Section 2 : Coutume kongo et conception de la terre
L'histoire de la coutume kongo remonte au royaume kongo qui
regroupait les populations qu'on retrouve aujourd'hui dans le Kongo central,
l'Angola, dans la partie sud de la République du Congo et dans le Sud du
Gabon jusqu'au Cap Lopez. La première difficulté à
laquelle on est confronté, c'est celle de l'origine des Bakongos. A ce
sujet, selon le professeur MBUAKI NSOKILA deux thèses s'affrontent :
La première, dit-il, fait venir les Bakongos de l'Est
de l'autre côté de Kwango, de la seigneurie de kongo d'Ambuila.
Ils auraient conquis le puissant royaume (qu'ils appelleront royaume du kongo)
dont les habitants naturels étaient des Ambundu. Cette thèse
s'écoulerait des témoignages recueillis par Cadornega et Paioa
Manso au XVIème siècle.47
La deuxième est celle de Monseigneur J. CUVILLIER qui
parle des conquérants Bakongo qui seraient venus de la rive nord du
fleuve Congo, d'un Etat appelé wungu. Cuvillier s'est appuyé sur
« l'histoire do reino do Congo » d'A. FELNER, écrite
en 1620.
Par ailleurs, dater la fondation du royaume kongo au XIII
siècle n'est qu'une supposition. En réalité, il est
difficile de déterminer l'époque de la fondation de ce royaume.
Vu le degré de l'évolution atteint à l'arrivée des
explorateurs portugais au XVème siècle, on peut penser
que sa fondation datait de plusieurs siècles.
La grande innovation de la conquête de Bakongo est le
groupement de multiples petits royaumes en un grand Etat centralisé
gouverné par un monarque suprême résidant dans une
capitale.48
46 BOMPAKA NKEYI, op.cit, p. 51
47 KAMUNFUEKETE LUVEMBU, Cours d'histoire et culture Kongo,
Université kongo, Faculté de droit, deuxième graduat, 2016
- 2017, pp. 9 -10, inédit
48 Idem
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La société kongo est « l'ensemble des
populations (autochtones) qui habitent l'Ouest de l'Afrique centrale, au Nord
et au Sud de l'embouchure du fleuve Mwanza alias Nzadi Kongo. Ces populations
formaient un royaume avant la colonisation occidentale mais aujourd'hui elles
se sont désintégrées en plusieurs Etats nations.
Néanmoins, même si elles ne sont plus soumises à un
même pouvoir politique, elles continuent à appartenir à une
même ethnie.
L'identité de ce peuple se traduit par sa langue, son
histoire, son système
familial et ses ethnonymes. On distingue, au sein du peuple
kongo, des particularismes ethnonymes, c'est-à-dire il y a des noms
locaux par lesquels on désigne les populations appartenant à
l'ethnie kongo. On les assimile à des tribus : ndibu, woyo, yombe,
mboma, vili, lari, lemfu, ntandu, mbata, zombo. Mais les mêmes familles
(kanda, mvila) se retrouvent chez les uns et chez les autres sous des noms
identiques ou homologues. Une précision s'impose à propos de
« Mvila » qui désigne la famille à l'échelon
national, c'est-à-dire dans tout le pays kongo et le « kanda »
c'est la famille au niveau local. 49
§1. Appartenance à une parentèle
Le droit romain distinguait la « familia »
comprenant uniquement les personnes habitant sous le même toit,
(époux, enfant et serviteurs) et des gens (gens) beaucoup plus vaste
comprenant les descendants par mâle d'un ancêtre commun (Pater
familias).50 Ce dernier disposait d'un pouvoir absolu tant sur les
membres que les patrimoines de la famille.
Cependant, l'organisation sociale des sociétés
traditionnelles congolaises reposait sur un groupe très fort de
parenté, le lignage en était l'élément constituant.
Le lignage est donc la fondation d'un vaste groupe social appelé clan.
Et le système des liens entre les clans constitue à son tour la
tribu qui regroupe des personnes appartenant à différentes
lignées, mais qui parlent la même langue et qui ont la même
tradition.51
A. Structure de la famille
Il sied de noter que dans la société
traditionnelle congolaise, on ne peut pas parler de l'individu sans le situer
au préalable dans une structure familiale patrilinéaire ou
matrilinéaire. Bref, pas d'individualisme.
49 KAMUFUEKETE LUVEMBU, op.cit, p. 38
50 Pater familias : mot latin signifiant père de
famille.
51 Toussaint KWAMBAMBA BALA, op.cit., p. 17
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Le mariage crée la famille.52Il constitue la
source de la parenté, engendre les droits et les obligations à
l'égard des membres la famille, se présente sous diverses formes
: le foyer, la parentèle et le clan.53
1. Foyer
C'est une famille restreinte, une famille nucléaire ou
atomique, composée du père, de la mère et de leurs enfants
mineurs. Dans le foyer, le rôle de chaque membre est
déterminé en fonction du système patriarcal ou matriarcal
: (patriarcat, matriarcat), mais le rôle prépondérant
revient au chef du foyer qui est le père et dans le cas exceptionnel
l'oncle. Le mari qui est le chef du foyer doit protection à sa femme et
ses enfants, il gère les biens du foyer et assure son entretien. Cette
disposition du droit coutumier congolais a inspiré le législateur
du code de la famille en plaçant l'homme à la tête de la
gestion des biens quel que soit le régime matrimonial choisi par les
époux lors de la célébration du mariage. 54
2. Parentèle
Ce mot est synonyme du mot famille au sens large. En effet, il
y a plusieurs définitions qu'on peut donner à la famille
traditionnelle africaine. On peut la définir comme étant un
groupe domestique plus étendu, spécialisé,
hiérarchique ; mais c'est aussi un groupe social de parent lié
entre eux par la communauté des nom, culte, sang, etc. ainsi, donc les
membres de la famille, les parents par le sang ou par alliance, ont les uns
vis-à-vis des autres des droits et des obligations qui consistent au
respect mutuel, aux entraides, aux prestations économiques et
alimentaires.55
L'univers social kongo est une immense parenté
axée sur le kanda.56 Celui-ci comprend six classes :
- Ndonga i bangudi (la classe des mères) ;
- Ndonga i bangudizinkasi (la classe des oncles maternels) ;
- Ndonga i banabankasi (la classe des neveux et nièces
par la mère) ;
- Ndonga i bampangi (la classe des frères et soeurs,
cousins et cousines par les mères) ;
- Ndonga i bankaka (les grands-mères et les grands
oncles maternels) ;
- Ndonga i batekolo (les petits-fils et les petites-filles
par les femmes)
52 Article 349 du code de la famille
53 Toussaint KWAMBAMBA BALA, op.cit., p. 18
54 Article 444 du code la famille : le mari est le chef du
ménage
55 Toussaint KWAMBAMAB, op.cit. , p. 18
56 Kanda mot kikongo signifie famille
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HOMME FEMME
Tout membre de lignage est, à l'intérieur de ce
lignage, un allié, a principalement de quatre lignages :
- Celui de son père (ki-tata ou ki-se) ;
- Celui de sa femme/ son mari : ki-nzadi (beaux-frères et
belles soeurs) et le
kizitu (beaux-parents) ;
- Celui du père de son père : ki-nkala ;
- Celui du père de sa mère : ki-nkaka.
A chaque évènement, cinq lignages sont toujours
en joie : son propre lignage et les quatre autres dont on est un allié.
Parmi ces lignages alliés, les plus importants sont les deux premiers
(père et femme).
Le cercle de parenté chez les Bakongo est donc immense
et bien organisé. Le clan constitue le modèle de la
société globale. Mais il n'est qu'un des éléments
essentiels du système social kongo, les autres éléments
sont le sol et les ancêtres.
En effet, le kanda et la terre qu'il occupe constituent une
chose indivise placée sous la domination des ancêtres
(bakulu)57. Ce sont les bakulu qui ont conquis le domaine du clan,
ses forêts, ses rivières, ses étangs et ses sources ; ils
ont été enterrés dans leur propriété (...)
les membres du clan qui vivent sous le soleil, peuvent cultiver, faire la
cueillette, chasser, pêcher ; ils ont l'usufruit du domaine ancestral ;
mais ce sont les morts, qui en gardent la propriété.
3. Clan
C'est l'ensemble de tous les descendants par la filiation
maternelle ou paternelle d'un ancêtre commun et qui porte le nom de la
collectivité ; il comprend tous les membres de deux sexes : les vivants
et les morts qui ont reçu le sang de l'ancêtre. Les membres du
clan tiennent leur parenté de l'ancêtre éponyme dont la
descendance est symbolisée par la communauté des totems,
véhiculé par le sang. La parenté est fondée sur le
lien de consanguinité bien déterminé, elle se transmet par
la
57 Bakulu : mot kikongo signifiant les ancêtres
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filiation utérine ou féminine. L'enfant
appartient au clan du père (système patriarcal) ; au clan de la
mère (système matriarcal). Le clan est une société
naturelle de secours mutuel dont les membres sont tenus de
s'entraider.58 En droit coutumier congolais, l'individu a à
la fois la capacité juridique de jouissance et d'exercice, mais en
pratique, l'exercice de sa capacité est parfois limité. Par
exemple : l'acquisition, l'aliénation de la propriété
immobilière ou foncière, les gros bétails, les grandes
récoltes, les droits de la chasse collective ; tout cela est
dévolu au pater familias (chef de famille) et
l'intéressé ne peut s'intéresser que des affaires minimes
et domestiques.59
A ce propos A. SOHIER relève que
généralement les tributs congolaises se divisent en patriarcales
et matriarcales : procédé d'exposition utile, mais abus des
termes employés : Il n'y a pas au Congo de sociétés
matriarcales, c'est-à-dire de sociétés où
l'autorité serait généralement et normalement
exercée par les femmes ; on rencontre des femmes à la tête
de chefferies, de clans ou de familles, mais à titre extraordinaire, par
la suite de l'absence de mâles réunissant les conditions
voulues.60
Mais selon que les groupes, la parenté s'établit
par les hommes ou par les femmes : la succession va de père en fils ou
de père à neveu utérin ; la parenté est «
patrilinéaire » ou « matrilinéaire ». L'homme
appartient ainsi, tantôt à la famille de son père,
tantôt à celle de sa mère.
Il convient de signaler que dans la coutume locale du Kongo
Central, l'enfant appartient au clan de sa mère comme l'a d'ailleurs
réaffirmé à mainte reprise les cours et
tribunaux.61 Le peuple mukongo étant matrilinéaire, il
est normal qu'un enfant jouisse des biens de son père sans pourtant en
disposer.62
Les décisions judiciaires ci- après poursuivent
le même élan : d'après la coutume mukongo du Bas- Congo,
une personne ne peut appartenir qu'à un seul clan.63
58 Toussaint KWAMBAMBA BALA, op.cit. , p.40
59 Henri De PAGE et René DEKKERS, Traité
élémentaire de droit civil belge, Tome 9, Les successions,
Bruxelles, éd. Etablissements Emile Bruyant, 1974, p. 10
60 A.SOHIER, Le mariage en droit coutumier Congolais, Bruxelles,
Mém. Inst. Royal Colonial Belge, 1942, p. 20
61 Tribunal de grande instance de Mbanza-Ngungu, R.A.808, 17
octobre 1995 ; Tribunal de grande instance de Mbanza-Ngungu, R.A1142, 29 juin
1999 in Odon NSUMBU KABU, op.cit., p. 16
62 Tribunal de grande instance de Mbanza-Ngungu, R.A434, 22 juin
1988 in Odon NSUMBU KABU, op.cit., p.18
63 Tribunal de grande instance de Mbanza-Ngungu, R.A.1241, 30
janvier 2001, in Odon NSUMBU KABU, op.cit., p. 16 ; Tribunal de grande instance
de Mbanza-Ngungu, R.A.1179, 13 janvier 2006, in Odon NSUMBU KABU, op.cit., p.
17 ; Tribunal de grande instance de Mbanza-Ngungu, R.A. 1179, 13 janvier 2006,
in Odon NSUMBU KABU, op.cit. , p. 18
20
Il faut noter qu'en tradition kongo, la pyramide est
reversée, c'est-à-dire on ne part pas de l'individu au clan mais
du clan à l'individu.
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