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La regionalisation en Bulgarie : etude des jeux et enjeux d'une politique territoriale en oeuvre dans l'UE

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par François Xavier NOAH EDZIMBI
IEP Toulouse - Master 2 en Conseil et expertise en Action Publique 2017
  

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Chapitre IV

La Dissociation De La Régionalisation Des Mesures De
Décentralisation : Ajustement Etablie Par Des Entrepreneurs

Politiques

Selon l'économiste Wagner, un entrepreneur politique est « quelqu'un qui reconnaît qu'un groupe d'individus partage une même demande pour un bien collectif, ou un but commun, et qui croît qu'il peut en tirer un profit pour lui-même en supportant les coûts de la mise en place de l'organisation qui atteindra un tel but ou fournira un tel bien86 ». Ce dernier fait usage d'un profit privé pour servir le bien collectif. Cette conception économique de la notion d'entrepreneur politique montre les limites de la définition politique proposée par Olson87 pour qui l'entrepreneur politique, à moins de mesures coercitives ou de quelque autre disposition particulière l'incitant à agir dans l'intérêt commun, s'emploie uniquement à défendre et à satisfaire ses intérêts88. La définition politique est celle adoptée dans le cadre de cette analyse pour comprendre comment les autorités publiques ralentissent la mise en oeuvre de la régionalisation en Bulgarie dans l'objectif de participer au jeu politique, d'avoir une influence dans les politiques publiques territoriales et de préserver leurs intérêts. Aussi est-il question de montrer comment les autorités politiques font usage de la régionalisation dans des stratégies politiciennes tant sur le plan national (Section I) qu'international (Section II).

Section I : La régionalisation en Bulgarie

Dans l'effervescence du renversement des régimes socialistes, le processus de démocratisation s'est inscrit dans l'actualité des réformes administratives et territoriales89 bulgares par la décentralisation. Pour les populations, l'Etat moderne, fondé sur l'idée de formation et de participation de la collectivité nationale, supposait la pratique du débat démocratique et l'existence au moins d'une communauté d'intérêts, au mieux d'un sentiment de cohésion90. Dès lors, l'autonomie régionale fera l'objet de débat politique dès l'année 1998. Portée par l'UE, la décentralisation régionale recouvrira trois caractères principaux : le transfert de compétences du niveau central vers l'échelon régional, l'allègement de la tutelle

86 Voir, P., Jones, « The Appeal of the Political Entrepreneur », British Journal of Political Science, 8, (4), 1978, p. 484-504.

87 Voir, M., Olson, The Logic of collective action : Public goods and the theory of groups, Cambridge, Harvard University Press, 1965, traduction française, Logique de l'action collective, collection sociologie, PUF, Paris, 1978.

88 Voir, F. Facchini, « L'entrepreneur politique et son territoire », Revue d'Économie Régionale & Urbaine 2006/2 (juillet), p. 265-266.

89 Voir, E. Boulineau, M. Suciu, « Décentralisation et régionalisation en Bulgarie et en Roumanie. Les ambiguïtés de l'européanisation », L'Espace géographique 2008/4 (Tome 37), p. 350.

90 Voir, E. Boulineau, « La persistance de la centralisation en Bulgarie : héritage du passé ou effet de crise ? » in V., Rey, L., Coudroy de Lille et E., Boulineau, L'élargissement de l'Union européenne : Reformes territoriales en Europe centrale et orientale, Paris, L'Harmattan, 2004, p. 40.

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administrative centrale désormais réservée au contrôle de la légalité des actes émis par les unités décentralisées, et la détermination d'un cadre territorial de référence comme lieu de définition de projets dans une logique ascendante du bas vers le haut91.

Pour une cohésion économique et sociale des populations de la communauté et une distribution des aides au plus près des besoins du citoyen, l'UE établira une nomenclature d'unités territoriales statistiques (NUTS)92, adoptée par la Bulgarie. Ainsi, la politique régionale de l'Etat en 1999 (révisée début 2003) conçu deux découpages régionaux : le redécoupage NUTS 2 de 2007, qui équilibrait le poids démographique des régions, et le redécoupage NUTS 3 pour comprendre la dynamique temporelle des disparités régionales depuis 198993. Malgré cette organisation territoriale, la miniaturisation de la maille régionale bulgare en 28 unités exprime une contradiction avec le principe européen de vastes régions harmonisées94. Par ailleurs, après examen des compétences régionales, la décentralisation annoncée sur l'ensemble du territoire se déguise sous une déconcentration95. Ces contradictions trouvent explication dans la crainte des autorités politiques d'une perte de leur pouvoir.

91Ibid., p. 42.

92Trois niveaux de découpages ont été établis : le niveau 1 (NUTS 1) qui réunit de 3 à 7 millions d'habitants, le niveau 2 (NUTS 2) de 800 000 à 3 millions d'habitants, le niveau 3 (NUTS 3) de 150 000 à 800 000 habitants. Si cette nomenclature complexifie encore le découpage territorial de l'UE, on constate cependant qu'un certain nombre de niveaux NUTS correspondent aux découpages administratifs des États membres. Voir, S. Moreau, « L'organisation territoriale dans les pays de l'Union Européenne », stage mai-septembre, Conseil régional du Limousin, 2009, p. 4.

93 Voir, E. Boulineau, « À l'Est de l'Europe, quoi de neuf en matière de réformes territoriales ? Réflexions à partir de la régionalisation en Bulgarie », EchoGéo, no 35, 2016, mis en ligne le 19 avril 2016, consulté le 20/06/17 sur www.google.com

94Les 28 régions administratives (NUTS 3) perdurent et 6 régions de planification sont définies à partir du regroupement des précédentes pour correspondre au niveau NUTS 2. La région administrative conserve un rôle en matière de politique régionale avec la rédaction d'un plan régional de développement et l'existence d'un conseil du même nom, espace de concertation régionale entre différents types d'acteurs. Cette même structure se répète au niveau des régions de planification. Chaque niveau territorial est ainsi investi de prérogatives pour proposer des projets de développement dans un processus ascendant de l'échelon local vers le niveau central. Parmi ces nouvelles dispositions régionales, on relève l'ambiguïté de la position du gouverneur. Ce représentant des instances centrales, chargé du respect des intérêts de l'État, possède aussi un rôle dans l'initiative régionale. Or l'initiative régionale peut se trouver en porte-à-faux avec les exigences de l'État : les intérêts de l'État ne sont pas toujours compatibles avec ceux de la région. Les ambiguïtés de la fonction du gouverneur révèlent ainsi un manque de différenciation organique entre l'État et la région dans la législation bulgare. Voir, Voir, E. Boulineau, « La persistance de la centralisation en Bulgarie : héritage du passé ou effet de crise ? » in V., Rey, L., Coudroy de Lille et E., Boulineau, L'élargissement de l'Union européenne : Reformes territoriales en Europe centrale et orientale, Paris, L'Harmattan, 2004, p. 43.

95Ibid. La région ne dispose pas d'un organe élu alors que, sous le système socialiste, des conseils populaires étaient élus à tous les niveaux, régions comprises. En 1991, la suppression de l'organe régional élu au profit de la nomination d'un gouverneur témoigne d'une reprise en main par le niveau central de la gestion administrative et territoriale de la région. La crainte de la proclamation de l'autonomie régionale et la fragilité d'une structure étatique à reconstruire ont conduit au renforcement de l'assise administrative de l'État.

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Pour le gouvernement central, le processus de régionalisation fragilise l'Etat déjà marqué par de nombreux conflits territoriaux96. Dès lors, la centralisation se présente comme un rempart vis-à-vis des velléités centrifuges au regard de l'histoire, mais aussi comme une garantie de statu quo dans l'attente d'une stabilisation politique97. Ainsi, les autorités politiques capitalisent ces enjeux de stabilité territoriale et politique pour limiter le processus de régionalisation et conserver leur influence, de même que leurs intérêts, sur la scène nationale. Par ailleurs, la résistance des administrations centrale et sectorielle, par peur d'une perte de pouvoir et de contrôle de leurs financements et d'une diminution de la qualité du service public98, est une autre raison de la limitation. A partir de leur influence sur un système politique dépendant de ressources naturelles, les autorités gouvernantes des anciennes économies de l'Est, dont fait partie la Bulgarie, agissent de manière décisive sur les avancées institutionnelles engagées99. Pour beaucoup de dirigeants du niveau central, la régionalisation va dans le sens de permettre à certains leaders d'opposition d'accéder au pouvoir politique et à une tribune publique, ce qui leur permet d'exister sur le plan local et national et renforcer leur rôle d'adversaire politique100. Ajuster le processus de régionalisation à leur faveur, pour le vider de son contenu et le réduire à une case vide, afin de gérer ce « tumulte politique », est ainsi l'une des options privilégiées.

Au-delà de la peur des élites dirigeantes, la panne du processus de régionalisation est également l'expression d'une forte corruption qui entraine le désintérêt des populations sur ladite politique territoriale. Considérée comme un « problème endémique101 », la corruption, qui gangrène la société bulgare, a conduit le pays à être classé en 2016 comme l'un des pays les plus corrompus d'Europe102. Depuis le début des années 1990, une dénonciation de la prédation des actifs publics, et les stratégies de captation de rentes de responsables

96Ibid., p. 40. Il s'agit de la guerre de libération contre l'empire ottoman en 1878, les deux guerres mondiales et la fin du communisme.

97Ibid.

98 Entretien avec M. Alexander Mihaylov, Expert-Consultant en gouvernance locale à la Foundation for Local Government Reform, le 16/02/2017.

99 Voir, M.-L. Duboz, « Bulgarie, Roumanie. Interrogations sur leur adhésion à l'Union européenne », Le Courrier des pays de l'Est 2007/5 (n° 1063), p. 37.

100 Tel est l'exemple du parti de l'extrême droite Ataka de Volen Siderov, parvenu à séduire 8,93 % des électeurs bulgares lors des élections parlementaires du 25 juin 2005. Avec 21 députés au Parlement (sur 240), la coalition nationaliste radicale Ataka s'est imposée comme la quatrième force politique du pays en obtenant un score de 9% aux législatives du 26 mars 2016. Voir, N. Ragaru, « Un parti nationaliste radical en Bulgarie : Ataka ou le mal-être du postcommunisme », Critique internationale 2006/1 (no 30), p. 42 et Voir, Le Monde.fr, « La droite bulgare gagne les élections législatives en Bulgarie », article mis en ligne le 27/03/2017, consulté le 22/06/17.

101 Voir, Le Monde.fr, « La corruption en Bulgarie, « un problème endémique », article mis en ligne le 24/09/2012, consulté le 21/06/17.

102 Voir, I. Huysen, « La corruption en Bulgarie, encore et toujours », article publié sur www.google.com, consulté le 21/06/17.

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administratifs, politiques et entrepreneuriaux est faite par la presse103. L'affaire Toplofikacija mettra à jour l'existence de collusions entre mondes politique et économique, et la distraction d'importantes sommes d'argent par d'anciens membres de la nomenklatura bulgare104. Ces révélations conduiront des observateurs à conclurent que l'Etat bulgare fonctionne comme un Etat semi-mafieux105, la corruption étant le plus pratiquée dans les services publics des douanes, de la justice, de la police, de la santé et de l'éducation106.

Cette « politique de la corruption107 » conduit à une crise de légitimité de l'Etat, les citoyens ne se reconnaissant ni dans les institutions républicaines comme la justice, ni dans les politiques publiques définies et mises en oeuvre, d'où une méfiance des citoyens vis-à-vis des autorités locales et nationales108. Les scandales de collusion entre politiques et affairistes étant monnaie courante, les échéances électives sont de fait marquées par des achats de voix massifs109, expression d'une participation passive desdites populations au phénomène et à une absence d'institution judiciaire forte pour condamner et combattre cette pratique déviante. La démocratie locale prenant en compte les citoyens ordinaires comme sujets actifs et comme porteurs d'une expertise et de compétences spécifiques, le processus de régionalisation est,

103 Voir, N. Ragaru, « Usages et force instituante de la lutte anticorruption en Bulgarie : l'affaire Toplofikacija », Droit et société 2009/2 (n° 72), p. 307.

104Ibid., pp. 303-308. C'est précisément pendant cet été 2006 qu'éclate un scandale autour de la société de chauffage de Sofia, Toplofikacija, une entreprise publique dans laquelle la municipalité détient 58 % des parts, et l'État 42 % 2. Son directeur, Valentin Dimitrov, est soupçonné, entre autres, d'avoir surfacturé à la compagnie des livraisons d'équipements par des sous-traitants privés en échange de commissions placées sur des comptes à l'étranger. Plusieurs chefs d'inculpation pèsent sur lui : non-respect des règles de change, fraude fiscale, détournements de fonds et blanchiment d'argent. Les mentions de Rumen Ovèarov, Krasimir Georgiev et Kornelia Ninova, respectivement ministre de l'Économie et de l'Énergie, coactionnaire de Bansko Properties et vice-ministre de l'Économie prouvent l'existence de connivences entre élites politiques et monde de l'entreprise.

105 En effet, selon le général Atanassov, ancien chef du contre-espionnage bulgare : « D'autres Etats ont une mafia. En Bulgarie, c'est la mafia qui a un Etat ». Voir, H. Despic-Popovic, « Bulgarie, la politique de corruption », article mis en ligne le 09/05/2013, consulté le 21/06/17.

106 Au terme d'une enquête conduite par le Centre d'étude de la démocratie (CSD) au sein de la population bulgare en 2012 et publié le 24 septembre de la même année, il ressort que les personnes interrogées considèrent deux fois plus, par rapport à la moyenne européenne, que la corruption est pratiquée dans les services publics des douanes, de la justice, de la police, de la santé et de l'éducation. Aussi, Avec 150 000 pots-de-vin par mois, la corruption en Bulgarie dépasse de deux à trois fois la moyenne européenne. Voir, Le Monde.fr, « La corruption en Bulgarie, « un problème endémique », article mis en ligne le 24/09/2012, consulté le 21/06/17.

107 Voir, H. Despic-Popovic, Op.Cit.

108 83% jugent la plupart des hommes politiques incompétents et 70% sont méfiants à l'égard de l'appareil judiciaire, chiffres recueillis durant l'entretien avec M. Alexander Mihaylov, Expert-Consultant en gouvernance locale à la Foundation for Local Government Reform, le 16/02/2017.

109 Selon le sociologue Antoniy Galabov, professeur de sciences politiques à la nouvelle université de Sofia et expert de l'ONG Transparency International, une stratégie politique d'achat de voix vise « à dégoûter les électeurs et à les détourner des urnes ». « Les partis politiques n'ont pas intérêt à voir les électeurs se mobiliser car à eux tous ils ont acheté 12% des voix du corps électoral. Ces voix compteront davantage si la mobilisation est faible que si elle était élevée, comme on aurait pu s'y attendre après la vague de manifestations de l'hiver », ceci durant le scrutin législatif de mai 2013. Voir, H. Despic-Popovic, Op.Cit.

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dès lors, difficilement mis en oeuvre en raison de l'absence de certaines valeurs démocratiques comme l'éthique citoyenne.

Ainsi, dans le but d'accroitre leur influence et/ou de préserver leurs intérêts, les autorités politiques bulgares mettent à contribution un ensemble de pratiques comme la corruption ou l'usage du dispositif administratif et normatif pour des desseins individuels. Dans cette perspective, ils instrumentalisent le nécessaire arrimage de l'Etat à la modernité démocratique promue par la communauté européenne qu'est la régionalisation, faisant de cette politique territoriale une importante ressource politique concourant à la réalisation de leurs divers projets politiques. De même, l'évaluation de la mise en oeuvre de cette politique territoriale, au niveau européen par lesdites autorités bulgares, est un discours diplomatique instrumental usant des nuances et des ambiguïtés du langage, en fonction des contextes, des enjeux et des acteurs en place.

Section II : La diplomatie bulgare et la mise en oeuvre de la régionalisation : un discours double sur la scène européenne

La manipulation du discours diplomatique est à la fois formelle et nécessaire pour l'équilibre et la stabilité internationale. Le discours diplomatique est une expression dans laquelle les notions d'ambiguïté, de contexte, d'émotions et de valeurs invitent l'analyste à s'approprier un savoir-faire en matière de décodage afin d'éclairer les sens cachés, les enjeux et les stratégies des acteurs qui s'expriment110. L'expression se comprend non seulement au sens de la manifestation d'une pensée et des valeurs, mais aussi des intérêts politiques et stratégiques. Ainsi, le discours diplomatique sur la mise en oeuvre de la régionalisation en Bulgarie est instrumental, car tout en étant dissuasif, amène l'auditoire à déconsidérer ce langage peu conforme à la transparence des mots et à une communication « vraie »111. Le discours diplomatique est alors placé en aval de l'action politique. Il la reflète et est mis au service des gouvernants, de leur vision, des comportements de puissance et des intérêts intrinsèques de l'Etat.

Le discours diplomatique revêt un statut binaire, aussi bien en tant que résultat d'une décision de politique étrangère (output de la boîte noire que représente l'appareil étatique) et ressource d'une politique (input du système international)112. Le discours diplomatique est fonction de la position hégémonique du pays locuteur dans son bloc géopolitique et de son

110 Voir, O. Arifon, « Langue diplomatique et langage formel : un code à double entente », Hermès, n° 58, 2010, pp. 71-78.

111Ibid., p. 74.

112 Voir, C. Villar, Le discours diplomatique, Paris, L'Harmattan, Collection « Pouvoirs comparés », 2008, p. 52.

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rôle circonstanciel dans une crise donnée113. Ainsi, le discours diplomatique bulgare sur la régionalisation est déterminé par un flux d'informations, qui conduisent les responsables politiques à prendre certaines décisions et à les adapter à l'évolution des enjeux et des rapports de force sur la scène internationale. Aussi capitalisent-ils des enjeux internationaux à travers les notions d'autorégulation et de rétroaction114. La question de la réforme des institutions bulgares prônée par la communauté européenne, telle que la justice, ou la mise en oeuvre de la politique de régionalisation, se voient ajuster selon les acteurs internationaux et les enjeux du moment. La position du gouvernement bulgare, sur la mise en oeuvre de la régionalisation, s'inscrit dans une « tactique de deux discours en poche115 » selon les rapports entretenus avec la Russie (A) et l'UE (B), cette prise de position devant nécessairement évoluer pour un épanouissement concret des populations (C).

A- Un accord entre discours bulgare et russe sur la centralisation territoriale...

La politique d'européanisation prescrite pour une modernisation de la société bulgare, qui passe par une réforme d'institutions tant judiciaire que politique, la lutte contre la corruption et la mise en oeuvre d'une politique de régionalisation, nécessaire au « retour » dans l'Europe116, est considérée comme un « diktat » par les autorités gouvernantes bulgares. En effet, vu de Sofia, le discours tenu en « Occident », après la guerre froide, stigmatise tout ce qui est lié à l'ancien régime sans considérer le fait que l'occidentalisation de la Bulgarie est, dans une large mesure, passée par la Russie117. Sur les plans politique et historique, considérée comme « meilleur élève » de la Russie, la Bulgarie a adopté un système communiste durant la bipolarité, et a toujours été russophile, par une culture socioreligieuse majoritairement orthodoxe, ce dès l'époque tsariste118. Aussi existe-t-il une reconnaissance bulgare à l'égard des Russes pour leur soutien durant la guerre de libération de 1878, mettant fin à près de cinq siècles de domination ottomane119. Dans l'aspect économique, ex-province

113Ibid., p. 157.

114 Selon Karl Deutsch, l'autorégulation est la capacité d'un acteur à réduire les éventuelles tensions internes et internationales afin d'éliminer les facteurs de déséquilibre pouvant nuire à ses intérêts, lire à ce sujet D. Batistella, « L'apport de Karl Deutsch à la théorie des relations internationales », Revue internationale de politique comparée, 2003/4 (Vol. 10), pp. 567-585. La rétroaction se comprend dans le discours diplomatique comme la correction permanente de l'impulsion initiale en fonction de l'écho suscité par un programme ou une prise de position, voir, C. Agbobli, « La communication internationale : état des lieux et perspectives de recherches pour le XXIe siècle », Communiquer, no 15, 2005, pp. 65-84.

115 Voir, C. Boisbouvier, Hollande l'Africain, Paris, La découverte, 2015, p. 281.

116 Voir, E. Boulineau, M. Suciu, « Décentralisation et régionalisation en Bulgarie et en Roumanie. Les ambiguïtés de l'européanisation », L'Espace géographique 2008/4 (Tome 37), pp. 350.

117 Voir, B. Lory, « Le tour de Bulgarie », Outre-Terre 2004/2 (no 7), p. 303.

118Du temps de l'Union soviétique, la République populaire bulgare était surnommée la « 16e République » de l'URSS. Voir, A. Salles et B. Vitkine, « Moldavie, Bulgarie : une vague « prorusse » dans l'est de l'Europe ? », article publié le 15/11/2016 sur www.lemonde.fr, consulté le 25/06/17.

119 Voir, B. Lory, Op.Cit.

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ottomane restée longtemps à l'écart des idées et des évolutions économiques, l'accès à la modernité par la « porte russe » a présenté de nombreux avantages120. Mais accélérateur de la modernisation bulgare dès 1950, l'aide soviétique se verra discréditée après 1989 et l'Europe de l'Ouest exigera un effacement de la « modernité soviétique121» bulgare.

C'est ainsi que certaines autorités publiques fustigent la subordination de la Bulgarie à l'UE, qu'elle soit militaire (Otan), économique (FMI, Banque mondiale et Banque Centrale Européenne) ou politique122. Pour elles, l'idée selon laquelle il y aurait un modèle et des valeurs occidentales sur lesquels il conviendrait de s'aligner est dénoncée comme une illusion123. Aussi prônent-elles une reconsidération des relations établies avec la communauté européenne et un rapprochement avec la Russie qui milite pour une non-ingérence étrangère dans les affaires intérieures de l'Etat et le renforcement de la souveraineté nationale, politique diplomatique qui corrobore la volonté gouvernante bulgare de renforcer la centralisation afin d'apporter des réponses étatiques adéquates aux velléités centrifuges et aux nombreux conflits territoriaux fragilisant la souveraineté bulgare.

Ce discours n'est que l'expression de la « diplomatie énergétique » de la Bulgarie. En effet, souffrant d'un fort déficit énergétique et souhaitant passer d'une économie d'insertion par spécialisation régressive à une modernisation de l'appareil de production, via l'importation de technologies et les investissements directs étrangers (IDE)124, la Bulgarie considère son approvisionnement énergétique par la Russie comme vitale125. Durant la période communiste, les choix de politique économique s'appuyant sur des activités intensives en ressources naturelles, ou sur des industries liées au mode de développement antérieur, ont enfermé l'économie bulgare dans des spécialisations régressives fortement contraintes par la compétitivité prix126. Bien avant leur quête en technologies de pointe dès 1980, la coopération avec l'URSS comblait le retard de développement économique, l'insuffisance des ressources énergétiques palliée par des importations de pétrole et de gaz à

120 Voir, B. Lory, Op.Cit. 121Ibid., p. 312.

122N. Ragaru, « Un parti nationaliste radical en Bulgarie : Ataka ou le mal-être du postcommunisme », Critique internationale 2006/1 (no 30), p. 44.

123Ibid.

124 Voir, M.-L. Duboz, « Bulgarie, Roumanie. Interrogations sur leur adhésion à l'Union européenne », Le Courrier des pays de l'Est 2007/5 (n° 1063), p. 36.

125La Bulgarie est très dépendante sur le plan énergétique de la Russie, d'où viennent 92 % du pétrole, 100% du gaz, le combustible nucléaire également puisque les centrales sont de conception russe. Il y a des liens historiques solides entre les Bulgares et les Russes (la guerre russo-turque de 1878 est à l'origine de l'indépendance retrouvée du pays), ce qui rend cette dépendance plus acceptable. Voir, Entretien avec M. E. De Poncis, ancien Ambassadeur de France en Bulgarie, « De la Bulgarie et de quelques grandes questions européennes », article publié sur Diploweb.com, consulté le 25/06/17.

M.-L. Duboz, Op.Cit.

126 Voir,

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bon prix et par la technologie nucléaire127, d'où la nécessité, pour les autorités bulgares, de conserver ce lien et cet héritage soviétique. Aussi, depuis la fin de la guerre froide, la concurrence économique structure les relations entre acteurs sur la scène internationale128. Les rapports commerciaux jouent un rôle déterminant dans les rapports de force, les acteurs économiques étant érigés en véritables décideurs, à tel point que l'on parle de nouvelle diplomatie sur la scène internationale129.

Pays à bas revenus, néanmoins pourvue en ressources naturelles notamment en bois, charbon, terres cultivables et d'un sous-sol qui recèle de la bauxite, du cuivre, du plomb et du zinc130, la Bulgarie compte s'appuyer sur la relation historique entretenue avec la Russie pour limiter son déficit énergétique. Ceci en profitant du pipeline russe « Bourgas-Alexandroupolis » passant par la Bulgarie et la Grèce131, mais aussi de l'oléoduc South Stream traversant la mer Noire, conduit par les Russes et passant par la Turquie qui, géographiquement proche de la Bulgarie132, améliorera la politique énergétique du pays.

Dans un autre aspect, ce discours diplomatique a aussi pour objectif un repositionnement géopolitique sur la scène européenne, dans une concurrence qui oppose Sofia à Athènes. En effet, dans le cadre de la Nouvelle Europe hitlérienne, de 1941 à 1944, arguant de sa frontière commune avec la Turquie, le pays obtenu de ne pas combattre pendant la campagne balkanique et de ne pas participer aux opérations sur le front oriental133. De même, sa position sur le front sud du Pacte de Varsovie au sein du bloc soviétique face à l'Otan, incarnée par la Grèce et la Turquie ses rivaux traditionnels, lui avait valu plusieurs avantages géopolitiques134. Mais elle sera supplantée dans sa position de « nation favorisée à la périphérie » par la Grèce dès 1981. Dès lors, son discours de « chantage » vis-à-vis de la politique d'européanisation prônée par l'UE, de même que le ralentissement du processus de régionalisation, expriment sa volonté de repositionnement en tant que périphérie privilégiée avec l'ouest européen.

127 Voir, B. Lory, Op.Cit., p. 304.

128 Voir, A. Fogue, « Le mythe de la marginalisation stratégique de l'Afrique : analyse de la dynamique américano-chinoise autour du pétrole africain », in M. Kamto (dir.), L'Afrique dans un monde en mutation : dynamiques internes ; marginalisation internationale ? Paris, Afredit, 2010, pp. 265-275.

129 Voir, J. Stopford and S. Strange, « The New Diplomacy » in Cambridge University Press, Rival states, rival firms: competition for world market shares, 1991.

130 Voir, M.-L. Duboz, Op.Cit. p. 35.

131 Voir, D. Teurtrie, « La stratégie de la Russie dans l'exportation de ses hydrocarbures : contrôle et diversification », Flux 2008/1 (n° 71), p. 31.

132Voir, Entretien avec M. E. De Poncis, ancien Ambassadeur de France en Bulgarie, « De la Bulgarie et de quelques grandes questions européennes », article publié sur Diploweb.com, consulté le 25/06/17.

133 Voir, B. Lory, Op.Cit. p. 313.

134Ibid.

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B- A l'antipode d'une volonté gouvernementale bulgare de renforcer des liens économiques et militaires avec l'UE

Le 1er janvier 2007 marquera l'achèvement du 5ème élargissement de l'Union européenne avec l'adhésion de la Bulgarie. La décentralisation servira de matrice d'organisation politique et administrative infra-étatique pour ledit Etat à la suite du bouleversement provoqué par la disparition de l'Union soviétique135. Cette intégration offrira aux pouvoirs publics l'opportunité de démontrer leur engagement à mettre en oeuvre les recommandations faites par la Commission européenne sur l'européanisation de leurs politiques publiques136.

Quoique la décentralisation n'entre pas dans les compétences de l'Union, elle concerne l'organisation interne des États membres en vertu du principe de subsidiarité, Bruxelles préconisera un découpage en régions statistiques, la nomenclature des unités territoriales statistiques (NUTS)137, dans ledit Etat. Le gouvernement bulgare adoptera ladite nomenclature avec une politique régionale établie en 1999, révisée début 2003. Ainsi, sous l'influence du Conseil de l'Europe, l'implémentation d'une politique territoriale de décentralisation et de régionalisation, avec le soutien d'organisations internationales et de fondations relayées localement par des ONG bulgares138, sera mise en oeuvre par Sofia. La décentralisation sera stimulée par la transposition des principes de la charte européenne de l'autonomie locale de 1985139. La ratification de cette charte par la Bulgarie en 1992 guidera les demandes de décentralisation du niveau central vers le local, à travers l'organe consultatif du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux (CPLR)140. Le Congrès veille à l'application des principes de bonne gouvernance formulés dans la Charte européenne de l'autonomie locale141.

135 Voir, « La décentralisation en Europe », document rédigé par le comité des régions, consulté sur www.wikiterritorial.cnfpt.fr le 29/06/17.

136 Voir, N. Ragaru, « Usages et force instituante de la lutte anticorruption en Bulgarie : l'affaire Toplofikacija », Droit et société 2009/2 (n° 72), p. 304.

137 Voir, E. Boulineau, M. Suciu, « Décentralisation et régionalisation en Bulgarie et en Roumanie. Les ambiguïtés de l'européanisation », L'Espace géographique 2008/4 (Tome 37), pp. 353.

138 Voir, N. Ragaru, Op.Cit. p. 314.

139La Charte porte sur de multiples aspects liés à la décentralisation et à la démocratie au niveau local et régional : la liberté d'exercice des mandats électifs, les droits de recours contre les décisions de l'autorité de contrôle (l'État, en l'occurrence), les droits d'association entre elles des collectivités, le principe d'auto-organisation, les capacités juridiques, financières, humaines, etc. Elle donne un cadre précis et tout à la fois suffisamment souple auquel l'ensemble des États membres souscrivent. La question de l'autonomie politique administrative est au fond même de la Charte européenne de l'autonomie locale. Voir, « La décentralisation en Europe », document rédigé par le comité des régions, consulté sur www.wikiterritorial.cnfpt.fr le 29/06/17.

140 Voir, E. Boulineau, M. Suciu, Op.Cit.

141 Les principes de bonne gouvernance sont au nombre de 12 : des élections conformes au droit, représentation et participation justes ; la réactivité ; l'efficacité et l'efficience ; l'ouverture et la transparence ; l'Etat de droit ; un comportement éthique ; des compétences et des capacités ; l'innovation et l'ouverture d'esprit face au changement ; la durabilité et l'orientation à long terme ; la gestion financière saine ; les Droits de l'Homme, la diversité culturelle et la cohésion sociale et l'obligation de rendre des comptes.

Mémoire professionnel 45

La régionalisation en Bulgarie : étude des jeux et enjeux d'une politique territoriale

en oeuvre dans l'UE

Il encourage les processus de décentralisation et de régionalisation ainsi que la coopération transfrontalière entre les villes et les régions. Comme tout membre de la communauté, le pays participe à la vie politique et diplomatique de l'institution. Il a ainsi occupé la présidence du Conseil de l'Europe du 10 novembre 2015 au 18 mai 2016142.

L'engagement d'une mise en oeuvre de la régionalisation par le gouvernement bulgare présente des desseins économiques et sécuritaires. Sur le plan économique, le pays ambitionne lier son économie aux économies mondiale et européenne via les investissements directs étrangers (IDE), afin de participer au projet européen de « faire de l'Union européenne l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale, dans le respect de l'environnement143 ». Ayant connu une décennie de crise, qui a conduit le fonds monétaire international à lui imposer une caisse d'émission en 1997 avec une politique monétaire stricte qui se focalisait sur la bonne tenue des indicateurs macro-économiques144, la Bulgarie adoptera la même année une loi d'incitation aux investissements afin de sortir d'une crise qui l'a conduite au bord de la banqueroute145. Cette loi sera remaniée en 2004, afin de profiter davantage des investissements liés à la croissance économique. L'industrie bulgare étant majoritairement basée à l'époque socialiste sur l'exploitation des ressources naturelles, l'Etat cherchera à diversifier cette dernière pour qu'elle passe à une économie technologique et de connaissance, d'où la nécessité d'une interaction à l'UE.

L'intégration sera suivie par de forts investissements des pays membres de l'Union. La loi d'incitation aux investissements de 2007 stimulera, d'une part, la compétitivité de l'économie bulgare au travers du développement des technologies, des services et produits de haute valeur ajoutée et d'emplois à haute productivité, et, d'autre part, réduira les disparités régionales de développement économique en accord avec les mesures européennes146. Les avantages seront manifestes : les pays de l'UE forment 85% du stock et 78% des flux d'IDE en Bulgarie en 2009, la balance commerciale nationale est tournée vers l'Europe communautaire avec qui elle réalise 64% de ses exportations et 53% de ses importations en

142 Consulter le site conseil-europe.delegfrance.org

143 Voir, E. Boulineau, « La Bulgarie entre compétitivité et cohésion. IDE, fonds structurels et disparités territoriales dans un PECO », L'Espace Politique [En ligne], 15 | 2011-3, mis en ligne le 26 octobre 2011, consulté le 30/06/17. URL : http://espacepolitique.revues.org/2097 ; DOI : 10.4000/espacepolitique.2097

144 Voir, E. Boulineau, M. Suciu, Op.Cit., p. 353.

145 Voir, E. Boulineau, « La Bulgarie entre compétitivité et cohésion. IDE, fonds structurels et disparités territoriales dans un PECO », L'Espace Politique [En ligne], 15 | 2011-3, mis en ligne le 26 octobre 2011, consulté le 30/06/17. URL : http://espacepolitique.revues.org/2097 ; DOI : 10.4000/espacepolitique.2097

146Ibid.

Mémoire professionnel 46

La régionalisation en Bulgarie : étude des jeux et enjeux d'une politique territoriale

en oeuvre dans l'UE

2009147. Cet afflux d'IDE concerne le tertiaire du commerce, du transport (17%), l'industrie de transformation (18%), l'immobilier (23%) et investit dans le secteur bancaire (20%)148.

Au niveau sécuritaire, l'évolution politique du régime russe, et sa volonté de se servir de l'arme énergétique comme instrument de puissance dans les relations internationales149, conduit les Bulgares à trouver dans la politique étrangère et de sécurité commune un dispositif de défense leur permettant de se prémunir des velléités de la Russie. En effet, dans l'objectif d'une diversification des routes d'exportation de ses ressources gazières et énergétiques, le Kremlin ne ménage aucun effort pour faire pression sur ses anciens Etats satellites d'Europe de l'est pour obtenir des compensations en échange des prix du gaz les plus bas d'Europe150.

De même, le déploiement de l'armée américaine, de blindés et d'équipements lourds en Bulgarie, sur la base de Novo Selo dans le cadre de l'opération « Atlantic Resolve » de l'Otan aux alliés d'Europe de l'Est, se présente comme la réponse à l'annexion de la Crimée par la Russie et le rôle joué par l'armée russe auprès des séparatistes dans l'est de l'Ukraine151. D'un autre côté, disposant de peu de moyens pour répondre efficacement à la vague d'immigration clandestine qui a cours en Europe, la Bulgarie s'appuie sur la technologie et les instruments de l'UE pour y faire face.

Sofia adopte ainsi une diplomatie au « visage de Janus » sur la question de la régionalisation, dont elle fait usage selon l'appréciation qu'elle se fait des enjeux en présence, ceci à l'aune de ses priorités économiques sur la scène européenne et internationale.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore