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Département Sciences, Arts et Techniques de l'Image et
du Son
Université Aix-Marseille
Mémoire de Master Professionnel
Raphaël Roche
Travail réalisé sous la direction de :
Frédéric Belin
La place de l'ingénieur du son dans le cinéma
documentaire
Soutenu en Mars 2018
REMERCIEMENTS
Je souhaite remercier Frédéric Belin pour la
motivation et les conseils précieux qu'il a su m'apporter dans cette
aventure. Son implication en tant que directeur de mémoire a
été très importante pour ma construction
professionnelle.
Je ne retiens que des bonnes choses de ces 3 dernières
années et ne regrette en rien mon choix d'avoir continué mon
cursus scolaire pour intégrer Satis.
Je tiens à remercier par ordre alphabétique tous
les professionnels, ingénieurs du son, réalisateurs, producteurs,
qui ont acceptés de passer du temps en ma compagnie pour me parler de
leur passion. J'ai beaucoup appris lors de nos rencontres:
-Thierry Aguila
-Pierre Armand
-Régis Brun
-Yves Capus
-PhillipeCarrese
-Jean-Pierre Cellard
-Sébastien Crueghe
-Emmanuel Desbouiges
-Jean-Pierre Duret
-David Diouf
-Maxime Gavaudan
-Baptiste Geffroy
-Cédric Genet
-Godefroy Georgetti
-Laurent Lafran
-Vincent Magnier
-Henri Maikoff
-Pierre Alain Mathieu
-Fréderic Salles
Je tiens aussi à remercier le personnel enseignant:
Rémi Adjiman, Isabelle Renucci, Florence Tildach, Natacha Cyrulnik, Fred
Celly, Antoine Gonot,Fred Devaux, Isabelle Singer, David Goldie, Jean-Pierre
Blas, Cédric Bottero, Marie Claude et Richard.
Mon frère Robin, ma mère, ma grand-mère
et bien sûr,Pauline qui partage mon quotidien, et qui m'a soutenu pendant
ces 3 années chargées et qui a donné de sa personne pour
mener à bien ce mémoire.
Ingénieur du son en documentaire: une place vraiment
indispensable?
Le documentaire connait actuellement une crise de
financement. Les réalisateurs ont toujours l'ardent désir de
réaliser leur projet mais ont moins de financement pour le faire dans
de bonnes conditions. Ils décident de tourner leurs films coûte
que coûte dans une économie précaire, parfois sans place
pour une équipe de tournage. Le métier de preneur de son en
documentaire est un métier passionnant, complexe et exigent. Cependant
il a connu un profond changement, beaucoup de projets le mettent à
l'écart pour de multiples raisons.
Mots clés
Documentaire, Preneur de son, Ingénieur du son, Preneur
de son-réalisateur,
Dispositif filmique, Relationnel, Collaborateur
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION P.9
I. LE FILM DOCUMENTAIRE ET SON ECONOMIE
P.11
1. FINANCEMENT DU DOCUMENTAIRE P.11
1.1. Modes de productions documentaires
1.2. Un âge d'or déchu?
1.3. La rémunération des réalisateurs
2. FINANCEMENT DU DOCUMENTAIRE EN RÉGION PACAP.15
2.1 La centralisation du secteur audiovisuel
2.2 Un problème qualitatif?
2.3 Un système perfectible?
II. LE CHEF OPERATEUR DU SON EN
DOCUMENTAIREP.19
1. ÉVOLUTION DU MATÉRIEL DE PRISE DE SON
P.20
1.1. Les outils de la prise de son
1.2. Missions et aptitudes du chef opérateur du son
2. L'ÉQUIPE DE TOURNAGE DOCUMENTAIRE P.31
2.1. Le rapport à l'équipe de tournage
2.2 La relation "ingénieur du son-Participant" dans le
documentaire
III.L'AVENIR POUR LA PRISE DE SON EN
DOCUMENTAIRE
1. VERS UNE ÉVOLUTION DE LA PRATIQUE DOCUMENTAIRE
P.39
1.1 Des pratiques mouvantes
1.2Une profession en voie de disparition?
2.LE RÉALISATEUR CHEF D'ORCHESTRE P.46
2.1 Remplacer l'équipe de tournage
2.2 Quel impact sur la qualité des films?
CONCLUSION P.52
SOURCES & RÉFÉRENCES
P.53
CONTACTS P.56
RÉSUMÉ/SUMMARY P.57
INTRODUCTION
La littérature, le sport, la géopolitique font
depuis toujours parti de mes centres d'intérêt. Le film
documentaire est également quelque chose qui compte
énormément pour moi, pourtant j'ai du mal à exprimer mes
sentiments quand il s'agit d'en donner une définition précise.
Les livres de Noam Chomsky et de Howard Zinn sur la manipulation du
consentement et sur la désobéissance civile ont eu un grand
impact sur ma compréhension du monde, j'éprouve une grande
curiosité quant à leur volonté de montrer les
mécanismes de notre société, de nous éclairer sur
son fonctionnement.
Pour moi, c'est en partie cela le film documentaire, donner
à voir une facette du monde, une facette inconnue pour la plupart des
gens. Nous vivons dans une société où les informations se
déplacent à la vitesse de la lumière, relayées par
de trop nombreuses chaines télévisées qui relatent
à longueur de temps d'antenne les mêmes informations, ce qui
crée les débordements que nous connaissons. Il m'est
réellement difficile aujourd'hui de regarder la
télévision, les émissions de divertissement Fast Food, les
journaux télévisés de 20h qui font plus du contenu de flux
que du contenu de stock.
C'est tout le contraire du film documentaire qui centre son
propos sur l'humain, qui parle de sujets importants, vastes et enrichissants
pour le spectateur. J'aime le documentaire qui s'engage, qui milite, qui se
place en tant que dissident, qui n'est pas polarisé par les parts de
marché et par les audiences télévisuelles, le documentaire
qui n'est pas accessible pour le plus grand nombre, le documentaire qui prend
son temps, celui qui fait réfléchir les gens. On peut faire un
documentaire pour soi-même mais on le fait avant tout pour un public et
cela, je veux toujours le garder à l'esprit.
Le documentaire traite avant tout de la rencontre et du
relationnel. C'est la rencontre d'un réalisateur avec des personnages
d'où né une complicité, une entente cordiale, le
personnage n'étant plus un simple acteur, mais un objet politique qui
livre des constations sur sa vie, son oeuvre, ses désirs. Mais pour
révéler des choses, certains réalisateurs vont ressentir
le besoin d'être entouré d'une équipe de tournage sur qui
ils peuvent compter. Ils font très souvent appel à un preneur de
son et un chef opérateur image qui les soutiennent dans leurs choix, qui
réfléchissent avec eux à leurs envies, qui partagent leurs
convictions. Ce sont eux également qui mettent en oeuvre les outils
audiovisuels de la captation et lui permette de se concentrer sur
l'essentiel : le propos du film. Le métier de
chef-opérateur du Son spécialisé dans le tournage de film
documentaire est celui que je voudrais exercer dans le futur à ma sortie
de l'université et du département S.A.T.I.S.
Je suis donc très attentif à la tournure que
prennent les choses au niveau économique depuis une quinzaine
d'années. De plus en plus de réalisateurs partent seuls en
tournages, non pas par choix, mais contraints et forcés par le manque de
moyens dont font preuve les productions qui continuent à soutenir ce
genre filmique. Et malheureusement lorsqu'il s'agit d'économie, c'est
très souvent le poste de chef-opérateur du son qui est le premier
à être écarté. L'évolution des technologies
audio et notamment l'apparition de système de microphones sans fils
facilement utilisables par un non spécialiste du son y sont certainement
pour beaucoup. Notons que le problème se pose également pour le
chef-opérateur image qui n'est pas indispensable pour mettre en oeuvre
un appareil photo, voir un téléphone portable à l'heure ou
certains films sont réalisés avec un Iphone. Mais qu'advient-il
alors de l'équipe documentaire ? Celle sur laquelle le
réalisateur s'appuyait plus haut... Une seule et même personne
peut-elle réaliser, interviewer, cadrer et prendre le son d'un
film ? Et s'il est le premier à disparaître lorsque l'on
cherche à rogner sur le budget d'un film, on peut légitimement se
demander si le preneur de son est VRAIMENT indispensable en documentaire ?
C'est à cette problématique intentionnellement polémique
que je tacherais de répondre à travers ce mémoire
d'initiation à la recherche, en me limitant au statut du film
documentaire en France et plus particulièrement à son essor en
région Provence Alpes Côte d'azur puisque c'est là que se
situe mon futur ancrage professionnel.
I. LE FILM DOCUMENTAIRE ET SON
ÉCONOMIE
Chris Marker: "Personne n'aime le mot documentaire. Le
problème, c'est que l'on n'a pas trouvé mieux pour
désigner un ensemble de films dont on sent qu'ils ne sont pas tout
à fait comme les autres."1(*)
I.1. FINANCEMENT DU DOCUMENTAIRE
I.1.1 Modes de productions documentaires
Le dispositif de cofinancement tripartite.
La voie classique en France pour lancer la production d'un
documentaire télévisuel passe par l'apport initial en fonds
propres d'un producteur. Une convention de co-production est alors signé
avec le diffuseur qui préachète les droits de diffusion en
fonction du temps d'antenne.Une chaine comme Arte peut injecter 250000 euros
dans un projet de film mais en contre partie, d'un point de vue diffusion, le
film leur appartient pendant 6 ans.
Les France 3 régions injectent beaucoup moins
d'argent ; pour 12000 euros, la diffusion du film est pendant 18 mois.
Le producteur lance alors une demande de subventions au CNC
qui amène un complément de financement, en fonction de l'apport
initial du producteur et du diffuseur.
Les principales aides proposées par le CNC pour le
documentaire sont:
-L'aide sélective et automatique à la
préparation de documentaire: cette aide a pour objectif de
"favoriser les travaux de préparation et de développement
préalables à la mise en production".2(*)
-Le fond d'aide à l'innovation audiovisuelle: cette
aide veut accompagner "les auteurs et producteurs de projets
cinématographiques et télévisuels les plus créatifs
qui nécessitent une écriture élaborée, un important
travail de développement et qui proposent une approche innovante au
regard des programmes audiovisuels»3(*)
-L'aide au court métrage: ces aides sont
sélectives ou automatiques, directes ou par l'intermédiaire
d'organismes qui les subventionnent.
Le producteur peut également demander des financements
complémentaires (aux collectivités territoriales, à
l'Union Européenne), pour bénéficier d'un budget plus
conséquent.
Autres financements envisageables.
Les contributions des Fondations peuvent être
envisageables si le message du film est cohérent avec le leur. La
Fondation de France, la Fondation France Libertés et la Fondation
Jean-Luc Lagardère sont les plus connus.
Le financement participatif ou crowfunding, qui a
fait son apparition il y a quelques années, est une autre manière
de récolter de l'argent.Un grand nombre de personnes sont alors
amenées à participer à l'élaboration, en terme
économique, d'un projet. Le crowfunding se développe
dans un principe d'économie collaborative grâce aux réseaux
sociaux et autres plateformes spécialisées.
Le film documentaire Demain de Mélanie Laurent
a par exemple récolté près de 444 000 Euros sur la
plateforme spécialisée KissKiss Bank Bank.
I.1.2 La fin d'un âge d'or?
Jean-Pierre Carrier: "Existe-il un
âge d'or du documentaire? Un âge d'or, c'est à dire une
période historique plus ou moins lointaine, où le documentaire
aurait eu les faveurs du public et aurait donné naissance à des
chefs d'oeuvres devenus des références obligées du
genre?
Pour le film documentaire, comme pour tout autre genre
cinématographique, parler d'âge d'or implique d'abord une
disparition, une perte donc un fort sentiment de nostalgie"5(*)
Jean-Pierre Carrier s'intéresse dans son
Dictionnaire du documentaire à questionner les perspectives que
peuvent avoir le cinéma documentaire, et il reconnait qu'il est commun
d'affirmer aujourd'hui que celui-ci est en crise. Une crise de la diffusion en
premier lieu, car rare sont les oeuvres pouvant se vanter d'avoir
été diffusée en salle, et les films peu diffusés
à la télévision ou en festival, risquent de passer
complètement inaperçu. On estime en effet que seuls 1% des
spectateurs de cinéma visionnent des documentaires.
Nous pouvons donc nous questionner : Est-ce cette crise
de la distribution, et donc de l'absence de public, qui a un impact sur la
production des films, ou bien, est-ce le résultat des problèmes
de financements rencontrés par les sociétés de
production?
Privatisation de la télévision.
Pour Sophie Barrau-Brouste, Docteur en sociologie, dans les
années 60, le documentaire représente un programme
télévisuel valorisé par l'émergence des techniques
de prises de vue et sonore. Mais cependant, la privatisation de la
télévision dans les années 80, avec la recherche d'une
maximisation de l'audience, a contribué à exclure le documentaire
des programmations6(*).
Jean-Pierre Cellard considère que la fin de la SFP
(Société Française de Production) a changé le
système. La SFP était une propriété de
l'état qui contenait 3 chaines de télévision et des
unités de fabrication. Elle gérait elle-même les
dépenses et les recettes engrangées.
Aujourd'hui, avec un total de 2253 heures aidées, le
nombre d'heures de documentaire diminue de 9,1% par rapport à 2015.
Cette diminution peut s'expliquer par la baisse des commandes des chaines
thématiques payantes et de celles des chaines privées nationales
gratuites.
En 2016, le documentaire représente 46,8% des heures
totales de programmes audiovisuels aidés par le CNC, contre 52,9% en
moyenne depuis 2007.7(*)
Vieillissement de la télévision.
Jean-PierreCellard: "L'Âge d'or du documentaire est
terminé car les chaines de télévision n'en ont plus
besoin, et pour des raisons éditoriales et/ou économiques. Les
documentaires sont pourtant des programmes peu onéreux, au regard
d'autres programmes.
Aujourd'hui, des chaines comme France 2
préfèrent faire du plateau télé, etdonc se
concentrer sur du contenu de flux plutôt que sur du contenu de
stock".8(*)
La télévision a subi un vieillissement de son
auditorat, et a également appauvri sa ligne éditorial en terme de
qualité, au profit d'émissions populaires, dans le but de
conquérir un autre public, guidé par des annonces publicitaires,
que l'on doit absolument mettre en avant car elles servent à financer
ces même programmations.
En 2016, 2253 heures ont été produites par 503
sociétés de production. L'audience du documentaire à la
télévision représente 10% dans la consommation des
spectateurs.9(*)
Situation du tournage documentaire.
Thierry Aguila a réalisé des documentaires
comme Hôtel de Police Marseille (2013), Judo la voie de la
souplesse (2016),Jeans, une planète en Bleue (2010).
Il a vraiment vu une évolution de la conception du
documentaire depuis le début de sa carrière. "J'ai
réalisé une série documentaire à la fin des
années 90. Nous étions cinq à partir en tournage. Les
équipes se sont considérablement réduites depuis les
années 2000, comme les budgets documentaires en règle
général. Je considère, qu'aujourd'hui, être trois en
documentaire est un luxe."10(*)
Il y a quelques années, on lui a proposé la
réalisation d'une série documentaire pour la
télévision sur les pompiers de Marseille. Il a refusé
après avoir pris connaissance des conditions: cinq jours de tournage
sans techniciens, dix jours de montage et deux jours de mixage pour produire un
film de 52minutes.
Il a la sensation que la plupart des réalisateurs de
documentaire de nos jours ne sont plus des auteurs mais des journalistes qui
n'ont souvent aucune formation au son et à l'image.
Leur travail est essentiellement lié au contenu, au
détriment de la mise en formede celui-ci.
"Certain réalisateurs portent leur projet depuis
des années. Pour que le film se fasse, ils sont obligés de
s'occuper seul de l'image, du son, de la réalisation, et du
montage."11(*)
I.1.3 La rémunération des auteurs et
techniciens.
Thierry Aguila a décidé de calculer le temps
réelqu'il a passé à travailler sur ces deux derniers films
documentaires. Temps de préparation, temps d'écriture, temps de
rencontre avec les personnages, et temps de tournage : sa
rémunération était en dessous du smic.
"L'année dernière, j'ai écrit quatre
épisodes pour la série Netflix Marseille, avec un seul
épisode en tant que scénariste, et j'ai gagné deux fois
plus qu'en réalisant les deux documentaires.
Avant l'argent venait des chaines, mes documentaires
passaient dans La case de l'oncle Doc sur France 3 National, et on
pouvait générer de l'argent avec la
Procirep(Société des producteurs de cinéma et de
télévision).
Avant France 3 national diffusait trente-huit
documentaires produits en région; aujourd'hui, elle en diffuse seulement
16."12(*)
Lorsque j'ai rencontré Jean-PierreCellard, je lui ai
fait part de mes inquiétudes concernant la raréfaction de
l'ingénieur du son en documentaire. Il m'a alors proposé un
exemple : Un producteurreçoit les 12000 euros de France 3
région comme diffuseur et a l'apport du CNC, à peu égal
à 10000 euros. Le producteur et le réalisateur ont donc 22000
euros pour produire le film. Ces 22000 euros vont permettre au producteur de
payer le réalisateur les jours de tournage et les jours de
post-production (équivalant à 20/30 jours). Le réalisateur
touche également des droits d'auteur. Il doit aussi
rémunérer les techniciens pendant les jours de tournage, et cela
a un coût.Certaines sociétés de production décident
alors de se passer d'ingénieurs du son, car en réduisant la masse
salariale,elles peuvent se permettre une marge plus importante.
I.2 LE FINANCEMENT DU DOCUMENTAIRE EN REGION
PACA
J'ai décidé de m'intéresser à la
région Provence Alpes Côtes d'Azur car Marseille est ma ville
natale. C'est la ville dans laquelle je veux évoluer
professionnellement, ce qui ne m'empêchera bien sur de voyager au
gré des projets qui me seront potentiellement proposés dans le
futur.
A travers mes rencontres, j'ai eu le sentiment que la
région PACA est un endroit sous-estimé, un peu "pris de haut" par
les producteurs parisiens.
Pourtant, la ville a accueilli 502 tournages de longs et
courts métrages en 2016. Un chiffre qui a été
multiplié par cinq en dix ans.
"Favoriser ces tournages est l'un des axes de
développement déployé par la municipalité. Il faut
dire que l'enjeu économique est important. La Ville estime que les
différents tournages ont généré plus 40 millions
d'euros de retombées économiques en 2016. Quand un long
métrage est tourné, les équipes restent parfois un mois,
elles font vivre l'ensemble de la filière techniciens mais aussi
l'hôtellerie, la restauration"13(*)(Séréna Zouaghi, dans La
Provence).
Jean-PierreCellard m'a fait part d'une étude paru en
2010 qui s'intéresse aux retombées économiques du
cinéma :
-1 euro de subvention en long métrage rapporte 6
euros.
-1 euros de subvention en série télé
rapporte 15 euros. Plus Belle La vie (la série tournée à
Marseille) est un bon exemple: la productionemploie deux cents techniciens
toute l'année ; ils vivent à Marseille, achètent des
appartements, et payent des impôts locaux.
-1 euros de subvention en documentaire rapporte 2 euros.
Les régions financent le documentaire pour la
notoriété, mais savent pertinemment que ces films rapporteront
moins que les séries télé.
Comme nous pouvons le voir, Marseille bouge, se dynamise,
drague le long métrage, avec des missions de séduction sous forme
de "Repère Tour" comme au salon AFCI Locations et Finance Global Show
(le Salon international des lieux de tournages) à Los Angeles en avril
2017, où une délégation de professionnels du secteur s'est
rendue, pour promouvoir les avantages de la ville et de sa région.
Avant de nous pencher plus précisément sur la
viabilité du documentaire en PACA, il est intéressant de
s'arrêter sur certains chiffres révélateurs de la situation
en France :14(*)
-70% des auteurs de documentaires résident à
Paris et en Île-de-France, alors que seulement 18% de la population y est
recensé.
-En 2014, les entreprises de production documentaire
établies en Île-de-France concentraient ainsi plus de 90% de la
masse salariale et des effectifs de la production documentaire.
- L'activité de production documentaire est très
concentrée géographiquement: 67% des entreprises de production
documentaire sont établies en Île-de-France, Suivi des
régions Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie et PACA.
I.2.1 La centralisation du secteur audiovisuel
En 2015, 87% des 209 entreprises ayant produit du documentaire
pour les chaînes nationales de France Télévisions et 88%
des 116 entreprises ayant produit un documentaire pour ARTE France,
étaient établies en Île-de-France.15(*)
"Aucune autre forme d'expression artistique n'a
concentré à ce point son mode de financement et de
décision : le théâtre, la danse, les musiques classiques ou
actuelles, les arts visuels, l'architecture se financent de manière plus
équilibrée, sur tous les territoires. Mais pour l'audiovisuel ou
le cinéma, une seule région prime et tend à exclure les
professionnels implantés hors d'Ile-de-France." 16(*)
Cet article date de 2012, et l'on peut voir que la question de
la centralisation faisait déjà débat.La question de la
centralisation concerne aussi la diversité de la création
culturelle, une seule région ne peut représenter le point de vue,
la sensibilité d'un pays entier.
Philippe Carrese est un réalisateur protéiforme
arrivé à Marseille à la fin des années 80. Il
considérait alors que la région pouvait vraiment être un
contre point de qualité à Paris et à
l'Île-de-France.
Ce qu'il regrette le plus aujourd'hui, c'est que les choses
n'ont pas vraiment évolué: il y a toujours une centralisation
extrême en France, concernant l'audiovisuel.
"Toutes les décisions se prennent à Paris
par des Parisiens. Si tu n'es pas intégré à ce cercle, tu
peux vraiment être vu comme un paysan en 2018"17(*)
Il estime que travailler avec des producteurs ayant une
solidité financière est difficile à trouver en
région. Pour lui, l'intérêt d'avoir un producteur de
qualité, c'est d'éviter de faire tout le temps les mêmes
films. Le producteur aura du recul par rapport au projet, et il deviendra alors
un collaborateur essentiel.
Un autre problème rencontré en région est
l'accès à un nombre de chaines réduites. Dans la
région PACA, à part France 3 et Maritima, peu de chaines
coproduisent du documentaire.
Il est à noter que l'activité économique
des chaînes de télévision est largement concentrée
en Île-de-France, où se situaient 76% des effectifs des
chaînes généralistes et 82% des effectifs des chaînes
thématiques et locales en 2014.18(*)
Toujours est-il que, compte tenu des écarts de
financement entre chaînes publiques régionales et nationales, le
rôle positif joué par les chaînes régionales ne
suffit pas à asseoir une décentralisation du documentaire
audiovisuel, pourtant synonyme de développement économique et de
structuration des entreprises de production établies hors
Île-de-France.
Pour Jean-PierreCellard, pour qu'une société de
production puisse être pérenne en région, elle doit par
exemple chercher des grosses co-productions. En effet, en multipliant les
partenaires de financements, les producteurs multiplient la visibilité
du film. C'est ce que font les Tambours de Soie, société de
productionbasée à Marseille. Ils produisent quinze documentaires
par an en collaborant avec ARTE et France 3 (ce qui leur permet
également de mettre en chantier un film pendant qu'un autre est au stade
de la diffusion).
I.2.2 Un problème qualitatif?
Depuis quelques années, en plus de son statut de chef
opérateur du Son, Maxime Gavaudan s'est lancé dans la production
de films en région au travers de sa société Bellavox.Il se
dit déçu par la politique des collectivités en
région Paca, qui soutenaient par le passé les réalisateurs
Marseillais, mais qui aujourd'hui préfèrent soutenir des films
ayantplus de visibilité.
Il considère que le manque de production en
région n'est pas seulement du à la centralisation, mais aussi
à la qualité des films produits. La nouvelle
génération filme avant d'écrire le film ; il faudrait
plus de formation en région pour promouvoir l'écriture et la
production de films documentaires.
Ce manque de qualité se conjugue à un
problème de volume de films produits. Selon lui, les
sociétés de production devraient baisser leur marge qui tourne
actuellement autour de 30%.
I.2.3 Un système parfait existe-t-il?
Lors de ma rencontre avec Jean-Pierre Cellard, j'ai pu
échanger sur le système Français. Selon lui, il devrait
évoluer, et se diriger vers le même type de système qu'en
Angleterre : La BBC détient trois chaines nationale de
télévision. Elle réalise et produit ses propres
documentaires, sous trois lignes éditoriales différentes,
traitant de divers sujets sociétaux (comme la drogue et
l'homosexualité). Ses techniciens sont alors des fonctionnaires. Il n'y
a pas de publicité, et les chaines sont financées par la
redevance audiovisuelle payée par les anglais chaque année (ce
qui représente 96% des revenus du groupe).
II. LE CHEF OPÉRATEUR DU SON EN
DOCUMENTAIRE
Jean-Pierre Duret: "Quand on décide de faire une
prise de son en documentaire, on a envie d'enregistrer le son du
monde."19(*)
Nous nous intéresserons dans cette seconde partie aux
missions que doit remplir l'ingénieur du son en documentaire. Au cours
de cette présentation, nous décrirons l'équipement dont il
a besoin pour mener à bien ses missions puis nous aborderons
l'évolution de sa pratique et les relations qu'il entretient avec
l'équipe de tournage.
Il faut cependant préciser un point important:
l'ingénieur du son en documentaire travaille seul dans sa pratique du
son, il n'a ni perchman avec lui ni de second assistant. Il se doit de remplir
le cahier des charges de deux personnes: percher et mixer. Il est à la
fois dans une écoute technique du son et dans une écoute
discours-sensible.
Lors des entretiens menés dans le cadre de ce
mémoire, un certain nombre de professionnels ne pouvaient
détacher le travail de l'ingénieur du son en documentaire de
celui de fiction. Ils considèrent en effet que les deux pratiques
peuvent différer sur un certains nombres de points mais qu'au final,
elles s'enrichissent mutuellement.
Un autre point important, cette partie n'est pas là
pour généraliser la pratique du son en documentaire. Tous les
ingénieurs du son sont différents, ils possèdent tous des
caractéristiques qui leur son propres: techniques, artistiques,
esthétiques. Cette partie rend compte de ma vision de la prise de son en
documentaire et de celles d'ingénieurs du son qui ont accepté de
me rencontrer.
"Il y a une dimension fondamentale dans le documentaire,
c'est de se laisser porter par les évènements. On n'a moins les
moyens de contrôler l'imprévu qu'en fiction. En fiction, on essaye
d'éliminer les bruits parasites, des ambiances dérangeantes. On
s'en remet au montage afin de pouvoir inter-changer chaque moment de tournage.
On part d'une espèce d'aseptisation du milieu sonore que l'on a à
rhabiller par la suite.
En documentaire, on travaille avec une matière
sonore que l'on ne contrôle pas. On veut ce raccord entre le bain sonore
et le sujet."20(*)(Henri Maikoff)
II.1. ÉVOLUTION DU MATERIEL DE PRISE DE SON
Maxime Gavaudan : "Toute l'astuce du documentaire:
c'est d'avoir une légèreté d'équipement, de
mobilité, de pouvoir être à la bonne heure, au bon endroit,
pour tourner la bonne séquence. J'ai participé comme
ingénieur du son à des documentaires ou l'image était plus
belle que des films de fiction, pourtant, nous n'avions pas besoin de
lumière additionnelle."21(*)
II.1.1 Le Matériel de prise de son
L'ingénieur de son en tournage documentaire est
aujourd'hui quelqu'un d'autonome qui bénéficie d'une grande
mobilité de mouvement. Comme me l'a dit Vincent Magnier, être
preneur de son, c'est « être dans une forme
d'artisanat », ce qui en fait « un métier
passionnant, manuel et pratique ».22(*)
L'avènement des enregistreurs sur Bande de type Nagra
IV-S à la fin des années 60 a permis à l'ingénieur
de sortir du studio, de faire de la rue son terrain de jeu, de manière
plus autonome et plus simplement. Plus récemment, la miniaturisation des
composants électroniques lui a permis d'être encore plus discret
et de faire preuve de plus de souplesse dans son travail. Il faut
préciser que ces évolutions techniques du matériel Son
furent corréléesaux évolutions techniques de la prise de
vue.
Enregistreur Multipistes.
Sans rentrer dans de grandes considérations
techniques, il y a eu de nombreuses évolutions ces dernières
années. En effet, depuis le NAGRA IV-S mentionné un peu plus
haut, les enregistreurs audio ont beaucoup évolué jusqu'à
aujourd'hui et n'ont que peu à voir avec leurs ancêtres :
Enregistrement audionumérique jusqu'à 8 pistes ou plus, grande
autonomie, ergonomie améliorée, possibilités de routing et
de prémix, etc. L'exigence sonore va souvent de pair avec le prix de
certaines machines de dernières générations. Il faut
compter entre 5000 et 10 000 euros en moyenne pour un enregistreur multipiste
de qualité professionnelle comme on en trouve sur les plateaux de long
métrage de fiction.
Contrairement à une caméra qui peut se retrouver
obsolète assez rapidement (compte tenu des évolutions techniques
en la matière), un enregistreur professionnel de tournage peut
être toujours performant 10 ans après son acquisition.
Le marché grand public propose des enregistreurs
multi-piste à bas coup. Ces petits enregistreurs semi-professionnels
peuvent s'avérer utiles en complément de l'enregistreur
principal. Leur utilisation pouvant être préconisée lors
de prises de son où la sécurité du matériel ne peut
être complètement assurée. Cependant, leur fiabilité
est perfectible et ils présentent en général une moins
grande tolérance envers la chaleur, le sable, la pluie et les chocs
qu'un enregistreur professionnel.
Le chef opérateur en documentaire cherche avant tout
un appareil polyvalent et fiable, lui permettant de fournir un travail de
qualité, et pouvant répondre à 99.99% des situations de
tournage. De nombreux ingénieurs du son se tournent aujourd'hui vers le
633 de Sound Devices qui remplit toutes les caractéristiques
citées plus haut, tout en présentant un tarif raisonnable. Cet
appareil offre un concept de mixette-enregistreur sur carte CF ou SD. Cette
démocratisation du multipiste a permis une nouvelle manière de
travailler dans le documentaire, en s'affranchissant du traditionnel
enregistrement bi piste sur la caméra.
Comme le rappelle Henri Maikoff, avant le passage au
numérique, de nombreux ingénieurs du son enregistraient leur
bande sur un Nagra Bi-piste type Nagra IV-S. "Le mélange Perche HF
était coulé dans le bronze. Il y a avait des contraintes
énormes, la surmodulation de 10dB était fatale, on entendait le
souffle. Les mélanges HF sur une piste était
définitif."23(*)
La norme est maintenant de livrer un mix sur la caméra
et en parallèle, des pistes éclatées, ce qui permettra au
monteur image d'avoir une proposition sonore dès le montage. Quand aux
Pistes éclatées (ou ISO), elles pourront être
récupérées et utilisées si nécessaire, par
le monteur son.
L'écoute au casque.
Les conditions de prise de son en tournage imposent
l'utilisation d'un casque audio qui isole des bruits extérieurs. Vincent
Magnier m'a ainsi précisé que dans sa pratique de la prise de son
en documentaire, il "faisait confiance à son casque
d'écoute"24(*), pour justement se focaliser sur l'écoute et
ne pas trop regarder ses niveaux d'enregistrements. En faisant confiance
à ses oreilles, qu'il considère comme son meilleur indicateur de
niveau, il peut ainsi percher de manière optimale, à deux mains,
tout en regardant la personne concernée pendant son
entretien/interview.
C'est ce que Lucien Balibar appelle dans son livre le
référentiel constant.25(*)
Contrairement aux enregistreurs, le casque est un
élément qui n'a pas particulièrement évolué
depuis sa création. Il est là pour permettre à
l'ingénieur du son de contrôler la qualité de la bande son
qu'il est entrain d'enregistrer. Le SENNHEISER HD 25 est de loin le casque le
plus utilisé dans le milieu professionnel de la prise de son à
l'image. Son isolation importante, son rendu dans les basses fréquences
et son faible poids font de lui le casque idéal pour une utilisation sur
le terrain. Par ailleurs, sa faible impédance (70 ohms) permet d'obtenir
facilement un bon niveau d'écoute sans vider trop rapidement les
batteries de la mixette ou de l'enregistreur portable.
Le microphone.
Lucien Balibar : "Le micro, c'est le pinceau du
peintre, c'est l'objectif du photographe, c'est le ciseau du sculpteur. Il est
le premier maillon de l'enregistrement sonore, au contact immédiat de la
source."26(*)
En documentaire comme en fiction, le microphone est choisi
avec une attention particulière par le preneur de son. Sans
généralité, un microphone avec une directivité
prononcée comme un hyper cardioïde ou semi-canon, sera
privilégié par le preneur de son. Ces microphones ont une bonne
capacité d'atténuation des fréquences qui n'arrivent pas
dans l'axe de la prise de son. Une des contraintes du preneur de son de
documentaire est qu'il ne peut pas maitriser l'acoustique d'une pièce ou
les fonds sonores bruyants.
Il n'y a souvent pas de repérage en documentaire, pas
d'équipe régie pour bloquer une rue ou demander à quelques
voisins de faire moins de bruit. Le lieu dans lequel la personne est
filmée peut être sa maison, son lieu de travail et non pas un
décor factice, modifiable à volonté pour faciliter le
tournage, comme en fiction.
Ce micro très directif est alors positionné au
bout d'une perche que l'ingénieur du son détend à la
taille adéquate pour aller la positionner le plus prêt de la
personne filmée.
Evidemment le comportement du microphone sera directement
lié à son installation sur la perche et au type de suspension
utilisé...
Une perche se doit d'être légère,
maniable, rapidement rétractable pour permettre au preneur de son
d'être à la bonne distance de la personne filmée et sans
que le micro ne rentre dans le champ de l'image. Il existe deux marques de
perches particulièrement utilisées en France : VDB et
AMBIENT. La première, VDB, est préconisée en documentaire
pour sa légèreté, la proximité avec les gens est
souvent recherchée dans le documentaire, que cela soit dans des
situations de vie ou durant des entretiens. La deuxième, AMBIENT est
plus connu pour sa robustesse, qualité nécessaire en fiction
où la perche peut être détendu à 5-6 mètres.
(Taille L). Pour le documentaire, la taille M sera plus utilisée, elle
s'adaptera plus facilement à des lieux de tournages exigus.
La suspension qui relie le micro à la perche est d'une
importance capitale, car elle minimise les bruits de manipulation, surtout
lorsque le technicien se retrouve à percher à une main. Il faut
noter qu'avec une suspension de grande qualité comme une CINELA OSIX,
par exemple, c'est la réponse en fréquence du micro qui sera
également améliorée, plus linéaire et avec une
bande passante étendu dans le grave.
Même si les micros miniatures se sont
développés, le micro au bout de la perche reste le système
principal de l'ingénieur du son en documentaire. Cet acte transparent
permet de rendre "proactif" le preneur de son comme l'explique Pierre Alain
Mathieu. "Quand tu décides de tourner certaines
séquences d'un film documentaire uniquement à la perche, tu te
retrouves dans un engagement de la relation. Les gens comprennent que les
choses sont différentes si tu ne leur as pas posé de micros sur
le torse. S'ils veulent se taire; ils se taisent, s'ils veulent parler ils
parlent.C'est une manière d'être dans l'espace et dans la
relation. Le principe même de la prise de son est qu'il n'y a pas de zoom
possible. Tu ne peux pas cacher que tu es entrain de filmer, tu es dans un acte
transparent, cela influe une dynamique autre."27(*)
Il faut différencier la qualité du son à
la perche et sa fonction de présence. J'ai la sensation que les
personnes filmées pensent que si le micro n'est pas pointé vers
eux, ce qu'ils ont à dire n'est pas enregistré par
l'ingénieur du son. Cette position du micro axée sur tels ou tels
personnes peut devenir un élément de mise en scène, en
donnant ou en ôtant la parole. La perche peut aussi influencer le travail
du cadreur, en suggérant des tailles de cadres (plan large,
serré, etc..), en fonction du lieu et du bruit ambiant.
Les liaisons Sans Fil (ou systèmes HF).
Tous les preneurs de son que j'ai rencontrés sont
d'accord sur le rôle important du micro cravate en fiction comme en
documentaire.
Les micros miniatures à électret,
positionnés sur le torse de la personne filmée, permettent dans
des situations où le micro principal montée sur la perche est
trop loin de celle-ci, de conserver l'intelligibilité de la voix et de
préserver le discours.
Laurent Lafran reconnaît par exemple, que grâce au
HF, il est possible de faire "un travail de prise de son dans des endroits
où l'on ne pourrait pas le faire". 28(*) Cela a donc ouvert à de nombreuses nouvelles
perspectives de tournage.
Ainsi, les liaisons HF ont mérité une place
prépondérante dans le travail des ingénieurs du son,
surtout en documentaire où les situations filmées ne sont pas
répétées en amont. Comme le précise Yves Capus
"Mon rôle en documentaire est un rôle de témoin. Je
témoigne d'une situation, d'un moment, d'une géographie, d'un
temps. Pour témoigner, je dois amener des éléments sonores
plus larges que la situation sonore que décrit le film.
Un documentaire uniquement à la perche, je n'en ai
fait qu'un. Au Cambodge, à l'époque, les Hf ne s'étaient
pas encore démocratisés. C'est le meilleur documentaire que je
n'ai jamais fait."29(*)
Laurent Lafran pointe un fait important sur le placement des
micros cravates en documentaire: si l'on décide d'équiper
certaines personnes au dépends d'autres, il peut se produire une
hiérarchie de la parole. Ne pas en mettre rendra plus ardue la
tâche du preneur de son mais respectera l'équité entre les
personnages.
L'utilisation du Micro cravate peut malheureusement dans
certains cas empêcher l'ingénieur du son de se concentrer
pleinement sur le placement de sa perche qui reste son micro principal.
Dans la situation où l'ingénieur du son
décide d'équiper deux personnages filmés de micro cravate
et de percher en même temps, il est obligé de diviser son
écoute au casque: son oreille gauche écoute le son du micro
perche et son oreille droite écoute une sommation des deux HF
posés sur les personnages filmées. C'est le principe de la double
écoute mono.
Ce principe n'est cependant pas toujours efficace et peut
même s'avérer frustrant comme me l'a expliqué Vincent
Magnier. Il peut arriver qu'en post-production, il se rende compte que
l'ingénieur du son a mal posé les deux micros HF, donnant de
mauvais résultats comme un son étouffé ou suite à
des frottement de la capsule sur les vêtements. "S'il avait pris le
risque de ne travailler qu'à la perche avec un microphone à
directivitéhypercardioide au bout, j'aurais passé 2 minutes
à faire des EQ et j'aurai eu du temps pour chercher une ambiance
adéquate. Les HF sont des outils qui peuvent devenir
piégeant"30(*)
Cependant, il est important de signaler que l'utilisation des
micros cravates a aussi changé notre perception de la place de la voix
dans un film. Le spectateur est habitué aujourd'hui à avoir une
voix au premier plan, très présente, très intelligible, un
peu à l'américaine. Les micros cravates, de par leur placement
à proximité de la bouche ont peu à peu aboli la notion de
plan sonore.
Comme me l'a expliqué Henri Maikoff "Au
début, le micro cravate était un accessoire exotique qui
permettait l'intelligibilité dans des milieux extrêmement
contraignants ; de rattraper des rapports de voix improbables. Leur utilisation
a changé la mise en scène. Le rapport à l'entendu et le
vu, le rapport entre largeur du plan et largeur du plan sonore ont
profondément été modifiés.
C'est devenu un outil complètement quotidien, une
addiction auditive.31(*)
La synchronisation Image-Son.
L'envoie des signaux audio dans la caméra a longtemps
été le moyen le plus simple et surtout le plus économique
en documentaire.
La synchronisation des rushs en vidéo peut prendre du
temps et donc coûter cher.
Loin est le temps du système de synchronisation
à partir du quartz, mis en place par Allan Pennebaker et Richard Leacock
au milieu des années 60 dans des films comme Don't Look Back ou
Monterey Pop.
Aujourd'hui, il existe de nombreux moyens de permettre une
synchronisation de l'image et du son de manière rapide. Le Record run,
le Free run, effectuer une synchronisation par Time code, etc. Il existe des
boitiers externes Type TENTACLES SYNC qui s'adaptent à toutes
les caméras, tous les DSLR, ils sont les plus utilisés en
documentaire pour leur simplicité et leur taille réduite.
La synchronisation image-son en documentaire a
été le gros enjeu des cinq dernières années en Post
production.
Cédric Genet affirme ainsi que "le preneur de son
peut proposer aujourd'hui quasiment des outils de fiction à un
réalisateur de documentaire, chose qui paraissait impossible il y a 10
ans."32(*)
Ces boitiers de synchronisation permettent aussi à
l'ingénieur du son de ne plus avoir à claper face caméra.
En documentaire, il est parfois essentiel d'être discret, de faire preuve
de retenue pour ne pas "casser" une dynamique particulière. Ce geste de
"clapper" ramène peut-être à quelque chose de trop
fictionnel, de trop rigide. Ce geste laisse moins de place à
l'imprévu. Johan Van der Keuken et sa femme preneuse de son avaient pris
l'habitude de claper à la fin de la scène pour gêner le
moins possible les personnes face caméra.
La sacoche de tournage, "audio bag" à
l'épaule.
La "malle" fut la première étape pour
l'ingénieur du son dans sa quête de capter le réel en
dehors des studios. Elle était encombrante et devait être
posé sur une table.
En documentaire, la sacoche de tournage est quelque chose
d'indispensable pour le preneur de son. Il doit réussir à
être autonome, afin que les mouvements de caméra puissent
être suivie de près.
Tout avoir dans la même sacoche, enregistreur, mixeur,
casque, batterie, consommables, liaison Hf permet de pouvoir suivre tous les
mouvements de caméra. Le technicien son a une grande mobilité
qui lui permet de se placer comme il le veut, proche ou loin de la
caméra. Le principe de mobilité permet de se placer plus
rapidement dans la situation la plus confortable pour travailler.
Pour Frederic Salles, l'ergonomie est quelque chose de
fondamental pour le preneur de son. C'est pour lui aussi important de
travailler avec son propre matériel, celui que l'on connait et que le
technicien n'a pas besoin de regarder, afin de se laisser plus de temps pour se
concentrer sur le fond.
Le fait que le preneur de Son ait une forme de mobilité
est à rapprocher du principe d'autonomie qui caractérise sa
pratique du documentaire. Pour Yves Capus il y a une différence
d'autonomie en documentaire et en fiction."En documentaire l'autonomie
dépend de la situation dans laquelle tu es, elle dépend de ce que
tu vas filmer, du contexte. En fiction, au contraire, elle dépend de
l'équipe, de l'organisation du tournage."33(*)
II.1.2 Les missions et aptitudes de l'ingénieur du
son
Laurent Lafran : "Le métier de chef
opérateur est une question de posture, de positionnement, de relation
aux autres. C'est pourquoi je fais ce geste. Au départ, on est dans une
forme d'absolu.
Le réalisateur est très occupé pour
pouvoir s'intéresser au son, c'est pour cela que l'on a une
liberté."34(*)
L'attrapeur de discours.
La responsabilité de l'ingénieur du son en
documentaire est d'enregistrer le discours, rendre compte de la voix des
personnes filmées. Il recueille leur voix, leur émotion. Il rend
compte du fragile, du sensible d'une parole captée.
Vu que les situations ne sont pas
répétées, il est dans une improvisation permanente de la
captation de la parole.
Quand il perche une ou plusieurs personnes en même
temps, il se doit d'observer corporellement le comportement des gens pour
anticiper le moment ou ils vont prendre la parole.
Christian Canonville"En choisissant un microphone et en
réglant la distance de travail selon l'acoustique ou le bruit ambiant,
le preneur de son définit la netteté des contours et
cisèle les traits de la source sonore. Avec la souplesse du chat, il lui
faut louvoyer silencieusement entre les obstacles, ne pas entrer dans le cadre
de l'image, ne pas créer d'ombres portées sur les murs
échapper aux reflets, ne pas heurter la perche. Son activité
relève à la fois de celle du chasseur de papillon qui doit capter
son lépidoptère sans le détruire et celle du calligraphe
qui, avec l'intelligence pratique un art stylé du mouvement."35(*)
Le chasseur de son et de sens.
Cédric Genet : "La principale mission d'un
ingénieur du son en documentaire est de ramener la totalité des
éléments sonores nécessaires au réalisateur, ce qui
lui permettra alors de raconter son histoire de la meilleure façon qu'il
soit."36(*)
Une des autres missions est d'apporter beaucoup de sons au
réalisateur pour qu'il puisse façonner sa bande son au montage.
Cela passe par des ambiances, des sons seuls.
Frederick Wiseman a par exemple comme règle de
n'utiliser dans ses films que des sons qui ont été
enregistrés au moment du tournage.
Evidemment, de nombreux réalisateurs ont compris que
cette volonté de "Véracité sonore" pouvait avoir ses
limites.
D'autres réalisateurs n'ont pas vraiment d'idée
précise des ambiances qu'ils veulent pour leur film documentaire, le
preneur de son est là pour être force de proposition.
En fiction, les ambiances sont enregistrées en
évitant toute sensation de premier plan, le but de cette pratique est
d'obtenir un arrière plan homogène. Au contraire comme nous le
précise Laurent Lafran, en documentaire, l'ingénieur du son
fournira une ambiance plus construite, ayant moins de temps et de
contrôle sur son environnement. Il y aura donc moins de mise en
scène.
Henri Maikoff m'a précisé sa démarche sur
Le pays des sourds de Nicolas Phillibert"J'ai commencé la
prise de son à l'époque de la pellicule. Nicolas Philibert
tournait 6 bobines par jour, ce qui correspondait à une heure de rush,
c'était considéré comme dément au début des
années 90.
On donnait comme apport au montage, beaucoup d'ambiances,
beaucoup de son seul.
Aujourd'hui avec une somme de 4-5h de rush par jours, nous
n'avons plus le temps de faire des ambiances, ou très peu. On se doit de
livrer beaucoup d'éléments déjà présents
dans les rushs."37(*)
Pour pallier à ce manque de temps accordé au son
seul pendant les rythmes soutenus de tournage, Henri Maikoff a mis en place un
système de prise de son spécifique pour la captation d'ambiance.
Il a installé sur sa sacoche de prise de son un couple MS
miniaturisé. Cela lui permet d'enregistrer en même temps le micro
positionné sur la perche et le couple MS stéréo pour les
ambiances raccord.
Il n'a pas préconisé le système de prise
de son MS qui enferme dans la même cage de protection, le micro
très directif et le microphone bidirectionnel, dit "à lobe
de directivité en 8". Il considère que son système maison
permet de restituer un autre plan sonore que celui de la voix personne
filmée.Sur des scènes longues en plan large par exemple, cela lui
permet d'avoir la circulation des voitures qui passent en stéréo.
Quant à sa perche, elle récupère l'intelligibilité
et les détails de la voix.
Il y a quand même un inconvénient à ce
système ingénieux selon lui. En effet, le MS étant
très proche du corps du technicien, il est assez difficile de ne pas
enregistrer ses propres bruits de déplacements par exemple.
Certains ingénieurs du son ne font pas d'ambiances dans
d'autres espaces que celui qui correspond à la séquence. C'est
important pour des raisons acoustiques et pour des raisons psychologiques.
Fréderic Salles appelle cela être dans l'état d'esprit de
la scène : "Tu as conscience de ce qui a été
filmé dans la journée et si tes ambiances vont être
cohérentes avec ce qui a été enregistré. C'est une
question de connexion émotionnelle avec le film." 38(*)
Yves Capus a créé son propre système de
prise de son l'Ambitionic qui lui permet de témoigner de contextes
sonores entier sur 360 degrés. Selon lui, le preneur de son doit
témoigner de paysages sonores dans lequel évoluent ses sujets,
dans le but d'éclairer ce qui lie les personnages à l'histoire.
Son résultat devient alors une trace mémorielle, qui donne un
regard exhaustif de la situation.
Dans le but de répondre aux mieux à ces
différentes missions, le preneur de son doit posséder certaines
qualités et mettre en oeuvre une méthodologie adaptée au
contexte de la prise de son en documentaire.
L'anticipation est source de discrétion.
Prévoir ce qui pourrait se passer, c'est
déjà une manière d'agir. L'ingénieur du son en
documentaire n'a pas souvent l'opportunité de faire des repérages
des lieux de tournage. Il devra en fonction des précisions que lui
donnera le réalisateur, essayer d'anticiper les difficultés qu'il
pourrait rencontrer selon les situation, avoir déjà une vision
à peu près claire des micros qu'il pourrait utiliser.
Il faut qu'il se réserve des marges de
sécurité afin de mêler efficacité et qualité.
Il se doit, par exemple, d'avoir toujours à disposition des micros
prêts à être installés rapidement et les poser s'il
estime que cela est nécessaire. Il se doit d'être réactif
en essayant de répondre aux contraintes techniques qui découlent
du documentaire.
Pour Godefroy Georgetti, le preneur de son en documentaire
doit être capable de trouver une solution rapidement afin de ne pas
louper le moment décisif, moment qui pourrait ne jamais se
reproduire.
L'adaptabilité : Savoir répondre à
l'imprévu.
L'une des principales qualités de l'ingénieur
du Son en documentaire est son adaptabilité. Il doit, entre autre,
s'accommoder aux lieux, aux demandes du réalisateur, et aux personnages
avec qui il interagit. Comme me l'a fait remarquer Emmanuel Desbouiges, un bon
ingénieur du son en documentaire doit avoir le courage d'affronter
l'environnement externe dans lequel le tournage du documentaire évolue,
comme par exemple, demander aux personnes qui sont externes à celui-ci
de faire moins de bruit. L'ingénieur du son doit être
également discret, rapide et efficace.
Il y a un sentiment plutôt partagé par les
professionnels rencontrés dans le cadre de ce mémoire :
l'idée que l'exigence technique et qualitative du son ne doit jamais
prendre le pas sur le fond, et qu'elle ne doit pas engendrer des frustrations
chez le réalisateur. La démarche du preneur de son en
documentaire est à remettre dans une cohérence entière. Il
oeuvre pour répondre aux exigences d'un réalisateur, il est un
rouage du dispositif technique pensé par l'auteur. Par ses exigences
démesurées, il peut brider des moments qui auraient pu
fonctionner.
Comme l'explique David Diouf:"Il y a pleins de moments
où j'ai accepté de faire un son moyen car je savais que
c'était au service du film, être trop exigeant quant à la
qualité de ta prise de son peut desservir le film. Le but est de ne pas
avoir le césar du meilleur du son. C'est de faire le meilleur film
possible." 39(*)
Il n'est jamais facile d'accepter ce qui n'est pas conforme
à des prévisions ou un plan préétabli. Cependant,
la force d'un film documentaire peut venir de personnages, ou de
séquences inespérées.
En acceptant de ne pas pouvoir tout contrôler dans sa
prise de son, le preneur de son permet d'accentuer, de renforcer ce qui n'avait
pas été pensé au moment de l'écriture du projet et
pendant sa mise en chantier : l'imprévu.
Mario Ruspoli donne une définition remarquable de la
place que doit avoir l'imprévu dans un tournage de documentaire "Il
faut qu'à chaque instant l'imprévu puisse s'amalgamer à la
ligne adoptée en tournage. Durant une interview au pied levé, il
est possible de tout à coup survienne un autre personnage, qui
n'était pas du tout prévu au tournage et qui se
révèle d'un intérêt plus grand. Il est impossible
de rationaliser la captation du réel, on ne peut rationaliser que la
technique et la psychologie de l'approche."40(*)
Documentaire/fiction: une approche différente de la
profession?
Lors de mes rencontres avec les professionnels du
documentaire, certains d'entre eux faisaient souvent des parallèles avec
leur activité de chef opérateur du Son en fiction. Il semble que
ces deux fonctions soient d'intensité semblable.
Une des principales différences est, nous l'avons vu,
la place laissée à l'imprévu. Le fait que les personnages
de documentaire ne soient pas dans un rôle mais jouent leur "propre
rôle" change la donne pour certains. D'autres ingénieurs du son au
contraire m'affirment qu'ils se comportent de la même manière avec
des comédiens ou avec des personnages de documentaire.
Maxime Gavaudan estime qu'il n'y a pas de différence
relationnelle à avoir avec un acteur ou avec un personnage de
documentaire. Les deux sont là car il existe un enjeu fort à
raconter. Si l'équipe de fiction ne met pas en confiance l'acteur, il
sera stressé. L'ambiance du plateau déteint sur le jeu des
acteurs, sur les choix du réalisateur.
Le chef opérateur du son en fiction travaille avec des
assistants. Il les dirige, collabore avec eux. Cela l'oblige à
posséder un autre regard sur le plateau, à faire des choix: que
prendre en IN, que laisser en OFF. Il est dans le partage du son alors qu'en
documentaire, sa direction n'appartient qu'à lui-même.
Pour Pierre Armand, l'ingénieur du son en fiction est
un métier très technique. Le documentaire, au contraire, c'est
faire preuve d'intuition, c'est laisser une place importante à
l'instinct. En documentaire, il y a de la vraie émotion; pas de
l'émotion recréée.
II.2. L'ÉQUIPE DE TOURNAGE EN
DOCUMENTAIRE
Cédric Genet m'a expliqué que tourner un film
documentaire est une affaire de compromis, d'images, et de sons. L'objectif est
de réussir à être en accord avec ses propres exigences et
les exigences du réalisateur pour que de belles choses puissent se
produire.
Dans cette seconde sous partie, nous développerons les
relations qu'entretient le preneur de son avec le réalisateur, le
cadreur et les participants au film.
II.2.1 Le rapport à l'équipe de
tournage
Godefroy Georgetti : "Je pense que la différence
entre un bon ingénieur du son et un moyen, c'est la capacité de
vivre avec les autres, capacité de s'entendre, de posséder une
souplesse dans sa pratique, tout cela devient un des paramètres les plus
importants.
Il y a moins de hiérarchies en documentaire, s'il faut
que je porte le pied caméra, je le porte."41(*)
Le preneur de son doit faire preuve d'intelligence: une
intelligence de l'espace, une intelligence de l'échange, une
intelligence de l'instant. Il doit avoir la clairvoyance nécessaire pour
être à la fois dans l'instant, dans la captation et dans
l'anticipation de l'espace et des défis techniques.
Un partenaire de chemin.
Quelque chose m'a interpellé lors de mon entretien
avec Pierre Armand. Il a bien insisté sur le fait que le
côté humain est indispensable lors d'un tournage de film. Pour
lui, c'est beaucoup d'intuition et de relationnel. D'où l'importance de
collaborer avec l'équipe lors d'un tournage. Des choses magnifiques
peuvent se produire en documentaire car les chaines de décisions sont
resserrées.
Le principal but du preneur de son est donc de collaborer de
la meilleure des façons avec le réalisateur, le chef
opérateur image et les personnages du documentaire. Son rôle est
de fournir la bande son la plus adaptée à la volonté du
réalisateur pour lui permettre de faire le meilleur film possible.
L'une des compétences spécifiques en
documentaire est une compétence humaine, le preneur de son doit parler
le même "langage" que le réalisateur. Il faut avoir la
capacité d'entendre et de traduire la démarche du
réalisateur pour la mise en scène du son à l'image. Le
travail en équipe réduite dans le documentaire, permet à
l'ingénieur du son d'avoir un statut privilégié avec le
réalisateur. Statut plus difficilement adaptable dans le tournage de
fiction.
Frédéric Sallesa bien traduit cette idée
en me disant que tout l'enjeu d'un documentaire, c'est que le Son fonctionne,
tout en trouvant, en tant que technicien, sa place dans l'équipe du
tournage. Il faut donc faire en sorte d'adapter son travail par rapport
à son environnement, environnement qui peut changer. Il est donc
important d'être polyvalent sur ce point.
Le premier spectateur du film.
Comme en fiction, le réalisateur passe du temps avec
l'ingénieur du son à lui faire part de ses envies, de ses
intentions. Le travail est différent de la fiction car même si le
réalisateur porte son film depuis longtemps, la façon dont il l'a
pensé au moment de l'écriture sera indéniablement
transformée par l'étape de tournage.
Ce travail de préparation peut permettre à
l'ingénieur du son de connaitre les goûts du réalisateur
lorsque c'est la première fois qu'il collabore avec lui. C'est une
étape importante pour lui car il commence à penser quel
matériel est plus adapté pour tel ou tel instant de tournage. Il
commence à envisager les difficultés possibles qu'il va
rencontrer dans sa pratique du son au tournage.
Cédric Genet me l'a bien illustré en me
racontant qu'une fois, un réalisateur lui avait demandé
d'organiser un "casting de micro" pour savoir lequel correspondrait le mieux
à tel ou tel personnages.
Ces instants de discussions possèdent une dimension
supplémentaire lors des moments de dérushage en équipe.
C'est une pratique facultative qui n'existait pas en documentaire avant
l'avènement des caméras numériques.
Fréderic Salles pointe du doigt un fait important,
celui de l'interprétation de la scène tournée.
"Ona beau avoir de l'expérience, il y des moments
qui nous échappent toujours. L'interprétation de ce que l'on fait
de ce qui s'est passé, sous nos yeux et nos oreilles, c'est quand
même une interprétation. Il y a des paramètres que l'on ne
maitrise pas, on peut avoir une idée de ce qu'était la
scène et puis finalement cela ne va pas passer du tout dans les
rushs.
On est entrain de regarder, d'entendre une scène
qui se joue sous nos yeux, nous n'avons pas le recul nécessaire. C'est
à rapprocher de la vie réelle, tu vas parfois analyser de
façon assez juste certaines de tes rencontres puis comprendre les choses
différemment avec un certain recul."42(*)
Le tournage d'un film documentaire ne se joue pas seulement
au moment ou la caméra enregistre. Il se crée lors des moments de
discussion entre les séquence, ou l'équipe de tournage prend du
recul sur ce qui vient d'être tourné. L'ingénieur du son et
le cadreur font part de leur enthousiasme ou de leur crainte sur la tournure
que prend le film. L'ingénieur du son devient à ce moment
là un confident, un appui de taille pour permettre au réalisateur
d'avancer.
Henri Maikoff admet l'importance de ces moments
précieux mais considère qu'ils se raréfient de plus en
plus, par manque de temps, mais aussi car il n'y a pratiquement plus d'instants
de libre entre les changements de lieux de tournage. Pourtant, selon lui, ces
moments permettent de voir comment la situation est abordée, de pouvoir
discuter autour d'une situation de tournage, et de donner ses impressions. Cela
permet d'orienter la suite. Et c'est dans ces moments-là qu'il est
précieux pour le réalisateur d'entendre ce qu'a pensé le
preneur de son, car c'est réellement le premier spectateur du film.
Il est important de préciser que certains
réalisateurs fonctionnent à l'instinct. Comme l'a remarqué
Maxime Gavaudan,"Certains cinéastes n'ont aucune certitude ni aucun
désir concret. Il faut pas poser trop de questions au risque de les
troubler"43(*)
Une Force de propositions.
La force de propositions que l'on demande à tout
techniciens de l'audiovisuel peut être pour le preneur de son, de tenter
de faire exister le hors champs.
Pour Emmanuel Desbouiges, réalisateur, le plus
important dans un documentaire, c'est le son, car l'image ne se
déclenche jamais. Quand le réalisateur filme dans un axe en
espérant que quelque chose va arriver, et que finalement, la tension
attendue arrive hors champ, à droite, un bon preneur de son va alors
aller chercher cette tension, sans forcément le dire. En effet, il va
prendre le risque de faire une proposition à l'extérieur du
cadre. Il va donc, indirectement, amener la séquence, et permettre
d'orienter le film vers quelque chose qui se passe hors champs.
Le preneur de son peut aussi être le troisième
de la caméra. Par les spécificités même de son
métier, entendre et écouter, il peut observer visuellement des
choses que le cadreur n'aura pas vues car occupé à gérer
la lumière, les mouvements de caméra, le cadre. Nous allons
maintenant nous intéresser à sa relation avec le cadreur.
Le cadreur et l'ingénieur du son : la fin d'une liaison
physique.
Dans de nombreuses situations de tournage, avant
l'avènement des enregistreurs multipistes, la mixette de
l'ingénieur du son était reliée aux entrées XLR de
la caméra par un câble en spirale. Il n'y avait pas la
possibilité d'enregistrements sur Carte SD des pistes ISO.
L'utilisation des liaisons Hf aujourd'hui a
désolidarisé le cadreur de l'ingénieur du son. N'est
transmis à la caméra, qu'un son témoin qui sera au montage
son, resynchronisé avec toutes les pistes séparées.
Cette sensation de liberté n'a cependant pas que des
points positifs : une bande passante réduite selon les modèles,
des transmissions plus ou moins stables qui peuvent avoir un impact sur la
qualité du son.
Mais ce câble, malgré son encombrement,
signifiait une collaboration physique voir même une complicité.
Comme l'explique Godefroy Georgetti, le câble jouait un
rôle sécuritaire car il permettait d'avoir un retour de ce qui
était enregistré sur les pistes son de la caméra. De nos
jours, du Son est toujours envoyé dans la caméra, mais en prenant
le risque que cela ne fonctionne pas correctement. Le câble
spiralé symbolisait en quelque sorte l'équipe, le lien entre les
techniciens. Actuellement, selon les situations, le preneur de son peut se
retrouver à vingt mètres du cadreur et se demander si la
caméra tourne ou non.
La présence de ce câble spiralé amenait
une proximité avec le cameraman qui ne pouvait oublier la
présence du preneur de son.
Pour Emmanuel Desbouiges, elle favorisait l'entente.Pour lui
aussi la liaison filaire jouait un rôle important dans la relation entre
le cadreur et l'ingénieur du son, car les preneurs de son qui ont
travaillé avec ce câble savent se placer dans un cadre.
Aujourd'hui, les liens entre les deux techniciens sont minimes, et de plus, il
est nécessaire d'utiliser un système HF supplémentaire
pour ramener le son, ce qui peut alors créer des contingences
matérielles.
Comme toute évolution technologique,
l'ingénieur peut tourner cela à son avantage en donnant à
entendre au réalisateur ce qu'il se passe sur le tournage. Le comtek ou
système d'écoute IFB permet au réalisateur, s'il le
désire, de savoir quel son est enregistré par l'ingénieur
du son en plein tournage. Cela peut s'avérer nécessaire lorsqu'on
filme dans un lieu très bruyant. Cela permet au réalisateur
d'entendre ce que dit la personne filmée.
Cependant, les réalisateurs de documentaire n'en sont
pas friands car ce n'est pas nécessaire dans la plupart des cas. C'est
à différencier de l'écoute en fiction où la scripte
et le réalisateur peuvent être amenées à se
retrouver éloigné du plateau. Yves Capus m'a ainsi indiqué
qu'il en prévoyait toujours lors d'un tournage, mais qu'en
général, les réalisateurs n'en veulent pas, car cela les
isole du contexte. Ca les empêche de parler correctement aux personnes
présentent sur le tournage et au final, leur écoute n'est plus
dirigée par eux, mais par l'ingénieur du son.
II.2.2 La relation "ingénieur du son-Participant"
dans le documentaire
Pierre Armand : "Le documentaire, c'est une question
d'engagement: personnel, civique, éthique, moral, politique. En tant que
technicien, nous avons une responsabilité lorsque la caméra
enregistre car par notre présence, nous pouvons influencer la tournure
que prennent les choses."44(*)
La déontologie du preneur de son.
Le chef opérateur n'est pas seulement dans un
apport technique mais aussi dans un rapport humain avec les personnages du
documentaire. Il se doit rapidement de mettre en confiance ses interlocuteurs
pour mener à bien les missions que sont les siennes.
Thierry Aguila affirme que le réalisateur ne doit pas
être le seul à créer une relation avec les personnages, le
preneur de son, le cadreur ont aussi un rôle fort à jouer.
"Dans mon film, Barça/Madrid, plus qu'un
match (2008) à force d'aller aux rencontres avec les supporters, de
prendre l'avion ensemble, l'équipe technique était
identifiée. Ils étaient plus que de simples techniciens de
cinéma. Nous faisions tous partie du système"45(*)
Le preneur de son doit aussi poser des micros cravates sous
les vêtements des personnes et il faut trouver le juste moment pour cet
exercice. Il faut également qu'il arrive à faire oublier la
perche avec à son bout, le micro.
Est-ce envisageable de parler de déontologie du preneur
de son en documentaire?
Cedric Genet estime que l'ingénieur du son ne doit pas
interrompre une discussion pendant le tournage documentaire car c'est prendre
le risque de casser ce qui est entrain de se passer. C'est donc à
l'ingénieur d'avoir le niveau technique pouraccepter "l'incident" qui se
produit, en ce souvenant que ce sont des personnes qui racontent leurs vies, ou
bien même, la vive, devant toi ; il n'y a rien de "
préparé", pas de script.
"Avant même de juger la qualité du son ou de
l'image que ramène le preneur de son, le plus important est de trouver
la meilleur manière de se comporter en tournage. Il faut réussir
à trouver les bons mots au bon moment"46(*)
Une discrète influence.
Certaines personnes peuvent être gênées
par la quantité de matériel dont peut disposer le preneur de son
pour mener à bien sa mission.
Que ce soit en intérieur ou en extérieur, elles
peuvent éprouver une gêne face au micro.
La plupart des gens ont aujourd'hui un téléphone
dans leur poche qui leur permet de mémoriser des moments de leur vie.
Ils n'ont plus vraiment de problème avec le fait d'être
filmé par une caméra ou même un appareil photo. Cependant,
ils n'ont pas le même rapport aux sons. Les premières fois
où ils se retrouvent avec un micro au dessus de leur tête, ils
peuvent éprouver une forme de timidité.
Il existe des méthodes qui permettent au preneur de son
de faire accepter le micro plus facilement. Il peut positionner le micro dans
l'axe du front et le micro sort alors du champ de vision de la personne
filmée. La qualité sonore sera préservée et dans le
même temps cela ne troublera pas la personne concernée.
La bonnette en poil ou « Windshield » en
anglais est un autre exemple de désagrément possible. Elle a
comme principale qualité de protéger le micro du vent lorsque des
séquences sont tournées en extérieur. Sur des micros
à haute directivité comme les Canon, Sennheiser 516, SchoepsCmit,
cette bonnette peut s'avérer très imposante et gêner, voir
bloquer la parole.
Pour David Diouf, afin de recueillir la parole des gens, il
faut donc évidemment une perche avec un micro entourée d'une
protection anti-vent, qui ressemble à une "moumoute". Pour faire oublier
celle-ci, il faudraque la personne filmée"soit plus en
présence d'un être humain que d'une moumoute".47(*)
L'acte d'équiper quelqu'un d'un micro cravate peut
aider à créer un moment spécial avec les personnes
concernées. Il faut essayer d'instaurer une confiance pour que la
personne filmée soit libre de dire ce qu'elle a envie de dire. Cet
intrusion dans l'intimité de quelqu'un que l'on ne connait pas peut
avoir des répercussions sur la suite des évènements. Il
faut être efficace tout en mettant en confiance la personne
concernée.
Ce n'est pas la même situation en fiction où la
plupart du temps les acteurs ont l'habitude d'en être
équipé quotidiennement.
Vincent Magnier m'a ainsi fait remarqué qu'il est
important pour le preneur de son, qui a un contact physique avec les
personnages lors de la pose des micros, d'être dans une relation
privilégiée avec eux. Cela compte même
énormément dans le cadre du tournage du film documentaire.
Yves Capus nous éclaire également sur cette
notion de confiance, l'équipe de tournage devant pour lui aussi,
instaurer un climat de confiance avec les personnes filmées. Un contexte
positif permettra aux personnages de comprendre que c'est un honneur de
partager cela avec eux, et inversement. Si ce contexte est bon, celui du
tournage le sera donc inévitablement. Il sera simple et direct.
Une démarche empathique.
A un moment de mes rencontres, j'ai commencé à
aborder la question de l'empathie, je ne savais pas comment cela serait
accepté par les professionnels rencontrés. Est-ce que l'empathie,
la compassion, la bienveillance avait sa place dans un tournage de film
documentaire?
Pour Emmanuel Desbouiges, réalisateur de films en
Nouvelle Calédonie, l'empathie est primordiale dans son approche de
documentariste. Il est important pour lui que l'ingénieur du son qui
l'accompagne soit sur la même longueur d'ondes.
Jean-Pierre Duret pointe un fait important qui
différencie la fiction du documentaire: le travail de l'acteur est un
travail de répétition, il peut recevoir des indications du
metteur en scène. En documentaire, il est très rare de refaire
les choses, la personne filmée se donne à voir bien plus qu'un
acteur qui est dans un rôle de composition. Celui qui est filmé en
documentaire, c'est sa propre existence qu'il met entre les mains du
réalisateur.
Au contraire, Yves Capus considère que l'empathie
empêche la distance, ce qui pourrait amener le preneur de son dans de
mauvaises situations. "C'est un moment que je partage de la meilleure
manière possible mais c'est un moment qui va s'arrêter. Je ne
pourrais pas grand chose pour eux, pas grand chose de plus que de faire
très bien mon travail."48(*)
L'après-Tournage.
Souvent, des relations intimes peuvent se créer
pendant le tournage, mais sont-elle pérennes, dépassent-ellesla
réalisation du documentaire?
Il m'est arrivé lors de certains projets sur lesquels
j'ai participé, de passer beaucoup de temps avec des gens. J'ai
réalisé qu'ils me touchaient, que j'aimais leur vision du monde.
Je me souviens en particulier d'un conducteur de calèche qui avait
choisi une vie de nomade, en compagnie de ses chevaux et de son chien. Sa
conception du voyage était différente de la mienne. C'est par le
documentaire que ce genre de rencontres est possible.
J'ai la sensation que quand je suis sur un projet documentaire
qui me tient à coeur, le moment du tournage est un chemin qui me rend
différent à la fin.
"C'est parfois dans les contextes les plus simples, dans
les situations les plus inattendus que tu rentres dans une humanité, que
tu as l'impression de dévoiler un toboggan."49(*)(Yves Capus).
Godefroy Georgetti m'a fait part d'une rencontre qui l'a
marqué "Un jour, nous étions avec un réalisateur chez
un instituteur dans la Drôme ; nous nous sommes jurés de
revenir le voir et nous ne l'avons jamais fait. Cela te fais te poser des
questions... Tu te rends compte avec l'expérience que des liens forts se
crééent le temps du film, mais que ces liens n'existent
qu'à un moment donnée, et qu'ils disparaissent avec le temps.
Nous ne sommes que de passage."50(*)
III. QUEL AVENIR POUR LA PRISE DE SON EN
DOCUMENTAIRE?
Nous nous intéresserons dans un premier temps à
certaines missions bien spécifiques auxquelles peut être
confrontées l'ingénieur du son aujourd'hui.
Nous nous pencherons également sur l'avenir de cette
profession.
III.1. VERS UNE ÉVOLUTION DE LA PRATIQUE
DOCUMENTAIRE
.
III.1.1. Des pratiques mouvantes
La double posture: réalisateur-cadreur.
Il arrive de plus en plussouvent que l'équipe de
tournage se réduise au chef opérateur Son et à un
réalisateur faisant office de cadreur.
Dans ce cas spécifique, qu'est-ce qui change dans la
relation et dans le travail quand le triangle, chef opérateur image/chef
opérateur Son/réalisateur, disparait?
David Diouf m'a expliqué qu'un réalisateur dans
une posture de cadreur aura sûrement peut-être moins de recul sur
ce qu'il est entrain de filmer et sur le futur montage de son film. Cependant,
de par sa double posture, il y aura sûrement un renforcement des liens
avec le preneur de son, la création d'une certaine forme de
complicité, dont résultera une approche plus concrète des
difficultés techniques.
Cependant, certains regrettent ce genre de situation. Pour
Frédéric Salles que j'ai également rencontré, le
dialogue à trois reste nécessaire pour animer la discussion.
Quand le réalisateur et le cadreur ne font qu'un, il y a une perte de la
communication non verbale, car le réalisateur aura toujours l'oeil sur
son image.
Cette situation peut amener l'ingénieur du son à
remplir des fonctions qui ne sont pas les siennes dans un tournage
classique.
Godefroy Georgetti parle d'un appui moral avec une fonction
plus large : l'ingénieur étant là, le
réalisateur pourra se reposer sur lui, et son aide deviendra donc
indispensable. Il pourra ainsi, par exemple, remplir la fonction de cadreur le
temps d'une séquence, si cela s'avère nécessaire.
Comme nous venons de le voir, le cadre de travail en
documentaire est mouvant. Les fonctions peuvent s'élargir, au
grès des situations que vit l'équipe de tournage.
Ingénieur du son sur un premier film.
Un des cas spécifique auxquels peut être
confronté le preneur de son en documentaire est la collaboration avec
des réalisateurs débutants.
Les ingénieurs du son rencontrés sontunanimes
pour dire que ce n'est pas chose simple pour un jeune réalisateur de
collaborer avec un preneur de son.
Ce réalisateur néophyte sait que le preneur de
son est là pour servir son film, cependant, parler le langage du son
n'est pas aussi évident que parler d'image.
Pour Yves Capus, cela peut-être très intimidant
et difficile à appréhender pour un jeune réalisateur, car
pour capter du bruit, il n'a en soit, pas besoin d'ingénieur de son, les
caméras pouvant remplir cette mission avec leurs micros
intégrés. La communication avec l'image est alors
immédiate, consubstantielle. Mais, si celui-ci désire donner
à son image plus de sens, de la perspective et des détails, alors
il a besoin du technicien son.
Henri Maikoff: "Notre travail, dans ces moments là,
est d'assumer une partie technique pour quelqu'un qui a des désirs. Nous
devons l'accompagner pour lui permettre de faire le film qu'il a
imaginé.Imaginons que nous avons prévu de tourner une
séquence particulière, malheureusement le sujet dérape,
notre rôle est de dire à ce jeune réalisateur de ne pas
couper, de ne pas fermer le hors-champs, d'accepter les dérapages,
l'imprévu."51(*)
Il peut aussi se produire que le jeune réalisateur
essaye de compenser son manque d'expérience par une fermeté
disproportionnée envers l'équipe de documentaire.
Frédéric Salles remarque qu'il faut apprendre
à déconstruire cette situation en l'accompagnant dans son projet,
en l'aidant le mieux possible à mettre en place ce qu'il a envie de
faire.
Le tournage multi-caméra.
Un des changements majeurs de ces dernières
années est la démocratisation du tournage multi caméra.
Dans ces dispositifs, le micro cravate devient vital, le preneur de son ne
pouvant anticiper les mouvements de deux, voir de trois caméras. Ils ne
peuvent alors plus être considérés comme des
éléments de sécurité, mais deviennent les micros
principaux du technicien. Ils permettront de fournir la matière
nécessaire au montage.
Pour Cédric Genet, tourner à deux voir trois
caméras rend possible plusieurs valeurs de cadres disponibles pour le
monteur-image. Ce confort permet au réalisateur de ne plus user du plan
d'illustration qui ne fonctionnait pas toujours.Le fait de tourner dans une
résolution de 4K lui permet aussi de zoomer dans l'image et d'avoir des
valeurs de plan plus serrée s'il estime cela nécessaire.
La double posture: Réalisateur-Ingénieur du
son.
Le réalisateur peut envisager, dans le cas d'un budget
réduit, de ne pas prendre la place du caméraman, mais de devenir
lui même ingénieur du son. Pour d'autres, être dans cette
double posture est une vraie stratégie de tournage.
Laurent Lafran m'a raconté lors de notre entrevue, que
le réalisateur israélien AviMograbi est l'ingénieur de son
de ses propres documentaires. Il s'est en effet rendu compte qu'en tournage,
l'équipe technique avait plus de sympathie et de bienveillance pour le
preneur de son que pour le cadreur, de part sa position de
« faiblesse », car il ne peut pas, par exemple, avoir
totalement le contrôle sur le hors champs et n'est pas toujours dans une
situation confortable avec tout son matériel. Le
réalisateur/ingénieur du son n'est donc plus dans la peau du
réalisateur maître. Et cela peut très bien fonctionner, car
dans ce cas là, c'est plus à un technicien que l'on parle
qu'à un réalisateur.
Comment expliquer que cette double casquette preneur de
Son/réalisateur puisse mieux fonctionner que celle de
cadreur/réalisateur ? Est-ce une histoire d'écoute?
Est-ceunrapport différent à la parole?
Godefroy Georgetti a quant à lui eu
l'opportunité de réaliser ses projets tout en étant
ingénieur du son; pour lui, cela a bien fonctionné car il a
l'habitude de travailler avec le même chef opérateur image, qui
comprend les problématiques qu'il peut rencontrer en tournage. Avec les
années, il a réussi à se concentrer sur deux formes
d'écoute : l'écoute technique et l'écoute
affective.
III.1.2 Une profession en voie de disparition?
Une démocratisation du matériel de tournage.
Depuis le début des années 2000, le
développement des caméras numériques a permis aux
réalisateurs de tournerleurs films à moindre coût.
Les journées de tournage ont également
évolué. Yves Capus m'a expliqué que quand des films
étaient tournés en pellicule, la limite était fixée
par la quantité de pellicule disponible. Maintenant, la limite
dépend de ce que l'équipe peut enregistrer durant la
journée de tournage.
Dans La gueule de l'emploi, documentaire
réalisé en 2011 par Didier Cros, le réalisateur
s'intéresse à une session de recrutement organisée par le
Cabinet RST Conseil pour le groupe GAN. L'ingénieur de son Vincent
Magnier m'a raconté que le réalisateur lui a demandé de
poser 24 micros-cravates. ; Le multipistes permettant aujourd'hui de
travailler comme sur des émissions de
téléréalité, tout le monde est alors
équipé d'un micro-cravate (dissimulé sous les
vêtements) et la perche est relayée au second plan. Le
réalisateur n'a alors qu'à réécouter toutes les
pistes pour monter son film.
Ces dernières années, l'appareil photo ou DSLR
comme le Panasonic GH ou le Sony Alpha 7, ont largement changé les
codes, de par leur faible encombrement et leur qualité d'image, pour des
appareils ne dépassant pas les quelques milliers d'euros. Tout est au
rendez-vous: viseur électronique, zébra, peaking, zoom
numérique et des formats d'enregistrement à ne plus en finir.
Certaines marques ont même mis au point des
systèmes son qui viennent directement s'intégrer sous le
boitier.
La marque américaine Tascam propose le DR-701D,
enregistreur audio de quatre canaux, avec déclinaisons
d'échantillonnages. La machine est capable d'enregistrer
simultanément deux fichiers avec des niveaux de modulation
différents, sécurité intéressante pour
éviter l'écrêtage numérique. Il propose aussi une
entrée time code et un générateur SMPTE. La fonction HDMI
permet d'activer automatiquement l'enregistrement audio sur le Tascam en
appuyant sur le bouton Rec de l'appareil photo. Le prix de ce boitier son est
de 499euros.
Nous sommes loin d'un enregistreur X2 de chez CANTAR ou du R4+
de chez SONOSAX, qui peut coûter vingt fois plus cher, pour les raisons
évoquées dans la partie II de mon mémoire.
Ce système image-son est peut être une bonne
alternative pour un réalisateur qui part faire des repérages tout
seul, et qui veut garder une trace.
Une marque spécialisée dans les micro haut de
gamme, DPA, a décidé de diversifier son offre en produisant une
nouvelle interface audio numérique le D:VICE MMA-A. Cette Interface se
branche sur un Iphone et se contrôle avec une application gratuite. Ce
Système a été conçu pour les journalistes mobiles
étant à la recherche d'une solution performante et simple
d'utilisation en situation d'interview ou lors d'une session d'enregistrement
d'ambiances stéréo.
La liste est longue...Sound Devices, basé dans
l'état du Wisconsin a également sortie le MIX PRE qui se
décline sous plusieurs formes (MixPre 10T, MixPre 10M). Pour des tarifs
plus que compétitifs, l'utilisateur sera en mesure d'enregistrer des
ambiances multicanal, avec un enregistreur très compact.
Nous pouvons donc en conclure que d'une certaine
manière, la démocratisation de ces machines performantes à
moindre coût, permet de donner au Son une visibilité, voir
même un intérêt nouveau. Cependant, elles ne pourront tout
de même pas totalement remplacer l'ingénieur du son et son
travail.
Une évolution de la post-production.
La post-production a elle aussi connu un tournant ces
derniers années, avec des plugins qui ont considérablement fait
bouger les choses.
IzotopeRx est un brillant exemple d'application
destinée à la télévision, journal
télévisé, documentaire, reportage et cinéma.
Pour Pierre Alain Mathieu, Izotope a permis de changer le
rapport au fond sonore, de nettoyer la voix des personnes filmées. Cela
rend le travail moins compliqué, surtout en fiction, car il est
maintenant possible de faire des prises de sons dans différents types
environnements. Par exemple, les chefs opérateurs se ne
préoccupent plus des sifflantes des HMI (Lampes Aux Halogénures
métalliques)
Aujourd'hui, les différents modules présents
sur la suite RX de la marque américaine Izotope permettent, par exemple,
d'atténuer les bruits produits par le vent sur la capsule du micro.
Une autre innovation appelée "Dé-rustle", permet
d'amoindrir des frottements du micro-cravate sur les vêtements.
L'option la plus connue, appelée le "De-noiser",
permet de creuser la dynamique utile entre la voix et les ambiances, pour
permettre au monteur son de monter ses "directs" de la façon la plus
pertinente qu'il soit.
Il faut cependant reconnaitre que ce genre d'action a un
impact sur les fréquences utiles qui composent la voix.
Quant au plugin Unveil de la marque Zynaptiq, il permet de
retravailler une voix enregistrée dans un milieu très
réverbérant.
La pertinence de ce genre de plugin de dernière
génération n'est pas à remettre en question, car ils
permettent aux monteurs et aux mixeurs d'avoir plus de souplesse dans leurs
pratiques. Néanmoins, elles ont causé du mal à la
profession de l'ingénieur du son, car beaucoup de boites de productions
y ont vu une opportunité de se passer des ingénieurs du son, avec
comme objectif de baisser les coûts du tournage.
L'ingénieur du son "Casse Gueule».
Comme nous venons de le voir, l'apport technique de certaines
solutions de post-production n'a pas rendu service au preneur de son, que ce
soit en documentaire ou en reportage.
Le fait que la place de l'ingénieur du son se soit
raréfiée ces dernières années a eu pour
conséquence qu'ils peuvent être aujourd'hui embauchés pour
des séquences plus "casse gueule".
Le preneur de Son est appelé par la production pour
intervenir dans des situations très spécifiques comme sur une
séquence où, dans un contexte très bruyant, un micro canon
posé sur la caméra ne suffira plus ; son expertise en prise
de Son peut être également nécessaire sur une
séquence de réunion à plusieurs personnages.
Cependant, son implication est tout de même
réduite sur le film. Il est dans une sorte de sauvetage du propos et du
discours. Il arrive en plein tournage et repart avant la fin. Disons qu'il est
appelé à la rescousse pour son expertise sonore.
Cédric Genet avoue que passer cinq jours sur un projet
au lieu de dix-neuf va certainement faire baisser le degré
d'investissement. L'implication émotionnelle n'est pas la même non
plus, un sentiment de frustration dans la manière de travailler pouvant
apparaître, mais il faut tout de même réussir à
donner entière satisfaction au réalisateur, pour lui permettre de
faire son film dans les meilleures conditions.
Vincent Magnier reconnait que dans son cas, s'il est
appelé en renfort pour quelques jours sur un documentaire, il
délivrera moins d'ambiances et de son seuls au réalisateur.
"J'ai une moins bonne connaissance du sujet donc je vais
avoir tendance à être un peu moins impliqué. J'ai par le
passé participé à de nombreux films historiques où
il nous arrivait de partir en tournage trois semaines d'affilée. Dans
ces conditions, tu as le temps d'enregistrer des ambiances qui serviront le
propos du film"52(*)
Est-il important pour le preneur du son de montrer qu'il est
une plus-value sur le projet ? Que sa présence est pertinente et
indispensable ? Selon Yves Capus, vu le financement du documentaire de nos
jours, si un réalisateur a exigé la présence d'un
technicien son, c'est indéniablement qu'il a des envies passant par le
son. Dans ce cas là, il faudra bien mettre en avant ses
compétences, et démontrer que le rôle de l'ingénieur
du son est essentiel (dans une situation délicate à tourner par
exemple).
Yves Capus s'est déjà senti comme un commercial
du son que l'on appelle soit pour des raisons pratiques soit pour des raisons
de "prestige".
La place de l'ingénieur du son en documentaire est
toujours à remettre en question, les projets changent, les dispositifs
de réalisation évoluent au gré des films, ainsi que les
enjeux. Pour Pierre Alain Mathieu "Le preneur de son doit
réfléchir à la place qu'il veut avoir dans une
équipe de tournage, mais il doit aussi réfléchir à
la place que l'on veut bien lui accorder. C'est un processus à
réinventer tous les jours"53(*),les choses n'étant pas figées.
La nécessité de polyvalence pour
l'ingénieur du son?
Le tournage documentaire se raréfiant,
l'ingénieur du Son peut se tourner vers d'autres activités
toujours dans le Son, son domaine d'application.
Dans la post-production par exemple. En effet, celle-ci va lui
permettre d'apprendre une plus grande compréhension des limites de sa
prise de Son en tournage.
En y participant, cela peut lui donner un autre regard sur le
tournage. En connaissant le travail du monteur et du mixeur Son, cela va
renforcer ses connaissances, notamment les limites à ne pas franchir en
tournage.
Connaitre la post-production permet aussi une interaction plus
pertinente avec le monteur image: back-up, arborescence, classement, gestion
des métadonnées.
Cette connaissance de la post-production permet à Yves
Capus de ne pas se créer d'enjeux insignifiants et de ne se focaliser
que sur ce qui est essentiel. Il a par exemple décidé de ne plus
faire d'ambiance raccord connaissant les possibilités de Pro Tools.
Cependant, en fiction, il se bat toujours pour avoir trente secondes de silence
avant le clap.
III.2. LE RÉALISATEURCHEF D'ORCHESTRE.
Guy Gauthier :"Pour les documentaristes qui partent
seuls aujourd'hui avec une caméra numérique légère,
capable d'enregistrer les images et les sons dans des circonstances peu
favorables, tout en disposant d'une économie appréciable,
l'évocation de l'équipe dite "groupe synchrone léger"
telle qu'elle commençait à fonctionner il y a quarante ans,
apparaitra comme relevant de la préhistoire d'un cinéma qu'on a
pris l'habitude d'appeler direct parce qu'il s'efforce de supprimer toute
médiation entre le cinéaste et le sujet filmé."54(*)
De nombreux films se tournent aujourd'hui avec un
réalisateur qui part tout seul sur le terrain, tel un JRI. Il compose
son cadre, pose les micros cravates lui-même, gère les
problèmes techniques, pensent à sa mise en scène et est
dans le relationnel avec ses personnages.
Cela paraît compliqué de gérer autant de
paramètre tout seul, pourtant, le réalisateur peut décider
de partir coûte que coûte en tournage et de remplacer à lui
seul, une équipe de terrain.
III.2.1Remplacer l'équipe de tournage
Raisons Financières.
LaurentLafran suppose qu'une des choses les plus difficile
à faire comprendre à une boite de production, c'est qu'il est
difficile d'écouter et de regarder en même temps.
Cependant, certains réalisateurs s'en sortent bien
seul. Dennis Gheerbrant est un bon exemple: avant de devenir réalisateur
de documentaire, il était opérateur de prise de vue. De part son
expérience de terrain, on peut s'imaginer qu'il aura moins besoin de
regarder, qu'il va cadrer naturellement, et donc avoir plus de place à
laisser à l'écoute.
Comme il le précise, "Quand je filme seul, ce qui
m'intéresse, c'est de casser le flux du vécu : on est dans une
relation, on interrompt la relation, et on entre dans un film. Mon regard ne
soutient plus la relation. C'est le fait de filmer qui est la relation. C'est
violent, c'est beau et c'est fort, et là on fait un film pour les autres
qui n'est jamais l'enregistrement d'une relation."55(*)
Il a donc réussi à tourner à son avantage
le fait d'être le seul lors de la réalisation de son film.
Cependant, le fait de tourner seul peut clairement contraindre
la mise en scène.
Pour Pierre Alain Mathieu, le fait de ne pas avoir
d'équipe a pour conséquence des contraintes du point de vue
cinématographique, dans le sens où on ne peut plus
répondre correctement à différentes formes
d'imprévue, n'ayant pas de soutient derrière.
Raisons relationnelles.
Certains réalisateurs de documentaire partent seul
pour des raisons de relationnel avec les gens, leur but étant de
créer une certaine complicité avec les personnages de leurs
films.
Jean-Pierre Duret est un chef opérateur du son
spécialisé dans la fiction, récompensé au
césar pour sa prise de son sur Michael Kohlhaas (2013) de
Arnaud Des Pallières.
En parallèle de sa carrière de preneur de son,
il réalise des films documentaires. Se battre est sorti en
2014.
Pour lui, le plaisir de faire du documentaire se trouve dans
l'acte d'écouter, mais surtout, de filmer soi-même. Il cadre
à l'oeilleton, faisant corps avec la caméra, et trouve la forme
que va prendre son film au fur et à mesure du tournage.
"On ressent d'une manière beaucoup plus importante
quand on filme soi-même la justesse de ce que nous sommes entrain de
filmer ou non. On le ressent physiquement. Je suis le premier spectateur, si
j'étais à côté, cela ne serait pas la même
chose. Il me faut cette liberté de pouvoir moi-même
décider de mes mouvements de caméra; cela me permet de me laisser
emporter par mes intuitions."56(*)
Etant lui-même technicien, il a conscience des
problématiques que celui-ci peut rencontrer: l'impatience, parfois le
découragement, la peur du vide, l'envie de s'occuper.
"Je connais cette peur du vide en tant que technicien et
je veux être seul à l'éprouver au moment du tournage. Dieu
sait qu'elle existe souvent en documentaire, c'est assez dur à vivre.Il
nous arrive en tant que réalisateur de parfois tourner pour rien, pour
nous rassurer. C'est aussi une raison d'être peu nombreux, pour pouvoir
accéder à quelque chose de différent. On se fond plus
facilement."57(*)
Lors de mes entretiens, il m'est arrivé de demander
aux professionnels s'ils comprenaient qu'un réalisateur puisse se passer
d'un preneur de son.
La réponse que j'ai obtenue de Pierre Alain Mathieu est
intéressante: il considère que l'acte de filmer n'est pas une
relation binaire, du réalisateur au personnage. Faire un documentaire,
c'estcréer dans des relations triangulaires qui rendent le film
possible.
Il reconnait également les côtés
négatifs inhérents à chaque équipe de tournage:
moins de place, plus de temps de préparation et les tensions possibles.
Dans le milieu du documentaire, on peut être vexé, blessé,
mais le fait de ne pas avoir d'équipe de tournage ne résout pas
ces éventuels problèmes rencontrés.
Frederic Salles pense qu'il n'y a pas de règle, ce
n'est qu'une question d'habitude. "L'enjeu de mon travail en documentaire,
c'est précisément de faire en sorte que la personne filmée
m'accepte. Une fois que ma place est assumée et approuvée, le
micro trouve sa place tout seul. C'est exceptionnel quand tu réalises
que les personnages sont proches de ce qu'ils sont vraiment."58(*)
Godefroy Georgetti m'a aussi expliqué que pour les
boites de productions, tourner sans ingénieur du Son permet de faire de
grosses économies. En ce mettant à la place du producteur, il
comprend que celui-ci puisse offrir plus de temps au réalisateur afin de
tourner des séquences en plus grand nombre.
III.2.2.Quel impact sur la qualité des films?
Comme nous l'avons vu, des solutions techniques existent pour
que le réalisateur puisse partir tout seul en tournage. Certains
réalisateurs ont conscience des difficultés que cela
représente de tourner en solo.
Des solutions techniques pour le tournage.
Emmanuel Desbouiges m'a dit que, la première chose
qu'il faisait lorsqu'il devait tourner sans ingénieur du son,
c'était de rencontrer en amont un technicien et de lui demander de
l'aide et des conseils sur le matériel et les différentes
techniques à utiliser lors de son tournage. Cédric Genet me l'a
d'ailleurs confirmé, en m'expliquant que, sachant qu'il n'y pas besoin
d'avoir un ingénieur du son sur tous les films (d'un point de vue
esthétique ou économique), il lui arrive d'avoir la visite de
réalisateurs devant travailler seuls sur un tournage. Il essai alors de
leur trouver un système de prise de son multipistes, avec une
synchronisation Image/Son facilitant leur travail.
Il utilisera alors ces conseils autour de ce qu'il va filmer
et selon les moyens qu'il aura en sa possession. En général,
Emmanuel Desbouiges pose sur sa caméra un micro très directif
comme le Sennheiser MKH80-50, et il s'est équipé au
préalable d'une bonne suspension et d'une bonnette anti-vent. Il admet
cependant, que même en ayant appris à équiper les
personnages de micro-cravate, le preneur de son est difficile à
remplacer. Mais on en revient toujours au fait que pour les productions et les
diffuseurs, c'est quelque chose de sensible, et que le budget n'est pas
forcément présent.
Cédric Genet: "Je ne suis pas dogmatique, il n'y a
pas besoin d'avoir d'ingénieur du son sur tous les films.Cette
volonté de travailler seul est soit esthétique soit est purement
économique. Dans ces moments-là, je peux me poser des questions
sur le travail de pré-production"59(*)
Sur Se Battre (2014) Jean-Pierre duret a
expérimenté un couple MS de taille miniature qu'il pose sur le
devant de sa caméra.
Il considère qu'en tournage documentaire, c'est la
situation qui dicte la manière de se comporter, et ce qui prime c'est
l'efficacité.
"Le couple MS est un micro mono couplé à un
micro en 8. Cela me permet de préserver la parole. Quand je suis entrain
de filmer quelqu'un qui parle et que je décide à un moment
donné d'aller filmer son interlocuteur entrain de l'écouter, la
parole de celui qui parle est préservé, la
bidirectionnalité du micro prend la relève.Plus on est simple en
documentaire, plus on est focalisé sur l'unique intérêt qui
est le sujet du film et la manière dont on va essayer de filmer ceux que
l'on va rencontrer."60(*)
Le travail de post production.
Durant mes rencontres avec les professionnels, j'ai
noté qu'il était également important de parler du
rôle des monteurs Son/mixeur, qui se doivent de travailler sur des films
où souvent, le son a été délaissé. Je me
suis donc interrogé sur le travail de post-production sur un film
documentaire sans ingénieur du son.
Ce qui est souvent revenu, c'est le travail nécessaire
de restauration du discours, dans le but de rattraper les erreurs, pour que la
parole soit intelligible. Cela constitue d'ailleurs la majeure partie du
travail du monteur Son, avant d'ajouter des ambiances ou des sons seuls.
Pour Sébastien Crueghe, le fait d'avoir un
ingénieur du Son en tournage, permet lors du travail en post-production
de s'occuper d'ajouter de la valeurs au support, plutôt qued'être
dans un sauvetage du discours. Il détaille ce qui lui est
déjà arrivé: "Je passe un certains temps sur
Izotopeà "de-noiser" la voix en préservant son
intégrité. Il m'est arrivé qu'après cette
étape, je fasse marche arrière. En réécoutant la
voix avant "de-noise", j'ai constaté que cela sonnait creux, sans
matière. Il se passe un peu la même chose quand il m'ait
demandé de casser des réverbérations. Dans ces moments de
sauvetage, je conseille au réalisateur de ne pas venir les deux premiers
jours."61(*)
Cédric Genet concède qu'il a déjà
du discuter avec des réalisateurs de l'éventualité de
sous-titrer certains passages de leur film.Cela peut être
rédhibitoire par rapport aux diffuseurs et par rapport aux personnages
présents dans le film.
Pousser trop loin le travail de "De-noise" peut avoir comme
répercussion la perte des ambiances. Le monteur son est alors
obligé de rajouter des ambiances pour que le spectateur ne sente pas
l'artifice.
Il faut bien sûr ne pas généraliser le
documentaire, certains films de témoignage au dispositif fixe
tournée en studio peuvent éventuellement se passer de preneur de
son.
Endiguer la situation?
A France 3 Marseille, les mixeurs et monteurs envisageraient
de stopper leur collaboration avec les films produits sans techniciens. Pour
Cédric Genet; le fait de diffuser des films moyens techniquement dessert
complètement le film et le travail des techniciens. Quelle image peut
avoir le spectateur d'un documentaire diffusé en province dans lequel la
moitié des voix est inaudible?
"Le producteur a rédigé un budget
prévisionnel pour percevoir des subventions, dans son calcul, le poste
de l'ingénieur du son a été budgétisé. Puis
plus tard, le réalisateur t'informe qu'il a tourné son film tout
seul. Est-ce que l'aide à l'industrie est pertinente pour des projets ou
l'argent a été utilisé d'une autre manière que
celle prévu? le propos est peut-être noble mais il faut quand
même que le réalisateur et le producteur aient un minimum
d'exigence technique.62(*)(Cédric Genet)
Jean-PierreCellard estime qu'il vaut mieux ne pas faire de
films si les conditions ne sont pas réunies pour produire une oeuvre de
qualité. "Je suis persuadé qu'à France 3 par exemple,
à un moment, ils vont dire au producteur qui n'emploie pas
d'ingénieur du son, que ce n'est plus possible de livrer ce genre de
films.Si le producteur pense plus à l'argent qu'il va économiser
en se passant de techniciens qu'à la qualité du film, on ne
viendra pas le chercher pour le prochain. Ne pas avoir un minimum d'exigence de
qualité, c'est se cantonner à un registre qui ne peut que
s'appauvrir, ce n'est pas une bonne idée
entrepreneuriale.Peut-être que ce ras le bol pourrait venir des
techniciens, rassemblés en association. Des réalisateurs se sont
bien révoltés contre le salaire des premiers rôles dans le
cinéma il y a deux ans."63(*)
CONCLUSION
Le film documentaire est un genre cinématographique et
télévisuel existant depuis la fin du XIXème siècle.
Il intéresse toujours autant de nos jours, de part sa diversité
et ses formes hybrides, et est accessibleà un public assez
éclectique.
Bien que le documentaire peine à trouver des
financements, la télévision n'investissant plus autant qu'avant
dans la production de films par exemple, les réalisateurs se risquent
à tourner seuls, ce qui conduit à des films forts, mais où
la qualité technique n'est pas toujours au rendez-vous, les
équipes de tournage étant réduites.
Nous avons aussi vu qu'une centralisation trop rigide de
l'audiovisuel français empêche les régions au fort
potentiel technique et artistique de pérenniser leurs offres d'emploi et
de collaborations. Paris et plus généralement l'Ile-de-France,
semblent être le "Hub" du milieu documentaire (et plus
généralement cinématographique), mais d'autres
régions de France n'auraient-elles pas tout autant à offrir?
Nous nous intéressions plus précisément
à la place de l'Ingénieur du Son dans le documentaire, et nous
avons pour constater qu'il être un collaborateur essentiel dans la
réalisation d'un film.
Ses compétences techniques et relationnelles sont
nécessaires durant toutes les étapes du tournage; nous pouvons
penser qu'il sera un réel partenaire de chemin, que ça soit pour
le réalisateur, l'équipe technique, ou encore les personnages du
film.
Son matériel de prise de Son a également
évolué au cours des années, lui permettant d'être
plus performant dans son travail, de proposer et de fournir au
réalisateur des ambiances précises et des suggestions pour le
montage.
Pourtant, durant mes recherches, j'ai pu constater que son
statut n'était pas toujours acquis. Les difficultés
économiques rencontrées par les sociétés de
production en région lui permettent seulement d'intervenir
occasionnellement sur des tournages, voir d'être remplacé par des
nouveaux systèmes techniques.
Pour continuer à vivre de sa passion,
l'ingénieur du Son se voit dans la nécessité
d'acquérir de nouvelles compétences et d'être polyvalent.
Sa place sur le tournage n'étant plus forcément acquise, il en
trouvera peut-être une en post-production.
SOURCES ET RÉFÉRENCES
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Rapports
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Provence, 2004, 175p
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faux-semblants, Paris, Editions Klincksieck, 2010, 207p,
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à l'écran, Paris,Deboeck, 2002, 347p
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cinéma,?Paris, Institut de formation pour les métiers de
l'image et du son, 1997, 223p
MAURY Corinne, Habiter le monde Eloge du poétique
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THOUARD Sylvie, Le son documenté, Paris,
Association La Revue Documentaires, 2007, 190p
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cinéma aux arts visuelsRennes : Presses universitaires de Rennes,
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GAUTHIER Guy Le documentairepasse au direct,
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RAFFARD Jean Philippe, Profession producteur, Paris,
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MAURO Didier, Praxis du cinémadocumentaire,
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MAGNIER Vincent, Pratique des liaisons HF pour la prise de
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CAPLAIN Robert, Techniques de prise de son, Paris,
Dunod, 2017, 208p
BALIBAR Lucien, La chaine du son au cinémaet
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CARRIERJEAN-PIERRE, Le dictionnaire du
cinémadocumentaire, Paris, Vendemiaire, 2016, 566p
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http://www.auteurs-aquitaine.fr/le-documentaire-dans-la-tourmente-entretien-avec-anna-feillou-dans-les-fiches-du-cinema/
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http://next.liberation.fr/culture/2012/09/19/l-audiovisuel-territoire-oublie-de-la-decentralisation_847448
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https://www.ina-expert.com/ina-expert/site-fr/ina-expert-ac/publications/e-dossiers-de-l/e-dossier-le/le-documentaire-cherche-sa-voie-dans-un-paysage-televisuel-mutant
Article de BARREAU-BROUSTE, "Le documentaire
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https://www.ina-expert.com/e-dossier-le-documentaire-un-genre-multiforme/le-documentaire-televise-les-enjeux-d-une-definition-controversee.html
Article de LATOUR Karen, "Marseille, l'effet cinéma",
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Dossier de Association, Films en Bretagne, union des
professionnels, "Production documentaire; un regard hexagonal", 2017, En Ligne:
http://filmsenbretagne.org/publication/
Dossier du CNC "le marché du documentaire en 2016" CNC,
2017, En ligne:
http://www.cnc.fr/web/fr/publications/-/ressources/12165425
PROFESSIONNELS RENCONTRÉS
Par ordre alphabétique: Thierry Aguila, Pierre Armand,
Yves Capus, PhillipeCarrese, Jean-PierreCellard, Sébastien Crueghe,
Emmanuel Desbouiges, Jean-Pierre Duret, David Diouf, Maxime
Gavaudan, Baptiste Geffroy, Cédric Genet, Godefroy Georgetti, Laurent
Lafran, Vincent Magnier, Henri Maikoff, Pierre Alain Mathieu, Fréderic
Salles.
RÉSUMÉ
Ingénieur du son en documentaire: une place vraiment
indispensable?
Le documentaire connait actuellement une crise de
financement. Les réalisateurs ont toujours l'ardent désir de
réaliser leur projet mais ont moins de financement pour le faire dans
de bonnes conditions. Ils décident de tourner leurs films coûte
que coûte dans une économie précaire, parfois sans place
pour une équipe de tournage. Le métier de preneur de son en
documentaire est un métier passionnant, complexe et exigent. Cependant
il a connu un profond changement, beaucoup de projets le mettent à
l'écart pour de multiples raisons.
Mots clés
Documentaire, Preneur de son, Ingénieur du son, Preneur
de son-réalisateur,
Dispositif filmique, Relationnel, Collaborateur
SUMMARY
Sound engineer in Documentary: an
essential element?
The documentary movie industry actually knows a financial
crisis. Even if filmmaker want to carry out their project, it's really hard for
them to find financing sources, and inevitably, it will be difficult to achieve
their projects it in good condition.
If they finally decided to do it, they won't necessarily have
finances to pay for a correct filming team, and have to do sacrifice.
The sound engineer in the documentary is a fascinating
profession, complex and challenging. However, it's also a moving profession,
which known a lot of change, good ones, like the evolution of their equipment
and their position in the team for example, but also bad one, because a lot of
project put them apart for different reason, like a financial problem and the
budget cut for directors.
Key words
Documentary, Economy, Sound engineer, Director, Movie plan,
Relational, Collaborate.
* 1CARRIER JEAN-PIERRE, Le
dictionnaire du cinémadocumentaire, Paris, Vendemiaire, 2016, 566p,
p7
* 2MAURO Didier, Praxis du
cinémadocumentaire, Paris, Publibook, 2013, p312
* 34MAURO Didier, Praxis du
cinémadocumentaire, Paris, Publibook, 2013, p313
* 5CARRIER JEAN-PIERRE, Le
dictionnaire du cinémadocumentaire, Paris, Vendemiaire, 2016, 566p,
p14
* 6Article: Le documentaire
télévisé : les enjeux d'une définition
controversée",ina-expert, 01/07/2013,
* 7 Le Marché du
documentaire en 2016, CNC, 2017
* 8 Entretient avec Jean-Pierre
Cellard le 28/01/2018
* 9Le Marché du
documentaire en 2016, CNC, 2017
* 10 Entretient avec Thierry
Aguila 17/01/2018
* 11Ibid
* 12Ibid
* 13 Article "Marseille,
l'effet cinéma", La Provence, 30/08/2017
* 14 Association, Films en
Bretagne, union des professionnels, 2017
* 15Ibid
* 16 Article de Groupes de
professionnels de l'audiovisuel et du cinéma, "L'audiovisuel,
territoire oublié de la décentralisation",
next-libération.fr, 19/09/2012
* 17 Entretient avec
PhillipeCarrese le 07/02/2018
* 18 Association, Films en
Bretagne, union des professionnels, 2017
* 19 Entretient avec
Jean-Pierre Duret le 16/01/2018
* 20 Entretient avec Henri
Maikoff le 14/02/2018
* 21 Entretient avec Maxime
Gavaudan le 02/02/2018
* 22 Entretient avec Vincent
Magnier le 24/01/2018
* 23 Entretient avec Henri
Maikoff le 14/02/2018
* 24 Entretient avec Vincent
Magnier le 24/01/2018
* 25BALIBAR Lucien, La
chaine du son au cinéma et à la télévision,
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* 26BALIBAR Lucien, La
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* 27 Entretient avec Pierre
Alain Mathieu le 29/01/2018
* 28 Entretient avec Laurent
Lafran le 19/02/2018
* 29 Entretient avec Yves Capus
le 22/01/2018
* 30 Entretient avec Vincent
Magnier le 24/01/2018
* 31 Entretient avec Henri
Maikoff le 14/02/2018
* 32 Entretient avec
Cédric Genet le 16/01/2018
* 33 Entretient avec Yves Capus
le 22/01/2018
* 34 Entretient avec Laurent
Lafran le 19/02/2018
* 35 THOUARD Sylvie, Le son
documenté, Paris, Association La Revue Documentaires, 2007, 190p,
p13
* 36 Entretient avec
Cédric Genet le 16/01/2018
* 37 Entretient avec Henri
Maikoff le 14/02/2018
* 38 Entretient avec
Frédéric Salles le 08/12/2017
* 39 Entretient avec David
Diouf le 13/12/2017
* 40GAUTHIER Guy Le
documentairepasse au direct, Montréal, VLB, 2003, 210p, p63
* 41 Entretient avec Godefroy
Georgetti le 22/12/2018
* 42 Entretient avec
Frédéric Salles le 08/12/2017
* 43 Entretient avec Maxime
Gavaudan le 05/02/2018
* 44 Entretient avec Pierre
Armand le 09/01/2018
* 45 Entretient avec Thierry
Aguilla le 17/01/2018
* 46 Entretient avec
Cédric Genet le 16/01/2018
* 47 Entretient avec David
Diouf le 13/12/2018
* 48 Entretient avec Yves Capus
le 22/01/2018
* 49 Entretient avec Yves Capus
le 22/01/2018
* 50 Entretient avec Godefroy
Georgetti le 12/12/2017
* 51 Entretient avec Henri
Maikoff le 14/02/2018
* 52 Entretient avec Vincent
Magnier le 24/01/2018
* 53 Entretient avec Pierre
Alain Mathieu le 19/01/2018
* 54GAUTHIER Guy Le
documentairepasse au direct, Montréal, VLB, 2003, 210p, p7
* 55Les stratégies de
réalisation documentaire (Leçon7)
https://www.canalu.tv/video/tcp_universite_de_provence/les_strategies_de_realisation_documentaire_penser_le_cinema_documentaire_lecon_7.6972
* 56 Entretient avec
Jean-Pierre Duret le 08/02/2018
* 57Ibid
* 58 Rencontre avec
Fréderic Salles le 08/12/2017
* 59 Entretient avec
Cédric Genet le 16/01/2018
* 60 Entretient avec
Jean-Pierre Duret le 08/02/2018
* 61 Entretient avec
Sébastien Crueghe le 14/02/2018
* 62 Entretient avec
Cédric Genet le 16/01/2018
* 63 Entretient avec
Jean-PierreCellard le 28/01/2018
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