BOCQUIER Sandra
Mémoire de maîtrise en Littérature
française et comparée
LITTÉRATURE ET ENGAGEMENT
![](Litterature-et-engagement-Louise-Michel--entre-mythe-et-realite1.png)
LOUISE MICHEL :
ENTRE MYTHE ET RÉALITÉ
Sous la direction de Patrick Berthier
Juin 2009
Université de Nantes
SOMMAIRE
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : DU RÉALISME AU
NATURALISME
1/ LA VALEUR DE TÉMOIGNAGE
a) La « nouvelle »
b) Les chroniques
> le rôle de la presse ; le journalisme
fictionnel
c) Un ancrage spatio-temporel
précis ?
> Un flou temporel ; Une topographie
détaillée
2/ LE RÉALISME SOCIOLOGIQUE
a) Le type bourgeois
> Les parvenus
b) Le type populaire
> La classe ouvrière ; Les
révolutionnaires ;
> Les misérables ; Les vagabonds ; Les
enfants
c) L'argot : le langage
révélateur
3/ L'INLUENCES DES SCIENCES NATURELLES ET HUMAINES
a) Louise Michel, naturaliste
b) Une application sociale du
darwinisme ?
c) L'investigation profonde de l'homme
SECONDE PARTIE
:
ROMAN NOIR ET NOUVELLES
FANTASTIQUES
1/ LE FANTASTIQUE
a) Contexte de la littérature
fantastique : crise des valeurs et décadence
b) Qu'est-ce que le fantastique ?
> Tentative d'élaboration d'une
définition ;
> La théorie de « L'inquiétante
étrangeté » selon Freud
c) Une écriture de la
rationalité
> Les lieux
2/ L'HORREUR ET LA MISE EN SCÈNE DE L'EFFROI
a) Une relation ambiguë
personnage/phénomène
> Le personnage ; Le pouvoir attractif du
phénomène ;
> Les atouts du phénomène
b) Le pouvoir obsessionnel du
phénomène : la folie
c) Le passage à l'acte
> « Le démon de la perversité
» selon E. A. Poe
3/ UNE SOCIÉTÉ OGRESSE
a) La misère et la fatalité
b) La violence et le crime
> La peine de mort
c) L'enfermement
> Les maisons de correction et le bagne ; Les asiles de
fous
4/ LA SATIRE SOCIALE
a) Le bestiaire
b) La dimension burlesque
> La classe politique ; l'institution religieuse ; les
savants
c) Humour (noir), ironie et
dérision
TROISIÈME PARTIE :
LA FONCTION ARGUMENTATIVE ET DIDACTIQUE
1/ LE DOMAINE DE LA NOUVELLE : UNE CONCENTRATION DES EFFETS
a) L'art de la chute : un enchaînement
causal
b) « La totalité
d'effet » : des effets de structure
> Incipit ; Ellipse ; Une structure cyclique
c) Vers la révélation
> La narration ; Une narratrice moraliste
2/ LES CONTES ET LÉGENDES
a) Origine du genre
> Les ancêtres du genre
b) Entre tradition orale et littérature
écrite
> Des personnages emblématiques ; Lieux,
structure et aphorismes
c) La charge didactique
> La parole satirique et l'énonciation de la
morale
> Le conte : éducation et processus de
socialisation
3/ LE THÉÂTRE ANARCHISTE :
« THÈMES ET FORMES D'UN THÉÂTRE
POLÉMIQUE »
a) La représentation de l'Histoire
> Un sujet historique ; le souci de
réalisme
b) Entre « Théâtre
social » et « pièce à
thèse »
> Les personnages : les vecteurs de la thèse ;
les héros ; la voix de la multitude
c) Forme et structure
> Le décor et la musique ; La
structure
4/ PRATIQUE DU CONTAGE ET CONDITIONS DE
REPRÉSENTATION
a) Pratique du contage
> Un genre communautaire ; L'art de conter
b) Scènes et publics
> La représentation au Théâtre de
la Villette
c) Éducation ou propagande ?
QUATRIÈME PARTIE : UNE UTOPIE
« ANARCHO-LITTÉRAIRE »
1/ UNE LITTÉRATURE SOCIALE
a) Ouvriers et vagabonds dans la
littérature
b) Le rejet du capitalisme
c) Le roman de l'utopie sociale
2/ LA DIMENSION POPULAIRE ET MYTHOLOGIQUE : « LA
LÉGENDE NOUVELLE »
a) Les personnages
b) La narration
c) « Le Vieil Abraël, légende du
XXe siècle »
3/ LA RÉVOLTE EST INDISPENSABLE
a) Le héros face à l'histoire : un
révolté
b) L'exaltation des passions et le passage à
l'action
c) Le sacrifice
4/ DU VIEUX MONDE A L'AURORE NOUVELLE : LE TRIOMPHE DE LA
RÉPUBLIQUE SOCIALE
a) Un discours eschatologique
b) Les métaphores biologiques et
écologiques
> La métaphore de l'arbre ; Une vision
cyclique
c) Le triomphe de l'utopie : la République
Sociale
> Déplacement, métissage et
prolifération des hommes ;
> Le retour à la nature ; Le progrès
intellectuel et industriel
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
INTRODUCTION
On a beaucoup écrit à propos de Louise Michel,
personnage historique, femme subversive et figure de la révolte. La
communarde fut tour à tour idolâtrée et
méprisée. On la traita de mégère et de folle, on la
compara à une « louve avide de sang »,
« furie massacreuse et féroce »1(*), et pour la grande
majorité du public, ce monstre révolutionnaire était
perçu comme une « sorte d'épouvantail, une impitoyable
virago, une ogresse, un monstre à figure humaine, disposée
à semer partout le fer, le feu, le pétrole et la
dynamite »2(*).
Nonobstant, nombre d'écrivains et de biographes tombèrent dans
l'excès opposé et contribuèrent à l'élever
au rang de légende3(*) ; on la surnomma la « Bonne
Louise » ou encore la « Vierge rouge »4(*) et on ne se lassa point de
réécrire sans cesse la « vie ardente et
intrépide de Louise Michel »5(*). C'est suite à la Commune de Paris (1871) -
où indomptable, elle manifesta une authentique âme de
combattante6(*) - qu'elle
fut érigée en mythe, et devint l'égérie de la
Révolution, certes vaincue, mais non résignée et toujours
renaissante. En effet, elle resta toute sa vie ce symbole de courage, de
révolte permanente et d'insoumission : « Je suis une vieille
femme. Mais je suis vivante. Et rebelle. Toujours. Rien n'a pu m'abattre.
Malgré toutes les souffrances, malgré toutes les cruautés
du pouvoir - qu'il soit maudit ! Tout pouvoir est maudit ! -, je conserve de ma
vie la sensation d'une flamme intense, d'un ouragan dévastateur et d'un
combat acharné. Ma vie, ma passion »7(*).
Ainsi, que ce soit en bien ou en mal, que ce soit sur ses
admirateurs ou sur ses adversaires, sur ses amis ou ennemis, dans tous les cas,
Louise Michel (sainte ou hérétique, ange ou démon) semble
avoir exercé une réelle fascination sur ses contemporains.
Verlaine célèbre la communarde « muse rauque et
gracile », « ange gardien » du pauvre, et rythme
sa ballade par ce refrain : « Louise Michel est très
bien » ; Victor Hugo, qu'elle admirait tant, fait également
l'apologie de cette femme « terrible et surhumaine », il la
peint en héroïne tragique pareille à « Judith la
sombre juive et Aria la romaine »8(*), provoquant le pouvoir et défiant la mort, lors
de ses procès après la Commune. Mais cette glorification semble
gêner la modeste et altruiste Louise Michel, qui voit là une
exagération de sa personnalité, et qui tente alors de faire
resurgir du mythe la réalité ; loin d'être
héroïque, c'est la cause révolutionnaire qui est grande :
« Allons mes amis, je suis capable de tout, amour et haine ; ne me
faites pas meilleure que je ne suis (et que vous l'êtes) ! Je ne suis pas
si haute que vous le disiez, Hugo, ni si infâme que le proclamait mes
vainqueurs - la révolte seule est haute, elle est géante. Qui
donc, voyant au loin l'aurore rouge se lever, ne jetterait, pour y courir plus
vite, sa vie comme un haillons ? Cette vie, ma vie, est pleine de souvenirs
poignants. Je ne veux pas que mes mémoires soient trop
imprégnées de tristesse. Pourquoi s'attendrir sur soi-même
au milieu des douleurs générales ? Pourquoi s'arrêter sur
une goutte d'eau ? Regardons l'océan ! »9(*). Cependant, en se
déchargeant de cette aura héroïque, et en méprisant
sa propre vie au profit de l'humanité - elle parle de devoir envers la
Révolution10(*), -
elle entretient tout de même la figure de la « bonne
Louise », ou encore celle de la « Vierge
rouge ».
En effet, l'auteur des Mémoires exprime une
certaine pudeur - qui sembleraient être des scrupules - à parler
d'elle-même : « Souvent on m'a demandé
d'écrire mes Mémoires ; mais toujours j'éprouvais à
parler de moi une répugnance pareille à celle qu'on
éprouverait à se déshabiller en
public »11(*).
De ce fait, elle ne fait guère d'allusions directes à sa vie
personnelle, - à part des souvenirs d'enfance, pas d'évocation de
sa vie amoureuse, dont elle paraît d'ailleurs dénuée, -
mais elle remémore une longue vie de militantisme acharné, et le
« je » s'efface volontiers au profit du
« nous » ; le récit autobiographique étant
l'occasion de rendre hommage aux camarades disparus : « Où
donc êtes-vous tous, ô mes amis ? »12(*). Sinon, elle ponctue son
oeuvre de réflexions sur l'homme et la société, et quand
elle désir exprimer ses états d'âme, elle choisit
plutôt le vers que la prose : « Il y a peut-être beaucoup
de vers dans mes Mémoires ; mais c'est la forme qui rend le mieux
certaines impressions, et où aura-t-on le droit d'être
soi-même et d'exprimer ce qu'on éprouve, si ce n'est dans des
Mémoires ? »13(*). Ainsi Louise Michel se livre, intime, et on peut
entrevoir dans ce texte, l'histoire d'une quête identitaire, un parcours
initiatique : comment en est-elle venue à l'anarchie ? Cependant, la
question individuelle se trouve partiellement évincée au profit
du collectif, puisque l'accent porte sur le rapport de l'auteure à
l'Histoire, sur son rôle en tant qu'actrice de la Commune, mais surtout
en tant que témoin de son époque. Bien qu'elle nous invite
à fouiller le cadavre de sa vie (« disséquons à
loisir »14(*)),
nous nous intéresserons exclusivement à son oeuvre
littéraire, largement méconnue, car depuis, beaucoup ont
déjà passé au scalpel, la vie si romanesque de
l'ex-déportée.
Pourtant, la célèbre insurgée se
révéla être une écrivaine prolifique, et laissa
à sa mort, une production littéraire abondante et
diversifiée. En effet, Louise Michel s'essaya à tous les genres,
roman, théâtre, poésie, nouvelles, chansons, article de
presse, essais, et la seule constance demeure son engagement envers la
révolution - chaque texte en étant la réaffirmation.
Toutefois, la petite institutrice provinciale à l'âme
rêveuse se voyait avant tout poétesse, et c'est à vingt ans
qu'elle envoie ses premiers poèmes à Victor Hugo, poésie
qu'elle signe par la suite du pseudonyme Enjolras15(*) ; commence alors entre eux une
longue correspondance. Or, comme elle le précise dans ses
mémoires, il y eut deux périodes dans sa vie, une avant et une
après la Commune : « Mon existence se compose de deux parties
bien distinctes : elles forment un contraste complet ; la
première toute de songe et d'étude ; la seconde toute
d'événements, comme si les aspirations de la période de
calme avait pris vie dans la période de lutte »16(*). Ses poèmes de
jeunesse, qui témoignaient d'un romantisme exacerbé, d'une
personnalité pieuse et d'opinions royalistes, se trouvent
évacués suite à l'insurrection parisienne, au profit d'une
littérature populaire, manifestement anarchiste et entièrement
révolutionnaire, qui mérite d'être
redécouverte17(*).
Comment Louise Michel convoque-t-elle sous sa plume, tous les genres et
registres littéraires, pour aborder et mettre en scène la
révolution ? Comment use-t-elle de tous les tons et styles
d'écriture, pour susciter la mobilisation populaire ? Et après la
révolution, quelle sera la société de demain ?
Le corpus, qui fait l'objet de cette étude, est un
corpus hétéroclite, constitué de quatre textes appartenant
chacun à des genres différents (nouvelles, roman,
théâtre et contes), afin d'élaborer un panorama le plus
large possible, et d'aborder tous les aspects de cette littérature
engagée. Le texte le plus ancien de ce groupement est un recueil de
contes, - Les Contes et légendes pour les enfants,
illustré par l'auteur, et publié chez Kéva et Cie (Paris)
en 188418(*), - qui n'est
pas sans rappeler d'une part sa vocation d'institutrice et ses qualités
de pédagogue, et d'autre part qu'elle s'était déjà
attelée à l'écriture d'un ouvrage du même genre :
Le Livre du jour de l'An, historiettes, contes et légendes pour
enfants19(*). Le
second, Les Crimes de l'époque - paru chez N. Blanpain (Paris)
en 1888 et réédité chez Plasma (coll. « Les
feuilles vives ») en 1980 - est un subtil mélange de
réalisme social et de fantastique. En effet, ce recueil de nouvelles,
tourné vers le bizarre et l'horreur, est un témoignage de
l'atmosphère décadente et mortifère de Paris en cette fin
de siècle . Le roman Le Claque-dents, - oeuvre dont on
ignore la date d'écriture, publié posthume chez Dentu (Paris), et
réédité chez Plasma (coll. « Les feuilles
vives ») en 1980, - possède les mêmes qualités
didactiques et littéraires que les nouvelles : roman social ou roman
noir ? ; sûrement est-il les deux. Enfin, La
Grève20(*) -
écrite en 1890 et représenté la même année
au Théâtre de la Villette à Paris - se trouve
au croisement du drame romantique et du mélodrame historique. Le
titre est explicite et la charge est lancée : le
théâtre se veut un outil moyen militant et un outil de lutte.
Tout d'abord, les aspects réalistes et naturalistes
confèrent aux oeuvres une qualité de document socio-historique ;
c'est dans cette perspective que l'auteure-narratrice s'affirme alors comme le
témoin de son époque, considérée comme une
période de crise et de transition. Puis, ce constat alarmiste est
réitéré et accru par l'écriture fantastique, qui
dresse alors un tableau plutôt sombre des sociétés humaines
en cette fin de siècle. La fresque sociale est tendue et la satire se
veut agressive et provocante : l'humanité à peu d'avenir, il faut
qu'elle meure la vieille société, « la vieille ogresse
qui boit le sang humain »21(*), pour que l'homme ait une chance de survivre. C'est
sur cet argument que repose toute la rhétorique anarchiste et
révolutionnaire de Louise Michel ; la fonction didactique de ses oeuvres
est manifeste, il s'agit d'éveiller les masses, il est temps d'amener le
peuple à se révolter, et c'est de ce devoir que s'acquitte
l'auteur. Mais, plus qu'une éducatrice ou une enseignante, la voix
narrative insuffle la verve révolutionnaire et l'auteur adopte
aisément le rôle de visionnaire et de prophète. Elle se
révèle être celle qui voit les choses, au delà des
apparences et des époques, et elle prédit qu'il y aura un monde
nouveau, où l'humanité sera enfin libre dans la République
sociale.
PREMIÈRE PARTIE :
DU RÉALISME AU
NATURALISME
À travers les aspects réalistes et naturalistes
de son écriture, force est de constater qu'elle écrit dans le
contexte littéraire qui est le sien, dont la mode est aux grands romans
réalistes et naturalistes ; mais plus qu'une vogue, notre
romancière confère à son oeuvre la qualité de
témoignage, et donne à ses récits la valeur de document
socio-historique, en explorant les classes laborieuses dites
« dangereuses ». Ainsi, malgré une écriture
infiniment romanesque et quelque peu fantaisiste, il semblerait que c'est avant
tout sur un souci de « dire le vrai », que reposent ces
textes.
***
1/ LA VALEUR DE TEMOIGNAGE
a) La « nouvelle »
D'après les critères de la
« novella », ce genre littéraire alors
naissant proclame un souci de nouveauté et d'ancrage dans une
actualité récente22(*). Les auteurs et, ou narrateurs de la nouvelle ne
cessent de donner des gages quant à la véridicité des
événements rapportés, l'actualité politique
étant un double gage de nouveauté et
d'authenticité23(*). De même, Louise Michel fixe ses anecdotes dans
un tissu social, géographique et historique plus ou moins précis.
Elle situe ses nouvelles dans une période de troubles et de
décadence, et compare cette actualité politique aux temps obscurs
du Moyen-Âge24(*) : « Les crimes de l'époque sont
ceux des époques de transition, les mêmes que ceux du moyen
âge, qui était aussi une période transitoire. Certaines
choses évoluent en monstruosités, d'autres naissent, grandissent
ou s'atrophient. Voici un épisode ancien qui a son semblable de nos
jours »25(*). En
puisant dans le passé historique, l'auteure confère à
l'anecdote plus de vraisemblance.
De plus, en empruntant à la chronique politique et
judiciaire, Louise Michel restitue les faits-divers sanglants et horribles de
son temps26(*) ; d'autre
part, notre nouvelliste est consciente que l'ignoble et le monstrueux fascinent
et attirent, et les premières pages des Crimes de
l'époque traduisent en effet ce goût humain pour le morbide
: « A la morgue, la foule se presse pour voir la victime. [...] Il y
a là des agents de la sûreté, des amateurs d'horrible, mais
surtout des gens ayant sur le visage cette béatitude de la
curiosité contemplative qu'on appelle la badauderie. Tout près,
collés au vitrage, trois personnages, absorbés par le spectacle,
laissent passer les heures »27(*). Mais il ne s'agit pas seulement de satisfaire les
appétits morbides ou graveleux du grand public, avide d'émotions
fortes, ces histoire brutales et sanglantes doivent choquer le lecteur passif.
Ainsi le souci de réalisme s'exprime de manière plus
prononcée (réalisme topographique et réalisme
sociologique), ce qui confère à la nouvelle une portée
quasiment documentaire. Par exemple, presque toutes les classes sociales sont
représentées avec toute fois une prédilection pour les
plus modestes.
b) Les chroniques
Le rôle de la presse
Tout d'abord, il convient de souligner l'immense
postérité de la nouvelle en France, postérité due
à l'essor des journaux, quotidiens et périodiques dans lesquels
sont publiées des nouvelles signées Balzac, Maupassant, ou encore
des feuilletons signés Dumas ou Eugène Sue ; Louise Michel
cède également à cette mode en écrivant Le
Bâtard impérial28(*) (1883) et La Misère (1883).
Dans ce cadre journalistique, la nouvelle renoue avec son étymologie et
le rôle de l'écrivain se double alors de celui de chroniqueur.
Dans Les Crimes de l'époque, les
échanges avec la presse sont incessants, la nouvelliste fait constamment
référence à l'actualité, surtout quand il s'agit
d'affaires judiciaires : « C'était au moment où l'on
parlait des scandales de Londres. Ce n'est pas à Londres seulement qu'on
cueille vertes les filles du peuple. A Paris et ailleurs, on les cueille
même avant la fleur »29(*). En évoquant le meurtrier Jean-Baptiste
Troppmann, qu'elle compare à Pierre Mardi30(*), Louise Michel sait qu'elle
utilise un argument d'autorité. L'affaire Troppmann, fait-divers de la
seconde moitié du XIXe siècle, eut un grand
retentissement de par sa médiatisation31(*). Ce dernier, accusé de huit meurtres (la
famille Kinck), sans que soit émis le fait qu'il ait pu avoir des
complices, fut rapidement condamné à mort et
exécuté32(*) : « Une fois le colosse
arrêté près de la fosse commune, on n'en demanda pas
davantage. Ce fut le matin seulement qu'on s'aperçut de la seconde
violation de sépulture. On mit, bien entendu ce second crime sur le
compte du même individu. Troppmann n'a-t-il pas été
condamné pour avoir assassiné presque en même temps sept
personnes ? Une chose jugée, cela fait preuve pour d'autres,
n'est-ce pas ? »33(*). L'actualité fournit donc au nouvelliste
« une matière qu'il retravaille pour en dégager la
permanence au-delà de l'accident, le mystère au-delà de la
banalité apparente »34(*).
Le journalisme fictionnel
Les Crimes de l'époque témoignent d'un
tel souci de réalisme sociologique et topographique, que Louise Michel
semble rédiger une chronique, genre voué à la description
des temps et du temps35(*). C'est incontestablement en cette qualité
d'observatrice, qu'elle adopte le style journalistique, et ce, afin de
dénoncer certaines réalités sociales : « Les
fours à plâtre sont pendant l'hiver l'asile des vagabonds, hommes,
femmes, enfants, qui, transis de froid, harassés de fatigue veulent au
moins se réchauffer un peu. [...] Un de ces fours, qui se trouve dans
les environs de Vaugirard, débordait un soir de février ;
une buée chaude se dégageait des respirations humaines
entassées »36(*). Curieusement, la fiction retranscrit souvent mieux
la réalité, que ne saurait le faire un simple article de presse
mais « cette importance de la littérature et de la
poésie se traduit aussi par l'intérêt accordé
à la fiction, soit que cette presse fasse une large place aux grands
romans contemporains qui mettent en scène les drames quotidiens de la
condition ouvrière, soit qu'elle transpose elle-même ces drames en
récits imaginaires. A certains égards et en certaines occasions,
la distinction entre réalité et fiction s'évanouit ;
la fiction exprime la réalité, mieux que ne le ferait le fait
divers ; elle est la réalité »37(*).
La nouvelle acquiert donc le double caractère d'une
histoire vraie et étonnante, et d'autant plus étonnante que vraie
ou supposée telle. C'est du coeur de l'ordinaire et du quotidien que
doit surgir l'extraordinaire. La nouvelle, que l'on peut dorénavant
associer à la chronique, relate des événements inouïs
- c'est-à-dire qu'on a pas ouï, jamais entendu parler - et qui ont
eu lieu38(*). Elle
possède donc un double impératif, actualisant ainsi les deux sens
du terme : véridique et inouï. D'ailleurs Louise Michel
interroge de manière ironique le lecteur : « N'est-ce pas
toujours l'impossible qui arrive ? »39(*). De par l'émergence
dans la vie de tous les jours, d'un « possible parfaitement
plausible », l'auteure cultive la quête de l'étrange
comme révélation du réel40(*) (sans que cette
singularité soit spectaculaire ou surnaturelle). Le
Claque-dents, bien qu'il s'agisse d'un roman, exprime également une
interrogation sur le caractère étrange de la vie, il questionne
le lecteur sur le poids du hasard et celui de la
fatalité : « L'impossible arrive, plutôt que
le possible, l'inattendu est toujours à la place de l'attendu. C'est
pourquoi Sylvestre épouvanté vit surgir l'impossible et arriver
l'inattendu »41(*).
c) Un ancrage spatio-temporel
précis ?
Un flou temporel
Manifestement, Louise Michel aborde précisément
la société contemporaine, dont elle décrit les moeurs, et
dont elle dénonce les abus et les inégalités sociale. Mais
fournit-elle des dates et des repères chronologiques
précis ? Celle-ci brouille les pistes de manière visiblement
ironique, et nous fait parvenir des dates incomplètes :
« 18** »42(*) ; seule certitude nous sommes bien au XIXe
siècle. La romancière ménage ainsi un flou quant à
la période exacte durant laquelle se déroulent les faits qu'elle
rapporte, mais procure au lecteur une partie des informations :
« Le dimanche 13 juin de cette même année les gardiens
du cimetières de Saint-Ouen... », sachant qu'elle n'a
aucunement précisé, ailleurs dans le texte, l'année de
l'anecdote.
Une topographique détaillée
A défaut de situer précisément l'action
dans le temps, l'auteure fait parvenir au lecteur une topographie
détaillée de Paris et de ses bas-fonds en citant
fidèlement le nom des rues. Le second chapitre de la nouvelle
« Premières et dernières amours » commence
d'ailleurs ainsi : « [...] Le cours d'eau noire forme des
sinuosités à droite de la rue Mouffetard, dans un bas-fond
où il passe deux rues, formant un T. C'est bien à Paris que nous
sommes. Le pied du T, c'est la rue des Lyonnais ; les bras c'est la rue de
Lourcine, - le cours d'eau noire, c'est la Bièvre. Sur une des pentes de
la rue des Lyonnais sont des huttes avec les bois où sèchent les
peaux»43(*). Outre
les rues malfamées, c'est le milieu carcéral qui est investi, car
nombre des personnages de Louise Michel font l'expérience des prisons
parisiennes, et c'est en temps qu'ancienne détenue que l'auteure peut le
décrire justement : le dépôt44(*), puis à la Roquette ; la
place de la Roquette, avec sa guillotine, est évoquée45(*), ainsi que la prison des
condamnés à mort46(*),
avec son lot d'anarchistes. La prison et plus particulièrement le
Dépôt sont des topos de la littérature réaliste et
sociale de cette époque ; dans nombre de romans de cette période,
des chapitres entiers sont consacrés à la description des
conditions d'incarcération et les personnages immanents font de nombreux
séjours en prison47(*).
Cependant, l'action du Claque-dents ne se
déroule pas exclusivement à Paris, et le déplacement de
l'intrigue en Bretagne témoigne du goût pittoresque de la
romancière. En effet, Louise Michel en décrivant les îles
morbihannaises en appelle à la sensibilité visuelle du
lecteur ; c'est en peignant avec précision ces paysages, qu'elle
tente de rendre compte et de faire partager la beauté et le
tempérament de la Bretagne : « Deux îles sur la
côte du Morbihan sont à peine connues. Hoedik a de loin
l'apparence d'un cheval marin ; [...] Houat est une double
étoile ; [...] Dans ces îles et dans leurs constellations
d'îlots vit une population de pêcheurs ne connaissant que la mer.
[...] En face c'est Belle-Isle. Houat est une des premières stations
humaines, la Siata des anciens ; les moeurs, depuis, n'y ont guère
changé. L'armor braz (la grande mer), c'est tout pour les fils qui y
vivent »48(*).
Le décor est posé et c'est dans ces lieux
réels et typiques de la littérature populaire que l'auteure fait
évoluer ses personnages : à chaque milieu ses habitants.
2/ LE RÉALISME SOCIOLOGIQUE
Les personnages sont issus de toutes les couches sociales, ce
qui permet à l'auteur de dresser une fresque très réaliste
et totale, de la société française de la fin du
XIXe siècle. En s'intéressant à la typologie de
ces personnages, en étudiant entre autre, leurs caractères
physiques, la signification de leurs noms, ainsi que le langage dont ils usent,
force est de constater, que ces personnages ne sont pas réellement des
« personnes » (ils ne possèdent pas
véritablement de densité humaine et psychologique, leur
conscience n'est pas rendue centrale par la focalisation interne), mais
plutôt des « individus » (focalisation
externe)49(*). En
répondant à des types sociaux, ils acquièrent de cette
manière une dimension plus ou moins universelle.
a) Le type bourgeois
Dans la typologie du bourgeois, il faut citer plus largement
tous les personnages qui ont trait au monde de l'argent, et qui se trouvent
être de véritables capitalistes, nouvelle et ancienne bourgeoisie
cohabitant. Ce sont les « Rapaces »50(*). La nouvelle qui porte ce
titre consacre son premier paragraphe à l'élaboration d'une
définition de ces êtres infâmes : « Les
rapaces sont les bêtes de proie humaines, depuis les financiers de haut
vol qui tournent sur les armées en marche jusqu'aux placiers, qui
dévorent le misérable sous ses haillons »51(*). Par cette métaphore
animalière, les puissants sont présentés comme de
véritables charognards, dévorateurs de chair humaine, mais pas
n'importe laquelle, celle des prolétaires et des miséreux.
Le principal rapace de cette nouvelle est « Madame
la marquise de Donadieu », personnage mondain et respecté,
dont le patronyme ironique rend compte de toute son hypocrisie et de sa
perversité : le sort qu'elle réserve à ces jeunes
filles est-il un don fait à Dieu ? Et avec elle, c'est toute sa
société qui est moquée, et la noblesse
rabaissée52(*) : « Madame de
Sainte-Madeleine » ; « M. de Thunder »
(référence humoristique à Candide et au
château de Thunder-ten-tronck ?) ; « Mademoiselle de
Saint-Gratien » (analogie culinaire ?). La marquise
possède un double (à la même adresse53(*)) dans Le
Claque-dents : Mme Hélène de Saint-Madulphe. Personnage
mondain et intouchable (« C'est qu'elle appartenait à cette
terrible police secrète à laquelle nul ne touche sans
péril »54(*)), elle garde également en captivité la
pauvre Fleur de Genêts, et ce, avec l'approbation du juge
Mancastel55(*). Personnage
hypocrite (« Mme Hélène de Saint Madulphe, ne
s'appelait pas plus Hélène, ni Saint-Madulphe, que
Cornélie ou Thérèse »), elle appartient
effectivement à la catégorie des rapaces : « Le
capital, le pouvoir, la superstition la payaient grassement d'un bout du monde
à l'autre. Elle avait de ses dents de vipère, versé du
poison dans les plaies vives, attisé la haine entre sectaires,
répandu la défiance dans tous les groupes capables de combattre
pour la justice ; elle avait fait tant de mal que les richesses lui
étaient venues à flots. »56(*)
Dans Le Claque-dents, le financier juif
Eléazar représente le monde de l'argent et du pouvoir, tout comme
ses doubles dans la nouvelle « Les Vampires » et dans la
pièce La Grève. Avatar du rapace par excellence, il a
les doigts crochus et « arrondis en dedans comme des
serres »57(*).
Mais ce personnage ne serait rien sans sa seconde épouse Gertrude, femme
manipulatrice « chargée d'électricité comme une
torpille, implacable, hautaine, froidement cruelle, [elle] a
dépouillé le malheureux Juif de tout ce qu'il avait d'humain,
c'est elle qui le galvanise et du poète David a fait l'usurier
Shylock58(*). [...] Elle
veut être seule à gérer la fortune et à la pressurer
comme une grappe de raisin »59(*). La baronne, que Eléazar craint, est
présentée comme « Big Brother »60(*), elle voit et contrôle
tout : « Eléazar se leva épouvanté, la
baronne écoutait peut-être quelque part, elle lui semblait
toujours partout. C'est le propre des divinités d'épouvanter
leurs adorateurs, l'horrible divinité d'Eléazar avait si bien
pris possession de lui qu'il ne pouvait plus ressaisir son
individualité. »61(*). Dans le roman comme dans La Grève,
Gertrude est la « femme-capital »62(*), cupide et avide de pouvoir,
« la baronne Eléazar rêvait la royauté de l'or,
les banques juives absorbant les autres et se centralisant dans ses mains
qu'elle sentait grandir en serres monstrueuses pour étreindre le
monde »63(*) ; prête à tout, -
« l'enjeu de sa lutte est « l'accaparement »,
« le privilège ». Pour elle, la force prime le
droit »64(*) -
et capable du pire, elle n'hésite pas à recourir au meurtre.
D'après ces extraits, Louise Michel pourrait faire
preuve d'un certain antisémitisme à l'égard des juifs,
qu'elle associe de manière presque systématique au monde
financier ; en effet grand nombre des personnages-rapaces sont juifs. Mais
cette méfiance à l'encontre des juifs est une idée
fortement répandue dans les milieux socialistes et marxistes du XIXe
siècle65(*). Louise
Michel ne manifeste aucune haine contre ce peuple, elle admet et condamne
toutes les tortures dont il a été victime et reconnaît ses
souffrances : « Les Juifs d'autrefois pleurant la patrie
absente, à la harpe suspendue aux saules du rivage, ont, à
travers les âges et les tortures, étrangement
évolué. [...] On a brûlé bien des Juifs avant qu'ils
aient commencé à becqueter la chair humaine »66(*). Comme Marx67(*), Louise Michel pense que,
outre le judaïsme, ce sont toutes les religions qu'il faut supprimer pour
que les hommes puissent s'émanciper et vivre libres et
égaux68(*).
Les parvenus
Ils appartiennent également à l'espèce
des rapaces, mais contrairement à la bourgeoisie déjà
installée, ces parasites doivent encore faire leur place dans la
société ; pour ce faire, ils révèlent un
véritable tempérament de sangsue. L'attention se porte
inévitablement sur le nom symptomatique d'« Edgar de La
Serre », personnage inquiétant, auquel on ne peut se
fier69(*) et lorsqu'il est
de nouveau mentionné à son retour de l'étranger, il est
comparé à un rapace :« les bruits de guerre ont
amené un tas de rapaces, ces corbeaux humains tournoient dans l'air en
attendant le festin ». Casimir, aussi avide que lui (« la
mort de son père lui a causé une vive émotion : celle
de l'héritage, une espérance qui aboutit :
l'héritage »70(*)), est insatiable71(*), et c'est cet appétit inassouvissable qui le
conduira au meurtre de sa maîtresse pour ses bijoux, et à sa
propre perte.
Barnabé et Casimir possèdent chacun un double
dans Le Claque-dents : Sylvestre et Stéphane sont deux
oiseaux de la même espèce. Ils ont en commun d'une part leur
avidité et d'autre part leur hypocrisie. Meurtriers en
puissance72(*), Sylvestre
et Barnabé ne seront inquiétés tant ils sont habiles et
tant leur figure respire
l'honnêteté : « tandis que l'assassin, un
grand jeune homme blond aux yeux de colombe, contre lequel ne s'élevait
aucune charge, laissé parfaitement tranquille, assistait à la
vente, [...] ; il inspirait une confiance parfaite à ceux qui
jugent infailliblement si les gens ont une figure honnête ou une mine
patibulaire. [...] Il se nommait Sylvestre un nom aussi doux que son
aspect »73(*).
Sylvestre, authentique « magouilleur » et escroc
confirmé, se trouve à l'origine de manoeuvres et de tractations
douteuses et malhonnêtes, comme lorsqu'il crée (avec la baronne
Eléazar) une association fictive, chargée de vendre des actions,
elles aussi fictives, de la Nouvelle Atlantide74(*). Authentique parvenu, Sylvestre gravit les
échelons, jusqu'à être nommé ministre75(*), comme Eugène
Rougon76(*), qui symbolise
la réussite de l'opportunisme dans le cycle des
« Rougon-Macquart » d'Émile Zola. Tout comme
Barnabé est l'associé de Casimir, Stéphane est le
collaborateur de Sylvestre dans ces entreprises frauduleuses et affaires de
corruption. Stéphane est lui aussi un individu malhonnête77(*) et un assassin, il
égorge sa maîtresse nommée également Marguerite et
en rapace, récupère les bijoux qu'il venait de lui offrir
(parures ayant appartenu précédemment à la victime de
Sylvestre).
Il convient en effet de différencier cette nouvelle
bourgeoisie de l'ancienne. Ces rastaquouères78(*) constituent « la
bande à Sylvestre »79(*) et sous-couvert de religion, ils ont établi
leur quartier général au bureau du journal Au bourdon du
Sacré-Coeur de Jésus80(*). Tous ces parasites gravitent autour de la
sphère de pouvoir qu'incarnent la baronne Eléazar et Mme
Hélène, mais « il existe une
« hiérarchie des vermines humaines, dont le jeune
Alphonse [est] le dernier et le doux Sylvestre le premier », et cette
échelle sociale est ironiquement rebaptisée
« l'échelle d'Eléazar »81(*). L'auteure décrit
là un réseau financier et corrompu extrêmement bien
organisé, qui s'enrichit au dépens des plus pauvres,
« Nous retrouvons aux assises plusieurs personnages de la salle des
ventes et du salon de la baronne Eléazar, c'est autour des
misères humaines que gravite ce groupe - de quoi s'engraisseraient ces
rapaces s'ils ne fouillaient la chair vive » ; « Le
destin se déclarait pour la bande d'affameurs qui faisaient les affaires
comme on fait le mouchoir, ils étaient pickpocket en
grand »82(*).
Ces personnage méprisent et exècrent la misère83(*), ils ont en horreur les
esprits contestataires, les avancées sociales et estiment qu'il faut
tuer tout germe de révolte en supprimant la liberté d'expression
et le droit de réunion : « Sylvestre, placé
près du jeune Alphonse et du vieux Saint-Léger, causait avec eux
de tous les dangers sociaux ; du trop de liberté accordée
à la parole dans les réunions publiques ou dans les
journaux ; de l'essor incroyable pris par l'intelligence des travailleurs,
sans ajouter bien entendu que la parole et l'article de journal vont jusqu'au
bagne calédonien »84(*).
Cependant, Louise Michel ne donne pas à voir une
société manichéenne dans laquelle s'opposeraient aux
méchants bourgeois les bons et courageux prolétaires. Esther et
Marius (les enfants du baron Eléazar) appartiennent en effet à la
grande bourgeoisie, mais ne sont nullement pervertis par le monde de l'agent et
n'attachent pas non plus d'importance aux valeurs bourgeoises et
capitalistes85(*). Leur
sensibilité humaniste et les pressions familiales dont ils font l'objet
en font des résistants (notamment en refusant les mariages
arrangés auxquels on tente de les soumettre86(*)) dans La Grève
et Le Claque-dents ; mais cette résistance acquiert une
dimension plus politique et universelle lorsqu'ils se battent du
côté des révolutionnaires : « A la
grève qui précédait cette prise de possession, Marius jeta
à pleines mains, à plein coeur, tout ce qu'il pouvait, il
était de ceux à qui la nuit du 4 août parle à
travers le temps »87(*) . Esther rêve aussi d'une nuit du 4
août mondiale : « Si tu savais combien ce serait beau une nuit
du 4 août qui tiendrait le monde »88(*) ; d'ailleurs, avant même d'entrer dans la lutte,
elle est définie par ses lectures anarchistes, telles que Paroles
d'un révolté de Pierre Kropotkine89(*). Marius et Esther
représentent donc la jeunesse révoltée et l'avenir. Ils
s'insurgent contre leur père, qui incarne le vieux monde, car ils ont la
conviction qu'ils peuvent faire progresser l'humanité :
« - voyez-vous père, nous sommes à une époque
terrible, il faut être du passé ou de l'avenir, moi je suis de
l'avenir et ne permettrai pas que votre société
putréfiée m'ensevelisse ! pouah ! »90(*).
b) Le type populaire
La classe ouvrière
Le père Jo, à la manière de Morel le
lapidaire dans Les Mystères de Paris91(*), est le parfait exemple de
l'ouvrier qui, ayant travaillé toute sa vie, et malgré la
pauvreté et les malheurs qui se sont abattus sur sa famille
(« la mère, il y a longtemps qu'elle est morte, la
misère et le travail forcé aidant. Le père a
turbiné rudement pour élever les enfants restés
tout petits »92(*)),
a su rester honnête et laborieux ; il est d'ailleurs comparé
à une bête de somme93(*). Nous lui découvrons pour domicile une
misérable hutte, et c'est un tableau désolant qui est
dressé94(*). C'est
aussi l'occasion pour Louise Michel, d'aller au plus profond de cette classe
laborieuse, en décrivant avec humanité le difficile métier
de tanneur : « Pas de cheminée, un poêle sans
tuyaux. Près du seuil, un homme d'une maigreur et d'une grandeur
idéales frotte de pétrole ses jambes rougies par le
mélange de blanc d'Espagne, de chaux et de stercus de chien qu'on
piétine à deux dans les cuves, pour préparer les
peaux »95(*)
Les révolutionnaires
Louise Michel transmet une image positive « de ces
monstres révolutionnaires dont on dit tant de mal »96(*), et tente de détruire
les idées et préjugés véhiculés par la
bourgeoisie. Les deux anarchistes Edme Pascal et Jean Paul dit le Breton
« étaient les seuls révolutionnaires du procès
et encore n'avaient-ils pas comploté secrètement contre
l'État puisqu'ils le faisaient sans cesse hautement, contre tous les
états du monde »97(*) ; c'est d'ailleurs à la tribune, alors en
plein exercice de leur doit d'expression, qu'ils se font arrêter.
Condamnés arbitrairement dans le procès d'Hermann, ils sont
décrits comme d'aimables contestataires : « Les
second et troisième accusé étaient les orateurs de la
salle Octobre : un petit jeune homme aux cheveux noirs, au visage
énergique, à qui sont emprisonnement faisait perdre le travail
qui soutenait sa mère, la pauvre vieille étant en train de mourir
de faim »98(*).
A ces deux personnages viennent s'ajouter Cristel et Pierre, deux
étudiants également arrêtés et condamnés
à mort pour avoir soutenu les deux accusés, et compris que ce
procès était insensé99(*). Le « camarade Wolff », ami
militant de Marius et fiancé d'Esther, apparaît pour la
première fois dans Le Claque-dents quand la grève est
évoquée100(*). On le trouve aussi sous le pseudonyme de
Jehan101(*)
derrière lequel il se cache des autorités.
Les misérables
Il faut considérer l'acception du terme
« misérables » dans son évolution, qui
exprime pleinement les rapports complexes qui existent entre
« classes laborieuses » et « classes
dangereuses » ; cette locution ne désignera plus d'une
part les malheureux et de l'autre part les criminels, mais « ceux qui
sont à la fois, ou plus ou moins, malheureux et criminels, [et] ceux qui
se trouvent à la frontière incertaine et constamment
remaniée de la misère et du crime. Il ne désignera plus
deux conditions différentes, mais le passage de l'une à l'autre,
cette détérioration que nous décrivons : une
situation intermédiaire et mouvante, et non pas un
état »102(*). C'est justement cet amalgame que Louise Michel
expose en expliquant que c'est dans les classes laborieuses que l'on cherche
voleurs et meurtriers : « désespérant de trouver
l'assassin, on cherchait parmi les plus sinistres figures de vagabonds celui
qui aurait au visage quelques égratignures pouvant passer pour des coups
d'ongle »103(*).
Pierre Mardi (« le jour où il avait
été trouvé lui servait de nom de
famille »104(*)) est un avatar du
« misérable » : enfant trouvé, il a longtemps
vagabondé, recueilli mais mal-traité « il roula de chez
son maître à la maison de correction, dont il est sorti
voilà bientôt un an »105(*). Pierre Mardi a donc, malgré lui, toujours
côtoyé l'illégalité et été
assimilé à un délinquant et, si tôt sorti de la
maison de correction, il est de nouveau arrêté, et envoyé
au bagne, où il y meurt106(*). Réalité sociologique et psychique,
Louise Michel insiste sur la balourdise107(*) et la « folie monstrueuse » du
personnage. D'ailleurs, à l'image des forçats (comme Jean Valjean
dans les Misérables ou encore le Maître d'école
dans Les Mystères de Paris), Pierre Mardi est lui aussi
doté d'une « force herculéenne et la brutalité
de son caractère, la colère qui le poussait, doublait sa vigueur
»108(*). En outre,
il semble exister une solidarité toute fraternelle entre les
« misérables », c'est du moins ce que l'on remarque
quand Pierre Mardi retrouve un ancien camarade : « ces deux
êtres, accoutumés tout petit ensemble, souffrant dans la
même ignorance les mêmes misères, avaient
éprouvé du plaisir de se revoir après une année de
séparation »109(*).
Les vagabonds
Personnages marginaux, ces « trimardeur »
sont considérés comme des criminels et sont traqués par
la police, qui effectuent de nombreuses descentes là où ils se
réfugient : « Souvent les gendarmes, sous prétexte
de moralité, en font sortir les femmes et les enfants qu'ils chassent
dehors en troupeau lamentable »110(*). Comme le démontrent les documents de
l'époque, c'est bien la faim, plus largement la misère, qui
pousse ces pauvres au vagabondage et à la mendicité,
dernières étapes avant la mort111(*). C'est en effet la fatalité et le
désespoir qui font de Marguerite une vagabonde (abandonnée par
son fiancé, qui l'a dupée, son père et son frère
sont sont en prison) : « Le sinistre troupeau se dispersa, car
la loi défend de marcher tant de monde ensemble. [...] C'est ainsi que
Marguerite commença la vie de celles qui roulent112(*) au mois ou à
l'année, tandis que les autres roulent à la
nuit »113(*) ;
triste destinée qui la contraint à se prostituer114(*). Une autre jeune fille en
fait l'expérience dans Le Claque-dents : Fleur de
Genêts s'est enfuie de chez Mme Hélène, qui la retenait
captive, et perdue dans Paris, elle est arrêtée pour vagabondage
(et prostitution) et est emmenée au dépôt115(*).
Jaël dans Le Claque-dents - c'est lui qui
trouva Fleur de Genêts116(*) - est la figure positive du vieux mendiant ;
pauvre et vivant seul, il est entouré d'une aura de superstitions :
on dit de lui qu'il a « la mauvaise main » et tout le monde
le fuit117(*). Victime
de persécutions et d'une arrestation arbitraire, il se joint à
Wolff dans la lutte118(*).
Les enfants
Le « gamin de Paris », le Gavroche, est
un personnage typique des romans populaires du XIXe siècle,
mais il s'agit d'un fait sociologique et d'un réel problème du
Paris de cette époque ; Hugo constate : « les enfants
errants abondaient dans Paris. Les statistiques donnent une moyenne de 260
enfants sans asile ramassés alors annuellement par les rondes de police
dans les terrains non clos, dans les maisons en construction et sous les arches
des ponts. [...] c'est là, du reste, le plus désastreux des
symptômes sociaux. Tous les crimes de l'homme commencent au vagabondage
de l'enfant »119(*). Considéré comme délinquant, un
de ces gamins, « en guenilles », est arbitrairement
interpellé par les forces de l'ordre - « - Tu vas nous suivre,
petit brigand ! » - dont il se moque et contre lesquelles il
tente de lutter : « - Ce gamin pourrait peut-être donner
des renseignements sur l'assassin, disaient les agents, en entraînant le
petit, qui se démenait comme un enragé »120(*). Ces gamins étaient
organisés en bandes, et c'est d'ailleurs en prenant Yves Gallo pour la
sentinelle de l'une d'elle, que celui-ci est arrêté par la police,
et envoyé eu dépôt121(*).
En opposition avec les « gamins de
Paris », il y a les enfants issus de la campagne, notamment de
Bretagne - terre au folklore légendaire et aux traditions ancestrales :
« Voilà le village avec les maisons aux murs de terre, le
fossé comme au temps des Gaules »122(*). Makaïke et Viktoria,
avec leurs « coiffes blanches du pays », sont l'innocence
même, elles sont d'ailleurs comparées à deux
« fleurs de genêt des landes de Bretagne »123(*). Cette partie du monde
semble en effet avoir échappé au temps et à la
modernité et c'est de la ville qu'arrivera la menace, perturbant ainsi
cet équilibre presque édénique :« une dame
de tournure et d'âge respectable venue [...] chercher, sur les
côtes de Bretagne, une jeune fille pieusement élevée pour
en faire sa servante »124(*). Il convient également de citer le
héros de la nouvelle « Les Rapaces ». Yves
Gallo125(*) (Gallois,
Gaulois ?), le petit gardeur de vaches est « un enfant d'une
douzaine d'années, à la chevelure emmêlée, aux
habits de grosse toile »126(*), ses cheveux sont aussi comparés à
« une crinière de lion »127(*). Il porte un prénom
typiquement breton, dont l'origine celtique (iv) fait
référence à la nature. Louise Michel fait de ce jeune
homme, à l'allure sauvage, un héros romantique :
« L'enfant, toujours seul devant la nature, s'était
identifié avec elle ; le vent lui chantait de douces ou terribles
choses. Les flots l'appelaient près du bord et longtemps il y restait
pensif, regardant devant lui - les ailes de mouettes ou les voiles blanches
à l'horizon »128(*).
c) L'argot : le langage
révélateur
Louise Michel insère constamment dans le texte des
mots d'argot parisien, langage subversif qui relève d'un art de vivre,
d'une façon d'être, qui engendre un
« habitus », comme dit Pierre Bourdieu, et un univers de
langage129(*). Mais qui
en sont les usagers ? « Pas question bien évidemment
d'écarter la voyoucratie !130(*) ». L'argot naît dans les rues, dans
les bistrots, dans des lieux malfamés, il est le parler des truands. La
thématique du lexique argotique en témoigne : la femme et le
sexe réduits aux prostituées, le travail réduit à
la prostitution (« turbin »,
« turbiner »131(*)), la boisson réduite à l'alcool, les
faits de société sont réduits à des
problèmes de justice (procès, prison...). L'argot ne
possède pas de vocable pour ce qui est bien-pensant, familial,
spirituel132(*).
Il existe différents types d'argot, qui ne
répondent ni aux mêmes besoins et ni aux mêmes projets
esthétiques. L'argot réaliste apparaît au XVIIIe
siècle pour devenir au XIXe siècle l'ornement
obligatoire de toute prose ou poésie réaliste, naturaliste,
populiste133(*). En
effet, le langage a un rôle de révélateur et, mieux que
toute description physique, il permet de définir un personnage ;
c'est ainsi que l'emploi de l'argot par la narratrice déclenche la
description de Pierre Mardi : « C'est la langue du gros et
grand individu qui marche le premier ; il est né là-dedans,
sur le trottoir, neuf mois après la nuit du mardi-gras, il y a
vingt-deux ans. Qui donc lui en aurait appris une autre en roulant des enfants
trouvés chez un paysan, qui le rouait de coups et le faisait mourir de
faim ». Le second personnage de ce récit intitulé
« Les Vampires » est définit lui aussi par le
langage, mais précisément par opposition à son
« compère » : « L'autre ne parlait
pas la même langue »134(*) .
Visiblement, la narratrice maîtrise parfaitement le
langage de la pègre, et connaît les bas-fonds de la
société où fourmillent ces individus. Elle impose au
lecteur une visite guidée dans ces profondeurs hasardeuses et
périlleuses, depuis les lieux de rencontre les plus sinistres,
jusqu'à l'échafaud : « Ils ont fait alliance, la
brute et le détraqué dans les bouges à la
retorque et à la relampe, où vont les
fleurs du quart, les futures poires à Charlot, les
grelucheux, enfin toute la freluche d'astif dont quelques-uns
feront courir pendant bien des nuits les amateurs du jeu de couperet à
la place de la Roquette »135(*). Les termes argotiques utilisés par Louise
Michel ne sont nullement traduits et l'origine et la traduction de certains
restent obscures (« à la retorque et à la
relampe », « freluche
d'astif »). Ces manifestations littéraires peuvent
être associées à « l'argot
secret »136(*). Les auteurs sont alors des argotiers qui ont
écrit pour leurs semblables et qui paraissent avoir voulu rendre
impénétrable leur texte pour tout lecteur que le message ne
concerne pas, et - outre le plaisir verbal qui s'en dégage - Louise
Michel ne se trompe pas sur le public visé.
L'argot n'est donc pas une simple fioriture
langagière, mais répond à des besoins : d'une part,
à celui de souder linguistiquement un groupe, de connivence
grégaire137(*)
(« Il avait retrouvé au greffe un de ses anciens camarades,
l'un, Pierre, revenait de son jugement ; l'autre Étienne, partait pour
la Calédonie. - Si tu veux, nous nous retrouverons là-bas, dit
Étienne ; alors faut pas faire de renâcle d'astif.
Tâche de venir de suite. Nous travaillerons dans le gris
rouge »138(*)) ; et d'autre part, au besoin de
créativité subversive à travers laquelle
l'expressivité (manifestation extrême de la personne du locuteur)
parvient à se manifester. Nous pouvons donc classer l'argot de Louise
Michel dans « l'argot lyrique », qui regrouperait
« l'argot secret » et « l'argot
réaliste »139(*).
Issus de toutes les classes sociales, les personnages
appartiennent à un vaste réseau (connaissances, correspondances
et coïncidences), ce qui permet à notre
romancière-nouvelliste de dresser une vaste fresque sociale. Leur retour
à travers les différentes oeuvres favorise l'analogie à la
Comédie humaine de Balzac, mais il convient de nuancer cette comparaison
car, ce ne sont pas vraiment les personnages-individus qui reviennent, mais
plutôt les types, c'est-à-dire leurs noms et leurs
caractéristiques : par exemple, Gertrude est la femme-capitale dans
Le Claque-dents et dans La Grève. En outre, Louise
Michel est davantage intéressée par la dimension collective de
l'existence humaine - tous les personnages étant touchés par les
mêmes forces - et elle insiste sur la notion de fatalité qui guide
les hommes : « Des poignées de sable tournoyant sous la
même tempête, tels sont les personnages de ce
récit »140(*). En effet, à travers ces destins individuels,
Louise Michel cherche à tendre vers l'universalité :
« De plus en plus les grains de sable humains que le vent place et
déplace se trouvaient groupés. Tantôt l'orage
dissémine la poussière, tantôt elle la réunit, ainsi
fait des hommes le tourment sociale »141(*). L'homme est ainsi pris dans un tout (social et
biologique) dont les forces lui échappent.
3/ L'INFLUENCE DES SCIENCES NATURELLES ET
HUMAINES
Louise Michel est indéniablement passionnée par
les sciences naturelles142(*), mais c'est surtout l'homme qui constitue son
principal terrain d'investigation et qui se retrouve au centre de ses oeuvres.
Au XIXe apparaissent ce que Bachelard appelle des
« continents scientifiques nouveaux », en particulier dans
le domaine des sciences dites « humaines ». Naît
alors la discipline historique, abordée cette fois de manière
scientifique, car au lieu de se tourner vers la littérature et la
philosophie, les historiens se tournent vers les sciences de la nature et le
positivisme143(*). La
psychiatrie et la biologie se développent ; le magnétisme,
l'occultisme et autres doctrines supranaturelles connaissent leurs plus belles
heures144(*).
a) Louise Michel, naturaliste
Le roman est la forme d'expression privilégiée
du naturalisme, mais c'est plus largement toute la littérature de cette
fin de siècle, et tous les genres, qui est tournée vers la
naturalisme145(*).
L'écriture naturaliste utilise abondamment les métaphores
animales et, ou végétales afin de décrire les
mécanismes de la société, et Louise Michel, comme ses
contemporains, use et abuse de ses comparaisons : « Un monde
croulait, un monde naissait. Hommes et feuilles mortes s'en allaient au
gré du vent, tombant dans l'humus où fermentent les
germinals »146(*). Comme Émile Zola qui comparait Nana à
une « Mouche d'or »147(*) qui putréfie l'aristocratie et la
société, Louise Michel fait cette comparaison :
« C'est qu'à ces époques, l'homme pareil aux mouches
charbonneuses qui se gonflent de poison sur les charognes au bord des chemins,
s'imprègne des infections sociales. Tout alors touche à la folie,
au crime, au désespoir, et comme le fumier fertilise la terre, ces
monstruosités peut-être hâtent l'éclosion des germes
nouveaux »148(*) ; à travers l'image des mouches
charbonneuses149(*),
elle dénonce l'atmosphère de pourrissement qui règne alors
dans cette société infectée, la corruption et sa
prolifération.
En outre, Zola n'a de cesse d'affirmer que « le
naturalisme est le mouvement même du siècle : la
littérature doit nécessairement évoluer au même
rythme que les autres manifestations de l'activité
humaine »150(*). Or, le XIXe siècle progresse en
matière de science et de technologie à un rythme
effréné. La Révolution Industrielle modifie très
sensiblement les modalités de fonctionnement de la littérature
dans ce monde en pleine expansion :« Toute la vie
littéraire de la seconde moitié du XIXe siècle se
déroule sur un fond d'histoire économique, sociale, mentale,
politique où de nombreux événements ont une dimension
internationale. [...] la découverte de nouvelles lois scientifiques,
l'élaboration d'applications pratiques de ces lois, la création
d'un nouvel ordre occidental qui achève de partager le monde, et,
phénomène peut-être capital pour la vie artistique,
l'exploration des rapports entre l'art et l'industrie »151(*) . L'Europe et le monde
tendent donc à s'organiser, non seulement sur le plan politique et
diplomatique, mais aussi en ce qui concerne la circulation des biens, des
personnes des idées (bien que les progrès techniques
diffèrent selon les états, qui n'atteignent pas les mêmes
niveaux de développement). Cependant, Louise Michel ne conçoit
nullement la mondialisation comme le processus de capitalisation des richesses
mais comme le partage des techniques et du savoir. Ces préoccupations
socio-économiques à l'échelle mondiale sont
caractéristiques de son oeuvre et de sa personne, qui préconisent
une organisation internationale des travailleurs152(*), et de tous les
hommes : « La grève montait de plus en plus. Elle tenait
l'Europe, l'Amérique, et une partie de l'Asie »153(*). Louise Michel fait montre
d'une authentique sensibilité internationaliste immanente dans son
projet social : « la liberté qu[e le naturalisme]
revendique pour l'écrivain est inséparable de la reconnaissance
de sa place de producteur, plutôt que de créateur, dans la
société. En fin de compte, c'est peut-être là que le
naturalisme opère la rupture la plus décisive avec les mouvements
littéraires qui l'ont précédé, y compris le
réalisme : la vocation d'homme de lettres doit s'épanouir et
se réaliser dans la profession d'écrivain, le génie
solitaire devient le travailleur solidaire de ses concitoyens.
L'écrivain naturaliste est indissociable du « groupe
social » auquel il appartient »154(*).
b) Une application sociale du
darwinisme ?
Les naturalistes, héritiers de Darwin, retiennent
quelques thèmes abordés par le biologiste dans L'origine des
espèces (1859), tels que la sélection naturelle, le
problème d'hérédité/milieu, la lutte pour la vie,
avec cette idée que l'humain est englobé dans le
biologique155(*). Louise
Michel cherche aussi à exposer de manière positiviste cette lutte
pour la vie. C'est en effet par l'expérience de ses personnages,
véritables cobayes évoluant dans la « jungle
sociale », quelle applique à la société les
concepts de « survie des plus aptes » et
d'« élimination des plus faibles ». La lutte pour la
vie s'exerce de deux façons : sous forme de la lutte de
l'être vivant contre le milieu environnant ou contre les individus des
autres espèces ; mais aussi par l'intermédiaire de la
compétition que les individus de même espèce se livrent
entre eux156(*). La
romancière met l'accent sur ce dernier aspect et dénonce le fait
que c'est la classe dominante qui engendre la pauvreté et la violence
dans les classes inférieures, empêchant ainsi toute
solidarité et cohésion sociale : « il faut bien que les
subalternes exécutent les ordres qu'ils reçoivent des hautes
sphères gouvernementales. Sans cela le pain manquerait à leurs
petits, ce pain rougi de sang dont ils nourrissent leur nichée
affamée - ce n'est pas d'ordinaire pour s'amuser que les
misérables se font assassins ou mouchards. Dans le haut de la
hiérarchie ce sont les grands veneurs ; dans le bas les meutes qui
parfois éventrent le cerf aux abois »157(*).
Manifestement, Louise Michel adhère à
cette application marxiste de la théorie de l'évolution, voyant
dans la lutte pour la vie la lutte des classes dans un régime
capitaliste, et cette lutte des classes devenant carrément la forme
humaine de la lutte pour la vie : « Le monde qui nous est
donné, à travers cette lecture est la jungle sociale. La ville ;
la ville monstrueuse, où se guettent, s'affrontent les classes sociales
en guerre totale, pour l'extermination de la peur ; peur de la misère,
de la faim. A l'autre bord du spectre social, une autre peur ; celle des
possédants, ivres de leurs privilèges, des passe-droits de leur
classe »158(*). Cependant,
cette lutte pour la vie n'est pas l'état naturel des relations
sociales159(*), sinon ce serait
« une lutte égoïste des êtres vivants pour
eux-mêmes et ceux qui leur sont génétiquement
proches »160(*), c'est pourquoi les hommes doivent s'organiser
collectivement et lutter : « Comme l'avaient prévu Marx
et Engels, la lutte pour la vie n'est donc pas une malédiction
éternelle : sa forme humaine, la lutte des classes, est un
héritage animal qui peut et doit disparaître (car il n'a plus
aucune signification objective) lorsque la technique humaine est assez
productive, lorsque les hommes en ont conscience, et qu'ils font le
nécessaire pour en remettre l'administration à la
collectivité »161(*).
c) L'investigation profonde de l'homme
En 1881, le physiologiste Charles Richet constate :
« Nous avons la ferme conviction qu'il y a, mêlées aux
formes communes et décrites, des forces que nous ne connaissons
pas ; que l'explication mécanique, simple, vulgaire, ne suffit pas
à expliquer tout ce qui se passe autour de nous ; en un mot il y a
des phénomènes psychiques occultes, et si nous disons occultes,
c'est un mot qui veut dire tout simplement inconnu »162(*) ; et c'est de ce
constat que la fin du XIXe siècle voit naître la
« clinique », autrement dit la psychiatrie. L'Homme,
considéré comme un sujet pensant, homogène,
gouverné par la raison et dont en même temps la raison pouvait
rendre compte, devient un individu divisé, problématique,
recelant en lui-même des profondeurs insoupçonnées. Le
fameux partage raison/folie vole en éclat. Il n'y a plus de fous :
il n'y a plus que des aliénés163(*). Louise Michel s'est intéressée de
près à la folie, comme en témoignent Le Livre
d'Hermann et Lueurs dans l'ombre, plus d'idiots, plus de fous,
dans lesquels elle propose des moyens de guérison, et montre que
l'aliénation n'est qu'un trouble, une perturbation de l'individu ;
il n'en demeure pas moins un être humain comme les autres. Elle adopte
exactement la même démarche pour aborder le crime, qu'elle
considère comme une maladie mentale : « Le
désordre moral est la conséquence inévitable d'un
désordre physique et beaucoup de crimes peuvent être
classés dans les cas pathologiques. Cette opinion née du
siècle dernier est aujourd'hui partagée, on pourrait dire
professée par l'école médicale et
expérimentale »164(*). C'est précisément de ce rapport entre
crime et folie que Les Crimes de l'époque traitent, où
cette « maladie du crime » prend la « marche
effrayante de l'épidémie ; personne ne niera qu'il y eut des
épidémies de suicides : il en est de même du
crime »165(*).
Ainsi, les échanges sont incessants entre la science
et la littérature. La littérature réaliste et naturaliste
manifeste un profond intérêt pour la science, de laquelle elle
n'hésite pas tirer des concepts, qu'elle transforme en matériau
littéraire ; le roman est alors fondé sur des données
scientifiques ou jugées telles à l'époque, ce qui lui
donne une certaine légitimité : il s'agit d'être
conforme à la science166(*). Louise Michel s'accorde elle aussi ce crédit
scientifique : « Les médecins reconnaissent des formes
particulières de démence dans les crimes de cette
sorte. »167(*).
Réciproquement, les sciences naissantes, la psychiatrie et la biologie
en particulier, sont encore trop discutées pour ne pas avoir besoin de
la caution que peuvent leur donner les écrivains : les
scientifiques puisent donc de nombreux exemples et d'informations dans les
oeuvres littéraires168(*).
***
Au-delà des repères chronologiques manquants,
c'est un régime autoritaire et dictatorial, que l'auteur critique - le
Second empire ? la Troisième République ? L'auteure
investit tous les milieux sociaux et va au plus près de cette
« classe laborieuse et dangereuse », afin de comprendre les
raisons du mal-aise social. La littérature réaliste est
incontestablement « l'instrument d'exploration du réel et
d'analyse de la société, outil conscient de la critique
sociale »169(*) et on peut alors qualifier la littérature de
Louise Michel de littérature sociale170(*). Et pour rendre au mieux compte de ce mal-aise
social, l'auteure n'hésite pas à user du registre fantastique car
les frontières de l'étrange ou de l'étranger se sont
déplacées ; elles ne sont plus liées au surnaturel, mais
à l'être humain lui-même : l'inconnu n'est pas dans le monde
extérieur, il est dans l'homme.
SECONDE PARTIE :
ROMAN NOIR ET NOUVELLE
FANTASTIQUE
Paradoxalement, le fantastique se révèle
être un outil d'exploration du réel et d'analyse de la
société ; il renforcerait même l'effet de réel
: « Personne, au XIXe siècle, et surtout pas les
écrivains eux-mêmes, ne songent à assimiler le fantastique
au surnaturel. Tous, déjà, insistent sur le fait que le
fantastique doit s'inscrire dans le réel »171(*). La critique sociale,
présente dans Le Claque-dents et Les Crimes de
l'époque, repose principalement sur l'écriture fantastique.
Nodier constate d'ailleurs avec raison que ce qu'il appelle fantastique
correspond à des périodes d'insécurité et de
profonde crise socio-politique, dans lesquelles l'individu ne peut plus
être pris en charge par la collectivité, et se trouve soudain
renvoyé et confronté à lui-même172(*). Le fantastique fournit au
lecteur la vision d'un monde absurde et revêt toute une panoplie de tons,
allant de la satire à la tragédie, de la farce à l'humour
noir.
***
1/LE FANTASTIQUE
a) Contexte de la littérature
fantastique : crise des valeurs et décadence
Le récit fantastique et le roman noir s'enracinent
dans un époque d'interrogation et de doutes quant aux valeurs politiques
et morales de la société. On assiste à une remise en cause
de Dieu, dont Nietzsche et Dostoïevski proclament la mort ; il
n'existe plus de morale universelle et c'est seul que l'homme doit assurer son
salut173(*). Le roman et
les nouvelles mettent en scène cette société en
déclin, ce monde en perdition, et Louise Michel dresse le tableau d'une
fin de siècle pourrissante : « Tous ces microbes vivant
des infections sociales s'arrangeaient pour durer dix mille ans, ils se
trouvaient si bien que l'idée de la mort ne pouvait les
atteindre »174(*). Ce monde, que l'on avait longtemps cru
éternel et immuable, se révèle être mortel et
périssable. Dans le domaine politique et social, les espoirs
fondés sur la Révolution française et sur Napoléon
Ier sont effondrés. La société n'est pas
capable de répondre aux exigences de ses membres, il n'y a pas de projet
de société, de buts collectifs, ni de tissu social solide, alors
chacun recherche une solution de manière individuelle ou
communautaires175(*).
Louise Michel avertit d'ailleurs le lecteur de la fin prochaine, par ce type
d'annonce apocalyptique : « Le claque-dents, c'est l'agonie du
vieux-monde. Il rêve de s'affubler encore de pourpre et d'hermine et de
donner à boire aux épées. Mais la pourpre et l'hermine
sont souillées, les épées rouillées ne veulent plus
boire, l'orgie est terminée. »176(*). Ainsi commence Le
Claque-dents, dont le titre - expression empruntée à
l'argot177(*) - est une
métaphore dégradante qui compare le monde à un lieu de
débauche et de perversion, à un univers sinistre et maudit,
où grouillent toute sorte de personnages à la moralité
douteuse : « Dans cette fin d'époque, où si
profondes sont les pourritures sociales, [Gertrude] sème, sème
sans cesse ; pour elle, c'est le germinal de l'or, elle espère
bien, avant que frimaire blanchisse ses cheveux, avoir mis à l'abri de
prodigieuses moissons »178(*). L'auteure précise de manière
récurrente que son récit relève d'une actualité
follement effrayante et sombrement absurde : « Qui pourrait
croire à ces récits de cauchemar ! des spectres poursuivant
d'autres spectres, une chasse sans fin pour la sécurité, pour les
appétits, pour la vie, les uns dévorants les autres, la meule de
la misère écrasant tous ces grains humains : tel est
l'horrible délire qui agite notre époque »179(*).
Les différentes nouvelles nous donnent à voir
une société hypocrite, le pire étant qu'en essayant de
sauver les apparences, elle ne fait que s'enfoncer dans cette
déchéance. « Les Rapaces » insiste sur le
fait que les moeurs décrites appartiennent à une période
de profonde dégénérescence, à une ère de
violence, de meurtres et de folie, passée et contemporaine :
« [La demeure de Madame la marquise de Donadieu] avait dû
être construit[e] ainsi, soit dans les temps où florissaient le
Parc-aux-Cerfs et autres choses du même genre, soit de nos jours par des
misérables, devenus maniaques à force de corruption dans leurs
ascendants et dans eux-mêmes, ce qui constitue un de ces états
morbides d'où sortent les crimes de toutes sortes »180(*). L'auteure met en avant
l'hypocrisie des institutions religieuses et le détournement des valeurs
sur lesquelles elles reposent. Par exemple, la perversité de la
supercherie, relayée par le journal chrétien Le Lys de
Sidon, est telle que c'est l'Église elle-même qui fournit la
Marquise de Donadieu en chair humaine181(*).
b) Qu'est-ce que le fantastique ?
Tentative d'élaboration d'une définition du
fantastique
La plupart des définitions du fantastique sont
d'accords pour dire qu'il repose sur une rupture de la cohérence
universelle ; il brise la stabilité d'un monde dont les lois
étaient jusqu'alors tenues pour rigoureuses et immuables :
« Il est l'impossible, survenant à l'improviste dans un monde
d'où l'impossible est banni par définition. [...] Si
désormais le prodige fait peur, c'est que la science le bannit et qu'on
le sait inadmissible, effroyable. »182(*). Le fantastique recèle donc dans l'irruption
violente et inattendue du « mystère » : «
[Le fantastique] se caractérise, au contraire [des récits
mythologiques ou des féeries], par une intrusion brutale du
mystère dans la vie réelle ; il est lié
généralement aux états morbides de la conscience qui, dans
les phénomènes de cauchemar ou de délire projette devant
elle des images de ses angoisses ou de ses terreurs. [...] ; il
décrit des hallucinations cruellement présentes à la
conscience affolée, et dont le relief insolite se détache d'une
manière saisissante sur un fond de réalité
familière »183(*).
Par ailleurs, le vecteur privilégié du genre
fantastique serait la nouvelle. Par sa forme courte, celle-ci serait la plus
apte à relater ce genre d'événements, car le récit
fantastique reposerait par essence sur la confrontation de seulement deux
éléments : un personnage et un élément
perturbateur. L'élément perturbateur peut être surnaturel
ou pas, mais de manière générale, toutes les
manifestations de la folie, les hallucinations ou autre, doivent être
envisagées comme des figures, naturelles cette fois, de
l'élément perturbateur. Toutes ces manifestations ont pour point
commun de perturber profondément l'équilibre intellectuel du
personnage, et par ce biais, de remettre en question les cadres de
pensée du lecteur lui-même. Finalement, ces manifestations
(malgré les figures très différentes qu'elles
revêtent) peuvent être regroupées et désignées
sous le terme générique de
« phénomène »184(*).
La théorie de « L'inquiétante
étrangeté » selon Freud : « Das
Unheimliche »185(*)
Ce concept freudien désigne en psychanalyse
un état dans lequel ce qui était connu et familier devient
inconnu, voir étrange, et qui révèle de manière
transgressive ce qui aurait dû rester caché. « Das
Unheimliche » est donc l'expression de l'inconscient qui
ressurgit et qui perturbe le « moi » conscient. C'est le
retour du ça (das Es), les pulsions inconscientes -
qui avaient été refoulées, car en désaccords avec
les conventions sociales et morales - réapparaissent alors186(*).
Dans la nouvelle « La Lettre anonyme »,
Daniel a refoulé durant dix ans son sentiment de jalousie et de
suspicion quant à la fidélité de sa femme :
« Il ne fut plus question de cette scène entre les deux
époux ; mais elle leur restait en blessure au coeur ; rien ne
pouvait la guérir et tout contribua à
l'envenimer »187(*). C'est cette pulsion mal maîtrisée qui,
quand elle ressurgit, se métamorphose en folie et se manifeste par des
hallucinations ; son angoisse investit pleinement son univers familier, et ce
qu'il croyait sûr et constant se transforme en lieu étrange et
étranger à lui-même : « L'instant vint
où le fantôme ne le quitta plus, lui mettant de temps à
autre sur l'épaule la manche vide de sa soutane. Sur l'oreiller, sa
tête se trouvait entre la sienne et celle de sa femme. Il planait sur le
berceau de ses enfants, ricanant en les montrant »188(*). Pierre Mardi dans la
nouvelle « Les Vampires » est également
submergé par le monde des pulsions et n'a alors pas conscience de
l'assassinat qu'il est en train de commettre. Mais contrairement à
Daniel, ce comportement spontané renverrait à un état
antérieur et sauvage de l'homme : « Un jour,
frappés de coups de soleil ou ressaisis par les révoltes fauves
de leur nature, ils cherchèrent à se déchirer l'un
l'autre. [...] On le surprit mordant à même la chair, comme si
l'anthropophagie, - ce goût des tribus encore à l'état
primitif, - était revenu »189(*). Ce qui avait été refoulé par
la civilisation a ressurgi de manière anarchique et
auto-destructrice ; d'ailleurs, Pierre Mardi ne peut plus supporter cette
part de bestialité et se suicide.
c) Une écriture de la
rationalité
Louise Michel use d'une écriture très
réaliste et met en exergue la rationalité des faits, les
manifestations fantastiques n'étant que la démonstration de la
folie des personnages, et non l'expression vivante et acceptée comme
réelle, d'un élément démoniaque et prodigieux.
Malgré la présence d'un spectre dans la nouvelle « La
Lettre anonyme », c'est bien l'expression de la folie de Daniel qui
est donnée à voir au lecteur : « [...] poursuivi
par un fantôme, tel aussi qu'il le voyait ; et cela, non pas par ce
vague clair de lune qui donne aux choses des formes spectrales ; mais par
le grand soleil, dans une plaine éclairée et chaude ».
La narratrice, afin de rationaliser davantage son récit, ne laisse aucun
doute quant à la possible existence de ce spectre et insiste sur
l'isolement du personnage, en faisant du lecteur non un complice, mais
seulement un témoin : « L'homme épouvanté
n'avait ni la nuit ni la solitude ; il était évident que lui
seul avait la vision terrible. C'était
épouvantable »190(*).
Cependant, certains personnages semblent accomplir leurs
actes - et ce, malgré leur folie apparente - avec un calme conscient et
une grande intelligence. C'est de cette manière que Casimir,
après avoir égorgé Marguerite et bien qu'il tremble
d'horreur, fait subir le même sort à la femme de chambre, prend
les bijoux et accomplit toutes ces tâches avec soin :
« toujours calme, comme on fait un travail sans se presser, Robichon
visita les tiroirs, alla à la salle de bains, où il se lava
minutieusement, changea de vêtements, emporta les siens bouclés
dans la valise afin de les brûler, et s'en alla prendre un fiacre pour se
faire conduire à la gare Montparnasse, où il prit un billet, et
ne partit point »191(*). Comme dans la nouvelle « Le Beau
Raymond », le meurtrier impassible agit aussi avec méthode
(« L'assassin avait eu soin de briser à chacune de ses
victimes les vertèbres du cou »192(*)), mais contrairement
à Casimir, il « n'en n'était pas à son coup
d'essai »193(*). Rusé, il fait de Raymond, témoin du
meurtre, son complice et partage le butin avec lui :
« L'assassin avait tiré les rideaux des fenêtres de peur
qu'on ne vit à travers les interstices des volets. Paisiblement, sans se
tromper, sans s'arrêter, il faisait les deux tas. [...] Il jeta sa part
dans une valise et s'éloigna de son même pas lourd et
régulier »194(*). Enfin dans « Les Vampires », la
narratrice transmet sur le mode du discours indirect-libre, les
réflexions pleines de bon sens de Jean Eléazar, alors qu'il est
en train de commettre un acte follement effroyable : « Pas une
crainte ne passa sur lui. Ces morts ! est-ce qu'ils ne dorment pas pour
toujours ? Il y a longtemps qu'ils se seraient tous levés, les
morts, s'ils avaient à s'éveiller ! [...] Est-ce qu'il
allait reculer ? non, n'était-elle pas morte pour tout le
monde ? qui donc saurait son crime ? »195(*). D'ailleurs, la narratrice
reconnaît elle-même que « cette sorte de folie
n'empêche pas la ruse »196(*).
Les lieux
Louise Michel place ses intrigues en milieu urbain, le
principal décor du roman et des nouvelles étant Paris, et ce,
dans un temps contemporain à celui de l'écriture. Ces
récit sont donc puissamment ancrés dans le réel197(*) et nous sommes alors bien
loin des espaces à l'architecture médiévale, des lieux
isolés et déserts, chers au roman gothique (ancêtre du
récit fantastique). La ville apparaît comme un espace sinistre et
dangereux, et Louise Michel pointe du doigt l'atmosphère
mortifère de celle-ci ; l'air de la capitale est
irrespirable : « [Fleur de Genêts] s'enfuie par la nuit
profonde dans la grande ville qu'elle ne connaissait pas, dont elle avait peur,
[...]. [Elle] courut, d'abord tout droit devant elle - un instant le chemin de
fer passant sur une voûte lui fit l'illusion de la mer, elle respira
à pleins poumons les poignées de poussières
soulevées par le vent » ; et c'est une fois hors de
Paris, que l'air est purifié : « quelques flocons de
neige tourbillonnant dans l'air en avaient fait disparaître les
poussières malsaines, il était frais et semblait
pur »198(*).
Paris, que Louis Chevalier dépeint, est une ville malade et toxique,
clairement dominée par le crime, il conclu d'ailleurs de cette
manière : « [...] non seulement [Paris est] une ville
criminelle et violente, mais une ville malade et à ce point que
structures sociales et relations sociales s'y trouvent ramenées en
permanence à des problèmes de vie ou de mort »199(*). Ainsi l'espace urbain, tel
qu'il est mis en scène par Louise Michel, ressemble de très
près au sombre décor des Mystères de Paris, et
pour reprendre une expression de Roger Bozzetto200(*) à propos du
fantastique chez Eugène Sue, nous pouvons également parler de
« fantastique urbain » à propos du roman et des
nouvelles de Louise Michel.
En effet, les premières lignes du recueil Les
Crimes de l'époque donnent le ton, puisque celui-ci
commence à la Morgue. Il convient de souligner que la morgue est un
des lieux de prédilection de cette littérature du XIXe
siècle, qui fait du crime son principal thème201(*). Puis, Louise Michel
entraîne le lecteur dans un four à plâtre - abri nocturne
traditionnel des vagabonds - qui devient absolument morbide sous la plume de
Louise Michel : « Le silence se fit pareil à celui d'une
tombe »202(*).
Le dépôt, lieu sinistre où nous suivons le père
Hermann dans Le Claque-dents, accueille la même population
fangeuse et dégage la même atmosphère :
« Après une nuit passée au dépôt,
pêle-mêle avec la vermine et les racontars fantastiques des
affamés, des désespérés, des misérables de
toutes sortes, les uns sont dans le délire, les autres
glacés »203(*) .
C'est un univers vertical que décrit l'auteure et le
lecteur, comme les personnages, effectue une chute dans ce monde des
profondeurs, psychiques et sociale. Le décor rend lui-même compte
de cette verticalité et la résidence de Madame la marquise de
Donadieu pourrait être une maison bourgeoise ordinaire, si elle ne
renfermait pas quelques passages secrets, trappes et escalier204(*) ; elle possède
en outre, une sorte de laboratoire secret servant à l'élaboration
de poisons. Outre ces éléments inquiétants, ce lieu
menaçant l'est par le détournement des symboles religieux et
cette demeure acquiert des allures de château gothique. La
réflexion d'Yves Gallo traduit avec justesse cette
angoisse : « - Tout cela n'est pas pour qu'on dorme en
sécurité ici, [...]. Ça n'a l'air de rien. Ailleurs, ce ne
serait rien ; ici tout fait peur. Il avait raison : jusqu'à la
bonne Vierge en plâtre, placée à la tête du lit, qui
infectait le crime ». Tous les ingrédients du genre sont
réunis, Yves se retrouve même blotti contre un cadavre dans un
coffre205(*). Enfin,
l'éboulement de la maison qui clôt la nouvelle (comme dans La
chute de la maison Usher ?) conservera à jamais le secret de cette
demeure, de ses habitants et de leurs pratiques. Il s'agit donc d'une
plongée dans dans les coulisses de la société, dans ses
bas-fonds, et parallèlement dans un monde de fantasmes et de
pulsions.
Ainsi, Louise Michel joue avec les codes du récit
fantastique, en oscillant entre stéréotypes et vraisemblance. La
nouvelle « Les Vampires » débute avec deux hommes
qui rodent dans un cimetière en pleine nuit, mais l'écriture
rationnelle de Louise Michel contrebalance ce topos du récit d'horreur,
en nous renseignant par exemple sur la manière dont se sont introduits
les deux individus (« Ils ont employés, pour entrer dans le
cimetière, le moyen le plus simple : l'un a fait la courte
échelle à l'autre, qui l'a ensuite
remorqué. »206(*)), témoignant ainsi de toute la vraisemblance
de son récit. Fidèle à sa volonté de transmettre
une topographie sérieuse, elle indique qu'il s'agit du cimetière
du Père Lachaise et précise même l'heure de la nuit (deux
heures du matin). Par ces procédés, elle fait du lecteur un
simple témoin, ne prenant pas part aux événements. L'effet
de distance est accentué par les interventions ponctuelles de la
narratrice (« Le silence est profond. Les deux hommes peuvent
s'aventurer, sans trop de crainte, à travers les tombes. Tout le monde
dort et les morts sont muets »207(*)), ce qui transforme notre sentiment d'angoisse en un
sentiment d'attente et de curiosité.
2/ L'HORREUR ET LA MISE EN SCENE DE
L'EFFROI
a) Une relation ambiguë
personnage/phénomène
Le personnage
Généralement, il s'agit d'un personnage
masculin, initialement d'un homme ordinaire, voir médiocre,
singulièrement vide (moralement et intellectuellement), qui n'a rien de
l'étoffe d'un héros208(*). Casimir Robichon est présenté comme
un enfant chétif, « il est petit, visage osseux, les membres
grêles »209(*). Stéphane - double de Casimir dans Le
Claque-dents - est également décrit comme un personnage
maladif et inquiétant, la romancière insiste sur sa peau
pâle et évoque ses yeux glauques qui s'illuminent à la
seule idée de meurtre et de sang210(*). Eléazar dans la nouvelle « Les
Vampires » présente lui aussi un physique maladif et un
certain déséquilibre psychologique, et ce, avant même que
l'on ne connaisse ses vices et la nature de ses troubles psychiques :
« Maigre, sec, névrosé jusqu'aux plus petites fibres,
c'est un blasé » ; puis la narratrice le nomme
« le détraqué »211(*). Eléazar ne semble
éprouver de plaisir à rien, seule l'idée d'assouvir sa
folie perverse éveille en lui l'enthousiasme et la joie, et c'est dans
le but de combler la vacuité et l'ennui, que le personnage ne vit
qu'à travers le phénomène qui le révèle
à lui-même : « Jean Eléazar avait du temps
et de l'argent pour ses plaisirs ; mais blasé de tout, hormis sur
la folie qui lui avait fait commettre ses premiers crimes, une fois la frayeur
d'être découvert un peu dissipée, il ne songea plus
qu'à en commettre de nouveaux. La nuit, dans ses rêves, il
revoyait des cercueils ouverts ; il en arrachait les mortes, assouvissait
sa folie furieuse et déchirait les corps avec une si farouche joie qu'il
s'éveillait avec les dents grinçantes »212(*). En observant la situation
sociale et professionnelle de tous ces personnages, il faut remarquer qu'ils
appartiennent tous aux couches aisées et cultivées de la
population213(*) :
Casimir est fils d'entrepreneur, Eléazar est financier, Daniel est
peintre, le tueur dans « Le beau Raymond » est
« un client fort riche »214(*). Il existe donc un lien étroit entre la
situation socioculturelle des personnages et le crédit qu'on leur
accorde : ils ne payent que très rarement pour les crimes qu'ils
commettent ; d'autres, plus modestes, sont condamnés à leur
place.
Les femmes des différents récits
(généralement maîtresses et épouses) sont les
victimes passives et muettes du personnage/phénomène. Dans
« La Lettre anonyme » et « Les
Vampires », Rita et Blanche sont impuissantes face au
phénomène. Elles sont contaminées par l'aura
mortifère de ce dernier, qui les entraîne dans la
dégénérescence : « De plus en plus
frappée par l'état de son mari, Rita se sentit malade à en
mourir »215(*) ; « Vers la fin du troisième
jour, [Blanche] tomba dans ce demi-sommeil où la douleur veille tandis
que la fatigue attache les membres où ils sont »216(*). Fondamentalement, le
fantastique repose sur la relation entre le personnage et le
phénomène, tout élément étranger, y compris
la femme, est indésirable ou constitue un obstacle. Ainsi, le
phénomène sépare les couples les plus unis, car entre les
deux - phénomène et femme aimée - le choix porte sur le
phénomène217(*). Toutefois, la femme peut être à la
fois victime et phénomène. Marguerite dans
« Premières et dernières amours », et dans
Le Claque-dents, en plus d'être la victime du
phénomène, est elle-même le phénomène qui
infecte le personnage ; la femme de la Morgue218(*) et Lucrèce219(*) constituent pareillement l'élément
déclencheur. Dans ce cas, la femme est réduite à la
fonction d'objet de désir pour le personnage/phénomène,
elle est alors renvoyée à sa propre image fantastique :
victime et phénomène220(*).
Comme chez Edgar Allan Poe, qui systématisa ce
procédé, chez Louise Michel le personnage est toujours le
phénomène ; ils mettent tout deux en exergue
l'ubiquité de la nature humaine, et c'est justement dans le
personnage-phénomène que s'exprime ce dédoublement :
le phénomène est à l'intérieur du personnage, il
est sa projection. Produit de son imagination, le réel
présenté au lecteur est celui perçu et
déformé par le sujet. Il y a alors une opposition entre la
réalité objective et l'image déformée que s'en fait
le personnage, qui projette ses propres peurs, fantasmes et obsessions sur
cette réalité221(*).
Le pouvoir attractif du phénomène
Le phénomène possède à la fois un
pouvoir attractif, et un pouvoir répulsif. Le rapprochement s'effectue
tout d'abord de manière mutuelle, il engendre un rapport
privilégié et immédiat, d'où est exclue la
communication verbale et la communication avec autrui. Les figures du
phénomène sont dotées d'un pouvoir de
séduction : elles dégagent un magnétisme, une force
de caractère ; il y a un rapport de désir entre le
personnage et le phénomène222(*). Dans « Premières et
dernières amours », le cadavre répugne le jeune
spectateur de la morgue (Casimir), tout en le fascinant, et charme
littéralement la jeune fille (Marguerite) : « Bien
différentes sont leurs impressions. Lui à les yeux fixés
sur la plaie béante. Il lui semble que par cette plaie le cadavre lui
parle comme avec une bouche, le regarde avec des yeux. La fillette, c'est la
curiosité pure de spectacle, elle est sous le charme, comme le jour
où elle a vu jouer le Petit Chaperon rouge à un
théâtre forain »223(*). Cette dualité crée rapport
particulier et intime, dans lequel, à travers la crainte et le
dégoût, transparaît le désir. C'est le désir
informulé, mais éprouvé par le personnage qui donne
naissance au phénomène224(*). Ce rapport complexe et pervers donne naissance
à une véritable quête du phénomène car,
malgré les conséquences habituellement funestes, le personnage se
livre à une sorte de jeu pervers où c'est finalement lui qui
déclenche l'intervention du phénomène. Ainsi le
personnage, quand il se trouve en sa présence, tente de le conserver
auprès de lui225(*), de le conserver à son esprit, en choisissant
la représentation psychique qui l'effraye le plus : « Il
s'arrêta à cette dernière vision, comme celle qui le
frappait le plus, la plus épouvantable »226(*). D'un côté,
Daniel fuit le spectre qui le poursuit et le harcèle, de l'autre il
recherche l'image du fantôme et le convoque sur sa toile ; il
atteint alors l'excellence dans son art, le phénomène le
révélant à lui-même :
« C'était la plus belle ébauche qu'il eut encore faite.
Un homme épouvanté lui-même, tel qu'il se
représentait, fuyait, poursuivi par un fantôme tel aussi qu'il le
voyait ; [...] au fond une ronde d'enfants y tournait en veillant sur leur
vaches »227(*). Véritable danse macabre, symbolisant le
triomphe de la mort sur l'être humain, l'entraînant fatalement vers
son destin, le fantôme embarque Daniel dans des courses
hallucinées et journalières à travers la campagne :
« Daniel rentra tard ; il était comme à
l'ordinaire parti à travers la campagne. D'abord, comme dans son
ébauche, il avait marché en plein soleil ; la vision devant
lui entraînait au loin sans qu'il sût où il allait. Le soir
venu, flottant en sens inverse, elle le ramena chez lui »228(*). Il noue une relation tout
à fait exclusive avec le phénomène, qui agit à la
fois comme un guide fuyant et effrayant, et le protecteur et garant de sa
folie.
Les atouts du phénomène
Certaines manifestations mentales et physiques sont
motivées par des éléments extérieurs, comme par
exemple la consommation d'alcool, qui participe à la perte des
repères et au brouillage des frontières entre le réel et
le fantasmé. Vins et liqueurs possèdent un pouvoir attractif sur
les victimes du phénomène : « Ce vin était
le plus appétissant de tout le repas. Il brillait comme des rubis dans
une grande coupe de cristal, telle qu'il n'avait jamais rien vu de plus
beau »229(*).
En outre, l'alcool est un outil infaillible pour le
personnage-phénomène pour abuser de ses victimes ; dans la
nouvelle « Les Rapaces », la marquise drogue ses deux
protégées230(*). Dans « La Lettre anonyme », le
personnage tente d'échapper au phénomène en abusant
d'alcool : « Ne pouvant échapper à cette
obsession, il se mit à boire »231(*). Or, loin soulager,
l'ivresse accroît la folie et devient le vecteur du
phénomène232(*). Cependant, bien que l'ivresse, dans un premier
temps, accentue le délire et la démence du personnage, c'est
l'alcool qui fait cesser les troubles psychiques du personnage dans
« La Lettre anonyme » : « Daniel, ayant
accompli ce triple meurtre, s'en alla machinalement achever un flacon
d'absinthe qu'il avait commencé la veille. Il ne voyait plus le
spectre ; enveloppé dans l'abrutissement de l'ivresse,
l'hallucination avait cessé »233(*). La vengeance
achevée, l'alcool permet le soulagement et l'apaisement de la conscience
du personnage, mais une fois les effets totalement dissipés, c'est la
souffrance et la culpabilité qui apparaissent, et Daniel sent
« poindre en lui une lueur qui lui faisait mal. Il y avait
près d'une semaine qu'il n'avait bu d'absinthe. C'était la raison
qui revenait »234(*).
L'odeur constitue également le vecteur du
phénomène et c'est son principal attribut dans
« Premières et dernières amours ». Il
répand son pouvoir à travers la capacité olfactive du
personnage, d'abord à la morgue, où la narratrice remarque
qu'« une odeur indéfinissable s'était répandue
dans l'air, odeur âcre, infecte »235(*), puis dans la hutte du
tanneur Jo (même odeur de manne236(*)) ; et c'est de « cette diable
d'odeur » qu'est incrustée sa fille Marguerite, pourtant si
jolie237(*). Casimir
Robichon aime cette odeur (« - Eh ! Robichon, tu peux pas nier
que t'aime l'odeur de la manne »238(*)), et c'est bien cette odeur infecte de
putréfaction, qui attire Casimir, et éveille chez lui l'image de
la femme égorgée : « et puis aussi l'odeur
étrange que le contenu de la manne avait fini par donner à la
pauvre fillette - il l'aimait, cette odeur, quoiqu'elle l'effrayât - cela
enveloppait le souvenir qui lui faisait peur et l'attirait : la femme de
la Morgue »239(*). Malgré les années, Marguerite a
gardé cette odeur particulière, bien qu'elle se soit
mélangée à d'autres, ce qui éveille Casimir :
« [...] un parfum de musc et d'ambre, les seuls qui se
mélangent avec l'étrange odeur qui s'était
incorporée pour jamais aux molécules de sa chair, quand elle
emplissait la manne pour les teinturiers »240(*).
Le phénomène est aussi motivé par la
cupidité et la convoitise ; le personnage semble alors
complètement magnétisé par les richesses qu'il entrevoit.
Ce sont les bijoux et leur brillance, qui fascinent Casimir (« Une
autre fois, à la vue des bijoux que Marguerite jetait en tas sur sa
toilette, il se troubla, ses yeux ne pouvaient s'en détacher, leur
brillant l'hypnotisait »241(*)), et qui le pousse au meurtre. Dans « Le
Beau Raymond », c'est chez un homme pourtant « fort
riche », mais « un peu mystérieux
d'allure » que le phénomène prend cette forme :
« L'homme jette sur le tas d'or et de bijoux un regard
étrange. Ses yeux ont des lueurs d'éclairs. La femme frissonne
jusque dans la moelle des os. Le crime fut l'affaire d'un
instant »242(*). Le phénomène gagne ensuite Raymond
qui préfère recevoir une partie du butin, que de dénoncer
le meurtrier243(*). Dans
Le Claque-dents, où la scène est similaire à
celle qui se déroule dans « Premières et
dernières amours », le collier de corail de Lucrèce
dessine sur le coup de Marguerite une ligne rouge, qui suscite dans l'esprit de
Stéphane la marque laissée par le couperet de l'échafaud
et fait naître chez lui une « intuition de
crime »244(*).
b) Le pouvoir obsessionnel du
phénomène : la folie
Le phénomène se manifeste d'abord au personnage
par hallucinations visuelles, la folie - principal ressort su fantastique -
étant l'ultime étape du parcours du personnage, puisque cette
expérience l'entraînera inexorablement vers la mort245(*). Dans
« Premières et dernières amours », Casimir
fuit d'abord ces morbides réminiscences, (« il sembla à
Casimir qu'elle était déjà morte, et le fantôme de
la femme égorgée se retraça si réel dans son
imagination frappée qu'il poussa un cri. Il se remit pourtant et ce fut
leur nuit de noces. Tout à coup pris d'une folle terreur, il s'imagina
que la femme de la Morgue lui posait sa main glacée sur l'épaule.
Ainsi Marguerite devint la maîtresse de Robichon »246(*)), visions qui se font de
plus en oppressantes et impromptues (« Il pâlit, fasciné
par le métal sur lequel, comme dans un miroir, il voyait la femme de la
Morgue. En même temps il songeait à Marguerite. Le coeur lui
faillit »247(*)), avant de poursuivre, à travers Marguerite,
l'image de la femme de la Morgue qui l'excite tant : « Lui, ce
qu'il aimait en elle, c'était l'horreur de son cauchemar qui lui donnait
une sorte de rage. Une fois, embrassant Marguerite sur le cou, il lui sembla
que c'était la femme de la Morgue qu'il mordait ». Il s'agit
d'un « cauchemar persistant »248(*), dans lequel le
phénomène et Marguerite se matérialisent radicalement, et
suscite en lui cupidité et désir de tuer :
« Pendant quelques jours cette idée l'obséda ; il
en éprouvait des vertiges ; il lui semblait que la femme de la
Morgue lui montrait les bijoux de Marguerite. Une fois il rêva que les
diamants sortaient de la plaie béante. La femme égorgée et
Marguerite se mêlaient, elles étaient deux et n'étaient
plus qu'un seul cadavre »249(*).
Les premiers chapitres du Claque-dents font
étrangement échos à la nouvelle précédemment
évoquée. C'est dans le second chapitre que Stéphane
(double de Casimir) gagné par une « intuition de
crime »250(*),
assassine sa maîtresse Marguerite. Par un travail mental, il associe
d'abord Marguerite à Lucrèce251(*) (victime de Sylvestre à qui appartenait les
bijoux), puis à cette image vient se superposée celle de
« la femme assassinée », personnage d'un
opéra intitulé la Femme au collier rouge. Le phantasme
devient plus présent dans l'esprit de Stéphane, qui semble
touché par une folie
meurtrière : « L'hallucination les tenait, l'un
comme le serpent, l'autre comme l'oiseau ; il commençait à
la guetter, l'imbécile avait évolué en monstre. Assise sur
le lit, dans un peignoir blanc, le collier de corail au cou, elle lui
apparaissait déjà spectre, le crime était accompli avant
que la victime fût frappée »252(*). Enfin, comme Casimir
obsédé par la plaie béante de la femme à la Morgue,
Stéphane est exalté par la robe tachée de sang de
Lucrèce ; ce qui le conduira inéluctablement à
commettre son crime : « lui regrettait de n'avoir pu avoir la
tunique de Lucrèce qui était restée avec les pièces
à conviction ; j'aurai celle de Marguerite, se disait-il, son
idée s'arrêtait là, brutalement,
bestialement »253(*).
Les différents récits mettent en exergue une
gradation dans les sentiments du personnage et les manifestations du
phénomène. Dans les premiers temps, le phénomène
intervient toujours de manière discrète et éparse. Il agit
avec précaution, il ne s'impose pas brutalement dès le
début du récit ; au contraire, il s'immisce
discrètement, insidieusement. Cependant, il ne tarde pas à surgir
et à faire se manifester des comportements étranges et
inquiétants. Ainsi dans « La Lettre anonyme »,
après leurs découvertes respectives de l'épingle à
tête de mort et de la lettre anonyme, Rita et Daniel continuent de vivre
leur amour254(*), mais
à la vue de l'épingle dans les mains de Rita, Daniel de nouveau
frappé au coeur (la découverte de la lettre lui a procuré
le même effet) et aveuglé par la jalousie, accuse sa compagne de
le tromper255(*).
D'abord très préoccupé, Daniel devient torturé par
le spectre de l'auteur anonyme. Le phénomène se fait alors de
plus en plus envahissant, progressivement il devient l'unique objet de
préoccupation du personnage. Ce dernier est alors dans
l'incapacité de contrôler les manifestations du
phénomène car, arrivé à ce stade du récit,
celui-ci a totalement perdu son identité256(*). Complètement
obsédé, Daniel sombre dans la folie, une folie qui le
terrorise257(*) d'autant
plus que l'hallucination est macabre ; elle se matérialise à
son esprit sous la forme d' « une tête de mort, à
laquelle s'adapt[e] en guise de corps une soutane vide flottant avec des
claquements sinistres ». Louise Michel pousse l'horreur jusque dans
le registre du gore : « De noir il était devenu rouge. Ce
n'était plus la manche vide qui lui montrait le berceau de ses enfants.
Le fantôme lui jetait à pleines mains, - de ses mains de
squelette, - du sang qu'il puisait à la source »258(*).
c) Le passage à l'acte
Le pouvoir obsessionnel du phénomène est tel
que le passage à l'acte, c'est-à-dire au crime, est vécu
par le personnage comme une délivrance et demeure inévitable. Il
vit l'indicible expérience du phénomène comme la
« révélation du moi » ; le personnage,
individu médiocre, parvient à une connaissance de lui-même
et du monde , il comble son propre vide259(*). Et c'est l'association de la femme aimée au
phénomène qui motive le personnage à vivre pleinement
l'expérience fantastique ; le fantasme devient alors
réel : « Il vivait son rêve. Tout à coup, il
se leva, prit sur la table un couteau effilé comme un rasoir, prit
Marguerite par les cheveux et la frappa au cou de la même manière
que la femme de la Morgue. [...] Entre ce qu'il venait de faire et son
rêve habituel, la différence n'était pas
grande »260(*).
En effet, le fantastique repose très souvent sur une
fantasmatique sexuelle. Et la nouvelle « Les
Vampires »261(*), désignant par là les deux
nécrophages et nécrophiles262(*) du récit, est peut-être la plus
monstrueuse du récit. Ces deux individus, pour assouvir leurs pulsions,
pénètrent de nuit dans les cimetières et se mettent avec
ardeur et excitation à leurs effroyables besognes, l'un
préférant la fosse commune, l'autre les sépultures. Ce
dernier, qui se fait appeler « Jean Oupir »263(*), « bris[e] le
couvercle à coups de pioche, pr[end] sa proie, enveloppée de ses
suaires, et commen[ce] à les arracher »264(*). Jean Oupir connaît sa
victime, (« c'est l'une des soeurs de sa fiancée. Le mariage
sera retardé, par suite de cette mort, mais il aura tout de même
sa nuit de noce »), et c'est en la pssédant enfin qu'il
revit : « il se rappela alors, [...] l'apparence magnifique
qu'avait cette jeune morte sur le lit où sa famille l'avait
couchée dans des voiles de mousseline blanche. Marceline n'était
pas morte : l'impression de l'air l'avait éveillée de sa
léthargie. »265(*). Enfin, le récit prend un tournant tout
à fait sanglant, « le moment arriva de la crise à
l'état aigu », voire gore quand Eléazar (c'est le
véritable nom du monstre) dévore le cadavre de sa propre
fille ; puis, après avoir étouffé son épouse,
ayant « soif de sang », il lui ouvre la poitrine et boit
« comme à la source le sang figé et noir de la
morte »266(*).
Ce motif de la source sanglante apparaît précédemment dans
« La Lettre anonyme ».
Ainsi, le passage à l'acte doit être vécu
comme une expérience spectaculaire et le
personnage-phénomène soigne la mise en scène. La mise en
abyme du crime - dans Le Claque-dents, Stéphane explique
à sa maîtresse comment le meurtrier de Lucrèce l'a
assassinée et propose de rejouer la scène267(*) - renforce la
théâtralité de la scène ; le chapitre
débute ainsi : « Chez la maîtresse du jeune
Stéphane se passait une scène burlesque et sinistre à la
fois »268(*).
Complètement possédé et exalté par l'image du
cadavre de Lucrèce (« L'obsession l'enveloppait »),
Stéphane est envahi par le langage des pulsions (« l'homme
devenu fauve poursuivait sa proie ») et de manière
expéditive - l'accélération dramatique en témoigne
-, mais soigneuse, il tranche le cou de Marguerite : « Au dehors
la nuit obscure, le silence qu'interrompit un grand cri déchirant
l'air ; la plainte d'un homme ou d'une bête qu'on égorge. A
ce cri comme à un appel, Marguerite s'élança vers la
porte : la mort l'avertissait. Cette fuite fut le signal pour
Stéphane, il s'élança à sa poursuite. [...] En
traversant le salon, Stéphane arracha à une panoplie une hachette
enjolivée d'arabesques dont le tranchant d'acier étoilait
l'ombre. Il jeta une main sur l'épaule de sa victime, la ramena vers le
lit, où il l'abattit, et sur la ligne rouge du collier frappa de son
bras névrosé un coup terrible »269(*).
Cependant, la révélation, bien qu'elle soit
inévitable, n'est pas d'ordre divin et c'est avec fascination et horreur
qu'Eléazar découvre sa véritable nature, fauve et
primitive, au terme de son parcours ; Pierre Mardi, refusant de s'assumer,
se suicide270(*).
« Le démon de la perversité »
selon Edgar Allan Poe
Le « Démon » ou « Esprit
de la perversité » est la manifestation de la
« primitive impulsion du coeur humain », soit le
désir ardent de l'âme de se torturer elle-même. Cette
pulsion autodestructrice guide Daniel dans « La Lettre
anonyme » : pourquoi prête-il autant de crédit
à ces calomnies ? Le peintre, blessé dans son orgueil et ses
certitudes, a refoulé le sentiment de jalousie durant dix ans, et c'est
le langage vengeur de son inconscient qui s'exprime dans la seconde partie du
récit. Sa folie vengeresse est telle que, toute pensée logique et
réflexion rationnelle de la situation lui échappe :
« Loin de réfléchir à l'absurdité de
cette lettre, à la lâcheté des avis anonymes, Daniel
commença à voir là une manifestation encore plus
terrible »271(*). Entraîné dans un abîme
psychologique, Daniel transgresse la raison au profit du pulsionnel ;
absolument manipulé, c'est au retentissement du signal, « un
sifflement aigu parti du jardin », que lui vient une « une
intuition de crime », et tel un automate, « le spectre
rouge et sanglant maintenant flottant devant lui, il march[e] vers le lit de sa
femme »272(*)
pour l'y assassiner. Puis, n'ayant pas encore entièrement
déchargé sa pulsion vengeresse, Daniel « voyant le
spectre devant lui », se dirige vers la chambre des enfants, et
« à la même place où il avait frappé sa
femme, il frapp[e] ses deux enfants au milieu de leur sommeil »273(*). Plus tard, quand la police
interroge le meurtrier, celui-ci ne répond rien, sinon que c'est
« le spectre qui lui avait ordonné ces
crimes »274(*). Comme dans les nouvelles de Poe, telles que
« Le Chat noir » ou encore « Le coeur
révélateur », c'est le meurtrier lui-même qui se
trahit, alors qu'il est en train de berner la police. Pourquoi Casimir
retourne-t-il à la Morgue contempler les cadavres des deux femmes qu'il
a assassiné la veille ? Au lieu de prendre le train pour lequel il
a acheté un billet275(*) ? Car comme le révèle Edgar
Allan Poe, dans une nouvelle éponyme, « Le Démon
de le perversité » poursuit le personnage et fait se
manifester chez le sujet, le besoin de crier sa culpabilité276(*). Et en effet, le personnage,
rendu autre et étranger à lui-même par son
aliénation, vient « de lui-même se brûler à
la chandelle et pay[e] pour l'autre, plus malin et plus
calme »277(*).
Ainsi, le fantastique interroge directement l'homme et ses
limites, il pose la question de l'humain et du non humain. Le
phénomène, révélateur de la culpabilité du
personnage ou de l'hypocrisie de la société, révèle
à chacun sa propre nature phénoménale et l'homme
s'avère être aussi monstrueux que le vampire278(*). L'homme, vidé de son
essence, est victime du système, des normes religieuses, sexuelles et
morales imposées et « aliénantes ». Le
phénomène est à la fois
« l'aliénation », et paradoxalement le facteur de la
prise de conscience de cette aliénation : grâce au
phénomène, le personnage extériorise sa propre
aliénation et retrouve son identité ; mais la
société lui fait chèrement payer279(*). C'est désormais la
société qui joue le rôle de phénomène :
elle s'empare de lui et provoque sa perte. Aucun phénomène ne
peut égaler en horreur la société, qui a interné le
personnage ; il est la pitoyable victime, non du mal dont il souffre, mais
de la société. C'est la société qui aliène
le personnage et qui finalement l'écrase et ce, d'autant plus
radicalement que le personnage, retrouvant son identité s'est alors
opposée à elle280(*).
3/ UNE SOCIÉTÉ OGRESSE
Comme beaucoup de ses contemporains engagés dans le
combat social, Louise Michel affirme que c'est la société,
génératrice d'inégalité et de misère, qui
pousse à la brutalité et au meurtre, et il faut
« terrasser ces trois spectres, folie,/ Misère, vice
dégradant »281(*). Le discours, selon lequel il n'existe pas de
réelle volonté politique pour aider les classes
défavorisées, est très répandu dans les milieux
socialistes et libertaires (bien que les anarchistes n'attendent rien d'un
gouvernement, car ils ne croient pas en une possible action sociale globale de
sa part282(*)).
Déjà Victor Hugo dans sa plaidoirie contre la peine de mort se
révoltait : « [...] pauvres diables, que la faim pousse
au vol, et le vol au reste ; enfants déshérités d'une
société marâtre, que la maison de force prend à
douze ans, le bagne, à dix-huit, l'échafaud à
quarante ; infortunés qu'avec une école et un atelier vous
auriez pu rendre bons, moraux, utiles, [...] »283(*). Louise Michel constate
pareillement que dans ces misères se « propagent des
épidémies de crimes », qui chassent « les
troupeaux humains vers la mort ou le bagne »284(*), et livre au lecteur l'image
d'une société monstrueuse, qui dévore insatiablement la
chair humaine : « Elle se meurt la vieille ogresse qui boit le
sang humain depuis les commencements pour faire durer son existence
maudite »285(*).
a) La misère et la fatalité
La métaphore de la meule écrasant le grain
humain ou encore celle de l'ouvrier envoyé à l'abattoir sont des
images récurrentes dans toute l'oeuvre de Louise Michel, et des
topoï de la rhétorique anarchiste286(*). Ces images confèrent au roman une dimension
tragique, la fatalité de la condition sociale étant plus forte
que la volonté humaine : « Ils étaient là
tous se débattant contre la fatalité ; comme si les choses
ne devaient pas être d'autant plus terribles qu'elles touchent à
leur fin ; ne faut-il pas que l'agonie se termine ? - Et dire que mes
enfants me maudiront pour avoir fait ce métier-là ! grondait
Saturnin d'une voix gonflée de pleurs, de cris de bête à
l'abattoir ; il faut qu'on y passe n'est-ce pas ? Il aurait dû
le savoir aussi, le misérable Saturnin, est-ce que dans la
débâcle ce n'est pas l'un contre l'autre que tous les vieux
rouages seront broyés avec les microbes humains qu'ils
contiennent ? Il ignorait tout cela, ce pauvre Saturnin : combien
comme lui sont emportés dans la débâcle, inconscients et
désespérés, jetant par le monde le cri de leur
détresse ! »287(*).
De ce fait, le roman cède une place importante
à la description de la misère et à ses causes, ce qui
confère à certains épisodes288(*) un caractère
sociologique289(*).
Louise Michel met en scène le suicide et l'infanticide, qui ne font
qu'augmenter290(*),
conséquences de la misère et du désespoir :
« C'était un enfant demi-orphelin, qui battait le pavé
de ses savates éculées depuis deux ans que sa mère
était morte et que son père buvait d'abord pour
s'étourdir, ensuite parce qu'il n'avait pas le moyen de se mieux
réconforter. [...] Il en avait pris l'habitude si bien que, le
père abruti, l'enfant riant de sa misère en étaient venus
à la dernière étape, celle où la Seine vous regarde
de ses yeux glauques »291(*). Outre le pathos qui peut se dégager de
certaines scènes, le lecteur, témoin de ces souffrances,
n'envisage lui aussi qu'une seule issue et un dénouement
funèbre :« Quelque chose comme le dernier repas du
condamné à mort se dressait dans ces provisions apportées
par l'enfant » ; « une question étrange dans
[la] bouche naïve de [Mimile] fit frissonner les deux femmes. -
Mère, est-ce que nous allons mourir ? Elles savaient
désormais ce qui allait se passer. Oui, ils allaient mourir ! Il
n'y aurait pas de lendemain à cette nuit-là »
; « Comme un animal qui se bute, la pauvre femme ne perdait pas
de vue son projet. Mourir ! telle était son unique pensée,
mourir tous ensemble afin que nul d'entre eux n'eût plus de
misère »292(*). Le lecteur assiste donc au suicide collectif de la
famille, orchestré par la mère ; mais Louise Michel pousse
l'atrocité et la noirceur de la scène à son paroxysme et
met en exergue le sadisme de la société : « Tous
étaient morts à part la mère : dans la force de
l'âge elle avait résisté. On eut la cruauté de la
faire revenir à elle... La cour d'assise l'attendait, [...] elle se
pendit dans sa cellule [...] Cette fois la mort fut clémente, elle la
prit ! »293(*).
b) La violence et le crime
Louise Michel reconnaît la nature féroce de
l'homme, mais n'est-ce pas la société qui, en plus d'engendrer la
violence, enlise dans leur névrose et dans leurs vices les sujets
déviants ? La société, de par son étroitesse
et son conformisme, crée ses propres monstres : « Pierre
Mardi avait rejoint en Calédonie son camarade Étienne et, pendant
le long voyage, le vent de mer passant sur eux, les flots les refroidissant de
leur âcre fraîcheur, avait mêlé un peu ces
misérables à la grande nature dont la société ne
leur avait montré que le côté étroit. Les passions
qui les dévoraient étaient un peu modifiées. S'ils avaient
eu tout de suite un peu de terre, une ombre de liberté, ils n'auraient
pas été plus mauvais que des animaux ayant leur place pour se
coucher à l'ombre, étant las ou repu. »294(*). La société se
vante de civiliser l'homme, or paradoxalement, « au lieu de le
refréner, [elle] donn[e] à l'instinct de meurtre l'occasion de
s'exprimer [...]. Quel que soit le prétexte invoqué, quelle
que soit la motivation effective, le meurtre est, pour ses auteurs, une source
d'exaltation, de fierté indicible, [...], d'ivresse, [...], de rigolade
[...], ou de sérénité[...]. N'est-ce pas la preuve,
expérimentale, qu'il est conforme à la fois aux exigences de
notre nature et à celles de la
société ? »295(*).
Louis Chevalier, en étudiant le problème du
crime et son importance, constate que « criminel, ce Paris l'est
surtout par la place du crime dans les préoccupations quotidiennes des
gens. La peur que le crime éveille est constante »296(*). Malgré la terreur
ambiante et dans ce dialogue permanent qui entretient la psychose, le crime
attire, il excite et attise les foules impitoyables et avides de sang (on se
rend en masse aux exécutions publiques). Le Claque-dents
s'ouvre sur une scène de curée où des hommes
s'emparent avec ardeur des restes (bijoux et mobilier) d'une bourgeoise
violemment assassinée : « Tout un monde de
détraqués s'étaient bousculés, pendant une
journée vertigineuse, à la curée, faite à
l'Hôtel des Ventes, du mobilier de Lucrèce Milot, une
affolée de la haute noce, morte tragiquement ? Hallucinés,
imbéciles, blasés s'étaient disputé les moindres
bibelots. Une loque tachée de sang avait été vendue le
prix d'un objet d'art. Les choses sur lesquelles avait traîné le
crime valaient le poids de la bêtise humaine »297(*). La métaphore de la
curée est récurrente dans le roman. Cette image, appartenant au
lexique naturaliste298(*), dépeint une société
impitoyable où les dévorants seront également les
dévorés ; ainsi Sylvestre fait disparaître
successivement et mystérieusement ses collaborateurs :
« La curée serait complète, curée des places
après la curée du ventre »299(*).
La peine de mort
Louise Michel se positionne clairement, comme son
prédécesseur et ami Victor Hugo, contre la peine capitale. Son
argument est le suivant : comment une société qui condamne
le meurtre peut-elle tuer à son tour, et donner à voir cet
horrible spectacle comme un exemple et un moyen de dissuasion ? Son second
argument, illustré notamment par le beau Raymond dans la nouvelle
éponyme, est : comment peut-on prendre le risque d'exécuter
un innocent ? Raymond qui est condamné à mort n'a de cesse
de crier son innocence, et ce jusqu'au lieu de l'exécution. La sympathie
du lecteur va automatiquement au héros, qu'il sait innocent, et par ce
biais, adhère également aux opinions abolitionnistes de l'auteur.
En effet, de manière systématique, les condamnés à
mort ne sont pas coupables des crimes dont on les accable ; comme Raymond,
Gaspard accusé du meurtre de Lucrèce, hurle son innocence jusque
sur l'échafaud300(*). Cinq autres individus font l'objet de condamnations
arbitraires à l'issue d'un procès absolument dément,
dirigé par le juge Mancastel - personnage caractérisé par
son hybris301(*) ;
d'ailleurs le lecteur découvre le verdict à travers la conscience
candide de Louïk, à laquelle supplée la parole satirique de
l'auteur : « Louïk n'avait pas tort en n'y comprenant rien,
certains faits de notre époque passeront pour des rêves
d'hallucinés, celui-là était du
nombre »302(*).
Louise Michel insiste sur la barbarie de ce
« spectacle » populaire303(*) et s'indigne de l'enthousiasme collectif qu'il
engendre : « Ceux qui aiment le spectacle où le bourreau
pontifie, passèrent bien des nuits autour de la butte maudite,
espérant toujours voir pendre au bout de la corde le beau
Raymond »304(*). Le réalisme topographique participe à
la plaidoirie et place alors la nouvelliste en position d'historienne, le gibet
de Montfaucon305(*)
étant l'un des plus célèbres : « Au
nord-ouest de Paris, entre la Villette et les Buttes-Chaumont, est une hauteur
sur laquelle tournoyaient à cette époque des nuées de
corbeaux. C'était le lieu où s'élevaient les fourches
patibulaires306(*) du
prévôt de Paris, Montfaucon »307(*). C'est une vision d'horreur
que suscite alors la narratrice dans l'esprit du lecteur, puisque les corps
étaient laissés sur le gibet pour être exposés
à la vue des passants et dévorés par les oiseaux de proie.
Enfin, elle force l'ironie et l'humour noir en insérant dans le
récit un épisode comique et grotesque, bien que réel, qui
ne fait qu'exacerber l'absurdité de ces exécutions. La critique
opère grâce à un renversement carnavalesque ; dans
cette scène cocasse, Capeluche308(*) le bourreau de Paris devient lui-même le
condamné à mort : « On était pas
fâché de revoir son successeur ayant assisté à la
scène où Capeluche lui enseigne lui-même comment il devait
lui trancher la tête, leçon que le valet reçut à
genoux avant de l'exécuter. On n'était pas fâché de
voir comment il s'acquittait des autres exécutions »309(*). Notons que l'anaphore
« On était pas fâché » donne le ton
comique et populaire à la scène.
Ainsi, par ces différents exemples, Louise Michel
montre qu'il s'agit d'une pratique barbare et archaïque, car ces
exécutions publiques, qui doivent servir d'exemple, sont
également, comme à Rome, un divertissement populaire :
« Il faut au peuple, se disait [le président qui
régnait alors sur la République], du pain et des spectacles. A
défaut de pain, les spectacles pouvaient suffirent, une exécution
est l'un des spectacles les plus attrayants »310(*). En puisant dans le
Moyen-Âge et dans l'Antiquité, Louise Michel prouve l'anachronisme
de cette pratique, qui prolonge le rapport de force entre dominés et
dominants, et légitime alors la lutte des classes
: « C'était vraiment dommage, le spectacle eût
été grandiose, ces choses-là faites par les maîtres
pour terrifier les esclaves soufflent au contraire la
révolte »311(*).
c) L'enfermement
En temps qu'ancienne détenue et ayant fait
elle-même l'expérience du bagne, Louise Michel évoque avec
exactitude le système pénitentiaire et dénonce les
conditions d'incarcération. Elle pointe l'enfermement
systématique de toute personne jugée inadaptée et
gênante pour la société et accuse la justice d'être
le garant de l'ordre bourgeois. Dans le roman Le Claque-dents, les
lois oeuvrent pour les personnages de pouvoir et Sylvestre connaît ses
droits : « Voilà, se disait-il, des gens dangereux, que
deviendrait-on si le pouvoir n'était pas assez fort pour les mettre
à l'ombre ? »312(*). De la même manière dans la nouvelle
« Les Rapaces », la réflexion naïve du jeune
avocat, qui avait foi en un idéal de justice impartiale, traduit sur un
ton ironique cette même idée : « Pendant deux
jours, Me André - c'était le nom du jeune avocat -
pensa aux révélations qu'on avait étranglées dans
la gorge de son petit client et dans la sienne. Comment cela se
faisait-il ? Serait-il vrai que l'accusation ne peut atteindre certaines
personnes à cause du manteau de richesse ou de superstition qui les
enveloppe ? »313(*). Ce sombre constat est réitéré
dans la nouvelle « Les Vampires », dans laquelle Pierre
Mardi est aussi condamné pour les crimes de son complice, ce dernier
étant un personnage intouchable : « N'était-il pas
plus simple de penser que Pierre Mardi avait commis à la fois les deux
violations de sépulture, à deux endroits différents ?
Telle fut l'opinion du jury. On regretta beaucoup que les bavardages de la
presse eussent forcé à comparaître M. Jean Eléazar,
à qui cela pouvait attirer de nombreux ennuis. [...], si les excuses
eussent été dans la loi, on lui en aurait fait certainement. Le
misérable accusé paya en plus pour ces ennuis causés
à deux honorables et riches familles : il eut les travaux
forcés à perpétuité »314(*).
Ces réflexions sur la criminalité, la justice
et le milieu carcéral sont des préoccupations de la
littérature sociale de cette période ; Eugène Sue,
qui ponctue son roman-feuilleton de nombreuses digressions sur la
société et ses tourments, constate comme Louise Michel que la
justice ne peut pas être équitable car, étant payante, elle
ne peut être accessible à tous315(*). La justice est alors vécue comme une
aberration et tout sentiment de justice - notamment de justice sociale - ne
peut-être qu'écrasé face à une réalité
inique, voire absurde. La narratrice montre qu'il ne s'agit que d'un semblant
de justice, les avocats de la défense étant impuissants et donc
inutiles. En outre, elle insiste sur la dureté et
l'inégalité des peines qui sont requises. Pierre Mardi est
condamné à perpétuité, alors que le fils d'un des
employés du cimetière, pour le même crime, est
condamné à deux ans316(*). Le père Jo et son fils « sont au bagne,
le vieux pour toujours, l'autre pour vingt ans »317(*), pour l'assassinat de leur
patron ; mais combien les patrons tuent-ils d'ouvriers, forcés de
« turbiner » pour des salaires de misère ? Les
étudiants qui sont à l'origine de la plaisanterie jouée
à l'encontre du père Pouffart dans Le Claque-dents sont
condamnés à de la prison ferme :
« Désormais, ils étaient cotés parmi les
malfaiteurs les plus dangereux »318(*). L'auteur souligne le décalage qui existe
entre la faute commise, la peine requise, et les individus
eux-mêmes ; manifestement certains doivent plus à la
société que d'autres, notamment quand ceux-ci s'attaquent aux
symboles du pouvoir.
Les maisons de correction et le bagne
Les prisons comme les maisons de correction sont de
véritables écoles du crime ; Eugène Sue accuse
« la perversité contagieuse de vos geôles » et
démontre ainsi que la récidive est inévitable :
« Oui, car il est démontré qu'au lieu de corriger,
votre système pénitentiaire déprave. Au lieu
d'améliorer, il empire... Au lieu de guérir de
légères affections morales, il les rend incurables. Votre
aggravation de peine, impitoyablement appliquée à la
récidive, est donc inique, barbare, puisque cette récidive est,
pour ainsi dire, une conséquence forcée de vos institutions
pénales »319(*). Loin de guérir, l'enfermement ne
protège pas plus les autres individus du criminel, que cela ne le
protège de lui-même. Un an après sa sortie de maison de
correction, Pierre Mardi est condamné au bagne à
perpétuité, où il assassine violemment son ami
détenu, avant de se donner la mort : « Ce fut le colosse
Pierre Mardi qui étouffa Étienne, de ses mains énormes,
aux longs doigts crochus. [...] On chercha vainement à prendre vivant
Pierre Mardi, couvert de sang, sur le corps déchiqueté de son
camarade : il trouva moyen de s'étrangler »320(*). Yves Gallo, enfant
condamné arbitrairement à aller en maison de correction
jusqu'à sa majorité321(*), connaîtra-t-il le même destin ?
Louise Michel, qui ne croit pas en ces institutions, est pessimiste quant
à l'avenir du jeune homme dans ce type d'établissement :
« Quand Yves Gallo sortira de la maison de correction, s'il en sort,
le hasard aura peut-être fourni de quoi terminer ce sinistre
épisode... »322(*).
Les asiles de fous
Louise Michel s'est très tôt
intéressée à la question de la folie et de
l'aliénation, et nombreux sont les personnages de ses récit qui
font l'expérience des asiles de fous. Il est en effet commode de faire
passer une personne gênante pour folle et de la faire enfermer, comme
c'est le cas de Philibert gardien à la Roquette qui avait recueilli les
mémoires des deux anarchistes condamnés à mort :
« j'ai eu des choses incroyables, on m'a rendu
désespéré, alors on m'a fait passer pour
fou »323(*).
Il s'agit d'un placement dit d'office, ordonné par l'autorité
publique et qui concerne les personnes « dont l'état
d'aliénation compromettrait l'ordre public ou la sûreté des
personnes »324(*) ; mais ce placement d'office est largement
critiqué car, comparé à une résurgence des lettres
de cachet (ordre royal d'emprisonnement ou d'exil sans jugement, dont le nom
fait référence au sceau que le roi apposait sur ce document), il
est la manifestation d'un pouvoir arbitraire et autoritaire. La nouvelle
« La Lettre anonyme » met l'accent sur le traitement
alloué aux pensionnaires ; dans les « maisons de
santé », les aliénés ne sont pas traités
comme des hommes mais comme des animaux : « Tous deux
étant d'un calme stupéfait, on les poussait comme des bêtes
qui ont besoin d'air dans les jardins où ils restaient accroupis
à terre » 325(*).
Louise Michel propose des solutions dans le texte Lueurs
dans l'ombre. Plus d'idiots - Plus de fous326(*), sorte de roman
expérimental. Elle prône la guérisons des fous par la
parole, l'amour et la musique, et affirme qu'il est tout à fait possible
d'éduquer les idiots, et de les élever à un certain niveau
d'intelligence (selon les cas)327(*). Dans la nouvelle intitulée Le Livre
d'Hermann, Louise Michel regroupe une série d'observations, de
conseils et de réflexions, afin d'améliorer la prise en charge
des aliénés, mais aussi des criminels,
« espérant ainsi jeter les bases d'une société
nouvelle où tous seraient respectés et
compris »328(*), car elle est consciente qu'« un homme
tient peu de place sur la terre, à plus forte raison, un
fou »329(*).
Le fou est donc avant tout une victime, et même doublement une victime.
En effet, il est d'abord victime des circonstances
« malheureuses » qui lui ont fait perdre la raison - causes
sociales matérielles et morales, - puis victime du milieu hostile
où il est conduit et où peu d'espoirs de guérison sont
permis. Ainsi, le poète Hermann à son arrivée compare
l'asile à une prison, un « endroit plein de nuit »
et ne comprend pas « qu'on fa[sse] rappeler la raison chez ces
pauvres êtres » dans « ces lieux si menaçants
qu'il y aurait de quoi la faire perdre » ; la narratrice ajoute que
les maisons de fous sont ordinairement la résidence dernière d'un
grand nombre d'entre-eux330(*). Enfin Hermann, doué d'une grande
sensibilité à l'égard des autres pensionnaires, devient
l'aide du médecin, mais aussi de par ses réflexions un double de
l'auteur : « N'allait-il pas jusqu'à dire qu'avec une
éducation juste et forte, imprimant dès la première
enfance le besoin d'agir loyalement, on diminuerait jusqu'à les
éteindre les maladies de l'esprit ? C'est ainsi qu'il considérait
la folie et celle du coeur, c'est ainsi qu'il considérait les
vices »331(*).
Ainsi, la littérature de Louise Michel cherche
à aller au plus près de la réalité sociale et
laisse peu d'espoir à ces êtres meurtris par la prison et
l'errance, poussés au crime, au vol, voire à l'assassinat.
Plongés dans un monde sans espoir, le misérable ne peut plus
survivre qu'en commettant l'irréparable et recherche la punition qui met
fin à son errance. Comme Maupassant, Louise Michel met en exergue une
vision fataliste quant aux chances et à l'avenir du pauvre :
« C'est l'histoire d'une aliénation »332(*). Elle engage la
responsabilité de tous, car la société entière est
coupable d'avoir créé ses propres criminels : « Oui
nous sommes coupables tous/ Du bien du mal hélas chacun est solidaire/
Le signe qu'a sur lui le criminel mystère/ Ce signe nous l'avons sur
nous »333(*).
Le miséreux devient alors l'annonciateur d'idées contestataires
et le médiateur de la révolte, mais il faut pour cela
éveiller les masses et la satire sociale participe à
l'éveil des consciences.
4/ LA SATIRE SOCIALE
a) Le bestiaire
Comme le dit le proverbe « les bêtes c'est
comme les gens »334(*) et Louise Michel l'a bien compris. Elle use et abuse
des métaphores animales pour évoquer « le troupeau
humain » : chaque personnage se trouve sous le patronage d'une
bête, dont il prend les caractères, ou bien c'est la
société entière qui est comparée au monde animal
afin de mettre à nu le corps social335(*). D'une part, ces comparaisons contribuent à
la dimension fantastique et inquiétante de l'oeuvre, puisque
d'après les travaux anciens de Lavater qui ont influencé nombre
d'écrivains du XIXe siècle336(*), tout homme a une
ressemblance plus ou moins prononcée avec un animal, dont le
caractère primitif influe sur le sien, « à tel point
que, si les âmes étaient visibles aux yeux, on verrait
distinctement cette chose étrange que chacun des individus de
l'espèce humaine correspond à quelqu'une des espèces de la
création animale »337(*). D'autre part, le bestiaire participe amplement
à la critique sociale : les capitalistes sont comparés
à des rapaces et les politiciens à des mollusques338(*) ; et c'est à
travers ce traitement grotesque que transparaît le mépris
qu'éprouve l'auteur à l'égard de cette caste. Maurice
Tournier fait remarquer, en observant le bestiaire anarchiste recensé,
que ce lexique va « des curés aux gouvernants, des riches aux
militaires, des juges aux députés, sans se fixer vraiment sur une
proie [...] il s'agit toujours des exploiteurs »339(*). En effet, Gertrude
Eléazar, qui représente parfaitement cette société
inhumaine340(*) qui sacrifie
quotidiennement des êtres sur l'autel du capitalisme, est comparée
à maintes reprises à un oiseau de proie341(*), à un serpent (voire
vipère)342(*), à une
mouche bleue343(*), mais il
semblerait que la louve344(*) soit
son « animal totem », le loup symbolisant la sauvagerie et
la débauche345(*) ;
cependant le loup possède un double tempérament et Wolff346(*) incarne la nature positive de
l'animal.
Dans la seconde nouvelle du recueil, la métamorphose
animalière permet à la narratrice de décrire les
sévices que font subir les dévoreurs de chair humaine aux enfants
qu'ils séquestrent347(*) ; les doutes du lecteur sont alors
confirmés et l'horreur augmentée : « Les messieurs
étaient enchantés, cela les intéressaient comme
l'innocence d'une jeune souris pourrait intéresser les chats, les dames
y prenaient également un vif plaisir. Elles songeaient au prochain
divertissement que leur donnerait le combat des chats contre les
souris »348(*). Plus tard dans le récit, Louise Michel
reprend la métaphore des oiseaux de proie, pour évoquer la
bestialité de ces individus : « Ce secret était
connu du petit groupe de vautours déplumés qui dévoraient
là les oiseaux pris au nid »349(*). La métaphore du chat et des oiseaux est une
comparaison fréquente et c'est en ces terme que la narratrice rapporte,
dans un épigraphe funeste, la situation de la famille de Saturnin (qu'il
a été obligé d'abandonner350(*)), le chat incarnant alors le
sadisme et la puissance de Mme de Saint-Madulphe351(*).
Par conséquent, la métaphore animale permet de
manière très précise de décrire les relations entre
les hommes, plus encore lorsqu'il s'agit de décrire les rapports de
force et de domination (« L'homme est un loup pour
l'homme »), et les animaux jouent des scènes de misère,
d'exploitation et de répression sociales, qui s'organisent en un
véritable mythe animalier de la lutte des classes352(*). Ainsi, il s'agit d'une
société radicalement scindée en deux, exploiteurs et
exploités, autorités et sujets, riches et pauvres,
répresseurs et réprimés, bref maîtres et
esclaves353(*). La
comparaison animale met en lumière la barbarie de la
société humaine, où les hommes se révèlent
être pires que les animaux - car « quand l'homme se bestialise,
l'animal s'humanise »354(*) : « Les bêtes, elles, se
soutiennent, les boeufs sauvages font face ensemble au loup ou au tigre, nous,
les misérables d'entre les hommes, nous nous faisons les meutes des
autres, chiens de chasse, chiens de bouchers, pour gagner la curée qu'on
donne au chenil ». Et de manière plus collective, ce sont les
société européennes qui acquièrent une forme
monstrueuse pour ne former qu'un tout organique, et la description pend alors
une tournure fantastique : « Le vieux monde, dans sa chrysalide,
est plus horrible qu'avant, il n'a pas encore d'ailes, il n'a plus de pattes,
c'est un monstre. Ainsi toutes les époques de transformation sont
monstrueuses. Attendez : les ailes battront dans l'air ; elles
bourgeonnent dans le linceul où s'opère la
métamorphose »355(*).
b) La dimension burlesque
Le bestiaire participe à la dimension burlesque et
Louise Michel raille toutes les institutions : l'Église
(constituée d'hypocrites), la Justice (montrée comme inutile car
inéquitable), la Politique (regroupant des carriéristes
imbéciles), la Police (regroupant des incapables), l'Armée (les
soldats s'avérant être des idiots ne savant qu'obéir), etc.
Mais plus largement, c'est le monde de l'argent et du pouvoir qui se trouve
dégradé. De cette manière, de nombreux personnages, dont
la fonction est censée faire autorité, sont rabaissés et
deviennent des personnages de comédie. Par ces procédés
burlesques, l'auteur suggère que la société, et plus
amplement le monde, constituent une vaste farce.
La classe politique
La vision satirique de l'auteure transforme la vie politique
parisienne, alors en pleine ébullition - nous sommes en effet en
période d'élections, « il y avait des candidats
partout ; on ne pouvait faire un pas sans entendre crier des brochures,
oeuvres de Monsieur un tel, candidat »356(*) - en vaste carnaval :
« cette danse macabre d'honorables »357(*). Louise Michel montre tous
les excès et l'hypocrisie de la classe politique ; elle ne vise
personne en particulier, mais s'attaque au système ainsi bâti, que
chacun fait perdurer dans cet éternel recommencement :
« A force de vivre grassement au milieu des misères vives ils
en étaient venus à les oublier d'abord, puis à
éprouver une sorte d'angoisse, les clameurs montant parfois
jusqu'à eux. Ces condamnés au pouvoir ayant tourné dans la
cage à écureuil où d'autres tournoieront après eux,
s'en allaient ayant tout promis, d'autres allaient venir promettant
tout »358(*).
Il s'agit d'un système corrompu où le secteur industriel et la
classe politique sont intimement liés : « Arsène
Dupoignon et Stanislas Trifouillard, tous deux propriétaires d'usines
aux environs de Paris, pouvaient, à cette époque, remplir le
rôle de candidats burlesques. »359(*). Les relations entre le
monde de l'argent et les sphères de pouvoir sont explicites, puisque ces
deux « illustres et intègres individus »360(*), au demeurant des pantins,
soutiennent immédiatement après leur élection (l'un au
sénat, l'autre à la chambre des députés) la colonie
de la Nouvelle Atlantide (compagnie fictive)361(*).
Ce système pourri nourrit donc une
société déjà agonisante362(*) ; mais après ce
constat pessimiste, le traitement comique d'un des personnages, candidat
à l'élection, opère un renversement carnavalesque. Le
charcutier Pouffart, qu'une plaisanterie d'étudiant fait
candidat363(*), est
élu par l'opposition qui voulait falsifier le résultat du
vote : « couronnement burlesque de la
plaisanterie »364(*). Véritable gogo, ce personnage
rabaisse les autres politiciens (« A la validation des pouvoirs le
père Pouffart entra de plain-pied à la chambre avec les
honorables Dupoignon et Trifouillard »365(*)) et fait montre que le
pouvoir détourne les hommes366(*). Initialement naïf et sincère, le
père Pouffart passe de l'opposition au gouvernement :
« Pouffart s'indignait, il menaçait de rendre à ses
électeurs un compte terrible, mais peu à peu en raison directe
des séances à la buvette où les causeries entre opposants
adoucissent les opinions, il devint moins rude - bientôt on put s'assurer
qu'il votait avec le gouvernement »367(*). La corruption de la classe politique est
inhérente aux sociétés capitalistes et s'organise en un
vaste réseau : « Monsieur Pouffart grâce à
ses maisons de commerce, se trouva en relation avec la baronne Eléazar -
au nom du baron, bien entendu. Tout allait donc suivant le cours
ordinaire »368(*).
L'institution religieuse
Louise Michel dans la nouvelle « Les
Rapaces » laisse s'exprimer sa personnalité
anticléricale ; en effet c'est toute l'institution religieuse qui
est visée. Elle narre avec humour et ironie le fait divers d'un
abbé criminel, précédemment béatifié par le
Lys de Sidon, et donne des clercs une description grotesque et
bouffonne : « L'aspect de la belle dame, en mirobolante
toilette, mit un éclair joyeux sur les trois faces patibulaires de la
sacrée rédaction - et pareils à des diables qu'un ressort
pousse hors de la boîte, ils se dressèrent rouge jusqu'aux
oreilles, les paupières clignotantes, la gueule et les narines
ouvertes »369(*). L'auteure use du registre de la farce afin de
dénoncer la naïveté et l'obscurantisme qu'engendrent les
superstitions. Le père Trémadeuk, « qui aurait voulu
les voir brûlées ou pendues, afin de conjurer la
malédiction », accuse ses filles , à l'origine du
scandale dans le village, d'être impies, pire « elles sont pour
le sûr vendues au démon »370(*) ; notons que le style
cherche à traduire l'oralité et la ruralité de la langue
du personnage, ce qui participe bien entendu à l'humour de la
scène. Et c'est par ces procédés que la scène de
lynchage des deux jeunes fille, pourtant d'une grande gravité et d'une
violence exacerbée, devient une scène de comédie : le
recteur au bruit de la foule sort de l'église et tente d'exorciser en
« jetant au hasard l'eau bénite sur les deux soeurs et sur la
foule. Un gars à ses côtés tenait un sceau de cuivre, plein
de l'eau dans laquelle le recteur trempait largement son goupillon, aspergeant
furieusement »371(*). La dimension hyperbolique de la phrase
(« plein », « trempait
largement » et « aspergeant furieusement »)
dégrade les rites ecclésiastiques, en témoignant de leur
absurdité, et démystifie l'institution religieuse.
Les savants
Dans « Premières et dernières
amours », l'auteur se moque du pédantisme des scientifiques et
place à la morgue deux professeurs, dont les commentaires et les
expériences ratées, auxquelles ils soumettent le cadavre,
déshumanisent et dédramatisent la scène :
« Au fond, deux professeurs discutent, ouvrant toutes grandes leurs
quatre narines pour se rendre compte, tandis que les autres se bouchent le nez.
[...] Ils prennent des notes. Le cadavre avait été saturé
de liqueurs alcooliques, brûlé par la vie incandescente que menait
le sujet, ils attendaient les effets qui ne pouvaient pas manquer de se
produire. [...] Les deux professeurs, parvenus à écrire une
vingtaine de pages de notes, commençaient à s'ennuyer de ne voir
aucun effet se produire, ils se donnèrent rendez-vous le
lendemain »372(*). La narratrice se moque de nouveau des savants
dans la nouvelle « Les Rapaces », à propos d'un
attentat anarchiste contre le « sacré bureau du Lys de
Sidon »373(*) et pour lequel il faut plusieurs heures aux
chimistes pour prouver que ces individus n'étaient armés que
d'oeufs pourris, et non d'explosifs liquides. L'incident tourne donc à
la farce tellement les membres du bureau, la police et la justice sont
tournés en ridicule et sont montrés comme des idiots et des
incapables.
c) Humour (noir), ironie et
dérision
L'ironie et la raillerie sont partout dans le texte, sans que
ce recours à l'humour n'ôte à cet univers son aspect
bizarre et inquiétant ; au contraire, rien ne pourrait mieux que
lui en souligner toute l'étrangeté374(*). L'humour signal toute la
folie, voire la possession diabolique du monde. Dans la nouvelle
« Les Rapaces », le lecteur assiste à une macabre
scène de comédie. Sur le ton de l'humour noir, la narratrice
rapporte une répugnante et sinistre discussion, sur la question pratique
de comment faire disparaître un corps : « - Qu'allons-nous
faire de ce cadavre ? disait la voix grasse de M. de Thunder. Une voix de
femme répondit : - Le faire jeter à la Seine, parbleu !
- Mieux vaudrait le brûler. - Non, la chair brûlée
répand une odeur qui attirerait l'attention. - Personne n'oserait
supposer... [...] - Vous ne voulez pas brûler ce corps ? reprit
Thunder qui s'entêtait. - Non, le dernier a senti mauvais dans toute la
rue. - Il fallait faire bouillir le corps jusqu'au complet détachement
des chairs et jeter les os n'importe où, dans un voyage, par exemple. On
prend le chemin de fer et la nuit on se débarrasse du corps du
délit. - Vous me dégoûtez ! »375(*). Yves Gallo, caché
dans un coffre, entend la conversation et se fait la réflexion qu'ils
sont tous fous376(*).
D'ailleurs, l'un d'eux, M. de Saint-Luc est gagné par la folie,
« Pâle, les yeux agrandis par l'épouvante, il cria aux
deux autres d'une voix de râle : - Il y a des morts en haut qui
m'ont barré la porte ; ils se sont mis devant moi comme un
mur : nous sommes perdus ! »377(*), hanté par ses
crimes, le persécuteur d'enfants est à son tour effrayé
par des enfants ; c'est le bourreau qui fuit le supplicié !
De manière paradoxale, l'humour constitue une
réalité ambiguë, habitée à la fois par le
comique et par le tragique. Son champ d'application s'exercerait même
davantage dans le domaine du tragique que dans celui du comique378(*). L'humour noir traduit
l'engagement de l'auteur - révoltée par les conditions de vie -
et témoigne - malgré un apparent détachement - de sa
sensibilité et de la représentation d'une réalité
en état de crise379(*). Ainsi, certains épisodes - scènes de
profonde misère et de désoeuvrement -, qui auraient pu tomber
dans le pathos et le larmoyant, sont traités sur le ton de la
dérision et de l'ironie. Ce procédé incite
également la pitié chez le lecteur ; mais il ne s'agit pas
seulement de l'émouvoir, cette passion ainsi suscitée ne doit pas
être stérile, elle doit provoquer la réflexion. C'est
pourquoi l'ironie se révèle être plus efficace :
« Deux corps étaient là, - on n'y songeait seulement
pas, - morts de façon ordinaire, ils ne pouvaient rien présenter
d'anormal. L'un était un vieil ouvrier qui s'était suicidé
parce qu'il ne trouvait plus d'ouvrage : quand une machine est
usée, on la met en rancart. L'autre, c'était une petite fille de
sept à huit ans, assommée à coups de bâton, afin
qu'elle ne racontât pas ce qu'on lui avait fait subir. Ces
cadavres-là n'intéressent personne »380(*). Ainsi l'humour noir et
l'ironie constituent les ressorts de la critique, ils contribuent à la
satire sociale, en montrant crûment toute la violence de la
société - violence normalisée et
généralisée. Mais ce constat n'est nullement pessimiste et
le recours à l'humour noir est justement un « moyen qui permet
d'éviter le désespoir »381(*).
***
Ainsi, l'écriture fantastique procure un
« effet de réel », et participe à la satire,
puisqu'elle met en exergue une société néfaste pour
l'homme, voire maléfique. Louise Michel dénonce une
société qui est à l'origine de l'altération et qui
s'est révélée incapable de gérer cette anomalie.
Par ailleurs, les points communs avec Eugène Sue et des
Mystères de Paris sont nombreux, - que ce soit dans les lieux
investis, comme dans les thématiques sociales avordées, mais
aussi dans le choix de la forme populaire du roman feuilleton382(*), - à propos duquel
Roger Bozzetto parle de « fantastique social » et qu'il
définit ainsi : « cette tentative de donner à saisir,
dans et par les failles d'un système de représentation
codé, le refoulé social »383(*). En effet, la
société est rationnellement la cause de l'aliénation, et
le registre fantastique sert la porté argumentative et didactique de
l'oeuvre.
TROISIÈME PARTIE :
LA FONCTION ARGUMENTATIVE
ET DIDACTIQUE
Depuis le milieu du XIXe siècle, la France
est engagée dans un vaste processus de scolarisation, mais
« le développement de la lecture populaire inquiète les
classes dirigeantes et les idéologues conservateurs y voient un outil de
subversion sociale, [d'où les nombreuses interventions de la censure].
Le mouvement ouvrier de son côté perçoit également
l'enjeu politique de la lecture »384(*). Louise Michel, comme tout militant anarchiste, sait
pertinemment qu'il faut instruire les masses, et en tant qu'institutrice, elle
milite en faveur d'une éducation populaire et égalitaire. Toute
sa littérature est tournée vers le peuple et constitue un vaste
enseignement.
***
1/ LE DOMAINE DE LA NOUVELLE : UNE CONCENTRATION DES
EFFETS
Comme Edgar Allan Poe qu'elle estimait, Louise Michel associe
l'idée grotesque de la folie à l'écriture rationnelle :
« Si on racontait une foule de choses dans de minutieux
détails, elles seraient bien plus surprenantes. On croirait parfois voir
les contes d'Edgar Poe »385(*). En effet, la forme ne doit pas représenter
le désordre psychologique des personnages et l'écrivain doit
faire preuve d'une certaine rigueur dans la construction du récit :
le « conte à effet » recherche l'unité
dramatique et la brièveté, il recherche l'unité
poétique. C'est ce que Baudelaire appelle « la totalité
d'effet ». Pour obtenir cette « totalité
d'effet », il faut élaborer un canevas rigoureux dans lequel
tous les éléments du récit s'articulent de façon
concertée pour tendre implacablement vers l'effet final :
« Dans le conte bref, cependant, l'absence d'interruption permet
à l'auteur de mettre intégralement son dessein à
exécution. Pendant l'heure où dure la lecture, l'âme du
lecteur demeure sous la coupe de l'écrivain. Un artiste habile construit
un conte. Il ne façonne point ses idées pour qu'elles s'accordent
avec ses épisodes, mais après avoir soigneusement conçu le
type d'effet unique à produire, il inventera alors des
épisodes, combinera des événements, les commentera sur un
certain ton, subordonnant tout à la volonté de parvenir à
l'effet préconçu »386(*). Ainsi, la nouvelle demeure le vecteur
privilégié du fantastique et la construction du récit doit
se faire en vue de la chute.
a) L'art de la chute : un enchaînement
causal
De manière générale, le
dénouement de la nouvelle prend la forme d'un coup de
théâtre. La chute de « Premières et
dernières amours » est très brutale, puisque Casimir
encore ivre de sa folie et de liqueurs se rend à la Morgue, afin de
contempler les corps de ses victimes. C'est précisément à
cet endroit qu'il se fait arrêter pour ses meurtres, mais aussi pour
celui de la femme de la Morgue, présente dans l'incipit. Il ne peut
évidemment s'en défendre car il « n'avait pu
échapper à ce magnétisme horrible qui l'avait
attiré ». En outre - et c'est sur cet élément
que repose tout l'effet de surprise - nous apprenons avec la dernière
phrase de la nouvelle, que « cet assassinat-là, c'était
Barnabé qui l'avait commis »387(*). Nous atteignons alors le point de tension le plus
dramatique de la nouvelle. Pourtant, et malgré l'étonnement
provoqué par la fin, il semble que l'issue de la nouvelle ne pouvait
être autrement : des effets d'annonces funestes sont
disséminés partout dans le texte. Louise Michel avertit le
lecteur lors de l'association fatale de Casimir avec Barnabé :
« Une rencontre qu'il fit d'un aventurier nommé
Barnabé, revenu depuis peu à Paris, décida de son
sort »388(*).
Tous les faits s'articulent dans une logique ironique : après son
meurtre, Barnabé quitte Paris, mais avant il contemple le cadavre
à la Morgue ; c'est ce cadavre qui obsède Casimir et c'est
à cause de cette hantise, et pour investir dans l'affaire de
Barnabé, qu'il tue Marguerite (et sa femme de chambre) ; enfin
toujours à cause de Barnabé - qui vient d'ailleurs de l'escroquer
en lui volant les bijoux - et de ses crimes, il court à la Morgue,
où il se fait arrêter.
Ainsi la nouvelle, par des effets d'annonce et des signaux,
fait montre d'une logique implacable et d'un enchaînement
inéluctable. En effet, ce sont ces signes qui font pressentir au lecteur
que tous les personnages du récit tendent - et ce malgré eux,
bien qu'ils participent spontanément à leur propre
destinée - vers une issue qui leur sera fatale. Certains présages
arborent pourtant une symbolique forte et portent un message explicitement
funeste. Rita, quelques jours après son mariage avec le peintre Daniel,
découvre dans une corbeille une grande épingle d'or avec
« une délicate tête de mort ». Quant à
Daniel, il trouve de son côté une lettre anonyme qui lui est
adressée « Cher et malheureux ami ». Cette lettre
est une mise en garde - bien qu'elle n'ait pas pu le
« prévenir à temps, pour empêcher la
fatalité de s'accomplir » - contre sa femme Rita, qui aimerait
toujours son premier amant, et c'est signé « Un ami
inconnu »389(*). Chacun des deux époux garde pour
lui-même le secret de sa découverte, Rita « ayant eu le
coeur serré » et Daniel étant « frappé
d'une piqûre au coeur, quelque chose le retint, la fatalité sans
doute »390(*).
Le Lecteur sait que le jeune couple sera entraîné dans un
enchaînement infernal, jusqu'à sa destruction totale. Une seconde
lettre, au contenu funeste, - dont il reconnaît l'écriture et qui
est signée « Un ami » - fait écho
à la première. D'autant plus mystérieuse et effrayante,
elle relance le suspense et la tension, afin de tendre vers l'effet final que
doit produire la nouvelle : « Votre mort est
préméditée. Cette nuit à un signal convenu, vous
devez être assassiné »391(*). Et au retentissement du signal (Rita a
« avec effroi reconnu le coup de sifflet avec lequel son
fiancé d'autrefois appelait ses compagnons de
promenade »392(*)), il n'y a plus de doute quant à
l'identité du tortionnaire, le dénouement de la nouvelle ne fait
que confirmer ce que le lecteur avait déjà compris. Or,
même si la chute ne nous enseigne rien de nouveau, contrairement à
« Premières et dernières amours », elle n'en
reste pas moins surprenante, l'horreur et la violence atteignant leur
paroxysme : « [Le premier fiancé de Rita] avait
voulu se suicider. On l'avait trouvé pendu à la grille de la
maison de Daniel et rappelé à la vie, la raison avait
sombré »393(*).
Ainsi, la tension dramatique atteint
généralement son apogée dans le dénouement de la
nouvelle, soit par la surprise qu'elle provoque, soit par son horreur et sa
brutalité, soit en combinant ces deux effets. Dans la nouvelle
« Les Vampires » l'effet final est provoqué à
la fois par la violence des faits et à la fois par la focalisation
interne, qui ménage un bref suspens et une stupéfaction ; le
lecteur découvre en même temps que Blanche l'horreur de la
scène : « Elle se leva et s'en alla sans se tromper
où était son mari. C'était dans sa chambre de travail
où personne que lui ne pénétrait. Dans le trouble
où était ce misérable, assoiffé de sa hideuse
passion, il avait perdu la clef de cette chambre. Blanche poussa la porte et,
dans les ténèbres, devina plutôt qu'elle ne vit, le cadavre
de sa fille, qu'il avait sorti du tiroir et mordait en
l'embrassant »394(*).
b) « La totalité
d'effet » : des effets de structure
L'incipit
Les premiers mots de la nouvelle engagent (dans le
sens fort du terme) le récit, il ne l'entame pas mais l'oblige. Comme
pour « l'art de la chute », tout doit être contenu
dans la première page. La suite de la nouvelle ne fera qu'actualiser ces
prémisses, selon l'esthétique baudelairienne de la
« totalité d'effet ». L'incipit de la nouvelle
« La Lettre anonyme » est une scène d'exposition, et
l'intrigue, a priori simple, est résumée en trois
paragraphes : Rita (seize ans) est promise à un homme, avec lequel
elle décide de rompre, afin d'épouser Daniel, un peintre, qu'elle
aime ardemment. Le premier décide alors de se venger. Tout le programme
est annoncé.
Dans « Premières et dernières
amours », la narratrice détrompe immédiatement le
lecteur qui pouvait se croire dans une énigme policière ;
certes il y a un cadavre, mais elle désigne directement
l'assassin : « L'un est un jeune homme de vingt à
vingt-cinq ans, au visage imberbe, aux traits efféminés.
Celui-là c'est l'assassin. Il peut rester en paix. Les agents sont en
quête de visages sinistres ; le sien est doux. Ils font la chasse
aux gens mal vêtus ; lui est bien vêtu. C'est la coutume des
assassins d'être bien mis »395(*). La nouvelle ne relatera pas l'enquête,
puisque comme l'affirme la narratrice, l'assassin ne sera jamais
inquiété, mais le lecteur est sensible au ton polémique,
qui donne le sens critique à l'oeuvre : ce sont toujours les
pauvres et miséreux qui trinquent. Ainsi, l'incipit a également
pour fonction de justifier le récit en expliquant son
intérêt et son importance. Les premiers paragraphes de la nouvelle
« Les Vampires » introduisent l'anecdote et la fonde dans
le temps historique ; par ce procédé initial, le
récit acquiert de la légitimité : « Voici
un épisode ancien qui a son semblable de nos jours. [...] Cela
peut-être drôle dans les livres, pour ceux qui aiment ce
genre-là ; mais cela est sinistre et fatal lâché de
par le monde »396(*). Louise Michel insiste de manière ludique sur
la véracité des faits qui vont être rapportés et cet
incipit fonctionne aussi comme un avertissement (ironique) aux lecteurs ;
en ménageant un certain suspens, la narratrice suggère que
ceux-ci devraient aussi se tenir sur leurs gardes, car ils pourraient
être effrayés par ce qu'ils vont lire.
L'ellipse
Louise Michel a recours à l'ellipse, ce qui permet
d'une part de faire un pas considérable dans le temps et d'autre part,
de faire appel à l'imagination du lecteur, et de provoquer une
résonance féconde dans son esprit397(*) : « Madame
Marguerite a fait du chemin depuis que le petit Casimir lui payait un
hôtel, [...]. On ne pourrait compter ceux qui ont succédé
au vieux depuis deux ans »398(*). Dans la nouvelle « La Lettre
anonyme », le lecteur fait un bond de plusieurs années, durant
lesquelles on imagine parfaitement la décrépitude du
couple : « Dix ans passèrent à savourer l'amer
bonheur qu'éprouvaient les époux Daniel »
399(*). L'ellipse entre le
premier et le second chapitre de la nouvelle « Les
Rapaces » fonctionne de la même manière. Les deux
« pauvrettes » complètement droguées
s'endorment et le chapitre suivant commence par leur réveil :
« Quand elles s'éveillèrent, les fraîches fleurs
de genêt, la froide gelée avait passé sur
elles »400(*) ; que s'est-il passé ? Par cette
périphrase, Louise Michel suggère et laisse imaginer le pire. En
outre, l'ellipse permet une accélération dans la narration
puisque le second chapitre, en réalité très court (il ne
fait qu'une seule page), se déroule sur plusieurs mois :
« Cela dura trois mois, pendant lesquels un grand nombre de fois le
beau monde vint en soirée chez madame Donadieu ; chaque fois les
deux soeurs avaient si grand sommeil qu'elles s'endormaient avant la fin de la
fête »401(*).
L'ellipse crée une tension dramatique en laissant le
lecteur dans une demi-incapacité à comprendre et en ne lui
faisant parvenir que des bribes d'information, car Louise Michel se garde bien
de renseigner précisément le lecteur sur la nature des tortures
que les enfants subissent ; même quand l'une d'entre elle feint de
dormir et découvre le supplice, elle refuse de dévoiler la
vérité à sa soeur : « Ne te rassure pas,
Makaïke, aucun mal ne peut être plus grand, rien ne peut plus nous
arriver ! Nous sommes perdues ! »402(*). Ainsi, la narratrice joue
et attise la curiosité, car le lecteur « à travers sa
demi ignorance de ce qui [est] arrivé aux deux soeurs, [...] entrevo[it]
l'épouvantable réalité »403(*). Dans « Les
Vampires », la narratrice ménage le suspens en gardant
secrètes les motivations des deux individus pénétrant dans
le cimetière : « Unis pour l'accomplissement de leurs
desseins »404(*) - quelle est leur nature ? ;
« Les mêmes passions horribles et insensées ont
rassemblé ces deux loups »405(*).
Une structure cyclique
L'incipit et la chute redent compte de la structure cyclique
de la nouvelle, et les répétions et leitmotivs présents
tout au long du récit dessinent cette boucle. Par un effet de
symétrie quand Casimir retrouve Marguerite à la fin de
« Première et dernières amours »,
après une absence d'un an, il s'agit de l'anniversaire de leurs secondes
amours, et Louise Michel insiste sur la neige de fleurs qui s'abat contre les
vitres406(*). Ce passage
rappelle l'incipit puisque la nouvelle débute en hiver sous la neige,
période de leurs « premières amours », et la
boucle est bouclée, car jamais Casimir n'aimât Marguerite comme au
premier jour que lorsqu'il la tua : « Bientôt ce ne fut
plus seulement cette rage-là. Toutes les furies le tenaient. Jamais il
n'avait autant éprouvé de passion pour Marguerite depuis le jour
où il l'avait prise toute verte en lui promettant de l'aimer
éternellement. C'était bien pareil, avec cette différence
qu'alors c'était le commencement et qu'aujourd'hui c'était la
fin »407(*).
La structure cyclique de la nouvelle est d'autant plus manifeste avec la
dernière page, puisque celle-ci se termine à la Morgue avec
l'arrestation de Casimir et l'élucidation du premier meurtre, pour
lequel nous apprenons que l'assassin est Barnabé, qui était
également présent à la Morgue dans l'incipit408(*). Ainsi les effets de
résonances sont nombreux et forts, notamment quand dans la nouvelle
« Les Vampires », par un coup du hasard, la voiture
cellulaire transportant Pierre Mardi fait l'objet d'un accident et que celui-ci
voit passer « une noce dans laquelle dominait les vêtements de
deuil »409(*).
Ces noces funèbres font écho à la première
scène, dans laquelle Jean Oupir vampirise le cadavre de la soeur de sa
future épouse, dont le décès a retardé leurs noces.
Cet écho et ce coup de théâtre, que l'on pourrait qualifier
de structurants, constituent un ressort dramatique et procurent
à la nouvelle une unité poétique : « Pierre
Mardi poussa un rugissement terrible et, [...] il courut à la
première voiture, s'y jeta en passant sur les chevaux, prit l'un des
hommes qui s'y trouvaient à la gorge en hurlant : - Jean
Oupir ! Voilà Jean Oupir ! C'était le
marié »410(*).
Ces coups du destin confèrent au récit une
dimension tragique, « la fatalité s'en mêla, comme
toujours »411(*), qui rendent compte de l'enchaînement causal
des événements. La promesse énoncée par le premier
fiancé de Rita dans l'incipit de « La Lettre
anonyme », est menée à bien et réussit, puisque
« résolut [à] se venger d'une façon
terrible »412(*), c'est lui qui fut la « cause de tous les
malheurs et de la catastrophe finale, l'auteur des lettres anonymes, le
donateur mystérieux de l'épingle »413(*). En outre, l'ironie du sort
est telle qu'à la fin de la nouvelle, les deux rivaux se retrouvent
ensemble dans la maison de santé et s'affrontent dans une lutte
terrible414(*). Les
personnages sont par conséquent les jouets de la fatalité et
comme le dit la narratrice, « le hasard étant souvent aussi
habile pour lier les circonstances que s'il s'en servait comme d'un
clavier »415(*).
c) Vers la révélation
Issue de l'exemplum, du conte moral et du fabliau,
la nouvelle possède aussi une fonction d'argument, elle est une sorte de
parabole profane et moderne416(*). Ainsi, à travers son activité
littéraire, Louise Michel réhabilite le rôle social, voire
visionnaire, du poète en véhiculant un message qui se
présente d'une part comme novateur, et d'autre part qui se positionne en
faux par rapport à l'idéologie dominante. De manière
récurrente, elle compare le poète à la figure de
Prométhée, qui devient alors le symbole de la révolte, le
penseur contestataire, le prolétaire rebelle espérant dans le
progrès et la connaissance : « Les rêveurs
d'aujourd'hui ce sont les prométhées [sic]/ Leurs
visions par l'orage emportées/ Sont astre d'or pour
l'univers »417(*). Dans cette entreprise de connaissance, la nouvelle
et le nouvelliste ont pour objectif le « dévoilement d'un
secret »418(*).
La narration
La fonction de la nouvelle et du nouvelliste est
exacerbée à travers la voix narrative, laquelle rend
explicitement compte du rôle pédagogique du récit. La
seconde nouvelle des Crimes de l'époque possède
nettement cette valeur d'exemple et a pour vocation de nous
révéler quelque chose jusqu'alors ignoré, ou bien, mal
connu. La narratrice intervient alors explicitement au début du
récit, afin d'introduire l'action de la nouvelle, et après avoir
défini ces personnages qu'elle désigne sous le terme de
« rapaces », elle ajoute : « Ce sont eux que
nous allons mettre en scène dans ce roman de moeurs
contemporaines »419(*). L'incipit du « Beau Raymond »
use du même procédé introductif et de manière
didactique la narratrice annonce : « Voici un épisode
ancien qui a son semblable de nos jour »420(*). Bien que l'anecdote soit
ancrée dans le temps historique, la narration emprunte les voix et les
aphorismes du conte et la narratrice débute son histoire ainsi :
« Il y a quelques centaines d'années, un jeune mercier, qu'on
appelait le beau Raymond... »421(*). Cependant, elle en détourne les codes
à des fins parodiques et pédagogiques : elle affecte
l'oralité du conte (« il était une fois » ou
encore « il y a bien longtemps »), et imite le langage
courtois (« Voilà le beau Raymond qui ne quitte plus les
gentes et honnestes dames »422(*)). Certains personnages, par la description grotesque
qui en est faite, semblent adopter les masques de la commedia dell'arte :
« Margot, qui avait refusé la main crochue de plusieurs vieux
richards, dont deux bossus, un déhanché et trois
chauves »423(*). Le recours à la parodie, mais surtout au
rire, est un moyen efficace pour instruire et convaincre (docere et
placere, éduquer en plaisant, en étant
agréable) ; en livrant au public un conte grotesque, elle met en
exergue un exemple à ne pas suivre et des faits à
dénoncer.
Véritable contre-exemple, le beau et noble Raymond
subit un rabaissement carnavalesque et est présenté comme un
personnage plutôt bas : « ... ayant quelque talent pour la
comédie, s'étant instruit à peu près dans les
lettres et surtout dans les tavernes avec les clercs et étudiants qu'il
fréquentait »424(*). Raymond est davantage un anti-héros ; en
effet, rendu « fou de vanité, une folie qui va
loin », par le maléfice de
« sorcières », « puissantes
drôlesses » qui « s'emparèrent de son
esprit » et « l'entretenaient dans sa paresse et ses autres
vices »425(*),
il échoue dans sa quête amoureuse et finit condamné
à mort et exécuté426(*). Notons que Raymond, comme dans le conte oral, est
toujours désigné par le même épithète
ironique depuis le début du récit, « le beau
Raymond » (titre de la nouvelle). Enfin, et c'est
précisément à ce moment que la nouvelle acquiert toute sa
dimension didactique, la narratrice clôt son récit en
émettant une réflexion sur l'homme ; mais elle se garde bien
de reprendre à son compte cette parole philosophique, donnant ainsi
davantage de crédit à son propos : « Las !
dit à ce propos un philosophe de son temps, qui peut à travers
les réseaux de la vie, être loué du bien ou du mal ?
N'y serons-nous pas fatalement conduits jusqu'au jour où l'homme libre
et conscient sera responsable de ses actes ? »427(*). Outre la condamnation de la
vanité de Raymond, la narratrice constate de nouveau que nous vivons des
temps obscures, guidés par les apparences et le vice, dans un monde
vidé de toutes valeurs auxquelles se raccrocher. Il n'y a donc plus
qu'une solution qui consiste à l'éduquer les masses, afin de
lutter contre l'obscurantisme et de faire progresser l'homme, car une fois
conscient, l'homme sera libre et responsable.
Une narratrice moraliste
Dès son origine, la nouvelle revendique de
s'intéresser à l'humanité familière : parler
du commun des hommes, de la vie sociale et intime428(*). Son rôle, et celui de
la narratrice, serait donc de sensibiliser le lecteur à des
problèmes sociétaux, comme l'enlèvement et l'abus de
jeunes gens dans « Les Rapaces ». En effet, bien que le
dénouement du récit puisse paraître décevant pour le
lecteur - les vrais coupables, personnalités intouchables, courent
toujours -, la conclusion alarmiste n'est pas moins un hommage à ces
pauvres enfants mystérieusement disparus : « le hasard aura
peut-être fourni de quoi terminer ce sinistre épisode, où
passeront bien des enfants morts, disparus ou flétris, petites
bouquetières, fillettes employées aux courses dans Paris, pauvres
êtres dont la disparition ne fait pas plus de bruit que celle des fleurs
de pommiers à la gelée d'avril »429(*). La narratrice n'est donc
pas un témoin objectif et, à maintes reprises, intervient
directement dans le récit pour juger de la situation et des personnages.
Ces exemples précis lui permettent de formuler des constats et des
critiques plus générales sur la société, et la
placent en position de moraliste. Louise Michel milite pour une
éducation égalitaire entre garçons et filles430(*) et pour l'obtention de
droits égaux. À travers l'exemple de Marguerite et de son amour
pour Casimir (« Quelle sotte idée avait eu cette belle fille,
dont le coeur était si tendre, d'aimer se propre à rien qui la
trompait ! »), elle dénonce la
naïveté de toutes les jeunes filles, dont l'ignorance est
entretenue par l'absence d'éducation : « - C'est qu'elle
ignorait la tromperie, c'est qu'elle n'avait jamais rien lu et que les chemins
bordés d'aubépines, les fleurs des champs toutes pleines de
rosée lui avaient dit des songes d'amour »431(*). Les revendications
féministes de la narratrice parsèment son oeuvre
littéraire, et malgré un constat quelque peu alarmiste sur la
condition de la femme, elle engage celle-ci à s'emparer de sa vie et
à proclamer son autonomie et sa propre liberté432(*) : « mais vous
savez le proverbe fait pour toutes les femmes riches ou pauvres :
"Où la chèvre est attachée, il faut qu'elle broute". Cela
sera ainsi jusqu'au temps où assez de chèvres casseront la corde
au lieu de brouter. Le monde est grand, elles pourraient aller plus
loin »433(*).
Par ce procédé, Louise Michel préconise
une lecture active, puisqu'en interpellant le lecteur, elle le fait directement
participer à la réflexion, comme lorsqu'elle exprime son opinion
sur la guerre et le gâchis qu'elle produit : « - il y a
des hommes qui en enrôlent pour donner à manger aux canons, il
faut bien que tout le monde vive, n'est-ce
pas ? »434(*). Elle prend le lecteur à partie plus
fortement encore lorsqu'elle s'exprime sur la justice et son fonctionnement, et
lui pose cette questions, réitérée par
« n'est-ce pas ? » : « Ceux qui n'ont
personne pour les défendre, ne doivent-ils pas être la proie
muette ? Telle est la justice, n'est-ce pas ? »435(*).
2/ LES CONTES & LÉGENDES
Tous les éléments du contes (personnages, lieux
formules narratives, thèmes abordés, etc.) sont tournés
vers un objectif éducatif, ce qui en fait un genre davantage
pédagogique que le roman et la nouvelle. Ainsi, alors que ces derniers
s'adresseraient plutôt aux adultes, avec Les Contes et
légendes, Louise Michel (institutrice) cherche à
sensibiliser un public plus jeune aux mêmes questionnements et aux
mêmes thèmes.
a) Définition du conte
littéraire
Le terme « conte », attesté en
1880, est dérivé de conter (du lat.
computarer : énumérer), il s'agit
d'énumérer les épisodes d'un récit, soit de
raconter. En tant que pratique du récit, le conte appartient à la
fois à la tradition orale populaire et à la littérature
écrite436(*). Et
c'est par rapport au conte populaire de tradition orale que le conte
littéraire peut être défini, car ce premier se
caractérise par « la conjonction de plusieurs facteurs
hétérogènes : oralité, fictivité
avouée, structure archétypale particulièrement
contraignante, fonction sociale au sein d'une communauté donnée,
principalement rurale »437(*). Le conte chercherait donc plus ou moins à
détruire « l'illusion réaliste », et cette
distance serait installée dans le conte merveilleux par le surnaturel et
dans le conte facétieux par le rire438(*). Les contes de Louise Michel ne relèvent pas
du « conte merveilleux », mais du « conte
réaliste » - bien que leur structure soit semblable à
celle des contes merveilleux. En effet, à défaut de
posséder des éléments surnaturels, les récits
abondent en coïncidences (« Les dix sous de Marthe »),
déguisements, coups de théâtre (« La famille
Pouffard »), et dénouements improbables ; et certains
d'entre-eux peuvent être classés dans la catégorie des
contes facétieux, récit moqueur où l'on stigmatise la
sottise - l'avarice du père Mathieu dans
« Robin-des-Bois »439(*). Comme dans les fabliaux440(*), les personnages des
Contes et légendes441(*), demeurent des types et la matière se
réduit à une anecdote pour aller à l'essentiel : la
morale - explicite et détachée de la narration, ou bien incluse
de manière implicite442(*).
Bien bien que certains récits se rapprochent de la
fable, dans la mesure où la morale est explicite (« La Vieille
Chéchette », « Le père
Rémy »), ces contes semblent davantage appartenir au conte
moral443(*),
défini comme une entreprise didactique au service de la raison et de la
sensibilité (« Robin-des-Bois », « La
Famille Pouffard »). Il faut prendre l'adjectif moral au
sens objectif de « qui peint les moeurs » et au sens
prescriptif « qui vise à les réformer »,
puisqu'il place son action dans un univers quotidien et réaliste, et
dénonce les ridicules de l'homme. Toute la démarche du conte
moral est dans cette double acception. Il devient alors un agent efficace de
régénération morale. Comme pour la nouvelle, la structure
même de la narration porte en elle la charge didactique. Elle
possède la rigueur d'une démonstration scientifique et use d'une
efficacité argumentative qui n'exclut ni l'humour ni l'ironie444(*).
b) Entre tradition orale et écrite
Bien que les contes de Louise Michel soient des contes
littéraires et non la retranscription écrite de contes oraux,
ceux-ci témoignent d'une certaine tension entre modernité et
tradition populaire. En effet, la temporalité de certains récits
est contemporaine à celle de l'auteure (« nous sommes
là en plein XIXe siècle »445(*)) et les sujets
abordés semblent actuels (« Les dix sous de
Marthe »), mais Louise Michel exprime l'exigence de renouer avec la
culture orale et populaire du conte, en imitant l'oralité et en
empruntant des éléments issus du folklore. Le poème
« La Neige », qui fait office de prologue, exprime
justement ce flou temporel et culturel ; d'un côté la conteuse
revendique la véracité des événements
racontés (bien que très anciens) et de l'autre, elle avoue leur
fictivité : « Ce sont des souvenirs lointains./ Ceux dont on
parle ont eu votre âge,/ [..] Nous parlerons des moeurs antiques,/ Des
pays lointains ou rustiques,/ Ou de ce qu'on voit en
rêvant »446(*). Ainsi, il s'agit de renouer avec le folklore des
légendes, celui qui peuple notre imaginaire, de conserver ou de
retrouver l'esprit d'enfance, et de se laisser aller à rêver.
Des personnages
emblématiques
Les personnages du conte populaires sont les indispensables
moteurs du récit et en même temps ils sont dépourvus de
toute profondeur, de toute intériorité. Il n'ont ni
ambiguïté, ni liberté et sont réduits au rôle
qu'ils doivent jouer dans la narration. D'ailleurs, tous les contes du recueil
ont pour titre le nom du ou des personnages du récit, excepté le
poème-prologue intitulé « La Neige ». Ce sont
des stéréotypes purement fonctionnels, munis de contraintes
archétypales.
La Vieille Chéchette, principale protagoniste du conte
éponyme, est réduite à cet épithète de
nature, qui semble si bien la définir puisque
« Chéchette était une pauvre femme qu'on avait toujours
vue vieille et toujours vue folle »447(*) ; le suffixe « -ette » renvoie
à la dimension rurale et populaire du personnage. Elle est
décrite comme une « créature
étrange », dernier membre d'une race primitive, plus proche de
l'animal que de l'homme ; quand elle n'articule pas quelque sons en son langage
particulier et mystérieux, elle grogne pour exprimer son
mécontentement448(*). D'abord comparée au serpent, - animal
« incompréhensible et mystérieux »,
« intemporel, permanent et immobile dans sa
complétude »449(*), comme Chéchette, vivant depuis toujours dans
la forêt, y trouvant plénitude et s'endormant repue450(*), - elle possède
également une gueule d'orang-outang et de gorille et on lui
reconnaît un instinct très développé451(*). Il faut noter une gradation
dans la description de Chéchette, puisque celle-ci est à ensuite
diabolisée. Telles les « statuettes grimaçantes du
moyen âge » - ses malformations étant le reflet d'une
âme démoniaque -, elle est boiteuse et borgne, et possède
une « épaisse crinière » rousse rappelant le
« feu de l'Enfer »452(*). Ainsi, Chéchette possède davantage de
particularités animales que de caractéristiques humaines, et
semble emprunter à toutes les mythologies et folklores :
« tout en elle rappelait les plus vilains gnomes453(*), les plus hideux
singes »454(*). Malgré cette description grotesque et
monstrueuse, Chéchette est élevée au rang
d'« être surnaturel »455(*) et devient franchement
sublime quand elle entre dans la maison en feu, four menaçant et
diabolique, et sauve un des enfants de la veuve. La conteuse exprime alors
toute son admiration et une profonde compassion pour cette « pauvre
femme456(*) »
qui porte alors les stigmates de son sacrifice et meurt en martyr457(*). Ainsi, malgré toutes
les mythologies dont est modelée Chéchette, jamais le conte
ignore le corps de son héros, « pétri de chair et de
sang »458(*),
et lui alloue davantage de relief et de profondeur.
Quant au Père Mathieu, personnage principal et moteur
du récit intitulé « Robin-des-Bois », il est
le type même de l'avare, - c'est d'ailleurs ainsi que la conteuse le
présente avant même de le nommer : « un vieux paysan
avare », - tel qu'on le trouve déjà dans la
comédie ancienne de Plaute (La Comédie de la marmite),
dans les fabliaux, et incontestablement chez Molière qui s'inspira de de
ce premier. Louise Michel s'inscrit immanquablement dans la pure tradition
comique, et le lecteur devine que ce personnage (sans aucune profondeur
psychologique), ridiculisé sa bêtise et les superstitions
(« la chasse du Grand-Veneur »), va prendre une bonne
leçon : « mais enfin, il fit, grâce à la peur,
une bonne action. La peur ! C'est un motif honteux ! Qu'attendre de plus d'un
avare ? »459(*). Cependant, - même s'il s'agit dans le cas
présent d'un archétype, - pour Louise Michel « l'avare
est déjà fou »460(*), car celui-ci est entièrement tourné
vers son propre être, son plaisir et désir personnel, et ce n'est
pas sans humour qu'elle décrit une nature démesurément
égoïste : « il comptait son argent en tremblant de
peur et d'affection aussi ; car il aimait ce trésor comme on aime
sa famille, son pays, sa mère, tout ce qu'on a de plus cher au monde
[...] Il regrettait seulement de ne pouvoir vivre sans
manger »461(*) ; et au lieu de profiter de ses richesses, vit
dans la pauvreté, dans une « sorte de masure toute en ruine,
vraie demeure de hiboux462(*) et d'avare »463(*).
Autres personnages de comédie : les membres de la
famille Pouffard, - dont le nom rit au nez, - véritables parvenus, ayant
acheté leur particule et leurs ascendance ; ainsi commence le
récit : « Madame Pouffard était fort riche, elle
portait la toilette la plus coûteuse qu'on puisse imaginer et n'avait
rien trouvé de mieux pour en rehausser l'éclat que d'ajouter un
de à son nom. [...] Ce de et ce mot châtelaine
la faisaient rougir de plaisir chaque fois qu'on les lui adressait, et de
colère chaque fois qu'on osait les oublier. Quant à Monsieur de
Pouffard, plus avisé encore que sa femme, il avait eu l'idée
d'acheter des titres de noblesse. Les habitants de la Hulotte devinrent donc
Monsieur le marquis et Madame la marquise de Pouffard. Ils se firent peindre
des armoiries par un artiste, qui se moquait d'eux, et achetèrent chez
les antiquaires une foule de choses qui composèrent le musée de
leurs ancêtres... »464(*). La référence à Molière
et à sa célèbre comédie-ballet Le Bourgeois
gentilhomme est explicite et l'analogie renforce la critique de cette
famille qui tente de se hisser au dessus de sa condition. Il ne s'agit pas que
de « M. Jourdain-Pouffard » et de sa femme, mais
également de leur charmante enfant Euphrosine (du nom d'une des trois
Grâces) : « Mademoiselle Euphrosine Pouffard mérite
une attention toute particulière. C'était une grande niaise,
vaniteuse comme un paon, et bête comme une oie »465(*). La dimension grotesque et
l'importance donnée au visuel renforcent la
théâtralité de ce conte : : « Madame
Pouffard s'embrouilla dans les phrases de la Feuille des Grâces,
ce qui fut cause qu'ayant lu : on orne les coiffures de quelques
gerbes folles ! au lieu de herbes folles, la châtelaine
des Hulottes se fit faire, pour le dimanche suivant, six grosses gerbes
artificielles dont elle orna son chapeau »466(*).
Enfin, la vielle Jeannette - une « paysanne qui
avait près de cent ans » - est également un personnage
typique des contes populaire. Elle est l'auxiliaire de l'héroïne,
car de par son âge, son expérience de la vie et son origine
paysanne, elle connaît les choses essentielles et elle sait ce que les
jeunes générations ignorent : « connaissant
l'histoire de chaque famille elle donnait quelques fois d'excellents conseils,
ce qui la faisait passer pour très habile »467(*). Gardienne des secrets, elle
pourrait être l'équivalent de la (bonne) fée dans les
contes merveilleux. Mais Jeannette, de par son savoir, joue également un
rôle narratif en devenant le double de la conteuse468(*), et Rose, un double du
lecteur : « Rose frissonnait ! Le grand-père de
Jeannette, qui avait cent ans, cela devait être bien vieux ! Mais
elle ne savait pourquoi ce commencement d'histoire lui faisait
peur »469(*).
Quant à Rose, héroïne de ce conte, elle possède
toutes les qualités et vertus qui sont dues à son statut :
elle est courageuse, généreuse et charitable (les larmes
étant un gage de bonté).
Lieux, structure et aphorismes
Tout d'abord, le conte est régi par une structure
archétypale, ce qui contribue à sa fictivité : le
lecteur/auditeur comprend d'emblée que le récit qu'il entend ne
cherche pas à reproduire fidèlement une expérience, mais
à se conformer à un type de récit470(*). En effet, c'est en usant
parfois de certaines formules issues du conte traditionnel que Louise Michel
indique à son public qu'elle relate une légende, qu'il s'agit
d'une fable, d'une sorte d'allégorie : « La bonne vieille se
jour-là, pleura de joie, et cette action porta bonheur à tous,
car elle vécut longtemps encore et les six magasins
prospérèrent »471(*). Notons cependant qu'il s'agit de
préoccupations concrètes, économiques et
financières.
Une des constantes du conte populaire est l'affirmation du
cadre rural. Les différents personnages mis en scène dans ces
historiettes sont tous d'origine paysanne et évoluent pareillement dans
ce milieu ; par exemple « L'héritage du grand-père
Blaise » débute ainsi : « Le père Blaise
était le plus riche fermier de la contrée ». Dans
« La Vieille Chéchette », la conteuse évoque
le travail agricole : « Une nuit d'été que tout le
monde dormait profondément, après les fatigues d'une chaude
journée employée à travailler dans les champs, on entendit
retentir le seul cri qui fait lever tout le monde à la campagne :
Au feu ! Au feu ! »472(*). Elle glisse également dans le texte,
quelques coutumes rurales françaises, comme par exemple celle du bas de
laine, cachette où l'on mettait l'argent économisé
« il avait dans son bas cent mille francs en or et billets de
banque »473(*). La forêt (ou le bois) est également un
topos du conte populaire, lieu magique et mystérieux, plein de vie et
inquiétant, elle demeure un lieu sauvage dans « La Vieille
Chéchette », bien qu'elle soit également un symbole
maternelle474(*) :
« La maison de Chéchette, c'était le bois ; son
magasin, c'était le bois ; le nid de son enfance, l'asile de sa
vieillesse, c'était toujours le bois. D'où venait-elle ? Personne
n'en savait rien, ni elle non plus. La première fois qu'on l'avait vue,
déjà vieille, elle sortait d'un autre bois où sa
mère l'avait élevée et venait de
mourir »475(*). Nous avons une seconde évocation de la
forêt à travers le conte intitulé
« Robin-des-Bois ». Ce récit ne met pas directement
en scène le célèbre hors-la-loi, héros et ami du
peuple, dont la popularité en France date seulement du XIXe
siècle476(*). C'est par l'analogie qui associe Robin-des-Bois
à Barbatos, que la forêt acquiert un caractère sombre et
menaçant, voire fantastique : « C'est de Barbatos que
l'on fit les robin-des-bois, les chasseurs noirs, les grands veneurs et toutes
les chasses fantastiques qu'on croit entendre la nuit dans les
bois »477(*).
Barbatos478(*) est un
grand et puissant démon, comte-duc des enfers et Louise Michel-conteuse
prend un grand plaisir à relayer l'aura légendaire de ce
« duc de l'Abime »479(*) : « Il entend, dit la légende,
le chant des oiseaux, les hurlements des loups ; il entend le cerf qui
brame et la feuille qui craque... »480(*) ; « Il connaît les
trésors enfouis, les cavernes et les aires. Devant lui, quatre rois
sonnent du cor, et il mène d'un bout du monde à l'autre la chasse
des ombres »481(*). Enfin, le dernier conte du recueil place son action
dans un château, « les Hulottes », et relate comment
une petite fille veut devenir princesse ; mais, il ne s'agit nullement
d'un conte de fée, mais d'un conte satirique, d'ailleurs « on
en rit encore »482(*).
Le conte décrit une boucle, reflétant ainsi la
stabilité d'un univers clos : « la composition du conte
populaire est claire et logique. Elle ressemble à un cercle qui
s'esquisse au cours de la narration : il se desserre au commencement du
conte et il se ferme à la fin »483(*). Dans
« L'héritage du grand-père Blaise », nous
partons d'une situation initiale a priori heureuse, mais très rapidement
nous découvrons que pèse sur la famille une
malédiction : « pourtant le père Blaise
était triste, si triste qu'on craignait qu'il n'en mourût,
d'autant plus que son père et son grand-père étaient, eux
aussi, morts de tristesse, sans qu'on pût en savoir la
cause »484(*).
Ainsi la fatalité, qui s'est abattue sur la famille de Blaise,
témoigne de la structure circulaire du conte ; ces micro-boucles
(éternels recommencements) sont comprises dans un cercle bien plus large
qui se referme à la fin du récit lors du dénouement, et
qui marque à la fois une rupture avec la situation initiale et une
continuité : « Voilà pourquoi Blaise ne mourut pas de
tristesse, comme son père et ses
grands-pères »485(*). Le récit ne décrit donc pas seulement
une boucle sur lui-même et celui-ci perdure à travers les temps et
les époques. Certaines formules telles que « Aujourd'hui
encore, Madeleine et ses enfants vont souvent porter au
cimetière... »486(*), « l'atelier du père Rémy
entretient encore l'abondance dans le village, quoiqu'il soit mort depuis plus
de trente ans »487(*) et « l'asile des roses et la maison de
vieillards de la bonne Marguerite subsistent encore et beaucoup de bien y est
fait »488(*),
mettent en exergue d'une part la temporalité cyclique du récit,
et d'autre part la dimension atemporelle du conte, alors réactivé
et actualisé par la parole conteuse. Roland Barthes assimile la
structure du conte à celle du fait divers : « une
information totale, ou plus exactement immanente [qui] contient en soi tout son
savoir ; [...] sans durée et sans contexte, il constitue un être
immédiat, total, qui ne renvoie, du moins formellement, à rien
d'implicite »489(*) (Essais critiques, 1964). En effet, la
conteuse ménage un flou temporel quand elle introduit l'anecdote, ce qui
n'ampute rien au fond, puisque le conte régi par ses propres
règles constitue un monde fermé et parallèle au notre :
« Cette croyance servit, il y a quelques
années... »490(*).
c) La charge didactique
La parole satirique et l'énonciation de la morale
Certains récits de Louise Michel sont de
véritables contes moraux ; la fonction de conteuse se double alors
de celle de moraliste, et la structure du texte rend parfaitement compte de sa
valeur rhétorique. L'incipit de « La Vielle
Chéchette » tente de comprendre et d'expliquer les causes de
l'anormalité chez certains êtres humains, pour introduire le cas
de son héroïne. Ainsi s'opère un glissement du
général au particulier en trois étapes. Notre moraliste
constate tout d'abord qu'il y a « des êtres tellement
disgraciés de la nature, tellement étranges à voir ou
à entendre », puis elle nuance son propos avec l'étude
de trois cas, « Plusieurs de ces êtres-là n'ont pas
toujours été ainsi : les uns ont eu quelque accident au
moral ou au physique, les autres, à force de se laisser mollement aller
à la fatigue ou à la paresse [...] D'autres encore (ce qui est
affreux pour l'humanité) sont devenus ainsi sous la pression des
persécutions »491(*), afin d'arriver à celui qui nous
intéresse, celui de Chéchette. De manière circulaire, le
conte se clôt par l'énonciation de la morale,
détachée du reste du texte et mise en exergue par l'emploi de
l'italique ; ce message de tolérance résonne d'ailleurs
comme un avertissement : « Ne vous moquez jamais des fous ni
des vieillards »492(*). A l'inverse, « Les dix sous de
Marthe » commence par l'élocution de la morale et le conte se
révélera être l'illustration de cette leçon :
« Combien de choses on souhaite ! Combien de choses on rapporte
à propos du jour de l'an. Voilà une de celles qu'on raconte ;
quant à celles qu'on peut souhaiter, en voilà une aussi :
vivez et mourez en paix avec votre conscience »493(*). Ainsi, l'incipit promet une
sorte de conte de noël494(*), intervalle durant lequel la
générosité peut être récompensée et
les voeux miraculeusement exaucés.
Le conte « Robin-des-Bois », qui est sans
conteste le plus facétieux, est aussi le plus satirique. L'incipit de ce
récit, qui met en scène un vieil avare, annonce en deux
paragraphes tout son programme : canevas très simple et classique.
L'humour et l'ironie, qui sont partout dans le texte, engendrent la raillerie.
Les interventions équivoquent de la conteuse - à la fois
moqueuses et pleines de bon sens - mettent en exergue l'hybris du père
Mathieu : « On disait que quand il dépensait un sou, il
en mettait la moitié de côté. Comment faisait-il ? Je
n'en sais rien. Comment avait-il gagné ses terres et tout l'argent que
dans le bois il cachait au pied d'un vieux chêne ? Je n'en sais pas
davantage. Dans tous les cas, son argent, caché là,
n'était pas même bon à nourrir les vers ou à faire
pousser les truffes »495(*). Un autre personnage vient compléter le
tableau : le maire. A travers le traitement grotesque de ce dernier
(« Celui-ci mit son écharpe, beaucoup trop courte pour lui,
parce que son prédécesseur était extrêmement maigre
et lui extrêmement gros ; mais à l'aide d'un bout de ficelle
il parvint à la consolider »496(*)), la satire s'étend à un niveau
politique et institutionnel. Cependant, la morale se veut mesurée car
Louise Michel est consciente qu'on ne peut changer et améliorer les
moeurs de manière immédiate - l'avare se ravise après le
don fait à la veuve, mais il est trop tard497(*), - il s'agit de provoquer la
prise de conscience qui amènera au progrès de l'humanité
toute entière.
Autres personnages de farce, les membres de la famille
Pouffard. Le récit est organisé autour de deux scènes
principales qui concentrent tous les ressorts comiques : le repas avec
Euphrosine498(*), dont
la naïveté et la vanité met en exergue la bêtise de
ses parents ; et le dénouement (sorte d'opéra comique avec
ses divertissements champêtres499(*)), qui constitue un véritable coup de
théâtre, le soi-disant Prince étant en
réalité un fou échappé d'un asile500(*). Louise Michel est acerbe et
grinçante501(*)
et le lecteur voit, à travers l'humour et l'ironie, quel plaisir prend
l'auteure à parodier ces personnages menant « la vie de
château »502(*) : les Pouffard organisent donc une
réception, ainsi qu'une partie de chasse, durant laquelle les femmes
jouent à des « jeux innocents »503(*). Cependant, il ne s'agit pas
de se moquer méchamment mais, une fois encore, de comprendre les causes
d'une telle bêtise : « ce n'était pas leur faute si
la sotte éducation qu'elles avaient reçue les avaient
empêchées de se développer »504(*). Provoquant d'abord le rire,
le conte moral doit ensuite susciter la réflexion : « les
jeunes gens commençaient à trouver que tout ce qui souffre,
même d'une manière ridicule, ne peut plus faire
rire »505(*).
Le rire constitue alors le vecteur de cette prise de conscience (docere et
placere, instruire et plaire), comme l'institutrice, double de
l'auteure506(*), le
constitue pour la famille Pouffard : « elle résolut
d'arracher Euphrosine à l'imbécillité, et peut-être
de diminuer celle de ses parents. [...] Il fallait faire naître ou saisir
l'occasion de les désabuser et de les dégoûter par quelque
expérience amère de leur
préjugés »507(*). En effet, la famille entière tire une
leçon de cette aventure et le conte se termine par cette phrase
proverbiale : « car on peut toujours faire bien, et il n'est pas
de si laide chenille qui ne devienne un joli
papillon »508(*), adage optimiste quant au pouvoir réformateur
du conte et à la capacité de l'homme à évoluer et
à s'améliorer.
De manière plus radicale, « Le père
Rémy » constitue une véritable utopie sociale, en ce
cens où ce conte propose de nouvelles pratiques et des alternatives au
système capitaliste, et libère un message optimiste :
« N'oubliez pas ceci, enfants, soyez fiers pour l'humanité,
elle est bien peu encore, mais elle deviendra grande, si ceux qui se sentent de
l'intelligence, au lieu de chercher à mettre en étalage leur
pauvre petite personne et leur pauvre petit nom, sentent battre dans leur
poitrine et frémir dans leur intelligence le coeur et l'esprit de toute
une génération »509(*). Le récit prouve que, par l'initiative
individuelle - il a « fondé sans capital autre que son courage
et son activité un atelier, un asile, une crèche et une maison de
vieillards »510(*) -, et l'entraide - tout le village participe
à l'édification des bâtiments - , la mise en commun de
l'effort et des richesses permet d'accéder au progrès
social511(*) :
« il y eut, par ce moyen, non seulement assez d'argent pour faire
vivre et augmenter les trois établissements, mais encore pour aider
pendant les années difficiles quelques ménages du village et
même du canton »512(*).
Le conte : éducation et processus de
socialisation
Comme l'annonce le poème-prologue « La
Neige », ces récits ont pour mission de faire
réfléchir et de réformer les moeurs :
« Écoutant le conte et l'histoire,/ Vous verrez la joie et les
pleurs,/ [...]/ Heureux, si, fixant vos pensées/ Sur toutes ces choses
passées,/ Vous devenez un peu meilleur »513(*). La conteuse se fait alors
la porte-parole d'une personnalité collective, elle est l'expression
d'un système de valeur normatif514(*), à priori très simple voire
manichéen : joie et tristesse, bien et mal. Ainsi, on utilise le
conte à des fins initiatiques (dans les sociétés
traditionnelles, mais il conserve encore cette fonction de nos jours), il
possède un rôle dans le processus de socialisation de l'enfant
(« Enfants, venez, la nuit est sombre, / [...] / Ceux dont on parle
on eut votre âge »515(*)) : les épreuves subies par le
héros seraient la mise en scène fantasmatique d'un apprentissage
de l'autonomie et de l'acceptation du principe de
réalité516(*). Ainsi le conte permettrait l'acquisition du
« surmoi », cette instance morale
intériorisée517(*).
Les enfants sont couramment les héros de ces
récits, ce qui facilite le processus d'identification de la part du
jeune lecteur, qui en tirera davantage une leçon. Marthe n'est pas une
enfant modèle, elle est quelque peu égocentrique et
particulièrement gâtée par sa tante (« Du reste
sa tante la gâtait trop et d'une manière qui n'était pas
raisonnable »518(*)) et c'est tardivement qu'elle admet ses
travers : « O ma tante ! Dit-elle, combien je regrette d'avoir
acheté tant de joujoux ! Nous aurions pu donner bien davantage à
ces pauvres enfants ! »519(*). La conteuse s'empresse alors de sermonner Marthe
avec bienveillance : « C'était fort vilain d'y avoir
songé si tard, mais Marthe n'avait encore que six ans et, au fond, elle
n'avait pas mauvais coeur »520(*). Mais la prise de conscience arrive et le maigre don
de Marthe permit tout de même à des malheureux de sortir de la
misère (« Le commerce avait prospéré ; en
dix ans, la boutique de la mère Hortense était devenue un gros
magasin où vivaient les deux veuves et les deux
frères »521(*)) et c'est réciproquement qu'ils
l'aidèrent pour les dettes de ses parents. Et cette leçon de
générosité mise en pratique devint un rituel :
« tout le monde fut d'avis que pour la fête de la bonne
grand'tante on prêta chacun cent francs à six orphelins dont les
uns avaient à soutenir leur mère, les autres leurs petits
frères »522(*).
L'éducation et de la scolarisation
sont des questions centrales dans plusieurs des contes. La trame de
« L'héritage du grand-père Blaise » ne repose
pas directement sur ces thèmes, mais Louise Michel y fait explicitement
allusion dans les premières et dernières lignes du texte.
L'incipit présente et caractérise les enfants du père
Blaise par la bonne éducation qu'ils ont reçue, « Sa
fille avait été élevée dans la meilleure pension de
la ville, et son fils venait de sortir du collège avec une charge de
prix à faire envie à ses camarades »523(*), et on peut lire en formule
finale qu'ils épousèrent « les enfants de Nicolas
Garoui, le Breton, qui, comme eux, avaient bon coeur et avaient
été bien éduqués »524(*) ; les personnages
heureux sont des personnages instruits. De manière significative, deux
contes mettent en scène des instituteurs, Rose André et le
père Rémy, et c'est par un hommage à ce dernier, et au
métier de l'enseignement, que commence le récit :
« C'est encore l'histoire d'un vieux maître d'école de
village. Nous parlons souvent de ces obscurs soldats de la civilisation, dont
toute la vie s'écoule ignorée, et dont les jours tombent l'un sur
l'autre avec le calme monotone de l'éternité. Ceux-là font
beaucoup pour leur époque qui ont appris à lire à
beaucoup, ils feraient plus encore s'ils essayaient de former de petites
bibliothèques historiques à l'aide desquelles leur village lirait
autre chose que le messager boiteux ou le grand conteur, (car nous en sommes
là en plein XIXe siècle) »525(*). Louise Michel salue et
encourage les initiatives individuelles en faveur de l'éducation
populaire. Dans « La famille Pouffard », Rose André
incarne l'intelligence, la dévotion, la fierté et l'engagement.
Elle est assurément un double de l'auteure qui lui transmet ses valeurs
républicaines et sa force de caractère ; son humanisme et la
fermeté de son éducation pousse « Mademoiselle
Euphrosine [à] commenc[er] à s'instruire et elle y
réussissait »526(*).
Ainsi le conte, explicitement didactique, apparaît chez
Louise Michel comme un outil réformateur, alors que le
théâtre anarchiste et La Grève sont
entièrement tournés vers la révolution, ils prônent
un changement radical et violent.
3/ LE THÉÂTRE ANARCHISTE :
« THÈMES ET FORMES D'UN THÉÂTRE
POLÉMIQUE »527(*)
La bourgeoisie a fait massacrer sa classe ouvrière
deux fois au cours du XIXe siècle, en juin 1848 et durant la
Commune, au printemps 1871. Dans une France en plein développement
économique, l'importance de la classe ouvrière s'accroît,
mais souffre de conditions de vie désastreuses ; alors que les
classes dominantes vivent de mieux en mieux, les prolétaires n'ont
nullement le sentiment de participer au progrès. Cette prise de
conscience entraîne un sentiment de frustration d'où vont
s'écouler la solidarité et le besoin de justice sociale :
les grèves augmentent à partir de 1882 et dès 1884, le
mouvement syndical se développe ; un long débat s'engage au
sein des groupements anarchistes sur l'opportunité de rallier le
syndicalisme, de continuer la propagande par le fait ou d'entrer dans la
sociale-démocratie. Ils veulent abattre la société
capitaliste et ne croient qu'en une action révolutionnaire528(*).
Par conséquent, le théâtre,
« ce médium artistique convoquant tous les moyens
d'expression, parole, gestes, images, etc., pour mettre le monde en crise (et
non pas en ordre) » semble le mieux convenir « aux
pratiques d'agitation, d'intervention et d'expérimentation induites par
l'anarchisme en acte »529(*). Il s'agit de mettre la scène à
l'heure de la crise sociale et on peut alors parler de
« Théâtre social »530(*), mais il faut observer la
diversité surprenante des moyens formels mis en oeuvre, au service d'un
combat lui-même pluriel, et à cet égard, « ce
théâtre social dans son principe, est aussi un
théâtre de recherche (mais non de
laboratoire) »531(*).
a) La représentation de l'Histoire
La vogue du mélodrame étant lancée
jusque vers les années 1890, il devient vite le
« véhicule privilégié des idées
socialistes » et évolue vers l'esthétique
naturaliste532(*). Le
mélodrame anarchiste privilégie l'action et l'image, au profit
d'un pathos à visée moralisatrice, c'est pourquoi il puise ses
sujets dans l'Histoire. Et celle de la Pologne533(*) procure à Louise
Michel le terreau favorable et le prétexte à ses drames
révolutionnaires. Elle écrivit d'abord Nadine534(*), dans lequel
« L'action se passe en 1846 dans la république de
Cracovie ». Cette pièce en cinq actes et sept tableaux,
constitue un véritable mélodrame révolutionnaire, que l'on
pourrait également qualifier de tragédie politique, puisque sous
un habillage historisant - la république de Cracovie en 1846 - c'est le
drame de la Commune que l'on joue à nouveau, quitte à revivre la
débâcle. Emportée par un souffle épique, la
pièce réinvestit les grandes images de la rébellion et de
la répression, de l'héroïsme et de l'infamie535(*). Il met en scène des
personnages historiques, tels que Michel Bakounine (anarchiste russe qui
participa entre autre, à la révolution de février 1848 en
France), Ludwik Mieroslawski (général polonais qui participa aux
révolutions de 1830, 1846 et 1848 en Pologne, et prit la tête du
soulèvement de 1863), Szela (personnage polonais devenu un mythe, qui
prit la tête de l'insurrection paysanne en 1846), et A. Hertzen
(aristocrate moscovite et anarchiste, qui participa au soulèvement de
1848). La Grève, drame en cinq actes et un prologue, est aussi
un « mélodrame historique d'inspiration polonaise ».
Louise Michel dénonce dans cette pièce - dont un
« véritable souffle épique traverse certaines
séquences »536(*) - le système capitaliste et la
nécessité pour le peuple exploité de se
révolter.
Le sujet historique
La Grève, mélodrame militaire,
patriotique et historique537(*), possède lui-aussi un argument historique,
mais aucune didascalie ne précise le temps de l'action avec
précision ; seule certitude lors du prologue, nous sommes en
Pologne, dans la région de Varsovie et c'est la nuit. Il relate un
attentat manqué contre le grand-duc (titre de noblesse désignant
un membre de la famille impériale russe, et équivalant à
celui de « prince régnant »). Nous sommes alors en
mesure d'établir que l'action commence en 1830, lors de l'attaque du
Belvédère, siège du régent et frère du
Tzar538(*). Puis, l'intrigue
effectue un bond de seize ans au premier acte - rien ne l'indique
explicitement, mais le personnage de Marpha sert alors de repère
temporel - ce qui nous conduit en 1846, date à laquelle éclate
une nouvelle révolte et sur laquelle se termine la pièce.
Grâce à ces quelques repères historiques, il est possible
d'établir la chronologie de la pièce, mais les
références historiques sont plus larges et hors cadre : dans
le prologue, Rita fait référence à la
précédente révolte, « la grande
insurrection », qui eut lieu vingt ans auparavant, et Régine
(Acte III, scène 1) évoque la Commune de Paris (1871), et plus
précisément la Semaine sanglante, qu'elle dit avoir
vécue.
Louise Michel soutient le mouvement nationaliste polonais, et
son engagement auprès de celui-ci est autant politique que artistique,
puisque ce mouvement est connu hors des frontières par
l'émigration des artistes et des intellectuels en France539(*). A posteriori,
l'insurrection de 1830 se révèle être l'adjonction de
l'action contestataire et de l'art : « la plupart des oeuvres
romantiques polonaises écrites après 1830 ont débattu du
problème de la liberté, du rôle de l'individu et de la
nation dans l'oeuvre de la restitution (ou plutôt de la
résurrection, comme ils le préféraient) de la Pologne.
L'insurrection de Novembre (1830), événement le plus important
non seulement pour l'histoire polonaise de la première moitié du
XIXe, pour la littérature romantique polonaise, mais surtout
pour la création de la conscience nationale, a été une
tentative désespérée pour conquérir la
liberté les armes à la main »540(*). En puisant dans l'histoire
polonaise, Louise Michel s'intéresse surtout à l'image d'un
peuple humilié et réprimé, déchiré et
apatride, qui cherche à prendre en main sa destinée, car la
référence est double ; celle-ci voit en négatif
l'histoire du peuple français, mais également celle de tous les
peuples oppressés, qu'elle engage alors à se révolter et
à se libérer : « l'épisode historique devient
alors modèle », le déplacement de l'action permet de
« réfléchir à sa propre époque [et
d']élargir sa réflexion à l'Histoire en rattachant ses
personnages à un autre contexte historique »541(*). Ainsi la
« recherche du vrai », inhérente à
l'entreprise naturaliste, apporte la vraisemblance, mais la
vérité historique, à travers son rôle didactique,
sert de catalyseur à la pris de conscience et à la
révolte542(*).
Le souci de réalisme
Dans sa revue L'art social, Auguste Linert
écrit dès 1891, « L'art doit être terrible pour
être vrai »543(*) ; cette formule injonctive semble d'ores et
déjà poser les lois esthétiques d'un théâtre
qui se doit réaliste, sérieux et grave, d'où le choix de
l'argument historique. Mais il ne suffit pas d'avoir pour toile de fond une
grande bataille ou un contexte révolutionnaire pour « faire
vrai », tous les éléments de la pièce doivent
alors converger dans ce cens, « afin de prêter une
signification à la réalité historique, le drame oscille
entre la couleur locale, dont la fonction est essentiellement de produire un
effet de réel, et la stylisation, dont la visée est
symbolique »544(*). Ainsi, la dramaturge confère à
certains personnages des patronymes aux sonorités slaves - Vladimir,
Inrike, Telchi, Orlovski545(*) - et la neige, indiquée dans les
premières didascalies, plante un décor pittoresque de la
Pologne.
Cependant, un critique de la revue La Révolte
exprimait déjà cette opinion quant à l'esthétique
du vrai, et émettait une réserve à propos de la
pièce de Louise Michel : « le but de la littérature, de
l'art au théâtre doit être la recherche du vrai, mais cette
tendance est encore plus nécessaire à la littérature
socialiste, c'est pourquoi nous demandons à tous nos camarades de ne pas
essayer de forcer la note, de na pas chercher à viser l'effet, si ce
n'est par des moyens naturels, et c'est aussi pourquoi nous risquons quelques
critiques à l'oeuvre de notre amie. » (10 décembre
1890)546(*). Il refuse
la fable qui exagère et transpose les traits pour mieux mettre en
lumière les mécanismes du capital. Il trouve invraisemblable le
discours de Gertrude, qui réunit entre ses mains tous les moyens de
production. Il critique aussi l'imagerie naïve qui idéalise
l'avenir et la révolution, (critique que l'on peut étendre
à l'ensemble du corpus), comme la fraternisation à la fin de la
pièce, des ouvriers et des soldats qui crient ensemble :
« Vive la révolution ! »547(*). Mais comment ne pas tomber
dans le cliché alors que l'auteur ne dispose que du temps de la
représentation pour convaincre son auditoire ? Pourtant, Louise
Michel semble prendre du recul par rapport aux événements qu'elle
met en scène - les coïncidences quelque peu extraordinaires sont
qualifiées de « circonstances vraiment
romanesques »548(*). Et, nous connaissons le caractère
passionné de la dramaturge pour la révolution, ainsi que la
vision idéalisée qu'elle peut en donner, mais c'est justement
cette vision idéalisée qui a fait naître
l'intérêt qu'on su lui porter. Bernard Franco explique justement
ce dilemme : « La scène romantique est alors le lieu d'une
tension, voire de conflits entre l'idéalisation propre au héros
et l'aspiration à la réalité inhérente aux sujets
historiques. Car si la tragédie a vocation à l'universel,
elle le tire du particulier, du contingent
historique »549(*). Mais c'est de l'idéalisation de la
révolte et du héros anarchiste que découle la thèse
révolutionnaire.
b) Entre « Théâtre
social » et « pièce à
thèse »
Auguste Linert, dans sa revue L'art social,
désigne le théâtre social comme « un
théâtre fondé dans un but de critique négative et
pour la production d'oeuvres pouvant servir la cause
révolutionnaire »550(*) ; il s'agit, avec l'art pour moyen, de pointer
les iniquités de l'heure présente et d'amener à la
révolte. Ainsi, le théâtre social (qui traite des questions
sociales) est ce théâtre contemporain qui est à la fois
acte de révolte et acte de foi, car « s'il existe une
coloration proprement anarchiste du théâtre social tel qu'on vient
de l'évoquer, c'est sans doute du côté de la révolte
et des ses avatars qu'il faut chercher »551(*). Le théâtre
anarchiste (« un théâtre de combat ») joue des
pièces à thèse qui mettent en exergue cette
équation : justice égale insoumission et rébellion.
Il aborde des questions sociales controversées, à travers les
points de vue contradictoires exprimés par les personnages, points de
vue qui reflètent de façon réaliste les problèmes
de leur milieu social, et propose des solutions, telles que la sociale et la
liberté universelle. L'idée d'incitation à l'action serait
donc implicitement contenue dans ce terme de théâtre à
thèse552(*).
Les personnages : les vecteurs de la thèse
La pièce à thèse traduit la
volonté didactique de l'auteur de défendre un point de vue moral,
philosophique ou social, en confrontant le spectateur au dilemme où sont
placés les personnages de la pièce. Dans La
Grève, ce duel oppose de manière manichéenne - mais
tellement pédagogique - les anarchistes, qui portent les idées
bien connues de l'auteure sur la révolution sociale, aux bourgeois, qui
expriment le point de vue capitaliste. En outre, on peut établir des
correspondances entre les oeuvres de Louise Michel grâce aux personnages
que l'on retrouve, provoquant ainsi un vif écho chez le lecteur. La
Grève met en scène des personnages du
Claque-dents : la bande des rapaces, le baron et la baronne
Eléazar, accompagnés de Sylvestre, qualifiés de
« louches tripoteurs de millions »553(*), et Esther et Marius (les
enfants d'Eléazar) représentant la justice et l'avenir.
Tout d'abord Gertrude, la femme-capitale, - également
décrite comme un monstre, voire un ange de la mort (« Suis-je
donc un monstre ? Qu'importe, il faut bien que le mancenillier laisse
s'étendre son ombre »554(*)), - est davantage caractérisée par son
hybris. Le prologue nous fait d'abord découvrir une meurtrière,
une femme sanguinaire, à l'appétit féroce (« la
trahison vient chez certains êtres comme aux fauves le goût du
sang. - Je sens venir le goût du sang. »), guidée par un
orgueil excessive et une ambition avide, elle fonde sa réussite sur une
trahison et un meurtre, d'où l'identification récurrente à
Lady Macbeth : « Lady Macbeth était devant moi. - Un spectre
grand comme le monde. Elle lavait ses mains dans les flots et les océans
étaient rouges. »)555(*) ; la comparaison, qui semblait d'abord flatter et
stimuler Gertrude (« Comme dans le rêve où je voyais
Lady Macbeth lavant ses mains »556(*)), devient une véritable hantise et un
cauchemar à la fin de la pièce : « je la reconnais
c'est Lady Macbeth plus terrible que dans mon rêve d'autrefois - Elle
lave ses mains et plus qu'autrefois les océans sont
rouges »557(*). Personnage antithétique, elle affiche un
luxe exubérant (« Une aumônière suspendue
à la ceinture [...] vêtue de soie [...] coiffée de sequins
d'or [...] des diamants à son cou et à ses
bras »558(*)) et arbore un discours mégalomane et
pro-capitaliste ; de longues tirades sont consacrées à
l'expression de son désir excessif de richesses, de gloire, de
puissance, elle veut contrôler le monde :
« Eléazar, notre époque c'est le germinal de l'or [-
les pourritures sociales sont hautes pour les semailles], la moisson sera
féconde. Nous pourrions être les rois de l'or - Eléazar,
écoutez-moi, en accaparant les grains, les combustibles, les
métaux, tout enfin, vivres, vêtements, lumière, logements
même, nous affamons le monde, et nous l'avons à nous. [...] Les
machines remplaceront les bras avec des dépenses infiniment moindres, un
bénéfice infiniment plus grand - [la faim mettra la faux dans
l'herbe, tous ceux qui auront des petits au berceau, des vieux à
l'agonie seront à vendre et nous achèterons tout - Le travail
sera le privilège de nos esclaves, nous empêcherons les
récoltes en jetant à ronger aux multitudes des journées de
huit heures et autres choses qui ne changeront rien à
l'exploitation »559(*). Bien que le critique de La Révolte
estime caricatural et exagéré le propos de Gertrude, il
s'agit de faire adhérer le lecteur aux théories anticapitalistes
et la rhétorique anarchiste fonctionne par antithèse ; ainsi
l'opposition forte de deux conceptions produit un effet de contraste qui met en
valeur la thèse révolutionnaire : « [ils rêvent
d'une jacquerie prenant toute la terre. Je rêve, moi, une
répression universelle.] Ils veulent mettre la force au service du
droit, je veux mettre, moi, la force au service du privilège, nous
verrons qui l'emportera »560(*).
Eléazar, bien qu'il appartienne au monde de l'argent
et à la bande des affameurs, n'est pas aussi mégalomane que la
Baronne (« Votre rêve est trop grand pour
moi ») ; nullement altruiste et peu généreux, il
est tout de même plus réservé quant au rêve de
domination totale de son épouse, qui le terrorise : « C'est la
mort de population entières, Gertrude, je ne suis pas scrupuleux, un
financier ne peut l'être, mais ce que vous me proposez est trop horrible
! »561(*). Il
ne constitue qu'une opposition mineure, car complètement aveuglé
et servile562(*),
Eléazar est complètement sous l'emprise de la Baronne, et c'est
seulement après la disparition et la mort de ses enfants, que celui-ci
sort de son aveuglément. Alors, c'est un homme « vieilli
et courbé, les vêtements couverts de
poussière » que l'on voit entrer seul sur scène,
dans un décor de ruine et de désolation, tandis que la bataille
pour la Liberté fait rage. Rendu fou de désespoir, il erre en
plein délire, invoquant ses enfants (tel le roi Lear abandonné,
trahi et pris dans la tempête563(*)) : « Quelle lutte épouvantable
et ce n'est pas fini. Ils disaient vrai, la révolte [tient le monde] est
partout - Elle m'a pris mes enfants - la guerre prenant ceux des autres, je n'y
songeais pas. Ce nom maudit c'est Moloch564(*) il lui faut tout ce qui est jeune, tout ce qui est
beau tout ce qui peut vivre, pour le broyer. Les foules sont comme des grappes
au pressoir, comme le grain sous la meule. Me voilà seul comme les
autres, c'est ce sang pur qui lavera la terre. Mes enfants, Marius, Esther, ma
pauvre Esther. [...] Voilà cinq jours que l'on se bat, cela ne finira
jamais, je vais les chercher encore, on me laissera passer comme on laisse un
fou - rien ne m'atteint, les désolés ne meurent
pas »565(*).
Égaré par douleur, Eléazar est enfin lucide quant à
l'hypocrisie de Gertrude, et l'amour paternel refait surface ; il devient
un personnage tragique566(*) et suscite malgré tout la pitié :
« J'étais donc fou ! Une brute stupide et féroce qui
laisse prendre ses petits. Je suivrai Marius, moi aussi je serai implacable.
Esther, ma chère Esther ! Tu le sais toi - je ne connaissais pas sa
trame horrible, je suis une brute, mais pas un misérable. Vous avez bien
fait mes chéris - Je vous aimais tant pourquoi me suis-je affolé
de cette femme »567(*).
Opposés aux rapaces, les anarchistes illustrent la
thèse révolutionnaire de l'auteure, car comme l'affirme Vladimir
« L'harmonie véritable s'établira sur les
décombres du vieux monde »568(*). D'après Marius et Esther, qui se jettent
passionnément dans la lutte, seule la révolution peut changer
foncièrement le monde : « la charité ne pouvant
sauver tous les malheureux m'est apparue ce qu'elle est, un bonheur pour celui
qui donne c'est tout - elle ne peut atteindre qu'un cercle restreint. De
là j'ai cherché ce qui atteint toute l'humanité - les
réformes m'ont fait le même effet que la charité tout
étant impuissant... pouvoir, richesse, force, bonté même.
J'en suis arrivée à l'harmonie, à la justice
égalitaire à l'anarchie pas tout à fait seule, j'ai
beaucoup lu chez la grand-mère. J'étais libre comme l'air, j'en
ai profité »569(*). Le personnage d'Esther décrit ce processus
de conscientisation et la lecture, exprimé plus haut, est partie
prenante de ce parcours intellectuel. Cependant, elle est consciente que sa
condition bourgeoise favorise son éducation, comparé à la
classe ouvrière qui ne bénéficie pas des mêmes
dispositions. Marius, malgré ses origines bourgeoises, renie et condamne
les valeurs de sa caste ; il atteste que seule une minorité
possède la plupart des richesses et dénonce la
sur-accumulation : « elle a pour ce soir jeté partout des
entassements de richesses, c'est un défi effronté à la
misère générale, les caisses regorgent, on entrevoit ici
des tas d'or comme ailleurs des tas de blé »570(*). Théâtre
d'action et de combat, la théorie est mise en pratique et le spectateur
assiste alors à une scène de destruction des richesses :
« Bruit de vitres cassées, vacarme, cris dans la
maison : A l'eau les millions volés - la hache dans la caisse.
[...] [Marius] prend une hache à un homme, il frappe une des
caisses, la défonce et en arrache des billets de banque et des
brassées de titres qu'il déchire et foule aux
pieds » ; la rébellion gagne les domestiques qui
« jettent leur livrée »571(*) et se joignent aux
insurgés.
Les héros
Les héros sont ceux-là mêmes qui relayent
le discours anarchiste de l'auteure et véhiculent son rêve de
liberté mondiale (« VLADIMIR.- [...] le triomphe de tout ce
que j'aime, toi, la liberté ! »572(*)). Ils procurent à la
pièce une forte consonance épique, - ils entrevoient les
« temps héroïques qui vont s'ouvrir » où
il y aura « de pures et grandes figures comme il y aura des
monstres »573(*), - et traduisent la passion révolutionnaire
de la dramaturge. Dans l'épopée, le héros se situe
généralement au-dessus de l'humanité moyenne, il est celui
qui aspire à un niveau supérieur, pour lui et ses semblables.
Philippe Sellier attire l'attention sur la définition stricte du
héros, être mi-humain mi-divin ; il s'agit du
« héros exaltant de nos rêves, celui qui incarne notre
désir d'échapper aux limites d'une vie terne pour accéder
à la lumière, notre volonté de quitter les bas-fonds pour
les hauts espaces, notre passion de souveraineté », il insiste
sur la relation particulièrement forte qui attache cette aspiration
à une « réalisation éclatante de
soi », une « élévation à une condition
quasi divine »574(*). Ces
« conjurés »575(*), se qualifiant eux-mêmes de
« justiciers »576(*), sont réunis dans un même combat et
pour l'accomplissement d'une même mission, la liberté de
l'humanité : « Il faut que le premier acte des [justiciers]
révoltés soit l'anéantissement des biens de la maison
Eléazar. [Au feu les titres, au vent les richesses.] Entre cette femme
et nous, la guerre est déclarée sans trêve ni
merci »577(*).
Les pièces historiques aboutissent à une certaine
réhabilitation des valeurs, « tel est le sens de
l'événement historique, véritable catalyseur contre lequel
le héros forge son identité » et de manière
réciproque c'est « l'individu qui fait l'Histoire, et le drame
historique, par la place qu'il accorde nécessairement au héros
tragique, présuppose une telle conception de
l'Histoire »578(*).
Mais qui sont ces héros ? A priori tous les
anarchistes révolutionnaires de la pièce. Mais de cette foule
d'anonyme, quelques individualités se détachent, ce qui assure
l'unité de l'oeuvre et surtout sa cohérence579(*). Il y a effectivement parmi
elles, Marius et Esther (« Esther prend un drapeau noir d'une
main, un revolver de l'autre. Régine, Vanda en font
autant »580(*)) ; Vladimir, Inrike, et Némo, qui fait
référence au personnage des Vingt mille lieux sous les mers
(1869), font partie des polonais révoltés581(*). L'héroïsme est
inhérent au caractère de Némo, car dans le roman de Jules
Verne, il est décrit comme un « surhomme anarchiste, sensible
et cultivé, qui se venge de ses ennemis »582(*), c'est-à-dire des
colonisateurs britanniques ; il vit à bord du sous-marin le
Nautilius et dans la Grève, la dramaturge le fait
également vivre au contact de l'océan (« le bord de la
mer est leur salle de réception »583(*)). Enfin, malgré un
dénouement heureux, beaucoup font le sacrifice de leur vie à la
cause révolutionnaire, et choisissent « les rouges noces de la
mort [...] les noces des braves »584(*), puisque tel que le formule Vladimir :
« Nos vies à tous sont sacrifiées depuis
longtemps »585(*).
Le héros se situe au-delà du Bien et du Mal,
car il n'est nullement régi par une instance morale. Il ne fait que
réagir par désespoir contre une société et un
système injuste en répondant certes par la violence, mais par une
violence contrainte et de la même intensité. Alain Badiou
relève, à propos du théâtre anarchiste, la
difficulté « il est vrai considérable, de faire valoir
l'affirmation dans la négation, de déceler le possible politique
dans la monstration de l'abject, de définir le héros, non pas
forcément « positif » (ce sera la croix du
« réalisme socialiste »), mais en tout cas porteur
d'une intelligence des situations et d'une capacité d'intervention qui
assurent, au-delà de la nécessité de la révolte,
délivrée par la critique sociale, la certitude de sa puissance,
qui détient les clefs du passage à la politique, ou - si l'on est
de formation anarchiste - à l'action collective réfléchie
et durable »586(*). Et en effet, le véritable héros de
La Grève est le peuple, car l'Histoire de l'Humanité est
à écrire collectivement pour que chacun puisse vivre
« l'épopée nouvelle »587(*).
La voix de la multitude
Au premier abord, apparaît une certaine tension entre
ces héros individuels et le peuple qu'ils semblent guider, car pour les
anarchistes il ne doit pas y avoir de leader que la masse suivrait
aveuglément, mais un peuple conscient et volontaire ; pour que la
révolution puisse aboutir, tout le monde doit participer à cet
idéal de liberté mondial : « Le troupeau humain ne
deviendra l'humanité libre que par l'entraînement de plus en plus
grand des multitudes vers un idéal comme vers un
aimant »588(*). La dramaturge personnalise « la
foule », à laquelle elle alloue une voix et un pouvoir de
décision : « Des otages ou des morts suivant l'implacable
nécessité. La foule décidera si elle sera clémente
ou vengeresse. Nous n'en savons rien, nous n'y pouvons rien. Parfois elle a
pitié du fond de ses douleurs. Parfois le sang des hécatombes lui
monte à la gorge, alors elle fait justice. Hier trois des nôtres
ont été pendus »589(*). Cette entité autonome est en interaction
avec les autres personnages, auxquels elle répond avec toute sa verve
révolutionnaire : « La foule arrive avec un bruit de
boule. NEMO.- [...] Nous sommes trahis que ceux qui tiennent à leur
vie nous abandonnent. TOUS.- Personne ! Personne ! Un coup de canon.
Vive la liberté ! »590(*).
Cependant, malgré l'impression d'une masse informe et
chimérique (« Nous sommes l'hydre dont les têtes
coupées se multiplient sans fin »591(*)), Louise Michel
détaille les membre de cette foule et lui confère davantage
d'humanité : ce sont des hommes et des femmes, accompagnés
de leurs enfants, mineurs et pêcheurs592(*). Elle fait se détacher du groupe quelques
individualités : Régine raconte la Commune de Paris (et
comment elle a vu son père se faire tuer), la fille de Vanda meurt de
faim dans ses bras (« Pauvre Vanda, pauvres mères, dont on
prend les enfants, depuis toujours »593(*)), un vieillard prend
également la parole, ainsi qu'un jeune homme ; à travers
l'histoire individuelle c'est l'histoire de tous les miséreux qui est
conté. Cachés dans une mine abandonnée, ceux-ci attendent
le combat pour la liberté ; ils partagent un dernier repas - du
pain (« A la délivrance du monde ! »594(*)) et du vin comme dans la
Cène (« TOUS.- La victoire ou l'hécatombe »)
- avant de s'élancer au dehors : « Vive ceux qui vont mourir
pour l'humanité »595(*). Enfin, la quatrième scène du
cinquième acte relate l'ultime combat pour la liberté. Cette
foule est alors d'autant plus importante que ceux qui la composent sont
internationalistes : « Hommes armées d'outils, de pioche,
de pics, de fusils, de bombes, les vêtements arrachés. - Groupes
d'hommes et de femmes de toutes les nations ». Ils réaffirment
leur appartenance à l'anarchie en brandissant un drapeau noir sur
lequel on peu lire : « La terre est à tous - L'homme est
libre dans l'humanité libre »596(*). Louise Michel exprime sa
pleine foi en un tel mouvement insurrectionnel, puisque la pièce se
clôt sur la fraternisation des soldats avec le peuple et le triomphe de
la révolution : « Vive la République [universelle, vive
la sociale, vive l'anarchie] »597(*). Les héros individuels,
précédemment évoqués, ont pour la plupart disparu,
au profit du collectif .
Ainsi, nous pouvons nous demander si le véritable
drame historique n'est pas celui où le l'acteur principal est le
peuple598(*), car chez
Louise Michel le rapport à la nation est envisagé à
travers la voix du peuple, et plus précisément à travers
le motif révolutionnaire : « Ce signal c'est notre vie
à tous et plus que notre vie ; la liberté d'un peuple.
Varsovie cette fois peut être l'étincelle qui embrasera le
monde »599(*).
c) Forme et structure
Le décor et la musique
Tout d'abord, la pièce se divise en cinq actes et un
prologue, soit une succession de six tableaux ; Louise Michel
confère à chacun d'entre-eux une unité de lieu (à
chaque acte son décor) spécifiée par des didascalies en
début d'acte. Les didascalies du prologue indiquent que la scène
se situe à Varsovie, il fait nuit, et le paysage est enneigé. Le
second acte constitue un tableau naturaliste et bucolique, et témoigne
du penchant de la dramaturge pour le pittoresque : le ciel et l'eau
à perte de vue (la Vistule ?) et sur le grève « des
jeunes filles nu-pieds, leurs corbeilles sur la tête reviennent de la
pêche, d'un côté quelques cabanes où sèchent
les filets ». Alors que les deux premiers tableaux se
déroulent en extérieur, dans le troisième acte nous
suivons les personnages dans le château d'Eléazar, et c'est un
« salon richement décoré » que
découvre le spectateur, avec une profusion de luxe et de lumière.
Ensuite dans le troisième acte, le spectateur se retrouve dans un lieu
similaire à celui que les révolutionnaires occupent avant la
bataille dans Le Claque-dents : « Une mine
abandonnée semblable à une crypte des catacombes. Escaliers
grossièrement taillés dans le roc. [...] C'est l'arsenal et
l'abri en attendant le combat définitif. Des torches fichées au
rocher éclairent la crypte et découvrent d'autres galeries dans
lesquelles sont également des torches allumées ».
La mine abandonnée - comparée à des catacombes où
des torches éclairent les cadavres (acte III, scène 4, p. 183) -
rappelle l'atmosphère d'une scène de Hernani, où
celui-ci ce recueille sur le tombeau de Charlemagne600(*) et le décor du
tableau suivant, l'acte IV, renforce la tonalité romantique de la
pièce : « Les ruines du château
d'Eléazar. De la salle où avait lieu la fête, il reste les
murs. La ruine est à ciel ouvert les fenêtres sont vides. Des
tombeaux de tapisserie demi-brûlés pendent aux murs
calcinés ». Enfin, le cinquième et dernier tableau
marque un changement radical de lieu ; nous ne sommes plus en Pologne,
mais dans une ville où coule le Danube et, bien qu'il n'y ait pas
d'autre information, Louise Michel décrit avec une grande
précision l'espace scénique : il s'agit d'un poste de
soldat, « divisé en deux parties, une salle au fond est
séparée par un rideau dont l'ouverture laisse voir un billot. La
seconde moitié du théâtre est occupée par le Danube
sur la berge duquel s'élève le poste... ». Cette
dernière séquence est analogue à la fin du roman Le
Claque-dents601(*),
la présence du billot rappelant l'exécution des
révolutionnaires. Ainsi, à travers ces indications
scénographiques précises, Louise Michel opte pour un décor
réaliste, conformément au drame romantique et à
l'esthétique naturaliste.
Déjà dans Les Crimes de
l'époque et Le Claque-dents Louise Michel
insère des chansons qui renvoient à la tradition populaire, mais
pour La Grève elle choisit la musique de Wagner602(*), car la musique lui semble
indispensable au spectacle603(*). La pièce possède de nombreux chants,
majoritairement des chants communautaires (chantés hors scène),
qui poétisent la lutte. Ainsi, le premier acte s'ouvre sur un choeur de
jeunes filles qui chante sur un rythme berceur un chant de marin604(*). Puis arrive (scène
3) un choeur de matelots qui chantent la révolte à venir, le
crépuscule avant l'aurore nouvelle (« La tempête hurle
dans l'ombre/ La nuit emplit la terre et l'eau/ Le vent mugit, la mer est
sombre »), soit le raz de marée humain de la révolution
(« Est-ce tout l'océan qui s'ouvre/ Ou bien la terre qui
périt/ Qui sait ce que la nuit recouvre/ Et ce que la mer
engloutit »). Les chants, de par leur tonalité lyrique,
s'adressent directement à la sensibilité du spectateur ; il
ne s'agit plus de le convaincre par un raisonnement logique, mais de le
persuader - en s'adressant autant à ses sens qu'à sa raison - que
la grève et la révolte sont une nécessité :
« Sonnez, sonnez dans l'air/ Tocsin du siècle de fer/ La
grève/ La grève ! » ; « Compagnes,
compagnons/ Venez tous et nous prendrons/ Le monde/ Le
monde ! »605(*) ; « Rouges au fond des nuits/ Sont dans
les antres maudits/ Les torches/ Les torches! » ; « Tocsin
sonne la mort/ Le vieux monde c'est le sort/ Succombe/
Succombe ! »606(*). Ainsi en idéalisant la lutte, les chants
servent clairement l'argument révolutionnaire ; ils
témoignent de l'effervescence populaire et de l'unité du peuple
dans la lutte : « Passez, passez dans l'air/ Terreurs du
siècle de fer/ Les jacques/ Les jacques ! », (les
jacques faisant référence aux jacqueries :
révoltes paysannes). Enfin, la pièce se termine sur une
tonalité bien plus funèbre (« L'orchestre joue
pianissimo des motifs lugubres »), car même si les
révolutionnaires se trouvent victorieux, il y eut des morts, et la
mélodie finale accompagne la fatale destinée de Gertrude :
« Vibrez, vibrez dans l'air/ Harpes aux cordes de fer/ Dans les
légendes nouvelles/ Qui sur nous frappent leurs ailes ».
Outre les chants qui rythment l'évolution du processus
révolutionnaire, la bande son - pour utiliser le lexique
cinématographique - est enrichie de bruitages. Ceux-ci ont pour fonction
de recréer le contexte belliqueux de la pièce dans un souci de
vraisemblance. Ces effets sonores - produits hors scène comme les
combats que l'on ne voit pas - plongent le spectateur dans un atmosphère
épique, depuis le prologue jusqu'au quatrième acte : clairon
et canon (p. 157), « bruit de vitres cassées, vacarmes,
cris dans la maison » (II, 7, p. 176), coups de fusil (III, 2,
p. 181), tocsin et canon (III, 4, p. 183), « Crépitements
de fusillade. On entend les balles comme un bruit de
grêle » (IV, 1, p. 184), détonation et fumée
(IV, 4, p. 187).
Ainsi, Louise Michel use d'effets spectaculaires pour
immerger les spectateurs dans le climat de trouble que connaissent les
personnages, et du point de vue de la narratologie, la bande-son et les
décors reflètent pertinemment la thèse
révolutionnaire de la dramaturge.
La structure
La structure même de la pièce, par son
découpage en actes, témoigne de la dimension épique de la
pièce, puisqu'il s'agit d'une succession de tableaux, de visions
brèves « interrompant le flux des événements
pour mieux instruire sur un état donné, sur toutes les dimensions
d'une situation ou plutôt d'une "condition" »607(*). Sa composition - l'ordre
des actes et leurs titres, les répétitions, les
résurgences et l'allégorie - met en avant l'articulation de deux
prncipes, l'un pathétique et l'autre didactique ; la leçon
est donnée sur le rythme implacable d'un mécanisme tragique. En
effet, le drame commence avec un épisode fatal sur lequel repose
l'intrigue : le prologue, intitulé « La légende
des roses », raconte la trahison et le meurtre qui furent à
l'origine de l'avortement de l'insurrection, et qui conduisirent au massacre
des polonais par l'armée russe. Après une ellipse qui dure 16
ans, le premier acte, qui a pour titre « Chanson des
flots », sert à exposer les liens qui unissent les
personnages, leurs intérêts et leurs divergences ; c'est
également dans ce tableau que le choeurs de matelots, sur scène,
annonce le déluge populaire. L'intrigue du second acte, « Les
Fiançailles », est une reprise du
Claque-dents608(*), (il s'agit des mariages arrangés d'Esther et
Marius). La trame est alors la même que dans le roman, puisque
démarre alors « La Grève » (acte III),
à la fin de laquelle commence la bataille. Cependant, nous n'assistons
pas aux combats, qui se déroulent hors scène, puisque durant le
massacre du quatrième acte, intitulé
« L'Hécatombe », le seul personnage sur scène
est Eléazar errant à la recherche de ses enfants. Comme dans le
roman, la pièce aboutit au triomphe de la révolution sociale et
le cinquième acte possède le titre explicite
: « Apothéose. La République
Universelle ». Ainsi, la pièce suit un déroulement
logique, du point de vue de la narratologie et de la rhétorique
anarchiste, d'ailleurs l'auteure souligne que « la marche des
événements absolument naturelle sert
d'intrigue »609(*).
Toutefois, malgré la victoire révolutionnaire,
la pièce fonctionne comme une tragédie. Les
répétitions annonçant la fin du vieux monde constituent
des leitmotivs et fonctionnent comme des signaux fatals et
prémonitoires. Cette prophétie, proclamant de manière
inéluctable, mais tellement didactique, le prélude d'une
ère nouvelle, fonctionne en deux temps : d'abord à travers
l'affirmation enthousiaste que la révolution est bien en cours,
« La grève fait le tour du monde, - une grève qui
sera la révolution [...] la lutte est ouverte [d'un bout à
l'autre]. Mes amis mes chers amis, je n'espérais pas un tel
réveil, je ne l'aurais jamais rêvé si rapide et si
grand », « Sonnez, sonnez dans l'air/ Tocsin du
siècle de fer/ La grève La grève »610(*) ; puis c'est la mort du
vieux monde que sonne le tocsin : « Tocsin sonne la mort/ Le vieux
monde c'est le sort/ Succombe/ Succombe ! »,
« ELEAZAR.- Est-ce donc le monde qui s'écroule ? MARIUS.-
Oui, c'est cela. Viens, viens »611(*). Le son du tocsin est le leitmotiv qui annonce la
fin des tyrannies et la naissance du monde nouveau, et c'est à ce signal
que s'élancent les révolutionnaires hors de la mine pour
combattre : « C'est l'heure seule qui sonne la
Diane », « Le tocsin continue, tous montent [...]
les hommes se précipitent, tous montent les escaliers. Le tocsin
sonne à plein vol. [...] Tous sont
montés »612(*).
Enfin, la pièce possède une forte dimension
symbolique qui se manifeste par certains effets de structure, tels que les
répétitions, les résurgences et la boucle que
décrit le texte (du prologue au cinquième acte) ; Louise
Michel semble en effet avoir composé la Grève de la
même manière qu'elle a pu construire des récits plus brefs.
En effet, l'allégorie repose sur la réapparition
systématique des roses rouges (« Vois, elles sont rouges comme
le sang dont la terre à été fleurie tant de
fois »613(*)),
qui symbolisent la mort, le sacrifice et le deuil, métaphore qui trouve
son origine dans le prologue « La légende des
roses ». Elle représente l'innocence sacrifiée lorsque
Rita (venu apporter des roses à Gertrude) se fait assassiner par
celle-ci, et qu'en tombant elle répand les roses, formant ainsi une
tâche rouge sur la neige près de son cadavre614(*). Les différentes
réminiscences font échos à la trahison de Gertrude, comme
si cette faute passée lui était rappelée de manière
significative (« J'avais défendu qu'on mit ici des roses, leur
parfum m'est désagréable »615(*)), et appellent à la
vengeance : « GERTRUDE.- [...] cette enfant ressemble à
Vladimir, elle me ressemble aussi. C'est elle, le signe qu'elle avait à
la joue le voilà. (Comme égarée.) Pourquoi
est-elle couverte de roses, des grandes roses qui saignent. [...] MARPHA.- Il
n'y a pas de roses, madame, c'est le sang qui fleurit pour la
vengeance ». Et de manière ironique à la fin de la
pièce, Gertrude, rattrapée par ses spectres, tombe dans le fleuve
et « des feuilles de roses rouges [tombent] sur elle au dernier
moment »616(*). En outre, la métaphore des roses rejoint
celle des noces rouges, c'est-à-dire la passion pour la lutte, la mort
des braves en martyr et l'amour dans le sacrifice. Ainsi, Blanche et Marguerite
(également des noms de fleur), qui chantent « la chanson des
roses »617(*),
déposent près du corps d'Esther (abattue dans la lutte) des roses
sur lesquelles sont « tombées quelques gouttes de
sang »618(*). Ainsi, les allégories envahissent la
scène comme il est souvent de règle dans le théâtre
d'agitation : « elles sont le signe d'un passage à
l'abstraction généralisante, qui met l'accent sur les grandes
lois du système, contre toute réduction
psychologiste »619(*).
L'argument anarchiste de la pièce est explicite, tous
les éléments (dialogues et enchaînement des tableaux)
tendent en effet vers la lutte et, comme le prouve l'issue du drame, Louise
Michel croit au triomphe de la Révolution social. Le
théâtre anarchiste, « un théâtre de
combat » a donc pour impératif de susciter la
révolte ; mais où et comment le public percevait-il ce
message ?
4/PRATIQUE DU CONTAGE ET CONDITIONS DE
REPRÉSENTATION
a) Pratique du contage
Le « conte populaire » est, au
sens strict du terme, ce qui se dit et se transmet oralement. Les Romantiques
vouaient un véritable culte à la création populaire, ils
voyaient là une invention du peuple620(*). Or la littérature orale n'est pas, comme ils
semblaient le croire, une émanation spontanée du Peuple. Elle est
au contraire, « fortement ancrée dans un contexte social et
culturel précis, et n'existe et ne se diffuse que dans un système
d'institutions de transfert plus ou moins complexes »621(*). La veillée par
exemple est une institution de transfert ; c'est le moment et le lieu
d'échanges privilégiés où les
éléments les plus traditionnels de la vie populaire se
perpétuent avec l'écoute des récits, des contes et des
légendes racontés par les anciens. À partir de 1830, le
livre fait son apparition aux veillées et Louise Michel évoque
dans ses mémoires ces longues soirées d'hiver :
« Les romans s'étaient usés dans les veillées de
l'écrégne où la lectrice mouille son pouce
à sa bouche pour retourner les pages, et laisse tomber sur les
infortunes des héros une pluie de larmes de ses yeux naïfs.
L'écrégne, dans nos villages, est la maison où,
les soirs d'hiver, se réunissent les femmes et les jeunes filles pour
filer, tricoter, et surtout raconter ou écouter les vieilles histoires
du feullot qui danse en robe de flamme dans les prèles
(prairies) et les nouvelles histoires de ce qui se passe chez l'un ou chez
l'autre. Ces veillées durent encore ; certaines conteuses charment
si bien l'auditoire que la soirée se prolonge jusqu'à
minuit »622(*). La lecture collective à haute voix est une
manifestation spontanée dans les milieux ouvrier et paysan
semi-alphabétisés de la France du siècle dernier. Celui
qui savait lire et disposait de sources d'informations qui lui permettaient de
sortir du cercle des préoccupations quotidiennes, celui qui pouvait
entrer dans l'univers merveilleux du conte ou du feuilleton, communiquait tout
naturellement à ses parents et à ses camarades de travail ce
qu'il avait appris et essayait de leur faire partager le plaisir de sa
lecture623(*), comme
dans « Le Père Rémy » où l'instituteur
« pour se reposer le soir, [...] faisait volontiers une petite
lecture ou racontait quelque anecdote »624(*).
Un genre communautaire
Avant 1914, ont lieu un peu partout des réunions,
autres que strictement familiales, dans lesquelles la narration de
« contes » entre « adultes » joue un
rôle important, notamment dans la vie des sociétés rurales,
où leur rôle est considérable625(*). Dans les
sociétés dites traditionnelles, elles sont
généralisées et intégralement collectives :
tous les membres de la communauté sont consommateurs. Louise Michel
semble avoir été fortement conditionnée par les
veillées, dont elle revendique le pouvoir poétique qu'elles
exercent sur l'auditoire : « Je les aimais [les ruines] surtout,
quand la bise soufflait fort, et que nous lisions tard, la famille
réunie dans la grande salle, la mise en scène de l'hiver et des
hautes chambres froides. Le linceul blanc de la neige, les choeurs du vent, des
loups, des chiens, eussent suffi pour me rendre un peu poète, lors
même que nous ne l'eussions pas tous été dès le
berceau ; c'était un héritage qui a sa
légende »626(*). Elle tente d'ailleurs de recréer dans le
poème « La Neige », qui ouvre le recueil des
Contes et Légendes, le cadre et l'oralité de cette
pratique, en faisant de la neige un topos et en invitant les enfants à
se rassembler près du feu, afin de commencer la lecture :
« Le vent d'hiver souffle dans l'ombre,/ La neige couvre les chemins
; Enfants, venez, la nuit est sombre,/ Au foyer réchauffez vos mains./
Et pendant que vous êtes sages/ Prenez ce livre et ces images,/ Ce sont
des souvenirs lointains »627(*).
Il y a une correspondance forte entre le type d'institution
de transfert et les genres narratifs qui y sont pratiqués, car le
contage se pratique selon trois paramètres principaux : le cadre
des réunions (lieu, saison, heure, occasion), la sélection des
participants (sexe, âge, métier) et le répertoire. Il y a
par exemple les veillées collectives, régulières
(veillée de travail, de repos) ou exceptionnelles (Noël,
mariage628(*)...) ;
« les assemblées masculines » (anecdotes
personnelles et histoires licencieuses) ; « les
assemblées féminines » (rumeurs, facéties,
contes traditionnels, réunions féministes) ; « les
assemblées d'enfants » (fonction éducative qui
l'emportait sur la fonction récréative)629(*). Le Livre du bagne,
qui rassemble « de courtes histoires racontées par de pauvres
femmes d'Auberive »630(*), sous le titre « Légendes des
Centrales » expose les conditions de transmission de ces
récits : « Pourtant à Auberive, les soirs à
la veillée d'hiver, quand pleurait la bise dans les sapins tout blancs
de neige, nous aimions ces récits. Ayant beaucoup retranché, je
les livre à l'impression, non dans l'espérance qu'on trouvera
à les lire, il faudrait pour cela être transporté où
nous étions afin que tels qu'ils sont, ils rappellent à chaque
page la pensée qui les a inspirés - La société -
disait Beccaria - se défend et ne se venge pas »631(*). Il faut noter que Louise
Michel écrit ces phrases de la prison de Clermont (entre juillet 1883 et
janvier 1886), mais elle a déjà rédigé tous les
textes au bagne de Cayenne en 1877632(*). Le contexte narratif et la parole conteuse
réactivent les modalités de cette institution de transfert, et en
s'adressant directement aux femmes des prisons, elle renforce la connivence qui
existe entre elle et son auditoire : « Si jamais au sortir de la
centrale, vous rencontrez Rose, qui que vous soyez souvenez-vous de cette
histoire »633(*).
L'art de conter
Normalement, le contage est sous contrôle direct de la
communauté, qui proteste si le conteur se trompe ou oublie quelques
paroles traditionnelles634(*). Réciproquement, le conteur interpelle ses
auditeurs, qui entrent dans le jeu et répondent635(*). Les contes de Louise Michel
relèvent davantage du conte écrit que du conte oral, bien que
celle-ci feint une certaine oralité. Ainsi, bien qu'elle convoque
directement son auditoire - « Prenez ce livre et ces images/ [...]
Ceux dont on parle on eu votre âge / [...] Nous parlerons des moeurs
antiques, »636(*) - celui-ci ne peut avoir réellement d'emprise
sur la parole conteuse, car il n'y a pas d'échange. En outre, il semble
que l'art de conter soit à mi-chemin entre création et
reproduction. Quelle est la part de création et la part de compilation
dans les textes de Louise Michel ? Dans le récit
« Robin-des-Bois », la narratrice se décharge de
l'invention de cette histoire et le prologue introduit la légende avec
un certain recul : « Les imaginations, frappées du bruit
du cor et des aboiements des meutes [...] personnifièrent leurs
impressions sous le nom de Barbatos, duc de l'Abime. Il entend, dit la
légende, le chant des oiseaux [...] Parfois la tempête hurle comme
les loups, résonne comme les troupes ; alors on dit, sous les grandes
cheminées, où toute la famille se chauffe à la fois :
c'est Robin-des-Bois qui chasse »637(*). Or, bien que la conteuse rapporte ici une
légende issue du folklore, le reste du récit semble être
une idée originale.
Louise Michel revendique le caractère
populaire de ses historiettes, c'est pourquoi elle n'hésite pas à
jouer avec le langage parlé, le ton et les accents. Par exemple dans
« L'héritage du grand-père Blaise », les
intonations rurales de Jeannette sont rendues dans le texte :
« Dame, ma fille, dit la vieille, je savons ben pourquoi »
; « Dame, Mamz'elle » ; « Il y a longtemps que
j'y songions, nous deux Jean-Claude... » ; « Je
verrons avec Jean-Claude! »638(*). Il est alors aisé d'imaginer le conteur
jouer théâtralement les accents, afin de doter chacun des
personnages d'un caractère bien spécifique. En outre, le choix du
vocabulaire rend aussi compte du niveau social et culturel du personnage ;
par exemple Jeannette, qui a rappelons-le cent ans, utilise un langage
archaïque : « qu'il fut un temps où dans ce village
la disette fut telle que... »639(*) ; « disette » étant
un terme vieilli, qui n'est plus employé ou très rarement.
b) Scènes et publics
Le théâtre anarchiste est
généralement accueilli dans des lieux marginaux, loin des
théâtres traditionnels - excepté pour des auteurs connus
comme Georges Darien, Octave Mirbeau ou encore Louise Michel dont la
Grève est monté au Théâtre de la Villette
à Paris. Il investit les salles de bar, les locaux privés ou les
sièges des syndicats ; les représentations peuvent
également avoir lieu dans les maisons du peuple, mais il s'agit souvent
de modestes constructions de planches ou de pierres, dans les bourses du
travail et à partir de 1887 dans les universités
populaires ; parfois même, dans les logements ouvriers640(*). Évidemment, ces
lieux et leurs publics sont inhérents au théâtre anarchiste
car c'est lors de la représentation que le texte devient action, et
qu'il acquiert son rôle militant et sa portée subversive ;
ses auteurs ont « tenté de faire du théâtre
l'auxiliaire immédiat, au minimum de la conscience
révoltée des ouvriers, au minimum de leur organisation politique
de base, celle qui reste acceptable même pour les anarchistes : le
syndicalisme "immédiat" »641(*). Et les
représentations constituent des moments forts de la lutte, comme en
témoignent les réactions des spectateurs. À ce titre,
Alain Badiou loue cette entreprise théâtrale qui, à ses
yeux, avait « le courage, devenu si rare, de créer son propre
public, et d'assumer ainsi que l'autonomie de la pensée doit payer le
prix de l'autonomie des lieux de son expression ». Il ajoute que ce
théâtre insoumis et révolté « bâtit
ses propres figures et ses lieux immanents, [il] choisit ses
échéances, et ne [se] laisse jamais dicter le choix de l'espace
ou du temps »642(*). C'est ainsi que le Théâtre civique
entend pratiquer la gratuité et Saint-Georges de Bouhélier, dans
Le Printemps d'une génération, nous décrit
« une espèce de théâtre en bois de sept ou huit
cents places, dont les galeries étaient couvertes d'inscriptions "Ni
dieu, ni maître" ». On y représente La
Révolte de Villiers de l'Isle-Adam, et l'on y joint des lectures de
Michelet, Mirbeau, Vallès, Clemenceau et des chansons socialistes. Le
spectacle se déroule à guichet fermé pour éviter la
censure et les interdictions643(*) (il a de ce fait le même caractère
privé que les réunions politiques).
Cependant, le public n'est pas constitué uniquement
d'ouvriers, - excepté quand les représentations sont
organisées par des syndicats, mais on y va en famille et l'entrée
est souvent gratuite644(*), - mais est composé d'un auditoire
varié645(*). En
effet, on croise au théâtre de l'OEuvre des petits bourgeois et
des boutiquiers, des ouvriers à côté de gens huppés
en habits et robes du soir646(*) ; et quand il s'agit de salles plus
fréquentées et connues des amateurs de théâtre, on
voit arriver un public de curieux, de bourgeois venus manifester leur
désaccords, de journalistes, de critiques, de snobs qui ne veulent pas
rater l'événement, sans oublier les policiers de service.
Manifestants et contre-manifestants peuvent alors s'affronter, et le tumulte
atteint des proportions étonnantes647(*). Mise en scène, la révolte peut
communiquer à la salle une exaltation. Le public est actif, il participe
et réagit à ce qu'il voit, et à chaque spectacle,
même les plus calmes, des interruptions fusent ; on peut
entendre : « Sales bourgeois ! Imbéciles !
Brutes ! A la porte ! Vive l'Anarchie ! Voilà de l'art au
moins ! »648(*).
La représentation au Théâtre de la
Villette
Les représentations de la Grève
commencent en décembre 1890 au Théâtre de la Villette.
En novembre de la même année, alors qu'elle est à Londres,
Louise Michel adresse au directeur du théâtre, Andrel Perdrot, le
manuscrit de la pièce, en lui laissant une entière liberté
quant à la mise en scène ; elle se réserve seulement
le droit de modifier ce que la censure pourrait réclamer comme
changements. Il s'agit de représentations populaires à vingt-cinq
centimes (prix unique) auxquelles assistent sept à huit cents
personnes ; là encore, la police rend compte des
événements dans un rapport au sujet de la représentation
du 20 décembre 1890. Elle constate que parmi les spectateurs
« deux cent cinquante anarchistes ont assisté au
Théâtre de la Villette à la représentation populaire
du drame de Louise Michel. Une heure avant l'ouverture des bureaux, plusieurs
compagnons distribuaient à la porte La Défense du
compagnon Pini649(*) et
autres feuilles anarchistes de vieille date »650(*). Ce même rapport de
police mentionne l'introduction, entre le prologue et le premier acte, d'une
conférence d'un quart d'heure du compagnon Leboucher. Ce discours est un
violent pamphlet dénonçant la dictature de la censure, -
« La censure savait fort bien que pour implanter une idée dans
les masses, il ne s'agit que de placer les faits devant les yeux ; c'est
pourquoi elle a pour ainsi dire supprimé la pièce à force
d'y couper les passages qui semblaient dangereux », - et prône
haut et fort la destruction de la société bourgeoise et
capitaliste : « L'heure de la vengeance populaire est
proche ; les victimes de la bourgeoisie se préparent à une
grande bataille aux cris de Mort aux voleurs ! Vive l'anarchie ! Oui
travailleurs, soyons sans pitié ce jour-là pour les exploiteurs,
massacrons-les tous »651(*). Ce jour-là, le public semble enthousiaste,
la salle applaudit avec frénésie, aux entractes on chante des
chansons anarchistes et à la sortie on entonne la Carmagnole652(*).
c) Éducation ou propagande?
Le théâtre représente un moyen de
propagande particulièrement intéressant pour les écrivains
anarchistes, à mi-chemin entre la propagande par le verbe et la
propagande par le fait. Le théâtre serait donc un outil efficace
pour conscientiser les masses et susciter la révolte. C'est en tout cas
ce qu'affirme Émile Pouget : « Le théâtre,
voilà un riche moyen de semer les idées, nom de Dieu ! En
effet, si mal bâtie que soit une pièce, elle a cette
supériorité sur un bouquin, c'est que le plus niguedouille saisit
ce que l'auteur a voulu dire : y a pas besoin de se crever la caboche, les
idées nous défilent sous le nez, comme qui dirait toutes
vivantes » (Le père Peinard, 18 mars 1893)653(*). La censure d'ailleurs ne
s'y trompe pas, elle frappe davantage le théâtre que la
poésie et le roman. La Grève subit de nombreuses
interventions de la part du comité de censure, comme le prouvent les
nombreux passages entre crochets dans son édition actuelle.
L'intégralité de la tirade de Régine au sujet de la
Semaine sanglante est retirée (Acte III, scène 1), la Commune
demeurant un épisode tabou ; minutieusement, « la
sociale » est ponctuellement rayée654(*), et la voix d'un soldat
s'élevant contre la peine capitale est soigneusement
étouffée : « [Moi mon officier, ça m'a fait
l'effet d'un crime cette exécution.] » (Acte V, scène
1).
Louise Michel croit en l'efficacité du verbe et
à son pouvoir bénéfique sur les individus, c'est pourquoi
elle prône l'importance des réunions populaires, qui permettent de
s'organiser et de créer un débat entre des personnes qui sont
généralement exclues du débat politique et civique. Elle
revendique la nécessité de la propagande et défie ses
censeurs par ses allusions directes à la Commune : « Les
gendarmes de Versailles avaient remis leurs bottes de sept lieues, les
régiments bretons étaient revenus, un peu moins enragés
cependant contre les révolutionnaires. Beaucoup d'entre eux,
envoyés aux réunions publiques pour les troubler, avaient au
contraire été enveloppés par le courant ; il y avait
dans les casernes des discussions terribles, et le moment était proche
où une grande partie de l'armée supporterait difficilement qu'on
lui ordonnât de tirer sur le peuple »655(*). Louise Michel évoque
l'épisode du 18 mars 1871, durant lequel l'armée, venue
récupérer les canons de la butte Montmartre et ayant ordre de
tirer sur le peuple, fraternisa avec celui-ci ; elle reprend
également cette anecdote dans l'acte V de La Grève.
Cependant, le théâtre n'est pas le seul
véhicule de la propagande anarchiste. Réciproquement, revues et
hebdomadaires restent pendant ces années le soutien du
mouvement656(*). Ces
journaux se veulent pédagogiques et on peut y lire des chansons et des
poèmes de Louise Michel. Le journal La Révolte est
accompagné d'un supplément littéraire, qui dura
jusqu'à la fin des Temps nouveaux ; Jean Grave sait par
expérience quelle peut-être la soif intellectuelle d'un ouvrier,
mais il a surtout la conviction que la littérature est aussi un
véhicule de pensée libertaire. C'est en cela que son journal
constitue un lien entre la classe ouvrière et une littérature
très préoccupée par la question sociale657(*). Outre la
littérature, la peinture permet elle aussi de diffuser efficacement la
propagande anarchiste, et des artistes tels que Paul Signac, Camille Pissaro,
Félix Valloton illustrent ces journaux de leurs lithographies et dessins
satiriques658(*). Il
s'agit d'amener la classe ouvrière à une prise de conscience
massive afin de l'amener à l'action collective, et toute la presse et la
littérature sont tournées vers ce but659(*).
C'est ce double objectif que met en avant A. Badiou :
« Comment combiner la fonction révélatrice du
théâtre politique (montrer l'iniquité, la sauvagerie des
oppresseurs) et sa fonction mobilisatrice (susciter le courage de la
révolte, mais aussi sa méthode) ? »660(*). Ce théâtre
coopératif se fixe trois objectifs : procurer un délassement
physique et moral ; être une source d'énergie, soutenir et
exalter l'âme ; éveiller la pensée, apprendre à
voir et à juger les choses, les hommes et soi-même661(*). Force est de constater que
la frontière entre éducation et propagande est étroite,
car tous les moyens sont bons face à l'oppresseur, qui possède
des outils bien plus efficaces pour maintenir le peuple sous son joug, et dans
la mesure où la fin est synonyme de justice. Ainsi, tel que le formule
Alain Badiou, la propagande est essentielle et le théâtre un moyen
de diffusion irremplaçable : « la propagande, oui, elle
est toujours nécessaire [...] tout spécialement, quand les
esprits sont si profondément asservis et corrompus. Mais elle a des lois
entièrement différentes de celles de la publicité. Et
c'est bien la raison pour laquelle le théâtre, dans toute sa
grandeur maintenue, doit être un théâtre de propagande,
alors qu'il ne saurait servir aucune publicité »662(*). En effet, il ne s'agit pas
d'exposer un monde manichéen, « il faut assumer une
pensée complexe, dans la subjectivité
« anarchisante », quant à l'entrelacement du Bien et
du Mal, de la solidarité et de la méchanceté. Ce n'est
qu'à ce prix que la corrosion critique prend une valeur universelle, et
que la propagande politique échappe à son ennemi intime, qui est
la propagande morale »663(*). En ce sens, la propagande anarchiste prend le
contre-pied de la « pression idéologique
réactionnaire » qui somme d'être
« moral » et qui proscrit d'emblée l'usage de la
force. Le compagnon Leboucher incitant à la haine contre la bourgeoisie,
les héros de Louise Michel appellent à la lutte armée.
C'est pourquoi, le héros-anarchiste se situe en dehors de toute
préoccupation moralisatrice : « Car ce qui est
nécessaire est d'imposer un écart souverain entre la justice
politique (ou sociale) et le bénitier où trempent les
catéchismes contemporains. C'est pourquoi le héros du
théâtre libérateur n'aura que faire de la moralité,
et sera sans nul doute, au-delà du Bien et du Mal »664(*).
***
La propagande est incontestablement le vecteur des
idées anarchistes et son recours est perçu comme légitime
face à une idéologie néfaste et profondément
ancrée dans les mentalités. De ce fait, elle se veut provocante
afin de faire table rase des préjugés et de la
pseudo-moralité. Le propagandiste, en usant d'images fortes et
percutantes, peut alors apparaître comme fous ou illuminés, mais
ces penseurs, souvent comparés à des apôtres (ou à
des prophètes), ont pour rôle de révéler aux hommes
ce qu'ils ne peuvent voir et sentir spontanément :
« Écoutez, écoutez encore, et vous entendrez d'autres
pas, vous verrez d'autres bannières et d'autres étoiles ;
car nous sommes au temps où l'infini, penché sur les
cratères ardents, prépare les révolutions dans ses
creusets mystérieux. Ces pas qu'entend à peine votre oreille,
c'est la cohorte des visions, volée de colombes qui passent dans les
ténèbres. [...] Car ce que vous écoutez, c'est l'inconnu,
ce que vous regardez, c'est le mystère, et ces voix qui s'appellent dans
l'espace, ce sont celles des songeurs penchés sur tous les gouffres de
la mort et de la vie, ce sont les Prométhées qui vont ravir le
feu du ciel »665(*). Ainsi, Louise Michel s'inscrit parfaitement dans la
veine hugolienne, qui célèbre le poète visionnaire,
« Les rêveurs sont les poètes et les poètes sont
les prophètes »666(*), afin de révéler aux hommes la fin du
vieux monde et la naissance d'une société nouvelle.
QUATRIÈME PARTIE :
UNE UTOPIE
« ANARCHO-LITTERAIRE »
Le triomphe de l'utopie dans l'oeuvre de Louise Michel
confirme la sensibilité révolutionnaire de l'auteur ainsi que ses
opinions internationalistes et libertaires. L'internationalisme est un
mouvement qui débuta au XIXe siècle ; issu des
différentes révolutions démocratiques (1789, 1830 et
1948), il vise à supprimer les combats entre les États
impérialistes et à en finir avec la lutte des classes, et ce en
deux étapes mises en scène dans nos oeuvres. La première
consiste en la solidarité internationale des prolétaires, afin
d'empêcher les guerres entre les peuples, et d'en finir avec le
nationalisme et le chauvinisme, en défendant les intérêts
qu'ont en commun l'humanité entière. La seconde consiste,
après un processus révolutionnaire, à la mise en place
d'un régime international supprimant les États et leurs
frontières. Or, il convient de préciser que pour les socialistes
et les anarchistes de cette période, ce « rêve de
liberté mondiale » est loin d'être une utopie au sens de
chimère et Louise Michel défend l'utopie libertaire comme utopie
concrète ; c'est le but à atteindre dans l'organisation
sociale et humaine, c'est ce vers quoi l'humanité entière doit
tendre.
***
1/ UNE LITTÉRATURE SOCIALE
L'oeuvre de Louise Michel est profondément
ancrée dans la littérature sociale dans le sens où le
vocable social « renvoie à la dimension collective de
la vie humaine (en opposition à la perspective individualiste),
sanctionne la séparation entre la société civile et
l'État, et depuis la fin du XIXe siècle où il
fut un temps en concurrence avec « socialiste » et
« sociologique », exprime de façon aussi abrupte que
concise les intérêts des travailleurs face à ceux du
capital »667(*). Plus qu'une simple description des conditions de
vie des ouvriers, le syntagme « roman social » vise une
« littérature qui ne véhicule pas l'idéologie
dominante du capitalisme mais, au contraire, qui parvient à la
stigmatiser lorsqu'elle l'expose ou à faire prévaloir une autre
vision du monde »668(*). Il se définit donc par rapport aux
personnages qu'il met en scène : « Le roman social est
celui qui, abandonnant les sentiers battus de la psychologie d'une
minorité d'oisifs, dirige son observation sur la majorité,
c'est-à-dire la foule des travailleurs de toutes catégories
(travailleurs intellectuels et manuels) et qui, s'il étudie
spécialement des types, considère ses héros individuels
dans leur rapport avec les milieux sociaux qu'ils
traversent »669(*). C'est exactement cette vision du rapport entre la
particulier et le collectif que la romancière exprime à travers
les relations qu'entretiennent les personnages avec l'Histoire :
« Plus les événements sociaux se multiplient, plus
aussi se multiplient les événements particuliers, puisque dans
chaque bouleversement les êtres sont pris dans les
rouages »670(*).
a) Ouvriers et vagabonds dans la
littérature
Le XIXe siècle est profondément
marqué par le processus d'industrialisation que connaît l'Europe
occidentale. L'exode rural devient massif, les villes grossissent et dessinent
en leur sein de nouvelles frontières sociales : aux classes
populaires, les faubourgs ; au centre, la bourgeoisie (à
l'exception de certains quartiers délabrés que cette
dernière abandonne aux plus défavorisés). Tandis que la
bourgeoisie profite pleinement de l'essor industriel, le prolétariat
naissant est contraint à une existence précaire671(*). La croissance de la classe
ouvrière, le développement du mouvement qui la représente
dans ses différentes composantes, syndicales politiques et
coopératives, et l'essor du socialisme expliquent l'attrait
exercé par le peuple sur les intellectuels. Les intellectuels
socialistes y voient « l'agent de transformation du
monde », exigence portée par la revendication sur l'art
social672(*). La
littérature, pilier de la culture populaire, porte les aspirations et
les revendications du peuple, et cette littérature devient
« un élément essentiel de la culture populaire :
de la culture que le peuple lui-même se donne, dans la rue, au
théâtre ou à l'atelier. Plus que de culture, c'est de
civilisation qu'il faudrait parler, tant cette littérature a pour les
classes populaires, pour leur mentalité et leur comportement, une
importance et une signification qu'elle n'a pas pour les autres classes. Objet
de culture pour les classes bourgeoises, cette littérature est pour les
classes populaires une des formes de leur civilisation. »673(*).
Cependant, les thèmes de la misère et du
vagabondage sont des thèmes anciens et importants de la
littérature populaire674(*), mais dans les années 1880-1890, Louise
Michel et autres écrivains engagés dans la lutte des classes vont
plus loin dans la critique et le rejet du régime républicain,
jugé trop timoré sur le plan social : pour eux, les faibles,
les humbles, les vagabonds sont moins coupables que le riche, qui
détient le pouvoir et l'argent675(*). Ils font alors de l'« exclusion
sociale » le personnage principal de leurs textes. Le miséreux
et le vagabond deviennent les porteurs de la cause révolutionnaire, car
c'est la misère elle-même qui insuffle ce vent de
révolte : « Dans la rue passait une sombre
manifestation ; elle était noire de foule : une foule en
guenilles, hâves, maigre, terrible. Cette foule chantait comme un seul
souffle le sinistre refrain du cocher Maurus : On arrête pas le
murmure/ Du peuple, quand il dit : J'ai faim ! ». L'auteure
rend compte des inquiétudes sociales et politiques de la bourgeoisie qui
voit en le peuple une horde de criminels, de débauchés,
d'ennemis, souvent comparé à des barbares676(*) ; la peur de l'émeute,
vécue alors par la bourgeoisie comme le « vomissement des
bas-fonds »677(*), est
particulièrement vivace678(*) : « Sylvestre dans ses nuits,
hantées du rêve de l'émeute, voyait parfois avec
épouvante soldats et capitaines, bataillons de Bretagne et bataillons de
Champagne, grévistes et révoltés de toute sortes et de
partout danser autour des banques, des misères, des palais de justice
une immense carmagnole679(*) que
rythmaient de leurs gros talons de bottes les gendarmes de Versailles. Il lui
semblait que la boîte entière lui riait au nez. Alors un petit
souffle froid glissait dans le dos »680(*). Louise Michel lutte contre cette stigmatisation des
classes inférieures et décrit une foule déterminée
qui se dresse comme un seul homme contre son ennemi, la bourgeoisie, et s'en
prend alors au baron Eléazar, l'« impitoyable
juif », représentant de cette caste :
« n'était-il pas l'affameur, l'accapareur, le semeur de
famine ? »681(*).
Ainsi, c'est dans cette perspective que notre
romancière pénètre au plus profond de cette classe
laborieuse - on se souvient de la sordide hutte du père Jo682(*) - et qu'elle décrit
les taudis dans lesquels vivent ces miséreux - c'est un tableau
déplorable que fait l'auteure de la famille de Saturnin et de leur
l'habitat683(*). De
cette manière, elle dénonce les conditions de vie des
« crève-la-faim » et des vagabonds :
« il y a près du pont des Arts un large plancher sur la berge,
il sert à charger des plâtras ou de la terre dans les
péniches amarrées au quai. Là dessous des
crève-de-faim ont établi des séparations avec des briques.
Dans chacune de ces niches loge un homme, quelque fois deux. Le jour, ces
hommes font ce qu'ils peuvent pour gagner quelques sous, depuis le lavage des
chiens jusqu'aux chargements, commissions, etc. »684(*). Le vieux mendiant Jaël
est l'avatar du vagabond, il est la figure même de l'exclusion et de la
dépossession, matérielle et humaine car, isolé, on le
croit possédé685(*).
Jaël, emprisonné par les forces de l'ordre, puis
libéré par les insurgés, rejoint les rangs des
révolutionnaires ; il comprend alors les causes de la
ségrégation sociale et les raisons de la lutte des classes :
« Wolff les aidant parfois à trouver le pourquoi des
persécutions qu'ils avaient subies, ils devinrent à leur tour un
appoint pour la force nouvelle, la justice, mise en place de la
force »686(*). La prise
de conscience de Jaël l'amène à devenir l'un des vecteurs de
la conscientisation et un acteur de la révolte687(*) car « l'exclusion
sociale [est] décrite comme une machine à broyer l'individu
fragile et la révolte, car le misérable est celui, qui, ne
possédant rien et se déplaçant sans cesse, peut le mieux
incarner la révolution sociale souhaitée »688(*). Jaël qui exprime le bon sens
commun, avoue qu'il avait déjà en germe cette pensée
anarchiste : « - Il y a longtemps, disait-il, que je pensais cela,
mais je ne savais pas que d'autres le pensaient aussi »689(*) ; la révolution
apparaît alors comme naturelle et justifiée, et
« l'innocence du misérable s'oppose à la
culpabilité de l'homme moderne civilisé. Il est proche de la
nature, de l'enfant, du « bon sauvage », dans la tradition
rousseauiste. Cette représentation s'oppose à la classification
classique qui le dénonce comme un barbare menaçant. [...]
se peaufine l'image d'une enfance porteuse
d'espérance »690(*).
b) Le rejet du capitalisme
Louise Michel condamne avec violence et acharnement le
système capitaliste alors florissant ; elle blâme le monde de
l'argent, étant la principale cause des inégalités. Elle
s'attaque au système bancaire, en dénonçant les
spéculateurs véreux qu'elle compare à des rapaces, et
montre toute l'hypocrisie et la corruption du système, en
révélant ses rouages : « De la Serre le
voyait à point pour les affaires dont il faisait le courtage :
obligations sur des banques imaginaires, entente avec des marchands de chair
humaine, chantage haut et bas, depuis l'agence financière jusqu'au
bureau de placement. Certaines circonstances de cette vie accidentée
charmaient Casimir ; il y avait, par exemple, une création de
banque pour laquelle on avait fait signer des passants ; quelques gogos
avaient reçu des poignées d'or pour en faire verser à
d'autres par charretées »691(*). Le discours anticapitaliste de l'auteure
transparaît à travers la médiocrité des personnages
(qualifiés de rastaquouères) qui soutiennent et profitent de ce
système. En effet ces individus, qui inspiraient force et assurance dans
la première moitié du Claque-dents, se trouvent tout
à coup fragilisés et réduits à rien quand le
système capitaliste se trouve ébranlé et gravement
menacé : « la grande révolte de la misère
s'étendait sur l'Europe et gagnait le monde. [...] le capital ne tenait
plus qu'à un fil, les bandes financières s'en disputaient les
débris encore vifs comme les tronçons d'une vipère, le
suffrage universel jetait son dernier râle »692(*).
En comparant le système capitaliste au système
féodal, l'auteure montre avec clairvoyance que seule une minorité
détient les moyens de productions et donc le pouvoir, et qu'une grande
partie de la population, réduite en servage, lui est
dédiée afin de fournir cette force de travail :
« (peut-être parce que la bête humaine bien
cultivée est ce qui produit le plus) »693(*). Elle démontre en
outre que, le système féodal ayant été aboli, le
système capitaliste peut très bien l'être aussi, et c'est
un cri alarmiste que lance Louise Michel, puisque d'après elle il en va
de la survie de l'humanité : « Est-ce que les
vieilles civilisations et le monde féodal ne sont pas
tombés ? Il faut bien que l'organisation capitaliste tombe à
son tour puisque son coeur de pierre et d'or ne peut plus battre. Elle morte,
toute l'Europe allait être République sociale : il le fallait
bien pour que l'humanité ne mourût pas »694(*).
c) Le roman de l'utopie sociale
Le roman social effectue d'abord une critique de la
société et du système capitaliste, - en montrant à
travers des exemples très réalistes, que celui-ci est
néfaste pour l'homme, - dans le but de proposer d'autres options
à l'organisation sociale695(*) ; et c'est un projet de société
fondamentalement différent que propose Louise Michel à ses
lecteurs, partisans et adversaires. Après les révolutions
française et américaine, il ne s'agit plus de critiquer la
société et d'éviter la censure, mais de propager de
nouvelles pratiques politiques, en totale opposition avec le capitalisme
libéral, système dominant696(*). Il est manifeste que Louise Michel ne se livre pas
à un simple exercice littéraire, mais qu'elle compose une utopie
concrète, à travers laquelle elle explore les champs du possible
et du souhaitable. L'utopie sociale opère justement dans cet
écart qui existe entre réalité et fantasme, paradoxe qui
contient alors tous les degrés de lecture de ce registre
romanesque : « Le roman utopique, par définition, est
doublement une fiction : en tant que roman et en tant que utopie. Et
pourtant, le problème de la représentation du réel y
occupe une place aussi centrale que dans le roman réaliste :
d'abord parce qu'en même temps qu'il plonge dans le futur, ce roman
donne, en négatif, une représentation du présent ;
ensuite et surtout parce que le projet qu'il contient se veut, à des
degrés divers, désirable et
réalisable »697(*).
Louise Michel revendique le caractère utopique de son
oeuvre littéraire, mais comme elle l'exprime à propos du
Poète, et de son rôle, qu'elle rebaptise Prométhée,
les utopistes peuvent être considérés comme des
rêveurs ou des fous, mais ils sont indispensables, car ce sont
ceux-là mêmes qui permettent de faire progresser
l'humanité, c'est pourquoi il est essentiel de croire en un
idéal : « GERTRUDE. - Rêveur, tu suis toi, ta pente
vers l'utopie. VLADIMIR. - N'est-ce toujours l'utopie d'une époque qui
est la réalité des temps qui suivent. L'idéal seul est
vrai. N'est-ce pas l'idéal que la mort pour la liberté,
l'idéal que l'amour »698(*). En outre, - et c'est précisément sur
ce dernier principe que repose l'idéal anarchiste, - en plus
d'être réalisable, c'est une utopie pragmatique que transmettent
alors les utopistes699(*).
Ainsi Louise Michel se demande où est la place de
l'homme dans un monde où les métamorphoses de la
société et les changements rapides liés à
l'industrialisation favorisent l'exclusion. Comme ses contemporains, elle
bâtit un mythe révolutionnaire, car en « osant mettre en
scène des personnages d'errants avoués, ces écrivains
permettent la rencontre entre le mythe de l'errance et la réalité
sociale des misérables »700(*). Cependant, l'attitude de certains, comme celle de
Richepin, Bruant, Mirbeau, Vallès, Charles-Louis Philippe, peut
paraître « empreinte de nostalgie envers un monde passé
mythique ou encore, « réactionnaire » aux yeux de
certains libéraux ou socialistes quand ils se déclarent hostiles
au progrès symbolisé par le développement du positivisme
et de l'industrie »701(*). Mais l'utopiste Louise Michel n'est nullement
contre le progrès technique, quand il ne rime pas avec oppression et
qu'il peut être au service de tous.
2/ LA DIMENSION POPULAIRE ET MYTHOLOGIQUE :
« LA LÉGENDE NOUVELLE »
Outre leur caractère profondément
réaliste et actuel, Les Crimes de l'époque et Le
Claque-dents possèdent une dimension mythologique, comme si Louise
Michel nous contait une « légende nouvelle », une
sorte de mythe moderne. Outre le flou temporel, les personnages et la narration
participent à la dimension mythologique.
a) Les personnages
Les deux vieilles du four à plâtre dans la
nouvelle « Premières et dernières amours »
renvoient directement à l'univers du conte. De par leur description
physique et leur attitude, elles deviennent des personnages légendaires,
errant depuis toujours parmi les miséreux : « Deux
vieilles qui ne tenaient pas à elles deux plus de place qu'une seule,
tant il ne leur restait que le squelette, serrées l'une contre l'autre,
chantonnaient à demi-voix, d'un ton monotone, comme des chats qui
ronronnent auprès du feu. Ce qu'elles disent, c'est la chanson des
vieilles du Coq rouge. Comme dans le Coq rouge encore, l'une
est bossue, l'autre est boiteuse ; elles rôdent depuis vingt ou
trente ans par la vie et par le monde, l'une remorquant l'autre. Personne ne
sait leur âge, elles ne le savent plus elles-mêmes, les jours sont
tombés sur elles sans compter. Leurs grêles voix vont bien aux
paroles étranges : J'étions deux belles filles,/ Quand on
planta ce bois./ Cliquetez, aiguilles !/ Un seigneur courtois,/ Tricotez,
aiguilles !/ Vint tirer les rois. etc. »702(*). Notons que ces deux
personnages, ainsi que cette chanson, sont issus du mélodrame populaire
Le Coq Rouge703(*).
Louise Michel fait ponctuellement référence
à des créatures mythologiques, comme les poulpiquets et les
follets704(*) dans
« Les Rapaces », appartenant aux croyances populaires. Ce
récit met en scène le jeune homme Yves Gallo qui, comme n'a de
cesse de l'affirmer la narratrice tout au long du récit, incarne la
bravoure et la ruse. Mais il faut noter la distance ironique avec laquelle
Louise Michel montre ce dernier cherchant à tendre vers cet idéal
héroïque : « Yves Gallo n'eut donc nullement peur,
en apercevant les deux soeurs, et comme aussi il avait lu de vieux livres de
chevalerie, l'idée sublime ou folle de les assister, lui si petit, germa
dans son cerveau »705(*). Volontairement, elle brouille les frontières
entre les genres, la narration effectuant un va-et-vient constant entre
l'univers réaliste de la littérature sociale et l'univers des
contes et légendes : « Ce trait digne des légendes
devait avoir son effet au pays des légendes. La foule se tut. Quand on
chercha où était l'enfant, personne ne le vit plus.
C'était l'enfant charmé, le petit Yves Gallo, le gardeur de
vache. Personne ne fut étonné de ne plus le
voir »706(*) ; elle compare d'ailleurs l'hôtel
particulier de la marquise à l'antre de l'ogre et Yves Gallo au Petit
Poucet. Cependant, la réalité rattrape le personnage et le
lecteur ; il est arrêté et envoyé en maison de
correction, passant ainsi d'une position forte à un statut de criminel,
pour les uns, et de victime d'erreur judiciaire, pour les autres :
« Il paraissait bien prouvé que ce garçon
n'était pas plus Yves Gallo que Nicolas ou Jean. La supercherie de
s'être déguisé en fille suffisait avec l'occupation dans
laquelle il avait été trouvé pour qu'on ne crût
à aucune de ses assertions »707(*).
En réutilisant certains de ces personnages dans
Le Claque-dents, Louise Michel développe dans le romans des
thèmes déjà présents dans les nouvelles. On
retrouve par exemple les deux vieilles et méchantes femmes du Coq
rouge renommées Margareth et Guilleke708(*) ; il y a Louïk,
équivalent d'Yves Gallo, qui mettra sa vie en péril pour sauver
sa soeur Fleur de Genêts709(*), qui se trouve être également le double
des soeurs Makaïke et Viktoria710(*). En outre, Le Claque-dents acquiert le
statut de mythe, c'est-à-dire de récit fondateur, dans la mesure
où celui-ci narre une grande bataille qui débouche sur un grand
bouleversement historique et la refondation sociale, politique et culturelle de
toute l'humanité (comme dans « Le Vieil Abraël,
légende du XXe siècle »711(*)) : « il n'y a
qu'une humanité à qui appartient le monde, qu'une liberté
pour tous, on est à l'époque héroïque, à la
légende nouvelle ; c'est terrible et c'est
beau »712(*).
Le roman est entièrement tourné vers l'avenir car, comme
l'auteure ne cesse de l'affirmer, nous sommes à la veille du monde
nouveau, et c'est l'écriture utopique qui permet de créer et de
vivre le mythe : « Ils devaient voir plus splendide
légende que celle du passé, les aventureux pionniers ;
fuyant les persécutions du Vieux-Monde, ils ne cherchaient que la vie
paisible, l'épopée de demain leur apparut tout à coup
à l'abri des fauves et des hommes dans leur cité
réveillée de sa tombe »713(*).
b) La narration
La dimension mythologique des textes est renforcée par
l'ubiquité de la narratrice. Sa voix est certes ancrée dans le
présent bien réel, mais elle semble également et
singulièrement attachée au passé714(*) : « [le
narrateur] n'est pas seulement le garant d'une pensée rationnelle, il
est aussi l'incarnation du passé dans le
présent »715(*). La sensibilité nostalgique de la narratrice
s'exprime à travers l'utilisation de formules proches du conte qui,
témoignant du passage du temps, renvoient le lecteur à des temps
anciens : « Sur la porte de l'une d'elles, il y a aujourd'hui en
lettres rouges encadrées Coco, il y avait alors, sans cadre, un
nom encore plus court, Jo, - peut-être un abrégé
de Joël »716(*). L'aventure semble laisser des traces
indélébiles sur la narratrice, qui est alors la seule à en
connaître l'existence, ou du moins, qui soit capable de la rapporter, par
son récit elle « réactive dans le présent, le
passé théoriquement révolu. Par son récit [elle]
fixe ce passé et le livre à un public, susceptible
d'accéder à cette révélation »717(*). Louise Michel justifie
ainsi l'usage d'un langage archaïque et elle érige l'argot parisien
en langage, certes populaire, mais légendaire et
mystérieux : « puis, en cas de surprise, pour sortir, le
plus habile tricote des supports (se tire des
flûtes), comme on disait autrefois dans le même
dialecte »718(*). Finalement, c'est le monde actuel que Louise Michel
est en train de raconter.
L'insertion dans le texte de proverbes ou de
références au monde des proverbes confère au récit
une dimension populaire719(*). La narratrice met en exergue cette culture
folklorique, mais elle en détourne expressément les codes. En
effet, le monde des proverbes, qui semblait être un univers constant et
certain, aux lois inexorables, se retrouve ébranlé. Comme si ces
lois traditionnelles n'étaient plus vraies, comme si les hommes avaient
changé (en pire) et qu'il fallait à présent narrer un
nouveau monde : « Les mêmes passions horribles et
insensées ont rassemblé ces deux loups ; mais en
dépit du proverbe720(*), quand l'un tombera, l'autre le
mangera »721(*). En réactivant ce savoir collectif, Louise
Michel le détruit et montre toute sa désuétude ; en
effet, le monde des proverbes appartient à un univers rural et
ancestral, alors que Louise Michel relate une légende urbaine, un conte
des temps modernes.
Louise Michel joue sur deux modes de narration,
déroutant ainsi le lecteur. La nouvelle « Les
Vampires » se place d'abord sur une modalité historique, - en
allouant à l'anecdote une réalité contemporaine, - voire
scientifique, en conférant au récit un crédit
médical : « Les médecins reconnaissent des formes
particulières de démence dans les crimes de cette
sorte ». Puis elle engage le lecteur sur un terrain fantastique, en
lui remémorant certaines pratiques archaïques et légendaires
venues de pays aux folklores mystérieux et exotiques :
« Les légendes de Hongrie, de Pologne, de Turquie, relatent
sous le nom de vampirisme des épidémies de ce
crime »722(*).
D'une part, l'argument mythologique fonde l'anecdote, et d'autre part, le
déplacement dans le « heimliche »723(*) de ce mythe venu d'orient,
confère au récit une étrange vraisemblance. De même,
la référence à l'ogre (que l'on trouve également
dans d'autres nouvelles) fait appel à l'imaginaire collectif et renvoie
au monde de l'enfance. Or, ces angoisses et hantises puériles,
ancrées au plus profond des êtres et renvoyant à un
état primitif de l'homme, ressurgissent de manière irrationnelle
dans le monde contemporain : « Un soir, elle vit son mari
regarder avec une si épouvantable expression sa fillette endormie
qu'elle se demanda si la légende de l'ogre était bien
reléguée au temps passé. Les fantastiques récits
des violations du cimetière Saint-Ouen décidèrent de la
destinée de la pauvre femme »724(*).
c) « Le Vieil Abraël, légende du
XXe siècle »
Le titre même de la nouvelle, qui clôt le recueil
des Crimes de l'époque, contient cette tension
précédemment décrite entre le passé mythologique et
le présent de l'auteure, voire le futur. En effet, Louise Michel
écrit ici une nouvelle d'anticipation, puisqu'elle se projette plus d'un
siècle plus tard : « Le vingtième siècle
allait finir »725(*). Le récit affiche franchement sa valeur
allégorique et sa porté critique : la nouvelliste
écrit l'Histoire de l'humanité à venir et en
négatif, c'est la société actuelle que nous percevons.
Le titre met l'accent sur le personnage
d'« Abraël », qui semble davantage appartenir à
l'univers du fabliau et du conte populaire ; toujours
désigné par le même épithète de nature, qui
constitue d'ailleurs sa seule caractérisation, « Le vieil
Abraël, à la tête toute grise » est le conteur de
cette légende du XXe siècle, qu'il transmet aux jeunes
générations : « Abraël est assis devant sa
porte au coucher du soleil ; il raconte à ses
arrières-petit-fils, comment, au siècle dernier, on était
encore sauvage en Océanie »726(*). Comme lors des veillées, le récit
s'achève au moment même où les enfants doivent aller se
coucher : « Le soleil avait disparu depuis longtemps
derrière le pic des morts qu'Abraël parlait encore.
Déjà Nahou, la mère de ses petits-fils, les avait
appelés pour les mettre dans leurs petits lits de bourre de coton, doux
comme des nids d'oiseaux »727(*).
Enfin, c'est l'unique récit du recueil qui se termine
sur une tonalité optimiste et une note d'espoir. Malgré une
vision généralement sombre et alarmiste, il témoigne d'une
réelle foi en l'homme révolté et confère au
récit une tonalité épique : « -
Grand-père, comment donc il s'appelait l'aïeul qui fit la grande
guerre pour la liberté ? - Il se nommait Alaï, dit Abraël
avec fierté »728(*). Ainsi, Louise Michel s'évertue
à écrire une nouvelle mythologie, qui repose clairement sur une
esthétique révolutionnaire : « Pareille au drame,
qui n'existe plus sur les théâtres parce qu'il se déroule
réel dans les rues avec les foules de le légende nouvelle, la
poésie appartient désormais à tous »729(*).
3/ LA RÉVOLTE EST INDISPENSABLE
La critique immanente de la société ne laisse
place qu'à un seul constat : rien ne peut plus sauver le vieux
monde. Suite à ce constat catastrophiste, la littérature
anarchiste a pour second objectif d'amener l'unité et la révolte
car, comme le disent les anarchistes, le « premier ennemi du peuple
est lui-même »730(*). Plutôt qu'il se déchire, le peuple
doit se battre ensemble contre l'ennemi commun : « Ainsi les
misérables qui sous la pression terrible s'écrasent les uns les
autres, se mordent les uns les autres comme des chiens esquimaux dont on cingle
le premier d'un coup de fouet pour que les dents de tout l'attelage s'attaquent
d'un bout à l'autre au camarade enchaîné devant eux,
tombent parfois tous sur le maître et le
dévorent »731(*).
En puisant des exemples dans l'antiquité, Louise
Michel prouve qu'il y eut des mouvements libérateurs qui surent
triompher, même temporairement, de leurs oppresseurs :
« Les esclaves qui se levèrent à l'appel de Spartacus
ne se demandaient pas s'ils appartenaient à des tribus amies ou
ennemies »732(*). En osant comparer la condition prolétarienne
à celle des esclaves de la République romaine, elle
démontre que les mêmes combats se répètent et que la
révolution est alors nécessaire face à l'oppression.
Louise Michel justifie ainsi la prise des armes, et fait de ses
révolutionnaires de véritables héros : « La
Révolution est terrible ; mais son but étant le bonheur de
l'humanité, elle a des combattants audacieux, des lutteurs impitoyables,
il le faut bien »733(*).
a) Le héros face à l'histoire : un
révolté
Louise Michel transmet une vision passionnelle et
poétique de la lutte734(*), en conférant à ses personnages
révolutionnaires les mêmes qualités que celles du
héros romantique. Le héros romantique (« porte-parole
de tous les jeunes gens « nés avec le
siècle »735(*)) ne vit pas en harmonie avec le monde dans lequel il
évolue, et il demeure un écart entre les espérances de ce
héros et ce que peut lui offrir une société
traditionaliste et figée736(*). Les héros du Claque-dents
méprisent la société qui les a vu naître, et
s'élèvent contre cette société qui les a
pétris et fait d'eux des bêtes : « c'est d'une
nation abhorrée, d'une race maudite comme on nous maudit que sort celui
que j'aime. [...] T'ai-je dit que celui que j'aime se nomme Wolff, un nom de
bête fauve - c'est en fauves aussi que nous allons tordre les reins aux
vipères qui rampent dans nos fanges »737(*). Le loup (angl.
wolf) est cependant un animal positif qui incarne la force et
l'héroïsme738(*).
Précédant la révolution mondiale, il
s'opère chez nos héros une révolution
intérieure ; la prise de conscience des deux bretons Jaël et
Kergallec donne lieu à une renaissance : ils sont sortis
« du passé noir pour entrer en pleine
lumière »739(*). L'expérience put être douloureuse pour
Kergallec, qui se sentait vide et mourir lorsqu'il fit table rase de ses
croyances et superstitions, mais il découvrit un autre lui-même
auquel il ne vit plus de limites : « Se laissant aller à
des courants inconnus, il éprouvait quelque chose de semblable à
ces rêves où on se sent monter ou descendre dans
l'infini »740(*).
Cependant, Louise Michel met surtout en scène un
héros collectif constitué d'ouvriers, de miséreux, de
crève-la-faim741(*) : « des étrangers venus tard,
des gens ne sachant pas avec quel argent ils retourneraient chez eux, puisque
leur travail était terminé, qu'ils avaient mangé à
mesure plus qu'ils ne gagnaient et que la misère européenne ne
leur permettait d'espérer nulle part, grossissaient à chaque
seconde les rangs des révoltés. Avez-vous vu le raz de
marée ? Ainsi montait le raz de marée
universel »742(*). La métaphore du peuple comme marée
humaine est récurrente dans toute l'oeuvre de Louise Michel et constitue
un topos de la littérature socialiste et anarchiste de l'époque.
Bien que d'abord utilisée par l'idéologie dominante, cette image
diluvienne est récupérée et renversée par la
rhétorique anarchiste, qui lui affecte un pouvoir salvateur :
« Celui qui se laisse affaiblir ce soir, trahit la cause c'est
ôter une des gouttes d'eau qui, réunies laveront la terre - il les
faut toutes au contraire pour faire le raz de
marée »743(*). Ainsi le déluge révolutionnaire gagne
l'Europe avant de gagner le monde, il progresse conduit par une seule voix, qui
n'est pas celle d'un leader, mais celle de la faim et de l'oppression
universelle : « Il n'y avait pas de meneurs, mais une seule
meneuse, la misère. Si âpre était cette misère, si
horrible le dénuement des travailleurs qu'ils allaient par bandes,
hâves, déguenillés, traînant leurs enfants dont
chaque jour tombait un certain nombre. En Italie comme au moyen âge
c'était le peuple maigre, en Allemagne, en Angleterre, la grève
noire des mines ; partout, comme le cheval qui succombe sous la charge,
les misérables se couchaient attendant la mort et les
révoltés étaient debout »744(*).
b) L'exaltation des passions et le passage à
l'acte
L'engagement politique et le recours à l'action sont
des tentatives pour échapper à ce « mal du
siècle » et y remédier ; or, bien que de
manière générale le héros romantique ne trouve de
réelle satisfaction dans l'action745(*), chez Louise Michel les personnages tournent leurs
espoirs les plus insensés vers la révolution et trouvent dans la
lutte l'exaltation la plus virulente : « Esther, entre Marius et
Wolff, près de Kergallec et de Joël, était de ceux qui
combattaient pour la liberté. Longtemps les balles sifflèrent
à leurs oreilles, de leur petite voix grêle d'insectes, sans
qu'aucune les atteignît »746(*). L'auteure est une partisane de la
« propagande par le fait »747(*) ; elle est en effet
persuadée que la propagande écrite et orale, bien que
nécessaire, n'est nullement suffisante pour emporter l'adhésion
des masses, il faut l'accompagner par l'action : « la parole,
proclame Nietchaïev, n'a de prix pour le révolutionnaire que si le
fait la suit de près. Il nous faut faire irruption dans la vie du peuple
par une série d'attentats désespérés,
insensés, afin de lui donner foi en sa puissance, de l'éveiller,
de l'unir et de le conduire au triomphe »748(*). Louise Michel est
consciente que tout véritable changement se fera dans le sang et que
cette condition est une nécessité : « Voyez-vous
ils ont raison les anarchistes, il n'y a pas à semer dans la boue qui
nous étouffe, il faut la balayer au ruisseau. [...] Les jeunes, qu'il
disait, auront la haine du mal, ça vaudra mieux que l'amour du bien qui
ne peut rien »749(*).
La voix narrative dans le roman Le Claque-dents a
pour fonction d'éveiller chez le lecteur la passion
révolutionnaire dont sont empreints les personnages. L'annonce de la
grève générale, et du bouleversement politique et social
qu'elle entraînera, fonctionne comme un leitmotiv dans le roman ;
à partir du seizième chapitre, l'auteur propage sans
relâche que le temps est venu de s'organiser et de se
révolter : « [...] une grève immense
commençait. Tous les syndicats se serraient, sentant la gravité
de la situation, il n'y avait plus à discuter amèrement entre
groupes des points de doctrines (que le lendemain élucidera), mais
à prendre possession du monde »750(*). La narratrice argumente et
prouve que l'ancien monde doit finir (il est d'ailleurs déjà
mort) ; la révolution est en marche : « La
misère montait comme une marée. Le travail était mort, le
crédit était mort, le petit commerce effondré était
tombé dans le prolétariat. La révolte grondait partout en
Europe. L'heure n'était-elle pas venue des transformations ? La
sociale seule était à l'horizon, la république
parlementaire ne pouvant avec des paroles mettre le travail et la vie où
elle n'avait jamais eu que des promesses. [...] La sociale toujours, la sociale
seule se levait. Le temps commençait depuis quelques jours à
s'emplir de brume pour les bandes financières »751(*).
La révolution et le soulèvement populaire
prennent une tournure lyrique, notamment par l'évocation
poétique de la figure christique de Lazare752(*). A la manière de
Victor Hugo dans le poème « Au Peuple »753(*) qu'elle cite, Louise Michel
fait de Lazare la figure du peuple renaissant, en plein sursaut de conscience,
en marche pour se libérer de l'oppression : « On lit,
dans Victor Hugo, la Révolution terrible : qui la touche est
couché à terre. « Le juge, marchand en simarre,/ Vend
la loi !/ Lazare, Lazare, Lazare/ Lève toi ! » Cette
foi Lazare se levait »754(*). Elle esthétise l'insurrection populaire et
lui attribut deux couleurs récurrentes, le rouge et le noir755(*) : « la
grève reprit plus noire sur les pavés
sanglants »756(*). La première est la couleur de la
révolte, de la passion et du sang ; la seconde symbolise la mort,
la tristesse, le désespoir, mais elle représente également
la révolte (devenant la couleur de l'anarchie) :
« Partout c'était la grève, la grève noire, la
grève du désespoir. Là, comme en France, elle luttait
contre le pouvoir agonisant, plus terrible, plus cruel dans son délire
qui ne l'avait jamais été »757(*). Cette foule terrifie dans
le fait qu'elle n'exprime qu'une seule et même volonté, celle de
se venger, elle réclame du sang et rien ne pourra la faire
reculer : « La foule, elle, aux heures terribles, ne
réfléchit plus, elle sent ; des millions de bras saisissent
n'importe qui ayant commis un crime contre elle ; dans des millions de
poitrines gronde la même haine, les tocsins vibrent d'eux-mêmes et
l'homme est lynché avant que ceux qui le font aient eu le temps de
penser à ce qu'ils font. C'est tous et ce n'est personne, c'est la
fatalité des représailles. Qu'importe, puisque notre temps maudit
va finir avec son enchaînement de tortures. Les douleurs qu'on
éprouve, n'est-ce pas la naissance de l'ère nouvelle où
l'homme conscient et libre remplacera le troupeau humain
? »758(*).
La poétisation de la lutte renforce d'une part la
dimension tragique de la révolution - « tentative
désespérée qui aura lieu demain »759(*) -, et d'autre part
opère un glissement du texte vers le registre épique ; ce
sera la lutte ou la mort, et les insurgés scellent leur destin dans un
chant populaire et fédérateur : « Sonnez, sonnez
dans l'air./ Tocsin du siècle de fer/ La grève/ La grève
!/ Compagnes, compagnons/ Debout tous et nous prendrons/ Le monde/ Le monde !/
Plutôt que travailler/ Sans pain et sans s'abriter,/ La tombe,/ La tombe
! »760(*).
Puis, au son du tocsin (« c'est le signal »),
« tous s'arment et s'élancent au dehors »761(*), et le chapitre se termine
sur une tonalité héroïque.
c) Le sacrifice
Le héros romantique, parce qu'il est mal à
l'aise dans le présent historique et social, tente volontiers une fuite
vers l'avant, il préfère se réfugier dans l'avenir, avenir
qui prend alors la forme dramatisée de la mort762(*) : « Marius et
moi nous avons choisi - peut-être qu'elles se feront avant - les noces
rouges où la mort officie »763(*). La métaphore des « noces
rouges » est un leitmotiv ; elle symbolise l'union dans la mort
ou avec la mort, dans une sorte de sacrifice virginal : « il n'y
a pas besoins de préparer de robe blanche : ce sera les noces
rouges. C'était en effet, par le vent qui soufflait, les noces de la
mort qui se préparaient pour eux »764(*) ; « Les rouges
noces de la mort ne sont-elles pas les plus belles ? »765(*). De la sorte, la
romancière associe constamment le rouge et le noir, elle allie la
passion à la lutte766(*), l'amour à la mort - « éros
et thanatos », la pulsion destructrice étant au service de
l'amour. A travers cette union symbolique, le roman acquiert une dimension
tragique, et le pathos est alors mis en scène avec la mort d'une jeune
fille, qui représente l'innocence sacrifiée :
« Enfin le drapeau noir déchiré qui flottait sur leurs
têtes tournoya dans le vent et s'abattit. Celle qui le portait avait
à la poitrine comme une rose rouge qui fleurissait de plus en plus, le
trou d'une balle dont s'échappait le sang vermeil. C'étaient les
noces qu'elle attendait, les noces rouges ; il y eut autour de son corps,
couché dans le drapeau, une vaste hécatombe »767(*). Cet épisode semble
faire échos à celui de la mort de Miette dans La Fortune des
Rougon, dans lequel Zola fait preuve d'un romantisme exubérant et
d'un pathos enflammé, élevant Miette au rang de martyr768(*).
C'est par le sacrifice que le héros romantique
découvre ou conquiert sa grandeur, et accède au sublime769(*). Comme dans le langage
biblique, « contrairement au sens actuel du mot français, le
sacrifice [...] n'est pas un renoncement coûteux mais un
don que l'on présente à Dieu. Le Nouveau Testament
interprète souvent la mort du Christ comme un sacrifice
d'expiation offert en faveur des hommes »770(*), et c'est en ces terme qu'il
faut entendre les sacrifices que font d'eux-mêmes les personnages du
Claque-dents et de La Grève771(*) : « Vive la
mort, si la mort nous délivre »772(*). En effet,
l'intérêt particulier est secondaire face à
l'intérêt général, et par leur sacrifice, ils
tentent de sauver l'humanité : « Me comprends-tu,
père, la cause de l'humanité est avant celle de la famille. Nous
ne l'en aimons que mieux peut-être, la famille. Mais il faut savoir la
sacrifier à la grande famille humaine ! »773(*). A ce stade du roman
(chapitre XXXII), dans cette ultime tentative de conquérir la
liberté, la détermination des insurgés est telle que, soit
ceux-ci triomphent de la tyrannie, soit la mort sera leur
réconfort : « Ils ne pleurent plus leurs morts, car
eux-mêmes vont mourir ou conquérir la liberté du
monde »774(*).
Celle que l'on surnomma la Vierge rouge affiche un goût exacerbé
pour le sacrifice et manifeste à travers sa vie et son oeuvre
« une jouissance de la célébration du tragique,
jouissance extatique et héroïque qui la rapproche des personnages
de légende »775(*). Le don de soi et le supplice trouvent alors leur
finalité dans une sorte d'apothéose révolutionnaire :
« Quelques vivants destinés au billot furent emmenés
vers le palais de justice ; une cour martiale y envoyait à la mort,
entourés d'une pompe lugubre, ceux qui avaient le plus crié vers
la révolte »776(*).
Ainsi, Louise Michel s'inscrit
indéniablement dans la veine romantique et transmet une vision
esthétique de la lutte : « [...] O Révolution !
mère qui nous dévore/ Et que nous adorons, suprême
égalité !/ Prends nos destins brisés pour en faire
une aurore./ Que sur nos morts chéris plane la liberté !/
Quand mai sinistre sonne, éveille-nous encore/ A ta magnifique
clarté ! »777(*). C'est un regard fantastique, empreint de mythologie
et d'imagerie religieuse, qu'elle jette sur le monde ; notre
« prophétesse sociale » transmet une vision
apocalyptique de l'histoire humaine : après la destruction de
l'ancien monde, naîtra la République sociale. L'utopie - entre
rêve et réalité - fonctionne comme la consécration
du processus révolutionnaire, et Louise Michel tente d'aborder les
aspects économiques, sociaux et culturels de la société
nouvelle778(*).
4/ Du vieux monde à « l'aurore
nouvelle » : le triomphe de la République sociale
Le mot « apocalypse » est la
transcription d'un terme grec qui signifie
révélation ; il donne naissance à un genre
littéraire dit apocalyptique, s'apparentant à la
tradition prophétique, et qui se trouve être
« particulièrement vivace en période de crise et dans
les milieux frappés par la persécution »779(*). Louise Michel s'inscrit
dans cette veine, cependant le triomphe ne dépend nullement de la
volonté divine, mais de la détermination humaine. Ainsi, la
dualité du message confère à la révélation
une fonction mobilisatrice : la narratrice libère à la fois
un message pessimiste et alarmiste, en montrant toute la caducité et la
perversion du monde présent, et un message optimiste en proclamant une
libération prochaine, un « salut » imminent.
a) Un discours eschatologique780(*)
De manière prophétique dès les
premières pages du Claque-dents, Louise Michel annonce l'agonie
du « vieux monde » et sa fin proche. Elle revêt
volontiers le rôle de « l'inspiré » ;
elle met en scène un combat manichéen et transmet son message au
moyen « d'images volontiers impressionnantes, paradoxales ou
énigmatiques, empruntées habituellement à la symbolique
des théophanies bibliques, aux représentations religieuses du
monde hellénistique et à la liturgie »781(*). Comme dans l'Apocalypse de
Jean - où le Mal prend la forme d'une bête cornue à
l'appétit féroce782(*), puis celle de deux bêtes démoniaques,
qui ont perverti et assujetti l'homme783(*) - Louise Michel personnifie le système
capitaliste à travers deux figures784(*), l'une étant celle d'un personnage
shakespearien qui a trait au monde de l'argent, et qui est l'avatar du
rapace ; et l'autre est celle d'une figure mythologique laide et
inhumaine, à cornes et à sabots : « Il a, le vieux
monde, le claque-dents de l'agonie ; Shylock et Satyre à
la fois, ses dents ébréchées cherchent les chairs
vives ; ses griffes affolées fouillent, creusent toutes les
misères aiguës, c'est le délire de la
fin »785(*).
Comme dans l'Apocalypse où le vin devient le sang de la terre et des
hommes786(*), le sang
répandu évoque la mort violente787(*), mais il possède également une vertu
purgative et salvatrice dans Le Claque-dents. Par un jeux de mots
satirique qui unit le vin au sang, ce qui nourrissait le
« monstre autoritaire » devient son poison :
« En vain il voudrait pour rajeunir boire à longs traits le
sang des foules, ses pots de vin lui montent à la gorge achevant de
l'étouffer. La débâcle est commencée au petit bruit
sec de l'or, la danse macabre des banques valse autour des dernières
bastilles. Le glas sonne sur toutes les tyrannies »788(*). Le retentissement du glas -
signal sonore sacré annonçant la fin de l'absolutisme et la
libération des peuples - est un leitmotiv important du roman,
également présent dans La Grève789(*). Il fait échos aux
sept trompettes de l'Apocalypse, qui annoncent tour à tour la
destruction du monde par le feu, par le sang, par les eaux, par les sauterelles
etc.790(*), et enfin, le
triomphe du royaume de Dieu791(*).
Louise Michel confère au mouvement prolétaire
et à la grève générale en marche, une dimension
inquiétante et chaotique, voire fantastique ; cette marrée
humaine rasera tout et ne laissera rien : « c'est que noire et
sinistre aussi était la grève qui montait de tous les points de
l'horizon. Toutes les misères débordaient, rien, plus rien n'y
pouvait faire. Est-ce qu'on guérit les morts ? Tous les despotismes
aussi étaient morts ; en les galvanisant il y avait peut-être
moyen que la débâcle tarda un peu. Après nous le
déluge : tel est le refrain que, depuis le commencement des
civilisations, ont répété tous les pouvoirs, et plus
ça change pire c'est. Cette fois-là c'était
terrible ! les misères, hurlant, comme des louves avec leurs petits
affamés montaient à l'assaut »792(*). Certes, le monde libre et
harmonieux est en germe (« Quand la liberté prendra le monde,
quand l'harmonie humaine essaiera ses premiers accords, certains nieront
jusqu'à ce qu'ils soient pris eux-mêmes comme
dissonance »), mais pour l'instant c'est un spectacle, à la
fois beau et terrible, - mêlant la fatalité, l'affolement du
pouvoir et le délire de la mort793(*) - qui se joue : « On en était
là, les nations étaient remuées comme des
fourmilières en péril. De quelques millions d'années
jusqu'à ce que le monde qui germe ait vieilli, on ne verra pareille
tourmente, le spectacle vaut la peine d'être regardé. C'est
là que nous en sommes. Si grandiose était le spectacle, si large
l'horizon, que les gens de pouvoir affolés ne prenaient plus la peine de
couvrir leurs immondices. Dans ce gâchis, comme dans une forêt
vierge, fauves et reptiles se croyaient à l'abri, tandis que les
bûcherons ouvraient les chemins »794(*). Et à l'annonce de ce
ras de marée humain qui engloutira tout, les rapaces sont gagnés
par une terrible folie ; Sylvestre fait des cauchemars horriblement
grotesques et Stéphane est « pris à cette époque
d'une fièvre cérébrale venue non pas des remords mais de
la crainte instinctive de quelque chose dans l'ombre qui va nous atteindre et
que nous ne pouvons voir.[...] Stéphane, enveloppé par les
souvenirs, apeuré par la grève qui se faisait universelle,
laiss[e] flotter sa pensée éperdue. Il lui sembl[e] être
porté par les flots d'une mer agitée [...] ; sa
pensée, son intelligence s[e sont] murées dans cette
épouvantable impression devenue toute physique, sa volonté
l'abandonn[e], il dor[t] presque continuellement dans ce cauchemar
annihilant »795(*).
b) Les métaphores biologiques et
écologiques
La métaphore de l'arbre
Louise Michel compare très régulièrement
la société humaine à la société animale,
mais elle use aussi très souvent de la métaphore de l'arbre pour
évoquer la vieille société humaine. En effet, l'arbre
symbolise la grandeur déchue et dépouillée (« Un
bruit sourd, un nuage de poussière et tout était fini ; le
grand arbre n'était plus qu'un petit tas de poussière dans
laquelle s'agitait désespérément des insectes d'une autre
époque, mille-pieds énormes, araignées velues, punaises
chamarrées »796(*)), par opposition à la grandeur et à la
force de vie qu'il pouvait représenter797(*), ce qui accentue la situation tragique de cette
« misérable » humanité. L'image de l'arbre
pourrissant représentant une humanité moribonde est un motif
récurrent dans l'écriture apocalyptique de Louise Michel, le
texte L'ère nouvelle débute ainsi :
« Pareil à la sève d'avril, le sang monte au renouveau
séculaire dans le vieil arbre humain (le vieil arbre de
misère) »798(*). Ce leitmotiv justifie le besoin imminent de
renouveau : « Ainsi nous habitons le vieil arbre social, que l'on
s'entête à croire bien vivant, tandis que le moindre souffle
l'anéantira et en dispersera les cendres. Nul être
n'échappe aux transformations qui, au bout de quelques années,
l'ont changé jusqu'à la dernière parcelle. Puis vient la
Révolution qui secoue tout cela dans ses tempêtes. C'est là
que nous en sommes ! »799(*).
Une vision cyclique
A l'image de la nature et des saisons, Louise Michel transmet
une vision cyclique de l'homme et de l'humanité toute entière,
elle loue sa capacité à mourir pour mieux renaître, et
admire son potentiel de résurrection : « Est-ce que les
peuples ne sont pas taillés comme des moissons ? En taillant les
chaumes, on secoue le grain sur la terre pour le printemps
séculaire ; chaque goutte de sang des croisements humains bout dans
nos veines ; c'est dans cette tourmente que viendra le renouveau. Si la
Révolution qui gronde sous la terre laissait quelque chose du vieux
monde, ce serait toujours à recommencer ! Elle s'en ira donc pour
toujours, la vielle peau de la chrysalide humaine. Il faut que le papillon
déploie ses ailes, qu'il sorte saignant de sa prison ou qu'il
crève. »800(*). Certes, l'humanité accédera à
la lumière, et l'auteure célèbre sa naissance à
venir (« Salut à la race du sang chaud et vermeil en qui tout
sera justice, harmonie, force et lumière ! »801(*)), mais cela se fera dans la
souffrance et le sang : « La chrysalide humaine, toute sanglante
s'arrache à la tombe avec des lambeaux de chair, elle déchire les
liens qui l'enchaînait »802(*).
Ainsi, Louise Michel ne cesse d'annoncer la venue d'un
« printemps nouveau »803(*) symbole de la renaissance, dont la sève
(comme le sang) est régénératrice : « En
germinal, les brises chantent, agitant de leurs douces haleines l'herbe pleine
de fleurs. [...] Bientôt s'empliront de vie les nids dans les bois. Ainsi
nous touchons à Germinal, à la fin de notre hiver
séculaire »804(*). La référence à
« germinal »805(*) est un leitmotiv symbolisant le printemps et donc
une période de germination après l'« hiver
séculaire »806(*) ; bien qu'il dure depuis des siècles, ce
monde fait de ténèbres disparaîtra incessamment sous
peu : « Ses provocations, ses cruautés incessantes, ses
complots usés, tout cela n'y fera rien ; c'est l'hiver
séculaire, il faut que ce monde maudit s'en aille : voici le
printemps où la race humaine préparera le nid de ses petits, plus
malheureux jusqu'à présent que ceux des
bêtes »807(*). Ainsi, le motif du printemps et de la germination
est très largement utilisé et repris par Louise Michel pour
affirmer le triomphe de l'humanité, et traduit une vision utopiste de
l'Histoire : « la Révolution [qui] sera la floraison de
l'humanité comme l'amour est la floraison du coeur. Ceux-là qui y
seront, marcheront dans l'épopée et, seuls sauront la dire, car
ils l'auront faite »808(*).
c) Le triomphe de l'utopie : la République
Sociale
Après la terrible bataille qui oppose les
révolutionnaires à « l'armée de
l'ordre », Le Claque-dents s'achève par le triomphe
de la République sociale. L'ère nouvelle si souvent promise est
enfin atteinte et, partout dans le monde, les hommes fêtent
l'humanité libre, ce sont « les lendemains qui
chantent » : « Tout à coup, la ville s'emplit
de bruits, de chants, de cris de douleur aussi vers ceux qui ne verraient pas
se lever l'aube splendide et terrible. Eléazar entendait des millions de
voix criant : Vive la Sociale ! Vive la Sociale du monde. La terre
était libre. [...] En France aussi, partout la terre était
libre »809(*).
Dans ces dernières pages, Louise Michel n'a de cesse de
réaffirmer la victoire de la révolution libertaire, la terre et
l'humanité ont été purgées et sont à
présent purifiées : « C'était bien la
République Sociale du monde, du genre humain : la terre respirait
comme lavée par l'orage, un échelon était monté
dans l'humanité. Il n'y avait plus qu'à enfouir le cadavre du
vieux monde en donnant jour au nouveau »810(*) ; ce qui paraissait
stérile devient fertile (« le désert lui-même
s'éveillait »). L'homme peut alors se consacrer à
l'élévation d'un nouveau monde et Louise Michel dépeint
avec précision, dans ses composantes sociales, économiques et
culturelles, cette société utopique.
Déplacement, métissage et
prolifération des hommes
L'homme de la fin du XXe siècle, dans la
dernière nouvelle des Crimes de l'époque, n'a plus peur
du reste du monde et se sent davantage habitant de la terre que citoyen d'un
seul état ; il quitte l'Europe, vieux continent perçu comme
figé et étriqué811(*), pour s'établir et bâtir de nouvelles
villes de par le monde : « partout s'élevaient de
nouvelles villes, grandissaient de jeunes peuples, se retrempaient les
anciennes races »812(*). Loin d'inférioriser l'homme indigène
- « l'homme primitif pire que la bête presque autant que
l'homme civilisé »813(*) - Louise Michel prône le métissage des
peuples afin de faire naître une humanité supérieure,
« une population splendide, ayant la haute et droite stature du
sauvage, l'intelligence facile de l'Européen »814(*). Comme l'homme, la nature
subit elle aussi un métissage pour donner naissance à une nature
davantage variée et luxuriante, permettant de répondre aux
besoins d'une humanité à la démographie croissante :
« Les plaines regorgeaient de végétaux
indigènes, mêlés à ceux qu'on avait importés
du midi de l'Europe, de l'Afrique et des régions chaudes de
l'Amérique et de l'Asie »815(*). Anti-impérialiste, Louise Michel fait
l'apologie de la rencontre entre les peuples, qui peuvent vivre en bonne
entente et apprendre les uns des autres (à l'opposé d'une vision
européenne et colonialiste). Elle voit dans l'état de nature, un
lieu de manifestation spontanée de l'anarchie : « [le
capitaine Jack et ses compagnons] avaient rencontré, parmi les tribus
agressives vivant de pillage et de guerre, des hommes capables de commencer un
monde de paix, d'égalité, d'harmonie, et tout simplement comme
vient l'hirondelle à travers le printemps, Jack ne sachant pas un mot de
socialisme, encore bien moins d'anarchie, ils en étaient arrivés
à la vie harmonique dans l'humanité libre »816(*). Ainsi, Louise Michel
prône l'harmonie et la fraternité entre les peuples, et imagine un
seul peuple universel parlant la même langue ; elle accomplit le
processus inverse de la tour de Babel817(*), au lieu de multiplier les langues et de disperser
les hommes, elle fond « tous les dialectes de l'Europe, du monde
[...] en une seule langue magnifique et claire »818(*).
Le retour à la nature
Louise Michel prône le retour de l'homme à son
état originel819(*) et abolit toute notion de propriété
privée820(*) et
d'argent, puisque la nature répond largement aux besoins des hommes.
C'est un véritable pays de Cocagne qui est peint dans « Le
Vieil Abraël » : « Les gorges profondes des
montagnes abritaient d'immenses cultures. [...] Sur les hauteurs blanchissaient
la neige du coton, aux cocons entr'ouverts. Les grappes du riz se
balançaient dans les marais. Le ricin étalait ses larges feuilles
et ses crêtes rouges sur les rocs presque nus »821(*). L'Europe est
désignée comme en contradiction avec l'homme et la nature, car
trop industrialisée, institutionnalisée822(*) et policée, elle est
névrosé et néfaste : « partout c'est
l'ère nouvelle. N'est-ce pas compagnon, que la France est trop petite,
l'Europe pas assez grande, le monde trop restreint pour l'aurore qui se
lève ? Est-ce qu'il y a des bornes à l'infini, à la
pensée humaine, au progrès, à rien dans l'univers
où s'en vont sans fin les transformations ? »823(*).
Dans sa vision de la société idéale,
Louise Michel préconise un retour à la nature et propose
d'associer le savoir des anciens824(*) aux connaissances actuelles et futures en matière
de sciences et techniques : « riche de la science du
passé et de la science de l'avenir, la ville [est] superbe de force,
d'art, de merveilles »825(*). Elle recommande l'utilisation de techniques modernes pour
contrôler la nature, tout en la respectant, dans le but
d'améliorer l'existence humaine : « En Afrique, les
sables avaient fait place à une vaste mer, reversée
artificiellement dans son lit primitif et qui rafraîchissait l'air,
l'emplissait de vie, au lieu d'y répandre des souffles
desséchants ; des canaux l'unissaient au grand
Océan »826(*). La
terre est riche en ressources et l'homme doit apprendre à les
maîtriser pour les utiliser : « Nul travail n'était
pénible ; les noirs comme les blancs se servaient, comme on se sert
d'outils, des forces de la nature. L'électricité, le
magnétisme, tout cela était d'un usage aussi
général dans le monde que le feu à notre
époque »827(*).
Le progrès technique et le progrès
intellectuel de l'homme
Nullement contre le progrès technique et scientifique,
Louise Michel pense que la machine doit améliorer l'existence humaine.
Elle devrait soulager le travailleur de son fardeau, au lieu de l'assujettir -
comme c'est généralement le cas dans une économie
capitaliste, où seuls le rendement et le profit incombent :
« Des routes ouvertes dans les forêts pour les travailleurs des
bois ; des habitations en coupaient les solitudes ; sur les rives de
Dumbea des moulins à vapeur. Partout quelques essais de machines mues
par l'électricité, afin de donner plus de temps et moins de
fatigue »828(*). Elle combat le caractère aliénant du
travail en permettant aux travailleurs, grâce aux machines, de disposer
de temps pour s'instruire et ainsi faire naître une « race
humaine » éclairée et intelligente :
« Le temps où le travail ferait vivre le monde au lieu de le
faire mourir, le temps où le machinisme abrégerait même ce
travail jusqu'à laisser plus de temps pour l'intelligence que pour les
bras »829(*).
Comme le Vieil Abraël enseignant aux
« naturels » la culture du ricin dans la nouvelle
éponyme830(*),
Louise Michel prône une fusion des savoirs et des techniques pour un
progrès collectif et universel (il n'y a plus en effet d'enjeux
nationaux ou patriotiques, puisque toutes les nations et les frontières
ont été abolies) ; l'homme est à présent plus
humain et moins bestial : « Les arts, les sciences appartenaient
à tous et comme on pouvait prendre des plaisirs humains, ceux des
bêtes n'appartenaient plus à l'homme »831(*). Ainsi, grâce à
l'apprentissage et au savoir, grâce à la disparition de l'argent
et de la propriété, il n'y a plus de criminalité, car tout
ce qui était source d'inégalités a complètement
disparu : « Depuis longtemps, il n'arrivait plus de nouveaux
condamnés du pays des blancs832(*), l'ignorance ayant partout disparu, le mal ne se
commettait que comme accident et tendait à devenir
phénomène. L'Europe avait
évolué »833(*). Cependant, bien que l'auteure témoigne d'une
grande foi dans le progrès humain, elle est consciente que cette
évolution demande beaucoup de temps : « Tout cela
était primitif encore, car les commencements dataient à peine
d'un siècle, pas même une goutte d'eau dans l'océan des
âges »834(*).
***
Bien qu'elle s'inspire des différentes traditions du
récit utopique835(*), en puisant à la fois dans l'antiquité
et dans le merveilleux chrétien836(*), l'utopie de Louise Michel s'éloigne de la
fable, afin de proposer de réels changements de
société : « L'Utopie n'est alors plus tant une
affaire de lieu que de temps : inspirée par le rôle des
hommes dans le cours de l'histoire, démontrée par les
révolutions, par les nouvelles philosophies de l'histoire de Hegel,
Comte ou Marx, elle se propose de penser rationnellement le temps de
l'histoire, laquelle a un sens : guidé par l'Esprit, la Raison, le
Progrès, ou le statut scientifique de l'Histoire elle-même,
l'avenir peut-être anticipé. L'utopie n'est plus une fable ou une
prophétie, mais une littérature »837(*). En effet, c'est dans cette
perspective historique et scientifique que Louise Michel envisage le
progrès humain, et c'est en ça que Roger Bozzetto affirme que
nous assistons avec Le Monde nouveau838(*) et L'Ère nouvelle à un
renouvellement du genre de l'utopie839(*) : « Les arts seront pour tous ;
la puissance de l'harmonie des couleurs, la grandeur sculpturale du marbre,
tout cela appartiendra à la race humaine. [...] Allons, allons, l'art
pour tous, la science pour tous, le pain pour tous ; l'ignorance
n'a-t-elle pas fait assez de mal, et le privilège du savoir n'est-il pas
plus terrible que celui de l'or. Les arts font partie des revendications
humaines, il les faut à tous ; et alors seulement le troupeau
humain sera la race humaine »840(*).
CONCLUSION
Tout comme sa vie, l'oeuvre de Louise Michel fut
dédiée à la cause révolutionnaire, à
l'aménagement d'une société plus juste et
l'élaboration d'un monde meilleur. Son écriture propagandiste
investit tous les genres (poésie, théâtre, roman, nouvelle,
essai) et revêt toute une panoplie de styles et de tons :
humoristique, ironique, grotesque, burlesque, satirique, moqueur,
pathétique, tragique, épique, etc. Ses personnages, héros
positifs et sublimes, portent ses idéaux et aspirations, et comme eux
Louise Michel croit en cette utopie ; elle a foi en l'intelligence humaine
et, à l'aube du XXe siècle, tous les espoirs sont
tournés vers cette ère nouvelle : « nous marchons
à pas de géant vers un monde nouveau et meilleur. [...] Chaque
jour nous apporte une merveille de plus et lève un coin du voile qui
nous permet d'entrevoir dans le lointain Éden où les hommes
seront heureux. Oui le XXe siècle verra disparaître la
cruauté, la haine, les horreurs de la guerre. Des colonies libres se
fondent déjà en Amérique, en Afrique, en Angleterre
même... »841(*). Idéaliste, celle que l'on traita de folle se
défend car il faut des rêveurs, ce sont eux qui prépareront
l'humanité de demain : « Mon idéal était
vingt ans et même bien avant longtemps auparavant ce qu'il est
aujourd'hui : l'humanité haute et libre sur la terre libre. [...] A
chaque étape de la pensée humaine naîtra un idéal
nouveau sitôt qu'est éteint celui qu'on traite d'utopie à
l'étape précédente »842(*). Se
dépossédant d'elle-même, Louise Michel s'est
entièrement donnée à la lutte : « Je ne
m'appartiens pas. J'appartiens à la Révolution sociale. Je vais
où il faut... »843(*). Jusqu'à sa mort, elle attendit la
grève générale qui devait faire basculer le vieux
monde : « je ne m'arrêterais plus maintenant, dit-elle
à Girault, qui l'a accompagnée à Londres [(en 1903)].
J'irai jusqu'au jour de la dernière grève qui libérera le
monde »844(*).
Louise Michel est avant tout une femme d'action, une
combattante, avant d'être une poétesse845(*). C'est à la
lumière de cet engagement politique qu'il faut considérer cette
production, car comme l'affirme Daniel Armogathe, « il serait plus
juste de voir en Louise Michel une militante pour qui la littérature
constitue une possibilité de vibration interne supplémentaire et
simultanée par rapport à l'investissement révolutionnaire,
qu'elle tournait vers l'extérieur »846(*). Artiste
révolutionnaire, Louise Michel transmet une vision
idéalisée, fantasmée et romantique de la lutte, en faisant
converger l'art vers l'action politique : « La Révolution
se levait ! à quoi bon les drames ? Le vrai drame était
dans la rue ; à quoi bon les orchestres ? Nous avions les
cuivres et les canons »847(*). Pour la « Vierge rouge », l'art
et la lutte sont au coeur de son existence, et elle fait de sa vie,
déjà tellement romanesque, une oeuvre d'art :
« Mais prose, vers et motifs s'en allaient au vent ; nous
sentions tout près le souffle du drame dans la rue, le vrai drame, celui
de l'humanité ; les bardits chantaient l'épopée
nouvelle, il n'y avait plus de place pour autre chose »848(*). Déjà de son
vivant, mais bien plus encore à sa mort, Louise Michel s'est
élevée au rang de personnage de légende.
BIBLIOGRAPHIE
l Corpus
- Les Contes et légendes pour les enfants,
illustré par l'auteur, et publié chez Kéva et Cie (Paris)
en 1884.
- Les Crimes de l'époque, paru chez N.
Blanpain (Paris) en 1888 et réédité chez Plasma (coll.
« Les feuilles vives ») en 1980.
- La Grève, 1890 dans Au temps de
l'anarchie, un théâtre de combat, 1880-1914, éd.
Séguier-Archimbaud, Paris, 2001.
- Le Claque-dents, publié posthume chez Dentu
(Paris), et réédité chez Plasma (coll. « Les
feuilles vives ») en 1980.
l Autres oeuvres de Louise Michel
mentionnées
- L'Ère nouvelle, Bibliothèque
ouvrière cosmopolite ; source :
http://abu.cnam.fr/cgi-bin/go?erenouv1 ; copistes : A. et P. Oudet,
d'après l'édition de 1887.
- Histoire de ma vie, seconde et
troisième partie (1904), dans Mémoires,
éd. Tribord, Bruxelles, 2005.
- Je vous écris de ma nuit, correspondance
générale 1850-1904, établie et présentée par
Xavière Guathier, Les Éditions de Paris, Paris, 1999.
- Le Livre du bagne, précédé de
Lueurs dans l'ombre, plus d'idiots, plus de fous, et du Livre
d'Hermann, PUL, Lyon, 2001.
- Mémoires (1886), éd. La
Découverte, 2002
- Nadine, en collaboration avec Jean Winter, 1882.
- Trois romans, Les Microbes humains, Le Monde
nouveau, Le Claque-dents, Presses Universitaires de Lyon, 2013,
présentés par Claude Rétat et Stéphane
Zékian
l Ouvrages divers
- Arvon, Henri, L'anarchisme, Presses Universitaires
de France, coll. Que sais-je ?, 1977.
- Aubrit, J.-P., Le Conte et la Nouvelle, éd.
Armand Colin, Paris, 2002.
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Littérature, Histoire et Mouvement ouvrier, Les Éditions de
l'Atelier/Éditions Ouvrières, Paris, 2002.
- Brunel, P., Dictionnaire des mythes
littéraires, éd. du Rocher, 1989.
- Chevalier, Louis, Classes laborieuses et classes
dangereuses, Hachette/Pluriel, Paris, 1984.
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symboles, Robert Lafont / Jupiter, Paris, 1982.
- Chevrel, Yves, Le naturalisme, étude d'un
mouvement littéraire international, PUF, Paris, 1982.
- Christen, Yves, Le dossier Darwin, éd.
Copernic, Paris, 1982.
- Desmeule, G., La littérature fantastique et le
spectre de l'humour, éd. L'instant même, Québec,
1997.
- Ebstein J., Ivernel P., Surel-Tupin M., et Thomas S., Au
temps de l'anarchie, un théâtre de combat, 1880-1914,
éd. Séguier-Archimbaud, Paris, 2001.
- Franco, Bernard, Le Héros et l'Histoire,
Champion, Paris, 1999.
- Grave, Jean, Quarante ans de propagande anarchiste,
1880-1914, (sous la dir. de) Mireille Delfau. Flammarion, 1973.
- Dominique Kalifa, Les Bas-fonds, Histoire d'un
imaginaire, Editions du Seuil, 2013.
- Malrieu, Joël, Le Fantastique, éd.
Hachette Supérieur, Paris 1992.
- Préposiet, Jean, Histoire de l'Anarchisme,
éd. Tallandier, Paris, 2002-2005.
- Reclus, Élisée, l'Anarchie,
éd. du Sextant, Paris, 2006, conférence prononcée le 18
juin 1894 devant les franc-maçons de la Loge « Les Amis
Philanthropes » de Bruxelles ; ce texte a été rendu
public lors du colloque sur E. Reclus, à Bruxelles, en février
1985
- Sabbah, Hélène, Le Héros
Romantique, thèmes et questions d'ensemble, Hatier, Paris, 1989.
- Simonsen, Michèle, Le Conte populaire,
Presses Universitaires de France, Paris, 1984.
- Tillier, Bertrand, L'animal en politique,
éd. l'Harmattan, 2003.
- La Bible, l'Ancien Testament et le Nouveau
Testament, Le Livre de Poche, Alliance Biblique Universelle - Le Cerf,
Paris, 1988.
- Dictionnaire de l'argot, Larousse, 1990.
- Exposition « Utopie, la quête de la
société idéale en Occident » à la
Bibliothèque nationale de France d'avril à juillet 2000 ;
livre-catalogue Utopie, la quête de la société
idéale en Occident, Tower Sargent L. et Schaer R. (dir.), Paris,
BNF/Fayard, 2000. L'exposition est ensuite partie à la New York Public
Library.
* 1 Cf. Louise Michel,
extrait des Mémoires, dans Xavière Gauthier,
L'insoumise, biographie romancée de Louise Michel, éd.
Manya, Levallois-Perret, 1990, p. 17.
* 2 Louise Michel,
Mémoires, éd. La Découverte, 2002,
« Préface à l'édition de 1886 », p.
7.
* 3 Édith Thomas,
Louise Michel ou la Velléda de l'anarchie, Gallimard, 1971,
Introduction : « Qu'il s'agisse de sainte Thérèse de
Lisieux, de Bernadette de Soubirous, ou de Louise Michel, l'hagiographie est
toujours un genre niais. Les révolutionnaires présentent les
mêmes défauts - et aussi les mêmes vertus - que les
fidèles de toutes les religions. C'est que la foi, quelle que soit sa
nature, et toujours dans un noble but d'édification, exclut le plus
souvent l'esprit critique. [...] Les révolutionnaires notoires ont
été victimes du même traitement », p. 9.
* 4 Ernest Girault, La
Bonne Louise, Bibliothèque des auteurs modernes, 1906 ; Anne
Sizaire, Louise Michel : l'absolu de la
générosité, éd. Desclée de Brouwer,
1995 ; Irma Boyer, la Vierge rouge, éd. André Delpeuch,
1927.
* 5 Fernand Planche, La Vie
ardente et intrépide de Louise Michel, éd. Tops, 1946.
* 6 Cf. Louise Michel,
extrait des Mémoires, dans Xavière Gauthier,
op. cit, L'insoumise : « Pendant la Commune, j'ai
décidé de vider de son sang ce monstre de Thiers ; je voulais
donner ma vie ; [...] J'ai nargué les bourreaux versaillais qui me
mettaient en joue. J'ai défié les membres du conseil de guerre,
réclamé la mort à grands cris : ils ont refusé et
m'ont déporté. Là-bas, en Nouvelle-Calédonie, [...]
j'ai aidé mes amis canaques à se soulever. [...] A mon retour en
France, on a essayé de m'empoisonner, de faire dérailler mon
train, un Breton m'a tiré dans la tête [...] Eh bien, je suis
toujours là. Je suis une vieille femme, usée, fatiguée,
malade, mais je suis toujours là », p. 15.
* 7 Ibid., p.
19.
* 8 P. Verlaine,
« Ballade en l'honneur de Louise Michel » ; V. Hugo,
« Viro Major », déc. 1871.
* 9 Cf. Louise Michel,
extrait des Mémoires, dans Xavière Gauthier,
op. cit, L'insoumise, p. 17.
* 10 Louise Michel, op.
cit., Mémoires, « Il n'y a pas d'héroïsme, il
n'y a que le devoir et la passion révolutionnaires dont il ne faut pas
plus faire une vertu qu'on n'en ferait une de l'amour ou du
fanatisme. », Part. II, p. 191.
* 11 Ibid., Part.
I, p. 17.
* 12 Ibid., Part. II,
p. 294.
* 13 Ibid., Part. II,
p. 200.
* 14 Ibid., Part. I,
p. 47 ; « étendons toujours le cadavre avant de le
fouiller », Part. II, p.155.
* 15 cf. V. Hugo, Les
Misérables, 1862 ; Enjolras est le chef charismatique des Amis de
l'A B C, coterie révolutionnaire aux accents républicains et
bonapartistes que fréquente succinctement Marius. Il participe notamment
à l'émeute parisienne de juin 1832. dans Part. IV, Chap. 16,
« Enjolras ».
* 16 Louise Michel, op.
cit., Mémoires, Part. I, p. 17.
* 17 dans Louise Michel,
A travers la vie, Maspero, 1982, Daniel Armogathe regrette que
« la Vierge rouge » ait eu des biographes, « mais
pas de vrais critiques », p. 9.
* 18 Source : Bnf ; cote :
NUMM -82320 ; (gallica2.bnf.fr).
* 19 Paru chez J. Brave
(Paris) en 1872.
* 20 Dans Au temps de
l'anarchie, un théâtre de combat, 1880-1914, Textes choisis,
établis et présentés par Jonny Ebstein, Philippe Ivernel,
Monique Surel-Tupin et Sylvie Thomas, éd. Séguier-Archimbaud,
Paris, 2001
* 21 Louise Michel,
L'ère nouvelle, 1887 ;
http://abu.cnam.fr/cgi-bin/go?erenouv1,
copistes : A. et P. Oudet, d'après l'édition de 1887, chap. I.
* 22 Conformément
à l'étymologie du terme nouvelle (du lat.
novellus, lui-même dérivé de novus :
« nouveau »).
* 23 J.-P. Aubrit, Le
Conte et la Nouvelle, éd. Armand Colin, Paris, 2002, p.15.
* 24 Louis Chevalier,
Classes laborieuses et classes dangereuses, Hachette/Pluriel, Paris,
1984 : « Nous voilà donc revenus aux jours heureux du
Moyen-Âge, alors que les rues étaient désertes et sombres,
écrit le 21 décembre 1843, le vicomte de Launay dans ses
Lettres parisiennes. On entend parler depuis un mois, que d'attaques
nocturnes, de guet-apens, de vols audacieux... Ce qu'il y a d'effrayant dans
ces attaques nocturnes, c'est la noble impartialité des
assaillants : ils frappent également le riche et le pauvre... ils
vous tuent d'abord, quitte à se tromper et ils s'inquiètent peu
de leur erreur. Autrefois la misère avait au moins ce privilège,
la sécurité ; elle ne le possède plus », p.
36.
* 25 Les Crimes de
l'époque, « Le Beau Raymond », p. 97.
* 26 Louis Chevalier, op.
cit. Classes laborieuses et Classes dangereuses : Louis Chevalier
observe que le nouvelliste n'a de cesse de tirer ses anecdotes de
l'actualité, et la Gazette des tribunaux est une
« mine dans laquelle romanciers et chroniqueurs puis[ent] la plupart
de leurs sujets. [...] Il est peut-être plus important de souligner que
ce journal contribua largement à développer la psychose du
crime ». p. 41.
* 27 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 11.
* 28 M. Surel-Tupin, dans
Au temps de l'anarchie, un théâtre de combat, 1880-1914,
éd. Séguier-Archimbaud, Paris, 2001, définit ce roman
feuilleton ainsi : « sept cents pages aux rebondissements palpitants
autant qu'inattendus sur fond de neige, de sang, de débauche, de
beuveries, de tortures, tandis que courent des hordes de loups et des troupeaux
de rats. Mais l'intrigue fait irruption dans une actualité
brûlante, hautement politique, étant donné qu'elle
s'organise autour de Bakounine, ce héros de la révolte, ici
aimé de deux femmes : la pure Nadine et la traîtresse
Sophia », p. 14.
* 29 Les Crimes de
l'époque, « Les Rapaces », p. 71 ; dans
Classes laborieuses et Classes dangereuses, une note précise
que « nombreux, en effet, sont les exemples empruntés à
la presse ou à la presse judiciaire [...] Nombreux sont également
les exemples de l'exploitation des enfants par leurs parents, ou par des
étrangers auxquels leurs parents les ont loués », note
1 p. 217.
* 30 Les Crimes de
l'époque, « Les Vampires », p. 86.
* 31 Dans Les Grandes
Affaires criminelles de France, éd. De Borée (2008), Sylvain
Larue remarque que « Face à un tel crime, les plus hautes
instances de l'État ne demeurent pas indifférentes. Lors d'un
entretien le jour même avec le ministre de l'Intérieur, le chef de
la Sûreté, M. Antoine Claude, comprend clairement que sa place est
compromise s'il n'obtient pas des résultats, et vite ! Dans cette France
où peu à peu un vent de révolte souffle contre la famille
impériale, prendre cette enquête à la légère,
c'est s'exposer à une violente campagne de presse de la part des
adversaires de Napoléon III. », p.60 ; « Au
terme de quatre jours d'audience, Jean-Baptiste Troppmann est
condamné à mort. On n'a pas perdu de temps pour le
juger ; on ne va sûrement pas en perdre pour
l'exécuter. », p. 80.
* 32 Pourtant le ministre de
l'intérieur, lui-même, partage ses doutes dans ses mémoires
douze ans plus tard. Il pense que le meurtre des Kinck n'est rien d'autre qu'un
camouflage pour une affaire d'espionnage. Les témoins, vus avec
l'accusé, n'ont jamais été interrogés et
« [...] on imagine mal quelqu'un tuer huit personnes pour 5 500
francs... », Ibid., p. 79.
* 33 Les Crimes de
l'époque, « Les Vampires », p. 86.
* 34 op. cit., Le
Conte et la Nouvelle, p. 112.
* 35 Ibid., p. 60.
* 36 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 23.
* 37 Louis Chevalier,
op. cit. Classes laborieuses et classes dangereuses, p.
656.
* 38 op. cit.,
Le Conte et la Nouvelle, p. 64, « La nouvelle
est-elle autre chose qu'un événement inouï et qui a eut
lieu ? », demande Goethe dans Entretiens avec Eckermann
(25/01/1827), p.65.
* 39 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 35.
* 40 op. cit., Le
Conte et la Nouvelle, p. 65-66.
* 41 Le Claque-dents,
p. 128.
* 42 Ibid., p.
260.
* 43 Les Crimes de
l'époque, « Première et dernières
amours », p. 15.
* 44 Le
Claque-dents : Hermann est conduit au dépôt, p. 19.
* 45 Ibid., p. 65.
* 46 Ibid., p.
74-75.
* 47 E. Sue, Les
Mystères de Paris, cf. Part. V, chap. VI
« Saint-Lazare » et Part. VIII ; L. Michel et M. Tinayre,
La Misère, chap. intitulés « Au
dépôt », « Au cachot »,
« Saint-Lazare »...
* 48 Le Claque-dents,
p. 21.
* 49 L'effet
personnage de Vincent Jouve, PUF, 1992.
* 50 Maurice Tournier,
« Le bestiaire anarchiste à la fin du XIXe
siècle », dans Bertrand Tillier, L'animal en
politique, éd. l'Harmattan, 2003. Au même titre que
« vautours » et « vampires »,
« rapaces » est un terme péjoratif issu du lexique
anarchiste pour désigner les bourgeois, les patrons, les capitalistes,
il s'agit toujours des exploiteurs ; ce vocabulaire met en relief la didactique
de la lutte des classes. (p. 218 et 230).
* 51 Les Crimes de
l'époque, « Les Rapaces », p. 39.
* 52 Ibid., p.
41.
* 53 Les Crimes de
l'époque, p. 40 ; Le Claque-dents, p. 59 ; ces deux
femmes habitent rue de Rennes.
* 54 Le
Claque-dents, p. 48.
* 55 Ibid.,
« Si vous le voulez, elle vous sera remise quoique le
procès soit commencé et quelque explication habile sera
donnée au public. », p. 51.
* 56 Ibid., p. 50.
* 57 Le Claque-dents,
p. 33.
* 58 Shylock est l'un des
protagonistes du Marchand de Venise (1594-1597) de Shakespeare. C'est
un riche usurier juif qui exige « une livre de
chair » du personnage principal en cas de non-paiement.
* 59 Le Claque-dents,
p. 34.
* 60 George Orwell,
1984, Folio, 1950, « De tous les carrefours importants, le
visage à la moustache noire vous fixait du regard. Il y en avait sur le
mur d'en face. BIG BROTHER VOUS REGARDE, répétait la
légende, tandis que le regard des yeux noirs pénétraient
les yeux de Winston. », p. 12-13.
* 61 Le Claque-dents,
p. 118.
* 62 Monique Surel-Tupin,
op. cit., Au temps de l'anarchie, préface de La
Grève de Louise Michel, t. II, p. 142.
* 63 Le Claque-dents,
p. 50.
* 64 op. cit.,
préface de La Grève, p. 142.
* 65 Louise Michel,
Histoire de ma vie, seconde et troisième partie, dans
Mémoires, éd. Tribord, Bruxelles, 2005 ; Part. II, chap.
XII « Vipères » : « Ils n'ont
survécu à la ruine de leur nation que parce qu'ils ont
été repoussés de partout, ou en beaucoup d'endroits
massacrés, depuis dix huit siècles ; ils devinrent tenaces
à la vie et pour amasser les rançons qu'on exigeait d'eux, ils
surent manier la seule chose qu'on leur laissait : la finance. Mais est-ce que
le prolétariat juif n'est pas comme tous les autres prolétariats
? Est-ce que la fiance qui compose l'internationale de l'or n'appartient pas
à toutes les religions ? », p. 514.
* 66 Le Claque-dents,
p. 167.
* 67 Karl Marx, La
question juive (Zur Judenfrage), (1843), qui est une
réponse au livre éponyme de Bruno Bauer, dans laquelle Marx
définit les Juifs par leur religion qu'il identifie au culte pratique de
l'argent ; pour lui, judaïsme et bourgeoisie sont équivalents,
d'où découle le devoir de supprimer le judaïsme, ainsi que
toutes les religions, afin d'émanciper les peuples.
* 68 Le
Claque-dents :« Alors, sur la terre lavée des
infamies capitalistes, se dresseront libres le génie humain, la science,
la solidarité ; elles parviendront à refaire un monde ;
[...] Des trois femmes que nous rencontrons dans ce récit, la baronne et
la mère de Wilhem sont juives ; l'autre, Mme de Saint-Madulphe, est
chrétienne, elle a des ramifications avec l'armée du Salut comme
avec toutes les sectes possibles », p. 168.
* 69 Les Crimes de
l'époque, « Première et dernières
amours » : « Ce drôle de La Serre portait bien
son nom », p. 21.
* 70 Ibid., p.
31.
* 71 Ibid.,
« Barnabé lui proposa une affaire d'or, [...] une entreprise
gigantesque qui lui donnait le vertige », p. 34.
* 72 Le
Claque-dents, « Alors sous la pression de la terreur,
affolé, ne voyant plus que le crime pour se délivrer des preuves
de crimes qui montaient autour de lui, [Sylvestre] tira de ses vêtements
un poignard qu'il portait sans cesse, l'assujettit à sa main nerveuse,
et, bondissant sur Jack, le lui planta dans le dos jusqu'à la
garde », p. 151.
* 73 Ibid., p.
9-10.
* 74 Ibid., p.
41 ; p. 78 ; « Cette fois ce fut du délire, il neigeait
des actions dans la caisse de la colonie, et la baronne mit dans les bas fonds
de ses réserves quelques millions de plus. Les affaires
générales marchaient bien. Sylvestre acheta un château dans
le département des Landes ; Stéphane, une villa aux environs
de Paris... », p. 94.
* 75 Ibid., p.
140.
* 76 Émile Zola,
Son Excellence Eugène Rougon, 1876.
* 77 Le
Claque-dents, « Une trentaine de mille francs, conquis au jeu
où il avait aidé la chance, lui avait permis l'achat du lit et
des bijoux », p. 13.
* 78 Ibid., p.
31 ; « Rastaquouère : n. m.
(1880-1886 ; esp. d'Amérique rastacuero
« traîne-cuir », désignant des parvenus).
Fam. Étranger aux allures voyantes, affichant une richesse
suspecte. ». (Le Petit Robert, 1989)
* 79 Ibid., p.
100.
* 80 Ibid.,
« [...] Presque tous les gueux, que nous avons vu dans les premiers
chapitres, jusqu'à Stéphane et au vieux Griffus, avaient au
Bourdon du Sacré-Coeur de Jésus un bureau où
chacun recevait pour une oeuvre particulière les aumônes qui
s'engouffraient dans la caisse générale. », p.
77-78.
* 81 Ibid., p.
78-79.
* 82 Ibid., p. 42 et
p. 140.
* 83 Ibid.,
« [Sylvestre], de temps à autre, devant quelque visage sombre
de révolté rêvant la justice égalitaire, devant
l'oeil flamboyant d'un meurt-de-faim, se disait : Voilà une mine de
gueux ! un visage patibulaire ! » p. 19.
* 84 Ibid., p.
43.
* 85 Ibid.
« Esther et Marius, de pure race juive, en avaient
l'énergique profil, les grands yeux voilés de longs cils, la
beauté fière et aussi l'immense ambition - bien plus immense, car
elle s'étendait à tous, voulaient la vie large pour tous, la
liberté pour le monde. Avides également de science, leur
énergie aussi était multipliée infiniment pour
l'humanité. Ils étaient bons, comme ils étaient
beaux », p. 168.
* 86 Ibid., «
- Et moi, mon père, je vais employer tout mon courage pour
résister ; je ne veux pas être vendue. », p.
118 ; « Marius continua : - J'ignore ce que peut être
la fille de ce vieux drôle de Carolus Étienne (dont je n'ai jamais
compris l'emploi dans la maison) mais je vous jure, mon père, je ne
l'épouserai jamais. Je veux choisir moi-même, en dehors de toute
question financière, une femme », p. 119-120.
* 87 Ibid., p.
128 ; « Nuit du 4 août » :
événement fondamental de la Révolution française ,
puisqu'au cours de la séance qui se tenait alors, l'Assemblée
constituante a mis fin au système féodal et aux
privilèges.
* 88 La Grève,
Acte II., scène 4, p. 170.
* 89 Le Claque-dents,
« Pierre Kropotkine ! le nom lui était connu,
c'était en effet un révolté qui luttait contre le monde
capitaliste. Eléazar restait abasourdi », p.119. Comme Esther
et Marius, Kropotkine n'est pas issu de la classe prolétaire mais de la
haute noblesse, ce qui permet à Louise Michel de démontrer que
les révolutionnaires ne sont pas exclusivement issus de la classe
laborieuse, que nous définirons ultérieurement.
* 90 Le Claque-dents,
p. 120.
* 91 Eugène Sue,
Les Mystères de Paris, Part. III, chapitre XVIII.
* 92 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 16
* 93 Ibid.,
« il s'endormit du sommeil lourd de la bête
surmenée. », p. 17 ; Bertrand Tillier, dans
L'animal en politique, explique que, toujours dans cette perspective
de lutte des classes, l'ouvrier est comparé à une
« bête (de misère » et à de la
« chair à turbin », éd. L'Harmattan , 2003,
p. 219 et 230.
* 94 Ibid., p.
15-17.
* 95 Ibid., p.
16.
* 96 Le
Claque-dents, p. 74.
* 97 Ibid., p.
71.
* 98 Ibid. p.
42.
* 99 Ibid.,
« Une autre chose aussi où ils tombaient juste c'est que le
fameux complot sentait la contrefaçon, c'était de la fausse
monnaie de révolte. », p. 46.
* 100 Ibid., p.
128.
* 101 On trouve
également un personnage nommé Jéhan Troussebane dans
La Misère de Louise Michel (op. cit) p. 402.
* 102 Louis Chevalier,
op. cit. Classes laborieuses et classes dangereuses, p. 176 ;
« Dans le récit proprement dit, Hugo entend par
« misérable » l'homme qui a commis un
crime. », « Dès 1830, dans les Feuilles
d'automne c'est la misère génératrice de crime, dont
la pensée « fermente en silence au coeur du
misérable », et non plus le crime seul que ce terme
désigne. », p. 165.
* 103 Le
Claque-dents, p. 122-123.
* 104 Les Crimes de
l'époque, « Les Vampires », p. 87.
* 105 Ibid., p.
84.
* 106 Ibid., p.
92.
* 107 Ibid., p.
85.
* 108 Ibid., p.
88.
* 109 Ibid., p.
90.
* 110 Ibid.,
« Premières et dernières amours », p. 23.
* 111 Louise Chevalier,
op. cit. Classes laborieuses et classes dangereuses, Préfet de
police écrivant dans son rapport du 6 septembre 1831, A.N. F2
1, 1290-1293, « Le nombre des mendiants augmente chaque jour. On ne
saurait les enfermer tous si on voulait les arrêter ; l'on se plaint
de leur importunité ; ils répondent que la faim les
tourmente et par malheur cette excuse n'est que trop sincère. Les
vagabonds se présentent aussi en plus grand nombre. Nos rondes de nuit,
nos surveillants de jour les arrêtent, et la faim, la faim, avec ses
horribles souffrances, est encore leur excuse. », p. 442.
* 112 Dictionnaire de
la langue verte d'Alfred Delvau (1883),
« rouler » : vagabonder, voyager.
* 113 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 27.
* 114 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », chapitre V.
* 115 Le
Claque-dents, « Tout à coup, un vol effaré
d'ombres s'éparpillant devant des chasseurs emplit la rue silencieuse.
Le rêve, un rêve de cauchemar horrible enveloppait la pauvre
enfant. Sans savoir, portée par le courant de frayeur qui emportait les
êtres en fuite, elle courut avec eux. Les filets étaient tendus,
si bien que parmi des filles arrêtées pour tout ce qu'elle
ignorait, Fleur de Genêts fut emmenée au dépôt
palpitante, comme une colombe blessée », p. 29
* 116 Ibid., p.
26.
* 117 Ibid., p.
162.
* 118 Ibid., p.
246.
* 119 Louis Chevalier,
op. cit. Classes laborieuses et Classes dangereuses, p.
210.
* 120 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 14.
* 121 Ibid.,
« Les Rapaces », p. 67.
* 122 Ibid., p.
41.
* 123 Dans Le
Claque-dents, une jeune bretonne porte également le nom de Fleur de
Genêts ; ce personnage est du même type que Fleur de Marie
dans Les Mystères de Paris d'E. Sue, elles incarnent toutes
deux la naïveté et la pureté.
* 124 Le
Claque-dents, p. 26.
* 125 Louise Michel,
Le Gars Yvon, légende bretonne, Paris, 1882, in-32, BNF,
cote : 8°Y2/5363.
* 126 Les Crimes de
l'époque, p. 55.
* 127 Ibid., p.
57.
* 128 Les Crimes de
l'époque, p. 52-53.
* 129 Denise
François-Geiger, Dictionnaire de l'Argot, Larousse, 1990,
Introduction, p. XI.
* 130 Ibid., p.
XIII.
* 131 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 16.
* 132 Ce qui fera
écrire à Victor Hugo dans Le Dernier jour d'un
condamné, Folio classique, 1970 : « C'est toute une
langue entée sur la langue générale comme une
espèce d'excroissance hideuse, comme une verrue. Quelquefois une
énergie singulière, un pittoresque effrayant [...]. Quand on
entend parler cette langue, cela fait l'effet de quelque chose de sale et de
poudreux, d'une liasse de haillons que l'on secouerait devant
vous. », p. 283-284.
* 133 On retrouve ces termes
argotiques chez Sue, Balzac et Hugo, où ils sont souvent imprimés
en italique et traduits dans des notes. Voir Henri Bonnad, op. cit.,
Dictionnaire de l'argot, article sur l'argot (1971), p. 749, tiré
du Grand Larousse de la langue française.
* 134 Les Crimes de
l'époque, « Les Vampires », p. 84.
* 135 Les Crimes de
l'époque, « Les Vampires », p. 84 ;
op. cit. Le livre du bagne, « battre le quart »
(cf. note 5 p. 107 et p. 193) et « le quart dehors » (p.
194) signifient se prostituer, alors « les fleurs du
quart » doit désigner les prostituées ;
« Charlot » désigne le bourreau donc les
« poires à Charlot sont les têtes coupées, les
futurs condamnés à mort ; op. cit., Dictionnaire de
l'argot, « grelucheux » : au XIXe le
greluchon est l'amant de coeur d'une prostituée ou d'une demi-mondaine ;
« freluche » : petite houppe de soie, sortant d'un bouton,
du bout d'une ganse ou de quelque autre ouvrage, par ext. : chose frivole et de
peu de valeur ; on trouve également « freloque » :
poche de gaze servant à prendre les insectes volants (Grand
Dictionnaire Universel du XIXe siècle, Larousse, 1990) ;
on trouve le terme « astif » dans l'expression
« renâcle d'astif ».
* 136 op. cit.,
Dictionnaire de l'argot, article sur l'argot, p.748.
* 137 op. cit.,
Dictionnaire de l'Argot, p. XII-XIII.
* 138 Les Crimes de
l'époque, p. 89-90 ; « renâcle
d'astif » : « renâcle » désigne
la police, et signifie également renifler, flairer (op. cit.,
Dictionnaire de l'argot).
* 139 op. cit.,
Dictionnaire de l'Argot, Henri Bonnard range dans cette catégorie
« les pièces ou les romans dont l'auteur parle argot en son
propre nom, plus précisément au nom des humbles qu'il
représente », p.750.
* 140 Le
Claque-dents, p. 55.
* 141 Ibid., p.
250.
* 142 L'éditeur des
Mémoires, dans la préface de l'édition de 1886,
la décrivait ainsi : « Louise Michel n'est pas moins
douée intellectuellement qu'au point de vue moral. Fort instruite, bonne
musicienne, dessinant fort bien, ayant une singulière facilité
pour l'étude des langues étrangères ; connaissant
à fond la botanique, l'histoire naturelle - et l'on trouvera dans ce
volume de curieuses recherches sur la faune et la flore de la
Nouvelle-Calédonie - elle a même eu l'intuition de quelques
vérités scientifiques, récemment mises au jour. C'est
ainsi qu'elle a devancé M. Pasteur dans ses applications nouvelles de la
vaccine au choléra et à la rage. Il y a quelques années
déjà que la déportée de Nouméa - on le verra
plus loin - avait eu l'idée de vacciner les plantes
elles-mêmes ! », Louise Michel, Mémoires,
éd. La Découverte, 2002,p. 10-11.
* 143
Sciences-Humaines, « Cinq siècles de pensée
française », hors série spécial n°6,
octobre-novembre 2007, article « De Jules Michelet à Hippolyte
Taine, la France écrit son histoire », p. 34-35.
* 144 Joël Malrieu,
Le Fantastique, éd. Hachette Supérieur, Paris 1992,
p.21.
* 145 Yves Chevrel, dans
Le naturalisme, étude d'un mouvement littéraire
international, PUF, Paris, 1982, désigne la période allant
de 1885 à 1888, comme celle du « naturalisme
triomphant ». Toute la littérature (allemande, espagnole,
polonaise, russe...), que ce soit dans le domaine du roman, du
théâtre avec Ibsen, de la poésie, ou d'écrits
théoriques (par exemple avec l'allemand W. Bölsche, La
littérature fondée sur les sciences de la nature), est
naturaliste, p. 44-45.
* 146 Le
Claque-dents, p. 249.
* 147 E. Zola,
Nana, Le Livre de Poche, Paris, 1984 : « Avec elle, la
pourriture qu'on laissait fermenter dans le peuple, remontait et pourrissait
l'aristocratie. Elle devenait une force de la nature, un ferment de
destruction, sans le savoir elle-même, corrompant et désorganisant
Paris entre ses cuisses de neige [...] Et c'était à la fin de
l'article que se trouvait la comparaison de la mouche, une mouche couleur de
soleil, envolée de l'ordure, une mouche qui prenait la mort sur les
charognes tolérées le long des chemins, et qui, bourdonnante,
dansante [...] empoisonnait les hommes rien qu'à se poser sur eux,
... », p. 216-217
* 148 Le
Claque-dents, p. 261
* 149 Mouche charbonneuse
ou mouche piquante ou encore "mouche phlegmoneuse" est ainsi nommée
parce que cette mouche est un des vecteurs du charbon, maladie infectieuse
redoutée des éleveurs, de même que des anémies
pernicieuses. C'est une espèce de mouche commune à la campagne,
dans les étables, bergeries ou écuries où elle trouve en
abondance les fumiers et crottins où elle pond ses oeufs qui donneront
des larves coprophages ; op. cit., L'animal en politique :
« mouches et mouchards », p. 211.
* 150 op. cit., Le
naturalisme, étude d'un mouvement littéraire international,
p. 33.
* 151 Yves Chevrel insiste
sur le fait que la La progression des connaissances,
« déjà importante en tant que phénomène
de civilisation », devient un fait d'autant plus décisif, que
ces connaissances circulent à une plus grande échelle, et plus
largement dans toute l'Europe, Ibid., p. 33-34.
* 152 Yves Chevrel donne pour
exemples l'Association internationale des Travailleurs fondée en 1864,
et l'Union postale universelle, créée en 1874 :
« autant de faits qui montrent que tout événement
s'inscrit dans un contexte désormais largement
international », Ibid., Le naturalisme,
étude d'un mouvement littéraire international,
p.37.
* 153 Le
Claque-dents, p. 212.
* 154 Émile Zola,
« préface » à La Fortune des Rougon,
1871.
* 155 op. cit.,
Le naturalisme, étude d'un mouvement littéraire international
: « le rôle de l'oeuvre de Darwin est un exemple de
l'arrière-plan intellectuel sur lequel se meut le
naturalisme », p.35.
* 156 Yves Christen,
Le dossier Darwin, éd. Copernic, Paris, 1982 ; Yves Christen
donne cet exemple, afin de mieux comprendre ce processus de
sélection : « lorsque des animaux d'une espèce
donnée doivent faire face à leur prédateur, ils
entretiennent dans le sens darwinien une lutte, non avec le prédateur
lui-même, mais entre eux. A cet égard, le problème n'est
pas de savoir si tel ou tel sujet va se faire dévorer, mais s'il a plus
ou moins de chances que son congénère d'en réchapper. En
ce sens, c'est la compétition indirecte entre les victimes qui, du point
de vue évolutif, importe le plus. La même situation vaut en cas de
surpopulation : il s'agit de savoir quels individus vont survivre et
lesquels vont périr. Dans la perspective darwinienne, tout peut, en
définitive, se résumer à la compétition entre
individus de la même espèce », p. 19-20.
* 157 Le
Claque-dents, p. 59-60.
* 158 Les Crimes de
l'époque, J.-C. Renault, « Mise au point », p.
9-10.
* 159 Dans L'Effet
Darwin (Seuil, 2012), Patrick Tort explique qu'en se séparant du
singe, l'homme perd tout ce qui faisait sa force, il devient faible mais cette
« faiblesse est un avantage car elle conduit à l'union face au
danger, à la coopération et à l'entraide ». La
civilisation humaine est, par nature, une civilisation de la protection des
plus faibles, elle donne naissance au « développement de la
morale et du droit, à la prescription de conduites
antiéliminatoire » ; source : article de Nathalie
Levisalles, « Plus faible, l'homme est plus fort - Critique
Évolution. Patrick Tort démontre le contresens fondamental du
darwinisme social »,
Libération.fr,
2008.
* 160 Yves Christen, op.
cit. Le dossier Darwin , p. 20.
* 161 Eugène Marcel
Prenant (1893-1983) est un zoologiste et un parasitologiste français ;
cf. Darwin, Éditions Sociales Internationales, Paris, 1938, p.
182, cité dans (op. cit.) Le dossier Darwin, p.24.
* 162 Propos cité par
G. Ponau, La Folie dans la littérature fantastique, Paris,
CNRS, 1987, p.16.
* 163 Joël Malrieu,
op. cit., Le Fantastique : Michel Foucault, dans
Histoire de la folie à l'âge classique (1961), montre
comment l'homme, à cette époque, devient un objet d'investigation
scientifique, ou plus exactement, que l'on ouvre à son sujet de nouveaux
champs d'interrogation. p.24.
* 164 Louise Michel, Le
Livre du bagne, précédé de Lueurs dans l'ombre,
plus d'idiots, plus de fous, et du Livre d'Hermann, PUL, Lyon,
2001, seconde partie, p. 188.
* 165 Ibid., p.
189.
* 166 Joël Malrieu,
op. cit., Le Fantastique, p.23.
* 167 Les Crimes de
l'époque, p. 92.
* 168 Joël Malrieu,
op. cit., Le Fantastique : Les exemples puisés
dans la littérature sont alors accueillis comme des témoignages
scientifiques que les savants d'alors mettent largement à contribution,
p. 22.
* 169 Jacques Dubois, dans
Les Romanciers du réel, de Balzac à Simenon, Paris,
Seuil, 2000, parle également de « roman total ».
* 170 Sophie Béroud
et Tania Régin (Sous la dir. de), Le Roman social,
Littérature, Histoire et Mouvement ouvrier, Les Éditions de
l'Atelier/Éditions Ouvrières, Paris, 2002, p. 10-11.
* 171 Joël Malrieu,
op. cit. Le Fantastique, p. 37.
* 172
« Voilà ce qui a rendu le fantastique si populaire en
Europe depuis quelques années, et ce qui en fait la seule
littérature essentielle de l'âge de la décadence ou de
transition où nous sommes parvenus [...] cette époque de
désabusement serait en proie au plus violent désespoir, et la
société offrirait la révélation effrayante d'un
besoin unanime de dissolution et de suicide. [...] Ces innovations
prétendues sont l'expression inévitable des périodes
extrêmes de la vie politique des nations. », (Du
fantastique en littérature, 1830), Ibid., p. 51-52 ; cf.
J.-B. Baronian, La France fantastique de Balzac à Louÿs
éd. A. Gérard, Marabout, 1973.
* 173 Ibid., p.
30-31.
* 174 Le
Claque-dents, p. 175.
* 175 op. cit.,
Joël Malrieu, Le Fantastique, p. 32.
* 176 Louise Michel,
Introduction au Claque-dents, p. 7.
* 177 op.
cit., Dictionnaire de l'argot,
« Claque-dents » : ( XVIe) désigne
un gueux ; (XVIIIe, XIXe) maison de jeux, puis maison
close ; « claque » est l'abrégé de
« claque-dent » : Tripot, bordel.
* 178 Le
Claque-dents, p. 34.
* 179 Ibid., p.
187.
* 180 Les Crimes de
l'époque, p. 66.
* 181
« Tous les recteurs de Bretagne avaient fait colporter l'annonce
par leurs clercs élèves. Les journaux pieux l'avaient reproduite,
si bien que, comme des alouettes au miroir, venaient les filles d'Armorique
chez la marquise », Ibid.
* 182 op. cit.,
Le Fantastique, p. 40 ; cf. Roger Caillois, Anthologie de
la littérature fantastique, éd. Gallimard, 1966, p. 8-9 et
p. 14.
* 183 Ibid., p.
39-40 ; cf. Pierre-Georges Castex, Le Conte fantastique en France de Nodier
à Maupassant, éd. José Corti, 1951, p. 8.
* 184 Ibid., p.
48 ; « tout fait extérieur qui se manifeste à la
conscience par l'intermédiaire des sens, toute expérience
intérieure qui se manifeste à la conscience » ;
« tout ce qui apparaît comme remarquable, nouveau,
extraordinaire », (Dictionnaire Hachette)
* 185 heim
(« du pays ») désigne le monde familier, ce qui est
de la patrie, de la maison, c'est ce qui est rassurant ; l'adjectif
heimliche désigne ce qui est intime et secret en moi, ce qui
est caché ; au contraire, unheimliche est ce qui est inconnu,
non familier.
* 186 Ibid., p.
112 ; cf. Sigmund Freud, « L'inquiétante
étrangeté » (Das Unheimliche), 1919, dans Essai de
psychanalyse appliquée : « [...] tout affect d'une
émotion, de quelque nature qu'il soit, est transformé en angoisse
par le refoulement, il faut que, parmi les cas d'angoisse, se rencontre un
groupe dans lequel on puisse démontrer que l'angoissant est quelque
chose de refoulé qui se montre à nouveau. Cette sorte d'angoisse
serait justement l'inquiétante étrangeté,
l'« Unheimliche » [...] n'est en réalité rien
de nouveau, d'étranger, mais bien plutôt quelque chose de familier
depuis toujours à la vie psychique et que le processus de refoulement
seul a rendu autre. [...] l'inquiétante étrangeté serait
quelque chose qui aurait dû demeurer caché et qui a
reparu ».
* 187 Les Crimes de
l'époque, « La Lettre anonyme », p. 75.
* 188 Ibid., p.
76.
* 189 Ibid., p.
92.
* 190 Ibid., p.
77.
* 191 Ibid., p.
37.
* 192 Ibid., p.
102.
* 193 Ibid.
* 194 Ibid.
* 195 Ibid., p.
85.
* 196 Ibid.,
p. 94.
* 197 op. cit.,
Le fantastique : « Pour qu'un tel effet de réel
soit possible, il faut qu'il corresponde à ce que le lecteur
intègre comme appartenant à son réel
possible »p. 37.
* 198 Le
Claque-dents, p. 27-28.
* 199 op. cit.,
Classes laborieuses et classes dangereuses : « Recherchant
les causes de la Révolution de 1848, Daniel Stern écrira :
« Des statistiques irrécusables, publiées en grand
nombre, donnaient sur l'état des prisons, des bagnes, des maisons de
prostitution et les hospices, des chiffres accablants, et faisaient maudire un
gouvernement inhabile à guérir de telles plaies. » Il
ne s'agit plus des classes criminelles : [...], c'est la condition
dangereuse du plus grand nombre, une communauté de sort, une redoutable
fraternité qui se trouvent révélées. Il ne s'agit
pas du crime, mais du caractère pathologique de l'existence urbaine que
l'étude quantitative du crime précise, plus sûrement que ne
le ferait l'étude d'autres problèmes parisiens. », p.
46-47 ; p. 58.
* 200 Réflexion
sur le fantastique, (c) Roger Bozzetto & nooSFere. (
http://www.noosfere.com/bozzetto/)
* 201 op. cit.,
Classes laborieuses et Classes dangereuses :
« Littérature dite, mais aussi littérature sociale
font du crime l'un de leurs thèmes les plus constants, en une
série d'ouvrages dont le catalogue peut être aisément
dressé. Le roman surtout dont Anne Bignan écrit en 1833, aux
premières pages d'un livre sur « l'Echafaud », qu'il
"pousse la gravité jusqu'aux derniers confins du tragique et de
l'horrible. Tout ce qui se trouve d'abject et de fangeux dans le coeur humain,
ajoute-elle, a été remué par le hardi scalpel de nos
romanciers. Toutes les infirmités corporelles, toutes les plaies morales
ont été mises à nu. L'Hôpital, le Bagne, la
Grève, la Morgue ont servi de théâtre à des
scènes d'une vérité repoussante." », p.
117-118.
* 202 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 26.
* 203 Le
Claque-dents, p. 19.
* 204 Les Crimes de
l'époque, « Les Rapaces » : « La
maison était disposée de façon à assurer la fuite
de ceux qu'on y surprendrait en flagrant délit. », p. 61.
* 205 Ibid., p.
60-62.
* 206 Ibid.,
« Les Vampires », p. 83.
* 207 Ibid.
* 208 op. cit.,
Le Fantastique, p. 53-54.
* 209 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 12.
* 210 Le Claque-dents
: « [...] un jeune homme pâle aux paupières
baissées qui avait été appelé
Stéphane. », p. 11 ; « La place de la Roquette,
où bientôt, il irait voir le condamné qui attendait,
apparut à Stéphane, envoyant un peu de sang à sa face
pâle », p. 14 ; « Les yeux glauques de
Stéphane s'emplirent d'une lueur rapide. », p. 13.
* 211 Les Crimes de
l'époque, « Les Vampires », p. 84
* 212 Ibid.,
p. 93.
* 213 op.
cit., Le Fantastique, « il s'agit d'une condition
essentielle du récit fantastique du XIXe
siècle », (p. 54-56) comme le Dr Jekyll (Le Cas
étrange du Dr Jekyll et de Mr Hyde de Stevenson) ou encore comme
les héros-narrateurs des récits de Poe, qui appartiennent
à l'aristocratie ou la bourgeoisie.
* 214 Les Crimes de
l'époque, p. 100.
* 215 Ibid.,
« La Lettre anonyme », p. 77.
* 216 Ibid.,
« Les Vampires », p. 94.
* 217 op. cit.,
Le Fantastique, p. 58-59.
* 218 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours ».
* 219 Le
Claque-dents.
* 220 Ibid., p.
60-62.
* 221 op. cit.,
Le Fantastique, p. 80-83.
* 222 Ibid., p.
99-100.
* 223 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 12.
* 224 op. cit.,
Le Fantastique, p. 100-102.
* 225 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours » : « Mais ce n'était pas l'affaire de
Casimir ; il n'aurait pas de sitôt pareille occasion, il y avait si
longtemps qu'il la cherchait. Aussi elle ne lui échapperait
pas », p. 18.
* 226 Ibid.
« La Lettre anonyme », p. 76.
* 227 Ibid., p.
77.
* 228 Ibid., p.
78.
* 229 Ibid.,
« Les Rapaces », p. 59.
* 230
Ibid. : « Elles ne comprirent pas grand-chose, ce
soir-là, aux propos de tout ce beau monde mâle et femelle,
d'autant plus que leur protectrice les força de prendre une foule de
liqueurs douces ou parfumées », p. 41-42.
* 231 Ibid., p.
77.
* 232 Ibid.,
« Premières et dernières amours » :
Casimir vide une carafe de liqueur, puis une deuxième, et se sent
vertigineux : « L'ivresse ne venait pas, mais c'était la
folie », p. 36.
* 233 Ibid.,
« La Lettre anonyme », p. 80.
* 234 Ibid., p.
81.
* 235 Ibid.,
« Premières et dernières amours », p. 12.
* 236 La manne
désigne par métonymie la corbeille en osier servant à
récupérer les excréments pour les tanneurs.
* 237 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 18.
* 238 Ibid., p.
13.
* 239 Ibid., p.
20.
* 240 Ibid., p.
29.
* 241 Ibid.,
« Premières et dernières amours », p. 33.
* 242 Ibid.,
« Le Beau Raymond », p. 100-101.
* 243
Ibid. : « La folie de l'amour le saisit, ne laissant
plus de place qu'à la convoitise. Cet or couvert de sang, c'était
la dot de Margot », p. 101-102.
* 244 Le
Claque-dents, p. 13.
* 245 op. cit.,
Le Fantastique, p. 70-71.
* 246 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 18.
* 247 Ibid., p.
20.
* 248 Ibid., p.
33-34.
* 249 Ibid., p.
34.
* 250 Le
Claque-dents, p. 13.
* 251 Ibid.,
« il essayait à Marguerite le collier de corail de
Lucrèce, dont la ligne rouge faisait, sur le cou de la fille de marbre,
la marque de l'échafaud. ».
* 252 Ibid., p.
14.
* 253
Ibid., « lui, venait de songer à la tuer, elle,
pensait à la fatalité qui lui avait fait, cette nuit-là,
accorder un congé à sa bonne. [...] Stéphane
expliquant la scène, qui implacablement allait se renouveler, lui toucha
le cou ».
* 254 Les Crimes de
l'époque « La Lettre anonyme » :
« Parfois au milieu de leur bonheur, lui songeait à la
lettre ; elle, à l'épingle qu'elle laissait au fond de la
corbeille, et chacun gardait le silence », p. 74.
* 255
Ibid. : « - Vous voyez bien que vous êtes
coupable ! dit-il d'un accent terrible », p. 75.
* 256 op. cit.,
Le Fantastique, p. 93-94
* 257 Les Crimes de
l'époque, « La Lettre anonyme » : Daniel
voit le phénomène sous une forme fantasmagorique :
tantôt sous l'apparence d'une « vieille femme, grande
anguleuse, pareille à l'une des sorcières de Macbeth »,
tantôt sous la forme d'un « jeune homme qui lui avait toujours
témoigné de l'amitié sans cesser de lui déplaire,
un jeune homme aux formes grasses, au visage rond [...]. Cela lui faisait
peur », p. 76.
* 258 Ibid., p.
78.
* 259 op. cit., Le
Fantastique, p, 72-73.
* 260 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 36-37.
* 261 le
vampirisme étant dans le jargon psychiatrique une
« perversion sexuelle dans laquelle l'agresseur saigne sa
victime » ; art. « vampirisme ». (Le
Petit Robert, 1989).
* 262
« nécrophage » : qui vit de
cadavre, qui mange de la matière putréfiée ;
« nécrophile » : perversion sexuelle dans
laquelle, habituellement, l'orgasme est obtenu au contact physique de cadavres.
(Le Petit Robert, 1989).
* 263 Les Crimes de
l'époque, « Les Vampires » :
« un étudiant russe de ses amis, lui dit que Jean Oupir
signifiait Jean Vampire », p. 87.
* 264 Ibid., p.
85.
* 265 Ibid.
* 266 Ibid., p.
95.
* 267 Le
Claque-dents, p. 14-15
* 268 Ibid., p.
13
* 269 Ibid., p.
14-15.
* 270 Les Crimes de
l'époque, « Les Vampires ».
* 271 Les Crimes de
l'époque, « La Lettre anonyme », p. 78.
* 272 Ibid., p.
79.
* 273 Ibid., p.
79-80.
* 274 Ibid., p.
80.
* 275 Ibid.,
« Premières et dernières amours », p. 37.
* 276 E. A. Poe,
Nouvelles histoires extraordinaires, « Le Démon de la
perversité », G-F, Paris, 1965 ; le narrateur confie au
lecteur : « J'avais acquis quelque expérience de ces
accès de perversité (dont je n'ai pas sans peine expliqué
la singulière nature), et je me rappelais fort bien que dans aucun cas
je n'avais su résister à ces victorieuses attaques. [...]Et
maintenant cette suggestion fortuite, venant de moi-même, - que je
pourrais bien être assez sot pour confesser le meurtre dont je
m'étais rendu coupable, - me confrontais comme l'ombre même de
celui que j'avais assassiné - et m'appelait vers la mort. [...]
J'éprouvais un désir enivrant de crier de toute ma
force. », p. 55.
* 277 Les Crimes de
l'époque, « Le beau Raymond », p. 102.
* 278 Nous nous jugions comme
des êtres humains, nous comportant en fonction de systèmes de
valeurs bien établis qui nous définissent, et nous
découvrons que nous relevons d'un autre domaine, celui-là
même que nous rejetions : « le non-humain est partout,
c'est nous », op. cit., Le Fantastique, p. 85-88.
* 279 Ibid., p.
107-108.
* 280 Ibid., p.
109-110.
* 281 Louise Michel,
Le Livre du bagne, précédé de Lueurs dans
l'ombre, plus d'idiots, plus de fous, et du Livre d'Hermann, PUL,
Lyon, 2001, « Lueurs dans l'ombre », p. 34.
* 282 op. cit.,
Mémoires, Extrait du manifeste des Anarchistes :
« [...] Nous voulons la liberté et nous croyions son existence
incompatible avec l'existence d'un pouvoir quelconque, quelle que soit son
origine et sa forme, qu'il soit élu ou imposé, monarchique ou
républicain, qu'il s'inspire du droit divin ou du droit populaire, de la
Sainte-Ampoule ou du suffrage universel. C'est que l'histoire est là
pour nous apprendre que tous les gouvernements se ressemblent et se valent. Les
meilleurs sont les pires. Plus de cynisme chez les uns, plus d'hypocrisie chez
les autres ! Au fond, toujours les mêmes procédés,
toujours la même intolérance. », II, p. 273.
* 283 V. Hugo, Dernier
jour d'un condamné, Préface de 1832 ; cité par Louis
Chevalier, op. cit., Classes laborieuses et classes dangereuses, cf.
note 1, p. 165.
* 284 Louise Michel,
Les Microbes humains : « [...] pour faire face aux
rafles nouvelles qui venaient du dépôt de Saint-Lazare, on ne peut
laisser à celles qui arrivent que les vides laissés aux
partantes, et il y a des moments de hautes marée de misères
où out déborde : vagabonds chassés du gîte
qu'ils n'ont pu payer, - sans travail vivant au jour le jour quand ils ont une
veine d'ouvrage, - malheureux qui volent pour ne pas mourir de faim. Dans ces
misères se propagent des épidémies de crimes ; il y a
des saisons où la sève monte à tous les appétits
aiguisés par le jeûne éternel. Alors tant pis pour les
filles de la rue : elles seront (par leur état) mêlées
à cette floraison du crime qui s'étend pareil aux blés
mûrs pour les faucilles de la justice. On dirait que chaque crime monte
en gerbes, tant ils sont bien le produit des circonstances, de l'époque,
des milieux. La misère chasse des villes où la pain et le travail
sont rares ; ceux qui ont des petits les nourrissent comme ils peuvent, -
chaque agglomération humaine devient le radeau de La
Méduse ! », p. 95-96.
* 285 Louise Michel,
op. cit., L'ère nouvelle, 1887, chap. I.
* 286 op. cit.,
L'animal en politique : en effet on compare souvent le peuple ouvrier
à un troupeau (d'oies, de poules, de dindons, de veaux, de moutons,
etc.), à de la « chair à mitraille »,
à de la « chair à turbin » ou encore
« chair à profit » qui engraisse le patronat et la
bourgeoisie, p. 219.
* 287 Le
Claque-dents, p. 189.
* 288 Voir la la description
du taudis dans lequel vit la famille de Saturnin dans Le Claque-dents,
chap. XXII, p. 177-193.
* 289 op. cit.,
Classes laborieuses et classes dangereuses, « Aux époques
de plus grande détresse ouvrière, misère et
criminalité envahissent indistinctement les colonnes du journal, comme
exprimant un même phénomène. [...] Crimes et suicides se
multiplient alors et grossissent les faits divers, amenant de mêmes
commentaires et provoquant une égale pitié », p.
653.
* 290 op. cit.,
Classes laborieuses et classes dangereuses, « les suicides, dont
les statisticiens de la ville remarquent qu'ils se développent avant
tout dans les classes populaires ; les cas d'infanticides, des actes
anonymes, individuels et juridiquement criminels que les rapports des
égouts et des cloaques enregistrent, à ces formes d'infanticide
officiel et différé que sont les abandons d'enfant au coin des
rues, sur les marches des églises ou au seuil de quelque demeure
bourgeoise et charitable - si fortement accrus en certaines périodes que
les hospices débordent et qu'il faudrait organiser à pleines
charrettes des convois vers les départements d'accueil, si une
providentielle mortalité ne venait soulager la charité publique
et la charité privée », p. 49.
* 291 Le
Claque-dents, p. 112.
* 292 Ibid., p.
230-231.
* 293 Ibid., p.
234.
* 294 Les Crimes de
l'époque, « Les Vampires », p. 91.
* 295 Octave Mirbeau,
Les Contes cruels, Introduction au chapitre II, « La
férocité est au fond de la nature humaine », Les
Belles Lettres/Archimbaud 2000, p. 247-248.
* 296 Op. cit.,
Classes laborieuses et classes dangereuses, p.35.
* 297 Le
Claque-dents, p. 9.
* 298 E. Zola, La
Curée, 1872.
* 299 D'abord le fils Wilhem,
Muscadet, puis c'est au tour du jeune Madulphe et d'Alphonse, dans Le
Claque-dents, p. 209.
* 300 Le
Claque-dents, « Cette fois l'exécution pourrait
tarder ; celle de Gaspard avait produit un mauvais effet, il avait
juré jusqu'au bout qu'il était innocent et cela à l'air de
défier la justice. », p. 65.
* 301 Le Claque-dents
: à la veille de l'aurore nouvelle, Mancastel est lui aussi
touché par la folie, et sa mégalomanie ne trouve plus de borne ;
voici sa vision : « Mancastel commençait à perdre la
tête, le délire s'emparait de lui, l'idée d'Assises
immenses englobant des millions d'hommes, environnées d'une pompe
inouïe et servant de piédestal à son individu un peu
fantastique, revêtu de la robe rouge de l'hermine, tel était son
rêve tout éveillé », p. 261-262.
* 302 Ibid., p.
55.
* 303 op. cit.,
Classes laborieuses et classes dangereuses : « Au reste, le
crime n'est-il pas lui-même objet de spectacle ? Il l'est par ces
expositions sur la place du Palais de Justice dont les journaux ou les
Mémoires contemporains ne manquent jamais de rendre compte, comme s'il
s'agissait d'événements importants de l'existence urbaine, par
les foules qu'elles attirent, par les désordres et parfois les tumultes
qu'elles causent, par les moeurs populaires qu'elles
révèlent », p. 38.
* 304 Les Crimes de
l'époque, « Le Beau Raymond », p. 103.
* 305 Montfaucon est un
ancien lieu-dit, situé jadis à l'extérieur de Paris, sur
une éminence voisine du quartier du Temple. Depuis le XIIe
siècle s'y élevait un gibet qui fut utilisé jusqu'au
XVIIe siècle, avant d'être transféré
(1761) à la Villette, pour disparaître en 1790. François
Villon évoqua peut-être l'horreur de ce lieu dans La Ballade
des pendus, comme Marot dans son épigramme contre Maillart. (Le
Petit Robert des noms propres, 1994.)
* 306 Le Petit Robert
2006, « fourches patibulaires : gibet
composé à l'origine de deux fourches plantées en terre,
supportant une traverse à laquelle on suspendait les
suppliciés. ».
* 307 Les Crimes de
l'époque, « Le Beau Raymond », p. 103.
* 308 Capeluche fut le
bourreau de Paris de 1411 à 1418, sous le règne de Charles VI. Il
fut l'un des chefs des bourguignons et fut décapité en 1418 pour
ses atrocités. (Le Petit Robert des noms propres, 1994.)
* 309 Les Crimes de
l'époque, « Le Beau Raymond », p. 104.
* 310 Le
Claque-dents, p. 109.
* 311 Ibid., p.
111.
* 312 Le
Claque-dents, p. 156.
* 313 Les Crimes de
l'époque, « Les Rapaces », p. 70.
* 314 Les Crimes de
l'époque, « Les Vampires », p. 89.
* 315 Eugène Sue,
Les Mystères de Paris, éd. Robert Laffont, coll.
Bouquins, Paris 1989 ; cf. Part. VIII, chap. I,
« Pique-Vinaigre », p. 975 ; chap. II,
« Comparaison » : « Quelle sera l'influence,
l'autorité morale des lois, dont l'application est absolument
subordonnée à une question d'argent ? La justice civile
comme la justice criminelle ne devrait-elle pas être accessible à
tous ? Lorsque des gens sont trop pauvres pour pouvoir invoquer le
bénéfice d'une loi éminemment préservatrice et
tutélaire, la société ne devrait-elle pas, à ses
frais, en assurer l'application, par respect pour l'honneur et pour le repos
des familles ? », p. 983.
* 316 Les Crimes de
l'époque, « Les Vampires », p. 92.
* 317 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 29.
* 318 Le Claque-dents,
p. 138.
* 319 Eugène Sue,
op. cit., Les Mystères de Paris ; cf. Part. VIII,
chap. II, p. 983-984.
* 320 Les Crimes de
l'époque, « Les Vampires », p. 92.
* 321 Les Crimes de
l'époque, « Les Rapaces » : « Du
reste en police correctionnelle, les choses vont rondement. L'enfant eut ordre
de se taire et, malgré l'indignation du défenseur d'office,
encore jeune et qui croyait à la justice, Yves Gallo fut condamné
à la maison de correction jusqu'à l'âge de vingt et un
ans. », p. 69.
* 322 Ibid., p.
72.
* 323 Le
Claque-dents, p. 186.
* 324 V. Fau-Vincenti,
op. cit., Le Livre du bagne, Présentation, p. 12.
* 325 Les Crimes de
l'époque, « La Lettre anonyme », p. 81.
* 326 Louise Michel,
Lueurs dans l'ombre. Plus d'idiots - Plus de fous. L'âme
intelligente. L'idée libre - L'esprit lucide de la Terre à
Dieu ; Brochure parue en 1861 à Paris, Imprimerie A-E. Rochette, 11
pages, (côte B.N.F. RP-6976) ; dans op. cit. Le Livre du
bagne.
* 327 Louise Michel,
op. cit.. Lueurs dans l'ombre, plus d'idiots, plus de fous,
« Résumons : pour fortifier et éclairer
l'âme du fou et de l'idiot, il faut lui apprendre à voir, à
sentir, à vouloir ; on arrive ensuite à lui faire raisonner ce
qu'il veut ; à l'aide de cette volonté et de ce raisonnement
ne pourrait-on lui donner l'habitude de comprendre de lui-même, de
raisonner de lui-même ? Mais surtout pour rendre l'âme de
l'idiot aimante, active, intelligente, il faut que celui qui instruit ait vu
resplendir le triangle de feu, qu'il croie, qu'il respire et qu'il
aime », p. 40.
* 328 V. Fau-Vincenti,
op. cit., Le Livre du bagne, Présentation, p. 14.
* 329 Les Crimes de
l'époque, « La Lettre anonyme », p. 81.
* 330 Louise Michel, op.
cit., Le Livre d'Hermann, p. 43.
* 331 Ibid., p.
55.
* 332 Jean-François
Wagniart (historien), « Miséreux et vagabonds à la fin
du XIXe siècle », dans op. cit., Le Roman social,
Littérature, Histoire et Mouvement ouvrier, :
« Maupassant développe une vision des misérables
incapables d'agir sur leur destin. Il sait qu'en poussant les êtres
à bout, la société accule les individus à la
violence et à leur perte. », p. 28.
* 333 Louise Michel, op.
cit., Lueurs dans l'ombre, p. 32.
* 334 Dictionnaires des
proverbes et dictons, Robert.
* 335 Ibid.,
« c'est bien en s'autorisant d'une telle analogie que l'homme des
proverbes d'une certaine littérature a investi le monde animal du soin
d'expliciter les mécanismes de son être social et culturel,
invoquant, devant son image confuse et insaisissable, la garantie
représentative d'une nature animale fidèle et
immuable. »
* 336 op. cit.,
Classes laborieuses et Classes dangereuses : "Également bien
connue est l'influence de ces théories que les principaux
écrivains de ce temps. Si l'on en croit Balzac, elles ont inspiré
La Comédie Humaine. Les criminels d'Eugène Sue
présentent tous les caractères que Lavater et Gall attribuent
à l'homme dégénéré.", p. 674.
* 337 Gaspard Lavater
(1741-1801), Art d'étudier les physionomies, 1772 ; Les
Fragments physionomiques, 1774 ; cité par Louis Chevalier dans
Classes laborieuses et Classes dangereuses, p.674.
* 338 Le
Claque-dents, « Dupoignon, Trifouillard et autres
nullités, de ces êtres qui traversent les débâcles
comme les mollusques traversent les révolutions géologiques, se
préoccupaient seulement de parader et de banqueter », p. 236 ;
voir aussi : « Les mollusques semblables à Dupoignon et
Trifouillard continuaient magistralement à glisser parmi les
décombres de la vieille société », p. 271.
* 339 op. cit., L'animal
en politique, p. 218 et p. 230.
* 340 Ibid.,
« les écrits anarcho-syndicalistes de la fin du 19e
siècle, plus encore que d'autres, utilisent des figurations animales,
sous forme de représentations sociales et/ou d'injures, pour labelliser
en les rabaissant les ennemis du "populo"», p. 209.
* 341 Le
Claque-dents, p. 50.
* 342 Ibid., p. 35
et p. 281.
* 343 Mouche dont les
femelles pondent leurs oeufs sur les substances organiques en
décomposition, telles que la viande, le fumier et les
excréments ; ibid., p. 35.
* 344 Ibid., p.
50 et p. 119 ; op. cit., L'animal en politique : les
« oiseaux de proie » (« vautours »,
« charognards ») et le « loup » sont
les animaux typiques du bestiaire anarchiste pour désigner les bourgeois
et les patrons, p. 212 et 230.
* 345 J. Chevalier et A.
Cheerbrant, Dictionnaire des symboles, Robert Lafont / Jupiter, Paris,
1982 : « Le loup est synonyme de sauvagerie et la louve de
débauche. [...] Ce symbolisme de dévorateur est celui de la
gueule, image initiatique et archétypale, liée au
phénomène de l'alternance jour-nuit, mort-vie : la gueule
dévore et rejette ».
* 346 Wolf (en
anglais et en allemand signifie « loup ») est un des
personnages révolutionnaires du Claque-dents.
* 347 Le commerce d'enfant
est un thème récurrent dans les oeuvres de Louise Michel ;
on retrouve un épisode similaire dans Le Claque-dents et dans
Les Microbes humains : « Mais une fois les petits
cercueils placés dans le caveau de ses ancêtres, caveau vaste et
profond, la grande dame allait dans la nuit furtivement reprendre les pauvres
petites à qui elle avait donné des narcotiques, et les vendait
sans se compromettre (puisqu'elles étaient déclarées
mortes) à des ogres de haut vol aimant la chair fraîche.
Quelques-unes s'éveillaient, d'autres passaient du sommeil à la
mort. », p. 102-103.
* 348 Les Crimes de
l'époque, « Les Rapaces », p. 58.
* 349 Ibid., p.
61.
* 350 Le
Claque-dents, « La femelle, elle est morte ;/ Le
mâle, un chat l'emporte./ Et dévore ses os./ Qui veille au nid,
personne,/ Pauvres petits oiseaux ! », p. 225.
* 351 Ibid., p.
181.
* 352 op. cit.,
L'animal en politique, p. 209-210.
* 353 Ibid., p.
221.
* 354 Ibid., p.
225.
* 355 Les Crimes de
l'époque, « Les Rapaces », p. 66.
* 356 Le
Claque-dents, p. 66.
* 357 Ibid.,
« Une vingtaine de sénateurs et quinze ou seize
députés étaient passés de vie à
trépas. [...] La fatigue des discours officiels, surtout les banquets
d'une digestion difficile avait autant que les frayeurs soudaines
hâté la mort de cette poignée de
légiférant. », p. 166
* 358 Ibid., p.
166.
* 359 Ibid., p.
67.
* 360 Ibid., p.
126.
* 361 Ibid.,
« Les gogos pendant ce temps-là plaçaient leurs
misérables épargnes sur la colonie de la Nouvelle Atlantide et
fondaient leurs espérances sur les candidatures couronnées de
succès d'Alfred Dupoignon et de Stanislas Trifouillard », p.
128.
* 362 Ibid.,
« Des candidats de bonne foi s'imaginent qu'en mettant des sinapismes
sur les jambes de bois de la constitution, ils parviendront à la
galvaniser, c'est bien inutile, la gangrène lui monte au
coeur. », p. 67.
* 363 Ibid., p.
131.
* 364 Ibid., p.
136.
* 365 Ibid.
* 366 Voir
Élisée Reclus (1830-1905) géographe, militant et penseur
de l'anarchisme français. Dans l'Anarchie, éd. du
Sextant, Paris, 2006, conférence prononcée le 18 juin 1894 devant
les franc-maçons de la Loge « Les Amis
Philanthropes » de Bruxelles ; ce texte a été rendu
public lors du colloque sur E. Reclus, à Bruxelles, en février
1985 (p. 9) : « Les anarchistes professent en s'appuyant sur
l'observation, que l'État et tout ce qui s'y rattache n'est pas une pure
entité ou bien quelque formule philosophique, mais un ensemble
d'individus placés dans un milieu spécial et en subissant
l'influence. Ceux-ci élevés en dignité, en pouvoir, en
traitement au-dessus de leurs concitoyens sont par cela même
forcés pour ainsi dire, de se croire supérieurs aux gens du
commun, et cependant les tentations de toute sorte qui les assiègent les
font choir presque fatalement au-dessous du niveau
général », p. 41-42.
* 367 Le
Claque-dents, p. 136.
* 368 Ibid., p.
138.
* 369 Les Crimes de
l'époque, « Les Rapaces », p. 48-49.
* 370 Ibid., p.
54.
* 371 Ibid. p.
54-55.
* 372 Ibid., p.
12-13.
* 373 Ibid., p.
47-48.
* 374 R. Bozetto, A.
Chareye-Mejas et R. Pujade, « Humour et fantastique », p.
69 : « Les procédés humoristiques des
récits fantastiques ne sont pas employés dans le but de provoquer
« passagèrement » le rire ou le détachement,
mais sont en quelque sorte consubstantiels de la stratégie
« fantastique » elle-même, en permettant de
déni de l'Absurde par lequel elle s'installe toujours » ;
cités par G. Desmeule dans La littérature fantastique et le
spectre de l'humour, éd. L'instant même, Québec, 1997,
p. 12.
* 375 Les Crimes de
l'époque, « Les Rapaces », p. 62-63.
* 376 Ibid., p.
63.
* 377 Ibid., p.
64.
* 378 Patrick O'Neill,
«The Comedy of Entropy. The context of Black Humour», Revue
canadienne de littérature comparée, vol. X, 1983, p.
150 : Patrick O'Neill décrit le champ d'application de l'humour de
la façon suivante : « c'est un monde qui appartient
beaucoup plus au domaine du tragique qu'à celui du comique - et
pourtant, suggère de façon profondément troublante la
présence du comique » ; cité par G. Desmeule dans
op. cit. La littérature fantastique et le spectre de l'humour,
p. 48.
* 379 Annie Lebrun,
« L'Humour noir », dans F. Alquie (sous la dir. de)
Entretient sur le surréalisme, éd. Mouton, coll. 10/18,
1966, p. 103 ; cité par Georges Desmeules, dans op. cit. La
littérature fantastique et le spectre de l'humour, p. 20.
* 380 Les Crimes de
l'époque, « Première et dernières
amours », p. 13.
* 381 op.
cit., P. O'Neill, «The Comedy of Entropy. The context of
Black Humour», p. 165 ; cité par Georges Desmeules, dans
op. cit. La littérature fantastique et le spectre de
l'humour, p. 21.
* 382 Louise Michel et
Marguerite Tinayre, La Misère, édité chez Fayard
en 1882, réédité par PUL, Lyon, 2001.
* 383 R. Bozzetto,
« Eugène Sue ou le fantastique d'un romantique »,
Europe n°643-4, 1982, p. 101-110.
* 384 Tania Régin,
op. cit. Le Roman social, Littérature Histoire et Mouvement
ouvrier, p. 22.
* 385 Louise Michel, op.
cit. Mémoires, part. I, p. 31.
* 386 E. A. Poe,
Contes grotesques et arabesque, « L'art du
conte », éd. Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris,
1989 : « [...] Si sa toute première phrase ne tend
pas à amener cet effet, c'est qu'alors, dès le tout premier pas,
il a fait un faux pas. Dans toute l'oeuvre, il ne devrait pas y avoir de mot
dont la tendance, de façon directe ou indirecte, soit
étrangère au dessein préétabli. Et par ce moyen,
avec ce soin et cette habileté, un tableau, à la fin, est peint
qui laisse dans l'esprit de qui le contemple avec un art semblable une
impression de satisfaction la plus totale. L'idée du conte, sa
thèse, s'est trouvée présentée intacte parce
qu'imperturbée - chose absolument indispensable et cependant tout
à fait hors de portée dans le roman. », p.
1002-1003.
* 387 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 38
* 388 Ibid., p.
36.
* 389 Ibid.,
« La Lettre anonyme », p. 74.
* 390 Ibid., p.
74.
* 391 Ibid., p.
78.
* 392 Ibid., p.
79.
* 393 Ibid., p.
80.
* 394 Ibid.,
« Les Vampires », p. 95.
* 395 Ibid.,
« Premières et dernières amours », p.
11.
* 396 Ibid.,
« Le beau Raymond », p. 97.
* 397 op. cit. Le
Conte et la Nouvelle, p. 150.
* 398 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 29.
* 399 Ibid., p.
76.
* 400 Ibid., p.
43.
* 401 Ibid., p.
43.
* 402 Ibid., p.
52.
* 403 Ibid., p.
60.
* 404 Les Crimes de
l'époque, « Les Vampires », p. 83.
* 405 Ibid., p.
84.
* 406 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 35.
* 407 Ibid., p.
36.
* 408
Ibid. : « Celui-là c'est l'assassin »
, p. 11.
* 409 Ibid.,
« Les Vampires », p. 88.
* 410 Ibid.,
p.88.
* 411 Ibid.,
« Le Beau Raymond », p. 99.
* 412 Les Crimes de
l'époque, « La Lettre anonyme », p. 73.
* 413 Ibid., p.
80-81.
* 414 Ibid. p.
81.
* 415 Ibid.,
« Les Rapaces », p. 72.
* 416 J.P. Aubrit, op.
cit., Le Conte et la Nouvelle, p. 12-13.
* 417 Louise Michel, op.
cit. Lueurs dans l'ombre, plus d'idiots, plus de fous,
« Lueurs dans l'ombre », p. 33.
* 418 op. cit., Le
Conte et la Nouvelle : « Incontestablement la nouvelle
nous offre toujours quelque chose à connaître ou à
reconnaître. L'espace restreint accordé au récit, fait que
l'attention du lecteur est aiguisée par la conscience, que la
réalité la plus banale recèle un secret, qu'il doit se
passer quelque chose d'important, voire de fatal », p. 158.
* 419 Les Crimes de
l'époque, « Les Rapaces », p. 39.
* 420 Ibid.,
« Le Beau Raymond », p. 97.
* 421 Ibid., p.
97.
* 422 Ibid., p.
98.
* 423 Ibid., p.
99.
* 424 Ibid., p.
97.
* 425 Ibid., p.
98.
* 426
Ibid. : « le beau Raymond parut, escorté par la
maréchaussée, et fut pendu par le cou, sans avoir voulu dire
autre chose sinon qu'il était innocent du meurtre de Diane », p.
104.
* 427 Ibid.
* 428 op. cit., Le Conte
et la Nouvelle, p. 154.
* 429 Les Crimes de
l'époque, « Les Rapaces », p. 72.
* 430 Louise Michel,
op. cit. Mémoires : « Jamais je n'ai compris
qu'il y eut un sexe pour lequel on cherchait à atrophier l'intelligence
comme s'il y en avait trop dans la race. Les filles, élevées dans
la niaiserie, sont désarmées tout exprès pour être
mieux trompées : c'est cela qu'on veut. [...] Sous prétexte
de conserver l'innocence d'une jeune fille, on la laisse rêver, dans une
ignorance profonde, à des choses qui ne lui feraient nulle impression si
elles lui étaient connues par de simples question de botanique ou
d'histoire naturelle. » (I, p.83).
* 431 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 19.
* 432 Ibid.,
« [...] Partout, l'homme souffre dans la société
maudite ; mais nulle douleur n'est comparable à celle de la femme.
Dans la rue elle est marchandise. Dans les couvents où elle se cache
comme dans une tombe, l'ignorance l'étreint, les règlements la
prennent dans leur engrenage, broyant son coeur et son cerveau. Dans le monde,
elle ploie sous le dégoût ; dans son ménage le fardeau
l'écrase ; l'homme tient à ce qu'elle reste ainsi, pour
être sûr qu'elle n'empiétera ni sur ses fonctions,
ni sur ses titre. [...] Ce que nous voulons c'est la science et la
liberté. [...] Est-ce que vous oserez faire une part pour les droits
des femmes, quand hommes et femmes auront conquis les droits de
l'humanité ? Ce chapitre n'est point une digression. Femme, j'ai le
droit de parler des femmes. » (I, p.85).
* 433 Les Crimes de
l'époque, « Les Vampires », p. 93.
* 434 Ibid.,
« Les Rapaces », p. 39.
* 435 Ibid., p.
43.
* 436 Il est cependant
difficile, d'un point de vue littéraire, de définir le conte car
il « n'a pas constitué pour la conscience critique un genre
précis, dont on analyse les éléments constitutifs à
défaut d'en codifier la production », Michèle Simonsen,
Le Conte populaire, Presses Universitaires de France, Paris, 1984, p.
9.
* 437 Ibid., p.
10.
* 438 Ibid., p.
15-18.
* 439 Louise Michel,
Contes et Légendes, p. 13.
* 440 J. P. Aubrit,
op. cit. Le Conte et la Nouvelle :« sur cette
matière assez mince et qui puise dans la vie quotidienne, le fabliau ne
s'attarde pas en digressions, pas plus qu'il n'affine les personnages qui
restent des types : tout au plaisir de raconter une bonne histoire, il va
à l'essentiel avec une allégresse dont se souviendront les
auteurs des nouvelles des siècles suivants », p. 10.
* 441 La légende
répondrait au même objectif pédagogique que le conte, car
elle délivre une leçon morale ou sapientiale, bien qu'elle
constitue un récit d'événements tenus pour
véridiques par le locuteur et son auditoire, Michèle Simonsen,
op. cit. Le Conte populaire, p. 13-14.
* 442 J. P. Aubrit, op.
cit. Le Conte et la Nouvelle, p. 13.
* 443 Le conte moral voit
le jour au XVIIIe siècle sous la plume de
Jean-François Marmontel (1723-1799), encyclopédiste, historien,
conteur, romancier, grammairien, poète, dramaturge et philosophe
français.
* 444 op. cit. Le
Conte et la Nouvelle, p. 46-47.
* 445 Contes et
Légendes, « Le père Rémy », p.
33.
* 446 Ibid., p.
5.
* 447 Ibid., p.
7.
* 448 Ibid.,
« dernier rejeton sans doute de quelque race nomade », p.
8.
* 449 op. cit.
Dictionnaire des symboles, « [...] Homme et serpent sont les
opposés, les complémentaires, les rivaux. Un psychanalyste dit
que le serpent est « un vertébré qui incarne la
psyché inférieure, le psychisme obscur, ce qui est rare,
incompréhensible et mystérieux ». [...] Dans le monde
diurne, il surgit comme un phantasme palpable, mais qui plisse à travers
le temps comptable, l'espace arpentable et les règles du raisonnable,
pour se réfugier dans le monde du dessous, dont il provient et où
on l'imagine, intemporel, permanent et immobile dans sa complétude.
[...] Il est énigmatique, secret, on ne peut prévoir ses
décisions, soudaines comme des métamorphoses ».
* 450 Contes et
Légendes, p. 9.
* 451 Ibid.
* 452 op. cit.
Dictionnaire des symboles, « [Le roux] rappelle le feu, la
flamme [...] il caractérise le feu impur, qui brûle sous la terre,
le feu de l'Enfer, c'est une couleur chthonienne. En somme, le roux
évoque le feu infernal dévorant, les délires de la luxure,
la passion du désir, la chaleur d'en bas, qui consument l'être
physique et spirituel ».
* 453 op. cit.
Dictionnaire des symboles, « Génies de petites tailles
qui, selon la Kabbale, habiteraient sous terre et détiendraient les
trésors des pierres et métaux précieux [...] Ils
symboliseraient l'être invisible, qui par l'inspiration, l'intuition,
l'imagination, le rêve, rendrait visibles les objets invisibles. Ils sont
dans l'âme humaine des éclairs de connaissance, d'illumination et
de révélation. [...] Instables, ils peuvent aimer et
détester successivement un être. Peu à peu, le gnome est
devenu pour l'imagination un nain laid et difforme, malicieux et
méchant. Le couple, ou le gnome dédoublé en un complexe
masculin et féminin symbolise l'alliance en tout être d'un
côté laid et d'un côté beau ; l'un méchant
l'autre bon ; l'un terreux, l'autre lumineux ».
* 454 Contes et
Légendes, p. 9.
* 455 Ibid., p.
10.
* 456 Contes et
Légendes, p. 7.
* 457 Ibid., p.
11.
* 458 J.P. Aubrit, op.
cit. Le Conte et la Nouvelle : « il le décrit en
proie au besoin, à la faim, au froid, aux dures fatigues de la
route », « c'est là sa force poétique, qui le
distingue de la fable, mais c'est aussi son ambiguïté, car cette
vie ne peut s'incarner que par la médiation de la parole
conteuse », p. 101.
* 459 Ibid., p.
14.
* 460 Louise Michel, op.
cit. Le Livre d'Hermann, p. 62.
* 461 Contes et
Légendes, p. 15.
* 462 Le hibou semble
être l'animal qui correspond au père Mathieu : « parce
qu'il n'affronte pas la lumière du jour, le hibou est symbole de
tristesse, d'obscurité, de retraite solitaire et
mélancolique », (op. cit. Dictionnaire des
Symboles).
* 463 Contes et
Légendes, p. 16.
* 464 Ibid.,
« La famille Pouffard », p. 45
* 465 Ibid., p.
47.
* 466 Ibid., p.
51.
* 467 Ibid.,
« L'héritage du père Blaise », p. 20.
* 468 Louise Michel,
op. cit. Mémoires ; peut-être ce personnage est-il
inspiré d'une personne réelle que Louise Michel aurait connue
dans son enfance : « Cela faisait des fruits tombés de
l'arbre, pour Marie Verdet (une vieille de près de cent ans), qui
disait si bien les apparitions des lavandières blanches à la
Fontaine aux dames, ou du feullot rouge comme le feu, sous las saules du
Moulin. Marie Verdet voyait toujours ces choses-là, et nous
jamais ! cela ne nous empêchait pas de prendre plaisir à ses
récits, tant et si bien que, du feullot à Faust, j'en
vins à m'éprendre tout à fait du fantastique, et que dans
les ruines hantées du châté païot je
déclarai, au milieu de cercles magiques, mon amour à Satan
qui ne vint pas. Cela me donna à penser qu'il n'existait
pas. » (I, p.30).
* 469 Ibid., p.
21.
* 470 Michèle
Simonsen, op. cit. Le Conte populaire : la conscience de ce fait
est plus ou moins nette selon les époques, de nos jours, elle est
très aiguë, p. 58.
* 471 Contes et
Légendes, « Les dix sous de Marthe », p. 31.
* 472 Ibid.
« La Vieille Chéchette », p. 10.
* 473 Ibid.,
« Robin-des-bois », p. 18.
* 474 op. cit.
Dictionnaire des symboles, « Le bois est par excellence la
« matière », ce qui s'exprime jusque dans le langage
populaire, héritier des traditions artisanales qui façonnaient
principalement le bois. [...] Chez les Anciens, Grecs et Latins, comme chez
d'autres peuples, des bois étaient consacrés à des
divinités [...] La forêt ou le bois sacré est un centre de
vie, une réserve de fraicheur, d'eau et de chaleur associées,
comme une sorte de matrice. Aussi est-elle encore un symbole maternel. Elle est
la source d'une régénérescence. [...] Tout cela confirme
le symbolisme d'un immense et inépuisable réservoir de vie et de
connaissance mystérieuse. »
* 475 Contes et
Légendes, p. 8.
* 476 (sous la dir. du)
Pr. P. Brunel, Dictionnaire des mythes littéraires, éd.
du Rocher, 1989 ; art. « Robin-des-Bois » : il
« apparaît dans les manuscrits anglais au XVe, mais
la plupart des critiques pensent que l'on peut lui donner une origine plus
ancienne » ; « légende de Robin-des-Bois
rangée dans ce que les érudits appellent la Matière de la
forêt de Sherwood ou de Greenwood », il est le « Roi
de la forêt », la chasse constitue l'aspect le plus important
de la tradition. Tel que le présente la littérature,
« Robin est un braconnier qui se nourrit essentiellement de gibier
[...] les gardes forestiers royaux font partie de ses ennemis, à
côté du shérif et des moines opulents » ; il est
le héros du peuple : « ami du peuple, ses alliés
naturels dans les ballades vont du paysan à l'artisan, sans oublier le
chevalier pauvre » ; le XIXe siècle livre un
Robin-des-Bois franchement caractérisé comme héros du
peuple. Michelet comme Quinet voient en lui l'ancêtre du peuple anglais
luttant contre l'injustice des grands manufacturiers, mais ouvrant aussi les
voies de l'avenir » (un révolutionnaire ?).
* 477 Contes et
Légendes, « Robin-des-bois », p. 13.
* 478 J. Collin de Plancy,
Dictionnaire Infernal, éd. par Henri Plon,
Imprimeur-Éditeur, Paris, 1863 ; réédité par
Slatkine Reprints, Genève, 1980, p. 79 ; art.
« Barbatos » établi à partir de Johannes
Wier, Pseudomonarchia daemonum (1577).
* 479 Contes et
Légendes, « Robin-des-bois », p. 13.
* 480 Ibid.,
« Robin-des-bois », p.13.
* 481 Ibid.,
« Robin-des-bois », p. 13
* 482 Ibid.,
« La famille Pouffard », p. 52.
* 483 op. cit. Le
Conte et la Nouvelle : c'est ce que Istvan Bano nomme
« l'esthétique de la stabilité » (colloque du
CNRS), p. 100.
* 484 Contes et
Légendes, p. 19.
* 485 Ibid., p.
23.
* 486 Ibid.,
« La vieille Chéchette », p. 12.
* 487 Ibid.,
« Le père Rémy », p. 34.
* 488 Ibid., p.
39-40.
* 489 op. cit. Le
Conte et la Nouvelle, p. 100.
* 490 Contes et
Légendes, p. 14.
* 491 Ibid., p.
7.
* 492 Ibid., p.
12.
* 493 Ibid., p.
25.
* 494 Louise Michel, Le
livre du jour de l'an : historiettes, contes et légendes pour les
enfants, Paris, 1872.
* 495 Contes et
Légendes, « Robin-des-Bois », p. 14.
* 496 Ibid., p.
17.
* 497 Ibid., p.
18.
* 498 Ibid.,
« La famille Pouffard » : p. 57-58.
* 499 Ibid., :
p. 64-65.
* 500
Ibid., : « C'est qu'on avait retrouvé la piste
d'un pauvre fou, échappé d'une maison de santé depuis
quelques jours, grâce à l'un des vêtements d'un interne
qu'il avait eu le talent de se procurer. Cet homme ordinairement assez calme,
malgré sa folie de voyages et son idée d'être prince,
était cependant sujet à quelques accès d'une violence
extrême. C'était Son Altesse le duc Oscar de Sadoga, lequel fut
réintégré dans sa maison de santé. Quel coup de
théâtre ! », p. 65.
* 501
Ibid. : « Lors même qu'elles eussent
été belles, leur bêtise les eût
défigurées, et, en fait de comparaison avec les fleurs, il vaut
mieux ressembler à quelque chose de moins fragile et de plus
intelligent », p. 56.
* 502 Ibid., p.
48.
* 503 Ibid., p.
52-62.
* 504 Ibid., p.
61.
* 505 Ibid., p.
59.
* 506
Ibid., : « Il ne manquait plus pour compléter la
maison de Pouffard, qu'une institutrice pour mademoiselle Euphrosine. On fit
venir de Paris une jeune orpheline qui avait passé d'une manière
assez brillante ses examens dans l'année. Rose André était
intelligente, dévouée, fière et ferme ; elle n'eut
donc pas de peine à juger chez qui elle était tombée et
encore moins à prendre son parti. Comme elle ne reculait jamais devant
les difficultés, quand il y avait du bien à faire, elle
résolu d'arracher Euphrosine à l'imbécillité, et
peut-être de diminuer celle de ses parents ; bien résolue du
reste, au cas de non réussite, à reprendre le chemin de Paris,
où elle serait plus utile dans l'éducation publique qu'elle ne
pouvait l'être là, dans l'éducation
particulière. », p. 48.
* 507 Ibid., p.
48.
* 508 Ibid., p.
66.
* 509 Ibid.,
« Le père Rémy », p. 43.
* 510 Ibid., p.
41.
* 511 Au XIXe
siècle, il était en effet difficile d'obtenir une place dans une
maison de retraite, et la crèche restait chère, à peu
près six sous par jour, ce qui constituait un véritable budget
pour une famille ouvrière. Voir Louise Michel et Marguerite Tinayre,
op. cit., La Misère , p. 123.
* 512 Contes et
Légendes, « Le père Rémy », p.
41.
* 513 Contes et
Légendes, p. 6.
* 514 J. P. Aubrit
considère le conte comme un récit
« objectif » et « non lyrique »
où le locuteur y efface toute trace de subjectivité, toute
implication personnelle ; il n'est pas un auteur mais un récitant ;
op. cit. Le Conte et la Nouvelle, p. 99.
* 515 Ibid., p.
5.
* 516 op. cit. Le
Conte et la Nouvelle, p. 99.
* 517 Il s'agit pour
l'enfant d' « acquérir ce faisant une personnalité
autonome et équilibrée, c'est-à-dire qui intègre
les exigences du Ça et du Surmoi en un Moi
harmonieux », Michèle Simonsen, op. cit. Le Conte
populaire, p. 60.
* 518 Contes et
Légendes, « Les dix sous de Marthe », p. 26.
* 519 Ibid., p.
27.
* 520 Ibid.
* 521 Ibid., p.
30.
* 522 Ibid., p.
30-31.
* 523 Ibid., p.
19.
* 524 Ibid., p.
24.
* 525 Ibid., p.
33. Notons sur quel ton critique, la conteuse dénigre en passant les
deux almanachs suisse et français « Le messager
boiteux » et « Le grand conteur ». D'une part
parce qu'ils sont de mauvais informateurs (ils sont soumis à la censure
et de tendance moralisatrice). Et d'autre part parce que réactionnaires,
ils manquent de modernité en cette fin du XIXe
siècle ; alors qu'il existe de nouveaux moyens de diffusions,
l'almanach était vendu sur les places de foire et marchés, lors
des rassemblements populaires, ou même à domicile, par des
colporteurs. Voir Liliane Desponds, MESSAGER BOITEUX. Trois siècles
d'histoire au travers du terroir, éd. Cabedita, 1999, p. 9 et p.
196.
* 526 Ibid., p.
66.
* 527 cf. Philippe
Ivernel, op. cit. Au temps de l'anarchie, un théâtre de
combat, 1880-1914, titre de l'introduction, t. I, p. 19.
* 528 Jonny Ebstein,
op. cit. Au temps de l'anarchie, Introduction « Le combat
anarchiste », t. I, p. 17-18.
* 529 op. cit. Au temps
de l'anarchie, « Thèmes et formes d'un
théâtre polémique », t. I, p. 20.
* 530 Ibid., p.
21.
* 531
Ibid. : Dans le cadre des genres reconnus, ou à
côté d'eux, apparaissent des catégories marquant une
inflexion inédite : le « drame
réaliste », le « drame social », le
« drame ouvrier » (en trois acte mais aussi en un seul), la
« pièce sociale » (aux structures moins
fixées, pouvant se réduire à un « monologue
dramatique » ou s'étendre sur quatre actes, le
cinquième n'ayant pas droit de cité ici, peut être que sa
présence rappellerait trop le modèle aristotélicien),
« l'étude révolutionnaire », la
« pièce de combat », le
« théâtre d'idées », la
« comédie sociale », la « pièce
grinçante », les « farces et
moralités », lesquelles peuvent mener, le cas
échéant, à une autre extrémité, la
« vision abstraite » dont parle Georges Darien, projet qui
avoisine une sorte de fantastique ou de grotesque social ; p. 24.
* 532 Jean-Marie Thomasseau,
Le Mélodrame, collection « Que
sais-je ? », PUF.
* 533 La Pologne de la fin
du XVIIIe et du XIXe siècle connut
différents bouleversements et déchirements. La Pologne est en
trois phases successives, partagée entre la Russie (1764), la Prusse
(1793) et l'Autriche-Hongrie (1795) ; elle renaît de façon
éphémère grâce à Napoléon qui
crée le Royaume de Varsovie (1807), un territoire indépendant,
mais très réduit. Après la chute de Napoléon en
1815, au Congrès de Vienne, le Royaume est transformé en
Duché, placé sous l'autorité du tsar, qui a le droit
d'être couronné Roi de Pologne ; en 1830 éclate dans
de Duché une insurrection qui sera matée en 1831 et suivie d'une
violente vague de répression. Puis des mouvements
indépendantistes et des soulèvements populaires ont lieu
ponctuellement : 1846, 1848, 1863.
* 534 Louise Michel et Jean
Winter, Nadine, la première eut lieu le 29 avril 1882 au
Théâtre populaire ; cité par M. Surel-Tupin, op. cit.
Au temps de l'anarchie, t. II, p. 16.
* 535 Philippe Ivernel,
op. cit. Au temps de l'anarchie, t. I, p. 34.
* 536 op. cit. M.
Surel-Tupin, Au temps de l'anarchie, t. II, p. 142.
* 537 Philippe Ivernel,
op. cit. Au temps de l'anarchie, t. I, p. 29.
* 538 Dans Bernard Franco,
op. cit. Le Héros et l'Histoire : Maria Korytowska,
explique que dans le roman de Juliusz Slowacki, Kordian,
« l'insurrection a débuté à Varsovie (qui a subi
l'occupation russe), par une attaque sur le Belvédère,
siège du régent et frère du tsar ; et cet attentat -
qui a échoué - est devenu l'un des événements les
plus discutés par les romantiques », p. 170.
* 539 Anna Fialkiewicz,
op. cit. « Kordian, un roman de Juliusz
Slowacki » ; deux phases du romantisme polonais : avant et
après l'insurrection. « Cette première phase est
très nettement dominée par la figure d'Adam Mickiewicz qui donne
le ton, avec son premier tome de poésies publié en 1822, recueil
de poèmes inspirés dans leur « fond » comme
dans leur « forme » par la tradition populaire, opposant
à tout moment le coeur à la raison et exaltant la jeunesse,
l'amour et l'action. », (p.146). Après l'insurrection en 1831,
grand nombre d'intellectuels polonais s'installent en France,
« victimes des répressions tsaristes », et Paris
devient alors le foyer de la vie intellectuelle et artistique polonaise.
« Le tournant concerne aussi la production littéraire
elle-même, dont une grande partie traitera désormais de ce qu'on
appellera la « question nationale », en d'autres termes une
série de questions qui s'articulent toutes autour de l'histoire
polonaise : sur le sens du destin de la Pologne, sur
« l'après 1831 », avec en leitmotiv, la question du
rôle du poète ». « [...] Mickiewicz [dans
l'acte III des Aïeux] formule sa théorie du
« messianisme polonais », reposant sur une analogie entre
le martyr du Christ et celui de la nation polonaise », p.147.
* 540 Maria Korytowska,
« Kordian par Juliusz Slowacki », dans op.
cit. Le Héros et l'Histoire, p. 169-170.
* 541 Bernard Franco, op.
cit. Le Héros et l'Histoire, p. 20.
* 542 Bernard Masson,
Musset et le théâtre intérieur. Nouvelles recherches
sur « Lorenzaccio ». Paris, Armand Colin,
1974 :« Nos pièces romantiques [...] revendiquent une
vérité historique présente jusque dans d'infimes
détails et manifestent une recherche de la couleur locale qui n'a pas
qu'une signification esthétique », p.56-59 ; cité par
Bernard Franco, op. cit. Le Héros et l'Histoire, p. 8.
* 543 Cité par Jonny
Ebstein, op. cit. Au temps de l'anarchie, Introduction « Le
combat anarchiste », t. I., p. 18.
* 544 Bernard Franco, op.
cit. Le Héros et l'Histoire, p. 23.
* 545 Est-ce un clin
d'oeil à Antoine Orlowski (1811-1861) violoniste, chef
d'orchestre et compositeur polonais, qui se réfugiera en France, suite
à la répression tsariste après 1830 ?
* 546 M. Surel-Tupin, op.
cit. Au temps de l'anarchie, t. 2, p. 143.
* 547 Ibid., p.
144.
* 548 La
Grève, Acte II, scène 5, p. 171 ; mais dans une lettre (du
16 décembre 1890) envoyée à J. Grave pour être
publiée dans la Révolte, Louise Michel défend
la Grève de ressembler « aux vieux mélodrames,
[où] il y a un enchevêtrement d'intrigues » ; cf. Louise
Michel, Je vous écris de ma nuit, correspondance
générale 1850-1904, établie et présenté par
Xavière Gauthier, aux Éditions de Paris, 1999, Lettre 938, p.
578-579.
* 549 op. cit. Le
Héros et l'Histoire, p. 8.
* 550 Jonny Ebstein, op.
cit. Au temps de l'anarchie, t. I, p. 18.
* 551 Ibid., p.
22.
* 552 Caroline Granier,
Les écrivains anarchistes en France à la fin du
dix-neuvième siècle, "Nous sommes des briseurs de formules",
Thèse de doctorat de l'Université Paris 8, 6 décembre 2003
; http://raforum.info/dissertations.
* 553 La
Grève, Acte II, scène 2, p. 164.
* 554 Ibid.,
Prologue, scène 7, p. 155. « Mancenillier » : arbre
d'Amérique qui produit un latex très vénéneux. On
l'appelle « arbre poison », « arbre de
mort », et son ombre passait pour être mortelle, (Le Petit
Robert, 1989).
* 555 Ibid.,
Prologue, scène 3, p. 153.
* 556 Ibid.,
Prologue, scène 5, p. 154.
* 557 Ibid., Acte V,
scène dernière, p. 195.
* 558 Ibid., Acte
II, scène 2, p. 164.
* 559 Ibid., [les
crochets représentent ce qui a été censuré], p.
165-166 ; « germinal de l'or » : métaphore
également utilisée dans le Claque-dents à propos
de l'ambition de Gertrude, p. 34, (voir II. 1. a).
* 560 Ibid., p.
168 ; « Jacquerie » : soulèvement des paysans
français contre les seigneurs en 1358. Révolte paysanne
(1821).
* 561 Ibid.
* 562
Ibid. : « GERTRUDE.- J'ai pitié de vous,
Eléazar, les affaires dans le trouble où vous êtes vous
seraient pénibles, signez ces pouvoirs qui me permettent de les faire
à votre place [...]. Que vous êtes naïf
Eléazar », p. 169.
* 563 William Shakespeare,
Le Roi Lear (1603-1606), Acte III, scène 2.
* 564 Maurice Tournier,
op. cit. L'animal en politique : l'utilisation de ce monstre
suprême de la dévoration est un topos dans l'imagerie mythologique
anarchiste, il désigne le monstre capitaliste, le « Moloch
capitaliste [est une figure] omniprésent[e] dans le bestiaire des
socialistes révolutionnaires », p. 222-223.
* 565 La
Grève, Acte IV, scène première, p. 184.
* 566 Le roi Lear comprit
alors que l'amour de ses deux filles aînées était
égoïste et intéressé et que seul celui de
Cordélia était sincère : « LEAR : Peste
soit de vous tous, meurtriers et traîtres ! J'aurais pu la
sauver : maintenant elle est partie pour toujours ! ...
Cordélia ! Cordélia ! attends un peu. Ha !
qu'est-ce que tu dis ? Sa voix était toujours douce, calme et
basse ; chose excellente dans une femme... J'ai tué le
misérable qui t'étranglait », Le roi Lear,
Acte V, scène 5.
* 567 La
Grève, Acte IV, scène IV, p. 186-187.
* 568 Ibid.,
Prologue, scène 1, p. 150.
* 569 Ibid., Acte I,
scène 2, p. 159.
* 570 Ibid., Acte
II, scène première, p. 163.
* 571 Ibid., Acte
II, fin de la scène VII, scène VIII, p. 176 ; scène IX, p.
177.
* 572 Ibid.,
prologue, scène 1, p. 150.
* 573 Ibid., Acte I,
scène 2, p. 158-159.
* 574 Voir Philippe
Sellier, Le Mythe du Héros, Paris-Montréal, Bordas,
1970, p. 16-17 ; cité par Bernard Franco, Le Héros et
l'Histoire, p. 7.
* 575 La
Grève, Prologue, scène II, p. 152.
* 576 Ibid., Acte I,
scène 2, p. 159.
* 577 Ibid., Acte
II, scène 3, p. 169.
* 578 op. cit. Le
Héros et l'Histoire, p. 17.
* 579 Bernard Franco,
op. cit. Le Héros et l'Histoire, « Le héros
tragique, dans le théâtre historique, a pour fonction de
cristalliser ces aspirations identitaires. Il est également un mode de
représentation. C'est la raison pour laquelle la mise en scène du
héros se tisse sur fond de couleur locale. Car la représentation
de l'histoire suppose la multiplicité des événements et
des protagonistes, la contingence, l'arbitraire du sens, ce qui implique le
risque, dans la transposition poétique qu'en propose le drame, de
l'éclatement des formes. La représentation du héros est
ainsi ce qui assure l'unité de l'oeuvre et surtout sa cohérence
», p. 9-10.
* 580 La
Grève, Acte III, scène 4, p. 183.
* 581 Dans la
première version de
Vingt
mille lieues sous les mers, Nemo aurait été un noble
polonais, Szlatcha, qui désirait venger sa famille détruite
pendant la répression russe de l'Insurrection de Janvier (l'insurrection
polonaise, 1863-1864) ; voir Christian Chelebourg. "Préface de
Vingt mille lieues sous les mers". Livre de Poche. Page VII. 1990. Cependant,
Jules Verne écrit à Hetzel: « Mais écartons le
Polonais et le Russe. Le lecteur supposera qui il voudra, suivant son
tempérament » (Lettre du 11 juin 1869). Correspondance de
Jules Verne et de Pierre-Jules Hetzel. Tome I. Slatkine. 1999.
* 582 Robert Horville
(coll. dirigée par), Anthologie de la littérature
française, XIXe siècle, Larousse, 1994, p. 194. Dans le
roman, Nemo vient également en aide aux révolutionnaires
grecs.
* 583 La Grève,
Acte I, scène 4, p. 162.
* 584 Ibid., Acte
III, scène 4, p. 183.
* 585 Ibid.,
Prologue, scène III, p. 152.
* 586 op. cit. Au temps
de l'anarchie, Préface « Destin politique du
théâtre, hier, maintenant », t. I, p. 13.
* 587 La
Grève, Acte I, scène 2, p. 158.
* 588 Ibid.,
Prologue, scène première, p. 150.
* 589 Ibid.,
scène 2, p. 151.
* 590 Ibid.,
scène 10.
* 591 Ibid. Acte
III, scène 4, p. 182 ; Maurice Tournier, op. cit. L'animal en
politique : l'image de l'hydre, désignant normalement, dans
l'imagerie anarchiste, le monstre capitaliste au même titre que le
Moloch, se trouve retournée (comparaison utilisée à
l'initiative du peuple) et incarne alors les angoisses bourgeoises.
* 592 Ibid., Acte
III, p. 178.
* 593 Ibid., Acte
III, scène 4, p. 182.
* 594 Ibid., Acte
III, scène 3, p. 181.
* 595 Ibid.,
scène 4, p. 182-183.
* 596 Ibid., p.
192.
* 597 Ibid., Acte V,
scène 4, p. 194.
* 598 op. cit.,
Bernard Franco met l'accent sur le lien paradoxal qui existe entre
l'idée de héros et le cadre historique des intrigues :
« Peut-être le véritable théâtre historique
est-il celui où l'acteur principal est le peuple » et donc
« où le héros, affirmation d'une individualité
désormais dépourvue de sens, se trouve
évacué », Le Héros et l'Histoire, p.
7.
* 599 Ibid.,
prologue, scène première, p. 149 ; op. cit. Le Héros
et l'Histoire : « La souffrance de la Pologne, d'après le
messianisme, l'a prédestinée au rôle du Messie qui devrait
sauver l'humanité », cf. note 4, p.171.
* 600 V. Hugo,
Hernani (1830), Acte IV.
* 601 Le
Claque-dents, p. 285.
* 602 op. cit. Je vous
écris de ma nuit, Lettre 938, p. 578-579. Le motif de la
révolution wagnérienne est récurrent et fort dans de
nombreux textes ; voir Claude Rétat et Stéphane
Zékian, Les Microbes humains, Presses Universitaires de Lyon,
2013, note 1 p. 50.
* 603 Bien que cela ne
soit pas précisé dans les didascalies, voir M. Surel-Tupin,
op. cit. Au temps de l'anarchie, t. II, p. 144.
* 604
« barcarolle » : forme musicale vocale ou
instrumentale de mesure ternaire avec un accompagnement rythmiquement uniforme,
évoquant le mouvement lent d'une barque. En effet, à l'origine,
la barcarolle était le chant des gondoliers vénitiens.
* 605 Ces deux premiers
quatrains sont déjà présents dans Le
Claque-dents, p. 276.
* 606 La
Grève, Acte II, scène 4 et 5, p. 170-172
* 607 Philippe Ivernel,
op. cit. Au temps de l'anarchie, Introduction, p. 31.
* 608 On ignore la date
d'écriture du Claque-dents, il est publié posthume.
* 609 op. cit. Je vous
écris de ma nuit, Lettre 938, p. 578-579.
* 610 La
Grève, Acte I, scène 3, p. 160 et Acte II, scène 4,
p. 170.
* 611 Ibid., Acte
II, scène 5, p. 172 et Acte II, scène 9, p. 177.
* 612 Ibid., Acte
IV, scène 4, p. 182-183 ; « Diane » :
« Première heure du jour », « roulement de
tambour servant à réveiller les troupes »,
« le réveil », ( Dictionnaire de
l'Académie).
* 613 Ibid.,
Prologue, scène 4, p. 153.
* 614 Ibid.,
Prologue, scène 5, p. 154.
* 615 Ibid., Acte
II, scène 2, p. 164.
* 616 Ibid., Acte V,
scène dernière, p. 195.
* 617 La
Grève, Acte III, scène 7 : « Fleurissez oh
roses/ Fleurissez toujours/ Pour la tombe éclose/ Ou pour les amours//
Fleurissez charmantes/ Dans l'aurore en pleurs/ Ouvrez-vous saignantes/ Sur les
jours vengeurs », p. 175.
* 618 Ibid., Acte
IV, scène 2, p. 185
* 619 Philippe Ivernel,
op. cit. Au temps de l'anarchie, Introduction, p. 32-33.
* 620 Michèle
Simonsen, op. cit. Le Conte populaire, p. 13.
* 621 Ibid., p.
34.
* 622 Louise Michel, op.
cit. Mémoires, I. p. 51.
* 623 Noël Richter,
« Aux origines du club de lecture », bbf 1977 - Paris, t.
22, n° 4, (http://bbf.enssib.fr).
* 624 Les Contes et
Légendes, « Le père Rémy », p.
35.
* 625 Michèle
Simonsen, op. cit. Le Conte populaire, p. 34-35.
* 626 Louise Michel,
op. cit. Mémoires, I. p. 21-22.
* 627 Contes et
Légendes, strophe I, p. 5.
* 628 Par exemple, dans
« Le père Rémy » la veillée a lieu
lors d'un mariage, « Un soir il y avait nombreuse compagnie à
la veillée du père Rémy, toute une noce du village
était venue lui souhaiter le bonsoir et lui apporter un
bouquet », et se révèle être un échange de
compliments entre le maître d'école et les villageois ;
op. cit. « Le Père Rémy », p.
36-37.
* 629 Michèle
Simonsen, op. cit. Le Conte populaire, p. 36-38.
* 630 Louise Michel,
op. cit. Le Livre du bagne, p. 106 ; « Auberive »
fut au XIXe siècle, la prison pour femme créée
dans l'abbaye d'Auberive (Champagne Ardenne).
* 631 Ibid., p.
105.
* 632 Louise Michel
dédie d'ailleurs ses premiers textes « à ces pauvres
braves ambulancières condamnées à mort et dirigées
sur Cayenne » après la Commune de Paris, et ravive alors son
expérience pénitentiaire en indiquant les différents
numéros de matricule qui lui furent attribuées ;
Ibid., p. 103.
* 633 Ibid., p.
175.
* 634 M. Simonsen met
l'accent sur le fait que « ces institutions diffèrent des
médias modernes en ce que les actes de communication du texte sont sous
le contrôle direct de la communauté ». dans
op. cit. Le Conte populaire, p. 36.
* 635 Le conte, comme tout
genre transmis oralement, comprend des éléments rigides, stables,
et des éléments fluides, plus mobiles. Il est important de
souligner, au sujet du travail du conteur, que ces éléments
mobiles peuvent varier d'une narration à l'autre, chez le même
conteur, qui improvise chaque fois un peu. Les formules traditionnelles, qui
peuvent appartenir en propre soit au conte, soit à une région,
soit à un conteur, jouent un rôle essentiel ; Ibid.,
p. 39-40.
* 636 Contes et
Légendes, « La Neige », p. 5.
* 637 Contes et
Légendes,p. 13-14.
* 638 Ibid., p.
20-22.
* 639 Ibid., p.
20.
* 640 C'est ainsi que dans
le supplément littéraire du Figaro du 17 octobre 1891,
un journaliste nommé Tabarant (un des fondateurs du Club de l'art
social) mentionne un spectacle hors du commun donné dans un appartement
de Ménilmontant : « J'ai vu quelque chose de beau et
d'informe, une pièce écrite à la diable, mais belle de
force et de grandeur dans son rudiment esthétique » ; l'auteur
y racontait l'histoire d'une jeune fille violée par son patron, qui
dérobe une bombe à son fiancé anarchiste pour venger son
déshonneur et meurt dans l'explosion. On retrouve au centre de la
pièce, la révolte et le passage à l'acte, chers aux
anarchistes : « Au théâtre, si fou soit-il, le
texte est pré-texte, et l'éternité n'est donnée que
dans la création matérielle d'un instant » ; M.
Surel-Tupin, op. cit. Au temps de l'anarchie,
« Scènes et publics », t. I, p. 36-37.
* 641 Alain Badiou,
op. cit. Au temps de l'anarchie, Préface « Destin
politque du théâtre, hier, maintenant », t. I, p.
7-8.
* 642 Ibid., p.
12.
* 643 M. Surel-Tupin,
op. cit. Au temps de l'anarchie, « Scènes et
publics », t. I., p. 38.
* 644 Ibid., p.
46.
* 645 Ibid., un
journaliste anonyme de L'Illustration, en décembre 1894, se
rend à Montmartre pour assister à une grande soirée de
gala lors de l'inauguration du Théâtre social à la maison
du peuple. Le programme indiquait : « Première
représentation publique de La Pâque socialiste,
pièce sociale en quatre actes du citoyen Emile Veyrin. Conférence
par le citoyen Maurice Barrès ». Suivons-le dans la maison du
peuple transformée ce soir-là en théâtre :
« Laissant à ma droite en contrebas un local enfumé
d'où s'échappent d'âcres senteurs d'alcool et des
éclats de voix mêlés au cliquetis des verres
entrechoqués - le buffet - j'ai vite franchi le vestibule exigu et gravi
les quelques marches d'un escalier rudimentaire conduisant à la salle.
Pas de contrôleurs gourmés et grognons, siégeant à
leur tribunal imposant ; sur le seuil se tiennent deux citoyens
commissaires très barbus, mais d'une exquise humanité. La
salle ?... un hangar dépourvu de vains ornements, semblables
à une de ces granges où opérait la troupe du Roman
comique. A la lueur parcimonieuse de rares becs de gaz, imitant à
s'y méprendre les quinquets de jadis, les spectateurs s'entassent
pêle-mêle sur des bancs rustiques ». Se rendant dans un
quartier populaire, le journaliste a cru bien faire en mettant un pardessus
douteux et en se coiffant d'un chapeau mou, mais grande est sa gêne
lorsqu'il se retrouve aux milieu de « familles entières
d'ouvriers congrûment endimanchées, avec une ribambelle d'enfants
de tous âges [...], d'honnêtes commerçants et de paisibles
bourgeois du quartier, d'employés de bureau très corrects, de
commis de magasin bien cravatés », p. 37-38.
* 646 Ibid., p.
43.
* 647 Ibid.,
« On verra plus tard les passions se déchaîner lors des
représentations des pièces de la communarde. Les réactions
du public nous sont connues par les rapports de police. Les inspecteurs
s'intéressaient surtout aux réactions bruyantes et violentes des
spectateurs. A leurs yeux, la pièce dangereuse est celle qui peut
provoquer des manifestations, voire une émeute », p. 46.
* 648 Ibid., p.
42.
* 649 Vittorio Pini,
anarchiste d'origine italienne, avait fondé avec son compatriote
Parmeggiani vers 1887 un groupe libertaire à Paris qui se fit remarquer
par son mépris des intellectuels. Le 4 novembre 1889, il fut
condamné par les assises de la Seine à vingt ans de travaux
forcés pour une série de cambriolages. Pini accueillit la
sentence aux cris de : « Vive l'anarchie ! à bas les
voleurs ! » ; voir Jean Grave, Quarante ans de
propagande anarchiste, 1880-1914, Flammarion, 1973, (sous la dir. de)
Mireille Delfau, p. 427-432 ; il fut publié une première
fois sous le titre Le Mouvement libertaire sous la Troisième
République en 1930.
* 650 Rapport de police
3662 classé au dossier Leboucher, 20 décembre 1890, cité
par M. Surel-Tupin, dans op. cit. Au temps de l'anarchie, t. II, p.
142.
* 651 Ibid.,
« quand le travailleur instruit et las de crever la faim et la
misère aura compris que ceux qui se gavent le font avec les richesses
qui sont le bien de tous, l'heure sonnera de la grande révolution
sociale. On saura alors trouver des torches et des haches pour incendier les
palais. L'heure de la vengeance populaire est proche ; les victimes de la
bourgeoisie se préparent à une grande bataille aux cris de Mort
aux voleurs ! Vive l'anarchie ! Oui travailleurs, soyons sans pitié ce
jour-là pour les exploiteurs, massacrons-les tous, d'ailleurs mieux vaut
mourir d'une balle sur une barricade que de crever le ventre vide. Mort aux
gavés ! Mort à la bourgeoisie ! Vive les travailleurs ! Vive
l'anarchie ! Vive la révolution sociale », p. 143.
* 652
Ibid. ; la Carmagnole est une chanson révolutionnaire anonyme
et très populaire créée en 1792, quand l'Assemblée
nationale vote la Convention et décrète l'arrestation du Roi
après la Prise du Palais des Tuileries. Lors de ces épisodes
révolutionnaires qui secouèrent le XIXe siècle,
elle réapparaît en s'ornant de nouveaux couplets.
* 653 Cité par
Jonny Ebstein, op. cit. Au temps de l'anarchie, t. I, p. 18.
* 654 La
Grève : « [Vive la sociale du monde] »,
(III, 4, p. 185) ; « LE CHEF DE POSTE.- Qui est au pouvoir ? LE
VIEILLARD.- [Personne]. C'est la République [qui fait le tour du monde,]
la république de l'humanité [, la sociale]. [...] PREMIER
SOLDAT.- Ah ! Je le crois bien, mon officier [, nous en sommes de la
sociale] », (V, 4, p. 192).
* 655 Le
Claque-dents, p. 234.
* 656 Jean Grave,
responsable du Révolté (1883-87), puis de La
Révolte (1887-94) et enfin des Temps nouveaux (1895-1914),
et Emile Pouget, fondateur du Père Peinard (1889-1894),
comptent parmi les principaux acteurs de cette presse anarchiste.
* 657 Jean Grave, op.
cit., Quarante ans de propagande anarchiste, p. 23.
* 658 Ibid.,
« Dans les années 1890-1893, l'anarchisme exerce une grande
séduction sur grand nombre de peintres (Signac, Luce, Pissaro, etc.) et
écrivains (naturalistes et symbolistes, cf. Le Mouvement
social, 1871, n°75) », note 3 p. 286.
* 659 Ibid.,
suite à la série d'attentats des années 1892-94, les
échos de la presse se font solidaires : « Il va sans dire que
tout cela avait surexcité l'opinion publique. Les journaux à
moitié littéraires, comme l'Écho de Paris, le
Journal, voire même parfois l'Éclair,
étaient remplis d'articles, tout à fait révolutionnaires.
Mirbeau, Séverine, Ajalbert, Bernard Lazare, Descaves, Geffroy,
Arsène Alexandre écrivaient des articles purement anarchistes.
Notre Supplément n'avait crainte de chômer. Bernard
Lazare, Paul Adam, Henry Fèvre, Francis Viélé-Griffin, H.
de Régnier, avaient fondé les Entretiens Politiques et
Littéraires qui, à la fin, étaient devenus tout
à fait révolutionnaires », p. 286-287 ;
participèrent à cette revue symboliste mensuelle : Paul
Adam, Stéphane Mallarmé, Élie et Élisée
Reclue, etc., cf. note 2, p. 287.
* 660 Alain Badiou, op.
cit. Au temps de l'anarchie, t. I, p. 12.
* 661 M. Surel-Tupin,
op. cit. Au temps de l'anarchie, « Scènes et
publics », t. I., p. 39.
* 662 Alain Badiou, op.
cit. Au temps de l'anarchie, t. I, p. 12.
* 663 Ibid., p.
14.
* 664 Ibid.,
Alain Badiou entend viser par « catéchismes
contemporains » : Les droits de l'homme, les tribunaux, les
expéditions humanitaires, etc.
* 665 Louise Michel, op.
cit., Lueurs dans l'ombre, plus d'idiots, plus de fous, p. 36.
* 666 Ibid., p.
37.
* 667 Sur
l'étymologie du mot social, cf. Mourioux R., L'année
sociale, Paris, Les Éditions de l'Atelier, 1997, p. 9-10 ;
cité par Sophie Béroud, op. cit. Le Roman social,
Littérature, Histoire et Mouvement ouvrier,
« Réflexion sur la notion de roman
social », p. 10.
* 668 Ibid., p.
11.
* 669 Tania Régin,
op. cit., Le Roman social, Littérature, Histoire et Mouvement
ouvrier, cite Poinsot et Normandy, écrivains et critiques dans la
Revue des deux Mondes (1905), p. 20.
* 670 Le
Claque-dents, p. 249.
* 671 L'usage du terme
« paupérisme » devient alors courant en France pour
désigner « une nouvelle forme de pauvreté, un nouvel
état social, résultant des conditions du travail manufacturier,
marqué par les bas salaires, le chômage structurel, la perte des
revenus complémentaires traditionnels. C'est, au regard des conceptions
du temps, une pauvreté scandaleuse, car loin d'être le fait des
oisifs et des paresseux, elle est également celle des hommes et des
femmes qui travaillent. », dans Dominique Kalifa, Les Bas-fonds,
Histoire d'un imaginaire, Editions du Seuil, 2013, p. 111.
* 672 Tania Régin,
op. cit., Le Roman social, Littérature, Histoire et
Mouvement ouvrier, p. 19-20.
* 673 Louis Chevalier,
op. cit., Classes laborieuses, classes dangereuses, p.
658 ; voir également Dominique Kalifa, op. cit. Les Bas-fonds,
Histoire d'un imaginaire : « Les bas-fonds qui s'affirment
alors dans le langage sont les enfants naturels de ces inquiétudes
multiformes. Ils signalent des lieux réels, produits d'un changement
social rapide et brutal, mais disent aussi le besoin de consolider les contours
du monde réel par la mise en scène de son envers. Ils sont
symptômes, antidote et spectacle en même temps », p.
110.
* 674 J.-F. Wagniart
(historien), « Miséreux et vagabonds à la fin du XIXe
siècle », dans op. cit. Le Roman social,
Littérature, Histoire et Mouvement ouvrier,
« littérature populaire qui offre depuis toujours une galerie
de personnages errants sympathiques comme le montre la littérature de la
Gueuserie. Ce sont de bons vagabonds porteurs de valeurs telles que le courage,
la liberté, la justice [...]. Cette littérature participe au
moins jusque dans les années 1880 à l'édification d'une
légende dorée des gueux qui est poursuivie à la fin du
siècle par Richepin, Schwob ou Fourès. Cette tradition nourrit
profondément la littérature fin de siècle. », p.
26 ; cf. R. Chartier, Figures de la gueuserie, Paris, Montalba, 1982.
A noter la réédition de Pechon de Ruby, La vie
généreuse des mercelots, gueux et bohémiens (1596),
Paris, éd. Allia, 1999.
* 675 Vallès,
Le Cri du Peuple, 27 janvier 1884 et Séverine, id., 30
janvier 1887 : Séverine, dans la lignée de Vallès qui
écrit en 1884 « Soyons toujours avec le peuple même s'il
fait saigner nos idées », résume leur pensée en
déclarant être « avec les pauvres toujours,
malgré leurs erreurs, malgré leurs fautes, malgré leurs
crimes » ; cités par J.-F. Wagniart, op. cit. Le Roman
social..., p. 26.
* 676 Dominique Kalifa
cite la célèbre formule de Saint-Marc Girardin, commentant en
décembre 1831, l'insurrection des canuts lyonnais : « Les
barbares qui menacent la société ne sont point en Caucase ni dans
les steppes de la Tartarie, mais dans les faubourgs de nos villes
manufacturières. », dans op. cit. Les Bas-fonds,
Histoire d'un imaginaire.
* 677 Pour reprendre la
formule de Dominique Kalifa, dans op. cit. Les Bas-fonds, Histoire d'un
imaginaire, p. 116.
* 678
Ibid. : « Ce phénomène est
particulièrement net en France et en Angleterre, qui constituent les
deux principaux points de fixation. En France, il procède surtout de la
crainte de l'émeute, des barricades, de la révolution,
pensées comme les compagnes naturelles du
paupérisme. », p. 113.
* 679 Le Petit
Robert, 1989, « carmagnole » : ronde chantée et
dansée par les révolutionnaires.
* 680 Le
Claque-dents, p. 235.
* 681 Ibid.,
« A l'eau Eléazar ! A l'eau ! », p. 257-258.
* 682 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 15-17.
* 683 Le
Claque-dents, p. 177.
* 684 Ibid., p.
213.
* 685
Ibid., : « - N'ayez pas peur, dit une voix
cassée par les brises âpres et froides de la mer, je suis un vieux
inoffensif ; j'aime à être seul, c'est pourquoi, par les
nuits où le temps me plaît, je viens m'assoir sur le récif
[...] - Jaël, vous êtes le vieux Jaël, pourquoi dit-on que vous
avez la mauvaise main ? - Parce que je suis pauvre et que je vis
seul », p. 162
* 686 Ibid., p.
246
* 687
Ibid. : « Jaël lui, comme celui qui découvre la
possibilité d'une chose longtemps rêvée, ne doutait pas, ne
cherchait pas ; pour lui, voir venir la justice sociale, c'était
l'avoir », p. 248.
* 688 op. cit.,
Le Roman social, Littérature, Histoire et Mouvement ouvrier, p.
27.
* 689 Le
Claque-dents, p. 248.
* 690 op. cit., Le
Roman social, Littérature, Histoire et Mouvement ouvrier, p. 27.
* 691 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 21.
* 692 Le
Claque-dents, p. 271-272.
* 693 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 21.
* 694 Le
Claque-dents, p. 217.
* 695 Gérard Vindt,
op. cit. Le Roman social..., « Le roman de l'utopie
sociale » : « Le roman de l'utopie social [est]
suscité par le rejet du capitalisme libéral et ses
dégâts sociaux, ce roman utopique cherche à
présenter des alternatives. Et, le champ des possibles apparaît
à la fois très incertain et largement ouvert », p.
59.
* 696 Tania Régin,
op. cit. Le Roman social..., p. 21.
* 697 Gérard Vindt,
op. cit. Le Roman social..., « Le roman de l'utopie
sociale »,p. 59.
* 698 La
Grève, Prologue, p. 150.
* 699 Voir
Élisée Reclus, op. cit. L'Anarchie :
« Le rêve de liberté mondial a cessé d'être
une pure utopie philosophique et littéraire[...] Il est devenu le but
pratique, activement recherché par des multitudes d'hommes unis, qui
collaborent résolument à la naissance d'une société
dans laquelle il n'y aurait plus de maîtres, plus de conservateurs
officiels de la morale publique, plus de geôliers ni de bourreaux, plus
de riches ni de pauvres, mais des frères ayant tous leur part
quotidienne de pain, des égaux en droit, et se maintenant en paix et en
cordiale union, non par l'obéissance à des lois, qu'accompagnent
toujours des menaces redoutables, mais par le respect mutuel des
intérêts et l'observation scientifique des lois
naturelles », p. 38.
* 700 J.-F. Wagniart,
op. cit. Le Roman social, Littérature, Histoire et Mouvement
ouvrier, p. 26-27.
* 701 Ibid., p.
35.
* 702 Les Crimes de
l'époque, p. 23-24.
* 703 Louise Michel,
Le Coq Rouge, Acte I, scène 6, dans op. cit. Au temps de
l'anarchie, p. 102-103.
* 704 Les Crimes de
l'époque, « poulpiquet » p. 40 et p.
42 ; « follet », p.43.
* 705 Ibid., p.
53.
* 706 Ibid., p.
55.
* 707 Ibid., p.
69.
* 708 Le
Claque-dents, « [...] leurs grands fichus noirs, claquant au
vent comme des ailes d'orfraies », p. 23 ; « [...]
leurs langues fourchues, chargées de mauvaises paroles - chaque fois
qu'elles n'avaient rien à faire. », p. 26.
* 709 Ibid.,
« Le navire qui avait fait naufrage par la nuit noire se croyait dans
la rade de Quiberon, c'était la pointe du Raz », p. 26.
* 710 Voir Les Crimes de
l'époque, « Les Rapaces ».
* 711 Ibid.,
« Le Vieil Abraël, légende du XXe
siècle ».
* 712 Le
Claque-dents, p. 173.
* 713 Ibid., p.
223.
* 714 op. cit.
Mémoires, « J'ai parlé d'atavisme. Là-bas,
tout au fond de ma vie, sont des récits légendaires, morts avec
ceux qui me le disaient. Mais aujourd'hui encore, pareils à des sphinx,
je vois ces fantômes, sorcières corses et filles de mer, aux yeux
verts ; - bandits féodaux ; - Jacques ; - Teuton aux
cheveux roux ; - paysans gaulois, aux yeux bleus, à la haute
taille ; - et tous, des bandits corses aux juges au parlement de Bretagne,
amoureux de l'inconnu. Tous transmettant à leurs descendants
(légitimes ou bâtards) l'héritage des bardes.
Peut-être est-il vrai que chaque goutte de sang transmise par tant de
races diverses fermente et bout au printemps séculaire ; mais,
à travers tant de légendes racontées sans que pas une ait
été écrite, qu'y a-t-il de sûr ? »,
I, p. 40-41.
* 715 op. cit. Le
Fantastique, p. 128-130.
* 716 Les Crimes de
l'époque, « Premières et dernières
amours », p. 15.
* 717 op. cit.,
Le Fantastique, p. 128-130.
* 718 Les Crimes de
l'époque, « Les Vampires », p.84 ; op.
cit., Dictionnaire de l'argot, « Tricoter (des jambes, des
gambettes, des flûtes) : mouvoir ses jambes rapidement ; se
tirer des flûtes : s'enfuir ».
* 719 « Les
proverbes français, nés pour la plupart au sein d'une population
paysanne ou dépendante de l'activité des campagnes
(première bourgeoisie urbaine) illustrent abondamment les grands aspects
et stéréotypes de l'économie rurale », dans
Dictionnaire de proverbes et dictons, Robert.
* 720
Ibid., : « les loups ne se mangent pas entre
eux » (Académie 1835) ; variante ancienne :
« un loup ne mange point l'autre. »
* 721 Les Crimes de
l'époque, « Les Vampires », p.84.
* 722 Ibid., p.
92.
* 723 cf. : monde
familier et quotidien ; voir La théorie de
« L'inquiétante étrangeté », p.
29.
* 724 Les Crimes de
l'époque, « Les Vampires », p. 93.
* 725 « Le Vieil
Abraël, légende du XXe siècle »,
Les Crimes de l'époque, p. 105
* 726 Ibid., p.
107-108.
* 727 Ibid., p.
109.
* 728 Ibid.
* 729 Louise Michel, op.
cit., Mémoires, II, p. 237.
* 730 Maurice Tournier,
op. cit., L'animal en politique, p. 218-219.
* 731 Le
Claque-dents, : « Il est bien permis de désirer
être mieux [...] Il faudrait être fou pour ne pas chercher à
sortir de la misère ; plus elle englobera de malheureux, plus vite
on en aura fini », p. 76.
* 732 Le
Claque-dents, p. 76.
* 733 Louise Michel, op.
cit. Mémoires, II, p. 253.
* 734 Louise Michel,
op. cit. Mémoires, II : « C'était surtout
une nature de poète : il n'y eut là nulle bravoure ni de sa
part ni de la mienne. Est-ce que c'était bravoure quand, les yeux
charmés, je regardais [ ...] les dents rouges des mitrailleuses
à l'horizon ? C'était beau, voilà tout ; mes
yeux me servent comme mon coeur, comme mon oreille que charmait le canon. Oui,
barbare que je suis, j'aime le canon, l'odeur de la poudre, la mitraille dans
l'air, mais je suis surtout éprise de la Révolution »,
p. 166.
* 735 Hélène
Sabbah, Le Héros Romantique, thèmes et questions
d'ensemble, Hatier, Paris, 1989, p. 62.
* 736 La
réalité sociale est pour le héros romantique
décevante et il subsiste un « décalage entre les attentes de
toute [cette] génération et la réalité sociale et
politique qui l'environne » ; voir Hélène Sabbah,
op. cit. Le Héros Romantique, thèmes et questions
d'ensemble, p. 66.
* 737 Le
Claque-dents, p. 172-173.
* 738 op. cit.
Dictionnaire des symboles, le loup est doté d'une symbolique
positive « si l'on remarque qu'il voit la nuit. Il devient alors le
symbole de lumière, le héros guerrier, ancêtre
mythique », non apprivoisable, il reste sauvage.
* 739 Le
Claque-dents, p. 249.
* 740
Ibid. : « Kergallec, en breton qu'il était,
avait été croyant [...] La brutale épreuve qu'il avait
subie, arrachant de son coeur jusqu'à la racine tout ce qu'il avait
adoré jusqu'alors, le laissait vide comme s'il allait
mourir », p. 248.
* 741 op. cit., Les
Mémoires, « Pour ma part, je ne m'occupe guère des
questions particulières, étant, je le répète, avec
tous les groupes qui attaquent soit par la pioche, soit par la mine, soit par
le feu, l'édifice maudit de la vieille société !
Salut au réveil du peuple et à ceux qui, en tombant, ont ouvert
si grandes les portes de l'avenir, que toute la Révolution y
passe ! », article de La Révolution sociale,
« La candidature illégale », II, p.185.
* 742 Le
Claque-dents, p. 206.
* 743 La
Grève, Acte III, scène 3, p. 181.
* 744 Le
Claque-dents, p. 215-216.
* 745 op.
cit., Le Héros Romantique, thèmes et questions
d'ensemble, p. 64 ; « C'est ce désaccord historique et
affectif qui explique les tentatives d'évasion du héros
romantique vers un ailleurs aux formes diversifiées : action,
création littéraire, passion, mort. Le héros romantique ne
se sent pas en harmonie avec son temps, ni avec son environnement social, qu'il
juge étriqué et conformiste », p. 70.
* 746 Le
Claque-dents, p. 284.
* 747 Jean
Préposiet, Histoire de l'Anarchisme, éd. Tallandier,
Paris, 2002-2005 : C'est au cours du congrès anarchiste international de
Londres (14-20 juillet 1881) que « la propagande par le
fait » fut reconnue ouvertement, Louise Michel et Émile Pouget
faisaient partie des congressistes. La résolution adoptée
à Londres soulignait la nécessité de « joindre
la propagande par le fait » à la propagande verbale et
écrite. Le moment de la révolution générale
étant jugé imminent, l'heure était venue de propager
l'idée révolutionnaire « par des actes ».
L'action devant être portée « sur le terrain de
l'illégalité », seule voie révolutionnaire, il
devenait nécessaire « d'avoir recours aux moyens qui soient en
conformité avec ce but », p. 390-391.
* 748 Henri Arvon,
L'anarchisme, Presses Universitaires de France, coll. Que sais-je ?,
1977, p. 105 ; Serge Nietchaïev (1847-1882), jeune étudiant russe,
nihiliste et révolutionnaire, animé d'un sombre fanatisme,
propage une conception terroriste de l'anarchie, p. 106.
* 749 Le
Claque-dents, p. 191.
* 750 Ibid., p.
128.
* 751 Ibid., p.
144.
* 752 Lazare est un
personnage du Nouveau Testament à qui Jésus rendit la vie :
« Lazare, sors ! » Et celui qui avait
été mort sortit, les pieds et les mains attachés par des
bandes, et le visage enveloppé d'un linge. », La Bible,
l'Ancien Testament et le Nouveau Testament, Le Livre de Poche, Alliance
Biblique Universelle - Le Cerf, Paris, 1988, Évangile selon Jean, chap.
11, p. 1601.
* 753 V. Hugo, Les
Châtiments, G-F, 1979, « Au Peuple » :
« La Révolution, terrible à qui la touche,/ Est
couchée à terre ! un Cartouche/ Peut ce qu'aucun Titan ne
put./ Escobar rit d'un rire oblique./ On voit traîner sur toi,
Géante République,/ Tous les sabres de Liliput./ Le juge,
marchand en simarre,/ Vend la loi... -/ Lazare !
Lazare !Lazare !/ Lève-toi ! », p. 109
* 754 Le
Claque-dents, p. 144 ; elle cite également ce vers de Victor Hugo
dans ses Mémoires, « On n'y entend que les cris des
corbeaux et leurs battements d'ailes sur les peuples couchés à
terre. Vous savez les vers d'Hugo ; Lazare ! Lazare !
Lazare !/ Lève-toi ! » (op. cit., II,
p.280), citation issue du Livre du bagne, p. 192.
* 755 op. cit.
Mémoires, « Oh ! flottez sur nous, bannières
noires et rouges ; flottez sur nos deuils et sur notre espoir dans
l'aurore qui se lève », II, p.278.
* 756 Le
Claque-dents, p. 236.
* 757 Ibid., p.
284.
* 758 Ibid., p.
274.
* 759 Ibid., p.
275.
* 760
Ibid. : « C'est une épopée qui
commence », p. 276 ; cf. La Grève, Acte III,
« La Grève ».
* 761 Ibid., p.
277.
* 762 op. cit.,
Le Héros Romantique, thèmes et questions d'ensemble, p.
72.
* 763 Le
Claque-dents, p. 172.
* 764 Ibid., p.
283-284.
* 765 La
Grève, Acte I, scène 2, p. 159.
* 766 Louise Michel,
op. cit., Mémoires, « Les grandes figures de
révoltés hantaient mes pensées ; avec eux passaient
les grandes révoltes. Que de choses flottent dans les songes
d'enfant ! Rouges comme le sang, noires comme la nuit du deuil,
étaient toujours les bannières des révoltés, au
fond de ma pensée - et toujours les noces de ceux qui s'aimaient
étaient les rouges noces des martyrs où le pacte suprême se
signe avec du sang », I, p. 87-88.
* 767 Le
Claque-dents, p. 285.
* 768 Émile Zola,
La Fortune des Rougon, Le Livre de Poche, Paris, 1985, « Et,
levant les yeux, [Silvère] vit le drapeau qui tombait des mains de
Miette. L'enfant, les deux poings serrés sur sa poitrine, la tête
renversée, avec une expression atroce de souffrance, tournait lentement
sur elle-même, sur la nappe rouge du drapeau. [...] Il déchira son
corsage, mit à nu sa poitrine. [...] Puis sous le sein gauche, il
aperçut un petit trou rose ; une seule goutte de sang tachait la plaie.
[...] Les cheveux dénoués, la tête roulée dans les
plis sanglants du drapeau, elle n'avait plus que ses yeux de vivants, des yeux
noirs qui luisaient dans son visage blanc. Silvère sanglota. Les regards
de ces grands yeux navrés lui faisaient mal. Il y voyait un regret de la
vie, Miette lui disait qu'elle partait seule, avant les noces, qu'elle s'en
allait sans être femme ; [...] A son agonie, dans cette lutte rude que sa
nature sanguine livrait à la mort, elle pleurait sa virginité.
[...] Ils s'aimaient, et leur idylle se dénouait dans la
mort. », p. 264-267.
* 769 Bernard Franco,
op. cit., Le Héros et l'Histoire, voir le sens
étymologique de sublime : « Dieu en nous », p.
32 ; Le Petit Robert, 1989 : du latin sublimis
« élevé dans les airs, haut ».
* 770 op. cit., La
Bible, l'Ancien Testament et le Nouveau Testament, Glossaire, p.
1877-1878.
* 771 J.-F. Wagniart fait
remarquer que tous les penseurs anarchistes « professent un amour,
une tendresse particulière pour le peuple des miséreux, des
mendiants et vagabonds. [...] Leur démarche part d'une tradition
chrétienne. Elle montre qu'au-delà de l'engagement
idéologique, ces auteurs restent attachés à un
christianisme primitif, religion de l'amour opposée à
l'institution ecclésiastique [...]. L'image du Christ demeure centrale
[...] la souffrance du misérable devient celle du Jésus, mourant
de faim, de fatigue et de désespoir dans un monde hostile. Le Christ est
le précurseur à la fois dans l'idée (l'amour du pauvre) et
dans l'action (se donner aux pauvres) ». op. cit., Le Roman
social, Littérature, Histoire et Mouvement ouvrier, p. 31.
* 772 La
Grève, Prologue, scène 2, p. 151.
* 773 Le
Claque-dents, p. 173.
* 774 Ibid., p.
277.
* 775 Martine de Gaudemar,
Louise Michel, martyr ? ou « artiste
révolutionnaire » ?, in Actes du colloque Louise Michel,
université de Provence, Aix-en-Provence, 1980, p. 26 ; cité par
Véronique Fau-Vincenti, op. cit. Le Livre du bagne,
Présentation, p. 22.
* 776 Le
Claque-dents, p. 285 ; La Grève, Acte V, scène
2.
* 777 op. cit. Les
Mémoires, extrait d'un poème de Louise Michel,
« Marie Ferré », II, p. 254.
* 778 Victor Dupont,
L'Utopie et le Roman utopique dans la littérature anglaise,
éd. Didier, Paris, 1941, p. 55 ; cité par Maurice Abiteboul,
William Morris, News from Nowhere, La tradition utopique et
l'esprit du temps, éd. du Temps, Nantes, 2004 :
« [...] l'utopie ne prévoit pas tous les détails d'une
organisation supérieure, et elle n'est pas non plus une simple
rêverie absurde, mais un tableau d'ensemble dont quelques aspects
cependant sont possibles et qui a pour but de satisfaire l'imagination des
masses, et aussi de les inviter à l'action » p. 93.
* 779 Tandis que le genre
littéraire prophétique se caractérise par l'oracle (parole
dite de la part de Dieu ou sous l'impulsion divine), l'apocalyptique fait
plutôt référence à des visions. L'inspiré
transmet le message en décrivant et interprétant les
réalités célestes qu'il lui a été
donné de contemplerSociété biblique
française ; voir op. cit. La Bible, l'Ancien Testament et le
Nouveau Testament, Introduction à l'Apocalypse de Jean, p. 1823.
* 780 Le Petit
Robert, 1989, « Eschatologie : théol.,
étude des fins dernières de l'homme et du monde ».
* 781 op. cit. La
Bible, Introduction à l'Apocalypse de Jean, p. 1823.
* 782 op. cit.,
La Bible, « C'était un dragon rouge feu. Il avait sept
têtes et dix cornes et, sur ses têtes, sept diadèmes. Sa
queue qui balayait le tiers des étoiles du ciel, les précipita
sur la terre. Le dragon se posta devant la femme qui allait enfanter, afin de
dévorer l'enfant dès sa naissance. » (Ap. 12.3-4).
* 783 op. cit.,
La Bible, « La bête que je vis ressemblait au
léopard, ses pattes étaient comme celles de l'ours, et sa gueule
comme la gueule du lion. Et le dragon lui conféra sa puissance, son
trône et un pouvoir immense. L'une des bêtes était comme
blessée à mort, mais sa plaie mortelle fut guérie.
Émerveillée, la terre entière suivit la bête. Et
l'on adora le dragon parce qu'il avait donné le pouvoir à la
bête et l'on adora la bête en disant : qui est comparable
à la bête et qui peut la combattre ? [...] Il lui fut
donné de faire la guerre aux saints et de les vaincre, et lui fut
donné le pouvoir sur toute tribu, peuple, langue et nation. [...] Alors
je vis monter de la terre une autre bête. Elle avait deux cornes comme un
agneau, mais elle parlait comme un dragon. Tout le pouvoir de la
première bête, elle l'exerce sous son regard. Elle fait adorer par
la terre et ses habitants la première bête dont la plaie mortelle
a été guérie. [...] Elle séduit les habitants de la
terre par les prodiges qu'il lui est donné d'accomplir sous le regard de
la bête. [...] » (Ap. 13).
* 784 op. cit.,
L'animal en politique, « Les mots chimères [...]
conduisent à la construction spontanée, parfois lyrique comme
chez [...] Louise Michel, d'un monde mythique qui transforme les
transformations en forces socialo-religieuses affrontées dans un combat
de titans. Cet univers fantastique [met en scène] les monstres
suprêmes de la dévoration antique, le Moloch, le Veau
d'or, ou le Minotaure, [...], bref la Bête.
L'image est ancienne, symbole biblique de l'adoration de l'argent et de la
facilité de vivre dans l'iniquité et
l'égoïsme », p. 222 ; « La bête de
l'Apocalypse fait déjà partie du discours
quarante-huitard », note 39, p. 222.
* 785 Louise Michel,
Introduction au Claque-dents, p. 7.
* 786 Op. cit.,
La Bible, l'Ancien Testament et le Nouveau Testament, « Et
l'ange jeta sa faucille sur la terre, il vendangea le vigne de la terre et jeta
la vendange dans la grande cuve de la colère de Dieu. On foula la cuve
hors de la cité, et de la cuve sortit du sang qui monta jusqu'au mors
des chevaux sur une étendue de mille six cent stades. », (Ap.
14.19-20).
* 787 Op. cit. La
Bible, l'Ancien Testament et le Nouveau Testament, Glossaire, p. 1879.
* 788 Louise Michel,
Introduction au Claque-dents, p. 7.
* 789 Il est parfois
remplacé par le tocsin qui caractérise le signal de la
révolte ; cf. : Le Claque-dents, p. 276-277 ;
« Les tocsins de l'Europe s'étendaient au-delà des
mers », p. 284.
* 790 op. cit.,
La Bible, l'Ancien Testament et le Nouveau Testament, Ap. 8.6 -
9.21.
* 791
Ibid., « Le septième ange fit sonner sa
trompette : il y eut dans le ciel de grandes voix qui disaient : Le
royaume du monde est maintenant à notre seigneur et à son
Christ ; il régnera pour les siècles des
siècles. », Ap. 11.15.
* 792 Ibid., p.
199.
* 793 Ibid., p.
216.
* 794 Ibid., p.
215.
* 795 Ibid., p.
250.
* 796 Louise Michel,
Introduction au Claque-dents, p. 8.
* 797 Dictionnaire de
proverbes et dictons, Robert, cf. art. l'« arbre ».
* 798 Louise Michel,
L'ère nouvelle, A. et P. Oudet, d'après l'édition
de 1887 - Bibliothèque ouvrière cosmopolite, chap. I (
http://abu.cnam.fr/cgi-bin/go?erenouv1).
* 799 Louise Michel, op.
cit. Mémoires, I, p. 80.
* 800 Ibid.
* 801 Ibid.
* 802 Ce à quoi
Esther répond : « Il faut bien que le jour se
fasse », dans La Grève, Acte I, scène 3, p.
160.
* 803 Louise Michel,
Introduction au Claque-dents, p. 7.
* 804 Ibid., p.
8.
* 805
« Germinal : 1. Septième mois du calendrier
républicain (21-22 mars au 18-19 avril), mois de la germination. 2.
(biologie) Relatif au germe ou au germen ; « cellule
germinale : cellule reproductrice », (Petit
Robert, 1989).
* 806
« séculaire » : 1. didact. Qui a lieu
tous les cent ans. Année séculaire, celle qui termine le
siècle. 2. Cour. Qui date d'un siècle, qui dure depuis
un siècle. - Qui existe, dure depuis des siècles. Petit
Robert, 1989.
* 807 op. cit.,
Louise Michel, L'ère nouvelle, chap. I.
* 808 op. cit. Les
Mémoires, II, p. 266 ; voir également Le
Claque-dents : « Peu importe, le temps passe, l'hiver
s'achève et sous les dernières neiges grossissent les bourgeons
printaniers », p. 250.
* 809 Ibid., p.
285.
* 810 Ibid., p.
286.
* 811 Les Crimes de
l'époque, « Le Vieil Abraël, légende du
XXe siècle » : « Les nations,
à l'étroit dans la froide Europe, avaient largement
essaimé sur le globe », p. 105
* 812
Ibid. ; l'homme a investi la planète entière :
« les mers étaient presque aussi peuplées que la
terre ; nulle île n'était sans habitants », p.
105.
* 813 Le
Claque-dents, p. 220.
* 814 Les Crimes de
l'époque, « Le Vieil Abraël, légende du
XXe siècle », p. 107.
* 815 Ibid., p.
106.
* 816 Le
Claque-dents, p. 221.
* 817 op. cit., La
Bible, l'Ancien Testament et le Nouveau Testament, (G. 11.9) :
« Aussi lui donna-t-on le nom de Babel car c'est là que le
SEIGNEUR brouilla la langue de toute la terre, et c'est de là que le
SEIGNEUR dispersa les hommes sur toute la surface de la terre », p.
30.
* 818 Le
Claque-dents, p. 223.
* 819 Par opposition
à la « froide Europe » (voir note 812),
« les émigrés sur les chauds continents avaient
recouvré, avec un climat sans hiver, l'énergie de leur
origine », Les Crimes de l'époque, « Le
Vieil Abraël, légende du XXe siècle »,
p. 105.
* 820 Pierre-Joseph
Proudhon, Qu'est-ce que la propriété ?: « la
propriété, c'est le vol » ; op. cit., Les
Mémoires, Article de La Révolution sociale
n°1, « De chacun selon ses forces, à chacun selon ses
moyens » : « Nous croyons, en effet, que la
société, n'étant nullement chose d'innéité
ni d'immanence, mais une invention humaine, destinée à combattre
les fatalités naturelles, doit surtout profiter aux faibles et les
entourer d'une sollicitude particulière, qui compense leur
infériorité. Par conséquent, le but qu'il faut proposer
à nos espérances, c'est la création d'un ordre social dans
lequel l'individu, pourvu qu'il donne tout ce qu'il peut donner de
dévouement et de travail, reçoive tout ce qu'il a besoin. Que la
table soit mise pour tout le monde, que chacun ait le droit et le moyen de
s'asseoir au banquet social, et d'y manger tout à son choix et à
son appétit, sans qu'on lui mesure la pitance à l'écot
qu'il peut payer ! », II, p. 184.
* 821 Les Crimes de
l'époque, « Le Vieil Abraël, légende du
XXe siècle », p. 106.
* 822 Ibid. :
« Des choeurs immenses chantés sur les plages, dans les
cirques des montagnes, laissaient loin derrière eux les vieux
opéras d'Europe », p. 108.
* 823 Le
Claque-dents, p. 220.
* 824 Ibid. :
« ils mirent à jour la cité presque
entière, [...] qui de plus en plus sortait du tombeau avec ses sphinx
endormis, ses groupes monstrueux disant la même énigme que ceux
d'Égypte, qui sans doute venait de l'Atlantide ensevelie et dont le sens
est vrai encore », p. 222. Le Sphinx est une figure
récurrente ; en Égypte, prodigieuses constructions de
pierre, en forme de lion accroupi, avec une tête humaine, au regard
énigmatique, émergeant de la crinière. [...] Plutôt
qu'une angoisse, inventée par le lyrisme romantique, les traits et la
position solidement accroupie du Sphinx exprimeraient la
sérénité d'une certitude. [...] Le sphinx au cours de son
évolution dans l'imaginaire, en est devenu à symboliser aussi
l'inéluctable. Le mot sphinx fait surgir l'idée
d'énigme [...] : une énigme lourde de contrainte. En
réalité le sphinx se présente au départ d'une
destinée, qui est à la fois mystère et
nécessité », op. cit. Dictionnaire des
Symboles, « Le Sphinx », p. 222.
* 825 Ibid., p.
223 ; « Dans la ville antique et la ville moderne la tribu de
Karéma fit avec les colons son nid nouveau de science, de paix, presque
de bonheur, en attendant l'aurore nouvelle », p. 224.
* 826 Les Crimes de
l'époque, « Le Vieil Abraël, légende du
XXe siècle », p. 105.
* 827 Le
Claque-dents, p. 108.
* 828 Les Crimes de
l'époque, « Le Vieil Abraël, légende du
XXe siècle », p. 106.
* 829 Le
Claque-dents, p. 235.
* 830 Ibid., p.
106-107.
* 831 Ibid., p.
108.
* 832 Louise Michel fait
notamment référence aux bagnes français situés dans
les colonies : Guyane, Nouvelle Calédonie (où elle
séjourna de 1873 à 1880), Indochine, Madagascar, Tunisie, et
Algérie.
* 833 Les Crimes de
l'époque, « Le Vieil Abraël, légende du XXe
siècle », p. 107 ; cf. op. cit., Les
Mémoires, « Toujours l'homme est obligé de briser
la loi dont il s'enveloppe comme d'un filet et qu'il étend sur les
autres. Nul homme ne serait un monstre ou une victime sans le pouvoir que les
uns donnent aux autres pour la perte de tous. Si ce livre est mon testament,
qu'il en tombe à chaque feuillet des malédictions sur le vieil
ordre des choses. », I, p.123.
* 834 Ibid., p.
106.
* 835 Exposition
« Utopie, la quête de la société idéale en
Occident » à la Bibliothèque nationale de France
d'avril à juillet 2000 ; livre-catalogue Utopie, la quête
de la société idéale en Occident, Tower Sargent L. et
Schaer R. (dir.), Paris, BNF/Fayard, 2000.
* 836 Gérard
Vindt, op. cit. Le Roman social, Littérature,
Histoire et Mouvement ouvrier : « Ces sources
relèvent de trois catégories. La première évoque un
paradis originel : l'Âge d'or d'Ovide, le Jardin d'Eden de la Bible,
vulgarisé par le Pays de Cocagne dans l'imaginaire populaire
médiéval (Bruegel) ; la deuxième promet un paradis
à l'autre extrémité des temps, un paradis eschatologique,
c'est-à-dire de la fin du monde : Les Champs-Élysées
dans l'Odyssée d'Homère, le règne de mille ans du
Christ sur terre (qui alimente tous les mouvements dits millénaristes)
puis la Jérusalem Céleste, de l'Apocalypse de Saint-Jean, ou la
Cité de Dieu de Saint Augustin. Ces deux catégories ont en commun
de décrire des lieux de bonheur donnés à l'homme encore
innocent ou purifié, où une nature généreuse
répond avec douceur à ses besoins. La troisième
catégorie diffère profondément de ce point de vue :
fondée sur la politique, l'action des hommes, c'est la
République de Platon, modèle irréalisable, mais
qui permet de représenter une cité où règne la
justice idéale, contrastant avec la triste réalité ainsi
dénoncée », p. 60.
* 837 Ibid., p.
62.
* 838 Roman de Louise Michel
paru en 1888.
* 839 Roger Bozzetto,
Acte du colloque Louise Michel, C.E.F.U.P., Aix-en-Provence,
1980 ; cité par Daniel Armogathe, dans Louise Michel, A travers
la vie (op. cit.) : « Loin d'être
figée dans une structure immuable héritée de Platon et de
Thomas More, l'utopie de Louise Michel est liée au développement
des sciences - elle est une inconditionnelle du progrès technique - et
elle est en rapport avec une nécessité historique. »,
p. 19.
* 840 Louise Michel, op.
cit. Mémoires, II, p. 163.
* 841 Propos de Louise
Michel recueillis par Le Figaro du 7 février 1898 ; cité
par Édith Thomas, op. cit., Louise Michel ou la velléda de
l'anarchie, p. 406.
* 842 Le Figaro, 16
août 1898, cité par Édith Thomas, op. cit.,
Louise Michel ou la velléda de l'anarchie, p. 410.
* 843 Édith Thomas,
op. cit., Louise Michel ou la velléda de l'anarchie,
p. 417.
* 844 E. Girault, op.
cit., La Bonne Louise, p. 180.
* 845 Claude Rétat
et Stéphane Zékian font remarquer que « Louise Michel
use de tournures inhabituelles et fluctuantes, parfois fautives au regard de la
norme académique », dans Louise Michel, op. cit. Trois
romans.
* 846 Louise Michel, op.
cit., A travers la vie, p. 19.
* 847 Louise Michel, op.
cit., Mémoires, Part. I, p. 78.
* 848 Ibid., Part.
I, p. 106.
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