KENZA SLAOUI MEMOIRE DE RECHERCHE
SUJET :
Quelle place occupe l'intelligence économique
dans
le déploiement des entreprises marocaines
en
Afrique subsaharienne ?
DIRECTEUR DE RECHERCHE : OTHMAN EL FERDAOUS
HEC PARIS MAJEURE ENTREPRENEURS 2014 AOUT
2014
2
TABLE DES MATIERES
METHODOLOGIE DE TRAVAIL 4
INTRODUCTION 8
I. LE CONTINENT AFRICAIN AU COEUR DE LA STRATEGIE
D'INTELLIGENCE
ECONOMIQUE DU MAROC 10
A. UNE PLACE A PRENDRE EN AFRIQUE 10
A) LA 1ERE RAISON QUI EXPLIQUE LE DEPLOIEMENT DU
MAROC EN AFRIQUE EST D'ORDRE
POLITIQUE 10
B) LA 2EME RAISON QUI EXPLIQUE L'EXPANSION DU
MAROC EN AFRIQUE EST D'ORDRE
ECONOMIQUE 12
C) LE MAROC PEUT METTRE A PROFIT SON CAPITAL IMMATERIEL POUR
PESER EN TANT QUE
PUISSANCE REGIONALE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE 17
D) LE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE VERS L'AFRIQUE EST FORTEMENT
ENCOURAGE PAR LA
DIPLOMATIE SUD-SUD PROMUE PAR LE ROI DU MAROC 20
B. DES CHAMPIONS NATIONAUX AYANT UNE CAPACITE DE
PROJECTION CONTINENTALE 22
A) L'APPROCHE MAROCAINE EN AFRIQUE 22
B) LES GRANDES ENTREPRISES PUBLIQUES SONT LES PREMIERES A SE
DEPLOYER 23
C) DANS LA FOULEE DES ENTREPRISES PUBLIQUES, LE SECTEUR PRIVE
S'EST MASSIVEMENT
TOURNE VERS L'AFRIQUE SUBSAHARIENNE 25
D) LES ENTREPRISES MAROCAINES NE SONT PAS ENCORE
PERÇUES COMME DES CONCURRENTES
PAR LES ENTREPRISES OCCIDENTALES, CHINOISES ET SUDS AFRICAINES
27
C. L'IMPORTANCE DE L'INTELLIGENCE ECONOMIQUE
29
A) « L'INFODOMINANCE » AU SERVICE DE LA
SURVEILLANCE ET DE LA COMPETITIVITE 31
B) FONCTIONS 33
C) UN PROCESSUS QUI FONCTIONNE PAR ETAPES 35
3
II. LES ENTREPRISES MAROCAINES S'APPUIENT SUR
L'INTELLIGENCE
ECONOMIQUE POUR CONQUERIR LES MARCHES SUBSAHARIENS
37
A. LA STRATEGIE « FULL SPECTRUM APPROACH »
37
A) LA MISE EN OEUVRE D'UNE STRATEGIE D'INTELLIGENCE ECONOMIQUE
AU NIVEAU DU
GOUVERNEMENT 37
B) UNE VOLONTE CLAIREMENT EXPRIMEE PAR LE GOUVERNEMENT DES 2005
39
C) LE PARTAGE DE L'INFORMATION A HAUTE VALEUR AJOUTEE ENTRE
SECTEUR PUBLIC ET
PRIVE EST QUASI-INEXISTANT 41
B. DES INSTITUTIONS PRIVEES CHERCHENT A DEVELOPPER
L'INTELLIGENCE ECONOMIQUE AU
MAROC 44
A) LES THINK TANKS CHERCHENT A FIXER LE CAP DE L'INTELLIGENCE
ECONOMIQUE AU
MAROC 44
B) L'APPORT DES CABINETS DE CONSEIL EN INTELLIGENCE ECONOMIQUE
EST SIGNIFICATIF 47
C) LE ROLE DE LA DIASPORA MAROCAINE DANS L'INTELLIGENCE
ECONOMIQUE AU MAROC 49
C. LES ENTREPRISES DOIVENT METTRE EN PLACE LEURS PROPRES
SYSTEMES D'IE POUR SE
DEVELOPPER EN AFRIQUE 49
A) LES OUTILS D'INTELLIGENCE ECONOMIQUE UTILISES PAR LES GRANDES
ENTREPRISES
MAROCAINE 49
B) L'IE AU COEUR DE LEUR STRATEGIE D'EXPANSION EN AFRIQUE 53
C) UNE INTELLIGENCE ECONOMIQUE STRATEGIQUE ET CONFIDENTIELLE
54
III. DES MARGES DE PROGRESSION REELLES GRACE A
L'ENRACINEMENT DE
L'INTELLIGENCE ECONOMIQUE 56
A. LES DEFIS A RELEVER POUR L'INTELLIGENCE ECONOMIQUE
TOURNEE VERS L'AFRIQUE 56
A) ENRACINER L'IE DANS LA STRATEGIE DE DEVELOPPEMENT DES
GRANDES ENTREPRISES 56
B) METTRE EN PLACE UNE INTELLIGENCE ECONOMIQUE PANAFRICAINE
57
C) SURMONTER LA PROBLEMATIQUE LINGUISTIQUE EST UN ENJEU
MAJEUR 59
D) APPRENDRE A CHASSER EN MEUTE EN AFRIQUE : LE ROLE DES
CLUSTERS D'ENTREPRISES 60
B. PME : DEVELOPPER L'ACCES A L'INTELLIGENCE ECONOMIQUE
ET LE SOUTIEN FINANCIER 61
A) L'INTELLIGENCE ECONOMIQUE Y EST QUASI-INEXISTANTE 61
B) LA NECESSITE D'UN SOUTIEN FINANCIER POUR LES PME A
L'EXPORTATION EN AFRIQUE 64
C. LE RECOURS A D'AUTRES LEVIERS POUR SE DEVELOPPER
EFFICACEMENT EN AFRIQUE 65
A) LES BANQUES MAROCAINES, UNE SOURCE INFORMELLE D'IE POUR
LES ENTREPRISES 65
B) DE NOUVEAUX TYPES DE PARTENARIATS POUR SE DEVELOPPER EN
AFRIQUE 67
CONCLUSION 69
BIBLIOGRAPHIE 71
ANNEXES 75
A. DISCOURS ROYAL D'ABIDJAN 75
B. FEUILLE DE ROUTE DE L'AMIE 78
C. METHODOLOGIE APPLIQUEE LORS DES INTERVIEWS
81
D. RESTITUTION DES INTERVIEWS 82
A) ABDELMALEK ALAOUI (AMIE ET GLOBAL INTELLIGENCE PARTNERS)
82
B) BRAHIM SKALLI (ALLIANCES) 91
C) MAMOUN TAHRI JOUTEI (BMCE BANK) 98
D) GHITA LAHLOU ET NADIA FETTAH (SAHAM GROUP) 104
4
REMERCIEMENTS 111
5
Méthodologie de travail
Définition de l'intelligence économique
(JE)
L'JE consiste à surveiller l'environnement d'une
organisation par la collecte et l'analyse d'informations fiables et à
haute valeur ajoutée dans l'objectif d'influencer la prise de
décision. Elle est un outil puissant au service de la
compétitivité, de la performance et de l'innovation car analyser
l'information, détecter les opportunités et surveiller les
menaces est indispensable dans une économie mondialisée. Mettre
en avant ses intérêts stratégiques en ayant recours au
lobbying et à la communication d'influence est également un
aspect clé de l'intelligence économique. Cette pratique se
démarque de l'espionnage économique et du renseignement en ce
qu'elle s'exerce en toute légalité et respecte les codes de la
déontologie.
Périmètre de l'étude
Ce mémoire de recherche s'intéresse
spécifiquement aux pays d'Afrique subsaharienne, et exclut par là
l'Afrique du Nord et l'Afrique du Sud. Toute référence au «
continent africain » ou à « l'Afrique » fera ainsi
référence aux pays d'Afrique Subsaharienne. Le choix personnel de
s'intéresser uniquement à cette partie du continent s'explique
par les récents développements de la diplomatie économique
marocaine dans ces pays, ainsi que par l'intensification des relations
commerciales du Maroc et l'activisme du chef de l'Etat en Afrique,
particulièrement après la chute de Kadhafi.
Ce mémoire prendra en compte les liens historiques,
culturels et religieux qui existent entre le Maroc et l'Afrique car ils
permettent de comprendre pourquoi les entreprises marocaines publiques et
privées s'intéressent au marché africain ; comment elles
l'appréhendent ; comment elles adaptent leur manière de faire de
la veille stratégique sur le continent et pourquoi elles comprennent
mieux les pays africains que certains de leurs concurrents étrangers.
Nous nous intéresserons donc aux entreprises marocaines publiques et
privées qui ont une stratégie de continentale.
Corpus
La récolte des propos des dirigeants des entreprises
marocaines les plus développées sur le continent africain est
cruciale dans ce travail. En effet, je suis convaincue que seuls les acteurs du
terrain permettent d'en savoir plus sur ce que la littérature ne dit
et/ou ne sait pas sur l'intelligence économique au Maroc.
J'ai ainsi conduit des interviews avec les
personnalités suivantes pour alimenter mes réflexions :
- Abdelmalek Alaoui, président de
l'Association Marocaine pour l'Intelligence Economique et PDG du cabinet de
conseil en intelligence économique Global Intelligence Partners ;
- Mamoun Tahri Joutei, responsable du
département d'intelligence économique de BMCE Bank, banque
marocaine implantée dans plus de quinze pays africains ;
- Ghita Lahlou, directrice
générale de Saham Santé et Saham Offshoring et
Nadia Fettah, directrice générale
déléguée chez Saham Finances en charge des finances et des
fusions acquisitions. Saham Group est le leader des assurances au Maroc et en
Afrique avec des implantations dans treize pays d'Afrique subsaharienne ;
- Brahim Skalli, directeur Stratégie
et Partenariats chez Alliances, leader marocain de la promotion
immobilière et dont la stratégie d'implantation en Afrique est
très dynamique.
Entreprise interrogée
|
Secteur
|
CA 2013 (m€)
|
# employés
|
succursales africaines
|
En Afrique depuis
|
En Afrique1
|
Global Intelligence Partners
|
Conseil en IE
|
N/A
|
10
|
N/A
|
2010
|
N/A
|
Saham Group
|
Assurances
|
700
|
2 000
|
13
|
2010
|
75% du RN dans 5 ans
|
Alliances
|
Immobilier
|
200
|
500 - 1 000
|
2
|
2013
|
30% du CA d'ici 2015
|
BMCE Bank
|
Banque
|
10 500
|
5 500
|
15
|
1980
|
25% du RN en 2011
|
6
1 Lettre d'information «Regards», n3, mai
2013
7
La littérature étudiée dans ce
mémoire provient essentiellement d'articles et de publications presse
(papier et web). Ceci s'explique par le fait que le sujet recèle une
forte dimension géopolitique et que de nombreux articles de presse
pertinents parus sur le sujet abordent le sujet dans toute son
actualité. Ce mémoire de recherche effectue un aller-retour
permanent entre la littérature académique et journalistique, les
interviews que j'ai menées et ma réflexion personnelle.
Hypothèses de travail
La revue de la littérature académique et
journalistique parue sur le sujet, présentée tout au long de ce
mémoire de recherche, m'a permis de dégager trois grandes
hypothèses de travail que j'ai confrontées à la
réalité du terrain :
- Il est primordial pour les entreprises de mettre en place
une intelligence économique pour faire face aux défis de la
mondialisation et pour s'implanter en Afrique (hypothèse validée
dans ce mémoire) ;
- Les grandes entreprises marocaines ont mis en place des
cellules d'intelligence économique en interne ; en revanche
l'intelligence économique est inexistante dans les PME (hypothèse
nuancée) ;
- L'intelligence économique gouvernementale et
nationale profite au secteur privé pour conquérir les
marchés africains (hypothèse invalidée).
8
Introduction
En 2014, seize millions de foyers disposent d'un revenu
équivalent au niveau européen, contre douze millions en
Inde2. D'ici une trentaine d'années, l'Afrique sera le nouvel
atelier du monde avec deux milliards d'habitants. C'est pourquoi, dans le cadre
de son développement, le Maroc a choisi de se tourner vers l'Afrique
subsaharienne pour nourrir sa croissance. Le secteur de la consommation et des
services devrait en effet croitre de 300 milliards d'euros d'ici à
20203, ce qui éveille l'intérêt des entreprises
marocaines telles que les banques, les assurances, l'industrie,
l'agroalimentaire et le BTP, car le marché marocain devient trop
étroit pour leur permettre de croitre à la mesure de leurs
ambitions.
La fermeture persistante de la frontière
algéro-marocaine et l'échec de l'UMA explique également la
volonté du Maroc de se développer en Afrique. Le Maroc peut en ce
sens utiliser son capital immatériel comme outil de communication
d'influence : l'excellente image dont jouit le pays sur le continent est un
atout non négligeable qui lui permet de renforcer ses liens politiques
et économiques avec les pays d'Afrique subsaharienne.
Dans ce contexte, mettre en place une intelligence
partagée entre acteurs publics et opérateurs privés est
primordial. L'enjeu est de taille pour les entreprises : comment gérer
la quantité massive d'informations qui proviennent du marché
africain aujourd'hui ? Comment s'assurer de sa fiabilité dans un
continent où la rumeur tient lieu d'information ? Comme l'explique
Céline Perrotey, journaliste au quotidien marocain L'Economiste, «
Les entreprises comprennent que nous ne sommes plus dans le registre de
l'offre et de la demande mais dans le marché de la connaissance. Celui
qui gagne est celui qui en sait le plus. La donne change4
È.
Ainsi, les outils de veille de l'information sont
indispensables pour toute entreprise souhaitant s'implanter en Afrique afin
d'appréhender le marché, connaître les consommateurs,
repérer des cibles ou des partenaires. De plus, l'intelligence
économique permet également de se prémunir contre les
nombreuses menaces que présente le continent : l'instabilité
politique et
2 Marie Christine Corbier, Les Echos, « Les
entrepreneurs africains misent sur un développement solide du
continent, loin des hésitations occidentales »,
http://m.lesechos.fr/redirect_article.php?id=0202129301433
3 Selon le McKinsey Global Institute, 2012
4 Céline Perrotey (2005), «
Intelligence économique, chefs d'entreprise, pensez aux
stratégies d'influence », l'Economiste
9
la question terroriste, les risques de défaut de
paiement et la corruption rendent la collecte d'information d'autant plus
cruciale pour les acteurs marocains souhaitant réussir leur implantation
en Afrique subsaharienne.
L'objectif de ce mémoire de recherche est de
déterminer quelle place occupe l'intelligence économique dans la
stratégie de développement des acteurs publics et privés
marocains sur le continent africain. L'intérêt étant de
confronter la vision théorique de cette stratégie relatée
par les décideurs politiques et la presse avec la réalité
des pratiques managériales.
Ce mémoire de recherche a vocation à aller au
delà de littérature académique et journalistique parue sur
le sujet et pose les questions suivantes : quelle est la place réelle de
l'intelligence économique dans la stratégie de
développement des entreprises marocaines en Afrique ? Cette intelligence
économique est-elle formalisée et structurée ? Quel est le
rôle réel de l'Etat dans la mise en place d'une stratégie
nationale devant profiter au secteur privé marocain en Afrique? Quels
sont les axes d'amélioration de ces dispositifs aux niveaux public et
privé ?
10
I. Le continent africain au coeur de la stratégie
d'intelligence économique du Maroc
A. Une place à prendre en Afrique
a) La 1ère raison qui explique le
déploiement du Maroc en Afrique est d'ordre politique
Le Maroc a historiquement entretenu des liens politiques forts
avec les pays d'Afrique subsaharienne. Les premiers pas de cette amitié
remontent à janvier 1961 avec la Conférence de Casablanca,
initiée par le roi Mohammed V, lors de laquelle a été
rédigée « la Charte africaine de Casablanca 5 » donnant
un plan d'action pour réaliser les objectifs de l'indépendance
africaine. Ce moment fort a inspiré la création de l'Organisation
de l'Unité Africaine (OUA) en 1963, dont l'objectif était de
lutter pour l'indépendance du continent et de créer des liens
entre les pays africains.
Néanmoins, le Maroc, pays co-fondateur de
l'organisation, a pris le parti de quitter l'OUA en 1984 suite à
l'adhésion de la République Arabe Sahraouie
Démocratique6 (RASD) ; et ce jusqu'à ce que celle-ci
se retire de l'OUA. Le pays s'est ainsi privé d'un droit de vote qui
l'empêche de peser sur les décisions de l'organisation. A ceci
s'ajoute l'inertie de l'Union du Maghreb Arabe (UMA) pour les mêmes
raisons : celles du différend maroco-algérien.
Le déploiement des entreprises marocaines en Afrique
est donc un moyen efficace au service de l'Etat marocain pour mettre en avant
ses intérêts politiques. Comme l'explique en effet François
Soudan, directeur de la rédaction de Jeune Afrique, « en
intervenant à Tombouctou Mohammed VI défend aussi Laâyoune,
le Sahara et le Sud du Maroc7 ». Ayant commencé par
boycotter les pays qui ont reconnu la RASD dans l'OUA (Bénin,
Nigéria, Ghana entre autres), le Maroc a progressivement changé
de stratégie pour promouvoir les
5 La Charte africaine de Casablanca, Service des
relations arabo-africaines au Ministère de l'économie nationale
et des finances, 1962
6 Etat autoproclamé par le Front Polisario en
1976
7 François Soudan cité dans
lematin.ma le 16 février 2014,
« de Laayoune à Tombouctou »
11
intérêts économiques du pays. Cette
stratégie a connu une intensification à partir de 1996 avec la
signature de 20 accords de coopération. Comme l'explique N. Alaoui
M'Hammdi8, la diplomatie économique a pour vocation d'asseoir
le positionnement du pays sur le continent et de permettre aux
opérateurs privés de s'informer sur les opportunités pour
accroître la visibilité du Maroc et servir les
intérêts du pays en Afrique.
Brahim Skalli, directeur stratégie et partenariat du
fleuron de l'immobilier marocain Alliances, ne cache pas le fait que les
grandes entreprises nationales, que l'on appelle aussi « les champions
nationaux », ciblent généralement les pays africains qui
entretiennent de bonnes relations avec le Maroc et qui soutiennent le pays sur
la question du Sahara. Il explique : « La prise de position du pays
sur la question du Sahara joue en effet un rôle dans notre
décision de nous implanter dans un pays ou non. L'un de nos
critères de sélection du pays est sa proximité politique
du Maroc : bien sur, si les relations diplomatiques sont importantes et
intenses comme avec la Côte d'Ivoire et le Sénégal, c'est
plus facile qu'avec le Nigéria ». D'autres chefs d'entreprises
tels que Miloud Chaabi (Ynna Holding) se disent prêts à investir
dans des pays africains inamicaux et donnent ainsi la priorité à
leurs intérêts économiques. C'est le cas de Saham Group,
dont l'une des directrices explique que c'est le seul groupe marocain a
être implanté dans le pays malgré le fait que l'Angola
était très proche de l'Algérie. « Depuis peu les
relations se sont améliorées avec le Maroc et il y a même
une liaison aérienne directe qui nous relie »,
explique-t-elle9.
De plus, si le Maroc et l'Algérie sont les mieux
placés pour jouer le rôle de puissance régionale, le
royaume chérifien a quelques longueurs d'avance sur son rival. A ce
titre, le Maroc a en effet accueilli plusieurs conférences
sécuritaires internationales ces dernières années ; a
été choisi pour accueillir le treizième sommet de la
Communauté des Etats Sahélo-Sahariens et est largement soutenu
par les pays occidentaux, qui estiment que le pays peut jouer un rôle
dans la stabilisation de la région. Le discours royal de
Bamako10 à propos de la reconstruction immatérielle du
Mali suite à l'intervention française est à cet
égard porteur de sens. Un autre exemple symbolique fort qui illustre ce
fait a eu lieu le 31 janvier dernier à la mosquée Koutoubia de
Marrakech, lorsque le leader du MNLA et chef touareg malien a fait sa
prière quelques pas derrière le roi Mohamed VI avant d'être
reçu en audience pour signifier son attachement à la
stabilité du régime politique malien. Le Maroc cherche ainsi
à se
8 Le Maghreb dans son environnement régional
et international, «Politique africaine et positionnement économique
des pays du Maghreb en Afrique subsaharienne », IFRI, Centre des Etudes
Economiques, 2010
9 Voir interview en annexe
10 Discours de Bamako, 19 septembre 2013
12
positionner comme médiateur diplomatique porteur de
stabilité pour la région.
Les propos recueillis auprès d'Abdelmalek
Alaoui11, président de l'Association Marocaine pour
l'Intelligence Economique (AMIE) et PDG du cabinet d'intelligence
économique Global Intelligence Partners, n'abondent pas en ce sens.
D'après lui, le Maroc ne peut prétendre à une place de
leader régional que s'il s'allie avec l'Algérie, à l'image
du couple franco-allemand dans la construction européenne. Il s'explique
: « Il y a besoin d'un leadership pour favoriser l'intégration
régionale. Il y aura besoin, à un moment ou à un autre,
d'une conférence des arrières pensées entre le Maroc et
l'Algérie. Quand on parle de moteur, on parle toujours de couple. Il y a
besoin d'un couple pour faire marcher l'intégration africaine ».
D'après Abdelmalek Alaoui, le pays le plus riche par son sous-sol
(l'Algérie) et le plus riche par ses services (le Maroc) sont
condamnés à s'entendre et à dépasser leurs
différends pour devenir les moteurs de l'intégration
régionale. Et cela peut se faire plus vite qu'on ne le pense : «
un changement de leadership en Algérie peut changer les choses
très rapidement, en quelques mois. Je ne suis absolument pas pessimiste
», explique-t-il.
b) La 2ème raison qui explique
l'expansion du Maroc en Afrique est d'ordre économique
Outre les considérations politiques qui ont
initié la diplomatie économique marocaine, le décollage
économique de l'Afrique offre des relais de croissance aux entreprises
dans le cadre de la mondialisation. En effet, alors que la croissance
économique est atone en Europe, le continent africain s'est
démarqué par des taux de croissance moyens de 5.1%12
par an lors de la dernière décennie. La croissance sur le
continent est tirée par celle de l'Afrique de l'Ouest, région la
plus dynamique avec des taux de croissance de 7% depuis 2011. Les perspectives
macroéconomiques sont encourageantes en Afrique subsaharienne, avec des
croissances prévues entre 5 et 6%13 d'ici 2015.
L'Afrique se classe ainsi deuxième au classement des
régions les plus dynamiques au monde derrière l'Asie du Sud Est :
rien d'étonnant, donc, au fait que les projecteurs soient tournés
vers ce continent autrefois marginalisé de la mondialisation et
aujourd'hui perçu comme un véritable eldorado. Les
investissements directs étrangers y sont passés de 9 milliards en
2000
11 Voir interview en annexes
12 McKinsey Global Institute, « Africa at work :
job creation and inclusive growth », August 2012
13 Perspectives Macroéconomiques en Afrique,
BAD, OCDE, PNUD, 2014
13
à 56 milliards de dollars en 2013.
L'émergence de la classe moyenne est l'une des plus
importantes au monde avec près de 350 millions de personnes (soit plus
d'un milliard de consommateurs). Ce chiffre est amené à doublier
d'ici vingt ans : c'est un cinquième de la population mondiale qui est
concerné et qui a des besoins forts en biens d'équipements, en
biens de consommation et en services. A titre d'exemple, le marché de la
téléphonie en Afrique subsaharienne croit de 30% par an, ce qui
représentera un milliard d'abonnés en 2015. D'après le
McKinsey Global Institute, le secteur de la consommation et des services
devrait croitre de 300 milliards d'euros d'ici à 2020.
C'est sans compter les ressources naturelles que recèle
le continent, qui sont également considérables (plus de 30% des
réserves minérales mondiales), ou l'agriculture, encore largement
sous-exploitée, qui consomme très peu d'engrais et non
mécanisée. Le royaume utilise le don d'engrais comme outil
diplomatique pour se positionner sur le continent : lors de la tournée
royale en février dernier, le roi a fait don de 2 150 tonnes d'engrais
à la Guinée Conakry14. L'OCP, fleuron de l'industrie
des phosphates, a également lancé un investissement de plus de
600 millions de dollars15 pour la construction d'usine de production
d'engrais au Gabon. De plus, certains pays tels que le Nigéria, le Gabon
ou la Côte d'Ivoire ont adopté des plans d'émergence qui
impliquent d'importants investissements en infrastructures routières,
aéroportuaires, portuaires et industrielles qui pourraient profiter aux
entreprises marocaines.
Néanmoins, Brahim Skalli16, directeur de la
stratégie d'Alliances, nuance cet afro-optimisme en expliquant par
exemple que le marché des logements sociaux des pays africains
ciblés par l'entreprise ne représentent à l'arrivée
qu'une fois le marché marocain en valeur. Ghita Lahlou, directrice
générale chez Saham Group, va dans le même sens en
expliquant qu'il faut considérer le continent dans son ensemble. Il faut
raisonner en réseau d'implantations et ne pas considérer les pays
pris séparément afin de mutualiser et de minimiser les risques.
« Les 54 pays pris isolément ne représentent rien en
termes de marché et les opérateurs qui s'implantent dans un seul
pays africain sont peu nombreux. Le risque pays est trop important pour placer
toutes ses billes dans le même panier », explique-t-elle. Et
pourtant, le besoin est énorme dans les assurances en Afrique : si le
marché africain ne représente que 1,5% du
14 Ristel Tchounand, « Le Maroc, nouvel outil
diplomatique du Maroc ? »,
Yabiladi.ma, 11 avril 2014
15 Journal Economie Entreprise, juin 2013
16 Voir interview en annexe
14
marché mondial des assurances avec 72 milliards de
dollars17, les taux de croissance sont de 9% sur les dix
dernières années, soit le double de la moyenne mondiale.
Abdelmalek Alaoui18, PDG du cabinet de conseil en
stratégie et intelligence économique Global Intelligence
Partners, tempère lui aussi l'optimisme ambiant concernant l'Afrique
subsaharienne : « Beaucoup de gens ont vu de la lumière et
pensent qu'il suffit d'entrer ; mais la réalité est beaucoup plus
contrastée et complexe. (É) Dans les années 2000 l'une des
couvertures de The Economist titrait « the hopeless continent » alors
qu'en 2012 le même magasine titrait « Africa rising ». La
réalité est que nous ne pouvons pas passer d'un pessimisme
endémique à un optimisme béat... ».
Ainsi, si la part de l'Afrique subsaharienne dans le commerce
mondial est encore relative, cette « ruée vers
l'Afrique19 » se justifie aujourd'hui pour les investisseurs et
les entreprises du monde entier qui sont à la recherche de nouveaux
relais de croissance. Tous les grands opérateurs mondiaux entendent
profiter du décollage du continent, ce qui implique une concurrence
féroce entre acteurs économiques locaux et internationaux. Le
Maroc cherche à se positionner comme hub vers l'Afrique.
La Chine a été parmi les premiers pays à
croire au décollage africain au début des années 2000, et
est devenu le premier partenaire commercial du continent : les échanges
ont été multipliés par quatre en sept ans, et les
investissements chinois en Afrique subsaharienne se sont élevés
à 75 milliards de dollars entre 2000 et 2011. Les entreprises
américaines sont aussi consciente de ce potentiel : General Electric
mise par exemple sur une croissance soutenue à deux chiffres de ses
revenus sur le continent subsaharien dans les dix ans à venir.
Dès lors, comment le Maroc peut-il se positionner sur
cet échiquier africain ? En 2000, le roi du Maroc a annulé la
dette financière des Pays les Moins Avancés et a
exonéré leurs exportations de droits de douanes à
l'entrée du pays. Les investissements directs étrangers du Maroc
en Afrique subsaharienne s'élèvent à 360 millions de
dollars en 2013, ce qui en fait le deuxième investisseur africain sur le
continent après l'Afrique du Sud.
Le Maroc a par ailleurs intensifié ses exportations
vers l'Afrique subsaharienne, qui ont quintuplé en dix ans : elles sont
passées de 2 milliards de dirhams en 2002 à 10,4 milliards de
17 Magasine Economie Entreprises, juin 2014
18 Voir interview en annexe
19 Jean-Philippe Rémy, l'Afrique, nouvel
eldorado des investisseurs, Le Monde, 01.01.2013
15
dirhams en 201320. Plus de 50% d'entre elles se
font avec CEDEAO21 et un tiers avec l'UEMOA. Par ailleurs, Maroc a
mis en place en mai 2009 un plan national pour le développement et la
promotion des exportations, avec pour ambition de triper la valeur des
exportations marocaines d'ici dix ans.
Evolution des exportations du Maroc vers ses principaux
marchés en
Afrique subsaharienne (en millions de
dirhams)
2 024
![](Quelle-place-occupe-l-intelligence-economique-dans-le-deploiement-des-entreprises-marocaines-en-af1.png)
244 207
939 945 933 899 858
751
573
72
213
349
87
545
Senegal Cote d'Ivoire Guinée Nigeria Ghana
2003 2011 2013
Source : Office des Changes, 2014
De plus, le Maroc est l'un des rares pays africains à
avoir une offre diversifiée si on le compare aux autres pays, dont les
exportations sont concernent principalement les matières
premières.
20 « Les exportations du Maroc vers l'Afrique », Office
des Changes, 2014
21 CEDEAO (Communauté Economique des Etats d'Afrique de
l'Ouest) et UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine)
16
Evolution des exportations du Maroc vers l'Afrique
subsaharienne
![](Quelle-place-occupe-l-intelligence-economique-dans-le-deploiement-des-entreprises-marocaines-en-af2.png)
47,2%
26,6%
6,3% 5,6%
4,6%
10,0%
8,2%
12,1% 11,2% 12,6%
1,8%
0,2%
Métallurgie Fabrication de Industrie Raffinage Industrie
Industrie
machines automobile chimique alimentaire électriques
2009 2013
Source : Office des Changes, 2014
La volonté du Maroc de se développer sur le
continent est donc manifeste, et est aussi perceptible dans la stratégie
du pays qui a fait le choix d'intensifier ses exportations vers l'Afrique
Subsaharienne plutôt que vers l'Afrique du Nord. En effet, l'Afrique du
Nord, qui représentait la moitié des exportations du Maroc vers
l'Afrique, n'en représente plus qu'un tiers aujourd'hui ; alors que deux
tiers des exportations du Maroc vers le continent aujourd'hui ciblent l'Afrique
subsaharienne.
Evolution des exportations marocaines en Afrique (en
milliards de dirhams)
![](Quelle-place-occupe-l-intelligence-economique-dans-le-deploiement-des-entreprises-marocaines-en-af3.png)
10,4
2003 2005 2013
5,8
3,9
2,3
1,9
1,5
Afrique subsaharienne Afrique du nord
Source : Office des Changes, 2014
17
Toutefois, si le royaume cherche à consolider ses
relations commerciales avec le continent africain, son poids en croissance
rapide reste encore faible dans la région : le Maroc ne
représente aujourd'hui que 0,3% des importations africaines, et seul
6,4% des exportations du Maroc sont dirigées vers l'Afrique
subsaharienne.
Les États d'Afrique subsaharienne remettent de plus en
plus en question aujourd'hui la manière dont sont exploitées
leurs ressources naturelles par les entreprises étrangères et
attend des retombées positives pour leurs économies. La Chine est
en ce sens perçue par les africains comme une puissance coloniale : le
Ghana, premier bénéficiaire des investissements étrangers
chinois en Afrique, est directement concerné par le pillage des
ressources en or du pays qui sont clandestinement exploitées, et cherche
à remettre en cause l'hégémonie de la Chine.
Le Maroc joue quant à lui la carte de la confiance et
de l'identité africaine pour initier un cercle vertueux et durable de
partenariats économiques à travers un modèle de
coopération sud-sud unique. C'est ce qu'avance le roi Mohamed VI lors du
discours d'ouverture du Forum économique maroco-ivoirien à
Abidjan le 24 février dernier : « L'Afrique (É) doit se
prendre en charge, (É) l'Afrique doit faire confiance à l'Afrique
».
c) Le Maroc peut mettre à profit son capital
immatériel pour peser en tant que puissance régionale en Afrique
subsaharienne
Le Maroc peut capitaliser sur six atouts majeurs pour se
développer en Afrique.
Le premier est d'ordre historique et géographique : les
routes commerciales entre le royaume et l'Afrique subsaharienne remontent
à plusieurs siècles, du temps du commerce caravanier qui reliait
le Maroc à l'Afrique de l'Ouest. Sijelmassa, dans le Tafilalet, a
été par exemple, pendant plusieurs siècles une ville pivot
des échanges commerciaux transsahariens ; au même titre que
Samarkand vis à vis de la route de la soie.
La dynastie Almoravide est la première à avoir
cherché la conquête vers le Sud dès le XIème
siècle ; tradition de conquête qui s'est poursuivie jusqu'aux
Saadiens au XVIème siècle. Ces dynasties, natives des
régions sahariennes, ont étiré le royaume du nord au sud
à défaut de pouvoir conquérir l'Orient du fait de la
présence ottomane puis française.
Le commerce transsaharien s'essouffle dès le
XVIème siècle au profit du développement des
18
routes maritimes découvertes par les portugais au
XVème et XVIème siècle : la caravelle devient le moyen de
transport privilégié pour les marchandises, au détriment
de la caravane, ce qui explique la baisse des échanges commerciaux entre
les deux régions. Néanmoins, les échanges se revitalisent
dès l'indépendance des pays du Maghreb, qui recommencent à
manifester leur intérêt pour les pays d'Afrique subsaharienne dans
les années 1980. De 1973 à 1987, 73 accords de coopération
sont ainsi signés par le Maroc et 17 pays africains, principalement en
Afrique de l'Ouest, dans des domaines aussi variés que le commerce, le
transport aérien, la culture, les télécommunications, la
santé, etc., qui redonnent un second souffle aux échanges
régionaux.
Le deuxième atout singulier du Maroc pour
développer ses échanges avec l'Afrique subsaharienne est
l'autorité religieuse et spirituelle du roi en tant que Commandeur des
Croyants. L'Afrique de l'Ouest compte 190 millions de musulmans et les
confréries religieuses (Tidjane, Malékite et Mouride)
considèrent le roi du Maroc comme leur chef spirituel. Le pays a par
exemple signé, en février 2014, un accord pour la formation de
cinq cents imams avec le Mali, et pour la construction et la rénovation
des nombreuses mosquées au Mali, Guinée, Bénin et
Sénégal22.
Toutefois, cette longueur d'avance que confère
l'autorité religieuse au Maroc doit être intelligemment
utilisée pour transformer cet atout en réalisations
économiques. Comme l'explique en effet Vish Sakthivel,
spécialiste des pays du Maghreb au Washington Institute for Near East
Policy, « cela peut être un outil diplomatique novateur, mais
reste à voir comment le Souverain et son État travailleront avec
».
Le troisième atout du Maroc est de parvenir à se
positionner comme centre de formation de qualité pour les
étudiants africains. Plus de deux mille étudiants23
guinéens font actuellement leurs études supérieures ou
suivent une formation professionnelle au Maroc, et des partenariats pour des
échanges universitaires sont noués avec des pays tels que le
Gabon. L'Agence Marocaine de Coopération Internationale a
augmenté en 2012 le nombre annuel de boursiers subsahariens pour le Mali
et le Niger. Par ailleurs, l'Office de la Formation Professionnelle et de la
Promotion du Travail (OFPPT) est devenu un outil de la diplomatie
économique en effectuant des rapprochements entre le Maroc et les pays
d'Afrique
22 François Soudan, Jeune Afrique le 19 février
2014 « diplomatie : le Maroc, de Laayoune à Tombouctou »
23 « Mémorable accueil du Roi du Maroc en
République de Guinée »,
237online.com, 3 mars 2014
19
subsaharienne par la formation et le transfert de
savoir-faire24. L'Office a ainsi signé un accord avec la
Guinée pour la formation de 100 guinéens à l'OFPPT suite
à un diagnostic réalisé par des experts marocains sur la
formation professionnelle en Guinée ; et des partenariats similaires ont
été signés avec le Gabon et le Tchad.
Le quatrième atout du Maroc est la solidarité
qu'il déploie en Afrique, puisque le pays est l'un des plus actifs sur
le continent en ce qui concerne la construction d'écoles et
d'hôpitaux de campagne. Lors de son discours auprès des
ambassadeurs marocains le 30 août 2013, Mohammed VI a insisté sur
le rôle de l'Agence Marocaine de Coopération Internationale pour
servir les « intérêts stratégiques » du
pays25.
Le cinquième atout du Maroc est de savoir «
raconter une histoire ». D'après Nadia Fettah, directrice des
fusions acquisitions chez Saham Group, le Maroc possède par exemple une
meilleure image que l'Afrique du Sud sur continent du fait de la
proximité culturelle du pays avec l'Afrique. « Les suds africains
sont presque prêts à pactiser avec nous pour s'y implanter, ils
pensent que notre histoire est intéressante », explique-t-elle.
Le branding « Maroc » et le story telling jouent en
la faveur du pays pour s'implanter en Afrique.
Le sixième atout Maroc jouit enfin d'une bonne
réputation dans les milieux d'affaires en Afrique subsaharienne :
d'après une étude réalisée par le cabinet de
conseil en intelligence économique Knowdys sur un échantillon de
840 personnes résidant dans 12 pays d'Afrique Subsaharienne, 46%
trouvent que le pays est « compétitif », 21% trouvent
que le Maroc est un pays « ouvert » et 27% que le Maroc est
un pays « conquérant ».
La stratégie diplomatique du Maroc est donc de
capitaliser sur ces six atouts immatériels qui lui permettent de se
démarquer radicalement dans un environnement qui exige une
différenciation et une forte compétitivité pour faire sa
place. Le rapport de la Banque Mondiale26 déclare qu'en
prenant en compte le capital immatériel du Maroc (soit son capital
humain et la qualité de ses institutions) dans le calcul du PIB,
celui-ci serait multiplié par 7,
24 « Ce knowledge que le Maroc vend au sud du Sahara »,
quotidien les Ecos en date du 8 juillet 2014
25 Agence Marocaine de Presse (MAP), « Le
Souverain adresse un message à la 1ère conférence des
ambassadeurs de SM le Roi », 30 août 2013
26 Worldbank, « Where is the Wealth of
Nations? Measuring Capital for the 21st Century ? »
https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/7505
20
loin devant l'Algérie (au capital immatériel
négatif selon cette méthode de calcul27).
Ismail Regragui, doctorant en relations internationales
à l'IEP de Paris, parle ainsi de « stratégie de marque
religieuse »28 pour le Maroc. Le royaume joue la carte de la
coopération solidaire au service de l'intérêt des pays
africains, en se positionnant comme puissance stabilisatrice dans la
région et comme passerelle vers l'Europe.
d) Le développement économique vers
l'Afrique est fortement encouragé par la diplomatie sud-sud promue par
le roi du Maroc
Afin de pallier l'isolement du Maroc en Afrique depuis sa
sortie de l'UOA, le roi du Maroc a soutenu depuis le début des
années 2000 le développement des entreprises marocaines sur le
continent. La projection des entreprises marocaines en Afrique subsaharienne
est réelle :
-- Les 25 représentations diplomatiques du Maroc en
Afrique (dont 21 en Afrique Subsaharienne) sont les principaux relais locaux du
pays. Leur capacité d'action et d'intervention permet de promouvoir le
Maroc comme partenaire commercial ainsi que son capital immatériel sur
place ;
-- Les déplacements du roi du Maroc en voyages
officiels initiés il y a une dizaine d'années, accompagnés
de délégations officielles de grands chefs d'entreprises,
témoignent de la volonté à la tête de l'Etat de
participer au développement des affaires sur le continent. Plus de 480
accords bilatéraux ont ainsi été signés entre le
Maroc et 40 pays africains depuis le début des années 2000.
-- Les entreprises exportatrices sont soutenues par Maroc
Export, organisme étatique sous la tutelle du Ministère
délégué auprès du ministre de l'Industrie, du
Commerce, de l'Investissement et de l'Economie Numérique. Ce partenaire
des entreprises réalise des actions promotionnelles pour promouvoir les
champions économiques marocains auprès de cibles internationales,
telles que le forum « B to B in Africa » organisé au
Bénin, en Côte d'Ivoire et au Sénégal en juin
2014.
-- Une commission pilotée par le Ministre des Affaires
Etrangères a été créée pour réunir
l'ensemble des entreprises qui ont fait partie de la tournée royale en
Afrique en 2013. Des réunions mensuelles sont organisées pour
faire le suivi des partenariats signés
27 « Pour la première fois, le PIB intègre
l'impact du goodwill », L'Economiste, Édition N 4222 du
2014/02/27
28 Ismail Regragui, « La diplomatie publique marocaine : une
stratégie de marque religieuse ? », ed. l'Harmattan
21
dans le secteur privé.
-- La volonté du Maroc de créer des liens avec
les organisations économiques régionales est également
forte : le rapprochement avec l'Union Economique et Monétaire
Ouest-Africaine (UEMOA) est lancé grâce à la ratification
en cours d'un accord commercial préférentiel pour encourager les
investissements, signé en 2008 et soutenu à nouveau par le
président sénégalais Macky Sall lors de la visite royale
en 2013.
-- L'entrée en vigueur en janvier 2015 d'un tarif
extérieur commun entre 15 pays de la CEDEAO devrait profiter aux
exportateurs marocains, qui n'auront désormais plus qu'à payer la
taxe douanière à l'entrée de la Communauté
après quoi leurs produits pourront circuler librement dans toute la
zone.
-- Enfin, l'accélération des réformes
financières permettra de faire de Casa Finance City29 un hub
financier régional pouvant attirer les investissements et les
redéployer sur le continent africain. Le Maroc profite du fait que les
grandes places financières telles que Londres, Dubaï et
Johannesburg ne s'intéressent pas à l'Afrique pour se positionner
sur ce marché qui comptera 80% des francophones du monde30 en
2050.
Les tournées royales en Afrique au premier semestre
2014 bénéficient d'un suivi à travers une commission
gouvernementale. Une commission mixte a été mise en place pour
assurer le suivi des partenariats signés lors de la dernière
tournée royale en Guinée, au Mali, au Gabon et en Côte
d'Ivoire Comme l'explique Mamoun Tahri Joutei, responsable du
département d'intelligence économique de BMCE Bank, « le
soutien diplomatique à notre action est tout primordial. Le roi est le
premier des soutiens en termes de politique économique
étrangère : les tournées royales accompagnées de
délégations d'officielles et de chefs d'entreprises ouvrent la
voie à l'implantation du secteur privé marocain en Afrique
». Par ailleurs, le soutien de la Banque Centrale est fondamental
pour les entreprises : elle les accompagne et les oriente ; il existe un
partage réel avec les entreprises exportatrices.
L'Etat marocain joue ainsi de son influence sur les pays
africains pour mettre en avant les intérêts politiques et
économiques du pays sur le continent. Cette communication d'influence
pratiquée par l'Etat est une composante essentielle de la
stratégie d'intelligence économique
29 Casablanca Finance City (CFC) est une
initiative publique-privée née en 2010 visant à faire de
Casablanca une place financière au service du développement de
l'Afrique, et en particulier en Afrique du Nord, de l'Ouest et Centrale. CFC se
veut être un hub économique et financier visant à
encourager les investissements dans ces régions, partant de
Casablanca.
30 Sur un total de 700 millions de francophones dans 77 pays en
2050, d'après
www.francophonie.org
22
marocaine : celle-ci valorise les liens historiques, culturels
et religieux qui lient le Maroc au pays africains31.
B. Des champions nationaux ayant une capacité de
projection continentale
a) L'approche marocaine en Afrique
Le développement des entreprises marocaines en Afrique
se fait dans le respect des cultures locales par la valorisation des
compétences africaines. Ceci est notamment visible dans la
stratégie de BMCE Bank, expliquée Mamoun Tahri Joutei,
responsable du département d'intelligence économique : «
notre logique de développement en Afrique se fait avec le souci
majeur du respect des identités locales. Ceci implique une adaptation et
une déclinaison locale de nos services, et c'est ce qui fait notre force
aujourd'hui en Afrique ». BMCE Bank n'est pas dans une logique de
transfert de compétences du Maroc vers l'Afrique mais dans une logique
de d'apprentissage mutuel de ce qui se fait de mieux au Maroc et en Afrique. La
banque réfléchit par exemple actuellement à la mise en
place du crédit à la consommation au Sénégal
à travers sa filiale Bank of Africa, sur le modèle du
succès de sa filiale Salafin au Maroc. D'autre part, la majorité
des patrons de filiales de BMCE Bank sur le continent sont des dirigeants des
pays en question ; les dirigeants de filiales d'Afrique qui sont marocains sont
minoritaires.
Brahim Skalli, directeur Stratégie et Partenariats chez
Alliances, abonde dans le même sens : « Nous sommes convaincus
qu'il faut aller en Afrique avec une culture de l'humilité. Il ne faut
pas y aller en donneurs de leçons ; il faut avoir confiance en la
compétence locale ». Il explique qu'il est très
important de recruter en local et réaliser des transferts de
savoir-faire entre expatriés marocains formés à la
promotion immobilière chez Alliances et cadres locaux. Nadia Fettah,
directrice déléguée aux finances et au M&A chez Saham
Group, ajoute que Saham n'est pas perçu comme une entreprise marocaine
en Afrique car tous ses managers sont subsahariens. L'entreprise a même
tendance à être discrète sur la nationalité de son
capital pour être un opérateur local pour ses clients.
31 cf. Discours royal d'Abidjan en annexe
23
La capacité d'adaptation est également un
facteur clé de succès pour les entreprises marocaines sur le
continent. D'après Nadia Fettah, la capacité d'adaptation
exemplaire de Saham réside dans le fait que l'entreprise a gardé
en mémoire ce qu'était le marché marocain des assurances
il y a 30 ans et peut donc mieux comprendre le marché africain. Le Maroc
a depuis fait un saut qualitatif qui fait penser que Saham peut apporter
beaucoup à ses filiales africaines, « mais sans le
côté dogmatique allemand, français ou américain
(É) », dit-elle.
Un autre point fort des entreprises marocaines réside
dans leur rapidité d'exécution : comme l'explique Nadia Fettah,
« je pense que nous avons une agilité et une rapidité
d'exécution remarquables. Nous avons racheté Colina en trois
mois. Je pense que cela peut faire la différence car il y a peu
d'opportunités sur le marché. Souvent, nous sommes dans une
démarche proactive, c'est à dire que nous n'achetons pas des
compagnies à vendre mais des compagnies que nous avons envie d'acheter :
il faut déjà les convaincre puis agir rapidement pour être
les seuls acheteurs possibles ».
L'humilité, le recours à des ressources humaines
locales, l'adaptation et la rapidité d'exécution sont donc des
points communs et des facteurs de succès clés pour les grandes
entreprises marocaines.
b) Les grandes entreprises publiques sont les
premières à se déployer
Le souverain fixe les ambitions à moyen et long terme
du Maroc en Afrique ; or, de par sa fonction, il n'a pas vocation à
assurer l'exécution de cette stratégie. « Il ne peut pas
tirer un penalty et jouer au gardien de but juste après ! C'est
antinomique », explique le président de l'AMIE. Dès
lors, les entreprises publiques ont pris le relais en se développant en
Afrique.
La coopération entre le Maroc et l'Afrique
subsaharienne a été initiée par les grandes entreprises
publiques marocaines (ONEE, OCP, RAM32) sur des projets
d'infrastructures de grande envergure (barrages, routes,
télécommunications, assainissement,...) et sur le secteur
bancaire, sous l'impulsion de l'Etat marocain.
L'exemple le plus probant est celui de la Royal Air Maroc,
élue meilleure compagnie
32 ONEE : né de la fusion entre l'ONE
(Office Nationale de l'Electricité) et de l'ONEP (Office National de
l'Eau Potable) ; OCP : Office Chérifien des Phosphates ; RAM : Royal Air
Maroc)
24
régionale africaine en 201433, qui est l'une
des premières entreprises publiques marocaines à s'être
déployée en Afrique. Ayant compris le potentiel de
développement qu'offrait le continent (seul 2 à 3% du trafic pour
près de 15% de la population mondiale), la compagnie a progressivement
développé son réseau de vols pour servir aujourd'hui 34
destinations, devenant ainsi la deuxième compagnie aérienne sur
le continent après South African Airways. Le nombre de passagers a
doublé entre 2007 et 2013 pour atteindre 900 000 passagers annuels, ce
qui représente près de 45% du chiffre d'affaires de la compagnie,
positionnant ainsi Casablanca comme hub incontournable entre l'Afrique et le
monde34.
Citons également l'exemple de Maroc
Télécom, leader des télécommunications au Maroc,
qui a vu le jour en 1998 lors de la scission de l'Office national des postes et
télécommunications (ONPT).
Maroc Telecom est l'une des premières entreprises
publiques marocaines (aujourd'hui, 70% de son capital est privé)
à s'être déployée en Afrique subsaharienne dans le
cadre de la diplomatie sud-sud. L'entreprise possède aujourd'hui quatre
filiales en Mauritanie (2001), au Burkina Faso (2006), au Gabon (2007) et au
Mali (2009), pour un total de trente millions de clients dans le mobile. Le
groupe a déployé la fibre optique sur une distance de près
de six mille kms, reliant ainsi le Maroc au Niger pour un investissement total
de 220 millions de dirhams (19,6 millions d'euros). Le tronçon malien
inauguré par le roi Mohammed VI lors de la tournée royale en
février dernier, a symboliquement mis en avant le rapprochement
maroco-malien.
L'opérateur marocain joue un rôle important dans
la restructuration des entreprises nationales de télécoms (le
chiffre d'affaires de Sotelma au Mali a été multiplié par
six depuis la prise de participation de Maroc Telecom en 200935).
Les investissements (10 millions de dirhams entre 2003 et 2013 et 4 millions
pour la période 2013-2015) ainsi que la mise en place de cadres
qualifiés à des postes clés de ces entreprises permet de
tirer la croissance dans ces pays.
L'Afrique subsaharienne contribue par ailleurs fortement au
chiffre d'affaires de Maroc Telecom : si elle ne représentait que 15% du
chiffre d'affaires du groupe en 2012, elle en représentait près
de 30% en 2013. Les filiales africaines de Maroc Telecom en Afrique ont
33 Classement Skyrax Awards 2014
34 La vie éco, Royal Air Maroc met le paquet sur l'Afrique
subsaharienne, 25 janvier 2014
35 Article Financenews du 25 avril 2014, « Maroc Telecom :
Champion national à vocation panafricaine »
25
l'EBITDA le plus élevé de toutes les filiales
d'entreprises de télécoms au monde36.
Ainsi, si Maroc Telecom s'est d'abord déployé
sur le continent pour servir les intérêts du pays, l'Afrique
subsaharienne constitue aujourd'hui un vivier d'opportunités et de
croissance significatif pour l'entreprise. D'autant plus la forte concurrence
au Maroc s'est traduite par une baisse significative des prix (- 30% dans le
mobile et Ð 10% dans le fixe), qui a conduit à une baisse de 10% de
son chiffre d'affaires au Maroc sur l'exercice 2013.
Les entreprises publiques marocaines continuent à se
développer en Afrique : la fusion prévue dans le secteur des
transports entre l'ONCF (Office National des Chemins de Fer) et la SNTL
(Société Nationale de Transport Logistique) a vocation a
créer un champion national qui génèrera 400 millions
d'euros de CA dans le transport de marchandises depuis la réception du
fret au port de Tanger Med jusqu'à leur acheminement par voie terrestre
au Sénégal et en Mauritanie.
c) Dans la foulée des entreprises publiques, le
secteur privé s'est massivement tourné vers l'Afrique
subsaharienne
Dans un second temps, les grands opérateurs
privés se sont eux aussi attaqués le marché au vu du
potentiel encore inexploité dans les secteurs des transports, de la
finance et des médias37 notamment.
On compte en effet 1 640 entreprises marocaines exportatrices
en Afrique en 2013 contre 1 040 en 2005 ; et 25 opérateurs
réalisent 50% du chiffre d'affaires à l'export (soit plus de 100
millions de dirhams)38. Par ailleurs, les IDE du Maroc en Afrique
subsaharienne ont généré 1,9 milliards de dirhams de
dividendes rapatriés entre 2008 et 201239.
Si des grandes banques marocaines ont commencé à
se déployer en Afrique dès les années 1990 (BMCE Bank au
Mali et Banque Centrale Populaire en Guinée et en République
Centrafricaine notamment), leurs actions restaient fortement
corrélées au jeu politique. Les trois plus grandes banques sont
devenues, en quelques années, des leaders incontournables sur le
continent :
-- Attijariwafabank prend des participations majoritaires dans
des banques locales.
36 D'après l'interview du président de
l'AMIE en annexe
37 Hit Radio, la radio des jeunes, opère sur
plus de 9 marchés (Burundi, Congo, Centrafrique, Mali, Cote d'Ivoire,
Sénégal, Gabon, Togo, Tchad)
38 Les exportations du Maroc vers l'Afrique, Office
des Changes, 2014
39 Financenews hebdo, « Rapatriement de
dividendes : L'Afrique se révèle juteuse en affaires », 17
avril 2014
26
L'entreprise est présente dans huit pays d'Afrique de
l'Ouest et d'Afrique Centrale et est la première banque du
Sénégal.
-- La Banque Centrale Populaire (BCP) a pris des
participations dans sept banques en 2012 suite à un accord passé
avec Atlantic Financial Group (Côte d'Ivoire),
-- BMCE Bank a fait le choix stratégique de se
développer en Afrique depuis le début des années 1980. La
première coopération de la banque en Afrique a eu lieu avec le
redressement de la Banque de Développement du Mali, et s'est poursuivie
avec la prise de participation dans La Congolaise de Banque en 2003. Suite
à ces deux succès, BMCE Bank a accéléré ses
investissements en Afrique en 2008 avec la prise de participation de 72,5% du
groupe Bank of Africa (BoA), présente dans 17 pays d'Afrique francophone
et anglophone (Kenya, Ghana, Ouganda et Tanzanie). « L'idée,
chère au Président de la BMCE Bank, Othman Benjelloun, est
d'être présents dans les 54 pays d'Afrique d'ici quinze ans
», explique Mamoun Tahri Joutei, responsable du département
d'intelligence économique de BMCE Bank.
Les banques marocaines profitent du repli des banques
africaines pour se déployer sur le continent. En effet, les banques
africaines traversent une crise de croissance réelle : au Nigeria, la
Banque centrale a temporairement interdit aux établissements nationaux
de réaliser des acquisitions en dehors des frontières avec des
financements locaux. Par ailleurs, la valorisation des banques dans les pays
d'Afrique subsaharienne est considérée comme trop
élevée pour les investisseurs : le multiple de deux fois les
fonds propres est supérieur à celui que l'on observe dans
d'autres pays émergents en Amérique Latine ou en Asie (une fois
les fonds propres).
Les grandes entreprises privées ont quant à
elles véritablement commencé leur offensive africaine en 2010.
Brahim Skalli, directeur Stratégie et Partenariats chez Alliances,
explique que le positionnement des grandes entreprises en Afrique répond
à une nécessité quand elles atteignent leur masse critique
sur le marché local marocain : « les entreprises qui ont
atteint la taille de champion national ont besoin de relais de croissance en
dehors du territoire si elles veulent voir leur chiffre d'affaires croitre de
manière significative dans les années à venir ».
L'entreprise est aujourd'hui implantée en Côte d'Ivoire, où
elle a signé un accord avec le gouvernement pour la construction de 14
000 logements sociaux ; et est en discussions avec le Sénégal, le
Congo et la Guinée pour d'autres projets de promotion
immobilière.
Chez Saham, le développement en Afrique s'est aussi
fait de manière très rapide. Ghita Lahlou, directrice
générale chez Saham Group, explique que jusqu'en 2010,
l'entreprise s'est cantonnée au marché marocain. En l'espace de
trois ans, le groupe a opéré une mutation significative à
travers l'acquisition de la totalité du capital de Colina en 2010, qui
opère via 15 filiales d'assurances dans 13 pays ; et de Global Alliance
Seguros en 2012 en Angola. Aujourd'hui, 50% du chiffre d'affaires et 70% du
résultat net du groupe sont réalisés en Afrique.
D'après elle, ce transfert a été salutaire : le management
s'est rendu compte que le marché marocain était trop
étroit et qu'il ne permettrait pas d'atteindre à lui seul les
ambitions du groupe. En effet, entre 2004 et 2010, celui-ci était
principalement tourné vers l'Europe ; or Saham était trop petit
pour apporter une véritable valeur ajoutée sur le marché
européen. Le président Moulay Hafid Elalamy a
considéré qu'il fallait alors se déployer dans des pays
où le savoir faire du groupe a la légitimité de se
développer. « Il se trouve que le continent africain totalise
un PIB de 5 000 milliards de dollars à ce jour, et les estimations sont
de 29 000 milliards de dollars en 2050. Le continent émerge au
même titre que la Chine ou l'Inde il y a dix ans, et est un formidable
vecteur de croissance pour nous », explique Ghita Lahlou.
Aujourd'hui, le groupe Saham est le premier opérateur d'assurances en
Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) et est implanté dans 22
pays.
d) Les entreprises marocaines ne sont pas encore
perçues comme des concurrentes par les entreprises occidentales,
chinoises et suds africaines
Il est intéressant de réfléchir à
la manière dont sont perçues les entreprises marocaines par les
grands opérateurs étrangers présents en Afrique car force
est de constater que des acteurs de taille sont présents sur le
continent40 :
27
40 BCG Focus: « The African Challengers : Global
competitors emerge from the overlooked continent », 2010
![](Quelle-place-occupe-l-intelligence-economique-dans-le-deploiement-des-entreprises-marocaines-en-af4.png)
28
Les entreprises interrogées dans le cadre de ce
mémoire sont d'accord pour dire que les opérateurs marocains ne
sont pas encore perçus comme de véritables concurrents par les
opérateurs « historiques » sur le marché africain. Cela
tient tout d'abord au fait que, quand bien même le pays figure parmi les
six plus gros exportateurs du continent, il ne pèse que 0,3% de ses
importations. La Chine arrive quant à elle en première position
(14,2%), devant les Etats-Unis (6%) et la France (5,9%).
D'après Mamoun Tahri Joutei de BMCE Bank, les
entreprises marocaines se battent sur un continent qu'une bonne partie des
entreprises françaises ont quitté car elles n'ont pas su
gérer le risque pays en Afrique. Elles ont compris qu'elles devaient
passer par des entreprises marocaines, qui ont cette approche différente
et qui leur permet d'être plus performants en Afrique. Ghita Lahlou
souligne à ce titre qu'Axa, par exemple, se pose des questions quant
à sa stratégie africaine car ses coûts de structure sont
énormes du fait du nombre élevés d'employés
expatriés.
Quant aux leaders suds africains, ils semblent regarder de
loin l'implantation des entreprises marocaines en Afrique aujourd'hui. Brahim
Skalli d'Alliances explique que leurs marchés de prédilection
sont les pays anglophones et que les pays francophones ne font pas
véritablement partie de leur stratégie d'expansion. Pour
l'instant, il y a peu d'interactions avec ces acteurs, ce qui permet aux
opérateurs marocains de prendre de l'avance. Ghita Lahlou explique
par
29
ailleurs que les suds africains ne sont pas très bien
accueillis en Afrique du Nord et de l'Est car ils sont encore perçus
comme culturellement très différents.
La Chine, quant à elle, ne considère pas les
entreprises marocaines comme concurrents car elles les perçoivent comme
complémentaires dans le jeu du commerce mondial. Les entreprises
chinoises sont très présentes sur les grands travaux
d'infrastructures et l'exploitation de ressources naturelles, alors que les
entreprises marocaines exportent principalement des services. Par ailleurs, les
fonds souverains chinois veulent aujourd'hui se développer sur tous les
secteurs en Afrique. Ils sont encore en retard par rapport aux champions
nationaux marocains de services, mais ils commencent à s'y
intéresser. Mamoun Tahri Joutei de BMCE Bank explique que les
entreprises marocaines se positionnent plutôt comme partenaires des
opérateurs chinois. L'objectif de la conférence
sino-maroco-africaine « China Africa Investment Meetings »
organisée par BMCE Bank41 était en effet de
réunir une cinquantaine de personnalités publiques,
diplomatiques, gouvernementales, nationales et étrangères pour
dessiner une alliance tripartite qui mutualiserait les moyens du Maroc et de la
Chine pour le développement de l'Afrique. La chambre chinoise apporte
son savoir faire en termes d'infrastructures et de connaissance fine du
marché, et BMCE Bank son réseau bancaire en cours de
déploiement en Afrique. Le but est à terme de créer des
joint ventures maroco-chinoises en Afrique dans le cadre d'une stratégie
africaine d'exportation et d'investissement.
C. L'importance de l'intelligence économique
L'implantation des entreprises marocaines en Afrique
nécessite une vigilance particulière. Tout d'abord, il faut
s'assurer que leurs opérations répondent à un besoin
réel et que leur financement est maitrisé. C'est ce qu'explique
Mamoun Tahri Joutei42, responsable du département
d'intelligence économique de la BMCE Bank, en évoquant
l'importance que joue la Banque Centrale marocaine dans l'implantation des
banques marocaines en Afrique. BMCE Bank est en effet engagée
auprès de la Banque Centrale, comme toutes les banques marocaines,
à consolider les risques et le contrôle interne sur chacune de ses
dix-sept filiales et de faire remonter l'information de manière
homogène à la Banque Centrale. « Le soutien de la Banque
Centrale est fondamental. Elle nous accompagne, nous oriente ; nous
partageons
41 « Une vision pour l'Afrique », interview de Othman
Benjelloun, Les Afriques, 10 juillet 2014
42 Voir interview en annexe
30
avec elle toute l'analyse que nous faisons de ces pays.
Nous apprenons mutuellement l'une de l'autre », ajoute-t-il.
Il faut également être vigilant au niveau
opérationnel : l'apport des banques et des assurances est en ce sens
précieux car elles participent à la sécurisation des
échanges. Mamoun Tahri Joutei explique en effet qu'il s'agit d'assurer
un développement sain des entreprises marocaines en Afrique. Brahim
Skalli43, directeur Stratégie et Partenariats d'Alliances,
ajoute en ce sens qu'Alliances s'implante en priorité dans les pays
où des banques marocaines sont déjà présentes car
elles connaissent bien l'entreprise et son fonctionnement, a des contacts dans
le tissu économique local et peut aider à la mise en place rapide
de schémas de financements.
Il faut également faire preuve de vigilance envers la
réaction des partenaires traditionnels de l'Afrique (France, Angleterre,
Portugal...) et de celle des pays leaders sur le continent (Afrique du Sud,
Nigéria, Égypte) : pour Abdelmalek Alaoui, il est dangereux de ne
pas avoir de cellule d'intelligence économique qui surveille les leaders
africains: « deux pays produisent de la connaissance
intéressante, ont des think tanks et des centres de recherche
axés sur l'intelligence économique : l'Afrique du Sud et le
Nigéria. Or ils sont loin d'être des amis du Maroc ! »,
explique-t-il.
D'autant plus que le Maroc et ses concurrents africains ont
vocation à être présents sur les mêmes
marchés. Comme l'explique Mamoun Tahri Joutei de la BMCE Bank, «
Les grands leaders africains (É) remontent du sud vers le nord ; et
effectivement, quand ils commencerons à aller au delà et que nous
irons plus vers le Sud, il y aura confrontation ».
Enfin, il faut faire preuve de vigilance quant aux
réactions face aux prises de positions politiques du Maroc (dossier du
Sahara marocain, intervention au Nord Mali...). D'après Mamoun Tahri
Joutei, il incombe à l'État de mettre en place une intelligence
économique pour surveiller et défendre les intérêts
de la Nation. Pour lui, c'est à ce niveau qu'il faut développer
une approche offensive d'intelligence en étant présents sur les
réseaux sociaux et sur internet pour défendre
l'intégralité territoriale du pays.
Le scandale Ennajate44 témoigne des
dérives auxquelles peut être confronté un pays qui n'a
43 Voir interview en annexe
44 « Intelligence économique et guerres
secrètes au Maroc », Abdelmalek Alaoui, Koutoubia, Editions
Alphée : en 2002, une société se prétendant
basée aux Émirats Arabes Unis propose d'embaucher plusieurs
dizaines de
31
pas de système d'intelligence économique pour
surveiller son environnement et ses « signaux faibles45
».
Il est donc indispensable de mettre en place, aussi bien pour
l'État, le gouvernement que pour les entreprises, un système de
surveillance de l'environnement en amont pour détecter les
opportunités et les menaces dans le cadre d'une économie
mondialisée. En France, Jean-Marc Oury46 est le premier
à signaler l'importance de la vigilance et des dangers auxquels s'expose
l'entreprise si elle ne la pratique pas. D'après lui, elle
nécessite des efforts permanents pour observer et détecter les
signes avant-coureurs d'un évènement inattendu afin de s'adapter
rapidement à son environnement.
a) « L'infodominance » au service de la
surveillance et de la compétitivité
A la lumière des opportunités et des menaces qui
entourent les entreprises, il est intéressant d'étudier la
littérature parue sur l'intelligence économique afin de
comprendre en quoi elle peut être une arme pour la
compétitivité et la prise de décision.
Un ouvrage de référence sur la surveillance
économique est celui écrit par Corine Cohen en 200447.
Dans les années 1950, la surveillance était principalement
rattachée à la planification stratégique, à
l'analyse de l'environnement, de ses opportunités et de ses menaces dans
l'objectif de permettre aux entreprises de s'adapter à un environnement
en perpétuelle mutation. Les grandes théories du concept de
surveillance depuis les années 1960 ont évolué pour
intégrer de nouvelles considérations :
-- Le « scanning » de Francis
Joseph Aguilar en 196748 : ancien de Harvard, Aguilar est le premier
à aborder le sujet de la surveillance en faisant référence
à un radar de navire
milliers de personnes dans l'industrie du loisir au Maroc (les
croisières, plus précisément) avec l'aval gouvernement.
Cette technique de fraude, apparue pour la première fois au
Nigéria dans les années 1980, brouille les victimes en leur
proposant des sommes d'argent importantes en échange d'une petite somme
négligeable de départ. L'escroquerie est passée
inaperçue pour deux raisons. Tout d'abord, rien ne laissait
présager que les dirigeants étaient des escrocs. De plus, les
prétendants au poste devaient passer un examen médical payant
avant de pouvoir signer leur contrat.
L'arnaque, qui aurait pu être débusquée en
quelques vérifications sur internet par les autorités, a
couté 10 millions de dollars à l'économie marocaine.
D'après Abdelmalek Alaoui, elle est à l'origine du taux
d'abstention record lors d'élections politiques jusqu'aux
élections législatives de septembre 2007.
45 Strategic Management Journal, I. Ansoff, Vol.1,
1980
46 « Economie politique de la vigilance », Jean-Marc
Oury, édition Calmann-Lévy, 1994
47 Veille et Intelligence stratégiques »,
Editions Hermès-Lavoisier, 2004
48 « Scanning the business environment », F.J. Aguilar,
Ed. Macmillan, 1967
32
pour justifier le fait qu'une entreprise doit avoir un
système de surveillance propre. Le scanning est destiné aux
cadres dirigeants pour obtenir de l'information, identifier et comprendre les
opportunités et les menaces qui les entourent.
-- L'importance de la surveillance pour la
compétitivité de l'entreprise : Humbert
Lesca49 explique que la surveillance permet une adaptation rapide et
est un facteur de compétitivité pour l'entreprise. D'après
lui, un certain nombre d'acteurs doivent être surveillés : les
clients, les concurrents, les centres de recherche, les pouvoirs publics, les
collaborateurs...
-- La détection des « weak signals »
de I. Ansoff, 1980 : ces opportunités et menaces que
représentent les « signaux faibles » doivent être
captées et exploitées pour éviter les ruptures
stratégiques dans un contexte de changements, de concurrence et
d'imprévisible. Ansoff estime que le système de surveillance des
entreprises doit concerner tous les domaines d'activité afin de
détecter l'intégralité des signaux faibles dans son
environnement.
-- L'émergence du concept « d'intelligence
» : Luhn50 est le premier à utiliser ce concept
en 1958. Il le définit comme un système de « business
intelligence », qui correspond à tout système de
communication qui sert à la conduite des affaires. D'après lui,
l'intelligence sert à trouver des relations entre des faits et de guider
l'action vers un but désiré. Il est le premier à lier
intelligence économique et action. Harold Wilensky va plus loin en
196751 en parlant d'intelligence organisationnelle qui consiste en
la collecte, le traitement, l'analyse et la communication de l'information pour
prendre des décisions. Il considère trois niveaux d'intelligence
:
o « L'intelligence de contact »
détecte les signaux faibles grâce au réseau et au
lobbying,
o « L'intelligence interne »
surveille l'entreprise, ses forces, ses faiblesses et la
sécurité de l'information,
o « L'intelligence des faits et des nombres
» utilise la technologie de l'information pour fournir
l'information scientifique, technique, industrielle, économique,
juridique, etc, aux décideurs.
-- L'émergence du concept de veille
stratégique : Humbert Lesca est le premier à parler de
« veille stratégique » en la définissant comme une
démarche à caractère
49 « Système d'information pour le management
stratégique de l'entreprise », Humbert Lesca, Ed. McGraw-Hill,
1986
50 « A business intelligence system », IBM Journal of
Research and Development, H.P. Luhn, 1958
51 « Organizational Intelligence : knowledge and policy in
government industry », Harold L. Wilensky, 1967
33
volontariste, par lequel l'entreprise traque, assimile et
analyse de l'information pour anticiper les changements dans son environnement
afin de créer des opportunités et d'agir vite, au bon moment.
En France, l'utilisation du terme de « veille » est
plus fréquente que celle « d'intelligence ». Toutefois, la
nécessité de mettre en place une veille offensive qui va au
delà de la simple détection de signaux faibles, au service d'une
communication d'influence, va imposer le terme « intelligence
économique ».
b) Fonctions
Étudions les fonctions de l'intelligence
économique d'un point de vue purement théorique à travers
l'analyse des travaux de Jean-Louis Levet, économiste français et
théoricien en intelligence économique, qui identifie quatre
fonctions à cette pratique :
i) La maitrise des savoir-faire et des connaissances
ii) La détection des opportunités et des
menaces
iii) La coordination de la stratégie
iv) La mise en place de stratégies d'influence
Les savoir-faire et les connaissances d'une entreprise
constituent en effet un capital immatériel à protéger.
Bien les maitriser signifie encourager le développement des idées
et renforcer l'innovation pour créer de nouvelles gammes de produits. La
gestion de ce capital consiste en une codification et un stockage sur des bases
de données accessibles à l'ensemble du personnel. En ce sens,
l'une des fonctions de l'intelligence économique est d'identifier et de
protéger ce capital ; et d'effectuer une veille permanente afin de
l'enrichir. Plusieurs facteurs entrent en jeu :
-- Une bonne maitrise du droit et des règles de
propriété industrielle sont indispensables pour protéger
le capital immatériel de l'entreprise ;
-- La confidentialité doit entrer en jeu car le capital
immatériel est un bien stratégique qu'il convient de
protéger. Sécuriser l'information doit être fait par la
mise en place de procédures de sécurité et par la
sensibilisation des employés ;
-- L'intelligence économique doit recourir à
l'utilisation des NTIC pour collecter, analyser et partager l'information en
temps réel pour éventuellement la partager sur un
34
intranet sécurisé ;
- L'allocation des ressources doit être fait de
manière judicieuse pour que le financement corresponde à des
besoins réels.
La détection des opportunités et des menaces
est, pour Jean Louis Levet, la deuxième fonction de l'intelligence
économique. Il dénombre trois types d'opportunités :
- celles portant sur l'enrichissement du savoir-faire et le
renforcement des capacités d'innovation de l'entreprise;
- celles portant sur l'enrichissement et la complexification
de l'environnement de l'entreprise (fournisseurs, clients, concurrents, etc.)
qui peuvent permettre à l'entreprise d'améliorer sa
performance;
- celles portant sur l'obtention de nouveaux marchés.
Ici, les risques externes sont nombreux et la démarche d'intelligence
économique permet à l'entreprise d'être pragmatique et
d'anticiper les difficultés potentielles. Les risques internes ne sont
pas négligeables : Jean-Louis Levet distingue, entre autres, les risques
de « captation » (lorsque le savoir-faire de l'entreprise est
divulgué hors de l'entreprise) et de « banalisation » (lorsque
les informations ne circulent pas de manière structurée), les
menaces en tous genres (juridiques, lobbying, piratage, etc.).
Afin de pallier ces difficultés potentielles,
l'intelligence économique doit assurer une détection
préventive des opportunités et des menaces par :
- Une veille sur un ensemble de paramètres
(économique, juridique, commercial, concurrentiel, etc.) à
travers des outils logiciels adéquats dans l'objectif de partager ses
résultats avec les personnes concernées;
- Une anticipation des risques en identifiant les points
faibles de l'entreprise sur lesquels
elle pourrait être attaquée, le type d'agressions
potentielles et la manière d'y répondre; - Une évaluation
des rapports de force sur son marché, et notamment la capacité
de
négociation de ses clients et fournisseurs;
- Un déploiement sur de nouveaux marchés :
celle-ci suppose l'identification des capacités existantes de
l'entreprise, de réseaux et d'alliés pouvant appuyer sa
démarche.
La coordination de la stratégie est la troisième
fonction de l'intelligence économique d'après Jean-Louis Levet.
Celle-ci est essentielle pour donner une direction commune et concertée
à des actions menées individuellement. Pour cela, il est
nécessaire de :
35
- mettre en place un dialogue collectif et une culture du
partage de l'information selon des circuits de diffusion
prédéterminés;
- mobiliser les employés et les réseaux autour de
cette politique.
Enfin, la quatrième et dernière fonction de
l'intelligence économique selon Jean-Louis Levet consiste à
recourir à une stratégie d'influence pour faire valoir les
intérêts d'une entreprise ou d'une nation dans le cadre de
l'économique mondialisée. L'influence consiste à diffuser
de l'information pour influencer sciemment une cible dans le but de servir les
intérêts de l'entreprise. La composante politique est donc
importante car il est question de modifier l'opinion d'une cible. A l'inverse
des trois fonctions de l'intelligence économique citées
ci-dessus, où l'information brute est centrale, l'influence donne toute
son importance au message porté par l'information. Une stratégie
d'influence peut prendre plusieurs formes comme contourner par exemple un
obstacle à la signature d'un contrat; influencer les pouvoirs publics en
faveur d'une règlementation favorable. Il est donc indispensable de bien
connaitre le cadre règlementaire et légal avant d'entamer toute
action d'influence. Les facteurs qui régissent les stratégies
d'influence sont :
- La maitrise des réseaux et sources d'information ;
- Leur valorisation;
- L'investissement dans des cellules d'intelligence
économique;
- La maitrise des techniques de « guerre de l'information
» afin de se protéger dans un contexte d'ouverture et de
vulnérabilité. Ceci permettrait par exemple au Maroc de se
protéger contre la guerre médiatique que mène la presse
algérienne contre le Maroc52.
c) Un processus qui fonctionne par
étapes
Face à la quantité d'informations disponibles,
il est indispensable pour les entreprises, les États et les
gouvernements de mettre en place un processus de tri et de mise à jour
de l'information.
L'intelligence économique évolue selon un cycle
précis :
1) Fixation des objectifs de l'intelligence économique
;
2) Collecte ;
52 D'après le ministre de la communication
marocain Mustapha El Khalfi, une partie de la presse algérienne
mène une guerre médiatique contre le Maroc : près de 1605
articles hostiles au Maroc ont été recensés en 2013, dont
600 portant sur la question du Sahara marocain (source : MAP sur
lemag.ma « El Khalfi : une partie de
la presse algérienne mène une guerre médiatique
provocatrice contre le Maroc » , 13 août 2014)
3) Stockage ;
4) Analyse et diffusion ;
5) Action.
L'analyse permet de redéfinir les objectifs et de
mettre en lumière le besoin de collecter des informations
supplémentaires. Une fois que le cycle est terminé, celui-ci
redémarre. Ces étapes prennent chacune en compte un degré
de précision différent de l'information :
1) Les données n'ont pas de signification quand elles
sont considérées hors de leur contexte. A ce titre,
l'accumulation des données n'est pas assimilée à une
information;
2) L'information correspond à un ensemble de
données validées et confrontées;
3) La connaissance correspond à l'ensemble des
informations utilisées par l'entreprise dans le but de prendre une
décision.
4) L'intelligence économique est
généralement conduite par un service précis au sein d'une
organisation. Sa mission est de permettre aux dirigeants de prendre des
décisions stratégiques sur la base d'informations fiables et
protégées afin de s'adapter rapidement aux changements
perceptibles sur les marchés. Disposer de l'information est un avantage
compétitif certain pour une entreprise qui peut surveiller ses
concurrents. Comme le dis Coppola dans son film le Parrain II, repris par
Abdelmalek Alaoui53, il faut « garder ses amis proches, et
ses ennemis plus proches encore ».
36
53 Président de l'Association Marocaine pour
l'Intelligence économique
37
II. Les entreprises marocaines s'appuient sur
l'intelligence économique pour conquérir les marchés
subsahariens
A. La stratégie « full spectrum approach
»
a) La mise en oeuvre d'une stratégie
d'intelligence économique au niveau du gouvernement
D'après l'AMIE, l'État a un rôle
primordial à jouer dans l'intelligence économique du pays en tant
que « catalyseur et disséminateur » pouvant doter le Maroc
d'une stratégie économique nationale à la fois
défensive et offensive. Il privilégie trois axes d'intelligence
économique pour le gouvernement :
i) Mettre en place des plateformes techniques et humaines de
surveillance, de collecte et de partage de l'information au sein des
différents ministères, en plaçant l'analyse de
l'information politique au même niveau que l'information
économique et commerciale afin d'éviter tous risques ou menaces
;
ii) Mettre l'accent sur la formation. Certes, celle-ci existe
déjà mais elle nécessite d'être normée pour
s'adapter aux réalités du pays. Par exemple, la recherche en
matière de phosphates et de chimie dans le monde se fait beaucoup en
allemand et nécessite la formation de germanophones. Il faut
également encourager les migrations des cadres du public vers le
privé et vice versa pour mutualiser les bonnes pratiques en intelligence
économique ;
iii) Pratiquer la communication d'influence en favorisant le
développement d'une dynamique de veille entre les réseaux
commerciaux et diplomatiques marocains. Les entreprises marocaines
déjà implantées en Afrique peuvent mutualiser des
informations précieuses avec l'État en partageant leur
expérience et en évitant aux pouvoirs publics de faire des
erreurs. L'enjeu du réseau international d'intelligence
économique public/privé est essentiel pour placer le pays en
position d'influence.
38
Pour l'AMIE, le Maroc devrait s'inspirer de la
stratégie d'intelligence économique chinoise. La raison
principale qu'il évoque est la dimension politique très forte de
la stratégie de puissance chinoise de « full spectrum approach
» dont le Maroc semble s'être inspiré : « la
prééminence du politique et de la doctrine dans la
stratégie chinoise se retrouve aussi dans la stratégie marocaine
».
Certaines entreprises, comme BMCE Bank, estiment que la
stratégie d'intelligence économique (IE) de l'État et du
gouvernement doit se cantonner à des actions précises pour ne pas
se disperser et agir efficacement. Mamoun Tahri Joutei, responsable de la
cellule d'IE de BMCE Bank, estime que le Maroc doit développer de l'IE
dans deux domaines précis :
- Tout d'abord pour défendre les intérêts
du pays sur la question du Sahara marocain. Pour lui, c'est dans ce secteur que
le Maroc doit développer une approche offensive d'intelligence
économique pour défendre l'intégralité territoriale
marocaine. Il évoque ici l'intelligence économique dans son
aspect d'influence.
- Pour identifier des opportunités d'affaires sur des
marchés étrangers : il propose un partenariat d'intelligence
économique publique et privée pour aider les entreprises
marocaines à trouver des débouchés en Afrique. Il pense
néanmoins que la situation n'est pas si tranchée, car les
contrats stratégiques de grande envergure ne sont pas concernés
par l'intelligence économique mais par le soutien et l'action du roi.
Celui-ci dispose d'un think tank dédié, l'IRES54 Il
prend ainsi l'exemple de l'usine Renault à Tanger, fondamentale pour
l'économie marocaine (les exportations d'automobiles ont
dépassé celles des phosphates), dont seul le roi a pu garantir
50% de l'investissement au moment où Renault avait l'intention de se
retirer.
D'après lui, l'Etat ne doit pas se disperser
et se concentrer sur ces deux points. Il évoque également le
sujet de la sécurité informatique, de la culture de la
confidentialité que nous n'avons pas au Maroc, du passage d'une culture
orale à une culture écrite, qui sont des sujets presque «
secondaires » selon lui.
54 L'Institut Royal des Etudes Stratégiques
mène des études et analyses stratégiques pour
éclairer le roi du Maroc dans ses prises de décisions. L'IRES
assure une veille nationale et internationale sur des secteurs
stratégiques pour le Maroc.
39
b) Une volonté clairement exprimée par le
gouvernement dès 2005
Les rencontres de Tétouan en novembre 200555
correspondent à une prise de conscience pour le Maroc : c'est la
première fois qu'une entité publique envisage la mise en place
d'une stratégie d'intelligence économique qui soit adaptée
aux spécificités du pays et qui prenne en compte la richesse
culturelle marocaine. L'effet d'annonce est important : le ministre des
affaires économiques et générales et maire de
Tétouan Rachid Talbi El Alami a déclaré l'intelligence
économique comme étant « un outil de performance
économique, un facteur de compétitivité et de
consolidation du rayonnement du Maroc au sein du concert des nations modernes.
(É) Ceci correspond bien à un impératif de premier plan
pour les acteurs exposés à la compétition mondiale
», ajoute-t-il. Mohamed Mbarki, wali de Tétouan en 2004, a mis
en place en ce sens une cellule de recherche sur l'intelligence
économique à la mairie de Tétouan ayant pour objectif
d'informer sur l'avancement de grands projets, l'innovation, les bonnes
pratiques et les publications importantes pour la prise de décision au
plus haut niveau au Maroc.
Cette décision de mettre en place une stratégie
nationale d'intelligence économique s'accompagne d'une politique
d'intelligence territoriale formulée par M. Assouali, vice
président de la commune urbaine de Tétouan en 2005 : «
l'intelligence économique permet au territoire et aux organisations
d'agir efficacement sur l'environnement, d'anticiper les grandes tendances et
opportunités, d'alerter sur les menaces de perte d'attractivité,
de compétitivité ou d'information ».
En 2006, le Haut Commissariat au Plan s'inscrit dans cette
dynamique en organisant la rencontre « L'intelligence
économique au profit des entreprises du Maroc dans l'économie
mondialisée », lors de laquelle le président de la
fédération française des professionnels de l'intelligence
économique a partagé l'expérience de la France dans ce
domaine.
La première expérience d'intelligence
économique du Maroc que l'on peut retracer a été
réalisée par le Cabinet Royal à travers l'Institut Royal
d'Études Stratégiques (IRES) lors de la rédaction du
Rapport du Cinquantenaire, qui dresse un bilan complet et objectif des
réalisations du Maroc depuis l'indépendance, de ses forces et de
ses faiblesses sur 4 500
55 « L'intelligence économique au Maroc »,
Regards sur l'IE, n°10
40
pages56. Ce document constitue un point de
départ important pour la stratégie nationale d'intelligence
économique marocaine.
Par ailleurs, les principales initiatives d'intelligence
économique dans ses dimensions d'influence et de promotion des
exportations viennent du Ministère de l'Industrie, du Commerce, de
l'Investissement et de l'Économie Numérique (MICIEN). Le centre
marocain de promotion des exportations « Maroc Export » en est
l'exemple le plus frappant. Cet organe créé en 1976
opérationnalise la politique du gouvernement pour l'appui aux PME
à l'exportation (industrie, artisanat, agriculture, agroalimentaire
notamment). Placé sous la tutelle du MICIEN, chargé du Commerce
Extérieur, ses objectifs tels que décrits sur son site internet
sont de :
- Assoir la position du pays sur ses marchés
traditionnels,
- Développer les exportations à forte valeur
ajoutée,
- Encourager la diversification géographique et rechercher
de nouveaux débouchés,
- Accroitre la compétitivité des entreprises en
capacité d'exporter,
- Véhiculer une image positive du Maroc et faire connaitre
son potentiel,
- Être un centre de veille et d'information sur les
marchés extérieurs,
- Développer la coopération commerciale avec
d'autres pays et opérateurs
économiques.
Cette stratégie se matérialise par
l'organisation des « Caravanes de Partenariat en Afrique », qui sont
rencontres entre acteurs économiques marocains et étrangers dont
l'objectif est de valoir les atouts du Maroc à l'international et
sceller des accords commerciaux. La dernière rencontre en date
appelée « B to B in Africa » a eu lieu du 9 au 14 juin 2014 au
Bénin, en Côte d'Ivoire et au Sénégal. Maroc Export
a contribué à la croissance du chiffre d'affaires des entreprises
exportatrices en stimulant des opportunités commerciales. Ces
opérations promotionnelles représentent un moment de networking
primordial pour les entrepreneurs marocains ; ils font connaitre les
marchés africains à fort potentiel et appuient la diplomatie
économique du pays.
Le MICIEN cherche aujourd'hui à coordonner de
manière plus efficace la promotion des exportations marocaines à
travers la création de la « Moroccan Agency for Trade,
Investment and Services » (MATIS)57. Son but sera de
développer conjointement les investissements directs étrangers au
Maroc et de promouvoir les exportations, là où plusieurs
agences
56 Le Best Of du «rapport du
cinquantenaire», Telquel n°210
57 édition web de Jeune Afrique, 2 juillet
2014, « « Avec Matis, le Maroc veut rationaliser sa stratégie
commerciale »
41
gouvernementales se marchaient sur les pieds (l'Agence
Marocaine pour le Développement des Investissements et Maroc Export). Le
MICIEN est actuellement en train de réfléchir au meilleur
modèle : soit le maintien des deux agences précitées qui
seront placées sous la tutelle de MATIS, soit les fusionner pour
créer une entité unique.
Enfin, la dynamique de l'intelligence économique a
également gagné les écoles et universités
publiques, qui ont commencé à proposer des formations
spécifiques en la matière, telles que L'École des Sciences
de l'Information (ESI) qui forme en veille de l'information stratégique,
en étude des comportements informationnels et en stratégies
organisationnelles ; ou l'Institut Marocain de l'Information Scientifique et
Technique (IMIST), dont l'ambition est de répertorier toutes les
thèses et mémoires rédigées par les marocains
(projet « Toubk@l58 »). L'IMIST est également
à l'origine d'une étude sur les besoins en information technique
et scientifique et sur les pratiques de veille d'entreprises dans cinq secteurs
clés59 (textile, habillement et cuir, agroalimentaire
notamment), dont les travaux montrent que les entreprises sont conscientes et
l'importance de l'intelligence économique dans la prise de
décision, et qu'elle passe principalement par la veille
stratégique.
c) Le partage de l'information à haute valeur
ajoutée entre secteur public et privé est
quasi-inexistant
Les initiatives publiques pour l'IE qui se sont
enchainées ont laissé penser qu'une véritable dynamique
publique pour la mise en place de structures nationales et locales
d'intelligence économique était en marche. Néanmoins, les
initiatives décrites ont un pour point commun de n'avoir « jamais
dépassé le stade de réflexion et d'intention »
d'après l'AMIE. Par exemple, le Centre de Veille Stratégique, qui
se revendiquait le cerveau de l'intelligence économique au Maroc sous la
tutelle de la Direction des Investissements, a été un
échec cuisant car ses objectifs n'ont pas été clairement
définis : sa seule mission était de faire vaguement « de la
veille ». De plus, cette entité était redondante avec
d'autres départements crées sous un effet certain de mode de
l'intelligence économique.
Au niveau de la direction économique du
ministère des affaires étrangères, il n'existe donc aucune
structure chargée de la surveillance de l'information. Il n'y a pas
d'instance pouvant
58 « Toubk@l : les thèses et les mémoires
marocains en ligne »,
cursus.edu, 11 novembre 2008
59 Association R&D Maroc, « veille
stratégique et compétitivité » mars 2005
42
éclairer sur les opportunités et les menaces
pour les opérateurs économiques. Il n'y a pas non plus de partage
d'information stratégique entre secteur public et secteur privé.
D'après l'AMIE, le seul niveau de partage d'information structuré
se situe au niveau de la DSSI (Direction de la Sécurité et des
Systèmes d'Information). Il porte sur un sujet particulier qui est la
cyber-sécurité et le risque portant sur les installations
critiques de la nation. Il explique également que le Maroc est bon en
protection et cela de manière transversale, mais que rien n'est fait
pour anticiper. Il va jusqu'à proposer la coercition pour le partage de
l'information entre le public et le privé car d'après son
expérience, la bonne volonté pour partager les informations
s'arrête à la fin des réunions avec les entités
publiques. L'une des mesures proposées par l'Association Marocaine pour
l'Intelligence Economique pour obtenir une transversalité de
l'information était justement que toutes les études produites par
le gouvernement soient plongées dans un intranet gouvernemental, et que
les budgets ne soient pas reconduits si un ministère ne partage pas. Or,
d'après lui, cela n'a pas été fait. D'après lui,
l'inaction est principalement due à un manque de volonté : «
un état souverain qui a un PIB de 190 milliards de dollars a de quoi
financer un big data qui couterait 5-6 millions de dollars »,
explique-t-il, surtout que « plusieurs centaines de millions de
dirhams ont été payés par le gouvernement aux cabinets de
conseils anglo-saxons » avec des résultats mitigés. La
Corée du Sud a récemment accordé une subvention de six
millions de dollars au Maroc pour renforcer son système d'intelligence
économique ; à voir dans quelle mesure ces ressources seront
employées.
De même, les réseaux diplomatiques marocains ne
jouent pas leur rôle de pourvoyeurs d'information à haute valeur
ajoutée alors qu'ils sont présents sur place et pourraient
partager cette intelligence économique avec les entreprises marocaines
exportatrices. Abdelmalek Alaoui explique en effet que les
représentations du Maroc à l'étranger ne font que de la
diplomatie et du protocole là où, si elles étaient
orientées et en ligne avec les ministères économiques,
elle ferait de l'influence pour dénicher des opportunités
économiques pour le Maroc.
Les opérateurs économiques partagent cet avis
selon lequel le gouvernement n'apporte pas de valeur ajoutée en
intelligence économique. L'une des raisons est structurelle : il y a un
déficit de partage de l'information au niveau du secteur
public60.
60 Ayoub Lahrach, « Le gouvernement revoit sa
copie sur le droit d'accès à l'information »,
lematin.ma, 01/08/2014
43
Le projet de loi 31-13 concernant le droit d'accès
à l'information ne fait en effet pas référence à la
mise en place d'une commission garantissant l'accès à
l'information pour tous et l'accès à certaines informations
sensibles est limité. Pourtant, le droit d'accès à
l'information est une liberté fondamentale inscrite dans la Constitution
: les citoyens ont un droit d'accès aux données de toutes les
administrations publiques et que « ce droit ne peut être restreint
que par la force de la loi en vue de protéger des informations en
rapport avec la défense nationale, la sécurité
intérieure et extérieure de l'État et des
citoyens61 ».
Pour Mamoun Tahri Joutei de BMCE Bank, il n'est pas possible
de demander au Haut Commissariat au Plan et au Ministère des Finances de
mutualiser leurs publications en matière d'intelligence
économique. Il insiste néanmoins, comme Abdelmalek Alaoui, sur le
fait qu'il serait utile pour les opérateurs privés que le
gouvernement mette en place un portail de diffusion et d'agrégation des
études en intelligence économique ; d'autant plus que cela est
facile à mettre en place selon lui.
Pour Brahim Skalli, directeur Stratégie et Partenariats
d'Alliances, il faut tout de même nuancer le fait qu'il n'y a pas
d'information partagée entre le public et le privé : le partage
se fait grâce à des réseaux informels. En rencontrant un
ambassadeur, ou un ancien ambassadeur d'un pays où Alliances veut
s'implanter, l'entreprise a accès à une quantité
d'informations considérable et à une connaissance très
pointue de ces marchés. Néanmoins, il insiste sur le fait que
cette intelligence économique n'est pas formalisée et se partage
surtout grâce aux contacts. Le Maroc devrait s'inspirer selon lui du
Ministère des Affaires Etrangères français, qui a
formalisé de nombreuses études en intelligence économique
à travers des rapports disponibles en ligne sur les risques pays
notamment.
Pour Ghita Lahlou, directrice générale chez
Saham et dont l'actionnaire principale dirige le MICIEN62 il n'y a
aucune mutualisation ni partage d'information avec le gouvernement.
Ainsi, le Maroc souffre aujourd'hui de ses réseaux
d'appui au développement limités. Ces organisations (centres
techniques, chambres de commerce et d'industrie, etc.) qui sont les supports de
l'intelligence économique et qui doivent se renforcer avec l'appui de
ministères comme le MICIEN.
61 Dahir d'application n° 1.11.91 du 29 juillet
2011, article 27
62 Ministère de l'Industrie, du Commerce,
de l'Innovation et de l'Economie Numérique
44
Les décideurs marocains, qu'ils soient publics ou
privés, doivent à présent passer de la réflexion
à l'action afin de concrétiser leurs engagements, aussi bien au
niveau des techniques de veille que des techniques d'influence.
Note : Il faut savoir que Global Intelligence Partners
a pour client le MICIEN (dirigé par Moulay Hafid Elalamy) mais que ce
marché a été lancé du temps de son
prédécesseur Amara63. Moulay Hafid Elalamy est aussi
le fondateur du groupe Saham. Dès lors, le président de
l'Association Marocaine pour l'Intelligence Economique (aussi PDG de Global
Intelligence Partners) et les personnes interviewées chez Saham dans le
cadre de ce mémoire sont à la fois juges et parties lorsqu'ils
donnent leur avis sur la politique de l'Etat marocain en termes d'intelligence
économique.
B. Des institutions privées cherchent à
développer l'intelligence économique au Maroc
Les think tanks et les cabinets de conseil
spécialisés ont fleuri à partir de 2005 pour pallier les
insuffisances du gouvernement en matière d'intelligence
économique.
a) Les think tanks cherchent à fixer le cap de
l'intelligence économique au Maroc
L'Association Marocaine pour l'Intelligence Économique
(AMIE), cercle de réflexion à but non lucratif créé
en 2006, a pour objectif de promouvoir et de développer l'intelligence
économique à travers des réflexions ayant vocation
à être partagées avec tous les opérateurs publics,
privés et académiques. L'AMIE a présenté une
feuille de route le 24 juin 2013 pour une stratégie nationale
d'intelligence économique64 réunissant 16 propositions
pour placer le Maroc aux standards internationaux.
Celle-ci repose sur quatre axes majeurs :
i) La convergence de l'action publique pour surveiller
l'information,
ii) Le traitement et l'analyse de l'information de
manière coordonnée entre les différents
63 cf. Brève l'Economiste du 21/10/13
64 Voir la feuille de route de l'AMIE en annexe
45
départements et échelons du gouvernement,
iii) Le partage de l'information stratégique entre les
différentes parties prenantes,
iv) La mise en place d'une politique d'influence servant les
intérêts du pays et ce notamment quand il s'agit de
conquérir des marchés étrangers.
D'après Abdelmalek Alaoui, président
exécutif de l'AMIE, cette dynamique permettrait au Maroc d'avoir une
croissance à deux chiffres dans un horizon de dix ans65.
Un an après, le bilan de l'application de la feuille de
route de l'AMIE, ainsi que le bilan de l'intelligence économique au
Maroc, est décevant. L'une des convictions du président du think
tank est que le Maroc est un acteur inexistant en matière de production
de connaissance ; il en a fait sa mission à la tête de l'AMIE en
faisant du cercle de réflexion un précurseur en produisant de la
connaissance à caractère stratégique. Sa deuxième
conviction est que le Maroc produit beaucoup de documents qui ont l'apparence
de documents de stratégie, mais qui sont en réalité des
documents qui reflètent une doctrine teintée de politique.
De plus, le Maroc n'est pas en mesure d'analyser et d'utiliser
les publications produites par les acteurs majeurs de l'intelligence
économique (Etats Unis, Allemagne et Angleterre). En effet, les pouvoirs
publics sont par exemple dans l'incapacité de traiter l'information
stratégique qui est produite en allemand car cette langue n'est
parlée par aucun fonctionnaire. De même, en ce qui concerne les
pays africains, il explique que deux pays produisent de la connaissance
intéressante, ont des think tanks et des centres de recherche
axés sur l'intelligence économique : l'Afrique du Sud et le
Nigéria. En effet, trois des cinq premiers think tanks les plus
puissants66 sont sud africains, le deuxième est
sénégalais et le cinquième est ghanéen. Or, le
Maroc n'est pas en position de se nourri de leur intelligence
économique.
Certes, certaines propositions de la feuille de route de
l'AMIE67 paraissent éloignées des
considérations quotidiennes du gouvernement. Toutefois, la faiblesse de
la réflexion stratégique du pays fait que les acteurs se
pencheront sur l'installation d'un big data
65 « La feuille de route L'AMIE pour une démarche
nationale d'Intelligence économique »,
Info-express.ma, 24 juin 2013
66 Selon la 4ème édition du classement
international The Global « go-to think tanks » établi par
L'université de Pennsylvanie. Ce classement porte sur une enquête
auprès de 1500 universitaires, politiciens, et journalistes à
propos de 6 480 think tanks dans 169 pays.
67 Voir en annexe
46
gouvernemental68 quand cette proposition sera
déjà obsolète. Le Maroc ne fait qu'accumuler du retard en
la matière.
La feuille de route avait pour objectif d'organiser la rupture
en matière de production de connaissance. Le Conseil Economique et
Social a officiellement auditionné l'AMIE et certaines propositions ont,
d'après le président du think tank, été reprises
dans le dernier document qui a été fait par la Commission de la
Stratégie. Toutefois, le Conseil Economique et Social reste un organe
à caractère strictement consultatif. « Les acteurs sont
en général tous d'accord sur le principe d'une stratégie
nationale d'intelligence économique ; mais à partir du moment
où le sujet de son opérationnalisation est abordé, le
gouvernement ne réagit plus », explique Abdelmalek Alaoui.
L'AMIE ne remet pas en question l'Etat et certaines de ses fonctions
régaliennes car aujourd'hui l'armée, les services de
sécurité et les services de renseignement sont aux standards
internationaux. Il déplore néanmoins l'absence de partage de
l'information entre le militaire et l'économique.
Pour Mamoun Tahri Joutei, responsable du département
d'intelligence économique de BMCE Bank, l'échec de l'action de
l'AMIE vient principalement du fait qu'elle n'a pas été
suffisamment précisée et ciblée car nous
considérons au Maroc que l'intelligence économique est tout et
rien à la fois. « Considérons-nous par exemple qu'une
étude de marché, une analyse pays ou de comportements de
consommateurs constitue de l'intelligence économique ? La Direction
Générale des Etudes et de la Documentation 69 existe :
considérons-nous cela comme de l'intelligence économique ?
L'intelligence économique au niveau de l'Etat et du gouvernement
doit-elle être défensive ou offensive ? Les deux ? Devons-nous y
intégrer le renseignement ? ». Ainsi, d'après lui, Il y
a toute une réflexion à mener en amont de la charte pour une
stratégie nationale d'intelligence économique. « Celle
proposée par l'AMIE est très orientée « public
», alors que je pense que l'action de l'Etat et du gouvernement en
matière d'intelligence économique doit être très
ciblée », ajoute-t-il.
D'après Abdelmalek Alaoui, les cercles de
réflexion marocains « constituent la force de proposition la
plus faible de toute l'Afrique du Nord ». Seul un seul des neuf
cercles de réflexion marocains figure en effet dans le dernier
classement de l'Université de Pennsylvanie sur les think tanks les plus
puissants au Monde (le Centre des Etudes et Recherches en Sciences Sociales),
qui se classe 22ème dans la région MENA).
D'après le président de l'AMIE, « la
plupart des think tanks marocains sont des coquilles
68 proposée dans la feuille de route de
l'AMIE
69 Service de renseignements et de
contre-espionnage marocain, directement rattaché au roi du Maroc
47
vides et ne peuvent se targuer de contribuer au Maroc de
la connaissance » qui est une étape indispensable pour mettre
en place une stratégie d'intelligence économique. Ceci est
principalement dû aux difficultés de financement qu'ils
rencontrent : les subventions publiques sont faibles et les donations
privées rares, ce qui ne leur donne pas la latitude nécessaire
pour embaucher des experts et publier leurs recherches. Or, les think tanks
sont importants pour impulser les réflexions sur le sujet et ils
pourraient être une manne d'innovation et d'intelligence sans
précédent sur le continent. Ils pourraient jouer un rôle de
lobbying au service des intérêts de l'État et positionner
le pays comme « producteur de connaissance » sur des
problématiques que l'État lui même ne traite pas. S'ils
étaient soutenus, les think tanks pourraient détecter les
tendances ou proposer des améliorations pour les politiques
publiques.
b) L'apport des cabinets de conseil en intelligence
économique est significatif
Les cabinets de conseil en intelligence économique se
sont développés au Maroc pour appuyer les entreprises marocaines
publiques et privées dans leur déploiement en Afrique. La
rencontre avec l'associé-fondateur de Global Intelligence Partners,
Abdelmalek Alaoui, permet de mieux comprendre le métier de ces cabinets.
Global Intelligence Partners exerce trois activités qui sont la veille
stratégique, le conseil en stratégie et la communication
d'influence. Il explique : « Chaque activité correspond
à une brique industrielle définie : la veille permet de
surveiller, d'analyser et de transmettre ; le conseil en stratégie
permet d'approfondir et la communication d'influence arrive en bout de chaine
pour gérer son image. Aujourd'hui c'est la communication d'influence qui
est en croissance rapide ».
La question des sources d'information de ces cabinets de conseil
se pose dans un environnement où l'information n'est pas structure,
fiable et mise à jour régulièrement. Etudions l'exemple de
Global Intelligence Partners (GIP) procède afin de comprendre comment un
cabinet de conseil en stratégie et en intelligence économique
structure sa recherche d'information.
i) L'information disponible en open source
48
Tout d'abord, GIP structure les informations dites «
ouvertes » sur la presse papier en en ligne. Une grosse partie travail du
travail concerne la mise à jour fréquente des informations pour
se structurer car généralement, les pourvoyeurs d'information en
Afrique émettent pendant quelques mois puis disparaissent : il est rare
qu'ils aient un modèle économique viable. En effet,
l'intelligence économique au niveau panafricain est marquée par
une « hyper politisation des centres de
décisions70 » : d'après une étude
réalisée par le cabinet en intelligence économique Knowdys
en 2010, moins de 45% des informations utiles aux opérateurs
économiques est disponible en open source. Parmi ces 45%, deux tiers ont
un niveau de fiabilité de 3,5/5. Dans la majorité des pays
africains, l'intelligence économique se limite à la veille dont
les sources principales sont les réseaux humains.
ii) Les réseaux informels et les diasporas
GIP fait aussi appel à des réseaux locaux de
correspondants et de contacts issus de la diaspora africaine pour
récolter de l'information à forte valeur ajoutée. Celle-ci
permet d'après lui d'accéder à des interlocuteurs de
premier plan car ils sont au contact du terrain. Il ajoute qu'une grande partie
de l'information récoltée en Afrique provient de réseaux
informels : certains contacts viennent d'associations d'anciens
élèves des grandes écoles françaises. Les anciens
de Sciences Po Paris représentent à ce titre la plus grande
proportion de ministres en Afrique de l'Ouest par rapport à toutes les
écoles confondues71. Le président d eGlobal
Intelligence Partners explique également qu'être producteur de
connaissance est un avantage pour attirer des clients, car ils estiment que le
cabinet est pertinent sur ce sujet.
70 Guy Gweth, fondateur du cabinet de conseil en
stratégie Knowdys
71 Conférence organisée
à l'IEP de Paris, « Le Maroc : moteur possible de la convergence
financière en Afrique ? »
49
c) Le rôle de la diaspora marocaine dans
l'intelligence économique au Maroc
L'association R&D Maroc, qui entretient des liens aves les
chercheurs marocains d'une part et les marocains résidents à
l'étranger d'autre part, place l'intelligence économique au coeur
de ses préoccupations. L'association crée des réseaux de
R&D pour encourager les milieux universitaires, scientifiques et milieux
d'affaires à « produire de la connaissance » en intelligence
économique grâce aux diasporas, dont les réunions de
l'association sont des occasions de rencontres et de mises en commun.
De nombreuses autres initiatives de ce type existent :
l'association Savoir et Développement rassemble des enseignants et
hommes d'affaires issus de la diaspora marocaine en France ; le Forum
International des Compétences Marocaines à l'Etranger participe
à la mise en place d'une stratégie nationale d'intelligence
économique à travers la mobilisation de compétences de la
diaspora sur plusieurs sujets (soutien à la R&D et à la
formation, transfert de technologies, apport d'expertise sur des secteurs
précis, etc.).
C. Les entreprises doivent mettre en place leurs propres
systèmes d'IE pour se développer en Afrique
Face à la faiblesse des réseaux publics
d'intelligence économique et au déficit d'organisation et de
partage formalisé d'intelligence économique dans le secteur
privé, les champions nationaux marocains ont compris qu'ils devaient
compter sur leurs propres ressources pour trouver de l'information à
forte valeur ajoutée qui dictera leur stratégie africaine et qui
les différenciera de leurs concurrents à l'échelle
internationale.
a) Les outils d'intelligence économique
utilisés par les grandes entreprises marocaines
Si les grandes entreprises marocaines concèdent toutes
l'importance de l'intelligence économique dans la prise de
décision stratégique et ont pris conscience de la
nécessité de mettre en place un système structuré
de collecte, de traitement et de partage de l'information, le niveau de
sophistication des systèmes utilisés varient significativement.
Analysons
50
l'intelligence économique chez trois grandes
entreprises marocaines qui utilisent des méthodes différentes et
représentatives du panorama marocain en intelligence économique
:
i) BMCE Bank : l'un des champions nationaux les plus
avancés en termes
d'intelligence économique
BMCE Bank possède un département d'intelligence
économique dédié au sein de la banque, qui emploie une
vingtaine de personnes et qui est à l'origine de publications annuelles
partagées avec de nombreux acteurs économiques marocains. La
rencontre avec Mamoun Tahri Joutei, responsable du département
d'intelligence économique de la banque, apporte à ce titre de
nombreux éclairages. Ce département a été
créé en 1959 par Dahir Royal en même temps que la
création de la banque. L'une des premières missions de la banque
est d'inscrire l'intelligence économique au coeur de ses
préoccupations, en citant dans le Dahir de sa création «
la collecte, le traitement et la diffusion gracieuse d'information
économique et financière à l'ensemble des
opérateurs » (ambassades, ministères, universitaires,
étudiants). Lorsque la banque a été privatisée en
1995, son président a demandé à ce que la mission de
collecte et de diffusion de l'information continue. Ce n'est que dans
les années 2000 que le centre d'intelligence économique à
proprement parler a été créé. Le département
fonctionne de deux manières :
- De manière itérative et récurrente en
fonction des besoins exprimés en intelligence économique par les
différents départements de la banque ;
- De manière plus ponctuelle sur des demandes nouvelles
et spécifiques des différents départements.
D'après Mamoun Tahri Joutei, le département
d'intelligence économique de BMCE Bank est structuré autour de
quatre activités bien définies :
- La veille stratégique : Le but de cette entité
est de devenir un gestionnaire de données économiques et
financières, et pas seulement de données de presse papier.
Lorsqu'il a intégré la banque en 2005, près de la
moitié des travaux était consacrée à des
traitements de journaux papiers, contre 5 à 10% aujourd'hui. Forte de 55
ans d'expertise, BMCE Bank a recours à un outil automatisé de
collecte et d'agrégation qui envoie quotidiennement des veilles
ciblées aux départements concernés. Pour Mamoun Tahri
Joutei, la veille ne consiste pas uniquement en la détection et
l'analyse de signaux forts et de signaux faibles. Il considère qu'un
autre aspect fondamental de l'intelligence économique tient à la
gestion des bases de données. Il prend l'exemple du risque pays et de la
notation des pays africains, qui correspondent à du
51
traitement de données à forte valeur
ajoutée qui donne une bonne visibilité sur le continent. C'est
aussi de la veille car cela permet de voir les pays évoluer : au bout de
deux ou trois ans, il devient possible alerter sur un pays qui
s'améliore grandement ou un pays qui se dégrade fortement. Cela
permet à BMCE Bank d'identifier des opportunités dans un pays ou
chez un client ; d'où la nécessité de maitriser le
traitement de ce type d'informations à travers des logiciels
statistiques notamment.
- L'analyse sectorielle et économique : l'analyse
sectorielle est une analyse que la banque a toujours menée dans
l'objectif d'analyser les risques d'une cinquantaine de secteurs de
l'économie marocaine et d'accompagner sa politique commerciale. Au
niveau de l'analyse économique, le département fait de la
modélisation et du suivi de conjoncture au Maroc et en Afrique.
L'idée aujourd'hui, d'après Mamoun Tahri Joutei, est d'avoir un
suivi économique, politique, culturel et financier de l'ensemble des
pays africains et des meilleures cibles. Le département suit
actuellement environ 20-25 pays de très près sur le continent.
Une partie de la collecte se fait déjà de manière
automatique, et ses équipes sont en train de développer un axe
important d'analyse de ces informations en Afrique.
- La connaissance territoriale : elle concerne exclusivement
les régions marocaines. Le département a mis en place un
observatoire des régions qui réunit un ensemble d'informations
régionales : les points d'intérêts autour d'une ville, la
structuration du réseau BMCE et de ceux de la concurrence, etc.
- La connaissance de la clientèle : le
département analyse principalement leurs comportements et fait du
profiling.
ii) Alliances : la « sous-traitance » de
l'intelligence économique à des cabinets
externes
Alliances n'a pas mis en place une structure d'intelligence
économique interne à proprement parler et fait appel à des
cabinets de conseil externes. Brahim Skalli, directeur Stratégie et
Partenariats, confie que si l'entreprise n'a pas de département
d'intelligence économique formalisé en interne, il existe trois
niveaux informels d'intelligence économique chez Alliances à ce
jour. En interne, Alliances suit de près ce que font ses concurrents
marocains en Afrique ; en externe, l'entreprise fait appel à des
cabinets de conseil externes pour réaliser les études de
marchés :
-- Avec des grands cabinets immobiliers (CBRE, JLL, Colliers
notamment) qui ont des bureaux sur place et qui peuvent fournir des
études de marché précises et détaillées ;
-- Avec des cabinets de conseil en stratégie qui
réalisent des études de marché afin de renseigner
l'entreprise sur les types de produits qu'attendent les consommateurs, les
principaux opérateurs locaux, les coûts de construction...
Enfin, l'équipe de développement en Afrique, qui
est constamment en déplacement, origine quant à elle les
partenariats et les deals d'une part et fait de l'intelligence
économique d'autre part : elle suit les marchés, les
opérations qui sont réalisées, les principaux acteurs...
Leurs sources d'informations proviennent principalement d'internet, de la
presse, des rapports annuels, des assemblées générales et
des présentations investisseurs de leurs concurrents.
iii) Saham Group : une intelligence économique qui
repose principalement sur des
réseaux locaux
Pour Ghita Lahlou et Nadia Fettah, directrices
générales chez Saham, leader africain72 des
assurances, les bonnes opportunités d'affaires en Afrique sont peu
nombreuses et il faut être présents sur le terrain pour obtenir
l'information. Celles-ci proviennent du bouche à oreille, par les
réseaux, des courtiers, des banquiers, des coactionnaires (les fonds
d'investissement SFI, filiale de la Banque Mondiale, et Abraaj Capital qui sont
très présents en Afrique). A titre d'exemple, Saham a
racheté l'assureur rwandais Corar-AG à l'Eglise Catholique. De
même, les réseaux ismaïliens sont très puissants en
Afrique de l'Est, au même titre que les réseaux libanais en
Afrique de l'Ouest. « Ce sont des microcosmes où il faut avoir
ses entrées et c'est là que ce situe le coeur de notre
intelligence économique, si nous pouvons l'appeler comme cela »,
déclare Nadia Fettah. Les deux directrices ont insisté sur
le fait que la stratégie de Saham est très différente de
la stratégie « artillerie lourde » des entreprises
occidentales. Celles-ci payent très cher des cabinets de conseil pour
réaliser des études de marché alors que les primes
d'assurances dans certains pays africains sont faibles (dix millions de dollars
au Kenya par exemple), ce qui ne permet pas de rentabiliser leur
investissement.
52
72 Hors Afrique du Sud
53
b) L'IE au coeur de leur stratégie d'expansion en
Afrique
En analysant les stratégies africaines de ces trois
champions nationaux dans la banque, la promotion immobilière et les
assurances, il apparaît que l'intelligence économique,
formalisée ou principalement informelle, est très logiquement une
source décisive pour la prise de décision dans ces grandes
entreprises.
Brahim Skalli, directeur Stratégie et Partenariats
d'Alliances, explique que l'intelligence économique est cruciale dans
leur stratégie de développement. Alliances étudie en effet
trois conditions indispensables au succès de la promotion
immobilière en Afrique :
- Le financement doit être possible (crédits
hypothécaires, crédits promoteurs notamment) ; -
l'écosystème du foncier doit exister (cadastre, enregistrement,
hypothèque, système juridique relatif au foncier, etc) ;
- La fiscalité doit être avantageuse.
Après analyse de la carte de l'Afrique à la
lumière de ces critères, Alliances effectue ses recherches en
interne ou en externe pour identifier les pays qui remplissent les trois
conditions suivantes :
- Les pays africains où sont implantées des
banques marocaines car elles connaissent bien l'entreprise et son
fonctionnement et permet de mettre en place rapidement un plan de financement
si besoin ;
- Les pays francophones principalement ;
- Les pays qui ne présentent pas de risque politique :
Alliances s'appuie sur les informations du Ministère des Affaires
Etrangères français et marocain, la Coface, la garantie MIGA
(dédiée à l'Afrique), les ambassades et les contacts
à haut niveau sur place.
Sur ces pays, Alliances a identifié trois types de
marchés : les marchés étroits (où le nombre de
ménages solvables et la consommation de ciment sont faibles) ; les
marchés prometteurs (ceux que l'entreprise va analyser de plus
près et qui sont très porteurs) ; et les marchés complexes
(Tunisie et Nigéria : même si ce sont des marchés
importants, les risques le sont tout autant). « Au terme de ces
recherches, en excluant la Tunisie et le Nigéria, nous réalisons
que le marché potentiel dont on parle ne représente qu'une fois
le marché marocain uniquement ! », conclue-t-il.
La stratégie de Saham Group en Afrique est quant
à elle dictée par l'identification d'opportunités à
maximiser et de menaces à minimiser. D'après Ghita Lahlou, il
est
54
primordial d'avoir un réseau d'implantations, car
considérer les pays africains pris séparément est trop
risqué. Réfléchir en « réseau » permet de
mutualiser et de minimiser les risques. Elle préconise d'identifier des
« grappes », c'est à dire des compagnies africaines
implantées dans plusieurs pays et dans qui pourraient être des
cibles potentielles. Saham en a identifié trois, mais qui
n'étaient pas vendeuses. Une opportunité exceptionnelle s'est
présentée avec l'une d'elles (Colina) car l'entreprise a pu
racheter les parts d'un actionnaire (personne physique) grâce à la
mise en relation par un contact. Une fois un réseau constitué sur
le continent, il devient plus facile d'acquérir des compagnies
d'assurances isolées car elles peuvent être rattachées au
réseau régional. Cette stratégie permet à Saham
d'être en avance sur ses concurrents marocains sur le continent
notamment, car il y a très peu de réseaux d'assureurs en
vente.
c) Une intelligence économique stratégique
et confidentielle
L'intelligence économique est, dans la majorité
des cas, strictement confidentielle et partagée avec très peu de
collaborateurs : étant donné qu'elle sert à la prise de
décision stratégique à très haut niveau, elle ne
concerne dans la plupart des cas que les directions générales.
A l'exception près de BMCE Bank, qui partage une grande
partie de ses travaux en intelligence économique avec le secteur
privé marocain. BMCE Bank en effet un nombre important de travaux
d'intelligence économique avec les opérateurs marocains. Tout
d'abord, la banque publie annuellement la revue « Le Maroc en chiffres
», qui consolide des données sur près de cinquante
secteurs d'activité du Maroc. Cette revue est conçue en
partenariat avec le Haut Commissariat au Plan, et est publiée et
financée par BMCE Bank depuis 1963. Il y a également les
publications de l'Observatoire de l'Entrepreneuriat (
www.ode.ma) dans lequel BMCE Bank
partage de l'information sectorielle sur le Maroc. La banque organise
également des conférences dans le but d'apporter de l'expertise
aux entrepreneurs en leur offrant des espaces d'échanges pour qu'ils
puissent dialoguer, apprendre et partager. A titre d'exemple, les deux
dernières conférences organisées ont accueilli Daniel
Cohen à Casablanca et Edgar Morin à Marrakech. En ce qui concerne
l'Afrique, BMCE Bank partage ses publications annuelles « African Outlook
». Toutefois, l'entreprise ne partage ses veilles sur l'Afrique qu'avec
ses partenaires africains et non pas avec l'ensemble des opérateurs
marocains car elle considère que c'est de la connaissance
stratégique. « Ce sont des outils puissants au travers desquels
toute l'information à haute valeur ajoutée remonte »,
explique-t-il.
55
Pour Alliances et Saham Group, il n'est pas question de
partager l'intelligence économique avec d'autres opérateurs :
d'après Brahim Skalli, cette information est destinée à la
direction générale et à l'équipe Afrique
uniquement. Elle n'est pas partagée car considérée
stratégique. Ghita Lahlou de Saham Group va plus loin encore : «
nous ne partageons rien avec les autres opérateurs car ils sont
potentiellement des concurrents. Nos recherches et notre stratégie sont
classées secret défense ! ».
56
III. Des marges de progression réelles
grâce à
l'enracinement de l'intelligence
économique
A. Les défis à relever pour l'intelligence
économique tournée vers l'Afrique
a) Enraciner l'IE dans la stratégie de
développement des grandes entreprises
Les grandes entreprises marocaines réfléchissent
à renforcer et à formaliser leurs systèmes d'intelligence
économique dans le contexte de la mondialisation. Alliances, par
exemple, cherche à la formaliser en trois pôles sous la direction
Stratégie et Partenariats, qui auront chacun pour objectif de faire,
d'après Brahim Skalli :
- Une veille macroéconomique au niveau de la direction
de la stratégie suivant l'évolution politique, le PIB, les taux
d'intérêts, la position du Maroc vis-à-vis des
marchés extérieurs, la production de ciment, le niveau de
liquidités du marché financier, le marché boursier...
- Une veille métier au niveau de chaque pôle
d'activité d'Alliances. Elle doit suivre tous les projets en cours, ce
qui est vendu ou non, à quel prix, quelle marge... Cette base de
données existe déjà au niveau de du pôle «
résidentiel haut de gamme et golfique » et l'entreprise souhaite la
dupliquer sur son activité de logement social et de construction ;
- Une veille financière pour surveiller les
communications financières des concurrents, les annonces de contrats,
les projets de développement des concurrents, etc.
Chez Saham Group, la démarche de structuration de
l'activité d'intelligence économique est plus balbutiante. En
effet, la direction générale a pendant longtemps estimé
que l'information qui provenait de la presse écrite ne
représenterait pas des opportunités intéressantes car
l'information n'est pas fiable ou les deals annoncés étaient
souvent trop chers. Toutefois, le réalisme l'emporte : « nous
sommes trois chez Saham à travailler sur le développement en
Afrique. Compter uniquement sur nos réseaux et nos déplacements
va nous coûter de plus en plus cher », dit Nadia Fettah.
Dès lors, l'entreprise est en train de tester des bases de
données et fait appel à un cabinet de conseil qui lui envoie des
bulletins de veille presse
hebdomadaires. En tant qu'opérateur économique
de taille aux ambitions panafricaines, le management de Saham se rend compte
qu'il lui faut construire sa propre intelligence économique. «
Nous le faisons, donc, mais de manière très modérée
à ce jour avec l'espoir de structurer », ajoute-t-elle.
b) Mettre en place une intelligence économique
panafricaine
Face à la faiblesse de l'intelligence économique
étatique en Afrique sous ses aspects de défense et d'influence,
des efforts pour structurer une intelligence économique panafricaine ont
été consentis dès 2009. L'un de ses principaux enjeux est
de permettre aux entreprises et aux gouvernements de bénéficier
d'informations fiables et partagées entre les pays africains. Cet effort
est tout d'abord visible à l'échelle de l'Union Africaine : lors
de sa tribune « L'Union Africaine en marche73 »,
le président de la commission de l'UA J. Ping insiste sur le fait que
« l'Afrique ne pourra résister aux défis de la
globalisation qu'unie et solidaire ». Cette affirmation est
également inscrite dans la résolution 464 de la
26ème session ordinaire du conseil des ministres de l'UA, qui
marque sa déclaration d'intention pour une intelligence
économique panafricaine à travers « une seule
entité d'intégration qui sera le point d'ancrage et le creuset
où tous les États de la région élaboreront et
mettront en oeuvre leurs politiques dans des domaines intégrateurs tels
que les transports, les communications, l'industrie, l'agriculture (É)
». Le secrétariat de l'UA s'est engagé à
sensibiliser les États membres pour la mise en place d'une
stratégie d'intelligence économique à l'échelle du
continent avec l'appui de la Banque Africaine de Développement et des
organismes de coopération comme la Francophonie.
57
73 Le Monde Diplomatique n°666, septembre 2009
![](Quelle-place-occupe-l-intelligence-economique-dans-le-deploiement-des-entreprises-marocaines-en-af5.png)
58
Pyramide de l'intelligence économique proposée
à l'Union Africaine Source : Cabinet de conseil en
stratégie Knowdys
La Francophonie a vu l'intelligence économique inscrite
à l'ordre du jour de sa 35ème assemblée de la
Conférence Permanente des Chambres Consulaires Africaines74.
Pendant cette réunion, les chambres consulaires ont
réfléchi ensemble à l'utilisation de l'intelligence
économique dans le développement d'opportunités
d'affaires.
Cette réflexion a également été
engagée au sein de L'Assemblée Parlementaire
Francophone75 quelques mois plus tard en déclarant que «
les États et les entreprises sont amenés à adopter des
attitudes offensives pour accroitre leur réactivité et assurer
leur pérennité et leur compétitivité, tout en
faisant preuve de réactivité et d'anticipation ». L'APF
a sommé ses États membres de s'équiper en outils
d'intelligence économique pour rattraper son retard. Enfin, l'APF a
encouragé les États membres à recourir au réseau de
la Francophonie pour le partage de l'information, la coopération et la
recherche. Les organismes interétatiques jouent donc un rôle
important dans la structuration d'une intelligence économique
panafricaine.
74 Réseau de coopération et de
soutien aux chambres consulaires pour le développement du secteur
privé sur le continent qui compte plus de cent organisations dans vingt
quatre pays africains dans différents secteurs économiques
75 Organisation qui réunit les
représentants parlementaires de 77 parlements, (dont l'Afrique
représente un tiers des effectifs avec vingt cinq pays membres), du
Parlement Panafricain, de l'UEMOA et de la CEMAC
59
La sensibilisation des acteurs économiques à ce
sujet est également un sujet important pour l'avènement d'une
intelligence économique panafricaine, et surtout pour la fiabilisation,
le partage et la structuration de l'information en présence. Les
rencontres et conférences sur le sujet sont une composante
incontournable de cette sensibilisation avec une fréquence moyenne de
cinq manifestations par an en Afrique76. Les cabinets de conseil en
intelligence économique sont les auteurs de publications enrichissantes
à ce sujet : pour ne citer que les plus gros cabinets africains, Global
Intelligence Partners, Knowdys, Sopel, l'Organisation africaine de
l'intelligence économique et Strageco enrichissent le débat et
sensibilisent aussi bien les pouvoirs publics que les organisations
privées. Enfin, les médias sont des acteurs centraux de
l'intelligence économique : l'hebdomadaire Les Afriques possède
des bureaux à Casablanca, Alger et Dakar et propose une chronique
d'intelligence économique depuis 2009 ; les journaux en ligne et les
sites spécialisés tels que Africa Intelligence contribuent
à également à sensibiliser le public.
Ainsi, la mise en place d'une intelligence économique
panafricaine au niveau de la veille informationnelle sur le continent
permettrait-elle à tous les acteurs de bénéficier
d'informations plus fiables possibles dans le cadre d'une économie
mondialisée.
c) Surmonter la problématique linguistique est un
enjeu majeur
La question de la langue revêt une importance capitale
dans l'intelligence économique : faire de la veille sur les pays
anglophones et lusophones pour un pays qui ne maitrise pas la langue
relève du défi. Comme le rappelle Abdelmalek Alaoui, 80% des
productions d'intelligence économique sont en réalisées en
français au Maroc, alors que 80% de l'information produite dans le monde
est en anglais. Il est donc nécessaire de développer l'anglais,
l'espagnol, l'allemand et le portugais dans les techniques de veille au Maroc
afin de prendre en compte l'environnement informationnel dans son
intégralité.
La question de la langue se pose également pour les
entreprises marocaines qui se déploient en Afrique. En effet, celles-ci
s'orientent en priorité vers les pays d'Afrique francophone du
76 Guy Gweth, fondateur du cabinet en intelligence
économique Knowdys
60
fait de la langue et de la proximité culturelle. C'est
le cas par exemple d'Alliances, pour qui l'anglais représente une vraie
barrière pour leur implantation en Afrique anglophone au niveau des
ressources humaines. Brahim Skalli, directeur Stratégie et Partenariats,
s'explique : « dans notre métier, faire de la promotion
immobilière c'est avoir des ressources humaines locales qui arrivent
à piloter, lancer, construire, vendre et encaisser un projet. Or les
cadres expatriés d'Alliances qui vont les encadrer sont des francophones
et ils ne parlent pas forcément l'anglais ».
D'autres entreprises comme Saham Group tentent de s'adapter
face à cette problématique en recourant à l'anglais et en
organisant leurs implantations en régions. C'est surtout la culture
anglophone ou lusophone, plus que la langue en elle-même, qui pose
problème, car c'est une manière différente de faire des
affaires. Comme l'explique Nadia Fettah, directrice générale
déléguée aux finances et au M&A, « tout le
monde chez Saham se met aux cours d'anglais et nous essayons de communiquer
davantage en anglais. C'est un travail de longue haleine. Nous essayons aussi
de ne pas tout gérer à partir de Casablanca : nous avons un hub
à Abidjan qui chapeaute dix pays et nous sommes en train d'en mettre un
en place à Maurice pour l'Afrique de l'Est et l'Afrique Australe. Le
Nigéria et l'Angola sont suffisamment gros pour être
gérés séparément ».
d) Apprendre à chasser en meute en Afrique : le
rôle des clusters d'entreprises
Les clusters d'entreprise représentent un levier de
compétitivité important pour les entreprises. Ils permettent
d'améliorer les transactions, de partager les dépenses et de les
réduire, de faire collaborer les entreprises et de favoriser les
transferts de compétences et de technologies. La mutualisation de
l'intelligence économique au sein de ces pôles de
compétitivité pourrait être un atout certain pour les
entreprises marocaines en Afrique pour « chasser en meute ». Ils
permettraient notamment de mutualiser le cout d'acquisition de l'information
entre tous leurs membres, qui est le premier obstacle à la mise en place
de cellules de veille stratégique dans les entreprises.
L'intérêt est également de se développer ensemble en
Afrique à travers des opportunités qu'une entreprise ne pourrait
pas saisir seule.
61
Néanmoins, cette pratique reste très peu
répandue parmi les entreprises marocaines, qui se voient comme
concurrentes sur le marché africain. C'est ce que déplore Nadia
Fettah, directrice générale chez Saham Finances, «
malheureusement, chacun y va de son côté. La
diplomatie économique n'est pas coordonnée : par exemple, nous
sommes très nombreux à être investisseurs en Côte
d'Ivoire et au Sénégal ; pourtant personne n'a
négocié de conventions fiscales ou de convention de non double
imposition. Nous ne sommes pas bons pour nous coordonner et faire des
opérations ensemble ». A titre d'exemple, elle explique que
les grands groupes français sont tous assurés chez Axa au Maroc ;
alors que les grands groupes marocains ne sont pas assurés chez Saham en
Côte d'Ivoire. D'après elle, il faut mener une réflexion
sur ce sujet car le blocage est principalement culturel. Abdelmalek Alaoui,
président de l'AMIE, va plus loin : « Il faut
réfléchir à comment nous allons agrandir le gâteau
plutôt que de s'entretuer sur le petit gâteau dont nous disposons
pour l'instant. (É) Chasser en meute veut dire que l'on va attaquer un
gâteau beaucoup plus gros et mutualiser ce qui peut l'être pour
faire des économies. Or, culturellement, il y a un vrai blocage
».
Il faut déplorer le fait que les
fédérations professionnelles promouvant les secteurs
d'activités marocains soient principalement centrées sur la
protection anti-dumping et l'optimisation du dispositif de fiscalité,
à défaut d'organiser des sorties communes en Afrique.
B. PME : développer l'accès à
l'intelligence économique et le soutien financier
a) L'intelligence économique y est
quasi-inexistante
Le tissu économique marocain est formé à
90% de PME et de TPE. Or, l'intelligence économique, cruciale pour se
renseigner sur la concurrence et pour assoir leur compétitivité,
ne semble pas être une préoccupation pour elles aujourd'hui. Les
conséquences peuvent être désastreuses, à l'image du
secteur textile au Maroc dont les difficultés sont principalement dues
au fait qu'elles n'ont pas su anticiper les accords multifibres77 et
su s'adapter face à la concurrence étrangère.
77 Cet accord a régi le commerce du textile
pendant 30 ans par la mise en place de quotas d'importation. Il pris fin en
2005 et en 2008 pour la Chine, beaucoup plus compétitive que le Maroc
notamment, en raison du faible coût de sa main d'oeuvre.
62
En effet, rares sont les PME qui ont mis en place leurs
propres systèmes d'intelligence économique en interne car les
dirigeants ne perçoivent pas le retour sur investissement que pourrait
leur apporter de tels dispositifs qui sont couteux à mettre en place.
Driss Alaoui Mdaghri, l'une des personnalités pionnières de
l'intelligence économique au Maroc, expliquait déjà en
200978 que le fait que les PME n'aient pas de cellules de veille est
compréhensible, car il est nécessaire pour elles d'atteindre une
taille critique avant de réfléchir à investir dans des
outils de veille stratégique.
Dès lors, les PME ont besoin de l'appui des
collectivités locales, des universités et organismes
d'intelligence économique publics et privés afin d'accéder
à de l'information à forte valeur ajoutée pour les aider
dans leur processus de prise de décision. A. Moutawakil,
président de la Fédération Chimie-Parachimie
(FCP)79 explique en effet que « au delà de l'aspect
prospectif, les opérateurs ont des besoins concrets en information
commerciale sur le triptyque produits, marchés et clients, sur la
concurrence, sur les stratégies adoptées par les pays concurrents
qui nous ont devancés sur le marché ». Ceci est crucial
pour les entreprises dans une optique d'optimisation de leurs performances et
de leur compétitivité.
La création de l'ANPME80 en 2002 avait, dans
sa mission de modernisation des PME marocaines, pour objectif de permettre aux
entreprises d'accéder à de l'intelligence économique
qualifiée. La structure a ainsi mis en place le programme « Yakada
» en partenariat avec la Coopération Technique Allemande (GTZ), qui
réalise de la veille concurrentielle, commerciale, technologique et
environnementale (juridique, politique,etc.) pour les PME. Toutefois, cette
aide ne suffit pas à elle seule à aider ces entreprises à
s'adapter à un environnement en mutation.
Le Ministère de l'Industrie, du Commerce, de
l'Innovation et de l'Économie Numérique a mis en place des
mécanismes d'aides financières pour les PME :
- Le programme « Moussanada ti » promeut
l'utilisation des nouvelles technologies dans l'activité des entreprises
;
- Le programme « Imtiaz » octroie des subventions
d'investissements pour des PME innovantes, qui peuvent atteindre 20% de
l'investissement (les subventions sont plafonnées à cinq millions
de dirhams).
78 Intelligence économique : la CGEM veut
s'engager », l'Economiste, 02 juin 2009
79 Hebdomadaire Economie Entreprises, Juin 2014
80 Agence Nationale pour la Promotion de la Petite et
Moyenne Entreprise
63
A ces programmes devrait s'ajouter un soutien pour la mise en
place opérationnelle de dispositifs d'intelligence économique au
sein des PME, ce qui n'est pas encore le cas aujourd'hui.
Des initiatives privées ont également vu le jour
et proposent aux PME de les assister dans la mise en place de cellules de
veille à moindre cout pour collecter et organiser les informations qui
concernent l'environnement de leur entreprise. Un outil d'intelligence
économique pour les PME a ainsi vu le jour à l'initiative du
cabinet de conseil en veille stratégique Cybion, qui a lancé, en
partenariat avec Form'info+81, un « pack marocain pour la
veille stratégique » appelé E-btikar. Le principe est
d'offrir un accompagnement spécifique par un expert, comprenant une
formation à la veille, un outil de collecte automatisé ainsi
qu'un logiciel de surveillance. D'après Mounir Rochdi82,
directeur général délégué de Cybion,
E-btikar répond à un besoin réel des PME qui n'ont ni les
ressources, ni le temps, ni les outils pour avoir une intelligence
économique en interne. E-btikar leur offre une solution accessible, tout
en leur donnant autonomie et indépendance pour gérer leur propre
intelligence économique en interne afin de mieux connaitre la
concurrence, de surveiller les fournisseurs dont elles dépendent, de
mieux s'adapter à leur clientèle, de maitriser son environnement
juridique et fiscal et de suivre les innovations sur leur marché. Par
ailleurs, Cybion les sensibilise à la protection de leur savoir-faire,
autre volet de l'intelligence économique qui n'est pas pris en compte
par les PME, afin d'éviter le piratage83. La menace est
réelle : d'après une étude réalisée par
Kapersky84, le Maroc fait partie des pays les plus ciblés par
les pirates informatiques85, du fait d'un mauvais entretien des
serveurs et de l'utilisation élevée de Windows XP,
vulnérable aux virus.
81 Formation et accompagnement des entreprises sur des
thématiques spécifiques
82 Intelligence économique et PME
marocaines, Adil Cherkaoui, chercheur ès Sciences de gestion,
Univestité Hassan II, 2 novembre 2011
83 En août 2014, des hackers marocains ont
piraté un fonds d'investissement sud africain
84 Logiciels de lutte contre la malveillance
informatique
85 « Le Maroc parmi les pays les plus vulnérables aux
virus informatiques »,
media24.com, 22 août 2014
64
b) La nécessité d'un soutien financier pour
les PME à l'exportation en Afrique
Dans une perspective d'intelligence économique, la
Fédération Marocaine de Plasturgie (FMP) a lancé une
étude pour évaluer le potentiel d'exportation des PME marocaines
en Afrique, dont l'une des conclusions est que le cout logistique et de fret
à l'export grèvent la compétitivité des
entreprises. La FMP a ainsi relevé la faiblesse voire l'absence de
lignes maritimes régulières et compétitives et des couts
élevés de magasinage dans les ports de destination. A ceci
s'ajoute l'assurance à l'export, qui affecte aussi significativement la
compétitivité des PME industrielles.
Des études similaires réalisées par Maroc
Export ont démontré que des pays comme la Tunisie, la Turquie ou
la Jordanie proposent des outils et du soutien financier aux exportateurs pour
le fret via une prise en charge partielle ou totale de ce cout; et pour les
frais de location de magasins de stockage dans les pays de destination.
En Tunisie par exemple, le Fonds de Promotion des Exportations
(Foprodex) soutient les entreprises industrielles sur 30 à 50% de des
couts, leur propose un prêt de trois ans avantageux et leur
concède une bonification de dix points sur la partie
subventionnée pour leurs échanges vers l'Afrique subsaharienne.
Les exportateurs marocains, eux, ne reçoivent de subventions de Maroc
Export uniquement pour des contrats signés pendant les foires
promotionnelles, salons et rencontres B2B, alors qu'ils auraient grandement
besoin de subventions pour le transport pour toutes leurs opportunités
d'affaires.
Certaines PME marocaines exportent déjà
timidement en Afrique. Il reste à leur donner les moyens de
démultiplier leurs exportations. C'est ce que demande Mehdi Zouhir,
directeur général de Buzichelli, une PME industrielle qui
réalise un chiffre d'affaires de 80 millions d'euros dont la
moitié en Afrique86 : « les ministères de
tutelle doivent prendre conscience de la nécessité d'accompagner
des entreprises comme nous à l'export, car aller vers l'Afrique demande
beaucoup de ressources et d'énergie ».
86 Documentaire France 24, « Au Maroc, croissance
économique rime avec Afrique », 23/11/2013
65
C. Le recours à d'autres leviers pour se
développer efficacement en Afrique
a) Les banques marocaines, une source informelle d'IE
pour les entreprises
Le secteur bancaire marocain joue un rôle essentiel dans
les systèmes d'intelligence économique des entreprises, qu'elles
soient des champions nationaux ou des PME. Les réseaux de filiales des
banques marocaines en Afrique draine une quantité d'informations
considérable sur les marchés, les opérateurs locaux et les
consommateurs, et constituent pour elles un vivier informel d'intelligence
économique non négligeable. Les réseaux
développés par les banques marocaines sont en effet utiles pour
les exportateurs à quatre égards :
- Financement : les banques marocaines connaissent les
entreprises marocaines, ce qui peut être un atout car cela peut
accélérer la mise en place de schémas de financement pour
les exportateurs marocains ;
- Connaissance du marché : Les banques mettent en
relation les entreprises marocaines avec des prestataires locaux. Dans le cas
d'Alliances par exemple, leur partenaire bancaire marocain en Afrique les a mis
en relation avec des entreprises dans la construction, des partenaires
juridiques, des avocats et des fiscalistes qui ont grandement facilité
leur entrée sur le marché.
- Garantie de paiements : Le cercle de réflexion
marocain IRES87 dont l'influence est reconnue à Rabat, a
suggéré la mise en place d'un système de paiement entre
banques : centrales sur le continent. L'objectif est de garantir le transfert
des revenus du commerce et des investissements en cas de défaillance de
paiement entre opérateurs au Maroc et en Afrique.
- Protection contre les risques non-commerciaux sur le
continent : BMCE Bank a signé un partenariat avec la MIGA88
qui s'applique à une centaine d'entreprises marocaines
accompagnées par la banque dans leur développement en Afrique, et
qui les protège contre (i) les risques de changement politique, de
guerres civiles, d'émeutes et d'incendies, et contre (ii) les risques
fiscaux et règlementaires telles que l'expropriation ou l'interdiction
de rapatrier des dividendes.
87 Institut Royal pour les Etudes
Stratégiques
88 Multilateral Investment Guarantee Agency, filiale
de la Banque Mondiale
66
- Détection d'opportunités d'affaires : les
banques les mettent en relation avec les acteurs locaux. Comme l'explique
Mamoun Tahri Joutei de BMCE Bank, les entreprises exportatrices marocaines ne
souhaitent qu'une chose ; c'est d'être mises en relation avec des acteurs
locaux pour dénicher des opportunités d'affaires. A cet
égard, la conférence sino-maroco-africaine organisée par
BMCE Bank en juin 2014 est à l'origine d'une cinquantaine de rencontres
B2B entre entreprises marocaines, chinoises et africaines.
Ainsi, les banques ont un rôle important à jouer
dans l'écosystème d'intelligence économique
des entreprises exportatrices. Cette relation unique permet aux
opérateurs d'avoir des
avantages concurrentiels face aux opérateurs
étrangers. En effet, pour l'entreprise
exportatrice, la banque marocaine partenaire permet de :
- Diminuer le cout du capital grâce à la baisse du
délai moyen du recouvrement des
créances et du cout du crédit ;
- D'avoir un flux de trésorerie prévisible ;
- De bénéficier d'un portefeuille client stable
;
- De garantir une plus grande transparence dans le processus de
paiement.
L'intérêt pour les banques est entre autres de :
- Participer aux affaires de leurs clients sur le continent ;
- Fidéliser leur clientèle importatrice et
exportatrice ;
- Cultiver leur image de marque en tant que banque clé
dans le financement de
transactions à l'international.
Le président du cabinet de conseil en intelligence
économique Global Intelligence Partners nuance ce constat en expliquant
que les banques ne peuvent pas être des pourvoyeurs d'information pour
les cabinets de conseil pour des raisons de règles prudentielles qui les
empêchent de remonter de l'information sur leurs clients.
67
b) De nouveaux types de partenariats pour se
développer en Afrique
Les entreprises marocaines réfléchissent
à des partenariats avec des institutions ou des entreprises
étrangères pour trouver des opportunités d'affaires en
Afrique. Ceci peut venir du fait que les entreprises ont une capacité
d'endettement limitée et qu'elles ont besoin d'un appui financier pour
réaliser certaines opérations sur le continent. Brahim Skalli,
directeur Stratégie et Partenariat chez Alliances, justifie cela en
expliquant que « la capacité d'investissement et d'endettement
d'Alliances étant limitée, nous ne pouvons pas nous engager seuls
sur 25 pays. Coopérer avec ces structures multilatérales de
financement signifie que l'on peut envisager ensemble le montage
d'opérations plus importantes en Afrique ». Alliances s'est
ainsi rapproché d'institutions multilatérales telles que la
Banque Africaine de Développement, la BERD ou l'AFD pour réaliser
des opérations conjointes sur le continent.
Un autre exemple probant est celui d'Attijariwafabank,
première banque marocaine, et de Bank of China, qui ont signé un
accord le 20 juin 2013 à Pékin pour encourager les
échanges commerciaux et les investissements chinois en Afrique
grâce à l'appui du Maroc pour la prospection des marchés
des régions Afrique du Nord, UEMOA et CEMAC. D'après le directeur
général d'Attijariwafabank, Omar Bounjou, la présence de
la banque dans 14 pays africains et sa connaissance des marchés lui
permet d'accompagner des opérateurs économiques étrangers
sur ces géographies. Il est donc pertinent de mettre en place des
partenariats win-win avec de grandes institutions asiatiques notamment ; ce qui
explique le choix la banque de se rapprocher de la Chine, premier partenaire
commercial du continent africain. Les synergies entre les deux banques sont
conséquentes :
- Elles ont une dimension internationale (elles sont
présentes à elles deux dans soixante cinq pays) ;
- Les deux banques possèdent des offres
dédiées pour toutes les personnes, entreprises, organisations et
gouvernements ;
- Elles oeuvrent toutes les deux pour la coopération
sud-sud.
L'accord conclu entre les deux banques contient quatre volets
:
- L'accueil ainsi que l'assistance aux clients en matière
de commerce international :
68
Attijariwafabank et Bank of China ont développé
un savoir faire en ce qui concerne l'accompagnement des opérateurs
économiques et sont toutes les deux leaders sur leurs marchés
;
- L'accompagnement et le financement de projets
d'investissements : la Chine et le Maroc étant parmi les plus gros
investisseurs en Afrique, il est question de soutenir la dynamique
d'investissement en plaçant l'expertise de chacune au service des
investisseurs dans les marchés africains où les deux banques sont
présentes.
- L'organisation de rencontres B2B : l'organisation de
rencontres bilatérales vise à rapprocher et mettre en relation
des hommes d'affaires chinois avec les opérateurs économiques
dans les pays où Attijariwafabank est implantée. L'objectif de
ces rencontres est d'aboutir à des investissements croisés et des
JV sur le continent. Le Forum Afrique Développement a favorisé
à ce titre plus de 3 000 rencontres B2B en deux éditions en
rapprochant plus de 1 000 opérateurs économiques présents
dans les pays où sont implantées les filiales
d'Attijariwafabank.
- L'accompagnement des cadres expatriés de Chine et
Afrique et vice versa : La banque chinoise peut s'appuyer sur le réseau
de la banque marocaine pour mieux servir la communauté chinoise en
Afrique (le nombre de chinois vivant sur le continent dépasse le million
de personnes) ; et Attijariwafabank pourra apporter le réseau de Bank of
China aux africains vivant en Chine.
69
Conclusion
Il apparait que l'intelligence économique
représente bien un enjeu de premier ordre pour les entreprises
marocaines en Afrique. Les champions nationaux ont conscience que, du fait de
leur spécialisation dans les services, l'intelligence économique
est centrale dans leur approche du marché africain. Mais contrairement
à ce que laisse penser la littérature journalistique sur le
sujet, l'IE n'est dans la majorité des cas ni formalisée ni
structurée : elle ne porte pas ce nom auprès des acteurs qui la
pratiquent.
Seuls quelques grandes entreprises comme la Royal Air Maroc,
Maroc Telecom, BMCE Bank ou Attijariwafabank ont en effet réellement mis
en place des dispositifs structurés avec des budgets
dédiés pour la veille stratégique, la surveillance et la
communication d'influence. Pour la grande majorité du tissu
économique marocain, l'intelligence économique n'est pas une
composante formelle de la prise de décision pour se développer en
Afrique.
De plus, le gouvernement étudie, depuis une dizaine
d'années, la possibilité de mettre en place une stratégie
nationale d'intelligence économique au service du secteur privé
mais rien n'est encore réellement fait à ce jour dans ce domaine.
L'État comble partiellement ce déficit par une diplomatie sud sud
dynamique dans le but de décrocher des opportunités d'affaires
pour les entreprises marocaines en Afrique, mais ne met pas de dispositifs
d'information et de veille stratégique à la disposition des
entreprises en dehors d'évènements promotionnels à
l'exportation.
Les entreprises marocaines ont vite intégré
cette donne et adaptent leur manière de se renseigner sur le continent.
Les sources de la veille stratégique sont pour elles leurs contacts
locaux ; la surveillance de leur environnement règlementaire, juridique
et fiscal se fait grâce aux informations recueillies auprès des
réseaux bancaires marocains ; leur communication d'influence se fait
avec l'appui de la diplomatie économique royale et de structures telles
que Maroc Export. La proximité culturelle du Maroc avec l'Afrique est
très importante dans ce contexte.
On retrouve ici une composante essentielle du tissu
économique marocain, à savoir le pragmatisme et la grande
capacité d'adaptation de ses entrepreneurs, qui ont recours à
une
70
intelligence économique « à la marocaine
». Celle-ci leur donne un avantage unique sur le continent, malgré
le fait que le gouvernement ne semble pas avoir véritablement pris la
mesure de l'urgence à mettre en place une stratégie nationale
d'intelligence économique. Celle-ci est en effet la seule à
même de mutualiser un certain nombre de moyens informationnels et
analytiques au service du tissu économique.
71
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74
« Une vision pour l'Afrique », interview de Othman
Benjelloun, Les Afriques, 10 juillet 2014
75
Annexes
A. Discours royal d'Abidjan
« Monsieur le Premier Ministre,. Excellences,. Mesdames et
Messieurs,.
C'est avec un plaisir renouvelé que Je retourne en
Côte d'Ivoire, un an, presque jour pour jour, après Ma visite
d'Etat de l'année dernière. Ce laps de temps, aussi court
soit-il, permet déjà de mesurer l'évolution importante que
connait la Côte d'Ivoire, dans tous les domaines, grâce à
l'action clairvoyante et déterminée du Président Ouattara
et à l'engagement citoyen de l'ensemble des forces vives de ce pays.
C'est aussi avec une sollicitude toute particulière que
Je M'adresse aux travaux du Forum économique maroco-ivoirien, qui
constitue l'expression de Notre détermination à renforcer les
relations entre nos deux pays, en imprimant une nouvelle dynamique à
leur coopération économique. L'organisation, en Côte
d'Ivoire, d'un tel Forum -pour la première fois en dehors du Royaume et
sur une terre africaine - n'est pas le fruit du hasard. C'est, d'abord, le
reflet de la qualité des relations entre nos deux pays, et l'expression
de l'importance des liens politiques et économiques entre le Royaume et
les pays de l'Afrique centrale et de l'Ouest. Ce choix est, aussi, une
reconnaissance de l'importance de l'économie ivoirienne, et notre
confiance en son avenir. Ce n'est pas sans raison que votre pays abrite l'une
des bases industrielles les plus actives de la région, et l'une des
plateformes de commerce les plus dynamiques. Désormais, à l'heure
où les péripéties politiques font partie du passé,
l'unité retrouvée et la paix rétablie sont,
assurément, la grande force de la Côte d'Ivoire. Son passé
économique florissant est un véritable avantage comparatif.
Monsieur le Premier Ministre,. Excellences,. Mesdames et
Messieurs,.
Le Maroc, comme la Côte d'Ivoire, assume pleinement sa
vocation africaine, celle qui a toujours été la sienne, tout au
long de son histoire. Aujourd'hui comme hier, les relations diplomatiques sont
au coeur de nos interactions. Mais, à la faveur des mutations profondes
que connaît le monde, leurs mécanismes, leur portée ainsi
que leur place même dans l'architecture des relations internationales,
sont appelés à s'adapter aux nouvelles réalités.
Ainsi, auparavant la diplomatie était au service de la consolidation des
relations politiques. Aujourd'hui, c'est la
76
dimension économique qui prime et constitue l'un des
fondamentaux des relations diplomatiques. La coopération, hier
basée sur la relation de confiance et les liens historiques, est,
aujourd'hui, de plus en plus fondée sur l'efficacité, la
performance et la crédibilité. L'efficacité donne toujours
ses fruits. Elle est le gage de résultats tangibles, de progrès
mesurables et de capacité à répondre aux attentes. Elle
garantit la qualité et génère la confiance. La
crédibilité veut que les richesses de notre Continent
bénéficient, en premier lieu, aux peuples africains. Cela suppose
que la coopération Sud/Sud soit au coeur de leurs
partenariats économiques.
Dans son ouverture, l'Afrique continuera à
développer ses relations fructueuses avec les pays avec lesquels elle a
le plus de relations historiques profondes et le plus d'affinités. Mais,
bien qu'ils constituent des atouts certains, ces liens, à eux seuls, ne
suffisent plus. Ils demandent, désormais, à être
accompagnés par une action crédible et un engagement constant. Il
n'y a plus de terrain acquis, pas plus qu'il n'y a de chasse gardée. Ce
serait une illusion de croire le contraire. Ce serait, également, une
illusion de croire qu'il y'a des petits et des grands projets.
Tous les projets se valent, tant qu'ils sont pertinents et
qu'ils se destinent au service du citoyen. A l'évidence, il y'a des
projets d'importance nationale. Le Maroc est bien placé pour le mesurer,
car nos propres projets d'infrastructure sont entièrement
réalisés sur la base de l'expertise marocaine, depuis la
conception, jusqu'à la réalisation et la mise en oeuvre, qu'il
s'agisse par exemple d'autoroutes, d'électrification, de barrages, de
ports ou d'aéroports Mais, Il y a aussi des projets qui, bien
qu'étant de moindre envergure, revêtent une importance
particulière. Car ils touchent directement les citoyens et visent
à améliorer leurs conditions de vie quotidienne. C'est le cas du
village de pêche que Nous lançons ici en Côte d'Ivoire. De
tels projets participent à la création d'emplois et à
l'essor des PME-PMI, qui représentent la véritable locomotive de
développement du continent et la principale source de travail pour sa
jeunesse.
"Monsieur le Premier Ministre,. Excellences,. Mesdames et
Messieurs,.
L'Afrique est un grand continent, par ses forces vives, ses
ressources et ses potentialités. Elle doit se prendre en charge, ce
n'est plus un Continent colonisé. C'est pourquoi l'Afrique doit faire
confiance à l'Afrique. Elle a moins besoin d'assistance, et requiert
davantage de partenariats mutuellement bénéfiques. Plus qu'une
aide humanitaire, c'est de projets de
77
développement humain et social, dont notre Continent a
le plus besoin. L'Afrique ne doit pas rester otage de son passé, ni de
ses problèmes politiques, économiques et sociaux actuels. Elle
doit regarder son avenir avec détermination et optimisme, en exploitant
tous ses atouts et ses potentialités. Si le siècle dernier a
été celui de l'indépendance des Etats africains, le
21ème siècle devrait être celui de la victoire des peuples
contre les affres du sous-développement, de
la pauvreté et de l'exclusion.
"Monsieur le Premier Ministre,. Excellences,. Mesdames et
Messieurs,.
Une Afrique dynamique et développée n'est pas un
simple rêve pour demain, cela peut être une réalité
d'aujourd'hui, mais à la condition d'agir. C'est, donc, le temps de le
faire ou de l'entreprendre. L'importance de l'action c'est qu'elle donne la
crédibilité au travail politique et
permet de réaliser les objectifs escomptés.
L'Afrique doit, en effet, faire face à de nombreux
défis qui menacent sa stabilité politique et entravent son essor
socio-économique. Or, ces défis ne peuvent être
relevés que par la coopération, la solidarité entre les
peuples africains et le respect de la souveraineté et de
l'intégrité territoriale des Etats. L'Afrique a donc vocation
à bénéficier de toutes les potentialités dont elle
regorge, sans pour autant vivre en autarcie. Elle doit multiplier les
partenariats bénéfiques avec les nombreux pays
développés qui marquent un intérêt constant, un
engagement sincère et une implication substantielle en faveur de son
progrès économique et de son développement humain. Elle
doit bénéficier également des opportunités qu'offre
la coopération triangulaire, en tant qu'outil novateur, facilitant la
conjugaison des efforts et l'optimisation des moyens. A cet égard, le
Maroc, qui a été pionnier dans ce schéma de
coopération, est disposé à mettre au service des pays
africains frères le capital de crédibilité et de confiance
dont il jouit auprès de ses partenaires. Il est, en effet, de notre
devoir collectif de faire en sorte que la mondialisation devienne une force
positive pour le développement de l'Afrique. Le développement
économique, le commerce et l'intégration régionale sont,
à cet
égard, parmi les thématiques centrales.
"Monsieur le Premier Ministre,. Excellences,. Mesdames et
Messieurs,.
Le développement durable du Continent africain exige
que la créativité et le dynamisme du secteur privé se
concentrent sur des domaines porteurs, comme l'agriculture, l'industrie, la
78
science et la technologie, et le développement des
infrastructures. Cela reste tributaire de la libération des
potentialités et du renforcement de l'initiative privée, ce qui
présuppose l'existence d'un secteur public efficace, porteur et
compétent. La démultiplication des partenariats public
privé sud-sud et des transferts de technologie, revêt une
importance clé dans ce sens. C'est dire que le renforcement des
capacités institutionnelles des Etats africains, constitue un enjeu
stratégique. La meilleure gouvernance, le progrès par le droit et
la résolution pacifique des conflits, doivent être des
priorités partagées. Grâce aux progrès du secteur
bancaire, à l'urbanisation des populations, et à la hausse
continue de la productivité du travailleur africain, l'Afrique voit
chaque jour s'ouvrir à elle de nouvelles voies pour atteindre la
prospérité des générations futures. Elle y aura
d'autant mieux accès, lorsqu'elle parviendra à triompher de
l'Afro-pessimisme, grâce à la libération des potentiels,
intellectuels et physiques, des forces vives de tous les peuples africains.
J'invite chacun de vous à imaginer ce que serait, alors, notre continent
africain, libéré de ses pesanteurs. En souhaitant plein
succès aux travaux de ce Forum économique, je fais pleinement
confiance à votre pragmatisme et votre créativité, pour
déboucher sur des résultats concrets, au bénéfice
du développement de nos deux pays frères et de leurs
régions respectives ».
B. Feuille de route de l'AMIE89
L'Association Marocaine pour l'Intelligence Economique a
présenté, le 24 juin 2013, 16 propositions pour une
stratégie nationale d'intelligence économique :
Proposition 1 : favoriser
l'intégration numérique des acteurs de veille nationale à
travers l'utilisation d'une plateforme de veille nationale unique de type
« big data » intégrée et sécurisée : ce
dispositif numérique permettra à tous d'accéder à
tout.
Proposition 2 : conditionner graduellement
l'attribution des budgets à la mise en ligne, au sein du système
national de veille, des études, analyses et autres prestations
intellectuelles à caractère économique et
stratégique.
89
http://amiecenter.org/en/243-economic-intelligence-tracks-for-a-more-intelligent-morocco.html#more-243
79
Proposition 3 : structurer un plan national
de veille stratégique pour les acteurs existants afin d'organiser une
couverture sectorielle transverse destinée à mettre à
profit leur complémentarité à travers un effort de
spécialisation.
Proposition 4 : lancer une mission de
réflexion indépendante visant à déterminer l'image
réelle du Maroc dans le monde qui permettrait de sélectionner les
capteurs pertinents à surveiller.
Proposition 5 : mettre en cohérence
les dispositifs de collecte d'information avec les dynamiques linguistiques
mondiales, développer l'utilisation de l'anglais, de l'espagnol, de
l'allemand et du portugais.
Proposition 6 : créer une chaire
d'analyse stratégique transversale d'intelligence économique
ouverte aux civils au sein du Collège Royal de l'Enseignement Militaire
Supérieur (CREMS).
Proposition 7 : rééquilibrer
les cellules de veille existantes au plan national entre veilleurs et analystes
et favoriser la co-construction d'information enrichie.
Proposition 8 : créer un poste de
chargé d'intelligence économique au sein de chaque cabinet
ministériel et favoriser la création d'un poste de
délégué à l'intelligence économique au sein
des grandes entreprises.
Proposition 9 : organiser les chargés
de veille publics et privés autour d'une logique de réseau avec
planification de réunions périodiques permettant de coordonner
leur action.
Proposition 10 : effectuer un diagnostic des
pratiques liées à l'intelligence économique au sein des
PME marocaines afin d'orienter les futures actions de formation et
d'accompagnement.
Proposition 11 : créer une agence
nationale de la cyber-sécurité chargée de proposer des
dispositifs visant la protection des systèmes d'information de l'Etat et
permettant d'en contrôler l'application.
80
Proposition 12 : créer une
habilitation « défense » et « secret défense
» pour les prestataires en intelligence économique nationaux qui
seront dorénavant seuls habilités à traiter des sujets
à caractère sensible et/ou stratégique pour
l'état.
Proposition 13 : créer une
filière nationale de recherche sur l'intelligence économique, la
guerre commerciale et la cyber-délinquance, ayant pour vocation de
former des compétences conscientes de l'importance des enjeux de l'IE
qui mettront a profit leur talent au service de l'Etat.
Proposition 14 : lancer une mission
indépendante permettant de cerner l'image du Maroc dans le monde, les
attentes des médias et les mediums à investir pour assurer une
meilleure efficacité médiatique.
Proposition 15 : créer une « task
force » indépendante de communication politique et publique du
Maroc à l'international, chargée de l'ordonnancement des
priorités et de leur exécution par le déploiement de
compétences et de talents sur le terrain informationnel.
Proposition 16 : réserver 10% de la
publicité des annonceurs du Maroc au numérique et subventionner
les éditeurs de presse à hauteur de 500.000 DH afin qu'ils
effectuent leur transition numérique.
81
C. Méthodologie appliquée lors des
interviews
L'objectif des interviews conduits est de récolter de
l'information qualitative sur plusieurs
aspects du sujet :
- Stratégie de développement en Afrique ;
- Place de l'intelligence économique dans cette
stratégie ;
- Appui de l'Etat et du gouvernement dans le dispositif
d'intelligence économique vers
l'Afrique ;
- Avantages concurrentiels des entreprises marocaines et
perception par les concurrents
étrangers.
Les questions étaient plus ou moins ouvertes selon la
disponibilité de la personne interrogée.
La méthodologie de l'interview de Abdelmalek Alaoui
diffère de celles des dirigeants d'entreprises dans la mesure où
il peut apporter un éclairage et une vision plus globale sur les
politiques publiques et privées d'intelligence économique. Le but
était de comprendre avec lui :
- Comment fonctionnent les cabinets d'intelligence
économique ;
- Quel est le rôle de l'Etat et du gouvernement dans le
cadre d'un dispositif national d'intelligence économique ;
- Quel est le bilan de la feuille de route de l'AMIE ;
- Quelles sont les pratiques de l'intelligence économique
dans le secteur privé ;
- Quelles sont les grandes lignes de la stratégie
africaine du Maroc ;
- Comment l'Europe, la Chine et les grands pays
émergents perçoivent le développement du secteur
privé marocain en Afrique.
82
D. Restitution des interviews
a) Abdelmalek Alaoui (AMIE et Global Intelligence
Partners)
Président exécutif de l'Association
Marocaine pour l'Intelligence économique et directeur du cabinet en
stratégie et en intelligence économique Global Intelligence
Partners, fondé en 2006 et basé à Rabat.
+ Activité :
1. Quelle est votre activité principale
?
Global Intelligence Partners exerce trois activités
équilibrées :
- La veille stratégique, qui est une activité
assez mature,
- Le conseil en stratégie, une activité
très classique dans son fonctionnement,
- La communication d'influence, qui est en très forte
croissance.
Chaque activité correspond à une brique
industrielle définie : la veille permet de surveiller, d'analyser et de
transmettre ; le conseil en stratégie permet d'approfondir et la
communication d'influence arrive en bout de chaine pour gérer son image.
Aujourd'hui c'est la communication d'influence qui est en croissance rapide,
l'intelligence économique commence à vieillir !
2. Quelle est la part de votre activité qui est
tournée vers l'Afrique ?
Les clients marocains voulant être accompagnés en
Afrique représentent 30 à 40% de notre activité. Le gros
de notre activité correspond aux clients africains qui font appel
à nous notamment pour des problématiques d'image et de
surveillance des réseaux sociaux. La grande majorité d'entre eux
sont des pouvoirs publics qui font appel à nous pour plusieurs raisons
:
1) J'ai la vanité de croire que notre cabinet offre une
certaine expertise ;
2) Il ont une certaine défiance vis à vis des
prestataires actuels et envers les anciens colonisateurs ;
3) Ils ont le sentiment de pouvoir partager un certain nombre
de choses avec un prestataire qui est africain, musulman, arabe...
83
3. Quelle expérience étrangère
d'IE vers l'Afrique vous paraît la plus digne d'intérêt pour
le Maroc ?
Très sincèrement, je pense qu'au delà des
gimmicks que j'ai théorisées telles que « surveiller
comme les chinois, analyser comme les français, agir comme les
américains et partager comme les arabes », je pense que
l'expérience chinoise est véritablement la plus
intéressante pour nous. Tout d'abord parce qu'il y a une dimension
politique très forte et parce que les chinois ont une « full
spectrum approach ». En réalité, le diplomatique sert
l'économique qui sert le politique qui sert l'humanitaire. Et puis il y
a une stratégie de puissance ; je pense que le Maroc s'en est
inspiré. Nous sommes un pays aux ressources relativement
limitées, mais nous sommes parmi les plus actifs en matière de
solidarité continentale en matière d'hôpitaux de
campagne... La prééminence du politique et de la doctrine dans la
stratégie chinoise se retrouve aussi dans la stratégie
marocaine.
+ Sources :
4. D'où tenez vous vos informations sur
l'Afrique que vous communiquez à vos clients ?
1) On structure déjà les informations qui sont
ouvertes, en sachant que sur ce qui constitue les sources d'informations en
Afrique répertoriées par Google News, etc, et qui constituent la
source primaire d'information. Mais cela représente une faible part de
l'information que nous récoltons. Il y a un travail très
important à faire au niveau de la mise à jour fréquente
des informations pour se structurer. Pour des raisons très simples : les
émetteurs d'information en Afrique émettent pendant quelques mois
puis disparaissent car il est rare qu'ils aient un modèle
économique viable.
2) Nous avons aussi des correspondants sur place et faisons
beaucoup appel à la diaspora africaine pour récolter de
l'information à forte valeur ajoutée. Elle nous permet
d'accéder à des interlocuteurs de premier plan car ils sont au
contact du terrain en tant que pourvoyeurs de fonds.
5. Comment avez-vous mis en place ces relations avec vos
contacts en Afrique ? La gestion des sources informelles est
structurée dans notre cabinet.
- Il y a des têtes de réseau qui viennent
d'associations d'anciens élèves des grandes écoles
françaises. Les anciens de Sciences Po Paris représentent
à ce titre la plus grande proportion de ministres en Afrique de l'Ouest
par rapport à toutes les écoles du monde.
84
- Il y a aussi le fait d'être producteur de connaissance
car les gens viennent vers vous plus simplement et plus facilement car ils
pensent que vous êtes pertinent sur ce sujet.
- Il y a aussi le fait de connaître un client important,
qui connaît des conseillers
importants qui eux mêmes connaissent des gens
importants...
- Il y a un phénomène
d'irréversibilité injuste qui empêche les nouveaux entrants
de pénétrer le marché.
6. Quel est le rôle de la rumeur économique
en Afrique ? Comment l'appréhendez-vous ?
La rumeur est beaucoup plus présente dans la veille
stratégique sur le politique. Sur l'économique et du fait de la
non structuration des émetteurs d'information (il n'y a pas Les Echos et
le Financial Times au Bénin par exemple), l'information
économique est plus lente à émerger. En revanche, la
rumeur politique peut aller très vite sur les réseaux sociaux par
exemple, qui jouent un rôle d'accélérateur.
7. Quel est le rôle du secteur bancaire dans la
remontée d'informations économique?
Officiellement, les banques ne sont pas des pourvoyeurs
d'information pour nous pour des raisons de règles prudentielles qui les
empêchent de remonter de l'information sur leurs clients. De plus, je ne
vois pas quel peut être leur input. Ils sont peut être
intéressants sur ces zones sur les questions de blanchiment ou de biens
mal acquis. Ils ont des informations utiles, bien sûr il est important
d'entretenir des relations avec eux, mais les informations qu'ils nous
transmettent restent informelles.
+ Rôle et actions du gouvernement dans le
dispositif d'intelligence économique :
8. Quel rôle joue le gouvernement dans le
dispositif national d'intelligence économique ? Comment le gouvernement
a-t-il accueilli la feuille de route de l'AMIE, et notamment la création
du big data gouvernemental ?
J'ai la conviction que nous sommes des acteurs absolument
inexistants en matière de production de connaissance. Ma mission pendant
ce premier mandat à la tête de l'AMIE était d'être
des précurseurs en produisant de la connaissance à
caractère stratégique. La deuxième conviction forte que
j'ai est que nous produisons beaucoup de documents au Maroc qui ont l'apparence
de documents de stratégie, mais qui sont en fait documents de
conviction. Ils reflètent une doctrine teintée de politique. Si
vous regardez la carte de la production mondiale
85
de l'information, il y a trois acteurs majeurs dans
l'intelligence économique qui sont les Etats Unis, l'Allemagne et
l'Angleterre. Il faut d'ailleurs s'interpeller sur le fait qu'il n y ait pas
une seule personne qui parle allemand au Maroc dans les pouvoirs publiques, ce
qui explique l'incapacité à traiter l'information
stratégique qui sort en allemand. En Afrique, deux pays produisent de la
connaissance intéressante, ont des think tanks et des centres de
recherche axés sur l'intelligence économique : l'Afrique du Sud
et le Nigéria. Or ils sont loin d'être des amis du Maroc !
J'ai voulu, à travers le travail que nous avons
réalisé à l'AMIE, fixer le cap de la stratégie
puisque le gouvernement, de ce que je sais de son action, est face à
l'urgence. Le seul qui fixe le cap sur des ambitions à moyen et long
terme est le souverain ; or, de par sa fonction, il n'a pas vocation à
drafter la stratégie ou à en assurer l'exécution. Il ne
peut pas tirer un penalty et jouer au gardien de but juste après ! C'est
antinomique.
Evidemment, certaines propositions de notre feuille de route
paraissent éloignées des considérations quotidiennes du
gouvernement. Simplement, que va-t-il se passer ? Du fait de la faiblesse de
notre réflexion stratégique, dans 3 ans, des acteurs vont
commencer à se pencher sur l'installation d'un big data gouvernemental
que nous avons proposé dans notre feuille de route. Or cela sera
déjà obsolète, nous serons peut être probablement
déjà passés à autre chose.
La feuille de route avait pour objectif d'organiser la rupture
en matière de production de connaissance ; et je dois dire que j'ai
été très déçu par le suivi qui a
été fait par les pouvoirs publics de cette feuille de route qui a
été applaudie par la communauté scientifique ; le Conseil
Economique et Social nous a auditionné officiellement pour en
écouter les propositions. Certaines ont même été
reprises dans le dernier document qui a été fait par la
Commission de la Stratégie ; mais le Conseil Economique et Social reste
un organe à caractère consultatif.
Nous avons 9 points de PIB au sein du conseil de
l'administration de l'AMIE. Or, personne au sein de l'exécutif n'a eu
l'idée de prendre son téléphone et de contacter
l'association pour montrer son intérêt pour ce document de
doctrine sur le futur de l'intelligence économique au Maroc. Une seule
personne l'a utilisée : Moulay Hafid Elalamy, mais non pas du fait qu'il
était ministre, mais du fait que nous le connaissions parce qu'il est
membre de l'association et qu'il était intéressé.
Sur le principe, dès le moment où l'on dit qu'il
faut inscrire le pays dans une démarche d'intelligence
économique, tout le monde est d'accord, cela fait consensus. Dès
le moment où l'ont parle d'opérationnalisation, le gouvernement
ne réagit pas. Je ne mets pas l'Etat et
86
certaines de ses fonctions régaliennes en cause :
aujourd'hui, l'armée, les services de sécurité et les
services de renseignement sont aux standards internationaux. Mais il n'y a pas
de partage de l'information entre le militaire et l'économique.
9. D'après vous, le fait que la feuille de route
de l'AMIE n'ait pas connu de suivi est-il du au fait que ces changements
impliquent des financements importants ? Je pense qu'un état
souverain qui a un PIB de 190 milliards de dollars a de quoi financer un big
data qui couterait 5-6 millions de dollars. Si l'on regarde ce que l'Etat a
financé ces dernières années comme le Ma-Cert,
l'efficacité de cet investissement de 450 millions de dirhams reste
à être démontrée. Je pense également aux
plusieurs centaines de millions de dirhams ont été payés
aux cabinets de conseils anglo-saxons.
Il y a une vraie question d'Etat stratège en
matière d'allocation de la ressource publique : sommes-nous prêts
à mettre de l'argent pour des choses qui ne seront pas
immédiatement rémunératrices, mais qui permettront
à l'Etat de mieux s'organiser ?
10. Comment se fait le partage de l'info entre le
gouvernement et les opérateurs économiques ?
Il y a un seul niveau de partage d'information
structuré et il se situe au niveau de la DSSI (Direction de la
Sécurité et des Systèmes d'Information). Il porte sur un
sujet particulier qui est la cyber-sécurité et le risque portant
sur les installations critiques de la nation. C'est un organisme hybride
puisqu'il est abrité par le Ministère de l'Industrie, du
Commerce, de l'Investissement et de l'Economie Numérique et est
dirigé par le Colonel Rabii. Ils ont été très bien
formés par les suds coréens.
Nous sommes très bons en protection et cela de
manière transversale. En revanche, il n'y a rien qui est fait pour
anticiper. Je pense qu'il faut organiser la coercition pour le partage de
l'information entre le public et le privé (c'était l'une des
propositions de notre feuille de route). D'expérience, à chaque
fois que l'on se réunit avec des acteurs publics et privés, la
bonne volonté pour partager les informations s'arrête à la
fermeture de la porte de la salle de réunion. L'une des mesures
proposées pour obtenir une transversalité de l'information
était justement que toutes les études produites par l'Etat soient
plongées dans un intranet gouvernemental, et que les budgets ne soient
pas reconduits si un ministère ne partageait pas. Mais cela n'a pas
été fait.
11. Quel est le rôle des relais diplomatiques
marocains en Afrique dans le système d'IE ? quels axes
d'amélioration ?
Ils ne font que de la diplomatie. L'IE est du ressort de la
politique étrangère. Je ne dis pas que ce n'est pas lié ;
cela devrait l'être ; mais aujourd'hui, les représentations du
Maroc à l'étranger ne font que de la diplomatie et du protocole
là où, si elles étaient orientées et en ligne avec
les ministères économiques, elle ferait de l'influence pour
trouver des opportunités économiques pour le Maroc.
+ Feuille de route de l'AMIE :
12. Comment les entreprises ont-elles accueilli la
feuille de route ? Les grandes entreprises sont-elles sensibles à
l'intelligence économique ?
Les entreprises ont été sensibles à la
feuille de route. Il n'y a aucun mystère là dessus : les
entreprises qui sont des champions nationaux en Afrique sont également
les champions nationaux de l'intelligence économique. Les dix
premières entreprises les plus actives en Afrique (OCP, Maroc Telecom,
BMCE, Attijari,É) ont toutes des cellules d'intelligence
économique. Je ne veux pas y voir un lien de cause à effet, mais
il y a une prise de conscience sur la nécessité de traiter
l'information économique.
+ Intelligence économique dans le secteur
privé :
13. En général, quels budgets les
entreprises allouent-elles à l'intelligence économique
?
Les budgets alloués à l'intelligence
économique par ces entreprises sont confidentiels.
14. Quels dispositifs d'IE sont les plus
répandus ? Pouvez-vous citer deux success stories ?
Les modes d'organisation des départements
d'intelligence économique sont très différents et
dépendent des entreprises : on peut voir des entreprises industrielles
(OCP) qui vont avoir des équipes de veille stratégique pour
surveiller le métier, le marketing, le business, le politique ; les
entreprises de services comme les banques (BMCE) vont moins surveiller le
métier que le conjoncturel. Cela dépend aussi de la
personnalité du dirigeant et de quelle importance il accorde à ce
type de sujets. Il n'y a pas d'organisation idéale.
87
15. Quel est le degré de partage de
l'information au sein des entreprises mêmes ?
88
Il y a de tout : j'ai vu un champion national des
télécoms qui a 1 800 collaborateurs qui interviennent sur la
plateforme de veille. L'expérience de Maroc Telecom est pour moi la plus
intéressante en termes d'intelligence économique.
16. Pensez-vous que les PME souhaitant se
déployer vers l'Afrique sont plus sensibilisées à
l'intelligence économique qu'avant ?
Il n'y a toujours rien à ce sujet, même si on
propose. C'est le rôle d'un think tank de proposer des choses...
17. Les entreprises marocaines parviennent-elles
à chasser en meute en Afrique ? Non. Tout d'abord, l'outil le
plus performant pour chasser en meute est la fédération
professionnelle. Si nous analysons leur discours, elles sont très
centrées sur la protection (elles demandent surtout des mesures anti
dumping). Notre conception même de l'économie au Maroc est une
conception insulaire : les gens réfléchissent à comment
optimiser le dispositif actuel, mais ne réfléchissent jamais
à un gâteau qui soit plus gros. Même les revendications des
fédérations patronales portent sur l'optimisation du dispositif
actuel de fiscalité. En ce qui me concerne, la fiscalité
marocaine me va très bien... Et surtout, je pense que l'on a l'une des
meilleures fiscalités en Afrique puisque personne ne paye ses
impôts.
Il faut réfléchir à comment on va
agrandir le gâteau plutôt que de s'entretuer sur le petit
gâteau dont nous disposons pour l'instant. C'est le principal blocage
aujourd'hui pour chasser en meute. Chasser en meute veut dire que l'on va
attaquer un gâteau beaucoup plus gros et mutualiser ce qui peut
l'être pour faire des économies. Or, culturellement, il y a un
vrai blocage.
18. Comment est accueillie l'implantation des
entreprises marocaines en Afrique : a. Par les autres leaders africains
(Afrique du Sud, Nigéria, Algérie, Egypte) Je ne pense
pas que nous soyons véritablement un sujet pour eux aujourd'hui - pour
l'instant. Le Maroc est très présent dans les industries de
services ; l'Afrique du Sud, comme le Nigéria, sont plutôt fortes
sur les industries extractives. Par ailleurs, et contrairement au Maroc, ils
opèrent en Afrique anglophone : le Maroc n'est donc pas dans leur radar
immédiat. Ce petit pays de 35 millions d'habitants où l'on parle
français est plutôt une curiosité pour eux. C'est aussi un
grand avantage compétitif pour le Maroc, car ils ne nous voient pas
arriver sur leurs radars. Ils ont d'autres problématiques : ce sont des
Etats nations, l'un d'entre eux
89
fait partie des BRICS,É Il y a peut être eu une
petite crispation des sud africains au niveau de la place financière de
Casablanca.
b. Par les pays occidentaux (France, UK)
Nous sommes hypertrophiés en Afrique de l'Ouest. La
France, car nous sommes en train de nous substituer à leur ancien centre
de gravité.
c. Par la Chine et les grands
émergents
La Chine va délocaliser 80 millions d'emplois dans les
dix années à venir. Il y a deux approches : soit nous restons
dans l'approche protectionniste que je dénonce et qui consiste à
dire que la Chine est une menace ; soit nous les voyons comme acteurs avec qui
nous devons composer. Il faut être prudent. Dans le même temps, en
2002, la part d'exportations d'Afrique vers la Chine versus l'exportation de
matières premières était environ de 50%-50%. En 2013,
d'après l'ouvrage « Emerging Africa » de Steven
Radelet, on est à 80%-20% en faveur des industries extractives.
L'Afrique est en position de récupération de leurs
matières premières (notamment de matériaux essentiels pour
la fabrication de smartphones qui est aujourd'hui aussi précieux que le
diamant en RDC).
L'Afrique fait la même taille que la Chine en termes de
population et de taille, mais le facteur bloquant est que l'Afrique est
constituée de 54 pays, soit autant de frontières et de droits de
vote à l'ONU ; alors que la Chine, en tant qu'Etat nation, peut avoir
une stratégie cohérente. Ma conviction est donc qu'il faut qu'on
aille vers un marché unique africain.
19. Qu'en est-il donc Tarif Extérieur Commun de
l'UEMOA et du marché unique ? Aujourd'hui il n'y a pas de
leadership pour porter ces sujets. Il y a besoin d'un leadership pour favoriser
l'intégration régionale. Il y aura besoin, à un moment ou
à un autre, d'une conférence des arrières pensées
entre le Maroc et l'Algérie. Quand on parle de moteur, on parle toujours
de couple. Il y a besoin d'un couple pour faire marcher l'intégration
africaine. Le pays le plus riche par son sous-sol et le plus riche par ses
services sont condamnés à s'entendre et à dépasser
leurs différends, qu'ils le veuillent ou non, pour devenir les moteurs
de l'intégration régionale. Vous savez, il ne suffit de rien pour
que tout bascule. Aujourd'hui, un changement de leadership en Algérie
peut changer les choses très rapidement, en quelques mois. Je ne suis
absolument pas pessimiste.
20.
90
D'après vous, la forte proximité
culturelle et géographique entre le Maroc et l'Afrique subsaharienne
suffit-elle à expliquer la réussite des entreprises marocaines en
Afrique, là où d'autres grandes puissances ont jusque là
échoué à faire de même (dans les cimenteries, la
téléphonie, É) ?
Il n'y a pas de pays qui soit en situation d'accueil. Je
pense que le Maroc avait vocation à se développer à l'Est
parce qu'il y a une complémentarité économique avec
l'Algérie. Mais de cette contingence, le Maroc a su créer une
force : c'est par nécessité que le pays s'est projeté vers
le Sud. Je connais peu d'entreprises qui soient philanthropes ; elles vont en
Afrique pour gagner de l'argent : à ce titre, les filiales de Maroc
Telecom en Afrique ont l'EBITDA le plus important de toutes les filiales
d'entreprises de télécoms au monde. Les entreprises marocaines
ont compris que si elles misaient sur des cadres africains et sur moins
d'expatriés comparativement aux français, elles auraient un
avantage concurrentiel fort.
21. Qu'est ce qui pourrait contredire cette donne
dans les années à venir ? Est ce que le redémarrage
prévisible de la croissance en Europe ne risque pas de ramener le «
désir d'Afrique » à son niveau historique ?
Aucune position dominante n'est irréversible
aujourd'hui. Une réalité aujourd'hui pour le Maroc peut demain se
retourner à la faveur ou à la défaveur d'une situation
géopolitique complexe qui évolue. Une déstabilisation du
Sahel peut nous enlever toutes nos positions dans un certain nombre de pays.
Rien n'est acquis !
22. Quels sont les écueils à éviter
en s'implantant en Afrique ?
Il faut faire attention aux comportements moutonniers en
Afrique. Beaucoup de gens ont vu de la lumière et pensent qu'il suffit
d'entrer ; mais la réalité est beaucoup plus contrastée et
complexe.
Je ne dis pas qu'il faut prendre son temps avant de se lancer
sur le continent. Je dis qu'il ne faut pas y aller en pensant faire de la
croissance tout de suite. Il faut y aller dans l'idée de s'enraciner sur
le long terme. On ne peut pas aller en Afrique avec une logique de fonds
d'investissement. Il n'y a d'ailleurs pas de fonds d'investissement
dédié exclusivement au continent.
L'Afrique est une zone d'emportement, par exemple dans les
années 2000 l'une des couvertures de The Economist titrait
« the hopeless continent » alors qu'en 2012 le même
magasine titrait « Africa rising ». La réalité
est que nous ne pouvons pas passer d'un pessimisme endémique à un
optimisme béat...
91
b) Brahim Skalli (Alliances)
Directeur Stratégie et Partenariats d'Alliances,
leader marocain de la promotion immobilière.
1. Quelle est la stratégie de
développement d'Alliances en Afrique ?
Tout d'abord, il faut savoir que le Maroc est un pays qui a
connu une croissance forte en 2000-2010. Durant cette période, nous
avons quasiment doublé le PIB et le SMIC ; et il y a eu beaucoup
d'améliorations économiques. Avec la crise, nos principales
sources de croissance et nos principaux donneurs d'ordres ont connu un
ralentissement indéniable.
Depuis son accession au trône, Sa Majesté le Roi
Mohammed VI a une vision stratégique concernant le développement
des intérêts du Maroc en Afrique. Il a fortement encouragé
le secteur privé à se lancer dans cette direction et a eu raison
de le faire : le fait d'être déjà positionné sur un
continent en forte croissance comme l'Afrique nous donne une longueur d'avance.
Le continent va connaître une croissance de 5 à 10% sur les dix
prochaines années d'après les chiffres de la Banque Mondiale et
du FMI ; en termes de démographie, l'Afrique compte 1 milliard
d'habitants depuis 2010 et nous allons atteindre deux milliard en 2050. Le
potentiel et les besoins sont énormes.
L'immobilier était l'un des leviers de
développement les plus importants ces dix dernières années
en tant qu'un des principaux pourvoyeurs d'emplois et de croissance au Maroc
(BTP, politique des grands travaux, infrastructures). Les logements sociaux ont
ouvert un marché énorme de 30 milliards de dirhams qui se
développe chaque année. Le besoin est énorme, certes, mais
il reste qu'Alliance représente déjà 10% de parts de
marché au Maroc sur ce secteur ; et les 6-7 plus gros opérateurs
marocains se partagent 45% du marché. D'ici cinq ans, Alliances aura
atteint sa taille de maturité et la croissance sera limitée sur
le marché local. Ce positionnement du Maroc vers les pays africains a
donc été judicieux. Les entreprises qui ont atteint la taille de
champion national, c'est-à-dire celles ayant atteint leur
maturité sur le marché local, ont besoin de relais de croissance
en dehors du territoire si elles veulent voir leur chiffre d'affaires croitre
de manière significative dans les années à venir.
Nous considérons que trois conditions doivent
être réunies pour le succès de la promotion
immobilière en Afrique :
1. Le financement doit exister (crédits
hypothécaires, crédits promoteurs, capacité des
acheteurs à acheter des maisons et à s'endetter sur
plusieurs années notamment),
2.
92
L'écosystème du foncier doit exister
également (cadastre, enregistrement, hypothèque,
système juridique relatif au foncier, etc),
3. La fiscalité doit être
avantageuse, et notamment pour le logement social pour qu'il soit
rentable.
En ce qui concerne les projets d'infrastructures, le besoin
est énorme en Afrique et pour que cela fonctionne, il faut des commandes
de l'Etat, des garanties par des agences multilatérales (garantie risque
pays, garantie crédit, etc) et il faut un financement par des banques
locales ou des partenaires.
2. A partir de là, comment procédez-vous
pour identifier les pays d'Afrique où vous allez vous implanter
?
Lorsque nous analysons la carte de l'Afrique à la
lumière des critères cités ci-dessus, nous regardons
ensuite :
1. Les pays africains où sont
implantées des banques marocaines : elles nous connaissent
bien, savent comment nous fonctionnons et nous pouvons avancer rapidement sur
la mise en place d'un schéma de financement.
2. Les pays francophones principalement,
3. Les pays qui ne présentent pas de risque
politique : nous nous basons sur les informations du Ministère
des Affaires Etrangères français et marocain, la Coface, la
garantie MIGA (dédiée à l'Afrique), les ambassades et les
contacts à haut niveau sur place.
Sur ces pays, nous avons poussé notre analyse et
identifié trois types de marchés :
- Les marchés étroits : le
nombre de ménages solvables et la consommation de ciment y sont faibles.
Nous devons faire attention à la manière dont nous
pénétrons ces marchés car nous pouvons facilement les
déstabiliser ;
- Les marchés prometteurs : ceux que
nous allons analyser de plus près et qui sont très porteurs ;
- Les marchés complexes (Tunisie et
Nigéria) : même si ce sont des marchés importants, les
risques le sont tout autant. Si l'on prend l'exemple du Nigéria, la
corruption y est endémique, le droit instable, le financement
problématique et les marchés souvent donnés de gré
à gré. Il faut réfléchir à la manière
de pénétrer ces marchés, peut-être en trouvant un
partenaire local, mais ce n'est pas une priorité.
Au final, en excluant la Tunisie et le Nigéria, le
marché potentiel dont on parle ne représente qu'une fois le
marché marocain uniquement !
93
3. Où êtes-vous implantés en Afrique
aujourd'hui ? Par niveau d'avancement :
1. Nous sommes actuellement implantés en Côte
d'Ivoire. Nous avons signé un accord avec le gouvernement pour la
construction de 14 000 logements sociaux et avons démarré la
première partie du projet, sans partenaire local.
2. Nous avons signé il y a moins d'un mois un accord
avec le gouvernement sénégalais pour la construction d'un nouveau
pôle urbain près de Dakar dans le cadre d'un partenariat
public/privé. Notre rôle est de viabiliser le terrain, de vendre
une partie à d'autres promoteurs et de développer le reste. Le
projet est en cours de lancement.
3. D'autres discussions ont été initiées
lors de la tournée royale en Afrique avec le Congo Brazzaville, Mali, le
Cameroun, la Guinée pour des projets de promotion immobilière
à approfondir.
4. La position du pays en question vis-à-vis
du dossier du Sahara impacte-t-elle votre décision de vous implanter
?
La prise de position du pays sur la question du Sahara joue
en effet un rôle dans notre décision de nous implanter ou non.
L'un de nos critères de sélection du pays est sa proximité
politique du Maroc : bien sur, si les relations diplomatiques sont importantes
et intenses comme avec la Côte d'Ivoire et le Sénégal,
c'est plus facile qu'avec le Nigéria.
5. Comment gérez-vous les ressources humaines en
Afrique ?
Nous sommes convaincus qu'il faut aller en Afrique avec une
culture de l'humilité. Il ne faut pas y aller en donneurs de
leçons ; il faut avoir confiance en la compétence locale. Il faut
recruter en local et réaliser des transferts de savoir-faire entre
expatriés marocains formés à la promotion
immobilière chez Alliances et cadres locaux.
6. L'anglais est-il une barrière importante
pour s'implanter en Afrique anglophone ?
Oui, car les ressources humaines et les compétences
sont un gros paramètre du développement en Afrique. Nous avons
l'impression que l'on peut exporter les schémas marocains et les
dupliquer, mais cela dépend fortement des ressources humaines.
Dans notre métier, faire de la promotion
immobilière c'est avoir des ressources humaines locales qui arrivent
à piloter, lancer, construire, vendre et encaisser un projet. Or il
faut
trouver des gens capables de faire cela ailleurs, et les
cadres expatriés d'Alliances qui vont les encadrer sont des francophones
et ils ne parlent pas forcément l'anglais.
7. Que pensez-vous du principe de coopétition
pour se lancer en Afrique ? Y avez-vous recours ? Si oui, détails
?
Comme nous sommes concurrents sur notre marché
principal, nous ne pouvons pas faire de projets communs à
l'extérieur, il n'y pas de logique industrielle à procéder
comme cela. Nike ne va pas s'associer à Reebok pour attaquer le
marché chinois !
En revanche, nous réfléchissons à des
montages de ce type à travers des partenariats avec des institutions
multilatérales telles que la BAD, la Banque Mondiale, la BERD,
l'AFDÉ Ces agences sont très intéressées par le
financement du développement en Afrique. D'autre part, notre
capacité d'investissement et d'endettement étant limitée,
nous ne pouvons pas nous engager seuls sur 25 pays. Coopérer avec ces
structures multilatérales de financement signifie que l'on peut
envisager ensemble le montage d'opérations plus importantes en
Afrique.
8. Quelle place donnez-vous à l'intelligence
économique dans votre stratégie de
déploiement en Afrique ? Quels outils et canaux
utilisez vous aujourd'hui ? Nous n'avons pas de département
d'intelligence économique formalisé en interne, mais nous pouvons
dire que nous avons trois niveaux d'intelligence économique à ce
jour : - En interne, nous suivons de près ce que font
nos concurrents marocains en Afrique, - Nous faisons appel à des
cabinets de conseil externes pour réaliser les études
de
marchés :
o Soit avec des grands cabinets immobiliers (CBRE, JLL,
Colliers notamment) qui ont des bureaux sur place et qui peuvent nous fournir
des études de marché précises et détaillées
;
o Soit on avec des cabinets de conseil en stratégie
qui réalisent pour nous des études de marché afin de nous
renseigner sur quels types de produits attendent les consommateurs, qui sont
les principaux opérateurs locaux, quels sont les coûts de
construction...
- L'équipe de développement
Afrique, qui est constamment en déplacement, origine les
partenariats et les deals d'une part et fait de l'intelligence
économique d'autre part : elle suit les marchés, les
opérations qui sont réalisées, les principaux
acteurs...
94
9. Quels budgets sont alloués à l'IE
?
95
Il n'y a pas de budget spécifiquement alloué
à l'intelligence économique. Nous finançons principalement
un budget annuel pour les déplacements de l'équipe Afrique. Une
fois qu'ils identifient l'opportunité et que nous avons un contact
à haut niveau qui la confirme, nous lançons alors l'étude
de marché. C'est un budget alloué en plus selon la
validité ou non de l'opportunité. Ensuite, au niveau interne,
nous faisons un suivi constant du développement des opérateurs
marocains en Afrique. Nos sources d'informations proviennent principalement
d'internet, de la presse, des rapports annuels, des assemblées
générales et des présentations investisseurs des
concurrents.
10. Qui a accès à cette information
?
Cette information est destinée à la direction
générale et à l'équipe Afrique uniquement.
11. La partagez-vous avec d'autres opérateurs
marocains souhaitant s'implanter sur place ?
Non, car nous considérons cela comme des informations
stratégiques.
12. Quel est le rôle du secteur bancaire dans
la remontée d'informations économique?
Les banques jouent un rôle crucial dans notre
développement sur le continent : une fois que nous arrivons sur place,
ils nous présentent les sociétés les plus importantes dans
la construction, les partenaires juridiques, les avocats, les fiscalistes. Cela
facilite énormément notre entrée sur le marché.
13. Quelles ambitions pour l'intelligence
économique en interne dans votre entreprise dans les années
à venir ?
Nous avons réfléchi à cette question et
notre volonté est d'organiser l'intelligence économique du groupe
en trois pôles centralisés par la direction que je dirige
(stratégie et partenariats) :
- Une veille macroéconomique au niveau
de la direction de la stratégie suivant l'évolution politique, le
PIB, les taux d'intérêts, la position du Maroc vis-à-vis
des marchés extérieurs, la production de ciment, le niveau de
liquidités du marché financier, le marché boursier...
- Une veille métier au niveau de
chaque pôle d'activité d'Alliances. Elle doit suivre tous les
projets en cours, ce qui est vendu ou non, à quel prix, quelle marge...
Cette
base de données existe déjà au niveau de
notre pôle « résidentiel haut de gamme et golfique » et
nous souhaitons la dupliquer sur notre activité de logement social et de
construction ;
-- Une veille financière pour
surveiller les communications financières des concurrents, les annonces
de contrats, les projets de développement des concurrents...
14. Existe-t-il un suivi étatique
post-tournées royales en Afrique ?
Oui, une commission a été créée
pilotée par le Ministre des Affaires Etrangères qui réunit
l'ensemble des entreprises qui ont fait partie de la tournée royale en
Afrique. Des réunions mensuelles sont organisées pour faire le
suivi des partenariats signés dans le secteur privé.
15. Existe-t-il une mutualisation de l'expertise et
des ressources en intelligence économique avec l'Etat pour un partage de
l'information économique et commerciale à l'échelle
nationale ?
C'est fait, mais de manière informelle. En rencontrant
un ambassadeur, ou un ancien ambassadeur d'un pays où nous souhaitons
nous implanter, nous avons accès à une quantité
d'informations considérable et à une connaissance très
pointue de ces marchés. Néanmoins, cette intelligence
économique n'est pas formalisée et se partage surtout grâce
aux contacts.
En revanche, le Ministère des Affaires
Etrangères français a formalisé de nombreuses
études en intelligence économique, il y a des rapports en ligne
sur les risques pays notamment.
16. Avez-vous entendu parler de la feuille de route
de l'AMIE pour une stratégie d'IE nationale ? Que pensez-vous de leurs
propositions ?
Non, je n'en ai pas entendu parler.
17. Comment est accueillie votre implantation en Afrique
: a. Par les autres leaders africains (Afrique du Sud,
Nigéria)
Pour l'instant, ils regardent de loin le déploiement du
Maroc en Afrique. Leurs marchés de prédilection sont les pays
anglophones ; les pays francophones ne faisaient pas vraiment partie de leur
stratégie d'expansion, tout du moins dans le secteur immobilier. Pour
l'instant, il n'y a pas d'interactions avec ces acteurs. Nous sommes en train
de prendre de l'avance !
96
b. Par la France
97
L'approche du Maroc sur les pays d'Afrique est très
différente de celle des pays occidentaux. Contrairement à eux,
nous n'allons pas dans ces pays pour leurs ressources naturelles. Nous y allons
en tant qu'investisseurs et vendeurs ; alors que les pays occidentaux y vont
principalement pour acheter de la matière première peu
chère, la transformer et la revendre. Quant à nous, nous
exportons la banque, les télécoms, l'immobilier.
Nous pensons qu'il y a une période d'acclimatation au
marché pour rentabiliser nos investissements ; mais à terme, nous
seront en position de first movers, et c'est la position idéale
pour attaquer un marché.
c. Par la Chine et les grands
émergents
Ils sont très présents sur la partir grands
travaux, mais je dirais même qu'ils sont tellement gros que ce ne sont
pas nos concurrents. Ils construisent à la fois une mine, l'autoroute
qui y mène, la ville,... avec des milliards de dollars
d'investissements. Nous ne jouons pas dans la même cour. Hier, le forum
« China-Africa Investment Meetings » organisé par la BMCE Bank
le 24 et 25 juin 2014 avait pour but de promouvoir un schéma de
coopération sino-maroco-africaine dans laquelle la Chine apporte son
savoir faire en termes d'infrastructures et de moyens, et le Maroc son
savoir-faire en termes de pénétration des marchés, de
services et de financements. Nous nous voyons plutôt comme
complémentaires !
98
c) Mamoun Tahri Joutei (BMCE Bank)
Responsable du département d'intelligence
économique de BMCE Bank, l'une des plus grandes banques
marocaines.
1. Pouvez-vous me parler de la stratégie de BMCE
Bank en Afrique ?
BMCE Bank a fait le choix stratégique de se
développer en Afrique depuis le début des années 1980. La
première coopération a eu lieu avec le redressement de la Banque
de Développement du Mali et s'est poursuivie avec la prise de
participation dans La Congolaise de Banque en 2003. Suite à ces deux
succès, BMCE Bank a accéléré ses investissements en
Afrique en 2008 avec une prise de participation majoritaire dans le groupe Bank
of Africa (BoA), présente dans plus de 17 pays d'Afrique francophone et
anglophone (Kenya, Ghana, Ouganda et Tanzanie). L'idée, chère au
Président du Groupe BMCE Bank, est que nous soyons présents dans
les 54 pays d'Afrique d'ici quinze ans.
Notre logique de développement en Afrique se fait avec
le souci majeur du respect des identités et des cultures locales. Ceci
implique une adaptation et une déclinaison locale de nos services et
c'est ce qui fait notre force aujourd'hui en Afrique : nous
réfléchissons par exemple actuellement à la mise en place
du crédit à la consommation au Sénégal à
travers notre filiale BoA, sur le modèle du succès de notre
filiale Salafin au Maroc. Nous sommes dans une logique de transfert de
compétences dans les deux sens. Ainsi, nous nous inspirons par exemple
du mobile banking qui explose sur le continent et pour voir dans quelle mesure
cela peut fonctionner chez nous. D'autre part, la majorité des patrons
de filiales de BMCE Bank sur le continent sont des dirigeants des pays en
question ; les dirigeants de filiales d'Afrique qui sont marocains sont peu
nombreux.
2. Pouvez-vous me parler du centre d'intelligence
économique de BMCE Bank et de ses développements ?
Le Département des Etudes et Documentation de BMCE Bank
a été créé en 1959 par Dahir Royal, en même
temps que la banque. L'une des premières missions du Dahir inscrit
l'intelligence économique au coeur des préoccupations de la
banque, en citant « la collecte, le traitement et la diffusion gracieuse
d'information économique et financière à l'ensemble des
opérateurs » (ambassades, ministères, universitaires,
étudiants...).
Lorsque la banque a été privatisée en
1995, le président a demandé à ce que la mission de
collecte et de diffusion de l'information continue. Ce n'est que dans les
années 2000 que le Centre d'Intelligence Economique à proprement
parler a été créé.
99
Nous fonctionnons de deux manières :
- Nous avons au préalable analysé les besoins
des différents départements de la banque en termes d'intelligence
économique et réalisons des travaux de manière
récurrente pour y répondre ;
- Les autres entités de la banque peuvent
également nous solliciter pour tout projet plus ponctuel de collecte et
d'analyse d'information.
3. Quelles sont les activités du
département d'intelligence économique ?
Notre département se structure autour de quatre
activités :
- La veille stratégique : Le but de
cette entité est de devenir un gestionnaire de données
économiques et financières et pas uniquement de données de
presse papier. Lorsque j'ai intégré la banque en 2005,
près de la moitié des travaux était consacrée
à des traitements de journaux papiers, contre 5 à 10%
aujourd'hui. Nous avons 55 ans d'expertise et avons recours à un outil
automatisé de collecte et d'agrégation qui envoie quotidiennement
des veilles ciblées aux départements concernés. Pour moi,
la veille ne consiste pas uniquement en la détection et l'analyse de
signaux forts et de signaux faibles. Je considère qu'un autre aspect
fondamental de l'intelligence économique tient à la gestion des
bases de données. Je pense par exemple au risque pays et à la
notation des pays africains : cela correspond à du traitement de
données à forte valeur ajoutée, car cela nous donne de la
visibilité sur le continent. C'est aussi de la veille car nous voyons
les pays évoluer : au bout de deux ou trois ans, nous pouvons alerter
sur un pays qui s'améliore grandement ou un pays qui se dégrade
fortement. Cela nous permet d'identifier des opportunités dans un pays
ou chez un client ; et il faut maitriser le traitement de ce type
d'informations à travers des logiciels statistiques notamment.
- L'analyse sectorielle et économique
: l'analyse sectorielle est une analyse que la banque a toujours
menée dans l'objectif d'analyser les risques d'une cinquantaine de
secteurs de l'économie marocaine et d'accompagner sa politique
commerciale. Au niveau de l'analyse économique, nous faisons de la
modélisation et du suivi de conjoncture au Maroc et en Afrique.
L'idée aujourd'hui est d'avoir un suivi économique, politique,
culturel et financier de l'ensemble des pays africains et des meilleures
cibles. Nous suivons actuellement environ 20-25 pays de très près
sur le continent. Il y a une collecte qui se fait déjà
automatiquement, et nous sommes en train de développer un axe important
d'analyse de ces informations en Afrique.
100
- La connaissance territoriale : elle
concerne exclusivement les régions marocaines. Nous avons mis en place
un observatoire des régions qui réunit un ensemble d'informations
régionales : les points d'intérêts autour d'une ville, la
structuration du réseau BMCE et de ceux de la concurrence, etc.
- La connaissance de notre clientèle :
nous analysons principalement leurs comportements et faisons du
profiling.
4. Partagez-vous vos travaux avec d'autres
opérateurs marocains souhaitant s'implanter en Afrique ?
Nous partageons beaucoup d'informations avec les
opérateurs marocains de manière générale. Tout
d'abord, nous publions annuellement la revue « Le Maroc en chiffres
», qui consolide des données sur près de cinquante secteurs
d'activité du Maroc. Cette revue est conçue en partenariat avec
le Haut Commissariat au Plan, et est publiée et financée par BMCE
Bank depuis 1963.
Il y a également les publications de l'Observatoire de
l'Entrepreneuriat (
www.ode.ma) dans lesquelles nous
partageons de l'information sectorielle sur le Maroc. Nous organisons
également des conférences dans le but d'apporter de l'expertise
aux entrepreneurs en leur offrant des espaces d'échanges pour qu'ils
puissent dialoguer, apprendre et partager. A titre d'exemple, les deux
dernières conférences organisées ont accueilli Daniel
Cohen à Casablanca et Edgar Morin à Marrakech.
En ce qui concerne l'Afrique, nous partageons nos
publications annuelles « African Outlook ». Toutefois, nous ne
partageons nos veilles sur l'Afrique qu'avec nos partenaires africains et non
pas avec l'ensemble des opérateurs marocains car nous considérons
que c'est de la connaissance stratégique. Ce sont des outils puissants
au travers desquels toute l'information à haute valeur ajoutée
remonte...
5. Quel est le rôle du secteur bancaire dans la
remontée d'informations économique ?
Les banques marocaines implantées en Afrique apportent
énormément aux entreprises qui veulent s'implanter. Il faut
savoir que les entreprise ne veulent qu'une chose : être mises en
relation avec les acteurs locaux car elles ne connaissent pas le marché.
Les banques marocaines sont donc pour elles de formidables points de contacts
pour trouver des opportunités d'affaires sur le continent.
101
Mardi dernier se sont par exemple tenus les « China
Africa Meetings » organisés par la BMCE Bank, qui ont permis une
cinquantaine de rencontres B2B entre clients marocains, africains et
partenaires chinois. Notre rôle va donc au delà du financement de
projets !
6. Existe-t-il un suivi étatique
post-tournées royales en Afrique ? Comment est ce que l'Etat et le
gouvernement vous soutiennent ?
Une commission a été mise en place pour assurer
le suivi des partenariats signés lors de la dernière
tournée royale en Guinée, au Mali, au Gabon et en Côte
d'Ivoire.
Le soutien diplomatique à notre action est tout
d'abord primordial. Le roi est le premier des soutiens en termes de politique
économique étrangère : les tournées royales
accompagnées de délégations d'officielles et de chefs
d'entreprises ouvrent la voie à l'implantation du secteur privé
marocain en Afrique. L'OCP a par exemple lancé l'investissement pour la
construction d'usine de production d'engrais au Gabon suite à cette
tournée royale.
Par ailleurs, le soutien de la Banque Centrale est
fondamental. Elle nous accompagne, nous oriente ; nous partageons avec elle
toute l'analyse que nous faisons de ces pays. Nous apprenons mutuellement l'une
de l'autre.
7. Quel doit être le rôle de l'Etat et du
gouvernement dans la stratégie d'IE ?
Je considère qu'il y a deux enjeux sur lesquels le
Maroc se doit de développer une intelligence économique :
- Tout d'abord, pour défendre nos
intérêts sur la question du Sahara marocain. C'est
là qu'il faut développer une approche offensive d'intelligence en
étant présents sur les réseaux sociaux et défendre
notre intégralité territoriale. Nous parlons donc d'intelligence
économique dans son aspect d'influence.
- Ensuite, pour prospecter des marchés
étrangers : il faut un partenariat d'intelligence
économique publique et privée pour aider les entreprises
marocaines à trouver des débouchés en Afrique. C'est ce
que commence à faire Maroc Export notamment. Et encore, la
réponse n'est pas simple ni unique. Les contrats stratégiques de
grande envergure ne sont pas concernés par l'intelligence
économique mais par le soutien du roi : si nous considérons
l'usine Renault à Tanger par exemple, fondamentale pour notre
économie, nous nous rendons compte que seul le roi a pu garantir 50% de
l'investissement alors que Renault avait l'intention de se retirer.
Je pense que l'Etat ne doit pas se disperser et se concentrer
sur ces deux points. Il y a également le sujet de la
sécurité informatique, de la culture de la confidentialité
que nous
102
n'avons pas au Maroc, du passage d'une culture orale à
une culture écriteÉmais c'est une autre histoire.
8. Existe-t-il une mutualisation de l'expertise et
des ressources en intelligence économique avec l'Etat pour un partage de
l'information économique et commerciale à l'échelle
nationale ?
Comme je vous l'ai expliqué, nous partageons beaucoup
d'informations avec les autorités ; il y a également les
publications croisées entre la BMCE Bank et le Haut Commissariat au Plan
qui profitent à l'ensemble des opérateurs économiques
marocains. Tout d'abord, nous sommes engagés auprès de la Banque
Centrale, comme toutes les banques marocaines, à consolider les risques
et le contrôle interne sur chacune de nos filiales et de faire remonter
l'information de manière homogène à la Banque Centrale
dans le cadre du projet structurant « Convergences ».
En revanche, je pense qu'il n'est par exemple pas possible de
demander au Haut Commissariat au Plan et au Ministère des Finances de
mutualiser leurs publications en matière d'intelligence
économique car il convient de conserver une indépendance des deux
institutions.
Il serait néanmoins intéressant de mettre en
place un portail de diffusion et d'agrégation des études en
intelligence économique au niveau gouvernemental ; d'autant plus que
c'est facile à mettre en place.
9. Avez-vous entendu parler de la feuille de route de
l'AMIE pour une stratégie d'intelligence économique nationale ?
Que pensez-vous de leurs propositions ? Au Maroc, le sujet de
l'intelligence économique doit être davantage cadré.
Considérons-nous par exemple qu'une étude de marché, une
analyse pays ou de comportements de consommateurs constitue de l'intelligence
économique ? La DGED (Direction Générale des Etudes et de
la Documentation) existe : considérons-nous cela comme de l'intelligence
économique ?
L'intelligence économique au niveau de l'Etat et du
gouvernement doit-elle être défensive ou offensive ? Les deux ?
Devons-nous y intégrer le renseignement ? En France, une bonne partie de
l'intelligence économique provient du militaire. Doit-on faire de
même au Maroc ? Il y a toute une réflexion à mener en
amont.
Dans ce sens, je pense qu'il est nécessaire de
préciser tous ces éléments et de procéder à
des choix forts avec de décliner une charte nationale d'intelligence
économique. Celle proposée
103
par l'AMIE a la mérite d'exister mais elle devrait
éventuellement être encore plus spécifique pour accompagner
l'action très ciblée de l'Etat et du gouvernement.
10. Comment est accueillie votre implantation en
Afrique par les autres puissances régionales (Afrique du Sud,
Nigéria), émergentes (Chine) et occidentales (France notamment)
?
Aujourd'hui, les entreprises marocaines se battent sur un
continent qu'une bonne partie des entreprises françaises ont
quitté car elles ne souhaitent plus gérer le risque pays en
Afrique. Elles ont compris qu'elles devaient passer par des entreprises
marocaines, qui ont cette approche différente et qui leur permet
d'être plus performantes en Afrique.
En ce qui concerne la Chine, nous ne sommes pas leurs
concurrents au vu de la différence de taille. Nous nous positionnons
plutôt comme partenaires. L'objectif de la conférence
sino-marocco-africaine organisée par BMCE Bank la semaine
dernière était en effet d'initier des contacts entre les
différentes parties prenantes pour mener des projets conjoints.
104
d) Ghita Lahlou et Nadia Fettah (Saham Group)
Ghita Lahlou (G.L), DG de Saham Santé et Saham
Offshoring et de Nadia Fettah (N.F), Directrice Générale
déléguée Saham Finances en charge des finances et du
M&A.
Saham Group est le leader marocain des assurances vie et
non-vie.
1. Pouvez-vous nous parler de la présence de
Saham en Afrique aujourd'hui ?
G.L : Le développement de Saham en Afrique
s'est fait de manière très rapide. Jusqu'en 2010, nous nous
sommes cantonnés au marché marocain. En l'espace de trois ans, le
groupe a opéré une mutation significative : nous avons acquis la
totalité du capital de Colina en 2010, qui a 15 filiales d'assurances
dans 13 pays ; et Global Alliance Seguros en 2012 en Angola. Aujourd'hui, 50%
du chiffre d'affaires et 70% du résultat net du groupe sont
réalisés en Afrique. Ce transfert a été salutaire :
nous nous sommes rendu compte que le marché marocain était trop
étroit et qu'il ne nous permettrait pas d'atteindre à lui seul
nos ambitions. En effet, entre 2004 et 2010, nous étions principalement
tournés vers l'Europe ; or nous étions trop petits pour apporter
une véritable valeur ajoutée. Notre président a
considéré qu'il fallait alors se déployer dans des pays
où notre savoir faire là où nous avions la
légitimité pour nous développer.
Il se trouve que le continent africain totalise un PIB de 5
000 milliards de dollars à ce jour, et les estimations sont de 29 000
milliards de dollars en 2050. Le continent émerge au même titre
que la Chine ou l'Inde il y a dix ans, et est un formidable vecteur de
croissance pour nous.
Aujourd'hui, le groupe Saham est le premier opérateur
d'assurances en Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) et est
implanté dans 22 pays.
2. Quelle a été/est votre
stratégie développement en Afrique et quelle est votre valeur
ajoutée ?
G.L : Nous considérons tout d'abord qu'il faut
atteindre une certaine masse critique pour se déployer
en Afrique. Ensuite, il faut avoir un réseau d'implantations
et ne pas considérer les pays pris séparément
afin de mutualiser et de minimiser les risques. Les 54 pays pris
isolément ne représentent rien en termes de marché et les
opérateurs qui s'implantent dans un seul pays africain sont peu
nombreux. Le risque pays est trop important pour placer toutes ses billes dans
le même panier.
Il faut donc identifier des « grappes
», c'est à dire des compagnies d'assurances africaines
implantées dans plusieurs pays et dans lesquelles nous pourrions
potentiellement investir.
105
Dans notre cas, nous en avions identifié trois, mais
qui n'étaient pas vendeuses. Une opportunité exceptionnelle s'est
présentée avec l'une d'elles (Colina) car nous avons pu racheter
les parts d'un actionnaire (personne physique) grâce à la mise en
relation par un contact.
A partir de là, nous avons réalisé que
pour faire des deals en Afrique, il faut littéralement «
être » en Afrique et ne pas être conseillé par
des banques européennes. Voici ce qui se passe avec celles-ci : soit le
deal a fait plusieurs fois le tour de la place, soit le prix est trop cher car
des fonds ont déjà fait des propositions survalorisées
donc ce n'est plus intéressant. Dès lors, nous faisons tous nos
deals en direct à travers notre cellule de M&A en interne. Les deals
se font ainsi très rapidement et dans la confidentialité la plus
complète.
La seule raison pour laquelle nous faisons appel à une
assistance extérieure est pour le financement de nos opérations :
nous avons fait appel à JP Morgan pour notre levée de fonds qui a
abouti à une augmentation de capital de 250 millions de dollars par la
SFI et Abraaj Capital dans le but de financer nos opérations sur le
continent.
Enfin, nous ne changeons rien au fonctionnement des
entreprises que nous rachetons car en général, elles
fonctionnent bien. Nous apportons de la valeur ajoutée par notre
structure légère, du conseil par la holding et des synergies
notamment. Par exemple, nous avons organisé des pôles
régionaux au sein de Colina qui nous permettent de fonctionner avec des
règlementations régionales spécifiques et de surmonter la
barrière de la langue (nous sommes implantés en Afrique
anglophone et lusophone notamment).
N. F : Nous connaissons bien notre sujet et sommes
suffisamment sophistiqués pour apporter de la valeur en termes
d'expertise, de bonne gouvernance, de gestion financière ; nous sommes
aussi suffisamment jeunes pour ne pas être dogmatiques. Nous avons une
capacité d'adaptation exemplaire car nous avons une mémoire de ce
qu'était le marché marocain il y a 30 ans. Nous avons fait un
saut qualitatif qui nous fait penser que nous pouvons apporter beaucoup
à nos filiales africaines, mais sans le côté dogmatique
allemand, français ou américain.
3. Comment faites-vous pour surmonter la
barrière de la langue ?
N.F. : La langue est un sujet, mais c'est surtout tout
ce qu'il y a derrière qui pose problème : la langue c'est une
culture et une façon de faire des affaires. Nous avons là un
véritable challenge à relever car nous sommes dans cinq pays qui
ne sont pas francophones. Même si l'Angola est un pays lusophone, la
compagnie que nous avons rachetée était gérée par
des suds africains donc c'est plus facile pour nous. Tout le monde chez Saham
se met aux cours
106
d'anglais et nous essayons de plus communiquer en anglais.
C'est un travail de longue haleine.
Nous essayons aussi de ne pas tout gérer à
partir de Casablanca : nous avons un hub à Abidjan qui chapeaute dix
pays et nous sommes en train d'en mettre un en place à Maurice pour
l'Afrique de l'Est et l'Afrique Australe. Le Nigéria et l'Angola sont
suffisamment gros pour être gérés
séparément.
4. Comment êtes vous accueillis par vos
concurrents internationaux sur le marché des assurances en Afrique
?
G.L : L'Afrique du Sud totalise 75% du secteur des
assurances en Afrique (ils sont très présents en Afrique de l'Est
et Centrale); et nous nous partageons les 25% restants avec les autres
opérateurs. Il y a tout le temps des Sud Africains sur les deals,
notamment au Nigéria et en Angola. Les marocains ont la même
approche. Ce sont nos concurrents les plus sérieux.
Les entreprises occidentales, quant à elles, ont du mal
à croitre en Afrique. Axa, par exemple, se pose des questions quant
à sa stratégie africaine car ses coûts de structure sont
énormes du fait du nombre élevés d'employés
expatriés. Les entreprises européennes n'ont pas les mêmes
réflexes et les mêmes approches que les entreprises marocaines ou
sud africaines. Par ailleurs, l'Afrique ne représente qu'un petit
marché pour elles (1 milliards de $ sur un total de 100 milliards de
dollars pour Allianz par exemple). Pour Saham, c'est 50% de son chiffre
d'affaires qui est réalisé en Afrique aujourd'hui.
Les entreprises chinoises et japonaises sont aussi
présentes. Les fonds souverains chinois veulent se développer sur
tous les secteurs en Afrique et notamment dans les assurances. Ils sont encore
en retard par rapport à nous, mais ils commencent à s'y
intéresser.
N.F : RMA Watanya était candidate au rachat de
Colina et avait d'ailleurs beaucoup plus de chances que nous de l'emporter
parce Bank of Africa (dont BMCE Bank est actionnaire, au même titre que
BMCE Bank est actionnaire de RMA Watanya) et Colina avaient des participations
croisées. Je pense que nous avons une agilité et une
rapidité d'exécution remarquables. Nous avons racheté
Colina en trois mois. Je pense que cela peut faire la différence car il
y a peu d'opportunités sur le marché. Souvent, nous sommes dans
une démarche proactive, c'est à dire que nous n'achetons pas des
compagnies à vendre mais des compagnies que nous avons envie d'acheter :
il faut déjà les convaincre puis agir rapide pour être les
seuls acheteurs possibles. Par rapport aux assureurs marocains, nous avons
juste un peu d'avance. Celle-ci fait qu'il y a très peu de
réseaux à acheter aujourd'hui. Nous commençons à
acheter des compagnies isolées que l'on rattache au réseau de
Colina ; nous
107
avons un vivier de managers que l'on peut envoyer en Afrique.
Nos confrères ont eu un peu plus de mal et ont mis un peu plus de temps
là où nous sommes allés avant tout le monde, au moment de
la crise en Côte d'Ivoire en 2010 où l'on nous prenait pour des
fous.
Les suds africains quant à eux sont nos concurrents
mais ils n'arrivent pas à monter vers le nord. Ils ne sont pas
très bien accueillis en Afrique du Nord et de l'Est. Dans la
mémoire des gens, les Afrikaners ont gardé une démarche
colonialiste qui est très mal vécue par les populations noires
d'Afrique anglophone ; et l'Afrique de l'Ouest est très
éloignée de leur culture. Ils sont presque prêts à
pactiser avec nous pour s'y implanter, ils pensent que notre histoire est
intéressante.
5. La position du pays en question vis à vis
de la question du Sahara marocain impacte-t-elle votre décision de vous
implanter ?
N.F : Bien sûr, il y a des pays qui peuvent
poser problème mais cela va de mieux en mieux. Nous sommes un groupe
très indépendant, nous passons par l'Office des Changes que nous
informons très en amont des pays où l'on veut investir et le
Maroc est un pays très libéral. Néanmoins, il n'est pas
judicieux pour nous de nous implanter dans un pays qui n'est pas un ami du
Maroc car cela peut aller jusqu'à la confiscation de nos biens.
Typiquement, l'Angola a été très proche de
l'Algérie ; depuis peu les relations se sont améliorées
avec le Maroc et il y a même une liaison aérienne directe qui nous
relie. Nous sommes le seul groupe marocain à y être
implantés.
6. Quelle place donnez-vous à l'intelligence
économique dans votre stratégie de développement en
Afrique ?
G.L : Nous n'avons pas de structure d'intelligence
économique en interne à proprement parler et nous ne partageons
pas nos recherches avec nos collaborateurs : elles sont destinées
à la direction générale.
N.F : Nous commençons à nous
équiper en matière d'intelligence économique. Nous
pensions que tout ce qui arriverait par ce biais ne représenterait pas
des opportunités intéressantes pour nous car les deals
annoncés sont souvent trop chers, ou l'information n'est pas fiable.
Mais nous sommes réalistes, nous sommes trois chez Saham à
travailler sur le développement en Afrique. Compter uniquement sur nos
réseaux et nos déplacements va nous coûter de plus en plus
cher/ Nous sommes en train de tester des bases de données et faisons
appel à un cabinet de conseil qui nous envoie des bulletins de veille
presse hebdomadaires. Nous sommes devenus un acteur suffisamment important pour
construire notre propre intelligence
108
économique. Nous le faisons, donc, mais de
manière très modérée à ce jour avec l'espoir
de structurer.
7. Quelles sont vos sources d'information ?
G.L : Nous obtenons les informations dont nous avons
besoin par le bouche à oreille, par le réseau, par les courtiers,
par nos banquiers avec qui nous travaillons en réseau et par nos deux
coactionnaires (les fonds d'investissement SFI, filiale de la Banque Mondiale,
et Abraaj Capital qui sont très présents en Afrique). Par
exemple, nous avons acheté les assurances Corar-AG au Rwanda à
l'Eglise Catholique. Les réseaux ismaïliens sont très
puissants en Afrique de l'Est, tout comme les réseaux libanais en
Afrique de l'Ouest... Ce sont des microcosmes où il faut avoir ses
entrées et c'est là que ce situe le coeur de notre intelligence
économique, si nous pouvons l'appeler comme cela.
Ce n'est pas du tout une stratégie « d'artillerie
lourde » à l'européenne où nous allons payer
très cher des cabinets de conseil pour réaliser des études
de marché quand on considère les primes d'assurances dans
certains pays africaines (dix millions de dollars au Kenya par exemple, ce qui
n'est pas beaucoup). C'est d'ailleurs pour cela que les assureurs ou autres
entreprises européennes ne parviennent pas à croitre sur ces
marchés : les coûts d'expatriation de leurs employés sont
beaucoup trop important pour que l'opération soit rentable.
N.F : Je me suis toujours occupée de
l'exécution du M&A chez Saham. Ce que les gens ne savent pas, c'est
que nous étudions des compagnies d'assurances africaines depuis 2006,
sans succès au début. Nous avons fait beaucoup de terrain,
voyagé dans le Maghreb et en Afrique subsaharienne, nous construisons un
réseau de personnes qui permettent, à force, de repérer
les bonnes affaires. Du coup, quand nous avons rencontré Colina, nous
savions que c'était l'opportunité à saisir : la compagnie
était bien gérée par d'excellents managers et elle
était d'emblée implantée dans plusieurs pays, ce qui est
plus facile pour nous pour rentabiliser notre investissement. Le patron de
Colina, Raymond Farhat, est un libanais qui a vécu trente ans en
Côte d'Ivoire et qui est devenu Directeur Général de Saham
Finances car il est le plus africain de nous tous. Depuis, nous avons largement
accéléré notre développement et fait de belles
opérations notamment grâce à sa connaissance du
marché africain.
8. Partagez-vous et/ou mutualisez-vous vos recherches
avec les autres opérateurs économiques, l'Etat et le gouvernement
?
G.L : Non, nous ne partageons rien avec les autres
opérateurs car ils sont potentiellement des concurrents. Nos recherches
et notre stratégie sont classées secret défense !
109
De même, nous ne mutualisons ni ne partageons pas
d'informations avec le gouvernement. A ma connaissance, les ministères
ne partagent rien.
N.F : C'est plutôt l'étape de demain !
Malheureusement, chacun y va de son côté. La diplomatie
économique n'est vraiment pas coordonnée : par exemple, nous
sommes très nombreux à être investisseurs en Côte
d'Ivoire et au Sénégal ; pourtant personne n'a été
négocier des conventions fiscales ou de non double imposition. Nous ne
sommes pas bons pour se coordonner et faire des opérations ensemble. Au
Maroc, tous les grand groupes français sont assurés chez Axa. En
Côte d'Ivoire, les grands groupes marocains ne sont pas assurés
chez nous ! C'est une réflexion générale à avoir,
qui est plus culturelle qu'autre chose.
9. D'après vous, comment les gouvernements
peuvent-ils accompagner les entreprises marocaines en Afrique ?
G.L : Le Ministère du Commerce et de l'Industrie
joue un rôle très important. Pour l'instant, il cherche surtout
à améliorer la compétitivité des entreprises sur
des problématiques industrielles et sur le financement. Par ailleurs, la
CGEM et les associations patronales essayent d'apporter un soutien ; les
chambres de commerce travaillent ; les associations bilatérales
créent une émulation.
Je dirais que la plus grosse problématique que doit
régler le Maroc est le problème de change ; c'est très
compliqué. On s'y heurte et c'est presque surréaliste : une fois
notre levée de fonds terminée, nous avons du négocier
pendant des mois avec l'Office des Changes pour ressortir cet argent et
l'investir en Afrique, sous prétexte que le déficit
budgétaire du pays ne permettait pas cette opération à ce
moment précis. Il faut beaucoup d'énergie et de temps pour
débloquer une telle situation. Par rapport à un pays
complètement ouvert, investir à partir du Maroc est un
véritable parcours du combattant.
N.F. : Je pense que le road show de SM le Roi en
février dernier a fait beaucoup de bien aux opérateurs
économiques marocains de manière générale. Saham
n'est presque pas perçu comme marocains en Afrique car tous nos managers
sont subsahariens. Cette diplomatie sud-sud nous aide plus à revendiquer
notre image d'entreprise marocaine alors que nous avions plus tendance à
être plus discrets sur la nationalité de notre capital pour
être un opérateur local. Entre temps, nous avons unifié nos
marques sous la bannière Saham, donc nous sommes plus visibles. Par
ailleurs, cela se passe de mieux en mieux avec l'Office des Changes. Sur notre
premier investissement dans Colina, c'était plus laborieux. Nous avons
pris des engagements très forts que nous avons tenus, notamment en
termes de remontée de dividendes et d'investissements étrangers.
Sur les deux ans, nous avons fait rentrer plus de
110
450 millions de dollars d'investissements. Nous
commençons à investir dans d'autres secteurs sur des montants
beaucoup plus petits et sur des nouveaux business models, c'est normal qu'ils
fassent preuve de plus de diligence.
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Remerciements
Je tiens tout d'abord à remercier chaleureusement mon
directeur de recherche Othman El Ferdaous pour sa disponibilité, son
soutien et son apport lors de la rédaction de ce mémoire de
recherche. Il a su me guider et me réorienter lorsque cela était
nécessaire et je voudrais lui exprimer mon entière
reconnaissance.
Je remercie également Abdelmalek Alaoui,
président de l'Association Marocaine pour l'Intelligence Economique
(AMIE), car son apport est crucial pour mon travail.
Enfin, je remercie infiniment les dirigeants des quatre
entreprises que j'ai rencontrés : Ghita Lahlou et Nadia Fettah (Saham
Group, assurances), Brahim Skalli (Alliances, immobilier et construction),
Mamoun Tahri Joutei (BMCE Bank, banque) et Abdelmalek Alaoui (Global
Intelligence Partners, cabinet de conseil en intelligence économique).
Je les remercie pour leur disponibilité et leur franc-parler car ils ont
accepté de partager nombre d'informations confidentielles dans le cadre
de cette étude.
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