La blockchain, une révolution de
l'intermédiation : Un gain pour les entreprises au détriment
des tiers de confiance ?
Hervé GUIMON
Jean-Louis LATHIERE
Executive Master finance d'entreprise et pilotage de la
performance Document présenté le 16/02/2018
Directeur de mémoire : Monsieur Jacques AMAR
2
DECLARATION SUR L'HONNEUR
Nous certifions sur l'honneur que le présent
mémoire est le fruit d'un travail personnel et que toute
référence directe ou indirecte aux travaux de tiers est
expressément indiquée. Nous demeurons seuls responsables des
analyses et opinions exprimées dans ce document : l'Université
Paris Dauphine n'entend y donner aucune approbation ni improbation.
3
REMERCIEMENTS
Nous tenons, en préambule, à remercier toutes
les personnes qui ont su nous conseiller et nous soutenir pendant la
progression de notre mémoire.
Tout particulièrement, c'est à M. Jacques Amar,
notre directeur de mémoire, que nous témoignons notre
reconnaissance. Il a suscité notre curiosité puis notre
intérêt pour le terrain encore peu exploré de la
blockchain. Par son écoute sensible, il a toujours répondu
à nos interrogations.
Enfin nous remercions MM. Burdet de la société
AREP et Henocque de la société KEEEX qui nous ont donné
accès au terrain de notre étude et nous ont consacré du
temps pour la réalisation d'interviews. Sans les informations et la
documentation qu'ils ont bien voulu partager avec nous, la construction de
notre mémoire n'aurait pas été possible.
4
RESUME
La réflexion menée dans ce mémoire est
centrée sur les origines, le fonctionnement et les extensions
potentielles d'une technologie de stockage de données
sécurisées et de transmission de l'information qui permet de
réaliser des transactions en pair à pair : la
Blockchain. Elle a acquis une certaine visibilité pour la
première fois, en servant de support technique à une monnaie
virtuelle, le Bitcoin en 2008.
Cette innovation numérique de rupture a montré
rapidement qu'elle avait le pouvoir de modifier radicalement les modèles
économiques classiques en rendant les transactions plus simples,
rapides, sécurisées et moins coûteuses et fonctionnant sur
un dispositif décentralisé et autonome.
Cette étude aura pour objectif notamment
d'établir si les apports de la Blockchain modifieront les
coûts des relations contractuelles tels que définis par « la
théorie de l'Agence » et « la théorie des coûts
de transactions ». Et si l'instauration de données plus
transparentes et disponibles par tous conduira à la réduction de
l'asymétrie informationnelle et favorisera l'émergence de
nouveaux modes de gouvernance.
La blockchain, notamment par les smart contracts, a aussi pour
ambition de recréer une confiance irréprochable : celle
incarnée précédemment par différents experts ou
organismes dits « tiers de confiance », qui s'est
révélée défaillante en 2008. Ces derniers, dans
leur rôle de garants, devront sans doute faire évoluer leur
fonction.
Certaines entreprises se sont lancées d'ores et
déjà dans l'expérimentation de la blockchain. La SNCF,
face au défi de la gestion efficace des déchets dans les gares,
teste cette technologie pour réduire les dysfonctionnements
constatés sur la chaîne de tri et de ramassage des déchets
sur le site de la gare de Massy TGV. En étudiant ce cas, nos analyses
ont mis en évidence les apports et les marges d'amélioration pour
l'entreprise et aussi les déploiements désormais possibles.
MOTS CLES : Bitcoin, Blockchain, décentralisé,
tiers de confiance, intermédiation, disruption, coûts de
transaction, coûts d'agence
5
ABSTRACT
The discussion in this thesis focuses on the origins,
operation and potential extensions of a secure data storage and information
transmission technology that allows peer-to-peer transactions: the Blockchain.
It gained some visibility for the first time in 2008, serving as technical
infrastructure for a virtual currency, the Bitcoin.
This breakthrough digital innovation quickly showed that it
has the power to drastically change conventional business models by making
transactions simpler, faster, more secured and less expensive by operating on a
decentralized and autonomous technology.
The purpose of this study will be to determine whether
Blockchain's contributions will alter the costs of contractual relationships as
defined by "Agency theory" and "transaction cost theory". And if the
establishment of more transparent and available data by all will lead to the
reduction of information asymmetry and will favor the emergence of new modes of
governance.
The Blockchain, and particularly with smart contracts, also
aims to recreate faultless trust: that was previously embodied by various
experts or organizations known as "trusted third party", which proved to be
defective during the crisis in 2008. These latter will certainly see their role
of warrantor deeply evolve.
Some companies have already started experimenting with
blockchain. The SNCF company, faced with the challenge of efficient waste
management in stations, tests this technology to reduce the dysfunctions noted
on the sorting and waste collection at the Massy TGV station. By studying this
case, our analyzes have highlighted the contributions and potential for
improvement that could be brought by this technology to the company as well as
the extending that is now possible.
KEY WORDS: Bitcoin, Blockchain, decentralized, trusted third
party, intermediation, disruption, transaction costs, agency costs
6
TABLE DES MATIERES
DECLARATION SUR L'HONNEUR 2
REMERCIEMENTS 3
RESUME 4
ABSTRACT 5
INTRODUCTION 9
1 Cadres explicatifs : le fonctionnement actuel des transactions
dans les entreprises et le rôle des
tiers de confiance 13
1.1 La théorie de l'agence 14
1.2 Les coûts d'agence 15
1.2.1 Les coûts relatifs à la divergence
d'intérêts : 15
1.2.2 Les coûts relatifs à l'opportunisme des
agents 16
1.3 La théorie des coûts de transaction 17
1.3.1 Les coûts de rédaction liés au
contrat 18
1.3.2 L'opportunisme des parties - coûts de
contrôle 18
1.3.3 Les frais de contentieux 19
2 L'innovation disruptive : la blockchain au travers de la revue
de littérature 21
2.1 Les origines techniques 21
2.1.1 La signature électronique 22
2.1.2 Les monnaies complémentaires, monnaies
numériques anonymes 23
2.1.3 La libéralisation de la cryptographie
privée aux Etats-Unis 24
2.2 Le contexte idéologique et
socio-économique : crise de confiance suite à la crise des
subprimes 24
2.2.1 La protection de la vie privée et
indépendance des institutions 25
2.2.2 La crise financière et monétaire
25
2.3 Une réaction : la crypto-monnaie, le Bitcoin 26
2.3.1 L'aventure Bitcoin 26
2.3.2 Un moyen de paiement ? 30
7
2.4 L'émergence de la technologie sous-jacente : la
Blockchain et ses multiples applications 31
2.4.1 Les concepts et la technologie 31
2.4.2 Les utilisations et l'environnement 34
2.4.3 La Blockchain dans la dynamique contractuelle
39
2.5 Les smart contracts 41
2.5.1 Les principes 41
2.5.2 La mise en oeuvre des smart contracts 42
2.5.3 La remise en cause des couts de transaction
grâce au smart contract 43
2.6 La DAO 44
2.6.1 Les principes et les impacts potentiels 44
2.6.2 Les apports de la DAO et des smart contracts
45
2.7 L'étude Deloitte : état des lieux sur la vision
que les entreprises portent à la Blockchain 46
2.7.1 Le positionnement de l'industrie financière vis
à vis de la Blockchain 47
2.7.2 Une étude de cas : la banque KBC 49
2.8 Les limites et les perspectives de développement de la
Blockchain 50
LES HYPOTHESES RETENUES 52
3 Méthode de recherche et terrain : mise en place d'une
blockchain à la SNCF 53
3.1 Méthode de recherche 53
3.1.1 La phase d'exploration de notre objet de recherche et
de notre problématique 53
3.1.2 L'approche de recherche déductive 54
3.1.3 La collecte des données primaires 57
3.1.4 La collecte des données secondaires 59
3.2 Terrain et collecte de données 59
3.2.1 La recherche de terrain 59
3.2.2 Le projet choisi 60
3.2.3 La prise de contact 62
3.2.4 La préparation des entretiens 63
8
3.2.5 La réalisation des entretiens 64
3.2.6 L'utilisation des entretiens 65
4 Le cas pratique : d'un processus manuel et faillible à
un système autonome et sécurisé 66
4.1 L'analyse de la situation initiale : constat par AREP de
dysfonctionnements graves 67
4.2 L'élaboration d'une réflexion 69
4.3 La solution disruptive : la mise en place de la
Blockchain : enregistrement de données et
création de smart contract sur Ethereum 74
4.4 Les bénéfices pour l'entreprise
étudiée 78
CONCLUSION 82
BIBLIOGRAPHIE 85
ANNEXES 89
9
INTRODUCTION
L'Histoire du commerce remonte à l'origine de
l'humanité. En premier lieu, il se tient au sein d'une ou plusieurs
tribus du même voisinage géographique ; l'échange se fait
alors sous forme de troc. Il nécessite l'entente et
l'intérêt mutuel des deux parties, mais restreint ainsi les champs
des échanges et débouche souvent sur des conflits.
Le procédé se normalise avec
l'aménagement d'un lieu dédié au commerce, les places de
marché, et avec les commerçants, premiers intermédiaires,
qui utilisent un nouveau support, la monnaie créée par le pouvoir
central en place. Elle équivaut à une contrepartie correspondant
à la valeur de chaque marchandise. Les pièces mises en
circulation sont en or ou en argent. Ces métaux précieux
constituent une valeur d'échange sécurisant les transactions et
favorisant nettement leur développement. La rareté et la garantie
de l'émetteur de ce vecteur lui confèrent toute sa valeur et la
confiance qu'on lui accorde.
Aujourd'hui, les échanges se font à
l'échelle mondiale, les nouvelles routes commerciales favorisent la
multiplication et la diversification des biens disponibles. Ce changement de
dimension rend très difficile les contrôles
précédemment assurés par les parties elles-mêmes. En
réponse à cet écueil, il devient nécessaire de
mettre en place des moyens garantissant la confiance ; on instaure des
intermédiaires et des tiers de confiance toujours plus nombreux. Leur
mission est double : apporter les conditions d'un échange
sécurisé et sans risque de perte. Il doit être
également le moins coûteux et le plus rapide possible. L'Etat met
en place des structures institutionnelles : notaire pour un transfert de
propriété, avocat pour la rédaction d'un contrat ou le
règlement d'un contentieux et bien sûr les banques pour les
transactions financières.
Les institutions, lois (règles formelles) et normes
sociales (informelles) sont alors érigées en leviers
économiques assurant aux sociétés humaines la garantie de
croissance.
Pour le prix Nobel d'économie en 1993, Douglass
North1 (1920-2015), les institutions sont « des contraintes
humainement conçues qui structurent les interactions politiques,
économiques et sociales qui sont essentielles à la croissance
économique des pays ».
Dès lors les banques centrales, émettant
désormais la monnaie remplaçant l'or, et les banques commerciales
qui veillent à la disponibilité des liquidités et à
la gestion des moyens de paiement, deviennent, de manière
incontournable, partie prenante de toute transaction. Ce sont
1 North, D. (1990), Institutions, institutional change and
economic performance, Cambridge, Cambridge University Press.
10
elles qui authentifient notamment la solvabilité des
parties. Ces interventions et contrôles augmentent sensiblement les
délais et représentent désormais une part importante dans
les coûts de transactions.
Afin de réduire ces charges, le secteur bancaire a su
très vite adopter les nouvelles technologies : l'informatique et
internet. Celles-ci leur facilitent la communication et raccourcissent les
temps de traitement.
Selon Yvon Lucas2 : « Les moyens
de paiement ont suivi l'évolution des échanges commerciaux. On
peut noter qu'au fil du temps, les développements ont été
réalisés afin de répondre à trois principaux
objectifs : la sécurisation, la rapidité d'exécution et
enfin la dématérialisation ».
La crise financière dite crise des subprimes,
en 2008 ébranle l'édifice financier mondial et
débouche sur une grave crise de confiance. Celle-ci est aggravée
par la révélation de la fraude de Bernard Madoff (pyramide de
type « Ponzi »3), encore renforcée par les lanceurs
d'alerte de tous horizons (l'affaire Snowden en 2013) et se conclura par la
généralisation de la défiance à l'égard de
l'ensemble des institutions.
On voit apparaître de nouveaux acteurs
économiques en recherche de processus innovants pour s'affranchir des
circuits classiques qui ont fait faillite. L'utilisation d'Internet et
l'émergence des plates-formes centralisées (Uber, eBay)
constituent une première tentative de réponse à même
de rassurer les acheteurs et les vendeurs. La dématérialisation
des échanges a certainement permis de poursuivre la démarche de
réduction des coûts et d'améliorer de façon
significative la réactivité et la satisfaction des parties.
La confiance émerge des comportements d'une
communauté (notation bilatérale) et non plus de l'intervention de
tierces personnes extérieures (taxi pour Uber, commissaire-priseur pour
des ventes aux enchères eBay). Mais cette innovation
incrémentale (Clayton Christen, 19954) ne procède
que d'une substitution : un organe central a repris les fonctions des
experts.
2 Lucas, Y. et al. (1995), Le système de paiement :
Situation actuelle, perspectives d'évolution et comparaisons
internationales. Revue d'économie financière, n°
35, 253-271
3 Système financier frauduleux du nom d'un financier des
années 1920 dans lequel les investissements des nouveaux clients sont
utilisés pour payer à des taux élevés les
intérêts des anciens. La « pyramide » s'effondre quand
les intérêts à verser et/ou les demandes de remboursement
deviennent supérieurs au montant des nouveaux fonds apportés
4 Christensen C., Bower J. (1995), Disruptive technologies:
catching the wave, Harvard Business Review, The seminal article,
January-February.
11
Mais le système mondial du commerce ayant
été secoué, une remise en cause en profondeur des
principes anciens est devenue incontournable. Quelques précurseurs,
jugés non crédibles, construisent le protocole blockchain et
commencent à l'utiliser à la fin de 2008, en réaction
à la crise de confiance placée dans les institutions et
organisations humaines supervisant les échanges commerciaux et
financiers via des systèmes d'information centralisés.
Primavera de Filippi5 la définit ainsi :
« Littéralement, une blockchain désigne une chaîne
de blocs, des conteneurs numériques sur lesquels sont stockées
des informations de toute nature : transactions, contrats, titres de
propriétés, oeuvres d'art. L'ensemble de ces blocs forme une base
de données semblable aux pages d'un grand livre de comptes
».
Louis de Méneval et Simon Polrot ajoutent que :
« La blockchain, registre partagé de transactions
enregistrées, garantit le caractère immuable et Infalsifiable et
non duplicable des inscriptions. Cette technologie émergente permet
également la création d'actifs numériques
»6.
A la défaillance des banques, répond une «
crypto-monnaie » ou « monnaie virtuelle » conçue hors de
l'intervention d'un Etat et la garantie d'une Banque Centrale. Satoshi
Nakamoto, pseudonyme derrière lequel se cache le ou les créateurs
de la blockchain Bitcoin, expose sa méthode.
Il part du postulat suivant : « On ne peut faire
confiance à l'humain car il commet des erreurs et il a naturellement
tendance à poursuivre ses propres intérêts afin de tirer
parti des informations dont il dispose à son seul bénéfice
». Pour lui la technologie permet ce qui était
irréalisable avant : un échange d'actifs entre acteurs qui ne se
connaissent pas était impossible sans l'intervention d'un
intermédiaire (autorité centrale) pour en assurer la
sécurisation et la validation.
La blockchain est-elle une révolution de
l'intermédiation et représente-t-elle un gain pour les
entreprises au détriment des tiers de confiance ?
C'est autour de la recherche de réponses à cette
question que nous avons articulé notre
mémoire.
5 De Filippi, P. (2016), Comprendre la blockchain, livre blanc,
janvier 2016.
6 De Méneval L., Polrot S. (2017), La blockchain, un
nouveau paradigme pour le numérique, Expertises des Systèmes
d'Information, n° 421, février 2017.
12
Nous nous sommes intéressés tout au long de
notre étude, au contexte de la création de cette technologie
disruptive, de ses déploiements, et au travers d'exemples
d'expérimentation en entreprises, à ses apports sur un
éventail de secteurs d'activités.
13
Ce mémoire a pour thématique la
Blockchain, technologie de stockage et de transmission de
l'information, apparue en 2008, pour réaliser des transactions
décentralisées en toute sécurité. Avant d'examiner
ce en quoi la blockchain constitue une innovation disruptive, nous allons
retracer l'état actuel des échanges. Ils sont encore souvent
régis par une optimisation limitée, « incrémentale
», des relations contractuelles.
1 Cadres explicatifs : le fonctionnement actuel des
transactions dans les entreprises et le rôle des tiers de confiance
Une notion fondamentale irrigue toute la problématique
des relations entrepreneuriales : « la confiance ». C'est une
espérance de fiabilité dans les conduites humaines qui
précède et détermine la possibilité de
l'échange (E. Laurent, 20127). Cette idée
débattue lors d'un colloque à Lyon en 1998, « Confiance et
gestion », mettait en exergue les travaux de A. Breton et R. Wintrobe
(19828). Ce facteur comportemental, hautement psychologique, doit
pour autant s'étayer concrètement au travers du chaînage
contractuel.
Actuellement, tous les systèmes qui reposent sur la
confiance impliquent la présence d'un tiers de confiance. Ce dernier
s'assure que toutes les conditions sont réunies pour réaliser la
transaction et son exécution en conformité avec les contrats
signés et la législation en vigueur. Les banques sont
probablement les tiers de confiance les plus connus avec les avocats, les
notaires et les experts comptables. Etant donné l'importance de leur
rôle dans l'économie, les tiers de confiance sont eux-mêmes
agréés par un régulateur (l'AMF - Autorité des
Marchés Financiers - certifie des salariés des banques,
l'administration fiscale agrée des tiers de confiance parmi les membres
de professions réglementées d'avocat, notaire ou expert-comptable
- article 170 ter du code Général des impôts9).
Tout en haut de la chaîne de confiance, l'Etat est le garant de la
cohérence et de la stabilité de l'ensemble du système.
Ainsi, inscrits dans l'architecture conceptuelle des
échanges des entreprises visant à satisfaire leurs besoins
financiers, tout en réduisant leurs coûts, les tiers de confiance
se trouvent au coeur de deux théories économiques. Elles se sont
efforcées de répondre à ces enjeux de manière
optimale : la théorie de l'agence et la théorie des coûts
de transaction.
7 Laurent, E. (2012), L'économie de la confiance,
Ed. De la découverte, Paris.
8 Breton A., Wintrobe R. (1982), The Logic of Bureaucratic
Conduct, Cambridge University Press, 1982, 325 p.
9 Article 170 ter, Modifié par Décret n°
2011-645 du 9 juin 2011 - art. 1, II. - La mission de tiers de confiance est
réservée aux personnes membres des professions
réglementées d'avocat, de notaire et de l'expertise comptable.
14
1.1 La théorie de l'agence
Il faut entendre le terme « agence » dans le sens
étymologique d'agent « celui qui fait », « qui s'occupe
».
Dès 1976, Michael C. Jensen et William H.
Meckling10 définissaient la relation d'agence comme un
nouveau type de relation contractuelle par laquelle un groupe d'acteurs dit
« le principal » (soit les actionnaires d'une entreprise) engage une
personne dite « l'agent » (soit le dirigeant) pour agir en son nom.
Il lui délègue une partie de l'autorité de la prise de
décision. En outre, l'application contractuelle se complexifiera avec le
comportement potentiellement divergent des deux acteurs : si chacun veut
maximiser ses propres intérêts, une des parties (l'agent) peut
être tentée de tirer profit de l'incomplétude des contrats
(G. Charreaux, A. Couret, P. Joffre, 198711). Un contrat est
incomplet quand il n'est pas possible de prévoir ce qui va se passer
dans tous les cas de figure potentiels. Dès lors, quand une circonstance
imprévue se produit, peut s'ouvrir une nouvelle négociation afin
de fixer une interprétation ou de redéfinir des termes
contractuels. Cette renégociation constitue le concept central de la
théorie des contrats incomplets. En effet, personne ne serait capable de
vérifier ex post l'état de certaines variables, du fait
notamment de l'imperfection de l'information. (O. Hart et J. Moore,
199012). Ce postulat peut s'apparenter à celui posé
par O.E. Williamson sur la rationalité limitée des agents
(examinée infra avec les coûts de rédaction liés
à la rédaction de contrats). Notons toutefois que les fondements
de la théorie des contrats incomplets sont toujours en débat (E.
Maskin et J. Tirole, 199913, O. Hart et J. Moore,
199914).
En tout état de cause, l'ambivalence des acteurs
s'invite dans l'exécution littérale contractuelle : la divergence
de leurs intérêts conduit le principal (actionnaire)
à valoriser ses dividendes, alors que l'agent (dirigeant) peut
tenter de s'approprier les ressources de l'entreprise pour servir son
développement, voire également la satisfaction de ses besoins
personnels.
L'opportunisme de l'agent quant à lui
constitue la dérive évoquée, consubstantielle à
l'évidente asymétrie informationnelle. Elle est inhérente
à cette relation contractuelle, puisque
10 Jensen M.C., Meckling W.H. (1976), Theory of the Firm,
Managerial Behavior, Agency costs Ownership structure, Journal of Financial
Economics, Vol. 3, 345-360
11 Charreaux G., Couret A., Joffre P., (1987),
De nouvelles théories pour gérer l'entreprise, Paris,
Economica
12 Hart O., Moore J. (1990), Property Rights and the nature of
the Firm, journal of Political Economy, 98 (6), 1119-1158
13 Maskin E., Tirole J., (1999), Unforeseen contingencies and
incomplete contracts. Review of Economic Studies 66, 83-114
14 Hart O., Moore J. (1999), Foundations of Incomplete
Contracts, Review of Economic Studies, 1999, vol.
66, issue 1, 115138
15
le principal estime l'agent mieux placé que
lui pour la gestion. Mais aussi pour bien d'autres co-contractants, ce que l'on
appelle la sélection adverse. (P.Y. Gomez, 199615).
Ces éléments comportementaux contribuent
directement à l'existence des problèmes d'agence. C'est ainsi que
les incertitudes intrinsèques à la délégation de
pouvoir entraînent des coûts liés à chaque risque
potentiel.
1.2 Les coûts d'agence
Compte tenu de la séparation des rôles entre
propriétaires (actionnaires) et dirigeants, M.C. Jensen et W.H. Meckling
distinguent deux principaux types de coûts liés à la
décentralisation de la prise de décision. Il est à noter
que les coûts d'agence au sein d'une entreprise naissent également
des divergences entre un salarié et son responsable hiérarchique
ou entre les dirigeants et les employés.
1.2.1 Les coûts relatifs à la divergence
d'intérêts :
Dans ce paragraphe, nous présenterons les coûts
supportés par chacune des parties soit le principal et
l'agent afin d'établir une relation de confiance.
- Les coûts de surveillance sont ceux
entrepris par le principal - actionnaire afin de veiller à ce
que l'agent - dirigeant n'agisse pas à son détriment. Il
s'agit de vérifier la réalisation conforme des missions
assignées au mandataire, et celles des objectifs fixés : mise en
place de procédures de contrôle, recours à des tiers de
confiance tel que des commissaires aux comptes (CAC), des experts comptables
externes, audit. L'objectif sera de s'assurer que les décisions prises
ont été optimales pour améliorer la performance de
l'entreprise et non pour satisfaire l'ego des dirigeants. De son
côté, Eugène Fama (198016), afin de
réduire les conflits d'intérêts, suggère une
évaluation en fin de période de la performance du mandataire
dirigeant. Elle pourra conduire à une bonification de sa
rémunération, devenant très incitative pour une rigoureuse
exécution du mandat. Pour établir ce contrat, l'entreprise devra
faire appel à un avocat
15 Gomez, P.Y. (1996), Le gouvernement de l'entreprise,
Paris, France, InterEditions, 1996, 266 p.
16 Fama, E. (1980), Agency problems and theory of the firm,
journal of economics, Holland publishing Company, n° 2,
288307.
16
afin de s'assurer de la mise au point d'un contrat
adapté aux situations les plus diverses. La délégation de
pouvoir des actionnaires au dirigeant doit prendre en compte que celui-ci
détient des connaissances et des informations spécifiques en
occupant cette fonction. Et l'actionnaire, voulant protéger ses actifs,
fera établir un contrat dans le but d'équilibrer ses
intérêts et ceux du dirigeant mis en place et de réduire
les tensions ou contradictions à venir.
Une solution d'un autre type, avec le même but,
réside dans la conclusion de contrats à long terme qui permettent
de privilégier la consolidation des résultats, en
éliminant la tentation d'un profit à court terme.
- Les coûts de dédouanement : il
s'agit des dépenses engagées par le mandataire dirigeant afin de
démontrer à son tour au mandant qu'il n'agit pas à
l'encontre de ses intérêts, par la bonne qualité de sa
gestion. En effet, le dirigeant peut être soupçonné de
s'accorder des avantages pris sur les ressources de l'entreprise, mais plus
encore de s'octroyer une marge de manoeuvre visant à renforcer son
pouvoir managérial au profit, moins des intérêts des
actionnaires, que de l'entreprise elle-même.
La défense du mandataire le conduit ainsi à
argumenter ses projets, formuler ses besoins, à rendre des comptes
(bilans, rapports annuels...), source de coûts dits d'obligation.
Les coûts d'agence engendrés par la divergence
initiale d'intérêts de la relation mandant-mandataire se
renforcent des failles rédactionnelles nées notamment de
l'incomplétude des contrats.
1.2.2 Les coûts relatifs à l'opportunisme des
agents
Les contractants, acteurs rationnels, doivent accorder les
intérêts de chaque partie, sans pour autant envisager
l'intégralité des options de gestion à venir. En effet, la
délégation « du faire » par l'agent principal constitue
un amoindrissement de sa complète information, détenue de
manière privilégiée par le mandataire. Cette
asymétrie informationnelle résulte de la capacité de ce
dernier à être mieux placé pour la gestion ce qui, en cas
de conflit d'intérêts, incite à l'opportunisme du
dirigeant. Dès lors, la réduction de l'incertitude de la
complète exécution du mandat, née de la complexité
managériale, requiert un encadrement contractuel mieux
17
élaboré entraînant une majoration des
coûts. Ainsi l'emploi d'experts externes permettra à la fois de
réduire l'asymétrie d'information et d'apprécier le choix
d'une décision.
Le risque d'opportunisme du gestionnaire se trouve
accentué lorsque s'invite la manipulation pure de l'information par ce
dernier à son profit. Afin de limiter le risque de cet aléa moral
(Adam Smith, XVIIIème siècle), devra être mis en
place un contrôle technique renforcé, voire un système
d'incitation, défini contractuellement, pour préserver les
intérêts du principal - actionnaire.
L'importance de ces coûts d'agence pourra évoluer
en fonction de la taille de l'entreprise, bien que M.C. Jensen et W.H. Meckling
aient montré, par exemple, que l'existence d'un monopole ne les fasse
pas augmenter.
Pour illustrer la théorie présentée, nous
pouvons utiliser le cas d'un achat immobilier appartenant à un dirigeant
par son entreprise. Ce dernier, pour justifier le prix fixé, devra faire
appel à des agents immobiliers et des experts, ce qui le
dédouanera de vouloir profiter de son positionnement pour s'enrichir au
détriment des actionnaires. Il devra également pour effectuer la
transaction faire appel à un notaire qui authentifiera l'origine de la
propriété et évitera toute méfiance à son
égard. L'entreprise en subira des coûts afin de réduire
l'asymétrie d'information afin de s'assurer que l'opération soit
conforme aux intérêts des actionnaires.
Si en France l'Etat assure le respect de la
propriété à l'aide d'un cadastre fiable, nous verrons que
dans d'autres parties du monde, la blockchain pourra s'avérer
très utile pour éviter des dysfonctionnements.
Nous reviendrons sur cette situation dans notre « revue
de littérature » afin de mettre en exergue les promesses
d'amélioration offertes par la blockchain.
1.3 La théorie des coûts de
transaction
L'approche théorique des coûts de transaction se
fonde sur le calcul économique dans un espace contractuel, dans lequel
les acteurs responsables se lient librement entre eux.
Nous devons ce concept à son initiateur R. Coase
(193717). Il met en évidence le fait qu'accéder au
marché nécessite de consentir des coûts. Conceptualisation
développée plus tard par O.E. Williamson (par plusieurs
écrits en 1975, 1985, 1993-95), sous le vocable de
17 Coase, R. (1937), the nature of the firm,
Economica, New Series, Vol. 4, n° 16, November. Traduction
française : la nature de la firme, revue française de
l'économie, II, hiver.
18
coût de transaction. Ceux-ci sont tributaires de la notion
centrale de temps. Elle fait passer le simple échange, instantané
sur un marché (spot), à la transaction qui
nécessite plusieurs étapes telles que : créer la
confiance, négocier et conclure par la forme juridique du contrat. Ce
fond générique proche de celui de la théorie de l'agence
s'enrichit de nouveaux concepts élaborés par O.E. Williamson, qui
constitueront le corpus de l'analyse des coûts.
1.3.1 Les coûts de rédaction liés au
contrat
Ce premier poste résulte des comportements des acteurs
liés à leurs capacités propres. D'emblée, O.E.
Williamson émet l'hypothèse de la rationalité
limitée du contractant, qui n'est pas en mesure d'anticiper tous les cas
de figures (à rebours de la théorie économique classique
qui suppose la rationalité absolue des acteurs de l'échange).
La nécessité d'un recours à un contrat
par des professionnels pertinents s'impose, afin de fixer les obligations
déjà ébauchées au cours de la phase de
négociation, elle-même productrice de coûts. A ce premier
stade, pourra d'ailleurs déjà apparaître le risque de
retenue délibérée d'information (biaisée ou non),
dite de la sélection adverse.
Pour O.E. Williamson, les coûts sont distingués
ex ante (avant passation du contrat), et pourront
ultérieurement, ex post, s'alourdir en raison de mauvaise
adaptation du contrat. Extrêmement complexes à quantifier, les
coûts ex ante et ex post sont interdépendants et
s'apprécient de façon globale dans la recherche de la
minimisation des coûts.
1.3.2 L'opportunisme des parties - coûts de
contrôle
L'acteur autonome recherche naturellement son
intérêt propre qui peut le conduire - moins légitimement -
à un comportement opportuniste. D'abord, comme on vient de le voir, en
minorant d'emblée l'information (sélection adverse). Mais aussi
après la rédaction du contrat, lorsqu'un acteur n'est pas
incité à sa bonne réalisation. C'est le risque moral,
également proche des notions classiques des théories des
contrats.
A la difficulté de cerner le comportement de certains
agents, s'ajoute la complexité de l'environnement qui rend difficilement
prévisibles toutes les occurrences possibles, comme la connaissance des
facteurs conditionnant l'avenir. S'établit ainsi un caractère
d'incertitude que ne peut pas lever l'incomplétude des contrats, en
raison du coût que représenterait la rédaction de multiples
clauses trop spécifiques et contingentes.
19
Se prémunir des aléas des comportements des
acteurs passe par le recours à des spécialistes, des experts, des
conseils, pour engager les mécanismes de contrôle par tout tiers
de confiance. Ils seront chargés de lever ces contraintes d'incertitude
et d'invérifiabilité.
Par ailleurs, une dimension fondamentale de l'économie
des coûts de transactions est, selon O.E. Williamson la
spécificité des actifs. Plus l'actif est engagé dans une
transaction particulière, moins il peut être
réalloué à une autre transaction sans augmentation
substantielle des coûts. Dans ce domaine où
l'interdépendance des acteurs est forte, le risque d'opportunisme se
révèle d'autant plus préjudiciable et relève d'un
contrôle renforcé.
1.3.3 Les frais de contentieux
L'incertitude résultant des acteurs eux-mêmes
(rationalité limitée, opportunisme) ou de l'environnement
(imprévisibilité) tentera d'être endiguée par
l'élaboration de garanties. Toutefois, complexes, elles relèvent
traditionnellement du recours au tribunal. O.E. Williamson estime le recours
coûteux sinon inefficace. S'élaborent alors des mécanismes
d'arbitrage entre les parties pour se substituer à la voie juridique
classique. Moins formalisés, des coûts de « marchandage
» seront une autre option offerte en cours d'exécution du
contrat.
Prenons l'exemple d'un contentieux né lors d'un
différend entre une entreprise et un assureur pour la gestion d'un
sinistre. Actuellement, le client doit compléter les documents
nécessaires à l'indemnisation. L'assureur dépêche un
expert qui se déplace sur site pour constater et estimer les
dégâts. Plusieurs échanges sont nécessaires pour
aboutir au montant d'une indemnisation. La divergence des intérêts
des parties peut conduire à un échec des tractations. En cas de
litige, une issue ne peut être trouvée qu'en ayant recours
à des avocats pour porter l'affaire devant les tribunaux.
Ainsi, pour s'entendre, les deux parties, auront dû
supporter des coûts (experts, avocats) pour réaliser une
transaction. Au final, ce processus apparaît pour une entreprise comme
étant lent, incertain (décision de justice) et coûteux.
Afin de mieux cerner l'apport de la blockchain, cet exemple
sera repris dans la partie « revue de littérature ».
20
L'analyse des principaux aspects des transactions dans les
entreprises montre que le schéma idéal classique d'acteurs
rationnels, échangeant de manière équilibrée, rend
imparfaitement compte de la réalité du terrain. L'aspect
comportemental des intervenants introduit la dimension humaine au sein de
l'échange économique. Il ne s'agit plus seulement d'une approche
purement théorique, mathématique, mais d'intégrer la
psychologie des protagonistes. La prise en compte de ce facteur s'effectuera
aux différents stades des mécanismes contractuels, en donnant la
part belle aux tiers de confiance.
Remarquons que la mise en valeur de l'humain dans
l'évolution économique se trouve déjà au coeur de
la réflexion de J.A. Schumpeter (Théorie de l'évolution
économique, 191118). Dans sa conception, l'entrepreneur est
plus qu'un simple acteur, mais un créateur moteur de l'évolution
économique. Il apporte une innovation, ce n'est pas uniquement un
gestionnaire. C'est cette dimension psycho-économique, que nous
retiendrons sans entrer ici dans l'étude de sa théorie, qui
explique l'évolution de l'économie par l'alternance de
périodes d'essors et de périodes crises.
De même, l'actualité de la théorie
économique continue de faire appel aux aspects psychologiques des
acteurs, comme l'atteste l'attribution du prix Nobel 2017 à Richard
Thaler. La finance comportementale remet en question le postulat de base de la
finance moderne, l'investisseur rationnel. R. Thaler a montré l'emprise
des travers comportementaux individuels, comme par exemple les
préférences sociales, la peur, l'importance de la possession de
quelque chose, qu'il a appelé l'aversion de la possession. Afin de les
corriger, il a théorisé une forme d'intervention « douce
», ou « paternalisme libéral », soit le « coup de
pouce » (nudge) : l'individu reste libre d'agir mais il est incité
à prendre un chemin plutôt qu'un autre. Toutefois, une
interrogation peut apparaître au regard de l'innovation disruptive de la
blockchain, susceptible par son automaticité, de réduire le
recours au travestissement « coup de pouce » de l'approche
théorisée par
C. Sunstein et R. Thaler19.
18 Schumpeter, J. A. (1911), Theorie der wirtschaftlichen
Entwicklung, Berlin, Duncker und Humblot, traduction française
(1935), Théorie de l'évolution économique Recherches
sur le profit, le crédit, l'intérêt et le cycle de la
conjoncture, Paris, Dalloz.
19 Thaler R., Sunstein C. (2009), Nudge : Improving Decisions
About Health, Wealth and Happiness, Penguin, 5 mars, 320 p.
21
2 L'innovation disruptive : la blockchain au travers de
la revue de littérature
La lecture des ouvrages dédiés à la
technologie de la blockchain fait apparaître une grande concordance dans
la définition des concepts, dans les domaines d'utilisation possibles et
dans les points de rupture.
Nous avons organisé notre revue de littérature
afin de présenter les innovations qu'entraîneront
l'intégration de la blockchain dans les relations contractuelles inter
et intra des entreprises.
2.1 Les origines techniques
Certaines innovations qui étaient initialement
destinées à une utilisation particulière dans un contexte
spécifique peuvent se développer par la suite pour apporter des
solutions que leurs concepteurs n'auraient pu imaginer.
Ce fut le cas d'Internet développé dans les
années 60 par la recherche militaire américaine sous le nom
d'ARPANET. Il s'agissait de construire un réseau de commandement pouvant
résister à une attaque nucléaire soviétique. Suite
à la détente entre les deux superpuissances, ce concept de
réseaux interconnectés et décentralisés passa dans
le civil via les universités américaines et aboutit à
l'invention du WEB en 198920, puis au développement
d'innombrables applications et de toute une industrie (Google, Amazon,
Facebook, Apple) qui ont bouleversé nos modes de vie et dont nous
pourrions difficilement nous passer au quotidien.
C'est à une autre innovation que nous allons nous
intéresser et celle-ci devrait également suivre un chemin qui
n'est pas forcément celui qu'avait envisagé son ou ses
concepteurs. Comme exposé dans le chapitre précédent, les
entreprises sont confrontées à divers coûts et contingences
dans leur fonctionnement quotidien et leur besoin d'investissement :
coûts d'agence et de transaction, coûts de contrôle et frais
de contentieux, rôle des intermédiaires, des tiers de confiance et
des monopoles qui vont affecter l'établissement de transactions
optimales. Nous allons voir quel rôle la Blockchain pourrait jouer dans
ce contexte.
20 Berners-Lee, T. (1989), La naissance du web, consulté
le 12 janvier 2018.
22
Le développement de la Blockchain et de son application
la plus médiatisée, le Bitcoin, a nécessité au
préalable un certain nombre d'innovations et d'expérimentations
techniques et financières, parfois accompagnées de tentatives de
remise en question des modèles économiques régissant les
entreprises et les monnaies. En voici quelques-unes :
2.1.1 La signature électronique
Cette technique consiste à valider le contenu d'un
document non modifiable tout en étant capable d'en authentifier le
signataire. Elle est apparue vers 2000 et avait pour but de lutter contre la
fraude. Elle aurait donc dû connaître un développement
rapide par l'intérêt qu'elle pouvait représenter pour les
entreprises et les administrations. Pourtant, elle n'a été
adoptée que très progressivement. Une des raisons tient à
des différences de transposition de la directive 1999/93/CE du Parlement
européen qui est à l'origine de la signature électronique,
ainsi qu'à des choix techniques différents entre Etats qui ont
nui au développement des échanges transfrontaliers. Un nouveau
règlement n° 910/2014/UE dit « eIDAS » entré en
vigueur en septembre 2014 a permis de corriger ces
défauts21.
Cette nouveauté a favorisé le
développement d'un type d'intermédiaire que sont les prestataires
de services de confiance souvent nommés tiers de confiance. Ceux-ci sont
qualifiés par l'ANSSI (L'Agence Nationale de la Sécurité
des Systèmes d'Information). Ces services de confiance incluent des
notions d'identification électronique de personnes physiques ou morales,
d'authentification de site Internet, d'horodatage électronique, de
validation et de conservation de signature électronique, de preuve
d'intégrité de données. Ces différents services
vont se retrouver dans la Blockchain.
Il faut noter que la signature électronique n'a pas
empêché le recours au contentieux, par exemple du fait de
débiteurs de mauvaise foi qui contestent la validité d'une
signature électronique. Ce recours a un coût pour le
créancier et ce problème reste donc à traiter pour
être éliminé ou tout au moins être
évité le plus possible.
D'une manière générale, il ne faut pas
sous-estimer le risque de lenteur de diffusion d'une nouveauté
malgré l'intérêt qu'elle peut présenter. Cela peut
venir des coûts de mise en oeuvre et de fonctionnement, des changements
de fonctionnement qu'elle implique ou de difficultés techniques ou de
réglementation.
21 ANSSI (2018), Le règlement eIDAS, consulté le 12
janvier 2018.
23
2.1.2 Les monnaies complémentaires, monnaies
numériques anonymes
Dans le domaine des monnaies, des initiatives ont
été régulièrement lancées pour créer
des monnaies parallèles aux monnaies gérées par les Etats
et les Banques centrales. Elles peuvent être locales ou liées
à une région, nécessiter d'adhérer à une
association, être liées à des matières
premières agricoles. Ces monnaies complémentaires (terme
utilisé par l'ACPR - Autorité de contrôle prudentiel et de
résolution) n'ont pas de cours légal et sont adossées
généralement à des fonds déposés en monnaie
officielle auprès d'organismes financiers, mais également
à des biens négociables.
D'autres peuvent être liées à des
entreprises qui faisaient face à des problèmes de
liquidité et qui voulaient s'affranchir des conditions des banques et de
leurs frais de transaction. Beaucoup ont été interdites par les
autorités qui y voyaient une menace pour le monopole étatique et
bancaire de la monnaie et de l'émission de crédit. Mais certaines
ont survécu, telle que le WIR, monnaie créée par des
entreprises suisses suite à la crise de 1929. Elles ont ainsi
créé une sorte de crédit mutuel inter-entreprises
indépendant des banques. Aujourd'hui encore, 60.000 entreprises suisses
adhèrent à ce système qui connaît un accroissement
d'activité dès que l'économie entre en
récession22.
Progressivement, des innovations technologiques ont vu le
jour, ouvrant de nouvelles perspectives.
Ainsi, en 1993, le docteur David Chaum, un cryptographe,
c'est-à-dire un spécialiste des techniques de sécurisation
des communications, à qui l'on doit le concept de signature en
aveugle2324, a créé une monnaie numérique
anonyme cryptée « ecash ». Elle fut implémentée
pour des micropaiements par une banque de St-Louis (MO) pendant 3 ans. Les
clients de la banque qui stockaient leurs « ecash » sur leur
ordinateur personnel pouvaient l'utiliser auprès des commerçants
l'acceptant sans passer par un compte ou une carte de crédit. Les seuls
frais de transaction étaient à la charge du commerçant.
Les « ecash » étaient cryptés et certifiés par
la banque par un système de signature électronique à
clé publique ou clés asymétriques développé
à la fin des années 70 : ce système signifie que seul le
propriétaire (la banque) peut
22 Herlin, Ph. (2014), Les monnaies complémentaires et
le bitcoin, Association d'économie financière, Rapport moral sur
l'argent dans le monde.
23 Signature en aveugle : une entité va faire signer un
message par une autre entité en faisant en sorte que le signataire du
message n'apprenne rien sur son contenu. Delaune S., Kremer S. (2009),
Spécificités des protocoles de vote électronique.
24 Chaum, D. (1984), Advances in cryptology - Proc. of Crypto
'83, New York, P. Press, 153.
24
signer les « ecash », mais que tout le monde (les
commerçants par exemple) peut vérifier la validité de la
signature et du contenu signé, c'est-à-dire des « ecash
». Le rachat de cette banque par un groupe spécialisé dans
les cartes de crédit mit fin à l'expérience qui a
concerné 5.000 clients et 300 commerces25. Ce système,
s'il permettait de s'affranchir de certains frais et services bancaires,
restait néanmoins dépendant d'une banque, unique dans ce cas.
Mais certaines bases étaient posées, en particulier par
l'utilisation de la cryptographie qui assurait l'anonymat et la
sécurité des données échangées, un moyen de
paiement en l'occurrence.
2.1.3 La libéralisation de la cryptographie
privée aux Etats-Unis
Cette innovation se heurtait également à un
autre obstacle, la volonté des autorités américaines au
début des années 90 de limiter l'utilisation publique de la
cryptographie à des cryptages faibles facilement déchiffrables
car le cryptage était assimilé à une arme de guerre. Un
étudiant américain de l'université de Berkeley (CA) qui
voulait publier un système d'encryptage décida de lancer une
action contre le département de justice américain en 1995. Au
bout de 4 ans, une cour d'appel conclut que les codes source de cryptage
étaient protégés par le 1er amendement de la
constitution américaine au titre de la liberté d'expression et
que les règlements empêchant leur publication étaient
non-constitutionnels.
Ceci ouvrait la voie légale à des innovations
protégeant la vie privée et les transactions
financières.
2.2 Le contexte idéologique et
socio-économique : crise de confiance suite à la crise des
subprimes
Ces différentes évolutions techniques et
légales auraient pu rester confidentielles et confinées à
des niches à l'avenir limité, mais elles allaient rencontrer une
combinaison d'acteurs et d'événements catalyseurs aboutissant
à des innovations dont le grand potentiel s'est confirmé avec le
temps.
25 Clark, T. (1998), DigiCash loses U.S. toehold, CNET,
September.
25
2.2.1 La protection de la vie privée et
indépendance des institutions
De nombreux acteurs qui militaient en ce sens depuis le
début des années 90 participaient à un groupe informel
nommé les « cyberpunks ». Parmi ceux-ci se trouvaient le
créateur de WikiLeaks (Julian Assange), le développeur de Tor
(réseau Internet plus ou moins sous-terrain), l'inventeur du protocole
SSL qui protège entre autres nos paiements en ligne, le fondateur de
BitTorrent (site d'échange de fichiers, en particulier de musique et de
vidéo) ou le concepteur des smart contracts (Nick Szabo), dont nous
reparlerons par la suite.
Ceux-ci étaient animés entre autres par une
défiance vis à vis d'autorités régulatrices qui
leur semblaient menacer de plus en plus les libertés individuelles. Il
ne manquait qu'un catalyseur pour que ces divers éléments
débouchent sur la création d'une monnaie numérique
indépendante de toute autorité centrale.
2.2.2 La crise financière et monétaire
La bulle des prêts hypothécaires à risque
dit « subprimes » éclate aux US en 2007 suite à des
dépréciations d'actifs liés aux subprimes de la banque
HSBC, suivies par la faillite d'une cinquantaine de sociétés de
prêts hypothécaires en particulier en Californie et en Floride
où la bulle immobilière était la plus importante. Cette
bulle avait en partie été alimentée par les taux bas
pratiqués par la Réserve Fédérale
américaine.
L'éclatement de cette bulle conduisit à une
grave crise bancaire et monétaire menaçant le système
financier mondial. En effet, la présence de produits
dérivés contenant des subprimes dans le bilan d'un grand nombre
de sociétés financières provoqua une crise de confiance
entre les banques qui ne voulaient plus se prêter de l'argent entre
elles. Ceci déboucha sur une pénurie générale de
liquidités qui aurait pu conduire à un effondrement financier.
Les Banques centrales injectèrent fin 2008 des
liquidités à un niveau inconnu jusque-là : 2.500 Mds de $
pour racheter des dettes d'état et des actifs bancaires douteux et 1.500
Mds de $ pour recapitaliser les banques « too big to fail ». Elles
baissèrent leurs taux d'intérêt autour de 0% pour mettre
fin à la récession. Celle-ci dura aux Etats-Unis de 2007 à
2009 et la loi de protection des consommateurs et de réforme de Wall
Street,
26
dite loi Dodd-Franck, entra en vigueur en juillet 2010 pour
empêcher la réapparition de certaines causes de cette crise.
La confiance dans les banques, en particulier à cause
de la porosité entre les activités de banque commerciale et de
banque d'investissement et de marché, s'en est trouvée fortement
ébranlée. De même, la politique des Banques centrales en
matière de taux d'intérêt et de rachat d'actif n'a pas fait
l'unanimité.
2.3 Une réaction : la crypto-monnaie, le
Bitcoin
2.3.1 L'aventure Bitcoin
C'est dans ce contexte que fin 2008 une personne ou un groupe
de personnes connu sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto rejoignit le groupe
de cyberpunk et publia son « livre blanc sur le Bitcoin »
26. Celui-ci proposait de créer une nouvelle monnaie
virtuelle basée sur une architecture décentralisée pour
s'affranchir des institutions centrales et financières27.
Nous pouvons voir la différence entre les deux
modèles à l'aide des schémas présentés
ci-dessous. Une architecture centralisée à gauche où une
autorité centrale contrôle l'ensemble de l'organisation et une
architecture décentralisée à droite qui se
caractérise par l'absence de contrôle central et où toutes
les entités composant l'organisation communiquent entre elles
d'égal à égal.
Source :
https://www.goffi.org
26 Nakamoto, S. (2008), Bitcoin : A Peer-to-Peer Electronic Cash
System, consulté le 15 janvier 2018.
27 Chevalier M., Vrignolles B. (2014), Le Bitcoin :
défi à la souveraineté monétaire des Etats et
ressource pour le blanchiment d'argent, Regards croisés sur
l'économie, n° 14, La Découverte, 122-125.
27
Satoshi Nakamoto définissait le Bitcoin comme « un
modèle de paiement électronique de pair-à-pair, permettant
d'envoyer directement de l'argent d'une personne à une autre, sans
passer par une institution financière »28. Il est
basé sur la preuve cryptographique pour réaliser des transactions
sans le recours à un tiers de confiance. « L'absence de banques
centrales et commerciales, de systèmes de paiement et de chambres de
compensation réduit les coûts de transaction supportés par
les utilisateurs et constitue un avantage décisif du Bitcoin
vis-à-vis des monnaies traditionnelles »29.
Il faut noter que cette preuve cryptographique,
calculée par des regroupements d'ordinateurs, nécessitait,
d'après l'Agence internationale de l'Energie (sept. 2017), une
consommation électrique équivalente à celle d'un pays
comme la Hongrie30.
D'autres estimations évaluent plutôt cette
consommation à 18 TWh/an31, soit 2,5 fois moins et qui
correspondrait à la consommation électrique de l'Islande. La
réalité se situe sans doute entre les deux et reste
considérable. Cette consommation est parfois comparée à
celle du réseau Visa, mais elle n'est pas vraiment pertinente car le
Bitcoin est autonome alors que Visa
28 Durana, G. (2015), Bitcoin : bulle ou révolution ?,
Esprit, juin, 88-96.
29 Figuet, J-M (2015), Le Bitcoin : une monnaie ?, Larefi.
Université de Bordeaux.
30 IEA (2017), Key world energy statistics, International Energy
Agency, September, consulté le 16 janvier 2018.
31
http://blog.zorinaq.com/bitcoin-electricity-consumption/
- estimation au 11 janvier.
28
doit s'appuyer sur les infrastructures de l'ensemble de ses
banques clientes pour effectuer ses transactions de bout en bout.
La création de bitcoins n'est pas illimitée,
Nakamoto avait fixé le nombre maximum pouvant être
créés à 21 millions par opposition à la politique
des Banques Centrales qui a généré d'énormes
quantités de liquidités. Ce principe rappelle le fonctionnement
des monnaies à l'époque où elles étaient
adossées à une ressource existant en quantité
limitée, l'or.
Le Bitcoin qui, dans l'esprit de son concepteur, était
avant tout la preuve pratique d'un concept, va s'avérer avoir une
évolution explosive que ce soit d'un point de vue médiatique ou
financier. Ainsi, selon Google Trends, le nombre de recherches ayant pour sujet
le Bitcoin a été multiplié par 20 entre fin 2016 et fin
2017, pendant que son cours était multiplié par 14.
D'après Investing .com32, 1.375 «
crypto-monnaies » auraient été créées à
ce jour (jan. 2018), la 1ère différente du bitcoin, la
NameCoin ayant apparu mi-2011. Elles représentent une capitalisation
totale de 700 Mds de $ avec un volume d'échange quotidien de 50 Mds de
$. Il faut cependant noter que les 25 « crypto-monnaies » les plus
importantes pèsent 87% de cette capitalisation et que les 5
premières en représentent 70% à elles seules.
32 Investing, Toutes les crypto-monnaies, consulté le 20
janvier 2018.
29
Source :
Investing.com
Divers scandales ont émaillé le parcours de la
plus importante de ces « crypto-monnaies » : faillite de certains
intermédiaires ou vols sur des plates-formes d'échange (MtGox en
201433, Coincheck en 201834, ...) insuffisamment
sécurisés, blanchiments d'argent qui ont d'ailleurs donné
lieu à des poursuites judiciaires. Il faut noter que certaines
utilisations pour du commerce illégal ont répandu l'idée
que les transactions en bitcoin bénéficiaient d'un anonymat
complet. Ceci n'est vrai que pour un nombre très restreint de «
crypto-monnaies » (Monero, Zcash). En effet dans la grande majorité
des cas, il est possible de remonter à l'identité réelle
des utilisateurs ce que les autorités judiciaires ont eu l'occasion de
faire dans certains cas comme lors de la fermeture par le FBI du site Silkroad.
Ce site a été condamné par la justice américaine
pour avoir favoriser le commerce de produits illicites pour un montant
équivalent à 1,2 Mds de $ (Le Monde, 3 octobre 2013).
33 Ali, S.T. et al. (2015), Bitcoin : Perils of an
Unregulated Global P2P Currency, Technical Report Series, 1470,
Newcastle University.
34 La Tribune du 29 janvier 2018
30
2.3.2 Un moyen de paiement ?
Le Bitcoin est-il une monnaie ? Traditionnellement, on associe
3 fonctions à une monnaie légale, celle d'unité de compte
(évaluation), de moyen de paiement et de réserve de valeur (actif
patrimonial)35. Cette notion donne lieu actuellement à des
débats contradictoires et la question est loin d'être
tranchée du côté des économistes.
La situation du point de vue des Etats est également
très contrastée, comme le montrent ces quelques exemples. Au
Japon, le Bitcoin et certaines crypto-monnaies sont déclarés par
une loi de finance d'avril 2017 comme moyens de paiement légaux, mais
pas comme monnaie légalement reconnue. En mai 2017, la Chine l'a
interdit car il favorisait la fuite des capitaux. Une société
japonaise (La Tribune, 15/12/2017), GMO Internet, va proposer à ses
salariés d'être partiellement rémunérés en
Bitcoin afin de mieux comprendre les crypto-monnaies. La Russie, qui
envisageait de reconnaître son utilisation en août 2017, souhaitait
en interdire la vente en octobre de la même année (Le Monde,
11/10/2107).
Ce phénomène ne peut plus être
ignoré par les Etats36, les Banques Centrales et les
autorités boursières qui se trouvent face à un défi
d'un type entièrement nouveau qui échappe à leur
contrôle et aux réglementations existantes, en particulier
fiscales.
De son côté, la Cour de justice européenne
a rendu une décision en 2015 estimant que le Bitcoin « n'a pas
d'autres finalités que celle de moyen de paiement et qu'elle est
acceptée à cet effet par certains opérateurs ». (Huet
J., 2017)
Actuellement, nous sommes dans une phase de bulle
spéculative, des variations de valeurs de plusieurs dizaines de pourcent
ont été observées en une journée, mais ce
phénomène n'est pas si rare dans le domaine financier (les
produits dérivés par exemple) et il ne faut pas perdre de vue le
fait principal qui est que la preuve de concept de S. Nakamoto a
réussi.
Ce système est indépendant de tout tiers
extérieur, il est sécurisé, le coeur des principales
« crypto-monnaies » n'ayant pas connu de faille de
sécurité. C'est un moyen de paiement rapide à faible
coût de transaction, des commerces de plus en plus nombreux l'acceptant,
au Japon en particulier, mais également Microsoft.
35 De Vauplane, H. (2014), L'analyse juridique du Bitcoin.
Association d'économie financière, Rapport moral sur l'argent
dans le monde.
36 Marini Ph., Marc F. (2014), rapport d'information n° 767
rectifié de la Commission des finances du Sénat, 23 juillet.
31
La volatilité actuelle des cours n'en fait pas un outil
adapté pour les entreprises qui souhaiteraient disposer d'un outil de
paiement ou de financement sécurisé sans tiers de confiance.
C'est ce qui nous a conduit à écarter le Bitcoin de notre
problématique.
Cependant même ceux qui considèrent « que le
Bitcoin ne satisfait pas aujourd'hui les fonctions usuelles de la monnaie
», lui reconnaissent un potentiel de développement avec «
l'anonymat des opérations réalisées et la réduction
des coûts de transactions » 37 et des opportunités de
développement grâce à sa technologie.
Une solution pour les entreprises devrait plutôt
émerger du support technologique qui permet aux « crypto-monnaies
» de fonctionner, il s'agit de la technologie Blockchain (ou chaîne
de blocs) qui dans le cas du Bitcoin a substitué la
sécurité garantie par l'Etat (monnaie légale) par une
sécurité technique38.
2.4 L'émergence de la technologie sous-jacente :
la Blockchain et ses multiples applications
2.4.1 Les concepts et la technologie
La Blockchain est « une technologie de stockage et la
transmission d'informations, transparente, sécurisée et
fonctionnant en mode pair à pair, sans organe central de contrôle
» selon Blockchain France39, organisme né à
l'été 2015 dont l'objectif « est de démocratiser la
Blockchain en faisant comprendre ses enjeux avec pédagogie, et en
s'impliquant dans la construction d'applications concrètes. »
On peut également l'assimiler à « un grand
livre des comptes, décentralisé, dans lequel chacun des acteurs
peut vérifier les transactions réalisées par ses pairs et
les valider » (Estrade, Gaudemet, 201640), « mais elles
sont impossibles à effacer et ce livre est indestructible »
(Delahaye, 201441).
La Blockchain s'appuie sur un réseau partagé,
des algorithmes de validation et de la cryptographie asymétrique pour
sécuriser les données échangées. Ce système
crée la
37 Figuet, J-M (2015), Le Bitcoin : une monnaie ?, Larefi.
Université de Bordeaux.
38 Huet, J. (2017), Le bitcoin, dont la légalité
paraît admise, est une sorte de monnaie contractuelle, Revue des
contrats, n° 01, 1er mars, 54.
39 Blockchain France, Qu'est-ce que la Blockchain ?,
consulté le 24 janvier 2018
40 Estrade G., Gaudemet A. (2016), Blockchain : enjeux,
risques et opportunité pour les acteurs du monde bancaire et financier,
Lexbase Hebdo édition affaires n° 469 du 9 juin.
41 Delahaye, J-P. (2014), Le Bitcoin, première
crypto-monnaie, Bulletin de la société informatique de
France, n° 4, octobre, 67-104.
.
32
confiance entre des participants qui ne se connaissent pas
puisqu'ils ne sont identifiés que par pseudonymes. C'est la
résolution du paradoxe des généraux byzantins qui consiste
à envoyer des informations de manière fiable à une autre
partie sans la rencontrer. La réponse traditionnelle consistait à
faire intervenir un tiers de confiance42.
L'ensemble des transactions créées et
validées depuis la création d'une blockchain est regroupé
dans des blocs de taille fixe, chaînés entre eux au fur et
à mesure de leur création via un code spécifique qui
dépend du bloc précédent. C'est cette structure qui a
donné son nom à la Blockchain (« chaîne de blocs
»43).
Source : Blockchain France
Cette chaîne est recopiée sur l'ensemble des
ordinateurs participants (les « noeuds ») à la Blockchain, ce
qui lui confère son caractère décentralisé, les
informations de référence n'étant plus détenues par
une autorité centrale.
La validation d'une transaction passe par plusieurs
vérifications44 : le débiteur est-il solvable, la
structure de la transaction est-elle conforme, son contenu est-il
cohérent et n'a-t-il pas déjà été
dépensé dans une autre transaction pour éviter le risque
de double dépense. Il s'agit de prévenir toute tentative de
fraude, les découverts n'étant pas autorisés. Pour cela
l'ensemble des « noeuds » participants à la blockchain va
effectuer individuellement ces vérifications et quand un consensus est
trouvé, la transaction est validée et mise en attente. A
intervalle régulier, ces transactions vont être
intégrées dans des blocs par des « noeuds »
spécifiques dénommés « mineurs » par analogie
avec l'extraction de l'or.
Pour ajouter un bloc à la chaîne, ces mineurs
doivent remplir des conditions qui dépendent de la
Blockchain45 :
42 Caseau Y., Soudoplatoff S. (2016), La blockchain ou la
confiance distribuée, Fondation pour l'innovation politique, juin.
43 Egalement désignée par l'acronyme DLT en
anglais : Distributed Ledger Technology (technologie de Grand Livre/Registre
réparti)
44 Blockchain France (2016), la Blockchain
décryptée, les clefs d'une révolution, l'Observatoire
Netexplo, mai.
45 Adam-Kalfon P., el Moutaouakil S. (2017), Blockchain,
catalyseur de nouvelles approches en assurance, PwC Société
d'Avocats.
·
33
Soit apporter une Preuve de Travail (« Proof of Work
») en effectuant des calculs extrêmement gourmands en puissance
informatique dont les résultats sont eux facilement vérifiables
par les autres noeuds. C'est le mécanisme utilisé dès
l'origine par le Bitcoin. Le 1er mineur dont le travail a été
validé par consensus, intègre ce bloc dans la chaîne avec
un horodatage crypté et reçoit une rémunération.
Elle peut prendre la forme d'une part, de coûts de transaction
facturés aux initiateurs des transactions validées et, d'autre
part d'un montant fixe de la crypto-monnaie utilisée par la Blockchain,
ce qui correspond en pratique à l'émission «
crypto-monétaire ».
· Soit apporter une Preuve d'Enjeu (« Proof of
Stake ») qui correspond au nombre de jetons détenus dans la
Blockchain, ce mécanisme étant beaucoup moins consommateur en
énergie que le précédent, mais il devra démontrer
qu'il est aussi sécurisé que la Preuve de Travail
Tout essai frauduleux de modification d'un bloc
déjà validé et intégré dans la chaîne
nécessiterait de modifier l'ensemble des blocs car leur chaînage
dépend de leur contenu et devrait donc être modifié. Ceci
demanderait une capacité de calcul gigantesque générant un
coût totalement dissuasif par rapport au gain espéré. De
plus, les autres noeuds qui possèdent une copie complète de la
chaîne détecteraient la tentative de violation du caractère
inaltérable de la chaîne et le consensus rejetterait les
modifications.
Quant à la possibilité de faire des
modifications en détenant seul plus de 50% du consensus pour nuire
à une blockchain, en dehors de son coût démesuré,
elle peut être contrée par la duplication de la chaîne
préexistante à l'attaque (« hard fork »46)
par les noeuds dont l'intérêt est de continuer à la faire
vivre en modifiant ses règles de fonctionnement pour éviter
qu'une telle attaque ne se reproduise.
Ce type d'opération a déjà
été effectué sur la blockchain Ethereum en novembre
201647. Cette technique peut également être
utilisée pour corriger des dysfonctionnements qui apparaîtraient
au cours de la vie de la Blockchain, sous réserve d'atteindre le
consensus.
46 Hard fork : Opération entraînant une
évolution majeure de la blockchain en modifiant certaines de ses
règles de fonctionnement tout en préservant la chaine de blocs
historique. Un large consensus est nécessaire à son
application.
47 Adam-Kalfon P., el Moutaouakil S. (2017), Blockchain,
catalyseur de nouvelles approches en assurance, PwC Société
d'Avocats.
34
En résumé, le traitement d'une transaction peut
se représenter de la manière simplifiée suivante :
La fonction de tiers de confiance dans une Blockchain est
donc assurée par le consensus cité plus haut, les
modalités d'établissement de ce consensus dépendant du
type de Blockchain mis en oeuvre. C'est bien à une
désintermédiation qu'aboutit ce mode de fonctionnement.
2.4.2 Les utilisations et l'environnement
Pour bien distinguer les différentes utilisations
possibles de la Blockchain, il faut préciser qu'il en existe plusieurs
types :
· Le premier et le plus courant actuellement concerne
les blockchains publiques qui se caractérisent par leur transparence :
tous les participants peuvent valider et consulter l'ensemble des informations.
Ce réseau est ouvert et peut accueillir de nouveaux participants. Il n'y
a pas d'intermédiaires et les participants ne se connaissent pas.
· Il existe également des blockchains de
consortium ou semi-privées où tous les noeuds n'ont pas les
mêmes droits de participation au consensus, ni la même
visibilité sur les informations enregistrées. Les nouveaux
participants seront acceptés s'il y a consensus. Elles sont plutôt
adaptées à des contextes réglementés.
· Enfin les blockchains privées sont
gérées par une autorité centrale qui valide les blocs,
choisit les nouveaux participants et gère l'accès des
participants aux données. Elles sont souvent utilisées dans des
entreprises avec filiales. Le nombre de participants est réduit et la
vitesse de validation des transactions est plus rapide.
35
36
L'intérêt pour la Blockchain est en grande partie
lié à l'envolée du cours du Bitcoin.
Ainsi, selon Google Trends, le nombre de recherches ayant
pour sujet la Blockchain a été multiplié par 8 entre fin
2016 et fin 2017.
On peut citer d'autres chiffres révélateurs de
l'intérêt porté par les entreprises à la Blockchain.
Le nombre de brevets sur la Blockchain déposés depuis 2013 est
supérieur à 2.500, IBM leader mondial de l'informatique a investi
200 M de $ dans cette technologie et les investissements dans les start-ups
liées à la Blockchain ont atteint les 1,4 Md de $ en 2016.
« Dans son rapport Fintech 2.0, la banque Santander
estime que l'utilisation de la blockchain permettrait de réduire les
coûts de structure pour les banques de 15 à 20 milliards de
dollars par an »48.
La Blockchain et ses caractéristiques propres de
désintermédiation via le consensus et la sécurité,
de transparence et de traçabilité, la prédestine à
fournir des solutions dans des domaines aussi variés que les transferts
d'actifs, en particulier internationaux, la traçabilité de
produits et de données (la santé, la propriété
intellectuelle, la logistique, le transport, les contrats et l'immobilier)
Les applications en cours de test sont très
nombreuses.
Ainsi dans le domaine de la propriété
intellectuelle, la SACEM et les sociétés américaines de
gestion des droits d'auteur pour la musique collaborent avec IBM sur une
solution de
48 De Vauplane, H. (2015), La blockchain ou la
révolution technologique : les impacts pour la finance, Revue
Banque, n° 798, 30 novembre.
37
blockchain en logiciel libre (Hyperledger Fabric) afin de
gérer les « conflits d'identifiants autour d'une même oeuvre
pour de multiples ayants droit »49.
L'ESILV (Ecole Supérieure d'Ingénieurs
Léonard de Vinci à Paris la Défense) enregistre sur la
blockchain Bitcoin via la société Paymium, l'empreinte
numérique du diplôme de chaque étudiant et l'empreinte
numérique de cette transaction qui prouve que c'est bien l'école
qui a enregistré le diplôme50.
Dans plusieurs pays du monde, la plupart des terrains ne sont
pas enregistrés, ce qui entraîne des conflits fréquents et
nombreux, notamment lors des successions De plus le développement rural
en souffre, puisque l'absence de sécurité foncière freine
en partie les investissements indispensables au développement de la
productivité agricole.
La technologie blockchain en tant que registre transparent et
sécurisé intéresse plusieurs gouvernants des pays en voie
de développement. Par exemple, le gouvernement du Honduras teste une
application pour son cadastre afin de lutter contre la corruption. Celui de la
Géorgie, a lancé en avril 2016 un projet pour permettre aux
géorgiens d'enregistrer leur propriété dans une
blockchain. Les objectifs communs sont de rendre ces informations
incorruptibles et auditables en permanence et que les coûts
d'enregistrement des droits de propriété soient transparents. En
ces circonstances, la technologie vient compenser les défaillances des
Etats. Le directeur du projet de la société Bitfury a
déclaré que la blockchain assurera la fonction de
notariat51 soulignant ainsi sa propriété de
désintermédiation. Enfin, l'Estonie utilise déjà la
blockchain pour certains actes notariés et commerciaux52.
Dans ces pays aux institutions souvent « fragilisées et instables
» la technologie vient recréer un lien de confiance avec les
administrés.
Dans le domaine du financement d'entreprise, un autre
phénomène confirme le développement fulgurant qu'a connu
le Bitcoin à partir du 2éme trimestre 2017 : il s'agit
des ICO (Initial Coin Offering). Sur le modèle des IPO (Initial Public
Offering) traditionnelles, il s'agit de levées de fonds pour financer
des projets particuliers où les investisseurs reçoivent des
jetons (tokens53) en échange de leur apport en capital.
49
https://societe.sacem.fr/actualites/innovation/blockchain--la-sacem-ascap-et-prs-for-music-sallient-pour-une-meilleure-identif.ication-des-oeuvres.
50
https://www.esilv.fr/lecole/certification-blockchain-diplomes-esilv/
51 Blockchain France (2016), la Blockchain
décryptée, les clefs d'une révolution, l'Observatoire
Netexplo, mai.
52 Caseau Y., Soudoplatoff S. (2016), La blockchain ou la
confiance distribuée, Fondation pour l'innovation politique, juin.
53 Le token est une crypto-monnaie privée liée
à un projet qui devient échangeable quand le projet bascule en
production.
38
Beaucoup d'incertitudes demeurent sur la valorisation de ces
tokens et sur le sérieux des business plans de certains projets qui
présentent souvent un caractère opportuniste voire
frauduleux54. 2 enquêtes pour fraudes (projets DRC World et
Recoin) ont été lancées par la Securities and Exchange
Commission (SEC) aux Etats-Unis qui a créé une unité
dédiée. La fraude la plus courante consiste à ne pas
livrer les jetons dus aux investisseurs en échange de leurs fonds. Au
lieu d'engager ces fonds dans les projets prévus, les initiateurs de
l'ICO les utilisent par exemple pour émettre une nouvelle crypto-monnaie
qui ne manque pas de prendre de la valeur dans le contexte actuel et qu'ils
revendent en faisant une plus-value supplémentaire. Ceci est rendu
possible par l'opacité entourant les modalités de lancement de
certaines ICO.
Selon EY (Ernst & Young)55, près de 4
Mds de $ de fonds ont été levés entre 2015 et 2017 pour
372 projets analysés dont 10% en Chine continentale qui les a interdites
depuis, de même que la Corée du Sud. La tendance
générale s'oriente plutôt vers des règles
spécifiques aux ICO en complément des lois existantes souvent peu
adaptées à cette nouveauté.
54 Agosti, P. et al. (2017), Blockchain : quelles perspectives
après la réglementation ?, Groupe de travail Blockchain de la
FNTC (Fédération nationale des Tiers de Confiance).
55 EY (2017), EY Research : initial coin offerings (ICOs),
décembre 2017.
39
Un certain nombre d'ICO sont associées à la
création de nouvelles blockchains et de tokens associés qui ne se
justifient pas, les projets les plus prometteurs se faisant sur des
plates-formes existantes à la structure déjà
éprouvée, Ethereum principalement. D'ailleurs 10% des montants
investis sur ces nouvelles blockchains ont été perdus ou
volés.
Comme à l'époque de la bulle Internet, un tri
va s'opérer et les projets les plus solides vont émerger.
Mais comme nous venons de le voir, les investisseurs sont
souvent trompés car les initiateurs de l'ICO ne divulguent pas
l'ensemble des documents régissant l'offre. Il faudra donc que la
réglementation impose plus de transparence et d'informations
obligatoires pour que les ICO deviennent une source de financement fiable pour
les entreprises et en particulier les PME ou les startups qui peuvent
être attirées par leur simplicité et par des frais
financiers inférieurs à ceux du crowdlending par exemple.
L'Autorité des marchés financiers (AMF) a d'ailleurs lancé
une consultation sur ce sujet en oct. 2017 car les ICO, malgré leurs
imperfections actuelles, présentent un vrai potentiel en s'appuyant sur
certaines spécificités de la Blockchain telles que la
transparence, la traçabilité, la désintermédiation,
la coopération (entre investisseurs et entrepreneurs) ou les coûts
limités de transaction.
Si les fondements techniques de la Blockchain pour son
adoption par les entreprises sont prometteurs, le cadre juridique dans lequel
va évoluer la Blockchain s'adapte lentement, comme nous venons de le
voir.
Certains pays tels que la Grande-Bretagne ou Singapour ont
une approche très souple souhaitant favoriser son utilisation par les
entreprises.
En France, des lois ont été publiées sur
les bons de caisse (n° 2016-520, 26 avril 2016) et sur les transferts de
propriété de titres financiers (n° 2016-1691, déc.
2016 et n° 2017-1674, 9 déc. 2017), mais les pouvoirs publics
veulent aller beaucoup plus loin en dotant la France d'une
réglementation complète sur les DEEP (Dispositif d'Enregistrement
Electronique Partagé), terme juridique utilisé pour
désigner la Blockchain.
2.4.3 La Blockchain dans la dynamique contractuelle
Pour se replacer dans les cadres explicatifs du
fonctionnement des transactions dans les entreprises présentées
plus haut, quels pourraient être les apports de la Blockchain dans la
dynamique contractuelle ?
40
Avec la publication de sa théorie de l'évolution
économique en 1911, l'autrichien Schumpeter définit le concept
d'innovation et de développement économique comme un processus
« de destruction créatrice » (King, Levine, 199356
ou Archibugi, Filippetti, Frenz, 201357). Ceci constitue une
combinaison nouvelle propre à perturber tout un système et
à renverser son échelle des valeurs. Certes nous avons
changé d'époque, mais il y a des similitudes avec cette nouvelle
technologie. Cette dernière pourrait bouleverser un système
existant (structure horizontale, remise en cause des tiers de confiance,
création de relations automatisées). La nouveauté serait
son caractère disruptif au sens de remise en cause des conventions et
des contraintes juridiques (JM Dru, 199658).
En 1975, Williamson établit la théorie des
coûts de transactions ; ils sont déterminés selon trois
éléments : spécificités des actifs, incertitude et
fréquence. Son analyse permet de mieux maîtriser le coût des
échanges sans toutefois parvenir à une fluidité
satisfaisante et sécurisée des transactions.
En 1976, Jensen et Meckling définissent la
théorie de l'agence comme une approche innovante des relations
contractuelles. Elle repose sur la délégation d'une partie de
l'autorité de prise de décisions et sur l'asymétrie
informationnelle ce qui a des conséquences en termes de coûts
d'organisation et de transaction.
L'analyse de ces deux dernières théories fait
apparaître des failles, des faiblesses, voire des blocages qui
empêchent, ralentissent et entraînent systématiquement des
coûts juridiques, de contrôles ou de règlement de
contentieux.
L'utilisation de l'automatisation inhérente à
la technologie de la blockchain et à ses extensions optimisera-t-elle la
fluidité, l'efficacité et la sécurisation des transactions
? La formalisation des relations contractuelles qu'elle entraînera
remettra-t-elle en cause les relations entre les différents acteurs,
voire l'existence de certains (tiers de confiance par exemple) tout en offrant
la possibilité à certains d'émerger (ceux qui mettront en
oeuvre cette technologie) ?
56 King R., Levine R. (1993), Finance and growth : Schumpeter
might be right ?, Quarterly Journal of Economics, 108, 717737
57 Archibugi D., Filippetti A., Frenz M. (2013), The impact of
the economic crisis on innovation : evidence from Europe", Technol.
Forecast. Soc. Change, 80 (7), 1247-1260.
58 Dru, J.M. (1996), Disruption - Overturning conventions
and shaking up the marketplace, Wiley, 256 p.
41
Aussi, pouvons-nous nous interroger sur les impacts de la
désintermédiation que cette technologie va induire dans les
rapports entre les actionnaires et les dirigeants. En d'autres termes, les
apports de blockchain permettront-ils de réduire certains coûts
d'agence liés à la gouvernance de l'entreprise ?
Dès la prise de décision, la blockchain modifie
les rapports traditionnels entre les actionnaires et les dirigeants. La
totalité des informations est disponible en temps réel pour tous
les membres concernés par le projet. La blockchain est une application
transversale renversant le système hiérarchique traditionnel. Les
modes de gouvernance seront donc amenés à changer. La diffusion
des informations de manière automatique et transparente permet la prise
de décision de manière décentralisée et
automatique.
Toutefois la validation de l'ensemble des décisions
individuelles équivaut-elle à préserver ou à
développer l'intérêt commun ?
2.5 Les smart contracts
Une grande partie des innovations apportées par la
Blockchain pourrait venir de certaines de ses extensions et en particulier des
smart contracts.
2.5.1 Les principes
La puissance de la Blockchain ne se limite pas à des
transactions statiques : les contrats passés entre 2 agents peuvent
inclure des variables (performance ou valeur d'actif), d'où
l'utilisation des smart contracts.
En 1993, le concept du smart contract (ou contrat
`intelligent') est une invention pour automatiser les relations contractuelles,
en évitant toute intervention humaine. Tous les secteurs
économiques seront concernés (ex : obtention d'un prêt
bancaire, indemnisation d'un sinistre).
Selon Nick Szabo59 son promoteur, le smart
contract est un programme informatique mettant en application un contrat
traditionnel (non numérique) et exécutant automatiquement les
clauses de ce contrat dès que les conditions sont réunies. Il
doit améliorer l'efficacité et la
59 Szabo, N. (1997), Formalizing and securing relationships on
public networks, University of Illinois, First Monday, Vol. 2, n°
9, 1st September.
42
rapidité d'exécution du contrat d'une part et
éliminer l'ambiguïté du texte écrit car il doit
être compris par une machine60, ce qui réduit le risque
de contentieux.
De plus, ces nouveaux processus appliqués à la
gouvernance des entreprises pourraient permettre une plus grande
réactivité61.
Le code est autonome, les parties prenantes (humaines) n'ont
plus à interagir et n'interférent pas dans son
déclenchement. Il est important de préciser que le smart contract
ne se substitue pas au contrat traditionnel, il n'est que sa reproduction en
langage informatique. Tout seul, il n'a pas de valeur juridique (Collomb,
2016), il faut donc au préalable qu'un contrat ait été
négocié et validé.
A ce jour, la technologie Blockchain renforce la tendance
à s'appuyer sur le code informatique plutôt que sur la
loi62.
Le juriste américain Lawrence Lessig l'a
synthétisé dans la formule « code is law »63
qui signifie que le code informatique et les contraintes inhérentes
à la programmation peuvent influencer la manière dont le droit
s'appliquerait, voire la manière dont la loi ou les contrats seraient
rédigés.
Nous nous trouvons face à un système où
la confiance est déléguée d'un tiers ou d'un
dépositaire à un protocole (le consensus) et à un code (le
smart contract). Ce code étant produit par des humains, il peut donc
être aussi faillible qu'eux et pourrait nécessiter des
procédures de résolution comme dans les domaines financiers ou
des assurances64.
2.5.2 La mise en oeuvre des smart contracts
La blockchain qui a connu le plus grand développement
après celle du bitcoin est Ethereum. Il s'agit d'une blockchain publique
ciblant le développement d'applications décentralisées.
Elle a pour particularité d'avoir généralisé la
mise en oeuvre des smart Contracts. Ethereum, créée fin 2013 par
Vitalik Buterin, bénéficie d'améliorations techniques par
rapport au Bitcoin. Elle a pu lever 21 millions d'euros en 2014 lors de sa
campagne de crowdfunding sans avoir à supporter les coûts d'une
plateforme centralisée externe.
60 De Filippi P., Hassan S. (2016), La Blockchain est une
technologie de réglementation : de `code is law' à `law is code',
University of Illinois, First Monday, Vol. 21, n° 12, 5
décembre.
61 Hazard J., Hardjono T. (2016), CommonAccord : Towards a
Foundation for Smart Contracts in Future Blockchains, W3C Position Paper, 9
June.
62 De Filippi P., Hassan S. (2016), idem.
63 Lessig, L. (2008), Le code et les autres lois du
cyberespace v2.0, Basic Books.
64 De Vauplane, H. (2017), Les impacts des réseaux
distribués et de la technologie de Blockchain dans les activités
de marché, Rapport Groupe Fintech, Paris Europlace, octobre.
43
Les attentes suscitées par la Blockchain peuvent se
concrétiser dans l'évolution de l'activité de
l'économie collaborative : les projets de crowfunding. En effet un
mécanisme de consensus entre les membres qui disposent chacun de la
totalité des informations permet la prise de décision du choix du
projet retenu. Celui-ci définit aussi un objectif commun qui peut
être codifié à l'aide d'un smart contract et validé
par l'ensemble des membres du réseau. Une fois les conditions
nécessaires à son lancement réalisées,
l'opération est effectuée automatiquement. Cette pratique permet
de supprimer les coûts liés à l'utilisation d'une
plateforme centralisée et à l'intermédiation d'une
institution financière65.
Dans le secteur des assurances, Allianz a créé
une application pour traiter l'indemnisation de sinistres en cas de catastrophe
naturelle. Il suffit que 2 conditions soient remplies :
· La déclaration de l'état de catastrophe
naturelle au Journal Officiel
· La localisation du sinistre qui doit se trouver dans la
zone concernée
Ces conditions ont été codées et
certifiées dans un smart contract qui permettra une exécution
très rapide du contrat, sans recours à un expert, d'où des
gains de temps et de frais de contentieux. Lors de la tempête Xynthia en
2010, il avait fallu plus d'un an pour que les victimes soient
indemnisées66.
Dans le domaine de l'assurance voyage, AXA propose un contrat
(fizzy) qui indemnise automatiquement et rapidement ses adhérents en cas
d'annulation d'un vol ou de retard supérieur à 2 heures. Il
s'appuie sur un smart contract dans la Blockchain Ethereum qui est
connecté aux bases de données des compagnies aériennes.
2.5.3 La remise en cause des couts de transaction
grâce au smart contract
Williamson67 définit les coûts de
transaction, comme «les coûts engendrés (ou pouvant
l'être) par les échanges contractuels de biens ou services entre
firmes.»
Pour des smart contracts plus complexes, les études
actuelles tendraient à présenter un transfert des coûts de
transaction plutôt que leur suppression68.
65 Collomb A., Léger L., Sok K. (2016), Blockchain :
L'automate comme autorité ?, In : Blockchain : Eldorado ou mirage pour
les services financiers ?, Banque & Stratégies, n°
350, septembre.
66 Adam-Kalfon P., el Moutaouakil S. (2017), Blockchain,
catalyseur de nouvelles approches en assurance, PwC Société
d'Avocats.
67 Williamson, O.E. (1975), Markets and Hierarchies :
Analysis and Antitrust Implications, New York, The Free Press.
68 Collomb A., Léger L., Sok K. (2016), Blockchain :
L'automate comme autorité ?, In : Blockchain : Eldorado ou mirage pour
les services financiers ?, Banque & Stratégies, n°
350, septembre.
44
La rédaction d'un smart contract fiable
nécessite que toutes les parties prenantes s'accordent très
rigoureusement et précisément sur les règles à
suivre69, ce qui se concrétisera par plusieurs
réunions et échanges qui pourront être facilités en
s'appuyant sur des contrats types s'inspirant du droit des contrats. Cette
étape est incontournable pour une analyse fine des enjeux et des
objectifs. Cela permettra ainsi de limiter les conflits voir de supprimer les
litiges70.
Le codage du contrat effectué, son fonctionnement
autonome (sans intervention humaine) amènera une réduction des
coûts : les vérifications des transactions et leur validation se
feront automatiquement. Tous les acteurs peuvent avoir accès à
l'évolution des opérations, cette transparence dans la diffusion
de l'information limitera les litiges.
2.6 La DAO
2.6.1 Les principes et les impacts potentiels
Ce mode de fonctionnement de la Blockchain associé
à l'utilisation des smart contracts aboutira-t-il à une nouvelle
forme d'organisation entièrement « automatisée », ainsi
que le laisserait penser l'émergence de la DAO (Decentralized Autonomous
Organization) imaginée en 2013 par Vitalik Buterin le fondateur de la
Blockchain Ethereum ?
Une DAO est une forme de société
entièrement décentralisée et horizontale dont les
règles de gouvernance sont définies par des smart contracts et en
général conçue autour d'un projet ou d'un objectif commun.
Les relations de cette communauté avec l'extérieur sont
également régies par des smart contracts. Les décisions
sont prises par consensus conformément au code informatique qui a
été déterminé. Ces décisions concernent la
façon d'allouer ses fonds propres qui sont détenus dans la
crypto-monnaie de la blockchain qui lui sert de support. Les règles de
travail sont transparentes, auditables et infalsifiables71, les
acteurs ne peuvent les contourner pour satisfaire leurs objectifs personnels au
détriment de ceux de l'entreprise, les échanges entre
participants sont publics, ce qui pourrait éliminer l'asymétrie
d'information et les divergences d'intérêt entre actionnaire et
dirigeant qui prévaut dans la firme72. Ce mode de
69 De Filippi P., Hassan S. (2016), La Blockchain est une
technologie de réglementation : de `code is law' à `law is code',
University of Illinois, First Monday, Vol. 21, n° 12, 5
décembre.
70 Collomb A., Léger L., Sok K. (2016), idem.
71 Caseau Y., Soudoplatoff S. (2016), La blockchain ou la
confiance distribuée, Fondation pour l'innovation politique, juin.
72 Bloch, P. (2016), DAO et théorie de l'agence, Les
Echos, 31 mai.
45
gouvernance ne cadrerait plus avec la théorie de
l'agence développée par Jensen, Meckling et Fama comme
détaillée auparavant.
Il n'existe pas de cadre juridique actuellement, mais cela
devrait changer si les DAO se développent.
On rencontre dans ce cadre, des projets tels que l' «
Universal Sharing Network », une combinaison d'objets intelligents et
d'applications rendant possible la location, la vente ou le partage d'objets
connectés.
2.6.2 Les apports de la DAO et des smart contracts
Une des innovations majeures de la Blockchain est de
créer la confiance sans passer par un intermédiaire. Ces
dernières années ont vu se développer des plates-formes
numériques qui mettent en relation clients et fournisseurs de services.
Certaines ont connu un développement spectaculaire qui a abouti à
des quasi-monopoles ou au minimum à détenir une part
prépondérante sur leur marché. On peut citer Airbnb pour
la location de courte durée d'appartement ou de chambre, Uber pour les
VTC (voiture de transport avec chauffeur), Booking pour les réservations
d'hôtel ou Blablacar pour le partage de véhicule. Or leur position
dominante a permis à ces entreprises d'imposer leurs conditions que ce
soit en termes de conditions de travail pour les VTC ou de commissions
prélevées comme le montre le tableau ci-dessous73,
mais également de les modifier à leur guise.
73 Blockchain France (2016), la Blockchain
décryptée, les clefs d'une révolution, l'Observatoire
Netexplo, mai.
46
C'est dans ce contexte que des projets se développent
dans les domaines du transport (Arcade City ou Mobtiq), du logement (Slock.it)
ou de la vente de biens (OpenBazaar). Ils s'appuient sur la Blockchain, des
smart contracts et des relations directes entre clients et fournisseurs de
services ou vendeurs de biens avec des coûts de transaction attractifs.
Mobtiq envisagerait la formation d'une DAO où les membres de la
communauté seraient collectivement propriétaires de voitures
autonomes.
Dans le domaine de l'assurance74, il est
envisagé de constituer des DAO qui fonctionneraient avec un mode
collaboratif qui n'est pas sans rappeler le fonctionnement des mutuelles
à leur origine avec la perspective d'une réduction radicale des
frais de structure.
Ces différents projets en développement montrent
le potentiel bouleversement de la gouvernance d'entreprise et de
l'économie que pourrait entraîner l'utilisation massive de la
Blockchain et des smart contracts. Mais quel est le positionnement des grands
acteurs de l'économie actuelle ?
2.7 L'étude Deloitte : état des lieux sur
la vision que les entreprises portent à la Blockchain
Les potentialités offertes par la Blockchain
dépassent largement le seul domaine des crypto-monnaies. D'un
modèle initialement conçu contre les institutions notamment
financières, celui-ci est en cours de réappropriation par les
grands groupes notamment financiers.
Ne pouvant mener nous même une analyse sectorielle
exhaustive, nous nous sommes tournés vers des données secondaires
issues d'études menées par des grands cabinets d'étude et
d'audit.
Nous avons retenu une qui confirme cette implication accrue de la
finance.
Cette étude75 a été
menée par Deloitte en collaboration avec l'EFMA (European Financial
Management Association) dans sa publication « Blockchain : de la
frénésie au prototype ». Les évolutions techniques
récentes rendent possibles l'utilisation de blockchains pour des besoins
spécifiques comme par exemple des segments métiers, des classes
d'actifs, avec une
74 Blockchain France (2016), la Blockchain
décryptée, les clefs d'une révolution, l'Observatoire
Netexplo, mai.
75 Deloitte (2016), Out of the blocks - Blockchain : de la
frénésie au prototype, Deloitte Conseil & EFMA, juillet.
47
gestion des droits particulière. C'est sur ce nouveau
marché émergent que Deloitte entend se positionner.
2.7.1 Le positionnement de l'industrie financière
vis à vis de la Blockchain
Cette enquête a été menée en 2016
auprès d'un large échantillon de 3000 personnes travaillant dans
l'industrie financière pour analyser l'intérêt et l'impact
potentiel de la Blockchain sur leur métier.
Quel est alors le positionnement des entreprises : 92%
estiment que leur métier va s'en trouver modifier dont 85% d'ici 2020,
mais seuls 15% y voit une menace. Elles voient la Blockchain comme un moyen de
réduire les coûts, de gagner en efficacité et d'être
un facteur de développement, de créer de nouveaux business y
compris sous la forme de start-up. Il faut noter qu'une part non
négligeable, mais minoritaire (26%), a pour motivation la peur de la
concurrence et de rater le train d'une innovation majeure.
Cependant au moment de l'étude, 28% n'avaient
commencé aucuns travaux, le reste étant en phase d'apprentissage
ou de collaboration avec d'autres groupes ou start-up. Les principaux freins
sont l'absence de responsable technique et les incertitudes sur la
réglementation (49%), ce qui confirme qu'il s'agit d'un enjeu
majeur dans le domaine financier. En revanche, les craintes à propos des
performances, de la sécurité ou de la viabilité de la
technologie sont très faibles (9% cumulés) ce qui est un point
très positif pour la Blockchain. Elle a en quelque sorte conquis les
esprits. Cela est confirmé par la demande pour des formations et le
développement de prototypes qui expriment le besoin de comprendre et
maîtriser cette technologie. C'est évidemment
l'intérêt de Deloitte car cela fait partie de son offre, mais les
pourcentages positifs sont suffisamment élevés pour être
significatifs et peu biaisés. Ce qui caractérise l'année
2016 est donc la mise en oeuvre de prototypes.
L'autre aspect souligné par Deloitte est que
l'industrie financière est convaincue des enjeux que représente
la Blockchain, mais elle la considère plus pour son potentiel à
améliorer et développer l'existant (les transferts internationaux
de monnaie en particulier) que comme une technologie « disruptive »
source d'innovations majeures pour leur métier. Comme l'avait
exprimé prosaïquement un consultant en finance, la Blockchain est
vue par la finance comme un moyen d'améliorer les performances de leurs
chevaux plutôt que de créer leurs automobiles du futur. Cette
lenteur d'adoption de la Blockchain par la finance sans doute liée
48
à une culture d'entreprise prudente et à
travailler dans des cadres réglementaires bien définis pourrait
laisser le champ libre à de nouveaux acteurs dont l'innovation est le
moteur principal tels que les Fintech ou les GAFA (Google, Apple, Facebook,
Amazon) dont certains ont d'ailleurs commencé à déposer
auprès des autorités des demandes d'agrément en tant
qu'établissements financiers. On a ainsi parlé d'instant «
Kodak » quand cette entreprise leader mondial de la photographie
argentique s'est retrouvée au bord de la faillite n'ayant pas compris
à temps que la photographie basculait massivement et de manière
irréversible vers le numérique.
De plus, selon une étude réalisée par le
cabinet Roland Berger76, les entreprises qui sont à la pointe
en matière de numérique ont une croissance de l'ordre de 6 fois
supérieure aux autres et selon le cabinet McKinsey77, le
chiffre d'affaires généré par le numérique pourrait
être de 1000 milliards d'€ d'ici 2025, si les infrastructures
numériques étaient pleinement mises en oeuvre.
Si les craintes sur la réglementation ou son absence
actuelle sont un frein pour son développement, les autorités ont
conscience que des règles trop restrictives seraient une menace pour
l'avenir de cette innovation et pourraient constituer un désavantage
compétitif. Il s'agit donc d'un enjeu très important qu'il faudra
suivre de près.
Pour des raisons de sécurité, l'industrie
financière a l'habitude de travailler avec des environnements
fermés. C'est probablement ce qui explique que seul 11% envisage de
travailler en Blockchain publique et 18% en Blockchain bitcoin avec des
applications supplémentaires. Cependant la moitié envisage de
travailler avec des blockchains de consortium (semi-privée) ce qui
montre qu'elles envisagent malgré tout de développer des
échanges avec d'autres entités même s'il s'agit
d'environnements bien encadrés et à ouverture très
contrôlée. Il est probable qu'une plus grande ouverture sera
progressivement acceptée avec la montée en maturité de la
technologie. De plus, l'adoption d'un nouveau standard peut prendre
jusqu'à 3 ans. Ainsi le consortium R3 compte 45 banques participantes,
ce qui nécessite du temps pour aboutir à des accords entre ses
membres. Dans ce type d'environnement, plusieurs risques peuvent se
présenter : d'une part que le développement soit trop lent et
finisse par décourager certains membres, d'autre part que les
entreprises adhérentes se retrouvent liées à une
plate-forme propriétaire limitant leurs possibilités
76 Roland Berger Strategy Consultants (2014), Du rattrapage
à la transformation - L'aventure numérique, une chance pour la
France, Septembre.
77 McKinsey France (2014), Accélérer la mutation
numérique des entreprises - un gisement de croissance et de
compétitivité pour la France, McKinsey&Company, septembre.
49
d'évolution et d'adaptation à leurs besoins
propres. En revanche, cela peut faciliter la compréhension de la
technologie et permettre d'acquérir une compétence plus
complète et plus rapide grâce à la diversité des
contacts et des expériences possibles, les problématiques
rencontrées par ces différentes sociétés
étant proches car elles exercent les mêmes métiers. Il est
significatif que d'autres consortiums entre acteurs bancaires, assureurs et
financiers se soient créés en Grande-Bretagne ou en France pour
explorer le potentiel de la Blockchain.
Deloitte s'est intéressé aux différentes
expérimentations en cours au moment de l'enquête. Il faut noter
qu'elles concernent principalement des applications existantes
nécessitant d'être optimisées, le métier et la
réglementation s'étant complexifiés avec le temps. Le but
est de montrer concrètement les gains en termes de coût et
d'efficacité que peut apporter la Blockchain. Il s'agit de montrer aux
directions générales l'intérêt stratégique
qu'il y a à investir dans cette technologie. Cette complexification du
métier ainsi que la multiplication des intermédiaires ont non
seulement un coût financier, mais également une augmentation des
délais d'exécution des opérations qui pourraient
être fortement optimisés en opérant de pair à pair
de manière transparente avec l'exécution automatique de contrats
et la sécurisation et la traçabilité qu'apporte la
Blockchain. Cela concerne en particulier les opérations de distribution
et de règlement des valeurs mobilières ainsi que les actions en
back-office, de lutte anti-blanchiment ou de relation client. Ainsi le Nasdaq
pour les valeurs mobilières et la Bank of Ireland pour la
traçabilité de transaction dans le cadre de la
réglementation européenne MiFID II, ont réalisé
avec succès des plates-formes compatibles avec l'existant.
Mais il existe une autre tendance, minoritaire pour l'instant,
qui consiste à faire de la recherche, à expérimenter de
nouvelles solutions pour ensuite déterminer si elles répondront
à un besoin existant ou si elles ouvriront la voie à un nouveau
business.
2.7.2 Une étude de cas : la banque KBC
En complément, Deloitte a choisi comme étude de
cas la stratégie du bancassureur belge KBC qui a opté pour une
stratégie intermédiaire. Elle consiste à évaluer de
nouvelles solutions dont une doit être basée sur la Blockchain
pour répondre à un besoin du marché financier. Le but
n'est pas de développer systématiquement sur la Blockchain, mais
seulement quand elle apporte un bénéfice supplémentaire
par rapport aux techniques traditionnelles (bases de données,
transactionnel, ...). Cela a été le cas pour des projets sur les
marchés de capitaux,
50
pour des opérations bancaires courantes et sur une
plate-forme de Financement Participatif « Bolero ». Celle-ci utilise
des smart contracts pour le transfert automatique de propriétés
des titres et le versement automatique de dividendes quand les conditions sont
réunies. Elle évite par exemple de vérifier que toutes les
informations nécessaires sont à jour ou d'effectuer des
versements individuels. KBC explique qu'il aurait été possible de
développer des solutions combinant plusieurs autres techniques, mais que
la Blockchain avait permis des gains conséquents et une optimisation
significative des processus. La banque a impliqué des clients et des
entrepreneurs dans l'expérimentation pour améliorer la solution,
mais également les régulateurs belges pour les sensibiliser aux
spécificités et aux possibilités de cette technologie en
prévision des futurs textes législatifs qui devraient encadrer
ces évolutions pour garantir la confiance dans la finance sans
étouffer ces innovations.
Le potentiel de cette technologie pour les entreprises se
confirme, comme le montre cette étude de 2016 dans le secteur des
services financiers. Il devrait également s'exprimer dans d'autres
secteurs comme va le montrer notre étude de cas.
2.8 Les limites et les perspectives de
développement de la Blockchain
Cette technologie, comme toute innovation, est
confrontée à de nombreux défis qui vont demander des
réponses.
Parmi ces défis, citons la consommation de puissance
informatique et électrique et l'augmentation des coûts qui va de
pair, la durée et la variabilité des délais de validation
des blocs qui croissent avec la taille des chaînes, le pouvoir
donné aux codeurs en particulier pour la rédaction des smart
contracts, le maintien de la confiance quand le nombre de participants
s'accroît, les incertitudes sur les régulations à venir, la
modification dans le mécanisme des prises de décisions, la place
des tiers de confiance à réinventer.
Les recherches en cours et les montants investis fourniront
sans doute des réponses à court et moyen terme à certaines
de ces limites.
51
On peut citer de nouveaux mécanismes de validation des
blocs comme le passage progressif de la preuve de travail à la preuve
par l'enjeu78 qui pourrait fortement diminuer les besoins en
puissance informatique et électrique.
De nombreuses autres pistes sont envisagées :
Ainsi, les transactions pourraient n'être
validées que par des sous-ensembles de noeuds avec la technique de
Blockchain fragmentée ou sharding79.
Dans le projet Lightning Network, des sous-groupes de
participants appelés canaux de paiement, enregistrés au
préalable dans la blockchain, effectueraient des transactions entre eux
dans ces canaux sécurisés hors de la chaîne et n'en
soumettraient que le solde final à l'ensemble de la Blockchain.
Sinon, des chaînes latérales (sidechains) avec un
niveau de sécurité moindre et donc plus rapide pourraient traiter
certains types de transactions, inférieures à un certain montant
par exemple. Enfin, Un projet Polkadot propose d'interconnecter plusieurs
blockchains.
D'autres envisagent de passer de la simple chaîne de
blocs vers des graphes orientés acycliques dans lesquels on ne peut
passer 2 fois par le même objet et qui offrent a priori un plus grand
potentiel qu'une chaîne en termes de taille et de rapidité de
validation. Des projets tels que Byteball (paiements conditionnels) ou Iota
(communication et paiements sécurisés dans l'Internet des Objets)
les mettent en oeuvre.
Source :
https://steemit.com/cryptocurrency/@jimmco/byteball-vs-iota-battle-of-two-dag-cryptocurrencies
De leur côté, les tiers de confiance verront sans
doute une importante évolution de leur rôle et de leurs
compétences qui devront être aussi bien juridiques que
technologiques pour valider la recevabilité des preuves de transaction,
gérer les contestations qui ne disparaitront pas complètement, et
assurer la qualification juridique des smart contracts80 ou des
ICO81.
78 Blockchain France (2016), la Blockchain
décryptée, les clefs d'une révolution, l'Observatoire
Netexplo, mai.
79 BCG (2017), Livre blanc - la Blockchain pour les entreprises -
Soyez curieux ! Comprendre et expérimenter, the Boston Consulting Group
& MEDEF.
80 Agosti, P. et al. (2017), Blockchain : quelles perspectives
après la réglementation ?, Groupe de travail Blockchain de la
FNTC (Fédération nationale des Tiers de Confiance).
52
LES HYPOTHESES RETENUES
A partir des éléments présentés, nous
souhaitions vérifier les hypothèses suivantes :
l La mise en place et les frais de fonctionnement d'une
blockchain représentent-ils un investissement trop important pour une
entreprise, réduisant ainsi les opportunités individuelles en les
obligeant à se regrouper ? De nouveaux acteurs suffisamment puissants
profiteront-ils de cette opportunité pour offrir de nouveaux services
à des coûts attractifs ? Enfin, est-ce que le coût
énergétique élevé de la validation des transactions
sera un frein à son déploiement ?
l Quelles sont les attentes des entreprises qui
s'intéressent à la blockchain ? La recherche d'une meilleure
sécurisation des transactions est-elle l'unique apport de la blockchain
? La diminution des interventions des tiers de confiance réduira-t-elle
suffisamment les coûts et les délais de traitement des
échanges pour motiver la poursuite des expérimentations ? Les
smart contracts tiendront-ils leur promesse en impactant les coûts de
transaction, en réduisant entre autres les frais et les incertitudes
induits par les recours contentieux ?
Nous souhaitons ainsi explorer les raisons qui incitent les
entreprises à investir dans la blockchain et à envisager de
modifier leur organisation et leur mode de fonctionnement.
81 Heuvrard, F. (2018), la blockchain et le CAC (commissaire aux
comptes), RF Comptable, n° 456, janvier.
53
3 Méthode de recherche et terrain : mise en
place d'une blockchain à la SNCF
A ce stade de nos réflexions, grâce à
l'analyse des théories économiques et de la littérature
relatives à notre thème nous disposions d'outils qui nous
permettaient d'étudier un cas pratique. Nous nous orientons
désormais vers la recherche d'une entreprise ayant mis en oeuvre la
technologie blockchain. Cet exemple d'utilisation nous permettra de collecter
des données primaires.
3.1 Méthode de recherche
3.1.1 La phase d'exploration de notre objet de recherche et
de notre problématique
Notre problématique s'est construite progressivement
par une revue de littérature initialement orientée sur
l'interrogation suivante : le Bitcoin dans la finance d'entreprise :
intérêt, enjeu, opportunités.
Afin de mieux cerner le sujet qui était nouveau pour
nous, nous avons débuté cette revue par une démarche
exploratoire en consultant deux sources d'informations différentes :
· Tout d'abord, nous avons effectué une recherche
d'articles académiques qui analysaient le sujet du Bitcoin sous les
angles techniques (informatique, sécurité), bancaires,
monétaires, finance d'entreprise ou juridiques. Le recul sur ce sujet
étant encore limité lors de cette revue, la littérature
académique était relativement peu abondante, mais elle
commençait à monter en puissance avec l'intérêt
grandissant pour ce sujet. Devant la diversité des thèmes
développés, nous avons entrepris de faire des choix tout en
conservant l'idée d'approches variées.
Nous avons écarté les études
liées au domaine juridique et à la vie privée qui sont des
enjeux importants, mais n'entrant pas dans le périmètre de notre
master et que notre tuteur souhaitait voit traiter par un autre groupe de
recherche. De même nous n'avons pas intégré les
études liées au système monétaire dont la
thématique ne cadrait pas avec le champ d'application de notre
formation.
54
Enfin, bien que la thématique de la
sécurité soit un élément essentiel du
fonctionnement de la Blockchain, nous ne ferons que l'évoquer. Son
rôle dans cette technologie mérite de faire l'objet d'un
mémoire uniquement consacré à ce thème.
En conclusion, ce sont les interactions entre les
institutions financières et de l'entreprise qui nous ont
intéressé.
· En complément, nous avons recueilli des
articles de la presse professionnelle, financière, informatique, des
livres et nous avons consulté des sites Web
spécialisés.
Nous avons observé dans ce domaine un flux très
important de publications, ces sujets intéressent visiblement de plus en
plus des secteurs aussi divers que la presse, les entreprises, les organismes
financiers, les banques centrales et les Etats et autres organismes de
régulation ou d'intermédiation souhaitant comprendre ce que
recouvrait ce nouveau phénomène.
Ceci nous a permis de dégager de grandes tendances et
de voir émerger certains sujets plus originaux et plus
intéressants à long terme tels que la Blockchain et ses impacts
sur les entreprises et les tiers de confiance que ceux qui étaient les
plus médiatiques et s'intéressaient aux bulles
spéculatives sur les crypto-monnaies, les ICO (Initial Coin Offering
(méthode de levée de fonds, fonctionnant via l'émission
d'actifs numériques échangeables contre des crypto-monnaies), le
recyclage d'argent sale ou l'évasion fiscale.
Ces deux sources de données complémentaires
nous ont permis de dégager les axes majeurs devant constituer notre
objet de recherche et notre problématique.
3.1.2 L'approche de recherche déductive
S'est alors posée la question de l'approche à
adopter pour définir notre sujet à partir d'une revue de
littérature aussi ouverte.
Une approche bottom-up ou inductive aurait consistée
à l'aborder en commençant par une recherche empirique large
nécessitant de récolter une grande quantité de
données de terrain. Il aurait ensuite fallu en dégager des pistes
de réflexion nous conduisant à des cadres théoriques qui
seraient au moins partiellement remis en cause par l'observation du terrain.
55
Cette démarche présentait l'inconvénient
d'être chronophage pour une récolte significative de
données qui sont par nature plus difficiles à trouver sur un
sujet émergent. A cela s'ajoute le risque que ces données ne
soient pas suffisamment cohérentes pour valider la mise à
l'épreuve de ces cadres théoriques.
Sur recommandation de notre tuteur, cette démarche a
été écartée au profit d'une approche top-down ou
déductive consistant à partir des articles académiques de
notre revue qui nous offrait un large spectre des réflexions en cours
sur la Blockchain.
Le but était de nous appuyer sur des propositions
théoriques pour ensuite passer à une vérification sur des
cas particuliers pour ensuite revenir sur ces représentations
théoriques et voir en quoi elles pourraient demander des
évolutions face à un nouvelle réalité (Huberman et
Miles82, 1991 ; Collerette83, 1995).
Nous avons choisi certains cadres conceptuels d'analyse des
réalités économiques des entreprises qui nous paraissaient
plus pertinents pour travailler dans un cadre bien délimité et
maîtrisable.
C'est ainsi que nous avons écarté les
réflexions sur le secteur bancaire et financier pourtant
fréquemment citées dans la littérature, mais dont le cadre
réglementaire s'avère particulièrement dense et de plus en
plus complexe et contraignant, en particulier depuis la crise financière
de 2007/2008.
D'autres objets de réflexion ressortaient
régulièrement telles que la réduction des coûts pour
les entreprises, la remise en cause de l'intermédiation, une nouvelle
gestion des contrats et enfin les innovations technologiques.
Nous avons alors décidé de nous
intéresser aux transformations et aux bénéfices que
pouvait apporter la Blockchain aux entreprises sans nous restreindre au
départ à un secteur particulier. Garder un champ initial
suffisamment large préservait nos chances de trouver un terrain pratique
ce qui restait une de nos préoccupations principales.
Plus précisément et en phase avec notre
formation, nous nous sommes focalisés sur les enjeux financiers qui
pouvaient être impactés par la Blockchain, en particulier ceux
liés aux contrats et aux intermédiaires (tiers de confiance) tels
que développés par la théorie de l'agence
82 Huberman A.M., Miles M.B. (1991), Analyse des
données qualitatives, Bruxelles, Editions du renouveau
pédagogique.
83 Collerette, P. (1995), Les enjeux communicationnels de la
gestion d`un changement dans une organisation, Thèse de doctorat,
Montpellier, Université Paul Valéry.
56
(Michael C. Jensen et William H. Meckling84) et la
théorie des coûts de transaction et de la firme (R. Coase, O.E.
Williamson85).
Une fois ces hypothèses théoriques choisies, il
fallait les mettre à l'épreuve de manière empirique
c'est-à-dire en vérifiant par l'observation du
phénomène blockchain si nos cadres théoriques pourraient
se trouver concernés.
Une des techniques pouvant être utilisée pour cette
approche empirique est l'étude de cas. L'étude de cas au sens de
technique de recherche (et non d'outil pédagogique de formation) est
« une enquête empirique qui étudie un
phénomène contemporain dans son contexte de la vie réelle
» pour reprendre la définition de R. K. Yin86
(1984) l'un des auteurs les plus fréquemment cité à propos
de cette méthode.
Le cas sert entre autres à tester des théories,
à éprouver des hypothèses, explorer ou réfuter
(Joan le Goff, vertus problématiques de l'étude de cas, 2002).
L'étude de cas peut faire appel à
différentes méthodes telles que l'observation, l'entretien
semi-directif ou des techniques d'analyse du contenu (Hamel87,
1997).
Il s'agit ensuite d'analyser le cas pour découvrir
comment se manifestent et évoluent les phénomènes auxquels
nous nous intéressons et en extraire des conclusions pouvant enrichir ou
nuancer l'univers des connaissances et des théories
(Collerette88, 1997 ; Stake89, 1994).
Pour conclure sur l'étude de cas, elle présente
selon Isabelle Quentin90 (2012) l'avantage d'être flexible car
elle permet de commencer par de larges questions (l'utilisation de la
Blockchain en entreprise), puis de se focaliser sur des points particuliers
(les gains financiers, la réduction des coûts de transaction, le
rôle des tiers de confiance).
Elle présente cependant certaines limites, dont il
faut être conscient, telle que la subjectivité de
l'interprétation des données qui peut rendre difficile la
généralisation des résultats.
84 Jensen M.C., Meckling W.H. (1976), Theory of the Firm,
Managerial Behavior, Agency costs Ownership structure, Journal of Financial
Economics, Vol. 3, 345-360.
85 Williamson, O.E. (1975), Markets and Hierarchies :
Analysis and Antitrust Implications, New York, The Free Press
86 Yin, R.K. (1984), Case study research, design and
method, London. Sage publications.
87 Hamel, J. (1997), Etude de cas et sciences sociales,
Paris, L'Harmattan.
88 Collerette, P. (1997), L'étude de cas au service de la
recherche, Recherche en soins infirmiers, n° 50, septembre.
89 Stake, R.E. (1994), Case Study - Handbook of Qualitative
Research, London, Sage Publications. Chap. 14.
90 Quentin, I. (2012), Méthodologie et méthodes de
l'étude de cas, consulté le 6 novembre 2017.
57
3.1.3 La collecte des données primaires
Nous devions donc choisir une méthode pour
récolter des données primaires (celles que nous pourrions
établir nous-mêmes) nécessaires à cette mise en
lumière de notre problématique.
Pour nous guider dans nos choix, nous nous sommes
appuyés sur les livres d'Usunier91 et de
Thiétart92 décrivant les différentes
méthodes de recherche en gestion.
En alternative, se présentait, l'approche quantitative
que ce soit par questionnaire ou observation systématique. Nous l'avons
écarté car le recueil d'une masse importante de données
sur un sujet aussi récent et dans notre contexte de travail
n'était pas réaliste. Sans compter que le taux de réponses
aux questionnaires sur support (papier ou numérique) est
généralement faible. On peut ajouter que les questionnaires sont
par nature fermés ce qui aurait pu nous priver d'informations
intéressantes. Le degré d'incertitude est élevé
quant à la qualité de la personne qui a réellement
répondu au questionnaire.
Nous avons donc adopté une approche qualitative
basée sur une étude de cas.
Nous avons choisi de faire une étude de cas de type
instrumentale au sens de Stake (1994), c'est-à-dire qui traite d'une
situation qui comporte un grand nombre de traits typiques par rapport à
l'objet de notre étude.
Celle-ci devait porter sur une expérience en cours ou
aboutie de mise en oeuvre d'une blockchain afin d'avoir un retour
d'expérience concret sur les méthodes utilisées, les
difficultés rencontrées, les solutions apportées et les
retours économiques, financiers et organisationnels attendus et
observés. Ce sera l'occasion de mesurer sur un ou plusieurs cas
précis, le chemin qui va mener du concept à la mise en oeuvre
réelle et à la tenue des objectifs.
Avec cette approche qualitative, les deux principaux modes de
collecte sont l'observation et l'entretien. Il nous était difficile
d'avoir une démarche d'observation qu'elle soit participante ou non car
il n'y avait pas de projet Blockchain dans les entreprises proches et de notre
connaissance. Le contexte le plus favorable aurait été de trouver
une entreprise avec une mise en oeuvre opérationnelle de Blockchain qui
de plus nous aurait intégré même de manière
intermittente, ce qui en la circonstance paraissait trop aléatoire.
91 Usunier J.C., Easterby-Smith M., Thorpe R. (2000),
Introduction à la recherche en gestion, Economica, 272 p.
92 Thiétart, R.A. et al. (2014), Méthodes de
recherche en management, 4ème éd. Paris, Dunod,
647 p.
58
Nous avons donc choisi de mener des entretiens en direct, de
préférence individuels car les entretiens de groupe sont plus
complexes à mener pour collecter des données pertinentes à
cause des réticences éventuelles des participants à
s'exprimer, des possibles enjeux de pouvoir ou d'interférences
hiérarchiques que nous ne connaitrions pas.
Dans la perspective d'entretiens individuels, nous avons
écarté les entretiens directifs qui relèvent plus du
questionnaire et donc du quantitatif et supposent d'avoir des idées
déjà bien arrêtées sur un sujet alors que nous
n'étions qu'en phase de découverte.
A l'opposé, une attitude non-directive,
présentait le risque de voir les entretiens s'écarter de notre
cible en fonction des centres d'intérêts de notre interlocuteur ou
des sujets qu'il aurait préféré éviter.
Nous nous sommes donc orientés vers des entretiens
semi-directifs ou centrés pour lesquels nous avons choisi un certain
nombre de thèmes précis à aborder lors des interviews tout
en laissant à notre sujet la possibilité de construire son
discours quitte à le relancer ou à le réorienter pour
revenir à nos thèmes.
L'intérêt de cette démarche c'est qu'en
laissant une relative liberté à notre interlocuteur, il pouvait
nous faire découvrir des aspects inédits ou de nouvelles pistes
de développement pour notre objet de recherche.
Au final, cette démarche visait avant tout à
présenter des expériences de mise en oeuvre de solutions
ancrées sur la Blockchain en se focalisant sur les gains financiers
espérés et éventuellement réalisés par des
entreprises. Nous voulions montrer comment ces gains ont été
obtenus par une diminution des coûts de transaction, le non-recours
à des tiers de confiance ou un changement organisationnel remettant en
cause les rapports principal-agent.
Il s'agit d'une première approche cherchant à
démontrer l'intérêt de la Blockchain vis à vis des
cadres théoriques que nous avons choisis.
Nous sommes conscients des limites de notre méthode
reposant sur l'étude d'un nombre restreint de cas qui ne permet pas de
généraliser nos observations. Celle-ci ne pourra se faire que par
l'accumulation d'autres entretiens qui seront plus aisés à mener
au fur et à mesure de la multiplication des projets
réalisés sur la Blockchain.
59
3.1.4 La collecte des données secondaires
Pour élargir les perspectives ouvertes par les
données collectées lors de notre étude, nous avons
décidé de nous tourner vers des enquêtes
réalisées par des cabinets d'études et de conseil
impliqués dans la mutation numérique des entreprises tel que
Deloitte.
Ce cabinet présente l'avantage de disposer des moyens
pour rédiger et soumettre des questionnaires à de larges
échantillons probabilistes d'entreprises, ce qui assure une
représentativité nécessaire à la qualité des
résultats obtenus, et avec une garantie quant aux méthodes
appliquées à l'analyse des données. Ce qui
représente donc une source intéressante d'études
quantitatives complémentaires telles que les analyses sectorielles.
3.2 Terrain et collecte de données
Notre méthode de recherche étant
définie, nous vous présentons dans un premier temps les
différentes étapes qui nous ont permis de cibler et de trouver
notre terrain de recherche puis, dans un second temps, le processus que nous
avons suivi pour collecter la matière nécessaire pour mener
à bien notre réflexion.
3.2.1 La recherche de terrain
Notre première contrainte, compte tenu de
l'émergence du sujet a été de trouver une entreprise
expérimentant la Blockchain et touchant à un domaine
intéressant un public significatif.
Nos recherches pour trouver l'organisme ou l'entreprise qui
se sont investis dans la technologie Blockchain se sont effectuées
grâce aux informations disponibles sur le site « Blockchain France
». En effet ce portail internet nous a servi de point d'entrée
initiale pour avoir une vue d'ensemble des décideurs qui manifestaient
un intérêt voir s'engageaient dans l'aventure Blockchain.
60
Rappelons que depuis 2015, cette entité est le leader
du conseil et de l'accompagnement pour les entreprises sur la technologie
Blockchain. Elle guide les organismes dans la découverte, l'exploration
et le déploiement de cette technologie.
En accord avec notre tuteur nous avons souhaité cibler
notre étude sur une entreprise n'appartenant pas au secteur bancaire. En
effet ces activités reposent sur des particularités qui auraient
nécessité de faire référence à des
théories monétaires qui n'entraient pas dans le cadre de notre
formation. Le secteur financier est de plus le secteur le plus présent
dans le domaine de la recherche, comme dans les médias, et il semblait
plus intéressant et pertinent d'étudier les enjeux de la
Blockchain dans les domaines moins explorés.
Nous avons écarté également les
entreprises encore en phase de réflexion ou dont les projets
n'apportaient pas suffisamment d'éléments pour l'analyse de nos
hypothèses.
Par exemple : Air France KLM évalue actuellement le
potentiel de la blockchain pour la gestion des pièces de rechange sur
les avions en service. Et l'industrie musicale s'est engagée dans une
réflexion sur l'automatisation et la personnalisation de la gestion des
droits d'auteurs.
Enfin, pour disposer d'une meilleure qualité
d'échange, nous avons souhaité nous concentrer sur les
entreprises françaises.
3.2.2 Le projet choisi
Notre attention a été retenue par
l'expérience menée à la SNCF, entreprise présente
sur l'ensemble du territoire, porteuse d'une image de dynamisme et de
modernité dans un secteur, celui des transports, vital pour
l'économie. L'Epic (Etablissement public industriel et commercial)
« SNCF mobilité » - Gares & connexions au travers de sa
filiale AREP venait d'expérimenter l'utilisation d'une blockchain pour
la gestion des déchets de la gare de Massy TGV.
61
Source : Rapport annuel d'activité
Ce qui rend également intéressant ce projet est
qu'il apporte une réponse très novatrice, pour l'instant à
un niveau local, en appliquant la technologie Blockchain à la gestion du
tri et de ramassage des déchets dans la gare de Massy TGV, à un
problème majeur à l'échelon mondial.
Le développement de notre civilisation de consommation
a engendré une production croissante de déchets de toute nature.
Dès 1970 les interrogations et les contestations du modèle
consumériste deviennent prégnantes ; la notion de tri et la prise
de conscience de la nécessité du recyclage pour lutter contre la
surconsommation des ressources naturelles apparaissent. Les dispositions de la
loi du 13 juillet 1992 sur l'élimination des déchets, donnent un
cadre juridique à ces pratiques. En effet, en triant de façon
rigoureuse, nous réalisons des économies de matières
premières (toutes les matières recyclées n'ont plus besoin
d'être créées) et d'énergie (le recyclage
nécessite moins d'énergie que la fabrication de ces
matières).
De plus, la généralisation de ces technologies
intéressera la totalité des entreprises, toutes productrices de
déchets. Ces réflexions vont dans le sens des travaux à
l'ordre du jour, en 2016, de la COP 21 qui s'est tenue à Paris. En 2017,
lors de la COP 23 à Bonn, dans le cadre de la lutte mondiale contre le
réchauffement climatique, les Etats sont tous à la recherche
de
62
toute innovation permettant de compenser l'empreinte carbone.
Le tri et le recyclage des déchets ne sont plus uniquement
considérés comme un problème environnemental mais aussi
comme un enjeu majeur de gains de productivité pour les partenaires
économiques.
3.2.3 La prise de contact
A partir d'une première recherche effectuée sur
« Blockchain France », nous avons poursuivi notre quête de
terrain en utilisant les mots clés suivants dans un moteur de recherche
« SNCF » et « Blockchain » ce qui nous a permis de trouver
les coordonnées d'un contact pour réaliser notre première
interview.
Nous avons trouvé le service et identifié le
chef du projet : Etienne Burdet au sein de « SNCF mobilité » -
Gares & connexions au travers de sa filiale AREP.
Créé en 1997 au sein du groupe SNCF, AREP est
un bureau d'étude pluridisciplinaire composé de 900 personnes
ayant pour vocation la conception et l'adaptation des espaces
fréquentés par le public (chiffre d'affaires 2015 : 60 millions
d'euros) en France et à l'étranger. AREP peut ainsi être
sollicité par la SNCF pour améliorer la qualité d'accueil
des gares. Ses activités ne se limitent pas à l'environnement
ferroviaire, à titre d'exemple, elle mène actuellement une
étude sur l'aménagement du port maritime de Marseille.
Un premier contact a été établi par un
échange de mails. Nous avons exposé le cadre de notre projet de
recherche et l'objet de notre étude afin de nous assurer de la
compatibilité entre le projet mené par AREP et nos attentes.
Cette condition préalable ayant été remplie, un rendezvous
a été fixé au 3 juillet 2017 ; pendant cette
période estivale, notre correspondant avait plus de temps à nous
consacrer.
Un second interlocuteur nous a été
suggéré par M. Burdet qui nous a appris que la SNCF avait fait
appel à la start-up KEEEX pour développer une solution blockchain
dans le domaine de la traçabilité de documents de
références liés aux travaux sur les voies ferrées
et sur la simplification de processus d'exploitation. Nous avons suivi la
même démarche pour trouver les coordonnées d'un
correspondant. Nous avons pris rendez-vous pour un entretien
téléphonique le 2 août 2017 avec Laurent Henocque,
fondateur et CEO.
KEEEX est une start-up créée en 2014, elle
développe pour ses clients des solutions numériques utilisant
notamment la blockchain. Ainsi, elle a lancé la première
application « photo proof » permettant de certifier
l'intégrité et l'authenticité d'une photo en
intégrant au cliché des informations de géolocalisation et
un horodatage. Ce processus permet d'avoir la
63
certitude que le document est bien l'original non
modifié. Une fois horodaté, cette information est ajoutée
à un bloc en préparation. Une fois ce bloc rempli (1 Mo dans le
cas du bitcoin standard), il est ajouté à une Blockchain Bitcoin
permettant d'enregistrer l'existence du fichier. Cette procédure permet
de réduire le coût de transaction en mutualisant plusieurs
opérations dans un seul bloc, car c'est la validation du bloc qui est
facturée.
3.2.4 La préparation des entretiens
Nous connaissons désormais l'entreprise et nos
interlocuteurs. En amont des rencontres, nous avons conçu un guide
d'entretien. Il devait nous permettre de confronter nos hypothèses de
travail aux expériences engagées sur le terrain.
L'enquête par entretien nous est apparue comme
étant le processus le plus pertinent, en effet il est de par sa nature
une démarche exploratoire. A. Blanchet et A. Gotman93 le
présentent de la manière suivante : « L'entretien s'impose
chaque fois que l'on ignore le monde de référence, ou que l'on ne
veut pas décider a priori du système de cohérence interne
des informations recherchées ».
Afin que nous puissions garder un point de vue objectif,
notre méthode d'interview a laissé une grande liberté de
parole à nos interlocuteurs.
Parallèlement nous avons retenu quatre thèmes
qui servent à structurer notre démarche : les motivations, la
mise en place de la Blockchain, les changements de fonctionnements, les
perspectives envisagées ; ce qui nous a également conduit
à préférer des entretiens semi-directifs. Ils sont
caractérisés de la sorte car les questions posées ne sont
ni entièrement ouvertes, ni entièrement fermées. Ils
conviennent parfaitement au chercheur qui dispose d'une trame d'entretien et de
thèmes suffisamment larges pour que l'interviewé puisse librement
s'exprimer et choisir les sujets qu'il souhaite mettre en avant. Le chercheur
essaie simplement de recentrer l'entretien sur les thèmes qu'il a
prédéterminé. Nous avions bien sûr une logique de
déroulement de nos entretiens, mais nos interventions devaient rester
souples. Nous pouvions ainsi mieux adapter nos questions à chaque
réponse de nos interlocuteurs. Notre attitude toujours réceptive
favorisait un lien entre les réponses apportées et les
thèmes initialement prévus.
93 Blanchet A., Gotman A. (2006), L'enquête et ses
méthodes, L'entretien, Armand Colin, coll. 128, Paris, 40.
64
Ainsi, il a été plus facile de comprendre la
dynamique, les particularités du contexte pour mener à bien notre
collecte de données.
3.2.5 La réalisation des entretiens
Pour le premier entretien, nous avons rencontré M.
Etienne Burdet, chef de projet SmartCity, chez AREP - filiale de Gares &
Connexion dans un restaurant proche de son bureau à Paris. Notre
interview a duré une heure et demie.
Avant de débuter, nous avons demandé
l'autorisation d'enregistrer les échanges dans le but de mieux
écouter le récit, de réagir à bon escient et donc
de partager des échanges plus riches. Nous avons pu faire des allers
retours entre l'application et notre questionnement issu de notre revue de
littérature. Si ce 1er entretien a eu lieu en face à
face, le second, compte tenu de l'implantation de la start-up KEEEX à
Marseille s'est déroulé par téléphone pendant une
heure.
Sa teneur a été également
différente : M. Burdet nous a expliqué le déroulement
d'une expérience concrète (collecte de déchets sur le site
de la gare de Massy TGV). Quant à M. Henocque, fondateur et CEO de
KEEEX, il nous a expliqué les solutions trans-entreprises qu'il a
créées à partir de la technologie Blockchain dans le
domaine de la traçabilité de documents.
Autant le premier entretien reposait sur une application
concrète dans un cadre précis de l'utilisation d'une blockchain,
le second lui a été beaucoup plus théorique et a
détaillé les mécanismes qui amènent ou pas à
développer une blockchain. Toutefois ce deuxième entretien nous a
permis de conforter nos hypothèses de travail et de confirmer les
éléments collectés lors du premier.
L'entretien exploratoire tel que nous le percevions avant de
commencer notre interview se voulait être un dialogue structuré
sur la base des questions que nous avions préparées.
Or, notre entretien s'est avéré correspondre
à un échange où se mêlaient les épisodes du
vécu professionnel et les réponses plus ciblées à
partir de notre questionnement. Ce dialogue moins formel nous a permis
d'élargir et de nourrir notre éventail de questions initiales
sans nous détourner de nos objectifs.
C'est ainsi qu'aux quatre grandes orientations
rappelées ci-dessous :
· Comment est née l'idée d'utiliser la
blockchain ? A quel besoin répondait-elle ?
· Comment a-t-elle été mise en place, avec
quels moyens ? Quelles ont été les difficultés
rencontrées ?
·
65
Quels ont été les retours d'expérience sur
les smart contracts ?
· Les résultats constatés
répondaient-ils aux attentes ? Quels ont été les impacts
sur les processus et l'organisation ? Quelles sont les perspectives
d'évolution et d'extension ? D'autres thèmes ont
émergé :
· Pourquoi choisir une blockchain publique ?
· Comment la blockchain peut-elle fonctionner sans crypto
monnaie ?
· Comment les parties prenantes ont-elles réagi ?
3.2.6 L'utilisation des entretiens
Nous avons écouté à plusieurs reprises
les enregistrements. Leur durée et leur densité a
nécessité une transcription pour hiérarchiser et classer
les données recueillies.
Ce travail pourrait paraître fastidieux compte tenu de
la durée de la retranscription (environ huit heures par enregistrement).
De plus le restaurant pour le premier entretien s'est
révélé assez bruyant, ce qui a parasité la
clarté de l'enregistrement.
Cependant, ce travail nous a été d'une grande
aide pour clarifier et analyser les éléments clés de ces
récits. Il est en effet plus aisé de traiter une information par
thème lorsqu'elle est écrite. A partir des points essentiels nous
avons pu ainsi organiser notre réflexion pour réaliser notre
étude de cas.
Nous avions de plus pu disposer de différents documents
de travail sur l'élaboration de ce projet à la gare de Massy
TGV.
66
4 Le cas pratique : d'un processus manuel et faillible
à un système autonome et sécurisé
Chaque jour, en France, ce sont 5 millions de voyageurs
(rapport d'activité 2016 de la SNCF) qui utilisent les différents
transports ferroviaires (TGV, TER, Intercités, RER...). Ces flux de
personnes ont un impact sur l'environnement. Selon l'étude sur la
fréquentation des grandes gares franciliennes réalisée en
mars 2015, la gare de Paris Saint-Lazare (station accueillant le plus de trafic
en France avec 359 200 voyageurs par jour) doit gérer 1 300 tonnes de
déchets par an (soit le poids de 3 supertankers). D'une manière
générale, la SNCF doit traiter 10 grammes de déchets par
voyageur par jour. C'est pourquoi la gestion des déchets en gare est
devenu un enjeu majeur.
Source : la fréquentation des grandes gares
franciliennes
Comme toutes les entreprises productrices et
détentrices de déchets, la SNCF doit s'adapter à la
réglementation relative à la préservation de
l'environnement et des ressources. Les déchets visés regroupent
à la fois ceux produits par l'entreprise dans le cadre de son
activité mais également ceux émanant de ses clients dans
ses installations. La loi du 17 août 2015 relative à la
transition énergétique pour la croissance verte encourage la
lutte contre les gaspillages, la réduction des déchets à
la source, leur tri et leur valorisation.
Au début de l'année 2016, AREP (filiale de la
SNCF Gares et connexions) a été missionné pour analyser et
tester des scénarios de traitement des déchets à
l'échelle de la gare de Massy
67
TGV. Cette gare, bien que modeste par son nombre de voyageurs
annuel (un peu moins de deux millions et le volume de déchets à
traiter : 17 tonnes ou 4 400 m3 soit l'équivalent d'une piscine
olympique) reste significative par la diversité des déchets
qu'elle doit gérer. La gare doit faire face au traitement d'une
diversité des déchets répartie en trois types :
y' La poubelle grise : déchets ordinaires ne faisant pas
l'objet de tri ;
y' La poubelle jaune : bouteilles en plastique, boites en carton,
canettes ;
y' La poubelle bleue : journaux et magazines.
Il en résulte une complexité dans la gestion des
contrats avec les prestataires (restaurant, boutique, personnel d'entretien et
camion de ramassage). L'ampleur de la mission est réelle ; une vaste
évaluation du fonctionnement des intervenants et de leurs interactions
constituera le socle de l'étude. L'un des intérêts de ce
travail consiste à analyser la méthode utilisée par AREP,
qui a procédé par tests empiriques avant d'aboutir à
l'appropriation d'une technologie émergente. L'enjeu à terme est
aussi que les nouveaux procédés mis en place sur le site de la
gare de Massy TGV serviront de référence soit à son
déploiement soit par adaptabilité sur d'autres sites SNCF voire
extérieurs.
4.1 L'analyse de la situation initiale : constat par
AREP de dysfonctionnements graves
La première étape a consisté à
examiner les maillons de la chaîne de la collecte des déchets, de
leur tri et de leur enlèvement. Le traitement des déchets en gare
de Massy TGV est préoccupant : tous les bacs, avec des contenus
indifférenciés sont sortis tous les jours, sans
vérification des jours ou des horaires et donc sans lien avec les
tournées de ramassage.
Les employés, en première ligne, susceptibles de
rencontrer des difficultés ou de ne pas maîtriser le
français et donc de ne pas comprendre les consignes ou de ne pas les
appliquer, sortaient l'ensemble des bacs non triés dans le souci
d'éviter toute sanction ou conflit. Les producteurs de
déchets (usagers et commerçants) considéraient que
les poubelles étaient vite pleines et pas assez rapidement sorties. De
même le personnel en gare face à des poubelles pleines insistait
auprès des employés en charge de l'évacuation des
déchets pour qu'ils sortent les poubelles sans tenir compte ni de leur
contenu ni du jour. Cet environnement mal contrôlé, notamment par
le personnel de gare, laisse certainement une trop grande opportunité
à l'agent
68
(la sortie des déchets peut servir de prétexte
pour prendre une pause supplémentaire) pour privilégier son
propre intérêt au détriment de celui de l'entreprise.
Le résultat de cette désorganisation aboutit
à ce que des poubelles pleines restées toute la journée
aux abords de la gare, encombrent les trottoirs et dégradent ainsi
l'image de la gare. Cette situation a deux conséquences
immédiatement perceptibles. L'encombrement de la voierie est
gênant et insalubre et au lieu d'inciter des passants ou usagers de la
gare à trier, il accroît les comportements d'incivilité.
C'est un cercle vicieux qui augmente par ailleurs la charge de travail des
employés qui doivent trier les déchets à la place des
usagers. C'est une dépense supplémentaire pour un travail non
prévu initialement. Ces bacs débordants et stagnant sur l'espace
public hors des créneaux horaires prévus sont par ailleurs
sanctionnés par des amendes : la gare de Massy TGV payait jusqu'à
200 € par jour (soit 73 000 € par an). Cette absence de tri
désorganise aussi la tâche du second intervenant du circuit : les
prestataires en charge du ramassage des déchets recyclables finissent
par ne plus s'arrêter mais continuent à facturer leur
prestation.
Ces sociétés considèrent que la gare ne
trie pas efficacement ses déchets (cartons, papiers ou plastiques) et
risque de compromettre le contenu de leurs camions. La sanction
financière est importante : il est à noter que le coût du
ramassage des déchets est différent selon leur nature, ainsi les
déchets recyclables seront facturés moins chers que les ordures
ordinaires qui sont incinérées. Ce mécanisme a pour but
d'orienter les entreprises vers la valorisation de leurs déchets et une
limitation de la pollution en CO2. Dans tous les cas de figure, la facture est
établie selon le nombre de bacs et non selon le poids exact de
déchets évacués.
L'examen détaillé du trajet d'un bac de
déchets par AREP démontre qu'aucune vérification, ni
aucune coordination n'ont été mises en place par la gare pour
s'assurer d'un résultat efficace et satisfaisant pour les parties.
L'unité gare ne disposant d'aucun élément
pour mesurer et connaître la nature et le volume des déchets
produits en gare de Massy TGV était voué à supporter les
pénalités financières. Il lui était impossible
d'apporter des arguments pour contester la surfacturation des prestataires en
charge du ramassage des déchets.
69
4.2 L'élaboration d'une réflexion
Afin de réduire les dysfonctionnements, quelles
solutions proposées par les outils de gestion traditionnels auraient pu
être mises en place ?
Le plus évident aurait été de
développer les contrôles. Pour ce faire, le recrutement de
personnel encadrant aurait été nécessaire, ce qui aurait
engendré des coûts très importants de surveillances
supplémentaires.
Une autre solution aurait pu consister à recourir
à un tiers de confiance : un audit extérieur pour évaluer
la fiabilité du travail effectué (jour et heure de sortie des
conteneurs).
Il aurait été envisageable également de
commander une étude à un expert pour définir
précisément le volume des déchets et leur nature. Dans le
meilleur des cas, les économies réalisées par la
suppression des amendes et par une réduction du montant des factures
d'enlèvement des déchets (factures au réel et non plus au
forfait) auraient été absorbées par une augmentation des
coûts de contrôle et de réorganisation. Ces solutions
n'auraient sans doute pas apporté d'amélioration de la
performance de l'entreprise. De plus, il s'agit de mesures coercitives qui ne
sont pas le meilleur moyen de motiver les différents intervenants pour
résoudre un dysfonctionnement.
Une autre hypothèse pourrait apparaître comme
facilement réalisable. Au sein de sa structure, la gare aurait pu mettre
en place un système de pesée afin de vérifier que le poids
des déchets transmis correspondait bien à celui que le
prestataire facturait. Se poserait alors le problème de la transparence
de l'information.
En effet, pourquoi le prestataire accepterait-il
d'établir sa facture sur la base d'une information fournie par le client
sans autre élément de preuve ? Toute transaction reposant sur la
confiance, il faut donc que celle-ci soit recréée. Tant que le
risque de contentieux lié à l'asymétrie d'information est
élevé, le prestataire craindra pour son chiffre d'affaires. Seul
le recours à un tiers de confiance tel un avocat ou tout
intermédiaire reconnu comme « neutre » sera rendu
nécessaire afin de réduire les différends entre les
parties. Mais là encore, l'économie liée à la
réduction du montant des factures aurait, au mieux, été
absorbée par les frais de production d'éléments
justificatifs.
La réaction la plus évidente des services
financiers a été de proposer ces deux solutions visant à
renforcer les contrôles. La première, qui nécessite le
recrutement d'encadrants qualifiés
70
et / ou d'experts onéreux ne se justifiait pas sur le
plan économique. La seconde, en apportant certes une information
tangible (le poids des déchets), n'était considérée
comme fiable que par l'une des parties et jugée contestable par l'autre.
Or la défiance est un élément incompatible avec la bonne
réalisation d'une transaction. Ces options n'ont donc pas permis de
déboucher sur un processus satisfaisant d'amélioration des
difficultés rencontrées à la gare de Massy TGV. Dès
lors, de nouvelles approches sont recherchées par AREP.
Au cours d'un concours d'innovation interne dans le cadre d'un
« design thinking » (ou design créatif, concept
créé par Rolf Faste, désigner américain à la
fin des années 80), les collaborateurs de différents horizons
d'AREP se sont intéressés à la problématique des
déchets et de la complexité de leur gestion dans une gare.
L'objectif du « design thinking » est de faire
réfléchir une petite équipe constituée de membres
aux origines diverses, cassant ainsi les préjugés afin
d'émettre des idées novatrices. Il faut ensuite les tester pour
arriver, de proche en proche, mais sans rien s'interdire, à
l'émergence d'un nouveau concept.
Quelles sont les origines des dysfonctionnements constatés
? Quels écueils faut-il surmonter ?
AREP a testé plusieurs idées peu contraignantes
dans le but de renouer les maillons de la chaîne de tri. La logique de
l'expérience est de « générer et faire circuler
l'information pour une amélioration quantitative ». Il faut
être sur tous les fronts et mener la réflexion avec les clients,
les employés d'entretien, le personnel de la gare et les entreprises de
collecte.
A destination des clients : une
signalétique correspondant aux trois couleurs des bacs et visible
dès l'accès à la gare, style kakémono (affiche
plastifiée suspendue à des portants) a été mise en
place. En cas de doute le client peut même envoyer un message via le
canal Slack afin de faire le bon choix de poubelle. Slack est une plate-forme
de communication collaborative permettant d'échanger des messages et des
documents. Elle est organisée en canaux, chacun étant
dédié à un sujet spécifique, un projet ou une
équipe. Ces échanges ont apporté des solutions
ponctuelles. Mais, par exemple, la question récurrente relative à
la caractérisation des gobelets de café est restée sans
réponse satisfaisante. Or leur nombre est conséquent comme dans
toute gare, et ceux-ci, trop souvent jetés à tort dans les
poubelles jaunes au lieu du bac ordures ménagères, invalident la
qualité du tri.
71
A destination des employés : Afin de
dépasser la barrière de la langue et de les informer très
précisément de l'instauration de nouvelles pratiques, un
système de code couleurs associé à chaque nature de
déchets est créé. Un code QR (type de code-barres plus
sophistiqué composé de carrés noirs sur un fond
blanc94) est installé sur chaque bac qu'ils doivent flasher
à l'aide de leur smartphone à chaque sortie.
Parallèlement, l'utilisation d'un semainier en liaison avec le code
couleur des bacs permet aisément d'associer la couleur du bac avec son
jour de sortie.
A destination des prestataires : Le code QR
est également scanné par la société de ramassage
indiquant ainsi qu'elle a bien collecté les déchets et à
quel moment.
A ce stade, AREP constate que le premier maillon
composé des agents de terrain fonctionne de manière fiable et
qu'une bonne collaboration s'est installée. L'utilisation des
smartphones au quotidien a permis de contourner les difficultés de lire
les textes en français. Ces agents apparaissent désormais comme
des partenaires clés qui apportent des idées
d'amélioration. Le déploiement des outils de connexion simples
d'accès et peu onéreux sur les bacs permet rapidement d'avoir des
informations transmissibles en temps réel.
En effet, des capteurs beacons bluetooth (balises sans
contact) dédiés à la logistique, ont été
installés sur les bacs. Ces boîtiers d'un coût relativement
modeste (inférieur à 50 €) sont peu énergivores ; ils
émettent à intervalle régulier des signaux qui sont alors
transmis aux smartphones. La fiabilité de ce système est quasi
assurée, alors que l'enregistrement manuel par flash des codes QR
était susceptible d'erreur (oubli, doublon). Le risque d'une balise
défectueuse est très faible. Les agents disposent ainsi
d'informations sur la localisation de la poubelle. Il devient désormais
possible de connaître en temps réel et à tout moment
où se trouve un bac et à fortiori de savoir s'il se trouve
à l'endroit approprié.
Simultanément, la pesée manuelle des
déchets sera désormais remplacée par un dispositif de
pesée automatique au sol sur le passage des bacs.
On peut considérer que le cheminement d'un bac de son
lieu de stockage à son lieu de ramassage est désormais
connecté.
En revanche, la dernière phase du trajet des bacs au
moment de leur ramassage est encore problématique. Les
différences entre les quantités facturées et celles
réellement produites sont encore trop importantes : il reste encore des
passages à vide des camions qui sont facturés.
94 Exemple de Code QR :
Mais le bilan de ces prototypes permet de disposer de
données nouvelles en temps réel qui permettront de réduire
le montant des factures tout en améliorant le bilan environnemental.
AREP s'est alors attaché à résoudre les
deux questions liées à la surfacturation des déchets. La
première cause est due à l'absence de leur pesée. Le
prestataire établit sa facture sur la base d'un prix forfaitaire par
nombre de bacs. AREP a commencé par peser manuellement les
déchets pendant une semaine et a constaté sur le terrain qu'il
existait un écart important entre le poids des sacs pesés et le
poids forfaire facturé. Ponctuellement, au vu de cette information, le
prestataire a accepté de réajuster le prix des factures en
éditant un avoir qui s'élève à 2 000 euros pour un
mois.
La seconde origine de la surfacturation est l'absence de tri
des déchets ; après une semaine de manipulation de sacs pour la
pesée, AREP a visuellement constaté que la majorité des
déchets sont recyclables, ce qui représente entre 60 et 120 kilos
par jour. Cette catégorie recyclable sera source dans le futur d'une
facturation revue à la baisse.
Un autre point positif notable est que l'ensemble des
intervenants (employés, commerçants et personnel de gare) ont
été largement associés et informés de ce nouveau
dispositif dans le but de réduire l'asymétrie d'information et de
rétablir la confiance sur l'ensemble de la chaîne. Chacun a pris
connaissance et partagé les mêmes consignes.
De cette concertation, il apparaît que le
différend entre les acteurs ne provenait pas du non-respect des
consignes ou d'une mauvaise interprétation de ces dernières.
Certains bacs sont pleins avant leur heure de sortie, il devient par
conséquent impossible de respecter la consigne de sortir les poubelles
pleines tout en se conformant au semainier.
Cette démarche a permis de mettre en lumière
l'inopérabilité des directives avec le quotidien de la gare.
L'intérêt des agents étant divergent dès l'origine,
un bon fonctionnement était largement compromis
AREP ne peut que constater que ces tests concernant le
désengorgement des trottoirs, la fin des amendes et la reconnexion avec
les camions de ramassage, montrent que ces objectifs n'ont été
qu'en partie atteints et cela grâce à un investissement humain
conséquent. Ce type de fonctionnement n'a de sens que pendant une courte
période de test, mais maintenu sur le long terme elle serait beaucoup
trop consommatrice de temps et de ressources.
72
AREP se pose alors la question de la cohérence des
consignes.
73
L'origine du problème vient vraisemblablement des
contrats passés. La fréquence de passage était devenue
inadaptée à l'activité réelle de la gare ; la
quantité de déchets était estimée trop
approximativement et leur nature n'était pas valorisée. A ce
stade de sa réflexion, AREP s'intéresse à l'examen des
contrats passés avec chaque prestataire.
L'objectif est de recréer une adéquation entre
les termes de nouveaux contrats et des nouvelles réalités de la
gare de Massy TGV. Le concept de tri étant devenu la priorité de
la gestion des déchets, celui-ci doit apparaître comme tel dans le
contrat à rédiger.
S'agissant des activités soumises aux aléas des
mouvements humains (vacances, grèves, météorologie...),
les termes des contrats doivent aussi garantir une certaine souplesse et une
grande réactivité.
Un nouveau paramètre à prendre en compte est
l'application d'une législation récente, innovante et en
évolution permanente qui nécessite de toute évidence des
ajustements très fréquents dans les termes des contrats.
Les champs du tri et de la valorisation des déchets ont
fait l'objet de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015. Des orientations
et des recommandations étaient clairement éditées à
l'attention des entreprises. Désormais, un décret n°
2016-288 du 10 mars 2016 vient rendre obligatoire, à partir du
1er juillet 2016, le tri à la source et la valorisation de 5
flux de déchets pour toutes les entreprises productrices ou
détentrices de déchets. L'obligation porte sur le papier /
carton, le métal, le plastique, le verre et le bois. La finalité
de cette réglementation est de toujours réduire plus la
consommation de nouvelle matière première et l'émission de
CO2 en renforçant le recyclage des déchets.
La réalisation de ce tri se voit
matérialisée par la délivrance, par le prestataire
chargé de la collecte, d'une attestation annuelle justifiant les
quantités exprimées en tonnes, la nature des déchets et
leur destination finale. La SNCF est dans l'obligation de se doter des moyens
et de l'organisation pour s'y conformer dans un délai très
contraint.
Et si le big data, traitement de données massives et
complexes, pouvait contribuer à l'émergence de nouvelles
solutions ? Une des pistes de réflexion mène à
l'utilisation offerte par une nouvelle technologie : la Blockchain.
74
4.3 La solution disruptive : la mise en place de la
Blockchain : enregistrement de données et création de smart
contract sur Ethereum
Le premier travail mené par AREP a abouti à
l'identification de l'une des origines des dysfonctionnements et à la
proposition de solutions ponctuelles, mais pas encore à la
création d'outil lui permettant de stocker, utiliser et partager les
données qu'il s'est efforcé de fiabiliser.
Il existe différentes sortes de systèmes
blockchain, le plus connu étant celui de la crypto-monnaie Bitcoin. Il
serait bien trop réducteur de limiter l'intérêt de la
blockchain à cette seule utilisation. Elle possède d'autres
fonctions qui peuvent être utiles au développement d'une
entreprise.
En effet, quel que soit la Blockchain utilisée, elles
ont en commun d'avoir la fonctionnalité d'un grand registre
distribué dans lequel s'inscrivent toutes les transactions afin qu'elles
deviennent accessibles à tous les acteurs en temps réel, sans
lieu de stockage unique.
On lui attribue généralement trois fonctions qui
peuvent être mises en oeuvre simultanément ou non : une fonction
de paiement, une fonction de registre des transactions, et une fonction
d'instructions automatisées. Dans ce dernier volet, le mécanisme
permet d'édicter automatiquement un contrat adapté à la
transaction passée par un des acteurs du système, on parle alors
de : « smart contract ».
Le smart contract - contrat intelligent - est un
programme informatique mettant en application un contrat traditionnel (non
numérique). Il exécute ainsi automatiquement les clauses du
contrat dès que les conditions ont été réunies. Le
code est autonome, les parties prenantes (humaines) n'ont plus à
interagir et ne peuvent pas interférer dans son déclenchement. Ce
code informatique permet l'exécution automatique sur un réseau
décentralisé (de pair à pair) d'un ensemble de
décisions et d'actions encodées en amont de l'exécution
dudit contrat. Ces nouveaux processus appliqués à la gouvernance
des entreprises instaureront une plus grande réactivité tout en
utilisant des données fiables et sécurisées sans
l'intervention ou le contrôle d'un tiers.
Autrement dit, la technologie blockchain offrira la
possibilité à différents opérateurs de
réaliser des transactions prévues en enregistrant leurs actions
dans un système électronique programmé pour
sécuriser l'ensemble des opérations en question.
75
AREP a cherché sur quel protocole blockchain il pouvait
s'appuyer pour enregistrer et traiter les informations transmises d'abord par
le procédé QR code puis remplacé par les beacons
bluetooth.
Deux options étaient possibles, soit une blockchain
publique soit privée.
Dans une blockchain publique ou blockchain « originale
», tous les noeuds (capacité de calcul, exemple : un ordinateur)
qui constituent le réseau, s'auto-contrôlent (réseau peer
to peer, « d'égal à égal). Il n'y a pas de
barrière à l'entrée, tout le monde peut lire l'ensemble
les transactions et y ajouter les siennes. Les modifications des règles
de fonctionnement ne sont possibles que si la majorité des participants
y est favorable. Tous les acteurs, qui peuvent rester anonymes,
détiennent les mêmes droits et peuvent participer à la
validation des transactions (minage : proof of work ou forgeage : proof of
stake) ; c'est notamment le cas pour la blockchain Bitcoin et Ethereum.
A l'inverse, une blockchain privée s'exécute sur
un réseau privé sur lequel une autorité centrale
crée et modifie les règles à suivre sans avoir besoin du
consentement des autres participants. Pour rejoindre cette blockchain, il faut
au préalable s'identifier et y avoir été autorisé
par l'organe décisionnel. Les droits des membres sont définis et
restreints. A titre d'exemple on peut citer le consortium R3 réunissant
les plus grands établissements financiers internationaux (Goldman Sachs,
JP Morgan, BNP Paribas...).
Compte tenu de la taille du projet (une seule gare), AREP
n'avait aucun intérêt à développer une blockchain
privée qui aurait nécessité un coût de
développement important. La blockchain publique permet une plus grande
souplesse dans la gestion des partenaires, il est inutile de gérer les
droits d'entrées et de sorties de chacun lors d'un changement de
prestataires. De plus l'aspect partage de l'accès aux données est
une fonctionnalité déterminante. La blockchain restaure la
confiance entre les partenaires en leur permettant de lire les mêmes
informations en temps réel, réalisant ainsi un partage
équilibré de l'information.
AREP choisit Ethereum qui a pour crypto monnaie l'Ether. Cette
blockchain est récente, elle a été fondée en 2014
par Vitalik Buterin95. Du point de vue de la performance
technique96, Ethereum est supérieur à Bitcoin. Il
propose des tailles de blocs (les transactions sont
95 Vitalik Buterin : programmeur canadien d'origine russe,
co-fondateur d'Ethereum.
96 Crypto-France (2016), Ethereum-vs-Bitcoin : quelles
différences entre ces deux technologies ?, consulté le 15 janvier
2018.
76
enregistrées sont regroupées dans un bloc) plus
importantes (aucune limite pour Ethereum contre 1 MB pour Bitcoin) et des temps
de minage plus courts (14 secondes pour Ethereum contre 10 minutes pour
Bitcoin).
Mais la principale différence d'Ethereum ne
réside pas que dans sa performance technique. Aux fonctions de la
technologie la plus connue qui assure le fonctionnement du Bitcoin, cette
blockchain permet non seulement de certifier, horodater et sécuriser des
transactions mais aussi de structurer des échanges.
La première fonction de cette blockchain testée
par AREP fut l'horodatage afin d'enregistrer les heures et les jours de sorties
des bacs. Ce test permettait de compiler toutes les données de
mouvements des bacs et de s'assurer qu'ils étaient bien vidés.
Ethereum prouve par conséquent qu'elle dispose de tous les
mécanismes nécessaires à la logistique de flux et dans
notre cas à la gestion de chaîne des déchets : de la
collecte au ramassage jusqu'à son recyclage ou à son
incinération, en supprimant les intermédiaires et dans un avenir
proche en s'adaptant à l'accroissement des flux spécifiques des
déchets.
Ayant compris qu'Ethereum n'est pas dédiée
uniquement à la gestion de devises, AREP réfléchit
à son appropriation comme support pour d'autres activités. C'est
vers la faculté de créer un système d'enregistrement
d'actifs et de smart contracts que se focalisent les recherches d'AREP.
L'enregistrement d'actifs est une digitalisation, soit
l'intégration d'un élément physique (exemple : une monnaie
l'Ether) ou d'une action réelle (exemple : un droit de vote pour the
DAO) sur la blockchain. Cet actif dispose des mêmes
caractéristiques qu'un bien commun : une identité et un
propriétaire qui dispose de droits lui permettant de le prêter, le
transférer, le vendre ou le détruire. Il représente
l'unité de base dans la transaction. Dans l'environnement blockchain cet
élément est référencé sous le nom de «
token » (jeton). On peut distinguer deux natures de token
différentes. Il est soit créé par le protocole même
de la blockchain (les crypto monnaies) ou pour les besoins propres à un
programmeur. Ces derniers sont alors utilisables sur une application web
construite en sous-couche qui manipule la blockchain.
Dans notre situation, AREP a recréé
virtuellement des kilos de déchets en langage numérique pour
répondre à sa problématique. Il n'existe pas de limite
à son développement. Ainsi il a été possible
d'attribuer à chaque nature de déchets de la gare un token
spécifique permettant de reproduire la nature des déchets. Il est
ainsi possible d'en créer autant que l'on souhaite, donc autant que l'on
a produit de kilos de déchets.
77
Cette étape représente le pivot de l'avancement
du prototype. Cela ouvre la voie à un système économique
transactionnel entre acheteurs et vendeurs sans intermédiaire.
L'article 1582 du code civil définit le contrat de
vente comme « une convention par laquelle l'un s'oblige à
livrer une chose, et l'autre à la payer »97. Le
token permet de transposer « la chose » dans le registre digital.
Dès lors le smart contract écrit à partir d'une API (une
interface de programmation applicative) va intégrer les données
représentées par le token et être construit autour des
échanges dont il fait l'objet. Lors de la programmation du smart
contract, il sera tenu compte de l'intérêt de chaque partie. Une
fois achevé, le smart contract s'exécutera automatiquement. Il
reste consultable par tous et à tout moment jusqu'à sa
suppression éventuelle. Ethereum propose des modèles de smart
contrats permettant au programmeur de disposer d'un cadre de travail qu'il
adaptera à son schéma propre.
Dans le cas d'AREP, les trajets des kilos de déchets
enregistrés et sécurisés dans la blockchain (sous forme de
token) sont d'abord suivis du local poubelle jusqu'au trottoir. Ces kilos de
déchets sont ensuite transférés via le smart contract vers
le compte du prestataire qui en deviendra le possesseur à la fois en
consultant la blockchain et en réceptionnant son camion.
Le code informatique de ce smart contract est
présenté en annexe A. Si nous ne disposons pas des connaissances
suffisantes pour le décrypter, il est cependant intéressant de se
rendre compte qu'il ne nécessite que peu de lignes de codes (100 lignes)
pour fonctionner, ce qui est peu volumineux pour un programme informatique. Le
coût d'investissement pour rédiger un smart contract est donc
négligeable et ne nécessite pas le déploiement d'un budget
important pour faire appel un prestataire informatique.
Chez AREP le smart contract relatif aux déchets a
été rédigé en une semaine. Cette période
comprend également l'apprentissage de sa manipulation et de son
fonctionnement théorique. Le smart contract étant par nature
autonome, dès que la phase de test est passée avec succès,
il n'occasionne aucune maintenance et donc aucun coût de
fonctionnement.
Les seuls coûts de transaction récurrents sont
les coûts du minage (validation d'un bloc) qui, compte tenu du faible
nombre d'opérations à valider sur ce projet (maximum 5 bacs par
jour), restent marginaux.
97 Article 1582 du code civil.
78
Ici la solution de la blockchain choisie ne nécessite
ni un coût d'entrée élevé, ni une dépense de
fonctionnement important. AREP a réussi la mise en place d'un outil
d'horodatage sécurisé et incorruptible qui enregistre toutes les
transactions ainsi que la mise en place d'une base de données
accessibles facilement par une API. Le contrôle automatique des contrats
avec les prestataires assurera une efficacité, une
réactivité et une fiabilité accrues dans la chaîne
de tri. Sa réorganisation sur la technologie blockchain peu
onéreuse met en évidence les gains de temps et la réussite
du travail collaboratif en respectant les intérêts de chacun.
4.4 Les bénéfices pour l'entreprise
étudiée
Rappelons que le cas qui a fait l'objet de notre étude
est localisé à une gare de moyenne ampleur. Ce site est bien
représentatif de la diversité des échanges et des
interactions qui régissent la chaîne du traitement de
déchets dans ce type d'environnement à taux élevé
de fréquentation.
L'intervention de la filiale de gares et connexions AREP avait
deux objectifs majeurs : un défi opérationnel visant à
structurer la chaîne de tri défaillante et un défi
réglementaire pour respecter les textes toujours plus contraignants dans
le cadre de la loi sur la transition énergétique.
Le premier mois consacré au recensement des
améliorations possibles a débouché sur un traçage
simple du parcours des déchets : de la source de production à
leur enlèvement, grâce à des objets connectés peu
coûteux mais fiables, tel des balises. Cette phase a contribué
à reconnecter les employés d'entretien et les prestataires de
ramassage.
La poursuite du projet s'est avérée plus
ambitieuse : l'appropriation de la technologie innovante de la blockchain. Les
transactions sur Ethereum ont instauré l'utilisation de données
sécurisées. Le fait qu'à chaque transaction corresponde un
smart contract en fait une variable ajustable et une mise à jour en
temps réel de la base de données.
L'instauration d'un système de pesée
connectée enrichit et incrémente aussi la base de données
dans la blockchain d'une information sécurisée sur le poids des
déchets produits.
La transmission de ces éléments fiables non
corruptibles contribuera à réduire les risques de contentieux
potentiels. La numérisation des échanges grâce au token et
la rédaction des smart contract ont constitué une décision
déterminante pour réussir la rationalisation des
opérations. La gare constate rapidement plusieurs avantages en
fonctionnant avec ce nouveau dispositif.
79
Les employés d'entretien se sont vus
intégrés dans le système par l'utilisation d'une API,
simple d'accès, sur leur smartphone. Les managers ont même
souligné un engagement constructif vis-à-vis du projet. Il n'y a
pas eu besoin de prévoir une formation du personnel. Ethereum met
à disposition une application web intuitive disponible sur un smartphone
qui indique les tâches à accomplir et les résultats obtenus
(annexe B).
Désormais connectés, les agents disposent de
consignes intangibles et cohérentes qui donnent un cadre et une
visibilité d'action qu'ils n'ont plus à justifier. Les
déplacements des agents sont de fait optimisés. Ils ont
réduit de 3 km leurs déplacements hebdomadaires. Ils
reçoivent sur leurs smartphones les consignes prévues dans le
smart contract : l'heure à laquelle ils doivent sortir tel type de bacs.
Lors de la manipulation du bac, le capteur beacons bluetooth envoie
l'information du déplacement et de la nouvelle localisation à la
blockchain. Le smart contract confirme, sans qu'il y ait besoin d'augmenter le
contrôle ou de faire appel à un organe extérieur, la bonne
exécution de la consigne. En cas de d'anomalie, l'agent est averti
toujours par son smartphone qu'il est en train de sortir la mauvaise poubelle
ou qu'il a oublié de la sortir. Ce dernier a la possibilité de
justifier qu'il ne sort pas volontairement un bac si un événement
exceptionnel se produit (grève des éboueurs, poubelle vide). Il
n'y a plus besoin de contrôle humain, c'est la blockchain qui joue ce
rôle.
De plus, la vérification de la bonne exécution
est immédiate. L'utilisation du smart contract permet une plus grande
réactivité qui engendre des gains de temps importants en
optimisant l'exécution des opérations. L'ensemble des
intervenants disposent des mêmes informations, renforçant
nécessairement l'autocontrôle et rendant la chaîne de
traitement plus dynamique. Le développement de la couche applicative n'a
nécessité qu'une vingtaine de jours pour être
paramétrée. La blockchain est complètement transparente
pour les utilisateurs, elle n'est qu'un support technologique, dont ils n'ont
finalement pas connaissance.
Sur le plan financier, l'amélioration la plus
évidente est le volume des amendes en nette diminution, du fait de moins
de dépôt de bacs en infraction sur la voie publique. Le
deuxième point, celui des surfacturations, s'est également bien
amélioré par l'ajustement des factures de ramassage
calculées sur le poids réel des déchets et non plus sur
une évaluation.
Enfin, un monitoring permet de lister toutes les
opérations de la journée, ainsi AREP et ses prestataires peuvent
lire à distance toutes les transactions de la journée : la
quantité, la nature et les mouvements des déchets produits. C'est
un élément de contrôle très appréciable,
comparé à « l'état déclaratif »
transmis annuellement de manière unilatérale par le prestataire
de ramassage. Son incidence sera notable pour l'établissement de la
facture dont le montant
80
sera établi en référence à des
éléments chiffrés fiables, non contestables. Cette
transaction, via un smart contract de la blockchain, recrée de la
confiance entre les partenaires.
A ces économies déjà constatées,
s'oppose le reproche majeur fait d'emblée à la technologie
blockchain, à savoir sa consommation énergétique
onéreuse. Cet enjeu est d'importance et constitue un des sujets de
réflexion de notre travail. Notre étude de cas montre que
l'expérience de la gare de Massy TGV, à ce stade de son
développement, n'apporte pas d'éléments de réponse
déterminants à cette interrogation : le nombre trop faible de
transactions quotidiennes n'entraînant pas une consommation
d'énergie quantifiable, rend non signifiant l'appréciation de cet
élément.
Mais on relève dès à présent que
l'utilisation de la blockchain dans le domaine d'activité du tri des
déchets réduit les dépenses d'énergies liées
à son fonctionnement. En effet, les progrès
réalisés en matière de recyclage et de valorisation des
déchets rééquilibrent le bilan énergétique.
La transposition à grande échelle de cette utilisation amplifiera
assurément les gains déjà réalisés.
Dans ce cadre de la réorganisation du fonctionnement
d'une entreprise s'appuyant sur une technologie innovante, notre seconde
interrogation s'est portée sur les conséquences subies par les
vecteurs traditionnels que sont les tiers de confiance.
Dans le périmètre restreint
étudié, l'intervention de ces experts n'était pas
naturelle. La réflexion menée par AREP a été
menée à bien en développant et en articulant plusieurs
procédés offerts par l'utilisation des smart contracts de la
technologie blockchain. Les qualités de sécurité et de
fiabilité d'exécution ont été construites et mises
en oeuvre sans le recours d'un tiers de confiance. De même, les fonctions
de transparence et d'accessibilité ont su restaurer la confiance entre
les parties et réduire les coûts de contentieux.
Certes, notre étude n'a pas montré de
suppression de ces intermédiaires, mais à chaque étape de
la réorganisation, elle a mis néanmoins en évidence la
réussite du projet sans que leur intervention ne soit requise. La
conclusion bénéfique pour les entreprises est la réduction
des coûts de transactions.
Un intérêt supplémentaire de cette forme
de réorganisation est que le déploiement de cette technologie est
envisageable à l'échelle d'une gare plus grande, avec des
intervenants plus nombreux générant des transactions plus denses,
sans remettre en cause le bon fonctionnement des smart contracts. Ce nouveau
savoir-faire apportera également une nouvelle offre de service aux
concédés qui passaient individuellement un contrat avec un
81
prestataire ; la gare sera désormais à
même de reprendre la gestion de l'intégralité des contrats
de déchets sur son site. L'adaptabilité des smart contracts
servira à l'ajout de maillons supplémentaires dans le
réseau. Ainsi l'industrie du déchet pour répondre à
un développement croissant des attentes pourra s'appuyer sur cette
faculté pour intégrer aisément des filières d'un
type nouveau, comme celle des bio déchets dès 2025 ou celle de la
réorganisation totale de celle des plastiques tous rendus recyclables en
2030, tel que le prévoit la Commission européenne.
82
CONCLUSION
Le choix de notre sujet de mémoire a été
guidé à la fois par la curiosité et la volonté de
découvrir l'histoire d'une nouvelle technologie. La blockchain
n'a encore fait l'objet que de peu de recherches. Ces dernières portent
principalement sur l'aspect technique de l'informatique ou de la cryptographie,
ou sur l'aspect monétaire du bitcoin. Notre approche a été
celle des liens économiques avec l'entreprise, des incertitudes et des
risques inhérents, mais aussi des apports à la croissance de la
valeur de celle-ci.
Les nouveaux outils mis à la disposition des dirigeants
par l'intermédiaire des smart contracts représentent une vague
d'innovation de grande amplitude qui est à même de bouleverser les
échanges internationaux. Les sociétés qui commencent
à se les approprier ont pour objectifs de s'engager dans une refonte des
rouages à la fois de leur organisation et aussi de leurs relations avec
leurs fournisseurs et clients.
La société de consommation du
XXIème siècle a développé des exigences
de sécurité, de transparence et de traçabilité
envers l'ensemble des produits à sa disposition.
Pour preuve, entre 2016 et 2017, plusieurs secteurs majeurs de
l'économie internationale (l'agroalimentaire, les transports maritimes)
ont porté une attention grandissante à cette technologie
innovante. Des sociétés comme Walmart aux USA, Alibaba en Chine,
ou Carrefour en France mettent, en place des blockchains pour créer des
chaînes logistiques numériques.
Bien sûr ces entrepreneurs savent qu'en intégrant
ces nouveaux processus ils ne règleront pas toutes leurs
difficultés. Il est toutefois incontestable que le suivi en temps
réel, grâce à des capteurs électroniques fiables,
réduira les fraudes, la contrefaçon et les « disparitions
» de palettes ou de conteneurs. L'historique de leurs parcours, inscrit
sur la blockchain, codé, horodaté et infalsifiable, facilitera la
détection de l'incident qui retarde voire invalide une livraison. Les
données sont consultables par l'ensemble des parties concernées
par la transaction. La réactivité, qui sera d'autant plus rapide,
permettra de trouver des solutions moins coûteuses et plus
appropriées que si un long délai s'était
écoulé, en réponse à des aléas climatiques,
une rupture de chaîne du froid et un ralentissement sur le temps de
parcours.
Les premiers résultats tangibles de l'utilisation de la
technologie apparaissent dans la diminution des frais de fonctionnement, la
réduction des délais, les recours aux tiers de confiance moins
fréquents.
83
Les apports de blockchain paraissent prometteurs dans les
secteurs de la supply chain (logistique de l'approvisionnement). En
particulier, le secteur du transport maritime des conteneurs est actuellement
soumis à une très fréquente et nombreuse production de
documentation pour justifier l'origine, le trajet et la destination finale des
marchandises. Le port de Rotterdam (source Blockchain France) a commencé
à tester l'utilisation de la blockchain pour simplifier et
sécuriser son organisation. Ce projet d'envergure a pour champ
d'expérimentation les parcours des bateaux qui doivent faire subir
à leur cargaison en moyenne 30 contrôles avec visa sur support
papier. La rationalisation et la numérisation des données va de
toute évidence simplifier ces contrôles en les automatisant. Le
coût de traitement et d'administration représentant
1/5ème des coûts de fret maritime, à terme, ce
sont des économies de plusieurs milliards qui sont attendues.
Compte tenu du poids économique et de l'implication
d'entreprises de niveau international, il sera particulièrement
intéressant que des études soient menées pour analyser les
résultats et les conséquences de ces bouleversements dans le
commerce maritime.
Après quelques années de pratique, les
procédures vont sans doute se perfectionner et se diversifier et seront
utiles alors à ces établissements précurseurs pour se
différencier de leurs concurrents.
Certes, l'enjeu commun à la création de ces
blockchains est d'instaurer ou de renouer la confiance entre les partenaires.
La qualité et l'authenticité de leurs produits et la
fiabilité de leurs services feront d'autant plus partie de leur image
qu'elles la valoriseront. La start-up Everledger utilise la blockchain en
rendant possible le suivi d'un diamant de son extraction à sa ou ses
vente(s) successive(s) en inscrivant ces données de manière
incorruptible dans le registre crypté et décentralisé.
Cette particularité diminue le risque de fraude par rapport à des
certifications papiers (modifiables) en dépôt chez un seul
détenteur, tiers de confiance (faillible). Elle développe pour
ses clients diamantaires des critères d'expertise augmentant la
qualité de ses services par rapport à celles de ses
concurrents.
En conclusion, nous reprenons les interrogations de Patrick
Waelbroeck, professeur à Télécom ParisTech,
publiées en août 2017, dans le cahier de veille de la Fondation
Mines-Télécom. « De par sa nature
décentralisée, la technologie blockchain nourrit les espoirs de
forger une confiance robuste entre les acteurs économiques. Mais bien
qu'elle présente des atouts uniques, elle n'est pas non plus parfaite.
Comme pour toute technologie, le facteur humain est à prendre en compte.
À lui seul, il justifie de considérer avec
précaution
le plébiscite formulé à
l'égard de la blockchain, et de rester vigilant sur les arbitrages
effectués par les communautés de décideurs
»98.
Bien loin d'être uniquement techniques, les enjeux de la
blockchain ont trait à la gouvernance et à la définition
même des solutions qui permettront de répondre à la
question de confiance dans les interactions humaines. Certes, mais il faudra
qu'elle tienne aussi sa promesse la plus ambitieuse, celle d'être un
outil de relation d'égal à égal au service de tous.
84
98 Waelbroeck, P. (2017), Les enjeux économiques de la
blockchain, Réalités Industrielles, Annales des Mines,
août.
85
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Yin, R.K. (1984), Case study research, design and
method, London, Sage publications.
ANNEXES
89
A. Smart contract
90
Source :
https://github.com/etienneburdet/simple/blob/master/imports/ui/wastes/addWaste.js
91
B. Interface de programmation applicative (API) sur un
smartphone
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