CONCLUSION
GÉNÉRALE
Le bois-énergie constitue la principale source
d'énergie (plus de 92,7% de la consommation). Il est utilisé
par la grande majorité des ménages urbains et la totalité
des ménages ruraux pour la cuisson de leurs aliments. Cette consommation
va très fortement augmenter dans les prochaines années à
cause de l'accroissement de la population et de sa concentration en milieu
urbain. Dans dix ans il n'y aura plus d'un dixième de la population
nationale soit 1 700 000 habiteront N'Djaména. Déjà
d'importantes zones déboisées entourent la capitale. Si rien
n'est fait pour inverser les tendances actuelles, N'Djaména va
certainement vers des situations critiques pour son approvisionnement en
bois-énergie de ses populations et pour la préservation de son
fragile équilibre écologique. Un autre drame en
perspective ? La cause est à chercher dans l'analyse des facteurs
multidimensionnels de la déforestation.
La déforestation est ici causée par les facteurs
climatiques (sécheresses récurrentes) contre lesquels peu de
choses peuvent être entreprises. Dans le bassin d'approvisionnement de la
ville de N'Djaména en bois-énergie, ce sont les hommes qui sont
eux-mêmes à la base de la disparition du patrimoine forestier. Les
causes que nous avons pu relever diffèrent selon que nous sommes en
milieu rural ou urbain.
En milieu rural, le phénomène trouve son origine
dans la crise des systèmes de production traditionnelle. Crises en ce
sens que ces systèmes n'ont pas pu s'adapter à l'évolution
de la société. Pour faire face à la croissance
démographique et à la demande urbaine, les techniques de
productions traditionnelles auraient dû être
améliorées, l'agriculture et l'élevage intensifiés
afin d'augmenter leur productivité. Au lieu de cette mutation, la
réponse des paysans a été une surexploitation de ses
ressources naturelles : les défrichements ont été
intensifiés, les temps de jachère réduits, les
surpâturages accélérés, les feux de brousse mal
contrôlés.
Ces pratiques agropastorales à productivité
constante sinon régressive, se sont traduites par la disparition
d'énormes superficies boisées. Elles constituent avec les
sécheresses, la première cause de la dégradation du milieu
naturel du bassin. Ces facteurs humains et climatiques ont pour
conséquences l'existence d'importants gisements d'arbres morts. Les
besoins d'énergie en milieu rural sont généralement
satisfaits par l'auto collecte de ces arbres morts.
Il est important de retenir que, d'une façon
générale, il ne se pose donc pas de difficultés majeures
pour l'approvisionnement en bois-énergie des populations rural du
bassin, mais un problème global de raréfaction d'arbres vivants,
dû à l'inadaptation des systèmes de production
traditionnels. Il y a lieu de parler de crise en milieu rural. Elle concerne
globalement les ressources naturelles. Une crise complexe au centre de laquelle
se trouve l'arbre, d'abord en tant que facteur de production (protection des
champs contre l'érosion pluviale et éolienne, reconstitution de
la fertilité des sols, etc.), ensuite comme produit
énergétique, sans oublier ses autres usages nutritionnels
(fruits, parfois aliments pour bétail) et médicinaux.
En milieu urbain, la concentration des populations a
créé une forte demande de bois-énergie. Cette forte
croissance s'est traduite par une consommation de bois-énergie par
tête de 2,06 stères par habitant et par an. Le
phénomène va s'accélérant. Pour satisfaire à
cette demande, un véritable secteur économique s'est
constitué mettant en relation, divers professionnels (exploitants,
bûcherons ruraux ou urbains, transporteurs et revendeurs) et
consommateurs urbains.
Cette forte consommation se traduit en terme de surfaces
déboisées par an de 709 hectares de savanes boisées, soit
9481 hectares de savanes arborées ou encore de 22238 hectares de savanes
arbustives autour de N'Djaména.
De tous les changements que le paysan du bassin a
déclenchés, celui du climat est le plus perturbateur. Nous
constatons :
· Un réchauffement global du climat de la
région durant les 50 dernières années de l'ordre de
1°C ; un réchauffement particulièrement important
depuis les années 80, en particulier à N'Djaména et une
forte baisse des précipitations totales annuelles et un accroissement
significatif de la fréquence des sécheresses depuis les
années 90. La sécheresse et les températures excessives
qui ont fait tomber la récolte de céréales de 1993-1994 en
dessous du seuil de la consommation national, ont illustré les dangers
que peuvent courir à l'agriculture le changement climatique ;
conséquence : mise en place de famine. En retour le paysan se livre
à l'exploitation du milieu naturel qui ne peut plus fournir le
même rendement qu'avant pour survivre. Ainsi une « spirale
descendante auto-entretenue de pauvreté économique et de
dégradation de l'environnement s'instaure. » (ALAN, 1990).
· Une baisse significative des écoulements des
eaux du Chari et du Logone de l'ordre de 10% entre 1990 et 2000, donc un
régime hydrologique saisonnier modifié avec des
conséquences sur les aménagements en agriculture et la
disparition des ressources halieutiques, donc une menace certaine pour
l'activité de la pêche (qui aurait pu résoudre en
partie les difficultés financières des ménages);
· Une augmentation de l'évapotranspiration
conduisant à une augmentation de déficit hydrique du sol, donc un
flétrissement des arbres ;
· Un niveau des nappes phréatiques qui baisse avec
des risques de salinisation pour les puits servant à l'alimentation des
bétails (responsable de transhumance);
· Une érosion plus forte avec une plus grande
dégradation des sols lors des orages ou des fortes pluies ;
· Une réduction de la durée des cycles
végétatifs.
De ce qui précède, nous pensons qu'il faut
induire des actions urgentes pour sauvegarder le milieu naturel du bassin
déjà dégradé. Pour des raisons d'urgences, nous
avons arrêté des mesures suivantes :
· D'abord ralentir le déboisement : C'est une
priorité de première grandeur. Cela exige de l'Etat qu'il
supprime les avantages financiers qui incitent les producteurs locaux et les
spéculateurs à empiéter sur les ressources ligneuses. Pour
détourner le désir que procure le gain de ce secteur, le
gouvernement et les organismes internationaux de développement doivent
s'employer activement à soutenir financièrement des projets de
développement viable, telles que les parcelles boisées,
l'aménagement des massifs forestiers ou des surfaces
agro-forestières, qui permettent aux populations rurales de vivre de
leur milieu encore sur pied plutôt que de l'abattre pour la production de
bois-énergie ;
· Enfin dans le pire des cas, concentrer les actions sur
la gestion de l'offre. Elle passe d'abord par la réorganisation du
commerce bois-énergie et la responsabilisation des producteurs ruraux au
regard de la ressource disponible. L'imposition d'une taxe forestière
beaucoup plus contraignante est une priorité essentielle. Cette taxe
sensibiliserait les producteurs ruraux et les consommateurs urbains à la
dégradation de l'environnement dont l'utilisation de bois de feu et de
charbon de bois est responsable. Elle inciterait les habitants tant ruraux
qu'urbains à choisir des combustibles en partie sur la base de leur
responsabilité respective dans le processus de réchauffement
climatique du bassin d'approvisionnement. Le charbon de bois serait le plus
lourdement taxé, par contre le gaz butane et le pétrole
subventionnés. Ces derniers se présentent aujourd'hui comme des
sources d'énergie fiables et écologiquement saines.
Pour atteindre ces objectifs, l'action des pouvoirs publics
(organisation d'une semaine nationale de sensibilisation sur le
déboisement : ses impacts sur le milieu naturel) doit porter sur la
sensibilisation et l'information en matière d'économie
d'énergie domestique pour sauver le milieu végétal qui se
dégrade au jour le jour sous les yeux des pouvoirs publics, paysans
producteurs et des consommateurs urbains.
Nous sommes convaincu que la prise en compte de ces
inquiétudes permettra de donner une nouvelle vie à
l'écologie déjà vigoureusement menacée. Mais tout
n'est pas fini ; la réalisation d'études de
sensibilité, de vulnérabilité et d'adaptation des
ressources fauniques aux changements climatiques et actions anthropiques du
bassin d'approvisionnement de la ville de N'Djaména en
bois-énergie s'avèrent nécessaire et reste
notre prochain objectif de recherche.
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