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L’administration de la coercition légitime en république. Les institutions de l’état face à  l’anarchisme dans les années 1880.


par Amélie Gaillat
Institut des études politiques de Paris - Master de recherche en Histoire 2019
  

Disponible en mode multipage

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Institut d'études politiques de Paris
ECOLE DOCTORALE DE SCIENCES PO

Mémoire en Histoire

L'administration de la coercition légitime en

République

Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les années

1880

Amélie Gaillat

Mémoire dirigé par Nicolas Roussellier - Maître de conférences (Habilité) à

Sciences Po.

Soutenu le 5 juin 2019

Jury :

M. Nicolas Delalande, Associate Professor (Habilité) à Sciences Po

M. Quentien Deluermoz, Maître de conférence (Habilité) à l'Université Paris 13 M. Nicolas Roussellier, Maître de conférence (Habilité) à Sciences Po

2

Amélie Gaillat- « L'administration de la coercition légitime en République. Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les années 1880 » - Mémoire IEP de Paris - 2019

Remerciements

Je tiens à remercier chaleureusement Nicolas Roussellier pour avoir accepté de diriger ce travail et les conseils précieux qu'il m'a apporté tout au long de nos discussions. Je remercie aussi Odile Gauthier-Voituriez pour son aide concernant la recherche documentaire et Mathieu Fulla pour ses relectures et ses recommandations.

Ma reconnaissance va aux personnels des Archives de la Préfecture de police de Paris, des Archives nationales et des Archives départementales du Rhône pour leur gentillesse et leur disponibilité qui m'ont permis de réaliser ce travail dans les meilleures conditions.

Je remercie également la Libraire La Gryffe et le centre de documentation libertaire de Lyon, ainsi que Laurent Gallet pour son aide et ses conseils. J'adresse toute ma reconnaissance et ma sympathie à Dominique Petit, qui a mis à ma disposition de nombreuses photos de documents d'archives se rapportant au mouvement anarchiste. Je me dois aussi de remercier mes ami-e-s Olivia et Axel qui m'ont accueillie chez eux à Lyon dans le cadre de ma visite aux Archives départementales du Rhône.

Je tiens à exprimer ma gratitude à l'égard de mes ami-e-s Amandine, Claire, Chloé et Maxime, qui ont pris le temps de relire ce mémoire et d'en discuter. En outre, je remercie mes collègues de la Fondation Jean-Jaurès qui m'ont permis de développer un autre regard sur ce travail de recherche et mes colocataires pour leur soutien et leur bonne humeur.

Enfin, un grand merci va à mon frère, mes grands-parents, et mes parents qui ont toujours cru en moi. Ce mémoire n'aurait pu voir le jour sans les corrections apportées par ma mère et l'esprit anarchiste qu'elle y a insufflé.

Amélie Gaillat- « L'administration de la coercition légitime en République. Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les années 1880 » - Mémoire IEP de Paris - 2019

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Amélie Gaillat- « L'administration de la coercition légitime en République. Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les années 1880 » - Mémoire IEP de Paris - 2019

Amélie Gaillat- « L'administration de la coercition légitime en République. Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les années 1880 » - Mémoire IEP de Paris - 2019

Sommaire

TABLE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS 8

TABLE DES DOCUMENTS 9

INTRODUCTION 12

Du mythe anarchiste à la légitimation de la République comme régime d'ordre et de

liberté 13

L'anarchisme : de Proudhon à la Commune de Paris 15

La répression des anarchistes aux premières heures de la République opportuniste : une

zone d'ombre de la littérature 20

Pour une approche « multi-institutionnelle » de la répression de l'anarchisme 22

Une histoire de l'État au croisement de l'appareil policier et de l'anarchisme 25

Trois moments à distinguer 27

PREMIÈRE PARTIE. DE L'AVÈNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE À LA LUTTE CONTRE LES

ANARCHISTES (1879-1882) 29

CHAPITRE 1 : UNE TOUTE JEUNE RÉPUBLIQUE À L'ÉPREUVE DE L'ANARCHIE 30

1.1- L'affrontement de deux conceptions de la Révolution 30

A) Un régime libéral qui fait débat 31

B) L'émergence d'une culture anarchiste hors des institutions 37

1.2- Une machine d'État face à un mouvement libertaire en pleine structuration 42

A) Le Congrès de Londres de 1881 et la stratégie de la propagande par le fait 43

B) Une menace venue de la gauche nécessitant une réponse structurelle 48

CHAPITRE 2 : AU SERVICE DE LA RÉPUBLIQUE ! 56

2.1- Une organisation policière complexe héritière du pouvoir impérial 56

A) La technostructure de la Haute-Police 57

B) La relative épuration des cadres de l'Empire : De la « promotion » des commissaires de Police à l'affaire

de La Lanterne 60

2.2. -Une police politique compatible avec la République ? 69

A) La Direction de la Sureté Générale : une institution au coeur du renseignement républicain 70

B) La préfecture de Police : Un État dans l'État 74

DEUXIÈME PARTIE. QUAND UN ATTENTAT LYONNAIS RÉVÈLE L'EXISTENCE D'UNE MACHINE

D'ETAT (?88?-1884) 83

CHAPITRE 3 : DE L'EXPLOSION DE L'ASSOMMOIR AU PROCÈS DES 66 84

3.1- Les anarchistes face à la technostructure policière lyonnaise 85

5

A)

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Une préfecture du Rhône bien dotée 85

B) De la surveillance à la traque des anarchistes de Lyon 89

3.2- Les enjeux d'un procès pour l'exemple 94

A) Administrer l'arrestation des militants anarchistes 94

B) La nécessité de désigner un coupable 101

CHAPITRE 4 : DE LA POLICE À LA JUSTICE POLITIQUE 105

4.1 - La notion de délit d'opinion en République 106

A) Soixante-six condamnés pour tentative de reconstitution de l'Internationale 106

B) Un procès et une doctrine anarchiste largement débattus 111

4.2 - La magistrature, autre acteur de la répression politique 115

A) Encore un héritage du régime impérial ? 116

B) Les magistrats : fonctionnaires de l'État avant tout ? 120

TROISIÈME PARTIE. UNE DOCTRINE RÉPUBLICAINE NOURRIE PAR LA PRATIQUE DU

MAINTIEN DE L'ORDRE (1884-1893) 127

CHAPITRE 5 : LE MAINTIEN DE L'ORDRE RÉPUBLICAIN, UNE PRATIQUE NÉCESSAIREMENT JACOBINE ? 128

5.1 - L'après procès des 66 : mutation du mouvement anarchiste et émergence de

nouveaux modes d'action 128

A) Actes individuels et solidarités libertaires 129

B) Les actions anarchistes à Lyon après le procès des 66 : mais que fait la police ? 134
5.2 - Évolution du maintien de l'ordre républicain : Loi Municipale et fonds secrets pour

lutter contre les « ennemis de l'intérieur » 141

A) La Loi Municipale de 1884 : une rupture Républicaine ? 141

B) Nouvelles explosions, nouvelles méthodes policières ? 145

CHAPITRE 6 : QUAND LA RÉPUBLIQUE RENONCE À SON DESTIN 153

6.1 - Mythe, menace et échecs politiques 153

A) Entre dynamite et fait divers, un difficile maintien de l'ordre 154

B) Difficultés policières et réponses insuffisantes 158

6.2 - Quel modèle pour l'avenir ? 164

A) Nouvel attentat, nouvelles réponses 164

B) Un maintien de l'ordre incompatible avec la garantie juridictionnelle des libertés 169

CONCLUSION 174

La République contre les anarchistes 175

Une machine d'État conditionnant la pratique du pouvoir des républicains 177

Une administration de la coercition légitime se révélant dans les sources de l'histoire de

l'anarchisme 178

Etudier la Troisième République sous le prisme de « l'État secret » 181

6

ÉTAT DES SOURCES 185

TABLE DES ANNEXES 199

Annexe 1 - Attentats et autres actions anarchistes (1881-1893) 200

Annexe 2 - État des militants condamnés lors du procès des 66 205

Annexe 3 - Texte de la loi Dufaure du 14 mars 1872 213

Annexe 5 - Texte des lois « Scélérates » 216

Annexe 6 - Etat des anarchistes arrêtés à la suite des perquisitions de 1892 224

Annexe 7 - Organisation anarchiste, réponses à la circulaire du 13 décembre 1893 225

INDEX NOMINATIF 240

Amélie Gaillat- « L'administration de la coercition légitime en République. Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les années 1880 » - Mémoire IEP de Paris - 2019

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Table des Sigles et abréviations

ADR : Archives départementales du Rhône

AIT : Association Internationale des Travailleurs

AN : Archives nationales

APP : Archives de la Préfecture de police

DSG : Direction de la Sûreté générale

IIHS : International Institute of Social History

8

PP : Préfecture de police

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Table des documents

Graphique

Tableau

1

1

-

Périodiques

états des militants

 

anarchistes (1880-1894)

p.38

anarchistes (1893-1894)

p.41

Archive

1

 

- Correspondance

de

 

la

Sûreté

p.52

(1880)

Archive

2

-

Correspondance

de

 

la

Sûreté

p.52

(1882)

Archive

3

-

Correspondance

de

 

la

Sûreté

p.53

(1882)

Archive

4

-

Correspondance

de

 

la

Sûreté

p.53

(1882)

Archive

5

-

Correspondance

de

 

la

Sûreté

p.53

(1882)

Schéma

1 :

La

Structure policière

à

la

fin

du XIXe

p.57

siècle

Tableau

2

-

Les commissaires

de

 

police

sous la

IIIe

République p.61

9

Tableau 3 - Les sorties du corps de gardiens de la paix, 1872-

1878 .p.65

Tableau 4 - Les sorties du corps de gardiens de la paix, 1879-

1882 .p.68

Graphique 2 - Gardiens de la paix révoqués entre 1872 et 1882 à

Paris .p.68

Graphique 3 - Evolution des effectifs de la « Police Spéciale », 1860-

1900 .p.73

Tableau 5 - Actes anarchistes les plus marquants à la suite du procès des

66 .p.129-130

Tableau 6 - Attentats à Lyon après le procès des

66 .p.135-136

Tableau 7 -Actes anarchistes visant les bureaux de placements et les commissariats

parisiens (1888-1889)

p.150-151

Tableau 8 - Les attentats anarchistes des années 1892-

1893 .p.157-
158

Amélie Gaillat- « L'administration de la coercition légitime en République. Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les années 1880 » - Mémoire IEP de Paris - 2019

10

Graphique 4 - Evolution du montant des fonds secrets du ministère de l'Intérieur (1870-1900)

p.160

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Amélie Gaillat- « L'administration de la coercition légitime en République. Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les années 1880 » - Mémoire IEP de Paris - 2019

Introduction

Amélie Gaillat- « L'administration de la coercition légitime en République. Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les années 1880 » - Mémoire IEP de Paris - 2019

« Je crains moins de rencontrer un voleur qu'un homme de la police pendant la nuit. Le premier me prendra ma bourse, mais l'autre me prendra ma liberté1. »

Aux lecteurs bercés par le mythe de la Troisième République, il peut sembler étonnant que le député radical Eugène Delattre reprenne ces mots du journaliste Louis Veuillot à la Chambre des députés en 1884.

Les opportunistes ont fini par accéder à la tête des institutions en 1879 et aspirent à concrétiser le rêve des révolutionnaires de 1789. Le nouveau gouvernement, composé de fervents opposants au Second Empire à l'instar de Ferry et Gambetta, ou de jeunes intellectuels animés par un désir de justice comme Clemenceau cherche à concilier les communards et la Chambre des députés en libéralisant la presse et en autorisant les réunions publiques. Or, le régime qu'ils défendent reste assimilé au désordre et aux barricades et leur légitimité à assurer l'ordre et la sécurité est sans cesse remise en cause par l'opposition antirépublicaine2. Ceci les contraint à développer une politique du maintien de l'ordre, en principe compatible avec la doctrine libérale du régime.

Dans le même temps, les opportunistes font face à des adversaires de cette utopie démocratique qui n'hésitent pas à faire entendre leurs voix. Les orléanistes et les légitimistes espèrent reprendre les institutions à leur compte et restaurer la monarchie, tandis que depuis les bancs situés à l'extrême gauche de la Chambre des députés, le nouveau gouvernement subit des assauts des plus virulents. En outre, ces débats ne se limitent pas à l'enceinte du Palais Bourbon mais se prolongent dans une presse en pleine expansion et au sein des réunions animées par les groupes libertaires.

Du mythe anarchiste à la légitimation de la République comme régime d'ordre et de liberté

Désignés par d'innombrables patronymes, que ce soit par les journalistes, la police ou les militants eux-mêmes, les anarchistes apparaissent comme les véritables ennemis politiques

1 Louis Veuillot, cité à la Chambre des députés le 17 janvier 1884 par Eugène Delattre, Journal Officiel de la République, 18 janvier 1884.

2 Jean Marc Belière et Réné Lévy, Histoire des Polices en France : de l'ancien régime à nos jours, Nouveau Monde éditions, 2013, p.28.

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Amélie Gaillat- « L'administration de la coercition légitime en République. Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les années 1880 » - Mémoire IEP de Paris - 2019

des républicains. Les partisans du mouvement révolutionnaire dénoncent une « République bourgeoise »3 qui de par ses institutions trahit le peuple et la démocratie. En effet, c'est elle qui en 1871 a réprimé dans le sang les barricades érigées par ses propres enfants, et c'est elle encore qui a voté en 1872 la loi Dufaure interdisant l'Association Internationale des Travailleurs (AIT)4. Cependant, nonobstant l'aspect idéologique qui oppose les républicains et les anarchistes, la réalité administrative, judiciaire et législative marque une rupture entre ces deux groupes et leurs conceptions de l'exercice du pouvoir début des années 1880.

Ainsi, si nous constatons dans ce travail l'existence d'une police secrète et l'utilisation de moyens illégaux pour lutter contre les ennemis politiques de la République, l'originalité de notre recherche réside dans l'analyse de la coercition légitime de l'anarchisme par l'administration républicaine. Par ailleurs, nous proposons une réflexion sur l'existence d'une machine d'État qui conditionne l'application des politiques publiques du maintien de l'ordre au début de la Troisième République. Notre recherche nous permet d'interroger le libéralisme politique revendiqué par le gouvernement opportuniste dans les années 1880 et de dresser un portrait des institutions en charge des politiques de surveillance et de répression de l'anarchisme. Ce mémoire trouve son origine dans la question suivante : la République a t-elle participé à la construction d'un mythe anarchiste pour se légitimer ?

L'anarchisme est un objet connu de la recherche en histoire, popularisé par Jean Maitron qui s'est attaché à décrire le mode de fonctionnement des groupes libertaires et à étudier les parcours des militants à la lumière de leur correspondance et de leurs propres écrit5. Certes, ceci n'a pas empêchés les historiens de s'appuyer sur les informations recueillies par les pouvoirs publics tout au long de l'époque contemporaine. Ces donnés éclairent l'ampleur du mouvement et la menace qu'il représente pour la République. Cependant, ils n'ont jamais exploité ces sources pour ce qu'elles sont : des témoignages du fonctionnement de la machine d'État et de son appareil de coercition légitime. Ce mémoire propose un autre regard sur l'anarchisme et s'attache à étudier une période généralement

3 Nous reprenons ici l'expression utilisée par Karl Marx pour désigner le régime de 1848 dans Les luttes de classe en France, 1848-1850, Editions sociales, 1970.

4 Voir le texte de la loi en Annexe 3.

5 Jean Maitron insiste sur son utilisation des archives privées du mouvement anarchiste conservée à l'International Institute of Social History d'Amsterdam dans Le Mouvement anarchiste en France, tome 2 : de 1914 à nous jours, Gallimard, 2007, p. 210.

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considérée comme un moment d'apaisement entre la Commune et les « lois scélérates ». Il s'agit également de raconter une histoire de l'État républicain à la fin du XIXe siècle sous le prisme du maintien de l'ordre.

L'anarchisme : de Proudhon à la Commune de Paris

Nourrissant tous les fantasmes depuis la fin du XIXe siècle, les membres du « parti révolutionnaire »6 fascinent autant qu'ils effraient une population nouvellement convertie à la presse de masse et à la culture des faits divers7. Cependant, et malgré la prolifération de journaux libertaires au début de la Troisième République, les acteurs de l'époque ignorent beaucoup des principes de l'anarchisme tandis qu'aujourd'hui cette pensée est avant tout connue des milieux intellectuels.

Cela peut s'expliquer par l'absence d'un unique théoricien de la doctrine - à l'inverse de Karl Marx pour le communisme - mais aussi par l'approche par la négative du pouvoir politique dans la philosophie anarchiste8. Le terme anarchie issue du grec ancien an et arkhé fait en effet référence à l'absence d'autorité ou de gouvernement9. Les anarchistes n'aspirent donc pas à prendre le pouvoir au travers des institutions existantes mais à les renverser par tous les moyens pour instaurer une société autogestionnaire et basée sur le postulat que les individus sont libres, bien intentionnés et sociaux-solidaires10. Malgré les différents courants idéologiques qui traversent ce mouvement, les anarchistes se pensent comme une « famille politique possédant une identité commune très forte » selon l'historien Gaetano Manfredonia11. Si l'anarchisme ne peut être défini en tant que doctrine de gouvernement, ses militants partagent une culture politique propre qui permet de saisir les fondements de la pensée libertaire12. L'émergence de cette dernière est historiquement datée et résulte du

6 Expression utilisée à de nombreuses reprises par le préfet de Police dans ses rapports quotidiens au ministre de l'Intérieur - Archives de la Préfecture de Police (APP) BA89 - BA90.

7 Dominique Kalifa, La culture de masse en France. 1, 1860-1930, Éditions la Découverte, 2001, p. 88.

8 Maxime Foerster, et al., L'anarchisme, M. Milo, 2013, p. 8.

9 Daniel Guérin, L'anarchisme: de la doctrine à la pratique; suivi de Anarchisme et marxisme, Gallimard, 1981, p. 19.

10 Ibid., p. 9-10.

11 Manfredonia, Gaetano. « La culture politique libertaire » dans Berstein, Serge. Les cultures politiques en France. Éd. du Seuil, 1999, p. 244.

12 Ibid., p. 245.

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contexte économique et social spécifique à la France du XIXe siècle13. L'anarchisme se veut être une réponse, à l'instar des mouvements socialistes qui apparaissent à la même période, aux conséquences de l'industrialisation sur les travailleurs des villes. Les historiens considèrent alors la publication en 1840 de Qu'est-ce que la propriété ? de Pierre-Joseph Proudhon comme « l'acte fondateur de la pensée anarchiste » 14 . Dans cette oeuvre, celui-ci condamne le système capitaliste et la tromperie que représente selon lui la propriété privée. Considérant l'homme comme un individu rationnel en capacité de produire des changements, il prône la mise en place du mutuellisme au travers des associations de paysans pour « convertir les inégalités naturelles en égalités sociales »15. Par ailleurs, Proudhon participe à la révolution de 1848 et est élu député de la Constituante en tant que socialiste. Pour lui le régime qui s'installe parvient à parachever son idéal libertaire :

« La République est une anarchie positive. Ce n'est ni la liberté soumise à l'ordre comme dans la monarchie constitutionnelle, ni la liberté emprisonnée dans l'ordre, comme l'entend le Gouvernement provisoire. C'est la liberté délivrée de toutes ses entraves, la superstition, le préjugé, le sophisme, l'agiotage, l'autorité; c'est la liberté réciproque, et non pas la liberté qui se limite; la liberté non pas fille de l'ordre, mais mère de l'ordre16. »

Sa pensée se précise ensuite sous le Second Empire : il exalte la liberté individuelle face à l'intérêt général et développe la théorie du fédéralisme définissant la politique comme une construction du bas vers le haut17. Cette théorie est à l'origine du développement de différentes « fédérations » anarchistes à partir des années 1870 sur le territoire français, qui prennent la forme de libres associations autogestionnaires.

La pensée proudhonienne se retrouve par ailleurs défendue au sein de l'Association Internationale des Travailleurs créée en 1864 en Angleterre dans la continuité politique de la révolution de 1848. Puis en 1868, un intellectuel russe d'origine aristocratique rejoint l'Internationale et vient prolonger la philosophie de Proudhon en prônant une organisation antiautoritaire face au collectivisme marxiste. Il s'agit de Mikhaïl Bakounine, qui contribue à diffuser largement la culture politique anarchiste au début des années 1870. Karl Marx exclut Bakounine et ses disciples de l'AIT en 1872, révélant alors la fracture idéologique qui sépare

13 Ibid., p. 246.

14 Maxime Foerster et al, op.cit., p. 53.

15 Ibid., p. 61

16 Pierre-Joseph Proudhon, Solution du problème social, Pilhes, 1848, p.119.

17 Maxime Foerster et al, op.cit., p. 62.

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Amélie Gaillat- « L'administration de la coercition légitime en République. Les institutions de l'État face à l'anarchisme dans les années 1880 » - Mémoire IEP de Paris - 2019

le communisme et l'anarchisme18. Enfin, c'est une autre personnalité du monde intellectuelle russe qui joue un rôle déterminant dans la mise en place de l'action anarchiste en France dans les années 1880. Pierre Kropotkine, géographe de profession, devient l'animateur d'un mouvement anarchiste particulièrement ancré à la frontière franco-suisse. Avec l'aide d'Elisée Reclus - reconnus pour ses travaux de géographe et partisan de l'anarchisme - il fonde le journal le Révolté en Suisse en 1879, ce qui lui permet de diffuser une pensée anarcho-communiste basée sur la notion « d'aide mutuelle ». Cette tendance de l'anarchisme prolonge la vision fédéraliste de Proudhon en l'associant à celle du communisme, puisque Kropotkine prévoit l'organisation de la société en communautés (ou communes) autogérées, suivant le célèbre adage formulé par Louis Blanc mais popularisé par Marx : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». Pierre Kropotkine défend la mise en place d'un anarchisme à travers le principe de la « propagande par le fait » : « La révolte permanente par la parole, par l'écrit, par le poignard, le fusil, la dynamite (...), tout est bon pour nous qui n'est pas la légalité19 ». Il fait d'ailleurs partie des délégués envoyés au Congrès de Londres en 1881 - qui acte la stratégie de la propagande par le fait - où il représente la fédération anarchiste révolutionnaire. Il se fait néanmoins arrêter en octobre 1882 à Lyon et se retrouve parmi les soixante-six accusés du « procès des anarchistes », accusés de vouloir refonder l'AIT en janvier 1883.

Par ailleurs, revenir sur l'épisode de la Commune de Paris est nécessaire pour comprendre le développement d'une philosophie anarchiste en France qui se confronte au régime de la Troisième République. La République est proclamée à Lyon et à Marseille, révélant l'existence d'une province acquise à l'idéal de la Révolution française depuis plusieurs années20. Le 4 septembre 1870 le « gouvernement de la Défense Nationale » se présente à l'Hôtel de Ville comme le veut la tradition révolutionnaire21. Si, au premier abord on peut voir ici une forme de ritualisation rappelant février 1848, René Rémond affirme en

18 Nicolas Delalande évoque ces tensions et entre Marx et Bakoukine et notamment l'exclusion de ce dernier dans La lutte et l'entraide, l'âge de solidarités ouvrières, Éditions du Seuil, 2019, p. 31-32 et 47-48.

19 Kropotkine dans le Révolté, le 25 décembre 1880 cité dans Daniel Guérin, L'anarchisme...,op.cit., p. 103.

20 Jean-Marie Mayeur, La vie politique sous la Troisième République: 1870-1940, Éditions du Seuil, 1984, p.14.

21 Ibid., p.15.

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évoquant le 4 septembre, « c'est à peine si on peut parler de journée populaire » 22 . Les modérés prennent en effet le contrôle de ce nouveau régime chargé de repousser les attaques de la Prusse tout en essayant d'asseoir sa légitimité sur l'ensemble du pays23. Cette Troisième République apparaît comme la seule voie pouvant écarter le retour de la monarchie et la dictature bonapartiste mais subit rapidement son déficit de légitimité révolutionnaire24. En province puis à Paris, la Commune se révèle comme le moment insurrectionnel nécessaire à un peuple nourri depuis des années à la doctrine républicaine. La capitulation du gouvernement de « Défense Nationale » face à la Prusse et les élections du 8 février 1871 portant au pouvoir une assemblée conservatrice amènent le peuple de la capitale à se soulever.

Comme l'explique Jacques Rougerie, les participants de cette insurrection populaire se revendiquent de différents idéaux politiques ; ils sont républicains, jacobins, proudhoniens, républicains-socialistes ou encore collectivistes25. La Commune est ainsi glorifiée par les deux tendances de l'Internationale, les « bakouninistes » et les « marxistes », juste après la Semaine Sanglante. Comme l'explique le philosophe Normand Baillargeon, cet événement a été « l'occasion, pour ces deux visions et ces deux conceptions du politique, de la révolution et du rôle de l'État d'être mises à l'épreuve des faits »26. Pour Karl Marx : « Le Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré à jamais comme le glorieux fourrier d'une société nouvelle. Le souvenir de ses martyrs est conservé pieusement dans le grand coeur de la classe ouvrière »27. De son côté, Bakounine voit dans l'insurrection une manifestation pratique de l'anarchie. Il fait de la Commune un moment fondateur de l'histoire du mouvement libertaire et de l'autogestion :

« C'est un fait historique immense que cette négation de l'État se soit manifestée précisément en France, qui a été jusqu'ici par excellence le pays de la centralisation politique, et que ce soit précisément Paris, la tête et le créateur historique de cette grande civilisation française, qui en ait

22René Rémond cité dans Quentin Deluermoz, Histoire de la France contemporaine, Tome 3. Le crépuscule des révolutions, 1848-1871, Editions du Seuil, 2012, p.320.

23 Jean-Marie Mayeur, La vie politique sous la Troisième République..., op.cit., p.16.

24 Agulhon, Maurice. La République. Tome I, l'élan fondateur et la grande blessure, 1880-1932. Hachette Littératures, 1990, p.25.

25 Jacques Rougerie, « La commune et la gauche » dans Becker et Candar Histoire des gauches en France. Volume 1, L'héritage du XIXe siècle, La Découverte, 2005, p.95.

26 Normand Baillargeon, L'ordre moins le pouvoir, Agone, 2008, p. 94.

27 Karl Marx, La Guerre Civile en France, 1871, Editions Sociales, 1845, p.63.

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pris l'initiative, Paris se découronnant et proclamant avec enthousiasme sa propre déchéance pour donner vie à la France, à l'Europe, au monde entier28

Carlo Cafiero, autre figure du mouvement anarchiste et rallié aux bakouninistes, estime que l'anarchie peut se réaliser dans le développement des communes29, à l'instar de celles qui ont pris place à Paris, Lyon et Marseille en 1871. Néanmoins, d'autres militants se montrent plus critiques vis-à-vis de la Commune, notamment Elisée Reclus qui a participé à l'insurrection :

« Jusqu'à maintenant, les communes n'ont été que de petits États, et même la Commune de Paris, insurrectionnelle par en bas, était gouvernementale par en haut, maintenait toute la hiérarchie des fonctionnaires et des employés. Nous ne sommes pas plus communalistes qu'étatistes, nous sommes anarchistes (...). Les idées émises sur la commune peuvent laisser supposer qu'il s'agit de substituer à la forme actuelle de l'État, une forme plus restreinte, qui serait la commune. Nous voulons la disparition de toute forme étatiste, générale ou restreinte, et la commune n'est pour nous que l'expression synthétique de la forme organique des libres groupements humains30

Pierre Kropotkine partage ce sentiment d'inachevé, considérant que la Commune « ne rompit pas avec la tradition de l'État, du gouvernement représentatif » encourageant dorénavant des « actes révolutionnaires socialistes » pour faire des « communes de la prochaine révolution » des organisations indépendantes31. Néanmoins, ceci ne remet pas en cause l'émulation politique que représente l'insurrection parisienne et son rôle dans la diffusion des idées anarchistes. De nombreux communards condamnés au bagne se « convertissent » à l'Anarchie durant leur exil. Ils s'en font les portes paroles lors de leur retour en France à la suite de l'amnistie, à l'instar Louise Michel déportée en Nouvelle-Calédonie, qui devient par la suite une figure du mouvement - particulièrement surveillée par la police - dans les années 1880.

La répression de la Commune a eu de lourdes conséquences sur l'Internationale et le mouvement anarchiste. Dans un premier temps, un véritable réseau de solidarité ouvrière impulsée par l'AIT s'organise, permettant à plus de 5 000 militants de fuir dans les pays jouxtant la France et même en Amérique32. Notons que la Commune n'a pas seulement été un événement parisien ; la ville de Lyon où s'organise un large mouvement ouvrier connaît un soulèvement de même ampleur. Pour échapper aux arrestations qui les guettent après que le

28 Mikhail Bakounine, La commune de Paris, et la notion d'Etat..., Temps Nouveau, 1899, p.7.

29 cité dans Jacques Rougerie, « La commune et la gauche » dans Becker et Candar Histoire des gauches en France, op.cit., p.195.

30 Elisée Reclus, Le Révolté, deuxième année, n°17, 17 octobre 1880.

31 Pierre Kropotkine, La Commune: la Commune de Paris, la brochure mensuelle, 1937, p.18.

32 Nicolas Delalande, La lutte et l'entraide..., op.cit., p.155-156.

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gouvernement a repris le contrôle sur les villes insurgées, les militants lyonnais fuient vers la Suisse en passant par le massif jurassien. Nicolas Delalande note par ailleurs que 800 personnes se réfugient dans la Confédération helvétique dont la moitié à Genève33, soulignant la concentration d'Internationalistes dans les départements frontaliers.

La répression des anarchistes aux premières heures de la République opportuniste : une zone d'ombre de la littérature

Les années au pouvoir des opportunistes représentent dans l'esprit de certains historiens - à l'instar de Maurice Agulhon - l'apogée d'un peuple et d'une nation autour d'un idéal commun de libéralisme politique34. L'historien Gilles Candar insiste pour sa part sur la révision constitutionnelle de 1879 qui « marque la victoire complète des républicains » avec le retour de la Chambre des députés dans Paris35. Enfin, Vincent Duclert note la mise en place d'un « régime de gouvernement et d'une définition de la cité offrant à ses membres un droit d'engagement et une autonomie politique »36.

Tandis que le gouvernement de la « Défense Nationale » a réprimé dans le sang la Commune de Paris, les opportunistes qui accèdent au pouvoir en 1879 tentent de réunifier une nation française divisée depuis plusieurs années. Ils accordent l'amnistie aux bagnards mais ne remettent aucunement en cause la loi Dufaure, à l'origine de la condamnation en 1883 de soixante-six anarchistes de la région lyonnaise. La doctrine de la « nation réunie » régit les réformes engagées par les républicains dès leur arrivée à la tête de l'État et entraîne la promulgation de la loi d'amnistie des communards. Si cet acte de pardon collectif permet aux exilés de rentrer en métropole, de retrouver leurs droits civiques et de réintégrer la société, la loi vise à faire oublier l'événement qui a divisé les citoyens de la République quelques années auparavant. Cette loi est en accord avec la doctrine des républicains obsédés par l'unicité du régime37. Comme le déclare Gambetta dans son célèbre discours du 21 juin 1880 : « Il faut

33 Ibid., p.156.

34 Agulhon, Maurice. La République..., op.cit., p.7.

35 Gilles Candar, Histoire politique de la IIIe République, La Découverte, 1999, p. 16.

36 Vincent Duclert, La République imaginée: 1870-1914. Édité par Henry Rousso et Joël Cornette, Belin, DL 2010, p. 138.

37 Stéphane Gacon, « L'amnistie de la Commune (1871-1880) », Lignes, vol. 10, no. 1, 2003, pp. 45-64.

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...que vous mettiez la pierre tumulaire de l'oubli sur tous les crimes et tous les vestiges de la Commune, et que vous disiez à tous... qu'il n'y a qu'une France et qu'une République ! 38 ». Les opportunistes se détachent ainsi d'un passé conflictuel en exaltant cette unité de la patrie dans de nouveaux symboles, à l'instar de la Marseillaise devenue hymne nationale l'année précédente.

Tout ceci renforce le sentiment de rejet des militants libertaires vis-à-vis de la République bourgeoise à la fin du XIXe siècle, ne faisant pas de mystère sur leurs convictions révolutionnaires dans les journaux et les réunions publiques. Cette diffusion médiatique donne à l'anarchisme une dimension menaçante que ne revêtent pas les oppositions de droites et de gauches présentes à la Chambre des députés. La République ne peut affirmer son autorité gouvernementale face à des individus refusant toute organisation partisane et étatique. Il devient alors nécessaire pour les républicains de répondre à cette menace, mais les structures administratives à leur disposition sont encore imprégnées du souffle du Second Empire.

La remise en cause de la dimension libérale de la Troisième République a fait l'objet de récents travaux. Arnaud-Dominique Houte s'est employé à montrer dans son histoire de la France contemporaine que le nouveau régime souffre largement des héritages politiques et institutionnelles du Second Empire39. Nicolas Roussellier, quant à lui, a montré dans son travail sur le pouvoir exécutif que les monarchistes sont les réels bâtisseurs de cette Troisième République, que les républicains ont accepté les fondements monarchistes de ce régime et ont même voté les principes institutionnels qui le compose40. Sébastien Laurent a pour sa part raconté une histoire du XIXe siècle sous le prisme de l'État secret, révélant la complexité du système qui régit les politiques de maintien de l'ordre en France41.

Concernant les travaux sur le mouvement anarchiste, il faut évoquer en plus des travaux de Jean Maitron, ceux de Gaetano Manfredonia et de Vivien Bouhey qui ont analysé

38 Cité dans Vincent Duclert, La République imaginée..., op.cit.,p. 172.

39 Arnaud-Dominique Houte, La France contemporaine. 4, Le triomphe de la République, 1871-1914, Points Seuil, 2014.

40 Nicolas Roussellier, La Force de Gouverner : le pouvoir exécutif en France XIXe-XXIe siècles. Gallimard, 2015, p. 93.

41 Sébastien-Yves Laurent, L'Etat secret, l'information et le renseignement en France au XIXe siècle: contribution à une histoire du politique (1815-1914), HDR, 2004 et Politiques de l'ombre: État, renseignement et surveillance en France, Fayard, 2009.

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les rapports qui existent entre anarchisme et République. Manfredonia travaille désormais sur la répression policière du mouvement sur l'ensemble du territoire français basés sur l'étude des Archives départementales42, tandis que Bouhey s'est intéressé aux réseaux du mouvement anarchiste au travers des archives policières locales en plus de celles de la Préfecture de police43. En outre, André Nataf44 et Céline Beaudet45 se sont intéressés aux modes de vies libertaires. Gaetano Manfredonia a aussi étudié de près à la doctrine anarchiste complétant ainsi les travaux de Jean Maitron46.

Il faut par ailleurs citer le travail du juriste Jean-Pierre Machelon intitulé la République contre les libertés qui reste l'oeuvre de référence sur la remise en cause du libéralisme de la Troisième République dont l'analyse de la répression du mouvement anarchiste a largement servi dans le cadre de ce travail47.

Par conséquent, l'objectif de ce mémoire n'est pas d'écrire une nouvelle histoire de l'anarchisme en France dans la continuité de Jean Maitron et Gaetano Manfredonia mais de s'inscrire dans un récit plus large de l'État au début de la Troisième République. L'étude du mouvement anarchiste révèle la présence d'une administration de la coercition légitime en charge de la mise en place d'un maintien de l'ordre républicain au début des années 1880.

Pour une approche « multi-institutionnelle » de la répression de l'anarchisme

« La Troisième République, on le sait, s'est installée dans un lit dont elle a largement hérité, même si il lui restait à en parachever le cadre 48 ».

42 Pour exemple : Gaetano Manfredonia, « Surveillance et répression de l'anarchisme sous la IIIème République, 1879-1914 : le cas de la Creuse et de la Corrèze », dans Archives en Limousin, n°46, 2016, p.49-59.

43 Vivien Bouhey, Les anarchistes contre la République, 1880 à 1914: contribution à l'histoire des réseaux sous la Troisième République. Presses Universitaires de Rennes, 2008.

44 André Nataf, La vie quotidienne des anarchistes en France: 1880-1910, Hachette, 1986.

45 Céline Beaudet, Les milieux libres: vivre en anarchiste à la Belle époque en France, Editions Libertaires, 2006.

46 Gaetano Manfredonia, Anarchismes et Changement social, Atelier de Création Libertaire, 2007 ; « La culture politique libertaire » dans Berstein, Serge, Les cultures politiques en France, Éd. du Seuil, 1999.

47 Jean-Pierre Machelon, La République contre les libertés ?: les restrictions aux libertés publiques de 1879 à 1914, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1976.

48 Quentin Deluermoz., Le crépuscule des Révolutions..., op.cit., p. 8.

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Il est en effet essentiel pour les républicains défenseurs d'une conception libérale et démocratique du pouvoir, de se séparer - dans un premier temps - mais surtout de renouveler les cadres politiques de l'Empire. « Les préfets de Gambetta » sont nommés dans ce but : des avocats, journalistes et autres intellectuels, républicains de la première heure, prennent la place des fonctionnaires bonapartistes49. Ce choix n'est pas seulement symbolique, il est aussi pragmatique. Les préfets sont les premiers représentants de la République, et donc du peuple, en province ; leur fonction est au coeur du système républicain. Après l'administration publique, c'est la justice et la police que le gouvernement doit réformer. Il est nécessaire d'une part d'écarter les magistrats du Second Empire aux tendances conservatrices et dont les républicains se méfient en raison de leur proximité avec l'ordre impérial50. D'autre part, il est primordial de faire de la police secrète de Napoléon III un outil au service du maintien de l'ordre républicain. Comme l'écrit La République française, journal fondé par Léon Gambetta :

« La police de la République doit désormais s'inspirer, comme tous les services publics, du seul intérêt de la justice. La police, dans de telles conditions ne sera ni moins honnête, ni moins respectable que toute autre grande administration (...) Elle n'aura ni blouses blanches, ni faiseurs de bombes (...) Il y a là, comme partout ailleurs, un héritage ignoble que nous ne saurions accepter pour le nouveau régime : l'héritage du système impérial51. »

Néanmoins, c'est dans les arcanes de cette institution dense aux contours et aux hiérarchies flous qu'apparaît le visage conservateur de cette toute jeune République. Les anarchistes deviennent alors la cible médiatique et politique d'un gouvernement opportuniste cherchant à acquérir sa légitimité tout en renforçant son pouvoir à la tête de l'État. Les républicains, qui ont attendu si longtemps avant de se faire élire, refusent d'être remis en cause par des « agitateurs professionnels » de l'ordre public.

Par ailleurs, la notion « d'ordre public », qui est avant tout un concept juridique, prend forme en France au moment de la mise en place d'une société fondée sur l'État de droit. En droit civil il est possible de résumer la notion comme telle : « caractère des règles juridiques qui s'imposent pour des raisons de moralité ou de sécurité impératives dans les rapports

49 Pour plus de détails, voir Vincent Wright, Les préfets de Gambetta, Presses de l'Université Paris-Sorbonne, 2007.

50 Jean-Pierre Royer et al., Histoire de la justice en France: de la monarchie absolue à la République, Presses universitaires de France, 2001, p. 681.

51 Cité par Jean-Marc Berlière et René Lévy dans Histoire des polices en France, op.cit, p.27

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sociaux52 ». Toutefois, il semble nécessaire de proposer une définition historique de ce qu'est l'ordre public et ce que suppose son maintien dans le cadre d'un gouvernement républicain. Dans son ouvrage Policiers dans la Ville, Quentin Deluermoz propose de conclure son propos sur la possibilité d'une « construction sociale et culturelle d'un ordre public » :

«ll ne s'agit ainsi pas «d'ordre public» au sens général, et la démarche tend au contraire à montrer qu'il faut historiciser la notion. Cet ordre dépend ici des forces policières et militaires, du régime politique, de la nature de l'espace urbain, des configurations des groupes sociaux en présence, mais aussi de l'état juridique de la société, de l'intégration à l'État, des systèmes de sensibilités qui définissent les limites du tolérable et de l'intolérable et des effets des rencontres quotidiennes. (...). Il ne s'agit pas non plus de «l'ordre public du XIXe siècle», dans la mesure où plusieurs types d'ordre coexistent alors en même temps. Si l'on définit l'ordre public comme une forme organisée de relation dans un espace ouvert à tous, il faut évoquer la continuité d'ordres extérieurs à l'activité policière, propres à la rue et à ses habitants. (...) Il s'agit donc d'un ordre public parmi d'autres. Étant continu dans le temps et l'espace, et dans la mesure où il s'accompagne de l'élaboration d'un nouveau type d'espace public, il peut néanmoins être qualifié plus particulièrement de «public» 53 . »

Cette définition historicisée nous permet de défendre une approche « multi-institutionnelle » du maintien de l'ordre à la fin du XIXe siècle qui se construit autour de la surveillance et de la répression du mouvement anarchiste. Nous constatons la présence d'une administration de la coercition légitime composée de plusieurs institutions policières et judiciaires, notamment la Préfecture de police de Paris, la direction de la Sûreté générale, mais aussi les préfectures départementales et la magistrature. Toutefois, malgré la présence de ce réseau administratif, le maintien de l'ordre reste l'apanage d'une technostructure policière héritière des régimes passés et échappant en partie au contrôle gouvernemental. Si le terme de technostructure peut sembler ici anachronique (il désigne habituellement les cadres dirigeants des administrations post Seconde Guerre mondiale), il nous paraît néanmoins adapté pour définir l'appareil policier de la fin du XIXe siècle. Le ministère de l'Intérieur bénéficie encore des fonds secrets mis en place par les administrations précédentes dont il se sert, notamment, pour financer des activités de police politique sans avoir besoin d'en informer le pouvoir central. Dans le cadre de la répression de la menace anarchiste, la technostructure policière couplée au reste de l'administration coercitive engage une machine d'État conditionnée par les institutions du passé et dont le rôle consiste à protéger le régime à tout prix.

52 Jean-Luc Albert et al. Lexique des termes juridiques, Édité par Serge Guinchard et Thierry Debard, Dalloz, 2015.

53 Quentin Deluermoz, Policiers dans la ville: la construction d'un ordre public à Paris (1854-1914). Publications de la Sorbonne, 2012, p.319.

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De par cet héritage, le maintien de l'ordre public entre souvent en conflit avec les libertés fondamentales instaurées par la Troisième République. Dans le cas du mouvement anarchiste, il est important de noter qu'au cours de l'année 1882 de nombreux militants ont été condamnés pour « délit de presse » ; c'est par ailleurs la charge principale qui est retenue contre Antoine Cyvoct en 1883 à la suite de l'explosion du théâtre Bellecour à Lyon. Le militant, d'abord accusé de l'attentat, est finalement condamné pour provocation aux meurtres à la suite d'un article qu'il a publié dans le journal le Droit Social54. Quant à la liberté de réunion, la loi prévoit en réalité la présence d'un officier de police quel que soit la nature du rassemblement : « Un fonctionnaire de l'ordre administratif ou judiciaire peut être délégué, à Paris, par le préfet de police et, dans les départements, par le préfet, le sous-préfet ou le maire, pour assister à la réunion » 55 . Ceci constitue la preuve de la mise en place d'un maintien de l'ordre républicain adapté aux principes libéraux du régime.

Une histoire de l'État au croisement de l'appareil policier et de l'anarchisme

Notre première intuition a donc été de chercher une trace de cette hypothèse dans les archives du gouvernement opportuniste. Or, il est nécessaire de noter que le travail gouvernemental n'existe pas dans les années 1880 au sens moderne du terme. Il n'y a pas de cabinets ministériels officiels, ni de secrétariat général faisant le lien entre les ministres. Par conséquent, nous nous sommes appuyés sur les comptes rendus des débats officiels de la Chambre des députés pour déterminer la position politique officielle adoptée par les républicains face à l'anarchisme56.

Ensuite, à la vue des sources utilisées par les historiens de l'anarchisme, nous avons largement exploitée les Archives de la Préfecture de police (APP) et des sous-série F7 « Police Générale » et BB « Justice » des Archives nationales sur la période 1879-1893. L'administration policière étant en charge de la surveillance politique sur l'ensemble du

54 Les procès de Lyon dit « procès des 66 » et les charges qui pèsent sur Antoine Cyvoct feront l'objet d'un chapitre à part entière.

55 Loi du 30 juin 1881, Article 9 :

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025148185

56 L'ensemble des comptes rendus analysés est accessible en ligne via Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb328020951/date.r

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territoire français, les archives produites par les institutions qui la composent nous informent sur la diversité des acteurs du maintien de l'ordre républicain. Par ailleurs, il est important de noter que cette mission de renseignement politique reste la prérogative de la haute-police. Par conséquent, les archives du ministère de la Guerre ne témoignent d'aucun acte de surveillance du mouvement anarchiste par les officiers de l'armée57. Les gendarmes apparaissent dans ce mémoire seulement comme des co-acteurs, avec les policiers en tenue, du maintien de l'ordre public.

Notre travail comprend aussi le dépouillement d'un grand nombre de cartons de la Série 4M « Police » des Archives départementales du Rhône (ADR). Ceci s'explique par la présence d'un grand nombre de militants anarchistes dans la région lyonnaise à la fin des années 1880, par la tenue du procès des 66 en janvier 1883 mais aussi par les prérogatives policières que détient le préfet du Rhône depuis 1873. Il ne faut pas considérer l'anarchisme comme un mouvement politique seulement implanté dans la capitale, de même que les politiques du maintien de l'ordre ne sont pas l'apanage du pouvoir central. Ainsi, les ADR conservent un grand nombre de rapports de surveillance politique, des documents illustrant les liens entre la préfecture du Rhône et le ministère de l'Intérieur et des dossiers de comptabilité confirmant l'infiltration d'indicateurs au sein des groupes libertaires à des fins de renseignement.

Enfin, notre travail de recherche est complété par l'analyse de documents issus du fonds Max Nettlau, numérisés et accessibles en ligne via le site de l'International Institute of Social History (IISH) d'Amsterdam58. En outre, les sources imprimées de l'époque permettent de mieux saisir les positions des acteurs de l'histoire. Des cadres de l'appareil policier et d'éminents militants dévoilent leurs secrets et leurs ressentis dans leurs souvenirs. Les écrits des théoriciens de l'anarchisme renseignent aussi sur l'évolution de la doctrine durant les premières décennies de la Troisième République.

Trois organisations de haute-police composent alors notre organigramme : la Préfecture de police de Paris qui est en charge de la police municipale de la capitale, la

57 Ni la salle des inventaires virtuels, ni les travaux des historiens du mouvement anarchistes et de la police ne font références à une surveillance des anarchistes par l'armée. Ceci nous a aussi été confirmé par un chercheur lors de la première séance de la Saison 23 du séminaire METIS qui s'est tenue au Centre d'Histoire de Sciences Po le 18 février 2019.

58 IISH, Max Nettlau Papers. Accès via : https://search.iisg.amsterdam/Record/ARCH01001.

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préfecture du Rhône qui détient des prérogatives de police exceptionnelles et la Direction de la Sûreté générale. Ces deux dernières administrations agissent sous le contrôle hiérarchique du ministère de l'Intérieur, alors que le préfet de Police possède une certaine autonomie dans sa mission de maintien de l'ordre du territoire parisien.

Ainsi, ce travail s'appuie sur des sources publiques produites par les acteurs du maintien de l'ordre à la fin du XIXe siècle.

Trois moments à distinguer

Dans un premier temps nous pensons qu'il est essentiel de revenir sur les fondements de la Troisième République et des premières lois qui succèdent l'arrivée au pouvoir des opportunistes. Nous souhaitons présenter en parallèle la structuration du mouvement anarchiste au début des années 1880 et la technostructure policière complexe en charge de sa surveillance et de sa répression. Dans une seconde partie nous étudions les rouages de la machine d'État à travers l'exemple du procès des 66. Cet événement est au coeur de notre mémoire et permet de se pencher sur l'administration de la coercition légitime et sur le rôle joué par la « justice politique » au début de la Troisième République. Enfin, notre dernière partie propose une réflexion sur la pratique du pouvoir en République et l'évolution des politiques du maintien de l'ordre dans le cadre des attentats anarchistes du début des années 1890.

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Première Partie. De l'avènement de la République à

la lutte contre les anarchistes (1879-1882)

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Chapitre 1 : Une toute jeune République à l'épreuve de

l'anarchie

Dans ce premier chapitre, nous souhaitons éclairer le parallèle qui existe entre l'arrivée des opportunistes au pouvoir ainsi que l'idéologie libérale qu'ils soutiennent, et la structuration en France d'un mouvement anarchiste défendant un autre idéal social. Le rôle « limité » du président du conseil et la distribution des portefeuilles ministériels déterminent les orientations administratives et révèlent l'hétérogénéité du système de la coercition légitime. Dans le même temps, les compagnons1 se structurent autour de réseaux installés sur l'ensemble du territoire de la République2. La législation garantissant la liberté de la presse au début des années 1880 favorise autant les feuilles libertaires diffusant les doctrines que les quotidiens de tous bords. Menaçant l'ordre politique et social bourgeois installé depuis la chute du Second Empire, l'anarchisme apparaît comme la première épreuve des opportunistes arrivés au pouvoir en 1879.

Nous reviendrons ici sur la mise en place des institutions de la Troisième République et la façon dont elles conditionnent l'exercice du pouvoir du nouveau gouvernement. Ceci consiste à étudier l'historiographie riche concernant cette période et de présenter les débats qui en découlent. Associant cette étude à une réflexion sur le mouvement anarchiste et son aversion pour les structures étatiques, ce chapitre permet de poser le cadre politique dans lequel s'inscrit notre travail.

1.1- L'affrontement de deux conceptions de la Révolution

Quand Grévy, Ferry ou encore Gambetta accèdent à la tête de l'État à la fin des années 1870, ils espèrent installer dans la durée ce régime républicain qu'ils défendent depuis des

1 Expression employée par les anarchistes pour se désigner entre eux ; nous l'utiliserons tout au long du mémoire.

2 Sur les réseaux voir Vivien Bouhey, Les anarchistes contre la République..., op.cit.

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années. Sous le Second Empire, leurs valeurs libérales ont été réprimées et leur liberté d'opinion niée. Après avoir été les « anarchistes » du pouvoir impérial, les opportunistes ne s'attendent pas à voir un ennemi politique émerger sur leur aile gauche. Pourtant, à la Chambre des députés et dans les réunions publiques, des voix s'élèvent contre cette République bourgeoise et viennent défier l'idéal libéral du nouveau gouvernement

A) Un régime libéral qui fait débat

« Mais, messieurs, ces doctrines mêmes, que vous avez le tort d'appeler radicales, car elles ne touchent pas au radicalisme, -- il serait plus vrai de dire qu'elles appartiennent à un libéralisme avancé, -- ces doctrines ont échoué devant la Chambre, parce que celle-ci n'a pas trouvé que leur heure fût venue3. »

Si les lois constitutionnelles de 1875 dessinent les contours des institutions de la troisième République, c'est le gouvernement opportuniste qui définit la forme parlementariste du régime dans les années 1880. Cependant, il ne s'agit pas seulement de proposer la meilleure organisation gouvernementale républicaine possible, mais d'imposer à travers ces institutions la doctrine libérale face aux partisans d'un retour à la monarchie.

Tout d'abord, la « constitution de 1875 » consacre la toute puissance du pouvoir législatif favorisant alors les travaux d'un parlement bicaméral composé de la Chambre des députés et du Sénat tout en déterminant la prééminence du président de la République4. Néanmoins, lorsque Jules Grévy est élu par la nouvelle majorité républicaine en 1879, il renonce à son droit de dissolution de la Chambre et laisse place au régime d'Assemblée que Mac Mahon, son prédécesseur, a tenté d'étouffer. De plus, les lois constitutionnelles de 1875 consacrent l'irresponsabilité du chef de l'État qui doit nommer un président du Conseil des ministres, assumant alors cette « responsabilité ». Si en réalité le texte ne fait aucune mention de cette fonction, le président du Conseil se révèle être, durant la « République des

3 Jules Ferry à la Chambre des députés, séance du 18 juin 1877, Journal officiel de la République française, 19 juin 1877, p.4509.

4 Vincent Duclert, La République imaginée..., op.cit., p. 91-92.

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républicains »5, le véritable dépositaire du pouvoir exécutif. Par conséquent, le chef de l'État le choisit en fonction de la façon dont il veut infléchir la politique intérieure. L'historien Jean-Marie Mayeur explique alors que le président de la République dispose d'une certaine liberté d'action par rapport au président du Conseil, puisque ce dernier est contraint par l'absence de majorité, liée à la faible organisation des partis politique, d'être le véritable chef du gouvernement6. Jules Grévy a en effet su se servir de cette prérogative à son avantage en décidant de ne pas choisir Gambetta qui risquait de lui faire de l'ombre. Il choisit de nommer Henry Waddington en 1879, dont le mandat est marqué par ses altercations avec la Chambre, en particulier le groupe de l'Union républicaine mené par Gambetta, ce qui le pousse à démissionner en décembre de la même année7. En s'effaçant au profit du régime d'assemblée, le nouveau chef de l'État se crée une position stratégique pour influencer à sa guise le pouvoir législatif.

Par ailleurs, après avoir subi la première crise institutionnelle de son histoire le 16 mai 1877, la Troisième République se prépare à de nouvelles élections législatives qui participent à son ancrage en profondeur dans la société française8. Dans ce contexte, Jules Ferry s'exprime à la Chambre des députés en juin 1877 ; il y défend le régime libéral et modéré de la République comme réponse aux besoins de la nation française en cette fin de XIXe siècle9. Ce libéralisme revendiqué par les opportunistes, trouve ses origines dans la philosophie des Lumières et l'idéal de la Révolution de 1789. En effet, cette doctrine philosophique, héritière de la Réforme, émerge avec l'État nation en opposition aux régimes impérieux et religieux qui dominent l'Europe. Le pouvoir civil apparaît alors comme une autorité politique légitime et entraine le développement de la conscience et de l'autonomie de l'individu10. Ceci suppose

5 Pour reprendre l'expression popularisée par Jacques Chastenet dans son livre La République des républicains: 1879-1893, Hachette, 1954.

6 Jean-Marie Mayeur, La vie politique sous la Troisième République..., op.cit., p. 100.

7 Ibid., p.71.

8 Vincent Duclert, La République imaginée..., op.cit., p. 128-129.

9 Jules Ferry à la Chambre des députés, séance du 18 juin 1877, Journal officiel de la République française, 19 juin 1877, p.4509.

10 David Alcaud et al., Dictionnaire de Sciences Politiques, Sirey, 2010, p.229.

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la création d'une nouvelle forme de gouvernement basée sur la représentation et la séparation des pouvoirs théorisée par Montesquieu puis mise en place dans une certaine mesure à la suite de la Révolution française. Les partisans de cette doctrine ont alors lutté tout au long du XIXe siècle en Europe et en France pour repousser les gouvernements monarchistes et impérialistes afin d'instaurer un système légitimant la démocratie et le pouvoir populaire. La défense des droits de l'homme, la promulgation d'un droit constitutionnel, la séparation des Églises et de l'État, et la célébration de la liberté individuelle se retrouvent donc au centre du projet républicain, à la suite de la défaite du Second Empire.

Cet idéal libéral s'incarne à la fin des années 1870 dans la figure de Léon Gambetta, qui, fort de son expérience d'avocat et de son combat historique contre le régime impérial, devient le porte-parole des républicains lors de la campagne des législatives de 1877. Le discours qu'il prononce à Lille en août de cette même année lui permet de conduire son camp à la victoire mais surtout de poser les principes de l'idéal républicain. En effet, il évoque l'unité de la nation française, survivant à la chute des gouvernements et se réalisant dans la République. Il défend le principe de souveraineté populaire basé sur le suffrage universel et conclut son discours sur cette phrase qui a marqué l'Histoire : « Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, croyez-le bien, Messieurs, il faudra se soumettre ou se démettre »11. Pour Gambetta et ses soutiens, la République permet de dépasser les partis et de réaliser un gouvernement du peuple, seule issue de la défaite de 1870 qui hante encore la nation. Par ailleurs, il est impératif d'unir le camp républicain divisé entre libéraux progressistes et partisans de la Révolution sociale depuis la Commune de Paris. Le manifeste des « 363 » rédigé par Eugène Spuller en mai 1877 est alors un moyen d'unifier la République et de dépasser les clivages internes. Le lieutenant de Gambetta écrit en effet dans ce texte : « La République sortira plus forte que jamais des urnes populaires, les partis du passé seront définitivement vaincus, et la France pourra regarder l'avenir avec confiance et sérénité »12. Cette déclaration permet donc de réunir dans le même camp la majorité de la Chambre des députés, allant d'Adolphe Thiers à Georges Clemenceau, et de présenter 363

11 Discours de Léon Gambetta à Lille le 15 août 1877 cité dans Vincent Duclert, La République imaginé...,op.cit., p.148.

12 Vincent Duclert, La République imaginée..., op.cit., p.143.

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candidats sous l'étiquette du parti républicain lors des élections législatives13. C'est donc le pragmatisme des républicains et l'exaltation d'un idéal national démocratique qui leur permettent de conserver leur majorité à la Chambre en octobre 1877.

Par ailleurs, une des premières mesures adoptées par les républicains lorsqu'ils prennent le contrôle des institutions en 1879, est l'amnistie des communards. Cette mesure, défendue auparavant par Victor Hugo au Sénat et Georges Clemenceau à la Chambre, est enfin adoptée par la majorité républicaine à la suite de la prise de parole éloquente de Gambetta :

« La République, c'est un gouvernement de démocratie ; c'est le gouvernement qui est le plus fort de tous les gouvernements connus contre la démagogie. Pourquoi ? Parce qu'il ne gouverne et ne réprime ni au nom d'une famille ni au nom d'une maison, mais au nom de la loi et de la France14. »

La nécessité d'unir la nation française transparaît aussi dans les lois de 1881 concernant les libertés de la presse et de réunion. Une partie de l'historiographie considère ces lois libérales comme l'accomplissement de l'idéal de 1789. Maurice Agulhon évoque un régime marquant l'apogée de la nation française et qualifie de « fondatrices » les années au pouvoir des opportunistes 15. Quant à Vincent Duclert, il note dans la République imaginée : « La fondation démocratique opérée en cette fin de XIXe siècle attacha la République à une forme de souveraineté civique qui continue de la définir »16. Jérôme Grondeux, lui, insiste sur le « projet démocratique libéral » des hommes arrivés au pouvoir en 187917 ; les républicains accordant à la « liberté comme valeur une grande place », on peut qualifier le régime de « république libérale »18. Néanmoins, notre objectif ici est de se positionner contre

13Ibid., p.142.

14 Discours de Léon Gambetta à la Chambre des députés le 21 juin 1880 cité dans Vincent Duclert, La République imaginée..., op.cit., p.172.

15 Maurice Agulhon, La République..., op.cit.,, p.7.

16 Vincent Duclert, La République imaginée..., op.cit., p.138

17 Jérôme Grondeux, La France contemporaine, Édité par Jean-François Sirinelli, Librairie générale française, 2000, p.84.

18 Ibid., p.88.

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l'historiographie majoritaire insistant sur l'ultra libéralisme - au sens du XIXe siècle - de ces législations en montrant leur limite et leur dimension pragmatique.

Il faut tout d'abord se rappeler que sous le Second Empire, l'opinion, sous toutes ses formes, a connu une période de répression sans précédent. Le début de la Troisième République correspond alors à une période de renaissance pour les journaux qui profitent de la révolution des modes de transports et des impressions pour se développer. Ils sont peu couteux et sont produits en masse, ce qui leur confère une véritable influence politique. Les républicains ont conscience du pouvoir de la presse qui retrouve sa liberté dès les années 1870, et tendent à la considérer comme une alliée19. C'est un canal d'influence direct sur l'opinion publique, largement utilisé par les parlementaires qui n'hésitent pas à fonder des journaux reflétant leur ligne politique. C'est le cas de Gambetta avec La République Française, Clemenceau avec La Justice, ou encore Louis Andrieux, préfet de police, qui crée dès 1876 Le Petit Parisien. Par conséquent, les opportunistes dont les valeurs coïncident avec la libéralisation de l'opinion, trouvent aussi dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse un outil de propagande politique. Néanmoins, les membres siégeant à l'extrême gauche de la Chambre des députés reprochent à cette loi de ne pas être assez libérale. En effet, Georges Clemenceau argumente en faveur de la suppression de l'article concernant le délit d'outrage au Président de la République, qui apparaît selon lui comme une forme de « délit d'opinion »20. C'est en fait l'article 23, relatif à la provocation par voie de presse et s'appliquant de par l'article 26 aux offenses commises contre le président de la République, qui marque une première contradiction aux principes libéraux du nouveau gouvernement.

Article 23 : Seront punis comme complices d'une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, auront directement provoqué l'auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d'effet. Cette disposition sera également applicable lorsque la provocation n'aura été suivie que d'une tentative de crime prévue par l'article 2 du code pénal.

19 Jean-Marie Mayeur, La vie politique sous la Troisième République..., op.cit., p.75.

20 Vincent Duclert, La République imaginée..., op.cit., p.167-168.

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Article 26 : L'offense au Président de la République par l'un des moyens énoncés dans l'article 23 est punie d'une amende de 45 000 euros. Les peines prévues à l'alinéa précédent sont applicables à l'offense à la personne qui exerce tout ou partie des prérogatives du Président de la République.

Ainsi, les députés radicaux sont les premiers à remettre en cause le libéralisme des opportunistes arrivés au pouvoir en 1879. Ils interpellent régulièrement les ministres à la Chambre et font du parlement une instance critique de la République21. Il est important de souligner ici l'absence d'un véritable parti Républicain - malgré le manifeste des « 363 » - à la Chambre des députés ; ce sont différents groupes installés à la gauche des bancs du Palais Bourbon qui défendent un système de valeurs communes mais n'ont pas les mêmes aspirations en terme de régime. Les républicains se retrouvent dans leur rejet du pouvoir personnel, et autour des notions de patriotisme et de laïcité22, ce qui peut paraître relativement limité. Par conséquent, le groupe de la Gauche radicale défend une République démocratique et sociale affiliée à un régime montagnard et ses membres, déjà opposés aux lois constitutionnelles de 1875, sont favorables à la suppression du président de la République et du Sénat23. Ceci illustre les divisions idéologiques qui existent au sein de la gauche républicaine depuis la Commune de Paris, mais qui nourrissent aussi la réflexion sur la pratique du pouvoir et les orientations politiques du régime. Ainsi, le député d'extrême-gauche Georges Clemenceau qualifié de « tombeur de ministère » apparaît en réalité comme un orateur talentueux mettant en pratique le rôle de contre pouvoir du parlement24.

Malgré le charisme et les discours de Léon Gambetta, les radicaux ne sont pas convaincus par la forme pragmatique et modérée proposée par le leader de la nouvelle majorité. Ceci explique alors pourquoi « la République des républicains » subit les affronts d'une extrême-gauche parlementaire qui finit par s'étendre à l'extérieur du Palais Bourbon.

21 Vincent Duclert, La République imaginée..., op.cit., p.180.

22 Jean-Marie Mayeur, La vie politique sous la Troisième République..., op.cit., p.88.

23 Ibid., p.89.

24 Ibid., p.89.

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B) L'émergence d'une culture anarchiste hors des institutions

« L'Histoire, dès ses origines, nous montre toujours, ça et là, et souvent de toutes parts à la fois, des négateurs du principe d'autorité. »25

Longtemps associés au courant de pensée socialiste, les anarchistes se détachent des quelques élus socialistes de la Chambre des députés au début de la troisième République26. Comme l'explique Nicolas Delalande, l'échec de l'Internationale en 1872 à la suite de l'exclusion des antiautoritaires et de leur leader Mikhaïl Bakounine, donne naissance à deux courants rivaux : le socialisme et l'anarchisme27. Ainsi, ces tensions et le refus de la politique et des institutions revendiqué par les leaders du mouvement anarchiste depuis une dizaine d'année expliquent la raison de leur absence dans les instances parlementaires28. Les républicains au pouvoir semblent alors surpris de cette contestation formulée par des groupes révolutionnaires, s'exprimant dans des réunions publiques et non à la Chambre des députés. De plus, les compagnons s'organisant en fédérations et non en groupes politiques structurés à l'inverse des conservateurs et des radicaux, il est difficile pour le gouvernement d'évaluer leur nombre, leur degré d'influence et le danger qu'ils représentent.

Cette difficulté se pose, dans une moindre mesure, à tout historien étudiant ce mouvement, puisqu'il n'existe pas de liste recensant l'ensemble des membres par fédération, ni de programmes électoraux. Cependant, l'émulation philosophique propre à l'Anarchisme conduit à la production de brochures, de journaux et autres écrits de militants souhaitant diffuser leur pensée au plus grand nombre. Par ailleurs, la correspondance qu'entretiennent les différents leaders aide à reconstituer l'histoire du mouvement. Ce travail de recherche - réalisé en premier lieu par Jean Maitron - ne peut se limiter aux « archives »29 produites par

25Max Nettlau, Bibliographie de l'anarchie cité dans Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.24.

26 Jean-Marie Mayeur, La vie politique sous la Troisième République...., op. cit, p.92.

27 Nicolas Delalande, La lutte et l'entraide..., op. cit. , p. 31-32.

28 Ibid, p.32.

29 Il est plus juste de considérer la production des militants comme des papiers privés et non des archives volontairement gardées et classées.

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les militants. Les historiens de ce mouvement se sont en effet tournés vers l'administration républicaine et son rapport aux partisans de la Révolution. Les déclarations des députés, les rapports de la préfecture de police et les circulaires du ministère de l'Intérieur nous renseignent autant sur l'histoire de l'Anarchisme en France à la fin du XIXe siècle que sur sa perception par les institutions.

Tout d'abord, la loi sur la liberté de la presse favorise la parution de journaux ouvertement anarchiste au début des années 1880. Ces feuilles deviennent alors la première source d'information, autant pour l'historien, que pour le militant et l'agent de police, concernant les actions et l'organisation du mouvement libertaire en France. Si Jean Maitron relativise le nombre de journaux puisque plusieurs d'entre eux paraissent sous différents noms, l'étude statistique des numéros issus à l'année tend à confirmer le développement de la pensée anarchiste à la fin du XIXe siècle30. Aussi, il présente une courbe en progression quasi-régulière entre 1880 et 1886, passant de seize numéros à cent-seize, et un pic à 247 numéros parus annuellement en 1892 après une légère baisse31.

Graphique 1 - Périodiques anarchistes (1880-1894)

300

250

200

150

100

50

0

1880 1881 1882 1883 1884 1885 1886 1887 1888 1889 1890 1891 1892 1893 1894

Nombre de numéros

Nombre de numéros

Source : Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.140.

30 Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.139.

31 Ibid, p.140.

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C'est donc à l'aide de ces périodiques apparaissant dans les centres névralgiques du mouvement que les anarchistes diffusent leur doctrine au « grand public ». Lyon apparaît logiquement comme un des bastions du parti libertaire puisque qu'entre 1882 et 1884, la ville compte 99 numéros contre 15 à Paris, même si la capitale redevient le coeur de l'action anarchiste à partir de 188532. Quant à la feuille la plus populaire, les historiens s'accordent pour dire que c'est Le Révolté, fondée en Suisse en 1879 et animée par les leaders de l'époque : Pierre Kropotkine, Elisée Reclus ou encore Jean Grave33. Son premier tirage est estimé à 1500 exemplaires avant de monter à 3000 dès 1883. Le journal déménage ensuite à Paris en avril 1885, favorisant la structuration du mouvement dans la capitale, et passe d'une publication bimensuelle à un tirage hebdomadaire l'année suivante34.

De ce fait, les idées disposent d'une tribune publique, au moins à Lyon et à Paris, dans les années 1880. Cependant, il se révèle impossible de chiffrer le lectorat de la presse libertaire. Pour déterminer le poids et l'impact du mouvement, il faut avant tout tenter d'estimer le nombre de partisans que compte le mouvement. Pour ceci, l'historien se base sur les informations des principaux organes de presse anarchiste ainsi que sur les données récoltées par l'administration policière. L'indicateur de la préfecture de police Droz, infiltré dans la Fédération Jurassienne, compte quarante-deux groupes répartis sur l'ensemble du territoire français, dont seize dans la capitale et trois à Lyon en octobre 188135. Le journal Le Révolté fait état de chiffres similaires pour Paris un an plus tard, en précisant que « ces groupes n'ont pas un bien grand nombre d'adhérents, il est vrai, et ne sont pas d'une bien grande activité36. » Selon Jean Maitron, en juin 1883, un rapport de police non signé recense

32 Ibid, p.141.

33 Gaetano Manfredonia, « L'anarchisme », dans Jean-Jacques Becker, Histoire des gauches en France. Volume 1, La Découverte, 2005, p. 444-462.

34 René Bianco, Répertoire des périodiques de langue française : un siècle de presse anarchiste d'expression française, 1880-1983, Thèse de doctorat, Université d'Aix-Marseille, 1987.

35 APP, fonds du cabinet du préfet de police, BA 438. L'Internationale en Suisse - 1879-1883, Droz, La Chaux-de-Fonds, 13 octobre 1881.

36 « Réunion anarchiste du 13 au 14 août 1882 », Le Révolté, quatrième année, n°13, 19 août 1882.

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treize groupes à Paris, réunissant environ 200 personnes37. Ce nombre augmente légèrement au cours des années puisque le 20 février 1887, l'agent « 22 » établit dans un rapport que la capitale compte dix-neuf groupes et donc 500 membres en tout38.

Dans la région lyonnaise, deuxième pôle militant du mouvement, les anarchistes eux-mêmes estiment lors du procès des 66 en 1883 que 6000 hommes gravitent autour du « parti anarchiste »39. Cependant, Jean Maitron estime que ce chiffre est largement exagéré, confondant membres engagés et sympathisants, mais servant trop bien les besoins de l'accusation, il n'a jamais été remis en cause par cette dernière40. Aussi, d'après Marcel Massard, les effectifs militants ont considérablement été réduits à la suite de la condamnation d'un grand nombre de compagnons par la cour d'appel du Rhône41. Quatre groupes deviennent alors les principaux animateurs du mouvement dans la région entre 1883 et 188442. Un premier groupe connu sous le nom de « l'Etendard Révolutionnaire », compte huit membres du quartier de la Croix-Rousse, mais dont les réunions tiennent plus du caractère amical que révolutionnaire. Un autre groupe se réunit dans le même secteur mais ne rassemble que quatre membres et porte le nom de son principal animateur, le « groupe Thivollier » 43. Puis, le groupe « La Lutte » - du nom du journal fondé par celui-ci - permet au mouvement anarchiste de rester en vie à Lyon après le procès des 66. Ses dix-neuf membres s'organisent principalement autour de l'hebdomadaire qu'ils publient mais peuvent aussi compter sur des contacts noués avec d'autres groupes en France et à l'étranger, notamment en Suisse, pour

37 APP, BA 73. Rapport du 13 Juin 1883 cité dans Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op. cit., p.125.

38 APP, BA 75. Rapport agent « 22 », Paris, 20 février 1887.

39 Toussaint Bordat et al. Le procès des devant la police correctionnelle et la Cour d'appel de Lyon, Imprimerie nouvelle, 1883, p.128.

40 Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.126.

41 Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon (1880-1894), Atelier de création libertaire, 2016, p.79.

42 Ibid., p.79.

43 Ibid.,p.80.

favoriser leur propagande44. Enfin, un dernier groupe composé exclusivement d'anciens détenus est formé mais connaît un succès très limité45. Massard note néanmoins le poids de la presse anarchiste dans la région, outil indispensable pour favoriser la propagande, mais constate que sur une douzaine de réunions publiques tenues entre 1883 et 1885, seulement deux rassemblent plus de 400 personnes46. Nous sommes donc loin du chiffre des « 6000 sympathisants » avancé lors du procès des « 66 » et il est donc nécessaire de relativiser l'importance de l'activité anarchiste dans les années 1880 qui semble très faible comparée à celle des groupes politiques représentés à la Chambre.

Concernant la décennie 1890, Jean Maitron indique qu'il n'a pu récolter suffisamment de données pour établir des statistiques du nombre de militants47. Néanmoins, à la suite d'une circulaire envoyée à tous les préfets, en décembre 1893, le ministère de l'Intérieur propose un premier recensement du nombre d'anarchistes présents dans le pays.48. Puis, en décembre 1894, l'institution dresse un nouvel état numérique du mouvement sur l'ensemble du territoire français. Voici le tableau que Jean Maitron présente dans son oeuvre pour comparer ces données49 :

Tableau 1 - États des militants (1893-1894)

Date/Lieu

Seine

Rhône

Loire

Fin décembre 1893

700 à 800

178

1500

Fin décembre 1894

430

305

342

Source : Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.128.

44 Ibid., p. 81.

45 Ibid., p. 82.

46 Ibid., p. 86.

47 Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.127.

48 AN, F7 12504. Mesures de surveillance et tournées de conférence (1882-1898). Organisation anarchiste - Réponses à la circulaire du 13 décembre 1893. Le document sera analysé précisément dans chapitre 6.

49 Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.128.

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Selon l'historien, l'écart important que l'on retrouve entre les deux années s'explique par le fait que les préfets en 1893 ont cherché à établir le nombre de sympathisants du mouvement et non le nombre de militants comme en 189450. Il avance alors que le « parti anarchiste » compte un millier de militants au milieu des années 1890, 4500 sympathisants et estime qu'environ 100 000 personnes sont potentiellement influencées par les idées libertaires en France51.

En somme, on ne peut pas parler de « parti anarchiste » au sens sociologique du terme - une organisation basée sur une idéologie politique, hiérarchisée et dont le but est de prendre le pouvoir par les institutions - mais d'un réseau de militants libertaires se développant sur le territoire français dans les années 1880. Or, les différents groupes qui le composent ont conscience, de par leur nombre, du faible impact de leur mouvement. Il apparaît nécessaire de se rencontrer pour définir une action politique commune et de plus grande ampleur. Depuis la dissolution de la Première Internationale en 1876, il n'existe plus d'organisation transnationale préparant la « révolution populaire ». Le congrès antiautoritaire qui se tient à Londres en juillet 1881 se veut être le moment refondateur d'une nouvelle AIT dans laquelle se retrouvent et s'organisent les anarchistes du monde entier.

1.2- Une machine d'État face à un mouvement libertaire en pleine structuration

Nous constatons une temporalité similaire entre la mise en place de la République des républicains et le développement de l'anarchisme sur le territoire français. Dans quelle mesure les militants représentent un danger pour le gouvernement opportuniste et quelle réponse apporte la machine d'État à cette menace venue de son aile gauche ?

50 Ibid., p.128.

51 Ibid., p.130.

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A) Le Congrès de Londres de 1881 et la stratégie de la propagande par le fait

La période que nous étudions ici est donc marquée par le Congrès International Anarchiste qui se tient à Londres du 14 au 20 juillet 1881. Réunissant une quarantaine de délégués - le chiffre exact varie selon les sources - de fédérations et groupes du monde entier, ce congrès réalise « L'union, si longtemps méditée, des socialistes-révolutionnaires des deux mondes (...) »52. Par ailleurs, ce rassemblement définit la stratégie de la nouvelle AIT consistant en la « propagande par le fait ». Ce mode d'action encourage les militants à s'engager sur le terrain de l'illégalité, favorisant le « fait insurrectionnel » et « la révolte permanente » pouvant mener à terme à la révolution53. Cet événement revêt donc une place centrale dans notre étude du mouvement anarchiste et du défi qu'il pose à l'administration républicaine. En plus d'organiser les militants et de définir leur orientation politique, le Congrès de Londres donne corps à la menace que représente l'anarchie pour la République.

Les archives personnelles de certains compagnons présents à cette réunion nous offrent un premier éclairage sur ce rassemblement au caractère inédit. Max Nettlau, premier historien du mouvement libertaire, a conservé dans ses papiers une liste de noms de personnes présentes au congrès54. On sait donc que les philosophes Pierre Kropotkine, Enrico Malatesta et Carlo Cafiero se sont rendus à Londres à cette occasion55. Néanmoins, c'est dans les papiers de Gustave Brocher que l'on retrouve le plus d'éléments sur le congrès56. Un premier document attire particulièrement notre attention : c'est un manifeste produit à l'intention des « révolutionnaires des deux mondes » et diffusé le 18 mars 1881, à l'occasion de l'anniversaire de la commune, pour annoncer la tenue du Congrès International Socialiste Révolutionnaire57. Il y est alors indiqué que l'ordre du jour sera la « Reconstitution de

52« Le Congrès International de Londres », Le Révolté, troisième année, n°11, 23 juillet 1881.

53 Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op. cit., p.83.

54 International Insttute of Social History (IISH). Max Nettlau Papers. London 1881, Notes by Nettlau. 1881.

55 Ibid. Max Nettlau Papers. London 1881, Notes by Nettlau. 1881.

56 ISSH, G. Brocher Papers. Congrès socialiste révolutionnaire de Londres (14-19 juillet 1881).

57 Ibid., Prospectus d'annonce du Congrès, intitulé "Aux révolutionnaires des deux mondes". [c. 18 mars 1881]. 1 feuillet.

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l'Association Internationale des travailleurs », les pays participants et dans certains cas les noms de leur délégués58. Puis, dans le grand nombre de papiers déposés par Gustave Brocher, on retrouve une liste des délégués établie par Max Nettlau à l'aide des notes rédigées par son ami59. L'historien a compté 46 représentants venus de toute l'Europe et même des États-Unis, ce qui nous permet d'évaluer l'importance du Congrès de Londres pour la communauté anarchiste mondiale60.

Aussi, il est important de constater l'écho qu'a produit l'événement dans la presse. Les débats de la rencontre sont logiquement relatés en détails dans les journaux, notamment le Révolté qui consacre presque entièrement son numéro du 23 juillet 1881 au compte-rendu de l'événement61. Néanmoins, le périodique fondé en Suisse et représenté par l'intellectuel russe Pierre Kropotkine à Londres, n'est pas le seul à relater le congrès. Parmi les titres, on retrouve dans les archives de la préfecture de police des extraits du journal La Révolution Sociale, financé par le préfet Andrieux62. L'hebdomadaire, animé par des anarchistes ignorant que leur feuille sert de courroie de transmission à la préfecture de police, écrit le 17 juillet que « pour la première fois depuis la Commune de Paris, tous les socialistes sincères vont se rencontrer sur le seul terrain d'union pratique : celui de la Révolution par la force, seul moyen pour les exploités d'en finir avec leurs exploiteurs »63. Un extrait de La Justice, journal fondé par Georges Clemenceau, a aussi été relevé par les agents de la PP ; il présente un compte rendu succinct des deux premières journées du congrès, signalant la volonté pour les partis révolutionnaires de se retrouver au sein d'une forte organisation tout en gardant leur autonomie64. De plus, d'autres quotidiens nationaux et locaux informent leur lectorat de la

58 Ibid. Prospectus d'annonce du Congrès, intitulé "Aux révolutionnaires des deux mondes". [c. 18 mars 1881]. 1 feuillet.

59 Ibid. Liste des délégués établie par Max Nettlau à partir des notes de G. Brocher.

60 Ibid. Liste des délégués établie par Max Nettlau à partir des notes de G. Brocher.

61 « Le Congrès International de Londres », Le Révolté, troisième année, n°11, 23 juillet 1881.

62 APP, BA 30. Congrès Socialiste International tenu à Londres (Mai 1881).

63 Ibid., « Le Congrès de Londres » , La Révolution Sociale, 17 Juillet 1881.

64 Ibid., « Congrès socialiste de Londres », La Justice, 19 Juillet 1881.

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tenue du congrès. Le Petit parisien publie la brève suivante dans son numéro du 18 juillet 1881 :

« Un congrès socialiste international se tient en ce moment à Londres ; la première séance a eu lieu le 14 juillet. De nombreux délégués de France, de Suisse, d'Espagne, d'Italie, de Belgique, d'Amérique, etc., assistaient à la réunion65. »

Le Soleil, quotidien monarchiste modéré, indique dans son numéro du 20 juillet 1881 la présence de Louise Michel et de Pierre Kropotkine au congrès et note que « les discours ont été généralement passionnés et violents.66 » Egalement, le Courrier de Saône-et-Loire insiste sur la présence de « l'amère Michel » à Londres qui aurait dit qu'elle « rêvait depuis dix ans la tempête prochaine qui doit détruire le dernier trône et le dernier autel »67. Une grande partie de la presse française couvre le Congrès de Londres, quitte à parfois nourrir le mythe du « complot anarchiste ».

Par ailleurs, la préfecture de police dispose d'au moins d'un agent installé en Angleterre, l'informant de la structuration du mouvement sur place, avant même le début du congrès de Londres. On imagine que c'est un indicateur infiltré au sein du mouvement, puisqu'il signe toujours ses rapports d'une étoile « * »68 et non avec un titre d'officier. Dans le carton BA 30 issu du fonds « Cabinet du Préfet » et de la sous-série « Affaires Générales », se trouve un dossier concernant le congrès de Londres69. Or, le document le plus ancien retrouvé dans ce dossier est bien antérieur à l'événement de juillet 1881, puisque c'est une lettre envoyée depuis la capitale anglaise le 12 mars 1880 par l'agent « étoile » :

« Depuis quelque temps, j'entends parler d'un Congrès International qui se tiendrait prochainement à Londres. Tous les chefs des différentes écoles socialistes doivent s'y rendre. On citre entre autres parmi les Allemands devant prendre une part active à ces manifestations, M. Hascenclever, député au parlement allemand70. »

65 « Nos Informations », Le Petit Parisien, n°1726, 18 juillet 1881.

66 « Etranger - Grande-Bretagne et Irlande », Le Soleil, neuvième année, n°200, 20 juillet 1881.

67 « Correspondance », Courrier de Saône-et-Loire, 41e année, n° 9,936, 23 juillet 1881.

68 A partir de maintenant, cet individu est référencé par le terme « agent «étoile» ». 69APP, BA 30. Congrès Socialiste International tenu à Londres (Mai 1881). 70 Ibid., agent « étoile », Londres, 12 mars 1880.

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Ces quelques lignes nous apportent un grand nombre d'informations sur les méthodes qu'emploie la police française pour surveiller les hors de ses frontières. Elle dispose d'un informateur installé à Londres au moins depuis le début des années 1880, qui semble être bien intégré dans les milieux anarchistes puisqu'il « entend parler » d'un Congrès, ce qui suppose sa proximité avec les militants vivants en Angleterre. Il est alors possible que ce soit un individu partisan des idées libertaires, devenu par la suite indicateur pour la police, ou alors un « agent provocateur » infiltré par la préfecture de Paris. Il pourrait s'agir d'Egide Spilleux dit Serraux, financé par le préfet Andrieux sur lequel nous donnerons plus de détails en chapitre 2, puisqu'un rapport retrouvé aux Archives nationales concernant l'Internationale indique que « L'agent secret de M. Andrieux, alors préfet de police » a assisté au congrès de Londres de 188171. Néanmoins, ce document non signé et non daté apparaît comme une preuve assez maigre pour venir confirmer cette hypothèse.

Par ailleurs, ce qui nous importe n'est pas l'identité de l'agent « étoile » mais le type d'informations qu'il communique à la préfecture de police de Paris. D'une part, il suit de près la mise en place du Congrès plus d'un an avant celui-ci, et d'autre part il correspond quasi quotidiennement avec la France sur le moindre développement concernant l'événement. Aussi, ses rapports se font de plus en plus longs au moment de la tenue du Congrès en juillet 1881. Le premier en date du 15 de ce mois et faisant cinq pages, indique la présence de trente-cinq délégués, parmi lesquels Émile Gautier, Louise Michel et Pierre Kropotkine, ainsi que celle de Serraux, délégué du journal La Révolution Sociale ce qui contredirait la théorie selon laquelle il se cacherait derrière l'identité de l'agent « étoile »72. Le niveau de détails de cette lettre induit donc l'infiltration de ce correspondant de la police dans les milieux puisqu'il a manifestement assisté aux débats du Congrès. D'autre part, ses rapports sont largement repris par l'administration policière et transmis dans les différents services. Le 9 octobre 1880, le

71 AN, F7 12504. Mesures de surveillance et tournées de conférence (1882-1898). « Détails sur l»Internationale, sa formation, ses principaux chefs et ses ramifications avec le parti anarchiste et nihiliste en France et à l'Etranger », sans date.

72 APP, BA 30. Congrès Socialiste International tenu à Londres (Mai 1881), agent « étoile, Londres 15 juillet 1881.

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chef du 1er Bureau de la préfecture de Police transmet une note au chef de la Police municipale dans laquelle il fait référence à la correspondance de l'agent « étoile » concernant le projet d'un congrès international à Londres73. De plus, ce document administratif a un tout autre intérêt pour nous puisqu'il dévoile les rapports hiérarchiques qui existent au sein de la préfecture de Police. Ainsi, le chef de Cabinet du préfet prie le chef de la Police municipale de « vouloir se tenir au courant (...) de la suite qui pourrait être donnée au projet de congrès international anarchiste (...) et rendre compte au cabinet du résultat de ses soins »74. Par conséquent, le préfet attend du chef de la Police Municipale qu'il lui transmette toutes les informations que ses agents ou autres indicateurs arrivent à glaner sur ce projet de réunion. En outre, le 29 novembre 1880, un officier de paix - agent sous les ordres directs du chef de la Police Municipale75 - rédige un rapport dans lequel il explique que le correspondant « étoile » le renseigne sur les raisons de la tenue du congrès76.

Cependant, il est important de noter que les informations reçues par la préfecture de police concernant l'événement de juillet 1881 ne proviennent pas seulement de cet indicateur « étoile » et ne sont pas toujours envoyées depuis Londres. En effet, l'administration parisienne obtient des informations à propos du Congrès de la part de ses agents adressant des rapports officiels ou transmettant des informations sur la situation depuis l'étranger. Par exemple, en décembre 1880, un courrier envoyé depuis le cabinet de la Préfecture de Police, reproduit une lettre du militant anarchiste Most 77. Puis, le 17 juillet 1881 - troisième jour du Congrès - un individu anonyme transmet depuis Bruxelles une copie du Bulletin de Londres produit par Chauvière, anarchiste belge et représentant « Les Cercles réunis », au cabinet du Préfet78. Le correspondant Droz infiltré dans les groupes Suisse transmet aussi depuis Neuchâtel le 17 mars 1881 des informations à propos du Congrès :

73 Ibid., « Note 12913 pour Monsieur le chef de la Police Municipale », Paris, le 9 octobre 1880.

74 Ibid. « Note 12913 pour Monsieur le chef de la Police Municipale », Paris, le 9 octobre 1880.

75 Un organigramme de la préfecture de Police est présenté dans le chapitre 2.

76 APP, BA 30. Congrès Socialiste International tenu à Londres (Mai 1881), Rapport, Paris, le 29 novembre 1880.

77Ibid., Copie d'une lettre signée Most, Paris, décembre 1880. 78Ibid., Bruxelles, 17 juillet 1881.

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«Dans trois mois, le Congrès qui se tiendra à Londres donnera le (?) de la vaste organisation Internationale ; mais d'ici là, on ne peut qu'engager ( ?) à beaucoup de surveillance. A Paris surtout, car il est maintenant curieux de voir combien, dans quelques jours les esprits révolutionnaires s'exaltent et le 18 mars de demain, va prouver ( ?) l'espoir et la folie d'une bonne quantité d'organisateurs des banquets »79.

Par conséquent, l'événement anarchiste se produisant à Londres en 1881 n'est pas seulement documenté par les « correspondants » présents dans la capitale anglaise durant cette période, mais aussi par les agents suivant les groupes à Paris et ailleurs à l'étranger. La préfecture de Police a conscience de l'organisation en réseau qui caractérise le « parti révolutionnaire » - comme le nomme Louis Andrieux dans ses rapports quotidiens - et s'appuie donc sur des informateurs installés aussi bien en France qu'à l'étranger. Néanmoins, elle n'est pas la seule institution en charge de cette surveillance puisqu'elle la partage avec d'autres administrations liées au ministère de l'Intérieur. De plus, le développement d'une surveillance accrue du mouvement anarchiste à Londres et sur l'ensemble du territoire français est du ressort d'un pouvoir républicain doutant de sa légitimité politique.

B) Une menace venue de la gauche nécessitant une réponse structurelle

Cette remise en cause entendue depuis les bancs radicaux à l'assemblée et au sein des groupes libertaires, pose directement la question de la légitimité du régime installé par les opportunistes. Idéalistes, les hommes au pouvoir ne pensent pas que le peuple puisse se soulever contre la République. Cependant, l'exercice de l'État les oblige à aller à l'encontre des valeurs libérales qu'ils ont toujours défendues dans le but de protéger le régime qu'ils ont bâti.

Jusqu'à présent, notre travail de recherche nous a amené à étudier les bases du système mis en place par les républicains en 1879. C'est au travers des discours des parlementaires et des textes des lois « fondatrices » que l'opinion du gouvernement libéral se dessine. En terme d'archives, le Journal Officiel de la République Française se trouve être notre principale source pour comprendre les motivations qui animent les opportunistes80 .

79Ibid., « Extrait d'un rapport Droz », Neuchâtel, 17 mars 1881. 80 Plus particulièrement les débats de la Chambre des Députés.

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Néanmoins, avant 1883 et le procès des anarchistes de Lyon, les activités du mouvement libertaire ne sont jamais évoquées directement à la Chambre et ne semblent donc pas être considérées par le gouvernement81. Pourtant, les dossiers retrouvés aux Archives de la préfecture de Police montrent que l'institution s'intéresse de près au mouvement et ceci dès l'arrivée des républicains au pouvoir82. Nous avons alors cherché du côté du gouvernement une volonté de surveiller et réprimer le mouvement anarchiste. Comme le pouvoir exécutif associé à la fonction de président du Conseil se révèle être très faible au début de la troisième République, l'influence du chef du gouvernement sur l'ensemble du système exécutif de l'État dépend en grande partie de son charisme. L'Histoire a donc avant tout retenu les travaux des gouvernements Gambetta, Ferry et Waldeck-Rousseau mais a oublié les noms de Charles Duclert et d'Armand Fallières. Ceci s'explique par l'absence d'un poste clairement défini de « premier ministre » qui fait de lui un membre du gouvernement presque comme les autres puisqu'il reste en charge d'un portefeuille ministériel. Par conséquent, il n'existe pas de cabinet ni de structure administrative en charge de la politique globale de la nation. Ne jouissant pas non plus de la même légitimité que les élus des deux Chambres, l'influence du président du Conseil sur la technostructure administrative de la République est très limitée83. La faiblesse du pouvoir exécutif associée à cette fonction empêche la réalisation d'un travail gouvernemental au sens moderne du terme et à la constitution de fonds d'archives relatifs. Ainsi, sont conservés aux archives de l'Assemblée Nationale seulement les comptes rendus des débats de la Chambre des députés pour les années 1880. Si l'institution possède aussi des fonds de députés et de groupes parlementaires, aucun ne correspond à notre période84. Il est alors nécessaire de se tourner vers les archives des autres administrations assumant la responsabilité du pouvoir exécutif au début de la troisième République, pour saisir la forme que prend l'exercice de l'État face à la montée de l'anarchisme.

81 La recherche par mot clés dans Gallica révèle que le terme est utilisé trois fois en 1882 mais jamais dans son sens premier.

82 Voir APP, BA 73 à BA 78. Anarchistes (1881-1893).

83 Arnaud-Dominique Houte, La France contemporaine..., op.cit., p.61.

84 Hélène Saudrais, « Les fonds parlementaires et politiques aux Archives de l'Assemblée nationale », Histoire@Politique, vol. 25, no. 1, 2015, p. 212-225.

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Les contours d'un maintien de l'ordre républicain commencent à se dessiner au début des années 1880. En effet, la promulgation des lois sur la liberté de la presse et de la liberté de réunion nécessite un contrôle judiciaire et politique. L'historiographie étudiée précédemment insiste sur les impacts sociaux de ces législations à la fin du XIXe siècle et leurs limites, notamment sur le plan des libertés individuelles85. Cependant, un des objectifs de ce travail est de proposer une réflexion sur les institutions républicaines et la réalité de l'exercice du pouvoir exécutif qu'elles éclairent durant cette période. Malgré le libéralisme affiché et défendu à la Chambre des députés, les archives des administrations en charge du maintien de l'ordre révèlent des tendances antilibérales. Le ministère de l'Intérieur apparaît rapidement comme l'acteur central du dispositif de contrôle judiciaire et politique de l'ordre public et social. Etant en charge des administrations préfectorales et policières, il concentre donc une certaine quantité de pouvoir qui se retrouve ensuite partagée entre différentes directions. Il est difficile de parler à la fin du XIXe siècle de travail gouvernemental au sens moderne du terme. Certes, les ministres s'entourent de hauts-fonctionnaires ou d'amis et membres de leur famille qui exercent le rôle de conseillers mais la fonction n'est aucunement définie86. Ce sont dans les mémoires des hommes de gouvernement que l'on retrouve des traces de ces cabinets peu formels 87. L'absence de structure officielle empêche la mise en place d'un secrétariat général en charge de la gestion et de la circulation des informations, expliquant pourquoi les archives sont muettes à propos de l'activité gouvernementale au début de la Troisième République. Néanmoins, plusieurs fonds conservés aux Archives nationales apportent un éclairage sur les divisions administratives qui structurent le travail du ministère de l'Intérieur.

Dans le cas spécifique du maintien de l'ordre, ce sont les fonds concernant la Direction de la Sûreté Générale (DSG) qui nous renseignent sur les coulisses de l'exercice du pouvoir. Cette administration, sous tutelle de sa grande rivale la préfecture de police entre 1874 et 1876, est ensuite déclassée au rang de sous-direction entre novembre 1881 et

85 Jean-Pierre Machelon, La République contre les libertés ?...,op.cit, P.143.

86 Pierre Baral, « Les cabinets ministériels sous la IIIe République (1871-1914) dans Origines et histoire des cabinets des ministres en France, Genève, Librairie Droz, 1975, p.67-68.

87 Ibid., p.67.

décembre 188288. Chargée à la fois des questions d'administration générale, mais aussi de la sécurité extérieure et intérieure de l'État, la DSG réalise des missions de surveillances dans le but d'empêcher les complots, attentats et autres troubles à l'ordre public89. Elle n'a en réalité sous ses ordres que les commissaires spéciaux des chemins de fer, réalisant des missions de police secrète, et fait pâle figure en terme de technostructure face aux services de la police parisienne90. Malgré cela, elle détient une place centrale dans la machine d'État républicaine à la fin du XIXème siècle.

La sous-série F7 « Police générale » des Archives nationales révèle une partie du travail administratif et politique réalisée par les agents de la DSG. En effet, la Sureté Générale consigne l'ensemble des courriers qu'elle transmet aux acteurs du maintien de l'ordre en France, soulignant son rôle fondamental au sein du dispositif policier91. Ainsi, on retrouve dans les registres de correspondance à la fois la réalité de l'exercice du pouvoir exécutif et la dimension politique de ce pouvoir. Chaque page des registres correspond à une date précise et se divise en trois colonnes : Destinataire - objet - classement. Dans le cadre de nos recherches, nous avons consulté ceux des années 1880 à 1883. Nous y retrouvons alors l'existence d'une surveillance de certains groupes politiques et d'organes de presse qui rentre à la fois en conflit avec les lois « fondatrices » des années 1880 mais aussi avec les valeurs libérales de la République. Nous reproduisons ici cinq exemples issus de ces registres dont l'analyse apporte un certain éclairage sur l'organigramme de la pratique du pouvoir.

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88 Jean-Marc Berlière, Le monde des polices en France: XIXe-XXe siècles. Éd. Complexe, 1996, p.19-20.

89 Ibid., p.21.

90 Ibid., p.21-22.

91 AN, F7 12412-12427. Correspondance de la Sûreté générale : enregistrement (1871-1886).

Archive 1 - Correspondance de la Sûreté (1880)

Départ du 10 Mars 1880

Destinataire

Objet

Classement

Isère

Relatif à l'organisation d'un journal socialiste révolutionnaire et d'une association politique dans le département de l'Isère et dans toute la région du Sud-Est sous le nom de Chambre syndicale fédérale ouvrière

Chambres syndicales Isère

Source : AN, F7 12421.

Archive 2 - Correspondance de la Sûreté (1882)

Départ du 7 Mars 1882

Destinataire

Objet

Classement

A tous les

préfets

(Circulaire)

Instructions relatives à la surveillance des ouvriers dans les ateliers et chantiers

Surveillance des

ouvriers

Renseignements

Généraux

Source : AN, F7 12423.

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Archive 3 - Correspondance de la Sûreté (1882)

Départ du 27 Mars 1882

Destinataire

Objet

Classement

Police

Demande de renseignements sur le groupe de l'Alliance Socialiste et sur les principaux membres

Agissements révolutionnaires

Seine

Source : AN, F7 12423.

Archive 4 - Correspondance de la Sûreté (1882)

Départ du 16 octobre 1882

Destinataire

Objet

Classement

Aude

Demande de renseignement sur la formation à Narbonne d'un groupe d'études sociales qui prendra pour titre le « drapeau rouge »

Agissements révolutionnaires

(Aude)

Source : AN, F7 12423.

Archive 5 - Correspondance de la Sûreté (1882)

Départ du 7 novembre 1882

Destinataire

Objet

Classement

Hérault

Demande de renseignement sur le

Journal « Le Droit Naturel », organe
anarchiste révolutionnaire de la région du

midi

Brochures & Journaux

Source : AN, F7 12423.

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L'Archive 1 prend la forme de la majorité des envois que l'on retrouve dans les registres de correspondance. En effet, la DSG transmet la plupart de ses informations - ou directives comme on le voit pour les Archives 4 et 5- aux préfectures locales qui sont subordonnées au ministère de l'Intérieur. Cependant, si nous avons choisi de reproduire cet exemple du 10 mars 1880 pour l'Archive 1, c'est parce qu'il témoigne de l'attention dont certains groupes politiques font l'objet. Ici, on peut relativiser le degré de surveillance à laquelle sont soumises les organisations d'extrême-gauche, néanmoins on use des réseaux policiers pour renseigner une administration locale de l'existence de journaux et d'associations liées au mouvement révolutionnaire. Néanmoins, les Archives 4 et 5 soulignent la vigilance de la Sûreté vis-à-vis des libertaires. Par conséquent, elle somme les préfectures locales sur lesquelles elle exerce un pouvoir de coercition, de lui transmettre des informations sur ces « ennemis de la République ». De la même manière, l'Archive 3 nous en apprend davantage sur les relations qui existent entre la DSG et la PP. La Sûreté demande en effet à la préfecture de police, désignée par le destinataire « Police », de la renseigner sur le groupe de « l'Alliance Socialiste et sur les principaux membres ». Malgré la rivalité qui peut exister entre ces deux services, ils tendent à collaborer lorsqu'il s'agit de questions de police politique. Enfin, l'Archive 2 nous en apprend plus sur le fonctionnement administratif du ministère de l'Intérieur, puisque la DSG transmet ici une circulaire à toutes les préfectures. Elle nous intéresse d'autant plus qu'elle concerne la surveillance d'ouvriers sur l'ensemble du territoire français et qu'elle est classée comme « Renseignements Généraux ».

Ces cinq exemples issus des registres de correspondance de la DSG des années 1880 et 1882 nous renseignent sur le fonctionnement hiérarchique de l'administration policière et nous permettent de remettre en cause le libéralisme revendiqué par les républicains arrivés au pouvoir durant cette période. D'une part, la DSG est effectivement chargée d'une mission de surveillance et de renseignement qui concerne, entre autres, les ennemis politiques de la République. Celle-ci prend forme à travers le signalement de journaux et de groupes politiques, et devient le sujet de directives transmises à l'ensemble de l'administration préfectorale comme en témoigne le Tableau 3. Par ailleurs, si le signalement du journal socialiste de l'Isère présenté dans le Tableau 1 précède la promulgation de la Loi sur la liberté de la presse, le Tableau 5 démontre l'attention que la sureté témoigne pour les feuilles et interroge sa compatibilité avec la législation de juillet 1881.

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Les fonctions de surveillance et de renseignement politique de la DSG interrogent sur l'existence même d'une institution de ce type sous un gouvernement libéral tel que se définit la « République des républicains » ; cette contradiction sera nécessairement discutée dans un futur chapitre. Aussi, il est primordial d'étudier en profondeur la structure de l'administration française dans les années 1880, qui, à l'inverse des institutions politiques, n'a pas connu de « transition naturelle » vers l'idéal républicain.

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Chapitre 2 : Au service de la République !

Nous constatons qu'il est nécessaire de relativiser le libéralisme qui caractérise le régime républicain des années 1880. En effet, malgré les discours en faveur des libertés individuelles à la Chambre des députés et la promulgation de législations définitivement libérales dès 1881, la pratique du pouvoir reste influencée par une machine d'État structurellement pragmatique. Cette réalité transparait dans la difficulté qu'a la République à s'affranchir de l'administration impériale malgré les discours des partisans du nouveau régime démocratique. Par ailleurs, la place occupée par une technostructure policière relativement autonome au sein des institutions républicaines conditionne l'approche technique du respect des « libertés fondamentales ».

Le gouvernement opportuniste mené par un président du Conseil sans réel pouvoir n'a pas le monopole du pouvoir exécutif1. Un ensemble d'acteurs est en charge des politiques du maintien de l'ordre dans les années 1880 et influence largement l'exercice de l'État. Dans ce chapitre, nous étudions en détails les structures de l'appareil policier qui témoignent d'une continuité administrative prenant le pas sur les « ruptures républicaines »2. Le nouveau régime subit-il cet héritage ou en profite t-il pour se protéger des menaces politiques accompagnant sa mise en place ?

2.1- Une organisation policière complexe héritière du pouvoir impérial

Lorsque la République est proclamée le 4 septembre 1870, ses dirigeants souhaitent cantonner au passé le Second Empire et se détacher de ses cadres de gouvernement. C'est cette nécessité de transition démocratique qui pousse Gambetta à renouveler entièrement le corps préfectoral et nommer des fonctionnaires animés par la volonté de servir le régime républicain3. Aussi, la réorganisation de l'administration publique doit passer par une réforme profonde de la police impériale, institution autoritaire et répressive des partisans de la

1 cf. Chapitre 1.

2 Arnaud-Dominique Houte, Le triomphe de la République...,,op.cit. p.79.

3 Nous vous renvoyons ici à l'ouvrage de Vincent Wright, Les préfets de Gambetta, op.cit.

Préfecture de Police (PP)

Direction de la Sûreté Générale (DSG)

Ministère de l'Intérieur

Préfecture du Rhône

Préfectures Départementales

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République. La question de l'épuration des cadres policiers est un enjeu qui revient à chaque changement de régime tout au long du XIXe siècle en France et s'impose plus ou moins naturellement. Au début de la Troisième République, malgré une volonté politique affichée, les conflits idéologiques et les contraintes matérielles entravent le nettoyage nécessaire d'une structure policière complexe.

A) La technostructure de la Haute-Police

Jusqu'ici nous avons évoqué différentes administrations dépositaires du pouvoir de police et impliquées dans la surveillance du mouvement anarchiste. Le ministère de l'Intérieur, la direction de la Sûreté générale et la préfecture de police apparaissent comme les acteurs centraux du maintien de l'ordre et semblent indispensables au fonctionnement administratif de la République. Nous souhaitons préciser leur rôle dans l'organigramme qui compose la machine d'État à la fin du XIXe siècle et ainsi permettre au lecteur de saisir les dynamiques de ce que l'on a appelé ici la « technostructure de la Haute-Police ».

Schéma 1- La structure policière à la fin du XIXe siècle

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Au début de la troisième République, le ministère de l'Intérieur dispose d'un certain nombre de prérogatives qui font de lui un acteur central du gouvernement. En effet, il est en charge du service pénitentiaire, de la gestion de la santé publique, de l'assistance publique et, ce qui nous intéresse ici, de la police au sens le plus large du terme. Ne pouvant effectuer de manière isolée cette mission de maintien de l'ordre qui concerne l'ensemble du territoire français, il dispose de l'administration préfectorale le représentant sur place et délègue une partie de ses pouvoirs à certaines institutions. Le schéma 1 résume donc de manière simplifiée la forme que prend la hiérarchie policière issue du ministère de l'Intérieur. Ce dernier jouit d'une grande autorité sur les préfectures départementales, auxquelles il transmet des directives par la voie administrative de la circulaire, à l'exception de la préfecture du Rhône qui dispose de pouvoirs de police similaires à ceux de la préfecture de Paris et qui joue un rôle particulier dans la mission de surveillance et de répression des anarchistes4. Ensuite, la DSG prend le relais du ministère de l'Intérieur sur les questions de renseignement politique. Malgré des effectifs relativement réduits et disposant de peu de pouvoir, elle est cependant assez autonome vis-à-vis de sa hiérarchie et se détache entièrement au début des années 1880 de la tutelle autrefois exercée par la préfecture de police de Paris. Cette dernière se montre aussi très indépendante sur son territoire, mais reste en contact avec sa hiérarchie et sa rivale.

Nous reprenons alors le schéma réalisé par Jean-Marc Berlière et René Lévy dans Histoire des polices en France pour détailler les fonctions de ces différentes administrations5. Les fonctions de police dites « générales » sont assurées par la Gendarmerie et la Sûreté Générale. La première, corps militaire dépendant du ministère de la guerre, n'est pas le coeur de notre propos. La seconde assure la fonction de Direction de police au ministère de l'Intérieur, composée des commissaires spéciaux des chemins de fer en charge de la police politique sous la Troisième République ainsi que du contrôle des ports et frontières. Berlière souligne qu'elle est la seule police à disposition du gouvernement. Aussi, les agents présents en permanence sur les réseaux ferroviaires sont capables : « d'observer l'état des esprits ou d'intervenir dans la vie politique »6. Par ailleurs, la DSG recrute et gère la carrière de

4 Le statut particulier de la préfecture départementale du Rhône est détaillé en Chapitre 3.

5 Jean-Marc Berlière et René Lévy, Histoire des polices en France, op.cit. p.46.

6 Ibid., p.305.

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l'ensemble des commissaires en tête des polices municipales et du personnel des polices étatisées. Quant aux fonctions de polices territoriales, elles sont partagées entre trois acteurs : les polices municipales, les polices municipales étatisées et la préfecture de police. Les premières sont présentes dans toutes les villes de plus de 5000 habitants et exercent leur pouvoir sur le territoire de la commune. Le maire et un commissaire de police - recruté par la DSG, mais payé par la municipalité- dirigent conjointement la police municipale ce qui entraine souvent des conflits. Le nombre d'agents à leur charge est variable et parfois très limité. S'ils sont recrutés et payés par le maire, ils peuvent être révoqués par le préfet. Dans les années 1880, seule la ville de Lyon jouit d'une police municipale étatisée qui exerce alors ses missions sur l'ensemble de l'agglomération. Les pouvoirs de police du maire sont transférés au préfet du Rhône et à son secrétaire général et l'ensemble des agents de la police municipale étatisée sont recrutés, mutés et payés par l'État. Enfin, la Préfecture de Police présente un statut particulier au sein de cette police territoriale. Son chef, le préfet de police, est nommé par le gouvernement devant lequel il est responsable et, au début de la troisième République, il doit être élu au parlement ; Louis Andrieux est donc député du Rhône au moment où il accède à ce poste en 1879. La PP est la police la mieux dotée, avec 10 000 agents à la veille de la première guerre mondiale, répartis entre la police municipale « en tenue », la Sûreté - à ne pas confondre avec la DSG - chargée de la police criminelle, et les brigades de recherches assurant le travail de police politique dans les années 1880. Si la PP est financée par la municipalité, elle reçoit en plus une contribution de l'État ce qui fait d'elle un organisme très puissant.

Du point de vue des sources disponibles pour étudier la technostructure policière républicaine, nous nous appuyons en particulier sur la sous-série F7 du ministère de l'Intérieur et des archives de la préfecture de police conservées au Pré Saint-Gervais. Aussi, les sources imprimées de la fin du XIXe siècle nous renseignent largement sur l'organisation des services. Les écrits des acteurs de l'époque, notamment ceux de Louis Andrieux7, sont à manier avec précautions mais sont nécessaires pour saisir toute la complexité de cette machine d'État. Enfin, concernant les archives de la DSG qui pourraient nous renseigner plus

7 Louis Andrieux Souvenirs d'un préfet de police, J. Rouff, 1885.

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précisément sur la doctrine du « maintien de l'ordre républicain », la plupart sont classées dans le « Fonds Moscou » restitué par la Russie en 1994. En effet, l'organisation ne disposant pas des moyens humains et matériels pour gérer les nombreux documents produits par ses agents, les rapports et autres dossiers de travail se retrouvent rangés dans des cartons empilés dans les couloirs des bureaux de la rue des Saussaies8. Ainsi, les Nazis en profitèrent pour emporter avec eux ce « butin de la mémoire » pensant surement y trouver des informations précieuses. Si l'Union Soviétique a récupéré ces documents et si la Russie a fini par les rendre à la France, ces archives demandent un travail d'analyse délicat aux chercheurs étudiant l'histoire de la Sûreté Générale. Les inventaires du « Fonds Moscou » mis en ligne par les AN indiquent notamment l'existence de documents relatifs à l'organisation et au fonctionnement du service, de dossiers de surveillance policière concernant la vie politique et la presse française.

Voici donc dans quel cadre d'analyse notre étude du maintien de l'ordre républicain est réalisée. Il est maintenant nécessaire de constater dans quelle mesure l'appareil policier s'adapte à la doctrine libérale du nouveau régime. Cependant, il semble que malgré, les « annonces d'intentions » des républicains, le nouveau gouvernement doit s'entourer de fonctionnaires de la Haute-Police qui ne sont pas toujours ralliés à sa cause.

B) La relative épuration des cadres de l'Empire : De la « promotion » des commissaires de Police à l'affaire de La Lanterne

« Les temps approchent où la loi sera supérieure à la police et où le respect de la liberté individuelle deviendra une réalité9. »

La République, régime synonyme de démocratie et de libéralisme, a conscience de la nécessité de réformer un appareil policier dévoué au pouvoir impérial et s'empresse donc de s'attaquer aux fonctionnaires bonapartistes. Cependant la tâche se révèle plus difficile que prévu à cause des soubresauts qui agitent l'installation de la République dans les années 1870.

8 Bélière et Lévy, Histoire des polices en France ..., op.cit. ,p.310.

9 Le « vieux petit employé », 33e lettre, La Lanterne, troisième année, n° 63, 13 janvier 1879.

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Les contraintes d'effectifs et la nécessité d'avoir des agents efficaces sur l'ensemble du territoire remettent en cause l'épuration des cadres de l'Empire.

A travers l'étude du « Fonds Moscou », Laurent Lopez montre l'impossibilité pour la République de se défaire de l'héritage impérial en étudiant le corps des commissaires de police10. Comme des contraintes purement matérielles empêchent les républicains de « purger » les cadres de la haute-police ayant servi sous le Second Empire, des fonctionnaires pas nécessairement ralliés au nouveau régime sont conservés par le gouvernement. L'historien s'attache alors à mesurer l'épuration des commissaires de polices durant les années 1870 en se basant sur les dossiers nominatifs qui ont été restitués par les russes dans les années 1990. Ces archives concernent donc les effectifs de la Sûreté Générale et non de la préfecture de police11. Aussi, pour des raisons de temps et de classement, Laurent Lopez s'est basé sur les trois premières boîtes - soit trois milles fiches de commissaires sur les douze-mille qui composent la série - et a fini par comparer 381 « carrières » séparées en trois groupes durant les années 187012. Nous reproduisons en partie le tableau réalisé par l'historien résumant les effectifs de chaque groupe13.

Tableau 2 - Les commissaires de police sous la IIIe République

381 commissaires de police ayant vécu les transitions politiques des années 1870

Fonctionnaires ayant entamé

leur carrière avant 1870

comme agent de police,

secrétaire de commissariat
ou commissaire de police

Anciens militaires de la gendarmerie impériale ou de la garde de Paris ayant

été nommés commissaires sous la
République

Candidats devenus commissaires entre 1870 et 1878

173

79

129

Source : Laurent Lopez « Servir la République après avoir juré fidélité à Napoléon III »

10 Laurent López, « Servir la République après avoir juré fidélité à Napoléon III », Histoire & mesure [En ligne], XXIX-2 | 2014, mis en ligne le 31 décembre 2017, consulté le 10 septembre 2018.

11 Ibid., p.109-110.

12 Ibid., p.110-111.

13 Ibid., p.111.

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La première catégorie identifiée par Laurent Lopez est la plus importante et concerne les fonctionnaires en activité sous le Second Empire. L'auteur cherche donc à constater si le passage au nouveau régime a impacté la carrière de ces policiers. La police impériale semble être dans la ligne de mire des républicains dès leur arrivée au pouvoir, puisque le nouveau préfet de police Émile de Kératry procèderait à de nombreuses révocations, tandis que Gambetta et Ferry proposent la suppression du poste du chef de la police parisienne dès décembre 187014. Néanmoins, l'analyse des fiches nominatives des commissaires de police montre que sur 173 agents, seulement 13 sont « mis en inactivité » à la suite de la proclamation de la République en septembre 187015. Parmi eux, on compte huit révocations directement liées au changement de régime, trois mises en disponibilité et deux relevés de fonctions16. La faiblesse de ce chiffre montre qu'il n'y a pas eu d'épuration massive des cadres policiers du Second Empire par la République au début des années 1870. De plus, les événements de la Commune incitent le gouvernement installé à Versailles à réinstaurer les commissaires mis en disponibilité moins d'un an plus tôt17. La victoire des conservateurs en février 1871 permet aussi la réintégration de sept des huit fonctionnaires révoqués en septembre 187018. Au début de la Troisième République, on ne peut donc pas parler d'épuration des agents de la Sûreté Générale mais de courtes interruptions de carrière liées à la difficile installation du nouveau régime.

Laurent Lopez insiste sur le fait que les carrières des commissaires ont été davantage impactées par les mutations politiques qui s'opèrent dans les années 1870 que lors du changement de régime19. Alors que le conservateur Albert de Broglie revient au pouvoir le 16 mai 1877 à la tête d'un gouvernement « d'ordre moral », il décide de dissoudre la Chambre majoritairement républicaine un mois plus tard et d'organiser de nouvelles élections

14 Ibid., p.114.

15 Ibid., p.115.

16 Ibid., p.118.

17 Ibid., p.123-124.

18 Ibid., p.123-126.

19 Ibid., p.118.

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législatives. Durant cette période de préparation du scrutin, on assiste non pas à une vague d'épuration mais de mutations qui touchent 282 fonctionnaires de police20. Si cinq d'entre eux sont révoqués, l'historien estime que 36 commissaires subissent une mutation « défavorable », contre 33 « favorables » puisqu'elles garantissent de meilleurs traitements ou des postes à plus grandes responsabilités. De plus, le gouvernement du seize-mai en profite pour nommer 27 commissaires de police. Laurent Lopez pose l'hypothèse que ces mutations sont liées à la préparation des élections et que les conservateurs cherchent à s'entourer d'agents ralliés à leur cause21. En tout cas, le pouvoir exécutif joue un rôle déterminant lorsqu'il s'agit des carrières des agents de la Sûreté générale.

Enfin, l'historien s'intéresse à la période 1877-1878 marquant le retour des républicains à la Chambre et confirmant l'impact du changement de majorité sur les mutations des commissaires de police. Elles se révèlent encore plus importantes que pour la période précédente et même si on ne constate que deux révocations, 60% des policiers sont soumis à des changements de carrière. Ceux-ci s'imposent en réaction aux décisions du gouvernement de l'ordre moral : « les commissaires révoqués ou relevés de leurs fonctions par le gouvernement d'Albert de Broglie sont ensuite réintégrés dès les premiers mois de 1878, en répercussion à la formation d'une Chambre à majorité républicaine et d'un gouvernement de centre-gauche à partir de la mi-décembre 187722». Cependant, les commissaires réinstallés par la majorité républicaine ne sont pas nécessairement des agents nommés durant les années 1870. En effet, Joseph Berton, commissaire en poste sous le second Empire est révoqué en 1870 avant d'être réintégré un an plus tard. Il subit une nouvelle révocation peu de temps avant les élections législatives de 1877 avant de profiter d'une mutation favorable en février 187823.

Ainsi, que ce soit après la chute du Second Empire ou pendant la mise en place du régime républicain durant les années 1870, on ne peut pas parler d'épuration massive de la police bonapartiste. Il y a très peu de révocations définitives, et le fait d'avoir servi sous

20 Ibid., p.121.

21 Ibid., p.121.

22 Ibid., p.126.

23 Ibid., p.124-125.

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l'empire n'empêche pas les commissaires de connaître des évolutions de carrière. Les raisons derrière cette « conservation » des fonctionnaires ne sont pas explicitées dans les fiches nominatives mais en plus des besoins en effectifs, on peut supposer que les forces politiques locales influencent le destin des commissaires de police. Pour nuancer la faiblesse de cette épuration, il est important de noter qu'elle a tout de même concerné les membres les plus éminents de l'administration du Second Empire que la République ne pouvait conserver24. Les républicains font donc le choix de réformer en surface l'appareil policier, se séparant seulement des commissaires les plus hostiles au nouveau régime. Il nous paraît alors nécessaire de constater si le résultat est le même au sein de la préfecture de Police de Paris, autre institution détenant un pouvoir de coercition légitime en France.

Pour ceci, il nous faut réaliser une étude statistique sur les révocations des gardiens de la paix sur la même période que celle menée par Laurent Lopez, soit entre 1870 et 1872. Les dossiers administratifs conservés aux archives de la Préfecture de Police nous fournissent toutes les données nécessaires pour notre analyse25. De plus, nous nous inspirons du travail de Quentin Deluermoz - qui a largement étudié l'histoire de la préfecture de Police de Paris26 - pour saisir la complexité du processus visant à écarter les agents servant autrefois le pouvoir impérial. S'appuyant particulièrement sur les archives du fonctionnement administratif de la PP, l'historien propose en annexe de son livre un tableau présentant l'évolution du personnel de la police municipale dans les années 1890. Nous avons repris le carton associé à la cote DA 193 sur laquelle Quentin Deluermoz base son analyse, pour étudier l'évolution des effectifs policiers pour les décennies 1870 et 188027.

24 Arnaud-Dominique Houte, Le triomphe de la République..., p.80.

25 APP, sous-série DA - Police administrative.

26 Quentin Deluermoz, Policiers dans la ville..., op.cit. 2012.

27 APP, DA 193. Police municipale, statistique des opérations (1872-1900).

Tableau 3 - Les sorties du corps de gardiens de la paix, 1872-1878

Année

Démissions

Révocations

Décès en service

Départs à la Retraite

Réformés

1872

488

247

43

238

14

1873

320

86

47

275

4

1874

265

100

40

302

14

1875

366

104

32

370

16

1876

338

73

43

320

18

1877

317

66

46

271

5

1878

208

89

68

193

4

Source : APP, DA 193. Police municipale, statistique des opérations (1872-1900).

Comme le montre le tableau 3, notre étude des effectifs de la préfecture de police commence en 1872 alors que celle de Laurent Lopez sur les commissaires de police débute au moment de la proclamation de la Troisième République, soit deux ans plus tôt. Nous devons donc en tenir compte et nous adapter aux contraintes archivistiques pour mener à bien notre analyse. Il nous faut d'abord étudier les chiffres de la PP indépendamment de ceux de la DSG pour mesurer l'ampleur de l'épuration puis déterminer si les « points de ruptures » sont les mêmes que ceux repérés par Lopez.

En premier lieu, il est nécessaire de rapporter ces chiffres à un effectif global pour mesurer l'ampleur de ces révocations : le travail de Jean-Marc Berlière et de René Lévy nous permet de poser le contexte statistique de notre étude28. On compte alors 4000 policiers dit « en tenue » ou gardiens de la paix en 1870, 7000 en 1871 puis 8000 en 189229. Des chiffres bien supérieurs à ceux des autres villes et qui font de Paris un « laboratoire de la modernité

28 Jean-Marc Berlière et René Lévy, Histoire des polices en France ..., op. cit., p. 57-64.

29 Ibid., p.63-64.

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policière » selon les historiens30. Si on considère alors que la PP compte une moyenne de 7000 gardiens de la paix sur la période 1872-1878, le pourcentage de révocations paraît très faible. En 1872, l'année où il y a le plus de révocations soit 247 selon le tableau 3, cette « réforme » concerne moins de 4% des policiers en tenue de la PP. On ne peut donc pas parler d'épuration en profondeur de l'institution parisienne.

Par ailleurs, on note des points de rupture quelque peu différents de ceux avancés par Laurent Lopez. En effet, les deux autres années où les révocations sont les plus importantes sont les années 1874 et 1875 et concernent un peu plus d'1% des agents de la PP. La proportion paraît tellement faible qu'il est difficile d'y voir un lien avec la perte du contrôle de la Sûreté générale et les lois constitutionnelles promulguées durant cette période. De plus, le retour du gouvernement de l'ordre moral en 1877 ne semble pas affecter la PP comme la DSG, et l'institution parisienne connaît seulement une légère augmentation des révocations à la suite de l'arrivée des républicains au pouvoir. En effet, le tableau 3 montre que 89 gardiens de la paix ont été révoqués en 1878 contre 66 en 1877. Néanmoins, ce chiffre ne représentant que 1,27 % de l'ensemble des gardiens de la paix, on ne peut pas considérer que la mise en place du gouvernement opportuniste entraine une remise en cause des cadres de la préfecture de police. Cette dernière semble donc jouir d'une certaine autonomie puisqu'elle ne connaît pas les mutations administratives liées au changement de majorité.

Cependant, l'institution parisienne se retrouve au centre des préoccupations de la République lorsqu'il s'agit de l'héritage des cadres du Second Empire. Entre 1878 et 1879, une série d'articles est publiée dans le quotidien républicain La Lanterne par un homme se faisant passer pour un « vieux petit employé » de la Préfecture de Police31. L'auteur de ces écrits - qui n'est autre qu'Yves Guyot, un journaliste républicain-radical - s'attaque à la police des moeurs mais dénonce aussi la présence de bonapartistes dans les sphères dirigeantes de l'institution. Tandis que la préfecture de police engage un procès contre le journal dès 1879, l'affaire éclate à la Chambre. Les députés des bancs d'extrême gauche font part de leur indignation face à cette révélation, à l'instar de Georges Clemenceau qui insiste sur la

30 Ibid., p.65.

31 Les numéros du journal sont en ligne sur Gallica.

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présence du personnel de l'empire aux postes les plus importants au sein de la préfecture de police :

« C'est qu'en effet, messieurs, tout le monde reconnaît ici dans cette Chambre (...) que le personnel qui nous a été légué, dans les différentes administrations, par les gouvernements monarchiques qui se sont succédé dans ce pays, a besoin d'être remanié dans sa composition, remanié dans sa doctrine (...), remanié dans sa méthode d'action. Eh bien, s'il y a une administration où cette nécessité de modifications profondes dans le personnel se fasse énergiquement sentir, c'est assurément la préfecture de police. (...) C'est d'autant plus grave, que, dans la préfecture de police, le personnel c'est la doctrine, le personnel c'est la méthode d'action 32.. »

Selon Jean-Marc Berlière, si les radicaux font preuve d'autant de véhémence à la Chambre, c'est parce qu'ils ne comprennent pas comment des hommes qui ont toujours lutté contre la République restent en fonction à la suite de la victoire des partisans de ce régime33. Ainsi, le discours de Clemenceau évoque la possibilité d'une « police républicaine » et interroge sur l'essence même d'un corps de police : doit-il être politiquement compatible avec le régime de gouvernement qu'il est supposé préserver ? Dans un premier temps, la réponse semble être positive, puisque le scandale de la Lanterne pousse à la démission le ministre de l'Intérieur Émile de Marcère ainsi que le préfet de police Albert Gigot. En reprenant les dossiers statistiques conservés aux archives de la préfecture de Police nous pouvons réaliser le tableau 3 ci-dessous34. Voyons si les révélations d'Yves Guyot ont entraîné un changement en profondeur de l'institution.

32Georges Clemenceau à la Chambre des députés, séance du 3 mars 1879, Journal Officiel de la République Française, 4 mars 1879, p.1644.

33 Jean-Marc Berlière, Le monde des polices en France..., op.cit.,p. 93.

34 APP, DA 193. Police municipale, statistique des opérations (1872-1900).

Tableau 4 - Les sorties du corps de gardiens de la paix, 1879-1882

Année

Démissions

Révocations

Décès en service

Départs à la Retraite

Réformés

1879

156

65

47

288

5

1880

248

75

61

457

8

1881

299

74

44

550

9

1882

387

63

71

531

6

Source : APP, DA 193. Police municipale, statistique des opérations (1872-1900).

La proportion d'agents en tenue révoqués se montre extrêmement faible par rapport à l'effectif total de ce corps. Le tableau 4 indique qu'en 1880, l'année où les révocations sont le plus nombreuses, elles concernent à peine plus de 1% d'un effectif de 7000 agents. Malgré, l'arrivée des opportunistes au pouvoir et le scandale de la Lanterne la préfecture de police connaît un degré d'épuration encore plus faible que celui exercé dans les années 1870 comme en témoigne le graphique ci-dessous.

Graphique 2 - Gardiens de la paix révoqués entre 1872 et 1882 à Paris

250 200 150 100

50

0

 
 
 
 

Révocations

1872 1873 1874 1875 1876 1877 1878 1879 1880 1881 1882

Source : APP, DA 193. Police municipale, statistique des opérations (1872-1900).

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Par conséquent, que ce soit pour la Sûreté Générale ou la préfecture de Police, on ne peut pas évoquer une épuration massive de l'appareil policier à l'arrivée des républicains au pouvoir. L'étude du « fonds Moscou » concernant la DSG et les révélations du journal La Lanterne sur les pratiques antirépublicaines des agents de la PP soulignent la difficulté qu'a la République à se détacher des cadres du Second Empire. Il est nécessaire de s'interroger sur la façon dont cet héritage conditionne la doctrine du maintien de l'ordre et sa pratique au début des années 1880.

2.2. -Une police politique compatible avec la République ?

Si l'affaire de La Lanterne entraine la démission du ministre de l'Intérieur et du préfet de police en 1879, ceci n'empêche pas le gouvernement de chercher par tous les moyens à faire de faire de l'institution policière une administration au service de la République. L'opposition des radicaux à la Chambre, le développement d'un mouvement ouvrier dans les usines et l'affirmation du mouvement anarchiste représentent une menace pour les opportunistes d'après l'appareil policier. Une idéologie du renseignement politique se développe au sein des institutions républicaines dans le but de protéger le nouveau régime mais favorise dans le même temps des pratiques que l'on peut qualifier d'antilibérales.

Avant toute chose, il est important de s'intéresser à la notion de « police politique républicaine » qui détermine les moyens de répression de l'anarchisme par l'administration de la Troisième République. Cette notion paradoxale interroge les historiens qui se demandent quelle nécessité il y a pour un régime démocratique de posséder un organe de renseignements politiques. Jean-Marc Berlière et Marie Vogel formulent ainsi ces questions :

« La police politique a-t-elle une fonction, un rôle à jouer dans un régime où, par définition, le gouvernement représente la volonté de la majorité des citoyens ? Doit-elle protéger une forme de gouvernement qui ne saurait s'imposer que par le consentement de la Nation ? Doit-elle surveiller l'opinion, les agissements des opposants alors que la liberté est la règle ? Un gouvernement émanant du suffrage universel a-t-il besoin, comme Napoléon III d'une police pour savoir « quel accord règne entre ses actes et les voeux de la Nation » alors que la presse, les élections permettent aux citoyens d'exprimer leur opinion et leurs choix politiques 35 ? »

35Jean-Marc Berlière et Marie Vogel, « Aux origines de la police politique républicaine », Criminocorpus [En ligne], Histoire de la police, Articles, mis en ligne le 01 janvier 2008, consulté le 09 avril 2018., p. 5.

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Émile de Marcère, ministre de l'Intérieur du gouvernement opportuniste défend pour sa part l'existence d'une telle institution lorsque le scandale de la Lanterne éclate publiquement : « Est-ce que, enfin, il n'y a plus de partis adversaires de la République ? Certes, ces partis sont impuissants, ils le savent bien ; mais vous admettrez bien avec moi qu'il est utile qu'on les surveille, qu'on sache ce qu'ils font 36». Si le ministre se retrouve dans l'obligation de démissionner notamment parce qu'il cautionne une organisation rejetée par les républicains les plus radicaux, les archives de la PP et les registres de correspondance de la DSG indiquent que les pratiques de police politique se poursuivent dans les années 1880.

A) La Direction de la Sureté Générale : une institution au coeur du renseignement républicain

Retrouvant son autonomie au milieu des années 1870, la Sûreté Générale tente de s'affirmer au sein de l'appareil policier maintenu par le nouveau régime. Pour ceci, elle doit démontrer qu'elle est nécessaire et efficace dans sa mission de protection de la République. Ainsi, il faut pour ses chefs, à l'instar d'Émile-Honoré Cazelles, développer une véritable idéologie favorisant la mise en place d'une police politique républicaine et redonner à la DSG une place centrale dans l'administration du maintien de l'ordre.

En effet, le directeur de la Sûreté Générale adresse le 30 juin 1880 à Ernest Constans, ministre de l'Intérieur, un rapport qui a fait date dans l'histoire de la police républicaine et dans lequel il défend la nécessité d'un service de renseignements politiques en République. Ce document auquel nous ferons à présent référence sous le terme de « rapport Cazelles », est selon Sébastien Laurent : « la vision (...) d'un haut-fonctionnaire républicain préoccupé en premier lieu de la stabilité du nouveau régime et donc de la nécessité de surveiller les ennemis politiques37». Aussi, il est considéré par Jean-Marc Berlière et Marie Vogel comme le texte

36 Emile de Marcère à la Chambre des députés, séance du 3 mars 1879, Journal Officiel de la République, 4 mars 1879, p.1650.

37 Sébastien-Yves Laurent, Politiques de l'ombre: État, renseignement et surveillance en France, Fayard, 2009, p.262.

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fondateur de l'administration policière républicaine38. Il nous paraît alors nécessaire d'analyser ce rapport en détail pour comprendre en quoi il influe sur la politique du maintien de l'ordre au début des années 1880.

Tout d'abord le directeur de la Sûreté défend son administration en expliquant que ses agents assurent deux fonctions essentielles à tout gouvernement : « D'une part, ils veillent à l'exécution des lois et d'un certain ordre de règlements, de l'autre ils recueillent et portent à la connaissance de hauts fonctionnaires chargés d'exercer l'autorité, les renseignements qui doivent servir de base à la politique intérieure du Gouvernement39». Cazelles regrette que la mission d'information, réduite au rapport envoyé quotidiennement par le directeur de la Sûreté au ministre de l'Intérieur, ne jouisse pas des moyens dont elle a le besoin40. Ceci le mène à comparer son service à sa grande rivale :

« Tandis que la Préfecture de Police commande à un personnel nombreux et expérimenté, comme elle manie un budget considérable, la Direction de la Sûreté, comme si ce service n'était qu'un accessoire, n'a qu'un personnel peu nombreux, mal distribué, de capacité médiocre et un budget qui ne permet ni l'extension nécessaire du personnel officiel, ni le recrutement d'un personnel auxiliaire d'agents secrets 41

La question économique est donc centrale au bon fonctionnement d'un service de police politique dont l'existence est justifiée par la présence de forces partisanes s'opposant au régime. Émile-Honoré Cazelles fait notamment référence à l'Internationale et ses motivations révolutionnaires sur lesquelles l'administration républicaine manque cruellement d'information :

« (...) au moment où un parti politique affiche le dessein de coordonner toutes les forces de la classe ouvrière pour en faire l'instrument d'une révolution sociale, et où un autre parti songe à exploiter le mécontentement des prolétaires pour les enrôler comme auxiliaires du césarisme, l'administration ignore le nombre et le caractère de ces associations appelées Chambres syndicales : elle ne saurait distinguer celles qui se renferment dans les limites légales tracées par leurs intérêts professionnels, de celles qui tendent à s'engager par une fédération dans la voie des agitations révolutionnaires. L'administration peut bien se douter qu'il y a là un danger mais elle ne

38 Jean-Marc Berlière et Marie Vogel, « Aux origines de la police politique républicaine », art.cit., p. 1.

39 Rapport Cazelles reproduit dans Jean-Marc Berlière et Marie Vogel, « Aux origines de la police politique républicaine », p. 6.

40 Ibid., p.6.

41 Ibid., p.6-7.

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peut dire avec quelle précision ni la proximité, ni l'intensité de ce danger, elle ne peut donner au gouvernement les renseignements qui le mettraient à même d'arrêter un plan de campagne rationnel et de chercher avec succès les mesures à exécuter42

L'appareil policier prend conscience de la menace venue de l'extrême-gauche qui remet en cause sur le plan doctrinal le régime de la République, mais manque de moyens pour en informer précisément sa hiérarchie. Par conséquent, le directeur de la Sûreté propose plusieurs pistes au ministre de l'Intérieur pour remédier à la faiblesse de son service. Il estime nécessaire d'augmenter le nombre de commissaires spéciaux qui pourraient selon lui « rendre plus de services comme agents d'information 43». Il estime que la Direction de la Sûreté possède 28 commissaires spéciaux sur l'ensemble du territoire français chargés de renseigner et prévenir la sécurité du gouvernement, même s'il reconnaît qu'ils sont aidés dans leur tâche par des agents de grades inférieurs. Pourtant, selon Cazelles le rôle des commissaires est essentiel puisqu'ils transmettent leurs rapports à la fois à la DSG et aux préfets départementaux qui s'appuient largement sur les informations recueillies pour réaliser au mieux leur travail de police. Le directeur de la Sûreté indique alors une solution pour améliorer leur travail: « A l'aide des fonds de police alloués aux Préfets, ou de quelque argent mis directement à leur disposition par l'administration centrale, il leur serait aisé d'organiser dans leur rayon un service de reconnaissance au moyen d'agents secrets 44». Par ailleurs, Cazelles se désole aussi que l'administration de l'État - les préfets, la DSG et donc le gouvernement - recueille la majorité de ses informations politiques dans la presse, outil peu fiable selon lui. « Un journal est une arme dont un parti se sert pour l'attaque et pour la défense » écrit t-il, c'est pourquoi le ministère de l'Intérieur a besoin d'employer des agents chargés d'analyser la propagande politique45. Enfin, Émile-Honoré Cazelles appelle à une réforme économique de l'administration policière : « Mais si l'administration ne peut armer le Gouvernement de la République de tous les moyens de défense, elle peut tirer meilleur parti de ceux qu'elle possède actuellement et du personnel qu'elle peut rétribuer avec les ressources

42 Ibid., p.7.

43 Ibid., p.8.

44 Ibid.

45 Ibid., p.9.

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des budgets de 1880 et 188146

Ce rapport insiste donc sur la nécessité de mieux armer, d'un point de vue financier et d'effectifs, la police spéciale des chemins de fer pour faire d'elle une police de renseignement nécessaire à la protection de la République. S'il est difficile pour le chercheur d'analyser l'impact doctrinaire de ce texte sur les institutions policières françaises, on peut néanmoins constater statistiquement si la situation a évolué. Pour aider à la compréhension et à l'analyse, nous reproduisons en partie un graphique concernant la police spéciale des chemins de fer47.

Graphique 3 - Evolution des effectifs de la « Police Spéciale », 1860-1900

900 800 700 600 500 400 300 200 100

0

 
 
 

1860 1870 1880 1890 1900

Source : Jean-Marc Berlière et René Lévy, Histoire des polices en France..., op.cit., p.308.

Nous constatons une baisse du nombre d'officiers de la police spéciale durant les années 1870. Mais à partir de 1880, à la suite du rapport Cazelles, les effectifs augmentent progressivement jusqu'aux années 1890, avant de connaître un véritable pic à la suite des

46 Ibid.

47 Jean-Marc Berlière et René Lévy, Histoire des polices en France..., op.cit., p.308.

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attentats de 189248. Cette mobilisation de l'appareil policier lors du passage à la République suppose que les structures de coercition légitime existantes contraignent le nouveau régime à développer une doctrine du maintien de l'ordre en insistant sur la menace anarchiste. Cela a permis à la machine d'État de se protéger et de développer à terme ses moyens financiers.

Par ailleurs, si la DSG semble être avant tout l'instigatrice d'une doctrine du renseignement politique en République, une autre institution a cherché à la mettre en oeuvre. La préfecture de police de Paris grâce à ses moyens ancre dans ses pratiques les méthodes de police secrète et s'en sert pour surveiller les anarchistes.

B) La préfecture de Police : Un État dans l'État

Grande rivale de la DSG qu'elle a contrôlée jusqu'en 1874, la préfecture de police de Paris jouit d'une place particulière dans le dispositif administratif républicain. De par son statut unique - même si les préfectures des départements de la Seine et du Rhône disposent de certaines de ses prérogatives - elle dispose de moyens humains et financiers supérieurs aux autres institutions du ministère de l'Intérieur favorisant ses activités de police politique.

Les révélations du journal La Lanterne obligent l'administration républicaine à réformer en partie l'institution policière. Après la démission du ministre de l'Intérieur et celle du préfet de police Albert Gigot, le député du Rhône Louis Andrieux est nommé à ce poste à très haute responsabilité le 5 mars 1879. Le nouveau chef de la police parisienne est alors en charge de redonner à son administration sa « splendeur d'antan » et de l'installer au centre du dispositif du maintien de l'ordre républicain. Il use des pouvoirs exceptionnels attribués à la fonction pour mettre en place un « État dans l'État ». Son mandat est marqué par une lutte acharnée contre le « parti de la révolution » qui résulte en la mise en place d'une surveillance accrue des milieux libertaires perdurant tout au long des années 1880.

Tout d'abord, un ouvrage écrit par Louis Puibaraud, se faisant passer pour un rédacteur du journal Le Temps en 1887, nous permet de mieux comprendre le fonctionnement

48 Jean Maitron a qualifié la période du début des années 1890 comme une « ère des attentats » que nous étudions en détail dans le Chapitre 6.

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interne de la préfecture de Police49. Cet essai a pour but de faire la promotion de l'institution, de la défendre des accusations de « police secrète » qu'elle subit tout au long des années 1880 et ainsi de la présenter comme une administration digne de la République50. On ne peut donc pas se fier aux opinions de l'auteur sur les questions de police politique ici, mais son livre nous permet cependant de dresser un organigramme de l'administration policière. Il commence par expliquer que la préfecture de police de Paris est organisée en deux secteurs : le service actif et le service sédentaire regroupant des bureaucrates dont font partie les commissaires de police51. Ces derniers sont en effet des magistrats, des « hommes de cabinet » ne disposant pas d'agents en tenue sous leurs ordres52. Si leur mission concerne les questions de sûreté, ils doivent demander au chef de la police municipale de leur fournir des agents des brigades. Pour toute autre opération, ils s'adressent à l'officier de paix de l'arrondissement pour qu'il leur fournisse le nombre de policiers dont ils ont besoin53. En outre, la police municipale regroupe l'ensemble des agents de la PP : les gardiens de la paix « en tenue » et les brigades « en bourgeois », soit les agents des brigades de recherches et de la Sûreté54. Ces policiers sont sous les ordres du Chef de la Police municipale et non du préfet de police qui a sous sa charge le service sédentaire des bureaucrates de la cité et des commissaires de police55. Puibaraud insiste sur le fait que le préfet de Paris est avant tout un magistrat dirigeant des administrateurs et qu'il n'est pas de son ressort de donner des missions de police politique aux agents « actifs ». Par ailleurs, le « journaliste » se penche sur l'organisation des brigades en bourgeois, soit les inspecteurs de police, qui ne portent pas d'uniforme mais des habits civils. Il explique que le service est dirigé par un commissaire de police prenant le titre de « chef de la Sûreté » depuis 1879 et répondant aux ordres directs du

49 Louis Puibaraud, La police à Paris, son organisation - son fonctionnement, par un rédacteur du Temps, Librairie du Temps, 1887.

50 Louis Puibaraud est un cadre important de la préfecture de police et s'attèle donc à en faire la propagande

51 Louis Puibaraud, La police à Paris..., op. cit., p.3.

52 Ibid., p.5.

53 Ibid., p.6.

54 Ibid., p.9.

55 Ibid., p.10.

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chef de la police municipale56. Cette brigade assure le service du centre, le service de renseignement, et le service de la voie publique, elle ne possède pas d'arme et ses agents sont l'élite de la préfecture de police selon Puibaraud57. Il remet aussi en cause tous les fantasmes qui peuvent exister autour de ce corps, assurant que les agents en Sûreté ne font plus recours aux indicateurs issues des bas milieux parisiens mais s'appuient tout de même sur des « éclaireurs » qui peuvent être récompensés financièrement pour leurs informations58. L'institution parisienne répudie les méthodes obscures des régimes précédents et exerce sa fonction en toute transparence et légalité. Par conséquent, Puibaraud réfute l'idée que les brigades de la Sûreté et les brigades de recherches puissent être assimilées à des polices secrètes59. Il considère les brigades de recherches comme des « reporters de journaux » qui se rendent dans les réunions publiques, rapportent au chef de la police municipale ce qu'ils ont pu y entendre et ne « font jamais de politique60. » Le « journaliste » explique que les deux premières brigades sont employées aux rapports concernant les réunions et les officiers de paix qui y sont attachés jouent un rôle primordial dans le recueillement d'informations sur l'ensemble des « partis » 61.Le fait que ces brigades soient rattachées au chef de la police municipale et non au préfet permet à Puibaraud d'affirmer qu'elles n'ont pas de rôle politique. D'autant plus que la quatrième brigade de recherches, en charge des rapports politiques et placée dans la main du préfet a été supprimée en 187962. Cependant, Louis Andrieux qui a procédé à cette abolition, peu de temps après son arrivée à la tête de l'institution parisienne, indique dans ses mémoires qu'il a supprimé cette brigade composée d'espions et d'agitateurs pour installer une nouvelle police secrète entièrement dévouée à son autorité63. On ne peut pas savoir si Puibaraud ignore le but de la manoeuvre ou si cela fait partie de sa propagande.

56 Ibid., p.20.

57 Ibid., p.20-22.

58 Ibid., p.23.

59 Ibid., p.41-42.

60 Ibid., p.45.

61 Ibid., p.47.

62 Ibid., p.43.

63 Louis Andrieux Souvenirs d'un préfet de police, op.cit., p. 36.

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Cependant, pour écarter définitivement les accusations qui pèsent sur la préfecture de police, il prend le temps d'évoquer l'existence d'une police secrète en parallèle de l'institution parisienne :

« La vérité est que la Préfecture de police a une haute mission qu'elle doit remplir et qu'elle remplit par les seuls moyens possibles (...) il importe de défendre les droits politiques de tous les citoyens, le domaine inviolable de la souveraineté nationale et la République (...). Ce n'est plus le patrimoine contesté d'un homme seul mais bien le sacré de tous que le Préfet de police a la charge (...) défendre contre les attaques coalisées des perturbateurs de tous les partis. Pour cela il doit être renseigné sur leurs efforts, sur leurs projets, sur leurs espérances. C'est de toute nécessité, de toute légitimité 64

Louis Puibaraud justifie donc l'existence d'une police politique républicaine, ne faisant pas partie intégrante de la Préfecture de Police mais apparaissant comme un outil sur lequel l'administration s'appuie pour réaliser sa mission de protection du régime. Il explique alors que les seuls « agents secrets » de la police sont en fait des hommes appartenant à un groupe et à un parti qui renseignent la préfecture sur leurs intentions dans le cas où celles-ci représenteraient une menace pour la République65. Il n'existe donc pas de police secrète à Paris mais seulement une administration prête à tout pour assurer la défense du gouvernement qu'elle s'est jurée de servir. Cependant, les historiens tendent à montrer que la préfecture de police dispose en réalité des moyens humains et financiers pour mener à bien cette mission et qu'elle met définitivement en place des pratiques pour surveiller les ennemis de la République et reste donc maîtresse de son destin. Sébastien Laurent insiste sur le fait que l'institution parisienne est dotée d'un budget largement supérieur à celui des Affaires étrangères et de la Sûreté Générale, lui permettant d'attacher aux brigades de recherches des centaines de fonctionnaires66. Par ailleurs, le chercheur indique que les policiers bénéficient de fonds spéciaux accordés par le ministère de l'Intérieur pour financer leur mission de renseignement via des indicateurs67. On est donc loin des individus venant rapporter de façon altruiste le contenu des réunions politiques comme le défend Puibaraud.

64 Louis Puibaraud, La police à Paris..., op. cit., p. 91-90.

65 Ibid., p.91.

66 Sébastien-Yves Laurent, Politiques de l'ombre...,op.cit., p.280.

67 Ibid., p.281.

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Par ailleurs, si l'analyse de l'institution préfectorale parisienne revêt une place importante au sein de notre de recherche, c'est parce qu'elle exerce la surveillance la plus importante du mouvement anarchiste dans les années 1880. Que ce soit Jean Maitron, Gaetano Manfredonia ou encore Constance Bantman qui compare dans sa thèse les méthodes policières françaises et britanniques68, les spécialistes de l'histoire de l'anarchisme insistent sur le lien particulier qui unit les militants libertaires et les agents en tenues de la préfecture de Police.

En premier lieu, nous avons cherché à déterminer la place que détient l'administration parisienne dans le dispositif policier de la Troisième République. Par conséquent, nous nous sommes intéressé à la relation qu'elle entretient avec le ministère de l'Intérieur, dont elle dépend hiérarchiquement. L'importance des renseignements politiques fournis par la préfecture de police au gouvernement grâce à ses agents installés dans toute la France et même à l'étranger est notable. Tandis que Sébastien Laurent considère que les rapports quotidiens transmis par le préfet de police au ministre ne contiennent que des informations ouvertes, se voulant un bulletin « journalistique » de la vie dans la capitale69, ces archives révèlent selon nous l'ampleur de la surveillance mis en place par l'institution et la place centrale qu'elle occupe au sein de la machine d'État. La sous-série BA « Cabinet du Préfet - Affaires générales » réunit plusieurs cartons consacrés à ces rapports rédigés par le préfet et destinés au ministre de l'Intérieur70. Nous étudions plus précisément les années 1880 et 1881 durant lesquelles Louis Andrieux est à la tête de la préfecture de police et nous constatons que le « parti révolutionnaire » est évoqué très régulièrement dans ces notes quotidiennes. Ses membres les plus éminents sont scrutés de près par la préfecture de police, à l'instar de Louise Michel nommée le 17 septembre, les 11, 14 et 16 novembre, ainsi que le 2 et le 13 décembre 188071. Les sections « renseignements de l'étranger » informent aussi sur les groupes installés hors de France, notamment les sections suisses de l'Internationale. Le rapport du 8 octobre

68 Constance Bantman, Anarchismes et en France et en Grande-Bretagne, 1880-1914: échanges, représentations, transferts, Université Paris 13, 2007.

69 Sébastien-Yves Laurent, Politiques de l'ombre..., op. cit.,, p.281.

70 APP, BA 89 et cotes suivantes. Rapports quotidiens du préfet au ministre de l'intérieur.

71 APP, BA 89. Rapports quotidiens du préfet au ministre de l'intérieur (1880).

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1880 souligne que l'organisation est largement perturbée par l'amnistie des communards et le retour de ses membres français réfugiés jusqu'ici à la Chaux-de-Fonds, de l'autre côté de la frontière jurassienne72. Le préfet Andrieux s'attache aussi à transmettre les comptes rendus de réunions, auxquelles ses agents ont assisté, au ministre de l'Intérieur. Le rapport du 19 mars 1881, coïncidant avec les dix ans de la commune de Paris, contient plus de sept pages sur un banquet organisé par Émile Gautier et Louise Michel la veille73. Par ailleurs, le congrès de Londres est évoqué à plusieurs reprises dans les documents envoyés dans le courant du mois de juillet 188174. De plus, dans la section « Renseignement de l'Etranger » du rapport du 6 juillet, Andrieux indique qu'on lui a écrit de Londres le 4 juillet à propos de la mise en place du Congrès75. Il reprend en fait un rapport de l'agent « étoile » retrouvé sous la cote BA 30 des archives de la préfecture de Police76. Si le contenu de ce rapport semble peu intéressant, il témoigne de la place centrale de l'institution parisienne dans le dispositif policier de la République, puisqu'elle étend son pouvoir de surveillance bien au-delà de la capitale française et n'hésite pas à s'appuyer sur des indicateurs pour mener à bien sa mission. Enfin, le rapport du 27 octobre 1881 illustre la surveillance accrue dont fait preuve la préfecture de police vis-à-vis des anarchistes. Il contient à la fois des informations concernant le groupe anarchiste du Vème arrondissement, le compte-rendu d'une réunion de travailleurs et des détails sur la vie de Louise Michel77 . Certes, le préfet ne donne jamais son opinion sur les faits qu'il rapporte ni ne donne d'indication stratégique pour se prémunir contre la menace anarchiste. Malgré cela, ces rapports témoignent du degré de communication qui existe entre la préfecture de police et le ministère de l'Intérieur et démontrent alors l'étendu des moyens de l'administration parisienne dans la mise en place d'une véritable surveillance politique.

Cette dernière est en fait rendue possible par les prérogatives de la loi du 30 juin 1881 concernant la liberté de réunion. En effet, l'article 9 affirme :

72Ibid. Rapport du 8 octobre 1880.

73 APP, BA 90. Rapport du 19 mars 1881.

74 Ibid. Rapports du 6, du 12 et du 24 juillet 1881.

75 Ibid.. Rapport du 6 juillet 1881.

76 APP, BA 30. Congrès Socialiste International tenu à Londres (Mai 1881), Lettre du 4 juillet 1881.

77 APP, BA 90. Rapport du 27 octobre 1881.

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« Un fonctionnaire de l'ordre administratif ou judiciaire peut être délégué : à Paris, par le préfet de police, et dans les départements, par le préfet, le sous-préfet ou le maire, pour assister à la réunion. Il choisit sa place. Le droit de dissolution ne devra être exercé par le représentant de l'autorité que s'il en est requis par le bureau, ou s'il se produit des collisions et voies de fait.78 »

Ceci explique la présence de nombreux rapports retrouvés dans les cartons des APP rédigés par les policiers et transmis à leur hiérarchie79. Ces informations concernant le mouvement libertaire se retrouvent ainsi dans les rapports quotidiens que le préfet de police transmet au ministère de l'Intérieur. Cependant, dans les nombreux cartons concernant les anarchistes, on retrouve à la fois des documents de surveillance produits par des agents de la préfecture mais aussi des lettres envoyées par des indicateurs anonymes. Sous la côte BA 73 des APP on est face à des rapports officiels signés par le Contrôleur Général de la police sur une réunion anarchiste tenue à Saint-Denis80 et des notes envoyées par un dénommé Droz. Cet indicateur qui écrit toujours depuis la Chaux-de-Fonds en Suisse a notamment renseigné la préfecture de police sur le congrès de Londres en juillet 188181. Il indique par exemple le 23 octobre 1881 que « le Groupe l'alarme de Narbonne est composé de 72 membres et qu'il fait parti du groupement secret de l'association internationale des travailleurs82». Il semble que Droz se soit infiltré dans les groupes installés en Suisse, ce qui lui permet d'obtenir des informations sur l'ensemble du réseau libertaire européen. Par ailleurs, d'autres documents issus du carton BA 73 ne sont pas signés, comme c'est le cas d'une lettre envoyée depuis Paris le 30 mai 1882 donnant de nombreux détails sur les militants parisiens et une manifestation tenue au Père-Lachaise83. On peut alors supposer que c'est un « agent secret » de la préfecture qui rapporte sur l'activité du groupe anarchiste qu'il a introduit.

78 Texte de la loi du 30 juin 1881 sur Legifrance :

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025148185

79 APP, BA 73 à BA 78. Anarchistes (1881-1893).

80 APP, BA 73. Rapport du 10 janvier 1883.

81 cf. Chapitre 1.

82 APP, BA 73. Extrait d'un Rapport Droz, le 23 octobre 1881.

83 Ibid., 1883. Lettre non signée envoyée le 30 mai 1882.

La mission de surveillance du « parti révolutionnaire » est donc à la fois confiée aux agents des brigades de recherches mais aussi à des indicateurs non officiels vivant au plus près des militants. Les archives remettent donc en question les réfutations de Louis Puibaraud concernant la police secrète. De plus, le préfet de Police Andrieux écrit lui-même dans ses mémoires : « L'agent secret, c'est le journaliste qui se fait remarquer par sa violence contre le gouvernement dans les feuilles d'opposition, c'est l'orateur qui, dans les réunions, demande aux prolétaires d'en finir avec l'exploitation capitaliste (...)84. » Il explique d'ailleurs qu'il ne faut pas « fantasmer » cette fonction et qu'il est financé par les fonds secrets dont dispose le préfet et non le budget de la police municipale servant à rémunérer les inspecteurs de police85. Le gouvernement républicain a en effet maintenu ce système de financement du ministère de l'Intérieur - soumettant seulement le vote de son budget au parlement - au même niveau que sous l'empire soit deux millions de francs, ce qui souligne l'ambiguïté de la République vis-à-vis de la « police secrète » 86. Ces « fonds reptiles » comme les appelle Louis Andrieux semblent avoir permis au préfet de police de dépasser le cadre institutionnel fixé par l'administration en matière de surveillance politique. Il révèle dans ses mémoires qu'il a créé et financé le journal libertaire La Révolution Sociale pour pouvoir observer et manipuler à terme les militants : « Donner un journal aux anarchistes, c'était d'ailleurs placer un téléphone entre la salle des conspirations et le cabinet du préfet de police87». Par ailleurs, Andrieux ne se contente pas de surveiller les militants de Paris puisque les APP révèlent qu'il existe des dossiers concernant la surveillance des anarchistes de Lyon88. Le préfet de police étant aussi député du Rhône, il n'est pas étonnant qu'il arrive à installer des agents dans cette région.

En somme, l'institution parisienne joue un rôle majeur dans la surveillance du mouvement anarchiste au début de la troisième République. Elle est aussi l'instigatrice des

84 Louis Andrieux, Souvenirs d'un préfet de police, op.cit. p. 33.

85 Ibid., p.32-33.

86 Sébastien-Yves Laurent, Politiques de l'ombre...,op.cit., p.252.

87 Louis Andrieux, Souvenirs d'un préfet de police, op.cit., p. 339.

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88 APP, BA 394. Menées des socialistes et des anarchistes à Lyon (1881-1885).

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nombreuses pratiques de police politique républicaine s'inscrivant dans un système plus large du maintien de l'ordre à la fin du XIXe siècle.

Les années 1880 permettent au gouvernement des opportunistes d'engager les réformes sociétales qu'il défend depuis la fin du Second Empire en maitrisant une opposition de droite à la Chambre des députés. Si l'opposition de gauche se fait parfois entendre à l'assemblée, les partisans de la révolution sont soumis au contrôle d'une police politique s'inscrivant dans la continuité du régime impérial. La technostructure policière met en place un véritable réseau de surveillance des groupes libertaires passant par Paris, Lyon et allant jusqu'à Londres. Ainsi, les agents et indicateurs de la Sûreté et de la Préfecture de Police notent consciencieusement les moindres déplacements et déclarations des militants, prêts à réagir s'ils décident de passer à l'action.

A Lyon, épicentre du mouvement révolutionnaire, c'est un équilibre politique jusqu'ici idéal pour les républicains bascule lors d'une nuit d'automne 1882. Une explosion retentit au café du Théâtre Bellecour le 22 octobre 1882 au soir et entraine la réaction de la machine d'État en charge de la protection de la République. On passe donc d'un système de surveillance policière à une large opération de répression politique qui vise à préserver et légitimer le nouveau régime face à ceux qui le remettent en cause.

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Deuxième partie. Quand un attentat lyonnais révèle

l'existence d'une machine d'Etat (1882-1884)

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Chapitre 3 : De l'explosion de l'Assommoir au procès des 66

Le procès des 66 qui se tient à Lyon en janvier 1883 a fait l'objet de rare travaux historiographique. Dans son ouvrage de référence, Jean Maitron ne prend pas le temps d'y consacrer un véritable chapitre et se contente de le présenter en une dizaine de pages1. Quant aux historiens de la Troisième République, ils donnent la priorité à l'étude des « lois scélérates » dès qu'il s'agit d'évoquer les attentats anarchistes, certains limitant d'ailleurs les actions des militants libertaires aux années 1890 à l'instar de Maurice Agulhon2. Seul Marcel Massard s'attarde sur le procès des 66 et ses conséquences dans son livre sur l'histoire du mouvement anarchiste à Lyon3. Laurent Gallet a cependant réalisé un travail de recherche sur ce sujet, analysant la façon dont l'événement a été traité par la presse lyonnaise à l'époque4. Il a par la suite réalisé une étude très complète sur Antoine Cyvoct5, le militant considéré comme responsable de l'attentat de l'Assommoir. Quant aux sources imprimées de l'époque, un seul écrit consacré au procès a été retrouvé, soit un texte faisant le compte-rendu des audiences et proposé par des partisans du mouvement libertaire6. Par conséquent, le dépouillement d'un important corpus de sources primaires permet de remédier à certaines lacunes historiographiques.

Ce chapitre retrace la chronologie des événements qui débouchent sur le procès des 66 et met en lumière les enjeux politiques soulevés par cette affaire.

1 Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.167-176.

2 Maurice Agulhon, La République..., op.cit., p.130.

3 Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon...,op. cit.

4 Laurent Gallet, Le mouvement anarchiste et la presse lyonnaise: le procès des 66 de 1883, mémoire de maîtrise, 2000 (non paginé).

5 Laurent Gallet, Machinations et artifices: Antoine Cyvoct et l'attentat de Bellecour (Lyon, 1882), Atelier de Création Libertaire, 2015.

6 Toussaint Bordat et al., Le procès des anarchistes devant la police correctionnelle et la Cour d'appel de Lyon, Imprimerie nouvelle, 1883.

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3.1- Les anarchistes face à la technostructure policière lyonnaise

Que ce soit pour les historiens du mouvement anarchiste aujourd'hui ou pour les agents de la police politique au début des années 1880, il n'y a pas de surprise à ce que le premier attentat anarchiste de la Troisième République se produise à Lyon. En effet, la ville est un épicentre du mouvement depuis l'épisode de la Commune en 1871 et concentre l'attention de la préfecture de police de Paris et des autorités du département du Rhône. Lyon rivalise avec Paris pour le titre de « capitale du mouvement anarchiste français » à la fin du XIXe siècle mais aussi comme « chef-lieu » du maintien de l'ordre. En effet, la préfecture du Rhône dispose d'une place particulière au sein de l'appareil policier de la Troisième République et semble être la seule institution à pouvoir se mesurer à la Préfecture de police. Il est donc nécessaire de s'intéresser aux prérogatives de l'administration policière lyonnaise et d'analyser ses pratiques en termes de surveillance du mouvement libertaire au début des années 1880.

A) Une préfecture du Rhône bien dotée

Le procès des 66 prend place à Lyon où les réseaux libertaires sont particulièrement actifs. La ville a en effet bénéficié tout au long des années 1870 des activités de la Fédération jurassienne qui se sont étendues au-delà du massif du Jura. Puis en 1879, à la suite du congrès ouvrier de Marseille, Lyon est désigné comme le siège de la « Fédération de l'Est ». Enfin, le retour des amnistiés de la Commune qui s'étaient réfugiés en Suisse en 1871 favorise la diffusion de la propagande anarchiste7. Face à ce mouvement libertaire très actif dans la région, la République dispose d'une nouvelle administration policière à laquelle elle a confié les pouvoirs nécessaires pour surveiller - et à terme punir -ses opposants révolutionnaires.

De fait, la préfecture du Rhône est apparue précédemment au sein de notre technostructure policière en charge de la coercition légitime au début des années 1880. Il n'est donc pas étonnant que les historiens qui ont étudié le mouvement anarchiste dans la région lyonnaise se soient largement appuyés sur la série 4M « Police » des Archives Départementales du Rhône. Encore une fois, c'est au prisme de la technostructure policière que cette recherche appréhende l'histoire de l'anarchisme à la fin du XIXe siècle. La

7 Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon,op.cit., p.30-31.

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surveillance exercée par la police lyonnaise sur les militants libertaires est comparable à celle exercée par les agents de la préfecture de police8. En effet, la préfecture du Rhône jouit des prérogatives similaires à celles de l'institution parisienne depuis 1873, ce qui est confirmé par la loi du 21 avril 18819. Ce régime spécial de la préfecture départementale du Rhône peut être vu comme une conséquence indirecte de l'épisode de la Commune de Lyon qui a révélé la présence de nombreux militants anarchistes dans la région. Il faut néanmoins replacer la ville dans une histoire plus longue du système policier français. Comme l'explique Amos Frappa, Lyon est pionnière dans la mise en place de la police spéciale puisque comme Paris elle se dote d'un service de Sûreté dès les années 183010. À partir ce moment-là, l'organisation lyonnaise entame « une marche vers l'autonomie achevée en 1873 » 11. C'est ainsi qu'un « commissaire spécial pour la Sûreté » est officiellement nommé, devenant un acteur essentiel dans le dispositif de renseignements12. Prenant le pas sur les services de la police municipale, le service de la Sûreté, à travers le commissaire spécial, se place juste derrière le Secrétaire général pour la police dans l'organigramme de l'institution. Au contact des commissaires d'arrondissement, le chef de la Sûreté joue un rôle de pivot, essentiel dans la gestion des informations13. Dans leur étude sur la police publiée en 1887, Hogier et Grisson consacrent un chapitre à la police de Lyon, affirmant que « la police lyonnaise est plus pratique à certains points de vue que celle de la ville de Paris »14. Ils insistent ensuite sur le fait que le secrétaire général de la police - s'apparentant au poste de « préfet de police de Lyon » - n'est pas en compétition avec le commissaire spécial de la Sûreté comme à Paris. Si l'institution lyonnaise est plus « pratique » à leurs yeux, cela est dû à une meilleure organisation hiérarchique des services comparée à celle de l'administration parisienne. Par conséquent, l'autonomie dont

8 Archives Départementales du Rhône - Inventaire 1M à 4M. Trente cartons correspondent à l'entrée « Anarchistes », ce qui montre l'importance du travail de surveillance exercée par la police lyonnaise.

9 Ibid., voir « Réimpression du Répertoire Publié en 1978 (Philippe Paillard) ».

10 Amos Frappa, « La Sûreté lyonnaise dans le système policier français (début XIXe-début XXe siècle) », Criminocorpus [En ligne], Histoire de la police, Articles, mis en ligne le 10 avril 2014, p.2.

11 Ibid., p.5.

12 Ibid., p.5.

13 Ibid., p.5.

14 Georges Grison et F. Hogier, Les hommes de proie : la police, ce qu'elle était, ce qu'elle est, ce qu'elle doit être, La Librairie Illustrée, 1887, p.308.

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dispose la préfecture du Rhône en matière d'attribution policière tend à susciter des rivalités avec la préfecture de police de Paris, modèle de la police spéciale jusqu'au début de la Troisième République. Ceci n'empêche pas les deux institutions d'entretenir une correspondance régulière selon Amos Frappa, notamment dans le but de se tenir au courant des méthodes policières développées par leur « rivale »15.

Autre tentacule de la pieuvre à laquelle s'apparente la technostructure policière des années 1880, la préfecture du Rhône concurrence sa collègue parisienne notamment sur le terrain de la police politique, d'autant plus qu'elle possède les moyens de ses ambitions. En effet, elle bénéficie largement des fonds secrets maintenus par le gouvernement républicain. Dans la série F7 des archives nationales, on retrouve en effet un carton consacré aux fonds secrets dans lequel se trouve un dossier concernant spécifiquement la préfecture du Rhône16. Le ministère de l'Intérieur considère que l'institution lyonnaise de par son statut particulier réalise des missions de police secrète et doit donc être financée par le gouvernement. C'est en tout cas ce que sous-entend un document en date du 21 mars 1878 : « Indépendamment de l'allocation mensuelle de deux mille francs accordée sur le Chapitre XII à Mr le Préfet du Rhône, pour frais de police secrète, il lui est alloué un crédit supplémentaire de quinze cents francs par mois pour le même service, à partir du 1er Février 1878 »17. Puis, le 3 novembre 1880 un arrêté rétablit les « frais supplémentaires de sureté générale [du préfet du Rhône] » alors supprimés le 9 juin de la même année18. Ce document nous indique par ailleurs qu'il y a une potentielle tentative de suppression des fonds secrets mais que la préfecture du Rhône nécessite cependant un budget spécifique à ses missions de « Sûreté Générale » - et non plus de « police secrète » - ne comprenant pas les traitements de ses agents de police. Malgré ce changement de toponymie, le ministère de l'Intérieur ne rompt pas avec les pratiques du Second Empire et légitime ces activités « de l'ombre » en les finançant.

Des traces de cet argent « secret » apparaissent dans la comptabilité de la préfecture du Rhône et le type d'activités - potentiellement de police politique - qu'elle finance. Si les

15 Amos Frappa, « La Sûreté lyonnaise dans le système policier français... », art. cit., p.13.

16 AN, F7 12828. Fonds secrets. Sommes allouées au préfet du Rhône (1840-1882); débats à la Chambre (18841912).

17 Ibid. Sommes allouées au préfet du Rhône (1840-1882). Arrêté du Ministre de l'Intérieur, le 21 mars 1878.

18 Ibid. Sommes allouées au préfet du Rhône (1840-1882). Arrêté du Ministre de l'Intérieur, le 3 novembre 1880.

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dossiers de la série 4M 74 « Budget-Comptabilité (1880-1932) » des ADR sont loin d'être exhaustifs, nous avons tout de même réussi à identifier des dépenses s'apparentant à des frais de « police secrète » et donc passées sur les fonds secrets du ministère de l'Intérieur19. Par exemple, une pochette intitulée « Commissariat spécial - Comptes des dépenses. 1881-1902 » retrace de façon mensuelle « l'état des dépenses du commissariat près la Préfecture du Rhône »20. Ainsi, le 5 janvier 1881 on a dépensé quinze francs pour « indications », le 16 janvier c'est vingt francs qui sont payés pour le même motif alors que le 14 janvier, dix francs sont consacrés à la « surveillance particulière internationaliste21 ». Les frais pour « indications » représentent la plus grande part des dépenses du commissariat spécial et concernent sans surprise les militants anarchistes : le 17 septembre 1881 on paye dix francs pour « Indications sur le parti Socialiste Révolutionnaire »22 et le 2 octobre c'est cinq francs qui sont débloqués pour des photographies du « parti Révolutionnaire »23. On suppose alors que ce dossier retrouvé aux ADR concerne la comptabilité des fonds secrets, parce que les traitements des policiers - directement réglés par l'État 24 - et autres dépenses « normales » ne sont pas indiqués.

Ceci nous confirme que la préfecture du Rhône a donc les moyens financiers de mettre en place une surveillance politique du mouvement libertaire qui s'organise dans la région lyonnaise.

19 Nous remercions par ailleurs Laurent Gallet de nous avoir indiqué cette source qui s'est révélée très utile à notre travail.

20 ADR, 4M 74. Budget-Comptabilité (1880-1932). « Commissariat spécial - Comptes des dépenses. 1881-

1902 ».

21 Ibid. État des dépenses faites pour les besoins du commissariat spécial près la Préfecture du Rhône, du 1er au 31 Janvier 1881 inclus.

22 Ibid. État des dépenses faites pour les besoins du commissariat spécial près la Préfecture du Rhône, du 1er au

30 Septembre 1881 inclus.

23 Ibid. État des dépenses faites pour les besoins du commissariat spécial près la Préfecture du Rhône, du 1er au

31 Octobre 1881 inclus.

24 Jean-Marc Berlière et René Lévy, Histoire des polices en France..., op.cit. p.46.

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B) De la surveillance à la traque des anarchistes de Lyon

Cependant, il ne faut pas minimiser la menace que représentent plusieurs centaines d'anarchistes déterminés à renverser par la force le pouvoir républicain. En effet, le principe de la propagande par le fait est adopté lors du Congrès de Londres en 1881 et encourage donc les actes de révolte illégaux et violents - dont le meurtre - contre la classe bourgeoise25. Néanmoins, l'arrestation de soixante-six militants pour reconstitution de l'Association Internationale des Travailleurs entre en contradiction avec les valeurs libérales promues par les opportunistes et interroge sur l'efficacité de la mesure pour lutter contre des actions individuelles et de nature terroriste26, à l'instar de l'explosion de Bellecour. Il faut à la fois replacer le procès des 66 dans le contexte plus large d'une menace anarchiste qui se dessine durant cette période tout en interrogeant les enjeux liés à la surveillance des militants lyonnais.

Une rapide chronologie des événements précédent l'attentat de l'Assommoir semble donc nécessaire pour tenter de saisir les motivations derrière la mise en place d'une surveillance politique du mouvement anarchiste lyonnais. Tout d'abord, Pierre Kropotkine écrit dans Le Révolté le 25 décembre 1880 un article encourageant déjà la propagande par le fait -plusieurs mois avant le Congrès de Londres- sans la nommer : « La révolte permanente par la parole, par l'écrit, par le poignard, le fusil, la dynamite (...) tout est bon pour nous qui n'est pas la légalité »27. Puis, dans la nuit du 15 juin 1881, a lieu un attentat manqué contre la statue d'Adolphe Thiers à Saint-Germain-en-Laye. Si cet événement a été provoqué par Louis Andrieux via le journal La Révolution Sociale qu'il a lui-même fondé28, cela n'en fait pas moins la première attaque anarchiste de la Troisième République. Ensuite, quelques mois après le congrès de Londres, Emile Florion, un jeune ouvrier tisseur se met en tête d'assassiner Gambetta, mais ne pouvant approcher sa cible, il tire sur un médecin rue de

25 cf. Chapitre 1.

26 A noter que le mot « terroriste » n'est pas encore automatiquement employé à cette période pour qualifier les attentats anarchistes, mais est utilisé pour qualifier le climat qui traverse la ville de Lyon après l'explosion de l'Assommoir par le journal Le Gaulois, le 31 octobre 1882.

27 « L'Action », Le Révolté, deuxième année, n°22, 25 décembre 1880.

28 cf. Chapitre 2.

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Neuilly avant de tenter de se suicider le 20 octobre 188129. Alors que sa victime s'en sort indemne et que lui-même a échoué à se donner la mort, il déclare lors de son procès « Vive la révolution sociale 30 ». Cependant, Jean Maitron ne considère pas cet événement comme un acte de propagande par le fait, mais plutôt comme un geste désespéré puisque le jeune ouvrier venait d'être licencié et tente de se suicider juste après l'attaque31. Ceci n'empêche pas les militants anarchistes de célébrer Emile Florion et son action contre les « bourgeois », comme l'illustre un article du Droit Social paru le 30 avril 1882 : « Eh bien, nous aussi, en avant ! En avant les Florion (...) jusqu'au jour où le dernier bourgeois disparaîtra »32. On peut ensuite citer l'acte de l'ouvrier Fournier à la suite d'une grève à Roanne en mars 1882 qui est considéré comme « la propagande par le fait la plus féconde » par les rédacteurs du journal Le Révolté33. Le jeune ouvrier sans travail a en effet ouvert le feu sur le patron qu'il considérait comme responsable de la crise mais ne l'a pas blessé. Cependant, il regrette par la suite son acte et ne s'est jamais revendiqué anarchiste34. Finalement, ce sont les agissements de la « Bande Noire » de Montceau-les-Mines au milieu de l'année 1882 qui rendent publique la menace anarchiste. Jean Maitron propose un récit éclairant sur ces évènements :

« Depuis quelques temps on signalait dans la région industrielle et minière, qui a pour centres principaux Montceau-les-Mines et Le Creusot, des conciliabules mystérieux tenus la nuit dans les bois. L'opinion publique rattachait ces réunions suspectes à des menées socialistes dont le but immédiat restait mal défini et à une organisation secrète qu'on désignait communément sous le nom de Bande noire35. »

Ainsi, à partir du mois d'août 1882, cette « Bande noire » mal identifiée s'attaque la nuit aux croix catholiques qui parsèment la région tout en envoyant des lettres de menaces aux notables de Montceau, notamment le curé et le maire de la ville. À la suite d'attaques à la dynamite et à la hache d'une chapelle de Bois-Duverne et finalement sa mise à feu le 15 août 1882, le gouvernement décide de réprimer violemment le groupe, aboutissant au procès de

29 Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.210.

30 La Gazette des tribunaux, 27-28 février 1882.

31 Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit, p.210. 32« La Véritable Lutte », Le Droit Social, Première année, n°12, 30 avril 1882.

33 « Mouvement Social - France », Le Révolté, quatrième année, n°3, 1er Avril 1882.

34 Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.154-155.

35 Ibid., p.155.

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vingt-trois ouvriers appartenant à des Chambres syndicales36. La « Bande noire » apparaît donc comme le premier mouvement révolutionnaire organisé et en capacité de se soulever contre la République alors que l'acte d'accusation considère les inculpés comme des « membres violents du parti ouvrier » liés aux « foyers de propagande collectiviste ou anarchiste »37. Cependant, les participants aux actions de Montceau-les-Mines ne revendiquent aucunement le principe de la propagande par le fait et ne se considèrent pas comme des militants anarchistes. L'avocat des accusés, M. Laguerre, déclare ainsi dans sa plaidoirie : « Les Chambres syndicales et la fédération de Saône-et-Loire n'ont [...] absolument rien en commun avec le parti anarchiste de Lyon »38. Pourtant, les agissements de Montceau sont ancrés dans la conscience collective comme les premières actions d'un mouvement anarchiste qui vient remettre en cause l'équilibre politique et social de la République.

Ceci n'empêche pas la préfecture du Rhône d'investir des fonds dans la surveillance du mouvement anarchiste lyonnais au début des années 1880. Celle-ci prend la forme classique de présence d'agents de police lors de réunions militantes ou repose sur des indicateurs intégrés aux groupes libertaires. Quels types d'informations la préfecture du Rhône recueille t-elle à l'aide de ses méthodes de surveillance ? Par ailleurs, il nous faut vérifier si les futurs accusés de janvier 1883 font l'objet d'un large contrôle, et ceci précédemment à l'attentat de l'Assommoir. C'est sous la cote 4M 307 Agissements anarchistes (1881-1883) des ADR que nous retrouvons un grand nombre de preuves de cette surveillance39. Dans cette boîte réunissant plus de cinq-cents documents, on dispose de nombreux rapport du commissaire spécial près de la préfecture du Rhône à destination du secrétaire général de la Police. Ils sont souvent très détaillés et la précision des informations nous amène à penser qu'elles sont en grande partie fournies par des indicateurs « infiltrés »40

36 Ibid., p.156.

37 Acte d'accusation cité dans Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.157.

38 La Gazette des tribunaux, 22 décembre 1882.

39 ADR, 4M 307. Agissements anarchistes (1881-1883).

40 Comme nous l'avons déjà évoqué dans le Chapitre 1, le terme « infiltré » est à manier avec précaution. En effet, les indicateurs de la police ne sont pas des agents ou des mouchards envoyés par leur hiérarchie espionner les groupes mais semblent plutôt être des militants engagés qui décident de donner des informations sur leurs compagnons contre de l'argent.

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au sein du mouvement anarchiste. Aussi, c'est semble-t-il sur cette boîte que Marcel Massard s'appuie pour décrire les activités des anarchistes lyonnais avant l'attentat de Bellecour41. Par exemple, il reprend le rapport du commissaire spécial concernant une réunion publique en date du 22 octobre 1881 qui a résulté en un grand désordre42. Il est en effet écrit à la fin du rapport : « Cette réunion, comme je l'avais prévu, avait attiré un public assez nombreux, mais elle n'a provoqué que des rires et de l'indifférence pour les organisateurs et les orateurs qui s'y sont fait entendre »43. Ce sont des documents similaires que nous retrouvons sous la cote 4M 307 et qui nous confirment l'attention dont font l'objet les militants anarchistes, d'autant plus qu'on retrouve un rapport ou une note envoyée quasi quotidiennement entre 1881 et 188344. Néanmoins, certaines archives issues de cette boîte renseignent sur les méthodes de surveillance employées par la police lyonnaise et nous apportent un premier éclairage sur le procès des 66. Le 6 janvier 1882, le commissaire spécial détaille le contenu d'une réunion qui a eu lieu au domicile de Toussaint Bordat, ce qui confirme donc que c'est une personne nécessairement proche des militants qui a pu récolter ces informations échangées dans un cadre privé45. Ce rapport est envoyé plus d'un an avant le procès et on y retrouve déjà le nom de plusieurs des accusés : « Hier soir la commission des sections du parti socialiste révolutionnaire s'est réunie chez le sieur Bordat. Y assistaient les deux frères Trenta pour la section de la Guillotière. Borias, Dupuis et Déamicis pour la section des Brotteaux ; Ribeyre et Martin pour la section de la Croix-Rousse46 ». En plus de nous permettre de constater cette surveillance accrue de plusieurs membres du mouvement anarchiste, ce rapport indique la façon dont les militants perçoivent ce contrôle politique :

« Borias et Bordat ont manifesté des inquiétudes au sujet de l'attitude du Gouvernement et déclaré que M. le Préfet du Rhône et celui de Marseille seront probablement changés et remplacés par des fonctionnaires à poigne sous prétexte que M. Gambetta veut se débarrasser non pas des révolutionnaires car il y en a dans tous les rangs comme dans tous les comités, mais des

41 Marcel Massard, Histoire de mouvement anarchiste à Lyon...,op.cit., p.38-58.

42 Ibid., p.44.

43 ADR, 4M 307, « Rapport sur la Réunion publique organisée par le parti Socialiste Révolutionnaire tenue le Samedi 22 Octobre 1881 au domicile du sieur Bens, salle de la Perle, à la Croix Rousse ».

44 Ce nombre de documents vient encore confirmer que la préfecture du Rhône a mis en place un véritable réseau de surveillance du mouvement libertaire.

45 ADR, 4M 307. Lettre du commissariat spécial près la préfecture du Rhône en date du 6 janvier 1882.

46 Ibid. En gras nous avons indiqué les militants inculpés lors du procès des 66.

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anarchistes auxquels il en veut. Bordat a ajouté que d'après les renseignements qu'il avait reçus de Paris, il n'y avait rien d'étonnant à ce qu'une belle nuit on fit une razzia des anarchistes. En conséquence et en prévision d'un coup de main de cette nature il a engagé ceux du parti en mesure de pouvoir le faire à s'armer d'un revolver et, en cas d'arrestation de nuit, à en faire usage sans crainte, attendu qu'en pareil cas il y a légitime défense47

Les militants ont donc conscience de la surveillance dont ils font l'objet et se préparent à de potentielles arrestations. Ils estiment aussi que cette répression est la volonté du gouvernement républicain qui cherche à « se débarrasser » de ses opposants. Les anarchistes se considèrent donc comme les véritables ennemis de la République et ont conscience du contrôle politique auquel ils sont soumis. Ceci est confirmé par les informations très précises détenues par la police sur les membres les plus actifs du mouvement, notamment leur profession et leur adresse, comme en témoigne une liste de noms retrouvée sous la cote 4M 30748. Ainsi, la police connaît l'identité et l'adresse de 116 personnes - dont 13 femmes indiquées à la fin - présentes lors d'une réunion privée le 17 septembre 1881. D'une part, ceci appuie l'idée que des individus insérés dans le mouvement renseignent la police ; nous sommes dans le cadre d'une réunion privée à laquelle n'aurait pu assister un agent de police et il faut bien connaître les compagnons pour disposer d'autant d'adresses. D'autre part, on constate la présence sur cette liste des noms et adresses de plusieurs futurs accusés du procès des 66 soit 21 individus identifiés sur cette liste49. La police lyonnaise possède dès le mois de septembre 1881, soit plus d'un avant l'explosion de Bellecour, les informations nécessaires pour procéder aux perquisitions et arrestations de plusieurs militants anarchistes. Par ailleurs, on retrouve dans la boîte 4M 307 une « Liste des membres du parti socialiste révolutionnaire Lyonnais » datant de 1882 - nous n'avons pas plus de précisions sur la date - mais elle indique l'adresse de 54 militants50. Neuf d'entre eux font partie des accusés du procès de

47 Ibid. Ces personnes sont : Joseph Bernard, Auguste Blonde, Toussaint Bordat, Henry Boriasse, Jean Marie Bourdin, Jospeh Victor Bruyère, Michel Antoine Chavrier, Lazard Adolphe Dard, Jean Marie Dupoizat, Jospeh Genoud, Michel Huggonard, Pierre Martin, Jules Charles Morel, François Pautet, Jacques Peillon, Joseph Etienne Ribeyre, Jean Marie Thomas, Joseph Trenta, Jules Trenta, Emile Viallet, Charles Voisin.

48 ADR, 4M 307. « État des personnes ayant assisté à la Réunion privée du parti socialiste révolutionnaire tenue le 17 septembre 1881, chez Célérier, rue St- Elisabeth, 108 ».

49 Ibid. « État des personnes ayant assisté à la Réunion privée du parti socialiste révolutionnaire tenue le 17 septembre 1881, chez Célérier, rue St- Elisabeth, 108 ».

50Ibid. « Liste des membres du parti socialiste révolutionnaire Lyonnais », 1882.

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janvier 1883 et on peut se demander si ces « états d'identités » ont été dressés en vue de futures arrestations.

Malgré les informations détenues par la police lyonnaise sur les motivations répréhensibles des compagnons, la machine d'État a eu besoin d'un événement déclencheur pour entrer en action et s'attaquer à la menace que représente le mouvement anarchiste pour la République.

3.2- Les enjeux d'un procès pour l'exemple

Ainsi, l'explosion du café de l'Assommoir a deux conséquences directes mais bien distinctes. D'une part, ce crime politique contre la République nécessite une réponse publique qui passe par l'identification et l'arrestation d'un coupable. D'autre part, il apparaît comme le prétexte tant attendu pour enfin tenter d'étouffer les voix discordantes du régime puisque les partisans de la révolution sont accusés de vouloir reformer l'Association Internationale des Travailleurs (AIT), interdite par la loi Dufaure de mars 1872. L'attentat de Bellecour légitime alors l'arrestation de dizaines de militants dans les semaines suivantes et permet aux forces policières d'envoyer un signal à l'ensemble des militants anarchistes du territoire français. La vague d'arrestation qui coïncide avec l'explosion et le procès qui en découle dépassent la simple réponse sécuritaire et révèlent les logiques politiques de l'administration du maintien de l'ordre républicain.

A) Administrer l'arrestation des militants anarchistes

Le processus d'arrestation qui suit l'explosion de l'Assommoir révèle en effet toute l'ampleur et la complexité de la machine d'État engagée dans ce processus de lutte contre un ennemi politique venu de la gauche de la République. Ceci nous permet alors de ne pas aborder le procès des 66 comme une réaction logique à l'attentat de Bellecour, mais bien comme le moment où se révèle l'administration de la coercition légitime.

Dans un premier temps, nous souhaitons déterminer la chaîne de commandement qui conditionne l'enquête sur l'explosion du 22 octobre 1882 et les arrestations qui s'en suivent. Ceci nous permet de nous interroger sur l'autonomie que la préfecture du Rhône dispose en pratique vis-à-vis du ministère de l'Intérieur et d'analyser les méthodes employées par la

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police lyonnaise en réaction à l'attentat. Un dossier dépouillé aux AN dédié à l'attentat du café-théâtre Bellecour et à celui du bureau de recrutement de Lyon qui a eu lieu le lendemain51 nous permet d'étudier le fonctionnement de l'administration de la coercition légitime dans le cadre de cette affaire52. On y apprend que le préfet du Rhône informe immédiatement par télégramme le ministre de l'Intérieur de l'explosion du théâtre Bellecour dès le 23 octobre53. Deux jours plus tard, voici la réponse télégraphique de Paris à la préfecture :

« J'attends de vous, par télégramme, les détails les plus circonstanciés sur les deux explosions du café de Bellecour et du bureau de recrutement, les victimes qu'elles ont faites, leurs auteurs présumés et le résultat des recherches dont ils sont l'objet. Urgence extrême à assurer rapide et complète répression54

La dernière phrase apporte de nouvelles interrogations : faut-il réprimer violemment les auteurs de l'attentat car c'est en effet un acte criminel ? Le ministre sous-entend-il qu'il faille réprimer le mouvement libertaire lyonnais qui semble avoir fomenté l'explosion ? Ce télégramme annonce-t-il la tenue du procès des 66 trois mois plus tard ? Cette dernière hypothèse confirmerait donc que l'explosion de Bellecour est l'événement qui enclenche le processus de répression des anarchistes par la machine d'État. Par ailleurs, à la vue de la gravité de l'affaire qui fait plusieurs blessés et causera même le décès du jeune employé de commerce Louis Miodre55, il est nécessaire pour la police d'arrêter au plus vite le poseur de bombe. C'est sur l'ouvrier tisseur et gérant du journal anarchiste l'Etendard Révolutionnaire, Antoine Cyvoct, que se portent les soupçons56. Ceci explique alors pourquoi un des dossiers du coffre du ministère de l'Intérieur dit « Fonds Panthéon » conservé aux Archives nationales concerne le jeune militant lyonnais57. Ici, on retrouve une lettre du préfet du Rhône adressé au ministre de l'Intérieur le 25 octobre 1882 et où il indique avoir « cru devoir prendre et

51 Une seconde explosion a eu lieu à Lyon le 23 octobre 1883 à un bureau de recrutement, personne n'a été blessé.

52 AN, F7 121516. Agissements anarchistes - Rhône (1882-1900) ; Seine (1892-1900). 53Ibid. Télégramme du 23 octobre 1882, Préfet à Intérieur.

54 Ibid. Télégramme du 25 octobre 1882, Intérieur à Préfet du Rhône.

55 Marcel Massard, Histoire de mouvement anarchiste à Lyon..., op.cit. p.61.

56 Nous évoquons en détail cette question dans la sous-partie suivante.

57 AN, F7 15943/1. « Fonds Panthéon » Antoine Cyvoct.

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provoquer les mesures exceptionnelles (...) pour rechercher les auteurs ou les complices de ces attentats »58. Tous les agents de la préfecture du Rhône sont donc mobilisés dès le 23 octobre - « dès le lundi matin » dans la lettre - pour arrêter au plus vite le ou les coupables. C'est aussi dans cette lettre que les « anarchistes » sont désignés pour la première fois comme les responsables de l'explosion de Bellecour et du bureau de recrutement59. On peut donc supposer que « les mesures exceptionnelles » évoquées sont les perquisitions et arrestations de différents militants déjà connus des services de police. Il explique cependant qu'il a renforcé la surveillance des milieux anarchistes et s'est appuyé sur le procureur de la République pour ordonner la coopération du commissaire spécial de la Sûreté et celui de la préfecture du Rhône sur ces questions de renseignements60. Cette lettre est donc centrale pour comprendre le déroulé de l'enquête concernant l'attentat de l'Assommoir et le rapport de la police lyonnaise au mouvement libertaire. Néanmoins, comme nous l'avons précédemment expliqué, l'administration du maintien de l'ordre est une technostructure composée de plusieurs acteurs61 et la réaction de la machine d'État à la suite de l'explosion du théâtre Bellecour n'implique pas seulement les forces de police lyonnaises. C'est pourquoi nous retrouvons dans les Archives de la Préfecture de Police plusieurs documents révélant l'implication de l'institution parisienne dans l'enquête menée sur l'attentat. Louis Andrieux, toujours député du Rhône au moment où il devient préfet de police, met en place une surveillance des anarchistes Lyonnais, vraisemblablement poursuivies par son successeur Ernest Camescasse, et dont la preuve se trouve sous la cote BA 394 « Menées des socialistes et des anarchistes à Lyon (1881-1885) »62. À la suite de l'explosion de l'Assommoir, plusieurs télégrammes sont transmis par les « agents secrets » de l'institution parisienne présents dans la région lyonnaise. Par exemple, un individu qui signe sous le patronyme Havas rédige depuis Lyon le 26 octobre 1882 un télégramme faisant état de l'arrestation de deux individus potentiellement impliqués dans l'attentat63. Ceci nous montre donc que la

58 Ibid. Lettre du préfet du Rhône au ministre de l'intérieur le 25 octobre 1882.

59 Ibid. Lettre du préfet du Rhône au ministre de l'intérieur le 25 octobre 1882.

60 Ibid. Lettre du préfet du Rhône au ministre de l'intérieur le 25 octobre 1882.

61 cf. Chapitre 2.

62 APP, BA 394. Menées des socialistes et des anarchistes à Lyon (1881-1885).

63 Ibid. Télégramme Lyon, 26 octobre 1882, Havas Paris.

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préfecture de Police se tient au courant de l'avancée de l'affaire via des canaux de communication indépendants de sa hiérarchie. Cette méthode tend à confirmer l'idée que l'institution parisienne jouit d'une véritable autonomie vis-à-vis des autres institutions du maintien de l'ordre, se situant à part dans la technostructure policière et cherchant à s'émanciper de toute subordination. Cependant, la mise en place de ce type de pratiques n'empêche pas la machine d'État de l'impliquer aux côtés des autres acteurs du maintien de l'ordre lorsque la République se retrouve menacée par le mouvement anarchiste. Ainsi, le 8 novembre 1882, le Préfet de police reçoit un courrier de l'intérieur le priant d'envoyer plusieurs de ses agents pour aider à faire avancer l'enquête concernant l'attentat du café Bellecour :

« Monsieur le Préfet, M. Le Garde des Sceaux Ministre de la Justice, me fait connaître que la police de sûreté de Lyon, malgré son zèle et son dévouement ne peut à l'heure actuelle suffire à sa tâche. Il ajoute que l'opinion publique et les magistrats du Parquet, accueilleraient avec une satisfaction marquée l'envoi d'un certain nombre d'agents de votre Préfecture64

Ce document nous révèle à la fois que la préfecture du Rhône se retrouve à traiter cette affaire de grande ampleur et qu'elle bénéficie d'un éclairage important de la part de la presse. De plus, ceci indique que la technostructure policière n'est pas la seule impliquée dans l'enquête, puisque la justice prend aussi sa place dans l'administration de la coercition légitime65. Ces documents nous montrent aussi comment se met en place la coopération entre les différents acteurs du maintien de l'ordre.

Il nous paraît maintenant nécessaire de revenir sur les arrestations des futurs accusés de janvier 1883 en analysant leur temporalité et en montrant qu'elle dépasse largement le cadre de l'enquête de l'attentat de Bellecour. Dans son mémoire portant sur le procès des 66 et la presse lyonnaise, Laurent Gallet apporte un éclairage intéressant sur la vague d'arrestations des militants anarchistes lyonnais à la fin de l'année 1882 en réalisant un tableau « récapitulatif de l'état des 66 accusés du procès de Lyon »66. Il se base notamment

64 Ibid. Lettre du Ministère de l'Intérieur au Préfet de Police, 8 novembre 1882.

65 Cette question est traitée dans le Chapitre 4.

66 Laurent Gallet, Le mouvement anarchiste et la presse lyonnaise..., op.cit.,(non-paginé).

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sur les cartons 4M30767 et 4M30868 conservées aux ADR, ainsi que sur d'autres informations tirées du dictionnaire biographique du mouvement ouvrier 69 et des articles de presse de l'époque. Nous reproduisons en annexe 2 ce tableau que nous avons complété et nous présentons ici les enseignements que nous pouvons en tirer. Tout d'abord, Laurent Gallet indique que sept des futurs accusés du tribunal correctionnel de Lyon sont en prison au moment où se produit l'attentat. On sait en effet que Claude Crestin a été condamné au mois d'août précédent à la suite de la diffusion d'un article, à deux ans de prison et 100 francs d'amande pour provocation à crimes, meurtres et pillages mais aussi à un an et un jour de prison pour outrage à magistrat70. Ensuite, on constate que Toussaint Bordat a lui été arrêté quelques jours avant l'attentat dans le cadre de l'affaire de la bande noire de Montceau-les-Mines71. Laurent Gallet précise dans son livre sur l'attentat de Bellecour publié en 2015, que Bordat a fait l'objet d'une instruction lancée par le procureur de Charolles dès le 12 octobre 1882 à la suite d'affichage de placards anarchistes la veille de l'explosion de la maison d'un industriel à Saint-Vallier72. La série U « Justice » des ADR nous confirme par ailleurs l'attention portée à certains militants anarchistes dont Toussaint Bordat73. Aussi, sous la cote

2 U 433-434 on retrouve un document indiquant qu'un mandat d'arrêt a été délivré contre Régis Faure à Chalon-sur-Saône dès le 20 octobre 188274. Cependant, la notice biographique

67 ADR, 4M 307. Agissements des anarchistes ; poursuites contre Joseph Bonthox et Crestin ; rapports de police (1881 - 1883).

68 ADR, 4M308. Procès des anarchistes (janvier 1883) ; état des condamnés ; souscriptions en faveur des détenus ; articles de presse ; pièces de procédure (1883).

69 Le Maitron [en ligne] accessible via : http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/

70 http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article79498, notice CRESTIN Claude, Dominique par Maurice Moissonnier, version mise en ligne le 30 mars 2010, dernière modification le 30 mars 2010.

71 http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article153823, notice BORDAT Toussaint [Dictionnaire des anarchistes] par Jean Maitron, notice revue par Rolf Dupuy et Laurent Gallet, version mise en ligne le 7 mars 2014, dernière modification le 17 décembre 2018.

72 Laurent Gallet, Machinations et artifices..., op.cit., p.61-62.

73 ADR, 2 U 433-434. 16 août 1882. BORDAT Toussaint, BERNARD Joseph, BONTHOUX CRESTIN et autres. Affiliation à une société internationale (dossier incomplet).

74 Ibid.16 août 1882. BORDAT Toussaint, BERNARD Joseph, BONTHOUX CRESTIN et autres. Affiliation à une société internationale (dossier incomplet).

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d'Octave Liégeon ne précise aucune date d'arrestation dans le cadre du procès75 et celle de Pierre Martin affirme seulement que celui-ci a été arrêté à la « mi-octobre » 188276 ; ceci ne nous dit pas si elle précède bien l'explosion du théâtre Bellecour. Dans son livre, Laurent Gallet, sans donner de date précise, explique néanmoins que Liégeon et Martin sont en premier lieu poursuivis dans le cadre d'une procédure instruite par le juge d'instruction de Chalon-sur-Saône77. Par ailleurs, l'historien indique dans le même ouvrage que Michel Sala et Victor Fages ont en fait été arrêtés début décembre 1882 donc bien après l'attentat78. Concernant, Antoine Desgranges, Laurent Gallet a corrigé sur la notice du Maitron le statut du militant, arrêté le 25 octobre 188279, d'autant plus qu'il affirme dans son livre qu'il est soupçonné d'être l'auteur de l'explosion de l'Assommoir 80. Il faut donc prendre les données de Laurent Gallet avec précaution et les croiser avec d'autres sources pour établir une chronologie des arrestations des 66 accusés de Lyon. Nous retrouvons alors aux ADR sous la cote 4M 307 un sous-dossier intitulé « Parti Anarchique - Arrestation du 19 au 24 octobre 1882 » dans lequel est classé un courrier du commissaire spécial du Rhône adressé au secrétaire général de la Police de Lyon. Il est alors indiqué qu'un mandat d'arrêt a été délivré contre Jolly, Péjot et Renaud le 23 octobre 1882 pour « meurtre assassinat dans le but d'exciter à la guerre civile »81. On note en effet l'arrestation de Péjot dès le 24 octobre dans le tableau de Laurent Gallet et la fuite des deux autres compagnons. Il explique par ailleurs dans Machinations et Artifices que le peu de preuves réunies contre les compagnons concernant l'explosion de l'Assommoir et les soupçons portés sur Antoine Cyvoct font basculer leur

75 http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article82671, notice LIÉGEON Octave, version mise en ligne le 30 mars 2010, dernière modification le 30 mars 2010.

76 http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article154338, notice MARTIN Pierre [Dictionnaire des anarchistes] par Jean Maitron, Guillaume Davranche, version mise en ligne le 13 mars 2014, dernière modification le 21 mars 2015.

77 Laurent Gallet, Machinations et artifices..., op.cit., p.69.

78 Ibid., p.72.

79 http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article153899, notice DESGRANGES Antoine [Dictionnaire des anarchistes] par Laurent Gallet, version mise en ligne le 5 avril 2014, dernière modification le 6 avril 2014.

80 Laurent Gallet, Machinations et artifices..., op.cit., p.66.

81 ADR, 4M 307. « Parti Anarchique - Arrestation du 19 au 24 octobre 1882 », lettre du commissariat spécial au Secrétaire général pour la Police, 24 octobre 1882.

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arrestation dans le cadre du procès des 6682. Cependant, ce que nous révèle le tableau de Laurent Gallet c'est que la majorité des 66 a été arrêtée le 19 novembre 1882. Dans son livre, l'historien explique que la veille près de 7000 personnes se sont réunies lors d'une manifestation anarchiste pour répondre aux attaques qui se tiennent depuis l'explosion de l'Assommoir contre les militants libertaires83. En réponse à ce rassemblement, la police arrête vingt-sept animateurs du mouvement qui sont alors inculpés pour affiliation à une société internationale et non dans le cadre de l'explosion du 22 octobre84. Marcel Massard affirme pour sa part que « les pouvoirs publics étaient décidés à impliquer [les anarchistes] afin de s'en débarrasser » ; le 19 novembre est selon lui un « coup de filet contre les membres de la Fédération révolutionnaire »85. Du côté des ADR on retrouve plusieurs documents relatant cette vague d'arrestations. Un rapport du commissaire spécial de la Sûreté de Lyon daté du 15 au 19 novembre 1882 indique l'arrestation de quatorze militants anarchistes pour « affiliation à une association Internationale des Travailleurs »86. De plus, un télégramme chiffré envoyé par le préfet du Rhône au ministre de l'Intérieur donne une liste de vingt-sept militants anarchistes - nombre que l'on retrouve dans le tableau de Laurent Gallet - arrêtés dans le cadre de l'exécution d'un mandat décerné par le juge d'instruction du tribunal de Lyon87. Si le télégramme confirme que les individus sont arrêtés pour affiliation à l'A.I.T., le préfet précise à la fin de son envoi : « Je crois savoir que le juge d'instruction a déclaré les mandats en raison tant des renseignements locaux dont vous aurez copie que de ceux de Chalons et de Charolles »88. À partir de ce moment-là, le cadre de l'instruction pour l'attentat du théâtre Bellecour a largement été dépassé pour entrer dans une phase de répression assumée du mouvement anarchiste.

Les militants arrêtés avant le 19 novembre et à un moment suspectés d'avoir fomenté l'explosion du 22 octobre 1882, se retrouvent impliqués dans une vaste opération de

82 Laurent Gallet, Machinations et artifices..., op.cit., p.66.

83 Ibid., p.68.

84 Ibid., p.69.

85 Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon...,op. cit., p.62-63.

86 ADR, 4M 307. Rapport du 15 au 19 novembre 1882, le Commissaire spécial de la Sûreté au préfet.

87 Ibid. Chiffre spécial, Préfet à intérieur Paris, non daté.

88 Ibid. Chiffre spécial, Préfet à intérieur Paris, non daté.

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répression du mouvement anarchiste lyonnais. S'il est logique que la machine d'État réagisse lorsque le régime républicain est menacé, les réponses qu'elle apporte questionne la pratique du pouvoir des républicains qui va à l'encontre de la doctrine libérale.

B) La nécessité de désigner un coupable

Si le procès des 66 ne juge pas les coupables de l'attentat de Bellecour mais le mouvement anarchiste pour tentative de reconstitution de l'AIT, il est nécessaire de répondre aux attentes du public ému par cet acte de violence en désignant un responsable. Le militant et gérant de presse Antoine Cyvoct se révèle être le candidat idéal. Il a en effet publié un article intitulé « Un bouge » dans le journal libertaire Le Droit Social le 12 mars 1882. Dans celui-ci il incitait ses camarades de lutte à s'en prendre au théâtre Bellecour89. Une chasse à l'homme s'engage donc dès le lendemain de l'explosion alors que Cyvoct se réfugie en Suisse avant d'être arrêté en Belgique.

Cité lors du procès des 66 en janvier 1883 alors qu'il est en fuite, son instruction se tient devant la cour d'assises du Rhône en décembre de la même année. Pourtant, Antoine Cyvoct a toujours clamé son innocence et n'est d'ailleurs pas reconnu comme le poseur de bombe du théâtre Bellecour. Il est en fait jugé coupable d'avoir incité à commettre ce crime ce qui lui vaut une condamnation à mort90. Si sa peine est finalement commuée en travaux forcés au bagne de Nouvelle-Calédonie91, le procès du jeune militant anarchiste vient confirmer le rôle de la machine d'État dans la répression des opposants politiques de la République. D'une part, Cyvoct à l'instar des condamnés du procès des 66 est soumis à la surveillance accrue de l'administration policière. En effet, Laurent Gallet indique que son nom apparaît pour la première fois dans les archives de la police lyonnaise le 7 août 1882 dans un rapport indiquant qu'à la suite d'une réunion, le jeune homme est désigné comme le nouveau gérant du journal

89 « On y voit surtout après minuit, la fine fleur de la bourgeoisie et du commerce...Le premier acte de la révolution sociale devra être de détruire ces repaires ». Extrait de l'article « Un bouge » publié dans Le Droit Social et reproduit dans Laurent Gallet, Machinations et artifices..., op.cit., p. 393.

90 Ibid., p. 192.

91 Ibid., p.204.

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l'Etendard Révolutionnaire92. Dans le « Fonds Panthéon » conservé aux archives nationales, on retrouve par ailleurs l'extrait d'un rapport de la préfecture du Rhône en date du 19 août 1882 donnant un grand nombre d'informations sur le militant anarchiste :

« Le sieur Cyvoct (Antoine Marie) gérant du Journal l'Etendard n'est âgé que de 21 ans, il fait partie de la classe 1881 et se trouve compris ( ?) sous le N° 160 dans la première portion du contingent (...) Il appartient à une famille considérée à Lyon, ses parents lui ont fait donner une instruction assez complète, chez les frères de la doctrine chrétienne (...) Par suite de la fréquentation de ce débit de boissons [lieu où Cyvoct a rencontré Bordat], il est devenu subitement un membre actif du parti révolutionnaire93. »

Ce document que nous ne présentons pas dans son entièreté, révèle que la police suit de près Antoine Cyvoct depuis qu'il s'est rapproché des cercles anarchistes lyonnais. De plus, un rapport classé sous la même cote confirme que Cyvoct est surveillé par les services de police de la région dès le 22 août 188294, soit trois mois avant l'attentat du théâtre Bellecour. Ce contrôle politique est assumé par les services policiers de Lyon puisqu'il est rapporté à sa hiérarchie. Le ministère de l'Intérieur sait donc que la préfecture du Rhône a mis en place une surveillance du mouvement libertaire et est informé quotidiennement - comme c'est le cas à Paris avec le préfet de Police95 - de l'activité du « parti anarchiste » dans la région. Aussi, le 31 août 1882 la préfecture du Rhône rapporte que Cyvoct lors d'une réunion anarchiste ayant eu lieu le 16 août, a proféré des menaces de mort contre les juges et jurés qui ont condamné ses camarades anarchistes Claude Crestin et Joseph Bonthoux96. Un autre rapport daté du 3 octobre de la même année indique que Cyvoct « préconise la grève des conscrits » lors de réunions publiques et « se disposerait à partir pour la Belgique afin de se soustraire à l'appel sous les drapeaux97 ». Enfin, un document est envoyé au ministère de l'Intérieur par le commissaire spécial de Lyon le 18 octobre indiquant que Cyvoct « est toujours disposé à

92 Ibid., p.27.

93 AN, F7 15943/1. « Fonds Panthéon ». Antoine Cyvoct. Extrait d'un rapport du préfet du département du Rhône en date du 19 août1 882.

94Ibid. . Extrait d'un rapport du préfet du Rhône en date du 22 Août 1882.

95 cf. Chapitre 2.

96 AN, F7 15943/1. « Fonds Panthéon » Antoine Cyvoct. Extrait d'un rapport du préfet du Rhône, le 31 Août

1882.

97Ibid. Extrait d'un rapport du préfet du Rhône, le 6 octobre 1882.

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passer la frontière » supposant ainsi que le jeune lyonnais se trouve encore dans la région quatre jours avant l'explosion de Bellecour98. Néanmoins, le militant anarchiste ayant toujours clamé son innocence publie une défense dans le journal l'Hydre Anarchiste en 188499, quelques mois avant son départ pour le bagne de Nouvelle-Calédonie. Il affirme avoir quitté Lyon le 9 octobre 1882 pour échapper aux poursuites liées à son arrestation du 7 octobre100. Les archives de la police lyonnaise étant « muettes » entre le 9 octobre et l'attentat du 22 octobre selon l'expression de Laurent Gallet, elles ne nous permettent pas d'établir la présence de Cyvoct à Lyon durant cette période101. Par ailleurs, il explique avoir pris la décision de quitter Lyon car des nouvelles venues de Paris indiquaient des arrestations dans la région à la suite des troubles de Montceau-les-Mines. En effet, Bordat venait de se faire arrêter et il avait le « pressentiment » qu'il n'était pas en sécurité à Lyon102. Ceci rappelle le document étudié précédemment daté du mois de janvier 1882 et expliquant que Bordat s'attend à une potentielle arrestation massive de militants anarchistes commandée par le gouvernement103.

Par ailleurs, si le procès des « 66 » a marqué l'histoire à cause de sa nature politique, celui de Cyvoct revêt une dimension beaucoup plus dramatique. En effet, l'accusé n'est aucunement déclaré coupable d'avoir posé la bombe à l'Assommoir mais d'avoir incité à cet attentat par la publication d'un article dans Le Droit Social104. Le procès s'achève malgré tout en une condamnation à mort pour Antoine Cyvoct, jugement inattendu de l'aveu des jurés eux-mêmes105. Ce verdict, disproportionné à la vue de ce qui est reproché au militant anarchiste, fait l'objet de réactions contrastées. Dans le Fonds Panthéon on retrouve un dossier nommé « Impression produite par la condamnation à mort prononcée contre Cyvoct »

98 Ibid. « Fonds Panthéon » Antoine Cyvoct. Lettre du 18 Octobre 1882. « Fonds Panthéon ».

99 « Défense de Cyvoct », L'Hydre Anarchiste, première année, n°3, 9 mars 1884.

100Ibid., 9 mars 1884.

101 Laurent Gallet, Machinations et artifices..., op.cit., p. 45.

102 « Défense de Cyvoct », L'Hydre Anarchiste, première année, n°3, 9 mars 1884.

103 ADR, 4M 307. Lettre du commissariat spécial près la préfecture du Rhône en date du 6 janvier 1882.

104 On a précédemment évoqué l'article « Un bouge » reproduit dans le livre Laurent Gallet Machinations et artifices..., op.cit., p. 393.

105 Ibid. p. 192.

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et rapportant à la fois les sentiments des camarades de l'accusé et l'opinion des « honnêtes gens »106. Les habitants de Montceau-les-Mines, région où les groupes anarchistes sont très actifs, se disent soulagés de la condamnation de Cyvoct alors que ses partisans s'abstiennent de tout commentaire107. À la Chaux-de-Fonds, les militants sont « exaspérés » par le jugement auquel ils ne s'attendaient pas et certains appellent à de nouveaux attentats en représailles108. Il est important de noter que ni l'opinion publique, ni les partisans de l'accusé, et encore moins les jurés, ne s'attendaient à la peine capitale pour celui qui a été déclaré « complice » de l'explosion. En effet, comme le rapporte le journal le Progrès, le jury a signé le recours en grâce concernant le jeune Cyvoct109. Par ailleurs, dès le 14 décembre, le ministre de l'Intérieur demande au préfet du Rhône de lui transmettre un rapport concernant ce recours en grâce ainsi que son avis110. Le fonctionnaire indique se ranger du côté de l'avis du président des Assises et du procureur général, tous les deux en faveur à ce que la peine de Cyvoct soit commuée en travaux forcés à perpétuité111. Si le jeune militant échappe finalement à la peine capitale, ces réactions mettent en lumière toute l'ambiguïté de l'administration coercitive dans sa mission de répression du mouvement anarchiste.

Il lui faut répondre aux attentes d'une société française inquiétée par la menace et protéger le régime républicain contre ces « agitateurs » tout en restant dans un cadre défini par une société libérale. Cependant, l'influence que la machine d'État exerce sur le pouvoir exécutif remet en cause la doctrine gouvernementale. Le processus qui entraine l'arrestations d'un grand nombre de militants lyonnais et le procès qui en découle illustre une pratique de pouvoir prenant le pas sur les principes démocratiques. L'analyse en détail du procès des 66 met en lumière le « multi-institutionnalisme » du maintien de l'ordre et révèle la dimension

politique qui conditionne les institutions judiciaires.

106 AN, F7 15943/1. « Fonds Panthéon » Antoine Cyvoct.

107 Ibid. « Fonds Panthéon » Antoine Cyvoct. Rapport du 15 décembre 1883.

108 Ibid., Rapport du 17 décembre 1883.

109 Ibid., Extrait du journal Le Progrès, le 22 décembre 1883.

110 Ibid., Télégramme chiffré du 14 décembre 1883.

111 Ibid., Lettre du 19 décembre 1883.

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Chapitre 4 : De la police à la justice politique

« Vous croyez ainsi montrer que vous êtes, comme on dit, des hommes de gouvernement ; vous montrez seulement que vous êtes des hommes d'autorité absolue »1.

A la fin de l'année 1882, la préfecture du Rhône applique toute l'étendue de ses méthodes de police politique pour écrouer les principaux acteurs du mouvement anarchiste. Du 8 au 19 janvier 1883 se tient devant le tribunal correctionnel de Lyon le « procès-spectacle » du « parti révolutionnaire » dont se délecte la presse et les députés les plus conservateurs2. Le procès des 66 apparaît avant tout comme un procès politique et non la condamnation d'un mouvement terroriste ; ceci révèle les contradictions d'un pouvoir exécutif libéral qui tente par tous les moyens d'empêcher un mouvement de gauche contestataire de se développer3. Les soixante et une condamnations pour tentative de reconstitution de l'AIT affaiblissent en effet le mouvement, mais divisent le camp républicain pris dans l'engrenage de la machine d'État. Ce n'est pas seulement la technostructure policière qui contraint le gouvernement à réprimer les anarchistes, mais un système de justice politique entièrement dévoué à la protection du régime.

Dans ce chapitre, il est donc nécessaire de s'interroger sur ce que révèle le procès des 66 de l'administration de la coercition légitime. Les institutions policières n'ont pas le monopole de la répression politique puisque l'appareil judicaire détient lui aussi une place importante au sein de la machine d'État. En outre, bien plus qu'une réponse publique à la menace anarchiste qui pèse sur la République, le procès des 66 s'inscrit dans un contexte plus large de légitimation du nouveau régime de gouvernement face aux « ennemis de l'intérieur ».

1 Georges Clemenceau à la Chambre des députés le 27 janvier 1883 à propos des hommes du gouvernement et du procès des 66, Journal Officiel de la République Française, 28 janvier 1883, p.154.

2 Voir Laurent Gallet, Le mouvement anarchiste et la presse lyonnaise..., op.cit, (non paginé).

3 Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France..., op.cit p.173.

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4.1 - La notion de délit d'opinion en République

Dans un premier temps, le procès des 66 présente une première rupture dans le contrat libéral conclu par les républicains lors de leur arrivée au pouvoir en 1879. Cette instruction semble entrer en contradiction avec les lois concernant la liberté de la presse et de réunion, puisque les anarchistes sont jugés pour reconstitution de l'AIT, interdite par la loi Dufaure promulguée en 1872. Par conséquent, la notion de délit d'opinion est au centre des débats devant le tribunal correctionnel de Lyon au début de l'année 1883. À la Chambre des députés, ce sont les représentants de la gauche radicale qui s'insurgent contre cette atteinte aux libertés fondamentales à l'instar de Georges Clemenceau4. Néanmoins, c'est dans la presse que l'on retrouve plus précisément l'opinion des différentes forces politiques sur ce procès comme le soutient Laurent Gallet dans son mémoire5.

Alors que les opportunistes alertent sur la menace que représente selon eux l'Internationale pour le régime en place, les oppositions de droite et de gauche considèrent le procès des 66 comme un moyen pour les Républicains d'asseoir leur pouvoir de répression6. Cet événement met aussi en avant les fractures d'une société française divisée entre conservateurs et radicaux que les opportunistes ont tenté d'unifier.

A) Soixante-six condamnés pour tentative de reconstitution de l'Internationale

Le procès, qui dure une dizaine de jours, est marqué par les déclarations éloquentes des militants les plus aguerris se défendant pour la plupart eux-mêmes7. Ceci est un moyen pour eux de faire la promotion de la doctrine libertaire et de révéler les contradictions du libéralisme absolu associé à la Troisième République.

4 Voir séance de la Chambre des députés du 23 janvier 1883, Journal Officiel de la République Française, 23 Janvier 1883, p.115.

5 Voir Laurent Gallet, Le mouvement anarchiste et la presse lyonnaise..., op.cit. (non paginé).

6 Cette synthèse en ligne résume les différentes positions politiques vis-à-vis du procès : https://rebellyon.info/La-presse-lyonnaise-et-les

7 C'est le cas de Pierre Kropokine, Toussain Bordat, Joseph Bernard et Emile Gautier.

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Un compte-rendu des débats devant le tribunal correctionnel intitulé Le procès des anarchistes devant la police correctionnelle et la Cour d'appel de Lyon réalisé par des partisans du mouvement constitue la source principale des historiens souhaitant étudier l'événement8. Les éditeurs de cette chronique dénoncent un « procès de tendance » et assument leur volonté de défendre les anarchistes contre les accusations d'affiliation à l'Internationale9. Ils font le choix de ne pas publier les plaidoiries des avocats constituant l'ensemble de l'audience du 18 janvier : « Du reste, notre livre étant publié pour la propagande des idées anarchistes et non pour publier ce que peuvent penser des avocats bourgeois sur les lois et légalité (...) nous n'avons pas cru devoir les insérer »10. Ce choix éditorial souligne les larges tensions politiques que cristallisent le procès des 66 et qui divisent la société française. Cependant, du côté des publications « bourgeoises », nous ne retrouvons pas de chroniques similaires prenant la défense de la République. Même la revue annuelle Causes criminelles et mondaines, éditée par Albert Bataille et relatant les affaires judiciaires de l'année écoulée, fait mention des procès de Montceau-les-Mines et du gréviste Fournier mais pas de celui de Lyon11. Ceci ne l'empêche pas de se placer clairement du côté du gouvernement lorsqu'il s'agit de la répression du mouvement anarchiste : « L'année 1882 marque une évolution nouvelle de l'armée socialiste et anarchiste. Pour la première fois depuis la Commune, les révolutionnaires passent des paroles aux actes, et la « justice bourgeoise » est forcée d'intervenir12

Par conséquent, Jean Maitron, Marcel Massard ou encore Laurent Gallet se sont donc largement appuyés sur Le procès des anarchistes pour relater le jugement des 66 dans leurs oeuvres respectives. Tout d'abord, il est important de noter que des mesures de sécurité exceptionnelles sont prises dès le début du procès : pour accéder à l'audience il faut présenter

8 Toussaint Bordat, et al., Le procès des anarchistes devant la police correctionnelle et la Cour d'appel de Lyon, op.cit. ; nous n'avons pas retrouvé de documents retranscrivant l'ensemble du procès et avons conscience du biais que présente cette source. Dans les dossiers d'archives, nous retrouvons seulement des comptes rendus succincts des journées du procès rédigés par des agents de polices assistant aux audiences n'apportant pas d'informations complémentaires.

9 Ibid. « Avant-Propos ».

10 Ibid., p.111.

11 Ces évènements sont évoqués dans le chapitre 3.

12 Albert Bataille, Causes criminelles et mondaines. 3, année 1882. E. Dentu, 1883, p.313.

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une carte spéciale, d'abord à l'extérieur du palais de justice puis une nouvelle fois avant de pénétrer à l'intérieur de la grande salle où se déroule l'instruction13. Aussi, la compagnie entière du 98e de ligne de l'armée garde le hall du palais de justice, tandis qu'une douzaine de gendarmes de réserves occupent la salle d'audience alors que chaque prévenu est entouré par deux agents de police14. Ces dispositions de sécurité perturbent largement le procès. Les accusés se plaignent d'ailleurs dès le deuxième jour de l'audience qu'il leur est impossible de suivre les interrogatoires, ayant beaucoup de mal à entendre les déclarations à cause des forces de l'ordre occupant plus de la moitié de l'espace15. Ce même jour, la femme de Kropotkine fait un malaise durant l'interrogatoire de son mari expliquant qu'il y a « des gens en nombres si pressé qu'il n'y a plus moyen de respirer »16. En outre, les compagnons subissent pendant l'audience diverses provocations. Bordat interrompt l'interrogatoire de Jules Trenta rapportant qu'un capitaine d'infanterie l'a menacé lui et ses amis en tenant les propos suivants : « J'ai arrangé vos camarades de la Commune, et si vous aviez affaire à moi, je vous arrangerai de même »17. Le lendemain, Péjot fait connaître au début de son interrogatoire qu'il s'est fait traiter de « pâle voyou » par un journaliste présent dans la salle18. Enfin, les rédacteurs du compte-rendu du procès indiquent que Didelin déclare lorsqu'on l'interroge qu'un agent de police l'a traité de lâche lors de son arrestation19. Ainsi, le procès se déroule dans une atmosphère particulièrement tendue.

L'accusation a divisé les soixante-six prévenus en deux groupes. Certains sont accusés d'être affiliés depuis moins de trois ans à une association internationale quand d'autres sont en plus chargés d'avoir occupé des fonctions dans ladite association20. Si la majorité des militants assument leur appartenance à des groupes anarchistes et réaffirment les principes de la doctrine libertaire, ils remettent en cause l'accusation d'appartenance à l'Internationale,

13 Marcel Massard, Histoire de mouvement anarchiste à Lyon..., op.cit., p. 63.

14 Laurent Gallet, Machinations et artifices..., op.cit., p.75.

15 Le procès des anarchistes..., p. 29.

16 Ibid., p. 31.

17 Ibid., p. 35.

18 Ibid., p.47.

19 Ibid., p.50.

20 Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit.. p.171.

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puisqu'elle a été dissoute en 187721. Emile Gautier, militant reconnu pour ses qualités de propagandiste et d'orateur rejette cette idée dans la défense qu'il présente aux jurés le 13 janvier 1883 :

« Ai-je le droit d'être anarchiste ? Voilà la véritable et la seule question de ce procès. Il résulte en effet du réquisitoire que l'Internationale n'est autre chose que la Fédération lyonnaise ; or je n'en fais pas partie. Cette Internationale, -démontrée, on sait comment, par l'instruction - n'existe donc pas en tant qu'association et, par suite, ne tombe pas sous le coup de la loi de 1872. L'association est chose précise, strictement définie : où est le siège social de celle-ci ? où est sa caisse ? quels sont ses statuts ? où est l'administration de cette société que vous poursuivez ? Est-ce que les congrégations religieuses, les jésuites, la franc-maçonnerie ne sont pas des associations internationales ? Les sociétés financières elles-mêmes ne sont-elles pas aussi internationales ? (...) L'ancienne Internationale était bien réellement une association, mais elle est tombée au Congrès de la Haye. La loi de 1872 punit le délit d'affiliation à l'Internationale ; or, il est bien certain que le mot affiliation veut dire réception dans une société après certains engagements (...) La conclusion s'impose donc d'elle-même : l'Internationale n'existe pas22

Malgré les longs débats et l'éloquence de certains des accusés pendant leurs interrogatoires, seulement cinq d'entre eux sont acquittés par le verdict prononcé le 19 janvier 1883. Les soixante et un autres subissent des peines allant de six mois de prison, cinquante francs d'amendes et cinq ans d'interdiction de droits civils à cinq ans de prison, deux mille francs d'amende, dix ans de surveillance et quatre ans d'interdiction des droits civils23. Kropotkine, Gautier, Bernard et Bordat, les militants les plus connus des soixante six accusés sont soumis à la plus extrême des condamnations, considérées comme lourdes pour une affaire de délit d'opinion24. Nous reproduisons en détail dans un tableau présenté en annexe de ce chapitre les différentes peines auxquelles sont condamnés les militants et ainsi constater la sévérité du jugement. Est-il en adéquation avec les dispositions prévues par la loi Dufaure de 1872 ?

Il est donc nécessaire de regarder de plus près le contenu de cette loi du nom du garde des Sceaux de l'époque et votée le 14 mars 1872 un an après l'écrasement de la Commune de Paris par le gouvernement de « l'ordre moral ». Le texte de cette législation visant à interdire l'Association Internationale des Travailleurs est reproduit en annexe de ce chapitre. Or nous constatons que l'article deux prévoit pour affiliation à l'AIT une peine de trois mois à deux

21 Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon..., op.cit., p.65.

22 Toussaint Bordat, et al., Le procès des anarchistes..., p.84.

23 Ibid., p.134.

24 Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit.., p.173.

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ans de prison, une amende de 50 à 4000 francs ainsi qu'une privation des droits civils pendant cinq ans au moins et dix ans au plus pour tout français ou étranger25. Aussi, les membres qui « auront accepté une fonction dans une de ces associations ou qui auront sciemment concouru à son développement, soit en recevant ou en provoquant à son profit des souscriptions » peuvent être soumis à une peine de cinq ans de prison, à une amende de 2000 francs et à la surveillance de la haute-police pour cinq ans au moins et dix ans au plus d'après l'article trois26. Le jugement apparaît donc conforme à ce qui est prévu par la loi, néanmoins nous pouvons nous demander si cette dernière est digne d'une République libérale. Au moment de sa promulgation en mars 1872, elle a suscité de nombreux débats et a été dénoncée par les Républicains alors minoritaires à la Chambre. Par exemple, le député syndicaliste et ancien membre de l'AIT Henri Tolain développe une longue argumentation le 4 mars 1872 contre la législation, insistant sur le fait que l'Internationale est devenue un bouc émissaire universel27. Deux jours plus tard, c'est le célèbre député socialiste Louis Blanc qui reproche à la loi de ne pas condamner des actes mais des doctrines et donc de créer un « délit intellectuel »28. Enfin, le 14 mars 1872, dernier jour de débats à la Chambre avant l'adoption de la loi, les discussions se concentrent sur la liberté des ouvriers à s'organiser ainsi que leur place dans le système capitaliste. Henri Tolain s'empresse alors de déclarer : « Il est légitime que les ouvriers puissent s'entendre et se concerter pour la défense de leur salaire ; mais il est illégitime, il est dangereux, il est coupable qu'ils puissent suspendre le travail »29. Le député de la Seine insiste donc sur la question de la liberté d'opinion qui est au centre de cette loi. Ceci n'empêche pas la Chambre d'adopter l'article premier de la loi ce jour là à 493 voix pour et 106 contre30. Cependant, son utilisation lors du procès des anarchistes à Lyon en janvier 1883 fait ressurgir les débats sur la liberté d'expression qui divisent le camp républicain au pouvoir.

25 Loi Dufaure, 14 mars 1872, Art.2.Voir Annexe 3.

26 Loi Dufaure, 14 mars 1872, Art.3.Voir Annexe 3.

27 Voir la séance du 4 mars 1872, Journal Officiel de la République Française, 5 mars 1872, p.1568.

28 Voir la séance du 6 mars 1872, Journal Officiel de la République Française, 7 mars 1872, p.1615.

29 Henri Tolain à la Chambre des députés le 13 mars 1872, Journal Officiel de la République Française, 14 mars 1872, p.1809.

30 Ibid., p.1814.

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Dès leur arrivée au pouvoir en 1879, les opportunistes accordent l'amnistie aux communards mais ne remettent pas en cause la loi Dufaure. Il faut y voir ici la volonté d'unifier la nation française à la suite de l'installation définitive de la République et non de rétablir l'Internationale qui continue à diviser les citoyens autant que la classe politique. Cependant, le procès de Lyon et l'application de la loi du 14 mars réactive les tensions qui divisent le camp républicain à la Chambre, qui s'expriment publiquement dans les journaux de l'époque.

B) Un procès et une doctrine anarchiste largement débattus

Comme nous interrogeons la contradiction qui existe entre la tenue d'un procès d'opinion et les valeurs libérales prônées par le nouveau régime, nous cherchons à avoir la vision du gouvernement opportuniste et de ses opposants politiques sur l'événement de 1883. Or, c`est à la lecture des journaux de l'époque que nous pouvons déterminer l'opinion des différentes forces politiques à propos de l'instruction des anarchistes31.

Dans un premier temps, nous constatons que les journaux conservateurs et républicains dressent des portraits peu flatteurs des militants anarchistes. Le Courrier de Lyon organe précédemment orléaniste mais apparemment républicain modéré durant cette période32 décrit les militants comme des « Inconscients qui portent sur le front la preuve palpable de leur déformation intellectuelle »33. De son côté, Le Progrès, connu pour son républicanisme et le soutien qu'il témoigne au régime en place, considère les anarchistes comme « de pauvre diables au cerveau mal équilibré »34. Pour sa part, Le Nouvelliste, quotidien ouvertement clérical et royaliste, s'en prend au philosophe Pierre Kropotkine écrivant que « (ses) utopies contrastent singulièrement avec celles qui germent généralement dans un cerveau bien équilibre »35. Si ces feuilles d'horizons politiques différents diffusent une image des accusés très similaire, elles'opposent définitivement lorsqu'il en vient de proposer une analyse de la

31 Les journaux et articles cités par la suite sont tiré du mémoire de Laurent Gallet Le mouvement anarchiste et la presse lyonnaise: le procès des 66 de 1883 et de la synthès publiée sur le site rebellyon.info : https://rebellyon.info/La-presse-lyonnaise-et-les#nb19

32 D'après Laurent Gallet dans Le mouvement anarchiste et la presse lyonnaise..., (non paginé).

33 Le Courrier de Lyon, 11 janvier 1883.

34 Le Progrès, 20 janvier 1883.

35 Le Nouvelliste, 16 janvier 1883.

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doctrine anarchiste. Ainsi, les périodiques les plus conservateurs n'hésitent pas à attribuer au régime Républicain la paternité du mouvement révolutionnaire36. La Décentralisation, organe légitimiste réduit la pensée libertaire à une « théorie républicaine poussée jusqu'au bout »37. Le Salut public, d'obédience cléricale et monarchiste, écrit « entre la doctrine de Monsieur Ferry et celle de l'anarchiste Gautier, on s'aperçoit qu'il n'y a que des nuances (...) ce sont les enfants du même père ; ils ont été nourris au même lait »38. Le journal bonapartiste La Comédie Politique va même jusqu'à affirmer que l'anarchisme est une fiction créée de toute pièce par le gouvernement opportuniste cherchant à se légitimer39. En réponse à ces accusations, les journaux républicains reprochent aux précédents régimes de nourrir la doctrine anarchiste, à l'instar du Courrier de Lyon: « (...) ce n'est pas la république qui les [anarchistes] a faits. Ils ont appris ce qu'ils savent sous l'Empire (...) la république est obligée de prendre ses précautions pour se garder des plus dangereux produits de la société impérialiste et de l'éducation impériale d'autrefois »40. Et une dizaine de jours après avoir attaqué le Second Empire, le quotidien républicain modéré accuse les anarchistes du procès de Lyon de s'être alliés avec les Monarchistes en faisant appel à des « avocats royalistes » d'après le journal, dans le seul but de faire tomber la République41. Ainsi, chaque camp politique instrumentalise le mouvement anarchiste pour attaquer et décrédibiliser son adversaire.

Analysons maintenant les réactions de ces différents journaux à l'annonce du verdict et leurs avis sur les condamnations - très lourdes pour certaines - qui concernent soixante-et-un des soixante six prévenus. Les journaux soutenant le gouvernement opportuniste trouvent que le verdict est adéquat et appellent la République à montrer l'exemple dans la lutte contre « les ennemis de l'intérieur ». En effet, Le Rhône estime que le procès est un moyen pour la République de « rallier au régime actuel bien des conservateurs qui ne voyaient le salut de la France que dans une réaction monarchique, seule capable, d'après eux, de garantir la sécurité

36 Laurent Gallet, Le mouvement anarchiste et la presse lyonnaise..., op.cit., (non paginé).

37 La Décentralisation, 17 janvier 1883.

38 Le Salut public, 15 janvier 1883.

39 La Comédie Politique, 25 mars 1883.

40 Le Courrier de Lyon, 11 janvier 1883.

41 Le Courrier de Lyon., 25 janvier 1883.

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du pays »42. Le Courrier de Lyon accepte aussi ce jugement qui permet de légitimer le nouveau régime : « Si l'on avait renvoyé indemnes les anarchistes du procès de Lyon, il est incontestable que la société ne se serait pas crue défendue par les lois actuelles ; Et les feuilles réactionnaires auraient beau jeu à crier : voilà ce que la République nous vaut ! » 43. Du côté des organes conservateurs, les avis sont moins uniformes. L'Eclair, journal catholique, estime à la suite du procès en appel que les accusés n'ont pas suffisamment été punis44. Cependant, Le Salut public fait le choix de remettre en cause l'intérêt de l'affaire qui n'est « pas aussi grande qu'on pouvait le supposer »45. Ainsi, l'étude de la presse lyonnaise au moment de la tenue du procès des 66 révèle que la question anarchiste complexifie le traditionnel clivage conservateurs/ républicains. Comme l'explique Laurent Gallet, « la presse républicaine modérée cherche à légitimer le procès en affirmant que l'Internationale complote contre la sécurité du pays » alors que les oppositions de gauche comme de droite estiment que « ce procès n'a pas de raison d'être ; il est un simple faire-valoir nécessaire au maintien du gouvernement »46.

Par ailleurs, si nous insistons sur les articles parus dans les journaux à l'époque c'est parce qu'ils illustrent clairement les positions des différents groupes politiques. En étudiant ci-dessous les débats que peut susciter le procès des 66 à la Chambre des députés, nous constatons avant tout les divisions qui traversent le camp républicain. Le 23 janvier 1883, soit quatre jours après le verdict rendu par le tribunal correctionnel de Lyon, les députés discutent au palais bourbon une loi relative à la réforme de la justice dont la question de l'inamovibilité des magistrats. Le député radical Georges Clemenceau en profite alors pour qualifier de « procès politiques » les instructions de Lyon et de Montceau, condamnant des « malheureux pour avoir exprimé des opinions et sans qu'aucun fait ait été relevé contre eux »47. Puis, quelques jours plus tard, le représentant du 18e arrondissement de Paris reprend

42 Le Rhône, 22 janvier 1883.

43 Le Courrier de Lyon, 15 mars 1883.

44 L'Eclair, 17 mars 1883.

45 Le Salut public, 9 janvier 1883.

46 Laurent Gallet, Le mouvement anarchiste et la presse lyonnaise..., op.cit., (non paginé).

47 Georges Clemenceau à la Chambre des députés le 23 janvier 1883, Journal Officiel de la République Française, 24 janvier 1883, p.115.

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la parole pour dénoncer la stratégie des opportunistes consistant à réprimer les opposants du régime pour se légitimer. Il accuse en effet les opportunistes de renoncer aux doctrines libérales instaurées par la Révolution française avant de déclarer : « Vous croyez ainsi montrer que vous êtes, comme on dit, des hommes de gouvernement ; vous montrez seulement que vous êtes des hommes d'autorité absolue »48. Clemenceau rejette l'idée que la pratique du pouvoir doit remettre en cause les valeurs sur lesquelles les républicains se sont fait élire. Les soutiens du gouvernement se retrouvent alors à défendre le verdict répressif du procès des 66 qui rentre directement en contradiction avec la République. Ce qui permet à Louis Andrieux de déclarer devant la Chambre toute la haine que lui inspire le mouvement anarchiste. Alors que l'assemblée débat sur « la situation des membres des familles qui ont régné en France», l'ancien préfet de Police redevenu « simple » député du Rhône prononce les paroles suivantes :

« Les hommes qui ont incendié Paris et ceux qui ont assassiné les otages ne sont pas des citoyens ! Ceux qui, dans les réunions publiques, ceux qui, dans les journaux, nient l'idée de patrie ne sont pas des citoyens ! Les membres des associations internationales ne sont pas des citoyens. Je le répète, avec ces distinctions subtiles, on peut justifier toutes les mesures arbitraires, toutes les mesures contre la liberté49

Les tensions politiques qui se sont cristallisées autour du procès de Lyon réapparaissent à la Chambre et soulignent l'échec des opportunistes dans leur tentative d'unifier le camp républicain. Cette opposition révèle aussi la volonté du gouvernement d'apparaître comme légitime aux yeux d'une société bourgeoise par sa capacité à maintenir l'ordre. Par conséquent, lorsque le député de gauche radical Henri Maret dépose une proposition de loi d'amnistie pour les condamnés de Lyon et Montceau-les-Mines, Waldeck-Rousseau refuse en faisant appel à l'argument de l'autorité du pouvoir exécutif :

« Nous ne croyons pas qu'il y ait lieu de voter la proposition de l'honorable M. Maret ; non pas que nous ayons le moins du monde l'intention de crier au péril social, - la société française n'est pas en péril par les anarchistes, -mais de ce que la société n'est pas en péril je ne pense pas qu'il s'ensuive que les lois doivent rester vaines (...) Dans ce prétendu mouvement anarchiste, vous trouverez un certain nombre d'individualités, une poignée de factieux, quelques malfaiteurs, quelques malades ; vous ne trouverez rien qui, de près ou de loin, puisse représenter un parti dans la nation... et par conséquent on peut envisager ces faits avec autant de sécurité et d'aversion.

48 Georges Clemenceau à la Chambre des députés le 27 janvier 1883, Journal Officiel de la République Française, 28 janvier 1883, p.154.

49 Louis Andrieux à la Chambre des députés le 1er février 1883, Journal Officiel de la République Française, 2 février 1883, p.206.

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Mais quand il s'agit d'un acte politique, quand il s'agit de savoir si l'on est en présence de personnes qui méritent une mesure de clémence comme l'amnistie, j'affirme qu'il faut se souvenir de ce qu'ils sont, se rappeler ce qu'ils ont dit et ne pas leur faire dans votre clémence et dans votre pitié une part qu'ils n'ont certes pas encore méritée50. »

Le ministre de l'Intérieur n'accorde aucun crédit à une menace anarchiste capable de renverser l'ordre social bourgeois, mais en fait un exemple de la démonstration du monopole de la violence légitime du pouvoir républicain. Et dans sa volonté d'asseoir son autorité, le gouvernement considère légitime de bafouer le principe de liberté d'opinion pourtant fondateur du régime. Par ailleurs, ces paroles de Waldeck-Rousseau sont en totale adéquation avec les arguments avancés par la presse républicaine en faveur du jugement.

En somme, au delà de la condamnation du mouvement anarchiste, c'est la question de la liberté d'opinion et des principes établis par les lois de 1881 qui entrent en jeux. Le gouvernement arrivé au pouvoir en 1879 se retrouve pour la première fois à faire un choix entre ses valeurs libérales et le besoin d'asseoir sa légitimité. La machine d'État dévoile qu'elle ne se repose pas seulement sur la technostructure policière mais que l'administration judiciaire a aussi un rôle à jouer dans la politique du maintien de l'ordre au début des années 1880.

4.2 - La magistrature, autre acteur de la répression politique

Nous constatons que les discussions à la Chambre des députés au moment du procès des 66 s'inscrivent toujours dans un débat plus large concernant la réforme de la justice. Par conséquent, pour saisir tous les enjeux liés à la répression du mouvement anarchiste au début des années 1880, il nous faut nous intéresser de plus près à l'institution judiciaire. Celle-ci permet d'étendre l'analyse de la technostructure du maintien de l'ordre en interrogeant la place des magistrats dans l'appareil d'État républicain. Si la notion d'indépendance de la justice fait partie intégrante de l'idéologie libérale, ce principe fondamental est mis à l'épreuve par l'administration judiciaire D'une part, les travaux de Royer et Machelon révèlent la limite de l'épuration des cadres juridiques à l'instar de ceux de la haute police et

50Pierre Waldeck-Rousseau à la Chambre des députés le 19 mars 1883, Journal Officiel de la République Française, 20 mars 1883, p.665.

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présentent la magistrature comme un corps relativement conservateur51. D'autre part, les dossiers des magistrats conservés aux AN retracent le parcours d'hommes souvent en fonction sous le second empire récompensés pour avoir traduit en justice les anarchistes de Lyon52. Ces éléments nous permettent alors d'étudier la dimension politique de la justice sous la Troisième République.

A) Encore un héritage du régime impérial ?

« La notion de justice politique a toujours suscité une grande répugnance chez les esprits libéraux » écrit le juriste Jean-Pierre Machelon dans son ouvrage La République contre les libertés ?53. Partant de ce postulat, il est logique de trouver dans la tradition républicaine une opposition de principe à ce concept. Or, en 1883, seuls les députés les plus radicaux semblent encore attacher de la valeur à un pouvoir judiciaire indépendant, les opportunistes trouvant un intérêt politique à faire de la justice une autre composante de la machine d'État.

Comme pour l'administration policière, il est nécessaire de s'interroger sur une possible épuration des institutions judiciaires par les républicains en 1879 et plus particulièrement sur le corps de la magistrature dont les « compromissions avec l'ordre impérial » n'ont pas été oubliées par les plus libéraux54. Le débat sur la réforme de l'organisation judicaire qui se tient à la Chambre tout au long de l'année 1883 fait écho aux positions des députés les plus radicaux. Ainsi, Camille Pelletan argumentant en faveur d'un changement en profondeur de la magistrature en profite pour évoquer les liens de ses membres avec le Second Empire :

« Et alors, messieurs, je me rappelais ces longues protestations contre la magistrature inamovible qui remplissent les programmes politiques depuis le commencement de ce siècle. Je me rappelais le rôle politique de la magistrature depuis le jour où elle a bien un peu traîné sa robe dans la boue

51 Jean-Pierre Royer et al. Histoire de la justice en France: du XVIIIe siècle à nos jours. Puf, 2016. et Jean-Pierre Machelon, « L'épuration Républicaine. La loi du 30 août 1883 » dans L'épuration de la magistrature de la Révolution à la Libération: 150 ans d'histoire judiciaire, Éd. Loysel, 1994, p.87-100.

52 AN, BB 6 (II). Dossiers de carrière des magistrats.

53 Jean-Pierre Machelon, La République contre les libertés ?..., op.cit., p.130.

54 Jean-Pierre Royer et al., Histoire de la justice en France..., op.cit., p.689.

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de décembre, jusqu'à celui où elle a dépassé, par son concours exubérant, les espérances et peut-être même les désirs des chefs du gouvernement de l'ordre moral55. »

Néanmoins, la question de l'épuration de la magistrature, à l'instar de celle de la police, se pose à chaque changement de régime. Ainsi, dès le début de l'année 1871 le ministre de la justice de la Défense Nationale, Adolphe Crémieux, fait passer deux décrets écartant les magistrats ayant participé aux commissions mixtes de 185256. A la suite de la victoire de Thiers à l'Assemblée fin février 1871, Jules Dufaure est nommé garde des Sceaux et fait voter un texte le 25 mars de la même année pour annuler les décrets Crémieux57. Par ailleurs, l'inamovibilité des magistrats n'est pas remise en cause durant cette période, et lorsque Dufaure est nommé président du conseil en 1877 il s'attaque aux réformes mises en place à la chute de l'Empire pour préserver une magistrature à tendance conservatrice en accord avec l'opinion de la société française de cette période58. Nous pouvons ici faire un parallèle avec les épurations et les contres épurations qui ont touché la direction de la Sûreté Générale en 1870 directement liées au changement de majorité59. En 1873, lors du retour du gouvernement de l'ordre moral, la magistrature se ferme aux candidats républicains60. Les tensions politiques qui marquent l'année 1877 voient l'institution judiciaire se faire instrumentaliser par le pouvoir conservateur promouvant des avocats à tendance Bonapartiste61. La victoire des Républicains par la suite permet à Jules Dufaure de reprendre son poste de ministre de la justice mais sa réforme reste modérée - il écarte seulement les magistrats les plus notoirement antirépublicains - et ne remet pas en cause la question de l'inamovibilité de ce corps de

55 Camille Pelletan à la Chambre des députés le 28 mai 1883, Journal Officiel de la République Française, 29 mai 1883, p.1089.

56 Association française pour l'histoire de la justice, L'épuration de la magistrature de la Révolution à la Libération: 150 ans d'histoire judiciaire, ed. Loysel, 1994, p.70-71.

57 Ibid., p.75.

58 Ibid., p.77.

59 cf. Chapitre 2.

60 Association française pour l'histoire de la justice, L'épuration de la magistrature de la Révolution à la Libération..., op.cit. p.78-79.

61 Ibid., p.79-80.

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justice62. La similarité avec l'appareil policier est flagrante : les opportunistes s'attaquent à la réforme du personnel qui a une dimension publique mais ne contestent pas les fondements de l'institution. La machine d'État se constitue largement des institutions instaurées par les régimes précédents.

Cependant, en comparaison avec les mandats de Jules Dufaure, cette question de la réforme de la magistrature semble être au centre des réflexions républicaines dès la fin des années 1870, puisque Jules Grévy déclare dès 1878 : « Je ne connais qu'une réforme à réaliser dans la magistrature, c'est sa suppression » 63. Par la suite, ce débat va se cristalliser autour de la contradiction qui existe entre la République et l'inamovibilité de certains corps judiciaires64. Ainsi, la loi du 30 août 1883 révèle que les républicains au pouvoir ne prennent pas de décisions définitives concernant cette réforme, puisqu'ils se prononcent seulement pour la suspension d'une durée de trois mois des magistrats65, continuant à entretenir une relation ambiguë avec cette institution dépendante du pouvoir exécutif. Jules Ferry, alors président du conseil, assure la même année que lui et les opportunistes demandent « des magistrats respectueux des institutions républicaines, non des magistrats de combat »66. La question d'une épuration de la magistrature à défaut de sa suppression apparaît comme la stratégie privilégiée par le nouveau gouvernement. C'est dans cette logique que s'inscrit le remplacement d'une grande partie du personnel du parquet peu de temps après la nomination d'Henry Waddington à la présidence du conseil en 187967. Selon, Jean-Pierre Royer et ses coauteurs, malgré les débats qu'elle a pu susciter, la loi du 30 août 1883 à entraîné l'éviction de plus de 900 magistrats68. Remettant en cause les propos de Ferry, Machelon considère que la loi est un « texte de combat qui ne dit pas son nom »69 et s'apparente à une épuration brutale

62 Ibid., p.81.

63 Cité par Jean-Pierre Royer et al., Histoire de la justice en France : du XVIIIe siècle à nos jours, op.cit., p.691. 64Ibid., p.696.

65 Ibid., p.698-699.

66Ibid., p.700.

67 Ibid., p.706.

68 Ibid., p.710.

69Association française pour l'histoire de la justice, L'épuration de la magistrature de la Révolution à la Libération..., op.cit., p.89.

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pour les 600 magistrats dont les postes ont été supprimés à la suite de la suspension de l'inamovibilité70. Néanmoins, les protestions des radicaux peuvent être considérées comme légitimes puisque la réforme des opportunistes ne rompt pas avec le système de « patronage politique » cher aux régimes précédents, car la nomination des candidats reste l'apanage du gouvernement71. De plus, Jean-Pierre Machelon relativise largement l'impact qu'a la législation sur « l'amélioration du statut des magistrats »72. Le juriste reproche notamment aux opportunistes leur manque d'ambition réformatrice en 1883, conservant à leur avantage la servilité du juge au gouvernement qui l'emploie73. Ceci transparaît directement dans le refus de l'élection de la magistrature, confirmant de la même façon des pratiques de nominations héritées de gouvernements autoritaires. Jean-Pierre Machelon souligne enfin les contradictions de la loi du 30 août 1883 qui permettent aux opportunistes de maintenir la magistrature dans leur giron en se contentant de l'épuration74. De la même façon, la suppression des postes permet l'élimination des magistrats les plus conservateurs75. Jules Simon reproche donc au gouvernement de faire cette « réforme pour faire sortir de la magistrature les magistrats dont les opinions ne sont pas conformes aux nôtres »76. Le lendemain, le garde des Sceaux Felix Martin-Feuillé réplique que la loi permet d'écarter les magistrats les plus hostiles à la République tout en conservant leur indépendance et que le rapporteur du projet affirme qu'un gouvernement ne peut pas « conserver dans des fonctions publiques ses adversaires »77. Machelon conclut pour sa part que la loi du 30 août s'est

70 Ibid., p.94.

71 Ibid., p.723.

72 Jean-Pierre Machelon, La République contre les libertés?..., op.cit., p.77.

73 Ibid., p.80.

74Association française pour l'histoire de la justice, L'épuration de la magistrature de la Révolution à la Libération..., op.cit., p.90.

75 Ibid., p.94.

76 Jules Simon au Sénat le 19 juillet 1883, Journal Officiel de la République Française, 20 juillet 1883, p.938.

77 Felix Martin-Feuillé au Sénat le 20 juillet 1883, Journal Officiel. Débats parlementaires. Sénat, 21 juillet 1883, p.937-953.

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appliquée « dans des conditions désastreuses pour l'indépendance de la magistrature »78 en reprenant les mots de Théodore Zeldin affirmant que la Troisième République a fait des magistrats « plutôt des fonctionnaires que des arbitres indépendants »79.

Si les plus remarquables collaborateurs de l'Empire ont bien été écartés par cette législation de reforme de la justice, les républicains ne remettent pas en cause l'inamovibilité des magistrats. Ce corps judiciaire reste donc attaché à l'État et le procès des 66 révèle alors l'intérêt pour les « fonctionnaires » de justice de se conformer à la volonté du gouvernement républicain.

B) Les magistrats : fonctionnaires de l'État avant tout ?

La Troisième République a fait de la justice un instrument au service du pouvoir exécutif. Au delà de la contradiction que représente cette dépendance des magistrats dans un régime libéral, il est nécessaire de noter que ce corps judiciaire est plus politique que l'appareil policier. Quel rôle a alors pu jour cette magistrature réunie autour du triptyque « religion, famille, propriété »80 dans le procès des anarchistes qui précède la loi du 30 août 1883 ?

Jean-Pierre Machelon considère que les juges en charge de l'instruction ont largement bénéficié de la « confiance » du pouvoir exécutif pour démanteler le « parti anarchiste »81. Malgré le manque de preuves, la plupart des militants ont été condamnés à la peine maximale prévue par la loi Dufaure, ce qui d'après le juriste révèle la collusion entre le gouvernement et les membres de la classe judiciaire lyonnaise82. Néanmoins, cet argument peut paraître un peu faible, et notre démarche d'historien nous pousse à aller chercher dans les archives une trace de cette complicité. Nous avons alors pris le temps de consulter les dossiers de carrières des

78 Association française pour l'histoire de la justice, L'épuration de la magistrature de la Révolution à la Libération..., op.cit. , p.100.

79 Ibid., p.100

80 Ibid., p.88

81 Jean-Pierre Machelon, La République contre les libertés?.., op.cit., p.423.

82 Ibid., p.424.

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magistrats impliqués dans le procès des 66 conservés aux Archives Nationales83. Cette source de l'histoire politique peu exploitée met en lumière la composition sociale du corps de la magistrature tout en soulignant l'ambiguïté qui la lie au pouvoir exécutif.

Les archives révèlent que ces « fonctionnaires » ont souvent bénéficié du soutien de la part de personnalités des pouvoirs publics et le rôle qu'ils ont joué dans la répression des militants libertaires en 1883 a tendance à influencer positivement leur carrière84. Le premier dossier que nous avons consulté est celui d'Edouard Bloch, alors Avocat Général à Lyon au moment du procès des 66 puis devenu procureur dans cette même ville à partir de 188585. Son premier poste à Lyon, il le doit en partie au soutien du sous secrétaire d'État aux travaux publics, David Raynal, et du sénateur Edouard Millaud qui adresse une note au garde des Sceaux pour recommander Edouard Bloch86. Ce document vient ainsi confirmer la thèse selon laquelle le corps de la magistrature souffre de l'héritage des régimes précédents basés sur le « copinage politique » et non les nominations démocratiques87. Ceci démontre qu'au début de la Troisième République, la séparation des pouvoirs judicaires et exécutifs n'est pas une priorité. De plus, dans une lettre de recommandation envoyée au ministre de la justice, David Raynal qualifie Bloch de « républicain effronté »88, pouvant sous-entendre qu'il est qualifié pour répondre aux attentes du gouvernement. L'avocat général de Lyon fait aussi l'objet de compliments de la part de ses collègues, à l'instar de Fabreguette procureur général de la ville au moment de la répression des anarchistes. Il félicite en effet Edouard Bloch pour le réquisitoire qu'il a mené lors du procès d'Antoine Cyvoct en décembre 1883, insistant sur son éloquence supérieure à celle de Laguerre, le défenseur du jeune militant89. Si Bloch a pour sa

83 AN, BB 6 (II). Dossiers de carrière des magistrats ; nous remercions Laurent Gallet de nous avoir indiqué cette source.

84 On a consulté aux AN les dossiers suivants : BB 6(II)/453. Edouard Bloch ; BB 6(II)/477. Joseph-Ernest Cuaz ; BB 6(II)/525. Louis-François-Denis-Melchior Jacomet ; BB 6(II)/583. Jean-Marie-Clotilde-Eugène Rigot ; BB 6(II)/607. Jean-Baptiste Vial.

85 AN, BB 6(II)/453. Edouard Bloch.

86Ibid. « Note pour Monsieur Le Garde des Seaux », Paris, le 29 mai 1881.

87 Jean-Pierre Royer et al., Histoire de la justice en France : du XVIIIe siècle à nos jours, op.cit., p.723.

88 AN, BB 6(II)/453, Lettre de David Raynal, 30 octobre 1880.

89Ibid. Note de Fabreguette, procureur Général à Lyon, le 13 décembre 1883.

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part commencé sa carrière de magistrat au tout début de la Troisième République 90, on constate que plusieurs « fonctionnaires » impliqués dans le procès des anarchistes ont en fait débuté sous l'empire. C'est le cas de Joseph-Ernest Cuaz, qui a commencé sa carrière en août 1869 pour être finalement nommé juge d'instruction à Lyon en décembre 187991. Dans son dossier de candidature pour la place de Conseiller à Lyon à laquelle il postule en 1886, il est indiqué qu'il a « donné plus d'une fois ses gages au gouvernement de la République qu'il sert loyalement »92, expliquant pourquoi il a échappé à la vague d'épuration menée par les opportunistes. Cependant, l'année suivante, Cuaz et Rigot - un autre magistrat du procès des 66 - subissent une campagne de dénonciations anonymes les accusant d'être hostiles au gouvernement :

« Ces deux personnages [Rigot et Cuaz] sont très antipathiques aux institutions du Gouvernement actuel, et l'affichent hautement. Tout en faisant un indigne commerce très lucratif de leur situation judiciaire, au détriment de la véritable justice (...) Ils passent une partie de leur temps dans le Cercle de la rue de la République (...) et finissent très souvent le restant [de leurs nuits] dans des maisons malfamées, en compagnie de la fange du peuple (...) Le dit Cercle est composé de personnages réactionnaires au régime de la nation et profitant de toutes les occasions possibles pour donner des fêtes extraordinaires, toutes les fois que ces fêtes peuvent être considérés comme Antipatriotiques. Alors même que pendant les fêtes nationales ils s'abstiennent complètement, et usent de tout leur pouvoir pour entraver l'élan du public93

Malgré une défense des deux magistrats rédigée par le président de la cour d'appel de Lyon assurant leur dévouement au gouvernement94, Joseph-Ernest Cuaz n'est jamais décoré.

Ce n'est pas le cas de Jean Marie Clotilde Eugène Rigot, nommé chevalier de la légion d'honneur le 13 juillet 189395. Le cas de ce magistrat ayant commencé sa carrière sous le Second Empire et échappant à l'épuration déclenchée par la loi du 30 août 1883, illustre

90 Edouard Bloch commence sa carrière comme substitut du procureur à Tour en décembre 1870. Voir AN, BB 6(II)/453.

91 AN, BB 6 (II)/477. Joseph-Ernest Cuaz.

92Ibid. « Présentation du Procureur Général et du Premier Président pour la place de Conseiller à Lyon en remplacement de M. Fabre décédé. »

93 Ibid. Lettre anonyme adressée au Ministre de la Justice et transmisse le 24 mai 1887 au président de la cour d'appel de Lyon.

94 AN, BB 6 (II)/477. Lettre du Président de la cour d'appel de Lyon au Ministre e la justice, le 23 juillet 1887.

95 AN, BB 6 (II)/583. Jean Marie Clotilde Eugène Rigot. Voir aussi son dossier de légion d'honneur conservé sous la cote LH/2332/1 et accessible en ligne via la base Léonore.

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particulièrement bien l'ambiguïté qui existe entre ce corps de justice et les gouvernements dont ils dépendent. Tout d'abord, nous retrouvons dans son dossier de nombreuses lettres de recommandations durant la période précédent le passage à la République questionnant son attachement idéologique à l'Empire. En effet, dans une lettre en date du 29 janvier 1857 - donc avant que Rigot ne fasse partie de la magistrature - le procureur général de Nîmes indique au garde des Sceaux que « Mr. Rigot est trop jeune pour avoir engagé des opinions politiques, avant les grands événements qui ont récemment fixé le sort de la France » ajoutant cependant qu'il a les mêmes sentiments concernant le pouvoir impérial que son parent, le député Curnier96. Ce dernier semble être le député Léonce Curnier, représentant du département du Gard entre 1852 et 1853 et siégeant parmi le groupe de la majorité dynastique. D'abord soutien du général Cavaignac en 1848, il oeuvre par la suite au rétablissement de l'Empire97. L'année suivante, le Procureur Général de Nîmes dresse un portrait élogieux du jeune substitut Rigot mais indique que son « dévouement à la personne ou au gouvernement de l'empereur n'est pas équivoque »98. Cependant, quelques mois plus tard, dans le cadre d'une recommandation pour un poste de substitut au procureur, il conclut la présentation positive qu'il fait de l'avocat par cette phrase : « Mr. Rigot est dévoué au Gouvernement impérial »99. Ces formules souvent présentes en fin de lettre, apparaissent comme une forme de gage attendu par le gouvernement impérial s'assurant ainsi d'avoir à son service des magistrats compatibles avec l'Empire. Rigot ne subissant pas l'épuration de 1879, il est intéressant de voir quels sont les avis du pouvoir républicain sur ce magistrat. Ceci ne l'a pas empêché de poursuivre sa carrière car, comme l'indique une note produite par le ministère de la justice en 1884, il n'est « pas républicain, mais ne s'est jamais compromis »100. Ceci est confirmé par une notice individuelle datée de la même année le concernant : « Ses tendances politiques ne sont pas ardemment républicaines mais son attitude est et sera toujours d'une correction parfaite. Nous avons constamment trouvé en lui un collaborateur loyal et

96 Ibid. Lettre du procureur général de Nîmes au Gardes des Sceaux, 29 janvier 1857.

97 Voir la notice de Léonce Curnier en ligne sur la base donnée des députés français : http://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/%28num dept%29/9576

98 AN, BB 6 (II)/583. Lettre du Procureur Général fait au parquet de la cour de Nîmes le 10 avril 1858.

99 AN, BB 6 (II)/583. Lettre du Procureur Général fait au parquet de la cour de Nîmes le 30 novembre 1858.

100Ibid. « Ministère de la Justice et des Cultes - 1884, Rigot Jean Marie Clotilde Eugène, 57 ans, Juge d'instruction à Lyon ».

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dévoué »101. Par ailleurs, concernant les dénonciations anonymes dont Rigot et Cuaz ont fait l'objet en 1887, une note retrouvée dans le dossier du premier indique qu'elles sont tout à fait fausses102. Cependant, on peut se demander si le magistrat originaire de l'Hérault ne jouit pas d'une certaine approbation de la part du gouvernement républicain car il a participé à la répression des anarchistes de Lyon en 1883. Dans la note du ministère de la justice citée précédemment, il est en effet indiqué que Rigot « a instruit en novembre 1883 avec zèle et abnégation l'affaire de la fédération révolutionnaire Lyonnaise »103. C'est cependant par les mots de Fabreguette, Procureur Général de Lyon, dans une présentation le concernant rédigée en juin 1883, que l'on peut trouver une trace de collusion avec le gouvernement républicain :

« Lorsque des poursuites ont été introduites, au mois de novembre dernier, contre la fédération révolutionnaire Lyonnaise, affiliée à l'association internationale des travailleurs, cette information délicate et laborieuse lui [Rigot] a été confiée. M. le garde des Sceaux Devès, qui était bien renseigné, m'avertissait que c'était le seul juge instructeur capable de mener à bien une procédure aussi difficile. Il me déclara même que la Chancellerie avait résolu de récompenser M. Rigot si celui-ci, entrant dans les juges du Gouvernement, le secondait énergiquement dans la réalisation de son oeuvre répressive104

Ces propos sous-entendent que le ministère de la Justice a instruit l'affaire du procès de Lyon dans le seul but de réprimer le mouvement anarchiste et qu'il s'est entouré de magistrats rattachés à sa cause pour mener à bien sa mission.

Enfin, la carrière d'un autre membre du parquet lyonnais au moment du procès des 66 nous permet de saisir toute l'ambiguïté de la fonction de magistrat vis-à-vis du gouvernement qui le nomme. Louis François Denis Melchior Jacomet, né en 1835, exerce les fonctions de juge à Prades à partir d'août 1866 avant d'être nommé Vice-Président de la cour d'appel de Lyon en juin 1882 puis Conseiller de cette même juridiction à partir de juin 1883 et décoré Chevalier de la Légion d'Honneur en juillet 1891105. Commençant sa carrière sous l'Empire, il demande au ministre de la Justice de le nommer juge à Prades en février 1866 en précisant qu'il « professe pour sa Majesté l'Empereur et pour la Dynastie Impériale le plus profond

101Ibid. « Ministère de la Justice - Notice Individuelle, 1884 »

102 Ibid. Note du 27 juillet 1887.

103 Ibid. « Ministère de la Justice et des Cultes - 1884, Rigot Jean Marie Clotilde Eugène, 57 ans, Juge d'instruction à Lyon ».

104 Ibid. « Présentation du Procureur Général pour la place de Conseiller à la Cour d'appel de Lyon ».

105AN, BB 6(II)/525. Louis François Denis Melchior Jacomet.

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dévouement »106. Malgré ces propos, il n'est pas écarté lors du passage à la Troisième République et nous pouvons nous demander si cette formule d'allégeance à l'Empereur reste justement une formule et non un témoignage de rattachement idéologique. D'autant plus que dans une lettre que l'avocat adresse au Sous-Secrétaire d'État en mai 1882 dans l'espoir d'obtenir un poste de conseiller à la cour d'Appel de Lyon, il écrit :

« Je suis profondément dévoué au régime actuel. Mon amour pour la République n'est pas platonique : il s'est affirmé en public, il s'est manifesté dans des écrits, et, dernièrement encore, il trouvera un écho dans la presse républicaine de Paris et de la Province. (...) Il y a environ deux ans, les membres du Cercle Républicain de St-Etienne ont bien voulu me choisir à l'unanimité pour leur Président107

Comme pour la formule concernant le régime impérial rédigée quelques années auparavant, on peut se demander si Jacomet est un républicain de conviction ou seulement un pragmatique, conscient de ce que le gouvernement opportuniste attend de lui. Ainsi, dans la présentation qu'il dresse de Jacomet pour le poste de Conseiller à la cour d'appel de Lyon, le Procureur Général Fabreguette insiste sur le dévouement du magistrat à la République « éclairé sur le Régime Impérial en 1870 » et son travail remarquable lors du procès des 66 qui lui a valu des menaces de la part de militants108. Fabreguette réitère d'ailleurs son admiration pour le magistrat l'année suivante dans la notice individuelle concernant Jacomet et dans sa présentation du candidat pour le poste de Président de Chambre à la Cour d'appel de Lyon109.

En somme, on ne peut s'empêcher de noter que le fait d'avoir servi sous le Second Empire n'empêche pas ces avocats de mener de grandes carrières sous la Troisième République, d'échapper à l'épuration du 30 août 1883 et même d'être récompensés. A travers l'instruction des militants anarchistes apparaît une justice politique, dont les membres sont entièrement dévoués à l'État et au gouvernement. Le fait d'avoir fait du procès des 66 un véritable signal envoyé aux ennemis de la République, permet aux magistrats qui ont servi

106 Ibid. Lettre de Jacomet au Ministre de la Justice, 27 février 1866.

107 Ibid.. Lettre de Jacomet au Sous-Secrétaire d'État , 21 mai 1882.

108 Ibid. « Présentation du Procureur Général pour la place de Conseiller à la Cour d'appel de Lyon - 1883 ».

109 Ibid. « Ministère de la Justice - Notice Individuelle, 1884 » et « Présentation du Procureur Général pour la place de Président de Chambre à la Cour d'appel de Lyon »

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sous le Second Empire d'être réhabilités et de profiter dans le même temps d'avancements de carrières et de distinctions honorifiques.

Au début des années 1880, les Républicains conservent et s'appuient sur une institution judiciaire dépendante du pouvoir exécutif pour réprimer le mouvement anarchiste. Malgré les contradictions de la notion de « justice politique » et les valeurs d'un gouvernement ayant revendiqué des principes libéraux, le régime installé à la suite du Second Empire est largement conditionné par les héritages du passé. Il est en effet difficile de se détacher d'une machine d'État contraignant l'ensemble des institutions du maintien de l'ordre. Cependant, si la question de l'inamovibilité des magistrats rentre en contradiction avec les lois constitutionnelles de 1875110 et nécessite une réforme plus profonde que celle proposée par la loi d'août 1883, nous constatons que les opportunistes tirent largement profit de cette dépendance du parquet. Ceci nous amène nécessairement à nous interroger sur les pratiques du pouvoir d'un gouvernement républicain subordonné à une machine d'État et en lutte permanente contre des ennemis anarchistes remettant en cause leur légitimité.

110 Association française pour l'histoire de la justice, L'épuration de la magistrature de la Révolution à la Libération: 150 ans d'histoire judiciaire, p.75.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 127

Troisième partie. Une doctrine républicaine nourrie

par la pratique du maintien de l'ordre (1884-1893)

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 128

Chapitre 5 : Le maintien de l'ordre républicain, une pratique nécessairement jacobine ?

L'étude du mouvement anarchiste au début de la Troisième République révèle l'existence d'une technostructure du maintien de l'ordre en partie héritée des anciens régimes. Or, la remettre en cause semble être une des plus grandes difficultés à laquelle les opportunistes sont confrontés. Ceci est à la fois lié à une machine d'État en charge de l'administration de la coercition légitime et à la nécessité pour le pouvoir exécutif d'asseoir son autorité. La question de l'efficacité de ces méthodes de répression se pose aussi à la suite du procès des 66 : quels impacts ont-elles eu réellement sur le mouvement anarchiste et la doctrine du maintien de l'ordre en République ?

Nous constatons que la réponse concrète à apporter pour contrer la menace libertaire de plus en plus notoire marque un tournant dans la politique répressive des opportunistes. De plus, l'institution policière se retrouve au centre de toutes les attentions et le gouvernement tente de la contrôler sur l'ensemble du territoire à l'aide de Loi Municipale de 1884. Ce chapitre étudie la forme que prend le maintien de l'ordre dans une société dans laquelle se concrétise la propagande par le fait et analyse l'impact que ces politiques répressives ont sur la pratique du pouvoir des opportunistes.

5.1 - L'après procès des 66 : mutation du mouvement anarchiste et émergence de nouveaux modes d'action

Le procès de Lyon marque autant l'opinion publique que les militants au début des années 1880. Si les réunions se multiplient pour défendre les compagnons et que les demandes de grâces affluent1, c'est dans les actes terroristes qu'il faut voir la réponse de l'anarchisme à ces condamnations. Le mouvement, se radicalisant à la suite de l'instruction des 66, fait l'objet d'une attention publique sollicitant une réponse gouvernementale. La répression du mouvement anarchiste illustre-t-elle une évolution de la pratique du pouvoir exécutif au début de la Troisième République ?

1 AN, BB 24. Mélanges ; dossiers de recours en grâce. Volume 2 (An XII-1885).

A) Actes individuels et solidarités libertaires

A la suite du procès de Lyon, des grandes figures du mouvement tels que Kropotkine, Bordat, Bernard et les militants les plus actifs de la région lyonnaise ont été écroués. Le gouvernement espérait avoir envoyé un signal fort aux compagnons de tout le pays en s'appuyant sur la législation interdisant l'Internationale. Cependant, les réunions se poursuivent dans toute la France, malgré l'interdiction de l'AIT et les mobilisations demandant la grâce des accusés affluent. Au lieu de l'enrayer, le procès des 66 a redynamiser le militantisme anarchiste, comme en témoigne le tableau 5 listant de façon non-exhaustive les actes anarchistes qui touchent la France dans les années suivant le verdict.

Tableau 5 - Actes anarchistes les plus marquants à la suite du procès des 662

Date

Actions des anarchistes

Conséquences

9 Mars 1883.

Manifestation des sans travail à Paris, pillage de trois boulangeries, - Participation de Louise Michel, Joseph Tortelier, et Émile Pouget.

Affrontement avec les forces de l'ordre - Louise Michel est arrêtée le 30 mars et condamnée à 6 ans de prison et 10 ans de surveillance de haute police.

27 Février 1884

Louis Chaves tue la mère

supérieure d'un couvent d'une banlieue de Marseille qui l'avait congédié de son emploi de jardinier - il se proclamera "anarchiste convaincu et d'action".

Louis Chaves est tué dans la fusillade avec les gendarmes venus l'arrêter.

2 Nous excluons les faits qui se produisent à Lyon durant cette période puisque qu'ils sont listés dans le tableau 6 et analysé dans la sous-partie suivante.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 129

5 mars 1886

Attentat contre la bourse de Paris organisé par Charles Gallo.

Quelques dégâts, aucun

blessé - Charles Gallo est
condamné à 20 ans de prison le 15 juillet 1886.

5 octobre 1886

Clément Duval cambriole un hôtel particulier, rue Monceau à Paris.

Revendication de la

« reprise individuelle » - Clément Duval est condamné à mort le 11 janvier 1887 avant d'être gracié et envoyé au Bagne.

Sources : Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit. ; Vivien Bouhey, Les Anarchistes contre la République...,op.cit.

C'est à Marseille qu'a lieu le premier acte de propagande par le fait post-procès des 66. Louis Chaves tue la supérieure du couvent dans lequel il était employé et blesse la sous-directrice ; il est finalement abattu par les gendarmes venus l'arrêter3. Avant de commette son acte, il a cependant transmis au journal lyonnais l'Hydre Anarchiste une lettre expliquant son geste :

« On commence par un pour arriver à cent comme dit le proverbe. Eh ! bien je veux avoir la gloire d'être le premier à commencer, et d'ouvrir la voie à ceux qui seront assez résolus (sic) pour me suivre (...) Ce n'est pas avec des paroles, ni avec du papier que nous changerons (sic) les choses existantes. Le dernier conseil que j'ai donné aux vrais anarchistes, aux anarchistes d'action, est (sic) de s'armer à mon exemple d'un bon revolver, d'un bon poignard, et d'une boîte d'allumettes. (...) Je vais commencer par incendier un couvent de religieuses, mettre à mort la supérieur et la sous-supérieure qui m'ont jeté sur le pavé (...)4

Le militant signe cette lettre par « CHAVES Louis. Anarchiste convaincu et d'action »5 et revendique ouvertement le premier acte de propagande par le fait de la Troisième République puisque les responsables de celui de l'Assommoir n'ont jamais fait la promotion de leur acte. Il est important de noter que c'est à un organe de presse lyonnais que Chaves adresse sa lettre,

3 Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.211.

4 Louis Chaves, L'Hydre Anarchiste, première année, n°3, 9 mars 1884.

5 Ibid., 9 mars 1884.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 130

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 131

considérant la ville comme l'épicentre du mouvement, d'autant plus qu'elle a bénéficié d'une attention particulière lors du procès des 66. Par ailleurs, ces propos et l'acte violent qui s'en est suivi témoignent d'une menace bien réelle et il est logique d'attendre une réponse de la part de la République. Pourtant, on ne trouve pas de traces de l'acte de Chaves aux ADR alors que la préfecture surveille les journaux de la région, ni aux Archives nationales qui contiennent un grand nombre de dossiers sur les attentats anarchistes. Cette absence de document peut s'expliquer par la volonté du pouvoir exécutif de ne pas faire la promotion de cet acte. Le gouvernement souhéité éviter de faire de Chaves un martyr pour les anarchistes étant donné qu'il a été abattu par la force publique. Ensuite, le 5 mars 1886, la bourse de Paris est la cible d'une attaque à l'acide. L'auteur des faits est Charles Gallo, récemment « converti » à l'anarchisme ; il est aussi armé d'un révolver, mais ne touche personne. Ne faisant aucun blessé, il est condamné à vingt ans de prison en juillet 18866. Enfin, il faut citer l'acte de Clément Duval, partisan de la « reprise individuelle » qui pille un hôtel particulier à Paris le 5 octobre 18867. Ce membre du groupe « La Panthère des Batignolles » théorise cette méthode de la propagande anarchiste. Il explique que c'est un moyen de résoudre par la force la question sociale en s'en prenant à la propriété, en terrorisant les bourgeois et en véhiculant la pensée libertaire à travers ce type d'actions qui à terme mènera à la révolution8. A la suite de sa condamnation, cet inconnu devient le héros des compagnons, si bien qu'une souscription est ouverte par le journal le Révolté pour permettre à sa compagne de le rejoindre au bagne en 18909. L'action anarchiste prend donc différentes formes tout au long des années 1880. La propagande écrite menée par les journaux et les réunions publiques vise à propager la doctrine libertaire, la « reprise individuelle » et les incitations aux pillages des boulangeries à Paris s'attaquent pour leur part au capitalisme et à la propriété privée, quant à la propagande par le fait, elle a pour but de préparer la révolution en terrorisant les bourgeois10.

Par ailleurs, si le procès des 66 et les condamnations qui ont touché les leaders du mouvement libertaire ont eu des conséquences directes sur les activités de propagande, ils ont mis en lumière la solidarité qui existe entre les compagnons. En effet, les partisans de

6Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.211. 7Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.183-184.

8 Vivien Bouhey, Les Anarchsites contre la République..., op.cit., p.147-148.

9 Ibid., p.186.

10 Pour plus de détails, voir le chapitre de Vivien Bouhey « L'action contre la République au cours de la décennie 1880 » dans Les Anarchsites contre la République..., op.cit, p.93-158.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 132

l'anarchisme se mobilisent pour faire des demandes de grâce et ainsi libérer plusieurs figures du mouvement. Les archives témoignent de cette pratique puisque plusieurs dossiers concernent les condamnés du tribunal correctionnel de Lyon11. Ils permettent d'étudier l'influence des différents acteurs de l'administration de la coercition légitime et de mesurer l'impact de la mobilisation populaire. Joseph Bernard, considéré comme l'un des leaders du mouvement, subit la peine la plus lourde de cinq ans de prison, 2 000 francs d'amende et dix ans de surveillance pour avoir exercé des responsabilités dans la nouvelle AIT12. Incarcéré à la prison de Clairvaux en mars 1883, il en sort dès le 28 août 1885, gracié par l'autorité judiciaire13. Pourtant, le Procureur Général Fabreguette rappelle en juillet 1884 dans un avis concernant Bernard son parcours au sein des organisations anarchistes de Lyon et Paris et s'oppose à tout commutation de peine qui « produirait le plus déplorable effet »14 selon lui. Il faut cependant croire que le parquet de la Cour d'Appel de Lyon n'a pas grande influence sur les décisions gracieuses puisque le militant est libéré l'année suivante. D'autant plus qu'en même temps qu'il rédige cet avis concernant Bernard, Fabreguette fait de même pour le cas d'Antoine Desgranges - lui aussi gracié en août 1885 - écrivant : « J'estime que son recours en grâce doit être absolument rejeté. Son admission produirait l'effet le plus déplorable dans l'opinion publique »15. Un autre document retrouvé dans les archives du ministère de la justice nous en apprend plus sur la hiérarchie administrative qui détermine ces recours en grâce16. On constate alors que les demandes de Bernard et de Desgranges, parmi celles d'autres militants, sont issues d'une proposition du ministère de l'Intérieur17, ayant potentiellement une influence supérieure à celle du Procureur Général de la Cour d'appel de Lyon. Par ailleurs, dans le dossier concernant Antoine Desgranges, plusieurs documents nous permettent de saisir les éléments de procédure des recours en grâce18. Une note confidentielle rédigée par le Directeur de la prison de Clairvaux, où le militant est emprisonné, souligne sa

11 AN, BB 24/875. Dossier 1233 - Anarchistes de Lyon.

12 cf. Chapitre 4.

13 AN, BB 24/875. Dossier 1233 - Anarchistes de Lyon, « Demande en Grâce - Bernard Joseph ».

14 Ibid. « Avis sur la mesure gracieuse proposée au profit de Bernard (Joseph) serrurier - Lyon le 31 Juillet 1884, Le Procureur Général Fabreguette ».

15 Ibid. « Avis sur la mesure gracieuse proposée au profit de Desgranges Antoine - Lyon le 31 Juillet 1884, Le Procureur Général Fabreguette ».

16 Ibid. Tableau « Ministère de la Justice - Demandes en grâce ».

17 Ibid. Tableau « Ministère de la Justice - Demandes en grâce ».

18 Ibid. « Demande en Grâce - Bernard Joseph ».

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 133

bonne conduite et précise que « sa mise en liberté ne paraîtrait nullement dangereuse »19. Puis, une lettre en date du 18 août 1885 indique que le président de la République a bien accordé une grâce de remise de peine à Antoine Desgranges et que c'est au Ministère de l'Intérieur d'assurer l'exécution de la décision20. Cependant, le Procureur Général de la Cour d'Appel de Lyon21 et le Procureur de la République22 s'assurent au nom du Garde des Sceaux de l'exécution de la décision présidentielle. Ainsi, les institutions judiciaires et policières sont impliquées dans ce processus de recours en grâce sur lequel elles exercent une grande influence.

Également, le cas de Pierre Kropotkine attire notre attention puisque le penseur de l'anarchie, disposant d'une solide réputation dans les milieux intellectuels français et étrangers, bénéficie d'une pétition demandant sa libération signée par de nombreuses personnalités23. Si de nombreux sujets anglais à l'instar du philosophe Herbert Spencer et de l'égyptologue Samuel Birch sont à l'origine de cette mobilisation, elle est aussi soutenue par Victor Hugo écrivant en marge du document : « Toutes les demandes d'amnistie m'intéressent. Celle-ci me touche vivement et je l'appuie »24. Ainsi, le 14 janvier 1886 le prince Russe est gracié entièrement25. Cette fois-ci c'est une mobilisation populaire qui fait pression sur l'administration de coercition légitime pour libérer le compagnon anarchiste. Par ailleurs, plusieurs des accusés ont bénéficié d'une remise de peine dans les deux années au plus tard suivant leur emprisonnement. Ceci est le cas de Joseph Bonthoux, Émile Gautier, Octave Liégeon, Jean-Baptiste Ricard et Charles Voisin26. A l'instar de Bernard et de Kropotkine, Toussaint Bordat, Claude Crestin, Pierre Martin et Jean Renaud bénéficient de grâce entière au mois de janvier 188627. Sur les soixante-et-un condamnés du procès de Lyon, dix d'entre eux sont libérés ou graciés entièrement dès 1886, sachant que certains purgeaient

19 Ibid. « 6 août 1885 - Maison centrale de Clairvaux - Quartier spécial - Résumé de notes du Directeur ».

20 Ibid., 18 août 1885 - Lettre de ministère de l'Intérieur adressée au Ministre de la Justice.

21Ibid., 1er septembre 1885 - Lettre du Procureur Général de la République adressée au Ministre de la Justice. 22 Ibid., 17 août 1885 - Lettre du Procureur de la République adressée au Ministre de la Justice.

23Ibid. «Demande en Grâce - Kropotkine Pierre ».

24 Ibid. «Demande en Grâce - Kropotkine Pierre ».

25 Ibid. Tableau « Ministère de la Justice - Demandes en grâce ».

26Ibid. Tableau « Ministère de la Justice - Demandes en grâce » ; voir tableau reproduit en annexe sur le procès des 66.

27 Ibid. Tableau « Ministère de la Justice - Demandes en grâce » ; voir tableau reproduit en annexe sur le procès des 66.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 134

jusqu'à 5 ans de prison, 2000 francs d'amende, 10 ans de surveillance et 4 ans de privation des droits civils car considérés comme les meneurs de l'anarchisme français28.

La condamnation de 1883 pour tentative de reconstitution de l'Internationale est apparue comme une large opération de répression du mouvement libertaire français menée par la machine d'État. Ces grâces présidentielles rappellent que le pouvoir central conserve une marche de manoeuvre vis-à-vis de la technostructure du maintien de l'ordre. Certes, les archives mettent en avant le rôle décisif joué par le ministre de l'Intérieur. Mais le pouvoir de grâce restant une prérogative du Président de la République, il est probable que cette décision ait été prise en conseil des ministres et ait été impulsée par le président du Conseil29. Dans ce cas, l'administration de la coercition légitime revêt une forme d'autant plus complexe liée à la volonté de l'exécutif de garder la main sur les politiques du maintien de l'ordre

B) Les actions anarchistes à Lyon après le procès des 66 : mais que fait la police ?

Dans l'optique d'enrayer la propagation des idéaux anarchistes et la structuration du mouvement, la machine d'État a fait en sorte qu'une soixantaine de militants soient condamnés en janvier 1883 de manière très publique. Les motifs invoqués de tentative de reconstitution de l'Internationale et d'incitation aux meurtres dans le cas d'Antoine Cyvoct ne constituent aucunement une répression d'actes terroristes mais bien d'opinion. Ceci entraine une mutation des méthodes de propagande employées par les anarchistes de Lyon à laquelle la police n'est pas préparée.

Dans la région où s'est tenue le procès, une baisse logique des effectifs militants est constatée puisqu'une cinquantaine de membres actifs ont été condamnés30. Les groupes tentent de se reconstituer mais il est difficile de s'organiser maintenant que les instigateurs sont en fuite ou ont été arrêtés31. Néanmoins, malgré le manque de force militante, le mouvement continue son activité propagandiste à l'aide du journal La Lutte du groupe du

28 Voir Annexe 2 - État des militants condamnés lors du procès des 66.

29 L'absence de compte-rendu des discussions du conseil des ministres ne nous permet pas de vérifier cette hypothèse.

30 Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon...,op.cit., p. 79.

31 On a notamment constaté qu'un grand nombre de réunions se tenait chez Bordat, ce qui a nécessairement un impact sur le mouvement.

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même nom32. Cet hebdomadaire devient l'organe anarchiste de référence à la suite du procès, incitant à la propagande par le fait contre le capitalisme et les bourgeois, tout en expliquant comment fabriquer des explosifs33. Largement surveillé par le gouvernement, le périodique dut changer sept fois de titre durant ses quinze mois d'existence34. Le journal publie notamment chaque semaine une rubrique intitulée « produits antibourgeois » consistant en des recettes pour fabriquer des bombes35. Son influence est à souligner puisque la ville de Lyon connaît un certain nombre d'attentats et de tentatives d'attentats, sans graves conséquences, dans les années suivant sa parution. Marcel Massard dresse la liste - que nous reproduisons dans le tableau 6 - de ces actes visant à soulever les masses et plus prompts à entrainer la

révolution que les mouvements de grèves36.

Tableau 6 - Attentats à Lyon après le procès des 66

Date

Attentat

Conséquences

16 septembre 1883

Tentative d'incendie au

journal le Progrès.

Sans gravité.

7 octobre 1883

Explosion d'une bombe

à la mairie du 4e arrondissement.

Dégâts insignifiants,

aucun blessé.

14 octobre 1883

Explosion d'une bombe dans l'enclos des Capucins.

Quelques dégâts, aucun

blessé.

32 Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon...,op.cit., p. 81.

33 Ibid., p.83.

34 Ibid., p.82.

35 Ibid., p.90-91.

36 Ibid. p. 91.

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16 octobre 1883

 

Bombe trouvée non éclatée contre le mur de l'église Saint-Pothin.

Aucune, la bombe n'a

pas explosé.

29 octobre 1883

Explosion d'une boîte à poudre devant le café du Rhône rue Gasparin.

Aucun dégât, ni blessé.

4 novembre 1883

Explosion d'une bombe posée sur la fenêtre du docteur Albert, rue Montgolfier.

Aucun dégât.

26 février 1884

Découverte d'une bombe non explosée dans les chantiers de la Buire, à la Guillotière.

Aucune, la bombe n'a

pas explosé.

6 octobre 1884

Explosion d'une bombe à la caserne de gendarmerie rue Saint-Hélène.

Vitres brisées.

16 décembre 1886

Explosion d'une bombe à l'usine Allouard, à la Mulatière.

Dégradations des murs.

25 décembre 1886

Découverte d'une bombe non éclatée à l'église de Saint-Nizier pendant l'office de Noël.

Aucune, la bombe n'a

pas explosé.

8 février 1887

Explosions de deux bombes à la permanence de police du palais de justice.

Dégâts matériels importants, sept agents blessés dont deux grièvement.

Source : Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon..., op.cit., p.91.

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Les Archives départementales du Rhône restent notre source essentielle pour étudier ces attentats et la façon dont la police lyonnaise a mené les enquêtes37. Un dossier très complet présente en effet une liste des agissements anarchistes lyonnais, similaire à celle reproduite dans le tableau 6, mais l'affaire de Saint-Nizier et l'attentat du Palais de Justice font l'objet d'une attention toute particulière. Il faut savoir que pour l'incendie du journal Le Progrès, la bombe de la mairie du 4e arrondissement et celle de l'enclos des Capucins, les coupables n'ont pas été retrouvés38. Et si la police soupçonne a juste titre les anarchistes et renforce sa surveillance des milieux, ceci n'arrête pas les militants lyonnais qui continuent à fabriquer et poser des bombes artisanales régulièrement jusqu'à la fin des années 188039. Concernant l'affaire de Saint-Nizier, le coupable n'a jamais été retrouvé mais elle a particulièrement attiré l'attention de la police puisqu'elle a reçu une lettre lui informant que l'auteur de cet attentat n'est autre qu'un certain Lucien Morelle40. En réalité c'est ce dernier qui a envoyé le courrier à la police, se rendant responsable d'un acte qu'il n'a pas commis et apportant de ce fait la preuve d'un déséquilibre mental41. Cependant, il indique dans sa lettre qu'il a aidé Cyvoct et Chautant à préparer l'attentat de Bellecour - en reprenant des détails connus des journaux - tout en donnant des informations sur les explosions qui ont eu lieu à Lyon entre 1883 et 188642. Morelle semble bien connaître le milieu anarchiste puisqu'il donne le nom de nombreux militants et annonce le projet d'un futur attentat43 : s'agit-il de celui du palais de justice qui se produit le 7 février 1887 ? Alors qu'il est écroué à la prison de Saint-Paul, il transmet au cabinet du juge d'instruction une lettre qu'il prétend avoir reçue et donnant des détails sur l'explosion du palais de justice :

« Je te donne avis que Hochard (de Narbonne) Deffire (de Genève) et Van Balon (de Bruxelles) ont résolu de désobéir à tes ordres et de mettre leurs menaces à exécution pour faire sauter le Palais de Justice et l'Hôtel-de-Ville avec deux barils de dynamite et en creusant un souterrain. Des

37 ADR, 4M 306. Attentats divers et tentatives de sabotage : usines Allouard, Palais de Justice (1882 - 1888).

38 Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon...,op.cit., p. 92-93.

39 Ibid., p.93-94.

40 ADR, 4M 306. « Copie d'une lettre adressée à Monsieur Prieur, Commissaire de police du quartier de la Bourse, 2e Arrondissement à Lyon - Grenoble le 28 décembre 1886 - Signé : Auguste Mille, négociant à Grenoble ».

41Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon...,op.cit p. 94.

42 ADR, 4M 306. « Copie d'une lettre adressée à Monsieur Prieur, Commissaire de police du quartier de la Bourse, 2e Arrondissement à Lyon - Grenoble le 28 décembre 1886 - Signé : Auguste Mille, négociant à Grenoble ».

43 Ibid. « Copie d'une lettre adressée à Monsieur Prieur, Commissaire de police du quartier de la Bourse, 2e Arrondissement à Lyon - Grenoble le 28 décembre 1886 - Signé : Auguste Mille, négociant à Grenoble ».

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renseignements que j'ai pu obtenir, ils sont disposés à louer une Chambre aux abords de ces édifices et je suis porté à croire qu'ils mettront leurs menaces à exécution (...)44

Si ce document a bien été reçu avant l'explosion, il donne des indications précieuses aux forces de police. Cependant, selon Marcel Massard, Morelle se présentant comme un déséquilibré, l'administration n'a pas tenu compte de ces indications45. Aux ADR, un dossier contenant des coupures de presse à propos de l'attentat du Palais de Justice montrent que certains journaux reprochent à la police son manque d'efficacité sur cette affaire46. Dès le 9 février, Le Progrès écrit que « depuis quelques temps divers bruits étaient parvenus à la police sur certains individus » et que « les menaces, depuis longtemps formulées, ont été mises hier à exécution ».47 L'Express pour sa part estime que les explosions étaient prévisibles, seulement il aurait fallu que la police tienne compte des lettres de Morelle annonçant l'attentat48. Le Courrier de Lyon écrit une dizaine de jours après l'attentat que l'enquête n'avance pas, estimant que « l'impunité des coupables semble devenir la règle » ajoutant qu'il « est certain qu'il y a là un vice soit dans le fonctionnement de la police soit dans celui de l'instruction, - mais vraiment, il est temps de prendre des mesures que réclame l'inquiétude publique »49. Selon Massard, ses accusations d'inefficacité ont poussé les forces de police à redoubler leurs efforts pour retrouver les coupables de l'attentat du Palais de Justice50.

Par ailleurs, l'évènement est un moyen pour les journaux de donner leurs opinions sur l'origine des explosions. Le Petit Lyonnais estime que « les auteurs de ces attentats sont des agents de la monarchie (...) car la monarchie seule a intérêt à faire passer la France pour le foyer de la révolution »51. La Tribune de son côté accuse l'institution policière d'avoir posé les bombes pour légitimer les demandes de fonds secrets :

« On nous informe, à 11 heures moins 10 minutes du soir, que deux bombes (?) viennent de faire explosion dans la rue Saint-Jean, derrière le Palais-de-Justice (...) Du reste, tant tués que blessés,

44 Ibid. Lettre du juge d'instruction adressé au Secrétaire Général pour la Police à Lyon le 12 février 1887. 45Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon..., op.cit., p. 94.

46 ADR, 4M 306. « Attentat du Palais de Justice - Extraits de Journaux »

47 Ibid. « Les Bombes à Lyon - Double explosion au Palais de Justice », Le Progrès de Lyon du 9 février 1887.

48 Ibid. « Bombes Anarchistes aux Palais-de-Justice de Lyon et de Saint-Etienne », L'express de Lyon du 9 février 1887.

49 Ibid. « Les bombes du Palais de Justice », Courrier de Lyon du 17 février 1887.

50 Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon...,op.cit., p. 95.

51 ADR, 4M 306. « Attentat du Palais de Justice - Extraits de Journaux ». « Les Bombes explosibles », Le Petit Lyonnais du 10 février 1887.

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tout le monde se porte bien dans le voisinage du Palais où a eu lieu l'explosion. Nous serions bien curieux de savoir quand la police aura fini de prendre la population pour une agglomération de jobards. On sait qu'elle a besoin de complots périodiques pour permettre au ministre de réclamer chaque année le maintien de ses fonds secrets, mais l'excès en tout est un défaut. Il ne faut abuser de rien, pas même des pétards. 52»

Édité seulement au cours de l'année 1887, ce journal revendique une ligne radicale ce qui explique ses accusations concernant le gouvernement53. Si dans son numéro suivant le quotidien offre un traitement plus détaillé de l'attaque qui a fait plusieurs blessés54, il propose un aperçu de ce que l'opposition de gauche peut penser de l'institution policière.

Puis, les archives témoignent de l'attention portée à l'explosion du Palais de Justice qui a largement mobilisé les forces de la police lyonnaise, puisque que plus de 300 documents du carton 4 M 306 concernent cet attentat55. Cela peut s'expliquer par la nature de l'acte qui visait une institution publique, a fait des blessés parmi des agents des forces de l'ordre et a bénéficié d'une large attention de la presse. Cet événement est le premier à attirer autant l'attention depuis l'attentat de Bellecour et il est donc intéressant d'en saisir le traitement. Si la nécessité de retrouver le coupable amène la police à procéder aux perquisitions de plusieurs militants, cette opération n'a pas l'ampleur de celle qui a amené au procès des 66. Un dossier classé sous la cote 4M 306 comprenant des rapports adressés au Parquet et à la Sûreté Générale ainsi que des lettres reçues de cette dernière éclaire la gestion de cette affaire56. Comme dans le cas de l'attentat de l'Assommoir, on constate que le préfet informe immédiatement par télégramme le ministre de l'Intérieur de l'explosion du palais de justice57. La direction de la Sûreté Générale s'interroge sur le lien entre cette nouvelle explosion et les déclarations de Lucien Morelle :

« Jusqu'à présent, je n'ai pas été informé qu'une autre explosion se soit produite sur le territoire de
la République. Tenez-moi au courant de l'instruction ouverte. Faites-moi connaître s'il y a un lien

52 Ibid. « Autre Pétard », La Tribune du 9 février 1887.

53 Ces informations sont issues d'une notice publiée sur le site Presse Locale Ancienne : http://presselocaleancienne.bnf.fr/ark:/12148/cb328808199

54 ADR, 4M 306. « Attentat du Palais de Justice - Extraits de Journaux ». « Qui a fait le coup ? », La Tribune du 10 février 1887.

55 Ibid. « Attentat du Palais de Justice - rapports et renseignements recueillis par M. le Commissaire spécial de la Sureté » ; « Attentat du Palais de Justice - 1° Perquisitions à Lyon - 2° Missions extérieures »

56 Ibid. « Rapports adressés : 1°- à la Sûreté Générale, 2°-au Parquet - Correspondances reçues de la Sûreté Générale »

57Ibid. « Dépêche Télégraphique - Préfet à Intérieur. Lyon, le 9 février 1887 à 6 heures 12. »

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 140

entre les explosions de Lyon et l'affaire de l'anarchiste Morelle et renseignez-moi sur l'état de santé des blessés58

Rappelons qu'octobre 1882 le ministre de l'Intérieur demande au préfet du Rhône d'assurer une « extrême répression »59. Dans l'affaire du palais de justice, l'implication du mouvement anarchiste est envisagée mais l'enquête ne revêt pas la même dimension politique. Par ailleurs, les télégrammes étant difficilement lisibles dans ce dossier, nous nous appuyons en premier lieu sur le rapport adressé au ministre de l'Intérieur dès le 9 février pour saisir le déroulé de l'investigation60. Après avoir détaillé le contexte et les conséquences de l'explosion, le préfet explique qu'il a procédé à des perquisitions chez les anarchistes mais qui se sont révélées inefficaces. Ce qui est particulièrement intéressant dans cette lettre c'est la mention du traitement de l'évènement par les journaux :

« La presse, suivant les habitudes locales, est pleine de détails sur tous les faits qui de près ou de loin touchent à l'explosion ; mais ces détails, souvent exagérés, sont de ceux que dans le public tout le monde pouvait connaître. Un seul journal, la Tribune, qui a paru pour la première fois hier et dont je vous ferai connaître demain les origines, le caractère et les buts, a accusé la police d'être l'auteur de l'explosion (...) 61

Le préfet mentionne aussi Morelle et les reproches que la presse adresse à la police pour ne pas avoir tenu compte de la menace ; cependant l'administration estime que les auteurs de l'attentat ont attaqué le palais de justice parce que Morelle l'avait mentionné dans sa lettre et non l'inverse62.

La police est donc dépassée dans l'affaire du palais de Justice, d'autant plus que la presse remet en cause son action dans la répression des anarchistes. On peut alors se demander quels moyens la machine d'État met à disposition de l'administration de coercition légitime pour lutter efficacement contre la menace anarchiste. Le pouvoir se retrouve ainsi au centre de la suite de notre analyse.

58Ibid. Télégramme de la Sûreté au Préfet du Rhône, envoyé le 9 février à 11h.

59 cf. Chapitre 3.

60 ADR, 4M 306. Rapport du 9 février 1887.

61 Ibid. Rapport du 9 février 1887.

62 Ibid. Rapport du 9 février 1887.

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5.2 - Évolution du maintien de l'ordre républicain : Loi Municipale et fonds secrets pour lutter contre les « ennemis de l'intérieur »

En parallèle des attentats anarchistes, de la surveillance des militants et des tentatives de répression, les opportunistes continuent leur expérience à la tête du gouvernement de la Troisième République. En 1884 ils promulguent une nouvelle loi Municipale qui au premier abord est très éloignée de notre étude concernant le maintien de l'ordre et l'anarchisme. Pourtant, ce texte et le débat qu'il suscite illustrent bien les mutations engagées par les républicains dans leur pratique du pouvoir et leur contradiction avec les principes libéraux.

Cette législation ravive en effet les débats concernant l'attribution des pouvoirs de police, jusqu'ici partagés entre l'État et les municipalités. Dans le cadre de la Troisième République, l'analyse de la loi Municipale de 1884 nous permet d'amorcer notre réflexion sur l'évolution du maintien de l'ordre républicain dans une société où l'anarchisme a survécu au procès des 66.

A) La Loi Municipale de 1884 : une rupture Républicaine ?

« La fonction de police est presque tout entière dans la contrainte imposée à la liberté des uns au profit de la liberté des autres63. »

Malgré les contradictions précédemment évoquées, la République ne peut se passer des services de l'institution policière64. Cependant, si les nécessités liées au maintien de l'ordre public justifient largement la présence d'une administration de coercition légitime dans un régime libéral, notre interrogation concerne ici des pratiques de police politique conditionnées par la volonté du pouvoir exécutif.

Nous nous appuyons sur le papier de Jean-Marc Berlière qui pose les enjeux de la loi Municipale de 1884 tout en la situant dans une histoire plus longue des pouvoirs de police65.

63 APP, DB3. Célestin Hennion, 1906.

64 cf. Chapitre 2.

65 Jean-Marc Belière, « Les pouvoirs de police: attributs du pouvoir municipal ou de l'État?. Une police pour qui et pour quoi faire? Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième République », Criminocorpus. Revue d'Histoire de la justice, des crimes et des peines, janvier 2009. journals.openedition.org, http://journals.openedition.org/criminocorpus/259.

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Il semble avant tout nécessaire de revenir sur les évènements qui ont précédé les débats concernant les prérogatives policières du pouvoir exécutif au début de la Troisième République. La question du maintien de l'ordre et de la répression des libertés publiques est évoquée dès 1789 par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen66. Ce texte définit la nécessité de mettre en place une « force publique » garantissant les principes du gouvernement démocratique, mais n'indique pas qui sont les dépositaires du maintien de l'ordre. L'opposition entre pouvoir central et pouvoir local se fait une première fois ressentir. Quand certains défendent une police gérée par le pouvoir municipal à l'inverse des pratiques monarchiques, les jacobins militent pour une administration à la charge du nouveau régime d'Assemblée. La seconde option l'emportant sous le Directoire et les régimes impériaux, il est logique que le débat se tienne lors du passage à la République à la fin du XIXe siècle67. A la suite de la Révolution française, une loi municipale est promulguée le 14 décembre 1789 et partage les fonctions de police entre l'État et les municipalités :

« Les fonctions propres au pouvoir municipal, sous la surveillance et l'inspection des assemblées administratives sont : [...] de faire jouir les habitants des avantages d'une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics68. »

Si l'État reste le dépositaire des prérogatives de police, il décentralise cette fonction au profit des maires qui sont chargés de maintenir l'ordre sur leur commune. Cependant, la question de l'existence d'un « pouvoir municipal propre » est discutée tout au long des années 1900 malgré le texte de 178969. Même si ce pouvoir de police est exercé sous la surveillance de l'administration centrale, cette dernière fait quand même la distinction entre la « police municipale » et la « police générale » indiquant donc que les municipalités disposent de fonctions policières spécifiques. A l'inverse, certains commentateurs considèrent que ce pouvoir municipal n'existe que parce qu'il a été attribué par l'État central, seule institution souveraine, et créateur des municipalités. Selon Jean-Marc Berlière, ce double système a

66 Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, texte en ligne sur Legifrance : https://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Constitution/Declaration-des-Droits-de-l-Homme-et-du-Citoyen-de-1789

67 « Les pouvoirs de police : attributs du pouvoir municipal ou de l'État ?. Une police pour qui et pour quoi faire ? Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième République », art.cit., p.2.

68 Loi municipale du 14 décembre 1789, art.50.

69 Jean-Marc Berlière, « Les pouvoirs de police : attributs du pouvoir municipal ou de l'État ?. Une police pour qui et pour quoi faire ? Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième République », art.cit., p.2.

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avant tout abouti à une technostructure policière extrêmement décentralisée voire émiettée70. Ainsi, nous constatons au début de la Troisième République la présence d'une administration policière centrale attachée au Ministère de l'Intérieur, la DSG, et des administrations locales, soit la Préfecture de Police et la Préfecture du Rhône, bénéficiant d'un certain degré d'autonomie.

Néanmoins, lorsque l'on évoque l'existence d'un pouvoir de police municipale il est nécessaire de s'interroger sur la personne du maire disposant de cette attribution. Or, il faut rappeler que la loi municipale de 1884 entérine l'élection du conseil municipal et du maire. Le mode de désignation de ces derniers conditionne nécessairement la nature des pouvoirs de police municipaux, puisque si le maire est nommé par l'administration centrale, il devient un relais de l'État et applique une politique du maintien de l'ordre déjà établie. A l'inverse, l'élection du maire lui permet de jouir d'une grande autonomie en matière de prérogative de police puisqu'il tire sa souveraineté des électeurs et non du gouvernement71. Les préfets appliquent les directives du ministère de l'Intérieur quand les maires détiennent le statut de chef de la police municipale dans les années 1880, à l'exception de Paris et de Lyon. La préfecture de Police et celle du Rhône appliquent donc logiquement les choix du gouvernement en matière de maintien de l'ordre, même si elles disposent d'une autonomie dans la pratique. Ces institutions restent des rouages d'une machine d'État déterminant les orientations administratives de la coercition légitime. L'Assemblée Constituante pour sa part soumet à l'élection les conseils municipaux et leur délègue donc des pouvoirs de police propres, alors que le Directoire et le premier Empire procède à la nomination des maires et étatisent donc la police municipale72. Puis, la loi du 5 mai 1855 achève l'étatisation de la police municipale, plaçant les villes sous la surveillance du préfet et enlevant aux maires tout contrôle sur l'organisation de son personnel et de ses services73. Le Second Empire revient en partie sur cette législation peu de temps avant sa chute : ne remettant pas en cause les situations propres à Paris et à Lyon, le reste des municipalités de plus de 40 000 habitants ont la possibilité de recruter leur personnel à l'exception des commissaires de Police. Ceci entraine une forme de coopération entre le conseil municipal qui supporte la charge financière

70 Ibid., p.3.

71 Ibid., p.4.

72 Ibid., p.4.

73 Ibid., p.5.

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des dépenses de police et le pouvoir central fixant le cadre des services et des effectifs de police74. La Troisième République hérite encore fois d'un cadre policier ne correspondant pas à ses valeurs libérales et nécessitant une réforme profonde. Il faut alors s'interroger sur les principes défendus par les républicains en matière de maintien de l'ordre et la pratique qui en découle.

A la suite de la proclamation de la République à la fin du XIXe siècle, on constate un retour à l'autonomie des municipalités et des pouvoirs de police qui leur sont attribués, avec la réintroduction de l'élection des maires entérinée par la loi du 14 avril 187175. Cependant, le gouvernement de l'ordre moral revient en partie sur ce principe, notamment pour la ville de Lyon avec la loi du 4 avril 1873 consacrant la suppression du maire et le pouvoir « absolu » du préfet du Rhône76. Puis de Broglie tente de revenir sur le principe de l'élection des Maires, mais les élus républicains à la Chambre réussissent à abroger ce projet en juillet 187677. La loi du 12 août 1876 établit l'élection des maires par les conseils municipaux sauf pour les chefs-lieux, alors que tous les maires jouissent des mêmes pouvoirs de police. Par ailleurs, il faut attendre 1882 pour que toutes les villes, à l'exception de Paris, élisent leurs maires via les conseils municipaux78. A Lyon, si la Mairie Centrale est rétablie dès 1881, c'est toujours le préfet qui dispose des pouvoirs de polices et rattache donc ces attributions à l'État79, ce qui contraste avec l'autonomisation des communes assumée des républicains dans les années 1870. Sous l'Ordre moral, les républicains alors minoritaires défendent l'élection et les libertés municipales face à une majorité conservatrice cherchant à contrôler la nomination des maires et les pouvoirs de police qui leur revient80. Dans les discussions concernant le projet de loi de janvier 1874, on voit émerger une position républicaine défendant la thèse d'un pouvoir de police municipale « propre » :

« La police est l'essence du pouvoir municipal (...) Dans la distinction qui existe entre les pouvoirs propres et les pouvoirs délégués, entre ceux que le maire exerce de sa propre autorité et ceux qu'il

74 Ibid., p.6.

75 Ibid., p.6.

76 cf. Chapitre 3.

77 Jean-Marc Berlière, « Les pouvoirs de police: attributs du pouvoir municipal ou de l'État?. Une police pour qui et pour quoi faire? Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième République », art.cit., p.7.

78 Ibid, p.7.

79 cf. Chapitre 3.

80 Jean-Marc Berlière, « Les pouvoirs de police: attributs du pouvoir municipal ou de l'État?. Une police pour qui et pour quoi faire? Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième République », art.cit., p.8.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 145

exerce sous la surveillance du préfet (...) la police municipale, et ceci est un point hors de toute discussion, est propre au pouvoir municipal. L'un ne peut exister sans l'autre, la bourgade existait avant l'État et les arrêtés de police locale que prend le maire ne sont pas une concession de la puissance publique81. »

Cette intervention d'Agénor Bardoux, républicain modéré, souligne alors la position décentralisatrice de l'État vis à vis des attributions de police et donc défendue par la minorité à la Chambre en 1874. Elle laisse aux monarchistes la doctrine selon laquelle le maire reste un représentant du pouvoir central et doit être sous contrôle du gouvernement. Notons que cette aversion pour le pouvoir local peut être vue comme une peur du retour de la Commune, exemple d'une autonomisation qui a défié la raison de l'État. Ainsi, les préfets assurent un contrôle du gouvernement conservateur sur les pouvoirs de police municipaux au milieu des années 187082. C'est en fait la question de l'autorité de l'agent de police qui se joue ici : est-il sous contrôle du maire ou du préfet ? Dans le second cas il est donc rattaché indirectement au pouvoir central et soutient l'idée d'un maintien de l'ordre jacobin. Dans la pratique, ce sont les deux autorités qui interviennent dans la gestion des agents de police au début de la Troisième République83.

Si en 1874 les Républicains minoritaires à la Chambre des députés se retrouvent à défendre la décentralisation des pouvoirs de l'État, l'arrivée au pouvoir des opportunistes tend à changer cette perspective. De plus, Charles de Freycinet écrit en 1886 que les fonctionnaires doivent « apporter leur appui aux institutions desquelles ils exercent leur mandat »84.

B) Nouvelles explosions, nouvelles méthodes policières ?

Dans le contexte des attentats anarchistes qui secouent les années 1880, il est nécessaire de s'interroger à la fois sur le discours employé par le gouvernement républicain pour défendre la législation de 1884 et la pratique du maintien de l'ordre dans cette période. Cela

81 Agénor Bardoux à la Chambre des députés, cité par Jean-Marc Berlière, « Les pouvoirs de police: attributs du pouvoir municipal ou de l'État ?. Une police pour qui et pour quoi faire? Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième République », art.cit., p.8.

82 Jean-Marc Berlière, « Les pouvoirs de police: attributs du pouvoir municipal ou de l'État?. Une police pour qui et pour quoi faire? Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième République », art.cit., p.9.

83 Ibid. p.10

84 Cité par Arnaud-Dominique Houte dans Le Triomphe de la République..., op.cit., p.81.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 146

entraine-t-il une modification des méthodes de répression policière favorisant la lutte contre un mouvement anarchiste en mutation ?

Dans les faits, la volonté des républicains de centraliser les politiques de maintien de l'ordre apparaît des novembre 1883 lorsque Waldeck-Rousseau propose de rattacher le budget de la Préfecture de police à celui de l'État85. On l'a constaté jusqu'ici, l'institution parisienne dépend du ministère de l'Intérieur mais jouit d'une certaine autonomie en employant notamment des méthodes de police secrète pour surveiller le mouvement anarchiste. La loi municipale de 1884 est donc un moyen de renforcer le contrôle du pouvoir central sur l'autorité policière de la capitale et faire de l'État le véritable dépositaire des pouvoirs de police. Voici ce que le ministre de l'Intérieur affirme le 17 janvier 1884 à la Chambre pour défendre cette législation :

« Or, il existe deux espèces de communes, au point de vue de la police : pour les unes, on juge qu'il suffit de la police générale (...) vis-à-vis de ces communes, aucune intervention de l'État et aucune contribution obligatoire, cela va de soi. Pour les autres, l'organisation d'une police particulière est jugée nécessaire, indispensable (...) deux propositions sur lesquelles on n'a jamais varié ont toujours été admises : la première, c'est que l'organisation d'une bonne police n'est pas d'un intérêt purement municipal ; cette organisation est, au premier chef, je ne dis pas seulement dans le droit, mais dans le devoir de l'État. La sécurité des citoyens n'est pas un des biens particuliers de la commune. (...) Mais la sécurité des personnes ! (...) c'est la dette primordiale de l'État vis-à-vis des citoyens; l'État a le droit et le devoir de pourvoir à l'organisation d'une bonne police (...)86. »

Néanmoins, les républicains au pouvoir se doivent de justifier cette position qui détermine les orientations de la loi Municipale du 5 avril 1884, à l'opposé de celle qu'ils défendaient dix ans plus tôt. Ainsi, dans une circulaire en date du 15 mai 1884, le ministre de l'Intérieur affirme que « les agents chargés de la police municipale sont donc à la fois placés sous les ordres du maire pour la police municipale et sous les ordres du préfet pour la police générale et par conséquent il est impossible de soutenir que le service de police soit exclusivement municipal »87. Les débats devenant de plus en plus virulents à la Chambre - le gouvernement est à la fois attaqué par la droite et les députés radicaux - Waldeck-Rousseau reprend son argumentation consacrée à la défense de l'intérêt général :

85 Jean-Marc Berlière, « Les pouvoirs de police: attributs du pouvoir municipal ou de l'État?. Une police pour qui et pour quoi faire? Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième République », art.cit., p.11.

86 Waldeck Rousseau à la Chambre des députés le 17 janvier 1884, Journal Officiel de la République, 18 janvier 1884, p.78.

87 Cité dans Jean-Marc Berlière, « Les pouvoirs de police: attributs du pouvoir municipal ou de l'État?. Une police pour qui et pour quoi faire? Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième République », art.cit., p.13.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 147

« Il n'est pas possible qu'au-dessus du maire, investi d'une délégation particulière, il n'y ait pas une autorité supérieure chargée de prendre les mesures commandées par l'intérêt général. C'est là le corollaire essentiel, inéluctable d'une mesure de décentralisation [...] qui veut que l'État remette aux mains des chefs des municipalités une partie de ses pouvoirs, qu'il lui délègue une partie de ses droits 88. »

L'essence même de la loi municipale de 1884 réside dans l'ambiguïté de la notion de « décentralisation des pouvoirs de polices ». En effet, les articles 91 et 92 font du maire le chef de la police municipale mais distinguent ses pouvoirs « propres » et ses pouvoirs « délégués » :

Article 91 : le Maire est chargé sous la surveillance de l'administration supérieure de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'autorité supérieure qui y sont relatifs.

Article 92 : le Maire est chargé, sous l'autorité de l'administration supérieure :

1. de la publication et de l'exécution des lois et règlements ;

2. de l'exécution des mesures de sûreté générale ;

3. des fonctions spéciales qui lui sont attribuées par les lois.

La mention de « l'administration supérieure » dans ces deux articles souligne le contrôle exercé et maintenu par le gouvernement sur la police municipale. Par ailleurs, il est important de noter que si les opportunistes ne s'attribuent pas l'ensemble des pouvoirs de police, ce n'est pas seulement pour préserver les apparences d'une décentralisation. Il s'agit d'un moyen de laisser aux municipalités la gestion financière de leur force de police, d'autant plus que l'article 136 de la loi indique que les dépenses de ce service sont obligatoires et ne peuvent pas être votées par les municipalités89. De ce fait, on peut se demander si ce désengagement de l'État dans les dépenses de police des municipalités n'est pas un moyen de renforcer les moyens financiers de la police politique républicaine.

88 Ibid., p.17.

89 Jean-Marc Berlière, « Les pouvoirs de police: attributs du pouvoir municipal ou de l'État?. Une police pour qui et pour quoi faire? Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième République », art.cit., p.20.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 148

Dans un premier temps, la question des effectifs de police et l'utilisation des dépenses secrètes se pose ici, illustrant l'évolution dans les discours et les méthodes employées par la machine d'État dans le but de préserver le régime. Au milieu des années 1880 la question des Fonds Secrets continue à faire débat à la Chambre, et les opportunistes se retrouvent à justifier des pratiques contradictoires avec la doctrine libérale. Dès 1883, le député Jules Carret, membre de l'aile radicale, pointe les 2 millions de francs consacrés aux dépenses secrètes de « sûreté publique » du ministère de l'Intérieur90. Il précise aussi que ce montant est similaire à celui consacré par le régime impérial, et que Jules Ferry, dorénavant président du conseil et Cochery ministre des postes et des télégraphes, étaient contre les fonds secrets à cette époque91. La contradiction entre les positions des opportunistes lorsqu'ils étaient dans l'opposition et les décisions qu'ils prennent lorsqu'ils accèdent au pouvoir est autant valable pour les dépenses secrètes que pour la loi Municipale de 1884. Rejetant l'hypothèse que ces fonds sont utilisés par le gouvernement pour influencer des élections et s'assurer la loyauté de l'ensemble du territoire, Carret demande la suppression de ces 2 millions de francs dont la République n'a nullement besoin92. Le ministre de l'Intérieur se borne néanmoins à conserver ces lignes dans le budget :

« M. Carret demande la suppression, au budget de l'intérieur, des 2 millions qui sont inscrits au chapitre 20, pour frais de sûreté publique (...) sous un Gouvernement républicain, il ne doit pas y avoir de police qui ne soit ostensible et parfaitement connue. Se protéger, tenir en observation des gens dont on a quelques raisons de penser qu'ils peuvent constituer un danger pour l'ordre public, pour l'État, c'est là le fait d'une monarchie. (...) La police doit donc être publique (...) Eh bien, je réponds que tous les gouvernements obéissent à un certain nombre de lois fondamentales et essentielles, et que le premier devoir du Gouvernement républicain, comme de tous les autres, est d'avoir une police qui protège d'abord les intérêts privés, qui sauvegarde ensuite les intérêts publics. Si on veut que cette oeuvre de défense et de préservation soit effective, efficace, il est nécessaire, indispensable, de faire appel à des agents, à des moyens d'information et d'action qui demeurent secrets93. »

La justification du gouvernement concernant ce fonds de police secrète réside encore une fois dans la préservation du gouvernement républicain et la défense de ses citoyens. L'emploi des dépenses secrètes n'apparaît pas comme une pratique remettant en cause la doctrine libérale

90 Jules Carret à la Chambre des députés le 13 décembre 1884, Journal Officiel de la République, 14 décembre 1883, p.2806.

91 Ibid., p.2807.

92Ibid. p.2807 - 2808.

93 Pierre Waldeck-Rousseau à la Chambre des députés le 13 décembre 1884, Journal Officiel de la République, 14 décembre 1883, p.2808.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 149

mais comme un moyen de légitimation d'un régime prouvant qu'il est prêt à faire le nécessaire pour protéger ses gouvernés.

La République assume dorénavant l'utilisation des méthodes policières héritées des régimes précédents alors qu'elle affirmait vouloir s'en détacher à l'arrivée au pouvoir des opportunistes94. Les Archives départementales du Rhône nous apportent un nouvel éclairage sur le renoncement libéral de la République. Nous avons constaté précédemment que la préfecture du Rhône bénéficie largement des fonds secrets maintenus par les Républicains qu'elle investit dans le renseignement des activités anarchistes95. Dans les dossiers de comptabilité retraçant les dépenses des commissaires spéciaux entre 1890 et 1893, on constate que les dépenses liées aux indications des groupes politiques sont plus précises que celles des documents des années 188096. En plus des dépenses journalières concernant les réunions publiques, les renseignements et la surveillance des milieux anarchistes indiqués sur les comptes de dépenses précédents, à partir de mars 1890 des sommes sont spécifiquement consacrées aux « Indicateurs ordinaires » et aux « Indicateurs spéciaux - Agents secrets »97. Par conséquent, il est précisé chaque mois les dépenses engagées pour des indicateurs anarchistes, ce chiffre pouvant varier en tenant compte du nombre de personnes rapportant les informations. Par exemple, en avril 1890, 150 francs sont comptés pour les renseignements de deux anarchistes98, alors qu'en octobre en face de la ligne « Anarchiste » écrit au singulier il est indiqué « 70 »99. Au-delà de révéler les moyens financiers investis par la préfecture du Rhône pour lutter contre les compagnons, ces registres de comptabilité confirment que les fonctionnaires de la République utilisent bien des indicateurs pour des missions de police politique.

Cependant, ceci ne permet pas de répondre à la question de l'efficacité de l'administration de la coercition légitime dans la répression du mouvement anarchiste ; on a

94 cf. Chapitre 2.

95 cf. Chapitre 3 ; ADR, 4M 74 « Budget-Comptabilité (1880-1932).

96 ADR, 4M 74. « Commissariats spéciaux » exercices de 1890 à 1893.

97 Ibid. Budget-Comptabilité (1880-1932) - « Commissariat spécial - Comptes des dépenses. 1881-1902 ». État des dépenses faites pour les besoins du commissariat spécial près la Préfecture du Rhône pendant le mois de Mars 1890.

98 Ibid. État des dépenses faites pour les besoins du commissariat spécial près la Préfecture du Rhône pendant le mois d'Avril 1890.

99 Ibid. État des dépenses faites pour les besoins du commissariat spécial près la Préfecture du Rhône pendant le mois d'Octobre 1890.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 150

constaté à Lyon comme à Paris que les attaques n'ont pas cessé à la suite du procès des 66. Et malgré les moyens mis à dispositions des forces policières, les coupables sont rarement arrêtés et les partisans de la propagande par le fait se découvrent de nouvelles cibles à la fin des années 1880. En effet, les bureaux de placement, symboles de l'exploitation ouvrière, et les commissariats de police, représentants de la violence de l'État, sont victimes de diverses explosions entre 1888 et 1889 comme en témoigne le tableau 7.

Tableau 7 -Actes anarchistes visant les bureaux de placement et les commissariats

parisiens (1888-1889)

Date

Cible

Conséquences

24 août 1888

Bureau de placement

rue Chênier

Simple pétard, pas

d'impact

7 octobre 1888

Explosion devant

l'entrée du bureau de
placement rue Chênier

Explosion violente mais ne cause que des dégâts matériels

7 novembre 1888

Explosions de deux bureaux de placement des garçons limonadiers rue Boucher et rue Française.

Dégâts matériels important rue Boucher et un blessé grave rue française

22 novembre 1888

Cartouche de dynamite sous la porte du commissariat rue des Archives

Aucune, la bombe n'a

pas explosé

21 décembre 1888

Explosion dans la cave située sous le commissariat de la rue de la Perle

Dégâts matériels peu

importants

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 151

12 mars 1889

 

Tentative visant le commissariat de la rue des Cerisaie

Aucune, l'engin est

découvert avant qu'il
n'explose

3 juin 1889

Explosion des bureaux du commissariat de la rue des Colonnes

Aucun dégât

Source : Vivien Bouhey, Les anarchistes contre la République..., op.cit. , p.155-156.

Ces attaques sont l'occasion pour les journaux de critiquer une nouvelle fois l'appareil policier et plus précisément la préfecture de police. A propos de l'explosion du commissariat de la rue de la Perle, voici ce qu'écrit le journal la Petite presse :

« Il faut espérer que les anarchistes en s'attaquant à la police elle-même la réveillera de sa torpeur, car il est temps que ces attentats prennent une fin par l'arrestation des coupables100. »

Le quotidien note pourtant que depuis les attaques contre les bureaux de placement, les commissaires de police ont mené une vaste opération de perquisition dans les milieux anarchistes101. Pourtant, selon le journal le Temps, ces recherches ont été infructueuses et les auteurs des dernières attaques n'ont pas été retrouvés102. Malgré l'ampleur du procès des 66, l'affirmation de la centralisation des pouvoirs de police par la loi municipale de 1884, l'utilisation des fonds secrets, les méthodes de surveillance de police politique et les perquisitions effectuées à la suite des attentats anarchistes, la machine d'État semble dans l'incapacité d'arrêter cette menace pour la République.

Le mouvement anarchiste est finalement peu affecté par le jugement du tribunal correctionnel de Lyon en 1883. Au contraire, les méthodes de propagande se diversifient et les explosions sont fréquentes à Paris dans la seconde moitié des années 1880. Dans la ville où s'est tenu le procès des 66, l'heure est à la mutation. La perte d'une partie des compagnons favorise à la fois le développement de nouvelles feuilles libertaires et des actes individuels

100 BA 139. Explosions en France, attentats anarchistes (1889-1892). « La Dynamite à Paris », extrait de la Petite presse, le 23 décembre 1888.

101 Ibid. « La Dynamite à Paris », extrait de la Petite presse, le 23 décembre 1888.

102 Ibid. Extrait du Temps, le 23 décembre 1888.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 152

démontrant la survie du mouvement. Face à cet échec, la République s'appuie une nouvelle fois sur la machine d'État pour se préserver de cet « ennemi de l'intérieur ». Cela se traduit par une mutation jacobine des politiques du maintien de l'ordre, renforçant l'autorité du pouvoir exécutif sur les pouvoirs de police et favorisant une gestion « secrète » de la répression du mouvement anarchiste. Néanmoins, ce nouveau système est immédiatement remis en question par de nouvelles explosions qui touchent Paris à partir de 1888 et des journaux qui pointent l'inefficacité des forces de l'ordre. La décennie 1890 marque une nouvelle ère pour l'administration de la coercition légitime confrontée à une menace sans précédent. Quelles nouvelles réponses la machine d'État peut-elle apporter pour lutter contre cet ennemi de la République qui ne cesse de s'affirmer ? Jusqu'où le régime est-il prêt à aller

pour définitivement enrayer ces opposants politiques ?

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Chapitre 6 : Quand la République renonce à son destin

Dans ce chapitre nous devons nous interroger sur l'efficacité du modèle de répression prôné par les républicains contre un mouvement anarchiste qui prend une nouvelle forme au début des années 1890. Le contexte politique de la période et la place centrale de la presse dans la société française éclairent la violence des actes et des propos d'un mouvement libertaire de plus en plus menaçant. La machine d'État qui entre une nouvelle fois en activité semble cependant dépassée par la multiplication des attentats anarchistes et finit par produire une politique du maintien de l'ordre remettant en cause les valeurs libérales de la République.

Il s'agit d'étudier ici l'impact des attentats anarchistes qui se multiplient à la fin du XIXe sur les politiques du maintien de l'ordre. L'efficacité de la technostructure policière est remise en cause à la suite des attaques de Ravachol et l'explosion de la bombe de Vaillant à la Chambre. Tandis que le pouvoir exécutif renforce sa maîtrise de l'administration de la coercition légitime, les rapports de police témoignent de la façon dont sont perçus les évolutions du mouvement anarchiste au début des années 1890.

6.1 - Mythe, menace et échecs politiques

La survivance du mouvement anarchiste, malgré les efforts déployés par les forces de police pour l'enrayer, est en partie liée à la « grande dépression » qui touche la France à la fin du XIXe siècle. La crise économique favorise le développement de mouvements sociaux soutenus par les compagnons et résultant en une confrontation entre la classe dirigeante bourgeoise et les milieux populaires. Le 1er mai 1891 et ses conséquences marquent un nouveau tournant dans l'histoire de l'anarchisme1.

Les journaux à cette époque se passionnent pour les actes de propagande par le fait et exercent une véritable influence sur l'opinion publique et l'administration de la coercition légitime. Il est alors nécessaire de se pencher sur le traitement des attentats les plus marquants

1 Voir André Salmon, La Terreur noire. Chronique du mouvement libertaire, « Chapitre 5 : 1er Mai 1891 » p Pauvert, 1959, p.117-140.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 154

du début des années 1890, sur les positions des députés d'une Chambre de plus en plus divisée et sur la réponse de l'appareil policier.

A) Entre dynamite et fait divers, un difficile maintien de l'ordre

Les historiens à l'instar de Jean Maitron se sont accordés pour considérer le début des années 1890 comme une véritable « ère des attentats anarchistes » en France2. La « grande dépression » apparaît en toile de fond de cette époque marquée par l'attaque de Fourmies, la manifestation de Clichy et la vengeance de Ravachol. L'année 1892 devient le théâtre de nouvelles attaques à la bombe, cinq en tout, dont deux meurtrières, largement documentées par les journaux qui mythifient la figure de l'anarchiste.

L'affaire de Fourmies - centre textile du Nord de la France - s'inscrit dans le contexte plus large d'une crise sociale qui s'affirme depuis les années 18803. Elle illustre la difficulté de l'administration du maintien de l'ordre à réagir adéquatement aux mobilisations ouvrières en réaction à la récession économique. Alors que les relations se tendent entre les patrons de l'usine et les ouvriers à la suite de la réduction du temps de travail et de la baisse des salaires, les chefs de l'usine font appel aux militaires et posent une affiche « on travaillera le 1er mai comme tous les autres jours »4. À l'époque, cette journée ne revêt pas encore de caractère officiel et mobilise chaque année des militaires en charge de contenir les différentes manifestations5. La « fête du travail » de Fourmies mène rapidement à des échauffourées et à l'arrestation de plusieurs ouvriers par les gendarmes, mais les soldats conscrits, paniqués face à une foule révoltée, commencent à ouvrir le feu et tuent neuf personnes6. Cette affaire choque les milieux populaires et les parlementaires les plus radicaux, à l'instar de Georges Clemenceau7, conférant au régime de la Troisième République « image répressive qui renvoie aux journées de juin 1848 » selon les mots de Gilles Ferragu8. Si la fusillade de Fourmies révèle l'incapacité de la machine d'État à produire une politique du maintien de l'ordre

2 Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome1, op.cit., p.212.

3 Arnaud-Dominique Houte, Le Triomphe de la République..., op.cit., p.194-195.

4 Ibid., p.195.

5 André Salmon, La Terreur noire, op.cit. p.118.

6 Ibid., p.118.

7 Ibid., p.118.

8 Gilles Ferragu, Histoire du terrorisme, Éditions Perrin, 2014, p.100.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 155

adaptée, la manifestation de Clichy se produisant le même jour vient souligner l'ampleur des difficultés auxquels sont confrontées les forces de police. Après qu'une trentaine de manifestants a improvisé un défilé célébrant la fête des travailleurs entre Levallois et Clichy, ils se dispersent et roulent le drapeau rouge qu'ils ont érigé tout au long du parcours9. Cependant, le commissaire Labussière demande à ses agents de s'emparer du symbole, ce qui résulte en un échange de coups de feu blessant légèrement les forces de police10. Finalement, trois militants anarchistes sont arrêtés : Henri Decamps, Charles Dardare et Louis Leveillé, ce dernier blessé par balle11. Lors du procès se tenant au mois d'août suivant, l'avocat général Bulot plaide en faveur de la peine de mort pour un des prévenus. Le verdict ne répond pas à ses attentes mais reste sévère, puisque Decamps est condamné à cinq ans de prison, contre trois pour Dardare, alors que Leveillé est acquitté12. Le procès n'a pas le même écho que la fusillade des Fourmies mais fait couler beaucoup d'encre dans la presse anarchiste. L'année suivante, Ravachol décide de se venger des magistrats de l'affaire de Clichy et lance une bombe sur l'immeuble où réside l'un d'entre eux, déclenchant ainsi « l'ère des attentats »13.

Jean Maitron, et plus récemment Gilles Ferragu, évoquent une véritable « psychose » entourant le mouvement anarchiste dans les années 1890 liée à la multiplication des attentats, dépassant le simple acte criminel dans les rubriques des journaux14. Si nous ne souhaitons pas minimiser le danger que représentent les militants anarchistes partisans de la propagande par le fait, il faut questionner les portraits que fait la presse de certaines figures libertaires et qui tendent à influencer l'action de la machine d'État. Dans son mémoire intitulé Les attentats anarchistes de la fin du XIXe siècle dans la presse, Mélusine Giraudot insiste sur le fait que les journaux traitent les explosions et autre acte de propagande par le fait comme des « faits divers »15. Alors que la presse popularise le qualificatif de « terroriste » à la fin du XIXe siècle, elle met en avant le sensationnalisme de l'attentat en criminalisant ses auteurs comme

9 André Salmon, La Terreur noire, op.cit., p.120.

10 Ibid., p.122-123.

11 Vivien Bouhey, Les anarchistes contre la République..., op.cit., p.244.

12 Ibid., p.244.

13 Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.213. 14Ibid., p.211 ; Gilles Ferragu, Histoire du terrorisme, op.cit., p.97.

15 Mélusine Giraudot, Les attentats anarchistes de la fin du XIXe siècle dans la presse, mémoire de Master, 2016.

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peut le faire n'importe quel fait divers16. Ainsi, l'attentat d'Auguste Vaillant en 1893 a produit vingt-deux articles en une sur un total de cinquante-neuf articles17. Concernant Ravachol, il est important de noter que le Figaro a entièrement retranscrit son procès dans son édition du 27 avril 189218 et participe ainsi à la focalisation de l'opinion publique sur le mouvement anarchiste. De plus, selon Mélusine Giraudot, les journaux font état quotidiennement des perquisitions, arrestations et autres provocations anarchistes ce qui ne fait qu'entretenir une « effervescence terrifiante et tapageuse » à propos d'un danger considéré par certains comme surévalué19. Cet engouement médiatique se traduit par la création de rubriques spéciales intitulées « la dynamite » ou « les anarchistes », même si la plupart des articles concernant les attentats trouvent leur place dans les rubriques consacrées aux faits divers20. On peut cependant noter une évolution dans le traitement par la presse des attentats anarchistes puisqu'avant celui de Ravachol contre le conseiller Benoît en 1892, seul l'explosion de l'Assommoir est traitée comme telle dans les journaux21. L'émergence des faits divers est liée à « l'inflation informative » qui marque le début de la Troisième République22 et favorisée commercialisation des « quotidiens à un sous »23. Il est par ailleurs nécessaire de rappeler que l'expression « fait divers » désigne à la fois des accidents, des meurtres, des inondations, des bagarres ou encore des suicides24. Or, à la fin des années 1880, les explosions attribuées aux anarchistes font l'objet de ces rubriques, interrogeant sur la façon dont ils sont perçus par les auteurs de ces articles Doit-on y voir ici la promotion d'actes isolés qui font désormais partie d'un quotidien, certes tragiques, mais intégrés à la réalité de la société française de la fin du XIXe siècle ?

En outre, ceci favorise nécessairement la construction d'un « ennemi de l'intérieur » engendré par le monde ouvrier et les bas-fonds parisiens réactivant les peurs de la société

16Ibid., p.12-13.

17 Ibid., p.35.

18 « Ravachol en cours d'assises », Le Figaro, n°118, 27 avril 1892.

19 Mélusine Giraudot, Les attentats anarchistes de la fin du XIXe siècle dans la presse, op.cit., p.41-42.

20 Ibid., p.42.

21 Ibid., p.44.

22 Marine M'Sili, Le fait divers en République: histoire sociale de 1870 à nos jours, CNRS, 2000, p.10.

23 Ibid., p.34-35.

24 Ibid., p.10.

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bourgeoise25. La question inévitable des choix répressifs à disposition de l'administration de la coercition légitime se doit d'être posée26. Tandis que l'exécutif a fait le choix de la frappe ciblée à Lyon en 1882 à la suite de l'attentat du théâtre Bellecour, la multiplication des actes individuels au début des années 1890 l'incite à traiter l'anarchisme comme un terrorisme et à le réprimer en tant que tel. Or, il faut noter que le mouvement libertaire prône deux modes d'action différents : la propagande orale et écrite dans les réunions publiques et les journaux, la « propagande par le fait » menée à l'aide d'explosion à la dynamite. La presse participe à une généralisation de la seconde méthode, alors que l'attentat revêt malgré tout d'une dimension exceptionnelle27. Ainsi, si les périodiques anarchistes eux-mêmes publient des articles particulièrement violents, le passage à l'acte reste rare mais beaucoup plus remarquable28. Jean Grave note alors ce fossé qui existe entre imaginaire politique et réalité :

« Tous plus ou moins - mais plutôt plus que moins - nous rêvions bombes, attentats, actes «éclatants» capables de saper la société bourgeoise [...]. La lutte énergique menée contre le tsarisme par les nihilistes avait fortement influencé notre propagande. [...] Faire sauter le palais Bourbon, le Palais de Justice, la préfecture de police, c'était là nos buts et la possibilité en fut envisagée. Nous nous pourléchions d'avance29

Tableau 8 - Les attentats anarchistes des années 1892-1893

Date

Faits

Responsable

11 mars 1892

Explosion d'un

immeuble boulevard Saint-

Germain, le conseiller Benoît est visé.

Ravachol

15 mars 1892

Explosion de la caserne Lobau.

Théodule Meunier

25 Gilles Ferragu, Histoire du terrorisme, op.cit. p.96-97.

26 Ibid., p.97.

27 Gilles Ferragu, Histoire du terrorisme, op.cit, p.105.

28 Ibid., p.106.

29 Jean Grave, Le Mouvement libertaire sous la IIIe République, Les OEuvres représentatives, 1930, p. 210.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 158

27 mars 1892

 

Explosion de la rue de Clichy contre l'avocat général Bulot.

Ravachol

25 avril 1892

Explosion du restaurant Very - deux morts.

Théodule Meunier.

8 novembre 1892

Explosion de la rue des Bons-Enfants - cinq morts.

Émile Henry.

9 décembre 1893

Bombe lancée à la

Chambre des députés -
Blessés légers.

Auguste Vaillant ;

Evènement à l'origine des lois « scélérates ».

Source : Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, tome1, op.cit., p.214.

Comme le démontre le tableau 8, la menace anarchiste qui touche la France au début des années 1890 est bien réelle. Les feuilles anarchistes de cette période favorisent des discours de violence inédits, et si l'on peut considérer que l'attentat reste un acte rare, il fait la une de la presse populaire30. L'impuissance de la police est sans-cesse rappelée par les journaux et transparaît dans ses échecs à arrêter les coupables des explosions mais surtout à prévenir ces actes meurtriers31. Il incombe au chercheur de s'interroger sur les raisons expliquant cette incapacité de l'appareil policier à répondre à sa mission de maintien de l'ordre.

B) Difficultés policières et réponses insuffisantes

Une des premières réponses qui s'impose à nous est le manque de recours judiciaire permettant à l'administration de la coercition légitime de lutter efficacement contre la menace

30 Gilles Ferragu, Histoire du terrorisme, op.cit, p.106.

31 cf. Chapitre 5.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 159

anarchiste. Dans Ses souvenirs de police, le commissaire Ernest Raynaud rappelle le contexte dans lequel s'est produit l'attentat de Vaillant et la promulgation des législations visant à réprimer les menées anarchistes32. Il reprend en effet les propos de Louis Puibaraud, alors président du comité des inspecteurs généraux en 189333 et échangeant avec Charles Dupuy lui même président du conseil :

« Je m'engage à vous délivrer du péril anarchiste, si vous me faites voter des lois en conséquence. Je m'y déclare impuissant avec la législation actuelle. À quoi nous sert d'arrêter les libertaires, au cours d'une émeute, puisqu'ils s'en tirent avec une condamnation bénigne pour port d'arme prohibée ou refus de circuler. La belle affaire ! À quoi nous sert d'interdire leurs réunions, puisqu'ils jouissent, comme le commun des mortels, chez nous, du droit d'association ? Comment faire cesser leur propagande, tant que vous n'aurez pas modifié la loi sur la presse et restreint ses libertés? Même alors, il restera aux libertaires les tréteaux de la Cour d'assises, pour y étaler complaisamment leurs théories en public, que les journaux reproduisent à des milliers d'exemplaires. Supprimez la publicité des débats. Il faut mettre les anarchistes hors la loi et revenir, pour eux, au délit d'opinion34. »

Cette déclaration de Puibaraud interroge sur les moyens juridiques à disposition des institutions policières pour prévenir les attentats anarchistes. Malgré la surveillance accrue qu'ils exercent sur les compagnons, ils n'ont pu empêcher les explosions qui touchent l'ensemble du territoire français depuis le début des années 1880.

Ensuite, l'efficacité de l'appareil policier interroge d'autant plus que cette administration bénéficie largement des fonds secrets maintenus par le Ministère de l'Intérieur. La nécessité d'avoir les moyens pour protéger la République a toujours été au centre de l'argumentaire du pouvoir exécutif35. Cependant, les débats autour des dépenses secrètes revêtent avant tout une dimension politique et non technique36. D'une part, les députés votent une première fois contre le budget du ministère de l'Intérieur de l'année 1890, avant de l'adopter, alors que la menace anarchiste est loin d'avoir disparu37. D'autre part, le graphique 4 indique que le montant des fonds secrets n'est pas corrélé aux crises que traversent la

32 Ernest Raynaud, La vie intime des commissariats: souvenirs de police, « Le Péril Anarchsite », Payot, 1926, p.37-46.

33 cf. notice biographique de Louis Puibaraud sur le site de la Société d'histoire de la police : http://www.sfhp.fr/index.php?post/2009/05/02/Notice-biographique-Louis-Puibaraud

34 Louis Puibaraud cité dans Ernest Raynaud, La vie intime des commissariats: souvenirs de police, op.cit. p.3940.

35 cf. Chapitre 5.

36 Sébastien- Yves Laurent, L'Etat secret, l'information et le renseignement en France au XIXe siècle..., op.cit., p.321.

37 AN, F7 12828. « Fonds Secrets - Résumés des discussions à la Chambre. Copies (1884-1896) ». Compte - rendu concernant le budget de 1890.

République, puisqu'il diminue dans les années 1890 alors que le régime est touché par de nombreux attentats. Par conséquent, l'inefficacité des forces de police à lutter contre le mouvement anarchiste peut être expliquée par une diminution de ses moyens financiers. Sébastien Laurent considère pour sa part que le régime n'a pas en réalité compté sur les dépenses secrètes pour se protéger et qu'il existe une déconnexion entre les « dépenses secrètes » et « la part réellement secrète de l'action de l'État »38. Ceci sous-entend que la machine d'État dispose d'autres moyens à sa disposition pour lutter contre l'anarchisme durant cette période.

Graphique 4 - Evolution du montant des fonds secrets du Ministère de l'Intérieur

(1870-1900)

Fonds Secrets

2500000

2000000

1500000

Fonds Secrets

1000000

500000

0

1870 1875 1880 1885 1890 1895 1900

Source : Sébastien-Yves Laurent, L'État secret, l'information et le renseignement en France au XIXe siècle..., op.cit., p. 322.

Par ailleurs, de l'aveu même des forces de police, des facteurs extérieurs les empêcheraient de mener à bien leur mission. D'après une note concernant les « Mesures

38 Sébastien- Yves Laurent, L'Etat secret, l'information et le renseignement en France au XIXe siècle..., op.cit., p.321.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 160

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 161

prises par la Préfecture de police contre les anarchistes », ces difficultés résident dans la facilité pour les anarchistes de fuir à l'étranger et « les indiscrétions de la presse » permettant aux suspects de dépister les agents qui sont sur leur trace39. Pour confirmer son propos, l'auteur de la note passe en revue les attentats qui se sont produits depuis 1892. Dans le cadre de l'explosion du Boulevard Saint-Germain, la police affirme connaître en moins de huit jours le nom de son auteur : Ravachol. Cependant, la presse s'en empare immédiatement et « s'en moque » jusqu'à remettre en question l'existence de Ravachol40. Puis, l'administration de la coercition légitime n'échappe pas aux critiques des opposants politiques au gouvernement. Ainsi, en mars 1892, le député bonapartiste Marius Martin dénonce l'inefficacité des forces de police contre le mouvement anarchiste41. Quelques mois plus tard, Georges Laguerre avocat d'Antoine Cyvoct en décembre 1883, accuse pour sa part la préfecture de police d'être à l'origine des attentats :

« Je dis -- et je ne parle point de l'époque où nous sommes-- je dis qu'il y a une tradition à la préfecture de police, que j'espère que cette tradition tend à disparaître et que je souhaite que vous la fassiez disparaître tout à fait, -- qui fait qu'une partie des anarchistes dont vous lisez les noms dans les réunions publiques -- cela n'est un secret pour personne -- ont leur dossier à la préfecture, que ces anarchistes sont subventionnés par elle et que la tentative des anarchistes contre la statue de M. Thiers a été vue d'un oeil bienveillant à la préfecture42. »

Cette déclaration accuse ouvertement l'institution parisienne de continuer à utiliser des agents provocateurs et, pour la première fois, la participation de la PP dans l'attentat de Saint-Germain en Laye en 1881 est évoquée.

Une des premières réponses alors apportée à ces difficultés policières est d'ordre juridique. En effet, la loi du 2 avril 1892 modifie les articles 435 et 436 du Code Pénal et réprime ainsi l'utilisation de la dynamite43. D'après Jean-Pierre Machelon cette modification légale est directement liée aux attentats de Ravachol, permettant d'étendre le crime de destruction volontaire aux explosifs - l'article 435 consacre seulement l'usage du feu - et de

39 AN, F /12504. Agissements anarchistes. « Mesures prises par la Préfecture de Police contre les anarchistes. Leur Surveillance », note du 27 avril 1894.

40Ibid. « Mesures prises par la Préfecture de Police contre les anarchistes. Leur Surveillance. » Note du 27 avril 1894.

41 Séance de la Chambre des député du 15 mars 1892, Journal Officiel de la République, 16 mars 1892, p.270.

42 Georges Laguerre à la Chambre des députés le 16 novembre 1892, Journal Officiel de la République, 17 novembre 1892, p.1569.

43 Le texte de la loi est reproduit en Annexe 4.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 162

condamner les auteurs à la peine de mort44. De plus, la liste des objets détruits dans ce cadre concerne désormais « tous objets mobiliers et immobiliers de quelque nature qu'ils soient »45. De plus, la loi du 2 avril 1892 indique que « le dépôt, dans une intention criminelle, sur une voie publique ou privée d'un engin explosif sera assimilé à la tentative du meurtre prémédité »46. Enfin, elle encourage la dénonciation, permettant aux « coupables délateurs » d'échapper à la peine capitale mais ne les empêchant pas d'être frappés d'interdiction de séjour potentiellement à vie47. Pour Machelon cette modification de la loi est inutile dans le sens où l'article 435 originel du code pénal et tout attentat constituant un homicide entrainent une condamnation à la peine de mort48. Le juriste considère que le texte du 2 avril trahit « l'intention vengeresse du législateur » relevant avant tout de la forme et non de véritables modifications de fond49.

Néanmoins, les forces de polices bénéficient toujours de la possibilité d'effectuer de vastes opérations de perquisitions contre les milieux anarchistes sur l'ensemble du territoire français, à l'instar de celles menées entre mai et juin 189250. Le journal Le Temps indique que des mandats d'arrêts ont été délivrés par la préfecture de police contre 66 anarchistes et que 43 individus ont été arrêtés à Paris51. Le périodique, en comparaison avec d'autres journaux, dresse un portrait relativement positif de l'institution parisienne (potentiellement liée à la participation ponctuelle de Louis Puibaraud au quotidien), encourageant sa lutte contre le mouvement : « Depuis le jour où le parti anarchiste a signalé son existence par des explosions, la préfecture de police a surveillé d'une manière plus étroite les individus qui font partie de cette secte »52. Les coupures du quotidien Le Temps conservées par les agents de la Sûreté indiquent aussi que sur ordre du ministère de la justice, les exemplaires de la feuille libertaire Le Père Peinard ont été saisis dans tout le pays53. Enfin, le correspondant du journal

44 Jean-Pierre Machelon, La République contre les libertés ?..., op.cit. p.412.

45 Ibid., p.412.

46 Le texte de la loi est reproduit en Annexe 4.

47 Jean-Pierre Machelon, La République contre les libertés?..., op.cit. p.412.

48 Ibid., p.412.

49 Ibid., p.413.

50 AN, F7 12507. Arrestations et perquisitions dans les milieux anarchistes (1892-1895).

51 AN, F7 12507. Extrait du journal Le Temps, 23 avril 1892.

52 Ibid. Extrait du journal Le Temps, 23 avril 1892.

53 Ibid Extrait du journal Le Temps, 28 avril 1892.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 163

à Lyon note que des « mesures répressives [ont été] prises à l'égard des anarchistes dans le département du Rhône par le parquet de Lyon »54. Massard n'évoque aucunement cette vague d'arrestations massives qui rappelle pourtant celle précédant le procès des 6655. Un dossier retrouvé aux AN confirme que la police a arrêté des anarchistes pour association de malfaiteurs et un document récapitule les arrestations effectuées par les préfets dans plusieurs départements français56. Celui-ci relativise immédiatement l'impact de cette opération policière, puisque sur un total de 167 arrestations, 118 personnes sont relaxées57. Enfin, ces arrestations provoquent à la Chambre de nouveaux débats concernant le délit d'opinion, notamment entre le député socialiste Aimé Lavy et le conservateur Paul Déroulède58. « Il n'est personne, à part quelques terroristes, qui approuve les faits criminels qui ont été accomplis » affirme Lavy avant d'ajouter :

« J'ai cherché à vous démontrer que les hommes d'opinion avancée réprouvaient les explosions de dynamite ; mais les anarchistes eux-mêmes les condamnent, sinon d'une façon très nette, avec quelques restrictions sans doute, mais au moins de manière que notre opinion puisse se faire sur leur sentiment59. »

Le socialiste annonce alors qu'il ne votera pas l'ordre du jour de Déroulède puisque qu'il condamne selon lui une doctrine et « le Parlement ne peut pas s'ériger en juge des opinions »60. La discussion pose une nouvelle fois la question de la distinction entre la propagation d'une doctrine et les actes revendiqués au nom de celle-ci.

En somme, ni la modification de la loi sur les explosifs, ni le déclenchement d'une opération judiciaire de grande ampleur n'ont constitué une répression efficace du mouvement anarchiste. Les méthodes employées par l'appareil policier ne produisent pas le résultat escompté et divisent la Chambre sur la façon de gérer la menace. L'année 1893 est marquée

54 Ibid Extrait du journal Le Temps, 29 avril 1892.

55 Maitron et Massard soulignent avant tout la peur des militants de subir de nouvelles arrestations à la suite des attentats de Ravachol.

56 AN, F7 12507. « Etat des anarchistes arrêtés sous l'inculpation d'associations de malfaiteurs (article 265 du Code Pénal) - 17 mai 1892 ». Ce document est reproduit en annexe.

57 Ibid. « Etat des anarchistes arrêtés sous l'inculpation d'associations de malfaiteurs (article 265 du Code Pénal) - 17 mai 1892 ». Ce document est reproduit en annexe.

58 Chambre des députés, séance du 21 mai 1892, Journal Officiel de la République, 22 mai 1892.

59 Ibid., p.595.

60 Ibid., p.599.

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par un nouvel attentat qui touche le coeur du pouvoir et marque un tournant définitif en matière de libertés publiques pour la Troisième République.

6.2 - Quel modèle pour l'avenir ?

La propagande par le fait anarchiste, culminant avec les actes de Ravachol puis l'attentat de Vaillant en 1893, vient rappeler que le mouvement libertaire reste l'adversaire le plus résolu de « l'ordre social bourgeois ». Si la tendance individualiste du mouvement réduit de fait son impact politique, l'anarchisme participe activement au désordre social61. Le cycle d'attentats qui caractérise le début des années 1890 en France entraine logiquement un cycle répressif actionné par la machine d'État. Le régime républicain en vient à promulguer un « véritable code de répression de l'anarchisme »62 remettant définitivement en cause les principes libéraux défendus par les opportunistes à leur arrivée au pouvoir en 1879.

A) Nouvel attentat, nouvelles réponses

La bombe qui explose à la Chambre des députés le 9 décembre 1893 et qui fait la une de la presse le lendemain est l'attentat anarchiste de trop pour le gouvernement opportuniste. Le militant Auguste Vaillant souhaite venger la mort de Ravachol et protester contre la répression du gouvernement en commettant cet acte au coeur même des institutions républicaines. Ceci entraine une réponse législative avec la promulgation des premières lois dites « scélérates » dans les jours qui suivent l'événement ainsi qu'une action administrative pour tenter d'enfin enrayer la menace anarchiste.

Jean Maitron pour sa part estime que l'attaque de Vaillant aurait largement pu être évitée, et accuse la négligence de la police plutôt que le manque de moyens63. L'historien indique que dès le 11 décembre, soit un an avant l'attentat, un rapport du commissaire spécial de la police des chemins de fer indique que les anarchistes étudient le projet d'une explosion

61Jean-Pierre Machelon, La République contre les liberté ?..., op.cit., p.402.

62 Ibid., p.406.

63 Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit. p.237.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 165

au palais Bourbon64. Puis un autre document retrouvé aux archives de la PP enjoint les forces de police à surveiller plusieurs lieux susceptibles d'être visés par les anarchistes, notamment les galeries de la Bourse et les tribunes de la Chambre des députés65. L'auteur du rapport précise que « cela ne veut pas dire qu'il s'y produira des tentatives, mais réellement, dans l'état actuel des choses, les anarchistes s'attendent à des arrestations en masse ; on peut donc craindre qu'il y en ait parmi eux qui ne voudraient pas être arrêtés »66. Ainsi, selon Jean Maitron, la police a été avisée par la Sûreté Générale deux jours avant l'attentat « qu'il y a lieu de se borner à prendre les mesures de police pour prévenir toute tentative de ce genre »67. Enfin, l'historien précise que Vaillant est connu des services de police depuis plusieurs années et soumis à une importante surveillance68. Son nom apparaît en effet dans une liste, non datée, retrouvée dans le carton BA 1499, l'associant au comité révolutionnaire central à tendance blanquiste69. Selon la notice biographique du militant, il a en effet fait partie de ce groupe dans les années 188070. De plus, l'explosion de la Chambre de décembre 1893, aussi impressionnante soit-elle, n'a fait que quelques blessés71. De l'aveu de Vaillant lui même lors de son interrogatoire, il a préféré blesser plutôt que de tuer.. Dans cette optique,, explique-t-il, il aurait utilisé des balles et non des clous72. Malgré cela, il est condamné à mort - une première depuis le début du siècle pour quelqu'un qui n'a pas tué73 - et malgré la mobilisation de plusieurs députés en faveur de sa grâce, Vaillant est exécuté le 5 février 189474. La rapidité de la procédure concernant le militant anarchiste, la sévérité de sa peine et la promulgation en parallèle des lois dites « scélérates » tend à favoriser la « théorie

64 Rapport du 11 décembre 1892, AN, F7 12516, cité dans Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.237.

65 APP, BA 78, rapport de « Nemo », 15 novembre 1893, cité en partie dans Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.237.

66 APP, BA 78, rapport « Nemo », 15 novembre 1893.

67 AN, F7 12517, cité dans Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.237. 68Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.238.

69 APP, BA 1499. Listes et état des menées anarchistes jusqu'en 1893. « Etat des principaux groupes des diverses écoles socialistes de Paris ».

70 http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article86167, notice VAILLANT Auguste [anarchiste] par Jean Maitron, version mise en ligne le 30 mars 2010, dernière modification le 18 mars 2011.

71Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.233. 72 Gazette des Tribunaux, n°69, Jeudi 11 janvier 1894.

73Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.233. 74Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.234-235.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 166

du complot gouvernemental » affirmant que l'explosion ait été le fait d'agents provocateurs75. Dans Ses souvenirs de police, le commissaire Ernest Raynaud rappelle le contexte dans lequel s'est produit l'attentat et la promulgation des législations visant à réprimer les menées anarchistes76. L'anarchiste Jacot affirme en effet que l'explosion du Palais Bourbon n'est rien d'autre qu'un complot fomenté par le gouvernement avec la complicité de Charles Dupuy, alors président de la Chambre : « Ah ! la bravoure de Dupuy !... Elle ne lui coûtait pas cher !... Il savait mieux que personne que l'engin était inoffensif.77 » Le commissaire pour sa part, n'approuvant ni ne contredisant les propos du militant, note que « jamais bombe plus anodine n'était intervenue plus à propos ».78 Le 12 décembre 1893, la première loi dite « scélérate » est votée dans le but de répondre à cette attaque de l'anarchisme visant le coeur du pouvoir républicain. Le texte réforme celui du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, punissant dorénavant les provocations indirectes. La seconde promulguée au Journal Officiel le 19 décembre 1893 concerne les associations de malfaiteurs et permet de réprimer les personnes affiliées à ces organisations même si elles n'ont pas commis de crime79. Nous ne souhaitons pas nous appesantir sur le contenu de ces législations liberticides visant à limiter la menace anarchiste, mais de nous pencher sur la réaction de la machine d'État à la suite de l'explosion à la Chambre des députés.

Cet attentat marque un nouveau tournant dans les méthodes de répressions adoptées par l'administration de la coercition légitime pour lutter contre les anarchistes. Alors que la loi Municipale de 1884 renforce le contrôle qu'exerce le Ministère de l'Intérieur sur les forces de police locale, les politiques du maintien de l'ordre restent la responsabilité d'un réseau large mais inefficace. L'attentat d'Auguste Vaillant entraine une réaction inédite de l'appareil policier puisque David Raynal récemment nommé, émet une circulaire ordonnant à tous les préfets des renseignements sur les organisations anarchistes de leur département80. L'objectif est de déterminer s'il existe sur le territoire français une organisation anarchiste organisée et en capacité de renverser le régime. Les agents de la Sûreté ont ensuite consigné ces réponses

75 Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome1, op.cit., p.236-237.

76 Ernest raynaud, La vie intime des commissariats: souvenirs de police, op.cit., p.37-46.

77 Jacot cité dans Ernest raynaud, La vie intime des commissariats: souvenirs de police, op.cit.p.42.

78 Ibid. p.44.

79 Les textes des lois sont reproduits en annexe.

80 AN, F7 12504. « Organisation anarchiste - Réponses à la Circulaire du 13 décembre 1893 ».

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dans un tableau81 que nous reproduisons en annexe et permet de dresser une cartographie des pôles les plus actifs et de constater la perception qu'ont les autorités locales de la menace. Dans les Basses-Alpes, le Calvados, le Cantal, la Corrèze, les Côte-du-Nord, la Creuse, la Dordogne, l'Eure, l'Eure-et-Loir, le Gers, l'Ille-et-Vilaine, les Landes, le Lot, la Lozère, la Mayenne, l'Orne, la Haute-Saône, la Savoie, les Deux-Sèvres, la Vendée et l'Yonne, les préfets rapportent qu'il n'y a pas d'anarchistes. Celui du Morbihan indique la présence d'un seul anarchiste, quand celui de l'Oise indique qu'il y a « 4 anarchistes isolés », quand ceux de la Vienne, des Vosges et de Savoie estiment qu'il n'y a pas de groupes anarchistes dans leur département. Ce que constatent avant tout les administrations locales c'est l'absence d'organisation structurée du mouvement, indiquant la présence de militants se réunissant et correspondant parfois avec l'étranger, mais ne représentant pas de « groupement sérieux ». Ce sont les préfets des Bouches-du-Rhône, de la Loire et de Paris qui donnent les chiffres les plus importants de militants mais réfutent l'existence de toute organisation, estimant qu'une seule partie d'entre eux est réellement active - et potentiellement dangereuse - liant cela aux politiques répressives des années précédentes. Par exemple, à Marseille le préfet indique qu'il y a :

« de 100 à 110 anarchistes ; plus de la moitié sont étrangers. Ils étaient constitués jadis en 3 groupes distincts (...) A la suite des perquisitions successives et des expulsions auxquelles il a été procédé ces dernières années, tous ces groupes ont disparu. Il ne reste plus que des individualités d'autant plus redoutables que la disparition des groupes a rendu la surveillance plus difficile82

Un certain nombre de préfets font aussi état de correspondances entre les militants, notamment à l'étranger, démontrant des relations entre différents groupes mais pas d'organisation au sens premier du terme. Ainsi, le groupe d'anarchiste de Toulouse est en « relation avec les anarchistes des autres villes, notamment de Paris » selon le préfet de Haute-Garonne quand celui de Gironde note l'existence de « correspondances individuelles » entre les anarchistes de Bordeaux et ceux d'autres départements et que le secrétaire du groupe de Sainte-Florine en Haute-Loire « correspond avec les groupes étrangers ». Le préfet de l'Ain se veut plus précis sur la nature de ces relations avec l'étranger, indiquant que « deux d'entre eux [anarchistes de l'Ain] vont souvent à Genève, où ils sont en rapport avec les anarchistes de Suisse. On suppose qu'ils servent d'intermédiaires entre ces derniers et les

81 Ibid. « Organisation anarchiste - Réponses à la Circulaire du 13 décembre 1893 ».

82 Ibid. « Organisation anarchiste - Réponses à la Circulaire du 13 décembre 1893 ».

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 168

compagnons de Lyon pour l'introduction en France des publications révolutionnaires »83. Néanmoins, la majorité des réponses relativise la présence de nombreux militants et de groupes organisés remettant en cause l'hypothèse de l'existence d'une organisation anarchiste en France. Ceci interroge alors sur les méthodes de répressions envisagées par le Ministère de l'Intérieur à la suite du bilan de cette circulaire. Cependant, ce qui nous intéresse avant tout est de constater si les politiques de maintien de l'ordre mises en place depuis l'explosion de Bellecour en 1882 ont eu l'effet escompté. Si Lyon est toujours apparu comme le chef lieu du mouvement anarchiste, les militants ont subi de nombreux revers depuis le procès des 66 et ont eu du mal à maintenir une communauté influente. Le préfet du Rhône semble dresser ce constat dans sa réponse à la circulaire de décembre 1893 : « pas d'organisation proprement dite, pas de relation avec les anarchistes lyonnais en tant que collectivité, avec les groupes des autres villes et de l'étranger, mais des relations individuelles fréquentes entre les compagnons lyonnais et ceux de l'étranger »84. La région souffre en effet de la désorganisation de la Fédération révolutionnaire et l'éparpillement des groupes depuis la fin des années 1880, liés aux efforts déployés par l'institution policière lyonnaise depuis le procès des 6685. On l'a en effet constaté, les commissaires spéciaux s'appuient sur des réseaux d'indicateurs financés par les fonds secrets pour mener à bien leur lutte contre le mouvement anarchiste86.

Ce compte-rendu des préfets réalisés en 1893 fait état d'une réalité résultant de mesures répressives instaurées depuis la fin des années 1880 pour lutter contre la menace anarchiste. Le document révèle d'une part que, malgré ses difficultés remarquées durant « l'ère des attentats », les forces de police disposent de moyens pour enrayer le mouvement se révélant efficaces. De plus, si une organisation anarchiste a existé au début de la Troisième République, les réponses à la circulaire de décembre 1893 indiquent qu'elle a largement disparu à ce moment-là.

83 Ibid. « Organisation anarchiste - Réponses à la Circulaire du 13 décembre 1893 ».

84 AN, F7 12504. « Organisation anarchiste - Réponses à la Circulaire du 13 décembre 1893 ».

85 Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon..., op.cit., p 137.

86 cf. Chapitre 5 ; ADR 4M74.

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B) Un maintien de l'ordre incompatible avec la garantie juridictionnelle des libertés

La promulgation des lois « scélérates » et les restrictions qu'elles imposent en matière de libertés publiques amène à la question suivante : de quelle façon les anarchistes sont-ils perçus par le gouvernement? Le terme anarchiste devient synonyme de terroriste et vice-versa87. Au début des années 1890, le mouvement libertaire n'est plus que perçu au travers du prisme des attentats, ce qui conditionne la réaction de la machine d'État.

Une distinction existe bien entre doctrine anarchiste et acte terroriste, cependant la première loi scélérate du 18 décembre 1893 ne concerne pas particulièrement les attentats. Selon Machelon, elle légalise les méthodes administratives et policières jusqu'à présent appliquées par la machine d'État pour réprimer l'ensemble des compagnons88. Cela étant dit, la promulgation des législations d'urgence à la suite de l'attentat de Vaillant a marqué un tournant dans les mesures accordées à l'administration de la coercition légitime. Par conséquent, dès le 1er janvier 1884 une nouvelle opération de perquisition est organisée par le préfet de police sur la base de l'article 10 du code d'instruction criminelle89. Cette disposition législative « d'inspiration napoléonienne » selon Jean-Marc Berlière est considérée par de nombreux juristes comme une « menace permanente » pour la liberté individuelle90. Selon l'auteur d'une note en date du 23 avril 1894, ce texte « autorise le Préfet de Police, à Paris, et les Préfets dans les départements, à faire tous actes de recherche, de perquisition, de saisie, qui appartiennent à la Justice elle-même, mais avec différence que ces mesures ainsi ordonnées par les Préfets ont un caractère préventif, préparatoire » et permet de faire appliquer les lois de décembre 189391. Les commissaires effectuent ce jour-là deux mille perquisitions, traduisant l'ampleur de la traque dont sont victimes les anarchistes au début de cette période92. Le juriste estime que durant cette période la liberté individuelle des suspects

87 Thomas Bausardo dans La Fabrique de l'Histoire, « Histoire des Anarchies (4/4) : Y a-t-il eu une internationale anarchiste ? » France Culture, produit par Emmanuel Laurentin, le 31 août 2017.

88Jean-Pierre Machelon, La République contre les libertés?..., op.cit., p.414.

89 Ibid., p.418.

90 Jean-Marc Berlière, « Une menace pour la liberté individuelle sous la République. L'article 10 du code d'instruction criminelle », Criminocorpus [En ligne], Histoire de la police, Articles, mis en ligne le 01 janvier 2008, consulté le 11 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/criminocorpus/262/

91 AN, F7 12504. « Mesures prises par la Préfecture de Police contre les anarchistes. Leur Surveillance. », note du 23 avril 1894.

92 Jean-Pierre Machelon, La République contre les libertés?..., op.cit., p.418.

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visés par une surveillance et une répression d'un genre nouveau est largement restreinte93. Cependant, selon la préfecture de police, il est extrêmement difficile de mettre en pratique les lois votées en décembre 189394. Enfin, dans la note évoquée précédemment concernant les mesures prises par la préfecture de police contre les anarchistes, une partie est consacrée aux difficultés que rencontre l'institution parisienne à mettre en pratique les législations votées en décembre 189395. Les perquisitions effectuées en janvier 1894 ont été fructueuses mais les correspondances des militants retrouvées sont antérieures à décembre 1893 et ne tombent donc pas sous le coup des premières lois « scélérates »96. De plus, ces législations ne permettent pas de lutter efficacement contre le mouvement anarchiste selon l'auteur de la note puisqu'il faut que la justice prouve qu'il existe une entente entre les compagnons ou qu'ils détiennent des substances pouvant servir à fabriquer des explosifs. Or, il est extrêmement difficile d'établir une entente dans le cas où « l'exécution criminelle est toujours chez eux une oeuvre isolée97». C'est pourquoi les perquisitions restent le seul procédé à disposition des forces de police pour appliquer les lois de 1893.

Par ailleurs, la question de l'existence d'un « complot anarchiste » conditionne donc la forme que prennent les poursuites engagées contre le mouvement libertaire. Selon Gaetano Manfredonia, les lois dites « scélérates » font de la propagande anarchiste un délit spécifique98. Ceci marque alors une évolution dans les méthodes de répression puisque jusque-là, les rapports de polices s'appuyaient sur la loi en vigueur concernant les associations de malfaiteurs pour lutter contre le mouvement anarchiste99. La question de l'assimilation du terme « terroriste » aux anarchistes est essentielle pour comprendre la forme de répression qui s'abat sur le mouvement au début des années 1890. Jean Maitron soutient pour sa part que la violence de l'ère des attentats est en fait « la maladie infantile de l'anarchisme » et sous-

93 Ibid., p.418.

94 AN, F7 12504. « Mesures prises par la Préfecture de Police contre les anarchistes. Leur Surveillance. », note du 23 avril 1894.

95Ibid. « Mesures prises par la Préfecture de Police contre les anarchistes. Leur Surveillance. », Note du 23 avril 1894.

96 Ibid. Note du 23 avril 1894.

97 Ibid. Note du 23 avril 1894.

98 La Fabrique de l'Histoire, « Histoire des Anarchies (4/4) : Y a-t-il eu une internationale anarchiste ? » France Culture, produit par Emmanuel Laurentin, le 31 août 2017.

99 Ibid. 31 août 2017.

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entend donc que la propagande par le fait n'est pas le coeur de la doctrine anarchiste100. Comme le note Gilles Ferragu, l'anarchisme est un mouvement tiraillé entre les compagnons partisans des méthodes de propagande orale et pacifiste et des militants ne jurant que par l'acte de propagande par le fait101. Et si ce dernier reste exceptionnel, le terme de terroriste reste intrinsèquement lié à celui d'anarchiste. En réalité, l'opinion de certains leaders anarchistes à propos des attentats qui secouent la France et l'Europe au début des années 1890 souligne toute l'hétérogénéité du mouvement. Pierre Kropotkine condamne dans un article l'attentat qui touche le célèbre théâtre du Liceu à Barcelone et cause la mort pas seulement de « bourgeois » mais aussi d'innocents. Jean Grave demande au philosophe russe de ne pas publier son article et en propose un à la place qui se termine ainsi :

« Certes, pour en arriver à exécuter cet attentat, il faut avoir le coeur creusé par la haine, corrodé par les souffrances endurées. Pour qu'un anarchiste, dont la préoccupation maîtresse est celle de la justice, puisse arriver à concevoir froidement la mort de tant de personnes coupables seulement d'appartenir à la classe privilégiée, il faut qu'il soit bien profondément ulcéré102. »

Sans faire l'apologie de l'attentat terroriste, Jean Grave cherche à comprendre les motivations qui puissent pousser quelqu'un à produire un acte de propagande par le fait d'une telle violence qui dépasse largement la forme théorisée par les penseurs de l'anarchisme. Le militant ajoute dans ses mémoires que le fait qu'un des auteurs de l'attentat soit soumis à la torture en prison, « ne justifiait pas l'attentat, mais cela l'expliquait »103.

Du côté de Lyon, où le mouvement anarchiste a connu une répression certaine depuis le procès des 66, les militants désapprouvent les actes de Ravachol et ses attaques de commissariat. Ils redoutent en effet la répression des forces de police qui se manifeste régulièrement à l'aide de perquisitions et d'arrestations préventives depuis l'attentat de Bellecour104. Pourtant, les rapports de police indiquent que les forces de l'ordre ont conscience de cette hétérogénéité du mouvement. En mai 1890, un nommé « Epié » explique dans un rapport que « le parti anarchiste se divise en deux catégories bien distinctes »105 . La première prône le vol et souhaite « empiler » le vieux monde, quand la seconde est dirigée par

100 Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.259.

101 Gilles Ferragu, Histoire du terrorisme, op.cit., p.105.

102 Jean Grave, Le Mouvement libertaire sous la IIIe République..., op.cit., p.112-113.

103 Ibid., p.113.

104 Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon..., op.cit., p.154.

105 APP, BA 76. Epié, Paris, le 30 mai 1890.

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Reclus, Kropotkine et Grave qui à l'aide de leur journal la Révolte proposent les « principes fondamentaux de la société anarcho-communiste »106. Se concentrant avant tout sur le financement de la feuille anarchiste et ses célèbres auteurs, l'indicateur finit cependant son rapport sur cette note : « Revenant à la Révolte, il est bon de dire que ses articles sont toujours conçus d'une façon telle qu'ils ne tombent pas sous le coup de la loi, car un procès ou deux seraient causes de sa disparition »107. Enfin, l'année suivante, alors que la France s'apprête à entrer dans l'ère des attentats, un autre rapport de police souligne l'évolution du mouvement au début des années 1890 et relativisant l'idée d'une unité militante :

« Ce que l'on a coutume d'appeler le « parti anarchiste » subit en ce moment une transformation qui rend assez difficile une étude d'ensemble sur ses groupes et ses principaux membres. Les personnalités plus ou moins tapageuses qui, il y a quelques années faisaient parler d'elles, se sont apaisées ou complètement retirées du mouvement ou n'apparaissent plus que de très loin dans les réunions de la secte. D'autre part, ceux que l'on désignait ou qui se désignaient eux-mêmes comme des militants, des hommes d'action sont pour les mêmes causes ou des causes adjacentes, disparus également pour la plupart. (...)108. »

La police a donc conscience des mutations qui traversent l'organisation au début des années 1890. Dans ce rapport, il est aussi indiqué qu'il existe une différence entre les militants favorisant l'action individuelle et le reste des « compagnons ». L'indicateur insiste néanmoins sur le renouvellement des effectifs anarchistes parmi une jeunesse éduquée et prônant de nouvelles formes d'action. Ces dernières sont critiqués par certains penseurs de l'anarchisme à l'instar d'Émile Pouget se désolant du « silence des anciens » sur ces nouveaux groupes « de jeunes »109. L'auteur de la note fait état pour sa part d'une mutation du mouvement libertaire :

« il résulterait que le parti anarchiste serait plutôt en décroissance qu'en progrès et si l'on devait simplement se rapporter au peu d'importance des groupes existants. Mais en en n'examinant que ce point de vue, on risquerait de se tromper. Les anarchistes, comme presque tous les autres socialistes révolutionnaires, subissent une période de « mue », à Paris au moins (...) Il suffit de lire les organes anarchistes pour se rendre compte du fait : il suffit surtout d'entendre ceux qui rédigent lesdits organes »110.

106 Ibid. Epié, Paris, le 30 mai 1890.

107 Ibid. Epié, Paris, le 30 mai 1890.

108 APP, BA 77. « Les Anarchistes. Bulletin de quinzaine » Paris, le 5 novembre 1891.

109 Ibid. « Les Anarchistes. Bulletin de quinzaine » Paris, le 5 novembre 1891.

110 Ibid. « Les Anarchistes. Bulletin de quinzaine » Paris, le 5 novembre 1891.

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L'indicateur prend ensuite le temps d'analyser les feuilles les plus populaires à Paris et l'impact qu'elles ont sur le mouvement. La Révolte, animée par Kropotkine et Reclus entre autres, est l'organe le plus ancien mais aussi le plus philosophique et le moins accessible. Selon lui : « la Révolte fait plus de propagande et de recrues dans les classes aisées que parmi la classe ouvrière qui ne la comprend pas »111. Ce n'est pas le cas du Père Peinard, dont le style direct et pamphlétaire touche plus la province que la capitale et en fait un « organe de propagande anarchiste très sérieux » d'après le rapport112. Enfin, les journaux parisiens le Pot-à-Cole et le Rifflard, dont l'influence est très limitée inquiète tout de même l'indicateur dont la « besogne porterait des fruits qui pourraient être tristes à recueillir »113. Ce rapport fait ainsi la distinction entre les journaux favorisant la théorisation de la pensée anarchiste et ceux faisant donc l'apologie des actes les plus violents. De la même façon, l'indicateur de police préconise des mesures de répressions nécessaires contre les nouveaux groupes de militants, tenant des discours violents et les compagnons se réunissant dans le but de réfléchir et de discuter de la philosophie anarchiste.

En somme, les lois « scélérates » apparaissent comme une réponse politique du gouvernement à l'attaque de Vaillant qui érige les anarchistes comme ennemis publics de la République. L'appareil policier pour sa part regrette leurs difficultés d'application et s'appuie sur l'article 10 du code de procédure criminelle pour mener à bien sa mission répressive. Cette dernière prend une dimension inédite au milieu des années 1890 puisque c'est autant les actes terroristes que la pensée anarchiste qui sont visés par les législations de décembre 1893114. Tandis que les agents de police ont conscience de la distinction qui existe entre doctrine libertaire et acte de terreur, la machine d'État a définitivement abandonné les principes fondamentaux du libéralisme au profit de la protection du régime.

111 Ibid. « Les Anarchistes. Bulletin de quinzaine » Paris, le 5 novembre 1891.

112 Ibid. « Les Anarchistes. Bulletin de quinzaine » Paris, le 5 novembre 1891.

113 Ibid. « Les Anarchistes. Bulletin de quinzaine » Paris, le 5 novembre 1891.

114 Voir le texte des lois en Annexe 5.

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Conclusion

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« Nous avons en France trop de polices ou une police trop compliquée1. »

Cette phrase du criminologue Edmond Locard s'applique au ressenti qui s'exprime à la fin de ce travail de recherche. Les institutions policières de la fin du XIXe siècle s'entremêlent dans un schéma complexe et produisent une quantité d'archives dans laquelle le chercheur doit se frayer un chemin. La police ne se résume pas seulement au ministère de l'Intérieur, à la Préfecture de police, et à la Sûreté générale. Il faut aussi prendre en compte les polices municipales - étatisées ou non - et les prérogatives dont disposent les préfets sur leur département en matière de maintien de l'ordre. Ce n'est pas tout, car l'appareil policier n'est qu'une partie de l'administration de la coercition légitime qui s'organise au début de la Troisième République ; l'institution judiciaire et le pouvoir exécutif viennent compléter ce schéma déjà très complexe. Nous avons cherché tout au long de ce mémoire à expliquer le fonctionnement, le rôle et les limites de ces différentes institutions opérant sous l'égide de ce que nous avons nommé la « machine d'État » du régime républicain.

La République contre les anarchistes

Ce travail s'ancre dans une réflexion globale concernant la Troisième République et le libéralisme de ses institutions au travers de la question suivante : le régime a t-il créé de toute pièce une menace anarchiste pour pouvoir se légitimer ?

Cette hypothèse frontale a été immédiatement écartée à la vue de la formulation du principe de la « propagande par le fait » et des nombreuses attaques à la bombe qui ont marqué la période étudiée2. Cela ne nous a pas empêché de nous pencher sur les réponses apportées par le gouvernement opportuniste pour enrayer la propagation du militantisme anarchiste. Nous avons ainsi constaté la mise en place d'un maintien de l'ordre républicain en parallèle du développement d'un mouvement anarchiste dans les années 1880. Les compagnons profitent de la loi d'amnistie des communards votée par les opportunistes à leur arrivée au pouvoir ainsi que du retour des militants internationalistes réfugiés dans les pays européens frontaliers pour se réorganiser.

La période étudiée est tout aussi centrale pour le lecteur qui s'intéresse aux fondements de la Troisième République et à l'administration policière que pour celui qui se

1 Edmond Locard, La police, ce qu'elle est, ce qu'elle devrait être, Payot, 1919.

2 Voir Annexe 1 - Tableau des actions anarchistes.

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passionne pour l'histoire de l'anarchie. La libéralisation de la presse favorise autant les « quotidiens à un sous » adeptes de romans-feuilletons et de faits divers que les périodiques anarchistes. Puis, pendant la restructuration de la Sûreté générale et la mise en place des lois « fondatrices », un premier attentat anarchiste de grande ampleur touche le café l'Assommoir du théâtre Bellecour à Lyon en octobre 1882. L'événement marque l'opinion publique - un garçon de café est tué - et fait prendre conscience à l'administration de la coercition légitime, la menace que représente les anarchistes, alors qu'elle redoutait jusqu'à présent la formation d'une nouvelle Internationale.

Le procès des 66 qui se tient à Lyon en 1883 peut être considéré comme le premier fait d'armes de l'administration de la coercition légitime sous la Troisième République. Il s'agit d'enrayer la menace anarchiste à l'aide d'une législation anti-libérale et contraire aux principes du régime - la loi Dufaure interdisant l'AIT - dans le but de protéger le nouveau gouvernement et de légitimer son pouvoir. Cela ne fait que renforcer les divisions idéologiques entre les opportunistes et les radicaux, ces derniers reprochant à la majorité d'avoir fait du procès de Lyon un procès politique contraire aux idéaux républicains. En outre, si l'activité anarchiste est ralentie pendant quelques temps à Lyon, les pratiques militantes évoluent favorisant la stratégie de la propagande par le fait. Ceci résulte en de nombreuses explosions dans le courant des années 1880, touchant des lieux symboliques du pouvoir républicain (notamment les commissariats de police) autant dans la région lyonnaise que dans la capitale3.

In fine, le gouvernement renforce sa mainmise sur les pouvoirs de police dans le but d'asseoir son autorité et de mieux contrôler les politiques du maintien de l'ordre se détachant de plus en plus des principes républicains4. L'efficacité des mesures prises pour lutter contre l'anarchisme reste critiquable au début des années 1890 à la vue des attaques de Ravachol et de la bombe que lance Vaillant à la Chambre. L'administration de la coercition légitime sacrifie définitivement l'idéologie libérale lors des votes des lois « scélérates » en décembre 1893, révélant les contradictions qui existent entre l'exercice de l'État et la doctrine politique.

3 cf. Chapitre 5.

4 cf. la loi municipale de 1884 dans le Chapitre 5.

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Une machine d'État conditionnant la pratique du pouvoir des républicains

Ainsi, nous avons constaté tout au long de ce mémoire la présence d'une machine d'État. Malgré les vagues d'épurations successives touchant l'appareil policier au début de la Troisième République et les tentatives de réformes des institutions judiciaires, les opportunistes ne peuvent se détacher des cadres étatiques installés depuis plusieurs décennies.

Pour des questions évidentes de moyens, les républicains conservent en grande partie les agents de la préfecture de police et les commissaires de la Sûreté tout en écartant les individus les plus hostiles au nouveau régime5. L'épuration de la magistrature que plusieurs historiens ont qualifié d'épuration brutale a de la même façon écarté les fonctionnaires qui ont traîné leur robe dans la « boue du 2 décembre » selon les mots de Camille Pelletan mais ont largement limité leur réforme de l'institution6. Cependant, il ne faut pas considérer que le nouveau régime souffre de cet héritage. Cette machine d'État lui assure une protection contre les menaces politiques - conservatrices et révolutionnaires - tout en légitimant son gouvernement opportuniste. Tandis que la Sûreté Générale a vocation à disparaître au début de la Troisième République, son directeur Émile-Honoré Cazelles - un républicain effronté - insiste sur la nécessité de conserver une institution en charge du renseignement politique dans le but de protéger le gouvernement7. Le rapport Cazelles apparaît comme le document fondateur d'une administration républicaine de la police, reprenant les cadres et méthodes hérités du Second Empire tout en développant une doctrine adaptée à la conception libérale. Du côté de la Préfecture de police, la suppression de la quatrième brigade de recherches n'a pas empêché Louis Andrieux de créer son propre réseau d'indicateurs qui dépasse largement le territoire sur lequel il exerce sa souveraineté8. Enfin, le ministère de l'Intérieur se plie aux règles du régime républicain en soumettant chaque année son budget au vote de la Chambre mais argumente toujours en faveur du maintien des fonds secrets, qui financent entre autres la préfecture du Rhône et ses larges besoins en matière de police politique9. Par ailleurs, l'institution judiciaire, connaît les mêmes types de réformes que l'appareil policier :

5 cf. Chapitre 2.

6 cf. Chapitre 4.

7 Voir le rapport Cazelles, Chapitre 2.

8 Voir Louis Andrieux, Souvenirs d'un préfet de police, op.cit., p.36 et les cartons concernant les anarchistes du Rhône à la PP.

9 cf. Chapitres 3 et 5.

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l'inamovibilité des magistrats est suspendue en 1883 permettant d'écarter les fonctionnaires les plus anti-républicains mais ses structures ne sont aucunement remises en cause10. Au delà du paradoxe que représente une justice politique illustrée par la présence d'un parquet nommé par le pouvoir exécutif, la répression du mouvement anarchiste dans le cadre du procès des 66 a révélé les rapports de subordination qui existent entre le corps de la magistrature et le gouvernement11. L'administration de la coercition légitime tente ainsi de s'adapter à la doctrine républicaine tout en conservant les pratiques héritées des régimes précédents.

Il s'agit en fait d'une véritable machine d'État qui remet en cause l'ensemble des hiérarchies propres au maintien de l'ordre, dans le seul but de protéger le régime qu'elle doit désormais servir. Le ministère de l'Intérieur n'est pas le seul acteur disposant des pouvoirs de police et à être en charge de la protection de la République : il est certes à la tête d'une technostructure policière, mais les institutions de la haute-police jouissent en réalité d'une grande autonomie. Par conséquent, cet organigramme complexe contraint la mise en place d'une politique unique et efficace de répression des compagnons libertaires. L'appareil policier et la magistrature disposent cependant de la même mission et du même objectif de protection du régime. C'est pourquoi, il est possible d'évoquer l'existence d'un « archipel de gouvernement » au début de la Troisième République, empêchant de conférer aux opportunistes l'entière responsabilité des politiques antilibérales visant à enrayer la menace anarchiste.

En somme, il existe un déterminisme de la machine d'État permettant de dépasser la question du libéralisme de la Troisième République qui divise les historiens.

Une administration de la coercition légitime se révélant dans les sources de l'histoire de l'anarchisme

L'originalité de cette recherche réside dans l'approche du maintien de l'ordre à la fin du XIXe siècle en France à travers l'histoire du mouvement anarchiste.

Dès le début de cette étude, nous avons constaté que l'historiographie est toujours dominé par les travaux de Jean Maitron dont la thèse reste aujourd'hui le travail de

10 cf. Chapitre 4.

11 Voir les dossiers de carrières des magistrats au Chapitre 4.

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référence12. Certes, d'autres chercheurs se sont penchés sur l'évolution de la doctrine anarchiste13 ou ont étudié les modes de vie libertaires14. Néanmoins, ces aspects de l'histoire de l'anarchisme n'ont pas été analysés dans ce mémoire, car notre intérêt s'exprime avant tout pour le contexte politique et social lié à l'émergence d'un « parti révolutionnaire » en France à la fin du XIXe siècle. Les débuts de la Troisième République, les Communes de Lyon et de Paris et les questions idéologiques qui divisent les partisans du nouveau régime sont parties intégrantes de l'histoire de l'anarchie. Réciproquement, une plongée dans les milieux libertaires français des années 1880 révèle l'existence d'une administration du maintien de l'ordre républicain et permet d'écrire une autre histoire de l'État à cette époque.

La définition même du terme anarchie conditionne l'absence de hiérarchie et de structures institutionnelles garantissant une organisation de type partisane15. Par conséquent, il n'existe pas de centre d'archives réunissant les productions et l'activité des militants depuis le milieu du XIXe siècle. Les historiens s'appuient sur d'autres sources, que ce soit les papiers réunis par Max Nettlau conservés à l'ISSH, les mémoires de militants comme Louise Michel et Jean Grave ou encore les nombreux journaux libertaires édités par les groupes dans plusieurs régions de France. Néanmoins, ce qui nous a marqué dans la lecture des différents travaux sur l'anarchisme en France, reste la large utilisation des sources policières pour écrire cette histoire d'un mouvement qui a refusé toute forme d'organisation rigide et codifiée. Jean Maitron utilise les rapports de surveillance de la Préfecture de police et des documents issus de la série F7 des Archives Nationale notamment pour évaluer les effectifs militants16. Marcel Massard et Laurent Gallet ont largement étudié les fonds de la série 4M des ADR pour retracer respectivement l'histoire des anarchistes lyonnais17, celle d'Antoine Cyvoct et du procès des 6618. Plus récemment, Vivien Bouhey s'est intéressé aux réseaux des compagnons

12 Nous avons largement fait référence à l'ouvrage de Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France dans ce mémoire, source principale pour retracer l'évolution du mouvement anarchiste à la fin du XIXe siècle.

13 Gaetano Manfredonia, Anarchismes et Changement social, Atelier de Création Libertaire, 2007.

14 Pour exemple : André Nataf, La vie quotidienne des anarchistes en France..., op.cit. ; Céline Beaudet, Les milieux libres..., op.cit.

15 cf. Introduction.

16 Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en Franc. Tome 1, op.cit., p.128-129.

17 Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon..., op.cit.

18 Laurent Gallet, Machinations et artifices..., op.cit.

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à l'aide des archives policières de nombreux départements en plus de celles de la PP19, tandis que Gaetano Manfredonia travaille désormais sur la répression policière du mouvement sur l'ensemble du territoire français et fait appel aux documents conservés aux ADR20.

Pourtant, si les chercheurs se sont appuyés sur ces sources pour écrire l'histoire du mouvement anarchiste, ils ne les ont jamais étudiés pour ce qu'elles étaient réellement, soit des témoignages de l'administration policière à la fin du XIXe siècle.

Que ce soit les rapports des agents présents lors des réunions publiques, les lettres d'indicateurs infiltrés dans des groupes ou les échanges entre les différentes institutions en charge de la répression du mouvement anarchiste, les archives dressent le portrait d'une technostructure du maintien de l'ordre sous la Troisième République. La Préfecture de police de Paris et ses moyens dignes de la police secrète du Second Empire, la Sûreté générale et son réseau de commissaires spéciaux des chemins de fer et la préfecture du Rhône largement financée par les fonds secrets du ministère de l'Intérieur produisent une quantité de documents qui permettent à la fois d'écrire une histoire du mouvement anarchiste en France et une histoire du maintien de l'ordre dans les années 1880. Ceci permet ensuite de proposer une réflexion sur le paradoxe que peut représenter l'existence d'une police républicaine et de raconter une autre histoire de l'État au début de la Troisième République.

Ce mémoire aborde l'histoire de l'anarchisme sous l'angle de l'administration de la coercition légitime - ce qui a pour l'instant fait l'objet de peu de travaux21 - et celle d'une Troisième République largement associée au triomphe du libéralisme en Europe. Nous estimons donc que ce travail met en lumière de nouvelles sources pour écrire une histoire de l'État en France à la fin du XIXe siècle. En étudiant l'efficacité des réponses apportées par la technostructure policière et le pouvoir exécutif face à cette menace politique, nous pouvons analyser le système régissant les moyens de la répression. D'une part, la surveillance des militants libertaires n'est pas la mission d'une seule institution mais est partagée entre les diverses composantes de l'appareil policier se retrouvant à échanger la plupart des informations dans un contexte de crise, comme lors de l'attentat de l'Assommoir22. Une

19 Vivien Bouhey, Les anarchistes contre la République..., op.cit.

20 Pour exemple : Gaetano Manfredonia, « Surveillance et répression de l'anarchisme sous la IIIème République, 1879-1914 : le cas de la Creuse et de la Corrèze », dans Archives en Limousin, n°46, 2016, p.49-59.

21 Seul Vivien Bouhey et plus récemment Gaetano Manfredonia ont posé frontalement la question de la répression du mouvement anarchiste.

22 cf. Chapitre 3.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 181

forme de logique régit cette absence de centralisme démocratique associée jusqu'ici à des régimes conservateurs ou à une doctrine jacobine rejetée par les opportunistes. D'autre part, les moyens mis en place pour lutter contre le fractionnement de l'administration de la coercition légitime tendent à remettre en cause les fondements du libéralisme, un prix cher payé pour des résultats très limités.

L'étude du maintien de l'ordre à la fin du XIXe siècle propose une ouverture pour étudier l'histoire de l'État et de l'administration républicaine et creuse l'idée selon laquelle la pratique du pouvoir remet nécessairement en cause la doctrine des gouvernants. La présence d'une machine d'État renforce l'éclatement des politiques du maintien de l'ordre et empêche la mise en place d'une répression homogène du mouvement anarchiste.

Etudier la Troisième République sous le prisme de « l'État secret »

Nous n'avons aucunement la prétention de trancher le débat qui traverse l'historiographie de la Troisième République consistant à déterminer si le régime est, autant par la pratique que dans la doctrine, libérale.

En tant que jeune chercheuse et à la vue des contraintes temporelles dans lesquelles nous avons réalisé le travail, il est délicat de s'insérer dans des discussions académiques très riches et parfois complexe. Ceci n'a cependant jamais été notre objectif et nous avons donc fait le choix de centrer notre recherche sur les fondements administratifs du pouvoir au lieu d'étudier la vie politique et les changements de majorité qui rythment les années 1880. Toutefois, nous regrettons de ne pas avoir insisté sur l'influence qu'on pu avoir les scrutins électoraux et les évolutions du rapport de force au sein des républicains de gouvernement sur les politiques du maintien de l'ordre et la répression du mouvement anarchiste. Néanmoins les contraintes archivistiques que nous avons exposées dans le premier chapitre nous ont amené à détourner cette question en étudiant les structures de l'administration de la coercition légitime. Les débats à la Chambre des députés permettent de déterminer les positions des acteurs politiques quand l'étude des dossiers de carrières des magistrats confirment la subordination de ce corps judiciaire au gouvernement.

Une autre limite commune à tout travail de recherches est le choix des sources primaires étudiées. L'histoire du mouvement anarchiste à la fin du XIXe siècle a favorisé l'étude des archives de la PP, de la DSG et de la préfecture du Rhône. Or, il est possible et nécessaire de compléter ce travail avec l'analyse des séries 4M de l'ensemble des archives

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départementales françaises pour constater si ces institutions subordonnées au ministère de l'Intérieur produisent une politique homogène du maintien de l'ordre. Par ailleurs, le large dépouillement que nous avons réalisé entre les fonds du cabinet du préfet, la sous-série F7 et les cartons concernant les anarchistes des ADR, nous a obligé à sélectionner les documents analysés dans le cadre de ce mémoire. Il est frustrant de ne pas pouvoir exploiter toutes les archives que nous trouvions pertinentes pour notre sujet et de devoir tracer la limite de notre recherche.

Ceci n'empêche pas de considérer ce dépouillement comme une expérience très enrichissante en tant que jeune chercheuse et nous avons tenté malgré les contraintes de rendre compte dans ce mémoire de l'importance de ce travail d'archives. En outre, nous avons constaté qu'il y a matière à compléter ce travail sur l'administration de la coercition légitime en République. La complexité de l'appareil policier a retenu notre intérêt et la large production de documents associés aux différentes institutions nous pousse à nous interroger sur la compréhension qu'elles peuvent avoir du mouvement libertaire en terme de doctrine et de pratique. Il serait aussi intéressant de réaliser une étude comparative entre les polices françaises et britanniques dans la lignée du travail de Constance Bantman23.

Si à l'origine de ce mémoire on trouve un intérêt pour l'histoire de l'anarchisme, à son terme on s'est découvert une véritable passion pour l'histoire de la police et du renseignement. Nous espérons alors que ce travail saura s'insérer dans l'historiographie de « l'État secret » instiguée par Sébastien Laurent24 en proposant une autre approche de l'histoire de la Troisième République à la fin du XIXe siècle.

En définitive, il n'est pas évident pour un régime libéral de se défendre face à une menace venue de son aile gauche et qui s'exprime hors des institutions. Nous devons reconnaître la difficulté qu'il y a pour l'administration en charge du maintien de l'ordre d'empêcher un mouvement politique aussi déstructuré que l'anarchisme de sévir. Cette contrainte finit néanmoins par être détournée à l'aide d'une machine d'État écartant la nécessité sécuritaire au profit de la légitimation de l'autorité de la République. La répression de l'anarchisme prend le pas sur les principes du libéralisme et l'efficacité de ce choix se pose nécessairement : le sacrifice des fondements du régime sur l'autel des lois « scélérates »

23 Constance Bantman, Anarchismes et anarchistes en France et en Grande-Bretagne..., op.cit.

24 Sébastien-Yves Laurent, L'Etat secret, l'information et le renseignement en France au XIXe siècle..., op.cit.

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valait-t-il le coup lorsque l'on sait que celles-ci n'empêchent pas l'assassinat de Sadi Carnot par un anarchiste quelques mois plus tard ? Nous sommes en droit d'en douter.

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État des sources

Archives

Nous avons dépouillé un grand nombre de cartons d'archives que nous n'avons pas pu entièrement exploiter lors de la rédaction du mémoire mais dont l'analyse a été essentielle pour saisir le fonctionnement de l'administration de la coercition légitime et son rapport à l'anarchisme à la fin du XIXe siècle. En plus des documents que nous avons découvert lors de nos visites aux Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine, aux Archives de la Préfecture de police au près Saint-Gervais et aux Archives départementales du Rhône lors de notre séjour à Lyon, nous avons eu accès à des centaines de dossiers issus de ces différentes institutions - et bien d'autres - pris en photo et numérisés par Dominique Petit1.

Nous ne pouvons pas dresser dans cet état des sources une liste exhaustive des documents auxquels nous avons eu accès. Cependant, nous souhaitons attirer l'attention des lecteurs et chercheurs sur un certain nombre de cartons permettant d'écrire une histoire du maintien de l'ordre et de l'anarchisme au début de la Troisième République. Les cotes listées ci-dessous ont la plupart fait l'objet de références dans le corps du récit. En outre, notre objectif est de montré la diversité et la quantité des sources à la disposition des historiens qui souhaitent travailler sur des thèmes similaires à ceux traiter dans ce mémoire.

Archives nationales

La sous-série F7 « Police Générale » concentre de nombreux documents indispensables à la compréhension des politiques du maintien de l'ordre dans le cadre de la répression du mouvement anarchiste français. Plusieurs cartons contiennent des archives relatives aux activités des militants pour notre période, à Lyon comme à Paris. Le « Fonds Panthéon » au nom d'Antoine Cyvoct nous offre un éclairage très complet sur l'attentat de Bellecour et le procès des 66. Il faut à ceci ajouter les registres de correspondance de la Sûreté générale permettant de tisser des liens entre les différents acteurs de la technostructure policière ainsi que le carton concernant les fonds secrets.

1 Nous devons remercier encore une fois Dominique Petit d'avoir mis à notre disposition toutes ces photos et dont les conseils ont été très utiles pour ce travail de recherche.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 186

De plus, deux fonds du ministère de la justice ont apporté une autre dimension à cette étude : celui concernant les dossiers de carrières des magistrats et celui dans lequel sont conservés les recours en grâces des condamnés de Lyon.

Sous-série F7 : Police Générale

· AN, F7 12504 - F7 12508. Agissements anarchistes (1882-1894) ;

- AN, F7 12504. Mesures de surveillance et tournées de conférence (1882-1898). À noter : Réponse des préfets à la circulaire du 13 décembre 1893.

- AN, F7 12505. Louise Michel (novembre 1880-janvier 1905).

- AN, F7 12506. Listes d'anarchistes (1892-1902). Il s'agit de listes d'abonnés à divers journaux anarchistes, de listes d'adresses saisies, avec quelques correspondances, sur Sébastien Faure et d'autres militants, etc.

- AN, F7 12507. Surveillance des anarchistes (1892-1895). Anarchistes signalés à la justice (1892). Arrestations d'avril-mai 1892 après les attentats de Paris. Perquisitions (1893-1895).

- AN, F7 12508. Perquisitions et poursuites judiciaires (1893-1894). Perquisitions chez des anarchistes, notamment celles du 1er janvier et du 19 février 1894.

· AN, F7 12516 - Agissement anarchistes. Rhône (1882-1900) ; Seine (1892 -1900).

· AN, F7 15943/1. Intérieur ; Fichier Central ; Dossiers du coffre dit « Fonds Panthéon ». Cyvoct, Antoine-Marie.

· AN, F7 12421 - 12424. Correspondance de la Sûreté générale : enregistrement (18801883).

· AN, F7 12828. Fonds secrets. Sommes allouées au préfet du Rhône (1840-1882) ; débats à la Chambre (1884-1912).

Sous-série BB : Justice

· AN, BB 24. Mélanges ; dossiers de recours en grâce. Volume 2 (An XII-1885). - AN, BB 24/875, Dossier 1233. Anarchistes de Lyon.

· AN, BB 6(II)/435-BB 6(II)/611. Dossiers de carrière des magistrats ayant cessé leurs fonctions entre 1883 et 1900.

- AN, BB 6(II)/453. Edouard Bloch.

- AN, BB 6(II)/477. Joseph-Ernest Cuaz.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 187

- AN, BB 6(II)/525. Louis-François-Denis-Melchior Jacomet. - AN, BB 6(II)/583. Jean-Marie-Clotilde-Eugène Rigot. - AN, BB 6(II)/607. Jean-Baptiste Vial.

Archives de la Préfecture de police

Conservées au près Saint-Gervais, les archives de la Préfecture de police de Paris détiennent plusieurs cartons concernant les activités des militants anarchistes dans la capitale mais aussi sur le reste du territoire français, notamment à Lyon, ainsi qu'à l'étranger. Le fonds du « Cabinet du Préfet » rassemble de nombreux rapports rédigés par des agents en tenues ayant assisté à des réunions publiques ou d'indicateurs infiltrés parmi les compagnons et possédant des informations très utiles que ce soit pour les policiers ou les historiens.

Par ailleurs, du point de vue de l'organisation de l'institution parisienne, nous avons dépouillé des documents issus de la série D « Police Administrative » nous renseignant notamment sur les effectifs de la Préfecture.

Série B : Cabinet du Préfet de Police (1869-1970) - Sous-série BA : Affaires Générales

· APP, BA 30. Congrès socialiste international de Londres 1881.

· APP, BA 73 - BA 78. Anarchistes (1881-1893).

· APP, BA 89 - Rapports quotidiens du préfet au ministre de l'intérieur (Septembre - Décembre 1880).

· APP, BA 90 - Rapports quotidiens du préfet au ministre de l'intérieur (1881).

· APP, BA 139. Attentat rue des Colonnes (commissariat du quartier de Vincennes) en juin 1889 ; Attentat à la dynamite contre le commissariat du quartier des Archives en décembre 1889.

· APP, BA 140. Explosion commissariat 2 rue des Bons Enfants 8 novembre 1892 ; Explosion de la préfecture de police 30 décembre 1892.

· APP, BA 394. Menées socialistes révolutionnaires et anarchistes. Lyon (1881-1885).

· APP, BA 434. Internationale - Renseignements Généraux.

· APP, BA 435. L'Internationale en Angleterre. 1873-1882.

· APP, BA 438. L'Internationale en Suisse - 1879-1883.

·

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 188

APP, BA 1132. Koenigstein ou Ravachol.

· APP, BA 1499. Menées anarchistes (1907-1914) ; Menées anarchistes en Province (1892-1894) ; Listes et état des menées anarchistes jusqu'en 1893.

· APP, BA 1619. Procès de La Lanterne.

Série D : Administration de la préfecture de police et documentation associée - Sous-séries DA : Police Administrative

· APP, DA 193. Police municipale, statistique des opérations (1872-1900). Archives départementales du Rhône

La ville de Lyon a été un foyer d'activité majeur pour le mouvement anarchiste français à la fin du XIXe siècle. Dans le même temps, l'administration préfectorale se révèle être aussi puissante en matière de police que celle de Paris. Plus d'une trentaine de cartons concernant les compagnons lyonnais sont conservés sous la cote 4M « Police » des ADR. Celle-ci présente aussi des documents de comptabilité relatifs à l'utilisation des fonds secrets.

Nous signalons également trois cartons issus de la sous-série 2U « Cours d'assisses du Rhône » présentant plusieurs dossiers de procédures à propos des anarchistes lyonnais.

Série M : Administration générale et économe (1800-1940) ; Sous-série 4M - Police

Anarchistes

· ADR, 4 M 306. Attentats divers et tentatives de sabotage : usines Allenard, Palais de Justice (1882 - 1888).

· ADR, 4 M 307. Agissements des anarchistes ; poursuites contre Joseph Bonthoux et Crestin ; rapports de police (1881 - 1883).

· ADR, 4 M 308. Procès des anarchistes (janvier 1883) ; état des condamnés ; souscriptions en faveur des détenus ; articles de presse ; pièces de procédure (1883).

· ADR, 4 M 309. Agissements des anarchistes (1884 - 1887) ; rapports de police ; anarchistes de Lyon et de Vienne ; loteries (26 septembre et 20 octobre 1886 - 25 décembre 1887) (1884 - 1887).

· ADR, 4M 310. Correspondance avec les anarchistes italiens (rapports de police) ;

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 189

manifestations du 10 février 1889 (article de presse) ; enlèvement et saisie d'un manifeste anarchiste (3-4 février 1890) ; congrès anarchiste (2 novembre 1890), agissements des anarchistes (1891).(1887-1891).

· ADR, 4M 311, conférences de Sébastien Faure, anarchiste de Paris (1891-1897) ; perquisitions et arrestations (1891-1894) ; état récapitulatif de tous les anarchistes du Rhône à la date du 31 décembre 1894. (1891-1896).

· ADR, 4M 312, agissements des anarchistes (1893) ; rapports de police ; affiches. (1890-1894).

· ADR, 4 M 315 Affaires diverses ; rapports de police ; articles de presse (1893 - 1897).

· ADR, 4 M 317 Journal « Le révolté » (mars-décembre 1879 - janvier-décembre 1880 - février-décembre 1881 -janvier-décembre 1882 -janvier-décembre 1883 - janvier-décembre 1884 - janvier-mars 1885) (1879 - 1885).

· ADR, 4 M 318 Brochures et journaux saisis « La Lutte » (mai - août 1883) ; « Le Drapeau Noir » (août - décembre 1883) ; « L'Emeute » (décembre 1883 - janvier 1884) ; « Le Défi » (janvier 1884) ; « L'Hydre anarchiste » (février - mars 1884) ; « L'Alarme » (avril - juin 1884) ; « Le Droit Anarchique » (juin 1884) ; « L'Insurgé » (août - octobre 1883) ; saisie du journal anglais « L'International » (1890) ; saisie du journal « La Tribune Libre » (1891) ; rapports de police (1883 -1891).

· ADR, 4 M 319 Journaux divers (1892 - 1893).

· ADR, 4 M 321. Liste des groupes anarchistes « L'Etendard Révolutionnaire » ; organisation de la grève des conscrits (1882-1883) ; ligue des anti-patriotes ; ligue pour l'abolition des armées permanentes (1886-l 892) (1882 - 1892).

Budget - Comptabilité

· ADR, 4 M 74. 1880-1904.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 190

Série U : Justice ; Sous-série 2U-Cours d'assisses du Rhône (1811- 1939)

Dossiers de procédure

· ADR, 2 U 433-434. 16 août 1882. BORDAT Toussaint, BERNARD Joseph, BONTHOUX CRESTIN et autres. Affiliation à une société internationale.

· ADR, 2 U 435. 16 août 1882. BONTHOUX Adolphe. Provocations au meurtre, au pillage et à l'incendie.

· ADR, 2 U 464. 3 décembre 1884. CYVOCT Antoine Marius et MONNIN Marie Françoise. Assassinat et tentatives d'assassinat.

International Institute of Social History

L'institut d'Histoire sociale d'Amsterdam conserve et numérise de nombreux fonds liés à l'anarchisme partout en Europe. Les papiers de l'historien et militant anarchiste Max Nettlau recèlent d'une grande quantité de documents à propos du Congrès de Londres de 1881 dont on s'est servi dans le cadre de ce mémoire. D'autres informations essentielles sur cet événement sont issues des papiers d'un autre militant, Gustave Brocher.

· IISH, G. Brocher Papers. Congrès socialiste révolutionnaire de Londres (14-19 juillet 1881).

· IISH, Max Nettlau Papers. International Congresses, London 1881.

Sources imprimées

Périodiques

Journal officiel de la République française

· Débat à la Chambre des Députés. Compte rendu in-extenso.

· Débat au Sénat. Compte rendu in-extenso.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 191

La presse généraliste

· Le Courrier de Lyon (1832-1901), quotidien, Lyon.

· La Gazette des tribunaux (1825-1955), quotidien puis hebdomadaire, Paris.

· La Lanterne (1877-1938), quotidien, Paris.

· Le Progrès (1859-), quotidien, Lyon.

· Le Salut public (1848-1944), quotidien, Lyon.

· Le Temps (1861-1942), quotidien, Paris.

La presse anarchiste

· Le Droit Social (1882), hebdomadaire, Lyon.

· L'Etendard Révolutionnaire (1882), hebdomadaire, Lyon.

· L'Hydre Anarchiste (1884), hebdomadaire, Lyon.

· La Révolte (1887-1894), hebdomadaire, Paris.

· Le Révolté (1879-1885), bimensuel, Genève.

· La Révolution sociale (1880-1881), hebdomadaire, Paris.

Souvenirs et témoignages

· Andrieux, Louis. Souvenirs d'un préfet de police. J. Rouff, 1885.

· Gambetta, Léon. Discours in-extenso de M. Léon Gambetta,...: prononcé à Romans,

Drôme, le 18 septembre 1878. H. Rosier,1878.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5467905z.

· Grave, Jean. Le mouvement libertaire sous la IIIe République: Souvenirs d'un révolté. les Oeuvres représentatives, 1930.

· Michel, Louise. Mémoires. La Découverte, 2002.

· Raynaud, Ernest. La vie intime des commissariats: souvenirs de police. Payot, 1926. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5675389q

Etudes diverses

· Bataille, Albert. Causes criminelles et mondaines. 3, année 1882. E. Dentu, 1883.

·

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 192

Bordat, Toussaint, et al. Le procès des anarchistes devant la police correctionnelle et la Cour d'appel de Lyon ... Imprimerie nouvelle, 1883.

· Chardon, Henri. Le Ministère de l'Intérieur. Editions de la Revue politique et littéraire, 1910.

· Fabreguette, Polydore-Jean-Étienne. De la complicité intellectuelle et des délits d'opinion, de la provocation et de l'apologie criminelles, de la propagande anarchiste: art. 59, 60 du Code pénal, lois des 29 juillet 1881, 12 et 18 décembre 1893, 28 juillet 1894 . étude philosophique et juridique. Chevalier-Marescq, 1895.

· Guyot, Yves. La police. G. Charpentier, 1884.

· Hogier, F., et Georges Grison. Les hommes de proie. la police, ce qu'elle était, ce qu'elle est, ce qu'elle doit être. 1887.

· Marx, Karl, La Guerre Civile en France, 1871. Editions Sociales, 1945.

· Marx Karl, Les luttes de classe en France, 1848-1850, Editions sociales, 1970.

· Puibaraud, Louis. La police à Paris, son organisation - son fonctionnement. Librairie du Temps, 1887.

Instruments de travail

Ouvrages et articles

· Albert, Jean-Luc, et al. Lexique des termes juridiques. Édité par Serge Guinchard et Thierry Debard, Dalloz, 2015.

· Berlière, Jean-Marc. « Une menace pour la liberté individuelle sous la République. L'article 10 du code d'instruction criminelle », Criminocorpus [En ligne], Histoire de la police, Articles, mis en ligne le 01 janvier 2008, consulté le 11 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/criminocorpus/262/

· Centre d'études et de recherches sur la police. Guide des recherches sur la police. Édité par Jean-Louis Loubet del Bayle, Presses de l'Institut d'études politiques, 1987.

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· Le Clère, Marcel. Bibliographie critique de la police et de son histoire. Éditions

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 193

Yzer, 1980.

· Saudrais, Hélène, « Les fonds parlementaires et politiques aux Archives de l'Assemblée nationale », Histoire@Politique, vol. 25, no. 1, 2015, p. 212-225.

Ressources numériques

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· Fragments d'Histoire de la gauche radicale [en ligne]. Collectif Archives Automies : http://archivesautonomies.org/

· Gallica [en ligne]. Bibliothèque nationale de France. 1998 :
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Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 194

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Histoire Générale

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· Chastenet, Jacques. La République des républicains: 1879-1893. Librairie Hachette, 1954.

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· Gacon, Stéphane. « L'amnistie de la Commune (1871-1880) ». Lignes, vol. n° 10, no 1, 2003, p. 45-64.

· Haupt, Georges. « La Commune comme symbole et comme exemple ». Le Mouvement social, no 79, avril 1972, p. 205. Crossref, doi:10.2307/3806921.

· Rougerie, Jacques. La commune: 1871. Presses universitaires de France, 1988.

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· Delalande, Nicolas. La lutte et l'entraide: l'âge des solidarités ouvrières. Éd. du Seuil, 2019.

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Histoire politique

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· Ferragu Gilles, Histoire du terrorisme, Éditions Perrin, 2014.

Histoire de la presse

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· M'Sili, Marine. Le fait divers en République: histoire sociale de 1870 à nos jours. CNRS, 2000.

Anarchisme

Théorie et écrits des penseurs de l'anarchisme

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· Kropotkine, Pierre. La Commune: la Commune de Paris. La brochure mensuelle, 1937.

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·

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 196

Proudhon, Pierre-Joseph. Qu'est-ce que la propriété? Édité par Edward Préface Castleton, Librairie générale française, 2009.

· Proudhon, Pierre-Joseph. Solution du problème social. Pilhes, 1848.

Histoire du mouvement anarchiste

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· Beaudet, Céline. Les milieux libres: vivre en anarchiste à la Belle époque en France. les Éditions libertaires, 2006.

· Bouhey, Vivien. Les anarchistes contre la République, 1880 à 1914: contribution à l'histoire des réseaux sous la Troisième République. Presses Universitaires de Rennes, 2008.

· Gallet, Laurent. Machinations et artifices: Antoine Cyvoct et l'attentat de Bellecour (Lyon, 1882). 2015.

· Gallet, Laurent. Le mouvement anarchiste et la presse lyonnaise: le procès des 66 de 1883. 2000.

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· Maitron, Jean. Le Mouvement anarchiste en France, tome 1 : des origines à 1914. Gallimard, 2007.

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Manfredonia, Gaetano. « La culture politique libertaire » dans Berstein, Serge. Les cultures politiques en France. Éd. du Seuil, 1999.

· Manfredonia, Gaetano. Études sur le mouvement anarchiste en France: 1848-1914. Institut d'études politiques, 1990.

· Massard, Marcel. Histoire du mouvement anarchiste à Lyon, 1880-1894. , [s.d.].

· Massard, Marcel, et Laurent Gallet. Histoire du mouvement anarchiste à Lyon (1880-1894). Atelier de création libertaire, 2016.

· Nataf, André. La vie quotidienne des anarchistes en France: 1880-1910. Hachette, 1986.

· Salmon, André. La terreur noire. Chronique du mouvement libertaire. Pauvert, 1959.

Maintien de l'Ordre

Histoire de l'État et de l'administration

· Laurent, Sébastien-Yves. Politiques de l'ombre: État, renseignement et surveillance en France. Fayard, 2009.

· Laurent, Sébastien-Yves. L'Etat secret, l'information et le renseignement en France au XIXe siècle: contribution à une histoire du politique (1815-1914). Habilitation à diriger des recherches, 2007

· Antoine, Michel, Pierre Barral, Delpuech, Phillipe, et al. Origines et histoire des cabinets des ministres en France. Publications du Centre de recherches d'histoire et de philologie de la IVe Section de l'École pratique des hautes études Hautes études médiévales et modernes, Droz, 1975.

Histoire de la justice

· Association française pour l'histoire de la justice. L'épuration de la magistrature de la Révolution à la Libération: 150 ans d'histoire judiciaire : Éd. Loysel, 1994.

· Royer, Jean-Pierre, et al. Histoire de la justice en France: du XVIIIe siècle à nos jours. Puf, 2016.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 198

Histoire de la police

· Berlière, Jean-Marc. Le monde des polices en France: XIXe-XXe siècles. Éd. Complexe, 1996.

· Berlière, Jean-Marc. « Les pouvoirs de police: attributs du pouvoir municipal ou de l'État?. Une police pour qui et pour quoi faire? Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième République ». Criminocorpus. Revue d'Histoire de la justice, des crimes

et des peines, janvier 2009. journals.openedition.org,
http://journals.openedition.org/criminocorpus/259

· Berlière, Jean-Marc.. L'institution policière en France sous la 3ème république: (1875-1914). Thèse de doctorat, Université de Bourgogne, 1991.

· Berlière, Jean-Marc, et René Lévy. Histoire des polices en France: de l'Ancien régime à nos jours. Nouveau monde éd., DL 2013, 2013.

· Berlière, Jean-Marc, et Marie Vogel. Criminocorpus , Histoire de la police. 2008, p. 15.

· Brunet, Jean-Paul. La Police de l'ombre: indicateurs et provocateurs dans la France contemporaine. Éd. du Seuil, 1990.

· Luc, Jean-Noël et al. L'enquête judiciaire en Europe au XIXe siècle: acteurs, imaginaires, pratiques. Creaphis, 2007.

· Deluermoz, Quentin. Policiers dans la ville: la construction d'un ordre public à Paris (1854-1914). Publications de la Sorbonne, 2012.

· Frappa, Amos. « La Sûreté lyonnaise dans le système policier français (début XIXe-début XXe siècle) ». Criminocorpus, mis en ligne le 10 avril 2014, URL : http://journals.openedition.org/criminocorpus/2684

· Lopez, Laurent. Servir la République après avoir juré fidélité à Napoléon III. 2014, https://journals.openedition.org/histoiremesure/5102.

· Vigier, Philippe, et al. Maintien de l'ordre et polices: en France et en Europe au XIXe siècle: Créaphis, 1987.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 199

Table des annexes

Annexe 1 - Attentats et autres actions anarchistes (1881-1893)

.p.200

Annexe 2 - État des militants condamnés lors du procès des

66 .p.205

Annexe 3 - Texte de la loi Dufaure du 14 mars

1872 .p.213

Annexe 4 - Texte de la loi du 2 avril 1892 sur les modifications des articles 435 et 436 du

code Pénal p.215

Annexe 5

Texte des lois « Scélérates »

.p.216

Annexe 6 - Etat des anarchistes arrêtés à la suite des perquisitions de 1892

.p.224

Annexe 7 - Organisation anarchiste, réponses à la circulaire du 13 décembre

1893 .p.225

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 200

Annexe 1 - Attentats et autres actions anarchistes (1881-1893)

Date

Actions des

anarchistes

Conséquences

Remarques

Nuit du 15 juin 1881

Attentat manqué contre la statut d'Adolphe Thiers à Saint-Germain-en-Laye.

Aucune.

Considéré comme le premier attentat anarchiste de la période, provoqué

par le journal La
Révolution Sociale
financé par Andrieux.

20

Octobre 1881

Projet d'assinat de

Gambetta par Emile Florion.

Ne trouvant pas Gambetta, Florion tire avec un révolver sur le « premier bourgeois » qu'il trouve, un médecin, mais ne

l'atteint pas. Il tente de se
suicider après son acte mais ne sera que légèrement blesser.

 

24 mars

1882

Pierre Fournier tire sur Bréchard, un des patrons de Roanne responsable de baisse de salaire dans les usines de la région.

La balle effleure

seulement la joue de Bréchard, il arrive à ceinturer Fournier et à le livrer à la police.

 

22 octobre

1882

Attentat de Bellecour à

Lyon.

Un mort, Louis Miodre

garçon de café. Elément
déclencheur du procès des 66.

 

9 Mars

1883

Manifestation des sans travail à Paris, pillage de trois boulangeries, - Participation

de Louise Michel, Joseph
Tortelier, et Emile Pouget.

Affrontement avec les

forces de l'ordre - Louise
Michel est arrêtée le 30 mars et condamnée à 6 ans de prison et 10 ans de surveillance de haute police.

 

16

septembre 1883

Tentative d'incendie au journal le Progrès.

Sans gravité.

Attaque se

produisant à Lyon, peut être considérée comme une réaction au procès des 66.

7 octobre

1883

Explosion d'une bombe

à la mairie du 4e
arrondissement.

Dégâts insignifiants,

aucun blessé.

Attaque se

produisant à Lyon, peut être considérée comme une réaction au procès des 66.

14 octobre

1883

Explosion d'une bombe dans l'enclos des Capucins.

Quelques dégâts, aucun

blessé.

Attaque se

produisant à Lyon, peut être considérée comme une réaction au procès des 66.

16 octobre

1883

Bombe trouvée non

éclatée contre le mur de
l'église Saint-Pothin.

Aucune, la bombe n'a pas explosée.

Attaque se

produisant à Lyon, peut être considérée comme une réaction au procès des 66.

29 octobre

1883

Explosion d'une boîte à poudre devant le café du Rhône rue Gasparin.

Aucun dégât, ni blessé.

Attaque se

produisant à Lyon, peut être considérée comme une réaction au procès des 66.

 
 
 
 

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 201

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 202

4

novembre 1883

Explosion d'une bombe

posée sur la fenêtre du

docteur Albert, rue
Montgolfier.

Aucun dégât.

Attaque se

produisant à Lyon, peut être considérée comme une réaction au procès des 66.

26 février

1884

Découverte d'une

bombe non explosée dans les chantiers de la Buire, à la Guillotière.

Aucune, la bombe n'a pas explosée.

Attaque se

produisant à Lyon, peut être considérée comme une réaction au procès des 66.

27 Février

1884

Louis Chaves tue la

mère supérieure d'un couvent d'une banlieue de Marseille qui l'avait congédié de son emploi de jardinier - il se

proclamera "anarchiste
convaincu et d'action".

Chaves est tué dans la

fusillade avec les gendarmes
venus l'arrêter.

 

6 octobre

1884

Explosion d'une bombe à la caserne de gendarmerie rue Saint-Hélène.

Vitres brisées.

Attaque se

produisant à Lyon, peut être considérée comme une réaction au procès des 66.

5 mars

1886

Attentat contre la

bourse de Paris organisé par Charles Gallo.

Quelques dégâts, aucun

blessé - Gallo est condamné à 20 ans de prison le 15 juillet 1886.

 

5 octobre

1886

Clément Duval

cambriole un hôtel

particulier, rue Monceau à
Paris.

Revendication de la

« reprise individuelle » - Duval

est condamné à mort le 11
janvier 1887 avant d'être gracié et envoyé au Bagne.

 

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 203

16

décembre 1886

Explosion d'une bombe

à l'usine Allouard, à la
Mulatière.

Les murs sont touchés

Attaque se

produisant à Lyon, peut être considérée comme une réaction au procès des 66.

25

décembre 1886

Découverte, pendant

l'office de Noël, d'une bombe non éclatée.

Aucune, la bombe n'a pas explosée.

Attaque se

produisant à Lyon, peut être considérée comme une réaction au procès des 66.

8 février

1887

Explosion de deux

bombes à la permanence de police du palais de justice.

Dégâts matériels

importants, sept agents blessés dont deux grièvement.

Attaque se

produisant à Lyon, peut être considérée comme une réaction au procès des 66.

24 août

1888

Bureau de placement rue Chênier.

Simple pétard, pas

d'impact.

Vague d'attaques

des bureaux de
recrutement à Paris.

7 octobre

1888

Explosion devant

l'entrée du bureau de
placement rue Chênier.

Explosion violente mais

ne cause que des dégâts
matériels.

Vague d'attaques

des bureaux de
recrutement à Paris.

7

novembre 1888

Explosions de deux

bureaux de placement des

garçons limonadiers rue
Boucher et rue Française.

Dégâts matériels

important rue Boucher et un blessé grave rue française.

Vague d'attaques

des bureaux de
recrutement à Paris.

22

novembre 1888

Cartouche de dynamite sous la porte du commissariat rue des Archives.

Aucune, la bombe n'a pas explosée.

Vague d'attaques

des commissariats à Paris.

21

décembre 1888

Explosion dans la cave située sous le commissariat de la rue de la Perle.

Dégâts matériels peu

importants.

Vague d'attaques

des commissariats à Paris.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 204

12 mars

1889

Tentative visant le

commissariat de la rue des Cerisaie.

Aucune, l'engin est

découvert avant qu'il n'explose.

Vague d'attaques

des commissariats à Paris.

3 juin

1889

Explosion des bureaux du commissariat de la rue des Colonnes.

Aucun dégât.

Vague d'attaques

des commissariats à Paris.

11 mars

1892

Explosion d'un

immeuble boulevard Saint-

Germain, le conseiller Benoît est visé.

Dégâts matériels.

Premier attentat de Ravachol dans le but de venger les manifestants de Clichy.

15 mars

1892

Explosion de la caserne Lobau.

 

Premier attentat de Théodule Meunier.

27 mars

1892

Explosion de la rue de Clichy contre l'avocat général Bulot.

 

Second attentat de Ravachol dans le but de venger les manifestants de Clichy.

25 avril

1892

Explosion du restaurant

Very .

Deux morts.

Second attentat de Théodule Meunier.

8

novembre 1892

Explosion de la rue des Bons-Enfants.

Cinq Morts.

Premier attentat

d'Emile Henry.

9

décembre 1893

Auguste Vaillant lance une bombe dans la Chambre des députés.

Blessés légers.

Evènement à

l'origine des lois

scélérates.

Source : Travaux de Jean Maitron, Marcel Massard et de Laurent Gallet.

Annexe 2 - État des militants condamnés lors du procès des 66

Nom

Prénom

Section

Date

d'arrestation

Jugement

Recours en
Grâce

Baguet ou Bayet

Jean Baptiste

 

Fugitif (20-01-

1883)

5 ans de prison,
2000 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Bardoux

Louis

Brotteaux

19-11-1882

1 an de prison,
100 frances
d'amande et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Berlioz-Arthaud

Victor Etienne

Perrache

19-11-1882

6 mois de prison,
50 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

Demande en
grâce

Bernard

Joseph

 

25-11-1882

5 ans de prison,
2000 francs
d'amende, 10 ans
de surveillance et

4 ans de privation des droits civils

Grâce entière le
14 janvier 1886

Blonde

Auguste

 

19-11-1882

3 ans de prison,
500 francs
d'amende, 10 ans
de surveillance et

5 ans de privation des droits civils

 

Bonnet

Félicien

 

19-11-1882

15 mois de
prison, 200 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Bonthoux

Joseph Marie
Victor

 

Fugitif (comparé
au mois de mai

1883)

5 ans de prison,
2000 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

26 août 1885
remise du reste ;
1er février 1886
remise des peines
accessoires

Bordat

Toussaint

 

14-10-1882

5 ans de prison,
2000 francs
d'amende, 10 ans
de surveillance et
4 ans de privation
des droits civils

Grâce entière le
14 janvier 1886

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 205

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 206

Boriasse

Henri

Croix-Rousse

Fugitif (réfugié en Suisse)

5 ans de prison,
2000 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Bourdon

Jean Marie

 

Fugitif (réfugié en Suisse)

5 ans de prison,
2000 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Bruyère

Joseph Victor

 

09-12-1882

1 an de prison,
100 frances
d'amande et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Champalle

Louis Jean

Croix-Rousse

19-11-1882

6 mois de prison,
50 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Chavrier

Michel Antoine

 

23-11-1882

6 mois de prison,
50 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Chazy

Henry François

 

Fugitif (réfugié en Suisse)

5 ans de prison,
2000 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Coindre

Jean Antoine

Guillotière

10-12-1882

6 mois de prison,
50 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Cottaz

Joseph François

Croix-Rousse

19-11-1882

6 mois de prison,
50 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

Demande en
grâce

Courtois

André

Croix-Rousse

19-11-1882

1 an de prison,
100 frances
d'amande et 5 ans
de privation des
droits civils

Demande en
grâce

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 207

Crestin

Claude
Dominique

 

16-08-1882

3 ans de prison,
500 francs
d'amende, 10 ans
de surveillance et
5 ans de privation
des droits civils

Grâce entière le
14 janvier 1886

Cyvoct

Antoine Marie

 

Fugitif (28-02-
1883 en Belgique)

5 ans de prison,
2000 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Damians

Joseph François

 

19-11-1882

6 mois de prison,
50 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

Demande en
grâce

Dard

Lazare Adolphe

Croix-Rousse

Fugitif (14-11-

1887)

5 ans de prison,
2000 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Dejoux

François

 

19-11-1882

1 an de prison,
100 frances
d'amande et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Dejoux

Louis

 

Fugitif (réfugié en
Suisse - décède
vers mai 1884)

2 ans de prison,
1000 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Desgranges

Antoine

Glaive

23-10-1882

3 ans de prison,
500 francs
d'amende, 10 ans
de surveillance et

5 ans de privation des droits civils

13 août 1885
remise du reste ;
1er février 1886
remise des peines
accessoires

Didelin

Nicolas Adolphe

 

19-11-1882

6 mois de prison,
50 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Dupoizat

Jean Marie

 

19-11-1882

1 an de prison,
100 frances
d'amande et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 208

Ebersoldt

Jacques

Indignés

Fugitif (réfugié en Suisse)

5 ans de prison,
2000 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Fabre

Georges

Guillotière

Fugitif (21-01-

1883)

2 ans de prison,
1000 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Fages

Victor Eugène

Indignés

Début décembre

1882

1 an de prison,
100 frances
d'amande et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Faure

Etienne

Alliance
stéphanoise

21-11-1882

2 ans de prison,
300 francs
d'amende, 10 ans
de surveillance et
5 ans de privation
des droits civils

 

Faure

Régis

Alliance
stéphanoise

20-10-1882

15 mois de
prison, 200 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

Demande en
grâce

Garraud

Georges

Brotteaux

Fugitif

5 ans de prison,
2000 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Gaudenzi (de)

David

 

19-11-1882

Acquitté

 

Gautier

Emile

 

21-10-1882

5 ans de prison,
2000 francs
d'amende, 10 ans
de surveillance et
4 ans de privation
des droits civils

12 Juillet 1884
remise d'une
année ; 13 août
1885 remise du
reste ; 1er Février
1886 remise des
peines accessoires

Genet

Louis

Indignés

25-11-1882

15 mois de
prison, 200 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Genoud

Joseph

Perrache

19-11-1882

15 mois de
prison, 200 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

Demande en
grâce

Giraudon

Jean-Marie

 

19-11-1882

Acquitté

 

Glaizal

Antoine

Brotteaux

28-10-1882

15 mois de
prison, 200 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Hugonnard

Michel

 

19-11-1882

6 mois de prison,
50 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Huser

Emile

 

23-11-1882

15 mois de
prison, 200 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Jolly

Frédéric Victorien

 

Fugitif (29-10-

1887)

5 ans de prison,
2000 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Kropotkine

Pierre

 

20-12-1882

5 ans de prison,
2000 francs
d'amende, 10 ans
de surveillance et

4 ans de privation des droits civils

14 janvier 1886
grâce entière

Landeau

Louis

 

19-11-1882

1 an de prison,
100 frances
d'amande et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Liégeon

Octave

Glaive

Date inconnue

4 ans de prison,
500 francs
d'amende, 10 ans
de surveillance et

5 ans de privation des droits civils

13 août 1885
remise du reste ;
1er février 1886
remise des peines
accessoires

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 209

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 210

Martin

Pierre

Indignés

Date inconnue

4 ans de prison,
500 francs
d'amende, 10 ans
de surveillance et
5 ans de privation
des droits civils

Grâce entière le
14 janvier 1886

Mathon

César

 

19-11-1882

Acquitté

 

Maurin

Emile

 

Fugitif

5 ans de prison,
2000 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Michaud

Pierre

Criminels

14-12-1882

2 ans de prison,
300 francs
d'amende, 10 ans
de surveillance et
5 ans de privation
des droits civils

 

Morel

Jules Charles

Croix-Rousse

19-11-1882

2 ans de prison,
300 francs
d'amende, 10 ans
de surveillance et
5 ans de privation
des droits civils

 

Pautet

François

Guillotière

19-11-1882

2 ans de prison,
300 francs
d'amende, 10 ans
de surveillance et
5 ans de privation
des droits civils

 

Peillon

Jacques

 

19-11-1882

15 mois de
prison, 200 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Péjot

Benoît François

Croix-Rousse

24-10-1882

3 ans de prison,
500 francs
d'amende, 10 ans
de surveillance et
5 ans de privation
des droits civils

Demande en
grâce

Pinoy

Pierre Marie
Claudius

 

28-10-1882

15 mois de
prison, 200 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 211

Renaud

Jean Célestin

 

Fugitif (jugé le

27-05-1885)

5 ans de prison,
2000 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

Grâce entière le
14 janvier 1886

Ribeyre

Joseph Etienne

Croix-Rousse

19-11-1882

Acquitté

 

Ricard

Jean Baptiste
Jules

Alliance
Stéphannoise

21-11-1882

4 ans de prison,
500 francs
d'amende, 10 ans
de surveillance et

5 ans de privation des droits civils

13 août 1885
remise du reste ;
1er février 1886
remise des peines
accessoires

Sala

Michel

Indignés

Début décembre

1882

15 mois de
prison, 200 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Sanlaville

Philippe

Glaive

08-12-1882

15 mois de
prison, 200 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Sourisseau

Gustave Charles

 

19-11-1882

6 mois de prison,
50 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Thomas

Jean Marie

 

19-11-1882

Acquitté

 

Trenta

Joseph Jean
Baptiste

Guillotière

19-11-1882

1 an de prison,
100 frances
d'amande et 5 ans
de privation des
droits civils

Demande en
grâce

Trenta

Jules Hyacinthe

Guillotière

19-11-1882

1 an de prison,
100 frances
d'amande et 5 ans
de privation des
droits civils

Demande en
grâce

Tressaud

Frédéric
Alexandre
Napoléon

 

25-12-1882

2 ans de prison,
300 francs
d'amende, 10 ans
de surveillance et
5 ans de privation
des droits civils

Demande en
grâce

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 212

Viallet

Emile

 

19-11-1882

6 mois de prison,
50 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

Demande en
grâce

Voisin

Charles

Criminels

28-11-1882

15 mois de
prison, 200 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

24 juillet 1883
remise de 3 mois

Zuida

Jacques

Indignés

08-12-1882

15 mois de
prison, 200 francs
d'amende et 5 ans
de privation des
droits civils

 

Source : Travaux de Marcel Massard et de Laurent Gallet.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 213

Annexe 3 - Texte de la loi Dufaure du 14 mars 1872

Article premier.

Toute association internationale qui, sous quelque dénomination que ce soit et notamment sous celle d'Association internationale des travailleurs, aura pour but de provoquer à la suspension du travail, à l'abolition du droit de propriété, de la famille, de la patrie ou des cultes reconnus par l'Etat, constituera, par le seul fait de son existence et de ses ramifications sur le territoire français un attentat contre la paix publique.

Art. 2.

Tout Français qui, après la promulgation de la présente loi, s'affiliera ou fera acte d'affilié à l'Association internationale des travailleurs ou à toute autre association professant les mêmes doctrines et ayant le même but, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de 50 à 4,000 fr. Il pourra en outre être privé de tous ses droits civiques, civils et de famille énumérés en l'article 42 du Code pénal pendant cinq ans au moins et dix ans au plus.

L'étranger qui s'affiliera en France ou fera acte d'affilié, sera puni des peines édictées par la présente loi.

Art.3.

La peine de l'emprisonnement pourra être élevée à cinq ans, et celle de l'amende à 2,000 fr, à l'égard de tous, Français ou étrangers, qui auront accepté une fonction dans une de ces associations ou qui auront sciemment concouru à son développement, soit en recevant ou en provoquant à son profit des souscriptions, soit en lui procurant des adhésions collectives ou individuelles, soit enfin en propageant ses doctrines, ses statuts ou ses circulaires.

Ils pourront en outre, être renvoyés par les tribunaux correctionnels, à partir de l'expiration de la peine, sous la surveillance de la haute police pour cinq ans au moins et dix ans au plus.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 214

Tout Français, auquel aura été fait application du paragraphe précédent, restera pendant le même temps, soumis aux mesures de police applicables aux étrangers, conformément aux articles 7 et 8 de la loi du 3 décembre 1849.

Art.4.

Seront punis de un à six mois de prison et d'une amende de 50 à 500 fr., ceux qui auront prêté ou loué sciemment un local pour une ou plusieurs réunions d'une partie ou section quelconque des associations susmentionnées, le tout sans préjudice des peines plus graves applicables, en conformité du Code pénal, aux crimes et délits de toute nature dont auront pu se rendre coupables, soit comme auteurs principaux, soit comme complices, les prévenus dont il est fait mention dans la présente loi.

Art.5.

L'art. 463 du Code pénal pourra être appliqué, quant aux peines de la prison et de l'amende prononcée par les articles qui précèdent.

Art.6.

Les dispositions du Code pénal et celles des lois antérieures auxquelles il n'a pas été dérogé par la présente loi, continueront de recevoir leur exécution.

Art.7.

La présente loi sera publiée et affichée dans toutes les communes.

Source : Archives de l'Assemblée Nationale.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 215

Annexe 4 - Texte de la loi du 2 avril 1892 sur les modifications des articles 435 et 436 du code Pénal

Art. unique. Les art. 435 et 436 du Code pénal sont modifiés ainsi qu'il suit :

Art. 435.

La peine sera la même, d'après les distinctions faites en l'article précédent, contre ceux qui auront détruit volontairement en tout ou en partie ou tenté de détruire par l'effet d'une mine ou de toute substance explosible les édifices, habitations, digues, chaussées, navires, bateaux, véhicules de toutes sortes, magasins ou chantiers ou leurs dépendances, ponts, voies publiques ou privées et généralement tous objets mobiliers ou immobiliers de quelque nature

qu'ils soient.
Le dépôt, dans une intention criminelle, sur une voie publique ou privée d'un engin

explosif sera assimilé à la tentative du meurtre prémédité.

Les personnes coupables de crimes mentionnés dans le présent article seront exemptes de peine si, avant la consommation de ces crimes et avant toutes poursuites, elles en ont donné connaissance et révélé les auteurs aux autorités constituées, ou si, même après les poursuites commencées, elles ont procuré l'arrestation des autres coupables.

Elles pourront néanmoins être frappées, pour la vie ou à temps, de l'interdiction de séjour établie par l'art. 19 de la loi du 27 mai 1885.

Art. 436.

La menace d'incendier ou de détruire, par l'effet d'une mine, ou de toute substance explosible, les objets compris dans l'énumération de l'art. 435 du Gode pénal sera punie de la peine portée contre la menace d'assassinat, et d'après les distinctions établies par les art. 303, 306 et 307.

Source : Légifrance.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 216

Annexe 5 - Texte des lois « Scélérates »

56 LES LOIS SCÉLÉRATES DE 1893-1894

l'article précédent, auront directement provoqué soit au vol, soit aux crimes de meurtre, de pillage et d'incendie, soit à. l'un des crimes punis par l'article 435 du Code pénal, soit h l'un des crimes et délits contre la sûreté extérieure de l'Etat prévus par les articles 75 et suivants, jusques et y compris l'article 85 du même Code, seront punis, dans le cas où cette provocation n'aurait pas été suivie d'effet, de un an à. cinq ans d'emprisonnement et de cent francs à trois mille francs (100 fr. à. 3,000 fr.) d'amende.

« Ceux qui, par les mêmes moyens, auront directement provoqué à l'un des crimes contre. la sûreté intérieure de l'Etat prévus par les articles 86 et suivants, jusques et y compris l'article 101 du Code pénal, seront punis des mêmes peines.

« Seront punis de la même peine ceux qui, par l'un des moyens énoncés en l'article 23, auront fait l'apologie des crimes de meurtre, de pillage ou d'incendie, ou du vol, ou de l'un des crimes prévus par l'article 435 du Code pénal. »

« Art. 25. -- Toute provocation par l'un des moyens énoncés en l'article 23 adressée h des militaires des armées de terre ou de mer, dans le but de les détourner de leurs devoirs Militaires ea de l'obéissance qu'ils doivent â leurs chefs dans

Art. 25. --- Toute provocation par l'un des moyens énoncés en l'artiele 23 adressée à des militaires des armées de terre ou de mer, clans le but de les détourner de leurs devoirs militaires et de l'obéissance qu'ils doivent à

pour a â..cutton te.is

leurs cbefs dans tout ce qu'ils leur commandent apavuvavu des a
·-av et règlements militair s, sera punie d'un emprisonnement d'un à six mois et

d'une amende de 16 â 100 francs.
·

Arp. 49. Immédiatement après le réquisitoire le juge d'instruction

pourra, mais seulement en cas d'omission du dépet prescrit par les articles 3 et 10 ci dessus, ordonner la saisie de quatre exemplaires de l'écrit, du journal ou du dessin incriminé.Cette disposition ne déroge en rien à c« qui est prescrit par l'article 28 de la présente loi. Si le prévenu est domicilié en France, ilne pourra etre arrêté préventivement, saut en cas de crime,. En cas de condamnation Perret pourra ordonner la saisie et la -suppression f. dé la destruction de tous les exemplairesui seraient mis en vente, dis#i- k. - lués on exposés aux regards du public. Toutefois la suppression ou la des-truc'tiàn pourra ne's'appliquer qu'â certaines parties des exemplaires saisis.

Prénom Nom -- « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris -- Année

217

 

sf

LEUR TEXTE 57

tout ce qu'ils leur commandent pour l'exécution des lois et :règlements militaires, sera punie d'un emprisonnement de un à, cinq ans et d'une amende de cent francs à trois mille francs (100 fr. a 3,000 fr.) »

« Art. 49. -- Immédiatement après le réquisitoire, le juge d'instruction pourra, mais seulement en cas d'omission -'du dépôt prescrit par les articles 3 et 40 ci-dessus, ordonner la saisie de quatre exemplaires de l'écrit, du journal ou du dessin incriminé.

« Toutefois, dans les cas prévus aux articles 24, par agra-phes 1 et 3, et 25 de la présente loi, la saisie des écrits ou imprimés, des placards ou affiches aura lieu conformément aux règles édictées par le.Code d'instruction criminelle.

« Si le prévenu est domicilié en France, il ne pourra être préventivement arrêté, sauf dans les cas prévus aux arti-clés 23, 24, paragraphes 1 et 3, et 25 ci-dessus.

« S'il y a condamnation, l'arrêt pourra, dans les cas pré-

ms aux articles 24, paragraphes I et 3, et 25 prononcer la

confiscation des écrits ou imprimés, placards ou affiches sai-

sis, et, dans tous les cas, ordonner la saisie et la suppression

--ou la destruction de tous les exemplaires qui seraient mis eu vente, distribués ou exposés aux regards du public. Toute fôis la suppression ou la destruction pourra ne s'appliquer qu'à certaines parties des exemplaires saisis. »

La. présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la :Chambre des députés, sera exécutée comme loi de l'État.

Fait â Paris, le 12 décembre 1893.

Signé : CARNOT.

e.Ministrede l'Intérieur, Le Garde des sceaux,

Signé : D. RAYNAL. Ministre de la Justice,

Signé : ANTONIN IJTTBOST.

Le Président du Conseil,
Ministre des Affaires etranOres,

Signé : CAsIMIRiPRaIuR.

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·.rr.,,..,.a..tw~s.G.w-,.~~lies'?


·

58 LES LOIS SCÉLÉRATES DE t893-I89

Loi sur les Associations de Malfaiteurs.

(Du 18 décembre 1893).

 
 

(Promulguée au Journal Officiel du 19 décembre 1893.)

LE SÉNAT ET LA CHAMBRE DES DÉPUTAS ONT ADOPTÉ,

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE PROMULGUE LA. LOI dont sa. ,

teneur suit :

ART. 1°r. -- Les articles 265, 266 et 267 du, Code péna

sont remplacés par les dispositions suivantes :

cc Art. 265. -- Toute association formée, quelle que soit la;. durée ou le nombre de ses membres, toute entente établie dans.: le but de préparer ou de commettre des crimes contré les' personnes ou les propriétés, constituent un crime contre la, paix publique.

«

Art. 266. -- Sera puni de la peine des travaux forcés â- temps quiconque se:sera affilié-hune association formée ou aura participé â une entente établie dans le but spécifié à I'article précédent.

« La peine de la relégation pourra en outre être prononcée, sans préjudice de l'application . des dispositions de ta,

loi du 30 mai l854 sur l'exécution de la des travaux,

forcés. peine

« Les personnes qui se seront rendues coupables du crin mentionné dans le présent article seront exemptes de pein si, avant toute poursuite, elles ont révélé aux autorités con tituées l'entente établie ou fait connattre l'existence de l'asso ciation.

« Art. 267. -- Sera puni de la réclusion quiconque au sciemment et volontairement favorisé les auteurs des crin prévus â l'article 265 en leur fournissant des instruments d~

219

Prénom Nom -- « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris -- Année

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 220

Go LES LOIS SCÉLÉRATES DE I893-189

ART. 1". --p- Les infractions prévues par les articles -24, paragraphes I et 3, et 25 de la loi du 29 juillet 1881, modi-fiés

odi-fés par la loi du 42 décembre 4893, sont déférées aux tribunaux de police correctionnelle lorsque ces infractions out pouf but un acte de propagande anarchiste.

2. Sera déféré aux tribunaux de police correctionnelle et puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une .. amende de cent francs à deux mille francs (100 fr. à 2,000 fr.) tout individu qui, en dehors des cas visés par l'article pjécé- dent, sera convaincu d'avoir, dans un but de propagande ; anarchiste :

10 Soit par provocation, soit par apologie des faits spéci--fiés

fiés auxdits articles, incité une ou plusieurs personnes à commettre soit ~un vol, soit les crimes de meurtre, de pillage, d'incendie, soit les crimes punis par l'article 435 du Code pénal ;

20 Ou adressé une provocation â des militaires des armées de terre ou de mer, dans le but de les détourner de leurs devoirs militaires et de l'obéissance qu'ils doivent à leurs chefs dans ce qu'ils leur commandent pour l'exécution des lois et règlements militaires et la défense de la Constitution républicaine.

Lès pénalités prévues au paragraphe 1 seront appliquées même dans le cas où la provocation adressée à des militaires des armées de terre ou de mer n'aurait pas le caractère d'un' acte de propagande anarchiste ; mais, dans ce cas, la péna.- lité accessoire de la relégation édictée p6,r l'article 3 de la pré- - sente loi ne pourra être prononcée.

La condamnation ne pourra être prononcée sur l'unique: déclaration d'une personne affirmant avoir été l'objet deS,' incitations ci-dessus spécifiées, si cette déclaration n'est pas corroborée par un ensemble de charges démontrant la culpa= bilité et expressément visées dans le jugement de condamna tion.

3. La peine accessoire de la relégation pourra être pro.-ror

Prénom

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année

221

LEUR TEXTE 61

1

1

noncée contre les individus condamnés en vertu des articles ler et 2 de la présente loi il, une peine supérieure â une année -d'emprisonnement et ayant encouru, dans une période de moins de dix ans, soit une condamnation à plus de trois mois d'emprissonnement pour les faits spécifiés auxdits articles, soit une condamnation à la peine des travaux forcés, de la réclusion ou de plus de trois mois d'emprisonnement pour crime ou délit de droit commun.

4. Les individus condamnés en vertu de la présente loi seront soumis à l'emprisonnement individuel, sans qu'il puisse résulter de cette mesure une diminution de la durée de la peine.

Les dispositions du présent article seront applicables pour l'exécution de la peine de la réclusion ou de l'emprisonne-Ment prononcée en vertu des lois du 18 décembre 1893 sur les associations de malfaiteurs et la détention illégitime d'engins explosifs.

5. Dans les cas prévus parla présente loi, et dans tous ceux oû le fait incriminé a un caractère anarchiste, les cours et tribunaux pourront interdire, en tout ou partie, la reproduction des débats, en tant que cette reproduction pourrait présenter un danger pour l'ordre public.

Toute infraction à cette défense sera poursuivie conformé-,ment aux prescriptions de's articles 42, 43. 41 et 49 de la loi du 29 juillet 1881, et sera puni d'un emprisonnement de six

jours à un mois et d'une amende de francs û. dix mille
francs (4,000 fr. à 10,000 fr.).

'Sera poursuivie dans les mêmes conditions et passible des __mêmes peines toute publication ou divulgation, dans les cas révus au paragraphe ler du prédent article, de documents

actes de procédure spécifiés à l'article 38 de la loi du 29 iillet 1881.

6. Le's dispositions de l'article 463 du Code pénal sont applicables a la présente loi.

222

Prénom Nom -- « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris -- Année

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 223

Source : Gallica.

Source : AN, F7 12504.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 224

Annexe 6 - Etat des anarchistes arrêtés à la suite des perquisitions de 1892

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 225

Annexe 7 - Organisation anarchiste, réponses à la circulaire du 13 décembre

1893

Départements

 

Ain

Les anarchistes de l'Ain ne sont pas formés en groupe ayant une organisation déterminée. Deux d'entre eux vont souvent à Genève, où ils sont en rapport avec les anarchistes de Suisse. On suppose qu'ils servent d'intermédiaires entre ces derniers et les compagnons de Lyon, pour l'introduction en France des publications révolutionnaires. Aucune entente n'existe entre les anarchistes du département, aucune action commune n'est à redouter de leur part pour le moment. Ils ne paraissent pas non plus être affiliés à des groupes étrangers.

Aisne

Pas de groupes proprement dits ; mais les anarchistes se voient et se réunissent entre eux. S'ils n'osent publiquement préconiser la propagande par le fait, les neuf dixièmes applaudissent et se réunissent entre eux quand ils apprennent que des attentats ont été commis.

Allier

-pas d'organisation anarchiste bien déterminée ; mais il y a parmi les socialistes révolutionnaires des individus capables de commettre des attentats criminels, et d'autant plus dangereux qu'il est facile de se procurer de la dynamite. Ces révolutionnaires sont organisés en groupes, qui font actuellement l'objet de poursuite judiciaire. A citer le « groupe antiautoritaire » de la région de

Doyet et Bèzenet, dont le chef est un nommé Métenier (...). Adhérents correspondent avec le « Père Peinard ».

-A Montluçon, il y a 4 anarchistes, tous 4 étrangers au département. Ils

sont isolés et ne sont pas constitués en groupes et demeurent indépendants des groupes révolutionnaires de Commentry

- Dans l'arrondissement de la Palisse, il y a 3 ou 4 anarchistes isolés, mais

pas de groupe ; l'un d'eux, Tartarin, est en relation avec les anarchistes de Roanne.

Alpes (Basses)

Pas d'anarchistes

Alpes (Hautes)

Pas de groupes anarchistes

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 226

Alpes-

Maritimes

Les anarchistes sont presque tous italiens, il n'y a parmi eux que quatre ou cinq français. Ils ne sont pas organisés en sociétés ; mais ils ne sont pas non plus isolés : ils se voient entre eux. Ils n'ont pas de chefs, mais des meneurs, qui sont en général des correspondants de journaux anarchistes. Ils ne paraissent pas affiliés avec d'autres groupes, mais on a constaté la présence de compagnons voyageurs chargés de faire parvenir les mots d'ordre du parti.

Ardèche

-Pas de groupe. -Pas d'affiliation.

Ardennes

1er Groupe : Les « Sans Patrie », à Charleville, -désorganisé, mais cherche

à se reformer.

2e Groupe : les « Déshérités », à Mouzon, -désorganisé.

L'affiliation entre ces divers groupes ne paraît pas douteuse ; ils ont pour trait d'union Thomassin.

Le groupe les « Sans Patrie » est en relations avec les déserteurs

réfractaires français à Louvain (?) Liège et Bruxelles - Les « Déshérité de Mouzon » correspondent avec les groupes de Genève Zurich et Londres.

Ariège

A Pamiers, il y a sept ou huit anarchistes, mais il est impossible d'affirmer ou de nier s'ils sont ou non constitués en groupes et affiliés à d'autres associations. On remarque chez beaucoup d'anarchistes une gravure représentant les martyrs ou les suppliciés de Chicago. Il semble y a voir là un signe de ralliement sur le vu duquel les affiliés reconnaissent qu'ils sont chez un compagnon.

Il y a des anarchistes isolés dans le reste du département ; ils sont en correspondance avec des compagnons d'autres départements et de Paris.

Aube

-Pas de groupe anarchiste

-Les anarchistes de Troyes sont très méfiants et évitent toute relation avec les personnes qui ne leur sont pas connues

Aude

-Un groupe anarchiste à Narbonne, les «Exploités». Ce groupe n'a pas

d'organisation déterminée. Les adhérents se réunissent dans un café. Les réunions sont peu suivies, les femmes et enfants des anarchistes y accompagnent souvent leur mari (...) Le chef des anarchistes de Narbonne est Toussaint Bordat. II y a entre ces anarchistes et des compagnons et groupes d'autres localités de fréquents échanges de correspondances, mais ces correspondances ont un caractère purement individuel.

-Le 1er mars 1894, le préfet a fait connaître que le groupe les Exploités s'était dissous et ne se réunissait plus.

Aveyron

Il n'existe entre les anarchistes du département aucune espèce

d'organisation ou d'affiliation. Ce ne sont pas à proprement parler des
anarchistes, mais des mécontents renvoyés pour la plupart des bassins houillers de l'Aveyron/

Bouches-Du- Rhône

Marseille: il y a à Marseille de 100 à 110 anarchistes ; plus de la moitié

sont étrangers. Ils étaient constitués jadis en trois groupes distincts : « les

Rénovateurs », la « Jeunesse révolutionnaire » et d'un 3e groupe sans

dénomination particulière, mais le plus dangereux des trois et composé exclusivement d'Italien. - A la suite des perquisitions successives et des expulsions auxquelles il a été procédé ces dernières années, tous ces groupes ont disparu ; il ne reste plus que des individualités d'autant plus redoutables que la disparition des groupes a rendu la surveillance plus difficile.

Un certain nombre d'anarchistes de Marseille sont en relation avec les compagnons des autres départements et de l'étranger.

Calvados

Pas d'anarchistes

Cantal

Pas d'anarchistes

Charente

-Pas de groupe anarchiste

-L'anarchiste Croizard paraît affilié aux groupes français et étrangers -L'anarchiste Bourdin est en relation avec d'autres anarchistes

Charente

-Pas de groupes anarchistes

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 227

Inférieure

-Les anarchistes Bouc, Brion frères, Bourdin, et Colas sont en relation avec Giraud de Cognac. Bouc correspond avec les anarchistes de Toulouse. Malgogue est en relation avec le groupe de Bordeaux et avec les anarchistes de Londres. Colas correspond avec le « comité central anarchiste » de Paris

Cher

-Les anarchistes de Bourges étaient autrefois organisés en groupe, mais ce

groupe est désorganisé. Depuis les arrestations et les perquisitions faites le 1er mai 1892, ils sont devenus prudents et circonspects ; c'est une raison de plus pour les surveiller étroitement. Un certain nombre d'entre eux sont en relation avec les compagnons de Paris et de Genève

-A Vierzon il y a un certain nombre de socialistes révolutionnaires aussi

dangereux que de véritables anarchistes. Ils sont étroitement surveillés.

-A Saint-Amand, il y a quelques anarchistes, mais ils ne sont pas constitués en groupes. Ils sont à surveiller : l'un d'eux le (?) Bessac, est particulièrement signalé comme militant.

Corrèze

Pas d'anarchistes

Corse

Pas de groupe anarchiste

Côte-D'Or

-Un groupe : « les Résolus », à Dijon.

-Monod et Hinault sont les chefs de ce groupe

-Le groupe correspond avec le groupe anarchiste « Steiger Dalloz » de Genève

Côtes-Du-Nord

Pas d'anarchistes

Creuse

Pas d'anarchistes

Dordogne

Pas d'anarchistes

Doubs

1) Besançon: le groupe anarchiste est désorganisé. Il ne se compose plus

que de 11 membres dont 2 dangereux Reuge et Maguin. . Les anarchistes de

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 228

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 229

 

Besançon paraissent affiliés aux autres groupes français et étrangers et

correspondent entre eux ; pour s'en assurer, il faudrait intercepter leurs
correspondances à la poste

2) Morteau: il y a à Morteau 3 anarchistes isolés qui semblent n'avoir

aucune affiliation et même ne pas se concerter entre eux.

Drôme

-un groupe à Valence: son organisation n'est pas encore bien déterminée.

Il correspond avec les départements et l'étranger, notamment avec Genève. Le

principal joueur est le nommé Benevire (?) ; c'est lui qui reçoit les
correspondances

-Groupe de Romans: pas d'organisation déterminée. Les anarchistes se

réunissent tous les samedis et dimanches chez l'un d'eux. Le nommé Dalmais est en correspondance avec Paris, Marseille et Genève.

Eure

Pas d'anarchistes

Eure-et-Loir

Pas d'anarchistes

Finistère

-Pas de groupe anarchiste

-Tous les anarchistes du Finistère habitent Brest et Lambézellec. -Ils sont en relation entre eux-

-Meunier voyage beaucoup et est en relation avec les anarchistes des autres départements

-Guérenneur est en relation avec Londres

- A noter les allures mystérieuses des nommés Meunier, Hamelun, Péréguy et Bizien (?) à Lambézellec.

Gard

-Un seul groupe: «le groupe d'études sociales de Beaucaire». Le chef du

groupe est un commis-voyageur nommé Vachier, qui est affilié avec les anarchistes de Lyon, de Marseille et de Saint-Etienne, villes où il se rend assez souvent

-A Nîmes, Alais, Anduze, et la Grand' Combe, il n'y a que des anarchistes isolés. Cependant, Tremollet, de la Grand `Combe, paraît être en relations avec

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 230

 

les anarchistes de Marseille où habite son frère. -Les anarchistes de Villeneuve-lès-Avignon assistent aux réunions des compagnons d'Avignon ou sont en rapport avec eux.

- à Bessèges, il y a 4 anarchistes ; ce groupe serait en relations avec le comité révolutionnaire de Paris.

Garonne (Haute)

-Il existe un groupe anarchiste à Toulouse

-Ce groupe est en relation avec les anarchistes des autres villes,

notamment avec les anarchistes de Paris.

1 anarchiste solitaire et voyageur: Gouzy. 1 isolé Satyé (?) à Toulouse

Gers

Pas d'anarchistes

Gironde

-Pas de groupes anarchistes ayant une organisation déterminée, mais de fréquentes réunions-publiques jusqu'à ce jour,- secrètes à l'avenir

-Des correspondances individuelles existent entre les anarchistes de Bordeaux et des autres départements ; il ne paraît pas en exister avec l'étranger.

Hérault

-Pas d'organisation anarchiste, mais de fréquentes réunions qui sont surveillés. Le Préfet marche d'accord avec le Parquet

-Les anarchistes de l'Hérault ne sont pas constitués en groupes et n'ont pas d'organisation déterminée. Ils se réunissent sans régularité dans des cafés ou se voient les uns chez les autres. Ils ne paraissent pas dangereux.

Ille-et-Vilaine

Pas d'anarchistes

Indre

Il n'y a dans l'Indre que deux anarchistes isolés.

Indre-et-Loire

Pas de groupe anarchiste.

Les anarchistes de Tours vivent isolément ; le plus actif est un nommé

Rétif.

Isère

ll existe :

1) un groupe anarchiste à Vienne

 

2) un autre groupe à Grenoble.

3) un troisième à la Chapelle-de-la-Tour.

Ces groupes, affiliés les uns aux autres, correspondent avec les

compagnons de la France et de l'étranger.

Des perquisitions opérées à Vienne dans les premiers jours de septembre 1894 ont révélé l'existence dans cette ville d'un groupe anarchiste dit « Groupe les Cerises».

Jura

ll y a à Saint-Claude un certain nombre d'individus se disant anarchistes, mais qui sont tout à fait inoffensifs et qui constituent plutôt une fraction très avancée et distincte du groupe socialiste. Ils n'ont aucune organisation sérieuse et ne correspondent pas avec d'autres groupes. Seul le Sr Millet, qui est à la tête de ce petit groupe, entretient des correspondances avec les feuilles anarchistes. Quatre individus se disant socialistes doivent être surveillés (...) capables de se livrer à des actes de violence.

Landes

Pas d'anarchistes

Loir-et-Cher

Pas de groupe anarchiste

- Il n' y a dans le département que 4 individus à surveiller. Ce ne sont même pas des anarchistes proprement dits et ils ne paraissent pas dangereux.

Loire

-Il y a dans la Loire, 1500 anarchistes environ ; 1000 dans l'arrondissement de Saint-Etienne, 500 dans celui de Roanne.

-Le parti anarchiste n'a pas une véritable organisation dans

l'arrondissement de Saint-Etienne- A Saint-Etienne, cette organisation a existé, dissimulée sous des apparence de légalité (Syndicat des hommes de peine), plus

tard ; « alliance anarchiste ». Elle a disparue. - Dans les centres environnant

Saint-Etienne, pas de groupe, pas d'association.

-A Roanne, il existe deux groupes: «les Révoltés», «la Jeunesse

antipatriote». Ce dernier surtout est dangereux ; il est composé de la lie de la

population. Les affiliés se font remarquer par leurs manifestations tumultueuses

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 231

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 232

 

dans les églises, dans les salles de tirage au sou, par leurs actes d'agression contre les agents de la force publique et les officiers. - En dehors de Roanne, il y a un noyau de groupement à La Gresle et à Charlieu, mais pas d'organisation

déterminée. Les anarchistes de ces localités ne pas à Craindre.

Loire (Haute)

-Il existe un groupe à Sainte-Florine ; mais il paraît pencher plutôt vers le socialisme que vers l'anarchie

-Le secrétaire correspond avec les groupes étrangers.

Loire-Inférieure

-Pas de groupes anarchistes

-Les anarchistes de Loire-Inférieure se confondent avec les socialistes ; aucun d'eux ne semble susceptible de commettre un attentat. Ils ne sont pas constitués à l'état de parti organisé ; mais ils peuvent, à un moment donné, se trouver en contact, en raison des tendances qui leur sont communes.

-Ils ne paraissent pas être en correspondance suivie avec des anarchistes d'autres départements ou de pays étrangers.

Loiret

- Trois groupes anarchistes 1) à Orléans (3 membres) 2) Saint-Jean-de-la-

Ruelle (2 membres)

3) Saint-Gondon (2 membres)

- Anarchistes isolés : Conté et Laluque.

- Aucun rapport ne paraît exister entre ces différents groupes.

- Le groupe de Saint-Jean-de-la-Ruelle est affilié aux groupes anarchistes de Paris.

Lot

Pas d'anarchistes

Lot-et-Garonne

Le groupe anarchiste d'Agen est disloqué. Plus de réunions depuis l'hiver dernier.

Lozère

Pas d'anarchistes

Maine-et-Loire

- Deux groupes : l'un à Angers, l'autre à Trélazé

- Les réunions sont accidentelles et n'ont rien de fixe. Il n' y a pas d'affiliation proprement dite, mais les anarchistes se voient, correspondent entre eux. Il y a aussi des correspondances entre les gorupes.

Il y a des relations individuelles, peut-être même des relations de groupes avec d'autres départements et avec l'étranger.

Manche

Aucune organisation anarchiste. Il n' y a que des isolés sans rapports réguliers entre eux. Un groupe qui a fonctionné un instant à Cherbourg est

complètement désorganisé depuis le départ de son fondateur Le Paslier. Il y a dans cette ville quelques individus à surveiller, mais ce ne sont pas, à proprement parler, des anarchistes quelques-uns sont en relations avec des compagnons de Paris.

Marne

Un groupe anarchiste à Reims, « les Résolus » : 80 adhérents dont 20

dangereux. Ce groupe préconise la violence de la propagande par le fait. Il est affilié au « Comité central de la Fédération anarchiste » de Paris. Le correspondant est l'anarchiste Leprêtre. Des correspondances sont échangées entre le groupe des « Résolus » et des anarchistes isolés de province et de l'étranger, mais il ne paraît pas y avoir de relations entre ce groupe et des groupes étrangers.

Marne (Haute)

- Un groupe à Chaumont : 14 adhérents. Le chef du groupe est le Sieur

Bresson, avocat stagiaire au barreau de Chaumont. A la suite de perquisitions opérées en 1892 ; le groupe s'est désorganisé ; mais les anarchistes qui y participaient ne s'en réunissent pas moins assez fréquemment et sont à surveiller.

- Le Sieur Bresson est en relation suivie avec des meneurs d'autres

départements et notamment avec Sébastien Faure.

Mayenne

Pas d'anarchistes

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 233

Meurthe-et- Moselle

- Il n' y a plus de groupes anarchistes.

- Deux anarchistes, les nommés Joubert et Serrure sont en correspondance avec les compagnons de Londres et de France.

Meuse

- Pas de groupes

- Pas d'affiliations - sept anarchistes disséminés sans relation avec les individus suspects des autres départements

- A Verdun il existe un petit groupe d'anarchistes qui se réunit fréquemment et paraît correspondre avec le Père Peinard.

Morbihan

Pas de groupe. 1 seul anarchiste.

Nièvre

Ni groupes, ni affiliation

Nord

Pas d'organisations anarchistes ni d'affiliations avec les anarchistes du dehors.

Oise

-Pas de groupes anarchistes.

-Pas d'affiliations - 4 anarchistes isolés.

Orne

Pas de groupes - Pas d'anarchistes.

Pas-de-Calais

Il y a des groupes anarchistes à Lillers, Liévin, Calais et Arras; mais ils sont complètement désorganisés. Il y a des anarchistes isolés à St-Omer, Boulogne, Desvres et Fencly. Certains d'entre eux sont dangereux, ils sont surveillés.

Puy-de-Dôme

Un seul anarchiste dans le Puy de Dôme.

Pyrénées (Basse)

Pas de groupes anarchistes. 1 seul anarchiste.

Pyrénées (Hautes)

Pas de groupe. 1 seul anarchiste.

Pyrénées- Orientales

-Un groupe à Perpignan : 27 adhérents

-Dans le reste du département, il n' y a que des anarchistes isolés.

-Les réunions du groupe de Perpignan ont lieu dans un café. Celles qui

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 234

 

doivent rester secrètes ont lieu au domicile de l'un des adhérents. D'ailleurs, à part un Sieurs Mayneris (?) et deux ou trois autres individus de Perpignan, les anarchistes des Pyrénées-Orientales sont plutôt des braillards que des hommes d'action.

Rhin (Haut)

(Territoire de Belfort)

- Pas de groupe anarchistes.

- Mais il y a dans le territoire de Belfort un certain nombre d'individus qui sont en relation avec les anarchistes de Besançon, Dijon, Paris, qui font de fréquents voyages en dehors du territoire et qui entretiennent une correspondance suivie avec les centres ouvriers. Ils sont à surveiller de près.

Rhône

Pas d'organisation proprement dite, pas de relation avec les anarchistes lyonnais en tant que collectivité, avec les groupes des autres villes et de l'étranger, mais des relations individuelles fréquentes entre les compagnons lyonnais et ceux de l' étranger.

Saône (Haute)

Pas d'anarchistes

Saône-et-Loire

Les anarchistes de Saône-et-Loire n'ont pas d'organisation régulière en dehors des trois groupes de Tournus, Châlons-sur-Saône et Romanche, il

n'existe pas à proprement parler de groupe réellement organisé. Ils sont d'ailleurs devenus très prudents depuis la promulgation des dernières lois ; ils n'ont plus de réunion au complet et se voient seulement de temps à autre, à Tournus, chez Meunier, à Châlons-sur-Saône, dans un café.

Les anarchistes du canton de la Chapelle-de-Guinchay sont en relation avec le groupe de Lyon.

Sarthe

Pas d'organisation anarchiste proprement dite. Cependant les anarchistes

du Mans se voient entre eux et se réunissent assez fréquemment chez l'un d'entre eux, le sieur Boudier. Ce ne sont pas des hommes d'action, mais il y a parmi eux des propagandistes zélés.

Savoie

Pas d'anarchistes

Savoie (Haute)

- Pas de groupes.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 235

 

- Il n' y a que des anarchistes isolés au nombre d'une dizaine, sans relation les uns avec les autres.

- Cependant, les Sieur Cenet et Ferrier échangent des correspondances

avec

les compagnons de Genève.

Seine

Il existe des groupes dans plusieurs arrondissements de Paris et dans quelques communes de la banlieue. En dehors de ces groupes locaux, il y a des groupes communs à tous les anarchistes du département. Les plus importants sont : le « Cercle anarchiste international » dit actuellement les

« Sans-Patrie », la « Ligue des Antipatriotes », les « Libertaires ardennais

».

Il y a dans le Seine de 7 à 800 anarchistes, mais 150 sont réellement militants. Un comité directeur établi à Londres donne le mot d'ordre à la faction : ses principaux membres sont : Kropotkine, Malatesta, Malato, Marroco, etc.

Seine-Inférieure

-A Villequin, (arrondissement d'Yvetot), le groupe anarchiste existant

précédemment a complètement disparu. Il ne reste plus dans la localité que deux de ses anciens adhérents ; ils ne sont pas à craindre.

- Au Havre, il n' y a pas d'organisation déterminée, mais des anarchistes

isolés, qui ont cependant des rapports fréquents entre eux. Ils se voient chez le compagnon Jeanne, qui sert de lien entre eux. Ils sont surveillés.

- A Rouen et dans sa banlieue, il n' y a pas d'anarchistes proprement dits,

mais le parti ouvrier socialiste guesdiste y es t fortement constitué en groupes nombreux, affiliés les uns aux autres, et correspondant avec le Comité Central guesdiste de Paris - Même situation à Maronne, où il y a cependant quelques

anarchistes isolés. Il en est de même à Elbeuf.

 

Seine-et-Marne

Un seul anarchiste dans Seine et Marne

Seine-et-Oise

Pas de groupe anarchiste. Ni réunion, ni affiliation, ni correspondance régulière ou suivies entre les anarchistes de Seine-et-Oise. Toutefois, on ne peut rien affirmer de précis à cet égard; les moyens d'investigation sérieux manquent

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 236

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 237

 

au préfet qui proposera des initiatives (?) propres à organiser une surveillance efficace.

Sèvres (Deux)

Pas d'anarchistes

Somme

Pas de groupe, mais une quarantaine d'anarchistes disséminés à Amiens et dans l'arrondissement d'Abeville. Ils n'ont pas de lieu de réunion et ne se rencontrent entre eux que rarement, dans les réunions publiques. Quelques-uns sont en relation avec des compagnons du dehors.

Tarn

Le département du Tarn, surtout Carmaux, comprend un assez grand nombre de socialistes révolutionnaires prêts à lutter pour leur cause, mais les anarchistes proprement dits sont très rates, disséminés, sans force, sans union et sans organisation. Il y a trois groupes de socialistes révolutionnaires :

1) Le Cercle socialiste guesdiste à Gaillac - 2) Le Cercle des études

sociales aux Cabanes (?) ; 3) Le groupe des révoltés à Cahuzac-sur-Vère. Le

président de cette dernière anarchiste, mais les théories dangereuses ne paraissent pas partagés par l'un quelconque des 22 adhérents du groupe.

Tarn-et- Garonne

Les anarchistes du Tarn-et-Garonne ne sont pas constitués en groupe, aucun d'eux ne paraît capable d'entreprendre un acte de propagande par le fait. Aucune affiliation ne les relie à d'autres groupes; toutefois, deux anarchistes de

Toulouse, le sieur Bioulet et (?), passent pour servir d'intermédiaire entre les
compagnons de la Haute-Garonne et ceux du Tarn-et-Garonne. Ces soupçons ne reposent sur aucun commencement de preuve.

Var

Pas de groupe - Les anarchistes vivent isolés.

Vaucluse

-Pas de groupes ; les anarchistes du Vaucluse agissent isolément, sans direction ni organisation déterminée. Le seul groupe qui existât jadis, « les libertaires vauclusiens » d'Avignon, a complètement disparu.

Les anarchistes du département ont, dans les différentes localités où ils se trouvent des relations assez suivies entre eux, mais ils ne paraissent pas être en correspondance suivie avec les compagnons des autres communes. Certains d'entre eux sont cependant en rapport avec des anarchistes d'autres départements.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 238

Vendée

Pas d'anarchistes.

Vienne

Aucun groupement sérieux d'anarchistes. Il y a à Châtellerault et à Poitiers des socialistes possibilistes ardents, mais qui répudient les actes de violence. A Châtellerault, leur chef est un nommé Limousin. Les menées de ces individus sont à surveiller, mais elles ne font courir aucun danger à l'ordre public.

Vienne (Haute)

-Pas d'organisation proprement dite. Mais les anarchistes isolés sont unis par un lien certain bien qu'impalpable avec l'anarchiste Tennevin, de Limoges, qui est leur guide et leur inspirateur.

-Les perquisitions faites à Limoges le 1er janvier 1894 ont révélé

l'existence d'un groupe anarchiste qui entretien les relations suivies avec des individualités et des groupes d'autres centres.

Vosges

Aucune organisation anarchiste. C'est à peine si l'on compte dans le département quelques individus partisans de l'anarchie. Ils sont sans aucun lien entre eux.

Yonne

Pas d'anarchistes.

Algérie

-Pas de groupe proprement dit.

-De rare réunions. Pas d'affiliation avec d'autres groupes.

Alger

Constantine

Les anarchistes du Département ne sont pas constitués en groupe et n'ont jamais tenu de réunions. Mais certains d'entre eux se voient souvent, et d'autres sont en relations avec des compagnons du dehors.

Oran

Il n'y a que 2 anarchistes.

Source : AN, F7 12504.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 239

Index nominatif

A

Louis Andrieux, 35, 44, 46, 48, 59, 74, 76, 79, 81, 89, 96, 114, 177

B

Mikhaïl Bakounine, 16, 18, 37

Agénor Bardoux, 145

Edmond Benoît, 156

Joseph Bernard, 93, 98, 106, 132

Samuel Birch, 133

Louis Blanc, 17, 110

Edouard Bloch, 121, 122

Toussaint Bordat, 40, 84, 93, 98, 106, 107, 109, 134

Henry Boriasse, 93

Joseph Bonthoux, 98, 102, 133

Gustave Brocher, 43, 44

Albert de Broglie, 62, 144

Léon Bulot, 155, 158

C Paul Déroulède, 163

Antoine Desgranges, 99, 132, 133 Charles Duclert, 155 Jules Dufaure, 117, 118 Charles Dupuy, 159, 166 Clément Duval, 130, 131

F

Fabreguette (Procureur Général), 121, 124, 125, 132

Victor Fages, 99

Armand Fallières, 49

Jules Ferry, 13, 30, 32, 49, 62, 112, 118, 119, 148

Emile Florion, 89, 90

Pierre Fournier, 90, 107

Charles de Freycinet, 145

G

Charles Gallo, 130, 131

Léon Gambetta, 13, 20, 22, 23, 30, 32, 33, 34, 35, 36, 49, 56, 62, 89, 92

Émile Gautier, 46, 79, 109, 112, 133

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 240

Carlo Cafiero, 18, 43 Ernest Camescasse, 96

 
 
 
 
 

Albert Gigot, 67, 74 Jean Grave, 39, 157, 171

 

Jules Carret, 148

Émile-Honoré Cazelles, 70, 71, 72,

73,

177

 
 

Jules Grévy, 30, 31, 32, 118, Yves Guyot, 66, 67

 

Louis Chautant, 137

 
 
 
 
 
 

Louis Chaves, 129, 130, 131

 
 
 
 
 

H

Georges Clemenceau, 13, 33, 34,

35,

36, 44, 66, 67,

106,

113,

Victor Hugo, 35, 133

 

114, 154

 
 
 
 
 
 

Georges Cochery, 148

 
 
 
 
 

J

Adolphe Crémieux, 117

 
 
 
 
 
 

Claude Crestin, 98, 102, 133

 
 
 
 

Louis Jacomet, 121, 124, 125

 

Joseph-Ernest Cuaz, 121, 122, 124

 
 
 
 
 
 

Léonce Curnier, 123

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

K

Antoine Cyvoct, 24, 84, 95, 102,

103,

104, 102, 103,

104,

121,

 
 

134, 137, 161, 179

Charles Dardare, 155
Henri Decamps, 155

D

Émile de Kératry, 62

Pierre Kropotkine, 16, 17, 19, 39, 43, 44, 45, 46, 89, 108, 109, 111, 129, 133, 171, 172

L

Labussière (Commissaire), 155 Georges Laguerre, 91, 121, 61 Aimé Lavy, 163

Louis Leveillé, 155 Octave Liégeon, 99 Edmond Locard, 175

M

Patrice de Mac Mahon, 31

Enrico Malatesta, 43

Henri Maret, 114

Marius Martin, 161

Pierre Martin, 92, 93, 99, 133

Émile de Marcère, 67, 70

Felix Martin-Feuillé, 119

Karl Marx, 14, 15, 16, 17, 18

Louise Michel, 19, 45, 46, 78, 79, 129, 179

Edouard Millaud, 121

Louis Miodre, 95

Lucien Morelle, 137, 138, 139, 140

Élisée Reclus, 17, 18, 39, 171, 172 Jean Renaud, 99, 133 Jean-Baptiste Ricard, 135 Etienne Ribeyre, 92, 93

Eugène Rigot, 121, 122, 123, 124

S

Michel Sala, 99 Serraux, 46

Jules Simon, 119 Herbert Spencer, 133

Eugène Spuller, 33

T

Adolphe Thiers, 33, 89, 117, 161

Henri Tolain, 110

Joseph Tortelier, 129

Joseph Trenta, 92

Jules Trenta, 92, 108

V

Max Nettlau, 26, 37, 43, 44, 179

N

Auguste Vaillant, 153, 156, 158, 159, 164, 165, 166, 169, 173, 176

Charles Voisin, 133

P

Camille Pelletan, 116, 117, 177

Émile Pouget, 129, 172

Pierre-Joseph Proudhon, 15, 16, 17

Louis Puibaraud, 74, 75, 76, 77, 81, 159, 162

W

Henry Waddington, 32, 118

Pierre Waldeck-Rousseau, 49, 114, 115, 146

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 241

R

Ravachol, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 161, 163, 164, 171, 176 David Raynal, 121






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