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La mise en scène de soi sur Tinder: entre l'originalité et le conformisme


par Geoffrey MILLE
Université de bourgogne - Master 2 Sociologie 2021
  

Disponible en mode multipage

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Année universitaire 2020/2021

UFR Sciences Humaines- Département de Sociologie Master 2 Sciences Sociales mention ingénierie sociale

Tinder : entre l'originalité et le

conformisme

Présenté et soutenu par Geoffrey MILLE Mémoire encadré par Jean-Christophe Marcel

Remerciements

En préambule de ce mémoire, je tiens tout d'abord à adresser mes remerciements les plus sincères à l'ensemble des personnes ayant contribué à la réussite de ce long travail.

Je remercie tout particulièrement le directeur de ce mémoire, monsieur Jean-Christophe Marcel, pour sa bienveillance, ses conseils avisés et les échanges fructueux que nous avons pu avoir à ce sujet.

Je tiens aussi à remercier toutes les personnes interrogées lors de ce mémoire étant donné qu'ils ont montré un intérêt formidable envers mon mémoire.

Mes remerciements s'adressent également à ma compagne qui a pris le temps de lire cet écrit et qui m'a soutenu tout au long de son élaboration.

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Sommaire

I. INTRODUCTION - 4 -

II. METHODOLOGIE - 6 -

A. L'ANALYSE DRAMATURGIQUE D' ERVING GOFFMAN - 6 -

B. LE SOI ET LA TAXONOMIE DE JAMES. - 9 -

C. L'IMAGE ET LA SOCIOLOGIE - 11 -

D. ENTRETIEN SEMI-DIRECTIF ET LE PRINCIPE DE PHOTO ELICITATION - 15 -

III. TINDER, L'UN DES PLUS GRANDS MARCHES DE L'AMOUR EN LIGNE - 19 -

A. HISTOIRE ET ARCHITECTURE DES SITES DE RENCONTRE EN LIGNE - 19 -

B. L'UBER DU DATING, TINDER - 20 -

A. QUI SONT LES UTILISATEURS DE RENCONTRE EN FRANCE ? - 22 -

B. QUELS SONT LES EFFETS DE CE MARCHE EN LIGNE SUR LES RENCONTRES ? - 23 -

C. LE PREMIER PAS SUR TINDER - 24 -

IV. QUAND LA SOCIOLOGIE RENCONTRE L'AMOUR - 26 -

A. HISTOIRE DE L'AMOUR ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.

B. L'ECONOMIE DE L'AMOUR - 29 -

C. LES RELATIONS EPHEMERES, L'INCERTITUDE ET LE DEVELOPPEMENT DU MOI - 33 -

V. LA CONSTRUCTION DES PROFILS ET LA MISE EN SCENE DE SOI SUR TINDER

- 39 -

A. ARCHITECTURE DE TINDER - 39 -

B. MISE EN SCENE DE SOI ET AUTHENTICITE - 41 -

C. LES USAGES ET LES REPRESENTATIONS SEXUES - 47 -

p. - 2 -

VI. ANALYSE - 51 -

A. PREAMBULE ANALYTIQUE - 51 -

B. NE PAS SE PRENDRE LA TETE SUR TINDER - 52 -

C. I DON'T CARE, I LOVE IT! - 53 -

D. LE HASARD FAIT LES BONNES HISTOIRES - 55 -

E. QUAND LE NATUREL REVIENT AU GALOP - 58 -

F. CASSER LA FACE POUR BRISER LA GLACE - 67 -

G. QUATRE MOTS SUR UN PROFIL - 69 -

H. DEDRAMATISER LE DATE - 81 -

I. MOUVOIR SON « MOI AUTHENTIQUE ». - 82 -

J. APRES LE MATCH, QUE DIRE, QUE FAIRE ? - 83 -

K. LE PREMIER MESSAGE POUR LES GENRES SIMILAIRES. - 87 -

L. DE TINDER A INSTAGRAM COMME « DE LA BOITE DE NUIT AU 06 ». - 90 -

VII. RESULTATS ET INTERPRETATIONS - 92 -

VIII. LES POURSUITES ENVISAGEABLES - 94 -

IX. LES DIFFICULTES RENCONTREES - 95 -

X. CONCLUSION - 96 -

XI. BIBLIOGRAPHIE - 99 -

XII. ANNEXES - 103 -

A. TABLEAU DE PRESENTATION DE NOS ENQUETES - 103 -

B. L'EVALUATION DE PROFIL SUR TINDER - 104 -

C. LA PRESENTATION DES DIFFERENTS TYPES D'ABONNEMENTS ET DE FONCTIONNALITES. - 108 -

p. - 3 -

I.Introduction

Depuis sa genèse, la sphère du « web » a profondément transformé nos manières d'agir, de penser, et de sentir que ce soit dans notre rapport à la consommation, au travail ou dans nos modes de vie. Selon l'enquête Insee de 2011 sur la condition de vie des ménages, en 2010, deux ménages sur trois disposaient d'ores et déjà d'une connexion internet et près de 80 % des individus témoignaient utiliser internet chaque jour. De manière inéluctable, les Nouvelles Technologie d'Information et de Communication (NTIC) se sont imbibées dans la culture juvénile et représentent de nouvelles formes de sociabilité (Dauphin, 2012). En 2016, la quasi-totalité des adolescents parmi les 13 et 18 ans y consacre de nombreuses heures par semaine(Lardellier, 2016). Pour les adolescents, la construction de l'identité, la socialisation et le rapport à soi et à l'autre sont plus que jamais liés à cette « culture de l'écran» (Rodriguez et al., 2017 : 1) qui se traduit principalement à travers l'émergence de nouveaux outils relationnels. Nous pouvons ici mentionner la célèbre trilogie des réseaux sociaux : Snapchat, Facebook et Instagram qui sont le théâtre d'une exposition de soi en ligne. Les individus sont, sur ces réseaux, dotés d'une liberté et d'une autonomie leur permettant d'adapter, de rejeter ou d'adopter des manières d'agir et de penser en fonction de leurs souhaits (Flichy, 2004).

Par l'essor de l'économie numérique, il a été marqué une première jonction entre l'économie et l'amour. C'est dans ce bouleversement de l'intime que se développe, comme le dit si bien Éva Illouz (2006), la marchandisation de l'amour. Les réseaux sociaux, sites de rencontre et autres plateformes numériques transforment la vie sociale des individus et engendrent de nouvelles questions sociales suscitant l'intérêt des chercheurs en sciences humaines. Si dans la littérature anglo-saxonne, beaucoup d'éléments sont venus apporter des réponses au sujet de comment les individus se mettent en scène sur les marchés de l'amour en ligne, cet aspect présente pour nous une certaine boîte noire dans la littérature francophone. Nous pensons que l'exploration de la présentation de soi peut contribuer à des biens apports sur le sujet tout comme Bergström (2019) a pu l'illustrer au cours de sa thèse. Dotée de fortes valeurs associées à l'amour, que ce soit par rapport au romantisme ou à l'importante inclusion de la dimension du « hasard» dans la perception de la rencontre, nous pensons que l'histoire de l'amour en France influe fortement sur les comportements sociaux. Ipso facto, cela serait à la genèse de présentation de soi en ligne distincte par rapport à celle observée dans d'autres pays.

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C'est dans cette perspective que ce mémoire souhaite explorer à travers Tinder1, la mise en scène de soi en ligne sur les applications de rencontre dans l'optique de comprendre si les phénomènes sur ce sujet dans les pays anglo-saxons se réappliquent en France. En partant de ce postulat général, la présentation de soi en ligne engendre plusieurs interrogations dans cette étude :

-Si dans les interactions hors-ligne, les acteurs fournissent des indices sur l'image de soi en mettant en avant la face (Goffman, 1998), comment les individus exposent-ils « leur face» en étant limités par un cadre structurel en ligne (Tinder) et dépourvus d'échanges physiques et verbaux?

-Sur les réseaux de l'amour, par quels moyens les utilisateurs francophones démontrent-ils une cohérence dans l'expression d'attributs ou de la personnalité?

Dans cette optique, nous avons plusieurs hypothèses liées à ces questions :

- Premièrement, en construisant sa « position» (Goffman, 1988) et en se présentant en ligne, nous supposons que l'individu développe des stratégies de figuration (Goffman, 1998) et adopte des rites de présentation ou des règles cérémonielles propres à Tinder. C'est dans cette optique que nous souhaitons explorer quels sont les points de référence sur lesquels l'individu s'appuie pour construire son profil ? Existe-t-il une typologie de tactiques de figuration?

- Nous pensons deuxièmement que pour prouver une cohérence de l'expression d'un attribut, les individus utilisent la relation entre le texte et l'image pour confirmer le statut ou une position revendiquée.

-Troisièmement, en reprenant la taxonomie de James dans (Counts et Stecher, 2009) qui catégorise le concept de soi à travers trois soi : le soi physique, social (nos rôles sociaux) et spirituel (nos capacités perçues), nous pensons qu'un type de « moi » est plus sollicité par les individus.

1 Leader du marché de la rencontre en ligne, Tinder est une application de rencontre « neutre» et majoritairement hétérocentrée où les individus peuvent trouver plusieurs types de relation.

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- L'enquête de Counts et Stecher (2009) a montré que sur ces réseaux, la tendance des individus était d'employer des aspects de leur moi spirituel en citant des traits de leur personnalité (« Je suis calme, attentionnée, rigolo, etc. »). La perspective sociologique démontre contrairement à cette enquête une forte tendance à la recherche d'homogamie que ce soit dans les annonces matrimoniales (Singly, 1984) ou sur les

réseaux de l'amour (Bergström, 2019). Cette quête d'entre-soi se traduit
essentiellement par une présentation accentuée du « moi social » notamment chez les hommes (Singly, 1984).

II.Méthodologie

A.L'analyse dramaturgique d'Erving Goffman

« Nous venons au monde comme individus, nous assumons un personnage, et nous devenons des personnes » (Erza Park dans Goffman, 1998, p.27). En supposant que les concepts de Goffman soient largement applicables sur la mise en scène de soi en ligne, ce mémoire mobilise les travaux d'Erving Goffman et sa célèbre analyse dramaturgique. Plaçant l'interaction au premier plan et l'acteur en second plan, la perspective de Goffman a pour vocation d'analyser les situations sociales qui deviennent l'objet d'un théâtre dans lequel nous sommes des acteurs jouant un rôle. Dans cette conception dramaturgique, l'acteur réalise ses objectifs non pas en étant un être rationnel, « un homo economicus », mais en se fondant sur des hypothèses. Dès lors, dans les interactions, la personne cherche à obtenir des informations au sujet d'autrui pour en tirer des conclusions. L'apparence, la gestuelle, les façons et manières de parler sont autant d'éléments rapportant des indices à propos de l'individu. Associés à cela, des indications peuvent être identifiées par le biais de stéréotypes d'ores et déjà connus que ce soit en rapport au milieu social, un statut donné, etc. Pour se maintenir, la société modélise ses membres pour en faire ce que Goffman appelle « [...] des participants de rencontres autocontrôlés » (Goffman, 1998, p.41). Le rituel est considéré ici comme le moyen d'acquérir les codes d'interaction, c'est-à-dire, de savoir se nouer d'affection avec son « moi » et d'exprimer celui-ci par la face qui le compose en gardant honneur, fierté et dignité. C'est par l'intégration des règles morales que lui confère la société que l'individu évalue ses pratiques et ses sentiments ainsi que ceux de ses pairs dans l'optique de perpétuer l'équilibre de l'interaction, ce qui pour Goffman, est l'essentielle composante de celle-ci.

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En évoquant une modélisation des manières de penser et d'agir chez l'individu par la société, Goffman émet un rapprochement entre ses idées et celles de Durkheim qui exprimait qu'une « [...] certaine bureaucratisation de l'esprit permet de compter une représentation parfaitement homogène au moment voulu». (Durkheim, dans Goffman, p. 59, 1998). Pour nous mettre en scène, nous présentons une part de nous-mêmes qui est notre personnalité. Pour Goffman (1998), c'est un attribut sur lequel nous nous rattachons pour nous présenter dans la vie quotidienne.

Intrinsèquement liée à chacune de nos façades sociales, la personnalité assimile nos différents rôles sociaux qui sont, comme déclarait Erza Park (dans Goffman, 1998, p.27) : « [...] une seconde nature et une partie intégrante de notre personnalité ». Pour ainsi dire, la personnalité recense en elle nos personnages que nous mettons en scène avec lesquels nous nous socialisons et nous incorporons des représentations selon les scènes sociales (ibid.). En tant qu'acteur, l'individu mobilise dans les interactions ce que Goffman appelle la face. « On peut définir le terme de face comme étant la valeur sociale positive qu'une personne revendique effectivement à travers la ligne d'action que les autres supposent qu'elle a adoptée au cours d'un contact particulier. La face est une image du moi déclinée selon certains attributs sociaux approuvés, et néanmoins partageables, puisque, par exemple, on peut donner une bonne image de sa profession ou de sa confession en donnant une bonne image de soi» (Goffman, 1998, P.9). Que ce soit pour l'individu ou la société, la face possède un caractère sacré, elle est un bien prêté par la société en échange duquel l'individu tâche de s'en montrer digne pour la préserver. Cette image du moi est une figure d'attachement pour l'individu, il la soigne, la préserve, la travaille. En nous basant sur l'hypothèse que l'autre adopte une face qui est la sienne, nous formons dans nos interactions un consensus mutuel dans l'acceptation des rôles de chacun. Ce consensus permet en outre de défendre et préserver nos faces.

Dans notre recherche, nous allons nous intéresser à comment l'individu présente sa « face» en ligne par le biais de Tinder. La présentation de soi en ligne implique une mobilisation de la face et entraîne un choix dans les atouts, les qualités et les statuts mobilisés lorsque l'individu façonne son profil. La figuration en ligne nécessite donc que les individus prennent position (Goffman, 1987). L'identité en ligne est donc l'objet d'une position (ibid.) puisqu'elle est une production incarnée impliquant une réflexion de l'individu sur les statuts mobilisés au regard du cadre de l'interaction particulier.

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La notion de position offre aussi à l'analyste un moyen d'appréhender les changements de statut dans le cours d'une interaction et leurs conséquences sur les formes de coordination entre les coparticipants (Goffman, 1987). En prenant position dans une application de rencontre, les utilisateurs doivent également mobiliser des actions visant à converser et à éviter de perdre de la face. C'est ce que Goffman (1998) entend définir par le concept de « figuration» ou « face-work ». Ce concept très dense de « figuration» est composé d'une multitude de variables comme « l'assurance », « le tact », « l'humour» qui sont des capacités mobilisables dans l'interaction. La typologie de Goffman recense quatre principaux types de figuration lors des interactions : l'évitement, la réparation, l'agression et la coopération. Le passage qui nous intéresse particulièrement dans notre sujet est l'évitement. L'évitement est un procédé que l'on observe dans les situations « critiques» ou « menaçantes ». Quand l'individu a conscience du risque de perdre la face ou de déstabiliser la face de ses pairs, il adopte des comportements de méfiance qui peuvent se traduire par de la discrétion, un silence, un détournement de conversation, le fait que l'on se renonce à exprimer un point de vue...

Dans ce mémoire, nous allons donc explorer comment l'individu établit sa part de figuration à travers la mise en avant de qualités ou statuts et d'une rhétorique pour se grandir et comment il en facilite la compréhension aux yeux des autres. In fine, pour comprendre pourquoi l'acteur se met en scène d'une certaine manière, il est nécessaire d'appréhender s'il existe sur Tinder des règles de présentation. Saisir le sens lié à la mise en scène de soi, c'est aussi saisir la capacité de l'acteur à interférer avec le cadre imposé explicitement ou implicitement sur l'application. Ainsi, nous considérons ici Tinder comme une organisation sociale à la manière de Goffman, c'est-à-dire, « [...] un lieu entouré de barrières s'opposant en permanence à la perception, dans lequel se déroule une activité régulière d'un type déterminé [...] » (Goffman, 1996, p.226).

Au travers de cette organisation, nous comptons, en utilisant des concepts de l'analyse dramaturgique, illustrer et décrire comment les acteurs maîtrisent leur présentation et l'impression qu'ils donnent d'eux-mêmes. Bien que la structure de Tinder laisse libre l'utilisateur dans son expression, nous pensons qu'il existe tout un ensemble de règles cérémonielles permettant de guider l'individu dans son expression auprès des autres.

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Si l'utilisateur se présente à l'autre sur Tinder, il peut aussi déclarer ou induire de manière textuelle ou photographique, comment il envisage et considère ses «matchs» à venir. C'est ce que Goffman appelle les rites de présentation (Goffman, 1998). En guise d'illustration, certains profils féminins emploient ses rites pour mettre en garde les futurs prétendants. Ces rites servent par exemple à faire allusion à un refus catégorique de parler à des individus désirant des relations éphémères par la phrase familière : «Pas de plan cul». On peut également y recenser des exigences dans le mode de vie (être un sportif) ou dans l'obligation d'avoir de bonnes capacités rédactionnelles et conversationnelles (« Je ne veux pas de « salut sa va » ou `soyez original si vous souhaitez une réponse »)

B.Le soi et la Taxonomie de James.

Pour William James (1980, p.291), «le moi empire» est constitué de l'ensemble des éléments que l'on est tenté d'appeler par le terme «moi». Si toutefois nos manières d'agir et de sentir au regard d'objets extérieurs sont semblables à la façon dont nous interagissons avec nous-mêmes, les objets que nous traitons avec le moi ne s'arrêtent pas au corps. Selon James (ibid.), les objets et la perception du moi associés fluctuent sans cesse. Partant de ce postulat général, le moi d'un individu est composé d'une pluralité d'objets pouvant être des objets en soi (vêtements, appartements, voitures, etc.), des sujets sociaux (l'ensemble de la sphère sociale), un statut ou enfin, des croyances, etc. En outre, il relève du moi tout ce qui appartient à la personne. James relate cette idée du moi comme une sorte de tout par le biais de sa taxonomie classant le moi en quatre constituants : le moi matériel, le moi social, le moi spirituel et l'ego pur (ibid.). Dans notre étude, nous allons mobiliser seulement le moi matériel, social, et spirituel, c'est pourquoi nous allons les présenter un à un.

Dans le «moi matériel», l'élément qui nous affecte le plus est notre dimension la plus intime, le corps. Enjolivant le corps, les vêtements sont de cruciaux composants du moi, car nous nous identifions sans cesse à eux. Ils apparaissent en second dans l'ordre de priorité établi par James (ibid.). Ensuite, il est relaté dans ce soi toute la sphère familiale. Au coeur de notre vie, la dimension familiale constitue une partie de nous-mêmes. Comme l'explique James, si un membre de notre famille décède, c'est comme si une partie de nous mourrait aussi. Après la sphère familiale vient notre foyer. Étant le petit monde construit par l'individu, le foyer contient une dimension affective. Pour James (1980), le corps, la sphère familiale, et le foyer varient en importance selon le sujet bien que toutes ces choses soient associées à des intérêts essentiels de la vie.

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Comme le dit si bien James (ibid., p.292) : `Nous avons tous une impulsion aveugle à veiller sur notre corps, à le parer de vêtements décoratifs, à chérir nos parents, notre femme et nos enfants, et à nous trouver un foyer dans lequel nous pourrions vivre et nous «développer» [traduction libre]'

Le «moi social» est l'ensemble des éléments octroyant de la reconnaissance à l'individu. Pour James, il existe autant de «moi social» chez l'individu que de personnes lui conférant ce moi en lui attribuant une image de lui. L'idée d'avoir différentes images du moi que l'on expose à des groupes distincts fait écho ici au concept de «façade sociale» de Goffman (1998). Selon lui, la personnalité incorpore nos différentes faces qui sont considérées comme une seconde nature chez nous (Erza Park, dans Goffman, 1996). Appartenant au moi empirique, le moi spirituel est composé de plusieurs facultés, de dispositions psychiques et personnelles. En outre, il contient tout ce qui relève du champ de la morale et de la conscience (Bégin, 2006) et comporte en son sein nos qualités personnelles et nos attributs psychologiques en général. Étant un processus de réflexion, le moi spirituel est notre capacité «à penser le subjectif en tant que tel, à nous penser en tant que penseurs» (James, 1980, p.297).

Dans la construction d'un profil sur un réseau social, les éléments liés aux rôles sociaux

passent en second plan et ne sont pas jugés intéressants dans une présentation de soi. Si ces
éléments n'affectent parfois peu ou pas l'évaluation de la personnalité, certains attributs peu expressifs comme «l'université» sont mieux classés que des attributs plus expressifs tels que «la musique» en termes de capacité des utilisateurs à dévoiler leur personnalité (Counts et Stecher, 2009). Nous porterons également un oeil avisé sur la divergence plausible entre le type de « moi » présentée selon les genres. De Singly (1984) avait illustré à ce sujet une divergence dans la présentation du « moi » selon les sexes, où les femmes avaient tendance à mettre en avant un capital attractif basé sur le physique (leur beauté) tandis que les hommes mobilisaient davantage « le moi social » en tant que capital attractif (le métier, le statut économique etc...).

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Rejoignant les constats précédents, il serait fructueux de voir quelle perspective se réinscrit sur les applications de rencontre comme Tinder où les mécanismes font divaguer l'individu dans un système de consommation rapide. En outre, dans cette étude, cette taxonomie nous permettra de classifier les éléments des profils à travers les trois dimensions du «moi». Nous intégrons dans le soi matériel la composante visuelle, c'est-à-dire les photographies et éventuellement les micro vidéos. Nonobstant, le soi matériel peut aussi incorporer des aspects du « moi social » (James, 1980) c'est pour cela que nous porterons une attention à cette liaison entre le soi matériel et social. En ce qui concerne le moi spirituel, il nous permettra de regrouper les qualités et atouts perçus par l'individu et mis en avant (je suis gentil, attentionné, patient, intelligent, etc....). La plus-value de cette classification résulte dans le fait que nous pourrons à travers l'entretien retranscrire non seulement les facettes des « moi » évoquées par l'individu, mais aussi toute la manière et les priorités associées à la mise en scène des « moi » dans le profil.

C.L'image et la sociologie

En explorant les profils Tinder qui se découpent en deux éléments : la description textuelle et les photographies, cette recherche s'inscrit dans le cadre d'une sociologie visuelle, car nous utilisons les images pour produire des données. À ses débuts, l'image était majoritairement utilisée avec des méthodes qualitatives dans la sphère sociologique anglo-saxonne. C'est à la fin du XXème siècle que des revues comme l'American Journal of Sociology publient des articles mobilisant l'image comme mode d'investigation bien qu'elle reste ne néanmoins qu'un support d'illustratif (Chauvin & Reix, 2015). Cette nouvelle forme de sociologie a comme pères fondateurs Douglas Harper et Howard Becker. À l'origine de l'intitulé « sociologie visuelle », Howard Becker met un point d'honneur à démontrer que c'est le contexte qui donne du sens aux images. Selon Becker (2001), le sens est le résultat de configurations, il évolue à travers le temps et l'espace. La mobilisation de l'image dans deux disciplines (l'anthropologie visuelle et la sociologie visuelle) a nécessité une distinction entre ces pratiques dont Harper en trace les frontières. Selon Harper (dans Chauvin & Reix, 2015), l'anthropologie visuelle serait animée par la production de données filmiques tandis que les sociologies visuelles mobiliseraient davantage la photographie. Rejoignant le point de vue de Harper, Howard Becker met un nouveau coup de marteau sur l'enclume en ancrant la sociologie visuelle dans la photographie documentaire américaine.

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Depuis cette époque, il existe dans le champ sociologique un débat de légitimation de l'image. L'utilisation de données visuelles comme méthode d'enquête subit un fort avilissement en raison de son « caractère frivole ». « [...] La photographie souffrirait d'un biais à la fois descriptiviste et subjectiviste dont la sociologie entend précisément s'affranchir par des approches «morphologiques» du social, donnant à voir des mécanismes causaux par l'examen des institutions (le droit en particulier) ou l'usage de méthodes statistiques» (Chauvin, P. & Reix, F, 2015 : 15). Pour de nombreux chercheurs, les données visuelles produites peinent à être exploitées en raison de l'absence de « guide méthodologique» justifiant leur construction. La démarche d'enquête serait selon eux davantage l'objet d'un bricolage.

La sociologie visuelle a été fortement associée à l'ethnographie visuelle où l'on fait majoritairement usage des méthodes qualitatives en raison de l'ancrage anglo-saxon de cette discipline autour d'Howard Becker et de Douglas Harper (ibid.). Néanmoins, comme Chauvin et Reix (2015) le démontrent, les données visuelles peuvent concorder avec des méthodes quantitatives. Les recherches de sociologie visuelle peuvent traiter quantitativement des données visuelles récoltées par le chercheur par le biais de support ou bien des données issues de l'observation quantitative produites par le chercheur lui-même. (Filion dans Chauvin et Reix 2015). Que ce soit aux États-Unis, où elle est pleinement institutionnalisée, ou en France, la sociologie visuelle reste tout de même jugée comme précaire. Bien accueillie dans l'univers pédagogique, elle subit de nombreuses critiques quant à sa légitimité scientifique. Cela est notamment dû à un usage des images non contrôlé qui les a délégitimées (Chauvin et Reix, 2015). Certains sociologues comme Lahire dans (ibid. : 43) vont illustrer « le statut ambigu de l'image dans l'interprétation pédagogique» bien que ce point de vue soit fondé sur l'absence de commentaires et de contextes assujettis aux photographies qui tend de manière caricaturale à faire paraître dans l'« image» une sorte de vérité qui se suffit à elle-même (Chauvin et Reix, 2015). Or, comme le mentionne Becker (2001, p. 339) : « Les photographies, comme tous les objets culturels, tirent leur sens du contexte. Même les tableaux ou les sculptures qui semblent exister isolément, accrochées au mur d'un musée, tirent leur sens d'un contexte, qui est fait de ce qui a été écrit à leur sujet, du cartel apposé à côté ou ailleurs, des autres objets visuels présents physiquement ou simplement dans la conscience des spectateurs, ou encore des discussions qui ont lieu à leur propos ».

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Rejoignant les idées de Becker, Chauvin et Reix (ibid.) affirment que pour parfaire une analyse de l'image et en dégager le sens, il est nécessaire d'opérer sans cesse « un travail d'articulation entre texte et image afin de préciser le sens des données visuelles utilisées par le chercheur et de restituer leur contexte de production, condition fondamentale d'un usage «scientifique» des images» (Prosser, Stanczak dans Chauvin & Reix, 2015 : 43).

En sociologie, l'observation, l'analyse et l'interprétation sont trois étapes qui permettent de se rapprocher d'un objectif de compréhension du monde social inhérent à la sociologie (Gucht, 2017). Ainsi, comme dans toute investigation sociologique, la sociologie visuelle mobilise un regard sociologique. Celui-ci est une manière d'interroger le monde social, mais nécessite un cadrage de la réalité sociale, une distinction entre le visible et l'invisible, entre ce qui mérite ou non d'exister à travers notre regard (ibid.). Il convient donc à l'observateur de neutraliser au plus possible les effets de sa subjectivité, c'est-à-dire, ces croyances, idées, et stéréotypes. Malgré tout, travailler à partir de l'image implique une certaine représentation du chercheur et de ses préjugés inconscients (Clément, 2017). Analyser l'image, c'est donc tout d'abord définir ce qui mérite d'être vu ou non et d'en justifier les raisons. Il existe différents usages de l'image dans la sociologie visuelle qui viennent se classifier dans trois disciplines : la sociologie de l'image, par ou avec l'image et enfin, la sociologie en image. La sociologie de l'image se rapproche de la sémiologie dans le fait qu'elle est en quête de sens à travers une interprétation. Elle permet de dégager des liaisons entre le processus de construction des images et le monde social qui les modélise et en définit les interprétations. La sociologie en image mobilise majoritairement l'image à des fins pédagogiques que ce soit dans les manuels de sociologie, dans des cours d'université, etc. En outre, elle participe à la vulgarisation scientifique (Gucht, 2017) et facilite à la compréhension d'auteurs. « La sociologie en image est ainsi particulièrement bien représentée lorsqu'il s'agit de restituer et de communiquer des résultats d'une recherche ainsi «mise en image» et «portée à l'écran» ». (ibid., p.68).

Au coeur de notre analyse, la sociologie avec l'image (Faccioli et Losacco, dans Locosacco, 2007) ou par l'image (Gucht, 2017) par du postulat que nous puissions exercer une sociologie en « faisant l'expérience du monde par et avec les images» (ibid., p.68). Dans cette sociologie, l'image devient un outil de recherche (Maresca et Meyer dans ibid.), elle est utilisée comme un instrument pour obtenir des informations et analyser la réalité sociale (Losacco, 2007).

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Comme l'illustre Becker, l'image n'a aucune signification par rapport à son objet d'étude si celle-ci n'est pas accompagnée d'une légende et d'un commentaire mettant en valeur ce que l'on voit sur les photographies. Il est nécessaire d'apporter une précision du contexte en inscrivant des données facilitant une compréhension explicite de l'image au plus possible (au niveau du cadre, de la mise en relation des images entre elles, etc..). Faire de la sociologie visuelle, c'est faire la jonction entre deux disciplines complémentaires : la sociologie et le documentaire photographique dans l'optique d'explorer la réalité sociale par le biais d'un argumentaire construit sur l'image (Gucht, 2017). En outre, la sociologie par l'image requiert « un protocole de recherche fondé sur une épistémologie sociologique ». (Ibid., p.118). À l'effigie de toute sociologie, la sociologie visuelle implique la création d'un cadre théorique permettant d'établir un point de vue sur la manière dont nous allons porter du sens à la réalité sociale.

Nous pouvons tout d'abord apporter quelques précisions au sujet du contexte. En effet, la sociologie par l'image que nous mobilisons ici interfère avec le monde numérique qui en bouleverse les caractéristiques et les usages. Harper dans (Losacco, 2007) nous présente différentes dimensions sur les bouleversements sociaux de la « numérisation de la vision» (Losacco, 2007 : 2). Il relève quatre dimensions, celle du partage, de l'économie et de l'autonomie et enfin, la multimédialité. À travers la dimension du partage, Harper dans (ibid.,) met en avant le fait que l'accessibilité à l'image par les plateformes d'internet permet aux chercheurs de recueillir des images spécifiques à son enquête et lui donne l'opportunité d'entrer directement en contact avec l'auteur. Deuxièmement, les dimensions de l'économie et de l'autonomie traduisent le fait que les structures du « web » peuvent contenir une grande quantité d'images gérables par l'utilisateur dont il est libre de régir à sa guise par l'autonomie que les structures hypertextuelles confèrent. Enfin, il faut prendre en compte l'une des caractéristiques les plus importantes et centrales pour cette recherche, la « multimédialité ». Ce terme désigne le fait que l'image soit accompagnée de champs textuels ou verbaux. L'image étant devenue de plus en plus flexible par le biais du multimédia, il existe dorénavant des techniques visuelles qui « [...] doivent être considérées non seulement comme des instruments, mais comme de véritables éléments de transformation du rapport entre les sujets et les images» Losacco (2007 : 6). Pour conclure, l'image dans l'ère numérique n'est plus une expression spontanée, elle est construite, sans cesse remodelée et intégrée dans une forme de « socialisation en ligne» où elle est l'extension du corps de l'individu et lui confère de la visibilité.

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D.Entretien semi-directif et le principe de photo élicitation

L'entretien semi-directif

L'enquête par entretien est pertinente lorsque l'on souhaite retranscrire le sens que les individus donnent à leur pratique (Blanchet et al., 2012). Selon Blanchet et al. (2012) : « L'entretien de recherche se définit donc en second lieu par rapport à l'activité même de la recherche, en ce sens qu'il est produit à l'initiative de «A» (le chercheur) et au profit de sa communauté, se distinguant en cela de l'entretien thérapeutique, de la confession ou de la plainte de police, tous faits de paroles sollicités par B et à son bénéfice» (ibid., p.17).

Abordant une thématique intrinsèquement liée à l'intime de l'individu, l'intérêt de mobiliser l'entretien semi-directif s'explique par le fait qu'il permet au chercheur d'obtenir des informations à partir de points capitaux tout en adoptant une démarche non directive favorisant l'instauration d'un climat de confiance. La principale différence entre l'entretien structuré et semi-directif et que, pour le premier, l'enquêteur pose ses questions dans un ordre structuré tandis que dans l'autre, il s'adapte au discours de l'individu pour poser ses questions en s'appuyant sur ses thématiques (Quivy et Van Campenhoudt dans Sauvayre, 2013). Cela brise davantage une vision structurée de l'échange où l'enquêté a l'impression de répondre à une avalanche de questions générant chez lui une tendance à raisonner par des réponses courtes (Sauvayre, 2013).

Véritable pense-bête du chercheur (Berthier, dans ibid.), le guide d'entretien apporte des éléments au sujet de l'enquête en traduisant les hypothèses de recherche en question d'enquête. Celui-ci évolue à travers le temps notamment au cours des entretiens exploratoires où de nouvelles hypothèses peuvent émerger. La composition du guide d'entretien doit être avisée en fonction du type d'entretiens utilisé. Comme l'indique Sauvayre (2013), la souplesse de l'entretien semi-directif se reflète aussi dans la manière d'employer le guide d'entretien. Ipso facto, la mémorisation de ce support consent une meilleure fluidité dans l'échange avec l'interviewé. Bien que ce guide soit un réservoir de questions permettant de ne jamais être « à sec », l'exposé devant l'enquêté a tendance à induire chez lui des comportements réticents. En sus, la présence du guide limite les interactions avec l'interrogé et peut marquer des ruptures dans la discussion (ibid.), d'où l'intérêt de connaître son support pour en être dépourvu dans l'entretien.

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Le principe de photo-élicitation

Nous associons dans notre étude les entretiens semi-directifs au principe de photo-élicitation. Selon Bigando (2013 :14), « La photo élicitation interview est une méthode d'enquête particulière, où l'entretien de recherche est mené sur la base d'un support photographique considéré comme susceptible de provoquer ou susciter (du latin elicerer, qui signifie « tirer de ») des réactions verbales et émotionnelles chez la personne interviewée. Les photographies utilisées lors de l'entretien peuvent, soit correspondre à des documents photographiques déjà existants, soit avoir été réalisées pour l'occasion par l'enquêteur lui-même ou directement par l'informant. ». Fondée par l'anthropologue John collier en 1960, la « photo elicitation interview» a été portée par les sociologues et anthropologues anglo-saxons à l'effigie de Douglas Harper. Bien que cette pratique s'étende à d'autres disciplines dans la sphère anglo-

saxonne, elle reste nouvelle dans la communauté francophone. Selon nous, cette
méthodologie comporte de nombreux intérêts pour notre enquête que nous allons souligner à présent. Dans cette pratique, la photographie est considérée comme un moyen d'expression associé à l'entretien (Bigando, 2013). En tant que support, elle facilite la relation entre l'enquêteur et l'enquêté et favorise l'expression de l'individu. Pour Collier (dans ibid.,), la relation triangulaire entre l'enquêteur, la photographie et l'enquêté avilit la pression que l'interviewé ressent dans une situation typique d'entretien, car il se sent moins au coeur de celui-ci.

De plus, la photographie est un point de référence sur lequel l'informant peut se baser qui, par son aspect convivial, génère une ambiance propice à l'échange (Duteil-Ogata dans ibid.,). Étant le fruit de l'individu, le profil et ses photos de profil sont un moyen d'expression à deux niveaux à l'effigie de l'enquête menée par Bigando (2013). Construite par les individus, la photo de profil est une production visuelle qui lors de l'entretien, sera aussi une production verbale, car elle est l'objet d'un récit par le sujet (Bigando, 2013). En ce sens, elle est un support sur lequel le sujet va préparer une réflexion post photographique. Faire un entretien semi-directif en y associant le profil et ses illustrations comme support facilite l'adaptation d'une posture réflexive par l'interviewé. Par la « photo interview » (ibid., 2013 : 11), l'interrogé est enclin à fournir un discours construit et réfléchi sans interagir avec le chercheur (ibid.). Avec la méthode de photo-élicitation interview, nous comptons entrer dans le monde de l'enquêté à travers ce qu'il donne à savoir par son profil. En outre, la « photo interview » fonctionne comme une discussion où l'on construit activement avec l'enquêté des significations (Schwartz, dans ibid.)

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Plus concrètement, les enquêtés devront expliquer et argumenter leur profil avec ses composantes textuelles et visuelles. Nous avons recensé ici quelques axes essentiels :

-Décrire chaque photographie en précisant ce que l'on doit y apercevoir.

-Argumenter le choix des photographies utilisées (qu'est-ce qui est important, considéré

-Comme une plus-value? Que signifie telle photographie ? pourquoi tel style ou figuration?

-Expliquer la description textuelle, les intentions et les significations de celle-ci.

-Décrire le lien entre la description textuelle et visuelle.

-Expliquer les difficultés la construction du profil.

-Justifier les choix de mise en scène (pourquoi telles image, mentions, etc.).

La posture du chercheur

À l'effigie de tous les autres types d'entretien en sociologie, il est nécessaire d'adopter une posture neutre appelée « neutralité axiologique» (Weber, cité dans Kaufmann, 2014). Encensée, la neutralité axiologique n'est pas forcément une posture à adapter dans le sens stricto sensu du terme, mais il est essentiel de s'en rapprocher le plus possible. Nonobstant, nous pouvons pleinement tendre à adopter ce que Bethier (dans Sauvayre, 2013, p.61) nomme « la neutralité bienveillante ». Le substrat sur lequel repose cette neutralité est la capacité d'écoute, de compassion et de curiosité dont le chercheur fait preuve pour stimuler et faciliter l'échange. Cette nécessité d'écoute est centrale lorsque l'on mobilise le principe de photo-élicitation, car il faut savoir entendre le discours qui accompagne l'explication du profil et ce que celui-ci montre pour lui. Cela est plus particulièrement juste pour la représentation des photos de profil et le pourquoi de leur réalisation qui dans le cadre ce mémoire nous importe beaucoup.

Pour conclure, nous mettons un point d'honneur à rappeler que le recueil du discours de l'individu est le futur matériel du chercheur. Cela lui impose d'adopter une posture reconnaissante envers l'informateur et d'être à sa disposition, car il construit à travers sa subjectivité, le sens que représente pour lui l'objet étudié par l'enquêteur. In fine, c'est dans cette optique de favoriser la parole de l'enquêté que nous comptons mobiliser pleinement le rôle du « support photographique ».

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Définition de la population

Notre corpus d'enquêtés est constitué de 21 individus, dont 11 hommes et 10 femmes. Ils sont âgés entre 21 à 30 ans et la moyenne d'âge est de 23 ans (voir annexe A). Nous avons au sein de ce corpus des femmes et des hommes ayant des orientations sexuelles différentes ce qui nous permet de constater s'il y a une variance selon l'orientation sexuelle. Notre population est majoritairement constituée d'étudiants/de personnes en fin d'études. On voit que dans notre tableau de présentation des enquêtés (voir annexe A), la quasi-totalité d'entre-eux n'ont pas de recherches structurées et optent pour « aller au feeling ». Pour accéder aux interviewés, nous avons invité les utilisateurs à participer par le biais d'un compte Tinder où nous expliquons le cadre de la recherche. Il est aussi employé la méthode de proche en proche qui consiste à mobiliser le réseau des enquêtés pour obtenir d'autres personnes souhaitant s'investir dans ce mémoire (Blanchet et al. 2012).

Dans un premier temps, nous allons explorer dans notre état de l'art quelle est l'histoire des sites de rencontre et quels sont les codes qui régissent leur création ? Nous nous focaliserons particulièrement sur l'application Tinder qui est notre terrain d'enquête puis nous explorerons qui sont les utilisateurs des services de rencontre en ligne.

Le deuxième chapitre a pour objectif d'apporter des éléments de compréhension sur l'histoire, le cadre de l'amour et comment se traduit sa rencontre avec l'économie. Nous explorerons ensuite l'impact d'un nouveau type de relation « les relations éphémères » sur le « moi ».

Enfin, dans la dernière partie, il sera ici mis en avant les logiques cognitives entraînées par l'architecture de Tinder puis nous montrerons comment les individus se mettent en scène sur les applications de rencontre et qu'est-ce que cela implique ?

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III.Tinder, l'un des plus grands marchés de l'amour en ligne

A.Histoire et architecture des sites de rencontre en ligne

Succédant aux annonces matrimoniales et le minitel, les sites de rencontre ont émergé à la fin du XXème siècle avec la création de « Match.com » puis, de « Netclub.fr » en 1997, qui fut le premier site de rencontre français. En 2002, un pionnier de la sphère du web francophone nommé Marc Simoncini a ouvert le site Meetic.fr. (Bergström, 2016). Considéré comme un marché économique facilement rentable pour les entrepreneurs, le nombre des sites de rencontre explose en France pour atteindre en 2008 un inventaire de 1045 sites de rencontre francophones (ibid.). Dans ce marché monopolistique rude, le déclin du nombre de sites de rencontre au cours des années vient contredire la doxa des entrepreneurs sur ce nouveau marché « facile». En 2013, « [...] 37 % des sites de rencontre avaient déjà disparu du Web» (Ibid., p.46).

Pour afficher leur position (« sexe» ou « amour »), les sites et applications émettent une première opposition dans leur charte graphique (ibid.). Ainsi, un site se voulant « sérieux» sera doté d'une charte plus sobre tandis que les sites à vocation « sexuelle» se tourneront sur des couleurs chaudes. Bref, cette utilisation omniprésente des stéréotypes crée une distinction claire pour leur public. En arborant par le biais d'un logo et d'une charte graphique, il ressort un univers symbolique (sexe ou amour) clairement situé. On retrouve à travers cette distinction l'idéologie des concepteurs (plus que majoritairement masculin) qui associe la sexualité de l'homme à la libido et celle des femmes à l'aspect relation (ibid.). Considérée comme un public difficile, la gent féminine devient le public prioritaire des applications affichant un statut « généraliste» à l'effigie de Tinder. En fondant un univers pensé pour les femmes, les concepteurs affirment ces dernières ont des besoins spécifiques et évoquent tout particulièrement l'idée que les femmes sont incertaines au sujet de la nature de leur besoin (Bergström, 2016). Pour répondre à leurs attentes, l'espace de ces applications de rencontre se veut propre, lissé pour que rien ne puisse contrarier la gent féminine. Construits sur une présomption d'hétérosexualité, les services généralistes sont destinés à un public hétérosexuel où la sexualité reste essentiellement implicite (ibid.). Pour résumer la stratégie des services de rencontre à vocation « généraliste », employer un univers prédestiné aux utilisatrices, c'est pouvoir accumuler des profils féminins et ipso facto, attirer les hommes par leur mise en abondance (Bergström, 2019).

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Ainsi, « Dans ce modèle économique, les femmes s'apparentent plutôt au service proposé : ce qui est vendu est la mise à disposition de profils féminins et des moyens de contact avec les utilisatrices ». (ibid., p.65). En jouant sur l'axe de la mise en relation, les concepteurs vont proposer des abonnements à l'effigie de la panoplie d'abonnements proposée par Tinder. Pour Tabet (dans ibid., p.66), « Ce système de financement des services de rencontres -- c'est-à-dire l'attribution de la charge financière aux hommes -- s'inscrit dans ce que Paola Tabet appelle un «échange économico-sexuel» dans lequel sont prises les relations hétérosexuelles ». Auparavant, les dépenses économiques étaient fondées sur un principe de galanterie où il incombait aux hommes de payer par galanterie. Largement atténué avec l'arrivée du féminisme, certains hommes idéalisent tout de même cette forme de don et contre-don et espèrent, en guise de contre-don, la poursuite sexuelle de la rencontre (Kaufmann, 2011). Si les rencontres s'opèrent par le biais d'internet, nous pouvons donc dans certains cas supposer que celles-ci sont soumises à un double « échange économico-sexuel », où, d'une part, l'homme souscrit à un abonnement pour augmenter ses chances de mise en contact avec les femmes et, d'autre part, il peut être enclin à honorer ce fameux code de galanterie lors d'un rituel amoureux.

B.L'Uber du dating, Tinder

Lancé en 2012, Tinder est le leader mondial du marché des rencontres en ligne sur smartphone et comptabilise des statistiques monumentales. 3 ans après son lancement, l'application recensait d'ores et déjà 40 millions d'utilisateurs et 9 milliards de matchs. En reprenant la fonction de géolocalisation de l'application Grinder et en créant un système interactif, Tinder est devenu un des mastodontes du marché des rencontres en ligne. Disponible dans 197 pays, Tinder accueille en 2016 10 millions d'utilisateurs connectés quotidiennement et attire sans cesse de nouveaux usagers par sa popularité. Si l'on tient compte de la tendance décrite par Lefebvre (2018), 48 % des individus ont téléchargé Tinder en raison de sa popularité ou par l'influence de leur cercle social l'ayant d'ores et déjà employé. Simple d'utilisation, l'individu « swipe » à droite s'il veut « liker » un profil et « à gauche» s'il souhaite laisser sa chance à d'autres (voir annexeB). Connu des nouvelles générations, ce geste du pouce appelé « swipe » est considéré « comme un moyen de faire du shopping pour les partenaires» (Baxter, dans David et Cambre, 2016, p.3).

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Sans bénéficier d'abonnement supplémentaire, l'utilisateur dispose de 20 likes toutes les 24 heures et d'un « super like ». Le super « like » témoigne d'un attrait particulier pour un profil. L'utilisateur a le choix d'utiliser ce coup de coeur en matchant le profil ou en se référant à la liste « des coups de coeur » (voir annexe B).

Selon David et Cambre (2016), le fonctionnement des algorithmes fait en sorte qu'au fur et à mesure que l'utilisation de Tinder augmente, le nombre de profils qui sont présentés diminues. Bien que Tinder puisse évoquer « le fait d'aucun utilisateur n'est alentour », la plupart des usagers savent qu'en modifiant les paramètres de recherche (en faisant passer les filtres de recherche « des hommes et des femmes» à « des hommes ou femmes uniquement, ») de nouveaux profils seront disponibles. (ibid.). Il existe derrière ce système simple une multitude d'options proposées par Tinder pour augmenter ses chances d'avoir des « matchs 2». Tout d'abord, nous avons « le boost ». Cette option lucrative donne à l'individu une visibilité prioritaire dans la zone où il se situe pendant 30 minutes. Pour les plus mordus, il existe un panel d'abonnements ayant une visée à long terme dont nous allons tenter de décrire. En achetant Tinder Plus, l'utilisateur bénéficie de fonctions premium comme : disposer de likes en illimité et de 5 super likes par jour, obtenir la fonctionnalité « Rewind3 » et « passeport4 ». D'autres souscriptions telles que Tinder Gold et Platinium sont disponibles. Brièvement, Tinder Gold a les mêmes caractéristiques que Tinder Plus. Il octroie en supplément le fait que l'individu sait qui l'a « liké ».

En souscrivant au forfait Tinder Gold, le « dater» se voit proposer le dernier recours possible : Tinder Platinum. Présenté comme un abonnement de première classe, il autorise l'envoi de message avant d'avoir « matché » et d'accompagner celui-ci par un « super like ». Chaque « like » est désormais « prioritaire» et l'abonné a le droit de consulter qui il a « liké » pendant les sept derniers jours.

2 Si deux utilisateurs se « likent », il y a un « match » entre ces deux personnes

3 Le Rewind est une fonctionnalité permettant de faire des retours en arrière sur les profils

4 La fonctionnalité « Passeport» donne aux utilisateurs des recherches plus avancées sur les profils.

Là où, sans abonnement, l'individu n'a pas le moyen de déplacer sa localisation, la fonction passeport lui fait accéder à des recherches par ville, pays, etc.

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C.Qui sont les utilisateurs de rencontre en France?

Selon les dires de Tinder (2016) mentionné par Dredge (dans Lefebvre, 2018), Tinder est composé de 62 % d'hommes et de 38 % de femmes dont 85 % d'entre eux seraient situés entre 18 et 34 ans (Smith, 2016). En France, nous retrouvons cette même tendance sur les applications de rencontre. Selon l'enquête Epic (dans Bergström 2016), il est estimé en 2014 qu'environ 18 % des jeunes de 18 à 65 ans se seraient déjà enregistrés à un site de rencontre (ibid.,). Ce taux est important en comparaison d'autres pays comme les États-Unis où seulement 9 % des habitants de 18 ans ou plus ont utilisé un service de rencontre en ligne en 2013. En France, l'inscription des internautes aux applications de rencontre s'est banalisée au fil des années. Conformément à l'étude de la CSA5 et l'enquête CSF6 (dans Jaspard, 2017), le nombre d'inscrits serait passé de 1 sur 10 en 2006 contre 1 sur 5 en 2010. L'investigation de Bajos & Bozon (dans Bergström, 2011) relève que l'utilisation de ces services est redondante chez les jeunes entre 18 et 25 ans ou presque un tiers d'entre eux sont déjà allés sur un site de rencontre. Selon l'enquête INED7-INSERM8 sur la sexualité menée par Bajos et Bozon dans (Lejealle, 2008), 36 % des femmes âgées et 24 % des hommes entre 18 à 19 ans possèdent un compte sur un site ou une application de rencontre. Néanmoins, la tendance semble s'inverser dans les autres tranches d'âges où les jeunes hommes sont plus nombreux à recourir au marché des rencontres en ligne. L'enquête « Epic», Ined-Insee, 2013-2014 dans (Bergström, 2019) montrent qu'entre 26 et 65 ans, 16 % des hommes témoignaient s'être inscrits sur un de ces services contre 12 % des femmes (ibid.)

Pour Bergström (2019), cette surpopulation de jeunes hommes s'explique par le fait que les hommes ont tendance à se mettre en couple bien plus tard que les femmes même si cette tendance s'inverse à partir de 36 ans. Désavantagée, la jeune gent masculine obtient un taux très faible de réponse sur les services de rencontre. Si, en moyenne, un message sur dix obtient une réponse, c'est notamment par ce que les jeunes femmes recherchent des hommes plus âgés (Ibid.,).

5 Consumer Science & Analytics

6 Enquête Contexte de la Sexualité et France

7 Institut National d'Études Démographiques

8 Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale

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De manière plus globale, Lefebvre (2018) relève que de nombreux utilisateurs de Tinder possèdent (44,3 %) ou ont essayé (62,3 %) d'autres applications. Si l'on suit les tendances démontrées précédemment, nous pouvons suggérer qu'en raison d'une forte population masculine sur ces services où la concurrence est rude, les principaux utilisateurs de ces sites, les hommes, multiplient leur chance de faire des rencontres en s'inscrivant sur plusieurs applications à la fois. Cela illustre également le rapport « technique» des hommes envers la séduction en ligne.

D.Quels sont les effets de ce marché en ligne sur les rencontres?

Que ce soit pour les rencontres éphémères ou de longues durées, les statistiques esquissent un portrait assez médiocre des rencontres effectuées en mobilisant ses services. En 2008, l'enquête de Bojon & Bojos (dans Bergström, 2011) témoigne que seulement 4 à 6 % des Français ont trouvé un partenaire sexuel par le biais de ces moyens. Chez les personnes qui ont rencontré leur conjoint actuel entre 2005 et 2013, moins de 9 % l'ont connu par ce biais (Bergström, 2016). En sus, ces services ne constituent pas le contexte prioritaire de rencontre, ils se situent d'après Bergström (2016 : 9) : « [...] Derrière le lieu de travail, les soirées entre amis, les lieux publics et l'espace domestique (chez soi ou chez d'autres) ». Comme le souligne Wildermuth (dans Ward, 2016) et Bergström (2016), les applications de l'amour en ligne souffrent toujours d'une stigmatisation et sont perçues dans la doxa comme uniquement destinées à des rencontres passagères ou non « authentiques ».

Selon l'enquête Epic 2013-2014 (dans Bergström (2016), 57 % des enquêtés et deux utilisateurs sur trois de ces services affirment que ces sites provoquent majoritairement des relations occasionnelles. Ce point de vue rejoint l'idée de Wildermuth (dans Ward, 2016) qui explique que cette connotation « éphémère» associée à ce marché des rencontres aurait des répercussions dans les manières d'agir et de penser des usagers qui les mèneraient à considérer qu'utiliser Tinder pour le plaisir est plus acceptable. Bien que les statistiques présentées nous donnent un léger portrait socio-démographique sur les utilisateurs du marché de l'amour en ligne et tout particulièrement Tinder, il faut noter que plusieurs enquêtes telles que l'enquête Epic ont été effectuées entre 2008 et 2014 et qu'à l'heure actuelle, les manières de penser et d'agir envers ces nouveaux territoires de rencontre ont fortement évolué depuis.

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Nous pouvons supposer que ces statistiques seraient aujourd'hui largement en hausse. Si les précédentes enquêtes démontrent des statistiques faibles quant à la trouvaille de conjoints ou partenaires en France associée aux services de rencontre en ligne, il est nécessaire de relever qu'en raison de leur date d'élaboration, beaucoup d'entre elles ne mesurent pas les effets du mastodonte du marché des rencontres en ligne apparu en 2012 : Tinder. À l'origine de la démocratisation des applications de rencontre, Tinder a eu un impact conséquent sur ce nouveau marché.

E.Le premier pas sur Tinder

Lorsqu'un individu souhaite s'inscrire sur Tinder, celui-ci passe par différentes étapes. Après quelques démarches simples (entrer son adresse électronique, lier ou non son compte Tinder à son compte Facebook ou Apple), la personne inscrit son prénom (non modifiable ensuite) et sa date de naissance. Après avoir enregistré son identité, il mentionne son genre à partir de trois propositions [homme, femme ou « plus »9] et sélectionne son ou ses orientations sexuelles dont il a la possibilité d'afficher ou non sur son profil. Enfin, il choisit ce qu'il veut voir (des femmes, des hommes ou tout le monde). Les prochaines étapes concernent des données sociales comme le lieu où l'utilisateur a effectué sa scolarité, ses passions (où il peut en sélectionner cinq sur une liste exhaustive). La mention de ces caractéristiques n'est pas obligatoire, l'individu est libre de passer ces étapes contrairement à l'ajout de photos qui nécessite deux photos pour poursuivre son inscription.

En activant la localisation, il lui est désormais possible de « liker » et « matcher » avec d'autres utilisateurs. Il peut établir ses critères de recherche en jouant sur la distance de recherche allant de 2 km à 500 km, l'âge, le ou les genres qu'il recherche ou en activant l'option internationale pour pouvoir matcher avec des gens du monde entier. En réglant ses paramètres, l'utilisateur a le droit de ne pas afficher : son profil sur Tinder, son âge, son orientation sexuelle ainsi que la distance avec les autres profils.

9 La catégorie « plus» recense des genres minoritaires comme; hommes ou femmes transsexuels, transgenres, agenres, androgynes, etc.

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La construction du profil Tinder se découpe en deux parties : les éléments visuels (photographies et micro-vidéos allant jusqu'à 2 ou 3 secondes maximum) et les éléments textuels (voir annexeB). Obligatoire lors de l'inscription, la personne a désormais le choix de constituer son profil avec plusieurs photographies (neuf maximum). En liant son compte Instagram à son compte Tinder, il lui est possible d'associer directement les données visuelles de son Instagram à Tinder. La description est la composante essentielle des énoncés textuels bien que celle-ci soit limitée à 500 caractères.

D'autres rubriques facultatives viennent en complément de cette présentation écrite comme : la mention des passions (allant jusqu'à cinq passions), le titre d'un poste et l'entreprise, la formation, le lieu de vie, les photos Instagram récentes de la personne, la chanson culte sur Spotify (dont il est possible d'en écouter un vague extrait via Tinder), les artistes Spotify10 préférés, le sexe et enfin l'orientation sexuelle. Bien que la quantité d'informations pouvant être intégrées sur Tinder soit assez dense, la seule composante laissant une grande marge d'expression de l'individu se situe dans la rubrique « À propos de moi» et celle-ci est limitée à 500 caractères. Néanmoins, l'utilisation des 500 caractères disponibles n'est pas pleinement employée pour la majorité des utilisateurs.

Selon l'étude de Lefebvre (2018), 74,4 % d'entre eux disposaient d'une description ayant une moyenne de 31, 75 caractères et 25,6 % n'en avaient pas rédigée. Si la rédaction est en moyenne peu employée par les individus, ils mobilisent davantage les photos et micro-vidéos étant donné que celles-ci peuvent être directement liées à Instagram. Autorisant 6 photos de profil en 2016, l'enquête de Lefebvre (ibid.) démontre que les participants ont tendance à employer la majorité des images allouées en ayant en moyenne 5,62 images.

10 Spotify est une application de musique sur smartphone. La liaison entre son compte Spotify et celui de Tinder permet de mettre en avant ses goûts musicaux.

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IV. Quand la sociologie rencontre l'amour

Au fil des siècles, les sociologues se sont intéressés au champ de l'amour (Durkheim, Weber, Engels, Girard, Bozon et Héran etc.). La modernité suscite de nouvelles questions sociales au sujet de l'amour en déstabilisant les pratiques de comportements associés à l'émotion. On distingue dans la sociologie francophone plusieurs courants de pensée à ce sujet. La première perspective est issue d'une sociologie critique. Grande penseuse de ce siècle, Eva Illouz (2020) démontre en explorant les résultantes de ces nouveaux marchés de rencontre en ligne qu'ils ont contribué à une séparation du registre de l'amour et de l'émotion venant fragiliser les relations à travers une l'incorporation d'une logique capitaliste dans l'amour. Dans « la fin de l'amour», Eva Illouz analyse les relations sous une forme négative (tout comme Freud) et étudie les mécanismes entravant le fonctionnement des rencontres qui sont selon elle caractérisées par l'incertitude et le « non-choix ». Les concepts de « non-choix» et « d'incertitude» résultent en partie de la reproduction des attitudes consuméristes sur la sphère de l'amour.

Sur les applications de rencontre, les nouvelles formes de relation (éphémères) viennent refléter les logiques capitalistes. L'évaluation de l'individu centrée sur le corps et l'abondance de choix venant raffiner davantage les goûts de la personne sont autant de facteurs menant à une forme de « non-choix ». On s'aperçoit de la séparation des registres émotionnel et sexuel dans les nouvelles relations éphémères possédant dans leur dénomination un caractère négatif [« le plan cul» par exemple]. Ces nouvelles formes de liens sociaux permettent à l'individu de quitter la relation à tout moment, de préserver et développer son « moi » en se forgeant une expérience dans la sexualité. Le désir de l'individu étant situé dans le « moi consommateur» et le « moi sexuel» (Illouz, 2020), l'individu ne sait pas situer son désir. Au lieu d'être précis et fixé sur un objet, celui-ci devient excessif et difficilement identifiable. Pour résumer la pensée d'Illouz, les relations éphémères fragilisent les frontières sociales et ethniques. Ces liaisons seraient régies par une forme de consommation abondante possédant en elles de « nouvelles normes morales ». Celles-ci se traduisent par l'instauration d'un nouveau cadre culturel nommé « la liberté institutionnelle» (Illouz, 2020). Dans cette forme de liberté, le choix devient l'objet d'une relation avec soi-même, il a pour objectif de nous faire parvenir à atteindre notre moi « idéal» peu importe les frontières ou déterminants sociaux auxquels nous sommes confrontés. En outre, ce nouveau cadre culturel sur lequel reposent les relations suscite des manières différentes de penser ses liaisons.

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Pour Illouz (2020), le processus d'évaluation des profils basé essentiellement sur « le corps en image » incarnerait la chute des normes et des logiques sociales associées aux rencontres traditionnelles. D'autres chercheurs (David et Cambre, 2020 ; Galligo, 2017) rejoignent l'idée d'Illouz et considèrent que, sur ces applications, la sélection du futur « match » est réduite à une simplicité binaire s'opérant par l'évaluation d'un corps « marchand». Si ce postulat relève des traits négatifs impliqués à ce nouveau marché de l'amour (l'abondance du choix formant un non-choix, le maintien des relations à l'état gazeux), la perspective de Kaufmann s'avère plus optimiste.

Tout comme les autres chercheurs mentionnés précédemment (David et Cambre, 2020 ; Galligo, 2017 ; Illouz, 2020), Kaufmann (2011) considère la naissance de ces nouvelles technologies comme une sorte de révolution dans les relations libérant les individus des normes et entraves de la société associées au mode de rencontre traditionnel. Que ce soit pour des rencontres éphémères ou durables, ce bouleversement des rencontres aurait des effets libérateurs pour les individus. Pour Kaufmann (ibid.), le sexe est aujourd'hui en pleine transformation, il devient « banalisé », simple et agréable alors qu'auparavant, il était joint à un univers symbolique de l'angoisse.

Bergström (2019) s'oppose à la pensée de Kaufmann et d'Illouz en affirmant par le biais d'une approche sociodémographique que les plateformes de rencontre en ligne ne sont pas l'objet de la chute des normes sociales. Pour Bergström (ibid.), ces normes se réinvestissent dans ces services sous de nouvelles formes. Que ce soit dans la sphère anglo-saxonne ou française, de nombreux chercheurs rejoignent le constat de Bergström (Nadaud-Albertini, 2019 ; Sumter et al. dans Ingram et Al. 2019). Selon eux, les dispositions internes de l'individu manifesteraient cette réappropriation des frontières sociales étant donné qu'elles ne s'évaporent pas des utilisateurs lorsqu'ils sont sur ces services de rencontre en ligne. Elles interviendraient à chaque instant dans les mécanismes de sélection et de jugement (Orgeta, Hergovich, dans Bergström, 2019). L'une des perspectives intéressantes mises en avant par Bergström (2019) est la privatisation des rencontres. Car les espaces de rencontre en ligne se situent en dehors de la sphère sociale (les amis, la famille, etc....), les activités sociales ordinaires se retrouvent dissociées du domaine des rencontres. En outre, la privatisation des rencontres vient marquer une rupture essentielle par rapport aux modes de rencontres traditionnels qui étaient liés à la sphère sociale de l'individu.

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Histoire de l'amour

Entre-le XVIII et le XIXème siècle, la cour était un cadre social façonnant la prise de décision et assurant une réciprocité des sentiments entre les partenaires dont l'accomplissement était le mariage. Auparavant, cette ligne directrice structurée et traçant le futur par un ensemble de règles produisait de la certitude dans la définition des situations et permettait au sujet de se situer dans celle-ci. (Illouz, 2020). Pour Solomon et Knobloch dans (ibid., p.56), « La certitude peut être décrite comme « la capacité d'une personne à décrire, prédire et expliquer le comportement dans des situations sociales ». En outre, cet ensemble de normes structurées et structurantes a guidé les manières d'agir et de penser dans le XVIII et XIXème siècle en régissant les aspects principaux du système de la cour amoureuse. Cette certitude normative forme ce qu'Illouz (2020) appelle la certitude existentielle (qui suis-je, comment répondre, etc..). Le rôle de chacun étant parfaitement intériorisé et situé, il n'y avait pas d'ambiguïté dans les rituels de la cour (Ibid.). Courtisant la femme, l'homme devait suivre différentes procédures pour lui témoigner son amour et sa fidélité afin que celle-ci choisisse de l'accepter. Si jusqu'à la moitié du XXème siècle, l'amour était intrinsèquement lié au mariage, la liberté sexuelle conquise par les femmes est venue casser l'idéal du mariage d'amour qui va progressivement se dissoudre dans le « couple d'amour ». La dissociation du couple avec le mariage et celle du sexe avec la reproduction sont autant de facteurs ayant favorisés l'acquisition de nouveaux partenaires tout au long de la vie de l'individu. Il résulte de ces césures une perte des délimitations entre la jeunesse et l'âge adulte préalablement construit par le mariage (Bozon, Singly, 2015).

Si pour les hommes, le rapport sexuel devient une affirmation de la virilité (Giddens, 2007), il reste ne source de questionnement pour les femmes. Malgré la conscience d'avoir obtenu une « liberté sexuelle », le rapport sexuel ne fait pas l'objet d'une recherche pour la gent féminine, car celui-ci ne reste licite dans les représentations que lors d'une relation stable, dans une optique amoureuse ou conjugale. Là où le désir des femmes est régulé, les hommes perçus comme indépendants ont un désir qui réclame satisfaction (Spencer, dans Bozon, Singly, 2015). Dans la représentation du besoin sexuel, les deux genres admettent le fait que les hommes auraient plus de « besoins sexuels» que les femmes (Bozon, Singly, 2015). On retrouve ces représentations dans le fait que les hommes sont plus nombreux à penser que l'on peut avoir des rapports sexuels sans aimer que les femmes (Ibid.)

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À l'effigie de la citation « le hasard fait bien les choses », la mécanique du « hasard» dans les rencontres a été placée au centre de la représentation de l'amour des individus et reconfectionne leur propre histoire (Bergström, 2019). Dans les années 1980, Bozon et Héran (1988.) établissent l'enquête « La formation des couples ». En questionnant les individus sur la rencontre avec leur conjoint, trois quarts des répondants déclaraient justement que celle-ci avait eu lieu « par Hasard» (75 %), alors même qu'ils étaient également nombreux à considérer que la rencontre avait de «bonnes chances» de se produire (43 %). Si l'amour devait nous tomber sur la tête, les sites et applications de rencontre viennent contredire cette logique en invitant les sujets à trouver leur partenaire. Cela vient induire un paradoxe entre la nécessité de faire des rencontres et la stigmatisation pour l'avoir provoquée (Bergström, 2019). Ainsi, comme le dit Bergström : « Présenter celle-ci comme l'oeuvre du hasard est une manière de signifier l'union comme une relation d'amour et de rendre l'expérience intelligible en tant que telle» (ibid., p.32). Le déclin de l'identification de la sexualité à la reproduction, au mariage et à l'hétérosexualité caractérise selon Bozon (dans Bozon, Singly, 2015) non pas une révolution sexuelle en soit, mais d'une individualisation des comportements et idéaux due à l'avilissement de la vision institutionnelle de la sexualité. Il faut rappeler ici que, jusqu'à la deuxième Guerre Mondiale, l'amour était vécu comme une transcendance avec le mariage et s'inscrivait dans une visée individualiste. Troublées et diversifiées, la sexualité et sa cohérence reposent dorénavant sur les épaules de l'individu.

A.L'économie de l'amour

La naissance de la consommation visuelle née à la fin du XXème siècle a pris une grande place dans la sphère culturelle et économique au XXIème siècle en faisant « [...] de l'identité sexuelle une performance visuelle médiatisée par des biens de consommation » (Addison, dans Illouz, 2020, p.73) et « [...] de la libération sexuelle une pratique culturelle instituée par un ensemble de codes, de styles et de signifiants visuels » (ibid.). Depuis les années 1960, la mise en scène du corps de la femme sur l'industrie a monnayé celui-ci. Que ce soit par le biais des pubs, des cinémas ou des films, le corps de la femme « sexualisé» a été exposé sur la scène médiatique. On retrouve le prolongement de cette mise en scène du corps de la femme dans les industries ayant émergées avec l'arrivée d'internet comme l'industrie pornographique. Devenue une performance visuelle, la sexualité a été transformée, elle est l'objet d'une abondance spectaculaire mettant en scène des marchandises associées à la sexualité (Debord (2008). Dépourvue de l'appartenance religieuse, la sexualité a été incorporée dans la culture de la consommation. C'est la culture du « bien vivre sa sexualité» qui s'observe par l'émergence des marchés pharmaceutiques et thérapeutiques.

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En résumé, la culture consumériste a formé une « pulsion de la sexualité» en la densifiant et en l'impliquant à de nombreux d'univers. Elle se retrouve dans des biens solides, des biens associés à une expérience (café, bars de célibataires, camp de nudistes), à des produits thérapeutiques visant à améliorer la performance (thérapies, magazines, pornographie), ou enfin, à des marchandises atmosphériques. L'influence médiatique et cinématographique, les produits cosmétiques et les vêtements sont autant d'éléments ayant mis en forme la sexualité dans « un régime d'action scopique » (Illouz, 2020, p.73) exposant au public par une multitude d'images un corps sexualisé et attirant. Si la sexualité s'est transformée en objet de performance incarnée dans le marché de consommation, la performance et l'attirance sexuelle forment des indicateurs situant la position d'une personne dans la sphère sexuelle (Ibid.). Créant deux types de rencontres distincts : la rencontre sexuelle et émotionnelle, la liberté sexuelle va finalement être récupérée par le capitalisme scopique.

Par capitalisme scopique, Illouz (2020) désigne cette transformation de l'attrait physique et de la sexualité des femmes en marchandises produites par le regard et fondées par l'ensemble des industries prenant en charge « le moi» par l'image. En outre, le capitalisme scopique est une forme de capitalisme ayant créé une valeur économique par la spectacularisation du corps et la sexualité en image. Pour Illouz (ibid.), cette nouvelle forme de capitalisme est devenue un cadre structurant les images et histoires. De manière plus globale, c'est aujourd'hui le bien-être qui s'étale sur nos murs, dans la publicité et sur nos écrans. Comme le mentionne Heilbrunn (2020, p.19) : « Le bien-être est devenu une marchandise de notre société où la quête du bonheur est imposée ». Transférant le bien-être en finalité et l'émotion en marchandise, la société de consommation nous suggère qu'il est le fondement de notre vie (ibid.). En cette raison, il existe une flopée de professions prenant en charge le bien-être. Nous pouvons citer ici la psychologie qui a pris une place importante dans l'amour lors XX ème siècle. Elle a été à la genèse de l'idée que la sphère amoureuse est intrinsèquement liée à la responsabilité des individus. Ce caractère douloureux des expériences amoureuses a permis la genèse de « professionnels» (psychologues, psychanalystes, médiateurs, etc..) spécialisés dans l'amour (Illouz, 2006). Aujourd'hui, un tas de forces avilit cette ancienne forme d'amour « transcendante ». Les sites de rencontre comme Tinder viennent dissocier davantage le registre émotionnel et celui de l'amour. En modélisant les rencontres, le capitalisme scopique a transformé des relations stables en des formes de relations négatives connotées par des stigmates négatifs.

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C'est particulièrement l'objet des relations éphémères qui ont dans leur dénomination cette représentation de la tendance hédoniste (« le plan cul », « le plan baise »). Véritable objet employé par le capitalisme scopique, la révolution sexuelle va produire un effet contraire à ses attentes. Cette hypersexualisation omniprésente dans la société va produire des dysfonctionnements dans les relations dont Illouz (2020) en décrit les mécanismes. Restant toujours à l'épiderme, l'un des mécanismes caractérisant ces relations est l'incertitude affective (Illouz, 2020). Cette forme d'incertitude trouve son essor dans l'incorporation de l'idéologie du marché de consommation et à travers une logique où le choix individuel est placé au centre de la liberté personnelle. Cette absence de délimitation, que ce soit dans le cadre ou le but des contrats sexuels et affectifs, forme pour Illouz une structure négative des relations. Celle-ci se caractérise, en outre, par l'impossibilité d'évaluer et de mener la relation par le biais de scénarios sociaux stables.

En considérant la liberté comme impactante sur la restructuration d'un champ d'action à l'effigie de Foucault, l'hypothèse d'Éva Illouz (2020) dans « La fin de l'amour» met en avant une dissociation entre la liberté sexuelle et émotionnelle. Selon Illouz (2020), elles se situent dans deux structures institutionnelles distinctes. Tout d'abord, la liberté sexuelle serait le nouveau cadre culturel par lequel les individus mobilisent une multitude de ressources (technologiques, scénarios culturels, etc.) pour structurer, guider, et définir leur comportement. Contrairement à la liberté sexuelle, la sphère émotionnelle est un domaine problématique, flou, qui renvoie à l'incertitude et au chaos (Illouz, 2020).

Dépourvue de contenu normatif, la liberté a été réemployée par les logiques consuméristes. Celles-ci imprègnent les sphères affectives et sexuelles et impliquent de réfléchir à nouveau le sens et l'impact de cette nouvelle forme de liberté. Comme le dit Éva Illouz : « La sexualité a été investie par les méthodes psychologiques, la technologie et le marché de la consommation, lesquels ont en commun de fournir une grammaire de la liberté qui traduit le désir et les relations interpersonnelles en une simple question de choix individuel.» (Illouz, 2020, p.28). Déjà incorporé dans de nombreuses institutions, le choix est devenu une relation avec soi-même, il est l'indicateur d'un bon développement personnel et procure une sensation qui nous nous construisons de manière indépendante.

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Plus que jamais au coeur de l'individualité, il est le principal vecteur dans la consommation et dans la sexualité. Premièrement, celui-ci suppose, comme en économie, une offre de bien, c'est-à-dire, l'idée que le produit en question existe en grande quantité. Deuxièmement, le choix se rapporte à la subjectivité de l'individu (ai-je fait le bon choix) et traduit l'expression de ses besoins et désirs. En devenant un marché, les rencontres sexuelles sont perçues comme « un choix» pour l'individu impliquant de manière sine qua non de l'« incertitude ». Le fruit de cette incertitude est aussi dû au fait que ce nouveau processus de rencontre dispose de peu d'interdictions et de normes. En livrant les individus à eux-mêmes pour fixer leurs propres normes et conditions, le marché de la rencontre forme une incertitude cognitive et affective (Illouz, 2020). Ce bouleversement des manières d'agir et de penser les rencontres constitue ce qu'Éva Illouz (ibid.) appelle le non-amour. Dans cette forme de subjectivité nouvelle, le choix est à la fois positif et négatif. Il est positif dans le sens où les individus désirent et veulent quelque chose, mais il est aussi négatif, car les individus sont trop indécis pour désirer quelque chose de précis. En priorisant son soi, les relations sont caractérisées par un évitement, car le sujet est trop indécis pour désirer. La tendance à souhaiter accumuler des expériences implique le fait que le choix perde de sa pertinence émotionnelle.

En divaguant de relation en relation et en y mettant un terme à chaque fois, le sujet affirme son autonomie. « Le non-amour est donc en même temps une forme de subjectivité -- ce que nous sommes et comment nous nous comportons -- et un processus social qui reflète l'impact profond du capitalisme sur les relations sociales (Illouz, 2020, p.30) ». C'est paradoxalement dans une logique de choix abondante qu'il existe une sorte de « non-choix» qui se caractérise par l'évitement, le refus d'engager une relation, la maintenance de celle-ci à l'état gazeux, etc. Cette ère du « choix de ne pas choisir» est aujourd'hui une modalité dominante dans notre culture de la consommation pouvant être constatée par plusieurs statistiques sociodémographiques [la chute des natalités dans l'Europe de l'Est et occidentale, la hausse de double « vie », etc..]. Traduisant l'absence et les nouvelles formes de relations rapides, le choix négatif caractérise cette épidémie de la solitude relevée par la baisse de nombre de partenaires sexuels chez la génération internet (née après l'an 2000) par rapport aux générations précédentes, ce qui tend à faire apparaître l'absence de sexualité comme un nouveau phénomène social (Twenge dans Illouz, 2020).

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B.Les relations éphémères, l'incertitude et le développement du moi

Nouvelle productrice de valeurs et de statuts, cette forme de relation sociale centrée sur l'hédonisme est une véritable affirmation de « soi », d'authenticité et d'autonomie chez les individus (Illouz, 2020 ; Kaufmann; 2011). Dans ces relations sans lendemain, les personnes se substituent telles des marchandises où l'orgasme devient une monnaie d'échange (Illouz, 2020). Dans la culture sexualisée, hommes et femmes sont interprétés comme des « acteurs sexuels ». Il y a une accentuation de l'incertitude dans la définition des relations éphémères et semi-affectives exercée par les nouveaux marchés en ligne comme Tinder créant des « incertitudes sur les attentes ». Dans ces moments d'incertitude mutuelle, il revient souvent à l'homme de prendre la situation en main pour refixer le cadre de la liaison bien que souvent lui-même ne sache même pas vraiment la définir. Comme le décrit Kaufmann (2011), les utilisateurs des services de rencontre en ligne se situent dans une logique de « marcher au feeling» en s'amusant à « flirter» en ligne. Selon Kaufmann (2011), les individus structurent la suite de la rencontre lors du premier rendez-vous. Néanmoins, rien n'est certain, car l'autonomisation de la sexualité vient intégrer dans la poursuite de la rencontre une incertitude au sujet de la valeur de soi et de l'autre et rend incertaines les perspectives émotionnelles. Comme le dit Illouz (2020), même les définitions d'une relation et de l'état émotionnel du sujet deviennent des incertitudes.

Construite par une conception masculine de la sexualité, la sexualité sans lendemain tend à affirmer l'idéologie selon laquelle seule une sexualité désengagée est libre (Illouz, 2020). Ipso facto, cette idée tend à rapprocher la sexualité libérée de la sexualité de l'homme. Pour les femmes, cette nouvelle perspective de la sexualité a des conséquences moins favorisantes que chez les hommes. D'une part, la sexualité des femmes a été encastrée par des manières de penser et d'agir traditionnelles dans lesquelles elles ont échangé leur sexualité contre des ressources économiques et sociales. D'autre part, les femmes ont toujours été associées à la sphère relationnelle et affective (la naissance d'un enfant, le soin, etc..). Que ce soit dans les rôles sociaux (être mère), dans les statuts socio-économiques (être infirmière, baby-sitters), le relationnel reste une composante essentielle de la sexualité féminine (Ferrand et al. dans Illouz, 2020).

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Pour résumer, si les relations sans lendemain peuvent être bénéfiques pour augmenter son « capital sexuel» chez les hommes (Illouz, 2020), ce type d'interaction est plus complexe à vivre chez les femmes. Ces relations sont pour les femmes considérées çà et là, comme une forme de pouvoir et de plaisir et comme un rejet de leur identité symbolique. Dans cette logique, la sexualisation des relations « [...] place les hommes et les femmes dans des positions différentes à la fois dans le champ sexuel et dans la structure sociale des relations intimes» (Illouz, 2020 p.124). Par exemple, l'attractivité sexuelle des femmes conquises par les hommes est souvent employée comme une sorte de capital chez les hommes qui sont évalués par leurs pairs.

On retrouve aussi différentes mobilisations de capitaux considérés comme attractifs selon les genres. Chez les hommes, le capital social et économique a une grande importance pour son attractivité tandis que chez les femmes, leur valeur attractive reste assujettie à des critères physiques. Ipso facto, les femmes perdent plus vite en attractivité que les hommes où leur attirance repose sur des variables plus pérennes. Même si la gent féminine est dotée d'un haut niveau d'éducation, celui-ci est enclin à provoquer un rendement négatif sur les services de rencontre (Bertrand et al. dans Neyt al. 2019). Traduisant le maintien de normes de genre, les hommes jugent les femmes ayant un haut niveau d'éducation moins attractives et désirables en établissant une corrélation entre le niveau d'éducation et de salaire (ibid.). Cela semble faire écho à l'idéologie selon laquelle « l'homme doit ramener l'argent à la maison ».

Considéré comme une marchandise à part entière, le corps de la femme tend à se dégrader avec l'âge, ce qui se traduit par une perte de valeur du corps féminin. Au fur et à mesure de l'avancée en âge, le corps féminin se risque lors de son évaluation à une dévaluation qui s'opère en raison de sa perte de valeur et sa possibilité de remplacement. Dans les nouveaux marchés de rencontre, les corps sexuels mis en scène sont perpétuellement remplacés dès lors qu'ils deviennent obsolètes. Pour obtenir et maintenir une certaine valeur, ils nécessitent une gestion et un travail sur l'image qu'ils dégagent. Faisant face à une concurrence abondante, les individus s'évaluent en se comparant et sont sans cesse confrontés aux risques et à l'incertitude qui menacent leur valeur (Illouz, 2020). Dans les relations sans lendemain, le partenaire est perçu comme un objet sexuel dont sa valeur est définie par son attrait sexuel (majoritairement physique).

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La sexualisation des rencontres met en avant un problème majeur : le corps devient le substrat de l'interaction. Ipso facto, cela limite la possibilité d'échanges affectifs. Les rencontres éphémères imposent une structure de don et de contre don de manière immédiate (le plaisir direct) ne laissant pas envisager les notions de temps et d'avenir qui, pour Bourdieu (dans Illouz, 2020), structurent l'échange de dons et sont intrinsèquement liées à la réciprocité. L'absence de noyau normatif, de frontières claires entre les relations sexuelles et affectives et enfin l'incertitude dans l'objectif de l'interaction sont autant de facteurs formant une incertitude dans les relations. Car le lien qui se fonde dans celles-ci repose uniquement sur l'expression et l'affirmation de soi en ignorant la subjectivité de l'autre, ces relations sont considérées pour Illouz (2020) comme « négative ». « [...] «négatif» signifie ici que le sujet ne veut pas de relation ou est incapable d'en former en raison même de la structure de son désir. Dans un «lien négatif», le moi échappe complètement au mécanisme du désir et de la reconnaissance11 » (ibid., p.133).

Illouz recense cinq affinités entre les relations négatives et le capitalisme scopique. Tout d'abord, dans la logique d'offre et de demande structurant les rencontres sur ce marché sexuel, les hommes et les femmes forment des relations en fonction d'un capital sexuel et pour différentes raisons (économiques, hédonistes, émotionnelles). Ils peuvent être issus de groupes et milieux sociaux différents et ils s'échangent à travers une application de rencontre des attributs asymétriques. Par exemple, de manière caricaturale, la beauté d'une femme contre le statut social de l'homme. On retrouve également une affinité entre le capitalisme et les relations négatives qui se traduit par la rapidité de consommation du produit. C'est le postulat même de l'aventure sans lendemain où l'interaction éphémère et rapide permet de satisfaire les plaisirs de chacun. La troisième concordance vient du fait qu'étant régie par le capitalisme scopique, la sexualité forme des clivages différents entre les sexes dans les valeurs sociales. Il existe également un lien entre les relations négatives et cette forme de capitalisme dont nous avons déjà abordé l'aspect : la notion d'incertitude quant à la valeur du bien échangé.

11 « La reconnaissance suppose la capacité à prendre en compte une personne dans son intégralité, avec ses objectifs et ses valeurs, et à s'engager dans une relation de réciprocité. Benjamin (dans Illouz, p.181) »

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Étant plus exigeants, on retrouve dans les attentes des individus par rapport à la valeur subjective12, une notion d'incertitude dont la personne tend à développer des stratégies pour s'en prémunir. Enfin, la dernière liaison provient de cette forme d'anomie dans les relations où il est complexe de maintenir ou construire des contrats émotionnels. Il faut dire que l'extrême sexualisation des rapports intimes est une variable importante dans le maintien des relations à l'état gazeux.

Cette architecture des relations négatives indique cette concordance entre les logiques et caractéristiques du marché capitaliste et l'amour. On peut ici relever deux traits fondamentaux des relations négatives : l'impossibilité de se situer et d'établir des attentes en rapport à la relation. En outre, ces relations ont en leur sein même un problème non solvable (Illouz, 2020). Pour conclure, les relations négatives reposent davantage sur le principe d'évaluation que celui de reconnaissance. Se soldant très souvent par un rejet, l'évaluation d'autrui selon des critères définis forme pour Illouz une notion de « non-choix ».

Sur un marché sexuel compétitif, les refus et rejets sont plus nombreux et durs à encaisser. Selon sa valeur attractive, l'individu peut obtenir au bout de son écran un grand succès ou être délaissé brutalement. Comme le mentionne Kaufmann (2011, p.17) : « [...] Sur internet comme ailleurs, on prend des claques ». L'exposition de son moi sur des applications de rencontre est à double tranchant pour les individus et tout particulièrement pour les hommes qui, on le rappelle, constituent une part élevée dans les utilisateurs. Sur les sites de rencontre, un surplus d'intérêt est considéré comme une marque de dépendance alors que son contraire est représenté comme une marque de domination. Devant exprimer son autonomie, mais aussi son attachement, l'individu vacille entre ces deux impératifs en développant dans son « moi » une sensibilité aux marques de désintérêt et en formant des aptitudes pour se retirer d'une relation menaçant le moi (Illouz, 2020). Pouvant s'accroître, se maintenir ou s'avilir, l'estime de soi requiert des stratégies venant à le protéger qui impliquent « un non-choix» majoritairement dû à la crainte de ne pas être assez mis en avant dans la relation.

12 La valeur subjective relève des caractéristiques du moi comme l'estime, l'amour et le développement de soi)

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Pour Illouz (2020), la défection prime devant la prise de parole, car elle est synonyme de dépendance et de vulnérabilité. Elle est « une manifestation performative de l'affirmation de soi ». (Ibid., p.227). Dépourvue de normes, la rupture dans les relations sans lendemain n'est guère coûteuse et attribue un préjudice plus grand à la personne quittée. En outre, pour optimiser le bien-être et développer son soi, la logique de marché vient introduire des notions de coûts et d'efficacités au sein des relations et met un terme à toute possibilité d'introduire une notion de contrat. Pour Illouz (ibid.), cette logique vient objectiver les rencontres baignant l'individu dans une forme d'hyper-subjectivité conçue par un « moi » reposant sur un moi sexuel, technologique et un moi consommateur et dissociant le moi affectif de cette matrice. Pour résumer la pensée d'Illouz, les relations éphémères détruisent les frontières sociales et ethniques et sont dorénavant régies par une consommation abondante possédant de nouvelles normes morales.

De façon opposée, Bergström (2019) affirme que « Sur internet, la morale et les normes sociales ne s'évaporent pas, mais -- ils s'y réinventent même sous de nouvelles formes -- mais le cadre de la rencontre change [...] » (ibid., p.15) ». Dans sa thèse, elle démontre la persistance de normes qui se réinscrivent d'une autre manière dans les sites de rencontre. Selon elle, l'endogamie perdure par les dispositions internes incorporées chez les individus. C'est le partage d'un univers commun qui fonderait un système de référence traduisant l'homogamie sociale dans les marchés en ligne. Elle réaffirme ici la perspective de Girard (1964) qui illustrée d'ores et déjà que deux tiers des couples se sont rencontrés dans une sphère sociale proche (amis, université, milieu professionnel).

À travers toutes « ces formes d'affinités culturelles» (ibid.), le processus de sélection s'opère. Les mots, l'humour, le partage de référence et d'univers deviennent de potentiels éléments qualifiants ou disqualifiants l'individu. C'est dans ce processus que les personnes venant de classes les plus modestes sont les plus touchées en raison de l'inacceptation radicale des classes les plus favorisées aux fautes d'orthographe. Les coquilles grammaticales sont tout aussi éliminatoires pour les individus « scolairement dotés ». Pour reprendre les mots de Bourdieu, sur Tinder, l'écriture de la description classe les sujets sociaux et opère une distinction entre l'éduqué du grossier, le raffiné du vulgaire et l'intelligent du bête. (Le Wita, dans Bergström, 2019). En outre, l'expression écrite marque une distance sociale qui plus est être pour les classes favorisées, une distance morale.

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Plus explicitement chez ces classes, les coquilles et le manque de style dans l'écriture peuvent être considérés comme un manque de valeurs (ibid.). Que ce soit pour une rencontre occasionnelle ou à long terme, les individus mobilisent des « jugements de goûts [...], c'est-à-dire des schèmes de perception socialement et sexuellement situés. Cela explique que les rencontres sexuelles, tout comme les relations amoureuses, sont traversées par des logiques homogames ». (Bergström, 2019, p.120). Favorisés par un capital social et économique plus important, les hommes cadres effectuent plus de rencontres que les utilisateurs ouvriers. C'est notamment ce que l'enquête Epic démontre en affirmant que : « [...] parmi les hommes, les utilisateurs-cadres ont presque deux fois plus de chances d'avoir connu une rencontre amoureuse ou sexuelle via ce type de site que les utilisateurs ouvriers» (Enquête Epic, Ined-Insee, 2013 - 2014, dans Bergström, 2019). Disposant de plus de ressources économiques et sociales, les hommes « cadres » ont, en complément de la composante physique, des atouts supplémentaires pesant dans la balance de l'attractivité.

Si selon l'étude de Bergström (2019), les sites de rencontre ne brisent pas les frontières géographiques, nous pouvons imaginer que les rencontres éphémères incitent grandement les utilisateurs à chercher des daters à proximité. Etant donné la durée de la relation, il ne serait pas « rentable » pour un utilisateur d'aller braver des frontières géographiques alors qu'il dispose d'autres profils à proximité.

Bien que ces différents courants de penser puissent être dissociables, ils sont complémentaires dans leurs apports. Bergström (ibid.) rejoint la perspective d'Illouz dans le fait que les sites et applications de rencontre ont changé le scénario des rencontres qui tendent à être d'une plus courte durée et davantage sexuel ce qui changerait les modalités d'interaction. Cependant, elle met un point d'honneur à affirmer que c'est la privatisation de la rencontre qui explique les changements dans la sexualité sur les sites de rencontre. Selon nous, la privatisation de la rencontre est un facteur contribuant dans ce qu'Illouz (2020) appelle les relations négatives et le « non-choix ». D'une part, la privatisation des rencontres favorise les relations sexuelles. D'autre part, elle centre les individus sur eux-mêmes et favorise cette forme d'hyper-subjectivité du « moi » en désynchronisant la sphère sociale des rencontres.

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V. La construction des profils et la mise en scène de soi sur Tinder

A.Architecture de Tinder

Saisissant l'exhaustivité de la démarche de rencontre, les sites de rencontre ont découpé les différentes tâches assujetties à la rencontre en sous-tâches permettant aux individus d'être dans un état psychologique plus confortable. (Dulaurans, Marczak, 2019). Cet état dit état de « flow» par les psychologues (Csikszentmihaly, dans Ibid.,) est une sorte d'adéquation entre la difficulté d'une tâche et les compétences de l'individu pour parvenir à réaliser un but. Dans l'univers vidéoludique, les « gamers » sont sans cesse accompagnés par cet état. À travers l'augmentation régulière de la difficulté, les joueurs sont entourés d'informations pour répondre à des objectifs clairs segmentés en plusieurs tâches. On retrouve cette perspective dans les sites de rencontre où l'inscription est divisée en des sous-tâches. Pour renforcer la motivation, il existe un « mécanisme d'impersonnalisation » visant à faire croire à un individu qu'il a émis ces mots (Dulaurans, Marczak, 2019). Ce mécanisme prend effet sur Tinder lors des ajouts de photos de profil où l'on lui suggère d'en ajouter davantage pour augmenter ses chances de match. En bref, comme l'indique Gallilo, dans (Collomb et al. 2016), Tinder est avant tout un dispositif qui configure notre attention de manière à ce qu'elle ait davantage tendance à se disséminer qu'à se cristalliser.

On recense une seconde similitude aux jeux vidéo avec un système de classement groupant les utilisateurs selon leur taux de match dans l'optique de les rassembler selon cette variable. Par conséquent, plus le niveau d'attractivité de la personne est élevé, plus elle pourra observer des profils dits « attrayants» et cela équivaut également pour le contraire. Par ailleurs, la valeur des « likes» est aussi attribuée en fonction du niveau d'attractivité du profil. Une personne « likée » aura plus de valeur si l'utilisateur qui la like à un « rating» (classement) plus élevé (Pais dans Collomb et al. 2016).

Selon Calleja (dans Dulaurans, Marczak, 2019), il existe plusieurs dimensions expérientielles définissant le « mécanisme d'implication ». Nous y retrouvons, le ludique, la narration, le social, le geste, l'émotion et l'espace. Premièrement, la dimension ludique des sites de rencontre reprend des caractéristiques du mécanisme compétitif liées aux jeux (Dulaurans, Marczak, 2019). Tout d'abord, la fonctionnalité d'exclusivité des jeux vidéo où lors de l'achat d'un article, le joueur peut débloquer un contenu supplémentaire et en quelque sorte un privilège.

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En comparaison avec des applications comme Tinder, on retrouve des initiations à souscrire à des abonnements avec cette logique de l'appât du gain « Si tu payes, tu auras plus de likes et tu seras plus visible, donc tu auras plus de «matchs » ». La dimension narrative comprend des critères inédits à ces nouveaux marchés de rencontre comme les composantes socioprofessionnelles. Ensuite, nous avons les dimensions sociale et spatiale qui viennent s'inclure dans cette pratique privatisée et dématérialisée. Pour Calleja (dans ibid.), l'émotion est intrinsèquement liée à la dimension spatiale privatisant les rencontres, procurant sans contraintes sociales des effets de socialisation et de développement du soi. C'est finalement par ce geste presque culturel : « le swipe » que va se former toute une kinesthésie habituelle aux applications comme Tinder. Pour Jeanneret (dans Garmon, 2020), ce geste est entré dans notre « mémoire des formes », il fait autant référence dans son sens propre à cette glissée du pouce pour « liker ou non » que dans son sens figuré, à ce « non-amour» décrit par Illouz (2020) caractérisant la difficulté des nouvelles générations à former des relations pérennes. Dès lors « Ce geste serait une nouvelle clé de lecture et d'interprétation du monde, un objet devenu culturel» (Inès Garmon, 2020 : 43). Un utilisateur n'ayant pas payé d'abonnement dispose de « 20 swipes à droite », c'est-à-dire de 20 validations de profils sur lesquelles l'individu accepte la possibilité d'un match.

À travers sa structure et son fonctionnement, Tinder développe une forme de processus de moralisation. Ce concept de Massumi (dans Ibid.) illustre la transformation d'une complexité vers une simplicité réduite en choix binaire et se retrouve sur Tinder où « les complications du désir» (David et Cambre, 2016 : 6) sont réduites à « la simplicité de l'esprit ou du corps» (ibid., : 6). Favorisée par le cadre de Tinder appauvrissant la quantité d'informations, une coopération quasiment mondiale s'est effectuée « en faisant accepter aux utilisateurs la logique binaire et relève un plan de transcendance crée par la molarisation » (Massumi, dans ibid., : 6).

Perçu comme utile pour aller à l'essentiel, il s'agit pour David et Cambre (2016) : « d'une «séparation de la pensée et du corps (transcendance) [...]» (Massumi, dans Ibid., : 6) ». Autrement dit, cette abstraction du corps mobilise un ensemble de dispositifs et techniques qui permet d'évaluer ce « corps marchand» et de tirer à travers ces corps « un système d'identité pour que la grille identitaire s'actualise en images, dans une redescente instantanée du plan de transcendance vers la chair, via un appareil technique ou social ou moyen» (Massumi, dans Ibid., : 6).

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Rejoignant ici l'idée du capital scopique d'Illouz (2020), les photos de profil sont soumises à un traitement marchand. À l'effigie du cadre « pornographique », Tinder crée par son dispositif une quantité d'images incitant avec son mécanisme de « swipe» à aller de profils en profils où plutôt devrions-nous dire, de photos en photos. De manière similaire à la consommation pornographique (Baudry, 2016), l'individu baigne dans un plaisir de « swipe» sans fin, motivé par la trouvaille d'un inattendu. Ipso facto, cela réduit la tendance des individus à jeter un coup d'oeil à la dimension « narrative» des profils, c'est-à-dire, sa description. En sus, l'individu est exposé à un rapport opposé entre la dimension narrative et impressive produite par l'imagerie. Dans l'attente perpétuelle de l'introuvable, l'inattendu à un caractère excitant pour l'individu qui le maintient dans le plaisir visuel immédiat et direct (Baudry, 2016). L'instantanéité de la pulsion scopique associée à la fluidité d'usage et de navigation génère sur Tinder des comportements compulsifs et parfois même addictifs (Rezzoug dans Galligo, 2017) où un éventail d'images de corps sexualisés est exposé et évalué tel une marchandise de consommation (Illouz, 2020).

B.Mise en scène de soi et authenticité

Pour la recherche, les applications de rencontres constituent un nouvel espace pour le management et la gestion de nos impressions. Par ailleurs, de nombreuses recherches démontrent que dans un environnement médiatisé, « les individus sont très motivés à contrôler l'impression qu'ils créent» (Ellison et al, dans Ward, 2016, p.4). Cela est notamment dû au fait que sur les « apps dating », les profils peuvent laisser paraître peu d'indices en raison de l'armature des applications (Ward, 2016). En guise d'illustration, la structure des profils de Tinder fait en sorte que l'impression qu'a un individu sur un profil s'appuie directement sur la photo dite « principale ». Contrairement à d'autres applications, Tinder recense des critères basiques comme : l'âge, le sexe, la proximité géographique, etc.

S'inscrivant dans ce courant individualiste qui se traduit sur internet par une projection « égocentrée » illustrant la naissance d'une culture du narcissisme fondée sur l'image de soi en ligne (Lasch, dans Tisseron, dans 2011), les nouveaux marchés de rencontre réinvestissent la frontière entre privé et public. Cette nouvelle frontière forme ce que Tisseron définit par l'extimité. Pour Tisseron (2011 : 8), l'extimité est « [...] est pour nous le processus par lequel des fragments du soi intime sont proposés au regard d'autrui afin d'être validés. [...] le désir d'extimité est inséparable du désir de se rencontrer soi-même à travers l'autre et d'une prise de risques ».

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Le désir d'extimité porte non pas sur des biens matériels ayant une valeur financière, mais sur des parties de soi jusque-là gardées secrètes et sur la reconnaissance de leur originalité participant à la construction du soi par trois dimensions (Tisseron, 2011) : son intégration (l'adaptation de l'estime de soi, la cohérence des attributs mis en scène en ligne au regard de la sphère sociale et de son adaptation aux normes sociales. Les trois dimensions de la construction du soi en ligne se retrouvent dans chacun des processus de gestion des impressions de Leary et Kowalski (dans Ward, 2016). Premièrement, il y a la « motivation d'impression» (Ibid., 3), c'est-à-dire, la motivation d'un individu à adopter une présentation de soi particulière. Deuxièmement, il existe pour Leary et Kowalski un deuxième processus de gestion des impressions : « la construction des impressions» (Ibid., : 3), c'est la réflexivité et le choix dans la construction de l'impression qui s'établit à partir d'une méthode.

Selon Higgins (dans Ellison et al. 2006 : 418), il existe plusieurs domaines du moi : « Le moi réel (les attributs qu'un individu possède), le moi idéal (les attributs qu'un individu posséderait idéalement) et le moi «devrait» (les attributs qu'un individu devrait posséder) [traduction libre] ». Pour Bargh et Coll (dans ibid.), internet permettrait aux individus d'exprimer davantage le vrai moi, c'est-à-dire des éléments « moi devrait» qu'ils souhaitent mettre en scène bien que ces attributs ne soient pas encore « possédés ». Pour Higgins (dans Filter et Magyar 2017), ce « moi idéal [traduction libre]» est aussi grandement constitué par la représentation des pairs envers les attributs qu'un individu détient. Ainsi, l'utilisateur présente des attributs qu'il croit ou que les autres croient qu'ils possèdent. Cette représentation de soi par autrui peut s'avérer importante dans la construction du profil pour s'assurer d'afficher un « moi » authentique, les utilisateurs ont aussi recours à une validation du profil par la sphère intime et personnelle.

Le marché des rencontres en ligne octroie les individus à se présenter d'une manière plus réflexive. Cela les incite à livrer de fausses déclarations (Cornwell et Lundgren dans ibid.) bien que la quête de rencontres en ligne exige d'après les utilisateurs, une cohérence dans l'expression de soi entre l'identité en ligne et hors ligne. Toute cette jonction entre la nécessité d'exposer « son meilleur soi [traduction libre]» (Heino et al. dans Filter et Magyar, 2017) et le fait de montrer un soi authentique illustre le fait que l'authenticité est un concept flexible chez les utilisateurs. Pour David et Cambre (2016), l'un des moyens trouvés par les participants pour parvenir à résoudre cette vision conflictuelle est de projeter une dimension du « soi idéal ».

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Le soi idéal est une projection de comment les individus s'envisagent et souhaitent être dans un futur probant. Si le clivage entre le « moi idéal et le moi réel» est trop important, les utilisateurs travaillent sur leur vie personnelle pour atténuer la frontière entre ces deux états du « moi ». L'exemple typique est la perte de poids qu'un individu peut mener pour se rapprocher de son « moi idéal» représenté dans son profil.

Si « [...] l'authenticité est l'un attribut très honorable dans notre société [traduction libre]» (Kadlac et al. dans ibid., p.75), celle-ci elle est perpétuellement négociée sur Tinder. Dans cette application, les utilisateurs ont conscience qu'une fausse présentation de soi est connotée péjorativement. Néanmoins, la présentation des utilisateurs n'a pas une concordance « totale» avec leur propre attente sur l'authenticité envers les autres individus. Comme Filter et Magyar (2017) le démontre, les utilisateurs se permettent une certaine flexibilité sur la construction de leur profil. Tout ce paradoxe s'illustre par le fait que bien que les utilisateurs ne concèdent pas la même flexibilité aux autres que sur leur propre profil, ils revendiquent chez les autres profils une présentation de soi authentique (ibid.). L'une des raisons d'une présentation de soi « parfaite» ou plus lissée sur Tinder est la pression due au fait la concurrence est rude entre hommes et femmes d'une même tranche d'âge à proximité. Réduisant énormément aux photos, la présentation de soi fait pressentir le besoin d'être particulièrement persuasif et de se présenter avec ce que l'autre aimerait voir chez nous.

Cela implique que, dans le processus de figuration (Goffman, 1998), il ait mobilisé des stratégies d'évitement venant masquer ou compenser les « mauvais attributs» susceptibles de nous faire défaut. Pour cela, beaucoup d'utilisateurs construisent leur profil avec des amis ou des proches. En construisant son profil avec une identité perçue par les autres, l'individu prend connaissance de ce qu'autrui aimerait voir chez lui et tente d'augmenter ses chances de succès. Cette présentation de soi va avoir une place importante dans la poursuite de la conversation, et éventuellement de la rencontre, car l'individu devra maintenir ce que Goffman (ibid.) appelle la cohérence de l'expression. C'est pourquoi les vraies présentations sont appréciées par les utilisateurs car le contraire produit de la déception ou de la frustration.

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Si cette tromperie de l'identité en ligne est l'une des craintes principales des utilisateurs Brym, Lenton (dans Filter et Magyar, 2017), elle reste pour autant une pratique assez minoritaire. En 2001, une étude montre qu'un quart des utilisateurs des sites de rencontre avait « modifié» des paramètres de leur identité dont les critères les plus fréquents sont l'âge (14 %), l'état matrimonial (10 %) et enfin l'apparence (10 %). En sus, la localisation géographique octroie aux « dateurs» de faire des rencontres proches de chez eux ce qui inévitablement leur fait supposer qu'ils risquent d'avoir plus de chance d'être confrontés à autrui (Ellison et al., dans Ward, 2016). Ipso facto, la proximité géographique des rencontres augmente la potentialité qu'une personne connue ou un futur partenaire ait accès à la présentation de soi en ligne. C'est pourquoi les utilisateurs seraient incités à avoir une présentation de soi davantage plausible avec la réalité qu'une mise en scène de soi « attractive» (Blackwell et al. dans Ward, 2016).

Pour Schmitz (dans Bergström, 2016), les mensonges sont majoritairement employés par les individus des classes moyennes et défavorisées. Disposant de capitaux sociaux plus conséquents et légitimés par la société, les classes favorisées ressentent moins l'utilité de mobiliser ce type de ruse. Chez les classes populaires, le mensonge est plus courant, mais il est moins associé à des stratégies permettant de nouer des contacts contrairement aux classes moyennes où ils sont employés à des fins stratégiques. Il faut aussi mentionner que contrairement aux classes favorisées où la plupart s'exaltent dans l'univers rédactionnel et culturel, la rédaction d'une description chez les usagers de classes modestes est considérée comme une tâche fastidieuse où l'on peut craindre de trop se « grandir ». Dans ce marché en ligne, les classes moyennes conscientisent dès le départ un certain désavantage face aux plus favorisés. En ce sens, employer des stratégies d'évitement et des mensonges fait écho à l'adage selon lequel « la fin justifie les moyens ».

Il faut noter que les classes moyennes sont également dotées d'un fort désir d'ascension sociale qui se caractérise par une exigence dans la construction du profil, et notamment dans les choix des critères présentés. Ellison et al. (2006) ont fait le constat dans leur investigation que les personnes n'avaient pas de mal à avouer le fait qu'ils ont modifié leur âge par « peur» d'être filtré dans les recherches. Changer son âge était donc perçu par les enquêtés comme une norme « acceptable» sur laquelle ils pouvaient tirer davantage de profit (Fiore, Donath, dans ibid.,).

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Disposant de 500 caractères, chaque mot implique un choix et une censure de l'individu sur sa présentation. Cela se traduit par une figuration en ligne destinée à parer et anticiper les évènements pour éviter de perdre la face. À l'effigie des annonces matrimoniales, de nombreux éléments peuvent être tus afin de ne pas être confronté à l'évitement tant craint (Singly, 1984). Comme dans les annonces matrimoniales, il existe trois composantes principales regroupant les mots de la présentation de soi : la dimension corporelle, la dimension économique et la dimension relationnelle (les traits de caractère, etc..). Cependant, comme plusieurs chercheurs le démontrent (Filter et Magyar, 2017 : Ward, 2016: Illouz, 2020), l'apparence physique est l'aspect primordial lors de l'évaluation de profils. Après le capital « beauté », la recherche d'indices sur la personnalité succède dans l'évaluation. Pour l'utilisateur, le partage d'un univers commun et d'attentes similaires, l'humour, le style et la personnalité sont autant d'éléments créant des formes d'affinités culturelles venant qualifier ou disqualifier l'individu (Bergström, 2016). Ainsi sur Tinder, les individus effectuent une opération de généralisation (Boltanski, 1984, p.19) de leur « moi ». C'est donc à partir du commun que les daters vont se singulariser (Martuccelli, 2010).

Nous pouvons aussi dire que c'est aussi par ce mécanisme de que les daters se rendent attractifs auprès des utilisateurs ayant des affinités similaires (ibid.). En mobilisant les critères que Tinder confère comme la mise en avant des goûts musicaux, la profession exercée ou les attraits personnels [passion(s), activités appréciées, style de vie, etc..], les individus tendent de faire valoir des attributs ou attraits valorisés ou acceptables par la société. Comme Boltanski (1984) l'observe dans son enquête, les « daters » peuvent rattacher des éléments singuliers à un collectif pour donner davantage de crédit à leur profil. Nous pouvons identifier plusieurs sphères mobilisables par les individus. D'une part, l'individu peut se rattacher à une sphère culturelle en faisant référence à des auteurs, par son écrit, ou par des attraits musicaux. D'autre part, il peut montrer par ce biais l'appartenance ou la revendication à une classe sociale, mais également à un style musical. De manière plus générale, l'utilisateur est aussi enclin à faire figurer dans son profil un « style de vie» en revendiquant un statut. Que ce soit pour le sportif, l'aventurier souvent nommé « Globetrotter» sur Tinder ou pour une orientation alimentaire (végane, végétarien), chaque indice est un élément de figuration rattachant l'individu à un groupe, un collectif, ou une personnalité. Néanmoins, dans cette fragilité de l'authenticité, nous pensons que de nombreux utilisateurs mobilisent également la deuxième composante du profil : la photographie, afin de prouver un véritable statut ou attribut.

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La présentation descriptive de Tinder recense des caractéristiques similaires à celles relevées dans l'enquête de Boltanski (et al. 1984). Comme dans la dénonciation, pour qu'elle suscite de l'intérêt et des « like », la description doit paraître comme « normale» pour avoir à minima des chances de réussite. En reprenant les propos de Bergström (2016), la crainte des classes populaires est peut-être d'ailleurs justifiée par cette « condition de normalité », d'où cette limitation dans l'écrit par peur de trop se grandir ou de sortir des normes. Construire son profil en oscillant entre « être original» et pas « trop en faire» est aussi une particularité des applications observable dans les annonces matrimoniales où «[...] l'écriture implique une prise de conscience de ce qui est «naturel» dans les parades de la séduction». (De singly, 1984, p.525). Disposant de différentes cartes à jouer dans ses mains, chaque acteur organise sa propre mise en scène bien qu'il ait conscience que pour se rattacher à un univers collectif, il est nécessaire d'avoir un profil lissé tout en sachant qu'un profil trop généraliste ne suscitera pas d'intérêt pour autant (Lejealle, 2008). C'est donc, comme l'intitulé de ce mémoire l'illustre « entre l'originalité et le conformisme », que l'individu oscille perpétuellement pour construire son profil.

Pour certains, ajouter une descriptive exhaustive de soi est une manière de rassurer les matchs futurs sur sa normalité, mais aussi sur la première étape de l'engagement (Nadaud-Albertini, 2019). En montrant sa motivation et le type de rencontre qu'il souhaite, le dater permet aux autres d'évaluer son profil de manière plus rapide et d'identifier des caractéristiques communes (ibid.). Pour d'autres, une description vide ou absente est un moyen de se protéger par rapport aux personnes connues à l'extérieur de l'application (cercle social, familial, etc....) (ibid.)

Dans ce marché où l'on peut liker en abondance, les utilisateurs font face à une présélection, notamment par des filtres (niveau de français, mise en scène de soi, qualité des photos, etc..). Il va sans dire que cette « opération de qualification» est une fonction nouvelle des sites de rencontre provoquant pour certains individus « Un malaise face à cette démarche inédite qu'ils associent volontiers à l'univers de la consommation» Bergström (dans 2016, p.111). Ainsi, pour évaluer les profils, les utilisateurs opèrent des processus de déconstruction des indices laissés par le profil formant « la façade de l'autre ». Chaque petit signal peut être l'objet d'une recherche pour évaluer l'identité d'autrui (Donath, dans Ellison et al. 2006). Par exemple, une faute d'orthographe peut être rédhibitoire pour faire passer un profil du bon côté « du swipe » à l'autre.

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Par ailleurs, celle-ci se transforme en signal selon l'exigence de l'utilisateur et peut être considérée comme « déficit d'éducation ou d'intérêt dans leur recherche ». En jouant autour de la représentation des signaux, les daters vont donner aussi des informations sur leurs attentes. Par exemple, des photos trop explicites (corps trop sexualisé ou exhibé) font supposer que l'individu tend à rechercher des expériences ponctuelles. Pour la gent féminine, le contrôle de la représentation des signaux donnés est d'autant plus rigoureux. Selon David et Cambre (2016), cela passe principalement par le fait d'éviter de donner des indices d'autoprésentation laissant paraître qu'elles souhaiteraient des relations essentiellement sexuelles. La formation des impressions est un apprentissage qui se réalise de manière autoréflexive.

C'est en effectuant « une sorte de benchmarking » (ibid.,) que les individus modélisent le leur en intégrant différentes dimensions à travers les photos, l'écrit, etc. Pour évaluer la crédibilité de l'autre, les individus se servent d'un ensemble de règles qu'ils ont eux-mêmes incorporé dans leur présentation en ligne. Car les fausses représentations sont courantes, les utilisateurs essayent de montrer des aspects de leur personnalité plutôt que de parler d'eux-mêmes. Ainsi dans cette perspective, nous pensons que les photographies peuvent devenir des « justificatifs» pour prouver la cohérence de l'expression d'un statut ou d'une personnalité.

C.Les usages et les représentations sexués

De nombreuses études ont démontré que les hommes ont davantage tendance à utiliser davantage ces services en ligne pour des rencontres ponctuelles que les femmes (Nadaud-Albertini, 2019 ; Bergström, 2019 ; Sumter et al. dans Ingram et Al. 2019). Parfois certains masquent leurs attentes pour faciliter les contacts avec la gent féminine pour éviter le stigmate attribué à un homme ayant soif de conquêtes sexuelles (Nadaud-Albertini (2019). Comme le dirait Kaufmann (2011), les daters dotés de l'esprit game, c'est-à-dire, ceux qui sont imprégnés par une logique de compétition cherchent l'accumulation de conquêtes afin de se constituer un statut auprès de leur sphère sociale (notamment masculine). Dans ce « sport fun », chacun à ses techniques et peu importe les moyens, la compétition prime avant tout. Reposant principalement sur un principe de non-engagement, pour être dans la course, ces « chasseurs sexuels» (g11) sont sens cesse dans l'auto-régulation de leur état émotionnel.

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Tout comme Bergström 2019, Nadaud-Albertini (2019) relève que, dans le flirt sur les applications de rencontre, les femmes se montrent réservées (passives dans la drague) et les hommes en sont les initiateurs (actifs). Cette tendance s'illustre notamment par l'envoi du premier message qui s'effectue très souvent par l'homme (Bergström, 2019).

À travers ces éléments rapportés ci-dessus, on retrouve la trame de séduction classique au sein des rencontres pour ces chercheurs (Bergström, 2016 ; Ward, 2016 ; Nadaud-Albertini, 2019). On retrouve la trame de séduction classique au sein des rencontres. Néanmoins, il faut rappeler que l'utilisation des caractères de la description n'est pas pleinement exploitée de manière générale. Selon l'étude de Lefebvre (2018), 74,4 % des utilisateurs avaient une description ayant une moyenne de 31, 75 caractères et 25,6 % n'en avaient pas rédigé. Ainsi, s'il existe une homogamie sociale sur Tinder, celle-ci doit donc s'opérer de manière globale par le biais des photographies.

Bergström (2019) nous donne une première ébauche d'une distinction de classe par les photos de profil en émettant le fait que les utilisateurs des classes les plus favorisées possèdent des photographies plus travaillées, de meilleure qualité et dotées d'une meilleure mise en scène que les usagers des classes défavorisées. Pour les personnes issues d'un milieu plus favorisé, les photos sont mobilisées pour illustrer en arrière-plan des voyages ou des passions. Chez les classes populaires, la photo est plus souvent un « selfie13 » où l'on aperçoit dans l'arrière-plan des éléments du foyer de vie (chambre, cuisine, salle de bain, etc....) (Bergström, 2019). Ainsi, si l'écrit présente traduit un rapport socialement contrasté à l'écrit, mais aussi à l'exposition de soi, il faut mettre à un point d'honneur à souligner que les photos témoignent aussi de clivages sociaux en sus qu'elles sont plus employées que l'expression textuelle sur Tinder.

Bien que l'on pourrait émettre l'hypothèse que les femmes mobilisent plus les photographies que les hommes, l'étude de Ingram et (Al. 2019) partant du postulat que les présentations de soi entre les genres diffèrent montre le contraire. Sur un échantillon de 300 profils, les femmes ont soumis une moyenne de 3,9 photos contre 4,3 photos pour les hommes.

13 Un « selfie » est une photographie où il figure en gros plan le visage de la personne.

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De plus, la liaison du compte Instagram au compte Tinder s'avère être assez similaire (39 % des femmes et 31 % des hommes ont lié à leur compte Instagram à Tinder) (Ibid.). En ce qui concerne l'utilisation de la liaison du compte Spotify, il est recensé une différence significative. En effet, 35 % des hommes disent avoir lié leur compte Spotify contre seulement 22 % des femmes.

Les photos des hommes ont présenté des caractéristiques moins communes aux deux genres. Chez les hommes, on retrouve plus de photos illustrant des activités sportives. On y voit également plus de photographies contenant des animaux de compagnie. Si les hommes utilisent plus les photographies, ils incluent aussi plus régulièrement une description verbale dans leur profil ainsi que leur cursus universitaire. On voit ici que sur les sites de rencontre, les hommes ont conscience que le capital culturel et économique à de l'importance dans leur niveau d'attractivité. Une distinction importante dans l'utilisation de la photographie se traduit par le fait que les photos du corps entier étaient propres aux profils féminins (Ingram et al. 2019). De plus, l'exposition du corps complet démontre que des informations visuelles comme le rapport taille-hanches semblent être importantes pour dans les stratégies sexuelles (ibid.).

Ainsi, selon les usages et les sexes, la présentation de soi se traduit sous des formes différentes. On s'aperçoit ici qu'il y a une distinction dans l'évaluation physique entre les femmes et les hommes sur les applications de rencontre, où les femmes sont évaluées par des parties distinctes du corps qui sont sexualisées tandis que les hommes sont évalués de manière holistique (Illouz, 2020). Comme nous avons pu le constater, certaines logiques sociales se réinventent sur les sites de rencontre comme le montre l'investissement des capitaux propres à l'attractivité de chacun des sexes. Néanmoins, la réaffirmation des tendances à l'homophilie et à l'homogamie sur les réseaux de l'amour reste des questions très discutées dans la littérature scientifique. C'est notamment le cas de l'assortatif éducatif qui pour Neyt et al. (2019) est en baisse depuis l'arrivée des applications de rencontre comme Tinder, ce qui impacte la répartition des revenus par foyers. Si pour certains, ces tendances se réinvestissent sur le marché de l'amour en ligne (Nadaud-Albertini, 2019 ; Bergström; 2019 ; Ward; 2016), pour d'autres (David et Cambre, 2020 ; Illouz, 2020 ; Kaufmann, 2011 ; Galligo, 2017 ; Neyt et al., 2019), des applications comme Tinder viennent situer les individus dans une logique de non-choix et braver les normes sociales.

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Si les styles de vie, les intérêts et les goûts sont constamment évalués comme des préférences chez un consommateur, ce sont des critères d'évaluation venant accentuer une logique de « non-choix ». Ainsi pour Illouz (2020, p.183), « Cette forme de non-choix transparaît dans ce que j'appelle le raffinement des goûts déstabilise l'habitus et rend la dynamique du choix fondamentalement instable. ». Nous pouvons aussi dire que certains facteurs comme la courte durée d'évaluation des profils et la faible moyenne de caractères des descriptions accentuent la perspective de non-choix et atténuent les moyens par lesquels la morale, les normes et logiques sociales se réinvestissent. Néanmoins, comme nous avons pu le voir ici, certaines normes et morales sociales se réinventent sous de nouvelles formes, mais elles semblent parfois être fragilisées. C'est notamment ce que Filter et Magyar (2017) ont pu illustrer avec le concept d'authenticité qui passe d'un état rigide à un état de fragilité et de maniabilité sur Tinder. Dans une société où l'identité singulière s'est démocratisée avec les industries culturelles et où il existe une émergence considérable de plateformes fortifiant ces notions de visibilité et de décontrôle (Granjon, 2014), les agents sociaux deviennent « à la fois plus tolérants et plus indifférents» (Ibid. : 11). La quête de singularité des sujets sociaux sur les applications de rencontre est bouleversée par « l'idée d'une interchangeabilité fonctionnelle des êtres » (Martuccelli, 2010, p.60). Dans une difficulté de faire reconnaître sa singularité, nous pensons que cette quête de singularité sur les applications de rencontre se transforme en une obsession de visibilité et d'originalité (ibid.). Ces plateformes de l'amour seraient donc à ce titre, un vecteur à la « crise identitaire » de ce siècle dans laquelle la singularité des individus est de plus en plus dissolue (ibid.).

S'inscrivant dans la perspective de Granjon (2014), les travaux de Filter et Magyar (2017) illustrent le fait que, comme sur les réseaux sociaux, il existe sur les applications de rencontre une grande tolérance face « aux débordements de soi» acquise plus par un apprentissage que par la permissivité des normes (Granjon, 2014). Cette « tolérance indifférente» (Wouters, dans ibid. : 10) sur le marché de la rencontre en ligne est pour nous une manière d'avilir les normes et les logiques sociales et de les rendre davantage flexibles dans l'optique de mouvoir au mieux sa singularité. C'est en quelque sorte une manière de s'ajuster au monde qui se justifie donc par plusieurs facteurs : la montée de la singularité (Martuccelli,2010) et sa fragilisation sur les sites de rencontre, l'absence de normes explicites (tout particulièrement sur Tinder). Nous pensons donc en conclusion que même si certaines normes se réinvestissent dans les applications de rencontre, elles régissent beaucoup moins les comportements sociaux que dans les rencontres traditionnelles.

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VI. Analyse

A.Préambule Analytique

Tout au long de la partie analytique, il sera mis en exergue plusieurs points :

Dans un premier temps, notre préambule abordera l'une des philosophies prépondérantes à Tinder : « Ne pas se prendre la tête ». Nous verrons à ce sujet qu'elle guide les daters dans l'élaboration de leur profil et dans l'appréciation des profils. Tout au long de notre trame analytique, nous développerons notre analyse autour de cette philosophie étant donné qu'elle constitue selon nous une forme de cadre « cérémoniel» (Goffman, 1998). Nous explorerons également la perception des individus envers cette philosophie et l'évaluation principalement scopique des profils par le concept de Moralisation de Massumi (1992).

Nous verrons suite à cela comment les individus réincorporent des logiques et normes sociales traditionnelles sur Tinder. Nous explorerons dans cette partie la notion de hasard dans les rencontres et comment celle-ci se réinvente sur Tinder. Après le hasard qui, évidemment, fait les bonnes histoires, nous aborderons la dimension du « naturelle» dans les aspects de la rencontre tant revendiquée par les individus. Nous explorerons les différentes stratégies mobilisées par les individus afin de se rapprocher d'une forme d'authenticité ou de naturel sur Tinder. Cette troisième partie explorera comment et en quoi l'originalité, l'authenticité et l'humour constituent des valeurs pouvant être associées à des formes de règles cérémonielles. Tout comme notre cadre cérémoniel, nous tenterons d'argumenter dans cette analyse de la pertinence de ces valeurs en tant que règles cérémonielles.

La quatrième partie sera dédiée à ce qui fait sens pour les individus dans la présentation visuelle du profil. Nous verrons à ce sujet diverses stratégies de présentation visant à se rapprocher du cadre et des règles cérémoniels de Tinder. Après avoir exploré le sens lié à la présentation visuelle, nous aborderons comment les daters mobilisent la partie descriptive du profil et portent une appréciation sur cette partie.

Nous explorerons ensuite comment les utilisateurs dédramatisent la rencontre tout au long de la phase de séduction en ligne et comment se passe l'après « match» pour les daters. Il sera apporté ici une attention particulière au premier message chez les genres similaires. La dernière partie abordera le rôle des réseaux sociaux dans le processus de séduction et ce qu'ils symbolisent pour les usagers.

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B.Ne pas se prendre la tête sur Tinder

Il semble nécessaire avant toute exploration au sujet de Tinder de comprendre quelle est la perception des utilisateurs envers Tinder. Contrairement à d'autres applications comme Fruitz ou Bumble, le mode de fonctionnement et l'architecture de Tinder semblent fortement influencer les manières de penser sur l'application. En raison de l'architecture de ce réseau, les « daters » ont tendance à évaluer un profil dont les photographies constituent une forme de présélection. « Le premier critère pour évaluer un profil très clairement c'est les photos. Après voilà c'est une application basée sur l'apparence donc si la fille me plaît physiquement je like! [...]. Les photos c'est le but de l'appli après je peux comprendre les personnes qui n'aiment pas ce principe où c'est un peu de la stratégie de consommation, car tu juges à partir d'une photo donc ça peut être «dégradant», car si la personne ne te like pas, c'est qu'elle te trouve moche et c'est dur de se dire ça en vrai. Après voilà, c'est le but de l'appli, c'est les risques, si tu mets Tinder tu sais que tu vas devoir passer par là en fait ! Après voilà c'est le jeu » [Extrait d'entretien avec Florent, le 04/02/2021].

Bien plus qu'une phase de présélection, on retrouve une forme d'acceptation de ce processus d'évaluation qui se base sur le physique, qui comme Florent et tant d'autres l'ont exprimé : « c'est le jeu de Tinder ». Les enquêtés semblent illustrer le processus de moralisation de Massumi (dans David et Cambre, 2016) à travers une forme d'acceptation consentie entre « évaluer et être évalué sur le capital scopique ». Les photographies étant le substrat essentiel du profil pour se « vendre », les individus ont conscience que le « moi en ligne» tend à être embelli : c'est pour cette raison que la modification des informations visuelles n'est pas rédhibitoire mais acceptable pour tous et toutes, car c'est le jeu de « Tinder ». « Après moi les modifications d'informations, je trouve que c'est le jeu de se vendre. Je peux comprendre que tu mets une photo un peu pimpée, un petit peu déviée, je ne suis pas retissant là-dessus quoi. Je pense que je vais le juger plus ou moins, car ça dégage une certaine honte de toi je n'en sais rien... Après moi j'aime bien les filles naturelles qui s'assument, donc le fait de ne pas s'assumer et de survendre tu peux le juger quoi. Dans un autre sens, ça peut se comprendre, car c'est le jeu de Tinder. Après je sais si je vais finalement le considérer, comme je te disais si je rencontre une personne qui a une superbe photo, qui est moche en réalité, mais super sympa, je vais quand même être content de la rencontre que j'ai faite. Ça reste une application de rencontre après tout. C'est le jeu, c'est les codes de l'application et si tu ne respectes pas les codes, ça ne fonctionne pas. C'est un jeu social, en réalité, ce n'est pas la réalité...[...] » [Entretien avec Valentin, 19/02/2021]

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Beaucoup d'utilisateurs ont conscientisé le choc entre le virtuel et le réel à travers un processus de moralisation à trois niveaux :

1.L'approbation du fait d'évaluer et d'être évalué essentiellement par le physique 2.L'acceptation d'un « soi » de l'autre plus embelli que la réalité

3.La non-attente d'une cohérence entre « le soi en ligne et le soi réel» par l'adaptation de la logique de ne pas se prendre la tête.

C.I don't care, i love it!

La logique de « Wait and See », de « ne pas se prendre la tête» fait sens pour beaucoup d'utilisateurs de la plateforme puisqu'elle permet de dédramatiser les attentes envers l'autre et de limiter les déceptions dues à une représentation de ce dernier. « Est-ce qu'il y a des normes sur Tinder? Nan je ne pense pas, je pense que sur Tinder tu peux faire un peu ce que tu veux mais faut quand même montrer que tu es quelqu'un pas prise tête et assez chill14 ». C'est important de montrer ça ? [Enquêteur] « C'est beaucoup plus attirant pour une meuf de savoir qu'un mec est assez ouvert d'esprit et pas prise de tête». Qu'est-ce que ça signifie exactement « ne pas de prendre la tête»? [Enquêteur]. « C'est le fait de ne pas rechercher un truc particulier genre du sérieux tout de suite. Faut être tranquille à propos de ça et aller au feeling et puis advienne que pourra ! » [Extrait d'entretien avec Martin le 29/01/2021].

Allez au feeling en ne se prenant pas la tête consiste à adopter une attitude dans laquelle les daters ne forgent pas d'attentes dans tous les aspects du processus menant à la rencontre. Cette forme de cadre suit l'individu dans l'évaluation profil jusqu'au moment du date. Cette base incorpore en elle des caractéristiques du « moi spirituel» reliant l'état d'esprit de ne pas se prendre la tête. Se mouvoir comme « chill » ou montrer une « ouverture d'esprit » par cette philosophie constitue des caractéristiques du « moi spirituel» puisqu'ils sont le résultat d'une manière de penser en être qu'être subjectif (James, 1980). C'est autour de cet axe central que les profils Tinder figurent dans l'optique de renvoyer cette image, comme l'explique Jean-Charles : « À travers mon profil, je veux montrer que je suis un gars chill, qui ne se prend pas la tête, qui a des centres d'intérêt, une ouverture d'esprit [...] [Extrait d'entretien avec Jean-Charles, le 11/02/2021].

14 Le mot « Chill» désigne quelqu'un de détendu. Il a pour synonyme de mots tels que « tranquille, cool, relaxé etc... »

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En l'absence de normes précises sur l'application, les individus tendent à adopter un comportement restrictif sur Tinder. Rejoignant l'une des valeurs principales qui est véhiculée sur Tinder : « Ne pas se prendre la tête », les utilisateurs de Tinder mentionnent peu leur recherche dans l'optique de convenir à un public plus général. « Moi je n'ai rien mis et ça ne me dérange pas de rien mettre. Quitte à être discriminé ou perdre des points si on met une recherche, autant ne pas la mettre ! » [Extrait d'entretien avec Antoine, le 09/02/2021]. Comme nous pouvons le voir ici, la logique de « ne pas se prendre la tête» est au goût du jour sur Tinder ce qui ipso facto connote la mention d'une recherche de manière péjorative chez les utilisateurs. « Tout de suite, s'il a mis dans les centres d'intérêt «relation sérieuse» tout ça quoi, ça fait peur ! Moi je sais que ça me fait peur en tout cas. Moi je ne suis pas dans cette optique et le fait qu'il s'avance un peu de trop dans ce que la relation peut devenir je n'aime pas trop ».

Donc c'est quoi la meilleure solution pour toi? [Enquêteur].

« Celle de pas s'avancer et de laisser voir où la vie mène. Moi c'est pour ça que je n'ai pas de bio » [Extrait d'entretien avec Elsa, le 30/01/2021]. La mention de ses recherches sur Tinder semble être pour la grande majorité des utilisateurs un élément ayant une appréciation péjorative dont ils ont conscience. Les daters se sentent donc contraints de respecter la norme « implicite» et opèrent un processus d'évitement dans leur figuration (Goffman, 1998) en renonçant à mentionner leur recherche pour respecter la tendance générale.

Afficher que l'on souhaite des rencontres éphémères est rédhibitoire pour de nombreuses enquêtées et tout particulièrement chez les utilisatrices dans une logique de « Wait and See» et cela même si certaines n'y voient pas d'inconvénient à faire ce type de rencontre. « Généralement quand quelqu'un affiche qu'il est là pour du sexe... ça prend toute la place et il n'est pas très ouvert à autre chose ». [Extrait d'entretien avec Agathe, le 09/03/2021]. Aller au feeling dans la rencontre est donc une perspective plus prise de tête qu'elle ne souhaiterait l'être pour les usagers. Si la mention des recherches peut paraître comme un signe d'honnêteté, elle génère un stigmate associé au fait que la suite de la conversation sera prédéterminée par la mention d'une recherche. Les femmes dans une logique de non prise de tête trouvent que la mention d'une recherche éphémère est rédhibitoire, car celle-ci ne laisse pas présupposer la possibilité d'une poursuite sérieuse de la rencontre bien que paradoxalement ce type de rencontre ne fait pas l'objet d'une recherche en soit.

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Selon nous, ces propos tendent à confirmer que, malgré l'ensemble des éléments faisant intérioriser aux individus qu'il n'y a pas d'espoir de trouver une rencontre sérieuse sur Tinder, les individus manifestent à travers une logique de « wait and see » l'espoir de trouver leur futur conjoint sur Tinder. À cet égard, les utilisateurs recherchant du sérieux mais privilégiant un profil laissant paraître la logique d'aller au feeling dans les rencontres réaffirment l'idée selon laquelle les utilisateurs de Tinder subissent un processus de moralisation tout au long de leur expérience. C'est au cours de ce processus que les daters construisent leur figuration en opérant un consensus entre « les normes implicites liées à Tinder et leurs attentes ». Il résulte de ce processus de moralisation (Massumi, dans David et Cambre, 2016) une figuration effectuée sous une forme d'évitement, car « montrer ses attentes sur Tinder », c'est dévier de cette règle cérémonielle (Goffman, 1998) implicite. À cet égard, ne pas mentionner ses recherches dans la relation future constitue une exigence sur laquelle l'individu doit se baser pour construire son personnage en ligne et porter une appréciation sur les autres. Comme on le voit ici, les rites de présentation visant à déclarer comment le futur matché sera traité viennent faire obstacle à ce qui selon nous sert de socle culturel sur Tinder : la philosophie de « ne pas se prendre la tête ». L'objet de notre prochaine partie sera donc d'explorer comment les individus font le parallèle entre la recherche d'une rencontre potentiellement sérieuse et les règles cérémonielles de Tinder. Nous allons voir que les daters réinvestissent les codes traditionnels de rencontre et tout particulièrement la valeur du « hasard» dans les rencontres. D.Le hasard fait les bonnes histoires

La quasi-totalité des personnes enquêtées a émis le fait qu'elle ne recherche rien sur Tinder et qu'elle fonctionne majoritairement au feeling. Comme nous avons pu le voir, les individus ont conscience d'une différence entre le « moi virtuel» et le « moi réel ». Les utilisateurs revendiquant une forme d'authenticité dans les rencontres ne perçoivent pas Tinder comme un mode éligible pour faire une rencontre « sérieuse » en raison de cette « absence de naturelle ». Si cette crise du naturel se traduit par une mise en scène de soi, elle passe aussi par les premiers messages pour beaucoup d'utilisatrices. « Je pense qu'il y avait une pression de mon côté ou de l'autre qui faisait que c'était rarement de l'honnêteté et des discussions 100 % honnêtes [...j ». Qu'est-ce que tu entends par le manque de discussions honnêtes? « Bah déjà les discussions qui commencent par les questions supers classiques, à la fois je ne peux pas trop le reprocher, mais à la fois je ne trouve pas ça honnête de la part des gens, car ce n'est pas forcément ça qu'ils veulent demander dès le début. C'est les questions du style, ça va ? tu fais quoi? ou quel type de musique t'écoutes, qu'est-ce que tu regardes comme série etc.. ? » [Extrait d'entretien avec Sarah, le 25/02/2021].

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Pour expliquer ce manque de « naturel », les utilisateurs et utilisatrices opèrent un parallèle entre la rencontre virtuelle et la rencontre en présentiel par le biais de lieux de rencontre classiques.

[Enquêteur] Qu'est-ce que tu entends par relation naturelle?

« Que les choses se fassent naturellement, en soirée quand tu vois quelqu'un qui te plaît etc., tu vas engager la conversation naturellement sans être obligé de te sentir forcé et la conversation coule plus de sources alors que sur Tinder non. C'est sûr qu'aussi les relations dans la vraie vie, bah tu les rencontres plus par hasard c'est ça l'effet naturel alors que Tinder c'est un peu programmé. Sur Tinder les personnes ne sont pas naturelles, ils se mettent beaucoup trop en scène, car Tinder empêche un peu d'être soi-même, car la base de Tinder, c'est un peu d'aller vers la personne et au final tu ne l'as pas connue pas nécessairement alors tu l'as like essentiellement sur le physique alors que l'aspect caractère et personnalité ça peut vraiment jouer sur ça aussi. Vu que je suis plus dans un aspect naturel de la relation, je trouve que c'est moins naturel d'avoir une relation sérieuse sur Tinder, la relation ne se crée pas naturellement, elle est forcée, je ne sais pas » [Extrait d'entretien avec Elise, 30/01/2021].

On s'aperçoit via ce verbatim qu'il existe, comme Bergström (2019) a tenté de le démontrer tout au long de sa thèse, une revendication des codes du romantisme qui passe par la revendication du « hasard dans la rencontre ». Ainsi, Elise et tant d'autres enquêté(e) s avilissent la possibilité de faire une rencontre amoureuse sur Tinder en raison de cette absence du romantisme liée à la recherche d'autrui qui réfute la valeur du hasard dans la rencontre. « Déjà je trouve qu'une rencontre en physique est bien plus stylée qu'une rencontre virtuelle. Il y a un contexte qui rend l'histoire sympa quoi. Par exemple tu étais en soirée et tu as rencontré une pote de tes amis. En fait, il y a un lien tu vois. Sur Tinder, le seul lien c'est le match quoi. Je trouve ça fade. En réel, il y a une vraie question d'hasard, c'est ça... c'est le hasard qui fait les bonnes histoires enfin voilà quoi... Ce n'est pas quand tout est calculé par un algorithme. Toute façon, la rencontre, elle est encore plus belle si elle est imprévisible surtout si tu rencontres quelqu'un dans un contexte un peu farfelu, ça va dans la philosophie d'aventure, de la vie en fait. Je me sens plus vivant dans l'imprévu que dans le prévu». [Extrait d'entretien avec Oscar le 08/02/2021].

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Pour perpétuer une notion du hasard qui visiblement fait les bonnes histoires, nous pensons que les individus réinvestissent et revendiquent cette valeur du hasard en ne mentionnant pas dans leur recherche la possibilité d'avoir une rencontre sérieuse. On s'aperçoit à cet effet que la quasi-totalité de nos enquêtés effectue des rencontres « au feeling» et ne mentionnent pas la possibilité d'une rencontre sérieuse bien que ce type de recherche reste néanmoins l'objet d'une certaine « lueur d'espoir ». Cet espoir d'une belle histoire illustre les propos de Bergström (2019) qui démontraient qu'être en couple reste un idéal recherché par les individus et cela, même si le cadre de la rencontre fait envisager d'autres perspectives de recherche.

Qu'est-ce que tu recherches sur Tinder? [Enquêteur] De la compagnie, des relations sexuelles et voilà quoi...

Est-ce que tu as envisagé faire une rencontre sérieuse via Tinder? [Enquêteur]

Au fond de moi ouais ! J'avais une lueur d'espoir de faire une rencontre sérieuse. J'étais plus dans une logique, plus je me multiplie les conquêtes, plus j'ai de chance de tomber sur la bonne personne. C'est un peu ma logique! [Extrait d'entretien avec Michel]. En partant de l'idée de Bergström (2019) selon laquelle les normes sociales se réinvestissent sous de nouvelles formes sur les applications, nous pensons que pour certains utilisateurs, notamment ceux adhérant fortement aux codes du romantisme, ne pas clairement situer ses recherches constitue une manière de réincorporer la dimension du hasard dans la rencontre.

« Le fait de pas chercher du sérieux rend la rencontre bien plus naturelle parce que tu n'as pas de pression, enfin bien moins! Plus belle après je ne pense pas, mais en tout cas c'était bien plus naturel! » [Extrait d'entretien avec Amandine le 26/02/2021]. Comme le dit Amandine, ne pas chercher du sérieux mais en « trouver» rend la rencontre sérieuse plus naturelle. Cela tend à supposer que les utilisatrices réinvestissent les codes et logiques classiques de l'amour sous une nouvelle forme. Les individus revalorisent donc la possibilité de faire une rencontre sérieuse sur Tinder en ne recherchant pas de manière explicite ce type de rencontre et en adoptant la logique de « Feeling ». Par ailleurs, comme Michel le mentionne, ne pas évoquer ses recherches est une manière d'ajouter une corde à son arc dans l'optique de multiplier les « matchs» en respectant les règles conventionnelles de Tinder.

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La mention de la recherche devient ipso facto un élément positif pour augmenter ses matchs mais permet aussi de rendre la rencontre plus naturelle en y réincorporant une valeur du romantisme. C'est selon nous aussi une manière de recréer du hasard dans la rencontre est d'atténuer le stigmate pour l'avoir déclenchée. On rappelle ici que la provocation de la rencontre peut avoir un effet dévalorisant sur la rencontre ou stigmatisant celle ou celui qui l'a provoquée (Bergström, 2019).

Les résultats explorés tendent à démontrer qu'en intériorisant et exposant cette logique d'aller au feeling, l'individu joue avec « ses recherches» pour pouvoir se laisser surprendre par une rencontre sérieuse venant au hasard. La mécanique du « hasard» dans les rencontres et cela même online, reste au centre de la représentation de l'amour des individus (Ibid.). On voit cependant que la ré investigation de ces codes apparaît sous une forme davantage flexible. Cette flexibilité s'illustre par le fait que l'individu joue avec les codes rajouter une touche de naturelle et de romantisme dans la rencontre mais aussi se vendre en correspondant davantage aux attentes des daters. On peut voir à travers cette forme de consensus une réponse des individus face à la déstabilisation que provoquent les sites de rencontre envers les codes du romantisme. Par ce biais, les daters sont enclins à présenter davantage la poursuite d'une rencontre de longue de durée comme étant l'oeuvre du hasard -- hasard qui selon Bergström (2019, p.32), « est une manière de signifier l'union comme une relation d'amour et de rendre l'expérience intelligible en tant que telle ».

E.Quand le naturel revient au galop

Comme nous l'avons vu dans la partie précédente, de nombreux enquêtés revendiquent une forme de « naturelle» dans la construction d'une relation. Nous allons voir dans cette partie par quels biais se traduit la revendication du « naturelle et de l'authenticité» à travers la construction du profil. Il faut noter que dans cette partie, la mention à la fois du naturel et l'authenticité n'est pas anodine, ce sont des deux éléments interprètes de la même manière par les individus. La construction du profil est le juste milieu entre « être naturel et être vendable» pour convenir à l'aspect volatil de l'évaluation des profils. C'est dans cette optique que nous allons voir que les profils Tinder se construisent essentiellement sur 3 critères : l'authenticité, l'originalité et l'humour. Nous verrons que les parties visuelles et descriptives du profil ont des fonctionnalités différentes dans l'expression du « moi ». Chacune des parties met en scène les critères particuliers évoqués ci-dessus.

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On remarque que dans cette trilogie prônée par les individus, chacun des éléments rejoint le socle fondamental sur lequel se base la construction du profil et la philosophie des rencontres, c'est-à-dire : « de ne pas se prendre la tête ». « À travers mon profil, j'ai voulu renvoyer l'image d'un mec qui ne se prend pas la tête qui vit intensément sa vie. La logique de ne pas se prendre la tête s'est vraiment le centre de Tinder bien que derrière je me suis clairement pris la tête pour élaborer ce profil tu vois. C'est tout le paradoxe, tu te prends la tête pour montrer que tu ne te prends pas la tête. C'est la méta15 Tinder. L'important c'est de montrer que dans l'idée globale, tu n'es pas là pour te prendre la tête et que tu es une personne chill qui souhaite vivre des bons moments et puis voilà... Et même dans les messages c'est pareil. [Extrait d'entretien avec Michel, 09/03/2021].

Cette philosophie de « ne pas se prendre la tête » constitue selon nous le socle « cérémoniel » sur lequel va reposer un ensemble de règles cérémonielles (Goffman, 1998) conduisant à guider l'individu dans sa figuration et l'appréciation de l'autre. On tentera donc d'explorer dans cette partie comment cette philosophie constitue ce socle « cérémoniel » structurant la communication entre les individus. Nous verrons l'importance des trois valeurs assujetties à ce cadre : l'originalité, l'humour et l'authenticité qui prennent la forme de règles cérémonielles (Goffman, 1998) à travers lesquelles les daters orientent leur présentation de soi et structurent leurs interactions. Selon Goffman (1998), une règle cérémonielle semble d'apparence peu importante, mais elle constitue néanmoins un moyen de communication conventionnel mobilisé par l'individu pour qu'il exprime son personnage ou évalue celui des autres (ibid.) Nous pensons donc que par que ces règles communes et ce socle culturel, les individus alignent leur « figuration ». L'hypothèse selon laquelle les individus construisent une cohérence entre leur description et leurs photographies est difficilement valable. En raison de la tendance de devoir montrer son « moi social ou spirituel » de manière authentique, les individus semblent ne pas construire de cohérence dans l'expression. Si toutefois une cohérence dans les deux parties du profil figure, elle est effectuée de manière inconsciente par les individus.

15 La « méta » est un terme anglosaxon qui signifie « ce qui est au gout du jour ».

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Est-ce que tu essayais de faire un lien entre ta description et tes photos ? [Enquêteur]

« Alors non, typiquement maintenant que tu me dis ça je me rends compte que je n'ai pas du tout intellectualisé le truc, mais en y pensant, c'est vrai que mes photos me représentent, mon texte et mon Insta aussi et du coup ça fait un lien parce que tout ça me représente, mais je n'ai pas fait de différence où je n'ai pas posé une attention particulière là-dessus. Ça correspond un peu à qui je suis du coup je valide un peu mon « moi » entre les photos, les emojis, et la musique. Je trouve ça assez cohérent en tout cas » [Extrait d'entretien avec Valentin, 19/02/2021]. Il est intéressant de noter que les individus intellectualisent très rarement la cohérence dans l'expression de leur profil, mais ils recherchent en priorité une expression du « moi » la plus correspondante à celle de la réalité.

Celle-ci est en mise en jeu majoritairement par les éléments visuels. « Pourquoi cette photo au festival ? » [Enquêteur]. Déjà parce que j'étais trop bien maquillée, c'était frais comme maquillage et j'aime bien les looks atypiques, je voulais montrer que je n'en ai pas honte et que je peux sortir comme ça à tout moment ! Au moins ça montre bien que je m'en fous. Ça montre un peu mon côté relâché sur ça. Ça prépare la personne psychologiquement sur ça. Sur le fait que je peux vraiment être comme ça pour sortir en ville, etc. Il ne faut pas avoir honte si tu me vois arriver, comme ça tu es au courant».

Tu revendiques pas mal ton authenticité par rapport à ça ? [Enquêteur]

Ouais ouais, je préfère ça comme ça les gens savent à quoi s'attendre ! [Extrait d'entretien avec Amandine, le 26/02/2021]

Nos enquêtés essayent de montrer sur une base photographique un « moi » de la vie quotidienne. Ils tentent à travers ce principe de montrer une forme de « moi authentique» afin que le futur « matché » puisse accepter le dater tel qu'il « est ». Réduire la distance entre le « moi en ligne» et le « moi réel» est donc un gage d'authenticité, car l'utilisateur essaye de se vendre comme « il est ». Il constitue également une forme de prévention visant à avertir le futur dater de son « vrai moi» afin de limiter toute surprise lors du rendez-vous. On voit ici que les photos peuvent recouvrir un sens subtil à dégager : celui d'une « forme d'authenticité revendiquée ».

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Si les individus tendent à vouloir montrer une forme d'authenticité dans leur profil, ils opèrent tout de même un consensus entre se montrer sous son meilleur moi et son vrai moi. « Dans les photos il faut un peu d'originalité, de folie. Je n'ai pas d'exemple, mais quelquefois tu as une photo qui a été prise au bon endroit, au bon moment et sur le vif, et voilà faut pas que ça fasse trop non plus ouais je suis la meuf trop fun et tout et après faut avoir le juste milieu entre un truc orignal et l'authentique ! À vouloir trop être authentique aussi ça nique tout... » [Extrait d'entretien avec Oscar le 08/02/2021]. C'est dans cette forme de conciliation que la première photographie est celle où les daters sont en avant afin de pouvoir se vendre au mieux. « La première photo c'est celle où tu ne dois pas faire le con tu vois. C'est celle qui fait que la personne va continuer ou non à regarder tes photos ou le texte. C'est pour ça que c'est ma photo la plus présentable » [Extrait d'entretien avec Martin le 29/01/2021].

Les enquêtés ont donc conscience qu'ils doivent osciller entre être originaux et authentiques. Ainsi, Martin tout comme de nombreux enquêtés tant à essayer d'avoir une cohérence entre l'authenticité appliquée et revendiquée. Comme l'introduit Antoine, « Le problème avec l'authenticité c'est que les gens se donnent plus de lestes que les autres ». Ce que nous observons à ce sujet entre en convergence avec les hypothèses de Filter et Magyar (2017) qui démontraient que les utilisateurs ne concèdent pas la même flexibilité sur l'authenticité aux autres que sur leur propre profil.

« Qu'est-ce que tu aimes dans un profil ? » [Enquêteur]

« Déjà les choses authentiques, au moins une photo de sa tête, de son corps. Pas maquillée et maquillée ça serait bien on ne va pas se mentir comme ça on voit la différence. [...]. Après au niveau des photos, je n'en ai pas fait une sans maquillage même si je ne me maquille pas trop voire quasiment jamais dans la vie de tous les jours ». [Extrait d'entretien avec Luna, le 06/03/2021].

Luna illustre ici tout le paradoxe entre l'authenticité pratiquée et celle revendiquée (Ibid). On s'aperçoit que le concept « d'authenticité» est très maniable et subjectif selon les individus. Nous verrons dans la partie suivante qu'il existe de nombreuses stratégies pour mouvoir une authenticité dans le profil. Les utilisateurs revendiquant une forme d'authenticité construisent leur profil essentiellement avec des photos non issues d'Instagram.

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Les photos d'Instagram constituent pour les enquêtés l'apogée d'un profil non authentique où la personne se met « trop» en scène. « Les photos instagramables ça va me gêner, ces gens qui ne se présentent pas comme la réalité. Elles sont toujours en belle robe bimbo, à paris, en voyage, etc... Alors que la réalité ce n'est pas aussi toujours les belles plages, les voyages et compagnie». [Extrait d'entretien avec Imran le 18/03/21].

Les photographies dites « Instagramables » sont des photographies de haute qualité mettant en valeur l'individu. Elles sont donc de manière très paradoxale un argument de vente de « soi» favorable, car la personne se montre sous son meilleur jour, mais elles souffrent à la fois d'un stigmate : celui de ne pas se montrer sous une « forme authentique ». On s'aperçoit que les utilisateurs ont tout à fait conscience de ce paradoxe, mais l'acceptent. Le fait de ne pas paraître sous une vraie forme de « soi» constitue également un moyen de protéger son estime de soi en maximisant « les likes ». « Sur Tinder, on a plus tendance à ne pas se montrer authentique. C'est une manière de se défendre tu vois, de ne pas trop se révéler à l'autre. Ce n'est pas facile de se montrer de manière authentique. Se mettre un peu en scène comme tu disais bah c'est une façon de plaire à la majorité quoi».

Pourquoi ce n'est pas facile de se montrer authentique ? [Enquêteur]

Bah y'a aussi l'égo qui rentre en jeu. Je pense que si tu as peu de likes, ça doit être difficile à vivre. [Extrait d'entretien avec Michel, 09/03/2021]

La confiance en soi sur Tinder peut-être fortement mise à l'épreuve et tout particulièrement chez la gent masculine où ils sont en concurrences. Le renforcement de celle-ci n'est pas recherché par les individus bien que l'estime de soi est un facteur contribuant à rendre l'expérience Tinder comme positive (Orosz et al., 2018). « Les photos c'est le but de l'appli après je peux comprendre les personnes qui n'aiment pas ce principe où c'est un peu de la stratégie de consommation, car tu juges à partir d'une photo donc ça peut être « dégradant ». Ça peut être dégradant, car si la personne ne te like pas c'est qu'elle te trouve moche, c'est dur de se dire ça en vrai. Après voilà, c'est le but de l'appli, c'est les risques, si tu mets Tinder tu sais que tu vas devoir passer par là en fait ! Après voilà ça met en jeu ton estime de soi ». [Extrait d'entretien avec Jean-Charles, le 11/02/2021]. Les utilisateurs perçoivent leur nombre de « likes» comme un retour sur leur capital d'attractivité qui se base essentiellement sur le physique. Le retour des utilisateurs à travers les matchs et les messages reçus constitue un retour social positif faisant fructifier l'estime de soi du dater (ibid.).

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Il faut tout de même rappeler ici que ce retour social positif est issu d'une évaluation du profil d'ordre scopique (Illouz, 2020).

Les matchs ça fait du bien à l'égo ? [Enquêteur]

Bah tout à fait ! Avoir quelques matchs, tu te sens quand même mieux que si tu as zéro match. C'est surtout le fait de devoir travailler sur soi, se mettre en avant et aller liker plein de gens. Si en échange de ça tu ne reçois rien bah c'est dur quoi. Tu te dis que t'es pas ouf, que tu n'es pas beau ou que tu ne plais pas donc ce n'est pas facile ! [Extrait d'entretien avec Alexandre, le 07/03/21]. Relativiser cette forme d'évaluation étant donné qu'elle est essentiellement basée sur l'image permet aux daters de garder une image positive de leur face puisqu'elle n'est pas considérée dans sa totalité. « Tinder ce n'est pas la vraie vie de toute façon, c'est un jeu où tu te mets en scène et voilà quoi. On like tous au physique et pas vraiment pour ce qu'est l'autre de toute façon. Je pense que Tinder peut être nocif par rapport à ça et qu'il faut s'en foutre un peu de cette application » [Extrait d'entretien avec Antoine, le 09/02/2021].

En considérant que les critères d'évaluation sont essentiellement basés sur le physique, les daters sont donc enclins à atténuer les retours assujettis à leur face en ligne. Ainsi, cela constitue donc une forme de protection de la face en revendiquant que celle-ci n'est pas évaluée sous une forme ontologique, mais sous une forme scopique. Pour reprendre les mots de Rémi, le délit de « faciès» est radical sur Tinder contrairement aux rencontres en « physique» où les individus considèrent que le cadre de ses rencontres permet davantage une évaluation ontologique de la face. C'est aussi en opérant ce parallèle bien qu'ils ont conscience que ce soit le « jeu » de Tinder que les daters relativisent fortement les aspects négatifs de la plateforme.

Tinder constitue aussi pour les personnes les plus timides un réel tremplin pour mieux connaître son « moi », pour affiner son identité et pour se développer. « Moi par exemple, j'ai un complexe physique sur mon front. J'ai eu beaucoup de commentaires sur mon front alors que moi je n'ai jamais rien demandé. Ça fait que je porte tout le temps des bonnets et des chapeaux pour ça. Et sur cette photo là je me trouve jolie je ne m'attarde pas que sur mon front. Tu vois Tinder en me prenant en photo et montrant un peu mon complexe bah ça m'a permis de m'accepter plus sur ça. Avant j'étais vraiment tout le temps en bonnet je ne pouvais

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pas me voir et je ne voulais pas laisser voir mon grand front ! J'arrive un peu plus à accepter l'image que je renvoie. La deuxième photo tu vois je ressemble clairement à ça en vrai. Je me dis que je suis jolie et le fait d'avoir des compliments sur ces photos par les gars en mode « ouah t'es jolie sur la deuxième photo, etc.. » ça me fait vraiment plaisir surtout que j'étais persuadée de ne plaire à personne [Extrait d'entretien avec Elsa, le 30/01/2021].

Est-ce que le fait que tu sois sur Tinder va modifier ta perception sur les rencontres physiques ? [Enquêteur] Avant j'étais d'une timidité extrême, mais avec Tinder j'ai décidé de m'en foutre et d'être moi-même. J'ai remarqué que les personnes continuent de me parler donc ça m'a permis d'enlever ma timidité, etc. Avant je n'aurais jamais invité un mec chez moi ou parlé à quelqu'un que je ne connais pas forcément. En fait avec eux ça s'est super bien passé j'ai compris que ça a changé des choses sur moi quoi ! Ça m'apporte aussi des choses quoi ! [Extrait d'entretien avec Elsa, le 30/01/2021].

La présentation de soi régie par le paradoxe entre être authentique et originale nécessite un dosage parfait entre ses deux composants. L'originalité semble être la valeur qui permet de « sortir des sentiers battus» comme dirait Oscar qui fait le parallèle entre l'authenticité, l'originalité et l'humour.

« Qu'est-ce qu'un profil authentique pour toi ? » [Enquêteur]

« Déjà une photo marrante, un contexte marrant dans la photo. Un profil authentique c'est un truc original. L'originalité je trouve ça cool et ça permet de se démarquer ! » [Extrait d'entretien avec Oscar, 08/02/2021]. La valeur des variables présentées semble dépendre des individus selon le degré d'investissement sur le profil. Comme nous allons le voir ici, il existe différentes stratégies pour accentuer ses éléments.

Nous avons tout d'abord certains utilisateurs qui ne se prennent pas la tête pour construire leur profil afin de revendiquer le fait que leur figuration se rapproche du « réel ». Construire un profil « sans le réfléchir » constitue pour eux une véritable plus-value pour démontrer un moi « authentique et sans prise de tête ». « Je me suis pas du tout posé la question de comment construire mon profil. Je ne pose pas non plus la question de savoir si mon profil est bien et si je peux l'optimiser, car c'est comme ça et pas autrement. Il ne faut pas non plus se prendre la tête ça ne sert à rien de trop en faire. Je n'aime pas le surplus d'informations faut éviter » [Extrait d'entretien avec Alexandre, le 07/03/21].

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En créant un profil de manière spontanée, les utilisateurs évoquent qu'ils essayent d'afficher une image de soi authentique en rapport à la réalité. Cette revendication du naturel passe essentiellement par un nombre d'images faible (en moyenne ces utilisateurs disposent de trois photographies). « À travers mon profil, je veux montrer que j'ai deux photos, mais je suis authentique quoi. C'est un peu ce que je cherchai à montrer à travers mon truc. J'ai peu de photos de moi, c'est pour ça que j'ai mis ces photos-là, mais ça montre que je suis authentique ! ». Est-ce que tu peux développer pourquoi ? [Enquêteur] Bah... ça montre que déjà je ne prends pas beaucoup de photos de moi donc je vis ma vie et je ne suis pas tout le temps sur les réseaux et que je suis quelqu'un de simple. [Extrait d'entretien avec Gabriel, le 01/03/2021].

Que ce soit des photos de bonnes ou mauvaises qualités, l'enjeu de cette stratégie est de laisser paraître une forme d'authenticité à travers le fait que l'individu dispose de peu de photos et n'en a pas fait expressément pour l'application. « J'ai juste mis quelques photos de moi, en sport, en soirée et puis en mode normal je dirai. Après j'ai juste mis quelques centres d'intérêt et voilà on verra bien ! Je n'ai pas pris de photos juste pour Tinder comme ça au moins j'ai que des photos de moments de vie où c'est vraiment moi dessus » [Extrait d'entretien avec Jean-Charles, le 11/02/2021]. Cet aspect « stratégique» de la non-mise en scène de soi caractérise une typologie particulière d'enquêté. Elle figure chez les hommes ayant une utilisation très modérée de Tinder qui dans notre corpus d'enquêtés sont en majorités des individus inscrits en raison de la crise sanitaire actuelle.

Ce sont essentiellement des personnes exprimant être extraverties, avoir une forte sphère sociale et des facilités à faire des rencontres via les modes traditionnels de rencontre. « Je suis quelqu'un de très extraverti qui va un peu dans tous les sens et qui fait plein de choses. Je me satisfais de peu, je suis intéressé par tout. Comme une majorité de personnes pendant cette année, avec le confinement, j'ai eu des difficultés à rencontrer de nouvelles personnes comme d'habitude donc j'ai installé Tinder ». [Extrait d'entretien avec Valentin, 19/02/2021].

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Ne pas construire un profil élaboré, que ce soit au travers de la description ou des photographies constitue pour ces daters une stratégie de figuration permettant d'affirmer sa pleine d'adhésion au socle cérémoniel de Tinder. Avoir une « figuration» non travaillée constitue donc une réelle plus-value pour montrer qu'ils ne se prennent pas la tête, mais également convenir à la revendication de l'authenticité qui est une valeur régissant la figuration des individus et l'appréciation des profils. Nous allons maintenant explorer quelles sont les tendances visant à associer cette trilogie prépondérante sur Tinder.

Pour les enquêtés revendiquant une forme d'authenticité dans le profil de l'autre, celle-ci passe essentiellement par des photos reflétant un moment de vie quotidienne plutôt que des photographies mettant trop en avant le « moi social ». « En fait l'authenticité pour moi c'est quelqu'un qui ne met pas de choses superflues dans son profil. Je n'aime pas les « m'as-tu vu » tu vois. Le côté m'as-tu vu, regarde comme j'ai l'air d'avoir une grande gueule ou regarde comme je voyage ou j'ai de la thune je n'aime pas ... Je pense que tu as plus ou moins deux types de profils quand même. Tu as ceux qui vont te mettre des photos d'eux dans la vie de tous les jours où ça n'essaye pas de t'induire quelque chose ou de te forcer le regard sur quelque chose contrairement au profil superficiel où c'est le cas » [Extrait d'entretien avec Lana, 04/03/2021].

C'est aussi ce que partage Amandine qui considère péjorativement les excès d'exposition du moi social ou matériel. « Les mecs qui sont accoudés à une voiture, il y en a trop. Même s'ils peuvent être en jogging et en slim, il y en a trop. Il n'y a pas davantage à montrer une voiture quoi. Ça fait un peu michto quoi. Je trouve que c'est vachement pour combler un truc quoi. Et, regarder la voiture ! Mais regardez-moi pas quoi ! C'est pour combler un manque. Pareil pour les voyages je ne trouve pas que ça donne de la plus-value. Ça montre un certain capital culturel en mode il fait des trucs. Je trouve que justement si tu ne mets pas de photos de voyage, mais comme ça, si ça vient dans la discussion, ça engendre une discussion qu'on ne s'attendait pas. [...] Tu ne te vends pas que dans le profil, il faut te vendre aussi dans les messages. Par exemple, s'il a voyagé, l'apprendre dans une discussion c'est mieux ! c'est plus naturel ! Après, certes ça c'est peut-être des éléments pour aborder la personne, mais ça fait que le sujet ne vient clairement pas naturellement quoi. Ça fait un peu « Et regarde j'ai voyagé, j'ai voyagé ! ». [Extrait d'entretien avec Amandine du 26/02/2021].. Les enquêté(e)s recherchent dans un profil essentiellement le « moi social» de l'individu, c'est-à-dire, prioritairement ses activités, ses intérêts et ses passions.

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Toute la complexité de la présentation de soi pour illustrer les formes du « moi social» est liée à cette réaffirmation de l'authenticité dans la figuration. Les daters priorisent dans leur profil et celui de l'autre des « tranches de vie» recensant sous une forme plus naturelle les aspects du moi présentés. « J'attends une certaine tranche de vie de la personne dans sa photo. De la voir à un moment donné dans un truc qu'elle aime bien. Je veux un certain dynamisme dans la photo et je ne veux pas que juste que ce soient des photos prises juste pour aller sur Tinder ou Instagram. Même si c'est des photos floues, je veux un petit truc qui te fasse regarder » [Extrait d'entretien avec Rémi, le 11/02/2021].

Les photos comme le dit Rémi sont donc privilégiées selon le fait qu'elles soient jugées plus ou moins comme naturelles. « Dans les photos, je recherche un peu d'originalité, de folie. Je n'ai pas d'exemple, des fois tu as une photo qui a été prise au bon endroit, au bon moment et sur le vif, et voilà ! Après faut pas que ça fasse trop non plus : « ouais je suis la meuf trop fun et tout». Il faut avoir le juste milieu entre un truc original et l'authenticité ! À vouloir trop être authentique aussi ça casse tout » [Extrait d'entretien avec Oscar, 08/02/2021]. On voit ici de manière très implicite que l'originalité et l'authenticité sont sans cesse interprétées de façon « complémentaire ». Cette difficulté à être « original» et à la fois pas « trop en faire» pour rester authentique démontre une réelle prise de conscience chez les individus des éléments pouvant paraître ou non « comme étant naturel» pour séduire son futur match (De singly, 1984).

F.Casser la face pour briser la glace

Dans les interactions et les rencontres en présentiel, la face que l'on mobilise est un attribut sacré qui nécessite un ensemble de processus de figuration visant à l'entretenir (Goffman, 1998). Les utilisateurs de Tinder se « jouent» de la face et la tournent sous une forme d'autodérision. Contrairement aux idéologies de Goffman où l'on tend de protéger sa face et mouvoir une face qui est socialement valorisée, les daters viennent « casser leur face» pour attester leur position (ibid.). Ils affirment en cassant « la face» une identité en ligne produite et incarnée par le cadre cérémoniel de Tinder, c'est-à-dire de « ne pas se prendre la tête ». « Il y a des mecs qui ne sont pas là à se mettre en valeur en photos. Ils prennent des photos avec des bières dans les mains ou quand ils sont bourrés quoi... Donc rien que ça me fait rire et ça me montre que ce sont des mecs qui n'en ont rien à faire et qui s'amusent ! Moi j'aime bien ce genre de mentalité ». [Extrait d'entretien avec Elsa, le 30/01/2021].

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Comme l'illustre Elsa, les photographies où l'individu ne fait pas profit de sa valeur sociale à travers sa face rajoutent une touche de « non de prise de tête» à la figuration de l'utilisateur. Les individus construisent leur profil par « ses valeurs » implicites, mais ils sont également évalués en fonction de celles-ci. Cela réaffirme d'autant plus que la philosophie de ne pas se prendre la tête accompagnée de ses valeurs : l'originalité, l'humour et l'authenticité constituent des règles conventionnelles puisqu'elles guident les individus dans l'expression de leur personne et leur permet de porter une appréciation envers les autres (Goffman, 1998). Les photographies peuvent faire l'objet d'une stratégie permettant d'exprimer son « moi spirituel ». Cette figuration du moi « spirituel » peut faire « d'une pierre deux coups » notamment chez les daters exprimant une ouverture d'esprit qui se rapprochent implicitement des attentes conventionnelles liées à Tinder. « Je suis très léger et sans prise de tête. Je recherche peut-être un peu à maximiser les types de rencontre, je suis presque à me présenter en tant que ridicule pour dire voilà je parle de plein de choses, je suis prêt à rigoler, je suis ouvert d'esprit. Je n'ai pas peur d'être ridicule si ça peut décomplexer les gens et voilà. Ce côté la non prise de tête ça se rejoint aussi par la photo qui louche et la photo où je suis en djellaba en montagne » [Extrait d'entretien avec Valentin, 19/02/2021]. Dans une certaine mesure et quand celui-ci est dosé à bon escient, le ridicule ne tue pas sur Tinder, mais il est un véritable pion sur l'échiquier pour remporter des matchs. Casser la face et jouer avec elle constitue donc pour nos utilisateurs un gage d'authenticité et de non prise de tête.

En conclusion de cette partie, nous voyons que les éléments visuels du profil sont mobilisés pour figurer et porter une appréciation sur l'authenticité de la mise en scène de l'autre. Comme l'explique Illouz (2020), les utilisateurs sur Tinder évaluent principalement leurs pairs par cette forme de capital scopique qui devient une phase de présélection des profils. « C'est bête à dire, mais sur Tinder, tu likes sur le physique avant tout. Après tu vois s'il y a une description, mais d'abord c'est le physique qui compte » [Extrait d'entretien avec Luna, le 06/03/2021]. Sans être charmés par l'aspect scopique du profil, les individus vont « disliker » la personne. C'est pour cette raison que les utilisateurs sont davantage réflexifs quant aux valeurs prônées par les photos que par la description. Nous avons donc exploré à travers cette partie que les composantes visuelles du profil sont majoritairement évaluées en fonction de deux critères : l'authenticité et la philosophie « non prise de tête ». Nous allons tenter dans cette prochaine partie d'explorer comment les individus construisent leur figuration « écrite » et par quels biais ils portent une appréciation envers la description de l'autre.

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G.Quatre mots sur un profil...

La philosophie « pas de prise de tête» se réaffirme ici par le rejet des descriptions exhaustives mentionnant trop d'éléments sur l'utilisateur ou l'utilisatrice. « Moi quand je vois un profil avec une description longue, cela ne me donne pas trop envie de parler à la personne en mode chill. La plupart du temps j'étais dans un entre deux de « wait and see » tu vois. Après voilà, au fil du temps j'ai adopté ce truc de pas me prendre la tête. Justement, à propos de ça, les descriptions longues, ça m'indique à un peu si la personne était prise de tête quoi ». [Extrait d'entretien avec Martin le 29/01/2021].

La longueur de la description devient un indicateur important pour les daters afin d'identifier si le potentiel match entre dans cette logique de « wait and see » comme le dit si bien Martin. De la même manière, les éléments tenant à inscrire une recherche spécifique (le souhait d'avoir un partenaire grand, sportif ou de ne pas souhaiter communiquer avec des gens cherchant des relations éphémères) sont connotés péjorativement pour les utilisateurs. Ces rites de présentation (Goffman, 1998) permettant à l'individu de filtrer ses recherches reflètent chez les autres une potentielle « source de prise de tête ».

« Il faut que la description présente soi-même et qu'elle ne soit pas dans ce que je ne veux pas. Typiquement, quelqu'un qui dit je ne veux surtout pas de plan cul pour moi c'est rédhibitoire, car tu te présentes avec ce que tu ne veux pas. Si une meuf ne veut pas de plan cul en fait le truc c'est que sa manière de se présenter son profil, elle est dans le traumatisme. Le fait de le préciser, ce n'est pas attractif et tu te dis que la personne va peut-être être psychorigide sur les bords » [Extrait d'entretien avec Florent, le 04/02/2021].

Inclure des rites de présentation dans la description faisant figurer une attente chez l'autre ou dans le type de relation souhaité est un élément péjoratif pour les daters. La philosophie « de ne pas se prendre la tête » semble être au coeur de Tinder que ce soit pour construire ou évaluer un profil, celle-ci est sans cesse mobilisée par les utilisateurs comme un modèle de « référence ». Cette forme de référence guide les individus à travers trois valeurs traduisant des règles cérémonielles (Goffman, 1998) dans la figuration. À ce titre, l'originalité, l'humour et l'authenticité régissent la manière dont l'individu exprime son personnage ou évalue le profil des autres. Cette nouvelle philosophie devient un modèle de référence communicationnel guidant l'individu sur sa figuration.

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Elle conduit essentiellement à des formes de processus de figuration par l'évitement (ibid.) qui favorise la suppression des rites de présentation. La philosophie « sans prise de tête» mobilisée démontre un « processus d'évitement généralisé » envers les éléments qui, de manière explicite ou implicite, contredisent cette façon de penser. Cette raison pousse les individus a opter pour des descriptions courtes, car chaque élément de celle-ci peut être rédhibitoire. La partie descriptive fait moins l'objet de débat sur « l'authenticité » chez les enquêtés. L'écrit fait l'objet chez eux d'un regard davantage porté sur l'originalité et des éléments liés au moi social. « Pour moi la finalité de la description c'est l'originalité, ce que la personne aime, ses délires et idéalement qu'elle est ouverte à tout dans le sens où je suis un peu chaude pour faire toutes sortes d'activités et curieuse quoi. Donc oui quelqu'un qui soit ouvert d'esprit et pas fermé » [Extrait d'entretien avec Lana, 04/03/2021].

La divergence entre le nombre de matchs chez les femmes et chez les hommes entraine une revendication plus forte de l'originalité chez les femmes. Après l'originalité qui figure au premier plan, les individus souhaitent apercevoir à travers la description une forme de « moi social » passant essentiellement par les centres d'intérêt de la personne et son activité professionnelle. « Les éléments dans le profil de l'autre que je vais apprécier, c'est des points communs dans sa description, que ce soit dans ce qu'il décrit de manière factuelle, voilà j'aime la musique, la menuiserie ou que ce soit dans sa manière de l'exprimer en fait. J'aime quand les choses sont bien écrites et qu'il y a une bonne ponctuation donc je vais aussi faire attention à ce que le mec me corresponde sur ça aussi là-dessus ». [Extrait d'entretien avec Agathe, le 09/03/2021]. Comme Agathe, la quasi-totalité des utilisateurs enquêté émettent une forte tendance à l'homophilie passant par la recherche de passions ou d'activités en commun.

La mention du « moi social » est d'autant plus importante pour les hommes, car ils sont à la recherche d'indices pour faire le premier pas. « Une bonne description, c'est une description en mode deux trois lignes où l'on peut rebondir. Dans les descriptions c'est important qu'il y ait du matériel pour rebondir quoi. Pour moi c'est trop important pour la rédaction du premier message. C'est bien pour que je puisse écrire un message percutant et original ! » [Extrait d'entretien avec Florent, le 04/02/2021]. L'exercice rédactionnel de la description concerne davantage les hommes étant donné qu'ils sont confrontés à une rude concurrence (Bergström, 2019). Dans le processus de construction de la description, les utilisateurs opèrent des connexions entre leurs centres d'intérêt et ce qui est socialement valorisé.

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Ce processus est pour nous une stratégie figurative mobilisée par les individus pour répondre à la fois à l'aspect vente du profil et incorporer une forme de « moi authentique» en son sein. Donc tu as opéré un choix dans tes centres d'intérêt pour prendre les mieux perçus socialement ? [Enquêteur]. « Oui c'est ça et ça c'est clairement du conformisme et pas de la prise de risque, mais ça aide à avoir plus de matchs. C'est pour ça que je n'ai pas parlé de l'environnement, mais plus de la musique en mentionnant le piano [sous une forme d'émoji]. Ça veut clairement dire que j'en joue et vu que c'est bien connoté bah c'est quand même intéressant de le mettre. Après ça va à l'encontre de ce que je te disais avant c'est-à-dire l'optique prise de risque, etc. Mais des fois voilà faut plaire quoi. C'est toujours un milieu à trouver entre le conformisme et la prise de risque. Faut essayer d'être subtil pour montrer que tu te vends sans montrer que tu te vends. Il faut que tu te vendes subtilement en fait». [Extrait d'entretien avec Oscar, 08/02/2021].

La description et le choix des mentions d'intérêt constituent en ce sens un processus de généralisation (Boltanski, 1984) dans lequel l'individu va prioriser les arguments plus socialement connotés pour « embellir sa face ».

Se vendre passe donc par l'intellectualisation des centres d'intérêt dans le but de mettre ceux qui ont le plus de valeurs. Il est intéressant de noter qu'en dehors des centres d'intérêt, le choix des mots subit également ce même processus. « Si tu veux sauver des chatons, surfer sur des dunes de sable ou te baigner avec des singes en Islande, ça sera sans doute plus sympa avec les chatons qu'on aura sauvés ensemble ». [Extrait du profil de Valentin, 19/02/2021]. En interrogeant Valentin sur les choix des mots de sa description, on s'aperçoit que la mention des chats relève d'une stratégie bien précise pour plaire à la généralité.

« Pourquoi avoir mentionné des animaux dans ta description ? » [Enquêteur].

« Pourquoi les chatons ? Parce que tout le monde aime les chatons donc c'est une manière de plaire à la généralité ». [Extrait d'entretien avec Valentin]

Les individus effectuent donc des opérations de généralisation (Boltanski, 1984) dans le but de rattacher des éléments du « moi » à un collectif ou des attributs socialement « valorisés ». C'est par ce processus de dé-singularisation du « moi » (ibid.) que l'individu intellectualise son profil pour le vendre tout en restant authentique dans le but de rajouter de la valeur à son profil.

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Les utilisateurs émettent un consensus sur le fait que toute présentation du « moi spirituel» par écrit est repoussante. « Je trouve qu'un gars qui écrit ouais moi je suis ouvert d'esprit, intelligent ou des trucs comme ça j'ai envie de dire bah cool, mais en fait forcer le truc en le disant ce n'est pas terrible. Ça fait un peu « hé !regardez comme je suis intelligent ! » [Extrait d'entretien avec Agathe, le 09/03/2021].

Agathe met un point essentiel sur quelque chose d'important : la mention d'un moi spirituel doit paraître de manière implicite à travers les photos et la description. Comme nous l'avons mentionné, les photos visant à casser la face de l'individu pour montrer que celui-ci ne se prend pas la tête et représente, in fine, une personne drôle ou ouverte d'esprit selon l'interprétation des enquêté(e)s.

Notre corpus d'enquêté a aussi évoqué l'utilisation de « GIF16 » ou de « MEME » 17pour faire transparaître des attributs liés au moi spirituel. « Le petit phoque sur ma dernière photo, ça fait partie de ma personnalité, je suis quelqu'un qui parle par message avec plein de GIF, des MEMES. En fait c'est pour dire ok j'ai des photos sérieuses, mais j'ai aussi mon petit côté fofole et spontanée. Encore une fois c'est des codes. Pareil sur les profils des mecs pareils y'en a qui mettent des « MEMES » drôles pour faire comprendre un peu leur délire. Ça donne plus envie de matcher des mecs comme ça où ils mettent un peu des trucs drôles dans leur profil que les mecs qui font une petite bio et tout quoi ! » [Extrait d'entretien avec Elsa, le 30/01/2021].

Tout comme Elsa, beaucoup de nos utilisateurs ont effectué une opération de généralisation pour exprimer leur « moi spirituel » ou des attraits particuliers. « Dans ma description, j'ai mis #MMM parce que j'aime bien Orgasme et Moi et j'aime beaucoup le mood du truc. Je trouve ça hyper positif. En fait c'est un groupe Instagram qui a plus de 500.000 abonnés avec beaucoup de filles dessus où ils parlent de sexualité de manière relâchée, d'ouverture d'esprit, etc... » Est-ce que c'est un élément positif pour toi ? [Enquêteur]

16 Les « GIF » sont des images animées d'une durée de 2 à 3 secs. Ils sont globalement employés sur internet pour le coté drôle et ludique qu'ils apportent.

17 Les MEMES sont des phénomènes issus de la vie quotidienne qui sont tournés en dérision sous le format d'une image.

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« Ouais c'est une sorte assurance de voir les choses d'une certaine façon. Ça montre que je suis dans cette vibe là de l'ouverture d'esprit, les choses bons délires et dans le mood de découvrir de nouveaux trucs sur ma sexualité. Pareil de la même manière, j'ai mis 420 parce que j'aime bien fumer et comme ça j'attire les gens qui fument. 420 au début je ne savais pas la réf j'ai appris après ce que c'était. Vu que c'est un code j'ai trouvé ça cool de le mettre ça permet de faire liker les gens qui ont la réf» [Extrait d'entretien avec Imran, le 18/03/21]. La conscience que le moi spirituel présenté de manière explicite est rédhibitoire entraîne une opération de généralisation du « moi spirituel» pour le mouvoir de manière implicite, conformément aux codes de Tinder. Cela constitue donc selon nous une véritable opération de généralisation (Boltanski, 1984) dans laquelle les individus relient une part de leur personnalité à un code collectif. La plus-value d'exhiber un « moi spirituel » représente selon nous un moyen pour les daters de démontrer non pas une forme d'originalité, mais de faire falloir sa singularité en s'ajustant à l'application.

Le commun comme l'illustre Martuccelli (2010) s'articule donc parfaitement avec la singularité puisque c'est à partir du commun que les daters affirment une forme de singularité - singularité démontrée par la mise en scène d'une personnalité de l'utilisateur de manière « implicite ». En ce sens, c'est aussi par le biais de ce mécanisme de « généralisation du moi » que les daters se singularisent et se rendent attractifs auprès des utilisateurs ayant des affinités similaires.

Les daters sont donc à la recherche de similitudes de la mise en scène de l'autre que ce soit par un moi social ou spirituel semblable. Cela tend à affirmer que les individus cherchent non seulement des formes d'affinités culturelles comme le mentionne Bergström (2019), mais également des formes d'affinités liées au « moi spirituel ». Ainsi, comme nous pouvons le constater ici, l'homophilie est une tendance omniprésente dans la présentation et dans la recherche des individus. Concernant les formes d'affinités culturelles, la quasi-totalité des personnes interrogées dans notre enquête ont tous témoigné percevoir la mention de « l'université » comme un élément positif dans la description.

Comment tu perçois le fait que quelqu'un a mentionné son université ? [Enquêteur]

« Si dans la description, si je vois que quelqu'un a fait des études ou qu'il est à la fac, c'est un plus. J'aime bien avoir des débats avec la personne avec qui je suis. Je ne dis pas que les personnes sans diplôme ne savent pas débattre, mais heu...Je ne sais pas... J'aime bien les gens qui ont fait des études pour qu'on puisse débattre sur des sujets ».

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Donc la faculté en quelque sorte, c'est une sorte de gage culturel ? [Enquêteur]

« Oui bah bien sûr, c'est sûr ! je pense que ça peut l'être la plupart du temps. Au moins tu es sûr que tu vas pouvoir discuter avec la personne de certains sujets ». [Extrait d'entretien avec Amandine, 26/02/2021]. L'université devient donc une assurance pour les utilisateurs de pouvoir poursuivre des sujets de réflexion en raison de cette « culture commune» qu'apporterait la faculté. L'université constitue un élément qui permet, d'une part, à l'individu de désinsugulariser son moi « social » en déclarant implicitement qu'il est étudiant à la faculté, et d'autres, de montrer qu'il possède un « certain » niveau culturel assujetti à ce label.

Les individus ayant une forte tendance à l'homogamie réaffirment la nécessité d'une culture commune en faisant allusion à des références culturelles dans leur description. Pour les utilisatrices, cela est aussi un moyen d'opérer une phase de sélection plus fine à travers les premiers messages envoyés par le dater. Dans ses recherches, Clémentine souligne une exigence de « proximité sociale et culturelle ». « Il faut aussi que la personne ait fait un minimum d'études. En plus je m'en fiche, mais pour parler j'ai besoin d'un mec qui ait fait un minimum d'études pour avoir des discussions. Un mec qui fait des études c'est forcément plus valorisant pour moi. Les études, ça permet d'avoir une même culture, mais c'est aussi ma CSP. Tu me vois moi, prof de français avec quelqu'un qui fait une faute à tous les mots ? On n'est pas dans la belle et le clochard hein ! » [Extrait d'entretien avec Clémentine, 24/02/2021]. Sous couvert de son pseudonyme « Lolita », Clémentine fait écho dans sa description à Louis-Ferdinand Céline en mettant pour seule ligne dans sa description «L'amour c'est l'infini mis à la portée des caniches«. Clémentine évoque qu'elle est en mesure de juger les affinités culturelles selon le premier abord des hommes qui contient très généralement une relance au sujet de sa description.

« Il y a plein de gars qui me relancent par rapport à ma description. Après il y en a qui ne réfléchissent même pas, ils me disent « ça veut dire quoi ta citation ? » et bon je sais qu'ils sont un peu dans l'ignorance s'ils ne prennent pas la peine de réfléchir. En général je ne réponds pas trop, car, bon, déjà s'ils ne font pas d'efforts.... Parfois je suis aussi très surprise, car des gens me font tout de suite écho à Nabokov et à Céline et ils me posent de bonnes questions là-dessus et là c'est cool, ça ouvre des sujets de discussion ». [Extrait d'entretien avec Clémentine, 24/02/2021].

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L'utilisateur recevra une réponse si son premier abord à une cohérence ou non dans l'affinité culturelle proposée par Clémentine. La phase de sélection se poursuit donc après le match et sécurise le besoin d'homogamie en testant la culture de la personne « matchée ». Comme le montre Clémentine, les utilisatrices tendent à étendre la phase de sélection par des tests liés à des éléments de la description. Au-delà des appréhensions classiques comme le fait d'avoir une orthographe irréprochable sur Tinder, on s'aperçoit que l'homogamie se traduit par une recherche d'affinité culturelle qui passe à travers le profil par des éléments comme la faculté, le métier ou des références culturelles.

Les utilisatrices dans cette tendance traduisent une phase plus affinée de sélection à travers la nécessité d'avoir une approche similaire sur un élément déterminant à leurs yeux et cela peu importe s'il est lié à une philosophie de vivre (moi spirituel) à des affinités culturelles (moi social) . « Moi je suis assez féministe et justement je vais me servir de questions sur la place de la femme aussi pour juger le gars par message. Par exemple un gars totalement fermé d'esprit sur ça ou totalement con bah c'est rédhibitoire quoi» [Extrait d'entretien Amandine, 26/02/2021]. Les éléments du « moi social» traduisent donc une véritable tendance à l'homophilie. Cette quête d'affinités chez l'autre illustre bel et bien les propos de Martuccelli (2010) qui évoquait que chez les jeunes, « le partage d'un goût commun de sert de témoin à une singularité partagée. ». (Ibid., p.18).

Les formes du « moi social» font aussi l'objet d'une interprétation d'une forme de « moi spirituel ». On s'aperçoit que les utilisateurs effectuent une sorte de généralisation de la forme du « moi spirituel» liée à l'activité ou aux passions exercées par les individus. « Tu parlais de personnalité tout à l'heure, c'est ce que tu recherches dans la description ? » [Enquêteur] Bah... En fait, la description ça ne montre pas forcément la personnalité de la personne, mais en tout cas c'est une devanture, tu vas dire que je lis dans les profils Tinder comme sur une boule de cristal, mais ouais, je suis à la recherche d'indicateurs sur la personnalité de la personne. C'est une porte d'entrée le profil qui te permet d'appréhender un peu ce que tu as à l'intérieur [Extrait d'entretien avec Agathe, le 09/03/2021].

Notre corpus d'enquêté a montré de manière très équilibrée une recherche à la fois d'un « moi social» et d'une forme de « moi spirituel» à travers le moi social. Il existe selon Lazarsfield et Merton (1954) deux formes d'homophilies distinctes : l'homophilie de statut et l'homophilie de valeurs.

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Nous retrouvons donc chez nos enquêtés une forme d'homophilie totale puisqu'ils portent une attention particulière au statut social ou au niveau d'études (d'une homophilie de statut), mais ils sont également à la recherche de valeurs, de croyances où d'un rapport au monde

similaires. Il faut souligner que l'on retrouve cette forme « d'homophilie totale»
essentiellement chez une typologie d'utilisateurs spécifique : les utilisateurs se disant « extravertis ».

L'importance d'une forme de moi spirituel similaire chez l'autre est accentuée chez eux puisque le « moi social» de ces personnes est fortement liée à leur « moi spirituel ». En guise d'illustration, Alexandre qui se proclame comme un voyageur aguerri recherche chez ses futurs partenaires des caractéristiques du « moi spirituel» associées à cela pour qu'ils puissent partager son univers social et spirituel. « En général, tu choisis quand même des personnes avec qui tu vas avoir des traits communs avec elles. Si je vois une personne un peu casanière et tout le tralalala ça ne va pas le faire » [Extrait d'entretien avec Alexandre, le 07/03/21]. En l'absence de normes précises sur l'application, les individus tendent à adopter un comportement restrictif et craintif envers la description qui semble être un exercice difficile pour tous et peu importe la classe socioprofessionnelle. « Moi je n'ai rien mis et ça ne me dérange pas de rien mettre. Quitte à être discriminé ou perdre des points autant ne rien mettre ! » [Extrait d'entretien avec Antoine, le 09/02/2021].

Comme cette partie et d'autres illustrations ont pu le démontrer, les individus construisent donc leur profil Tinder en raisonnant dans leur figuration essentiellement par des processus d'évitement (Goffman, 1998) figurer avec des processus d'évitement est une manière tout à fait adéquate pour répondre à l'absence de normes implicites qui tend à induire chez les individus une figuration dans laquelle ils tendent à éviter de perdre de la valeur d'attractivité plutôt qu'à en gagner. La tendance à ne pas rédiger de description est plus forte chez les femmes que chez les hommes étant donné qu'elles sont plus fortement sollicitées, elles éprouvent moins le besoin d'une mise en scène de soi sophistiquée. « Déjà sur Tinder c'est plus facile pour les filles que pour les hommes, certes on est un morceau de viande, mais je pense que c'est la femme qui fait son marché sur Tinder. Quand une femme like, elle a directement un match tandis que les mecs ont à peine 10 likes et encore ! Les femmes ont le pouvoir sur Tinder donc elles n'ont pas besoin de se mettre en scène, car de toute façon elles auront plein de matchs » [Extrait d'entretien avec Clémentine, 24/02/2021].

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La moyenne de caractères dans la description chez nos enquêtés est de 105 caractères. Elle est quasiment identique pour les deux genres (103 caractères pour les hommes et 107 pour les femmes). La moitié des femmes enquêtées ont une description inférieure à 30 caractères contre 20 % des hommes. Cette divergence traduit le clivage entre le rapport à la séduction qui est nécessairement plus technique chez les hommes que chez les femmes et ce même dans la description. Selon l'aisance de la personne, nous retrouvons essentiellement trois types de figuration à travers la description. Nous y retrouvons l'usage de l'humour ou de références culturelles pour témoigner être original ou drôle, ou bien une description du « moi social ». L'originalité revendiquée par de nombreuses utilisatrices semble être un attribut complexe à présenter par écrit pour les utilisateurs. La figuration par l'originalité survient lorsque le « dater» est plus investi sur Tinder et perçoit l'application comme une ressource principale pour faire des rencontres. « Ce profil, c'est le fruit des années de recherche. C'est le fruit de feedback de filles où j'ai compris ce qui marchait et ce qui ne marchait pas. C'est une succession d'expérimentations quoi. J'ai demandé des conseils et j'ai regardé aussi des vidéos » [Extrait d'entretien avec Michel, 09/03/2021]. Ayant conscience que la description originale « est un peu à double tranchant, soit ça peut attirer la personne soit ça va la rebuter totalement » [Extrait d'entretien avec Imran, le 18/03/21], l'une des stratégies mobilisées consiste à écrire une description plus traditionnelle de soi passant par l'expression du « moi social ».

Pour éviter de lister les composantes du « moi social» en commençant par l'activité professionnelle jusqu'à ses loisirs, les individus mobilisent énormément les centres d'intérêt pour y inscrire leurs activités principales. Employer des « emojis » pour la gent masculine est aussi une façon de décrire son « moi social» de manière concise tout en important « une touche d'originalité ». « Au lieu de rien mettre ou faire une description CV, je me suis dit qu'une description avec des emojis est bien pour paraître un peu original. C'est un peu pour me distinguer» [Extrait d'entretien avec Gabriel, le 01/03/2021]. Les emojis permettent à l'individu d'invoquer des formes du moi social de manière courte et concise tout en étant original et en respectant les codes implicites assujettis à la description. « En fait le truc c'est que je n'ai pas envie de parler trop de moi non plus, donc les émojis c'est bien, c'est un peu une manière de se présenter de manière concise. Les émojis, c'est visuel, c'est des couleurs donc oui c'est assez cool, ça rentre dans l'air du temps. Les émojis, c'est une manière d'utiliser le système pour ma façon de voir les choses quoi» [Extrait d'entretien avec Alexandre, le 07/03/21].

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Les émoticônes sont donc un moyen de pas perdre de points en rédigeant une description « CV » qui tend à faire fuir les daters. En contribuant à une description concise, ils favorisent le rapprochement du profil envers les exigences de ne pas se prendre la tête et d'être original et permettent de mouvoir ses activités « sans trop en faire ». « Sur Tinder faut avoir une bio sympa, faut montrer que tu es ouvert d'esprit, que tu aimes faire plusieurs choses et que tu ne te prends pas trop la tête. Par exemple là dans ma bio j'ai mis que des emojis de ce que j'aime bien. J'ai mis nature, animaux, études, les bouquins, le sport tout ça tout ça. Au lieu d'écrire j'ai mis ça. J'ai trouvé quand mettant ça que cela pouvait amener un peu d'originalité. D'ailleurs les profils me font penser un peu à un CV, pour moi c'est une forme de CV, tu as une photo et tu as ta description. Voilà après je ne sais pas si c'est original de mettre des émojis, mais pour moi c'est ma touche d'originalité. [Extrait d'entretien avec Gabriel, le 01/03/2021].

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L'utilisation des émojis est aussi un vrai atout pour les utilisateurs les moins à l'aise avec l'écrit qui devient pour eux un moyen d'éviter de perdre des points étant donné que pour les utilisateurs, l'orthographe est une exigence commune et rédhibitoire pour les enquêtés. Cela peut s'expliquer par le fait que la plupart de nos enquêtés ont tout de même une dôte scolaire importante dont la revendication passe par un écrit maitrisé. « Les émojis c'est pour compenser ma non-maîtrise des écrits et ça me permet de ne pas perdre des points dès le début. Avec mes émojis on voit tout de suite ce que je fais. Ça dit « Voilà ce que j'aime faire » donc j'ai des points communs avec la personne, directement on peut parler de ces sujets aussi tu vois. Étant donné qu'il n'y a pas beaucoup de caractères pour se présenter ça permet d'avoir une certaine représentation de la personne, d'avoir une idée de moi ». [Extrait d'entretien avec Valentin, 19/02/2021].

Comme nous l'avons vu, les formes de valorisation culturelle passent par les belles lettres, les références culturelles à travers les photos, les citations ou la mention d'un statut social. Les individus ayant conscience que leur métier n'est pas socialement valorisé ne le mentionnent pas, car ils ont connaissance que cela peut-être un élément éliminatoire pour les futurs matchs. De la même manière, les individus intériorisant comme le dirait Marx une « conscience de classe» sont enclins à éviter de liker les profils ayant un haut capital social et/ou culturel.

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Est-ce que la mention de la classe sociale et de ses études est importante ? [Enquêteur]

Admettons si la personne à un métier que moi je valorise beaucoup plus que le mien. Je ne vais pas liker car je ne me sens pas inférieur, mais pas dans la même classe sociale.

Tu as des explications à propos de ça ? [Enquêteur]

« C'est la peur que la personne te rabaisse quand elle parle si elle a fait plus d'études que toi... Il y a certaines filles ou si je dis que je suis facteur tout de suite ça va créer des barrières entre moi et la personne. J'ai l'impression que je perds un peu en valeur par rapport à elle parce que je suis facteur. Ce n'est pas méchant, mais c'est beaucoup comme ça chez les filles. Si tu as un métier inférieur à elle bah nan ce n'est pas possible ». [Extrait d'entretien avec Michel, 09/03/2021]

Si tu matchs et il y a un bon feeling, mais que tu apprends qu'elle est cadre supérieure ça te générait ? [Enquêteur] « Là c'est vrai que je vais me mettre en retrait. Je tenterai quand même peut-être, mais pour engager du sérieux je pense que c'est beaucoup plus compliqué. Je pense pour sortir avec une fille comme ça, faut se mettre au niveau social pour sortir avec ». [Extrait d'entretien avec Michel, 09/03/2021]

Qu'est-ce qui te gêne par rapport à ça ? [Enquêteur]

« Je dirai que c'est le niveau économique. Le niveau culturel tu peux toujours t'informer et apprendre, mais le niveau économique, si tu n'as pas plus de diplômes qu'elle, c'est mort quoi tu ne pourras pas te mettre à niveau». [Extrait d'entretien avec Michel, 09/03/2021].

Cette forme de conscience de classe se traduit par l'intériorisation d'un capital culturel sous un état institutionnalisé (Bourdieu, 1979) qui s'illustre par les titres scolaires où un métier socialement valorisé. On s'aperçoit ici que pour ces utilisateurs, la non-réciprocité dans le capital culturel génère une crainte d'être dévalorisé auprès de l'autre. L'opération de généralisation du statut social envers un référentiel culturel mène à une stratégie d'évitement visant à protéger l'individu de la potentielle évaluation péjorative de son métier. Les enquêtés associent également le capital culturel institutionnalisé (ibid.) avec un haut niveau économique. Si toutefois le capital culturel peut être incorporé par un travail d'acquisition important, les hommes enquêtés ici perçoivent la divergence économique comme difficilement surmontable.

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Ces résultats concordent avec les recherches de Bertrand et al. (dans Neyt al. 2019) qui démontrent qu'un haut niveau d'éducation chez les femmes peut provoquer un rendement négatif sur les sites de rencontre en raison d'une association de celui-ci avec le capital économique. Les utilisateurs relient le niveau d'éducation avec le salaire ce qui provoque une forme de réticence à l'idée de matcher une femme ayant un capital économique plus important que l'homme. Cela illustre une forme de trouble chez les hommes à l'idée qu'ils ne peuvent pas exposer et se vendre par leur capital social qui est important dans leur niveau d'attractivité (Singly, 1988). La connaissance d'un niveau « économique » supérieur chez la future matchée génère donc chez l'homme une réticence dans la poursuite d'une rencontre.

Nos « résultats» semblent illustrer également une profonde recherche d'homogamie transverse à toutes classes sociales bien que la manière dont se traduit l'homogamie diffère entre elles. On voit à ce sujet que si globalement les classes intermédiaires et supérieures tendent à manifester à travers des processus de généralisation qu'ils détiennent à bon niveau culturel, les classes les moins favorisées sont plus enclines à ne pas opérer ces formes de processus distinctifs. Ils sont enclins à opter pour des comportements illustrant des processus d'évitement dans leur construction de profil et leur recherche visant d'une part, à ne pas être stigmatisés ou perdre des points dans la description et d'autre part, à éviter les profils « scolairement dotés », car ils associent une potentielle « perte de face» dans la discussion avec ce type de dater.

Bien que les classes sociales les plus favorisées jouissent d'un écrit à vocation distinctif (Bergström, 2019), les daters les moins à l'aise avec cet exercice trouvent des stratégies telles que la figuration par les émojis pour compenser les faiblesses de l'écrit. La mobilisation d'un état culturel institutionnalisé (Bourdieu, 1979) serait donc l'élément majeur qui vient tracer des frontières sociales entre les individus contraignants les plus défavorisés à des processus d'évitement. Bien que toutefois la peur du jugement par la mise en exergue du capital culturel de l'autre dans les conversations puisse être plus relative, le capital économique interprété comme corrélé au niveau d'études semble être le clivage jugé « irrattrapable» pour les individus.

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H.Dédramatiser le date

C'est après le match que survient une phase visant à réduire les chocs entre les attentes de l'autre et de soi et la réalité perçue du rendez-vous. C'est ici que la philosophie de Tinder « de ne pas se prendre la tête» prend sens puisqu'elle opère un rôle majeur pour atténuer les attentes réciproques. « Mes échanges sont basés sur l'humour donc ça aide pour pas tout prendre au premier degré et pour que la personne sans fasse pas une montagne derrière ou quoi. Avec Viktor, j'avais essayé de parler un peu de la rencontre avant de le voir pour démocratiser un peu le truc. En général je vais le faire même si je ne trouve pas ça forcément facile, mais si ça peut soulager faut le faire. Encore une fois, je trouve cela plus authentique d'en parler. J'aime bien être assez transparente avec les gens et qu'ils sachent à quelle sauce ils sont mangés. En plus de ça je me dis que plus tu es honnête plus ils le sont aussi. C'est un cercle vertueux et du coup tu te mets à découvert et si la personne fait un truc elle se sentira moins jugée ».

« C'est vraiment pour que la personne se sente dans un climat de confiance, j'ai pas du tout envie qu'il y ait un sentiment d'angoisse avant la rencontre par peur d'être jugée et de ne pas être ce qu'elle est. J'essaye de montrer qu'on ne se prend pas la tête et on voit comment ça se passe et voilà inshallah quoi ! Au pire ça fait une rencontre c'est déjà cool ! » [Extrait d'entretien avec Lana, le 04/03/2021]. Lana témoigne ici d'une manière d'agir employée par un grand nombre de nos enquêtés : « Ne pas se prendre la tête » et évoquer l'appréhension du date liée aux attentes mutuelles.

Poser des mots sur l'angoisse du date avec l'autre constitue une nouvelle fois une forme « d'authenticité ». Puisque nous formons la base de nos échanges sur des hypothèses envers l'autre (Goffman, 1998) et que Tinder et la tendance à montrer un soi plus favorable avilie la véracité de ces hypothèses, les utilisateurs ressentent le besoin d'atténuer cette appréhension du rendez-vous. L'évocation de « ces potentielles circonstances » pouvant arriver lors du rendez-vous, les détourner à l'autodérision constitue une préparation de l'ordre rituel du date. Les enquêtés illustrent à travers ces stratégies liées à une forme de rite de coopération « anticipée » (ibid.) que l'ordre rituel prend une place importante dans les interactions même si celui-ci est simplement envisagé. La pré-élaboration de l'ordre rituel du date constitue en somme un moyen pour les utilisateurs d'atténuer les risques liés à perdre la face et de préparer des conditions de rencontre où chacun sera en mesure de préserver sa face avec assurance.

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A.Mouvoir son « moi authentique ».

Nous retrouvons toujours dans cette optique de préparer le date un processus mobilisé par les individus visant petit à petit à instaurer une dimension d'un « moi » naturel dans les conversations. Cela passe principalement par l'envoi de photos ou de vidéos se montrant dans un moment de la vie quotidienne. Il s'agit pour les utilisateurs de pallier aux éléments divergents de la rencontre en présentielle et tout particulièrement sur la dimension non verbale pour rétrécir une nouvelle fois la marge entre le virtuel et le présentiel. « J'ai été chez une nana et au bout de dix minutes je lui ai dit bon bah je me casse ! Pourtant avec cette nana, on se parlait souvent, je lui avais envoyé des vidéos de moi en ville, chez moi, etc... Elle savait à quoi je ressemble. Elle connaissait ma voix, ma tête, mes centres d'intérêt et on se parlait bien, mais dans la vie réelle elle ne décrochait pas un mot » [Extrait d'entretien avec Gabriel, le 01/03/2021].

On s'aperçoit ici qu'en remédiant une à une aux divergences entre la rencontre en présentielle et virtuelle, les enquêtés s'assurent que la face ne soit pas un élément troublant le premier rendez-vous. Les usagers extravertis représentent le panel d'utilisateurs tentant d'écourter la phase de discussion pour rencontrer la personne au plus vite. Ils témoignent d'une vie sociale « dense» et disent s'être inscrits sur Tinder en raison de la crise sanitaire. L'utilisation de Tinder est néanmoins complexe selon eux, ils expriment le plus de difficulté à discuter longuement par écrit avant le date.

« J'ai compris que j'ai besoin de contact, j'ai besoin que ce soit en présentiel pour avoir cette petite étincelle que je ne retrouve avec aucune personne avec qui j'ai parlé sur Tinder. Je suis peut-être impatiente, mais moi ça me soule de faire la conversation 40 ans pour parler dans le vide. C'est le moment où tu arrives devant la personne en vrai après lui avoir parlé une semaine et tu as juste l'impression que ça n'a servi à rien. J'ai tendance à écourter les dialogues sur Tinder et à favoriser la rencontre IRL sans m'en rendre compte au final. Je cherche à avoir des rendez-vous le plus vite possible pour voir un peu s'il y a une vraie alchimie qui se crée quoi » [Extrait d'entretien avec Elsa, le 30/01/2021].

Mouvoir son « moi authentique» par des appels ou des vidéos fait encore plus sens pour cette typologie d'enquêté, car c'est pour eux un moyen d'écourter la conversation écrite et de voir au plus vite si la personne correspond à leurs attentes « J'avoue que je suis un gland en message, je ne sais pas quoi dire par message, mais en même temps j'ai une vie assez

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stimulante pour faire des rencontres dans la vraie vie au lieu que je me prenne la tête dans un truc où je ne suis pas bon. J'essaye assez rapidement dans la conversation de dire soit on se voit soit on se fait un visio, soit on s'appelle. Je donne rapidement mon Insta et mon Facebook pour ça ». [Extrait d'entretien avec Valentin, 19/02/2021].

Qu'est-ce que ça t'apporte d'avoir un rendez-vous physique ou en virtuel (via Messenger) rapidement ? Humm... Le fait que, je propose vite soit un rendez-vous physique soit vidéo, c'est aussi un peu une manière de voir si la personne ressemble à ce que je pensais d'elle, par rapport à son profil et aux messages [Extrait d'entretien avec Valentin, 19/02/2021]. Cette partie recense donc en son sein diverses techniques visant à écourter le temps de messages, s'assurer d'un bon « feeling» et réduire l'appréhension du date. Les plateformes annexes à Tinder jouent un grand rôle dans ce processus, car c'est par ce biais que les utilisateurs propagent leur « moi » sous diverses formes (photos, vidéos, appels vidéo) pour tenter de figurer de manière authentique avant le date afin d'éviter ce fameux choc entre le virtuel et le réel. Ces manières d'agir constituent selon nous des rites de préparation du futur rendez-vous assurant l'ordre rituel de celui-ci et permettant d'atténuer la perte de la face ou les fausses attentes assujetties à l'autre.

B.Après le match, que dire, que faire ?

Le premier message doit osciller entre l'originalité et l'authenticité tout comme dans les profils. Comme nous l'avons abordé dans l'état de l'art, les femmes sont essentiellement passives dans la drague et c'est donc les hommes qui effectuent le premier pas sur Tinder. Elles sont cependant très exigeantes à ce sujet et revendiquent une originalité dans le premier message. « Je reçois énormément de messages sur Tinder alors je réponds qu'à ceux qui sont vraiment drôles ou originaux. Les « salut ça va ou tu fais quoi dans la vie », je ne réponds pas, car déjà ça ne me donne pas envie, je sais que la conversation va prendre du temps à se lancer et que ça va demander beaucoup d'efforts pour rien. ». [Extrait d'entretien avec Agathe, le 09/03/2021].

Qu'est-ce qui te dérange le plus sur ce genre d'approche un peu « classique» ? [Enquêteur] « Ce n'est pas comme ça que les gens t'approchent dans la vraie vie, un mec ne vient pas te parler dans un bar pour te lâcher un « salut ça va ». Je pense que ce n'est pas un truc authentique par rapport à ça. Je préfère les trucs drôles, car au moins ça indique que la personne est bon délire et pas prise de tête [Extrait d'entretien avec Agathe, le 09/03/2021].

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Les approches jugées classiques ou sérieuses semblent être perçues péjorativement étant donné que sur Tinder, la recherche de l'amour ne constitue pas une recherche explicite en soit. « [...] derrière ton téléphone tu lis des messages, c'est plat, c'est des conversations « Salut ça va », « tu fais quoi comme études », « tu habites où ? ». C'est ça tout le temps et c'est ennuyeux en fait. Moi je n'aime pas trop ce mode de drague on va dire. Je ne suis pas là pour trouver l'amour » [Extrait d'entretien avec Laurie, 30/01/2021].

Le premier message passe tout d'abord pour la gent masculine par une exploration du profil de l'autre afin d'y trouver une accroche pertinente et originale, car ils ont conscience que la concurrence est rude. « J'essaye d'être un peu plus original et rigolo. Le « salut, ça va ? », au bout d'un moment c'est inutile, elles doivent en recevoir des milliers enfin surtout elles à mon avis. Elles doivent recevoir tellement de trucs et tout le tralalala donc c'est ma manière de briser la glace. C'est comme la pêche si tu n'amorces pas tu n'auras pas de poissons » [Entretien avec Oscar, 08/02/2021].

La construction d'un premier message élaboré caractérise essentiellement dans notre corpus d'enquêtés les hommes utilisant Tinder comme une source principale de rencontres. Ces utilisateurs dotés de l'esprit game comme dirait Kaufmann (2011) sont en recherche perpétuelle de nouvelles phrases d'accroche. « J'essaye souvent des choses un peu osées où c'est à double tranchant, soit ça passe soit ça casse. Par exemple, je taquine souvent les filles sur les vêtements ou des choses comme ça. Si ça passe tu es sûr de rencontrer la personne si ça casse, au pire elle te bloque directement (en rigolant). C'est quitte ou double, qui ne tente rien et n'a rien ! Voilà moi j'essaye toujours de sortir de ma zone de confort en termes de pick-up line. Au final, c'est un peu comme dans la vraie vie, les approches où tu vas réussir, c'est généralement les approches où tu sors de ta zone de confort quoi, où tu improvises. Sur Tinder tu retrouves un peu ce genre de comportement quoi » [Extrait d'entretien avec Michel le 09/03/2021]. Les utilisateurs moins investis sur Tinder sont davantage enclins à écrire une phrase plus typique lorsqu'ils sont dépourvus de points communs pour aborder le match. « Le premier message ça dépend de la description de la fille, soit on peut parler d'un truc qu'on a vu directement dans la bio, soit on peut parler tranquille « coucou ça va et tout». [Extrait d'entretien avec Gabriel, le 01/03/2021].

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L'utilisation des approches classiques même si elles sont perçues péjorativement constitue un moyen de ne pas se « mouiller» et de garder la face comme le mentionne Imran : « [...] Les approches classiques, c'est aussi un moyen d'éviter de se faire tacler ! » [Extrait d'entretien avec Imran, le 18/03/21].

Certain(e)s utilisateurs.rices de notre corpus d'enquêté recensent une lueur d'espoir d'avoir une conversation pertinente à la suite du premier message, car celui-ci n'est qu'un prétexte pour démarrer la conversation. Ces enquêtés conscientisent la difficulté du premier message et considèrent les messages classiques comme un blocage lié à nécessité d'être à la fois original et authentique. « Les gens qui écrivent du baratin classique, peut-être qu'ils ont peur de pas savoir quoi dire et savoir si on en dit trop ou pas assez. Parfois ils ne savent peut-être pas choisir les éléments qui montrent qu'ils sont authentiques » [Extrait d'entretien avec Sarah, le 25/02/2021].

Tu réponds à genre de message ? [Enquêteur]

« Ouais, parce que de temps en temps, ça arrivait à dévier sur des trucs cools, c'est aussi un point d'ancrage ou un prétexte pour ouvrir sur d'autres choses intéressantes. Mais ça se voyait les personnes qui utilisaient ça comme un prétexte pour avoir un échange derrière et inversement tu voyais aussi les personnes qui utilisaient ça juste comme une recette, genre on passe par ces questions-là et on voit... » [Extrait d'entretien avec Sarah, le 25/02/2021]

La conversation se traduit par deux phases selon les enquêtés. La première consiste à parler de sujet drôle pour intéresser la personne puis il vient en second temps les sujets sérieux liés à la vie quotidienne. Les utilisateurs ont conscience qu'une petite particule fine sépare la bonne conversation et la fin de celle-ci. « Je sais très bien sur Tinder que juste en un claquement de doigts il peut ne plus rien y avoir quoi. Tu peux construire un peu un truc, mais tant qu'il n'y a pas eu la relation d'humain à humain, la ligne est très fine quoi. Juste pour un rien, un moment où tu as la flemme ou tu as oublié de répondre et du coup tu réponds plus tard, si la meuf a pris le truc un peu perso bah là c'est fini et ça s'arrête quoi. La ligne est vachement fine sur ça ! » [Extrait d'entretien avec Imran, le 18/03/21].

On retrouve les mêmes manières de penser et d'agir que dans la description qui tendaient à se vendre de façon indirecte. « Mouvoir son moi» de manière indirecte constitue la grammaire figurative à travers laquelle le dater tente de se démarquer.

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« Tu te dois aussi d'avoir un minimum de tenue sur l'application étant donné qu'il y a beaucoup de garçons qui font de la merde bah tu as quasiment le droit à aucune erreur. À tout moment la discussion peut s'arrêter pour n'importe quoi. Si tu sens que tu perds le fil de la discussion ça va très vite arrêter de parler. Faut réussir à être original et pas que ça tourne en rond. Faut que ça reste accrocheur et compagnie... D'un autre côté, l'intérêt d'être original c'est que quand tu fais une erreur et bien la personne va moins t'en vouloir, car tu es déjà sorti un peu du lot. Parce qu'avant tu lui as déjà prouvé ta valeur».

Limite c'est technique alors ? [Enquêteur] « Oui, clairement, au début tu ne comprends pas trop pourquoi et compagnie, mais il faut toujours te vendre sans avoir de disquettes et il faut s'adapter à chaque personne différente et faire l'effort de comprendre ce qu'on attend de toi, c'est-à-dire, être un mec cool, drôle, etc... »

Le fait de se vendre ça casse le côté authentique ? [Enquêteur]

J'essaye de faire le sujet de conversation, mais je n'essaye pas de me vendre pour autant. Je ne suis pas un objet et je ne suis pas là pour me vendre ou que quelqu'un m'achète non plus. Il faut se vendre sans trop en faire et s'en en abuser. Il ne faut pas faire en sorte d'amener les sujets de discussion pour que tu dises regarde j'ai ceci cela, etc... Il faut arriver à amener les sujets de discussion plus naturellement et tirer ton épingle du jeu pour montrer que tu es un type bien, mais faut pas orienter la conversation pour ça.

En gros tu te vends, mais de manière plus naturelle ? [Enquêteur]

Exactement.... [Extrait d'entretien avec Alexandre, le 07/03/21]

L'art de la séduction à travers les messages se focalise essentiellement sur le fait d'être original et authentique. Guidés par ce couple de tension, les individus tentent de mouvoir leur face tout en gardant un aspect « authentique ». On s'aperçoit donc dans cette partie que l'ordre social dans les interactions se perpétue par ce cadre « culturel» reflétant la philosophie « de ne pas se prendre la tête ». Les individus structurent non seulement leur figuration en ligne par ce cadre, mais prennent également en compte les règles conventionnelles (Goffman, 1998) dégagées par celui-ci pour édifier une forme d'ordre social.

Comme l'illustre les enquêtés, l'originalité, l'authenticité et l'humour sont les valeurs régissant la manière dont les individus expriment leur personnage.

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Cependant, le stéréotype de genre (Goffman, 2002) construisant une modalité sociale et culturelle selon laquelle les hommes font le premier pas, tout comme ces formes de règles conventionnelles, sont vécues comme une contrainte chez les utilisateurs. Les hommes se sentent obligés en réponse à cela de mobiliser un panel de figuration adapté à celles-ci et éprouvent une certaine lassitude dans le fait de perpétuer cet ordre social. « [...] Il faut s'adapter à chaque personne différente et faire l'effort de comprendre ce qu'on attend de toi, c'est-à-dire, être un mec cool, drôle, etc... » [Extrait d'entretien avec Alexandre, le 07/03/21].

Pour reprendre les propos d'Alexandre, on s'aperçoit que ce qui guide l'individu et constitue aussi une contrainte sociale renvoyant à la nécessité de mobiliser un « rôle» - rôle qui comme Goffman le mentionne devient une routine et forme « modèle d'action préétablie que l'on développe durant une représentation et que l'on peut présenter ou utiliser en d'autres occasions» (Goffman, 1973a, p.22). Les utilisateurs vont au cours de leur expérience développer leur capital « technique» qui n'est ni plus ni moins que ce modèle d'action préétabli pour interagir avec l'autre. C'est en ce sens que le concept de « routine» illustre parfaitement le résultat d'un apprentissage long et complexe des daters. Si au début, poser des mots pour faire le premier pas constituait des « maux », l'intellectualisation de ces compétences « figuratives» représente pour les hommes un gain dans leur capital attractif. « Au début c'était vraiment dur, je ne savais jamais quoi dire ou écrire. Maintenant que je maîtrise un peu plus les conversations, ça me permet d'être plus à l'aise pour aborder les personnes. Je sais comment je dois m'y prendre et j'ai plus ce sentiment de malaise comme j'avais avant. Donc oui je pense que Tinder ça peut aider pour ça » [Extrait d'entretien avec Martin le 29/01/2021].

C.Le premier message pour les genres similaires.

Tinder est composée et destinée majoritairement à un public « hétérosexuel ». La plateforme recense tout de même une part de sa population ayant des orientations sexuelles plus alternatives. Là où dans les échanges classiques entre une femme et un homme, ce sont généralement les hommes qui sont les initiateurs de la drague et du premier pas (Bergström 2019, Nadaud-Albertini, 2019), comment s'opère le premier pas chez les utilisateurs dépourvus de ce code social guidant l'interaction ?

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Pour les utilisatrices bisexuelles, aborder une femme en écrivant le premier message est plus complexe que démarcher un homme. « Avec les hommes, ils envoient direct le premier message quand on match alors qu'aborder une femme c'est beaucoup plus dur, c'est quand l'une des deux se décide que la conversation commence. Même pour séduire une fille c'est beaucoup plus dur qu'avec un mec. Elle n'a pas les mêmes attentes, elle a des attentes beaucoup plus hautes et plus exigeantes dans la manière dont on l'aborde. C'est aussi parce que je me mets plus de pression, car je match moins avec elles. Tu lui envoies un « salut ça va », ça va pas du tout lui correspondre alors que si tu dis ça à un gars bah c'est bon il saute de joie » [Extrait d'entretien avec Luna, le 06/03/2021].

Comme Luna le partage, les femmes bisexuelles semblent avoir plus de pression face à l'envoi du premier message en raison du fait que le taux de matchs entre femmes est plus faible que celui entre un homme et une femme. Il faut aussi ajouter à cela que les femmes bisexuelles confèrent plus d'importance aux matchs entre femmes, car ils sont parfois jugés plus « qualitatifs» et plus « honnêtes» en raison de cette absence de codes sociaux liés au premier pas. « Les mecs j'en ai un peu marre, c'est vachement visible les dynamiques. Dans les conversations, les meufs et les personnes non binaires c'est beaucoup plus naturel, plus libre et instinctif. J'ai l'impression que quand la conversation démarre c'est que du coup il y a une d'entre nous qui savait pourquoi elle voulait démarrer la conversation. Les conversations que j'ai eues avec d'autres personnes que des mecs c'était plus sincère. Elle a été active donc tout de suite c'est plus naturel, c'est plus honnête. Ne serait-ce le fait que dans le premier abord, c'est un code social plus qu'une envie des mecs. J'ai l'impression que ça commence déjà avec quelque chose de moins sincère. En plus, on a listé toute la liste de questions qui arrivent : tu fais quoi dans la vie ? tu habites où ? qu'est-ce qui tu aimes faire ? etc.. » [Entretien avec Laura, le 22/02/2021].

Paradoxalement, si pour beaucoup d'utilisatrices, les discussions en ligne entre femmes sont jugées plus honnêtes et transparentes, la pression liée à un nombre de matchs plus faibles et à une exigence plus haute entre femmes fait transparaître chez les femmes des attitudes similaires à celles à des hommes. Confrontées à la difficulté du premier abord, tout comme les hommes le sont avec les femmes, ces utilisatrices vont vivre de manière identique à celle des hommes, un rapport technique à la séduction. « Je pense qu'on se met plus en scène quand on parle avec une femme qu'avec un homme. Tu fais bien plus attention quitte à passer outre deux trois trucs ou quitte à embellir les choses. Tu sais que les matchs avec les femmes se

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font plus rares et que sur Dijon, il n'y en a pas beaucoup alors tu fais vraiment attention ! » [Entretien avec Amandine, le 26/02/2021].

Dans les échanges de séduction hétérosexuelle le stéréotype de genre (Goffman, 2002) construit une modalité culturelle selon laquelle les hommes font le premier pas. En l'absence de modalité culturelle régissant qui doit faire le premier message entre personnes de même sexe, le premier pas devient lui-même une source d'incertitude. L'absence de normes à ce sujet a un effet « paralysant» pour démarrer la conversation comme l'explique Sarah : « Je pensais qu'entre meufs, ce serait plus facile de se répartir par exemple sur qui fait le premier pas, mais en fait c'est pas du tout le cas. Moi si par curiosité je me dis je vais attendre qu'elle envoie le premier message, je peux attendre une semaine, mais ça n'arrivera jamais en fait... [...] Je me demande bien pourquoi aborder une femme est aussi difficile. C'est comme si l'absence d'un stéréotype nous étouffe et nous empêche de parler quoi... » [Entretien avec Sarah, le 25/02/2021]. Ce manque de stéréotype et les difficultés à savoir qui fait le premier pas se traduisent par une réadaptation du stéréotype de genre guidant le premier pas dans les relations hétérosexuelles. « Le premier pas entre femmes, c'est trop dur, je te jure, je pense que moi j'ai quand même un look féminin tu vois, il y a ce truc que souvent les nanas masculines venaient automatiquement m'envoyer des messages. Par contre quand il y a le truc où tu ne sais pas trop si la nana est masculine ou féminine bah c'est compliqué ! Tu as peur d'envoyer un truc un peu plus nul, parfois la description est peu fille comme la mienne et c'est dur d'envoyer le premier message !» [Entretien avec Amandine, le 26/02/2021].

Comme l'exprime cet extrait d'entretien, il semble que les individus dotés d'un genre similaire réemploient ce stéréotype de genre. La personne ayant des traits plus masculins aborde donc plus facilement l'individu ayant des caractéristiques plus féminines. Ainsi bien que certain(e)s perçoivent ce code comme contraignant, il reste néanmoins un moyen mobilisé pour comprendre comment faire le premier pas vers l'autre. « Les deux derniers matchs que j'ai eu avec une meuf et une « meuf non binaire », en fait avec la meuf cisgenre, Charlotte, elle a les cheveux longs, etc. Elle est assez féminine et c'est moi qui ai envoyé le premier message, mais sans me poser de questions. Et par contre la meuf non binaire, c'est elle qui a envoyé le premier message, parce que physiquement, elle a les cheveux courts, elle a un style assez neutre, unisexe, et je ne me suis pas posée de questions sur le coup, mais ouais c'est bizarre » [Entretien avec Sarah, le 25/02/2021].

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La question d'être abordée ou aborder va se résoudre principalement par la réadaptation de ce stéréotype. Guidant l'évaluation du profil, la taille des cheveux semble être donc la variable principale chez les femmes pour répondre à cette question. Tout comme Sarah, les hommes homosexuels ou bisexuelles réinvestissent aussi ce code social comme un vecteur de communication. « Je pense que je fais plus le premier pas, mais aussi parce que je dégage quelque d'assez viril physiquement. Je suis assez trapu et barbu et à mon avis, la personne plus efféminée va avoir plus tendance à moins mener de conversation que quelqu'un qui fait hétéro. Ça revient un peu à la fille qui se contente de matcher et d'attendre le premier message » [Entretien avec Antoine, le 09/02/2021].

D.De Tinder à Instagram comme « de la boîte de nuit au 06 ».

Après la phase de discussion sur Tinder vient le passage à un autre réseau social tel que Messenger ou Instagram. Comme nous allons le voir ici, le passage vers ces plateformes est considéré comme un rite qui symbolise un intérêt mutuel. La perception de cette transition diverge néanmoins selon les sexes. Le changement de réseaux pour les hommes est une réelle plus-value pour se démarquer, mais il est également considéré comme une marque d'engagement qui signe la dernière étape avant la rencontre. « L'aspect Tinder, ça me dérange. J'ai envie de sortir un peu de cet aspect application de rencontre. J'ai envie de dire c'est bon, si on parle sur un Messenger, WhatsApp ou un Insta, ça sort un peu du cadre Tinder où elle ouvre l'application et elle voit tous ses matchs et ses messages. Ça m'individualise et me donne une nouvelle identité contrairement à Tinder où je suis juste une ligne dans le chat de ses matchs, là c'est mon profil social que j'ai mis et c'est mieux qu'une discussion dans Tinder. Donc ça personnalise un peu plus quoi » « Il y a un sens derrière le fait que tu vas sur un autre réseau avec la personne alors ? [Enquêteur] ». « À un moment il y a eu le 06 c'est-à-dire tu discutais en boite et tu avais le 06, après il y eu le Messenger, c'était un intermédiaire, c'était un peu moins important qu'un 06. Je pense qu'il y a une certaine graduation. Je pense que si on passe de Tinder à un réseau social c'est une certaine marque d'engagement quoi. Tu sais que tu es en bonne voie et que c'est la dernière étape avant la rencontre en réel». [Extrait d'entretien avec Valentin, 19/02/2021].

Il est intéressant de constater que si pour les hommes, le passage à autre réseau est une marque d'engagement où ils estiment avoir de grandes chances de poursuivre par une rencontre en présentielle, les femmes qualifient ce rite de passage davantage comme un signe d'intérêt.

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Est-ce que pour le passage de Tinder à Instagram c'est une marque d'engagement entre toi et la personne ? [Enquêteur] « Quand je passe de Tinder à Insta avec un gars, ça montre que c'est cool et qu'on s'entend bien, mais ce n'est clairement pas un signe d'engagement, c'est plutôt une marque d'intérêt pour dire tu vois je t'aime bien » [Extrait d'entretien avec Perrine le 07/03/2021].

Ce clivage entre l'engagement des femmes et des hommes se justifie notamment par la sur sollicitation des femmes qui engendrent chez certaines une sélection qui perdure jusque dans les conversations où la rencontre d'un élément perturbateur est rédhibitoire. « C'est la société du zapping, ça ne va pas tu zappes, tu ne règles pas les soucis avec la personne, tu zappes et tu en prends un autre, tu vois ce que je veux dire ? Je faisais plus ou moins ça. Quand il y avait un petit truc qui me gênait ou qui me soûlait je « zappais ». Je m'en fichais un peu, mais c'est aussi le fait de... ouais on se supprime quoi ! Ça fait partie aussi du fait de ne pas se prendre la tête. Après le problème c'est que tu essaies de poser les premières pierres avec la personne, et là tu vois qu'il y a un petit trou, bah tu zappes et tu passes à autre chose » [Extrait d'entretien avec Clémentine, 24/02/2021]. Le retour aux sources sur Tinder se traduit par la mobilisation de cette philosophie essentielle dans l'ordre social : « Ne pas se prendre la tête ». Si « ne pas se prendre la tête» est un gage de qualité assurant une rencontre sympathique, cette philosophie contribue de manière très paradoxale à la logique de « non-choix» décrite par Illouz (2020).

On s'aperçoit que ce cadre culturel mobilisé par les individus pour figurer et préserver l'ordre social incite au « zapping» de l'autre et atténue les chances d'avoir une structure de don et de contre don réciproque. Elle encourage donc les individus vers des échanges structurés, guidés par une recherche de « fun » avant tout ce qui passe l'absence des sujets tentant de fixer un cadre futur dans la relation probante. « Le fait de partir sur des profils attractifs et au-delà du profil Tinder ça ne tend pas à créer des cadres, c'est plus le truc du « j'ai envie de kiffer mon moment, kiffons » et on n'est pas en train d'essayer de mettre un cadre pour que ça marche. On est plus sur l'envie de kiffer avec la personne dans l'immédiat que de kiffer longtemps. Je sais tout ça, mais moi ça me donne envie de chialer... » [Extrait d'entretien avec Imran, le 18/03/21]. Ce verbatim retraduit toute cette grammaire culturelle dans laquelle les éléments venant à la rencontre de cette logique de « non prise de tête» sont essentiellement rédhibitoires.

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VII. Résultats et interprétations

Nous avons remarqué tout d'abord que dans la construction du profil, le comportement des enquêtés en raison de cette absence de normes se traduit par une forme de « processus d'évitement généralisé» dans la figuration. L'existence d'un cadre et de règles cérémoniels sur Tinder semble bel et bien guider l'individu dans l'appréciation qu'il porte aux autres et dans la construction de son profil. Cette logique de « feeling» rejoint fortement les hypothèses d'Illouz (2020). Elle traduit une absence de la structuration du désir (ibid.) de la personne et également « une intolérance à des formes de structuration du désir» chez l'autre. Nous avons pu notamment l'illustrer par la connotation péjorative de la mention des recherches dans la relation. Il faut ajouter à ce cadre cérémoniel que l'architecture de Tinder favorise une logique d'abondance de choix (ibid.), renforçant cette « société du zapping» comme disait Clémentine. Cette grammaire culturelle guidant les individus sur Tinder renforce donc selon nous la perspective de Illouz (2020) et le concept de non-choix - concept qui illustre l'impact du système capitaliste sur nos relations ayant pour conséquences qu'elles se caractérisent par l'évitement, le refus d'engager une relation, et enfin, la maintenance de celles-ci à l'état gazeux (ibid.).

Cette analyse montre également que les individus sont aussi confrontés à opérer des formes de consensus entre deux structures sociales différentes : celle de la société (essentiellement issue de la culture du romantisme (le naturel, l'authenticité) et les valeurs « culturelles» de Tinder (ne pas se prendre la tête, être original). Bien que Tinder pourrait mettre en péril la singularité (Martuccelli, 2010) par les mécanismes d'évaluation régissant l'application, peu d'enquêtés se situent dans une forme d'obsession de performance et d'originalité.

Le parfait consensus entre paraître authentique, singulier et à la fois original semble être la clé dans la construction et l'appréciation des profils. L'aspect évaluatif basé sur le capital scopique est avili par la réaffirmation et la revendication des valeurs « sociétales » (l'authenticité, le naturel, une évaluation non scopique). Nous pensons ici que les daters ont une représentation de Tinder péjorative parce que premièrement, cet aspect scopique de l'application n'admet pas à contrario des rencontres en présentielle une « évaluation totale» de l'individu. Cette revendication d'une forme de naturelle et d'authenticité dans les aspects de la rencontre permet aussi à l'individu de garder la face puisque le dater n'est pas évalué par sa singularité, mais majoritairement par le capital scopique présenté.

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Deuxièmement, dans une société singulariste où l'on tend à se définir par ce qui nous rend unique, Tinder et les formes d'évaluation scopique ne permettent pas aux daters d'exalter totalement leur singularité. Nous pouvons dire que dans une large mesure, les logiques et normes sociales déstabilisées par cette application de rencontre font tout de même l'objet d'une très forte réinvestigation et réaffirmation. Tout comme cette grammaire culturelle de l'application, ces codes sociaux sont à la fois positifs car ils guident les individus dans leur interaction, mais ils sont aussi négatifs car ils se sentent contraints à opérer selon ces codes.

La présentation de soi sur Tinder résulte donc d'un consensus entre ces deux « structures sociales ». Le cadre cérémoniel de ce réseau semble guider les utilisateurs vers des mises en scène où il faut répondre aux règles cérémonielles essentiellement par l'implicite. L'art de Tinder passe par le fait de savoir « se vendre sans se vendre ». Nous avons aussi constaté que les stratégies pour mouvoir et présenter son « moi» sont diverses et variées et composées d'opérations de généralisation (Boltanski, 1984) permettant de montrer sa singularité. La cohérence dans l'expression n'est pas un élément recherché dans les profils. Bien que parfois certains daters opèrent une cohérence dans leur expression entre la partie descriptive et visuelle du profil, celle-ci n'est pas intellectualisée contrairement à l'authenticité qui, dans la construction du profil, figure comme une valeur essentielle. Les parties du profil expriment le respect de règles cérémonielles distinctes. Si le cadre culturel fait l'objet d'une évaluation totale du profil et figure dans chacune des parties, l'appréciation de l'authenticité passe majoritairement par les photographies tandis que l'originalité figure principalement dans la description. Rarement mis en avant dans la présentation de nos enquêtés, l'humour semble à notre avis pouvoir être recensé dans les deux parties du profil bien que la tendance sur Tinder soit davantage à raisonner d'une manière à éviter tout risque de dévaluation du profil.

L'illustration d'une forme de moi « spirituel» à travers le profil a été essentiellement liée à la philosophie de Tinder. De manière implicite, que ce soit en cassant la face où en ayant un profil non construit, on voit que les individus ont tenté de se rapprocher de ce cadre cérémoniel. La transmission d'un moi « spirituel» et « social» à travers le profil a été quasiment équivalente chez nos enquêtés. Les daters portent néanmoins une plus grande importance au respect du cadre cérémoniel de Tinder, de cette philosophie « de ne pas se prendre la tête» à travers un « moi spirituel implicite ».

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VIII.Les poursuites envisageables

Comme nous l'avons vu, il existe une grammaire « cérémonielle» sur Tinder guidant l'individu dans sa présentation en ligne. Il serait intéressant d'effectuer une recherche sur d'autres applications de rencontre afin de savoir si cette tendance se réinvestit. Nous pourrions à cet effet venir interroger des daters de l'application de rencontre Fruitz. L'intérêt de cette application est son mode de fonctionnement où l'individu choisit un fruit pour indiquer ses recherches. Nous avons la cerise qui est mentionnée pour trouver sa moitié et le raisin qui signifie que l'on souhaite boire un verre sans se prendre la grappe. Il vient aussi la pastèque qui indique le désir « d'avoir des câlins récurrents sans pépins» et enfin, l'abricot qui représente le souhait d'avoir une relation d'un soir.

Comme le lecteur l'aura surement deviné, nous pourrions mener ici une étude sur le choix des fruits par les utilisateurs et ainsi voir si le « raisin », qui visiblement ressemble fortement à la philosophie de Tinder, est plus mobilisé que d'autres fruits. Nous pourrions aussi à ce titre venir interroger la dimension culturelle du romantisme en effectuant un comparatif entre le choix des fruits dans différents pays et ainsi venir constater ou non une divergence du choix des fruits selon l'impact de la culture du romantisme.

L'objectif d'une future thèse à ce sujet pourrait être aussi d'explorer par la mise en scène de soi en ligne et de se demander si les normes et les logiques sociales se réinvestissent ou non sur ces territoires de rencontre en ligne. En venant questionner un débat sociologique toujours en plein essor, nous pourrions démontrer, par une forme de sociologie de l'ambivalence, que la réponse à cette question reste pour nous très nuancée.

L'idée serait ici de démontrer que si certaines logiques sociales se réinvestissent sur les sites de rencontre, celles-ci deviennent davantage flexibles en raison d'une forte montée de la singularité permettant aux individus de devenir de plus en plus tolérants face aux débordements de soi. La réinterrogation de phénomènes observés dans cette étude, comme l'hypothèse de la réinvestigation de la dimension du hasard dans la rencontre à travers la non-recherche de sérieux, pourrait être également intéressante.

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IX. Les difficultés rencontrées

Nous avons démarché les enquêtés principalement en les recrutant via l'application par le biais d'un compte prévu à cet effet. Le fait que notre compte dédié à cela a été banni de l'application en raison de la politique de Tinder assez répressive a rendu le « recrutement» de daters très compliqué. Nous avons pu néanmoins mobiliser un nombre assez satisfaisant d'enquêtés grâce à l'intérêt formidable qu'ils ont porté à notre investigation. En sus d'être de réels acteurs dans ce mémoire, ils ont également sollicité leur entourage à participer à notre enquête.

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X. Conclusion

Comme a tenté de l'illustrer ce mémoire, il semble qu'il existe un cadre et des règles cérémoniels sur Tinder. La philosophie de « ne pas se prendre la tête » et ses règles cérémonielles guident le dater dans son expérience que ce soit dans la construction de son profil, l'appréciation du profil des autres ou dans l'après-match. Notre travail a mis en exergue que, si la présentation de soi en ligne peut paraître comme quelque chose d'assez basique, il y a une pluralité de sens associée au type de figuration proposé. Cette construction de sens est pour les daters le résultat d'un consensus entre les valeurs « sociétales » et le cadre de Tinder. Nous avons pu voir qu'à ce titre qu'en associant un sens particulier à leur figuration, les usagers sont enclins à rendre les normes cérémonielles davantage flexibles. Que ce soit pour montrer que l'on ne se prend pas la tête, être original, authentique, ou encore, avoir de l'humour, chacun de ses éléments incorpore en son sein une diversité d'appropriation et d'usage. Selon nous, l'utilisation et le sens flexible de ses valeurs permet également aux usagers de créer du sens sur cette application qui est dépourvue de codes « explicites ». L'absence de cadre traduit aussi une crainte lors de la construction du profil qui mène à une forme de processus d'évitement (Goffman,1998) généralisé dans lequel les utilisateurs tendent à supprimer les éléments figuratifs ayant des risques probants d'être jugés éjorativement.

Comme le dit si bien Imran, c'est donc dans une application où l'excès du « moi » est toléré qu'il existe de nombreuses d'attentes quant aux normes à respecter en sus qu'elles dégagent une pluralité de sens selon les daters. « Le fait que tu sois libre sur Tinder, j'ai l'impression que les gens ont justement beaucoup plus d'attentes par aux normes » [Extrait d'entretien avec Imran, le 18/03/21]. Ces attentes se traduisent par une divergence dans la valeur accordée aux règles de Tinder (avoir de l'humour, être original) et aux règles dîtes « sociales » (comme la revendication de l'authenticité).

Cette recherche illustre également que les normes sociales, tout comme le cadre cérémoniel de Tinder permet à la fois de guider l'individu dans ses interactions, mais le restreint parfois dans celles-ci. Nous avons vu à ce sujet que les hommes se sentent parfois contraint de se vendre davantage de ce qu'ils souhaiteraient quand ils font le premier pas. C'est en montrant qu'ils ont de l'humour ou qu'ils sont originaux qu'ils sont enclins à augmenter leur chance d'avoir une réponse.

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Le fait de mouvoir son « moi » de manière profitable pour répondre à cette trame technique exigée dans les conversations constitue une obligation pour les daters qui parfois témoignent avoir certains regrets de ne pas pouvoir dévoiler un « moi » parfaitement authentique. Le devoir de correspondre à ce cadre cérémoniel contraint énormément les daters à ne pas révéler leurs attentes dans la relation avec l'autre pour montrer qu'ils ne se prennent pas la tête bien que cette absence de cadre avilisse la possibilité d'une relation stable et de longue durée (Illouz, 2020).

Pour conclure notre analyse, nous nous apercevons que les utilisateurs mobilisent une quantité d'énergie phénoménale pour osciller dans une forme de consensus entre les valeurs « sociétales » et le cadre de Tinder. Les stratégies sont multiples et variées pour réinstaurer un cadre naturel, de l'authenticité ou bien du hasard sur cette application de rencontre où la crainte majeure est la peur d'être trompé par une fausse identité (Brym, Lenton, dans Filter et Magyar, 2017).

Cette période de recherche plus approfondie a été très bénéfique pour un étudiant aspirant à poursuivre, dans la mesure du possible, son parcours professionnel vers une thèse. Ce mémoire a été en sus de cela un véritable terrain de recherche dans lequel la possibilité de poursuivre cette thématique est plausible puisqu'elle fait toujours l'objet d'un débat sociologique.

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p. - 102 -

XII. Annexes

A.Tableau de présentation de nos enquêtés

 

Prénom fictif donné

Age

Type de recherche

Orientation sexuelle

Catégorie socioprofessionnelle ou activité professionnelle

 

Valentin

26 ans

Wait and see18

Hétérosexuelle

Ingénieur

 

Michel

26 ans

Wait and see

Hétérosexuelle

En recherche d'emploi, diplômé d'un master

 

Florent

21 ans

Wait and see

Hétérosexuelle

Étudiant

 

Martin

20 ans

Wait and see

Hétérosexuelle

Employé

 

Jean- Charles

25 ans

Wait and see

Hétérosexuelle

Ouvrier

 

Oscar

26 ans

Wait and see

Hétérosexuelle

En recherche d'emploi, diplômé d'un master

 

Alexandre

26 ans

Wait and see

Hétérosexuelle

Étudiant

 

Imran

24 ans

Wait and see

Hétérosexuelle

Étudiant

 

Gabriel

24 ans

Wait and see

Hétérosexuelle

Étudiant

 

Antoine

25 ans

Wait and see

Bisexuelle

Profession supérieure

 

Rémi

21 ans

Wait and see

Homosexuelle

Étudiant à l'université

 

Perrine

25 ans

Wait and see

Hétérosexuelle

Profession intermédiaire

 

Clémentine

24 ans

Wait and see

Hétérosexuelle

Professeure

 

Lana

30 ans

Wait and see

Hétérosexuelle

Profession intermédiaire

 

Laurie

24 ans

Se faire des ami(e)s

Hétérosexuelle

En recherche d'emploi, diplômée d'un master

 

Elise

22 ans

Wait and see

Hétérosexuelle

Étudiante

 

Amandine

23 ans

Wait and see

Bisexuelle

Étudiante

 

Luna

22 ans

Wait and see

Homosexuelle

Étudiante à l'université

 

Elsa

19 ans

Wait and see

Hétérosexuelle

Étudiante à l'université

 

Agathe

23 ans

Wait and see

Hétérosexuelle

Étudiante à l'université

 

Sarah

21 ans

Wait and see

Bisexuelle

Étudiante à l'université

 

18 La philosophie « wait and see » correspond au fait que l'utilisateur n'attend rien des rencontres plausibles et opte pour « le feeling ».

p. - 103 -

B. Guide d'entretien

Partie introductive

Explication du cadre

Présentation de l'enquêté (âge, sexe, CSP, ville, passions, intérêt ?)

Rapport à Tinder

Raison d'inscription ? après une rupture ?

Développement de son rapport à Tinder ? Quel est son vécu ? Combien d'années sur Tinder ?

Tu t'y connectes souvent ? Pourquoi l'avoir installé ?

Quelle impression et comment considère-t-il Tinder ? D'autres sites utilisés ? Si oui

pourquoi ? Qu'est-ce que tu penses de Tinder de manière générale ?

Comment perçois-tu l'usage de Tinder dans notre société ? Est-ce tu peux en parler ou tu en

as déjà parlé ? Trouves-tu que c'est un mode tout à fait légitime pour rencontrer des gens ?

Est-ce que tu trouves que ça reste romantique de rencontrer sur Tinder ?

Quelle est ta relation avec les sites ou applications de rencontre ?

Ça a influencé tes manières de voir les rencontres physiques ?

Vu que je n'y connais pas trop, est-ce que les rencontres en ligne sont plus difficiles ?

Pourquoi ? Et comment tu fais pour y remédier ? Qu'est-ce que ça change des rencontres

classiques ?

Comment tu perçois ses applications et les échanges que tu as sur Tinder ?

Qu'est-ce que tu y recherches ? Ephémère / longue relation + genre ? Age ? Géolocalisation ?

Qu'est-ce que ça implique d'être un homme ou une femme sur Tinder ? (Obligation (dans le

premier pas etc.)

Comment tu te sens sur Tinder en tant que profil ?

As-tu déjà des relations ou fait des rencontres via Tinder ? Comment ça s'est passé ? Est-ce

que c'était différent des rencontres traditionnelles ?

p. - 104 -

La présentation sur un profil Tinder

Pour toi c'est quoi un bon profil homme et bon profil femme ?

Qu'est-ce qui importe le plus dans un profil ? ( + dans les photos et la description)

Quelle est la manière la plus adaptée pour se présenter sur cette application en tant que...

As-tu déjà modifié des informations pour améliorer la présentation de ton profil ? Lequel ?

Est-ce qu'il y a des éléments que tu désires plus apercevoir dans la description ?

Y'a-t-il des informations que tu changes plus moins grave de les modifier ?

Comment tu perçois ce genre de ruse ?

Est-ce que pour toi cela constitue une sorte de contrainte ?

L'après-match

Comment se passe l'après match ? Est-ce qu'il y a des codes à suivre pour aborder la

personne ? Moi n'y connais pas grand-chose, tu t'y prends ? Fais-tu le premier pas ? (Garçon

ou fille).

As-tu souvent des réponses ? De longs échanges ? etc.

Est-ce que le fait que tu sois un homme/une femme sur Tinder implique des choses dans le

déroulement d'une conversation ?

L'évaluation d'un profil Tinder

Quelles sont tes attentes principales envers les autres sur Tinder ? Qu'est-ce qui est important

de respecter sur Tinder pour toi ? Est-ce qu'il y a des normes ou des codes sociaux à suivre ?

Comment vas-tu évaluer un profil ? Que tu y recherches ?

Combien de temps vas-tu prendre en général pour évaluer un compte ? Est-ce que tu passes

des éléments ?

Est-ce que tu évalues un profil de manière chronologique ? (Photo puis description etc..) ?

Qu'est-ce qui peut être attrayant dans les photos ? Et qu'est ce qui va plaire ?

Quel genre de photo de te plaît ? (Visage, corps entier, avec un décor particulier)

Qu'est-ce que tu veux voir à travers les photos ?

Est-ce qu'il y a un nombre de photos jugé « idéal » ?

Comment perçois-tu les photos avec des filtres ? Eliminatoire ou non ?

Qu'est ce tu cherches dans une description ? (Statut ? Lieu ? La description textuelle, Les

centres d'intérêt, La chanson préférée, La liaison du compte Instagram ?)

Comment tu interprètes les éléments de la description ?

p. - 105 -

Le profil de l'enquêté

Comment tu as construit ton profil ? Quel est le sens lié à tout ça ou qu'est-ce que tu voulais

montrer en priorité ? (Le rapport aux valeurs (Honnêteté ? Drôle ? Etc.))

Est-ce que c'est valorisant d'avoir mis tes études/ton métier ?

Est-ce que tu trouves les options de Tinder pertinente pour te présenter ? ( La chanson

préférée, la liaison du compte Insta, les intérêts. CSP etc.)

Est-il difficile de se présenter sur Tinder ? As-tu déjà retravaillé ton profil pour l'améliorer ou

recréer un compte Tinder ?

Est-ce tu t'es basé sur des points de référence ( en regardant les autres profils etc....) ou tu as

demandé l'avis à des amis ?

Pourquoi cette description ? Ou justement son absence ?

Pourrais-tu m'expliquer chaque photographie en précisant ce que l'on doit y apercevoir et

comprendre ?

Est-ce que les photos évoquent un moment particulier pour toi ? (Un moment de vie, des

sentiments etc....)

Pourrais-tu argumenter le choix des photographies utilisées (qu'est-ce qui est important,

considérer comme une plus-value ? Que signifie telle photographie, pourquoi telle style ou

figuration ?)

Peux-tu expliquer la description textuelle et les significations de celle-ci ?

Est-ce que tu fais des liens entre ta description textuelle et visuelle ?

Justifier les choix de mise en scène (pourquoi telles images, mentions, etc.)

Qu'est-ce que les autres sont censés voir et comprendre à travers ton profil ?

Quels éléments as-tu tenté de mouvoir dans ton profil ?

Quelle image voulais-tu renvoyer aux autres ?

p. - 106 -

C.L'évaluation de profil sur Tinder

Figure 2Présentation de la structure de Tinder, photo tirée de Tinder le 18.01.2021

Figure 1 La liste " coup de coeur" proposant 10 personnes. Photo tirée de Tinder le 18.01.2021

p. - 107 -

D.La présentation des différents types d'abonnements et de fonctionnalités.

Figure 3 Les boosts, photo tirée le 30/12/2020 d'un compte d'expérimentation

Figure 2, Tinder Plus, photo tirée le 30/12/2020 d'un compte d'expérimentation

Figure 3, Tinder Gold, photo tirée le 30/12/2020 d'un compte d'expérimentation

Figure 4, Tinder Platinum, photo tirée le 30/12/2020 d'un compte d'expérimentation

p. - 108 -






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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault