La place de l'ingénieur du son dans le cinéma documentaire( Télécharger le fichier original )par Raphaël Roche Université Aix-Marseille Université, Département SATIS - Spécialité Ingénierie de la création et de la réalisation sonore pour le film, la vidéo, le multimédi 0000 |
II.1.1 Le Matériel de prise de sonL'ingénieur de son en tournage documentaire est aujourd'hui quelqu'un d'autonome qui bénéficie d'une grande mobilité de mouvement. Comme me l'a dit Vincent Magnier, être preneur de son, c'est « être dans une forme d'artisanat », ce qui en fait « un métier passionnant, manuel et pratique ».22(*) L'avènement des enregistreurs sur Bande de type Nagra IV-S à la fin des années 60 a permis à l'ingénieur de sortir du studio, de faire de la rue son terrain de jeu, de manière plus autonome et plus simplement. Plus récemment, la miniaturisation des composants électroniques lui a permis d'être encore plus discret et de faire preuve de plus de souplesse dans son travail. Il faut préciser que ces évolutions techniques du matériel Son furent corréléesaux évolutions techniques de la prise de vue. Enregistreur Multipistes. Sans rentrer dans de grandes considérations techniques, il y a eu de nombreuses évolutions ces dernières années. En effet, depuis le NAGRA IV-S mentionné un peu plus haut, les enregistreurs audio ont beaucoup évolué jusqu'à aujourd'hui et n'ont que peu à voir avec leurs ancêtres : Enregistrement audionumérique jusqu'à 8 pistes ou plus, grande autonomie, ergonomie améliorée, possibilités de routing et de prémix, etc. L'exigence sonore va souvent de pair avec le prix de certaines machines de dernières générations. Il faut compter entre 5000 et 10 000 euros en moyenne pour un enregistreur multipiste de qualité professionnelle comme on en trouve sur les plateaux de long métrage de fiction. Contrairement à une caméra qui peut se retrouver obsolète assez rapidement (compte tenu des évolutions techniques en la matière), un enregistreur professionnel de tournage peut être toujours performant 10 ans après son acquisition. Le marché grand public propose des enregistreurs multi-piste à bas coup. Ces petits enregistreurs semi-professionnels peuvent s'avérer utiles en complément de l'enregistreur principal. Leur utilisation pouvant être préconisée lors de prises de son où la sécurité du matériel ne peut être complètement assurée. Cependant, leur fiabilité est perfectible et ils présentent en général une moins grande tolérance envers la chaleur, le sable, la pluie et les chocs qu'un enregistreur professionnel. Le chef opérateur en documentaire cherche avant tout un appareil polyvalent et fiable, lui permettant de fournir un travail de qualité, et pouvant répondre à 99.99% des situations de tournage. De nombreux ingénieurs du son se tournent aujourd'hui vers le 633 de Sound Devices qui remplit toutes les caractéristiques citées plus haut, tout en présentant un tarif raisonnable. Cet appareil offre un concept de mixette-enregistreur sur carte CF ou SD. Cette démocratisation du multipiste a permis une nouvelle manière de travailler dans le documentaire, en s'affranchissant du traditionnel enregistrement bi piste sur la caméra. Comme le rappelle Henri Maikoff, avant le passage au numérique, de nombreux ingénieurs du son enregistraient leur bande sur un Nagra Bi-piste type Nagra IV-S. "Le mélange Perche HF était coulé dans le bronze. Il y a avait des contraintes énormes, la surmodulation de 10dB était fatale, on entendait le souffle. Les mélanges HF sur une piste était définitif."23(*) La norme est maintenant de livrer un mix sur la caméra et en parallèle, des pistes éclatées, ce qui permettra au monteur image d'avoir une proposition sonore dès le montage. Quand aux Pistes éclatées (ou ISO), elles pourront être récupérées et utilisées si nécessaire, par le monteur son. L'écoute au casque. Les conditions de prise de son en tournage imposent l'utilisation d'un casque audio qui isole des bruits extérieurs. Vincent Magnier m'a ainsi précisé que dans sa pratique de la prise de son en documentaire, il "faisait confiance à son casque d'écoute"24(*), pour justement se focaliser sur l'écoute et ne pas trop regarder ses niveaux d'enregistrements. En faisant confiance à ses oreilles, qu'il considère comme son meilleur indicateur de niveau, il peut ainsi percher de manière optimale, à deux mains, tout en regardant la personne concernée pendant son entretien/interview. C'est ce que Lucien Balibar appelle dans son livre le référentiel constant.25(*) Contrairement aux enregistreurs, le casque est un élément qui n'a pas particulièrement évolué depuis sa création. Il est là pour permettre à l'ingénieur du son de contrôler la qualité de la bande son qu'il est entrain d'enregistrer. Le SENNHEISER HD 25 est de loin le casque le plus utilisé dans le milieu professionnel de la prise de son à l'image. Son isolation importante, son rendu dans les basses fréquences et son faible poids font de lui le casque idéal pour une utilisation sur le terrain. Par ailleurs, sa faible impédance (70 ohms) permet d'obtenir facilement un bon niveau d'écoute sans vider trop rapidement les batteries de la mixette ou de l'enregistreur portable. Le microphone. Lucien Balibar : "Le micro, c'est le pinceau du peintre, c'est l'objectif du photographe, c'est le ciseau du sculpteur. Il est le premier maillon de l'enregistrement sonore, au contact immédiat de la source."26(*) En documentaire comme en fiction, le microphone est choisi avec une attention particulière par le preneur de son. Sans généralité, un microphone avec une directivité prononcée comme un hyper cardioïde ou semi-canon, sera privilégié par le preneur de son. Ces microphones ont une bonne capacité d'atténuation des fréquences qui n'arrivent pas dans l'axe de la prise de son. Une des contraintes du preneur de son de documentaire est qu'il ne peut pas maitriser l'acoustique d'une pièce ou les fonds sonores bruyants. Il n'y a souvent pas de repérage en documentaire, pas d'équipe régie pour bloquer une rue ou demander à quelques voisins de faire moins de bruit. Le lieu dans lequel la personne est filmée peut être sa maison, son lieu de travail et non pas un décor factice, modifiable à volonté pour faciliter le tournage, comme en fiction. Ce micro très directif est alors positionné au bout d'une perche que l'ingénieur du son détend à la taille adéquate pour aller la positionner le plus prêt de la personne filmée. Evidemment le comportement du microphone sera directement lié à son installation sur la perche et au type de suspension utilisé... Une perche se doit d'être légère, maniable, rapidement rétractable pour permettre au preneur de son d'être à la bonne distance de la personne filmée et sans que le micro ne rentre dans le champ de l'image. Il existe deux marques de perches particulièrement utilisées en France : VDB et AMBIENT. La première, VDB, est préconisée en documentaire pour sa légèreté, la proximité avec les gens est souvent recherchée dans le documentaire, que cela soit dans des situations de vie ou durant des entretiens. La deuxième, AMBIENT est plus connu pour sa robustesse, qualité nécessaire en fiction où la perche peut être détendu à 5-6 mètres. (Taille L). Pour le documentaire, la taille M sera plus utilisée, elle s'adaptera plus facilement à des lieux de tournages exigus. La suspension qui relie le micro à la perche est d'une importance capitale, car elle minimise les bruits de manipulation, surtout lorsque le technicien se retrouve à percher à une main. Il faut noter qu'avec une suspension de grande qualité comme une CINELA OSIX, par exemple, c'est la réponse en fréquence du micro qui sera également améliorée, plus linéaire et avec une bande passante étendu dans le grave. Même si les micros miniatures se sont développés, le micro au bout de la perche reste le système principal de l'ingénieur du son en documentaire. Cet acte transparent permet de rendre "proactif" le preneur de son comme l'explique Pierre Alain Mathieu. "Quand tu décides de tourner certaines séquences d'un film documentaire uniquement à la perche, tu te retrouves dans un engagement de la relation. Les gens comprennent que les choses sont différentes si tu ne leur as pas posé de micros sur le torse. S'ils veulent se taire; ils se taisent, s'ils veulent parler ils parlent.C'est une manière d'être dans l'espace et dans la relation. Le principe même de la prise de son est qu'il n'y a pas de zoom possible. Tu ne peux pas cacher que tu es entrain de filmer, tu es dans un acte transparent, cela influe une dynamique autre."27(*) Il faut différencier la qualité du son à la perche et sa fonction de présence. J'ai la sensation que les personnes filmées pensent que si le micro n'est pas pointé vers eux, ce qu'ils ont à dire n'est pas enregistré par l'ingénieur du son. Cette position du micro axée sur tels ou tels personnes peut devenir un élément de mise en scène, en donnant ou en ôtant la parole. La perche peut aussi influencer le travail du cadreur, en suggérant des tailles de cadres (plan large, serré, etc..), en fonction du lieu et du bruit ambiant. Les liaisons Sans Fil (ou systèmes HF). Tous les preneurs de son que j'ai rencontrés sont d'accord sur le rôle important du micro cravate en fiction comme en documentaire. Les micros miniatures à électret, positionnés sur le torse de la personne filmée, permettent dans des situations où le micro principal montée sur la perche est trop loin de celle-ci, de conserver l'intelligibilité de la voix et de préserver le discours. Laurent Lafran reconnaît par exemple, que grâce au HF, il est possible de faire "un travail de prise de son dans des endroits où l'on ne pourrait pas le faire". 28(*) Cela a donc ouvert à de nombreuses nouvelles perspectives de tournage. Ainsi, les liaisons HF ont mérité une place prépondérante dans le travail des ingénieurs du son, surtout en documentaire où les situations filmées ne sont pas répétées en amont. Comme le précise Yves Capus "Mon rôle en documentaire est un rôle de témoin. Je témoigne d'une situation, d'un moment, d'une géographie, d'un temps. Pour témoigner, je dois amener des éléments sonores plus larges que la situation sonore que décrit le film. Un documentaire uniquement à la perche, je n'en ai fait qu'un. Au Cambodge, à l'époque, les Hf ne s'étaient pas encore démocratisés. C'est le meilleur documentaire que je n'ai jamais fait."29(*) Laurent Lafran pointe un fait important sur le placement des micros cravates en documentaire: si l'on décide d'équiper certaines personnes au dépends d'autres, il peut se produire une hiérarchie de la parole. Ne pas en mettre rendra plus ardue la tâche du preneur de son mais respectera l'équité entre les personnages. L'utilisation du Micro cravate peut malheureusement dans certains cas empêcher l'ingénieur du son de se concentrer pleinement sur le placement de sa perche qui reste son micro principal. Dans la situation où l'ingénieur du son décide d'équiper deux personnages filmés de micro cravate et de percher en même temps, il est obligé de diviser son écoute au casque: son oreille gauche écoute le son du micro perche et son oreille droite écoute une sommation des deux HF posés sur les personnages filmées. C'est le principe de la double écoute mono. Ce principe n'est cependant pas toujours efficace et peut même s'avérer frustrant comme me l'a expliqué Vincent Magnier. Il peut arriver qu'en post-production, il se rende compte que l'ingénieur du son a mal posé les deux micros HF, donnant de mauvais résultats comme un son étouffé ou suite à des frottement de la capsule sur les vêtements. "S'il avait pris le risque de ne travailler qu'à la perche avec un microphone à directivitéhypercardioide au bout, j'aurais passé 2 minutes à faire des EQ et j'aurai eu du temps pour chercher une ambiance adéquate. Les HF sont des outils qui peuvent devenir piégeant"30(*) Cependant, il est important de signaler que l'utilisation des micros cravates a aussi changé notre perception de la place de la voix dans un film. Le spectateur est habitué aujourd'hui à avoir une voix au premier plan, très présente, très intelligible, un peu à l'américaine. Les micros cravates, de par leur placement à proximité de la bouche ont peu à peu aboli la notion de plan sonore. Comme me l'a expliqué Henri Maikoff "Au début, le micro cravate était un accessoire exotique qui permettait l'intelligibilité dans des milieux extrêmement contraignants ; de rattraper des rapports de voix improbables. Leur utilisation a changé la mise en scène. Le rapport à l'entendu et le vu, le rapport entre largeur du plan et largeur du plan sonore ont profondément été modifiés. C'est devenu un outil complètement quotidien, une addiction auditive.31(*) La synchronisation Image-Son. L'envoie des signaux audio dans la caméra a longtemps été le moyen le plus simple et surtout le plus économique en documentaire. La synchronisation des rushs en vidéo peut prendre du temps et donc coûter cher. Loin est le temps du système de synchronisation à partir du quartz, mis en place par Allan Pennebaker et Richard Leacock au milieu des années 60 dans des films comme Don't Look Back ou Monterey Pop. Aujourd'hui, il existe de nombreux moyens de permettre une synchronisation de l'image et du son de manière rapide. Le Record run, le Free run, effectuer une synchronisation par Time code, etc. Il existe des boitiers externes Type TENTACLES SYNC qui s'adaptent à toutes les caméras, tous les DSLR, ils sont les plus utilisés en documentaire pour leur simplicité et leur taille réduite. La synchronisation image-son en documentaire a été le gros enjeu des cinq dernières années en Post production. Cédric Genet affirme ainsi que "le preneur de son peut proposer aujourd'hui quasiment des outils de fiction à un réalisateur de documentaire, chose qui paraissait impossible il y a 10 ans."32(*) Ces boitiers de synchronisation permettent aussi à l'ingénieur du son de ne plus avoir à claper face caméra. En documentaire, il est parfois essentiel d'être discret, de faire preuve de retenue pour ne pas "casser" une dynamique particulière. Ce geste de "clapper" ramène peut-être à quelque chose de trop fictionnel, de trop rigide. Ce geste laisse moins de place à l'imprévu. Johan Van der Keuken et sa femme preneuse de son avaient pris l'habitude de claper à la fin de la scène pour gêner le moins possible les personnes face caméra. La sacoche de tournage, "audio bag" à l'épaule. La "malle" fut la première étape pour l'ingénieur du son dans sa quête de capter le réel en dehors des studios. Elle était encombrante et devait être posé sur une table. En documentaire, la sacoche de tournage est quelque chose d'indispensable pour le preneur de son. Il doit réussir à être autonome, afin que les mouvements de caméra puissent être suivie de près. Tout avoir dans la même sacoche, enregistreur, mixeur, casque, batterie, consommables, liaison Hf permet de pouvoir suivre tous les mouvements de caméra. Le technicien son a une grande mobilité qui lui permet de se placer comme il le veut, proche ou loin de la caméra. Le principe de mobilité permet de se placer plus rapidement dans la situation la plus confortable pour travailler. Pour Frederic Salles, l'ergonomie est quelque chose de fondamental pour le preneur de son. C'est pour lui aussi important de travailler avec son propre matériel, celui que l'on connait et que le technicien n'a pas besoin de regarder, afin de se laisser plus de temps pour se concentrer sur le fond. Le fait que le preneur de Son ait une forme de mobilité est à rapprocher du principe d'autonomie qui caractérise sa pratique du documentaire. Pour Yves Capus il y a une différence d'autonomie en documentaire et en fiction."En documentaire l'autonomie dépend de la situation dans laquelle tu es, elle dépend de ce que tu vas filmer, du contexte. En fiction, au contraire, elle dépend de l'équipe, de l'organisation du tournage."33(*) II.1.2 Les missions et aptitudes de l'ingénieur du son Laurent Lafran : "Le métier de chef opérateur est une question de posture, de positionnement, de relation aux autres. C'est pourquoi je fais ce geste. Au départ, on est dans une forme d'absolu. Le réalisateur est très occupé pour pouvoir s'intéresser au son, c'est pour cela que l'on a une liberté."34(*) L'attrapeur de discours. La responsabilité de l'ingénieur du son en documentaire est d'enregistrer le discours, rendre compte de la voix des personnes filmées. Il recueille leur voix, leur émotion. Il rend compte du fragile, du sensible d'une parole captée. Vu que les situations ne sont pas répétées, il est dans une improvisation permanente de la captation de la parole. Quand il perche une ou plusieurs personnes en même temps, il se doit d'observer corporellement le comportement des gens pour anticiper le moment ou ils vont prendre la parole. Christian Canonville"En choisissant un microphone et en réglant la distance de travail selon l'acoustique ou le bruit ambiant, le preneur de son définit la netteté des contours et cisèle les traits de la source sonore. Avec la souplesse du chat, il lui faut louvoyer silencieusement entre les obstacles, ne pas entrer dans le cadre de l'image, ne pas créer d'ombres portées sur les murs échapper aux reflets, ne pas heurter la perche. Son activité relève à la fois de celle du chasseur de papillon qui doit capter son lépidoptère sans le détruire et celle du calligraphe qui, avec l'intelligence pratique un art stylé du mouvement."35(*) Le chasseur de son et de sens. Cédric Genet : "La principale mission d'un ingénieur du son en documentaire est de ramener la totalité des éléments sonores nécessaires au réalisateur, ce qui lui permettra alors de raconter son histoire de la meilleure façon qu'il soit."36(*) Une des autres missions est d'apporter beaucoup de sons au réalisateur pour qu'il puisse façonner sa bande son au montage. Cela passe par des ambiances, des sons seuls. Frederick Wiseman a par exemple comme règle de n'utiliser dans ses films que des sons qui ont été enregistrés au moment du tournage. Evidemment, de nombreux réalisateurs ont compris que cette volonté de "Véracité sonore" pouvait avoir ses limites. D'autres réalisateurs n'ont pas vraiment d'idée précise des ambiances qu'ils veulent pour leur film documentaire, le preneur de son est là pour être force de proposition. En fiction, les ambiances sont enregistrées en évitant toute sensation de premier plan, le but de cette pratique est d'obtenir un arrière plan homogène. Au contraire comme nous le précise Laurent Lafran, en documentaire, l'ingénieur du son fournira une ambiance plus construite, ayant moins de temps et de contrôle sur son environnement. Il y aura donc moins de mise en scène. Henri Maikoff m'a précisé sa démarche sur Le pays des sourds de Nicolas Phillibert"J'ai commencé la prise de son à l'époque de la pellicule. Nicolas Philibert tournait 6 bobines par jour, ce qui correspondait à une heure de rush, c'était considéré comme dément au début des années 90. On donnait comme apport au montage, beaucoup d'ambiances, beaucoup de son seul. Aujourd'hui avec une somme de 4-5h de rush par jours, nous n'avons plus le temps de faire des ambiances, ou très peu. On se doit de livrer beaucoup d'éléments déjà présents dans les rushs."37(*) Pour pallier à ce manque de temps accordé au son seul pendant les rythmes soutenus de tournage, Henri Maikoff a mis en place un système de prise de son spécifique pour la captation d'ambiance. Il a installé sur sa sacoche de prise de son un couple MS miniaturisé. Cela lui permet d'enregistrer en même temps le micro positionné sur la perche et le couple MS stéréo pour les ambiances raccord. Il n'a pas préconisé le système de prise de son MS qui enferme dans la même cage de protection, le micro très directif et le microphone bidirectionnel, dit "à lobe de directivité en 8". Il considère que son système maison permet de restituer un autre plan sonore que celui de la voix personne filmée.Sur des scènes longues en plan large par exemple, cela lui permet d'avoir la circulation des voitures qui passent en stéréo. Quant à sa perche, elle récupère l'intelligibilité et les détails de la voix. Il y a quand même un inconvénient à ce système ingénieux selon lui. En effet, le MS étant très proche du corps du technicien, il est assez difficile de ne pas enregistrer ses propres bruits de déplacements par exemple. Certains ingénieurs du son ne font pas d'ambiances dans d'autres espaces que celui qui correspond à la séquence. C'est important pour des raisons acoustiques et pour des raisons psychologiques. Fréderic Salles appelle cela être dans l'état d'esprit de la scène : "Tu as conscience de ce qui a été filmé dans la journée et si tes ambiances vont être cohérentes avec ce qui a été enregistré. C'est une question de connexion émotionnelle avec le film." 38(*) Yves Capus a créé son propre système de prise de son l'Ambitionic qui lui permet de témoigner de contextes sonores entier sur 360 degrés. Selon lui, le preneur de son doit témoigner de paysages sonores dans lequel évoluent ses sujets, dans le but d'éclairer ce qui lie les personnages à l'histoire. Son résultat devient alors une trace mémorielle, qui donne un regard exhaustif de la situation. Dans le but de répondre aux mieux à ces différentes missions, le preneur de son doit posséder certaines qualités et mettre en oeuvre une méthodologie adaptée au contexte de la prise de son en documentaire. L'anticipation est source de discrétion. Prévoir ce qui pourrait se passer, c'est déjà une manière d'agir. L'ingénieur du son en documentaire n'a pas souvent l'opportunité de faire des repérages des lieux de tournage. Il devra en fonction des précisions que lui donnera le réalisateur, essayer d'anticiper les difficultés qu'il pourrait rencontrer selon les situation, avoir déjà une vision à peu près claire des micros qu'il pourrait utiliser. Il faut qu'il se réserve des marges de sécurité afin de mêler efficacité et qualité. Il se doit, par exemple, d'avoir toujours à disposition des micros prêts à être installés rapidement et les poser s'il estime que cela est nécessaire. Il se doit d'être réactif en essayant de répondre aux contraintes techniques qui découlent du documentaire. Pour Godefroy Georgetti, le preneur de son en documentaire doit être capable de trouver une solution rapidement afin de ne pas louper le moment décisif, moment qui pourrait ne jamais se reproduire. L'adaptabilité : Savoir répondre à l'imprévu. L'une des principales qualités de l'ingénieur du Son en documentaire est son adaptabilité. Il doit, entre autre, s'accommoder aux lieux, aux demandes du réalisateur, et aux personnages avec qui il interagit. Comme me l'a fait remarquer Emmanuel Desbouiges, un bon ingénieur du son en documentaire doit avoir le courage d'affronter l'environnement externe dans lequel le tournage du documentaire évolue, comme par exemple, demander aux personnes qui sont externes à celui-ci de faire moins de bruit. L'ingénieur du son doit être également discret, rapide et efficace. Il y a un sentiment plutôt partagé par les professionnels rencontrés dans le cadre de ce mémoire : l'idée que l'exigence technique et qualitative du son ne doit jamais prendre le pas sur le fond, et qu'elle ne doit pas engendrer des frustrations chez le réalisateur. La démarche du preneur de son en documentaire est à remettre dans une cohérence entière. Il oeuvre pour répondre aux exigences d'un réalisateur, il est un rouage du dispositif technique pensé par l'auteur. Par ses exigences démesurées, il peut brider des moments qui auraient pu fonctionner. Comme l'explique David Diouf:"Il y a pleins de moments où j'ai accepté de faire un son moyen car je savais que c'était au service du film, être trop exigeant quant à la qualité de ta prise de son peut desservir le film. Le but est de ne pas avoir le césar du meilleur du son. C'est de faire le meilleur film possible." 39(*) Il n'est jamais facile d'accepter ce qui n'est pas conforme à des prévisions ou un plan préétabli. Cependant, la force d'un film documentaire peut venir de personnages, ou de séquences inespérées. En acceptant de ne pas pouvoir tout contrôler dans sa prise de son, le preneur de son permet d'accentuer, de renforcer ce qui n'avait pas été pensé au moment de l'écriture du projet et pendant sa mise en chantier : l'imprévu. Mario Ruspoli donne une définition remarquable de la place que doit avoir l'imprévu dans un tournage de documentaire "Il faut qu'à chaque instant l'imprévu puisse s'amalgamer à la ligne adoptée en tournage. Durant une interview au pied levé, il est possible de tout à coup survienne un autre personnage, qui n'était pas du tout prévu au tournage et qui se révèle d'un intérêt plus grand. Il est impossible de rationaliser la captation du réel, on ne peut rationaliser que la technique et la psychologie de l'approche."40(*) Documentaire/fiction: une approche différente de la profession? Lors de mes rencontres avec les professionnels du documentaire, certains d'entre eux faisaient souvent des parallèles avec leur activité de chef opérateur du Son en fiction. Il semble que ces deux fonctions soient d'intensité semblable. Une des principales différences est, nous l'avons vu, la place laissée à l'imprévu. Le fait que les personnages de documentaire ne soient pas dans un rôle mais jouent leur "propre rôle" change la donne pour certains. D'autres ingénieurs du son au contraire m'affirment qu'ils se comportent de la même manière avec des comédiens ou avec des personnages de documentaire. Maxime Gavaudan estime qu'il n'y a pas de différence relationnelle à avoir avec un acteur ou avec un personnage de documentaire. Les deux sont là car il existe un enjeu fort à raconter. Si l'équipe de fiction ne met pas en confiance l'acteur, il sera stressé. L'ambiance du plateau déteint sur le jeu des acteurs, sur les choix du réalisateur. Le chef opérateur du son en fiction travaille avec des assistants. Il les dirige, collabore avec eux. Cela l'oblige à posséder un autre regard sur le plateau, à faire des choix: que prendre en IN, que laisser en OFF. Il est dans le partage du son alors qu'en documentaire, sa direction n'appartient qu'à lui-même. Pour Pierre Armand, l'ingénieur du son en fiction est un métier très technique. Le documentaire, au contraire, c'est faire preuve d'intuition, c'est laisser une place importante à l'instinct. En documentaire, il y a de la vraie émotion; pas de l'émotion recréée. II.2. L'ÉQUIPE DE TOURNAGE EN DOCUMENTAIRE Cédric Genet m'a expliqué que tourner un film documentaire est une affaire de compromis, d'images, et de sons. L'objectif est de réussir à être en accord avec ses propres exigences et les exigences du réalisateur pour que de belles choses puissent se produire. Dans cette seconde sous partie, nous développerons les relations qu'entretient le preneur de son avec le réalisateur, le cadreur et les participants au film. * 22 Entretient avec Vincent Magnier le 24/01/2018 * 23 Entretient avec Henri Maikoff le 14/02/2018 * 24 Entretient avec Vincent Magnier le 24/01/2018 * 25BALIBAR Lucien, La chaine du son au cinéma et à la télévision, Paris, Dunod, 2015, 320p, p126 * 26BALIBAR Lucien, La chaine du son au cinéma et à la télévision, Paris, Dunod, 2015, 320p, p54 * 27 Entretient avec Pierre Alain Mathieu le 29/01/2018 * 28 Entretient avec Laurent Lafran le 19/02/2018 * 29 Entretient avec Yves Capus le 22/01/2018 * 30 Entretient avec Vincent Magnier le 24/01/2018 * 31 Entretient avec Henri Maikoff le 14/02/2018 * 32 Entretient avec Cédric Genet le 16/01/2018 * 33 Entretient avec Yves Capus le 22/01/2018 * 34 Entretient avec Laurent Lafran le 19/02/2018 * 35 THOUARD Sylvie, Le son documenté, Paris, Association La Revue Documentaires, 2007, 190p, p13 * 36 Entretient avec Cédric Genet le 16/01/2018 * 37 Entretient avec Henri Maikoff le 14/02/2018 * 38 Entretient avec Frédéric Salles le 08/12/2017 * 39 Entretient avec David Diouf le 13/12/2017 * 40GAUTHIER Guy Le documentairepasse au direct, Montréal, VLB, 2003, 210p, p63 |
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