au Palais de Justice »,
Le Progrès de Lyon du 9 février
1887.
48 Ibid. «
Bombes Anarchistes aux Palais-de-Justice de Lyon et de Saint-Etienne »,
L'express de Lyon du 9 février 1887.
49 Ibid. « Les
bombes du Palais de Justice », Courrier de Lyon
du 17 février 1887.
50 Marcel Massard,
Histoire du mouvement anarchiste à Lyon...,op.cit.,
p. 95.
51 ADR, 4M 306. «
Attentat du Palais de Justice - Extraits de Journaux ». « Les Bombes
explosibles », Le Petit Lyonnais du 10
février 1887.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
139
tout le monde se porte bien dans le voisinage du
Palais où a eu lieu l'explosion. Nous serions bien curieux de savoir
quand la police aura fini de prendre la population pour une
agglomération de jobards. On sait qu'elle a besoin de complots
périodiques pour permettre au ministre de réclamer chaque
année le maintien de ses fonds secrets, mais l'excès en tout est
un défaut. Il ne faut abuser de rien, pas même des pétards.
52»
Édité seulement au cours de
l'année 1887, ce journal revendique une ligne radicale ce qui explique
ses accusations concernant le gouvernement53. Si dans son
numéro suivant le quotidien offre un traitement plus
détaillé de l'attaque qui a fait plusieurs
blessés54, il propose un aperçu de ce que l'opposition
de gauche peut penser de l'institution policière.
Puis, les archives témoignent de l'attention
portée à l'explosion du Palais de Justice qui a largement
mobilisé les forces de la police lyonnaise, puisque que plus de 300
documents du carton 4 M 306 concernent cet attentat55. Cela peut
s'expliquer par la nature de l'acte qui visait une institution publique, a fait
des blessés parmi des agents des forces de l'ordre et a
bénéficié d'une large attention de la presse. Cet
événement est le premier à attirer autant l'attention
depuis l'attentat de Bellecour et il est donc intéressant d'en saisir le
traitement. Si la nécessité de retrouver le coupable amène
la police à procéder aux perquisitions de plusieurs militants,
cette opération n'a pas l'ampleur de celle qui a amené au
procès des 66. Un dossier classé sous la cote 4M 306 comprenant
des rapports adressés au Parquet et à la Sûreté
Générale ainsi que des lettres reçues de cette
dernière éclaire la gestion de cette affaire56. Comme
dans le cas de l'attentat de l'Assommoir, on constate que le préfet
informe immédiatement par télégramme le ministre de
l'Intérieur de l'explosion du palais de justice57. La
direction de la Sûreté Générale s'interroge sur le
lien entre cette nouvelle explosion et les déclarations de Lucien
Morelle :
« Jusqu'à présent, je n'ai pas
été informé qu'une autre explosion se soit produite sur le
territoire de la République. Tenez-moi au courant de l'instruction
ouverte. Faites-moi connaître s'il y a un lien
52 Ibid. «
Autre Pétard », La Tribune du 9
février 1887.
53 Ces informations sont
issues d'une notice publiée sur le site Presse Locale
Ancienne :
http://presselocaleancienne.bnf.fr/ark:/12148/cb328808199
54 ADR, 4M 306. «
Attentat du Palais de Justice - Extraits de Journaux ». « Qui a fait
le coup ? », La Tribune du 10 février
1887.
55 Ibid. «
Attentat du Palais de Justice - rapports et renseignements recueillis par M. le
Commissaire spécial de la Sureté » ; « Attentat du
Palais de Justice - 1° Perquisitions à Lyon - 2° Missions
extérieures »
56 Ibid. «
Rapports adressés : 1°- à la Sûreté
Générale, 2°-au Parquet - Correspondances reçues de
la Sûreté Générale »
57Ibid. «
Dépêche Télégraphique - Préfet à
Intérieur. Lyon, le 9 février 1887 à 6 heures 12.
»
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
140
entre les explosions de Lyon et l'affaire de
l'anarchiste Morelle et renseignez-moi sur l'état de santé des
blessés58.»
Rappelons qu'octobre 1882 le ministre de
l'Intérieur demande au préfet du Rhône d'assurer une «
extrême répression »59. Dans l'affaire du palais
de justice, l'implication du mouvement anarchiste est envisagée mais
l'enquête ne revêt pas la même dimension politique. Par
ailleurs, les télégrammes étant difficilement lisibles
dans ce dossier, nous nous appuyons en premier lieu sur le rapport
adressé au ministre de l'Intérieur dès le 9 février
pour saisir le déroulé de l'investigation60.
Après avoir détaillé le contexte et les
conséquences de l'explosion, le préfet explique qu'il a
procédé à des perquisitions chez les anarchistes mais qui
se sont révélées inefficaces. Ce qui est
particulièrement intéressant dans cette lettre c'est la mention
du traitement de l'évènement par les journaux :
« La presse, suivant les habitudes locales, est
pleine de détails sur tous les faits qui de près ou de loin
touchent à l'explosion ; mais ces détails, souvent
exagérés, sont de ceux que dans le public tout le monde pouvait
connaître. Un seul journal, la Tribune, qui a
paru pour la première fois hier et dont je vous ferai connaître
demain les origines, le caractère et les buts, a accusé la police
d'être l'auteur de l'explosion (...) 61.»
Le préfet mentionne aussi Morelle et les
reproches que la presse adresse à la police pour ne pas avoir tenu
compte de la menace ; cependant l'administration estime que les auteurs de
l'attentat ont attaqué le palais de justice parce que Morelle l'avait
mentionné dans sa lettre et non l'inverse62.
La police est donc dépassée dans
l'affaire du palais de Justice, d'autant plus que la presse remet en cause son
action dans la répression des anarchistes. On peut alors se demander
quels moyens la machine d'État met à disposition de
l'administration de coercition légitime pour lutter efficacement contre
la menace anarchiste. Le pouvoir se retrouve ainsi au centre de la suite de
notre analyse.
58Ibid.
Télégramme de la Sûreté au Préfet du
Rhône, envoyé le 9 février à 11h.
59 cf. Chapitre
3.
60 ADR, 4M 306. Rapport du 9
février 1887.
61 Ibid. Rapport du
9 février 1887.
62 Ibid. Rapport du
9 février 1887.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
141
5.2 - Évolution du maintien de l'ordre
républicain : Loi Municipale et fonds secrets pour lutter contre les
« ennemis de l'intérieur »
En parallèle des attentats anarchistes, de la
surveillance des militants et des tentatives de répression, les
opportunistes continuent leur expérience à la tête du
gouvernement de la Troisième République. En 1884 ils promulguent
une nouvelle loi Municipale qui au premier abord est très
éloignée de notre étude concernant le maintien de l'ordre
et l'anarchisme. Pourtant, ce texte et le débat qu'il suscite illustrent
bien les mutations engagées par les républicains dans leur
pratique du pouvoir et leur contradiction avec les principes
libéraux.
Cette législation ravive en effet les
débats concernant l'attribution des pouvoirs de police, jusqu'ici
partagés entre l'État et les municipalités. Dans le cadre
de la Troisième République, l'analyse de la loi Municipale de
1884 nous permet d'amorcer notre réflexion sur l'évolution du
maintien de l'ordre républicain dans une société où
l'anarchisme a survécu au procès des 66.
A) La Loi Municipale de 1884 : une rupture
Républicaine ?
« La fonction de police est presque tout
entière dans la contrainte imposée à la liberté des
uns au profit de la liberté des autres63. »
Malgré les contradictions
précédemment évoquées, la République ne peut
se passer des services de l'institution policière64.
Cependant, si les nécessités liées au maintien de l'ordre
public justifient largement la présence d'une administration de
coercition légitime dans un régime libéral, notre
interrogation concerne ici des pratiques de police politique
conditionnées par la volonté du pouvoir
exécutif.
Nous nous appuyons sur le papier de Jean-Marc
Berlière qui pose les enjeux de la loi Municipale de 1884 tout en la
situant dans une histoire plus longue des pouvoirs de
police65.
63 APP, DB3. Célestin
Hennion, 1906.
64 cf. Chapitre
2.
65 Jean-Marc
Belière, « Les pouvoirs de police: attributs du pouvoir municipal
ou de l'État?. Une police pour qui et pour quoi faire?
Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième
République », Criminocorpus. Revue d'Histoire
de la justice, des crimes et des peines, janvier
2009.
journals.openedition.org,
http://journals.openedition.org/criminocorpus/259.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
142
Il semble avant tout nécessaire de revenir sur
les évènements qui ont précédé les
débats concernant les prérogatives policières du pouvoir
exécutif au début de la Troisième République. La
question du maintien de l'ordre et de la répression des libertés
publiques est évoquée dès 1789 par la
Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen66. Ce texte
définit la nécessité de mettre en place une « force
publique » garantissant les principes du gouvernement démocratique,
mais n'indique pas qui sont les dépositaires du maintien de l'ordre.
L'opposition entre pouvoir central et pouvoir local se fait une première
fois ressentir. Quand certains défendent une police gérée
par le pouvoir municipal à l'inverse des pratiques monarchiques, les
jacobins militent pour une administration à la charge du nouveau
régime d'Assemblée. La seconde option l'emportant sous le
Directoire et les régimes impériaux, il est logique que le
débat se tienne lors du passage à la République à
la fin du XIXe siècle67. A la suite de la
Révolution française, une loi municipale est promulguée le
14 décembre 1789 et partage les fonctions de police entre l'État
et les municipalités :
« Les fonctions propres au pouvoir municipal,
sous la surveillance et l'inspection des assemblées administratives sont
: [...] de faire jouir les habitants des avantages d'une bonne police,
notamment de la propreté, de la salubrité, de la
sûreté et de la tranquillité dans les rues, lieux et
édifices publics68. »
Si l'État reste le dépositaire des
prérogatives de police, il décentralise cette fonction au profit
des maires qui sont chargés de maintenir l'ordre sur leur commune.
Cependant, la question de l'existence d'un « pouvoir municipal propre
» est discutée tout au long des années 1900 malgré le
texte de 178969. Même si ce pouvoir de police est
exercé sous la surveillance de l'administration centrale, cette
dernière fait quand même la distinction entre la « police
municipale » et la « police générale » indiquant
donc que les municipalités disposent de fonctions policières
spécifiques. A l'inverse, certains commentateurs considèrent que
ce pouvoir municipal n'existe que parce qu'il a été
attribué par l'État central, seule institution souveraine, et
créateur des municipalités. Selon Jean-Marc Berlière, ce
double système a
66 Déclaration des Droits de
l'Homme et du Citoyen de 1789, texte en ligne sur Legifrance :
https://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Constitution/Declaration-des-Droits-de-l-Homme-et-du-Citoyen-de-1789
67 « Les pouvoirs de police : attributs du
pouvoir municipal ou de l'État ?. Une police pour qui et pour quoi faire
? Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième
République », art.cit., p.2.
68 Loi municipale du 14
décembre 1789, art.50.
69 Jean-Marc
Berlière, « Les pouvoirs de police : attributs du pouvoir municipal
ou de l'État ?. Une police pour qui et pour quoi faire ?
Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième
République », art.cit., p.2.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
143
avant tout abouti à une technostructure
policière extrêmement décentralisée voire
émiettée70. Ainsi, nous constatons au début de
la Troisième République la présence d'une administration
policière centrale attachée au Ministère de
l'Intérieur, la DSG, et des administrations locales, soit la
Préfecture de Police et la Préfecture du Rhône,
bénéficiant d'un certain degré d'autonomie.
Néanmoins, lorsque l'on évoque
l'existence d'un pouvoir de police municipale il est nécessaire de
s'interroger sur la personne du maire disposant de cette attribution. Or, il
faut rappeler que la loi municipale de 1884 entérine l'élection
du conseil municipal et du maire. Le mode de désignation de ces derniers
conditionne nécessairement la nature des pouvoirs de police municipaux,
puisque si le maire est nommé par l'administration centrale, il devient
un relais de l'État et applique une politique du maintien de l'ordre
déjà établie. A l'inverse, l'élection du maire lui
permet de jouir d'une grande autonomie en matière de prérogative
de police puisqu'il tire sa souveraineté des électeurs et non du
gouvernement71. Les préfets appliquent les directives du
ministère de l'Intérieur quand les maires détiennent le
statut de chef de la police municipale dans les années 1880, à
l'exception de Paris et de Lyon. La préfecture de Police et celle du
Rhône appliquent donc logiquement les choix du gouvernement en
matière de maintien de l'ordre, même si elles disposent d'une
autonomie dans la pratique. Ces institutions restent des rouages d'une machine
d'État déterminant les orientations administratives de la
coercition légitime. L'Assemblée Constituante pour sa part soumet
à l'élection les conseils municipaux et leur
délègue donc des pouvoirs de police propres, alors que le
Directoire et le premier Empire procède à la nomination des
maires et étatisent donc la police municipale72. Puis, la loi
du 5 mai 1855 achève l'étatisation de la police municipale,
plaçant les villes sous la surveillance du préfet et enlevant aux
maires tout contrôle sur l'organisation de son personnel et de ses
services73. Le Second Empire revient en partie sur cette
législation peu de temps avant sa chute : ne remettant pas en cause les
situations propres à Paris et à Lyon, le reste des
municipalités de plus de 40 000 habitants ont la possibilité de
recruter leur personnel à l'exception des commissaires de Police. Ceci
entraine une forme de coopération entre le conseil municipal qui
supporte la charge financière
70 Ibid.,
p.3.
71 Ibid.,
p.4.
72 Ibid.,
p.4.
73 Ibid.,
p.5.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
144
des dépenses de police et le pouvoir central
fixant le cadre des services et des effectifs de police74. La
Troisième République hérite encore fois d'un cadre
policier ne correspondant pas à ses valeurs libérales et
nécessitant une réforme profonde. Il faut alors s'interroger sur
les principes défendus par les républicains en matière de
maintien de l'ordre et la pratique qui en découle.
A la suite de la proclamation de la République
à la fin du XIXe siècle, on constate un retour
à l'autonomie des municipalités et des pouvoirs de police qui
leur sont attribués, avec la réintroduction de l'élection
des maires entérinée par la loi du 14 avril 187175.
Cependant, le gouvernement de l'ordre moral revient en partie sur ce principe,
notamment pour la ville de Lyon avec la loi du 4 avril 1873 consacrant la
suppression du maire et le pouvoir « absolu » du préfet du
Rhône76. Puis de Broglie tente de revenir sur le principe de
l'élection des Maires, mais les élus républicains à
la Chambre réussissent à abroger ce projet en juillet
187677. La loi du 12 août 1876 établit
l'élection des maires par les conseils municipaux sauf pour les
chefs-lieux, alors que tous les maires jouissent des mêmes pouvoirs de
police. Par ailleurs, il faut attendre 1882 pour que toutes les villes,
à l'exception de Paris, élisent leurs maires via les conseils
municipaux78. A Lyon, si la Mairie Centrale est rétablie
dès 1881, c'est toujours le préfet qui dispose des pouvoirs de
polices et rattache donc ces attributions à l'État79,
ce qui contraste avec l'autonomisation des communes assumée des
républicains dans les années 1870. Sous l'Ordre moral, les
républicains alors minoritaires défendent l'élection et
les libertés municipales face à une majorité conservatrice
cherchant à contrôler la nomination des maires et les pouvoirs de
police qui leur revient80. Dans les discussions concernant le projet
de loi de janvier 1874, on voit émerger une position républicaine
défendant la thèse d'un pouvoir de police municipale «
propre » :
« La police est l'essence du pouvoir municipal
(...) Dans la distinction qui existe entre les pouvoirs propres et les pouvoirs
délégués, entre ceux que le maire exerce de sa propre
autorité et ceux qu'il
74 Ibid.,
p.6.
75 Ibid.,
p.6.
76 cf. Chapitre
3.
77 Jean-Marc
Berlière, « Les pouvoirs de police: attributs du pouvoir municipal
ou de l'État?. Une police pour qui et pour quoi faire?
Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième
République », art.cit., p.7.
78 Ibid,
p.7.
79 cf. Chapitre
3.
80 Jean-Marc
Berlière, « Les pouvoirs de police: attributs du pouvoir municipal
ou de l'État?. Une police pour qui et pour quoi faire?
Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième
République », art.cit., p.8.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
145
exerce sous la surveillance du préfet (...) la
police municipale, et ceci est un point hors de toute discussion, est propre au
pouvoir municipal. L'un ne peut exister sans l'autre, la bourgade existait
avant l'État et les arrêtés de police locale que prend le
maire ne sont pas une concession de la puissance publique81.
»
Cette intervention d'Agénor Bardoux,
républicain modéré, souligne alors la position
décentralisatrice de l'État vis à vis des attributions de
police et donc défendue par la minorité à la Chambre en
1874. Elle laisse aux monarchistes la doctrine selon laquelle le maire reste un
représentant du pouvoir central et doit être sous contrôle
du gouvernement. Notons que cette aversion pour le pouvoir local peut
être vue comme une peur du retour de la Commune, exemple d'une
autonomisation qui a défié la raison de l'État. Ainsi, les
préfets assurent un contrôle du gouvernement conservateur sur les
pouvoirs de police municipaux au milieu des années 187082.
C'est en fait la question de l'autorité de l'agent de police qui se joue
ici : est-il sous contrôle du maire ou du préfet ? Dans le second
cas il est donc rattaché indirectement au pouvoir central et soutient
l'idée d'un maintien de l'ordre jacobin. Dans la pratique, ce sont les
deux autorités qui interviennent dans la gestion des agents de police au
début de la Troisième République83.
Si en 1874 les Républicains minoritaires
à la Chambre des députés se retrouvent à
défendre la décentralisation des pouvoirs de l'État,
l'arrivée au pouvoir des opportunistes tend à changer cette
perspective. De plus, Charles de Freycinet écrit en 1886 que les
fonctionnaires doivent « apporter leur appui aux institutions desquelles
ils exercent leur mandat »84.
B) Nouvelles explosions, nouvelles méthodes
policières ?
Dans le contexte des attentats anarchistes qui
secouent les années 1880, il est nécessaire de s'interroger
à la fois sur le discours employé par le gouvernement
républicain pour défendre la législation de 1884 et la
pratique du maintien de l'ordre dans cette période. Cela
81 Agénor Bardoux
à la Chambre des députés, cité par Jean-Marc
Berlière, « Les pouvoirs de police: attributs du pouvoir municipal
ou de l'État ?. Une police pour qui et pour quoi faire?
Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième
République », art.cit., p.8.
82 Jean-Marc
Berlière, « Les pouvoirs de police: attributs du pouvoir municipal
ou de l'État?. Une police pour qui et pour quoi faire?
Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième
République », art.cit., p.9.
83 Ibid.
p.10
84 Cité par
Arnaud-Dominique Houte dans Le Triomphe de la République...,
op.cit., p.81.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
146
entraine-t-il une modification des méthodes de
répression policière favorisant la lutte contre un mouvement
anarchiste en mutation ?
Dans les faits, la volonté des
républicains de centraliser les politiques de maintien de l'ordre
apparaît des novembre 1883 lorsque Waldeck-Rousseau propose de rattacher
le budget de la Préfecture de police à celui de
l'État85. On l'a constaté jusqu'ici, l'institution
parisienne dépend du ministère de l'Intérieur mais jouit
d'une certaine autonomie en employant notamment des méthodes de police
secrète pour surveiller le mouvement anarchiste. La loi municipale de
1884 est donc un moyen de renforcer le contrôle du pouvoir central sur
l'autorité policière de la capitale et faire de l'État le
véritable dépositaire des pouvoirs de police. Voici ce que le
ministre de l'Intérieur affirme le 17 janvier 1884 à la Chambre
pour défendre cette législation :
« Or, il existe deux espèces de communes,
au point de vue de la police : pour les unes, on juge qu'il suffit de la police
générale (...) vis-à-vis de ces communes, aucune
intervention de l'État et aucune contribution obligatoire, cela va de
soi. Pour les autres, l'organisation d'une police particulière est
jugée nécessaire, indispensable (...) deux propositions sur
lesquelles on n'a jamais varié ont toujours été admises :
la première, c'est que l'organisation d'une bonne police n'est pas d'un
intérêt purement municipal ; cette organisation est, au premier
chef, je ne dis pas seulement dans le droit, mais dans le devoir de
l'État. La sécurité des citoyens n'est pas un des biens
particuliers de la commune. (...) Mais la sécurité des personnes
! (...) c'est la dette primordiale de l'État vis-à-vis des
citoyens; l'État a le droit et le devoir de pourvoir à
l'organisation d'une bonne police (...)86. »
Néanmoins, les républicains au pouvoir
se doivent de justifier cette position qui détermine les orientations de
la loi Municipale du 5 avril 1884, à l'opposé de celle qu'ils
défendaient dix ans plus tôt. Ainsi, dans une circulaire en date
du 15 mai 1884, le ministre de l'Intérieur affirme que « les agents
chargés de la police municipale sont donc à la fois placés
sous les ordres du maire pour la police municipale et sous les ordres du
préfet pour la police générale et par conséquent il
est impossible de soutenir que le service de police soit exclusivement
municipal »87. Les débats devenant de plus en plus
virulents à la Chambre - le gouvernement est à la fois
attaqué par la droite et les députés radicaux -
Waldeck-Rousseau reprend son argumentation consacrée à la
défense de l'intérêt général :
85 Jean-Marc
Berlière, « Les pouvoirs de police: attributs du pouvoir municipal
ou de l'État?. Une police pour qui et pour quoi faire?
Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième
République », art.cit., p.11.
86 Waldeck Rousseau
à la Chambre des députés le 17 janvier 1884,
Journal Officiel de la République, 18 janvier
1884, p.78.
87 Cité dans
Jean-Marc Berlière, « Les pouvoirs de police: attributs du pouvoir
municipal ou de l'État?. Une police pour qui et pour quoi faire?
Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième
République », art.cit., p.13.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
147
« Il n'est pas possible qu'au-dessus du maire,
investi d'une délégation particulière, il n'y ait pas une
autorité supérieure chargée de prendre les mesures
commandées par l'intérêt général. C'est
là le corollaire essentiel, inéluctable d'une mesure de
décentralisation [...] qui veut que l'État remette aux mains des
chefs des municipalités une partie de ses pouvoirs, qu'il lui
délègue une partie de ses droits 88.
»
L'essence même de la loi municipale de 1884
réside dans l'ambiguïté de la notion de «
décentralisation des pouvoirs de polices ». En effet, les articles
91 et 92 font du maire le chef de la police municipale mais distinguent ses
pouvoirs « propres » et ses pouvoirs «
délégués » :
Article 91 : le Maire est chargé sous la
surveillance de l'administration supérieure de la police municipale, de
la police rurale et de l'exécution des actes de l'autorité
supérieure qui y sont relatifs.
Article 92 : le Maire est chargé, sous
l'autorité de l'administration supérieure :
1. de la publication et de l'exécution des lois
et règlements ;
2. de l'exécution des mesures de
sûreté générale ;
3. des fonctions spéciales qui lui sont
attribuées par les lois.
La mention de « l'administration
supérieure » dans ces deux articles souligne le contrôle
exercé et maintenu par le gouvernement sur la police municipale. Par
ailleurs, il est important de noter que si les opportunistes ne s'attribuent
pas l'ensemble des pouvoirs de police, ce n'est pas seulement pour
préserver les apparences d'une décentralisation. Il s'agit d'un
moyen de laisser aux municipalités la gestion financière de leur
force de police, d'autant plus que l'article 136 de la loi indique que les
dépenses de ce service sont obligatoires et ne peuvent pas être
votées par les municipalités89. De ce fait, on peut se
demander si ce désengagement de l'État dans les dépenses
de police des municipalités n'est pas un moyen de renforcer les moyens
financiers de la police politique républicaine.
88 Ibid.,
p.17.
89 Jean-Marc
Berlière, « Les pouvoirs de police: attributs du pouvoir municipal
ou de l'État?. Une police pour qui et pour quoi faire?
Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième
République », art.cit., p.20.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
148
Dans un premier temps, la question des effectifs de
police et l'utilisation des dépenses secrètes se pose ici,
illustrant l'évolution dans les discours et les méthodes
employées par la machine d'État dans le but de préserver
le régime. Au milieu des années 1880 la question des Fonds
Secrets continue à faire débat à la Chambre, et les
opportunistes se retrouvent à justifier des pratiques contradictoires
avec la doctrine libérale. Dès 1883, le député
Jules Carret, membre de l'aile radicale, pointe les 2 millions de francs
consacrés aux dépenses secrètes de «
sûreté publique » du ministère de
l'Intérieur90. Il précise aussi que ce montant est
similaire à celui consacré par le régime impérial,
et que Jules Ferry, dorénavant président du conseil et Cochery
ministre des postes et des télégraphes, étaient contre les
fonds secrets à cette époque91. La contradiction entre
les positions des opportunistes lorsqu'ils étaient dans l'opposition et
les décisions qu'ils prennent lorsqu'ils accèdent au pouvoir est
autant valable pour les dépenses secrètes que pour la loi
Municipale de 1884. Rejetant l'hypothèse que ces fonds sont
utilisés par le gouvernement pour influencer des élections et
s'assurer la loyauté de l'ensemble du territoire, Carret demande la
suppression de ces 2 millions de francs dont la République n'a nullement
besoin92. Le ministre de l'Intérieur se borne
néanmoins à conserver ces lignes dans le budget :
« M. Carret demande la suppression, au budget de
l'intérieur, des 2 millions qui sont inscrits au chapitre 20, pour frais
de sûreté publique (...) sous un Gouvernement républicain,
il ne doit pas y avoir de police qui ne soit ostensible et parfaitement connue.
Se protéger, tenir en observation des gens dont on a quelques raisons de
penser qu'ils peuvent constituer un danger pour l'ordre public, pour
l'État, c'est là le fait d'une monarchie. (...) La police doit
donc être publique (...) Eh bien, je réponds que tous les
gouvernements obéissent à un certain nombre de lois fondamentales
et essentielles, et que le premier devoir du Gouvernement républicain,
comme de tous les autres, est d'avoir une police qui protège d'abord les
intérêts privés, qui sauvegarde ensuite les
intérêts publics. Si on veut que cette oeuvre de défense et
de préservation soit effective, efficace, il est nécessaire,
indispensable, de faire appel à des agents, à des moyens
d'information et d'action qui demeurent secrets93.
»
La justification du gouvernement concernant ce fonds
de police secrète réside encore une fois dans la
préservation du gouvernement républicain et la défense de
ses citoyens. L'emploi des dépenses secrètes n'apparaît pas
comme une pratique remettant en cause la doctrine libérale
90 Jules Carret à
la Chambre des députés le 13 décembre 1884,
Journal Officiel de la République, 14
décembre 1883, p.2806.
91 Ibid.,
p.2807.
92Ibid. p.2807 -
2808.
93 Pierre Waldeck-Rousseau
à la Chambre des députés le 13 décembre 1884,
Journal Officiel de la République, 14
décembre 1883, p.2808.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
149
mais comme un moyen de légitimation d'un
régime prouvant qu'il est prêt à faire le nécessaire
pour protéger ses gouvernés.
La République assume dorénavant
l'utilisation des méthodes policières héritées des
régimes précédents alors qu'elle affirmait vouloir s'en
détacher à l'arrivée au pouvoir des
opportunistes94. Les Archives départementales du Rhône
nous apportent un nouvel éclairage sur le renoncement libéral de
la République. Nous avons constaté précédemment que
la préfecture du Rhône bénéficie largement des fonds
secrets maintenus par les Républicains qu'elle investit dans le
renseignement des activités anarchistes95. Dans les dossiers
de comptabilité retraçant les dépenses des commissaires
spéciaux entre 1890 et 1893, on constate que les dépenses
liées aux indications des groupes politiques sont plus précises
que celles des documents des années 188096. En plus des
dépenses journalières concernant les réunions publiques,
les renseignements et la surveillance des milieux anarchistes indiqués
sur les comptes de dépenses précédents, à partir de
mars 1890 des sommes sont spécifiquement consacrées aux «
Indicateurs ordinaires » et aux « Indicateurs spéciaux -
Agents secrets »97. Par conséquent, il est
précisé chaque mois les dépenses engagées pour des
indicateurs anarchistes, ce chiffre pouvant varier en tenant compte du nombre
de personnes rapportant les informations. Par exemple, en avril 1890, 150
francs sont comptés pour les renseignements de deux
anarchistes98, alors qu'en octobre en face de la ligne «
Anarchiste » écrit au singulier il est indiqué « 70
»99. Au-delà de révéler les moyens
financiers investis par la préfecture du Rhône pour lutter contre
les compagnons, ces registres de comptabilité confirment que les
fonctionnaires de la République utilisent bien des indicateurs pour des
missions de police politique.
Cependant, ceci ne permet pas de répondre
à la question de l'efficacité de l'administration de la
coercition légitime dans la répression du mouvement anarchiste ;
on a
94 cf. Chapitre
2.
95 cf. Chapitre 3 ; ADR, 4M
74 « Budget-Comptabilité (1880-1932).
96 ADR, 4M 74. «
Commissariats spéciaux » exercices de 1890 à
1893.
97 Ibid.
Budget-Comptabilité (1880-1932) - « Commissariat
spécial - Comptes des dépenses. 1881-1902 ». État des
dépenses faites pour les besoins du commissariat spécial
près la Préfecture du Rhône pendant le mois de Mars
1890.
98 Ibid.
État des dépenses faites pour les besoins du
commissariat spécial près la Préfecture du Rhône
pendant le mois d'Avril 1890.
99 Ibid.
État des dépenses faites pour les besoins du
commissariat spécial près la Préfecture du Rhône
pendant le mois d'Octobre 1890.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
150
constaté à Lyon comme à Paris que
les attaques n'ont pas cessé à la suite du procès des 66.
Et malgré les moyens mis à dispositions des forces
policières, les coupables sont rarement arrêtés et les
partisans de la propagande par le fait se découvrent de nouvelles cibles
à la fin des années 1880. En effet, les bureaux de placement,
symboles de l'exploitation ouvrière, et les commissariats de police,
représentants de la violence de l'État, sont victimes de diverses
explosions entre 1888 et 1889 comme en témoigne le tableau
7.
Tableau 7 -Actes anarchistes visant les bureaux de
placement et les commissariats
parisiens (1888-1889)
Date
|
Cible
|
Conséquences
|
24 août 1888
|
Bureau de placement
rue Chênier
|
Simple pétard, pas
d'impact
|
7 octobre 1888
|
Explosion devant
l'entrée du bureau de placement rue
Chênier
|
Explosion violente mais ne cause que des
dégâts matériels
|
7 novembre 1888
|
Explosions de deux bureaux de placement des
garçons limonadiers rue Boucher et rue Française.
|
Dégâts matériels important rue
Boucher et un blessé grave rue française
|
22 novembre 1888
|
Cartouche de dynamite sous la porte du commissariat rue
des Archives
|
Aucune, la bombe n'a
pas explosé
|
21 décembre 1888
|
Explosion dans la cave située sous le commissariat
de la rue de la Perle
|
Dégâts matériels peu
importants
|
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
151
12 mars 1889
|
Tentative visant le commissariat de la rue des
Cerisaie
|
Aucune, l'engin est
découvert avant qu'il n'explose
|
3 juin 1889
|
Explosion des bureaux du commissariat de la rue des
Colonnes
|
Aucun dégât
|
Source : Vivien Bouhey, Les anarchistes
contre la République..., op.cit. ,
p.155-156.
Ces attaques sont l'occasion pour les journaux de
critiquer une nouvelle fois l'appareil policier et plus
précisément la préfecture de police. A propos de
l'explosion du commissariat de la rue de la Perle, voici ce qu'écrit le
journal la Petite presse :
« Il faut espérer que les anarchistes en
s'attaquant à la police elle-même la réveillera de sa
torpeur, car il est temps que ces attentats prennent une fin par l'arrestation
des coupables100. »
Le quotidien note pourtant que depuis les attaques
contre les bureaux de placement, les commissaires de police ont mené une
vaste opération de perquisition dans les milieux
anarchistes101. Pourtant, selon le journal le
Temps, ces recherches ont été infructueuses et les
auteurs des dernières attaques n'ont pas été
retrouvés102. Malgré l'ampleur du procès des
66, l'affirmation de la centralisation des pouvoirs de police par la loi
municipale de 1884, l'utilisation des fonds secrets, les méthodes de
surveillance de police politique et les perquisitions effectuées
à la suite des attentats anarchistes, la machine d'État semble
dans l'incapacité d'arrêter cette menace pour la
République.
Le mouvement anarchiste est finalement peu
affecté par le jugement du tribunal correctionnel de Lyon en 1883. Au
contraire, les méthodes de propagande se diversifient et les explosions
sont fréquentes à Paris dans la seconde moitié des
années 1880. Dans la ville où s'est tenu le procès des 66,
l'heure est à la mutation. La perte d'une partie des compagnons favorise
à la fois le développement de nouvelles feuilles libertaires et
des actes individuels
100 BA 139. Explosions en France, attentats
anarchistes (1889-1892). « La Dynamite à Paris », extrait de
la Petite presse, le 23 décembre
1888.
101 Ibid. « La Dynamite
à Paris », extrait de la Petite presse,
le 23 décembre 1888.
102 Ibid. Extrait du
Temps, le 23 décembre 1888.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
152
démontrant la survie du mouvement. Face
à cet échec, la République s'appuie une nouvelle fois sur
la machine d'État pour se préserver de cet « ennemi de
l'intérieur ». Cela se traduit par une mutation jacobine des
politiques du maintien de l'ordre, renforçant l'autorité du
pouvoir exécutif sur les pouvoirs de police et favorisant une gestion
« secrète » de la répression du mouvement anarchiste.
Néanmoins, ce nouveau système est immédiatement remis en
question par de nouvelles explosions qui touchent Paris à partir de 1888
et des journaux qui pointent l'inefficacité des forces de l'ordre. La
décennie 1890 marque une nouvelle ère pour l'administration de la
coercition légitime confrontée à une menace sans
précédent. Quelles nouvelles réponses la machine
d'État peut-elle apporter pour lutter contre cet ennemi de la
République qui ne cesse de s'affirmer ? Jusqu'où le régime
est-il prêt à aller
pour définitivement enrayer ces opposants
politiques ?
Prénom Nom - « Titre de
la thèse » - Thèse IEP de Paris -
Année 153
Chapitre 6 : Quand la République renonce
à son destin
Dans ce chapitre nous devons nous interroger sur
l'efficacité du modèle de répression prôné
par les républicains contre un mouvement anarchiste qui prend une
nouvelle forme au début des années 1890. Le contexte politique de
la période et la place centrale de la presse dans la
société française éclairent la violence des actes
et des propos d'un mouvement libertaire de plus en plus menaçant. La
machine d'État qui entre une nouvelle fois en activité semble
cependant dépassée par la multiplication des attentats
anarchistes et finit par produire une politique du maintien de l'ordre
remettant en cause les valeurs libérales de la
République.
Il s'agit d'étudier ici l'impact des attentats
anarchistes qui se multiplient à la fin du XIXe sur les
politiques du maintien de l'ordre. L'efficacité de la technostructure
policière est remise en cause à la suite des attaques de Ravachol
et l'explosion de la bombe de Vaillant à la Chambre. Tandis que le
pouvoir exécutif renforce sa maîtrise de l'administration de la
coercition légitime, les rapports de police témoignent de la
façon dont sont perçus les évolutions du mouvement
anarchiste au début des années 1890.
6.1 - Mythe, menace et échecs politiques
La survivance du mouvement anarchiste, malgré
les efforts déployés par les forces de police pour l'enrayer, est
en partie liée à la « grande dépression » qui
touche la France à la fin du XIXe siècle. La crise
économique favorise le développement de mouvements sociaux
soutenus par les compagnons et résultant en une confrontation entre la
classe dirigeante bourgeoise et les milieux populaires. Le 1er mai
1891 et ses conséquences marquent un nouveau tournant dans l'histoire de
l'anarchisme1.
Les journaux à cette époque se
passionnent pour les actes de propagande par le fait et exercent une
véritable influence sur l'opinion publique et l'administration de la
coercition légitime. Il est alors nécessaire de se pencher sur le
traitement des attentats les plus marquants
1 Voir André
Salmon, La Terreur noire. Chronique du
mouvement libertaire, « Chapitre 5 : 1er Mai 1891
» p Pauvert, 1959, p.117-140.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
154
du début des années 1890, sur les
positions des députés d'une Chambre de plus en plus
divisée et sur la réponse de l'appareil policier.
A) Entre dynamite et fait divers, un difficile maintien de
l'ordre
Les historiens à l'instar de Jean Maitron se
sont accordés pour considérer le début des années
1890 comme une véritable « ère des attentats anarchistes
» en France2. La « grande dépression »
apparaît en toile de fond de cette époque marquée par
l'attaque de Fourmies, la manifestation de Clichy et la vengeance de Ravachol.
L'année 1892 devient le théâtre de nouvelles attaques
à la bombe, cinq en tout, dont deux meurtrières, largement
documentées par les journaux qui mythifient la figure de
l'anarchiste.
L'affaire de Fourmies - centre textile du Nord de la
France - s'inscrit dans le contexte plus large d'une crise sociale qui
s'affirme depuis les années 18803. Elle illustre la
difficulté de l'administration du maintien de l'ordre à
réagir adéquatement aux mobilisations ouvrières en
réaction à la récession économique. Alors que les
relations se tendent entre les patrons de l'usine et les ouvriers à la
suite de la réduction du temps de travail et de la baisse des salaires,
les chefs de l'usine font appel aux militaires et posent une affiche « on
travaillera le 1er mai comme tous les autres jours
»4. À l'époque, cette journée ne
revêt pas encore de caractère officiel et mobilise chaque
année des militaires en charge de contenir les différentes
manifestations5. La « fête du travail » de Fourmies
mène rapidement à des échauffourées et à
l'arrestation de plusieurs ouvriers par les gendarmes, mais les soldats
conscrits, paniqués face à une foule révoltée,
commencent à ouvrir le feu et tuent neuf personnes6. Cette
affaire choque les milieux populaires et les parlementaires les plus radicaux,
à l'instar de Georges Clemenceau7, conférant au
régime de la Troisième République « image
répressive qui renvoie aux journées de juin 1848 » selon les
mots de Gilles Ferragu8. Si la fusillade de Fourmies
révèle l'incapacité de la machine d'État à
produire une politique du maintien de l'ordre
2 Jean Maitron,
Le mouvement anarchiste en France, tome1, op.cit.,
p.212.
3 Arnaud-Dominique Houte,
Le Triomphe de la République..., op.cit.,
p.194-195.
4 Ibid.,
p.195.
5 André Salmon,
La Terreur noire, op.cit.
p.118.
6 Ibid.,
p.118.
7 Ibid.,
p.118.
8 Gilles Ferragu,
Histoire du terrorisme, Éditions Perrin, 2014,
p.100.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
155
adaptée, la manifestation de Clichy se
produisant le même jour vient souligner l'ampleur des difficultés
auxquels sont confrontées les forces de police. Après qu'une
trentaine de manifestants a improvisé un défilé
célébrant la fête des travailleurs entre Levallois et
Clichy, ils se dispersent et roulent le drapeau rouge qu'ils ont
érigé tout au long du parcours9. Cependant, le
commissaire Labussière demande à ses agents de s'emparer du
symbole, ce qui résulte en un échange de coups de feu blessant
légèrement les forces de police10. Finalement, trois
militants anarchistes sont arrêtés : Henri Decamps, Charles
Dardare et Louis Leveillé, ce dernier blessé par
balle11. Lors du procès se tenant au mois d'août
suivant, l'avocat général Bulot plaide en faveur de la peine de
mort pour un des prévenus. Le verdict ne répond pas à ses
attentes mais reste sévère, puisque Decamps est condamné
à cinq ans de prison, contre trois pour Dardare, alors que
Leveillé est acquitté12. Le procès n'a pas le
même écho que la fusillade des Fourmies mais fait couler beaucoup
d'encre dans la presse anarchiste. L'année suivante, Ravachol
décide de se venger des magistrats de l'affaire de Clichy et lance une
bombe sur l'immeuble où réside l'un d'entre eux,
déclenchant ainsi « l'ère des attentats
»13.
Jean Maitron, et plus récemment Gilles Ferragu,
évoquent une véritable « psychose » entourant le
mouvement anarchiste dans les années 1890 liée à la
multiplication des attentats, dépassant le simple acte criminel dans les
rubriques des journaux14. Si nous ne souhaitons pas minimiser le
danger que représentent les militants anarchistes partisans de la
propagande par le fait, il faut questionner les portraits que fait la presse de
certaines figures libertaires et qui tendent à influencer l'action de la
machine d'État. Dans son mémoire intitulé Les
attentats anarchistes de la fin du XIXe siècle dans la
presse, Mélusine Giraudot insiste sur le fait que les
journaux traitent les explosions et autre acte de propagande par le fait comme
des « faits divers »15. Alors que la presse popularise le
qualificatif de « terroriste » à la fin du XIXe
siècle, elle met en avant le sensationnalisme de l'attentat en
criminalisant ses auteurs comme
9 André Salmon,
La Terreur noire, op.cit.,
p.120.
10 Ibid.,
p.122-123.
11 Vivien Bouhey,
Les anarchistes contre la République...,
op.cit., p.244.
12 Ibid.,
p.244.
13 Jean Maitron,
Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit.,
p.213. 14Ibid., p.211 ;
Gilles Ferragu, Histoire du terrorisme, op.cit.,
p.97.
15 Mélusine
Giraudot, Les attentats anarchistes de la fin du XIXe
siècle dans la presse, mémoire de Master,
2016.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
156
peut le faire n'importe quel fait divers16.
Ainsi, l'attentat d'Auguste Vaillant en 1893 a produit vingt-deux articles en
une sur un total de cinquante-neuf articles17. Concernant Ravachol,
il est important de noter que le Figaro a entièrement retranscrit son
procès dans son édition du 27 avril 189218 et
participe ainsi à la focalisation de l'opinion publique sur le mouvement
anarchiste. De plus, selon Mélusine Giraudot, les journaux font
état quotidiennement des perquisitions, arrestations et autres
provocations anarchistes ce qui ne fait qu'entretenir une « effervescence
terrifiante et tapageuse » à propos d'un danger
considéré par certains comme
surévalué19. Cet engouement médiatique se
traduit par la création de rubriques spéciales intitulées
« la dynamite » ou « les anarchistes », même si la
plupart des articles concernant les attentats trouvent leur place dans les
rubriques consacrées aux faits divers20. On peut cependant
noter une évolution dans le traitement par la presse des attentats
anarchistes puisqu'avant celui de Ravachol contre le conseiller Benoît en
1892, seul l'explosion de l'Assommoir est traitée comme telle dans les
journaux21. L'émergence des faits divers est liée
à « l'inflation informative » qui marque le début de la
Troisième République22 et favorisée
commercialisation des « quotidiens à un sous »23.
Il est par ailleurs nécessaire de rappeler que l'expression « fait
divers » désigne à la fois des accidents, des meurtres, des
inondations, des bagarres ou encore des suicides24. Or, à la
fin des années 1880, les explosions attribuées aux anarchistes
font l'objet de ces rubriques, interrogeant sur la façon dont ils sont
perçus par les auteurs de ces articles Doit-on y voir ici la promotion
d'actes isolés qui font désormais partie d'un quotidien, certes
tragiques, mais intégrés à la réalité de la
société française de la fin du XIXe
siècle ?
En outre, ceci favorise nécessairement la
construction d'un « ennemi de l'intérieur » engendré
par le monde ouvrier et les bas-fonds parisiens réactivant les peurs de
la société
16Ibid.,
p.12-13.
17 Ibid.,
p.35.
18 « Ravachol en cours d'assises »,
Le Figaro, n°118, 27 avril 1892.
19 Mélusine Giraudot,
Les attentats anarchistes de la fin du XIXe siècle dans la
presse, op.cit., p.41-42.
20 Ibid.,
p.42.
21 Ibid.,
p.44.
22 Marine M'Sili,
Le fait divers en République: histoire sociale de 1870
à nos jours, CNRS, 2000, p.10.
23 Ibid.,
p.34-35.
24 Ibid.,
p.10.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
157
bourgeoise25. La question inévitable
des choix répressifs à disposition de l'administration de la
coercition légitime se doit d'être posée26.
Tandis que l'exécutif a fait le choix de la frappe ciblée
à Lyon en 1882 à la suite de l'attentat du théâtre
Bellecour, la multiplication des actes individuels au début des
années 1890 l'incite à traiter l'anarchisme comme un terrorisme
et à le réprimer en tant que tel. Or, il faut noter que le
mouvement libertaire prône deux modes d'action différents : la
propagande orale et écrite dans les réunions publiques et les
journaux, la « propagande par le fait » menée à l'aide
d'explosion à la dynamite. La presse participe à une
généralisation de la seconde méthode, alors que l'attentat
revêt malgré tout d'une dimension exceptionnelle27.
Ainsi, si les périodiques anarchistes eux-mêmes publient des
articles particulièrement violents, le passage à l'acte reste
rare mais beaucoup plus remarquable28. Jean Grave note alors ce
fossé qui existe entre imaginaire politique et réalité
:
« Tous plus ou moins - mais plutôt plus que
moins - nous rêvions bombes, attentats, actes
«éclatants» capables de saper la société
bourgeoise [...]. La lutte énergique menée contre le tsarisme par
les nihilistes avait fortement influencé notre propagande. [...] Faire
sauter le palais Bourbon, le Palais de Justice, la préfecture de police,
c'était là nos buts et la possibilité en fut
envisagée. Nous nous pourléchions
d'avance29.»
Tableau 8 - Les attentats anarchistes des années
1892-1893
Date
|
Faits
|
Responsable
|
11 mars 1892
|
Explosion d'un
immeuble boulevard Saint-
Germain, le conseiller Benoît est
visé.
|
Ravachol
|
15 mars 1892
|
Explosion de la caserne Lobau.
|
Théodule Meunier
|
25 Gilles Ferragu,
Histoire du terrorisme, op.cit. p.96-97.
26 Ibid.,
p.97.
27 Gilles Ferragu,
Histoire du terrorisme, op.cit, p.105.
28 Ibid.,
p.106.
29 Jean Grave,
Le Mouvement libertaire sous la IIIe
République, Les OEuvres représentatives, 1930, p.
210.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
158
27 mars 1892
|
Explosion de la rue de Clichy contre l'avocat
général Bulot.
|
Ravachol
|
25 avril 1892
|
Explosion du restaurant Very - deux morts.
|
Théodule Meunier.
|
8 novembre 1892
|
Explosion de la rue des Bons-Enfants - cinq
morts.
|
Émile Henry.
|
9 décembre 1893
|
Bombe lancée à la
Chambre des députés - Blessés
légers.
|
Auguste Vaillant ;
Evènement à l'origine des lois «
scélérates ».
|
Source : Jean Maitron, Le Mouvement
anarchiste en France, tome1, op.cit., p.214.
Comme le démontre le tableau 8, la menace
anarchiste qui touche la France au début des années 1890 est bien
réelle. Les feuilles anarchistes de cette période favorisent des
discours de violence inédits, et si l'on peut considérer que
l'attentat reste un acte rare, il fait la une de la presse
populaire30. L'impuissance de la police est sans-cesse
rappelée par les journaux et transparaît dans ses échecs
à arrêter les coupables des explosions mais surtout à
prévenir ces actes meurtriers31. Il incombe au chercheur de
s'interroger sur les raisons expliquant cette incapacité de l'appareil
policier à répondre à sa mission de maintien de
l'ordre.
B) Difficultés policières et réponses
insuffisantes
Une des premières réponses qui s'impose
à nous est le manque de recours judiciaire permettant à
l'administration de la coercition légitime de lutter efficacement contre
la menace
30 Gilles Ferragu,
Histoire du terrorisme, op.cit, p.106.
31 cf. Chapitre
5.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
159
anarchiste. Dans Ses souvenirs de
police, le commissaire Ernest Raynaud rappelle le contexte dans
lequel s'est produit l'attentat de Vaillant et la promulgation des
législations visant à réprimer les menées
anarchistes32. Il reprend en effet les propos de Louis Puibaraud,
alors président du comité des inspecteurs généraux
en 189333 et échangeant avec Charles Dupuy lui même
président du conseil :
« Je m'engage à vous délivrer du
péril anarchiste, si vous me faites voter des lois en
conséquence. Je m'y déclare impuissant avec la législation
actuelle. À quoi nous sert d'arrêter les libertaires, au cours
d'une émeute, puisqu'ils s'en tirent avec une condamnation
bénigne pour port d'arme prohibée ou refus de circuler. La belle
affaire ! À quoi nous sert d'interdire leurs réunions, puisqu'ils
jouissent, comme le commun des mortels, chez nous, du droit d'association ?
Comment faire cesser leur propagande, tant que vous n'aurez pas modifié
la loi sur la presse et restreint ses libertés? Même alors, il
restera aux libertaires les tréteaux de la Cour d'assises, pour y
étaler complaisamment leurs théories en public, que les journaux
reproduisent à des milliers d'exemplaires. Supprimez la publicité
des débats. Il faut mettre les anarchistes hors la loi et revenir, pour
eux, au délit d'opinion34. »
Cette déclaration de Puibaraud interroge sur
les moyens juridiques à disposition des institutions policières
pour prévenir les attentats anarchistes. Malgré la surveillance
accrue qu'ils exercent sur les compagnons, ils n'ont pu empêcher les
explosions qui touchent l'ensemble du territoire français depuis le
début des années 1880.
Ensuite, l'efficacité de l'appareil policier
interroge d'autant plus que cette administration bénéficie
largement des fonds secrets maintenus par le Ministère de
l'Intérieur. La nécessité d'avoir les moyens pour
protéger la République a toujours été au centre de
l'argumentaire du pouvoir exécutif35. Cependant, les
débats autour des dépenses secrètes revêtent avant
tout une dimension politique et non technique36. D'une part, les
députés votent une première fois contre le budget du
ministère de l'Intérieur de l'année 1890, avant de
l'adopter, alors que la menace anarchiste est loin d'avoir
disparu37. D'autre part, le graphique 4 indique que le montant des
fonds secrets n'est pas corrélé aux crises que traversent
la
32 Ernest Raynaud, La
vie intime des commissariats: souvenirs de police, « Le Péril
Anarchsite », Payot, 1926, p.37-46.
33 cf. notice biographique
de Louis Puibaraud sur le site de la Société d'histoire de la
police :
http://www.sfhp.fr/index.php?post/2009/05/02/Notice-biographique-Louis-Puibaraud
34 Louis Puibaraud
cité dans Ernest Raynaud, La vie intime des commissariats: souvenirs
de police, op.cit. p.3940.
35 cf. Chapitre
5.
36 Sébastien- Yves
Laurent, L'Etat secret, l'information et le renseignement en France au XIXe
siècle..., op.cit., p.321.
37 AN, F7 12828. «
Fonds Secrets - Résumés des discussions à la Chambre.
Copies (1884-1896) ». Compte - rendu concernant le budget de
1890.
République, puisqu'il diminue dans les
années 1890 alors que le régime est touché par de nombreux
attentats. Par conséquent, l'inefficacité des forces de police
à lutter contre le mouvement anarchiste peut être expliquée
par une diminution de ses moyens financiers. Sébastien Laurent
considère pour sa part que le régime n'a pas en
réalité compté sur les dépenses secrètes
pour se protéger et qu'il existe une déconnexion entre les «
dépenses secrètes » et « la part réellement
secrète de l'action de l'État »38. Ceci
sous-entend que la machine d'État dispose d'autres moyens à sa
disposition pour lutter contre l'anarchisme durant cette
période.
Graphique 4 - Evolution du montant des fonds secrets du
Ministère de l'Intérieur
(1870-1900)
Fonds Secrets
2500000
2000000
1500000
Fonds Secrets
1000000
500000
0
1870 1875 1880 1885 1890 1895 1900
Source : Sébastien-Yves Laurent,
L'État secret, l'information et le renseignement en France
au XIXe siècle...,
op.cit., p. 322.
Par ailleurs, de l'aveu même des forces de
police, des facteurs extérieurs les empêcheraient de mener
à bien leur mission. D'après une note concernant les «
Mesures
38 Sébastien- Yves
Laurent, L'Etat secret, l'information et le renseignement en France au XIXe
siècle..., op.cit., p.321.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
160
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
161
prises par la Préfecture de police contre les
anarchistes », ces difficultés résident dans la
facilité pour les anarchistes de fuir à l'étranger et
« les indiscrétions de la presse » permettant aux suspects de
dépister les agents qui sont sur leur trace39. Pour confirmer
son propos, l'auteur de la note passe en revue les attentats qui se sont
produits depuis 1892. Dans le cadre de l'explosion du Boulevard Saint-Germain,
la police affirme connaître en moins de huit jours le nom de son auteur :
Ravachol. Cependant, la presse s'en empare immédiatement et « s'en
moque » jusqu'à remettre en question l'existence de
Ravachol40. Puis, l'administration de la coercition légitime
n'échappe pas aux critiques des opposants politiques au gouvernement.
Ainsi, en mars 1892, le député bonapartiste Marius Martin
dénonce l'inefficacité des forces de police contre le mouvement
anarchiste41. Quelques mois plus tard, Georges Laguerre avocat
d'Antoine Cyvoct en décembre 1883, accuse pour sa part la
préfecture de police d'être à l'origine des attentats
:
« Je dis -- et je ne parle point de
l'époque où nous sommes-- je dis qu'il y a une tradition à
la préfecture de police, que j'espère que cette tradition tend
à disparaître et que je souhaite que vous la fassiez
disparaître tout à fait, -- qui fait qu'une partie des anarchistes
dont vous lisez les noms dans les réunions publiques -- cela n'est un
secret pour personne -- ont leur dossier à la préfecture, que ces
anarchistes sont subventionnés par elle et que la tentative des
anarchistes contre la statue de M. Thiers a été vue d'un oeil
bienveillant à la préfecture42. »
Cette déclaration accuse ouvertement
l'institution parisienne de continuer à utiliser des agents provocateurs
et, pour la première fois, la participation de la PP dans l'attentat de
Saint-Germain en Laye en 1881 est évoquée.
Une des premières réponses alors
apportée à ces difficultés policières est d'ordre
juridique. En effet, la loi du 2 avril 1892 modifie les articles 435 et 436 du
Code Pénal et réprime ainsi l'utilisation de la
dynamite43. D'après Jean-Pierre Machelon cette modification
légale est directement liée aux attentats de Ravachol, permettant
d'étendre le crime de destruction volontaire aux explosifs - l'article
435 consacre seulement l'usage du feu - et de
39 AN, F /12504.
Agissements anarchistes. « Mesures prises par la Préfecture de
Police contre les anarchistes. Leur Surveillance », note du 27 avril
1894.
40Ibid. «
Mesures prises par la Préfecture de Police contre les
anarchistes. Leur Surveillance. » Note du 27 avril 1894.
41 Séance de la
Chambre des député du 15 mars 1892, Journal Officiel
de la République, 16 mars 1892, p.270.
42 Georges Laguerre
à la Chambre des députés le 16 novembre 1892,
Journal Officiel de la République, 17 novembre
1892, p.1569.
43 Le texte de la loi est
reproduit en Annexe 4.
Prénom Nom - « Titre de la
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162
condamner les auteurs à la peine de
mort44. De plus, la liste des objets détruits dans ce cadre
concerne désormais « tous objets mobiliers et immobiliers de
quelque nature qu'ils soient »45. De plus, la loi du 2 avril
1892 indique que « le dépôt, dans une intention criminelle,
sur une voie publique ou privée d'un engin explosif sera assimilé
à la tentative du meurtre prémédité
»46. Enfin, elle encourage la dénonciation, permettant
aux « coupables délateurs » d'échapper à la
peine capitale mais ne les empêchant pas d'être frappés
d'interdiction de séjour potentiellement à vie47. Pour
Machelon cette modification de la loi est inutile dans le sens où
l'article 435 originel du code pénal et tout attentat constituant un
homicide entrainent une condamnation à la peine de mort48. Le
juriste considère que le texte du 2 avril trahit « l'intention
vengeresse du législateur » relevant avant tout de la forme et non
de véritables modifications de fond49.
Néanmoins, les forces de polices
bénéficient toujours de la possibilité d'effectuer de
vastes opérations de perquisitions contre les milieux anarchistes sur
l'ensemble du territoire français, à l'instar de celles
menées entre mai et juin 189250. Le journal Le
Temps indique que des mandats d'arrêts ont été
délivrés par la préfecture de police contre 66 anarchistes
et que 43 individus ont été arrêtés à
Paris51. Le périodique, en comparaison avec d'autres
journaux, dresse un portrait relativement positif de l'institution parisienne
(potentiellement liée à la participation ponctuelle de Louis
Puibaraud au quotidien), encourageant sa lutte contre le mouvement : «
Depuis le jour où le parti anarchiste a signalé son existence par
des explosions, la préfecture de police a surveillé d'une
manière plus étroite les individus qui font partie de cette secte
»52. Les coupures du quotidien Le Temps
conservées par les agents de la Sûreté
indiquent aussi que sur ordre du ministère de la justice, les
exemplaires de la feuille libertaire Le Père Peinard
ont été saisis dans tout le pays53.
Enfin, le correspondant du journal
44 Jean-Pierre
Machelon, La République contre les libertés ?...,
op.cit. p.412.
45 Ibid.,
p.412.
46 Le texte de la loi est
reproduit en Annexe 4.
47 Jean-Pierre
Machelon, La République contre les
libertés?..., op.cit. p.412.
48 Ibid.,
p.412.
49 Ibid.,
p.413.
50 AN, F7 12507. Arrestations
et perquisitions dans les milieux anarchistes (1892-1895).
51 AN, F7 12507. Extrait du
journal Le Temps, 23 avril 1892.
52 Ibid. Extrait du
journal Le Temps, 23 avril 1892.
53 Ibid Extrait du
journal Le Temps, 28 avril 1892.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
163
à Lyon note que des « mesures
répressives [ont été] prises à l'égard des
anarchistes dans le département du Rhône par le parquet de Lyon
»54. Massard n'évoque aucunement cette vague
d'arrestations massives qui rappelle pourtant celle précédant le
procès des 6655. Un dossier retrouvé aux AN confirme
que la police a arrêté des anarchistes pour association de
malfaiteurs et un document récapitule les arrestations effectuées
par les préfets dans plusieurs départements
français56. Celui-ci relativise immédiatement l'impact
de cette opération policière, puisque sur un total de 167
arrestations, 118 personnes sont relaxées57. Enfin, ces
arrestations provoquent à la Chambre de nouveaux débats
concernant le délit d'opinion, notamment entre le député
socialiste Aimé Lavy et le conservateur Paul
Déroulède58. « Il n'est personne, à part
quelques terroristes, qui approuve les faits criminels qui ont
été accomplis » affirme Lavy avant d'ajouter :
« J'ai cherché à vous
démontrer que les hommes d'opinion avancée réprouvaient
les explosions de dynamite ; mais les anarchistes eux-mêmes les
condamnent, sinon d'une façon très nette, avec quelques
restrictions sans doute, mais au moins de manière que notre opinion
puisse se faire sur leur sentiment59. »
Le socialiste annonce alors qu'il ne votera pas
l'ordre du jour de Déroulède puisque qu'il condamne selon lui une
doctrine et « le Parlement ne peut pas s'ériger en juge des
opinions »60. La discussion pose une nouvelle fois la question
de la distinction entre la propagation d'une doctrine et les actes
revendiqués au nom de celle-ci.
En somme, ni la modification de la loi sur les
explosifs, ni le déclenchement d'une opération judiciaire de
grande ampleur n'ont constitué une répression efficace du
mouvement anarchiste. Les méthodes employées par l'appareil
policier ne produisent pas le résultat escompté et divisent la
Chambre sur la façon de gérer la menace. L'année 1893 est
marquée
54 Ibid Extrait du
journal Le Temps, 29 avril 1892.
55 Maitron et Massard
soulignent avant tout la peur des militants de subir de nouvelles arrestations
à la suite des attentats de Ravachol.
56 AN, F7 12507. «
Etat des anarchistes arrêtés sous l'inculpation d'associations de
malfaiteurs (article 265 du Code Pénal) - 17 mai 1892 ». Ce
document est reproduit en annexe.
57 Ibid. «
Etat des anarchistes arrêtés sous l'inculpation d'associations de
malfaiteurs (article 265 du Code Pénal) - 17 mai 1892 ». Ce
document est reproduit en annexe.
58 Chambre des
députés, séance du 21 mai 1892, Journal
Officiel de la République, 22 mai 1892.
59 Ibid.,
p.595.
60 Ibid.,
p.599.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
164
par un nouvel attentat qui touche le coeur du pouvoir
et marque un tournant définitif en matière de libertés
publiques pour la Troisième République.
6.2 - Quel modèle pour l'avenir ?
La propagande par le fait anarchiste, culminant avec
les actes de Ravachol puis l'attentat de Vaillant en 1893, vient rappeler que
le mouvement libertaire reste l'adversaire le plus résolu de «
l'ordre social bourgeois ». Si la tendance individualiste du mouvement
réduit de fait son impact politique, l'anarchisme participe activement
au désordre social61. Le cycle d'attentats qui
caractérise le début des années 1890 en France entraine
logiquement un cycle répressif actionné par la machine
d'État. Le régime républicain en vient à promulguer
un « véritable code de répression de l'anarchisme
»62 remettant définitivement en cause les principes
libéraux défendus par les opportunistes à leur
arrivée au pouvoir en 1879.
A) Nouvel attentat, nouvelles réponses
La bombe qui explose à la Chambre des
députés le 9 décembre 1893 et qui fait la une de la presse
le lendemain est l'attentat anarchiste de trop pour le gouvernement
opportuniste. Le militant Auguste Vaillant souhaite venger la mort de Ravachol
et protester contre la répression du gouvernement en commettant cet acte
au coeur même des institutions républicaines. Ceci entraine une
réponse législative avec la promulgation des premières
lois dites « scélérates » dans les jours qui suivent
l'événement ainsi qu'une action administrative pour tenter
d'enfin enrayer la menace anarchiste.
Jean Maitron pour sa part estime que l'attaque de
Vaillant aurait largement pu être évitée, et accuse la
négligence de la police plutôt que le manque de
moyens63. L'historien indique que dès le 11 décembre,
soit un an avant l'attentat, un rapport du commissaire spécial de la
police des chemins de fer indique que les anarchistes étudient le projet
d'une explosion
61Jean-Pierre
Machelon, La République contre les liberté
?..., op.cit., p.402.
62 Ibid.,
p.406.
63 Jean Maitron,
Le mouvement anarchiste en France, tome 1,
op.cit. p.237.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
165
au palais Bourbon64. Puis un autre document
retrouvé aux archives de la PP enjoint les forces de police à
surveiller plusieurs lieux susceptibles d'être visés par les
anarchistes, notamment les galeries de la Bourse et les tribunes de la Chambre
des députés65. L'auteur du rapport précise que
« cela ne veut pas dire qu'il s'y produira des tentatives, mais
réellement, dans l'état actuel des choses, les anarchistes
s'attendent à des arrestations en masse ; on peut donc craindre qu'il y
en ait parmi eux qui ne voudraient pas être arrêtés
»66. Ainsi, selon Jean Maitron, la police a été
avisée par la Sûreté Générale deux jours
avant l'attentat « qu'il y a lieu de se borner à prendre les
mesures de police pour prévenir toute tentative de ce genre
»67. Enfin, l'historien précise que Vaillant est connu
des services de police depuis plusieurs années et soumis à une
importante surveillance68. Son nom apparaît en effet dans une
liste, non datée, retrouvée dans le carton BA 1499, l'associant
au comité révolutionnaire central à tendance
blanquiste69. Selon la notice biographique du militant, il a en
effet fait partie de ce groupe dans les années 188070. De
plus, l'explosion de la Chambre de décembre 1893, aussi impressionnante
soit-elle, n'a fait que quelques blessés71. De l'aveu de
Vaillant lui même lors de son interrogatoire, il a
préféré blesser plutôt que de tuer.. Dans cette
optique,, explique-t-il, il aurait utilisé des balles et non des
clous72. Malgré cela, il est condamné à mort -
une première depuis le début du siècle pour quelqu'un qui
n'a pas tué73 - et malgré la mobilisation de plusieurs
députés en faveur de sa grâce, Vaillant est
exécuté le 5 février 189474. La rapidité
de la procédure concernant le militant anarchiste, la
sévérité de sa peine et la promulgation en
parallèle des lois dites « scélérates » tend
à favoriser la « théorie
64 Rapport du 11
décembre 1892, AN, F7 12516, cité dans Jean Maitron,
Le mouvement anarchiste en France, tome 1,
op.cit., p.237.
65 APP, BA 78, rapport de
« Nemo », 15 novembre 1893, cité en partie dans Jean Maitron,
Le mouvement anarchiste en France, tome 1,
op.cit., p.237.
66 APP, BA 78, rapport «
Nemo », 15 novembre 1893.
67 AN, F7 12517, cité
dans Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1,
op.cit., p.237. 68Jean Maitron, Le
mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit.,
p.238.
69 APP, BA 1499. Listes et
état des menées anarchistes jusqu'en 1893. « Etat des
principaux groupes des diverses écoles socialistes de Paris
».
70
http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article86167,
notice VAILLANT Auguste [anarchiste] par Jean Maitron, version mise en ligne le
30 mars 2010, dernière modification le 18 mars 2011.
71Jean Maitron,
Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit.,
p.233. 72 Gazette des
Tribunaux, n°69, Jeudi 11 janvier 1894.
73Jean Maitron,
Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit.,
p.233. 74Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en
France, tome 1, op.cit., p.234-235.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
166
du complot gouvernemental » affirmant que
l'explosion ait été le fait d'agents provocateurs75.
Dans Ses souvenirs de police, le commissaire Ernest
Raynaud rappelle le contexte dans lequel s'est produit l'attentat et la
promulgation des législations visant à réprimer les
menées anarchistes76. L'anarchiste Jacot affirme en effet que
l'explosion du Palais Bourbon n'est rien d'autre qu'un complot fomenté
par le gouvernement avec la complicité de Charles Dupuy, alors
président de la Chambre : « Ah ! la bravoure de Dupuy !... Elle ne
lui coûtait pas cher !... Il savait mieux que personne que l'engin
était inoffensif.77 » Le commissaire pour sa part,
n'approuvant ni ne contredisant les propos du militant, note que « jamais
bombe plus anodine n'était intervenue plus à propos
».78 Le 12 décembre 1893, la première loi dite
« scélérate » est votée dans le but de
répondre à cette attaque de l'anarchisme visant le coeur du
pouvoir républicain. Le texte réforme celui du 29 juillet 1881
sur la liberté de la presse, punissant dorénavant les
provocations indirectes. La seconde promulguée au Journal Officiel le 19
décembre 1893 concerne les associations de malfaiteurs et permet de
réprimer les personnes affiliées à ces organisations
même si elles n'ont pas commis de crime79. Nous ne souhaitons
pas nous appesantir sur le contenu de ces législations liberticides
visant à limiter la menace anarchiste, mais de nous pencher sur la
réaction de la machine d'État à la suite de l'explosion
à la Chambre des députés.
Cet attentat marque un nouveau tournant dans les
méthodes de répressions adoptées par l'administration de
la coercition légitime pour lutter contre les anarchistes. Alors que la
loi Municipale de 1884 renforce le contrôle qu'exerce le Ministère
de l'Intérieur sur les forces de police locale, les politiques du
maintien de l'ordre restent la responsabilité d'un réseau large
mais inefficace. L'attentat d'Auguste Vaillant entraine une réaction
inédite de l'appareil policier puisque David Raynal récemment
nommé, émet une circulaire ordonnant à tous les
préfets des renseignements sur les organisations anarchistes de leur
département80. L'objectif est de déterminer s'il
existe sur le territoire français une organisation anarchiste
organisée et en capacité de renverser le régime. Les
agents de la Sûreté ont ensuite consigné ces
réponses
75 Jean Maitron,
Le mouvement anarchiste en France,
tome1, op.cit.,
p.236-237.
76 Ernest raynaud, La vie
intime des commissariats: souvenirs de police, op.cit.,
p.37-46.
77 Jacot cité dans
Ernest raynaud, La vie intime des commissariats: souvenirs de police,
op.cit.p.42.
78 Ibid.
p.44.
79 Les textes des lois sont
reproduits en annexe.
80 AN, F7 12504. «
Organisation anarchiste - Réponses à la Circulaire du 13
décembre 1893 ».
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
167
dans un tableau81 que nous reproduisons en
annexe et permet de dresser une cartographie des pôles les plus actifs et
de constater la perception qu'ont les autorités locales de la menace.
Dans les Basses-Alpes, le Calvados, le Cantal, la Corrèze, les
Côte-du-Nord, la Creuse, la Dordogne, l'Eure, l'Eure-et-Loir, le Gers,
l'Ille-et-Vilaine, les Landes, le Lot, la Lozère, la Mayenne, l'Orne, la
Haute-Saône, la Savoie, les Deux-Sèvres, la Vendée et
l'Yonne, les préfets rapportent qu'il n'y a pas d'anarchistes. Celui du
Morbihan indique la présence d'un seul anarchiste, quand celui de l'Oise
indique qu'il y a « 4 anarchistes isolés », quand ceux de la
Vienne, des Vosges et de Savoie estiment qu'il n'y a pas de groupes anarchistes
dans leur département. Ce que constatent avant tout les administrations
locales c'est l'absence d'organisation structurée du mouvement,
indiquant la présence de militants se réunissant et correspondant
parfois avec l'étranger, mais ne représentant pas de «
groupement sérieux ». Ce sont les préfets des
Bouches-du-Rhône, de la Loire et de Paris qui donnent les chiffres les
plus importants de militants mais réfutent l'existence de toute
organisation, estimant qu'une seule partie d'entre eux est réellement
active - et potentiellement dangereuse - liant cela aux politiques
répressives des années précédentes. Par exemple,
à Marseille le préfet indique qu'il y a :
« de 100 à 110 anarchistes ; plus de la
moitié sont étrangers. Ils étaient constitués jadis
en 3 groupes distincts (...) A la suite des perquisitions successives et des
expulsions auxquelles il a été procédé ces
dernières années, tous ces groupes ont disparu. Il ne reste plus
que des individualités d'autant plus redoutables que la disparition des
groupes a rendu la surveillance plus difficile82 .»
Un certain nombre de préfets font aussi
état de correspondances entre les militants, notamment à
l'étranger, démontrant des relations entre différents
groupes mais pas d'organisation au sens premier du terme. Ainsi, le groupe
d'anarchiste de Toulouse est en « relation avec les anarchistes des autres
villes, notamment de Paris » selon le préfet de Haute-Garonne quand
celui de Gironde note l'existence de « correspondances individuelles
» entre les anarchistes de Bordeaux et ceux d'autres départements
et que le secrétaire du groupe de Sainte-Florine en Haute-Loire «
correspond avec les groupes étrangers ». Le préfet de l'Ain
se veut plus précis sur la nature de ces relations avec
l'étranger, indiquant que « deux d'entre eux [anarchistes de l'Ain]
vont souvent à Genève, où ils sont en rapport avec les
anarchistes de Suisse. On suppose qu'ils servent d'intermédiaires entre
ces derniers et les
81 Ibid. «
Organisation anarchiste - Réponses à la Circulaire du 13
décembre 1893 ».
82 Ibid. «
Organisation anarchiste - Réponses à la Circulaire du 13
décembre 1893 ».
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
168
compagnons de Lyon pour l'introduction en France des
publications révolutionnaires »83. Néanmoins, la
majorité des réponses relativise la présence de nombreux
militants et de groupes organisés remettant en cause l'hypothèse
de l'existence d'une organisation anarchiste en France. Ceci interroge alors
sur les méthodes de répressions envisagées par le
Ministère de l'Intérieur à la suite du bilan de cette
circulaire. Cependant, ce qui nous intéresse avant tout est de constater
si les politiques de maintien de l'ordre mises en place depuis l'explosion de
Bellecour en 1882 ont eu l'effet escompté. Si Lyon est toujours apparu
comme le chef lieu du mouvement anarchiste, les militants ont subi de nombreux
revers depuis le procès des 66 et ont eu du mal à maintenir une
communauté influente. Le préfet du Rhône semble dresser ce
constat dans sa réponse à la circulaire de décembre 1893 :
« pas d'organisation proprement dite, pas de relation avec les anarchistes
lyonnais en tant que collectivité, avec les groupes des autres villes et
de l'étranger, mais des relations individuelles fréquentes entre
les compagnons lyonnais et ceux de l'étranger »84. La
région souffre en effet de la désorganisation de la
Fédération révolutionnaire et l'éparpillement des
groupes depuis la fin des années 1880, liés aux efforts
déployés par l'institution policière lyonnaise depuis le
procès des 6685. On l'a en effet constaté, les
commissaires spéciaux s'appuient sur des réseaux d'indicateurs
financés par les fonds secrets pour mener à bien leur lutte
contre le mouvement anarchiste86.
Ce compte-rendu des préfets
réalisés en 1893 fait état d'une réalité
résultant de mesures répressives instaurées depuis la fin
des années 1880 pour lutter contre la menace anarchiste. Le document
révèle d'une part que, malgré ses difficultés
remarquées durant « l'ère des attentats », les forces
de police disposent de moyens pour enrayer le mouvement se
révélant efficaces. De plus, si une organisation anarchiste a
existé au début de la Troisième République, les
réponses à la circulaire de décembre 1893 indiquent
qu'elle a largement disparu à ce moment-là.
83 Ibid. «
Organisation anarchiste - Réponses à la Circulaire du 13
décembre 1893 ».
84 AN, F7 12504. «
Organisation anarchiste - Réponses à la Circulaire du 13
décembre 1893 ».
85 Marcel Massard,
Histoire du mouvement anarchiste à Lyon...,
op.cit., p 137.
86 cf. Chapitre 5 ; ADR
4M74.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
169
B) Un maintien de l'ordre incompatible avec la garantie
juridictionnelle des libertés
La promulgation des lois «
scélérates » et les restrictions qu'elles imposent en
matière de libertés publiques amène à la question
suivante : de quelle façon les anarchistes sont-ils perçus par le
gouvernement? Le terme anarchiste devient synonyme de terroriste et
vice-versa87. Au début des années 1890, le mouvement
libertaire n'est plus que perçu au travers du prisme des attentats, ce
qui conditionne la réaction de la machine d'État.
Une distinction existe bien entre doctrine anarchiste
et acte terroriste, cependant la première loi scélérate du
18 décembre 1893 ne concerne pas particulièrement les attentats.
Selon Machelon, elle légalise les méthodes administratives et
policières jusqu'à présent appliquées par la
machine d'État pour réprimer l'ensemble des
compagnons88. Cela étant dit, la promulgation des
législations d'urgence à la suite de l'attentat de Vaillant a
marqué un tournant dans les mesures accordées à
l'administration de la coercition légitime. Par conséquent,
dès le 1er janvier 1884 une nouvelle opération de
perquisition est organisée par le préfet de police sur la base de
l'article 10 du code d'instruction criminelle89. Cette disposition
législative « d'inspiration napoléonienne » selon
Jean-Marc Berlière est considérée par de nombreux juristes
comme une « menace permanente » pour la liberté
individuelle90. Selon l'auteur d'une note en date du 23 avril 1894,
ce texte « autorise le Préfet de Police, à Paris, et les
Préfets dans les départements, à faire tous actes de
recherche, de perquisition, de saisie, qui appartiennent à la Justice
elle-même, mais avec différence que ces mesures ainsi
ordonnées par les Préfets ont un caractère
préventif, préparatoire » et permet de faire appliquer les
lois de décembre 189391. Les commissaires effectuent ce
jour-là deux mille perquisitions, traduisant l'ampleur de la traque dont
sont victimes les anarchistes au début de cette
période92. Le juriste estime que durant cette période
la liberté individuelle des suspects
87 Thomas Bausardo dans
La Fabrique de l'Histoire, « Histoire des Anarchies (4/4) : Y
a-t-il eu une internationale anarchiste ? » France Culture, produit par
Emmanuel Laurentin, le 31 août 2017.
88Jean-Pierre
Machelon, La République contre les
libertés?...,
op.cit., p.414.
89 Ibid.,
p.418.
90 Jean-Marc
Berlière, « Une menace pour la liberté individuelle sous la
République. L'article 10 du code d'instruction criminelle »,
Criminocorpus [En ligne], Histoire de la police,
Articles, mis en ligne le 01 janvier 2008, consulté le 11 mai 2019. URL
:
http://journals.openedition.org/criminocorpus/262/
91 AN, F7 12504. «
Mesures prises par la Préfecture de Police contre les anarchistes. Leur
Surveillance. », note du 23 avril 1894.
92 Jean-Pierre
Machelon, La République contre les
libertés?..., op.cit., p.418.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
170
visés par une surveillance et une
répression d'un genre nouveau est largement restreinte93.
Cependant, selon la préfecture de police, il est extrêmement
difficile de mettre en pratique les lois votées en décembre
189394. Enfin, dans la note évoquée
précédemment concernant les mesures prises par la
préfecture de police contre les anarchistes, une partie est
consacrée aux difficultés que rencontre l'institution parisienne
à mettre en pratique les législations votées en
décembre 189395. Les perquisitions effectuées en
janvier 1894 ont été fructueuses mais les correspondances des
militants retrouvées sont antérieures à décembre
1893 et ne tombent donc pas sous le coup des premières lois «
scélérates »96. De plus, ces législations
ne permettent pas de lutter efficacement contre le mouvement anarchiste selon
l'auteur de la note puisqu'il faut que la justice prouve qu'il existe une
entente entre les compagnons ou qu'ils détiennent des substances pouvant
servir à fabriquer des explosifs. Or, il est extrêmement difficile
d'établir une entente dans le cas où « l'exécution
criminelle est toujours chez eux une oeuvre isolée97».
C'est pourquoi les perquisitions restent le seul procédé à
disposition des forces de police pour appliquer les lois de 1893.
Par ailleurs, la question de l'existence d'un «
complot anarchiste » conditionne donc la forme que prennent les poursuites
engagées contre le mouvement libertaire. Selon Gaetano Manfredonia, les
lois dites « scélérates » font de la propagande
anarchiste un délit spécifique98. Ceci marque alors
une évolution dans les méthodes de répression puisque
jusque-là, les rapports de polices s'appuyaient sur la loi en vigueur
concernant les associations de malfaiteurs pour lutter contre le mouvement
anarchiste99. La question de l'assimilation du terme «
terroriste » aux anarchistes est essentielle pour comprendre la forme de
répression qui s'abat sur le mouvement au début des années
1890. Jean Maitron soutient pour sa part que la violence de l'ère des
attentats est en fait « la maladie infantile de l'anarchisme » et
sous-
93 Ibid.,
p.418.
94 AN, F7 12504. «
Mesures prises par la Préfecture de Police contre les anarchistes. Leur
Surveillance. », note du 23 avril 1894.
95Ibid. «
Mesures prises par la Préfecture de Police contre les anarchistes. Leur
Surveillance. », Note du 23 avril 1894.
96 Ibid. Note du 23
avril 1894.
97 Ibid. Note du 23
avril 1894.
98 La Fabrique de
l'Histoire, « Histoire des Anarchies (4/4) : Y a-t-il eu une
internationale anarchiste ? » France Culture, produit par Emmanuel
Laurentin, le 31 août 2017.
99 Ibid. 31
août 2017.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
171
entend donc que la propagande par le fait n'est pas le
coeur de la doctrine anarchiste100. Comme le note Gilles Ferragu,
l'anarchisme est un mouvement tiraillé entre les compagnons partisans
des méthodes de propagande orale et pacifiste et des militants ne jurant
que par l'acte de propagande par le fait101. Et si ce dernier reste
exceptionnel, le terme de terroriste reste intrinsèquement lié
à celui d'anarchiste. En réalité, l'opinion de certains
leaders anarchistes à propos des attentats qui secouent la France et
l'Europe au début des années 1890 souligne toute
l'hétérogénéité du mouvement. Pierre
Kropotkine condamne dans un article l'attentat qui touche le
célèbre théâtre du Liceu à Barcelone et cause
la mort pas seulement de « bourgeois » mais aussi d'innocents. Jean
Grave demande au philosophe russe de ne pas publier son article et en propose
un à la place qui se termine ainsi :
« Certes, pour en arriver à
exécuter cet attentat, il faut avoir le coeur creusé par la
haine, corrodé par les souffrances endurées. Pour qu'un
anarchiste, dont la préoccupation maîtresse est celle de la
justice, puisse arriver à concevoir froidement la mort de tant de
personnes coupables seulement d'appartenir à la classe
privilégiée, il faut qu'il soit bien profondément
ulcéré102. »
Sans faire l'apologie de l'attentat terroriste, Jean
Grave cherche à comprendre les motivations qui puissent pousser
quelqu'un à produire un acte de propagande par le fait d'une telle
violence qui dépasse largement la forme théorisée par les
penseurs de l'anarchisme. Le militant ajoute dans ses mémoires que le
fait qu'un des auteurs de l'attentat soit soumis à la torture en prison,
« ne justifiait pas l'attentat, mais cela l'expliquait
»103.
Du côté de Lyon, où le mouvement
anarchiste a connu une répression certaine depuis le procès des
66, les militants désapprouvent les actes de Ravachol et ses attaques de
commissariat. Ils redoutent en effet la répression des forces de police
qui se manifeste régulièrement à l'aide de perquisitions
et d'arrestations préventives depuis l'attentat de
Bellecour104. Pourtant, les rapports de police indiquent que les
forces de l'ordre ont conscience de cette
hétérogénéité du mouvement. En mai 1890, un
nommé « Epié » explique dans un rapport que « le
parti anarchiste se divise en deux catégories bien distinctes
»105 . La première prône le vol et souhaite «
empiler » le vieux monde, quand la seconde est dirigée
par
100 Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en
France, tome 1, op.cit.,
p.259.
101 Gilles Ferragu, Histoire du terrorisme,
op.cit., p.105.
102 Jean Grave, Le Mouvement libertaire sous
la IIIe République..., op.cit.,
p.112-113.
103 Ibid., p.113.
104 Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste
à Lyon..., op.cit., p.154.
105 APP, BA 76. Epié, Paris, le 30 mai
1890.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
172
Reclus, Kropotkine et Grave qui à l'aide de
leur journal la Révolte proposent les «
principes fondamentaux de la société anarcho-communiste
»106. Se concentrant avant tout sur le financement de la
feuille anarchiste et ses célèbres auteurs, l'indicateur finit
cependant son rapport sur cette note : « Revenant à la
Révolte, il est bon de dire que ses articles sont toujours
conçus d'une façon telle qu'ils ne tombent pas sous le coup de la
loi, car un procès ou deux seraient causes de sa disparition
»107. Enfin, l'année suivante, alors que la France
s'apprête à entrer dans l'ère des attentats, un autre
rapport de police souligne l'évolution du mouvement au début des
années 1890 et relativisant l'idée d'une unité militante
:
« Ce que l'on a coutume d'appeler le « parti
anarchiste » subit en ce moment une transformation qui rend assez
difficile une étude d'ensemble sur ses groupes et ses principaux
membres. Les personnalités plus ou moins tapageuses qui, il y a quelques
années faisaient parler d'elles, se sont apaisées ou
complètement retirées du mouvement ou n'apparaissent plus que de
très loin dans les réunions de la secte. D'autre part, ceux que
l'on désignait ou qui se désignaient eux-mêmes comme des
militants, des hommes d'action sont pour les mêmes causes ou des causes
adjacentes, disparus également pour la plupart. (...)108.
»
La police a donc conscience des mutations qui
traversent l'organisation au début des années 1890. Dans ce
rapport, il est aussi indiqué qu'il existe une différence entre
les militants favorisant l'action individuelle et le reste des «
compagnons ». L'indicateur insiste néanmoins sur le renouvellement
des effectifs anarchistes parmi une jeunesse éduquée et
prônant de nouvelles formes d'action. Ces dernières sont
critiqués par certains penseurs de l'anarchisme à l'instar
d'Émile Pouget se désolant du « silence des anciens »
sur ces nouveaux groupes « de jeunes »109. L'auteur de la
note fait état pour sa part d'une mutation du mouvement libertaire
:
« il résulterait que le parti anarchiste
serait plutôt en décroissance qu'en progrès et si l'on
devait simplement se rapporter au peu d'importance des groupes existants. Mais
en en n'examinant que ce point de vue, on risquerait de se tromper. Les
anarchistes, comme presque tous les autres socialistes révolutionnaires,
subissent une période de « mue », à Paris au moins
(...) Il suffit de lire les organes anarchistes pour se rendre compte du fait :
il suffit surtout d'entendre ceux qui rédigent lesdits organes
»110.
106 Ibid. Epié, Paris,
le 30 mai 1890.
107 Ibid. Epié, Paris,
le 30 mai 1890.
108 APP, BA 77. « Les Anarchistes. Bulletin de
quinzaine » Paris, le 5 novembre 1891.
109 Ibid. « Les
Anarchistes. Bulletin de quinzaine » Paris, le 5 novembre
1891.
110 Ibid. « Les
Anarchistes. Bulletin de quinzaine » Paris, le 5 novembre
1891.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
173
L'indicateur prend ensuite le temps d'analyser les
feuilles les plus populaires à Paris et l'impact qu'elles ont sur le
mouvement. La Révolte, animée par
Kropotkine et Reclus entre autres, est l'organe le plus ancien mais aussi le
plus philosophique et le moins accessible. Selon lui : « la Révolte
fait plus de propagande et de recrues dans les classes aisées que parmi
la classe ouvrière qui ne la comprend pas »111. Ce n'est
pas le cas du Père Peinard, dont le style direct et pamphlétaire
touche plus la province que la capitale et en fait un « organe de
propagande anarchiste très sérieux » d'après le
rapport112. Enfin, les journaux parisiens le
Pot-à-Cole et le Rifflard,
dont l'influence est très limitée inquiète
tout de même l'indicateur dont la « besogne porterait des fruits qui
pourraient être tristes à recueillir »113. Ce
rapport fait ainsi la distinction entre les journaux favorisant la
théorisation de la pensée anarchiste et ceux faisant donc
l'apologie des actes les plus violents. De la même façon,
l'indicateur de police préconise des mesures de répressions
nécessaires contre les nouveaux groupes de militants, tenant des
discours violents et les compagnons se réunissant dans le but de
réfléchir et de discuter de la philosophie
anarchiste.
En somme, les lois « scélérates
» apparaissent comme une réponse politique du gouvernement à
l'attaque de Vaillant qui érige les anarchistes comme ennemis publics de
la République. L'appareil policier pour sa part regrette leurs
difficultés d'application et s'appuie sur l'article 10 du code de
procédure criminelle pour mener à bien sa mission
répressive. Cette dernière prend une dimension inédite au
milieu des années 1890 puisque c'est autant les actes terroristes que la
pensée anarchiste qui sont visés par les législations de
décembre 1893114. Tandis que les agents de police ont
conscience de la distinction qui existe entre doctrine libertaire et acte de
terreur, la machine d'État a définitivement abandonné les
principes fondamentaux du libéralisme au profit de la protection du
régime.
111 Ibid. « Les
Anarchistes. Bulletin de quinzaine » Paris, le 5 novembre
1891.
112 Ibid. « Les
Anarchistes. Bulletin de quinzaine » Paris, le 5 novembre
1891.
113 Ibid. « Les
Anarchistes. Bulletin de quinzaine » Paris, le 5 novembre
1891.
114 Voir le texte des lois en Annexe 5.
Prénom Nom - « Titre de
la thèse » - Thèse IEP de Paris -
Année 174
Conclusion
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
175
« Nous avons en France trop de polices ou une police
trop compliquée1. »
Cette phrase du criminologue Edmond Locard s'applique
au ressenti qui s'exprime à la fin de ce travail de recherche. Les
institutions policières de la fin du XIXe siècle
s'entremêlent dans un schéma complexe et produisent une
quantité d'archives dans laquelle le chercheur doit se frayer un chemin.
La police ne se résume pas seulement au ministère de
l'Intérieur, à la Préfecture de police, et à la
Sûreté générale. Il faut aussi prendre en compte les
polices municipales - étatisées ou non - et les
prérogatives dont disposent les préfets sur leur
département en matière de maintien de l'ordre. Ce n'est pas tout,
car l'appareil policier n'est qu'une partie de l'administration de la
coercition légitime qui s'organise au début de la
Troisième République ; l'institution judiciaire et le pouvoir
exécutif viennent compléter ce schéma déjà
très complexe. Nous avons cherché tout au long de ce
mémoire à expliquer le fonctionnement, le rôle et les
limites de ces différentes institutions opérant sous
l'égide de ce que nous avons nommé la « machine
d'État » du régime républicain.
La République contre les
anarchistes
Ce travail s'ancre dans une réflexion globale
concernant la Troisième République et le libéralisme de
ses institutions au travers de la question suivante : le régime a t-il
créé de toute pièce une menace anarchiste pour pouvoir se
légitimer ?
Cette hypothèse frontale a été
immédiatement écartée à la vue de la formulation du
principe de la « propagande par le fait » et des nombreuses attaques
à la bombe qui ont marqué la période
étudiée2. Cela ne nous a pas empêché de
nous pencher sur les réponses apportées par le gouvernement
opportuniste pour enrayer la propagation du militantisme anarchiste. Nous avons
ainsi constaté la mise en place d'un maintien de l'ordre
républicain en parallèle du développement d'un mouvement
anarchiste dans les années 1880. Les compagnons profitent de la loi
d'amnistie des communards votée par les opportunistes à leur
arrivée au pouvoir ainsi que du retour des militants internationalistes
réfugiés dans les pays européens frontaliers pour se
réorganiser.
La période étudiée est tout aussi
centrale pour le lecteur qui s'intéresse aux fondements de la
Troisième République et à l'administration
policière que pour celui qui se
1 Edmond Locard, La police, ce qu'elle est,
ce qu'elle devrait être, Payot, 1919.
2 Voir Annexe 1 - Tableau des actions
anarchistes.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
176
passionne pour l'histoire de l'anarchie. La
libéralisation de la presse favorise autant les « quotidiens
à un sous » adeptes de romans-feuilletons et de faits divers que
les périodiques anarchistes. Puis, pendant la restructuration de la
Sûreté générale et la mise en place des lois «
fondatrices », un premier attentat anarchiste de grande ampleur touche le
café l'Assommoir du théâtre Bellecour à Lyon en
octobre 1882. L'événement marque l'opinion publique - un
garçon de café est tué - et fait prendre conscience
à l'administration de la coercition légitime, la menace que
représente les anarchistes, alors qu'elle redoutait jusqu'à
présent la formation d'une nouvelle Internationale.
Le procès des 66 qui se tient à Lyon en
1883 peut être considéré comme le premier fait d'armes de
l'administration de la coercition légitime sous la Troisième
République. Il s'agit d'enrayer la menace anarchiste à l'aide
d'une législation anti-libérale et contraire aux principes du
régime - la loi Dufaure interdisant l'AIT - dans le but de
protéger le nouveau gouvernement et de légitimer son pouvoir.
Cela ne fait que renforcer les divisions idéologiques entre les
opportunistes et les radicaux, ces derniers reprochant à la
majorité d'avoir fait du procès de Lyon un procès
politique contraire aux idéaux républicains. En outre, si
l'activité anarchiste est ralentie pendant quelques temps à Lyon,
les pratiques militantes évoluent favorisant la stratégie de la
propagande par le fait. Ceci résulte en de nombreuses explosions dans le
courant des années 1880, touchant des lieux symboliques du pouvoir
républicain (notamment les commissariats de police) autant dans la
région lyonnaise que dans la capitale3.
In fine, le gouvernement renforce sa mainmise
sur les pouvoirs de police dans le but d'asseoir son autorité et de
mieux contrôler les politiques du maintien de l'ordre se détachant
de plus en plus des principes républicains4.
L'efficacité des mesures prises pour lutter contre l'anarchisme reste
critiquable au début des années 1890 à la vue des attaques
de Ravachol et de la bombe que lance Vaillant à la Chambre.
L'administration de la coercition légitime sacrifie
définitivement l'idéologie libérale lors des votes des
lois « scélérates » en décembre 1893,
révélant les contradictions qui existent entre l'exercice de
l'État et la doctrine politique.
3 cf. Chapitre 5.
4 cf. la loi municipale de 1884 dans le Chapitre
5.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
177
Une machine d'État conditionnant la pratique
du pouvoir des républicains
Ainsi, nous avons constaté tout au long de ce
mémoire la présence d'une machine d'État. Malgré
les vagues d'épurations successives touchant l'appareil policier au
début de la Troisième République et les tentatives de
réformes des institutions judiciaires, les opportunistes ne peuvent se
détacher des cadres étatiques installés depuis plusieurs
décennies.
Pour des questions évidentes de moyens, les
républicains conservent en grande partie les agents de la
préfecture de police et les commissaires de la Sûreté tout
en écartant les individus les plus hostiles au nouveau
régime5. L'épuration de la magistrature que plusieurs
historiens ont qualifié d'épuration brutale a de la même
façon écarté les fonctionnaires qui ont
traîné leur robe dans la « boue du 2 décembre »
selon les mots de Camille Pelletan mais ont largement limité leur
réforme de l'institution6. Cependant, il ne faut pas
considérer que le nouveau régime souffre de cet héritage.
Cette machine d'État lui assure une protection contre les menaces
politiques - conservatrices et révolutionnaires - tout en
légitimant son gouvernement opportuniste. Tandis que la
Sûreté Générale a vocation à
disparaître au début de la Troisième République, son
directeur Émile-Honoré Cazelles - un républicain
effronté - insiste sur la nécessité de conserver une
institution en charge du renseignement politique dans le but de protéger
le gouvernement7. Le rapport Cazelles apparaît comme le
document fondateur d'une administration républicaine de la police,
reprenant les cadres et méthodes hérités du Second Empire
tout en développant une doctrine adaptée à la conception
libérale. Du côté de la Préfecture de police, la
suppression de la quatrième brigade de recherches n'a pas
empêché Louis Andrieux de créer son propre réseau
d'indicateurs qui dépasse largement le territoire sur lequel il exerce
sa souveraineté8. Enfin, le ministère de
l'Intérieur se plie aux règles du régime
républicain en soumettant chaque année son budget au vote de la
Chambre mais argumente toujours en faveur du maintien des fonds secrets, qui
financent entre autres la préfecture du Rhône et ses larges
besoins en matière de police politique9. Par ailleurs,
l'institution judiciaire, connaît les mêmes types de
réformes que l'appareil policier :
5 cf. Chapitre 2.
6 cf. Chapitre 4.
7 Voir le rapport Cazelles, Chapitre 2.
8 Voir Louis Andrieux, Souvenirs d'un préfet
de police, op.cit., p.36 et les cartons
concernant les anarchistes du Rhône à la PP.
9 cf. Chapitres 3 et 5.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
178
l'inamovibilité des magistrats est suspendue en
1883 permettant d'écarter les fonctionnaires les plus
anti-républicains mais ses structures ne sont aucunement remises en
cause10. Au delà du paradoxe que représente une
justice politique illustrée par la présence d'un parquet
nommé par le pouvoir exécutif, la répression du mouvement
anarchiste dans le cadre du procès des 66 a révélé
les rapports de subordination qui existent entre le corps de la magistrature et
le gouvernement11. L'administration de la coercition légitime
tente ainsi de s'adapter à la doctrine républicaine tout en
conservant les pratiques héritées des régimes
précédents.
Il s'agit en fait d'une véritable machine
d'État qui remet en cause l'ensemble des hiérarchies propres au
maintien de l'ordre, dans le seul but de protéger le régime
qu'elle doit désormais servir. Le ministère de l'Intérieur
n'est pas le seul acteur disposant des pouvoirs de police et à
être en charge de la protection de la République : il est certes
à la tête d'une technostructure policière, mais les
institutions de la haute-police jouissent en réalité d'une grande
autonomie. Par conséquent, cet organigramme complexe contraint la mise
en place d'une politique unique et efficace de répression des compagnons
libertaires. L'appareil policier et la magistrature disposent cependant de la
même mission et du même objectif de protection du régime.
C'est pourquoi, il est possible d'évoquer l'existence d'un «
archipel de gouvernement » au début de la Troisième
République, empêchant de conférer aux opportunistes
l'entière responsabilité des politiques antilibérales
visant à enrayer la menace anarchiste.
En somme, il existe un déterminisme de la
machine d'État permettant de dépasser la question du
libéralisme de la Troisième République qui divise les
historiens.
Une administration de la coercition
légitime se révélant dans les sources de l'histoire de
l'anarchisme
L'originalité de cette recherche réside
dans l'approche du maintien de l'ordre à la fin du XIXe
siècle en France à travers l'histoire du mouvement
anarchiste.
Dès le début de cette étude, nous
avons constaté que l'historiographie est toujours dominé par les
travaux de Jean Maitron dont la thèse reste aujourd'hui le travail
de
10 cf. Chapitre 4.
11 Voir les dossiers de carrières des magistrats
au Chapitre 4.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
179
référence12. Certes, d'autres
chercheurs se sont penchés sur l'évolution de la doctrine
anarchiste13 ou ont étudié les modes de vie
libertaires14. Néanmoins, ces aspects de l'histoire de
l'anarchisme n'ont pas été analysés dans ce
mémoire, car notre intérêt s'exprime avant tout pour le
contexte politique et social lié à l'émergence d'un «
parti révolutionnaire » en France à la fin du XIXe
siècle. Les débuts de la Troisième République, les
Communes de Lyon et de Paris et les questions idéologiques qui divisent
les partisans du nouveau régime sont parties intégrantes de
l'histoire de l'anarchie. Réciproquement, une plongée dans les
milieux libertaires français des années 1880 révèle
l'existence d'une administration du maintien de l'ordre républicain et
permet d'écrire une autre histoire de l'État à cette
époque.
La définition même du terme anarchie
conditionne l'absence de hiérarchie et de structures institutionnelles
garantissant une organisation de type partisane15. Par
conséquent, il n'existe pas de centre d'archives réunissant les
productions et l'activité des militants depuis le milieu du
XIXe siècle. Les historiens s'appuient sur d'autres sources,
que ce soit les papiers réunis par Max Nettlau conservés à
l'ISSH, les mémoires de militants comme Louise Michel et Jean Grave ou
encore les nombreux journaux libertaires édités par les groupes
dans plusieurs régions de France. Néanmoins, ce qui nous a
marqué dans la lecture des différents travaux sur l'anarchisme en
France, reste la large utilisation des sources policières pour
écrire cette histoire d'un mouvement qui a refusé toute forme
d'organisation rigide et codifiée. Jean Maitron utilise les rapports de
surveillance de la Préfecture de police et des documents issus de la
série F7 des Archives Nationale notamment pour évaluer les
effectifs militants16. Marcel Massard et Laurent Gallet ont
largement étudié les fonds de la série 4M des ADR pour
retracer respectivement l'histoire des anarchistes lyonnais17, celle
d'Antoine Cyvoct et du procès des 6618. Plus
récemment, Vivien Bouhey s'est intéressé aux
réseaux des compagnons
12 Nous avons largement fait référence
à l'ouvrage de Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en
France dans ce mémoire, source principale pour retracer
l'évolution du mouvement anarchiste à la fin du XIXe
siècle.
13 Gaetano Manfredonia, Anarchismes et
Changement social, Atelier de Création Libertaire,
2007.
14 Pour exemple : André Nataf, La vie
quotidienne des anarchistes en France..., op.cit. ;
Céline Beaudet, Les milieux libres...,
op.cit.
15 cf. Introduction.
16 Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en
Franc. Tome 1, op.cit., p.128-129.
17 Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste
à Lyon..., op.cit.
18 Laurent Gallet, Machinations et artifices...,
op.cit.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
180
à l'aide des archives policières de
nombreux départements en plus de celles de la PP19, tandis
que Gaetano Manfredonia travaille désormais sur la répression
policière du mouvement sur l'ensemble du territoire français et
fait appel aux documents conservés aux ADR20.
Pourtant, si les chercheurs se sont appuyés sur
ces sources pour écrire l'histoire du mouvement anarchiste, ils ne les
ont jamais étudiés pour ce qu'elles étaient
réellement, soit des témoignages de l'administration
policière à la fin du XIXe siècle.
Que ce soit les rapports des agents présents
lors des réunions publiques, les lettres d'indicateurs infiltrés
dans des groupes ou les échanges entre les différentes
institutions en charge de la répression du mouvement anarchiste, les
archives dressent le portrait d'une technostructure du maintien de l'ordre sous
la Troisième République. La Préfecture de police de Paris
et ses moyens dignes de la police secrète du Second Empire, la
Sûreté générale et son réseau de commissaires
spéciaux des chemins de fer et la préfecture du Rhône
largement financée par les fonds secrets du ministère de
l'Intérieur produisent une quantité de documents qui permettent
à la fois d'écrire une histoire du mouvement anarchiste en France
et une histoire du maintien de l'ordre dans les années 1880. Ceci permet
ensuite de proposer une réflexion sur le paradoxe que peut
représenter l'existence d'une police républicaine et de raconter
une autre histoire de l'État au début de la Troisième
République.
Ce mémoire aborde l'histoire de l'anarchisme
sous l'angle de l'administration de la coercition légitime - ce qui a
pour l'instant fait l'objet de peu de travaux21 - et celle d'une
Troisième République largement associée au triomphe du
libéralisme en Europe. Nous estimons donc que ce travail met en
lumière de nouvelles sources pour écrire une histoire de
l'État en France à la fin du XIXe siècle. En
étudiant l'efficacité des réponses apportées par la
technostructure policière et le pouvoir exécutif face à
cette menace politique, nous pouvons analyser le système
régissant les moyens de la répression. D'une part, la
surveillance des militants libertaires n'est pas la mission d'une seule
institution mais est partagée entre les diverses composantes de
l'appareil policier se retrouvant à échanger la plupart des
informations dans un contexte de crise, comme lors de l'attentat de
l'Assommoir22. Une
19 Vivien Bouhey, Les anarchistes contre la
République..., op.cit.
20 Pour exemple : Gaetano Manfredonia, «
Surveillance et répression de l'anarchisme sous la IIIème
République, 1879-1914 : le cas de la Creuse et de la Corrèze
», dans Archives en Limousin, n°46, 2016,
p.49-59.
21 Seul Vivien Bouhey et plus récemment Gaetano
Manfredonia ont posé frontalement la question de la répression du
mouvement anarchiste.
22 cf. Chapitre 3.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
181
forme de logique régit cette absence de
centralisme démocratique associée jusqu'ici à des
régimes conservateurs ou à une doctrine jacobine rejetée
par les opportunistes. D'autre part, les moyens mis en place pour lutter contre
le fractionnement de l'administration de la coercition légitime tendent
à remettre en cause les fondements du libéralisme, un prix cher
payé pour des résultats très limités.
L'étude du maintien de l'ordre à la fin
du XIXe siècle propose une ouverture pour étudier
l'histoire de l'État et de l'administration républicaine et
creuse l'idée selon laquelle la pratique du pouvoir remet
nécessairement en cause la doctrine des gouvernants. La présence
d'une machine d'État renforce l'éclatement des politiques du
maintien de l'ordre et empêche la mise en place d'une répression
homogène du mouvement anarchiste.
Etudier la Troisième République sous le
prisme de « l'État secret »
Nous n'avons aucunement la prétention de
trancher le débat qui traverse l'historiographie de la Troisième
République consistant à déterminer si le régime
est, autant par la pratique que dans la doctrine, libérale.
En tant que jeune chercheuse et à la vue des
contraintes temporelles dans lesquelles nous avons réalisé le
travail, il est délicat de s'insérer dans des discussions
académiques très riches et parfois complexe. Ceci n'a cependant
jamais été notre objectif et nous avons donc fait le choix de
centrer notre recherche sur les fondements administratifs du pouvoir au lieu
d'étudier la vie politique et les changements de majorité qui
rythment les années 1880. Toutefois, nous regrettons de ne pas avoir
insisté sur l'influence qu'on pu avoir les scrutins électoraux et
les évolutions du rapport de force au sein des républicains de
gouvernement sur les politiques du maintien de l'ordre et la répression
du mouvement anarchiste. Néanmoins les contraintes archivistiques que
nous avons exposées dans le premier chapitre nous ont amené
à détourner cette question en étudiant les structures de
l'administration de la coercition légitime. Les débats à
la Chambre des députés permettent de déterminer les
positions des acteurs politiques quand l'étude des dossiers de
carrières des magistrats confirment la subordination de ce corps
judiciaire au gouvernement.
Une autre limite commune à tout travail de
recherches est le choix des sources primaires étudiées.
L'histoire du mouvement anarchiste à la fin du XIXe siècle a
favorisé l'étude des archives de la PP, de la DSG et de la
préfecture du Rhône. Or, il est possible et nécessaire de
compléter ce travail avec l'analyse des séries 4M de l'ensemble
des archives
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
182
départementales françaises pour
constater si ces institutions subordonnées au ministère de
l'Intérieur produisent une politique homogène du maintien de
l'ordre. Par ailleurs, le large dépouillement que nous avons
réalisé entre les fonds du cabinet du préfet, la
sous-série F7 et les cartons concernant les anarchistes des ADR, nous a
obligé à sélectionner les documents analysés dans
le cadre de ce mémoire. Il est frustrant de ne pas pouvoir exploiter
toutes les archives que nous trouvions pertinentes pour notre sujet et de
devoir tracer la limite de notre recherche.
Ceci n'empêche pas de considérer ce
dépouillement comme une expérience très enrichissante en
tant que jeune chercheuse et nous avons tenté malgré les
contraintes de rendre compte dans ce mémoire de l'importance de ce
travail d'archives. En outre, nous avons constaté qu'il y a
matière à compléter ce travail sur l'administration de la
coercition légitime en République. La complexité de
l'appareil policier a retenu notre intérêt et la large production
de documents associés aux différentes institutions nous pousse
à nous interroger sur la compréhension qu'elles peuvent avoir du
mouvement libertaire en terme de doctrine et de pratique. Il serait aussi
intéressant de réaliser une étude comparative entre les
polices françaises et britanniques dans la lignée du travail de
Constance Bantman23.
Si à l'origine de ce mémoire on trouve
un intérêt pour l'histoire de l'anarchisme, à son terme on
s'est découvert une véritable passion pour l'histoire de la
police et du renseignement. Nous espérons alors que ce travail saura
s'insérer dans l'historiographie de « l'État secret »
instiguée par Sébastien Laurent24 en proposant une
autre approche de l'histoire de la Troisième République à
la fin du XIXe siècle.
En définitive, il n'est pas évident pour
un régime libéral de se défendre face à une menace
venue de son aile gauche et qui s'exprime hors des institutions. Nous devons
reconnaître la difficulté qu'il y a pour l'administration en
charge du maintien de l'ordre d'empêcher un mouvement politique aussi
déstructuré que l'anarchisme de sévir. Cette contrainte
finit néanmoins par être détournée à l'aide
d'une machine d'État écartant la nécessité
sécuritaire au profit de la légitimation de l'autorité de
la République. La répression de l'anarchisme prend le pas sur les
principes du libéralisme et l'efficacité de ce choix se pose
nécessairement : le sacrifice des fondements du régime sur
l'autel des lois « scélérates »
23 Constance Bantman, Anarchismes et
anarchistes en France et en Grande-Bretagne...,
op.cit.
24 Sébastien-Yves Laurent, L'Etat secret,
l'information et le renseignement en France au
XIXe siècle..., op.cit.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
183
valait-t-il le coup lorsque l'on sait que celles-ci
n'empêchent pas l'assassinat de Sadi Carnot par un anarchiste quelques
mois plus tard ? Nous sommes en droit d'en douter.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
184
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
185
État des sources
Archives
Nous avons dépouillé un grand nombre de
cartons d'archives que nous n'avons pas pu entièrement exploiter lors de
la rédaction du mémoire mais dont l'analyse a été
essentielle pour saisir le fonctionnement de l'administration de la coercition
légitime et son rapport à l'anarchisme à la fin du
XIXe siècle. En plus des documents que nous avons
découvert lors de nos visites aux Archives nationales à
Pierrefitte-sur-Seine, aux Archives de la Préfecture de police au
près Saint-Gervais et aux Archives départementales du Rhône
lors de notre séjour à Lyon, nous avons eu accès à
des centaines de dossiers issus de ces différentes institutions - et
bien d'autres - pris en photo et numérisés par Dominique
Petit1.
Nous ne pouvons pas dresser dans cet état des
sources une liste exhaustive des documents auxquels nous avons eu accès.
Cependant, nous souhaitons attirer l'attention des lecteurs et chercheurs sur
un certain nombre de cartons permettant d'écrire une histoire du
maintien de l'ordre et de l'anarchisme au début de la Troisième
République. Les cotes listées ci-dessous ont la plupart fait
l'objet de références dans le corps du récit. En outre,
notre objectif est de montré la diversité et la quantité
des sources à la disposition des historiens qui souhaitent travailler
sur des thèmes similaires à ceux traiter dans ce
mémoire.
Archives nationales
La sous-série F7 « Police
Générale » concentre de nombreux documents indispensables
à la compréhension des politiques du maintien de l'ordre dans le
cadre de la répression du mouvement anarchiste français.
Plusieurs cartons contiennent des archives relatives aux activités des
militants pour notre période, à Lyon comme à Paris. Le
« Fonds Panthéon » au nom d'Antoine Cyvoct nous offre un
éclairage très complet sur l'attentat de Bellecour et le
procès des 66. Il faut à ceci ajouter les registres de
correspondance de la Sûreté générale permettant de
tisser des liens entre les différents acteurs de la technostructure
policière ainsi que le carton concernant les fonds secrets.
1 Nous devons remercier
encore une fois Dominique Petit d'avoir mis à notre disposition toutes
ces photos et dont les conseils ont été très utiles pour
ce travail de recherche.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
186
De plus, deux fonds du ministère de la justice
ont apporté une autre dimension à cette étude : celui
concernant les dossiers de carrières des magistrats et celui dans lequel
sont conservés les recours en grâces des condamnés de
Lyon.
Sous-série F7 : Police Générale
· AN, F7 12504 - F7 12508. Agissements anarchistes
(1882-1894) ;
- AN, F7 12504. Mesures de surveillance et
tournées de conférence (1882-1898). À noter :
Réponse des préfets à la circulaire du 13 décembre
1893.
- AN, F7 12505. Louise Michel (novembre 1880-janvier
1905).
- AN, F7 12506. Listes d'anarchistes (1892-1902). Il
s'agit de listes d'abonnés à divers journaux anarchistes, de
listes d'adresses saisies, avec quelques correspondances, sur Sébastien
Faure et d'autres militants, etc.
- AN, F7 12507. Surveillance des anarchistes
(1892-1895). Anarchistes signalés à la justice (1892).
Arrestations d'avril-mai 1892 après les attentats de Paris.
Perquisitions (1893-1895).
- AN, F7 12508. Perquisitions et poursuites
judiciaires (1893-1894). Perquisitions chez des anarchistes, notamment celles
du 1er janvier et du 19 février 1894.
· AN, F7 12516 - Agissement anarchistes.
Rhône (1882-1900) ; Seine (1892 -1900).
· AN, F7 15943/1. Intérieur ; Fichier
Central ; Dossiers du coffre dit « Fonds Panthéon ». Cyvoct,
Antoine-Marie.
· AN, F7 12421 - 12424. Correspondance de la
Sûreté générale : enregistrement
(18801883).
· AN, F7 12828. Fonds secrets. Sommes
allouées au préfet du Rhône (1840-1882) ; débats
à la Chambre (1884-1912).
Sous-série BB : Justice
· AN, BB 24. Mélanges ; dossiers de recours
en grâce. Volume 2 (An XII-1885). - AN, BB 24/875,
Dossier 1233. Anarchistes de Lyon.
· AN, BB 6(II)/435-BB 6(II)/611. Dossiers de
carrière des magistrats ayant cessé leurs fonctions entre 1883 et
1900.
- AN, BB 6(II)/453. Edouard Bloch.
- AN, BB 6(II)/477. Joseph-Ernest Cuaz.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
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- AN, BB 6(II)/525. Louis-François-Denis-Melchior
Jacomet. - AN, BB 6(II)/583. Jean-Marie-Clotilde-Eugène
Rigot. - AN, BB 6(II)/607. Jean-Baptiste Vial.
Archives de la Préfecture de
police
Conservées au près Saint-Gervais, les
archives de la Préfecture de police de Paris détiennent plusieurs
cartons concernant les activités des militants anarchistes dans la
capitale mais aussi sur le reste du territoire français, notamment
à Lyon, ainsi qu'à l'étranger. Le fonds du « Cabinet
du Préfet » rassemble de nombreux rapports rédigés
par des agents en tenues ayant assisté à des réunions
publiques ou d'indicateurs infiltrés parmi les compagnons et
possédant des informations très utiles que ce soit pour les
policiers ou les historiens.
Par ailleurs, du point de vue de l'organisation de
l'institution parisienne, nous avons dépouillé des documents
issus de la série D « Police Administrative » nous renseignant
notamment sur les effectifs de la Préfecture.
Série B : Cabinet du Préfet de Police
(1869-1970) - Sous-série BA : Affaires
Générales
· APP, BA 30. Congrès socialiste
international de Londres 1881.
· APP, BA 73 - BA 78. Anarchistes
(1881-1893).
· APP, BA 89 - Rapports quotidiens du
préfet au ministre de l'intérieur (Septembre - Décembre
1880).
· APP, BA 90 - Rapports quotidiens du
préfet au ministre de l'intérieur (1881).
· APP, BA 139. Attentat rue des Colonnes
(commissariat du quartier de Vincennes) en juin 1889 ; Attentat à la
dynamite contre le commissariat du quartier des Archives en décembre
1889.
· APP, BA 140. Explosion commissariat 2 rue des
Bons Enfants 8 novembre 1892 ; Explosion de la préfecture de police 30
décembre 1892.
· APP, BA 394. Menées socialistes
révolutionnaires et anarchistes. Lyon (1881-1885).
· APP, BA 434. Internationale - Renseignements
Généraux.
· APP, BA 435. L'Internationale en Angleterre.
1873-1882.
· APP, BA 438. L'Internationale en Suisse -
1879-1883.
·
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
188
APP, BA 1132. Koenigstein ou Ravachol.
· APP, BA 1499. Menées anarchistes
(1907-1914) ; Menées anarchistes en Province (1892-1894) ; Listes et
état des menées anarchistes jusqu'en 1893.
· APP, BA 1619. Procès de La
Lanterne.
Série D : Administration de la préfecture
de police et documentation associée - Sous-séries DA : Police
Administrative
· APP, DA 193. Police municipale, statistique des
opérations (1872-1900). Archives départementales du
Rhône
La ville de Lyon a été un foyer
d'activité majeur pour le mouvement anarchiste français à
la fin du XIXe siècle. Dans le même temps,
l'administration préfectorale se révèle être aussi
puissante en matière de police que celle de Paris. Plus d'une trentaine
de cartons concernant les compagnons lyonnais sont conservés sous la
cote 4M « Police » des ADR. Celle-ci présente aussi des
documents de comptabilité relatifs à l'utilisation des fonds
secrets.
Nous signalons également trois cartons issus
de la sous-série 2U « Cours d'assisses du Rhône »
présentant plusieurs dossiers de procédures à propos des
anarchistes lyonnais.
Série M : Administration générale et
économe (1800-1940) ; Sous-série 4M -
Police
Anarchistes
· ADR, 4 M 306. Attentats divers et tentatives
de sabotage : usines Allenard, Palais de Justice (1882 - 1888).
· ADR, 4 M 307. Agissements des anarchistes ;
poursuites contre Joseph Bonthoux et Crestin ; rapports de police (1881 -
1883).
· ADR, 4 M 308. Procès des anarchistes
(janvier 1883) ; état des condamnés ; souscriptions en faveur des
détenus ; articles de presse ; pièces de procédure
(1883).
· ADR, 4 M 309. Agissements des anarchistes
(1884 - 1887) ; rapports de police ; anarchistes de Lyon et de Vienne ;
loteries (26 septembre et 20 octobre 1886 - 25 décembre 1887) (1884 -
1887).
· ADR, 4M 310. Correspondance avec les
anarchistes italiens (rapports de police) ;
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
189
manifestations du 10 février 1889 (article de
presse) ; enlèvement et saisie d'un manifeste anarchiste (3-4
février 1890) ; congrès anarchiste (2 novembre 1890), agissements
des anarchistes (1891).(1887-1891).
· ADR, 4M 311, conférences de
Sébastien Faure, anarchiste de Paris (1891-1897) ; perquisitions et
arrestations (1891-1894) ; état récapitulatif de tous les
anarchistes du Rhône à la date du 31 décembre 1894.
(1891-1896).
· ADR, 4M 312, agissements des anarchistes
(1893) ; rapports de police ; affiches. (1890-1894).
· ADR, 4 M 315 Affaires diverses ; rapports de
police ; articles de presse (1893 - 1897).
· ADR, 4 M 317 Journal « Le
révolté » (mars-décembre 1879 -
janvier-décembre 1880 - février-décembre 1881
-janvier-décembre 1882 -janvier-décembre 1883 -
janvier-décembre 1884 - janvier-mars 1885) (1879 - 1885).
· ADR, 4 M 318 Brochures et journaux saisis
« La Lutte » (mai - août 1883) ; « Le Drapeau Noir »
(août - décembre 1883) ; « L'Emeute » (décembre
1883 - janvier 1884) ; « Le Défi » (janvier 1884) ; «
L'Hydre anarchiste » (février - mars 1884) ; « L'Alarme »
(avril - juin 1884) ; « Le Droit Anarchique » (juin 1884) ; «
L'Insurgé » (août - octobre 1883) ; saisie du journal anglais
« L'International » (1890) ; saisie du journal « La Tribune
Libre » (1891) ; rapports de police (1883 -1891).
· ADR, 4 M 319 Journaux divers (1892 -
1893).
· ADR, 4 M 321. Liste des groupes anarchistes
« L'Etendard Révolutionnaire » ; organisation de la
grève des conscrits (1882-1883) ; ligue des anti-patriotes ; ligue pour
l'abolition des armées permanentes (1886-l 892) (1882 -
1892).
Budget - Comptabilité
· ADR, 4 M 74. 1880-1904.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
190
Série U : Justice ; Sous-série 2U-Cours
d'assisses du Rhône (1811- 1939)
Dossiers de procédure
· ADR, 2 U 433-434. 16 août 1882. BORDAT
Toussaint, BERNARD Joseph, BONTHOUX CRESTIN et autres. Affiliation à une
société internationale.
· ADR, 2 U 435. 16 août 1882. BONTHOUX
Adolphe. Provocations au meurtre, au pillage et à
l'incendie.
· ADR, 2 U 464. 3 décembre 1884. CYVOCT
Antoine Marius et MONNIN Marie Françoise. Assassinat et tentatives
d'assassinat.
International Institute of Social
History
L'institut d'Histoire sociale d'Amsterdam conserve et
numérise de nombreux fonds liés à l'anarchisme partout en
Europe. Les papiers de l'historien et militant anarchiste Max Nettlau
recèlent d'une grande quantité de documents à propos du
Congrès de Londres de 1881 dont on s'est servi dans le cadre de ce
mémoire. D'autres informations essentielles sur cet
événement sont issues des papiers d'un autre militant, Gustave
Brocher.
· IISH, G. Brocher Papers. Congrès
socialiste révolutionnaire de Londres (14-19 juillet 1881).
· IISH, Max Nettlau Papers. International
Congresses, London 1881.
Sources imprimées
Périodiques
Journal officiel de la République
française
· Débat à la Chambre des
Députés. Compte rendu in-extenso.
· Débat au Sénat. Compte rendu
in-extenso.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
191
La presse généraliste
· Le Courrier de Lyon (1832-1901),
quotidien, Lyon.
· La Gazette des tribunaux (1825-1955),
quotidien puis hebdomadaire, Paris.
· La Lanterne (1877-1938), quotidien,
Paris.
· Le Progrès (1859-), quotidien,
Lyon.
· Le Salut public (1848-1944), quotidien,
Lyon.
· Le Temps (1861-1942), quotidien,
Paris.
La presse anarchiste
· Le Droit Social (1882), hebdomadaire,
Lyon.
· L'Etendard Révolutionnaire
(1882), hebdomadaire, Lyon.
· L'Hydre Anarchiste (1884), hebdomadaire,
Lyon.
· La Révolte (1887-1894),
hebdomadaire, Paris.
· Le Révolté (1879-1885),
bimensuel, Genève.
· La Révolution sociale
(1880-1881), hebdomadaire, Paris.
Souvenirs et témoignages
· Andrieux, Louis. Souvenirs d'un
préfet de police. J. Rouff,
1885.
· Gambetta, Léon. Discours
in-extenso de M. Léon Gambetta,...: prononcé à
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Rosier,1878.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5467905z.
· Grave, Jean. Le mouvement libertaire
sous la IIIe République: Souvenirs d'un
révolté. les Oeuvres
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· Michel, Louise.
Mémoires. La Découverte,
2002.
· Raynaud, Ernest. La vie
intime des commissariats: souvenirs de police.
Payot, 1926.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5675389q
Etudes diverses
· Bataille, Albert. Causes criminelles
et mondaines. 3, année 1882. E. Dentu, 1883.
·
Prénom Nom - « Titre de la
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procès des anarchistes devant la police correctionnelle et la
Cour d'appel de Lyon ... Imprimerie nouvelle,
1883.
· Chardon, Henri. Le Ministère de
l'Intérieur. Editions de la Revue politique et littéraire,
1910.
· Fabreguette, Polydore-Jean-Étienne.
De la complicité intellectuelle et des délits
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propagande anarchiste: art. 59, 60 du Code pénal, lois des 29
juillet 1881, 12 et 18 décembre 1893, 28 juillet 1894 .
étude philosophique et juridique.
Chevalier-Marescq, 1895.
· Guyot, Yves. La
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· Hogier, F., et Georges Grison. Les hommes
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proie.
la police, ce qu'elle était, ce
qu'elle est, ce qu'elle doit être. 1887.
· Marx, Karl, La Guerre Civile en
France, 1871. Editions Sociales, 1945.
· Marx Karl, Les luttes de classe
en France, 1848-1850, Editions sociales, 1970.
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à Paris, son organisation - son fonctionnement. Librairie
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Instruments de travail
Ouvrages et articles
· Albert, Jean-Luc, et al. Lexique
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Thierry Debard, Dalloz, 2015.
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Prénom Nom - « Titre
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République des républicains: 1879-1893. Librairie
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par Henry Rousso et Joël Cornette, Belin, 2010.
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France contemporaine. Édité par Jean-François
Sirinelli, Librairie générale française, 2000.
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symbole et comme exemple ». Le Mouvement social,
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doi:10.2307/3806921.
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· Becker, Jean-Jacques, et Gilles Candar.
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l'entraide: l'âge des solidarités ouvrières.
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Fourmies et les premier mai: actes du colloque, Fourmies, 1er-4
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Histoire politique
· Deluermoz, Quentin. Histoire de
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Anarchisme
Théorie et écrits des penseurs de
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·
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Qu'est-ce que la propriété?
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·
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· Salmon, André. La terreur
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Maintien de l'Ordre
Histoire de l'État
et de l'administration
· Laurent, Sébastien-Yves. Politiques
de l'ombre: État, renseignement et surveillance en
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· Laurent, Sébastien-Yves. L'Etat
secret, l'information et le renseignement en France au XIXe
siècle: contribution à une histoire du politique
(1815-1914). Habilitation à diriger des recherches,
2007
· Antoine, Michel, Pierre Barral, Delpuech,
Phillipe, et al. Origines et histoire des cabinets des ministres
en France. Publications du Centre de recherches d'histoire et de
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Révolution à la Libération: 150 ans d'histoire judiciaire
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· Royer, Jean-Pierre, et al.
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http://journals.openedition.org/criminocorpus/259
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Université de Bourgogne, 1991.
· Berlière, Jean-Marc, et René
Lévy. Histoire des polices en France: de l'Ancien
régime à nos jours. Nouveau monde
éd., DL 2013, 2013.
· Berlière, Jean-Marc, et Marie
Vogel. Criminocorpus , Histoire de la police. 2008,
p. 15.
· Brunet, Jean-Paul. La Police de l'ombre:
indicateurs et provocateurs dans la France
contemporaine. Éd. du Seuil, 1990.
· Luc, Jean-Noël et al. L'enquête
judiciaire en Europe au XIXe siècle: acteurs,
imaginaires, pratiques. Creaphis,
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· Deluermoz, Quentin. Policiers dans la ville:
la construction d'un ordre public à Paris
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· Frappa, Amos. « La Sûreté
lyonnaise dans le système policier français (début
XIXe-début XXe siècle) ». Criminocorpus,
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· Lopez, Laurent. Servir la
République après avoir juré fidélité
à Napoléon III. 2014,
https://journals.openedition.org/histoiremesure/5102.
· Vigier, Philippe, et al. Maintien
de l'ordre et polices: en France et en Europe au XIXe siècle:
Créaphis, 1987.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
199
Table des annexes
Annexe 1 - Attentats et autres actions anarchistes
(1881-1893)
.p.200
Annexe 2 - État des militants condamnés
lors du procès des
66 .p.205
Annexe 3 - Texte de la loi Dufaure du 14 mars
1872 .p.213
Annexe 4 - Texte de la loi du 2 avril 1892 sur les
modifications des articles 435 et 436 du
code Pénal p.215
Annexe 5
|
Texte des lois « Scélérates
»
|
.p.216
Annexe 6 - Etat des anarchistes arrêtés
à la suite des perquisitions de 1892
.p.224
Annexe 7 - Organisation anarchiste, réponses
à la circulaire du 13 décembre
1893 .p.225
Prénom Nom - « Titre de
la thèse » - Thèse IEP de Paris -
Année 200
Annexe 1 - Attentats et autres actions anarchistes
(1881-1893)
Date
|
Actions des
anarchistes
|
Conséquences
|
Remarques
|
Nuit du 15 juin 1881
|
Attentat manqué contre la statut d'Adolphe Thiers
à Saint-Germain-en-Laye.
|
Aucune.
|
Considéré comme le premier attentat
anarchiste de la période, provoqué
par le journal La Révolution
Sociale financé par Andrieux.
|
20
Octobre 1881
|
Projet d'assinat de
Gambetta par Emile Florion.
|
Ne trouvant pas Gambetta, Florion tire avec un
révolver sur le « premier bourgeois » qu'il trouve, un
médecin, mais ne
l'atteint pas. Il tente de se suicider après
son acte mais ne sera que légèrement blesser.
|
|
24 mars
1882
|
Pierre Fournier tire sur Bréchard, un des
patrons de Roanne responsable de baisse de salaire dans les usines de la
région.
|
La balle effleure
seulement la joue de Bréchard, il arrive à
ceinturer Fournier et à le livrer à la police.
|
|
22 octobre
1882
|
Attentat de Bellecour à
Lyon.
|
Un mort, Louis Miodre
garçon de café.
Elément déclencheur du procès des 66.
|
|
9 Mars
1883
|
Manifestation des sans travail à Paris, pillage de
trois boulangeries, - Participation
de Louise Michel, Joseph Tortelier, et Emile
Pouget.
|
Affrontement avec les
forces de l'ordre - Louise Michel est
arrêtée le 30 mars et condamnée à 6 ans de prison et
10 ans de surveillance de haute police.
|
|
16
septembre 1883
|
Tentative d'incendie au journal le
Progrès.
|
Sans gravité.
|
Attaque se
produisant à Lyon, peut être
considérée comme une réaction au procès des
66.
|
7 octobre
1883
|
Explosion d'une bombe
à la mairie du
4e arrondissement.
|
Dégâts insignifiants,
aucun blessé.
|
Attaque se
produisant à Lyon, peut être
considérée comme une réaction au procès des
66.
|
14 octobre
1883
|
Explosion d'une bombe dans l'enclos des
Capucins.
|
Quelques dégâts, aucun
blessé.
|
Attaque se
produisant à Lyon, peut être
considérée comme une réaction au procès des
66.
|
16 octobre
1883
|
Bombe trouvée non
éclatée contre le mur de l'église
Saint-Pothin.
|
Aucune, la bombe n'a pas explosée.
|
Attaque se
produisant à Lyon, peut être
considérée comme une réaction au procès des
66.
|
29 octobre
1883
|
Explosion d'une boîte à poudre devant le
café du Rhône rue Gasparin.
|
Aucun dégât, ni blessé.
|
Attaque se
produisant à Lyon, peut être
considérée comme une réaction au procès des
66.
|
|
|
|
|
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
201
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
202
4
novembre 1883
|
Explosion d'une bombe
posée sur la fenêtre du
docteur Albert, rue Montgolfier.
|
Aucun dégât.
|
Attaque se
produisant à Lyon, peut être
considérée comme une réaction au procès des
66.
|
26 février
1884
|
Découverte d'une
bombe non explosée dans les chantiers de la Buire,
à la Guillotière.
|
Aucune, la bombe n'a pas explosée.
|
Attaque se
produisant à Lyon, peut être
considérée comme une réaction au procès des
66.
|
27 Février
1884
|
Louis Chaves tue la
mère supérieure d'un couvent d'une
banlieue de Marseille qui l'avait congédié de son emploi de
jardinier - il se
proclamera "anarchiste convaincu et
d'action".
|
Chaves est tué dans la
fusillade avec les gendarmes venus
l'arrêter.
|
|
6 octobre
1884
|
Explosion d'une bombe à la caserne de gendarmerie
rue Saint-Hélène.
|
Vitres brisées.
|
Attaque se
produisant à Lyon, peut être
considérée comme une réaction au procès des
66.
|
5 mars
1886
|
Attentat contre la
bourse de Paris organisé par Charles
Gallo.
|
Quelques dégâts, aucun
blessé - Gallo est condamné à 20 ans
de prison le 15 juillet 1886.
|
|
5 octobre
1886
|
Clément Duval
cambriole un hôtel
particulier, rue Monceau à Paris.
|
Revendication de la
« reprise individuelle » - Duval
est condamné à mort le 11 janvier 1887
avant d'être gracié et envoyé au Bagne.
|
|
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
203
16
décembre 1886
|
Explosion d'une bombe
à l'usine Allouard, à
la Mulatière.
|
Les murs sont touchés
|
Attaque se
produisant à Lyon, peut être
considérée comme une réaction au procès des
66.
|
25
décembre 1886
|
Découverte, pendant
l'office de Noël, d'une bombe non
éclatée.
|
Aucune, la bombe n'a pas explosée.
|
Attaque se
produisant à Lyon, peut être
considérée comme une réaction au procès des
66.
|
8 février
1887
|
Explosion de deux
bombes à la permanence de police du palais de
justice.
|
Dégâts matériels
importants, sept agents blessés dont deux
grièvement.
|
Attaque se
produisant à Lyon, peut être
considérée comme une réaction au procès des
66.
|
24 août
1888
|
Bureau de placement rue Chênier.
|
Simple pétard, pas
d'impact.
|
Vague d'attaques
des bureaux de recrutement à Paris.
|
7 octobre
1888
|
Explosion devant
l'entrée du bureau de placement rue
Chênier.
|
Explosion violente mais
ne cause que des
dégâts matériels.
|
Vague d'attaques
des bureaux de recrutement à Paris.
|
7
novembre 1888
|
Explosions de deux
bureaux de placement des
garçons limonadiers rue Boucher et rue
Française.
|
Dégâts matériels
important rue Boucher et un blessé grave rue
française.
|
Vague d'attaques
des bureaux de recrutement à Paris.
|
22
novembre 1888
|
Cartouche de dynamite sous la porte du commissariat rue
des Archives.
|
Aucune, la bombe n'a pas explosée.
|
Vague d'attaques
des commissariats à Paris.
|
21
décembre 1888
|
Explosion dans la cave située sous le commissariat
de la rue de la Perle.
|
Dégâts matériels peu
importants.
|
Vague d'attaques
des commissariats à Paris.
|
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
204
12 mars
1889
|
Tentative visant le
commissariat de la rue des Cerisaie.
|
Aucune, l'engin est
découvert avant qu'il n'explose.
|
Vague d'attaques
des commissariats à Paris.
|
3 juin
1889
|
Explosion des bureaux du commissariat de la rue des
Colonnes.
|
Aucun dégât.
|
Vague d'attaques
des commissariats à Paris.
|
11 mars
1892
|
Explosion d'un
immeuble boulevard Saint-
Germain, le conseiller Benoît est
visé.
|
Dégâts matériels.
|
Premier attentat de Ravachol dans le but de venger les
manifestants de Clichy.
|
15 mars
1892
|
Explosion de la caserne Lobau.
|
|
Premier attentat de Théodule Meunier.
|
27 mars
1892
|
Explosion de la rue de Clichy contre l'avocat
général Bulot.
|
|
Second attentat de Ravachol dans le but de venger les
manifestants de Clichy.
|
25 avril
1892
|
Explosion du restaurant
Very .
|
Deux morts.
|
Second attentat de Théodule Meunier.
|
8
novembre 1892
|
Explosion de la rue des Bons-Enfants.
|
Cinq Morts.
|
Premier attentat
d'Emile Henry.
|
9
décembre 1893
|
Auguste Vaillant lance une bombe dans la Chambre des
députés.
|
Blessés légers.
|
Evènement à
l'origine des lois
scélérates.
|
Source : Travaux de Jean Maitron, Marcel Massard et de
Laurent Gallet.
Annexe 2 - État des militants condamnés
lors du procès des 66
Nom
|
Prénom
|
Section
|
Date
d'arrestation
|
Jugement
|
Recours en Grâce
|
Baguet ou Bayet
|
Jean Baptiste
|
|
Fugitif (20-01-
1883)
|
5 ans de prison, 2000 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Bardoux
|
Louis
|
Brotteaux
|
19-11-1882
|
1 an de prison, 100 frances d'amande et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Berlioz-Arthaud
|
Victor Etienne
|
Perrache
|
19-11-1882
|
6 mois de prison, 50 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
Demande en grâce
|
Bernard
|
Joseph
|
|
25-11-1882
|
5 ans de prison, 2000 francs d'amende, 10
ans de surveillance et
4 ans de privation des droits civils
|
Grâce entière le 14 janvier
1886
|
Blonde
|
Auguste
|
|
19-11-1882
|
3 ans de prison, 500 francs d'amende, 10
ans de surveillance et
5 ans de privation des droits civils
|
|
Bonnet
|
Félicien
|
|
19-11-1882
|
15 mois de prison, 200 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Bonthoux
|
Joseph Marie Victor
|
|
Fugitif (comparé au mois de mai
1883)
|
5 ans de prison, 2000 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
26 août 1885 remise du reste ; 1er
février 1886 remise des peines accessoires
|
Bordat
|
Toussaint
|
|
14-10-1882
|
5 ans de prison, 2000 francs d'amende, 10
ans de surveillance et 4 ans de privation des droits
civils
|
Grâce entière le 14 janvier
1886
|
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
205
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
206
Boriasse
|
Henri
|
Croix-Rousse
|
Fugitif (réfugié en Suisse)
|
5 ans de prison, 2000 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Bourdon
|
Jean Marie
|
|
Fugitif (réfugié en Suisse)
|
5 ans de prison, 2000 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Bruyère
|
Joseph Victor
|
|
09-12-1882
|
1 an de prison, 100 frances d'amande et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Champalle
|
Louis Jean
|
Croix-Rousse
|
19-11-1882
|
6 mois de prison, 50 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Chavrier
|
Michel Antoine
|
|
23-11-1882
|
6 mois de prison, 50 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Chazy
|
Henry François
|
|
Fugitif (réfugié en Suisse)
|
5 ans de prison, 2000 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Coindre
|
Jean Antoine
|
Guillotière
|
10-12-1882
|
6 mois de prison, 50 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Cottaz
|
Joseph François
|
Croix-Rousse
|
19-11-1882
|
6 mois de prison, 50 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
Demande en grâce
|
Courtois
|
André
|
Croix-Rousse
|
19-11-1882
|
1 an de prison, 100 frances d'amande et 5
ans de privation des droits civils
|
Demande en grâce
|
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
207
Crestin
|
Claude Dominique
|
|
16-08-1882
|
3 ans de prison, 500 francs d'amende, 10
ans de surveillance et 5 ans de privation des droits
civils
|
Grâce entière le 14 janvier
1886
|
Cyvoct
|
Antoine Marie
|
|
Fugitif (28-02- 1883 en
Belgique)
|
5 ans de prison, 2000 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Damians
|
Joseph François
|
|
19-11-1882
|
6 mois de prison, 50 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
Demande en grâce
|
Dard
|
Lazare Adolphe
|
Croix-Rousse
|
Fugitif (14-11-
1887)
|
5 ans de prison, 2000 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Dejoux
|
François
|
|
19-11-1882
|
1 an de prison, 100 frances d'amande et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Dejoux
|
Louis
|
|
Fugitif (réfugié en Suisse -
décède vers mai 1884)
|
2 ans de prison, 1000 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Desgranges
|
Antoine
|
Glaive
|
23-10-1882
|
3 ans de prison, 500 francs d'amende, 10
ans de surveillance et
5 ans de privation des droits civils
|
13 août 1885 remise du reste ; 1er
février 1886 remise des peines accessoires
|
Didelin
|
Nicolas Adolphe
|
|
19-11-1882
|
6 mois de prison, 50 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Dupoizat
|
Jean Marie
|
|
19-11-1882
|
1 an de prison, 100 frances d'amande et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
208
Ebersoldt
|
Jacques
|
Indignés
|
Fugitif (réfugié en Suisse)
|
5 ans de prison, 2000 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Fabre
|
Georges
|
Guillotière
|
Fugitif (21-01-
1883)
|
2 ans de prison, 1000 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Fages
|
Victor Eugène
|
Indignés
|
Début décembre
1882
|
1 an de prison, 100 frances d'amande et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Faure
|
Etienne
|
Alliance stéphanoise
|
21-11-1882
|
2 ans de prison, 300 francs d'amende, 10
ans de surveillance et 5 ans de privation des droits
civils
|
|
Faure
|
Régis
|
Alliance stéphanoise
|
20-10-1882
|
15 mois de prison, 200 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
Demande en grâce
|
Garraud
|
Georges
|
Brotteaux
|
Fugitif
|
5 ans de prison, 2000 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Gaudenzi (de)
|
David
|
|
19-11-1882
|
Acquitté
|
|
Gautier
|
Emile
|
|
21-10-1882
|
5 ans de prison, 2000 francs d'amende, 10
ans de surveillance et 4 ans de privation des droits
civils
|
12 Juillet 1884 remise d'une année ; 13
août 1885 remise du reste ; 1er Février 1886 remise
des peines accessoires
|
Genet
|
Louis
|
Indignés
|
25-11-1882
|
15 mois de prison, 200 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Genoud
|
Joseph
|
Perrache
|
19-11-1882
|
15 mois de prison, 200 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
Demande en grâce
|
Giraudon
|
Jean-Marie
|
|
19-11-1882
|
Acquitté
|
|
Glaizal
|
Antoine
|
Brotteaux
|
28-10-1882
|
15 mois de prison, 200 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Hugonnard
|
Michel
|
|
19-11-1882
|
6 mois de prison, 50 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Huser
|
Emile
|
|
23-11-1882
|
15 mois de prison, 200 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Jolly
|
Frédéric Victorien
|
|
Fugitif (29-10-
1887)
|
5 ans de prison, 2000 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Kropotkine
|
Pierre
|
|
20-12-1882
|
5 ans de prison, 2000 francs d'amende, 10
ans de surveillance et
4 ans de privation des droits civils
|
14 janvier 1886 grâce
entière
|
Landeau
|
Louis
|
|
19-11-1882
|
1 an de prison, 100 frances d'amande et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Liégeon
|
Octave
|
Glaive
|
Date inconnue
|
4 ans de prison, 500 francs d'amende, 10
ans de surveillance et
5 ans de privation des droits civils
|
13 août 1885 remise du reste ; 1er
février 1886 remise des peines accessoires
|
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
209
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
210
Martin
|
Pierre
|
Indignés
|
Date inconnue
|
4 ans de prison, 500 francs d'amende, 10
ans de surveillance et 5 ans de privation des droits
civils
|
Grâce entière le 14 janvier
1886
|
Mathon
|
César
|
|
19-11-1882
|
Acquitté
|
|
Maurin
|
Emile
|
|
Fugitif
|
5 ans de prison, 2000 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Michaud
|
Pierre
|
Criminels
|
14-12-1882
|
2 ans de prison, 300 francs d'amende, 10
ans de surveillance et 5 ans de privation des droits
civils
|
|
Morel
|
Jules Charles
|
Croix-Rousse
|
19-11-1882
|
2 ans de prison, 300 francs d'amende, 10
ans de surveillance et 5 ans de privation des droits
civils
|
|
Pautet
|
François
|
Guillotière
|
19-11-1882
|
2 ans de prison, 300 francs d'amende, 10
ans de surveillance et 5 ans de privation des droits
civils
|
|
Peillon
|
Jacques
|
|
19-11-1882
|
15 mois de prison, 200 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Péjot
|
Benoît François
|
Croix-Rousse
|
24-10-1882
|
3 ans de prison, 500 francs d'amende, 10
ans de surveillance et 5 ans de privation des droits
civils
|
Demande en grâce
|
Pinoy
|
Pierre Marie Claudius
|
|
28-10-1882
|
15 mois de prison, 200 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
211
Renaud
|
Jean Célestin
|
|
Fugitif (jugé le
27-05-1885)
|
5 ans de prison, 2000 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
Grâce entière le 14 janvier
1886
|
Ribeyre
|
Joseph Etienne
|
Croix-Rousse
|
19-11-1882
|
Acquitté
|
|
Ricard
|
Jean Baptiste Jules
|
Alliance Stéphannoise
|
21-11-1882
|
4 ans de prison, 500 francs d'amende, 10
ans de surveillance et
5 ans de privation des droits civils
|
13 août 1885 remise du reste ; 1er
février 1886 remise des peines accessoires
|
Sala
|
Michel
|
Indignés
|
Début décembre
1882
|
15 mois de prison, 200 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Sanlaville
|
Philippe
|
Glaive
|
08-12-1882
|
15 mois de prison, 200 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Sourisseau
|
Gustave Charles
|
|
19-11-1882
|
6 mois de prison, 50 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Thomas
|
Jean Marie
|
|
19-11-1882
|
Acquitté
|
|
Trenta
|
Joseph Jean Baptiste
|
Guillotière
|
19-11-1882
|
1 an de prison, 100 frances d'amande et 5
ans de privation des droits civils
|
Demande en grâce
|
Trenta
|
Jules Hyacinthe
|
Guillotière
|
19-11-1882
|
1 an de prison, 100 frances d'amande et 5
ans de privation des droits civils
|
Demande en grâce
|
Tressaud
|
Frédéric Alexandre Napoléon
|
|
25-12-1882
|
2 ans de prison, 300 francs d'amende, 10
ans de surveillance et 5 ans de privation des droits
civils
|
Demande en grâce
|
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
212
Viallet
|
Emile
|
|
19-11-1882
|
6 mois de prison, 50 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
Demande en grâce
|
Voisin
|
Charles
|
Criminels
|
28-11-1882
|
15 mois de prison, 200 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
24 juillet 1883 remise de 3 mois
|
Zuida
|
Jacques
|
Indignés
|
08-12-1882
|
15 mois de prison, 200 francs d'amende et 5
ans de privation des droits civils
|
|
Source : Travaux de Marcel Massard et de Laurent
Gallet.
Prénom Nom - « Titre de
la thèse » - Thèse IEP de Paris -
Année 213
Annexe 3 - Texte de la loi Dufaure du 14 mars 1872
Article premier.
Toute association internationale qui, sous quelque
dénomination que ce soit et notamment sous celle d'Association
internationale des travailleurs, aura pour but de provoquer à la
suspension du travail, à l'abolition du droit de
propriété, de la famille, de la patrie ou des cultes reconnus par
l'Etat, constituera, par le seul fait de son existence et de ses ramifications
sur le territoire français un attentat contre la paix
publique.
Art. 2.
Tout Français qui, après la promulgation
de la présente loi, s'affiliera ou fera acte d'affilié à
l'Association internationale des travailleurs ou à toute autre
association professant les mêmes doctrines et ayant le même but,
sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende
de 50 à 4,000 fr. Il pourra en outre être privé de tous ses
droits civiques, civils et de famille énumérés en
l'article 42 du Code pénal pendant cinq ans au moins et dix ans au
plus.
L'étranger qui s'affiliera en France ou fera
acte d'affilié, sera puni des peines édictées par la
présente loi.
Art.3.
La peine de l'emprisonnement pourra être
élevée à cinq ans, et celle de l'amende à 2,000 fr,
à l'égard de tous, Français ou étrangers, qui
auront accepté une fonction dans une de ces associations ou qui auront
sciemment concouru à son développement, soit en recevant ou en
provoquant à son profit des souscriptions, soit en lui procurant des
adhésions collectives ou individuelles, soit enfin en propageant ses
doctrines, ses statuts ou ses circulaires.
Ils pourront en outre, être renvoyés par
les tribunaux correctionnels, à partir de l'expiration de la peine, sous
la surveillance de la haute police pour cinq ans au moins et dix ans au
plus.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
214
Tout Français, auquel aura été
fait application du paragraphe précédent, restera pendant le
même temps, soumis aux mesures de police applicables aux
étrangers, conformément aux articles 7 et 8 de la loi du 3
décembre 1849.
Art.4.
Seront punis de un à six mois de prison et
d'une amende de 50 à 500 fr., ceux qui auront prêté ou
loué sciemment un local pour une ou plusieurs réunions d'une
partie ou section quelconque des associations susmentionnées, le tout
sans préjudice des peines plus graves applicables, en conformité
du Code pénal, aux crimes et délits de toute nature dont auront
pu se rendre coupables, soit comme auteurs principaux, soit comme complices,
les prévenus dont il est fait mention dans la présente
loi.
Art.5.
L'art. 463 du Code pénal pourra être
appliqué, quant aux peines de la prison et de l'amende prononcée
par les articles qui précèdent.
Art.6.
Les dispositions du Code pénal et celles des
lois antérieures auxquelles il n'a pas été
dérogé par la présente loi, continueront de recevoir leur
exécution.
Art.7.
La présente loi sera publiée et
affichée dans toutes les communes.
Source : Archives de l'Assemblée
Nationale.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
215
Annexe 4 - Texte de la loi du 2 avril 1892 sur les
modifications des articles 435 et 436 du code Pénal
Art. unique. Les art. 435 et 436 du Code pénal sont
modifiés ainsi qu'il suit :
Art. 435.
La peine sera la même, d'après les distinctions
faites en l'article précédent, contre ceux qui auront
détruit volontairement en tout ou en partie ou tenté de
détruire par l'effet d'une mine ou de toute substance explosible les
édifices, habitations, digues, chaussées, navires, bateaux,
véhicules de toutes sortes, magasins ou chantiers ou leurs
dépendances, ponts, voies publiques ou privées et
généralement tous objets mobiliers ou immobiliers de quelque
nature
qu'ils soient. Le dépôt, dans une intention
criminelle, sur une voie publique ou privée d'un engin
explosif sera assimilé à la tentative du meurtre
prémédité.
Les personnes coupables de crimes mentionnés dans le
présent article seront exemptes de peine si, avant la consommation de
ces crimes et avant toutes poursuites, elles en ont donné connaissance
et révélé les auteurs aux autorités
constituées, ou si, même après les poursuites
commencées, elles ont procuré l'arrestation des autres
coupables.
Elles pourront néanmoins être frappées,
pour la vie ou à temps, de l'interdiction de séjour
établie par l'art. 19 de la loi du 27 mai 1885.
Art. 436.
La menace d'incendier ou de détruire, par l'effet d'une
mine, ou de toute substance explosible, les objets compris dans
l'énumération de l'art. 435 du Gode pénal sera punie de la
peine portée contre la menace d'assassinat, et d'après les
distinctions établies par les art. 303, 306 et 307.
Source : Légifrance.
Prénom Nom - « Titre de
la thèse » - Thèse IEP de Paris -
Année 216
Annexe 5 - Texte des lois «
Scélérates »
56 LES LOIS SCÉLÉRATES DE 1893-1894
l'article précédent, auront directement
provoqué soit au vol, soit aux crimes de meurtre, de pillage et
d'incendie, soit à. l'un des crimes punis par l'article 435 du Code
pénal, soit h l'un des crimes et délits contre la
sûreté extérieure de l'Etat prévus par les articles
75 et suivants, jusques et y compris l'article 85 du même Code, seront
punis, dans le cas où cette provocation n'aurait pas été
suivie d'effet, de un an à. cinq ans d'emprisonnement et de cent francs
à trois mille francs (100 fr. à. 3,000 fr.) d'amende.
« Ceux qui, par les mêmes moyens, auront
directement provoqué à l'un des crimes
contre. la sûreté
intérieure de l'Etat prévus par les articles 86 et suivants,
jusques et y compris l'article 101 du Code pénal, seront punis des
mêmes peines.
« Seront punis de la même peine ceux qui, par l'un
des moyens énoncés en l'article 23, auront fait l'apologie des
crimes de meurtre, de pillage ou d'incendie, ou du vol, ou de l'un des crimes
prévus par l'article 435 du Code pénal. »
« Art. 25. -- Toute provocation par l'un des moyens
énoncés en l'article 23 adressée h des militaires des
armées de terre ou de mer, dans le but de les détourner de leurs
devoirs Militaires ea de l'obéissance qu'ils doivent â leurs chefs
dans
Art. 25. --- Toute provocation par l'un des moyens
énoncés en l'artiele 23 adressée à des militaires
des armées de terre ou de mer, clans le but de les détourner de
leurs devoirs militaires et de l'obéissance qu'ils doivent
à
pour a â..cutton
te.is
leurs cbefs dans tout ce qu'ils leur commandent
apavuvavu des a ·-av et règlements militair s, sera punie d'un
emprisonnement d'un à six mois et
d'une amende de 16 â 100 francs.
·
Arp. 49. Immédiatement
après le réquisitoire le juge
d'instruction
pourra, mais seulement en cas d'omission du dépet
prescrit par les articles 3 et 10 ci dessus, ordonner la saisie de quatre
exemplaires de l'écrit, du journal ou du dessin
incriminé.Cette disposition ne déroge en rien à
c« qui est prescrit par l'article 28 de la
présente loi. Si le prévenu est domicilié en France, ilne
pourra etre arrêté préventivement, saut en cas de
crime,. En cas de condamnation Perret
pourra ordonner la saisie et la -suppression f.
dé la destruction de tous les exemplairesui seraient
mis en vente, dis#i- k. - lués on exposés aux regards du public.
Toutefois la suppression ou la des-truc'tiàn pourra
ne's'appliquer qu'â certaines parties des exemplaires saisis.
Prénom Nom -- « Titre de la thèse »
- Thèse IEP de Paris -- Année
|
217
|
|
sf
LEUR TEXTE 57
tout ce qu'ils leur commandent pour
l'exécution des lois et :règlements militaires, sera punie d'un
emprisonnement de un à, cinq ans et d'une amende de cent francs à
trois mille francs (100 fr. a 3,000 fr.) »
« Art. 49. -- Immédiatement après le
réquisitoire, le juge d'instruction pourra, mais seulement en cas
d'omission -'du dépôt prescrit par les articles 3 et 40 ci-dessus,
ordonner la saisie de quatre exemplaires de l'écrit, du journal ou du
dessin incriminé.
« Toutefois, dans les cas prévus aux articles 24,
par agra-phes 1 et 3, et 25 de la présente loi, la saisie des
écrits ou imprimés, des placards ou affiches aura lieu
conformément aux règles édictées par
le.Code d'instruction criminelle.
« Si le prévenu est domicilié en France, il
ne pourra être préventivement arrêté, sauf dans les
cas prévus aux arti-clés 23, 24, paragraphes 1 et 3, et 25
ci-dessus.
« S'il y a condamnation, l'arrêt pourra, dans les cas
pré-
ms aux articles 24, paragraphes I et 3, et
25 prononcer la
confiscation des écrits ou imprimés, placards
ou affiches sai-
sis, et, dans tous les cas, ordonner la saisie et la
suppression
--ou la destruction de tous les exemplaires qui seraient mis eu
vente, distribués ou exposés aux regards du public. Toute
fôis la suppression ou la destruction pourra ne s'appliquer qu'à
certaines parties des exemplaires saisis. »
La. présente loi, délibérée et
adoptée par le Sénat et par la :Chambre des
députés, sera exécutée comme loi de
l'État.
Fait â Paris, le 12 décembre 1893.
Signé : CARNOT.
e.Ministrede l'Intérieur, Le Garde des
sceaux,
Signé : D. RAYNAL. Ministre de la
Justice,
Signé : ANTONIN IJTTBOST.
Le Président du Conseil, Ministre des Affaires
etranOres,
Signé : CAsIMIRiPRaIuR.
,+en.,.x.r.wa.n..,e.mp,.w · ·.,..v.,,
r..w~n.,.
-... ·.rr.,,..,.a..tw~s.G.w-,.~~lies'?
·
58 LES LOIS SCÉLÉRATES DE
t893-I89
Loi sur les Associations de Malfaiteurs.
(Du 18 décembre 1893).
|
|
|
(Promulguée au Journal Officiel du 19
décembre 1893.)
LE SÉNAT ET LA CHAMBRE DES DÉPUTAS ONT
ADOPTÉ,
LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE PROMULGUE LA. LOI
dont sa. ,
teneur suit :
ART. 1°r. -- Les articles 265, 266 et 267
du, Code péna
sont remplacés par les dispositions suivantes :
cc Art. 265. -- Toute association formée, quelle que
soit la;. durée ou le nombre de ses membres, toute entente
établie dans.: le but de préparer ou de commettre des crimes
contré les' personnes ou les propriétés, constituent un
crime contre la, paix publique.
«
Art. 266. -- Sera puni de la peine des travaux forcés
â- temps quiconque se:sera affilié-hune association formée
ou aura participé â une entente établie dans le but
spécifié à I'article précédent.
« La peine de la relégation pourra en outre
être prononcée, sans préjudice de l'application . des
dispositions de ta,
loi du 30 mai l854 sur l'exécution de la des travaux,
forcés. peine
« Les personnes qui se seront rendues coupables du crin
mentionné dans le présent article seront exemptes de pein si,
avant toute poursuite, elles ont révélé aux
autorités con tituées l'entente établie ou fait connattre
l'existence de l'asso ciation.
« Art. 267. -- Sera puni de la réclusion
quiconque au sciemment et volontairement favorisé les auteurs des crin
prévus â l'article 265 en leur fournissant des instruments d~
219
Prénom Nom -- « Titre de la thèse »
- Thèse IEP de Paris -- Année
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
220
Go LES LOIS SCÉLÉRATES DE
I893-189
ART. 1". --p- Les infractions
prévues par les articles -24, paragraphes I et 3, et 25 de la loi du 29
juillet 1881, modi-fiés
odi-fés par la loi du 42 décembre 4893, sont
déférées aux tribunaux de police correctionnelle lorsque
ces infractions out pouf but un acte de propagande anarchiste.
2. Sera déféré aux tribunaux de police
correctionnelle et puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et
d'une .. amende de cent francs à deux mille francs (100 fr. à
2,000 fr.) tout individu qui, en dehors des cas visés par l'article
pjécé- dent, sera convaincu d'avoir, dans un but de propagande ;
anarchiste :
10 Soit par provocation, soit par apologie des faits
spéci--fiés
fiés auxdits articles, incité une ou plusieurs
personnes à commettre soit ~un vol, soit les crimes de meurtre, de
pillage, d'incendie, soit les crimes punis par l'article 435 du Code
pénal ;
20 Ou adressé une provocation â des
militaires des armées de terre ou de mer, dans le but de les
détourner de leurs devoirs militaires et de l'obéissance qu'ils
doivent à leurs chefs dans ce qu'ils leur commandent pour
l'exécution des lois et règlements militaires et la
défense de la Constitution républicaine.
Lès pénalités prévues au
paragraphe 1 seront appliquées même dans le cas
où la provocation adressée à des militaires des
armées de terre ou de mer n'aurait pas le caractère d'un' acte de
propagande anarchiste ; mais, dans ce cas, la péna.-
lité accessoire de la relégation édictée p6,r
l'article 3 de la pré- - sente loi ne pourra être
prononcée.
La condamnation ne pourra être prononcée sur
l'unique: déclaration d'une personne affirmant avoir été
l'objet deS,' incitations ci-dessus spécifiées, si cette
déclaration n'est pas corroborée par un ensemble de charges
démontrant la culpa= bilité et expressément visées
dans le jugement de condamna tion.
3. La peine accessoire de la relégation pourra
être pro.-ror
Prénom
Prénom Nom - « Titre de la thèse » -
Thèse IEP de Paris - Année
|
221
|
LEUR TEXTE 61
1
1
noncée contre les individus condamnés en vertu
des articles ler et 2 de la présente loi il, une peine
supérieure â une année -d'emprisonnement et ayant encouru,
dans une période de moins de dix ans, soit une condamnation à
plus de trois mois d'emprissonnement pour les faits spécifiés
auxdits articles, soit une condamnation à la peine des travaux
forcés, de la réclusion ou de plus de trois mois d'emprisonnement
pour crime ou délit de droit commun.
4. Les individus condamnés en vertu de la
présente loi seront soumis à l'emprisonnement individuel, sans
qu'il puisse résulter de cette mesure une diminution de la durée
de la peine.
Les dispositions du présent article seront applicables
pour l'exécution de la peine de la réclusion ou de
l'emprisonne-Ment prononcée en vertu des lois du 18 décembre 1893
sur les associations de malfaiteurs et la détention illégitime
d'engins explosifs.
5. Dans les cas prévus parla présente loi, et
dans tous ceux oû le fait incriminé a un caractère
anarchiste, les cours et tribunaux pourront interdire, en tout ou partie, la
reproduction des débats, en tant que cette reproduction pourrait
présenter un danger pour l'ordre public.
Toute infraction à cette défense sera poursuivie
conformé-,ment aux prescriptions de's articles 42, 43. 41 et 49 de la
loi du 29 juillet 1881, et sera puni d'un emprisonnement de six
jours à un mois et d'une amende de francs û.
dix mille francs (4,000 fr. à 10,000 fr.).
'Sera poursuivie dans les mêmes conditions et passible
des __mêmes peines toute publication ou divulgation, dans les cas
révus au paragraphe ler du prédent article, de
documents
actes de procédure spécifiés à
l'article 38 de la loi du 29 iillet 1881.
6. Le's dispositions de l'article 463 du Code pénal
sont applicables a la présente loi.
222
Prénom Nom -- « Titre de la thèse » -
Thèse IEP de Paris -- Année
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
223
Source : Gallica.
Source : AN, F7 12504.
Prénom Nom - « Titre de
la thèse » - Thèse IEP de Paris -
Année 224
Annexe 6 - Etat des anarchistes arrêtés
à la suite des perquisitions de 1892
Prénom Nom - « Titre de
la thèse » - Thèse IEP de Paris -
Année 225
Annexe 7 - Organisation anarchiste, réponses
à la circulaire du 13 décembre
1893
Départements
|
|
Ain
|
Les anarchistes de l'Ain ne sont pas formés en
groupe ayant une organisation déterminée. Deux d'entre eux vont
souvent à Genève, où ils sont en rapport avec les
anarchistes de Suisse. On suppose qu'ils servent d'intermédiaires entre
ces derniers et les compagnons de Lyon, pour l'introduction en France des
publications révolutionnaires. Aucune entente n'existe entre les
anarchistes du département, aucune action commune n'est à
redouter de leur part pour le moment. Ils ne paraissent pas non plus être
affiliés à des groupes étrangers.
|
Aisne
|
Pas de groupes proprement dits ; mais les anarchistes
se voient et se réunissent entre eux. S'ils n'osent publiquement
préconiser la propagande par le fait, les neuf dixièmes
applaudissent et se réunissent entre eux quand ils apprennent que des
attentats ont été commis.
|
Allier
|
-pas d'organisation anarchiste bien
déterminée ; mais il y a parmi les socialistes
révolutionnaires des individus capables de commettre des attentats
criminels, et d'autant plus dangereux qu'il est facile de se procurer de la
dynamite. Ces révolutionnaires sont organisés en groupes, qui
font actuellement l'objet de poursuite judiciaire. A citer le « groupe
antiautoritaire » de la région de
|
Doyet et Bèzenet, dont le chef est un
nommé Métenier (...). Adhérents correspondent avec le
« Père Peinard ».
-A Montluçon, il y a 4 anarchistes, tous 4
étrangers au département. Ils
|
sont isolés et ne sont pas constitués en
groupes et demeurent indépendants des groupes révolutionnaires de
Commentry
- Dans l'arrondissement de la Palisse, il y a 3 ou 4
anarchistes isolés, mais
|
pas de groupe ; l'un d'eux, Tartarin, est en relation
avec les anarchistes de Roanne.
|
Alpes (Basses)
|
Pas d'anarchistes
|
Alpes (Hautes)
|
Pas de groupes anarchistes
|
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
226
Alpes-
Maritimes
|
Les anarchistes sont presque tous italiens, il n'y a
parmi eux que quatre ou cinq français. Ils ne sont pas organisés
en sociétés ; mais ils ne sont pas non plus isolés : ils
se voient entre eux. Ils n'ont pas de chefs, mais des meneurs, qui sont en
général des correspondants de journaux anarchistes. Ils ne
paraissent pas affiliés avec d'autres groupes, mais on a constaté
la présence de compagnons voyageurs chargés de faire parvenir les
mots d'ordre du parti.
|
Ardèche
|
-Pas de groupe. -Pas d'affiliation.
|
Ardennes
|
1er Groupe : Les « Sans Patrie »,
à Charleville, -désorganisé, mais cherche
|
à se reformer.
2e Groupe : les « Déshérités
», à Mouzon, -désorganisé.
|
L'affiliation entre ces divers groupes ne paraît
pas douteuse ; ils ont pour trait d'union Thomassin.
Le groupe les « Sans Patrie » est en relations
avec les déserteurs
réfractaires français à Louvain
(?) Liège et Bruxelles - Les « Déshérité de
Mouzon » correspondent avec les groupes de Genève Zurich et
Londres.
|
Ariège
|
A Pamiers, il y a sept ou huit anarchistes, mais il
est impossible d'affirmer ou de nier s'ils sont ou non constitués en
groupes et affiliés à d'autres associations. On remarque chez
beaucoup d'anarchistes une gravure représentant les martyrs ou les
suppliciés de Chicago. Il semble y a voir là un signe de
ralliement sur le vu duquel les affiliés reconnaissent qu'ils sont chez
un compagnon.
Il y a des anarchistes isolés dans le reste du
département ; ils sont en correspondance avec des compagnons d'autres
départements et de Paris.
|
Aube
|
-Pas de groupe anarchiste
-Les anarchistes de Troyes sont très
méfiants et évitent toute relation avec les personnes qui ne leur
sont pas connues
|
Aude
|
-Un groupe anarchiste à Narbonne, les
«Exploités». Ce groupe n'a pas
|
d'organisation déterminée. Les
adhérents se réunissent dans un café. Les réunions
sont peu suivies, les femmes et enfants des anarchistes y accompagnent souvent
leur mari (...) Le chef des anarchistes de Narbonne est Toussaint Bordat. II y
a entre ces anarchistes et des compagnons et groupes d'autres localités
de fréquents échanges de correspondances, mais ces
correspondances ont un caractère purement individuel.
-Le 1er mars 1894, le préfet a fait
connaître que le groupe les Exploités s'était dissous et ne
se réunissait plus.
|
Aveyron
|
Il n'existe entre les anarchistes du département
aucune espèce
d'organisation ou d'affiliation. Ce ne sont pas
à proprement parler des anarchistes, mais des mécontents
renvoyés pour la plupart des bassins houillers de l'Aveyron/
|
Bouches-Du- Rhône
|
Marseille: il y a à Marseille de 100 à 110
anarchistes ; plus de la moitié
|
sont étrangers. Ils étaient
constitués jadis en trois groupes distincts : « les
|
Rénovateurs », la « Jeunesse
révolutionnaire » et d'un 3e groupe sans
|
dénomination particulière, mais le plus
dangereux des trois et composé exclusivement d'Italien. - A la suite des
perquisitions successives et des expulsions auxquelles il a été
procédé ces dernières années, tous ces groupes ont
disparu ; il ne reste plus que des individualités d'autant plus
redoutables que la disparition des groupes a rendu la surveillance plus
difficile.
Un certain nombre d'anarchistes de Marseille sont en
relation avec les compagnons des autres départements et de
l'étranger.
|
Calvados
|
Pas d'anarchistes
|
Cantal
|
Pas d'anarchistes
|
Charente
|
-Pas de groupe anarchiste
-L'anarchiste Croizard paraît affilié aux
groupes français et étrangers -L'anarchiste Bourdin est en
relation avec d'autres anarchistes
|
Charente
|
-Pas de groupes anarchistes
|
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
227
Inférieure
|
-Les anarchistes Bouc, Brion frères, Bourdin,
et Colas sont en relation avec Giraud de Cognac. Bouc correspond avec les
anarchistes de Toulouse. Malgogue est en relation avec le groupe de Bordeaux et
avec les anarchistes de Londres. Colas correspond avec le « comité
central anarchiste » de Paris
|
Cher
|
-Les anarchistes de Bourges étaient autrefois
organisés en groupe, mais ce
|
groupe est désorganisé. Depuis les
arrestations et les perquisitions faites le 1er mai 1892, ils sont devenus
prudents et circonspects ; c'est une raison de plus pour les surveiller
étroitement. Un certain nombre d'entre eux sont en relation avec les
compagnons de Paris et de Genève
-A Vierzon il y a un certain nombre de socialistes
révolutionnaires aussi
|
dangereux que de véritables anarchistes. Ils sont
étroitement surveillés.
-A Saint-Amand, il y a quelques anarchistes, mais ils
ne sont pas constitués en groupes. Ils sont à surveiller : l'un
d'eux le (?) Bessac, est particulièrement signalé comme
militant.
|
Corrèze
|
Pas d'anarchistes
|
Corse
|
Pas de groupe anarchiste
|
Côte-D'Or
|
-Un groupe : « les Résolus », à
Dijon.
-Monod et Hinault sont les chefs de ce groupe
-Le groupe correspond avec le groupe anarchiste «
Steiger Dalloz » de Genève
|
Côtes-Du-Nord
|
Pas d'anarchistes
|
Creuse
|
Pas d'anarchistes
|
Dordogne
|
Pas d'anarchistes
|
Doubs
|
1) Besançon: le groupe anarchiste est
désorganisé. Il ne se compose plus
|
que de 11 membres dont 2 dangereux Reuge et Maguin. . Les
anarchistes de
|
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
228
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
229
|
Besançon paraissent affiliés aux autres
groupes français et étrangers et
correspondent entre eux ; pour s'en assurer, il
faudrait intercepter leurs correspondances à la poste
2) Morteau: il y a à Morteau 3 anarchistes
isolés qui semblent n'avoir
|
aucune affiliation et même ne pas se concerter
entre eux.
|
Drôme
|
-un groupe à Valence: son organisation n'est pas
encore bien déterminée.
|
Il correspond avec les départements et
l'étranger, notamment avec Genève. Le
principal joueur est le nommé Benevire (?) ;
c'est lui qui reçoit les correspondances
-Groupe de Romans: pas d'organisation
déterminée. Les anarchistes se
|
réunissent tous les samedis et dimanches chez
l'un d'eux. Le nommé Dalmais est en correspondance avec Paris, Marseille
et Genève.
|
Eure
|
Pas d'anarchistes
|
Eure-et-Loir
|
Pas d'anarchistes
|
Finistère
|
-Pas de groupe anarchiste
-Tous les anarchistes du Finistère habitent Brest
et Lambézellec. -Ils sont en relation entre eux-
-Meunier voyage beaucoup et est en relation avec les
anarchistes des autres départements
-Guérenneur est en relation avec
Londres
- A noter les allures mystérieuses des
nommés Meunier, Hamelun, Péréguy et Bizien (?) à
Lambézellec.
|
Gard
|
-Un seul groupe: «le groupe d'études
sociales de Beaucaire». Le chef du
|
groupe est un commis-voyageur nommé Vachier,
qui est affilié avec les anarchistes de Lyon, de Marseille et de
Saint-Etienne, villes où il se rend assez souvent
-A Nîmes, Alais, Anduze, et la Grand' Combe, il
n'y a que des anarchistes isolés. Cependant, Tremollet, de la Grand
`Combe, paraît être en relations avec
|
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
230
|
les anarchistes de Marseille où habite son
frère. -Les anarchistes de Villeneuve-lès-Avignon assistent aux
réunions des compagnons d'Avignon ou sont en rapport avec
eux.
- à Bessèges, il y a 4 anarchistes ; ce
groupe serait en relations avec le comité révolutionnaire de
Paris.
|
Garonne (Haute)
|
-Il existe un groupe anarchiste à
Toulouse
-Ce groupe est en relation avec les anarchistes des
autres villes,
notamment avec les anarchistes de Paris.
1 anarchiste solitaire et voyageur: Gouzy. 1 isolé
Satyé (?) à Toulouse
|
Gers
|
Pas d'anarchistes
|
Gironde
|
-Pas de groupes anarchistes ayant une organisation
déterminée, mais de fréquentes réunions-publiques
jusqu'à ce jour,- secrètes à l'avenir
-Des correspondances individuelles existent entre les
anarchistes de Bordeaux et des autres départements ; il ne paraît
pas en exister avec l'étranger.
|
Hérault
|
-Pas d'organisation anarchiste, mais de
fréquentes réunions qui sont surveillés. Le Préfet
marche d'accord avec le Parquet
-Les anarchistes de l'Hérault ne sont pas
constitués en groupes et n'ont pas d'organisation
déterminée. Ils se réunissent sans
régularité dans des cafés ou se voient les uns chez les
autres. Ils ne paraissent pas dangereux.
|
Ille-et-Vilaine
|
Pas d'anarchistes
|
Indre
|
Il n'y a dans l'Indre que deux anarchistes
isolés.
|
Indre-et-Loire
|
Pas de groupe anarchiste.
Les anarchistes de Tours vivent isolément ; le
plus actif est un nommé
Rétif.
|
Isère
|
ll existe :
1) un groupe anarchiste à Vienne
|
|
2) un autre groupe à Grenoble.
3) un troisième à la
Chapelle-de-la-Tour.
Ces groupes, affiliés les uns aux autres,
correspondent avec les
compagnons de la France et de
l'étranger.
Des perquisitions opérées à Vienne
dans les premiers jours de septembre 1894 ont révélé
l'existence dans cette ville d'un groupe anarchiste dit « Groupe les
Cerises».
|
Jura
|
ll y a à Saint-Claude un certain nombre
d'individus se disant anarchistes, mais qui sont tout à fait inoffensifs
et qui constituent plutôt une fraction très avancée et
distincte du groupe socialiste. Ils n'ont aucune organisation sérieuse
et ne correspondent pas avec d'autres groupes. Seul le Sr Millet, qui est
à la tête de ce petit groupe, entretient des correspondances avec
les feuilles anarchistes. Quatre individus se disant socialistes doivent
être surveillés (...) capables de se livrer à des actes de
violence.
|
Landes
|
Pas d'anarchistes
|
Loir-et-Cher
|
Pas de groupe anarchiste
- Il n' y a dans le département que 4 individus
à surveiller. Ce ne sont même pas des anarchistes proprement dits
et ils ne paraissent pas dangereux.
|
Loire
|
-Il y a dans la Loire, 1500 anarchistes environ ; 1000
dans l'arrondissement de Saint-Etienne, 500 dans celui de Roanne.
-Le parti anarchiste n'a pas une véritable
organisation dans
l'arrondissement de Saint-Etienne- A Saint-Etienne,
cette organisation a existé, dissimulée sous des apparence de
légalité (Syndicat des hommes de peine), plus
|
tard ; « alliance anarchiste ». Elle a
disparue. - Dans les centres environnant
|
Saint-Etienne, pas de groupe, pas
d'association.
-A Roanne, il existe deux groupes: «les
Révoltés», «la Jeunesse
|
antipatriote». Ce dernier surtout est dangereux ;
il est composé de la lie de la
|
population. Les affiliés se font remarquer par
leurs manifestations tumultueuses
|
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
231
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
232
|
dans les églises, dans les salles de tirage au
sou, par leurs actes d'agression contre les agents de la force publique et les
officiers. - En dehors de Roanne, il y a un noyau de groupement à La
Gresle et à Charlieu, mais pas d'organisation
|
déterminée. Les anarchistes de ces
localités ne pas à Craindre.
|
Loire (Haute)
|
-Il existe un groupe à Sainte-Florine ; mais il
paraît pencher plutôt vers le socialisme que vers
l'anarchie
-Le secrétaire correspond avec les groupes
étrangers.
|
Loire-Inférieure
|
-Pas de groupes anarchistes
-Les anarchistes de Loire-Inférieure se
confondent avec les socialistes ; aucun d'eux ne semble susceptible de
commettre un attentat. Ils ne sont pas constitués à l'état
de parti organisé ; mais ils peuvent, à un moment donné,
se trouver en contact, en raison des tendances qui leur sont
communes.
-Ils ne paraissent pas être en correspondance
suivie avec des anarchistes d'autres départements ou de pays
étrangers.
|
Loiret
|
- Trois groupes anarchistes 1) à Orléans (3
membres) 2) Saint-Jean-de-la-
|
Ruelle (2 membres)
|
3) Saint-Gondon (2 membres)
|
- Anarchistes isolés : Conté et
Laluque.
- Aucun rapport ne paraît exister entre ces
différents groupes.
- Le groupe de Saint-Jean-de-la-Ruelle est affilié
aux groupes anarchistes de Paris.
|
Lot
|
Pas d'anarchistes
|
Lot-et-Garonne
|
Le groupe anarchiste d'Agen est disloqué. Plus de
réunions depuis l'hiver dernier.
|
Lozère
|
Pas d'anarchistes
|
Maine-et-Loire
|
- Deux groupes : l'un à Angers, l'autre à
Trélazé
|
- Les réunions sont accidentelles et n'ont rien de
fixe. Il n' y a pas d'affiliation proprement dite, mais les anarchistes se
voient, correspondent entre eux. Il y a aussi des correspondances entre les
gorupes.
Il y a des relations individuelles, peut-être
même des relations de groupes avec d'autres départements et avec
l'étranger.
|
Manche
|
Aucune organisation anarchiste. Il n' y a que des
isolés sans rapports réguliers entre eux. Un groupe qui a
fonctionné un instant à Cherbourg est
complètement désorganisé depuis
le départ de son fondateur Le Paslier. Il y a dans cette ville quelques
individus à surveiller, mais ce ne sont pas, à proprement parler,
des anarchistes quelques-uns sont en relations avec des compagnons de
Paris.
|
Marne
|
Un groupe anarchiste à Reims, « les
Résolus » : 80 adhérents dont 20
|
dangereux. Ce groupe préconise la violence de la
propagande par le fait. Il est affilié au « Comité central
de la Fédération anarchiste » de Paris. Le correspondant est
l'anarchiste Leprêtre. Des correspondances sont échangées
entre le groupe des « Résolus » et des anarchistes
isolés de province et de l'étranger, mais il ne paraît pas
y avoir de relations entre ce groupe et des groupes
étrangers.
|
Marne (Haute)
|
- Un groupe à Chaumont : 14 adhérents. Le
chef du groupe est le Sieur
|
Bresson, avocat stagiaire au barreau de Chaumont. A la
suite de perquisitions opérées en 1892 ; le groupe s'est
désorganisé ; mais les anarchistes qui y participaient ne s'en
réunissent pas moins assez fréquemment et sont à
surveiller.
- Le Sieur Bresson est en relation suivie avec des
meneurs d'autres
départements et notamment avec Sébastien
Faure.
|
Mayenne
|
Pas d'anarchistes
|
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
233
Meurthe-et- Moselle
|
- Il n' y a plus de groupes anarchistes.
- Deux anarchistes, les nommés Joubert et Serrure
sont en correspondance avec les compagnons de Londres et de France.
|
Meuse
|
- Pas de groupes
- Pas d'affiliations - sept anarchistes
disséminés sans relation avec les individus suspects des autres
départements
- A Verdun il existe un petit groupe d'anarchistes qui se
réunit fréquemment et paraît correspondre avec le
Père Peinard.
|
Morbihan
|
Pas de groupe. 1 seul anarchiste.
|
Nièvre
|
Ni groupes, ni affiliation
|
Nord
|
Pas d'organisations anarchistes ni d'affiliations avec
les anarchistes du dehors.
|
Oise
|
-Pas de groupes anarchistes.
-Pas d'affiliations - 4 anarchistes
isolés.
|
Orne
|
Pas de groupes - Pas d'anarchistes.
|
Pas-de-Calais
|
Il y a des groupes anarchistes à Lillers,
Liévin, Calais et Arras; mais ils sont complètement
désorganisés. Il y a des anarchistes isolés à
St-Omer, Boulogne, Desvres et Fencly. Certains d'entre eux sont dangereux, ils
sont surveillés.
|
Puy-de-Dôme
|
Un seul anarchiste dans le Puy de Dôme.
|
Pyrénées (Basse)
|
Pas de groupes anarchistes. 1 seul
anarchiste.
|
Pyrénées (Hautes)
|
Pas de groupe. 1 seul anarchiste.
|
Pyrénées- Orientales
|
-Un groupe à Perpignan : 27
adhérents
-Dans le reste du département, il n' y a que des
anarchistes isolés.
-Les réunions du groupe de Perpignan ont lieu dans
un café. Celles qui
|
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
234
|
doivent rester secrètes ont lieu au domicile de
l'un des adhérents. D'ailleurs, à part un Sieurs Mayneris (?) et
deux ou trois autres individus de Perpignan, les anarchistes des
Pyrénées-Orientales sont plutôt des braillards que des
hommes d'action.
|
Rhin (Haut)
(Territoire de Belfort)
|
- Pas de groupe anarchistes.
- Mais il y a dans le territoire de Belfort un certain
nombre d'individus qui sont en relation avec les anarchistes de
Besançon, Dijon, Paris, qui font de fréquents voyages en dehors
du territoire et qui entretiennent une correspondance suivie avec les centres
ouvriers. Ils sont à surveiller de près.
|
Rhône
|
Pas d'organisation proprement dite, pas de relation avec
les anarchistes lyonnais en tant que collectivité, avec les groupes des
autres villes et de l'étranger, mais des relations individuelles
fréquentes entre les compagnons lyonnais et ceux de l'
étranger.
|
Saône (Haute)
|
Pas d'anarchistes
|
Saône-et-Loire
|
Les anarchistes de Saône-et-Loire n'ont pas
d'organisation régulière en dehors des trois groupes de Tournus,
Châlons-sur-Saône et Romanche, il
|
n'existe pas à proprement parler de groupe
réellement organisé. Ils sont d'ailleurs devenus très
prudents depuis la promulgation des dernières lois ; ils n'ont plus de
réunion au complet et se voient seulement de temps à autre,
à Tournus, chez Meunier, à Châlons-sur-Saône, dans un
café.
Les anarchistes du canton de la Chapelle-de-Guinchay
sont en relation avec le groupe de Lyon.
|
Sarthe
|
Pas d'organisation anarchiste proprement dite. Cependant
les anarchistes
du Mans se voient entre eux et se réunissent
assez fréquemment chez l'un d'entre eux, le sieur Boudier. Ce ne sont
pas des hommes d'action, mais il y a parmi eux des propagandistes
zélés.
|
Savoie
|
Pas d'anarchistes
|
Savoie (Haute)
|
- Pas de groupes.
|
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
235
|
- Il n' y a que des anarchistes isolés au nombre
d'une dizaine, sans relation les uns avec les autres.
- Cependant, les Sieur Cenet et Ferrier échangent
des correspondances
avec
les compagnons de Genève.
|
Seine
|
Il existe des groupes dans plusieurs arrondissements
de Paris et dans quelques communes de la banlieue. En dehors de ces groupes
locaux, il y a des groupes communs à tous les anarchistes du
département. Les plus importants sont : le « Cercle anarchiste
international » dit actuellement les
|
« Sans-Patrie », la « Ligue des
Antipatriotes », les « Libertaires ardennais
|
».
|
Il y a dans le Seine de 7 à 800 anarchistes,
mais 150 sont réellement militants. Un comité directeur
établi à Londres donne le mot d'ordre à la faction : ses
principaux membres sont : Kropotkine, Malatesta, Malato, Marroco,
etc.
|
Seine-Inférieure
|
-A Villequin, (arrondissement d'Yvetot), le groupe
anarchiste existant
|
précédemment a complètement
disparu. Il ne reste plus dans la localité que deux de ses anciens
adhérents ; ils ne sont pas à craindre.
- Au Havre, il n' y a pas d'organisation
déterminée, mais des anarchistes
|
isolés, qui ont cependant des rapports
fréquents entre eux. Ils se voient chez le compagnon Jeanne, qui sert de
lien entre eux. Ils sont surveillés.
- A Rouen et dans sa banlieue, il n' y a pas
d'anarchistes proprement dits,
|
mais le parti ouvrier socialiste guesdiste y es t
fortement constitué en groupes nombreux, affiliés les uns aux
autres, et correspondant avec le Comité Central guesdiste de Paris -
Même situation à Maronne, où il y a cependant
quelques
|
anarchistes isolés. Il en est de même
à Elbeuf.
|
|
Seine-et-Marne
|
Un seul anarchiste dans Seine et Marne
|
Seine-et-Oise
|
Pas de groupe anarchiste. Ni réunion, ni
affiliation, ni correspondance régulière ou suivies entre les
anarchistes de Seine-et-Oise. Toutefois, on ne peut rien affirmer de
précis à cet égard; les moyens d'investigation
sérieux manquent
|
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
236
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
237
|
au préfet qui proposera des initiatives (?)
propres à organiser une surveillance efficace.
|
Sèvres (Deux)
|
Pas d'anarchistes
|
Somme
|
Pas de groupe, mais une quarantaine d'anarchistes
disséminés à Amiens et dans l'arrondissement d'Abeville.
Ils n'ont pas de lieu de réunion et ne se rencontrent entre eux que
rarement, dans les réunions publiques. Quelques-uns sont en relation
avec des compagnons du dehors.
|
Tarn
|
Le département du Tarn, surtout Carmaux,
comprend un assez grand nombre de socialistes révolutionnaires
prêts à lutter pour leur cause, mais les anarchistes proprement
dits sont très rates, disséminés, sans force, sans union
et sans organisation. Il y a trois groupes de socialistes
révolutionnaires :
1) Le Cercle socialiste guesdiste à Gaillac - 2)
Le Cercle des études
|
sociales aux Cabanes (?) ; 3) Le groupe des
révoltés à Cahuzac-sur-Vère. Le
|
président de cette dernière anarchiste,
mais les théories dangereuses ne paraissent pas partagés par l'un
quelconque des 22 adhérents du groupe.
|
Tarn-et- Garonne
|
Les anarchistes du Tarn-et-Garonne ne sont pas
constitués en groupe, aucun d'eux ne paraît capable d'entreprendre
un acte de propagande par le fait. Aucune affiliation ne les relie à
d'autres groupes; toutefois, deux anarchistes de
Toulouse, le sieur Bioulet et (?), passent pour servir
d'intermédiaire entre les compagnons de la Haute-Garonne et ceux du
Tarn-et-Garonne. Ces soupçons ne reposent sur aucun commencement de
preuve.
|
Var
|
Pas de groupe - Les anarchistes vivent
isolés.
|
Vaucluse
|
-Pas de groupes ; les anarchistes du Vaucluse agissent
isolément, sans direction ni organisation déterminée. Le
seul groupe qui existât jadis, « les libertaires vauclusiens »
d'Avignon, a complètement disparu.
Les anarchistes du département ont, dans les
différentes localités où ils se trouvent des relations
assez suivies entre eux, mais ils ne paraissent pas être en
correspondance suivie avec les compagnons des autres communes. Certains d'entre
eux sont cependant en rapport avec des anarchistes d'autres
départements.
|
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
238
Vendée
|
Pas d'anarchistes.
|
Vienne
|
Aucun groupement sérieux d'anarchistes. Il y a
à Châtellerault et à Poitiers des socialistes possibilistes
ardents, mais qui répudient les actes de violence. A
Châtellerault, leur chef est un nommé Limousin. Les menées
de ces individus sont à surveiller, mais elles ne font courir aucun
danger à l'ordre public.
|
Vienne (Haute)
|
-Pas d'organisation proprement dite. Mais les
anarchistes isolés sont unis par un lien certain bien qu'impalpable avec
l'anarchiste Tennevin, de Limoges, qui est leur guide et leur
inspirateur.
-Les perquisitions faites à Limoges le
1er janvier 1894 ont révélé
l'existence d'un groupe anarchiste qui entretien les
relations suivies avec des individualités et des groupes d'autres
centres.
|
Vosges
|
Aucune organisation anarchiste. C'est à peine
si l'on compte dans le département quelques individus partisans de
l'anarchie. Ils sont sans aucun lien entre eux.
|
Yonne
|
Pas d'anarchistes.
|
Algérie
|
-Pas de groupe proprement dit.
-De rare réunions. Pas d'affiliation avec d'autres
groupes.
|
Alger
|
Constantine
|
Les anarchistes du Département ne sont pas
constitués en groupe et n'ont jamais tenu de réunions. Mais
certains d'entre eux se voient souvent, et d'autres sont en relations avec des
compagnons du dehors.
|
Oran
|
Il n'y a que 2 anarchistes.
|
Source : AN, F7 12504.
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
239
Index nominatif
A
Louis Andrieux, 35, 44, 46, 48, 59, 74, 76, 79, 81, 89, 96,
114, 177
B
Mikhaïl Bakounine, 16, 18, 37
Agénor Bardoux, 145
Edmond Benoît, 156
Joseph Bernard, 93, 98, 106, 132
Samuel Birch, 133
Louis Blanc, 17, 110
Edouard Bloch, 121, 122
Toussaint Bordat, 40, 84, 93, 98, 106, 107, 109, 134
Henry Boriasse, 93
Joseph Bonthoux, 98, 102, 133
Gustave Brocher, 43, 44
Albert de Broglie, 62, 144
Léon Bulot, 155, 158
C Paul Déroulède, 163
Antoine Desgranges, 99, 132, 133 Charles Duclert, 155 Jules
Dufaure, 117, 118 Charles Dupuy, 159, 166 Clément Duval, 130, 131
F
Fabreguette (Procureur Général), 121, 124, 125,
132
Victor Fages, 99
Armand Fallières, 49
Jules Ferry, 13, 30, 32, 49, 62, 112, 118, 119, 148
Emile Florion, 89, 90
Pierre Fournier, 90, 107
Charles de Freycinet, 145
G
Charles Gallo, 130, 131
Léon Gambetta, 13, 20, 22, 23, 30, 32, 33, 34, 35, 36, 49,
56, 62, 89, 92
Émile Gautier, 46, 79, 109, 112, 133
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
240
Carlo Cafiero, 18, 43 Ernest Camescasse, 96
|
|
|
|
|
Albert Gigot, 67, 74 Jean Grave, 39, 157, 171
|
|
Jules Carret, 148
Émile-Honoré Cazelles, 70, 71, 72,
|
73,
|
177
|
|
|
Jules Grévy, 30, 31, 32, 118, Yves Guyot, 66, 67
|
|
Louis Chautant, 137
|
|
|
|
|
|
|
Louis Chaves, 129, 130, 131
|
|
|
|
|
|
H
|
Georges Clemenceau, 13, 33, 34,
|
35,
|
36, 44, 66, 67,
|
106,
|
113,
|
Victor Hugo, 35, 133
|
|
114, 154
|
|
|
|
|
|
|
Georges Cochery, 148
|
|
|
|
|
|
J
|
Adolphe Crémieux, 117
|
|
|
|
|
|
|
Claude Crestin, 98, 102, 133
|
|
|
|
|
Louis Jacomet, 121, 124, 125
|
|
Joseph-Ernest Cuaz, 121, 122, 124
|
|
|
|
|
|
|
Léonce Curnier, 123
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
K
|
Antoine Cyvoct, 24, 84, 95, 102,
|
103,
|
104, 102, 103,
|
104,
|
121,
|
|
|
134, 137, 161, 179
Charles Dardare, 155 Henri Decamps, 155
|
D
|
Émile de Kératry, 62
Pierre Kropotkine, 16, 17, 19, 39, 43, 44, 45, 46, 89, 108, 109,
111, 129, 133, 171, 172
|
L
Labussière (Commissaire), 155 Georges Laguerre,
91, 121, 61 Aimé Lavy, 163
Louis Leveillé, 155 Octave Liégeon, 99 Edmond
Locard, 175
M
Patrice de Mac Mahon, 31
Enrico Malatesta, 43
Henri Maret, 114
Marius Martin, 161
Pierre Martin, 92, 93, 99, 133
Émile de Marcère, 67, 70
Felix Martin-Feuillé, 119
Karl Marx, 14, 15, 16, 17, 18
Louise Michel, 19, 45, 46, 78, 79, 129, 179
Edouard Millaud, 121
Louis Miodre, 95
Lucien Morelle, 137, 138, 139, 140
Élisée Reclus, 17, 18, 39, 171, 172 Jean Renaud,
99, 133 Jean-Baptiste Ricard, 135 Etienne Ribeyre,
92, 93
Eugène Rigot, 121, 122, 123, 124
S
Michel Sala, 99 Serraux, 46
Jules Simon, 119 Herbert Spencer, 133
Eugène Spuller, 33
T
Adolphe Thiers, 33, 89, 117, 161
Henri Tolain, 110
Joseph Tortelier, 129
Joseph Trenta, 92
Jules Trenta, 92, 108
V
Max Nettlau, 26, 37, 43, 44, 179
|
N
|
Auguste Vaillant, 153, 156, 158, 159, 164, 165, 166, 169, 173,
176
Charles Voisin, 133
|
P
Camille Pelletan, 116, 117, 177
Émile Pouget, 129, 172
Pierre-Joseph Proudhon, 15, 16, 17
Louis Puibaraud, 74, 75, 76, 77, 81, 159, 162
W
Henry Waddington, 32, 118
Pierre Waldeck-Rousseau, 49, 114, 115, 146
Prénom Nom - « Titre de la
thèse » - Thèse IEP de Paris - Année
241
R
Ravachol, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 161, 163, 164, 171, 176
David Raynal, 121
|