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Quelle place occupe l'intelligence économique dans le déploiement des entreprises marocaines en afrique subsaharienne ?

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par Kenza Slaoui
HEC Paris - Master in Management 2014
  

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C. Méthodologie appliquée lors des interviews

L'objectif des interviews conduits est de récolter de l'information qualitative sur plusieurs

aspects du sujet :

- Stratégie de développement en Afrique ;

- Place de l'intelligence économique dans cette stratégie ;

- Appui de l'Etat et du gouvernement dans le dispositif d'intelligence économique vers

l'Afrique ;

- Avantages concurrentiels des entreprises marocaines et perception par les concurrents

étrangers.

Les questions étaient plus ou moins ouvertes selon la disponibilité de la personne interrogée.

La méthodologie de l'interview de Abdelmalek Alaoui diffère de celles des dirigeants d'entreprises dans la mesure où il peut apporter un éclairage et une vision plus globale sur les politiques publiques et privées d'intelligence économique. Le but était de comprendre avec lui :

- Comment fonctionnent les cabinets d'intelligence économique ;

- Quel est le rôle de l'Etat et du gouvernement dans le cadre d'un dispositif national d'intelligence économique ;

- Quel est le bilan de la feuille de route de l'AMIE ;

- Quelles sont les pratiques de l'intelligence économique dans le secteur privé ;

- Quelles sont les grandes lignes de la stratégie africaine du Maroc ;

- Comment l'Europe, la Chine et les grands pays émergents perçoivent le développement du secteur privé marocain en Afrique.

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D. Restitution des interviews

a) Abdelmalek Alaoui (AMIE et Global Intelligence Partners)

Président exécutif de l'Association Marocaine pour l'Intelligence économique et directeur du cabinet en stratégie et en intelligence économique Global Intelligence Partners, fondé en 2006 et basé à Rabat.

+ Activité :

1. Quelle est votre activité principale ?

Global Intelligence Partners exerce trois activités équilibrées :

- La veille stratégique, qui est une activité assez mature,

- Le conseil en stratégie, une activité très classique dans son fonctionnement,

- La communication d'influence, qui est en très forte croissance.

Chaque activité correspond à une brique industrielle définie : la veille permet de surveiller, d'analyser et de transmettre ; le conseil en stratégie permet d'approfondir et la communication d'influence arrive en bout de chaine pour gérer son image. Aujourd'hui c'est la communication d'influence qui est en croissance rapide, l'intelligence économique commence à vieillir !

2. Quelle est la part de votre activité qui est tournée vers l'Afrique ?

Les clients marocains voulant être accompagnés en Afrique représentent 30 à 40% de notre activité. Le gros de notre activité correspond aux clients africains qui font appel à nous notamment pour des problématiques d'image et de surveillance des réseaux sociaux. La grande majorité d'entre eux sont des pouvoirs publics qui font appel à nous pour plusieurs raisons :

1) J'ai la vanité de croire que notre cabinet offre une certaine expertise ;

2) Il ont une certaine défiance vis à vis des prestataires actuels et envers les anciens colonisateurs ;

3) Ils ont le sentiment de pouvoir partager un certain nombre de choses avec un prestataire qui est africain, musulman, arabe...

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3. Quelle expérience étrangère d'IE vers l'Afrique vous paraît la plus digne d'intérêt pour le Maroc ?

Très sincèrement, je pense qu'au delà des gimmicks que j'ai théorisées telles que « surveiller comme les chinois, analyser comme les français, agir comme les américains et partager comme les arabes », je pense que l'expérience chinoise est véritablement la plus intéressante pour nous. Tout d'abord parce qu'il y a une dimension politique très forte et parce que les chinois ont une « full spectrum approach ». En réalité, le diplomatique sert l'économique qui sert le politique qui sert l'humanitaire. Et puis il y a une stratégie de puissance ; je pense que le Maroc s'en est inspiré. Nous sommes un pays aux ressources relativement limitées, mais nous sommes parmi les plus actifs en matière de solidarité continentale en matière d'hôpitaux de campagne... La prééminence du politique et de la doctrine dans la stratégie chinoise se retrouve aussi dans la stratégie marocaine.

+ Sources :

4. D'où tenez vous vos informations sur l'Afrique que vous communiquez à vos clients ?

1) On structure déjà les informations qui sont ouvertes, en sachant que sur ce qui constitue les sources d'informations en Afrique répertoriées par Google News, etc, et qui constituent la source primaire d'information. Mais cela représente une faible part de l'information que nous récoltons. Il y a un travail très important à faire au niveau de la mise à jour fréquente des informations pour se structurer. Pour des raisons très simples : les émetteurs d'information en Afrique émettent pendant quelques mois puis disparaissent car il est rare qu'ils aient un modèle économique viable.

2) Nous avons aussi des correspondants sur place et faisons beaucoup appel à la diaspora africaine pour récolter de l'information à forte valeur ajoutée. Elle nous permet d'accéder à des interlocuteurs de premier plan car ils sont au contact du terrain en tant que pourvoyeurs de fonds.

5. Comment avez-vous mis en place ces relations avec vos contacts en Afrique ? La gestion des sources informelles est structurée dans notre cabinet.

- Il y a des têtes de réseau qui viennent d'associations d'anciens élèves des grandes écoles françaises. Les anciens de Sciences Po Paris représentent à ce titre la plus grande proportion de ministres en Afrique de l'Ouest par rapport à toutes les écoles du monde.

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- Il y a aussi le fait d'être producteur de connaissance car les gens viennent vers vous plus simplement et plus facilement car ils pensent que vous êtes pertinent sur ce sujet.

- Il y a aussi le fait de connaître un client important, qui connaît des conseillers

importants qui eux mêmes connaissent des gens importants...

- Il y a un phénomène d'irréversibilité injuste qui empêche les nouveaux entrants de pénétrer le marché.

6. Quel est le rôle de la rumeur économique en Afrique ? Comment l'appréhendez-vous ?

La rumeur est beaucoup plus présente dans la veille stratégique sur le politique. Sur l'économique et du fait de la non structuration des émetteurs d'information (il n'y a pas Les Echos et le Financial Times au Bénin par exemple), l'information économique est plus lente à émerger. En revanche, la rumeur politique peut aller très vite sur les réseaux sociaux par exemple, qui jouent un rôle d'accélérateur.

7. Quel est le rôle du secteur bancaire dans la remontée d'informations économique?

Officiellement, les banques ne sont pas des pourvoyeurs d'information pour nous pour des raisons de règles prudentielles qui les empêchent de remonter de l'information sur leurs clients. De plus, je ne vois pas quel peut être leur input. Ils sont peut être intéressants sur ces zones sur les questions de blanchiment ou de biens mal acquis. Ils ont des informations utiles, bien sûr il est important d'entretenir des relations avec eux, mais les informations qu'ils nous transmettent restent informelles.

+ Rôle et actions du gouvernement dans le dispositif d'intelligence économique :

8. Quel rôle joue le gouvernement dans le dispositif national d'intelligence économique ? Comment le gouvernement a-t-il accueilli la feuille de route de l'AMIE, et notamment la création du big data gouvernemental ?

J'ai la conviction que nous sommes des acteurs absolument inexistants en matière de production de connaissance. Ma mission pendant ce premier mandat à la tête de l'AMIE était d'être des précurseurs en produisant de la connaissance à caractère stratégique. La deuxième conviction forte que j'ai est que nous produisons beaucoup de documents au Maroc qui ont l'apparence de documents de stratégie, mais qui sont en fait documents de conviction. Ils reflètent une doctrine teintée de politique. Si vous regardez la carte de la production mondiale

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de l'information, il y a trois acteurs majeurs dans l'intelligence économique qui sont les Etats Unis, l'Allemagne et l'Angleterre. Il faut d'ailleurs s'interpeller sur le fait qu'il n y ait pas une seule personne qui parle allemand au Maroc dans les pouvoirs publiques, ce qui explique l'incapacité à traiter l'information stratégique qui sort en allemand. En Afrique, deux pays produisent de la connaissance intéressante, ont des think tanks et des centres de recherche axés sur l'intelligence économique : l'Afrique du Sud et le Nigéria. Or ils sont loin d'être des amis du Maroc !

J'ai voulu, à travers le travail que nous avons réalisé à l'AMIE, fixer le cap de la stratégie puisque le gouvernement, de ce que je sais de son action, est face à l'urgence. Le seul qui fixe le cap sur des ambitions à moyen et long terme est le souverain ; or, de par sa fonction, il n'a pas vocation à drafter la stratégie ou à en assurer l'exécution. Il ne peut pas tirer un penalty et jouer au gardien de but juste après ! C'est antinomique.

Evidemment, certaines propositions de notre feuille de route paraissent éloignées des considérations quotidiennes du gouvernement. Simplement, que va-t-il se passer ? Du fait de la faiblesse de notre réflexion stratégique, dans 3 ans, des acteurs vont commencer à se pencher sur l'installation d'un big data gouvernemental que nous avons proposé dans notre feuille de route. Or cela sera déjà obsolète, nous serons peut être probablement déjà passés à autre chose.

La feuille de route avait pour objectif d'organiser la rupture en matière de production de connaissance ; et je dois dire que j'ai été très déçu par le suivi qui a été fait par les pouvoirs publics de cette feuille de route qui a été applaudie par la communauté scientifique ; le Conseil Economique et Social nous a auditionné officiellement pour en écouter les propositions. Certaines ont même été reprises dans le dernier document qui a été fait par la Commission de la Stratégie ; mais le Conseil Economique et Social reste un organe à caractère consultatif.

Nous avons 9 points de PIB au sein du conseil de l'administration de l'AMIE. Or, personne au sein de l'exécutif n'a eu l'idée de prendre son téléphone et de contacter l'association pour montrer son intérêt pour ce document de doctrine sur le futur de l'intelligence économique au Maroc. Une seule personne l'a utilisée : Moulay Hafid Elalamy, mais non pas du fait qu'il était ministre, mais du fait que nous le connaissions parce qu'il est membre de l'association et qu'il était intéressé.

Sur le principe, dès le moment où l'on dit qu'il faut inscrire le pays dans une démarche d'intelligence économique, tout le monde est d'accord, cela fait consensus. Dès le moment où l'ont parle d'opérationnalisation, le gouvernement ne réagit pas. Je ne mets pas l'Etat et

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certaines de ses fonctions régaliennes en cause : aujourd'hui, l'armée, les services de sécurité et les services de renseignement sont aux standards internationaux. Mais il n'y a pas de partage de l'information entre le militaire et l'économique.

9. D'après vous, le fait que la feuille de route de l'AMIE n'ait pas connu de suivi est-il du au fait que ces changements impliquent des financements importants ? Je pense qu'un état souverain qui a un PIB de 190 milliards de dollars a de quoi financer un big data qui couterait 5-6 millions de dollars. Si l'on regarde ce que l'Etat a financé ces dernières années comme le Ma-Cert, l'efficacité de cet investissement de 450 millions de dirhams reste à être démontrée. Je pense également aux plusieurs centaines de millions de dirhams ont été payés aux cabinets de conseils anglo-saxons.

Il y a une vraie question d'Etat stratège en matière d'allocation de la ressource publique : sommes-nous prêts à mettre de l'argent pour des choses qui ne seront pas immédiatement rémunératrices, mais qui permettront à l'Etat de mieux s'organiser ?

10. Comment se fait le partage de l'info entre le gouvernement et les opérateurs économiques ?

Il y a un seul niveau de partage d'information structuré et il se situe au niveau de la DSSI (Direction de la Sécurité et des Systèmes d'Information). Il porte sur un sujet particulier qui est la cyber-sécurité et le risque portant sur les installations critiques de la nation. C'est un organisme hybride puisqu'il est abrité par le Ministère de l'Industrie, du Commerce, de l'Investissement et de l'Economie Numérique et est dirigé par le Colonel Rabii. Ils ont été très bien formés par les suds coréens.

Nous sommes très bons en protection et cela de manière transversale. En revanche, il n'y a rien qui est fait pour anticiper. Je pense qu'il faut organiser la coercition pour le partage de l'information entre le public et le privé (c'était l'une des propositions de notre feuille de route). D'expérience, à chaque fois que l'on se réunit avec des acteurs publics et privés, la bonne volonté pour partager les informations s'arrête à la fermeture de la porte de la salle de réunion. L'une des mesures proposées pour obtenir une transversalité de l'information était justement que toutes les études produites par l'Etat soient plongées dans un intranet gouvernemental, et que les budgets ne soient pas reconduits si un ministère ne partageait pas. Mais cela n'a pas été fait.

11. Quel est le rôle des relais diplomatiques marocains en Afrique dans le système d'IE ? quels axes d'amélioration ?

Ils ne font que de la diplomatie. L'IE est du ressort de la politique étrangère. Je ne dis pas que ce n'est pas lié ; cela devrait l'être ; mais aujourd'hui, les représentations du Maroc à l'étranger ne font que de la diplomatie et du protocole là où, si elles étaient orientées et en ligne avec les ministères économiques, elle ferait de l'influence pour trouver des opportunités économiques pour le Maroc.

+ Feuille de route de l'AMIE :

12. Comment les entreprises ont-elles accueilli la feuille de route ? Les grandes entreprises sont-elles sensibles à l'intelligence économique ?

Les entreprises ont été sensibles à la feuille de route. Il n'y a aucun mystère là dessus : les entreprises qui sont des champions nationaux en Afrique sont également les champions nationaux de l'intelligence économique. Les dix premières entreprises les plus actives en Afrique (OCP, Maroc Telecom, BMCE, Attijari,É) ont toutes des cellules d'intelligence économique. Je ne veux pas y voir un lien de cause à effet, mais il y a une prise de conscience sur la nécessité de traiter l'information économique.

+ Intelligence économique dans le secteur privé :

13. En général, quels budgets les entreprises allouent-elles à l'intelligence économique ?

Les budgets alloués à l'intelligence économique par ces entreprises sont confidentiels.

14. Quels dispositifs d'IE sont les plus répandus ? Pouvez-vous citer deux success stories ?

Les modes d'organisation des départements d'intelligence économique sont très différents et dépendent des entreprises : on peut voir des entreprises industrielles (OCP) qui vont avoir des équipes de veille stratégique pour surveiller le métier, le marketing, le business, le politique ; les entreprises de services comme les banques (BMCE) vont moins surveiller le métier que le conjoncturel. Cela dépend aussi de la personnalité du dirigeant et de quelle importance il accorde à ce type de sujets. Il n'y a pas d'organisation idéale.

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15. Quel est le degré de partage de l'information au sein des entreprises mêmes ?

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Il y a de tout : j'ai vu un champion national des télécoms qui a 1 800 collaborateurs qui interviennent sur la plateforme de veille. L'expérience de Maroc Telecom est pour moi la plus intéressante en termes d'intelligence économique.

16. Pensez-vous que les PME souhaitant se déployer vers l'Afrique sont plus sensibilisées à l'intelligence économique qu'avant ?

Il n'y a toujours rien à ce sujet, même si on propose. C'est le rôle d'un think tank de proposer des choses...

17. Les entreprises marocaines parviennent-elles à chasser en meute en Afrique ? Non. Tout d'abord, l'outil le plus performant pour chasser en meute est la fédération professionnelle. Si nous analysons leur discours, elles sont très centrées sur la protection (elles demandent surtout des mesures anti dumping). Notre conception même de l'économie au Maroc est une conception insulaire : les gens réfléchissent à comment optimiser le dispositif actuel, mais ne réfléchissent jamais à un gâteau qui soit plus gros. Même les revendications des fédérations patronales portent sur l'optimisation du dispositif actuel de fiscalité. En ce qui me concerne, la fiscalité marocaine me va très bien... Et surtout, je pense que l'on a l'une des meilleures fiscalités en Afrique puisque personne ne paye ses impôts.

Il faut réfléchir à comment on va agrandir le gâteau plutôt que de s'entretuer sur le petit gâteau dont nous disposons pour l'instant. C'est le principal blocage aujourd'hui pour chasser en meute. Chasser en meute veut dire que l'on va attaquer un gâteau beaucoup plus gros et mutualiser ce qui peut l'être pour faire des économies. Or, culturellement, il y a un vrai blocage.

18. Comment est accueillie l'implantation des entreprises marocaines en Afrique : a. Par les autres leaders africains (Afrique du Sud, Nigéria, Algérie, Egypte) Je ne pense pas que nous soyons véritablement un sujet pour eux aujourd'hui - pour l'instant. Le Maroc est très présent dans les industries de services ; l'Afrique du Sud, comme le Nigéria, sont plutôt fortes sur les industries extractives. Par ailleurs, et contrairement au Maroc, ils opèrent en Afrique anglophone : le Maroc n'est donc pas dans leur radar immédiat. Ce petit pays de 35 millions d'habitants où l'on parle français est plutôt une curiosité pour eux. C'est aussi un grand avantage compétitif pour le Maroc, car ils ne nous voient pas arriver sur leurs radars. Ils ont d'autres problématiques : ce sont des Etats nations, l'un d'entre eux

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fait partie des BRICS,É Il y a peut être eu une petite crispation des sud africains au niveau de la place financière de Casablanca.

b. Par les pays occidentaux (France, UK)

Nous sommes hypertrophiés en Afrique de l'Ouest. La France, car nous sommes en train de nous substituer à leur ancien centre de gravité.

c. Par la Chine et les grands émergents

La Chine va délocaliser 80 millions d'emplois dans les dix années à venir. Il y a deux approches : soit nous restons dans l'approche protectionniste que je dénonce et qui consiste à dire que la Chine est une menace ; soit nous les voyons comme acteurs avec qui nous devons composer. Il faut être prudent. Dans le même temps, en 2002, la part d'exportations d'Afrique vers la Chine versus l'exportation de matières premières était environ de 50%-50%. En 2013, d'après l'ouvrage « Emerging Africa » de Steven Radelet, on est à 80%-20% en faveur des industries extractives. L'Afrique est en position de récupération de leurs matières premières (notamment de matériaux essentiels pour la fabrication de smartphones qui est aujourd'hui aussi précieux que le diamant en RDC).

L'Afrique fait la même taille que la Chine en termes de population et de taille, mais le facteur bloquant est que l'Afrique est constituée de 54 pays, soit autant de frontières et de droits de vote à l'ONU ; alors que la Chine, en tant qu'Etat nation, peut avoir une stratégie cohérente. Ma conviction est donc qu'il faut qu'on aille vers un marché unique africain.

19. Qu'en est-il donc Tarif Extérieur Commun de l'UEMOA et du marché unique ? Aujourd'hui il n'y a pas de leadership pour porter ces sujets. Il y a besoin d'un leadership pour favoriser l'intégration régionale. Il y aura besoin, à un moment ou à un autre, d'une conférence des arrières pensées entre le Maroc et l'Algérie. Quand on parle de moteur, on parle toujours de couple. Il y a besoin d'un couple pour faire marcher l'intégration africaine. Le pays le plus riche par son sous-sol et le plus riche par ses services sont condamnés à s'entendre et à dépasser leurs différends, qu'ils le veuillent ou non, pour devenir les moteurs de l'intégration régionale. Vous savez, il ne suffit de rien pour que tout bascule. Aujourd'hui, un changement de leadership en Algérie peut changer les choses très rapidement, en quelques mois. Je ne suis absolument pas pessimiste.

20.

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D'après vous, la forte proximité culturelle et géographique entre le Maroc et l'Afrique subsaharienne suffit-elle à expliquer la réussite des entreprises marocaines en Afrique, là où d'autres grandes puissances ont jusque là échoué à faire de même (dans les cimenteries, la téléphonie, É) ?

Il n'y a pas de pays qui soit en situation d'accueil. Je pense que le Maroc avait vocation à se développer à l'Est parce qu'il y a une complémentarité économique avec l'Algérie. Mais de cette contingence, le Maroc a su créer une force : c'est par nécessité que le pays s'est projeté vers le Sud. Je connais peu d'entreprises qui soient philanthropes ; elles vont en Afrique pour gagner de l'argent : à ce titre, les filiales de Maroc Telecom en Afrique ont l'EBITDA le plus important de toutes les filiales d'entreprises de télécoms au monde. Les entreprises marocaines ont compris que si elles misaient sur des cadres africains et sur moins d'expatriés comparativement aux français, elles auraient un avantage concurrentiel fort.

21. Qu'est ce qui pourrait contredire cette donne dans les années à venir ? Est ce que le redémarrage prévisible de la croissance en Europe ne risque pas de ramener le « désir d'Afrique » à son niveau historique ?

Aucune position dominante n'est irréversible aujourd'hui. Une réalité aujourd'hui pour le Maroc peut demain se retourner à la faveur ou à la défaveur d'une situation géopolitique complexe qui évolue. Une déstabilisation du Sahel peut nous enlever toutes nos positions dans un certain nombre de pays. Rien n'est acquis !

22. Quels sont les écueils à éviter en s'implantant en Afrique ?

Il faut faire attention aux comportements moutonniers en Afrique. Beaucoup de gens ont vu de la lumière et pensent qu'il suffit d'entrer ; mais la réalité est beaucoup plus contrastée et complexe.

Je ne dis pas qu'il faut prendre son temps avant de se lancer sur le continent. Je dis qu'il ne faut pas y aller en pensant faire de la croissance tout de suite. Il faut y aller dans l'idée de s'enraciner sur le long terme. On ne peut pas aller en Afrique avec une logique de fonds d'investissement. Il n'y a d'ailleurs pas de fonds d'investissement dédié exclusivement au continent.

L'Afrique est une zone d'emportement, par exemple dans les années 2000 l'une des couvertures de The Economist titrait « the hopeless continent » alors qu'en 2012 le même magasine titrait « Africa rising ». La réalité est que nous ne pouvons pas passer d'un pessimisme endémique à un optimisme béat...

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b) Brahim Skalli (Alliances)

Directeur Stratégie et Partenariats d'Alliances, leader marocain de la promotion immobilière.

1. Quelle est la stratégie de développement d'Alliances en Afrique ?

Tout d'abord, il faut savoir que le Maroc est un pays qui a connu une croissance forte en 2000-2010. Durant cette période, nous avons quasiment doublé le PIB et le SMIC ; et il y a eu beaucoup d'améliorations économiques. Avec la crise, nos principales sources de croissance et nos principaux donneurs d'ordres ont connu un ralentissement indéniable.

Depuis son accession au trône, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a une vision stratégique concernant le développement des intérêts du Maroc en Afrique. Il a fortement encouragé le secteur privé à se lancer dans cette direction et a eu raison de le faire : le fait d'être déjà positionné sur un continent en forte croissance comme l'Afrique nous donne une longueur d'avance. Le continent va connaître une croissance de 5 à 10% sur les dix prochaines années d'après les chiffres de la Banque Mondiale et du FMI ; en termes de démographie, l'Afrique compte 1 milliard d'habitants depuis 2010 et nous allons atteindre deux milliard en 2050. Le potentiel et les besoins sont énormes.

L'immobilier était l'un des leviers de développement les plus importants ces dix dernières années en tant qu'un des principaux pourvoyeurs d'emplois et de croissance au Maroc (BTP, politique des grands travaux, infrastructures). Les logements sociaux ont ouvert un marché énorme de 30 milliards de dirhams qui se développe chaque année. Le besoin est énorme, certes, mais il reste qu'Alliance représente déjà 10% de parts de marché au Maroc sur ce secteur ; et les 6-7 plus gros opérateurs marocains se partagent 45% du marché. D'ici cinq ans, Alliances aura atteint sa taille de maturité et la croissance sera limitée sur le marché local. Ce positionnement du Maroc vers les pays africains a donc été judicieux. Les entreprises qui ont atteint la taille de champion national, c'est-à-dire celles ayant atteint leur maturité sur le marché local, ont besoin de relais de croissance en dehors du territoire si elles veulent voir leur chiffre d'affaires croitre de manière significative dans les années à venir.

Nous considérons que trois conditions doivent être réunies pour le succès de la promotion immobilière en Afrique :

1. Le financement doit exister (crédits hypothécaires, crédits promoteurs, capacité des

acheteurs à acheter des maisons et à s'endetter sur plusieurs années notamment),

2.

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L'écosystème du foncier doit exister également (cadastre, enregistrement, hypothèque, système juridique relatif au foncier, etc),

3. La fiscalité doit être avantageuse, et notamment pour le logement social pour qu'il soit rentable.

En ce qui concerne les projets d'infrastructures, le besoin est énorme en Afrique et pour que cela fonctionne, il faut des commandes de l'Etat, des garanties par des agences multilatérales (garantie risque pays, garantie crédit, etc) et il faut un financement par des banques locales ou des partenaires.

2. A partir de là, comment procédez-vous pour identifier les pays d'Afrique où vous allez vous implanter ?

Lorsque nous analysons la carte de l'Afrique à la lumière des critères cités ci-dessus, nous regardons ensuite :

1. Les pays africains où sont implantées des banques marocaines : elles nous connaissent bien, savent comment nous fonctionnons et nous pouvons avancer rapidement sur la mise en place d'un schéma de financement.

2. Les pays francophones principalement,

3. Les pays qui ne présentent pas de risque politique : nous nous basons sur les informations du Ministère des Affaires Etrangères français et marocain, la Coface, la garantie MIGA (dédiée à l'Afrique), les ambassades et les contacts à haut niveau sur place.

Sur ces pays, nous avons poussé notre analyse et identifié trois types de marchés :

- Les marchés étroits : le nombre de ménages solvables et la consommation de ciment y sont faibles. Nous devons faire attention à la manière dont nous pénétrons ces marchés car nous pouvons facilement les déstabiliser ;

- Les marchés prometteurs : ceux que nous allons analyser de plus près et qui sont très porteurs ;

- Les marchés complexes (Tunisie et Nigéria) : même si ce sont des marchés importants, les risques le sont tout autant. Si l'on prend l'exemple du Nigéria, la corruption y est endémique, le droit instable, le financement problématique et les marchés souvent donnés de gré à gré. Il faut réfléchir à la manière de pénétrer ces marchés, peut-être en trouvant un partenaire local, mais ce n'est pas une priorité.

Au final, en excluant la Tunisie et le Nigéria, le marché potentiel dont on parle ne représente qu'une fois le marché marocain uniquement !

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3. Où êtes-vous implantés en Afrique aujourd'hui ? Par niveau d'avancement :

1. Nous sommes actuellement implantés en Côte d'Ivoire. Nous avons signé un accord avec le gouvernement pour la construction de 14 000 logements sociaux et avons démarré la première partie du projet, sans partenaire local.

2. Nous avons signé il y a moins d'un mois un accord avec le gouvernement sénégalais pour la construction d'un nouveau pôle urbain près de Dakar dans le cadre d'un partenariat public/privé. Notre rôle est de viabiliser le terrain, de vendre une partie à d'autres promoteurs et de développer le reste. Le projet est en cours de lancement.

3. D'autres discussions ont été initiées lors de la tournée royale en Afrique avec le Congo Brazzaville, Mali, le Cameroun, la Guinée pour des projets de promotion immobilière à approfondir.

4. La position du pays en question vis-à-vis du dossier du Sahara impacte-t-elle votre décision de vous implanter ?

La prise de position du pays sur la question du Sahara joue en effet un rôle dans notre décision de nous implanter ou non. L'un de nos critères de sélection du pays est sa proximité politique du Maroc : bien sur, si les relations diplomatiques sont importantes et intenses comme avec la Côte d'Ivoire et le Sénégal, c'est plus facile qu'avec le Nigéria.

5. Comment gérez-vous les ressources humaines en Afrique ?

Nous sommes convaincus qu'il faut aller en Afrique avec une culture de l'humilité. Il ne faut pas y aller en donneurs de leçons ; il faut avoir confiance en la compétence locale. Il faut recruter en local et réaliser des transferts de savoir-faire entre expatriés marocains formés à la promotion immobilière chez Alliances et cadres locaux.

6. L'anglais est-il une barrière importante pour s'implanter en Afrique anglophone ?

Oui, car les ressources humaines et les compétences sont un gros paramètre du développement en Afrique. Nous avons l'impression que l'on peut exporter les schémas marocains et les dupliquer, mais cela dépend fortement des ressources humaines.

Dans notre métier, faire de la promotion immobilière c'est avoir des ressources humaines locales qui arrivent à piloter, lancer, construire, vendre et encaisser un projet. Or il faut

trouver des gens capables de faire cela ailleurs, et les cadres expatriés d'Alliances qui vont les encadrer sont des francophones et ils ne parlent pas forcément l'anglais.

7. Que pensez-vous du principe de coopétition pour se lancer en Afrique ? Y avez-vous recours ? Si oui, détails ?

Comme nous sommes concurrents sur notre marché principal, nous ne pouvons pas faire de projets communs à l'extérieur, il n'y pas de logique industrielle à procéder comme cela. Nike ne va pas s'associer à Reebok pour attaquer le marché chinois !

En revanche, nous réfléchissons à des montages de ce type à travers des partenariats avec des institutions multilatérales telles que la BAD, la Banque Mondiale, la BERD, l'AFDÉ Ces agences sont très intéressées par le financement du développement en Afrique. D'autre part, notre capacité d'investissement et d'endettement étant limitée, nous ne pouvons pas nous engager seuls sur 25 pays. Coopérer avec ces structures multilatérales de financement signifie que l'on peut envisager ensemble le montage d'opérations plus importantes en Afrique.

8. Quelle place donnez-vous à l'intelligence économique dans votre stratégie de

déploiement en Afrique ? Quels outils et canaux utilisez vous aujourd'hui ? Nous n'avons pas de département d'intelligence économique formalisé en interne, mais nous pouvons dire que nous avons trois niveaux d'intelligence économique à ce jour : - En interne, nous suivons de près ce que font nos concurrents marocains en Afrique, - Nous faisons appel à des cabinets de conseil externes pour réaliser les études de

marchés :

o Soit avec des grands cabinets immobiliers (CBRE, JLL, Colliers notamment) qui ont des bureaux sur place et qui peuvent nous fournir des études de marché précises et détaillées ;

o Soit on avec des cabinets de conseil en stratégie qui réalisent pour nous des études de marché afin de nous renseigner sur quels types de produits attendent les consommateurs, qui sont les principaux opérateurs locaux, quels sont les coûts de construction...

- L'équipe de développement Afrique, qui est constamment en déplacement, origine les partenariats et les deals d'une part et fait de l'intelligence économique d'autre part : elle suit les marchés, les opérations qui sont réalisées, les principaux acteurs...

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9. Quels budgets sont alloués à l'IE ?

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Il n'y a pas de budget spécifiquement alloué à l'intelligence économique. Nous finançons principalement un budget annuel pour les déplacements de l'équipe Afrique. Une fois qu'ils identifient l'opportunité et que nous avons un contact à haut niveau qui la confirme, nous lançons alors l'étude de marché. C'est un budget alloué en plus selon la validité ou non de l'opportunité. Ensuite, au niveau interne, nous faisons un suivi constant du développement des opérateurs marocains en Afrique. Nos sources d'informations proviennent principalement d'internet, de la presse, des rapports annuels, des assemblées générales et des présentations investisseurs des concurrents.

10. Qui a accès à cette information ?

Cette information est destinée à la direction générale et à l'équipe Afrique uniquement.

11. La partagez-vous avec d'autres opérateurs marocains souhaitant s'implanter sur place ?

Non, car nous considérons cela comme des informations stratégiques.

12. Quel est le rôle du secteur bancaire dans la remontée d'informations économique?

Les banques jouent un rôle crucial dans notre développement sur le continent : une fois que nous arrivons sur place, ils nous présentent les sociétés les plus importantes dans la construction, les partenaires juridiques, les avocats, les fiscalistes. Cela facilite énormément notre entrée sur le marché.

13. Quelles ambitions pour l'intelligence économique en interne dans votre entreprise dans les années à venir ?

Nous avons réfléchi à cette question et notre volonté est d'organiser l'intelligence économique du groupe en trois pôles centralisés par la direction que je dirige (stratégie et partenariats) :

- Une veille macroéconomique au niveau de la direction de la stratégie suivant l'évolution politique, le PIB, les taux d'intérêts, la position du Maroc vis-à-vis des marchés extérieurs, la production de ciment, le niveau de liquidités du marché financier, le marché boursier...

- Une veille métier au niveau de chaque pôle d'activité d'Alliances. Elle doit suivre tous les projets en cours, ce qui est vendu ou non, à quel prix, quelle marge... Cette

base de données existe déjà au niveau de notre pôle « résidentiel haut de gamme et golfique » et nous souhaitons la dupliquer sur notre activité de logement social et de construction ;

-- Une veille financière pour surveiller les communications financières des concurrents, les annonces de contrats, les projets de développement des concurrents...

14. Existe-t-il un suivi étatique post-tournées royales en Afrique ?

Oui, une commission a été créée pilotée par le Ministre des Affaires Etrangères qui réunit l'ensemble des entreprises qui ont fait partie de la tournée royale en Afrique. Des réunions mensuelles sont organisées pour faire le suivi des partenariats signés dans le secteur privé.

15. Existe-t-il une mutualisation de l'expertise et des ressources en intelligence économique avec l'Etat pour un partage de l'information économique et commerciale à l'échelle nationale ?

C'est fait, mais de manière informelle. En rencontrant un ambassadeur, ou un ancien ambassadeur d'un pays où nous souhaitons nous implanter, nous avons accès à une quantité d'informations considérable et à une connaissance très pointue de ces marchés. Néanmoins, cette intelligence économique n'est pas formalisée et se partage surtout grâce aux contacts.

En revanche, le Ministère des Affaires Etrangères français a formalisé de nombreuses études en intelligence économique, il y a des rapports en ligne sur les risques pays notamment.

16. Avez-vous entendu parler de la feuille de route de l'AMIE pour une stratégie d'IE nationale ? Que pensez-vous de leurs propositions ?

Non, je n'en ai pas entendu parler.

17. Comment est accueillie votre implantation en Afrique : a. Par les autres leaders africains (Afrique du Sud, Nigéria)

Pour l'instant, ils regardent de loin le déploiement du Maroc en Afrique. Leurs marchés de prédilection sont les pays anglophones ; les pays francophones ne faisaient pas vraiment partie de leur stratégie d'expansion, tout du moins dans le secteur immobilier. Pour l'instant, il n'y a pas d'interactions avec ces acteurs. Nous sommes en train de prendre de l'avance !

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b. Par la France

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L'approche du Maroc sur les pays d'Afrique est très différente de celle des pays occidentaux. Contrairement à eux, nous n'allons pas dans ces pays pour leurs ressources naturelles. Nous y allons en tant qu'investisseurs et vendeurs ; alors que les pays occidentaux y vont principalement pour acheter de la matière première peu chère, la transformer et la revendre. Quant à nous, nous exportons la banque, les télécoms, l'immobilier.

Nous pensons qu'il y a une période d'acclimatation au marché pour rentabiliser nos investissements ; mais à terme, nous seront en position de first movers, et c'est la position idéale pour attaquer un marché.

c. Par la Chine et les grands émergents

Ils sont très présents sur la partir grands travaux, mais je dirais même qu'ils sont tellement gros que ce ne sont pas nos concurrents. Ils construisent à la fois une mine, l'autoroute qui y mène, la ville,... avec des milliards de dollars d'investissements. Nous ne jouons pas dans la même cour. Hier, le forum « China-Africa Investment Meetings » organisé par la BMCE Bank le 24 et 25 juin 2014 avait pour but de promouvoir un schéma de coopération sino-maroco-africaine dans laquelle la Chine apporte son savoir faire en termes d'infrastructures et de moyens, et le Maroc son savoir-faire en termes de pénétration des marchés, de services et de financements. Nous nous voyons plutôt comme complémentaires !

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c) Mamoun Tahri Joutei (BMCE Bank)

Responsable du département d'intelligence économique de BMCE Bank, l'une des plus grandes banques marocaines.

1. Pouvez-vous me parler de la stratégie de BMCE Bank en Afrique ?

BMCE Bank a fait le choix stratégique de se développer en Afrique depuis le début des années 1980. La première coopération a eu lieu avec le redressement de la Banque de Développement du Mali et s'est poursuivie avec la prise de participation dans La Congolaise de Banque en 2003. Suite à ces deux succès, BMCE Bank a accéléré ses investissements en Afrique en 2008 avec une prise de participation majoritaire dans le groupe Bank of Africa (BoA), présente dans plus de 17 pays d'Afrique francophone et anglophone (Kenya, Ghana, Ouganda et Tanzanie). L'idée, chère au Président du Groupe BMCE Bank, est que nous soyons présents dans les 54 pays d'Afrique d'ici quinze ans.

Notre logique de développement en Afrique se fait avec le souci majeur du respect des identités et des cultures locales. Ceci implique une adaptation et une déclinaison locale de nos services et c'est ce qui fait notre force aujourd'hui en Afrique : nous réfléchissons par exemple actuellement à la mise en place du crédit à la consommation au Sénégal à travers notre filiale BoA, sur le modèle du succès de notre filiale Salafin au Maroc. Nous sommes dans une logique de transfert de compétences dans les deux sens. Ainsi, nous nous inspirons par exemple du mobile banking qui explose sur le continent et pour voir dans quelle mesure cela peut fonctionner chez nous. D'autre part, la majorité des patrons de filiales de BMCE Bank sur le continent sont des dirigeants des pays en question ; les dirigeants de filiales d'Afrique qui sont marocains sont peu nombreux.

2. Pouvez-vous me parler du centre d'intelligence économique de BMCE Bank et de ses développements ?

Le Département des Etudes et Documentation de BMCE Bank a été créé en 1959 par Dahir Royal, en même temps que la banque. L'une des premières missions du Dahir inscrit l'intelligence économique au coeur des préoccupations de la banque, en citant « la collecte, le traitement et la diffusion gracieuse d'information économique et financière à l'ensemble des opérateurs » (ambassades, ministères, universitaires, étudiants...).

Lorsque la banque a été privatisée en 1995, le président a demandé à ce que la mission de collecte et de diffusion de l'information continue. Ce n'est que dans les années 2000 que le Centre d'Intelligence Economique à proprement parler a été créé.

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Nous fonctionnons de deux manières :

- Nous avons au préalable analysé les besoins des différents départements de la banque en termes d'intelligence économique et réalisons des travaux de manière récurrente pour y répondre ;

- Les autres entités de la banque peuvent également nous solliciter pour tout projet plus ponctuel de collecte et d'analyse d'information.

3. Quelles sont les activités du département d'intelligence économique ?

Notre département se structure autour de quatre activités :

- La veille stratégique : Le but de cette entité est de devenir un gestionnaire de données économiques et financières et pas uniquement de données de presse papier. Lorsque j'ai intégré la banque en 2005, près de la moitié des travaux était consacrée à des traitements de journaux papiers, contre 5 à 10% aujourd'hui. Nous avons 55 ans d'expertise et avons recours à un outil automatisé de collecte et d'agrégation qui envoie quotidiennement des veilles ciblées aux départements concernés. Pour moi, la veille ne consiste pas uniquement en la détection et l'analyse de signaux forts et de signaux faibles. Je considère qu'un autre aspect fondamental de l'intelligence économique tient à la gestion des bases de données. Je pense par exemple au risque pays et à la notation des pays africains : cela correspond à du traitement de données à forte valeur ajoutée, car cela nous donne de la visibilité sur le continent. C'est aussi de la veille car nous voyons les pays évoluer : au bout de deux ou trois ans, nous pouvons alerter sur un pays qui s'améliore grandement ou un pays qui se dégrade fortement. Cela nous permet d'identifier des opportunités dans un pays ou chez un client ; et il faut maitriser le traitement de ce type d'informations à travers des logiciels statistiques notamment.

- L'analyse sectorielle et économique : l'analyse sectorielle est une analyse que la banque a toujours menée dans l'objectif d'analyser les risques d'une cinquantaine de secteurs de l'économie marocaine et d'accompagner sa politique commerciale. Au niveau de l'analyse économique, nous faisons de la modélisation et du suivi de conjoncture au Maroc et en Afrique. L'idée aujourd'hui est d'avoir un suivi économique, politique, culturel et financier de l'ensemble des pays africains et des meilleures cibles. Nous suivons actuellement environ 20-25 pays de très près sur le continent. Il y a une collecte qui se fait déjà automatiquement, et nous sommes en train de développer un axe important d'analyse de ces informations en Afrique.

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- La connaissance territoriale : elle concerne exclusivement les régions marocaines. Nous avons mis en place un observatoire des régions qui réunit un ensemble d'informations régionales : les points d'intérêts autour d'une ville, la structuration du réseau BMCE et de ceux de la concurrence, etc.

- La connaissance de notre clientèle : nous analysons principalement leurs comportements et faisons du profiling.

4. Partagez-vous vos travaux avec d'autres opérateurs marocains souhaitant s'implanter en Afrique ?

Nous partageons beaucoup d'informations avec les opérateurs marocains de manière générale. Tout d'abord, nous publions annuellement la revue « Le Maroc en chiffres », qui consolide des données sur près de cinquante secteurs d'activité du Maroc. Cette revue est conçue en partenariat avec le Haut Commissariat au Plan, et est publiée et financée par BMCE Bank depuis 1963.

Il y a également les publications de l'Observatoire de l'Entrepreneuriat ( www.ode.ma) dans lesquelles nous partageons de l'information sectorielle sur le Maroc. Nous organisons également des conférences dans le but d'apporter de l'expertise aux entrepreneurs en leur offrant des espaces d'échanges pour qu'ils puissent dialoguer, apprendre et partager. A titre d'exemple, les deux dernières conférences organisées ont accueilli Daniel Cohen à Casablanca et Edgar Morin à Marrakech.

En ce qui concerne l'Afrique, nous partageons nos publications annuelles « African Outlook ». Toutefois, nous ne partageons nos veilles sur l'Afrique qu'avec nos partenaires africains et non pas avec l'ensemble des opérateurs marocains car nous considérons que c'est de la connaissance stratégique. Ce sont des outils puissants au travers desquels toute l'information à haute valeur ajoutée remonte...

5. Quel est le rôle du secteur bancaire dans la remontée d'informations économique ?

Les banques marocaines implantées en Afrique apportent énormément aux entreprises qui veulent s'implanter. Il faut savoir que les entreprise ne veulent qu'une chose : être mises en relation avec les acteurs locaux car elles ne connaissent pas le marché. Les banques marocaines sont donc pour elles de formidables points de contacts pour trouver des opportunités d'affaires sur le continent.

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Mardi dernier se sont par exemple tenus les « China Africa Meetings » organisés par la BMCE Bank, qui ont permis une cinquantaine de rencontres B2B entre clients marocains, africains et partenaires chinois. Notre rôle va donc au delà du financement de projets !

6. Existe-t-il un suivi étatique post-tournées royales en Afrique ? Comment est ce que l'Etat et le gouvernement vous soutiennent ?

Une commission a été mise en place pour assurer le suivi des partenariats signés lors de la dernière tournée royale en Guinée, au Mali, au Gabon et en Côte d'Ivoire.

Le soutien diplomatique à notre action est tout d'abord primordial. Le roi est le premier des soutiens en termes de politique économique étrangère : les tournées royales accompagnées de délégations d'officielles et de chefs d'entreprises ouvrent la voie à l'implantation du secteur privé marocain en Afrique. L'OCP a par exemple lancé l'investissement pour la construction d'usine de production d'engrais au Gabon suite à cette tournée royale.

Par ailleurs, le soutien de la Banque Centrale est fondamental. Elle nous accompagne, nous oriente ; nous partageons avec elle toute l'analyse que nous faisons de ces pays. Nous apprenons mutuellement l'une de l'autre.

7. Quel doit être le rôle de l'Etat et du gouvernement dans la stratégie d'IE ?

Je considère qu'il y a deux enjeux sur lesquels le Maroc se doit de développer une intelligence économique :

- Tout d'abord, pour défendre nos intérêts sur la question du Sahara marocain. C'est là qu'il faut développer une approche offensive d'intelligence en étant présents sur les réseaux sociaux et défendre notre intégralité territoriale. Nous parlons donc d'intelligence économique dans son aspect d'influence.

- Ensuite, pour prospecter des marchés étrangers : il faut un partenariat d'intelligence économique publique et privée pour aider les entreprises marocaines à trouver des débouchés en Afrique. C'est ce que commence à faire Maroc Export notamment. Et encore, la réponse n'est pas simple ni unique. Les contrats stratégiques de grande envergure ne sont pas concernés par l'intelligence économique mais par le soutien du roi : si nous considérons l'usine Renault à Tanger par exemple, fondamentale pour notre économie, nous nous rendons compte que seul le roi a pu garantir 50% de l'investissement alors que Renault avait l'intention de se retirer.

Je pense que l'Etat ne doit pas se disperser et se concentrer sur ces deux points. Il y a également le sujet de la sécurité informatique, de la culture de la confidentialité que nous

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n'avons pas au Maroc, du passage d'une culture orale à une culture écriteÉmais c'est une autre histoire.

8. Existe-t-il une mutualisation de l'expertise et des ressources en intelligence économique avec l'Etat pour un partage de l'information économique et commerciale à l'échelle nationale ?

Comme je vous l'ai expliqué, nous partageons beaucoup d'informations avec les autorités ; il y a également les publications croisées entre la BMCE Bank et le Haut Commissariat au Plan qui profitent à l'ensemble des opérateurs économiques marocains. Tout d'abord, nous sommes engagés auprès de la Banque Centrale, comme toutes les banques marocaines, à consolider les risques et le contrôle interne sur chacune de nos filiales et de faire remonter l'information de manière homogène à la Banque Centrale dans le cadre du projet structurant « Convergences ».

En revanche, je pense qu'il n'est par exemple pas possible de demander au Haut Commissariat au Plan et au Ministère des Finances de mutualiser leurs publications en matière d'intelligence économique car il convient de conserver une indépendance des deux institutions.

Il serait néanmoins intéressant de mettre en place un portail de diffusion et d'agrégation des études en intelligence économique au niveau gouvernemental ; d'autant plus que c'est facile à mettre en place.

9. Avez-vous entendu parler de la feuille de route de l'AMIE pour une stratégie d'intelligence économique nationale ? Que pensez-vous de leurs propositions ? Au Maroc, le sujet de l'intelligence économique doit être davantage cadré. Considérons-nous par exemple qu'une étude de marché, une analyse pays ou de comportements de consommateurs constitue de l'intelligence économique ? La DGED (Direction Générale des Etudes et de la Documentation) existe : considérons-nous cela comme de l'intelligence économique ?

L'intelligence économique au niveau de l'Etat et du gouvernement doit-elle être défensive ou offensive ? Les deux ? Devons-nous y intégrer le renseignement ? En France, une bonne partie de l'intelligence économique provient du militaire. Doit-on faire de même au Maroc ? Il y a toute une réflexion à mener en amont.

Dans ce sens, je pense qu'il est nécessaire de préciser tous ces éléments et de procéder à des choix forts avec de décliner une charte nationale d'intelligence économique. Celle proposée

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par l'AMIE a la mérite d'exister mais elle devrait éventuellement être encore plus spécifique pour accompagner l'action très ciblée de l'Etat et du gouvernement.

10. Comment est accueillie votre implantation en Afrique par les autres puissances régionales (Afrique du Sud, Nigéria), émergentes (Chine) et occidentales (France notamment) ?

Aujourd'hui, les entreprises marocaines se battent sur un continent qu'une bonne partie des entreprises françaises ont quitté car elles ne souhaitent plus gérer le risque pays en Afrique. Elles ont compris qu'elles devaient passer par des entreprises marocaines, qui ont cette approche différente et qui leur permet d'être plus performantes en Afrique.

En ce qui concerne la Chine, nous ne sommes pas leurs concurrents au vu de la différence de taille. Nous nous positionnons plutôt comme partenaires. L'objectif de la conférence sino-marocco-africaine organisée par BMCE Bank la semaine dernière était en effet d'initier des contacts entre les différentes parties prenantes pour mener des projets conjoints.

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d) Ghita Lahlou et Nadia Fettah (Saham Group)

Ghita Lahlou (G.L), DG de Saham Santé et Saham Offshoring et de Nadia Fettah (N.F), Directrice Générale déléguée Saham Finances en charge des finances et du M&A.

Saham Group est le leader marocain des assurances vie et non-vie.

1. Pouvez-vous nous parler de la présence de Saham en Afrique aujourd'hui ?

G.L : Le développement de Saham en Afrique s'est fait de manière très rapide. Jusqu'en 2010, nous nous sommes cantonnés au marché marocain. En l'espace de trois ans, le groupe a opéré une mutation significative : nous avons acquis la totalité du capital de Colina en 2010, qui a 15 filiales d'assurances dans 13 pays ; et Global Alliance Seguros en 2012 en Angola. Aujourd'hui, 50% du chiffre d'affaires et 70% du résultat net du groupe sont réalisés en Afrique. Ce transfert a été salutaire : nous nous sommes rendu compte que le marché marocain était trop étroit et qu'il ne nous permettrait pas d'atteindre à lui seul nos ambitions. En effet, entre 2004 et 2010, nous étions principalement tournés vers l'Europe ; or nous étions trop petits pour apporter une véritable valeur ajoutée. Notre président a considéré qu'il fallait alors se déployer dans des pays où notre savoir faire là où nous avions la légitimité pour nous développer.

Il se trouve que le continent africain totalise un PIB de 5 000 milliards de dollars à ce jour, et les estimations sont de 29 000 milliards de dollars en 2050. Le continent émerge au même titre que la Chine ou l'Inde il y a dix ans, et est un formidable vecteur de croissance pour nous.

Aujourd'hui, le groupe Saham est le premier opérateur d'assurances en Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) et est implanté dans 22 pays.

2. Quelle a été/est votre stratégie développement en Afrique et quelle est votre valeur ajoutée ?

G.L : Nous considérons tout d'abord qu'il faut atteindre une certaine masse critique pour se déployer en Afrique. Ensuite, il faut avoir un réseau d'implantations et ne pas considérer les pays pris séparément afin de mutualiser et de minimiser les risques. Les 54 pays pris isolément ne représentent rien en termes de marché et les opérateurs qui s'implantent dans un seul pays africain sont peu nombreux. Le risque pays est trop important pour placer toutes ses billes dans le même panier.

Il faut donc identifier des « grappes », c'est à dire des compagnies d'assurances africaines implantées dans plusieurs pays et dans lesquelles nous pourrions potentiellement investir.

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Dans notre cas, nous en avions identifié trois, mais qui n'étaient pas vendeuses. Une opportunité exceptionnelle s'est présentée avec l'une d'elles (Colina) car nous avons pu racheter les parts d'un actionnaire (personne physique) grâce à la mise en relation par un contact.

A partir de là, nous avons réalisé que pour faire des deals en Afrique, il faut littéralement « être » en Afrique et ne pas être conseillé par des banques européennes. Voici ce qui se passe avec celles-ci : soit le deal a fait plusieurs fois le tour de la place, soit le prix est trop cher car des fonds ont déjà fait des propositions survalorisées donc ce n'est plus intéressant. Dès lors, nous faisons tous nos deals en direct à travers notre cellule de M&A en interne. Les deals se font ainsi très rapidement et dans la confidentialité la plus complète.

La seule raison pour laquelle nous faisons appel à une assistance extérieure est pour le financement de nos opérations : nous avons fait appel à JP Morgan pour notre levée de fonds qui a abouti à une augmentation de capital de 250 millions de dollars par la SFI et Abraaj Capital dans le but de financer nos opérations sur le continent.

Enfin, nous ne changeons rien au fonctionnement des entreprises que nous rachetons car en général, elles fonctionnent bien. Nous apportons de la valeur ajoutée par notre structure légère, du conseil par la holding et des synergies notamment. Par exemple, nous avons organisé des pôles régionaux au sein de Colina qui nous permettent de fonctionner avec des règlementations régionales spécifiques et de surmonter la barrière de la langue (nous sommes implantés en Afrique anglophone et lusophone notamment).

N. F : Nous connaissons bien notre sujet et sommes suffisamment sophistiqués pour apporter de la valeur en termes d'expertise, de bonne gouvernance, de gestion financière ; nous sommes aussi suffisamment jeunes pour ne pas être dogmatiques. Nous avons une capacité d'adaptation exemplaire car nous avons une mémoire de ce qu'était le marché marocain il y a 30 ans. Nous avons fait un saut qualitatif qui nous fait penser que nous pouvons apporter beaucoup à nos filiales africaines, mais sans le côté dogmatique allemand, français ou américain.

3. Comment faites-vous pour surmonter la barrière de la langue ?

N.F. : La langue est un sujet, mais c'est surtout tout ce qu'il y a derrière qui pose problème : la langue c'est une culture et une façon de faire des affaires. Nous avons là un véritable challenge à relever car nous sommes dans cinq pays qui ne sont pas francophones. Même si l'Angola est un pays lusophone, la compagnie que nous avons rachetée était gérée par des suds africains donc c'est plus facile pour nous. Tout le monde chez Saham se met aux cours

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d'anglais et nous essayons de plus communiquer en anglais. C'est un travail de longue haleine.

Nous essayons aussi de ne pas tout gérer à partir de Casablanca : nous avons un hub à Abidjan qui chapeaute dix pays et nous sommes en train d'en mettre un en place à Maurice pour l'Afrique de l'Est et l'Afrique Australe. Le Nigéria et l'Angola sont suffisamment gros pour être gérés séparément.

4. Comment êtes vous accueillis par vos concurrents internationaux sur le marché des assurances en Afrique ?

G.L : L'Afrique du Sud totalise 75% du secteur des assurances en Afrique (ils sont très présents en Afrique de l'Est et Centrale); et nous nous partageons les 25% restants avec les autres opérateurs. Il y a tout le temps des Sud Africains sur les deals, notamment au Nigéria et en Angola. Les marocains ont la même approche. Ce sont nos concurrents les plus sérieux.

Les entreprises occidentales, quant à elles, ont du mal à croitre en Afrique. Axa, par exemple, se pose des questions quant à sa stratégie africaine car ses coûts de structure sont énormes du fait du nombre élevés d'employés expatriés. Les entreprises européennes n'ont pas les mêmes réflexes et les mêmes approches que les entreprises marocaines ou sud africaines. Par ailleurs, l'Afrique ne représente qu'un petit marché pour elles (1 milliards de $ sur un total de 100 milliards de dollars pour Allianz par exemple). Pour Saham, c'est 50% de son chiffre d'affaires qui est réalisé en Afrique aujourd'hui.

Les entreprises chinoises et japonaises sont aussi présentes. Les fonds souverains chinois veulent se développer sur tous les secteurs en Afrique et notamment dans les assurances. Ils sont encore en retard par rapport à nous, mais ils commencent à s'y intéresser.

N.F : RMA Watanya était candidate au rachat de Colina et avait d'ailleurs beaucoup plus de chances que nous de l'emporter parce Bank of Africa (dont BMCE Bank est actionnaire, au même titre que BMCE Bank est actionnaire de RMA Watanya) et Colina avaient des participations croisées. Je pense que nous avons une agilité et une rapidité d'exécution remarquables. Nous avons racheté Colina en trois mois. Je pense que cela peut faire la différence car il y a peu d'opportunités sur le marché. Souvent, nous sommes dans une démarche proactive, c'est à dire que nous n'achetons pas des compagnies à vendre mais des compagnies que nous avons envie d'acheter : il faut déjà les convaincre puis agir rapide pour être les seuls acheteurs possibles. Par rapport aux assureurs marocains, nous avons juste un peu d'avance. Celle-ci fait qu'il y a très peu de réseaux à acheter aujourd'hui. Nous commençons à acheter des compagnies isolées que l'on rattache au réseau de Colina ; nous

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avons un vivier de managers que l'on peut envoyer en Afrique. Nos confrères ont eu un peu plus de mal et ont mis un peu plus de temps là où nous sommes allés avant tout le monde, au moment de la crise en Côte d'Ivoire en 2010 où l'on nous prenait pour des fous.

Les suds africains quant à eux sont nos concurrents mais ils n'arrivent pas à monter vers le nord. Ils ne sont pas très bien accueillis en Afrique du Nord et de l'Est. Dans la mémoire des gens, les Afrikaners ont gardé une démarche colonialiste qui est très mal vécue par les populations noires d'Afrique anglophone ; et l'Afrique de l'Ouest est très éloignée de leur culture. Ils sont presque prêts à pactiser avec nous pour s'y implanter, ils pensent que notre histoire est intéressante.

5. La position du pays en question vis à vis de la question du Sahara marocain impacte-t-elle votre décision de vous implanter ?

N.F : Bien sûr, il y a des pays qui peuvent poser problème mais cela va de mieux en mieux. Nous sommes un groupe très indépendant, nous passons par l'Office des Changes que nous informons très en amont des pays où l'on veut investir et le Maroc est un pays très libéral. Néanmoins, il n'est pas judicieux pour nous de nous implanter dans un pays qui n'est pas un ami du Maroc car cela peut aller jusqu'à la confiscation de nos biens. Typiquement, l'Angola a été très proche de l'Algérie ; depuis peu les relations se sont améliorées avec le Maroc et il y a même une liaison aérienne directe qui nous relie. Nous sommes le seul groupe marocain à y être implantés.

6. Quelle place donnez-vous à l'intelligence économique dans votre stratégie de développement en Afrique ?

G.L : Nous n'avons pas de structure d'intelligence économique en interne à proprement parler et nous ne partageons pas nos recherches avec nos collaborateurs : elles sont destinées à la direction générale.

N.F : Nous commençons à nous équiper en matière d'intelligence économique. Nous pensions que tout ce qui arriverait par ce biais ne représenterait pas des opportunités intéressantes pour nous car les deals annoncés sont souvent trop chers, ou l'information n'est pas fiable. Mais nous sommes réalistes, nous sommes trois chez Saham à travailler sur le développement en Afrique. Compter uniquement sur nos réseaux et nos déplacements va nous coûter de plus en plus cher/ Nous sommes en train de tester des bases de données et faisons appel à un cabinet de conseil qui nous envoie des bulletins de veille presse hebdomadaires. Nous sommes devenus un acteur suffisamment important pour construire notre propre intelligence

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économique. Nous le faisons, donc, mais de manière très modérée à ce jour avec l'espoir de structurer.

7. Quelles sont vos sources d'information ?

G.L : Nous obtenons les informations dont nous avons besoin par le bouche à oreille, par le réseau, par les courtiers, par nos banquiers avec qui nous travaillons en réseau et par nos deux coactionnaires (les fonds d'investissement SFI, filiale de la Banque Mondiale, et Abraaj Capital qui sont très présents en Afrique). Par exemple, nous avons acheté les assurances Corar-AG au Rwanda à l'Eglise Catholique. Les réseaux ismaïliens sont très puissants en Afrique de l'Est, tout comme les réseaux libanais en Afrique de l'Ouest... Ce sont des microcosmes où il faut avoir ses entrées et c'est là que ce situe le coeur de notre intelligence économique, si nous pouvons l'appeler comme cela.

Ce n'est pas du tout une stratégie « d'artillerie lourde » à l'européenne où nous allons payer très cher des cabinets de conseil pour réaliser des études de marché quand on considère les primes d'assurances dans certains pays africaines (dix millions de dollars au Kenya par exemple, ce qui n'est pas beaucoup). C'est d'ailleurs pour cela que les assureurs ou autres entreprises européennes ne parviennent pas à croitre sur ces marchés : les coûts d'expatriation de leurs employés sont beaucoup trop important pour que l'opération soit rentable.

N.F : Je me suis toujours occupée de l'exécution du M&A chez Saham. Ce que les gens ne savent pas, c'est que nous étudions des compagnies d'assurances africaines depuis 2006, sans succès au début. Nous avons fait beaucoup de terrain, voyagé dans le Maghreb et en Afrique subsaharienne, nous construisons un réseau de personnes qui permettent, à force, de repérer les bonnes affaires. Du coup, quand nous avons rencontré Colina, nous savions que c'était l'opportunité à saisir : la compagnie était bien gérée par d'excellents managers et elle était d'emblée implantée dans plusieurs pays, ce qui est plus facile pour nous pour rentabiliser notre investissement. Le patron de Colina, Raymond Farhat, est un libanais qui a vécu trente ans en Côte d'Ivoire et qui est devenu Directeur Général de Saham Finances car il est le plus africain de nous tous. Depuis, nous avons largement accéléré notre développement et fait de belles opérations notamment grâce à sa connaissance du marché africain.

8. Partagez-vous et/ou mutualisez-vous vos recherches avec les autres opérateurs économiques, l'Etat et le gouvernement ?

G.L : Non, nous ne partageons rien avec les autres opérateurs car ils sont potentiellement des concurrents. Nos recherches et notre stratégie sont classées secret défense !

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De même, nous ne mutualisons ni ne partageons pas d'informations avec le gouvernement. A ma connaissance, les ministères ne partagent rien.

N.F : C'est plutôt l'étape de demain ! Malheureusement, chacun y va de son côté. La diplomatie économique n'est vraiment pas coordonnée : par exemple, nous sommes très nombreux à être investisseurs en Côte d'Ivoire et au Sénégal ; pourtant personne n'a été négocier des conventions fiscales ou de non double imposition. Nous ne sommes pas bons pour se coordonner et faire des opérations ensemble. Au Maroc, tous les grand groupes français sont assurés chez Axa. En Côte d'Ivoire, les grands groupes marocains ne sont pas assurés chez nous ! C'est une réflexion générale à avoir, qui est plus culturelle qu'autre chose.

9. D'après vous, comment les gouvernements peuvent-ils accompagner les entreprises marocaines en Afrique ?

G.L : Le Ministère du Commerce et de l'Industrie joue un rôle très important. Pour l'instant, il cherche surtout à améliorer la compétitivité des entreprises sur des problématiques industrielles et sur le financement. Par ailleurs, la CGEM et les associations patronales essayent d'apporter un soutien ; les chambres de commerce travaillent ; les associations bilatérales créent une émulation.

Je dirais que la plus grosse problématique que doit régler le Maroc est le problème de change ; c'est très compliqué. On s'y heurte et c'est presque surréaliste : une fois notre levée de fonds terminée, nous avons du négocier pendant des mois avec l'Office des Changes pour ressortir cet argent et l'investir en Afrique, sous prétexte que le déficit budgétaire du pays ne permettait pas cette opération à ce moment précis. Il faut beaucoup d'énergie et de temps pour débloquer une telle situation. Par rapport à un pays complètement ouvert, investir à partir du Maroc est un véritable parcours du combattant.

N.F. : Je pense que le road show de SM le Roi en février dernier a fait beaucoup de bien aux opérateurs économiques marocains de manière générale. Saham n'est presque pas perçu comme marocains en Afrique car tous nos managers sont subsahariens. Cette diplomatie sud-sud nous aide plus à revendiquer notre image d'entreprise marocaine alors que nous avions plus tendance à être plus discrets sur la nationalité de notre capital pour être un opérateur local. Entre temps, nous avons unifié nos marques sous la bannière Saham, donc nous sommes plus visibles. Par ailleurs, cela se passe de mieux en mieux avec l'Office des Changes. Sur notre premier investissement dans Colina, c'était plus laborieux. Nous avons pris des engagements très forts que nous avons tenus, notamment en termes de remontée de dividendes et d'investissements étrangers. Sur les deux ans, nous avons fait rentrer plus de

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450 millions de dollars d'investissements. Nous commençons à investir dans d'autres secteurs sur des montants beaucoup plus petits et sur des nouveaux business models, c'est normal qu'ils fassent preuve de plus de diligence.

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Remerciements

Je tiens tout d'abord à remercier chaleureusement mon directeur de recherche Othman El Ferdaous pour sa disponibilité, son soutien et son apport lors de la rédaction de ce mémoire de recherche. Il a su me guider et me réorienter lorsque cela était nécessaire et je voudrais lui exprimer mon entière reconnaissance.

Je remercie également Abdelmalek Alaoui, président de l'Association Marocaine pour l'Intelligence Economique (AMIE), car son apport est crucial pour mon travail.

Enfin, je remercie infiniment les dirigeants des quatre entreprises que j'ai rencontrés : Ghita Lahlou et Nadia Fettah (Saham Group, assurances), Brahim Skalli (Alliances, immobilier et construction), Mamoun Tahri Joutei (BMCE Bank, banque) et Abdelmalek Alaoui (Global Intelligence Partners, cabinet de conseil en intelligence économique). Je les remercie pour leur disponibilité et leur franc-parler car ils ont accepté de partager nombre d'informations confidentielles dans le cadre de cette étude.

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