III. CONTEXTUALISATION DU SUJET
A l'échelle mondiale, être trans se comprend et
se régule différemment. Cette étude se centre sur
l'Argentine dans son présent historique50. Nous dessinerons
quelques traits de cet espace-temps : lumière sera faite sur les
contextes politique, constitutionnel, social, religieux et
économique.
La République argentine naît en 1810 à la
faveur d'une guerre d'indépendance face à l'Empire espagnol qui
l'a colonisé au cours du XVIème siècle. En
1853, la République fédérale argentine émerge
autour d'une Constitution de 129 articles qui dessine 23 provinces51
et la ville autonome de Buenos Aires. En raison du principe d'autonomie
législative, exécutive et judiciaire, le paysage argentin est
hétérogène, ce qui entraîne des différences
dans le traitement des personnes trans.
Après la dictature militaire (1976-1983), le peuple
espère une explosion des libertés, une reconnaissance de ses
droits fondamentaux. Les « Mères de la Place de Mai52
» ont longtemps été - et demeurent - un symbole fort de
lutte contre l'impunité, exigeantes d'un droit à la
reconnaissance des actes perpétrés sous la dictature. Pour
Marcela ROMERA53, cela accroît l'importance de la question
identitaire en Argentine considérant ainsi «[qu']une personne qui
n'a pas d'identité n'a pas de droits parce qu'elle n'existe pas.
L'identité est un droit, surtout dans ce pays où il y a eu 30.000
disparu[e]s 54 ». L'Etat a ainsi été
questionné dans ses actes et omissions. Cette défiance peut
néanmoins être calmée par un effectif contrôle de
constitutionnalité : en Argentine, il se fait de manière
diffuse55 sur le modèle états-unien (U.S. Supreme
Court, Marbury v. Madison, 1803) suivant le principe de suprématie
du pouvoir
50 Le présent historique est ici compris comme
le fait de tenir en compte l'Histoire du pays aux fins de compréhension
de son présent.
51 Ces provinces sont : Buenos Aires, Catamarca, Chaco,
Chubut, Cordoba, Corrientes, Entre Rios, Formosa, Jujuy, La Pampa, La Rioja,
Mendoza, Misiones, Neuquén, Rio Negro, Salta, San Juan, San Luis, Santa
Cruz, Santa Fe, Santiago del Estero, Terre de Feu/Antarctique/Iles de
l'Atlantique Sud et Tucumán.
52Notre traduction de : « madres de la
Plaza de Mayo ». Leur histoire commence en pleine dictature (1977)
alors que les réunions de plus de cinq personnes sont interdites en
raison de la promulgation d'un état de siège. Chaque jeudi et ce,
jusqu'en 2006, elles se réunissaient pour demander justice au
gouvernement concernant les disparitions forcées des personnes victimes
de la dictature, souvent leurs propres enfants.
53 Marcela ROMERA est une activiste trans, actuellement
Présidente de l'ATTTA et coordinatrice régionale de la
REDLACTRANS.
54 Référence aux 30.000 personnes disparu/es
sous la dictature qui scelle l'existence des Mères de la Place de Mai ;
COLLETTE Cécile, « Buenos Aires, eldorado trans au pays du
conservatisme religieux » in Slate, 4 août 2014
55 A l'exception des fallos plenarios
(Décret-loi n1/4 1285) et des actions de
groupe (jurisprudence « Halabi » du 24 février 2009,
Salle II de la Cour nationale d'Appel).
13
judiciaire fédéral (arts. 116 et 117 de la
Constitution Nationale argentine56 - CN - ).
L'Argentine est aussi marqué par un facteur,
constitutif de valeurs : la religion. Avec environ 76% de la population se
définissant comme étant catholique57 et une
Constitution qui dans son préambule « invoque la protection de
Dieu, source de toute raison et justice », la religion va influencer les
législations. « Le Gouvernement fédéral soutient le
culte catholique, apostolique et romain » (art. 2 de la CN58)
dans le cadre des relations avec le Saint-Siège organisées par un
concordat. L'Etat argentin indique sa préférence pour la religion
catholique sans pour autant l'élever au rang de religion d'Etat et en
gardant sauve la liberté de culte (art. 14 de la CN59). Dans
ce contexte, les conséquences sur le droit sont difficiles à
déceler néanmoins l'article 19 de la CN pose une limite aux
actions privées des « [H]ommes » : l'offense à l'ordre
et à la morale publics60. La religion étant une des
sources - plus ou moins directe - de la morale publique, nous retrouvons cette
justification par le biais de la figure des codes contraventionnels, gardiens
de celle-ci dans certaines provinces.
Il est nécessaire également de prendre acte de
la situation économique de l'Argentine qui est inflationniste et qui
impacte négativement les franges des populations plus démunies
dont les personnes trans font souvent partie. Cette tendance est d'ailleurs
renforcée depuis l'arrivée à la présidence de
Mauricio MACRI en décembre 2015 qui annonça des coupes
budgétaires dans les politiques publiques de santé et celles
relatives au travail, entre d'autres conséquences qui seront
ultérieurement étudiés.
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