1.4. DE LA VIA CRUCIS A LA VIA LUCIS, LA VOIE DU SALUT EN
DEUX VOLETS
On saisit bien ainsi, en les comparant point à point,
la continuité entre la prière de la Via Crucis et la
prière de la Via Lucis tant par la contigüité des
deux prières dans Pèlerins en prière, Pour le
Jubilé de l'Année sainte 2000, que par la similarité
de forme des deux prières : les deux prières sont
processionnelles et comportent quatorze stations.
La méthode pour la pratique des deux prières est
similaire, c'est une méthode en quatre points : lectio,
contemplatio, oratio, meditatio. La lectio divina est la
lecture-écoute
51 Cela correspond à la théologie du
Coeur Sacré de Jésus et de la demande de réparation
adressée par le Ressuscité aux âmes saintes pour les
outrages que le Seigneur subit dans le Sacrement de son Amour, la Sainte
Eucharistie. Ce sont les révélations privées dont parla
sainte Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690).
48
priante, en Eglise, des Saintes Ecritures. La contemplatio
est l'état de résonnance que produit l'Ecriture devenue
Parole proclamée en Eglise, alors que chacun médite en silence
dans son for intérieur. Oratio est la prière en commun
des participants. Meditatio est la réflexion intellectuelle,
guidée par le célébrant, sur le sens de l'Ecriture ainsi
qu'une réflexion sur la manière dont cette Parole peut se
répercuter sur la vie communautaire. Quant aux Salésiens de Don
Bosco, ils ajoutent un cinquième point à la lectio divina
: actio, l'action charitable.
La prière de la Via Crucis est une
méditation sur les récits de la Passion et de la crucifixion de
Jésus de Nazareth, méditation dont la forme traditionnelle
comporte un héritage légendaire, telle la rencontre avec
Véronique, ou un héritage de dévotions anciennes telles
que la dévotion aux « chutes de la Passion » ou aux «
chutes sous la croix52». La Via Crucis traditionnelle
n'a pas dans son contenu uniquement des textes néotestamentaires mais
peut comporter aussi des textes vétérotestamentaires, tel que le
Serviteur souffrant d'Isaïe (1, 5-6 ; 53, 5-6). La place
significative donnée aux femmes valorise leur nature empathique et
secourable avec l'histoire du voile de Véronique et la parole de
Jésus aux filles de Jérusalem (Lc 23,28-31).
Avec une différence d'un seul mot entre le
Répons d'ouverture de la prière de la Via Crucis
« Car tu as racheté le monde par ta croix » et
celui de la Via Lucis « Car tu as racheté le monde par
ta Pâque53 », nous abordons la question
théologique de la Rédemption : est-ce la Croix du Christ qui a
sauvé le monde, ou est-ce sa Pâque ? Que signifie « racheter
le monde » et que signifie exactement « ta Pâque » ?
Dans le premier cas - « tu as racheté le monde par
ta croix » - ce sont les souffrances de la Passion et de la mort du Christ
qui sont la cause de la Rédemption de l'humanité. « Ne le
savez-vous pas ? Nous tous qui par le baptême avons été
unis au Christ Jésus, c'est à sa mort que nous avons
été unis par le baptême » (Rm 6,3). C'est dans la mort
du Christ que nous avons été baptisés. Si c'est
l'Incarnation qui est rédemptrice, nous sommes
d'ores-et-déjà définitivement sauvés et nous
n'avons pas à participer à notre salut qui est pure
grâce.
Dans le second cas - « tu as racheté le monde par
ta Pâque » - c'est la mort et Résurrection du Christ
qui sont à l'origine de notre rédemption. Si nous sommes
baptisés, la Résurrection du Christ nous introduit dans la vie
éternelle. Le champ lexical de la rédemption
52
https://www.narthex.fr/reflexions/le-sens-des-images/la-passion-du-christ-en-images-les-representations-du-chemin-de-croix-une-histoire-aux-sources-multiples
(21/03/2021)
53 Ci-dessus, 48.
49
par le Mystère pascal est celui de la
miséricorde, de la communion et reprend les thèmes pauliniens de
mort au péché et de vie dans le Christ.
Cependant, la descente du Christ aux enfers est passée
sous silence. Cela correspond à une disparition presque totale de la
perspective de l'au-delà dans nos catégories mentales
modelées par le matérialisme et l'athéisme. Nous avons
relégué, en toute bonne conscience, les questions sur les fins
dernières au grenier du dix-neuvième siècle. Dans
Christ, Notre Pâque, François-Xavier Durrwell souligne la
nécessité théologique de creuser la question de la
descente du Christ aux enfers. C'est une des voies que que tenta d'explorer le
cardinal Hans Urs von Balthasar avec l'aide de la théologienne mystique
Adrienne von Speyr.
Deux perspectives théologiques coexistent donc, l'une
plus ancienne, tombée en désuétude mais qui reste
persistante dans notre inconscient collectif, est la théologie dite de
la Substitution ou de la substitution pénale ou
vicaire54. Cette théorie de la
Rédemption a un champ lexical de type juridique :
péché, faute, dette,
châtiment, rançon, rachat,
satisfaction, justice, sacrifice, expiation. Le
terme-même de « rédemption », en anglais «
redeeming », évoque le « rachat » par
peine satisfactoire. La thèse en est que Dieu aurait dû,
à cause du péché du monde et par amour pour
l'humanité, sacrifier son Fils unique pour racheter la dette exigible
à sa Sainteté de Justice. Dieu aurait ainsi payé le prix
de la négligence qui l'aurait conduit à nous
concéder le libre-arbitre dont les débordements nous eussent
autrement conduits en enfer. Le sens qui était anciennement donné
au nom de Pâques, dans l'Eglise d'Occident, était rattaché
aux événements de la Passion et aux souffrances de
Jésus55, plutôt qu'à sa Résurrection.
Jésus, chargé du poids extrême du
péché de tous les hommes de tous les temps, aurait-il pu
être abandonné par le Père Très Saint qui
exècre le péché ? Y aurait-il eu rupture entre Dieu le
Père et Dieu le Fils, rupture au sein de la Très Sainte
Trinité ? Peut-il y avoir une rupture en Dieu qui Trine et Un, en Dieu
qui est Un ? Peut-il y avoir une rupture entre Dieu et Dieu ? La position de
Hans Urs von Balthasar sur cette question a été, selon notre
point de vue, exagérément durcie car le théologien suisse
ne parle pas d'abandon par le Père mais il explore la perception
extrême du sentiment d'abandon qui a pu être celle du Fils sur
la
54 F.-X. DURRWELL, Christ, Notre Pâque, «
Racines », Paris, Nouvelle Cité, 2001, note 67 : «
Nous appellerons donc cette théorie la théologie de la
substitution », cf. « Jésus a non seulement
payé pour l'humanité pécheresse, il a été
substitué à elle, soit par décret divin, soit du fait
même de son incarnation dans l'humanité pécheresse »,
63.
55 R. CANTALAMESSA, Le Mystère Pascal, dans
l'histoire, dans la liturgie, dans la vie, Paris, Salvator, 1985, 1999,
2000.
50
croix avant qu'il ne pousse son cri de
déréliction (Mt 27,46 // Mc 15,34). Selon Balthasar, c'est ce
sentiment extrêmement douloureux d'abandon qui aurait pu être
la dynamique de la descente aux enfers, une descente au fin
fond de la liberté de l'homme qui ne concernait pas le Fils car il
n'était que porteur mais non auteur du
péché de l'homme, mais descente qui était
nécessaire à cause du dessein salvifique du Père de
libérer les esprits en prison.
C'est ainsi que l'on pourrait entendre dans le
Répons de la louange invocatoire de la Via Crucis -
« Car tu as racheté le monde par ta croix » - comme la
réponse à la question que le Ressuscité pose aux
pèlerins d'Emmaüs, dans la Quatrième station de la Via
Lucis : « Ne fallait-il pas que le Messie souffrît
tout cela avant d'entrer dans sa gloire ? Et, en partant de Moïse et de
tous les Prophètes, il leur expliqua, dans toute l'Ecriture, ce qui le
concernait » (Lc 24,26-27). La question est rhétorique mais le
Ressuscité laisse aux disciples le temps de la réflexion. Dans le
discours du Ressuscité aux Onze (Lc 24,44), les Psaumes sont
ajoutés aux livres de la Loi et des Prophètes. Ainsi se
précise l'idée que ce qui a été exigé par
Dieu dans la Loi de Moïse, annoncé et promis par
l'intermédiaire des Prophètes et dont le sens a été
ouvert par la nature poétique des Psaumes de David est
profondément lié avec la figure du Ressuscité qui est
Prophète et Messie ? Etant fils de David, Jésus est Roi. Etant
Fils de Dieu, Jésus est Christ et Seigneur.
La théorie de la rédemption par le
Mystère pascal met l'accent sur l'indissociabilité de la mort et
de la Résurrection du Christ. C'est la porte orientale d'entrée
dans le mystère de la Rédemption. A Pâques, les
chrétiens orientaux se saluent en disant : « Christ est
ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! ». La foi en la
Résurrection du Christ est la clef du Royaume. Dans cette perspective
théologique, nous sommes sauvés car ce qui est advenu au Fils
était non seulement nécessaire pour l'humanité, mais aussi
anticipé par le Père de toute éternité dans le but
de sauver l'homme et la femme et toute la Création.
L'icône que les Chrétiens orientaux vénèrent
à Pâques est l'Anastasis ou l'icône du
Relèvement.
La Résurrection de Jésus nous donne, d'une part
la certitude que la béatitude de la vie éternelle est dès
aujourd'hui préparée et, d'autre part la certitude que la
Création sera sauvée. Il nous reste à marcher notre vie de
chrétiens dans le temps de l'Eglise avec la conscience d'être
sauvés en espérance (Rm 8,18-25). La Résurrection
et l'Ascension du Seigneur procèdent de la même dynamique divine
d'exaltation. La Résurrection est une lumière de gloire
visible pour nous entre deux gloires en plénitude : la Transfiguration
et la Parousie. Il faut que nos yeux s'accoutument à voir la
lumière en face.
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