anthropologie des techniques dans la pratique de la pêche au canton Ntem 1par Cédric ONDO OBAME Université Omar Bongo - Master 2016 |
1.3. La conceptualisationDans ce travail, nous considérons qu'Ayôp (pêche) est le concept clé. Il renvoie non seulement aux pêches masculine et féminine, mais aussi à la situation de pêche en fang ntumu. Mais notre conceptualisation passe d'abord par la définition de la technique et de la pêche.
1.3.1.1 La technique Selon Lemonier cité par Pierre Bonte et Michel Izard (2004 : 697), on entend par technique : « Une reproduction sociale, une action socialisée sur la matière, mettant en jeu les lois du monde physique. Elle met en relief : ce sur quoi elle agit, les objets avec lesquels elle agit (outils) ; la manière (geste) avec laquelle elle agit puis les représentations qui se cachent derrière les gestes techniques. La technique est un système ». La technique apparait dans la pratique de la pêche comme un procédé, une sorte d'enchainement d'éléments et de mouvements reliés les uns aux autres pour parvenir à un résultat recherché : le prélèvement de la ressource. Chaque élément et mouvement de l'enchainement est muni de sens et participe à cet enchainement qui constitue ainsi la technique. La technique de pêche serait inéfficace en l'absence d'un élément ou à la mauvaise exécution d'un mouvement de la technique. La technique de pêche intègre donc le geste matériel, d'où une « Anthropologie du geste » qui implique l'idée du corps en mouvement au sens de Marcel Jousse (1978). La technique est un système complexe. Toutefois, il existe plusieurs types de techniques à savoir : les techniques vestimentaire, alimentaire, de chasse, agricole, de pêche etc. et celles-ci se distinguent en fonction des rapports à leurs objets et les représentations qui les encadrent au sein de la société qui les produit. André Leroi Gourhan (1979) dit à cet effet que : « Chaque technique est fonction du milieu de production, donc de la société qui la produit ». Aussi, il pense que la technique est développée par l'homme pour exploiter les matières qui lui sont offertes par la nature, d'où les techniques générales, spécifiques et pures. Cette idée sera complétée par André Haudricourt (1964) à travers son principe de correspondance entre la technique et le type d'agriculture. Selon lui, le type d'agriculture est spécifique à la technique. Les techniques de pêche que nous analysons sont des techniques propres et spécifiques car renvoyant particulièrement à la pratique de la pêche. Les Fang ntumu du canton Ntem1 accordent différents sens concernant le terme « technique ». Dans un premier temps, la technique renvoie d'abord à une stratégie fekh, c'est-à-dire à une manière de faire individuelle ou collective permettant d'accèder à un résultat ou à une ressource. Dans ce sens, la technique apparait comme un moyen pour atteindre un but. Elle ne prend en compte aucun élément connexe (rituel, interdits, prières, etc.). C'est à ce premier niveau que certaines personnes se limitent lorsqu'ils vont pratiquer la pêche ou la chasse par exemple. Il ne s'agit que de l'accès aux ressources halieutiques ou aux gibiers. Deuxièmement, la technique renvoie à la méthode, c'est-à-dire à un ensemble de procédés (outils, saisons, lieu de la pratique, etc.) pour aboutir à un ou plusieurs résultats. Dans ce sens, elle apparait comme un itinéraire déjà établi et qui doit être respecté pour avoir de bons résultats. Mais cette manière de penser la technique s'inscrit davantage dans l'agriculture sur brûlis qui occupe l'essentiel du temps des villageois. A travers ces deux niveaux, on se rend compte que la technique est présent dans l'ensemble des activités villageoises des fang. Cependant, notre analyse nous amène à porter un autre regard sur cette approche définitionnelle de la technique. La technique renvoie aussi à un type particulier d'agissement ou de pratique prenant simultanément en compte les acquis techniques matériels puis, les aspirations et constructions imaginaires qui la régissent. Cela va plus loin que le simple cadre d'une stratégie ou d'une méthode tel que vue plus haut. Nous sommes là dans le cadre des pratiques et croyances en fonction du domaine en présence et surtout dans la dimension historique de la technique. Les techniques de pêche se présentent comme des faits traduits par des manières d'agir différentes en fonction du rapport à la technique et au cours d'eau. De plus chaque technique de pêche est spécifique tout comme ses aspects symboliques. Nous sommes dans ce cadre en présence de l'expression Mevala meyop que les Fang utilisent pour désigner les techniques de pêche et leurs contenus, c'est-à-dire leurs logiques soujacentes.
La pêche est l'accès aux ressources aquatiques par l'intermédiaire d'une ou plusieurs techniques. Autrement dit, c'est l'action de préléver, ou de capturer du poisson dans son espace de vie. Les populations villageoises du canton Ntem 1 appréhendent la pêche (ayôp) comme le fait de rassembler au préalable des outils de pêche en fonction de la technique sollicitée et se rendre à un cours d'eau à fin d'y capturer du poisson ou autres crustacés et revenir au village. Enguang Emmanuel (voire à la page 7) dit à cet effet que :
Pour ces popultion la pêche relève de tout un processus. Elle n'est pas simple. Suite Nous nous sommes rendu compte qu'à cette définition, il s'ajoute aussi des connaissances connexes telles que le rapport à la technique ou aux cours d'eau et surtout les représentations encadrant ladite pratique. Pour la pêche masculine, on la désigne par miyôp2(*). Au féminin par contre, on désigne la pêche à travers les différentes techniques telles que melok3(*), messama4(*), abula5(*), etc. Toutefois, la pêche est en elle-même une technique de prédation ou de prélèvement de ressources naturelles. 1.3.2 Le concept « Ayôp » La conceptualisation fait appel à des éléments clés permettant de faire d'un terme emic, un terme etic : les variables, les dimensions et les indicateurs. Chacun des éléments est une grille qui prend appui sur les éléments empiriques (terrain) du concept à construire. Dans ce sens, François de Singly (2005 : 28) souligne que : « Dans les notions qui constituent l'objet, il faut trouver des indicateurs empiriques, des moyens de les rapprocher, de les mesurer ». Ceci confirme que les concepts scientifiques se doivent de toujours reposer sur des matériaux empiriques. La construction d'un concept opératoire s'appuie sur la pensée d'un peuple donné, sur un imaginaire constitutif d'un groupe par rapport au phénomène étudié. Le concept est alors opératoire parce qu'il prend appui sur l'imaginaire social et culturel des populations. Tableau 1 : conceptualisation
* 2 Minyôp : terme globalisant de la pêche masculine en fang. * 3 Melok : technique de pêche féminine en fang ntumu. Elle désigne la technique par barrage. * 4 Messama : technique de pêche féminine en fang ntumu. Elle désigne la technique à la nasse. * 5 Abula : technique de pêche féminine en en Fang Ntumu. Elle désigne la technique collective à la nasse. |
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