INTRODUCTION
0. 1. Contexte et justification
L'intégration de la conservation avec les autres usages
de terre est particulièrement difficile dans la région à
grand potentiel agricole où les activités agricoles touchent une
région protégée qui contient des animaux potentiellement
dangereux (Dudley et al. 1992).
En effet, de tendances globales concernant la
démographie humaine, l'évolution de l'habitat, ainsi que la
distribution et le comportement de la faune, ont contribué à
accroître les conflits humains-faune.
Parmi les principales causes des conflits humains-faune, il y
a (i) les besoins du développement humain, qui se caractérise
notamment par la compétition entre une population humaine croissante et
la faune sauvage pour des espaces et des ressources naturelles en diminution ;
(ii) la migration de populations humaines pour des raisons de
sécurité physique ou alimentaire. Cela est
particulièrement vrai en Afrique, où d'une part la population
humaine a pratiquement triplé en quatre décennies à partir
de 1960 et en conséquence, l'emprise agricole a colonisé les
terres les plus marginales, empiétant ainsi sur les habitats de la faune
sauvage (Siex et Struhsaker, 1999) et d'autre part, le nombre annuel de
situations d'urgence alimentaire et de guerres civiles a presque triplé
en Afrique depuis les années 80. Ce qui fait que dans l'ensemble de
l'Afrique subsaharienne, une personne sur trois est sous-alimentée
(Carthy, 2006).
Ces facteurs génèrent une migration continuelle
des populations rurales vers les zones où elles peuvent trouver des
ressources naturelles. Or ces zones sont souvent occupées par la faune
sauvage. Ceci exacerbe les conflits humains-faune. La guerre et les troubles de
l'ordre civil peuvent pousser les populations à se réfugier dans
les aires protégées, où elles exercent une forte pression
sur les ressources naturelles et entrent en compétition avec la faune.
On estime par exemple que plus de 120 000 personnes déplacées par
la guerre civile vivent actuellement dans les aires protégées du
Mozambique (Gouvernement du Mozambique, 2006).
En RDC, quoi que les statistiques officielles ne soient pas
formellement établies, le nombre de personnes vivants dans les A.P. et
même celui de rebelles des différents pays voisins ne restent pas
moins et ne cessent d'augmenter. Ceci crée donc une situation de conflit
presque permanant entre homme et faune.
Bien plus, les paysans africains éprouvent peu de
sympathie pour la faune sauvage et voient simplement les animaux sauvages comme
source de viande. Cela est illustré par le fait que, dans plusieurs
langues bantoues, le mot nyama utilisé pour désigner la
faune signifie aussi « viande », ce qui signifie : nourriture,
bêtes etc. Les populations rurales considèrent la conservation de
la faune sauvage, en particulier les grands mammifères, comme une menace
pour leur sécurité physique et alimentaire, si cela n'est pas
bien expliqué. Cette perception négative est
particulièrement marquée au voisinage des A.P., où les
coûts quotidiens supportés par les populations riveraines en
raison de la présence de populations de faune peuvent expliquer que
cette dernière soit de moins en moins tolérée. Les
communautés peuvent alors développer une attitude négative
vis-à-vis des réserves et de la faune, ce qui exacerbe les
conflits et compromet les efforts de conservation. C'est donc dans ce contexte
que cette étude est réalisée particulièrement dans
la RFO en RDC.
0.2. Problématique
Depuis 1970, la multiplication des aires
protégées (A.P) au niveau local, régional et mondial mais
également des divers modèles de conservation ont
été mis en place oscillant entre une protection stricte de la
nature et des formes plus participatives (Thomas, 1991). Les A.P.
habitées, ou celles incluant à divers degrés les
populations voisines, ont ainsi connu l'une des plus fortes progressions depuis
les premières expérimentations du projet Man and Biosphère
(Thomas, 1991).
Avec ce dispositif de « protection intégrée
» de la nature, les grandes instances internationales et les gouvernements
locaux pensent pouvoir éviter un certain nombre de conflits sociaux
liés à l'implantation de mesures de « protection
intégrale », comme notamment l'expulsion de populations locales ou
les « populations traditionnelles », pour que les A.P. ne constituent
pas « des îlots sanctuaires » déconnectés du
reste du territoire, on réglemente certains usages à leur sein ou
à leur proche périphérie (WCS-RDC, 2013).
La cohabitation entre les populations locales et la faune
sauvage à l'intérieur ou à la périphérie de
la réserve ne va pas forcément bien du fait que la population
locale est obligée de contribuer à la gestion des espèces
protégées qui sont souvent impliquées à la
destruction de leurs activités génératrices de revenus,
comme leurs champs des cultures, leurs élevages, etc. Ceci crée
ainsi un conflit homme-faune.
En effet, la mise en réserve conduit à une plus
forte concentration en espèces animales sauvages que dans les zones non
préservées, soit parce que les preneurs de décision
cherchent à maximiser la viabilité des populations sur des
espaces parfois réduits, soit parce que les animaux trouvent refuge dans
ces zones.
Parmi ces espèces, certaines peuvent s'avérer
problématiques et dangereuses parce qu'elles détruisent les
espaces cultivés, s'attaquent aux animaux d'élevage et dans
certains cas blessent ou tuent des êtres humains (Guillaume, 2012).
Les populations voient leurs droits d'usage des milieux et des
ressources naturelles se réduire drastiquement au nom d'une vision de
conservation de la nature qui est souvent exclusive de l'homme local (Neumann,
1998), ce qui soulève plusieurs inquiétudes auprès de la
population riveraine. Ainsi, dans le cadre de cette étude les questions
ci-après seront abordées.
0. 3. Questions de recherche
La principale question de la présente étude est
libellée de comme suit : quel comportement adopte la population locale
face à la faune de la RFO responsable des dégâts ?
»
Partant de cette question principale, trois questions
spécifiques ci-dessous se dégagent :
- Quels sont les animaux qui causent des dégâts aux
activités de la population locale ?
- Que fait l'équipe de gestion lorsqu'elle se rend
compte que les animaux ont causés des dégâts aux
activités agricoles de la population locale ?
- Quel attitude et pratiques adopte la population face aux
dégâts causés par animaux de la RFO ?
0. 4. Hypothèses
L'hypothèse principale est la suivante : la population
locale développe une attitude de méfiance face aux
activités de la conservation de la nature organisée dans la
RFO.
Partant de cette hypothèse principale, se dégagent
les trois hypothèses spécifiques
suivantes :
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- les grands Mammifères sont à la base des
dégâts causés aux activités de la population locale
;
- les gestionnaires des aires protégées
dédommagent les paysans victimes et organiseraient le refoulement des
bêtes ;
- la population locale refoule les animaux qui menacent leurs
activités chasserait les animaux dans leurs champs et enclos
d'élevage pour éviter les dégâts.
0. 5. Objectifs
L'objectif principal de cette étude est d'identifier les
attitudes et la pratique d'adopte la population riveraine de la RFO face aux
dégâts causés par les animaux protégés de la
RFO.
De cet objectif principal, se dégagent trois objectifs
spécifiques ci-dessous :
- Identifier les espèces des mammifères qui causent
des dégâts sur les activités de la population locale ;
- Déterminer les éléments de la correction
des dommages des dégâts causés aux activités
agricoles de la population ;
- Déterminer les stratégies de protection des
activités de la population. 0. 6. Intérêt du
travail
Le présent travail présente plusieurs
intérêts :
1) Il établit le lien entre la faune sauvage et la
population humaine dans la RFO, ce qui facilitera la tâche au
gestionnaire
2) Il prone l'approche de la gestion participative en incluant
la population locale qui a un rôle efficace à jouer dans la
mission de la gestion de l'AP, la préservation des habitats et la
protection de la faune sauvage
3) La présente étude vise le développement
socio-économique de la population locale en cherchant les voies de
sécurisation et de mécanisation des récoltes issus des
activités agricoles.
0.7. Subdivision du travail
5
Le présent travail comporte quatre chapitres mis
à part l'introduction et la conclusion. Le premier chapitre traite des
généralités (définitions de concepts clés).
Le deuxième présente le milieu d'étude et les
méthodes utilisées. Le troisième présente les
résultats et le quatrième fait la discussion.
6
CHAPITRE I : GENERALITES 1. 1. Quelques concepts de
base
- Contribution de la population locale dans la
conservation des espèces protégées (CPLCEP).
Le CPLCEP est un terme couramment utilisé dans le
milieu de la conservation et par les gestionnaires de la faune et de la flore
pour décrire les attributions de la communauté locale dans la
gestion de leurs ressources naturelles du milieu.
- Aire protégée
Une aire protégée est une portion de terre, de
milieu aquatique ou de milieu marin, géographiquement
délimitée, vouée spécialement à la
protection et au maintien de la diversité biologique, aux ressources
naturelles et culturelles associées ; pour ces fins, cet espace
géographique doit être légalement désigné,
réglementé et administré par des moyens efficaces,
juridiques ou autres (Convention internationale sur la diversité
biologique,1992).
- Partie prenante
On entend par partie prenante l'Etat, les institutions
chargées des aires protégés et les organisations non
gouvernementales agrées exerçant leurs activités
statutaires dans le secteur de l'environnement en général et de
la forêt en particulier. (Ministère de l'environnement,
conservation de la nature et tourisme, 2011).
- Comités locaux de
Développement
Ces structures ont pour rôle de proposer des projets de
développement communautaire en faveur de la population locale ; ces
projets peuvent être de types de construction des centres de
santés, les écoles, les marchés, les routes, etc.
(MONUSCO, 2013).
- Comité de pilotage
Lorsqu'un milieu naturel est déclaré aire
protéger, il doit être préserver et l'état peut le
classer en définissant son type de gouvernance et son niveau de
catégorie et ces acteurs. Toutes les activités relevant de l'aire
protégée ou du parc, devenu déclaré par
arrêté ou décret, sont alors strictement
réglementé.( ministère de l'environnement Haitii 2006)
- Espèces intégralement
protégées
Les espèces animales intégralement
protégées sont les espèces qui ne peuvent être
abattues, capturées, détenues, transportées,
commercialisées, importées ou exportées qu'à des
7
fins exclusivement scientifiques, par des institutions de
recherche reconnues, conformément à la réglementation.
(Arrêté n° 6075 du 9 avril 2011)
Pour RFO, la liste des espèces animales
intégralement protégées varie avec les résultats de
la recherche. Actuellement 11 espèces sont intégralement
protégées dans la RFO (Ohole et Ntumba, 2005). Le tableau qui
suit donne ces espèces.
Tableau 1 : Espèces animales intégralement
protégées à la RFO ( Mambasa, RDCongo)
Nom français
|
Noms français
|
Noms vernaculaires
|
Chevrotain aquatique
|
Hyemoschus aquaticus
|
Alabi
|
Okapi
|
Okapia johnstoni
|
Sindula
|
Eléphant
|
Loxodonta africana africane
|
Tembo
|
Chat doré
|
Profelis aurata
|
Pakamtoro
|
Crocodile du nl
|
Crocodylus niloticus
|
Mamba
|
Genette aquatique
|
Osbernictis piscivora
|
Kasimbasimba
|
Pangolin géant
|
Manis gigantea
|
Kabanga
|
Oryctérope
|
Orycteropus afer
|
Tumba
|
Chimpanzé à face clair
|
Pan troglodytes
|
Sokomutu
|
Perroquet gris
|
Psittacus erithacus
|
Kasuku, Chaku
|
Tortue géante
|
Malacochersus torrieri
|
Kulu
|
La population de Mammifères de la forêt tropicale
humide d'lturi constitue une communauté très diversifiée
et fortement endémique. Elle est aussi une importante source de
protéine alimentaire pour les populations locales. La RFO abrite
d'importantes populations d'éléphants des forêts d'Afrique
et constitue également une zone prioritaire de conservation des primates
des forêts denses (Gates et al,1987). Elle contient au moins 13
différentes espèces de primates anthropoïdes, la plus haute
diversité jamais connue sur place en Afrique
8
(Thomas, 1991). L'lturi est également l`habitat
principal de " L'espèce vedette" de la réserve : I `okapi
(Okapia johnstoni). L'lturi abrite en outre toute une gamme d'autres
grands mammifères terrestres, y compris le buffle des forêts
(Syncerus caffer) I`hylochère (Hylocoerus meneirzhageni), le
Potamochère (Potamochoerus porcus) et les antilopes.
1..2. Aperçu historique de la RFO
L'histoire de la RFO remonte en 1945 avec la création
du village d'Epulu par l'Américain Patrick Putnam, qui s'est
installé initialement en qualité d'hôtelier et puis qui
s'est lancé dans la capture des certains animaux dont l'okapi,
chimpanzé et certaines espèces de singes. En 1946 les
véritables opérations de capture organisées en «
Groupes de Capture des Okapis » (GCO) subsidiées par la Belgique
furent entreprises par M. Scholler.
En 1952, M. Jean de Medina, un officier de chasse Portugais,
venu de Bafwasende où il avait commencé les activités de
captures de quelques espèces animales dans l'actuel parc national de la
Maiko, créa la Station de Capture et d'élevage des okapis (SEO)
à Epulu.
Pendant son séjour à Epulu, il a pu créer
un zoo à différentes espèces animales comme l'okapi, le
chimpanzé, le buffle de forêt, le bongo, les crocodiles, les
petits singes, différentes espèces de céphalophes et autre
animaux (lions et éléphant domestiqués venus de
Gangala-na-Bodio au parc national de la Garamba (DRAFT, 2010).
En 1964, toutes les infrastructures touristiques de la SEO
furent détruites par la rébellion Muleliste et en 1968,
vingt-huit okapis, 14 éléphants et d'autres espèces
qu'elle hébergeait furent aussi tués. En 1968 la SEO est devenue
propriété d'Institut Zaïrois pour la Conservation de la
Nature (IZCN, actuellement ICCN).
Entre 1996 et 2002, la RFO a été le
théâtre des guerres civiles qui ont eu un impact très
important sur les ressources de la Réserve. En particulier le commerce
à grande échelle du gibier, le grand braconnage à main
armée (notamment pour l'éléphant et les primates) et
l'exploitation minière se sont intensifiés et ont attiré
un flux migratoire important des populations vers la Réserve. (WCS,
2010)
1..4. Système de gestion appliqué à
la RFO
Le système de gestion appliqué à la RFO
est appelé gestion participative ou cogestion des A.P. Nous entendons
par là, une forme de partenariat permettant aux différents
acteurs impliqués dans la gestion, de se partager les fonctions, les
droits et les responsabilités
9
relatives à la gestion d'un territoire ou d'une gamme
des ressources jouissant un statut de protection. Ces acteurs sont
appelés ici parties prenantes (UICN, 1997).
Le diagramme ci-dessous présente les différents
types de « parties prenantes » concernées par la gestion d'une
réserve et dont les membres seront invités à former le
comité de pilotage de la réserve. Chaque groupe peut rassembler
plusieurs « sous-représentant », ainsi par exemple, les
communautés locales peuvent être représentées par
des délégués issus et choisis au sein des «
Comités locaux de Développement » (CLD).
Figure 1 : Diagramme de gestion participation de la RFO
Source : Raghunathan et Ansay, 2013).
La figure 1 montre qu'il y a quatre intervenants dans la
gestion de la RFO. Il s'agit des décideurs politiques, les populations
locales, les scientifiques et les gestionnaires de la réserve proprement
dite. Les gestionnaires incluent les administrations, responsables officiels AP
ou les chefs de projets ; les décideurs sont aussi bien liés aux
autorités locales (chef de territoire, de district...) qu'aux agences
gouvernementales. Enfin, la spécificité de la gestion est
officiellement confiée à un centre de recherche sous tutelle du
Ministère de la Recherche Scientifique, repris ici dans le groupe des
« scientifiques ».
1.5. Les problèmes des aires
protégées en ROC
La Commission des forêts et de la faune sauvage pour
L'Afrique (CFFA, 2000), qui fut précédée par la
13e session du Groupe de Travail sur la gestion de la faune sauvage
et des Parcs Nationaux a fait le compte rendu des rapports nationaux
présents par les pays membres, mettant en évidence les
problèmes majeurs suivants qui leur sont communs :
- Conflits d'intérêt dans l`utilisation de terres
dans les AP. ;
10
- Recrudescence du braconnage à cause de dures conditions
financières et de l'insécurité alimentaire ;
- Réduction des ressources fauniques et floristiques au
sein des A.P. ;
- Troubles sociaux et politiques, qui entravent la bonne gestion
des ressources ; - Difficulté de participer aux accords internationaux
et faible niveau de coordination parmi les participants africains aux
négociations internationales ;
- Problèmes institutionnels (y compris formation et
recherche) et contraintes financières ;
Ces problèmes ont un impact considérable sur la
faune sauvage et la gestion des aires protégées en Afrique. Les
expériences positives à ce sujet, mentionnées dans les
rapports nationaux connus étant les plus remarquables, sont les
suivantes :
- Une tendance à l`augmentation des A.P. dans certains
pays de la région, afin de renforcer activement la conservation des
ressources naturelles ;
- L'émergence du concept des parcs transfrontaliers et
de programmes de la gestion participative supportés par l'aide
internationale ;
- L'élevage du gibier et introduction de certains
animaux dans les A.P. sont en expérimentation dans un bon nombre de pays
(Afrique du sud, RDC, etc.)
- Des études de la situation des ressources de la faune
sont en cours, malgré des conditions socio-économiques
quelquefois difficiles ;
- Utilisation des ressources de la faune à des fins
variées, y compris la médecine traditionnelle, la
recréation, le tourisme et l'alimentation ;
- Des études socio-économiques visant à
améliorer le développement de la production et l'utilisation de
gibier, l'apport de la gestion participative des ressources fauniques dans
l'amélioration des conditions de vie des populations dans les zones
rurales.
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