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Immunité diplomatique et justice pénale internationale.


par Mohamed OUASSAS
Faculté de droit de Marrakech - Maroc  - Master en Géopolitique et Relations Internationales 2020
  

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2ème Section : L'exercice de la compétence universelle 

Avant d'entamer notre sujet, il convient de distinguer la compétence universelle de celle d'un Etat.

La compétence d'un État signifie que ce dernier peut étendre, dans certaines circonstances reconnues par le droit international, l'application de son droit national à des faits et événements survenant en dehors de son territoire, on parle d'une compétence extraterritoriale.

En effet, l'exercice de cette compétence concerne 3 actes essentiels :

· Commis par des personnes ayant la nationalité de l'État en question.

· Commis contre des ressortissants de l'États en question

· Affectant la sécurité d'un État

En d'autres termes, son exercice suppose l'existence d'un lien de rattachement entre l'acte commis et l'État faisant valoir sa compétence.

A la différence de la compétence extraterritoriale des États, de la compétence des juridictions internationales et de l'entraide judiciaire, la CU est exclusivement exercée au pénal par les juridictions nationales suivant la loi interne36(*). Elle peut aussi se concrétiser dans les textes législatifs nationaux, on parle d'une compétence universelle législative, ou à travers la poursuite et le jugement des prévenus (compétence universelle déclarative). La première est bien plus fréquente dans la pratique des États. Elle constitue une condition nécessaire pour qu'il puisse y avoir enquête et jugement.

1ère sous-section : La pratique de la CU

En effet, le droit international consacre le droit de la liberté des États en matière de choix du système judiciaire. C'est pourquoi ils répriment les infractions conformément à leurs législations pénales établies de manière souveraine.

Cette répression est faite dans le cadre de protéger une valeur à caractère universel dont le respect relève de la responsabilité de l'ensemble des États, comme le rappelle le Statut de la Cour pénale internationale dans son préambule :

« Affirmant que les crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis et que leur répression doit être effectivement assurée par des mesures prises dans le cadre national et par le renforcement de la coopération internationale. (...) Rappelant qu'il est du devoir de chaque Etat de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux ... »

Conformément à la règle « autdedereautjudicare », l'État sur le territoire duquel se trouve l'auteur présumé d'un crime peut soir l'extrader (autdedere), soit engager des poursuites et le juger (autjudicare). S'agissant du fond, le juge ne pourra intervenir que si l'État du for décidait de poursuivre lui-même.

Perçu sous l'angle de la procédure, l'exercice aisé de la CU présuppose l'existence d'un certain nombre d'éléments, à savoir :

· Une convention qui érige le fait en crime et à laquelle l'État du for est partie.

· Une loi d'incorporation du dit traité en droit interne de l'État du for, même s'il est possible qu'un juge puisse appliquer directement un traité ou une coutume internationale à l'absence d'une loi de mise en oeuvre.

· Une juridiction qui est saisie des faits en application de la loi interne.

En conséquence, l'exercice de la CU par les États est appréciable en fonction de leur comportement face à l'incorporation du mécanisme dans leur droit interne, et de la diligence qu'ils accordent aux affaires judiciaires portées devant leurs tribunaux en vertu de cette procédure37(*).

Les conventions qui imposent l'établissement de la CU dans la législation interne des États parties sont majoritaires à ce jour. Cette dynamique se justifie par la détermination des États de combattre une criminalité internationale toujours plus violente, sournoise et sophistiquée38(*).

En général, les conventions à caractère international qui organisent la CU comportent la clause de l'alternative autdedereautjudicare. Cela veut dire que c'est au chef des Etats de réprimer les crimes internationaux de jus cogens axée sur l'obligation de juger ou d'extrader. « Il constitue une des expressions de la nécessité de ne pas laisser impunis les crimes de droit international et de la responsabilité des autorités étatiques d'assurer la répression de tels crimes indépendamment du lieu où ils auraient été commis »39(*) .

L'existence d'une CU est soutenue par la justice de plusieurs Etats :

· L'Allemagne dans son article 7 (3) du Code pénal et les articles 6 à 14 de la Loi du 26 Juin 2002 relative au Code des crimes contre le droit international40(*).

· La Belgique avec la Loi du 16 Juin 1993 relative à la répression des infractions graves aux conventions de Genève de 1949 et aux Protocoles additionnels de 1977. Cette loi a été modifiée par les lois du 10 Février 1999 et du 23 Avril 2003 relatives à la répression des violations graves du DIH.41(*)

· Le Danemark exerce la CU en vertu de l'article 8 de son Code pénal42(*), et a connu les Affaires contre RefikSaric, Nizar al-Khazraji, ancien chef d'état-major des forces armées irakiennes43(*).

· Le Canada organise la CU en vertu de l'article 8 de la Loi concernant le génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre44(*) et visant la mise en oeuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

· L'exercice de la CU aux Etats-Unis est régi par la loi de 1986 « Restatementthird of the foreign Relations law of the United States » dont le paragraphe 443 stipule que :

`'A State Court can exerciseitsjurisdiction to enforce the criminallaws of the State whichpunishuniversal crimes or other non-territorial offenses fallingwithin the competence of the State to prescribe'' traduit en français : `'La Juridiction d'un État peut exercer sa compétence pour faire appliquer les lois pénales de l'État qui punissent les crimes universels ou autres infractions non territoriales relevant de la compétence de l'État à prescrire. `'45(*)

· La Hollande exerce la CU en vertu de l'article 2 de la Loi du 19 juin 2003 sur les crimes internationaux, et sur base de laquelle plusieurs causes ont été jugées par l'autorité judiciaire compétente46(*).

· La France à son tour, a adapté son Code de procédure pénale, notamment les articles 689-1, 689-2, 689-3, en fonction de ses obligations internationales en matière de la CU.

Cependant, certains États disposent d'une loi de CU mais sans référence jurisprudentielle récente pertinente. C'est le cas des Antilles Néerlandaises et Aruba ; de l'Azerbaïdjan en vertu de l'article 13-1 de son code criminel, et du Cameroun47(*).

La procédure de la CU est incontestable à ce jour. Elle est adoptée par plusieurs Etats en vue de poursuivre les violations graves au DIH. Certainement, son exercice n'est pas usuel en raison de la rareté des crises qui en constituent la source. La majorité des affaires pendantes devant les juridictions nationales tournent autour de la Seconde Guerre mondiale, de la crise du Kosovo et de la guerre de Rwanda.

Ainsi, ceci est dû également aux efforts de la communauté internationale à combattre le désastre de la violation des droits de l'homme.

En fait, la CU suppose qu'elle rencontre encore des embuches énormes sur le chemin de la pratique. Cela peut s'expliquer par un constat global à plusieurs côtés :

· « La pratique de la CU semble abondante eu égard au nombre de procédures recensées dans quelques Etats [...].

· Le cercle d'exercice de la CU donne l'image de se limiter en Occident, à savoir l'Europe occidentale, les Etats-Unis d'Amérique et le Canada.

· L'exercice de la CU paraît justifié pour les crimes de jus cogens, et est unanime si l'auteur présumé est trouvé sur le territoire de L'Etat du for. L'application de la CU in absentia48(*) est largement controversée [...].

· Les États sont réticents d'appliquer la CU à l'absence d'une loi d'incorporation, d'une législation pénale de fond appropriée ou si le crime n'offre aucun rattachement avec le territoire de l'État du for.

· Les États promulguent plusieurs textes de loi de CU en rapport à la répression des crimes de jus cogens. Ils adoptent chacun une approche différente, et la jurisprudence qui en résulte ne reflète nullement l'universalité.

· Il appert du comportement des États à travers la pratique judiciaire que la CU n'est pas encore considérée comme un principe obligatoire ayant atteint le niveau d'une coutume de droit international49(*) ».

L'affaire Pinochet de 1999 :

Augusto Pinochet, alors au passage à Londres, fut arrêté en octobre 1998 par les autorités britanniques en vertu d'un mandat d'arrêt espagnol. Alors que Pinochet était à la tête du Chili, plus de 3000 personnes furent tuées ou portées disparues.

Le gouvernement espagnol réunit plusieurs preuves établissant qu'entre 1973 et 1983, Onze ressortissants espagnols avaient été torturés par l'ancien dictateur. Pinochet contesta son arrestation en invoquant entre autres le principe d'immunité étatique en droit international. Dans deux arrêts importants, la Chambre des Lords écarta son immunité et annonça que Pinochet devait répondre de certains de ses actes devant la justice espagnole. C'est la première fois qu'une cour a infirmé l'immunité d'un chef d'État pour le contraindre à répondre de ses actes devant un tribunal de droit interne.

Dans un premier jugement, rendu le 25 novembre 1998, Lord Nicholls et Lord Steyn pour la majorité ont répondu négativement à cette question en se fondant d'une part, sur le droit international coutumier et d'autre part, sur la loi criminelle anglaise incorporant la convention sur la torture50(*).

L'argumentation présentée par les avocats de Pinochet reposait essentiellement sur deux points. En premier lieu, ils alléguaient qu'en tant qu'ancien chef d'État, leur client bénéficiait d'une immunité totale et ne pouvait donc faire l'objet d'aucune procédure devant les tribunaux britanniques. En second lieu, si Pinochet ne bénéficiait pas de l'immunité, le mandat devait être annulé parce que celui-ci référait à des « actes de gouvernement » échappant à la compétence des tribunaux.

Les juges majoritaires et les juges minoritaires étaient du même avis sur un point : si les chefs d'État en exercice bénéficient d'une immunité absolue protégeant leur personne et leurs actes contre toute procédure civile ou criminelle, il n'en est pas de même pour les anciens chefs d'État. Ceux-ci ne peuvent en effet bénéficier de l'immunité qu'en relation avec des actes qu'ils ont accomplis dans le cadre de leurs fonctions officielles. Il importe de noter que ni la Convention de Vienne sur les missions spéciales ni les lois anglaises ne permettaient d'identifier les actes qui sont couverts par l'immunité et ceux qui ne le sont pas. Dans le premier jugement du 25 novembre 1998, la division entre majorité et minorité se limite donc sur les règles applicables pour déterminer ce qui relève des fonctions d'un chef d'État51(*).

Pour les lords minoritaires, les fonctions officielles d'un chef d'État ne peuvent être déterminées que par le droit chilien. À leur opinion, un principe aussi fermement établi que celui de l'immunité des chefs d'État pour tous les actes accomplis dans le cadre de leurs fonctions, ne saurait être écarté de manière implicite. Ils rappellent : « qu'aucune des lois anglaises ne limite expressément la portée de cette immunité ».

Les lois anglaises incorporent les trois conventions internationales relatives au génocide, à la torture et à la prise d'otages mais ceci ne satisfaisait pas aux Lords minoritaires.

Dans la décision du 25 novembre 1998, l'unanimité se fera donc sur un point : les anciens chefs d'État bénéficient d'une immunité relative. Une immunité ratione materiae qui porte sur les actes accomplis dans le cadre des fonctions officielles.

La question est donc, si un chef d'État se sert de ses fonctions officielles pour commettre des crimes, est-ce qu'il s'ensuit que ces crimes font partie de ses fonctions officielles ? Comme l'a fait remarquer l'un des juges majoritaires, si tel était le cas, alors, Hitler exerçait des fonctions officielles lorsqu'il a ordonné la « solution finale ». Ce n'est clairement pas sur le terrain moral mais sur le terrain du droit qu'il faut examiner la valeur du raisonnement des lords minoritaires. Il faut donc se demander s'il est possible de conclure que le législateur britannique a laissé à chaque chef d'État la discrétion de circonscrire lui-même, à sa discrétion, la portée de l'immunité dont il bénéficiera en Grande-Bretagne, lorsqu'il ne sera plus chef d'État. À cet égard, il paraît plus logique de soutenir, avec les juges majoritaires, que la portée de l'immunité reconnue aux anciens chefs d'État par le Parlement britannique doit être circonscrite à l'aide du droit anglais.

Suite à une requête en vue d'annuler la première décision, un deuxième banc devait statuer sur la question de l'immunité de Pinochet. Le 18 janvier 1999, un banc composé cette fois de 7 nouveaux lords, entreprit donc de réexaminer l'affaire Pinochet. Dans le cadre de cette nouvelle procédure, le gouvernement chilien fera valoir ses arguments en faveur de la reconnaissance de l'immunité à son ancien Président de la République, joignant ainsi ses efforts à ceux des avocats de celui-ci.

Dans cette décision du 24 mars 1999, la Chambre des Lords refuse l'immunité à Pinochet en partie. Lord Browne-Wilkinson pour la Chambre reprend les principes suivants : «Les sujetstraditionnels du droit international sont les États et non les êtreshumains. Mais à la suite des procès pour crimes de guerre après la guerre mondiale de 1939-1945, la communautéinternationaleenest venue à reconnaîtrequ'ilpouvait y avoiruneresponsabilitépénaleen vertu du droit international pour unecatégorie de crimes tels que les crimes de guerre et les crimes contrel'humanité52(*). »[...]

La Chambre des Lords ne s'appuie pas sur sa législation interne mais sur la coutume et la jurisprudence en droit international depuis la codification des Principes de Nuremberg. Malgré que le droit anglais incorpore la Convention contre la torture et que les crimes qui y sont définis sont clairement applicables aux actes des chefs d'États, la Chambre choisit de mettre l'accent sur les procès de Nuremberg et sur les décisions du TPIY et du TPIR pour confirmer sa décision53(*).

Le dénouement de l'affaire Pinochet, s'est terminée par l'annulation de la procédure d'extradition engagée par l'Espagne en raison de l'état de santé de l'ancien chef d'Etat, âgé de 84 ans.

L'Affaire Pinochet a marqué sans aucun doute une étape importante dans l'évolution de la répression des crimes internationaux. Jusqu'en 1999, les conventions internationales, qui obligent pourtant les parties à juger les actes de torture ou de prise d'otages, ont été pratiquement sans conséquence sur la question de l'immunité des hauts fonctionnaires. Et voilà que soudain, plusieurs pays d'Europe réclament le privilège de traduire devant leurs juges un homme qui se croyait bien à l'abri de poursuites criminelles eu regard à son statut.Cette affaire a montré combien il est difficile de faire juger les anciens dirigeants politiques. Mais les juristes estiment qu'une avancée majeure a été réalisée et sont optimistes sur le long terme.

* 36 Samuel Dimuene Paki Diasolwa, « L'exercice de la compétence universelle en droit pénal international comme alternative aux limites inhérentes dans le système de la Cour Pénale Internationale », Montréal, 2008, p57.

* 37 Ibid.

* 38 Ibid.

* 39Extrait de l'ordonnance prise par Monsieur Damien Yandermeersch, Juge d'instruction au tribunal de première instance de Bruxelles dans l'Affaire Pinochet le 06 novembre 1998. http//www.ulb.ac.be/droit/cdi/Site/Compétence universelle.html / consulté le 18 novembre 2019.

* 40Eléments législatifs extraits de la base de données contenue dans le site du CICR. http//www.icrc.org/

* 41L'ensemble de la législation belge sur la CU est repris en ligne dans le site de l'ULB. http//www.ulb.be/

* 42 Texte légal en ligne dans la base des données du CICR, Supra, note 35.

* 43 Affaires en ligne sur le site de l'ONG Human Rights Watch. http//www.hrw.org/

* 44 Code canadien sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000 CH 24.

* 45 Genocide convention implementation Act of 1987.

* 46 Texte légal repris dans la base des données du CICR, Supra, note 35.

* 47 Base des données du CICR, Supra, note 35.

* 48In absentia = locution latine qui signifie `en absence de la personne concernée'.

* 49 Samuel DimuenePakuDiasolwa, Supra, note 36, p72-73-74.

* 50 Jugment -Regina v. Bartle and the Commissioner of Police for the Metropolis and Others Ex Parte Pinochet, 25 novembre 1998 [Affaire Pinochet 1]; Jugment -Regina v. Bartle and the Commissioner of Police for the Metropolisand Others Ex Parte Pinochet (On Appeal from a Divisional Court of the Queen's Bench Division), 24 mars 1999 [Affaire Pinochet 3]. En ligne: http://www.icj-cij.org

* 51 Ibid.

* 52 Ibid. (traduit en français).

* 53 Ibid.

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