La prière de la via lucis une pédagogie de la foipar Patricia NOEL-PALLUEL Institut Catholique de Paris - Diplôme de l'Institut Supérieur de Liturgie 2021 |
INTRODUCTION« Comment Dieu peut-il être trois personnes ? », telle fut la question que je posai à la dame chez qui j'allais réciter mes leçons de catéchisme. Sa réponse m'est restée en mémoire : « C'est un mystère ». Bien que je n'eusse pas vraiment reçu d'explication, à l'époque cette réponse me satisfit. Je fis ma communion solennelle en mai 1968. Pour les filles, il y avait les aubes qu'on louait et les robes en dentelle qui étaient achetées. Cela marquait la différence entre les familles riches et les familles pauvres. En mai 68, mon père occupait l'usine où il travaillait. Je lui rends ici hommage pour m'avoir permis de suivre le catéchisme et de faire tout le parcours de l'Initiation chrétienne bien que cela ne correspondît pas avec ses convictions. A l'époque, après la Communion solennelle, était en place ce qui portait le nom de Persévérance et consistait en réunions de prière avec les religieuses de la paroisse. Je me souviens d'avoir prié avec elles pour les âmes du Purgatoire. Aujourd'hui, les soeurs qui donnaient des soins infirmiers ne sont plus dans la paroisse Notre-Dame du Sacré-Coeur de Maisons-Alfort et le catéchisme ne s'apprend plus par coeur. Le discours sur les eschata, avec la notion de Purgatoire, a complètement disparu du discours homilétique. Les fins dernières sont désormais un sujet qui relève de la Pastorale des Funérailles. Pour les fidèles baptisés de longue date, le Symbole des Apôtres récité par coeur lors des célébrations eucharistiques dominicales est-il encore une vraie profession de foi en Dieu Père, Fils et Esprit Saint, de foi en la Résurrection du Christ et en l'attente de sa Parousie ? Croyons-nous vraiment à la résurrection de la chair et à la vie éternelle ? Qu'est-ce qui est plus incompréhensible que l'assertion que Dieu est à la fois Un et Trine ? Qu'est-ce qui est plus incroyable que la résurrection des morts ? Si l'acte de croire demande une intellection du contenu de la foi par la pensée discursive, il est aussi soumis à l'expérience subjective initiale de saut dans le vide, saut dans l'acceptation de croire l'incroyable, d'imaginer l'impensable, d'admettre l'invraisemblable. Le contenu de la foi chrétienne peut-il être vraiment et totalement intelligible et donc transmissible ? Où en sont les adultes qui sont censés transmettre la foi par rapport à leur propre foi en la Résurrection 8 du Christ ? Faut-il toujours faire appel à la Foi de l'Eglise pour subvenir à la nôtre ? Comment aujourd'hui peut-on arriver à parler de la Résurrection du Christ1? La Sainte Liturgie célèbre les mystères du Christ et de l'Eglise selon le trésor du dépôt de la Parole de Dieu, selon les dogmes de la Tradition et selon les enseignements du Magistère. La pastorale catéchétique déroule le parcours de l'Initiation chrétienne en cohérence avec le calendrier liturgique et selon le calendrier scolaire, lequel s'inscrit dans le calendrier annuel grégorien. Dans quel temps nous situons-nous quand nous sommes à l'église lors d'une célébration eucharistique ? Dans quel temps nous situons-nous quand nous sommes avec des enfants en catéchèse en paroisse ? Et s'il s'agit de catéchumènes adultes, dans quel temps nous situons-nous pour parler ensemble de la Résurrection du Christ ? Lors d'une Semaine d'études liturgiques organisée par l'Institut de Théologie Orthodoxe Saint-Serge, alors que nous avions un déjeuner sur le site même de la basilique du Sacré-Coeur de Montmartre, j'entendis un interprète orthodoxe russe dire que l'adoration eucharistique était un vestige du XIXème siècle, comme l'était aussi la dévotion au Coeur de Jésus. Comme il disait qu'il était certainement impossible de trouver quelqu'un qui s'intéressât à la théologie et à la dévotion au Coeur de Jésus et qu'il était assis à côté de moi, je me sentis l'obligation de répondre : « Moi - dis-je - je fais des études de théologie et je m'intéresse à la dévotion au Coeur de Jésus ». Nous étions une grande tablée, avec des conférenciers et des théologiens dont je connaissais les noms en tant qu'auteurs. Je m'étais mise toute seule sur le gril. Il me mit au défi de lui dire quel était le rapport entre l'adoration eucharistique et le Coeur de Jésus. Fût-ce à cause de l'ambiance spirituelle de la basilique où le Saint Sacrement est exposé de façon permanente pour l'Adoration, ou bien parce que je venais de participer à la célébration eucharistique, heureusement reçus-je une inspiration. Je répondis alors : « Dieu est Amour... Le Coeur de Jésus, c'est le Coeur de Dieu. L'Eucharistie, c'est l'Amour qui se donne ». Mon voisin et moi poursuivîmes la conversation sur le Coeur Sacré de Jésus. Je dis que le Coeur de Jésus est montré comme un coeur de chair pour que nous comprenions que ce coeur est constitué comme le nôtre, c'est-à-dire qu'il peut aimer et souffrir, et pour nous faire savoir que Jésus désire ardemment notre amour. 1 M. DENEKEN, La Foi pascale, Rendre compte de la Résurrection de Jésus aujourd'hui, « Théologies », Paris, Cerf, 1997. 9 Il me répondit que ce que j'exprimais lui semblait être d'ordre affectif et que les Orthodoxes ne peuvent pas méditer sur un symbole mais seulement sur une personne. Je répondis qu'il existait effectivement une voie théologique affective dans la ligne de saint François de Sales et de saint Alphonse de Liguori, une voie que j'appréciais particulièrement. Je m'abstins alors de dire que la dévotion au Coeur Sacré de Jésus concerne la Personne du Ressuscité car j'eus, à ce moment, le sentiment d'en avoir assez dit. Cherchons-nous à comprendre avec notre cortex cérébral préfrontal ou avec notre coeur ? C'est dans le coeur que se joue le salut et c'est selon l'amour que nous serons jugés (Mt 25,34-36). « M'aimes-tu ? » demande Jésus à Simon-Pierre (Jn 21,15-17). « Vous pouvez toujours méditer sur le tombeau ouvert » me dit un jour le Père Hugues, alors curé de la Paroisse Notre-Dame de Lourdes à Chaville, qui me faisait l'accompagnement spirituel. Je venais de lui raconter une expérience que j'eus, étant enfant et en la circonstance alitée, à la lecture d'un petit livre du Chemin de la Croix. Avant cela, je ne savais pas encore quelle avait été la mort de Jésus. Comme beaucoup de foyers à cette époque nous n'avions ni télévision, ni téléphone et Internet n'existait pas. Notre éducation nous préservait de tout contact avec l'information sur la violence du monde et nous gardait dans une relative innocence. Ce jour-là, quand je vis l'image de la crucifixion, la croix de Jésus s'est plantée dans mon coeur d'enfant. Je lui répondis alors que cette station du Chemin de croix, le tombeau vide ou ouvert, n'existait pas auparavant et que cela avait été ajouté. Après un court silence et avec son grand sourire, il me dit quelque chose comme : « C'est extraordinaire ! ». Entendis-je « Vous pouvez toujours méditer sur le tombeau vide » ou bien « Vous pouvez toujours méditer sur le tombeau ouvert » ? Cela paraissant objectivement identique, sur le plan subjectif ces deux phrases n'ont pas la même résonnance. Cela dépend de la perspective qu'a l'observateur car de l'extérieur, on peut voir un lieu sombre et vide. Par contre, si l'on s'imagine être à l'intérieur du tombeau, ce que l'on voit est un cercle de lumière et l'horizon qui s'ouvre. Le choix de la proposition de méditer sur le tombeau ouvert fait écho à autre phrase reçue du Père Hugues que j'ai gardée précieusement : « Avec le Christ, l'avenir est toujours ouvert ». Quant à la méditation sur ce que, théologiquement, il convient d'appeler le Mystère pascal, je peux dire aujourd'hui que, relativement au conseil 10 spirituel d'une toujours possible méditation sur le tombeau ouvert, la vingtaine d'années qui s'est écoulée depuis cet événement a également donné du relief au mot « toujours ». Alors que je faisais des investigations sur l'origine de la Quinzième station du Chemin de croix, je découvris sur le site web de la basilique du Sacré-Coeur de Montmartre, une prière au nom mystérieux qui commence justement par la Station du tombeau ouvert : c'est la prière de la Via Lucis qui est ainsi présentée2 : « Après la prière du Chemin de Croix pendant le temps du Carême (Via Crucis), la liturgie de l'Église propose pendant le temps pascal la prière de la « Voie de lumière » (Via lucis), ponctuée par les rencontres du Christ ressuscité entre Pâques et l'Ascension, et une méditation du chapelet de la Miséricorde. » Le Temps pascal est le temps liturgique de cinquante jours qui s'étend du Dimanche de Pâques au dimanche de la solennité de la Pentecôte. Le texte de la prière de la Via Lucis est constitué de péricopes néotestamentaires sur la Résurrection du Christ : du temps liturgique de la Vigile pascale à la solennité de l'Ascension, ce sont des péricopes issues des récits évangéliques de la découverte du tombeau vide et des apparitions du Ressuscité ; de l'Ascension au dimanche de la solennité de Pentecôte, ce sont des péricopes issues des Actes des Apôtres. Quant aux illustrations de la prière de la Via Lucis, ce sont des oeuvres d'art sacré car elles sont destinées à être installées dans des lieux consacrés tels qu'une église, une basilique, un sanctuaire et se présentent sous la forme de représentations imprimées ou de tableaux sculptés, peints ou composés de mosaïque. Lorsqu'une Via Lucis est installée dans un lieu consacré, l'oeuvre d'art reçoit une bénédiction et la célébration d'inauguration a lieu généralement le même jour, si ce jour correspond à la liturgie du Temps pascal. Lors de l'inauguration, la Via Lucis devient un vrai chemin parcouru intérieurement et communautairement. Le cheminement tout au long de la Via Lucis invite à ce que se reproduise peut-être l'expérience pascale expérimentée par les disciples de Jésus d'être guidés à la fois individuellement et ecclésialement, jusqu'à l'envoi en mission aux extrémités de la terre. 11 C'est la création d'un projet de vie fondé anthropologiquement sur la joie pascale qui détermina les Testimoni del Risorto, les Témoins du Ressuscité de la Famille Salésienne de Don Bosco, inspirés par la prière en commun et la lectio divina autour d'un prêtre de la Congrégation des Salésiens de Don Bosco, Don Sabino Palumbieri, à s'engager dans des missions humanitaires. C'est dans ce cadre qu'est née la prière de la Via Lucis. 12 PRESENTATION DU MEMOIREMETHODES DE TRAVAILJe me suis procuré les seules sources éditées à ce jour de la prière de la Via Lucis: Pilgrim prayers, The official Vatican Prayerbook for the Jubilee Year 20003 ; Via lucis, Per celebrare Gesù risorto4, de Don Sabino Palumbieri ; Le Chemin de Lumière au-delà de la Croix, Quatorze stations de Pâques à la Pentecôte5 du père François Dufour. Puis j'ai trouvé la version française de Pilgrim Prayers : Pèlerins en prière, Pour le Jubilé de l'Année Sainte 2000, du Comité Pontifical du Grand Jubilé de l'An 2000. Comparant les trois sources entre elles, j'ai tout de suite constaté des variantes dans la sélection des péricopes pour une même station de la Via Lucis, sans que j'aie a priori d'explication sur l'origine des différences entre les sources. Pour exposer le contenu scripturaire de la prière de la Via Lucis, il me fallait choisir une source prioritaire. D'abord, la Source Via lucis, Per celebrare Gesù risorto fut déterminée comme source prioritaire pour la raison qu'il s'agit d'un « rituel » de célébration de la Via Lucis. Mais je fus dans l'impossibilité de l'utiliser parce qu'il n'en existe pas de traduction française autorisée. La prière de la Via Lucis fait l'objet de nombreuses publications par Don Sabino Palumbieri en langue italienne mais ces ouvrages ne sont pas traduits en français. Comme texte de la prière de la Via Lucis en langue française, j'ai donc sélectionné : Pèlerins en prière, Pour le Jubilé de l'Année sainte 2000, du Comité Pontifical du Grand Jubilé de l'An 2000. Dans un deuxième temps, j'ai comparé le contenu scripturaire de la prière de la Via Lucis selon mes trois sources avec les lectures du Lectionnaire des dimanches et fêtes du Temps pascal. La comparaison entre les lectures des « huit dimanches du Temps pascal6 » et la Via Lucis m'a permis de comprendre la raison des variantes entre les sources : la prière de la Via Lucis a été conçue pour être en harmonie avec la liturgie de la Parole du Temps 3 COMITE PONTIFICAL DU GRAND JUBILE DE L'AN 2000, Pèlerins en prière, Pour le Jubilé de l'Année Sainte 2000, Original italien, Milan, Arnoldo Mondadori, Fabio Ratti, 1999, Traduction française, Vérone, 1999, Fleurus-Mame ; Pilgrim prayers, The official Vatican Prayerbook for the Jubilee Year 2000, version internationale en langue anglaise. 4 PALUMBIERI S., Via lucis, Per celebrare Gesù risorto, « Ascoltare, Celebrare, Vivere », Sussidi mini 12, Padova, Edizioni Messaggero Padova, 2005. 5 DUFOUR F., P. SDB, Le Chemin de Lumière au-delà de la Croix, Quatorze stations de Pâques à la Pentecôte, Paris, Téqui, 2002. 6 https://liturgie.catholique.fr/accueil/annee-liturgique/du-careme-au-temps-pascal/le-temps-pascal/19692-evangiles-huit-dimanches/ (29/04/2021) 13 pascal et les variations entre les sources correspondent aux variations du Lectionnaire des dimanches et fêtes du Temps pascal selon l'année liturgique. En vue de l'analyse du contenu scripturaire de la prière de la Via Lucis et pour explorer l'articulation Bible-liturgie, j'ai constitué un outil de travail qui est le « Tableau synoptique du Lectionnaire du Temps pascal et des trois sources de la prière de la Via Lucis ». Ensuite, afin de bien montrer l'articulation de la prière de la Via Lucis avec les huit dimanches du Temps pascal, j'ai disposé le texte de la prière par station selon les correspondances scripturaires avec le Lectionnaire du Temps pascal depuis la Vigile pascale jusqu'au dimanche de la Pentecôte, selon l'année liturgique. Pour étayer ma recherche sur le plan de l'articulation Bible, liturgie et catéchèse, je me suis appuyée sur l'affirmation du Directoire sur la piété populaire et la Liturgie, Principes et Orientations (153) : « ...il est vrai que la Via lucis peut en outre devenir une excellente pédagogie de la foi » et j'ai relié l'expérience catéchétique inédite en France de la prière de la Via Lucis avec la grande impulsion de renouveau de la catéchèse du début du troisième millénaire. Cette entreprise de renouveau de la démarche catéchétique, issue de la demande des Evêques de France7, fut formulée sous le titre de : « Aller au coeur de la foi 8». 7 Assemblée plénière des Evêques de France, « Aller au coeur de la foi, Lettre à l'ensemble du peuple de Dieu », Lourdes, 2002. 8 COMMISSION EPISCOPALE DE LA CATECHESE ET DU CATECHUMENAT, « Aller au coeur de la foi, Questions d'avenir pour la catéchèse », Lourdes, 2002. 14 |
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