UNIVERSITE PARIS III - SORBONNE NOUVELLE
UFR LLD - Département de littérature et
linguistique françaises et latines
« Made in China » de Jean-Philippe
Toussaint
-- une oeuvre hybride à la recherche de nouvelles formes
littéraires
Mémoire de Master 2 Recherche Lettres Modernes - Langue et
littérature française préparé sous la direction de
M. Michel Bernard
Par
Romain Pinoteau
Année universitaire 2017-2018
N étudiant : 20862750
Jokisuunpolku 2 A 6, 00560, Helsinki, Finlande
romain.pinoteau@laposte.net
II
TABLE DE MATIÈRES
Introduction 1
I Présentation de l'auteur, son éditeur et le
projet de Made in China 3
A. Le parcours d'un écrivain de recherche au sein des
Éditions de Minuits 3
a) Sa vie et ses influences 4
b) L'écrivain et son éditeur, une longue
collaboration empreinte d'amitiés 6
c) Un artiste éclectique 9
B. Le projet insolite de Made in China aux prestigieuses
Éditions de Minuit 13
a) Thèmes relevant du vécu de Jean-Philippe
Toussaint en Chine 13
b) Un récit d'une grande complexité 16
c) L'essai d'un livre numérique dans une maison
d'édition de renom 19
C. La vie de Made in China depuis sa sortie : chiffres
clés, promotion et réactions 22
a) Chiffres clés de Made in China depuis sa
première publication 23
b) La promotion du livre par Jean-Philippe Toussaint ainsi que
des regards
d'écrivains sur son oeuvre 24
c) Expositions et critiques dans les médias ainsi que
répercussions sur les réseaux
sociaux 26
II Une oeuvre multimédia - comment faire sortir le lecteur
des limites du livre ? 32
A. Les effets du multimédia sur la lecture 32
a) Définition du multimédia 33
b) La vidéo The Honey Dress rompt avec un
certain silence que l'on associe à la
littérature 37
c) Une interdépendance entre le récit et le film
41
B. Récit métafictif qui traite de la
création d'une oeuvre multimédia 44
a) Procédés métafictifs dans Made in
China 45
b) Narration entre parenthèses et tirets 51
c) La vidéo comme métalepse dans Made in China
57
C. Diffusion multi-support - problèmes techniques
liés au format 61
a) Diffusion multi-support - définition et pratiques dans
le paysage littéraire 61
b) Solutions techniques pour la diffusion multi-support 63
c) Adoption du format EPUB pour Made in China 67
III Spécificité numérique de Made in
China ? 71
A. Esthétique évoluant selon le support 71
a) Un plus grand confort de lecture par rapport au livre papier
72
b)
III
La mise en page s'en voit bouleversée laissant place au
jugement du lecteur . 78
c) Icône - une fenêtre renvoyant vers le monde
numérique 82
B. La présence d'une vidéo - expérience de
lecture différente ? 85
a) L'effet de surprise 86
b) L'interdiscursivité du récit avec le film 88
c) The Honey Dress - une oeuvre qui prolonge le
récit 93
C. Vers de nouvelles formes littéraires ? 96
a) Made in China repose sur la conception «
classique » du livre papier 97
b) Une oeuvre hybride 100
c) Toussaint utilise avec parcimonie les possibilités du
numérique 102
Conclusion 106
BIBLIOGRAPHIE 108
ANNEXES 127
iv
« La littérature, c'est souvent du cinéma.
» Jean-Luc Godard
1
Introduction
L'une des dernières oeuvres littéraires de
Jean-Philippe Toussaint, Made in China, paru en 2017, se distingue de
ses précédents livres par sa dimension numérique. En
effet, il fait bien plus que concrétiser le désir de pouvoir
faire surgir de la musique dans l'un de ses livres, un fantasme qu'il a eu lors
de l'écriture de Fuir (2005). En fait, ce projet est donc un
accomplissement personnel pour Toussaint puisqu'il réussit à
mettre une de ses oeuvres cinématographique, The Honey Dress,
au sein même de la version numérique de ce livre. Il y a encore
quelques années cela n'était pas techniquement possible. La
question est de savoir pourquoi fondamentalement Toussaint s'est
intéressé à mener ce projet. En fait, tout s'explique si
nous reprenons une de ses déclarations lors d'un entretien concernant
Faire l'Amour (2009) : « --- j'ai envie d'être un auteur
contemporain et de marquer mes livres dans l'époque qui est la mienne.
»1. En fait, nous constatons que les usages de la lecture
numérique évoluent, comme le montre une dernière
étude de 2018 du Syndicat national de l'édition2. En
effet, ce public habitué au numérique est de plus en plus
technophile, il évolue donc dans un espace où le texte, le son et
l'image sont naturellement présents. Le numérique fait donc
partie de notre quotidien. Toussaint devait donc inscrire, d'un point de vue
technologique, au moins un de ses livres dans notre époque qui se situe
encore entre le texte et l'image, c'est en cela que Made in China est
un cas à part dans le monde de l'édition française.
Pourtant, ce qu'il y a de tout à fait intéressant chez-lui, c'est
qu'il ne se place pas comme un technicien mais bel et bien comme un
écrivain à part entière. Il utilise donc ces moyens mis
à sa disposition avec une vision purement littéraire. Cela nous
amène à nous interroger sur la version numérique de
Made in China, afin de savoir en quoi elle apporte une réelle
plus-value d'un point de vue littéraire en parvenant à faire
sortir le lecteur hors des frontières classiques du livre.
1 Arnaud Moulhiac, « Rencontre entre
Jean-Philippe Toussaint et Arnaud Moulhiac », La Page, en date du
2 Septembre 2008, p. 23.
2 8ème Baromètre sur les usages du livre
numérique, Étude conduite par la Société
Française des Intérêts des Auteurs de l'écrit (La
Sofia), le Syndicat national de l'édition (SNE) et La
Société des Gens de Lettres (SGDL), France, 2018, consulté
[en ligne] le 5 avril 2018,
https://www.sne.fr/app/uploads/2018/03/barometre-2018_HD2-imprimeur.pdf
2
Dans la première partie de notre travail, nous
retracerons la vie mais aussi le parcours littéraire de Jean-Philippe
Toussaint, ce qui est indispensable pour comprendre comment il est
arrivé à cette forme de publication hybride. Nous montrerons
aussi pour quelles raisons Les Éditions de Minuit ont accepté la
proposition de cet auteur en faisant l'historique de cette maison
d'édition mais aussi en mettant en évidence ce qui la lie
à Jean-Philippe Toussaint. Nous retracerons les premiers mois de la
sortie de Made in China afin de mieux voir quel retentissement
l'oeuvre de Toussaint a eu sur le public et les critiques surtout par rapport
à son aspect numérique. Dans la deuxième partie, nous
verrons de quelle manière Made in China est une oeuvre
multimédia à part entière. Nous analyserons comment
Jean-Philippe Toussaint, avec son propre style, arrive à faire sortir le
lecteur du livre en se situant dans la lignée des Nouveaux romanciers,
mais aussi grâce au film The Honey Dress qui figure au coeur de
la version numérique. Pour finir, nous montrerons en détail les
spécificités de Made in China concernant son
esthétique qui peut selon l'envie du lecteur changer en apparence, mais
aussi voir si la présence d'une vidéo conduit à une
expérience de lecture différente et si Toussaint réussit,
avec Made in China, à créer de nouvelles formes
littéraires.
3
I Présentation de l'auteur, son éditeur et le
projet de Made in China
L'année 2017 a marqué la parution de Made in
China par Jean-Philippe Toussaint aux Éditions de Minuit. Pour
mieux comprendre la place que cette oeuvre hybride occupe dans la production
littéraire de Jean-Philippe Toussaint, nous brosserons donc le parcours
de cet auteur ainsi que l'histoire et la relation particulière qu'il
entretient avec cette maison d'édition, depuis maintenant plus de trente
ans. Cela nous amènera bien sûr à parler du récit de
ce roman et à voir de quelle manière ce livre a été
reçu par la presse mais aussi par le public.
A. Le parcours d'un écrivain de recherche au sein
des Éditions de Minuits
Jean-Philippe Toussaint, comme nous allons le voir plus
précisément, a connu le succès au milieu des années
80. Sa vie et ses multiples influences littéraires ont formé un
écrivain tout à fait original dans le monde littéraire
d'aujourd'hui, dans le cadre des Éditions de Minuit, une
véritable institution dans le paysage littéraire français.
D'ailleurs, Toussaint se définit comme un écrivain de recherche
faisant partie de la même famille que Robbe-Grillet, Samuel Beckett, ou
bien encore Claude Simon, ses illustres
prédécesseurs3. En effet, Toussaint est
écrivain, cinéaste et photographe ; sa curiosité
l'amène donc à explorer de nombreux univers à la fois
complémentaires et différents. De plus, il a créé
un site Internet,
jptoussaint.com, accessible
gratuitement pour la promotion et la diffusion de ses oeuvres. En effet,
grâce à ce média en ligne, le lecteur peut se plonger dans
son univers4 où l'on retrouve son actualité et la
présentation de l'ensemble de ses oeuvres.
3 Jean-François Cadet, « Jean-Philippe
Toussaint, made in China », Vous m'en direz des nouvelles!, RFI,
du 23 octobre 2017, consulté [en ligne] le 30 décembre 2017,
http://www.rfi.fr/emission/20171023-jean-philippe-toussaint?ref=fb
4
JPTOUSSAINT.COM, Site Internet de
Jean-Philippe Toussaint, consulté [en ligne] le 29 septembre 2017,
http://www.jptoussaint.com/
4
a) Sa vie et ses influences
Jean-Philippe Toussaint, écrivain belge, connaît
un succès fulgurant avec La Salle de Bain publié, en
1985, ce qui marque un tournant dans sa vie car il devient, à peine
à l'âge de 28 ans, un auteur de renom. Pourtant, comme le
concède Toussaint, son envie d'écrire n'est intervenue
qu'à l'âge adulte, n'ayant eu, durant son enfance, aucun
goût pour la littérature. En fait, ce n'est qu'à vingt ou
vingt-et-un ans, sans doute en 1979, il n'en n'est plus sûr, qu'il prend
brusquement cette décision lors d'un déplacement en bus dans le
XIème arrondissement de Paris, une sorte de
révélation. En fait, comme l'explique Toussaint, ce déclic
s'est produit durant une période où il n'avait lu que deux livres
Les Films de ma vie (1975) de François Truffaut et Crimes
et châtiments (1866) de Dostoïevski qui l'influencèrent
d'une manière déterminante. D'ailleurs, Toussaint affirme qu'un
mois après avoir lu le livre de Dostoïevski, il se lança
réellement dans la littérature5. Ses multiples
influences littéraires se retrouvent dans ses oeuvres, aussi dans
Made in China, et c'est pourquoi il est indispensable de les
analyser.
Jean Philippe Toussaint s'est nourri de l'oeuvre
littéraire de Gustave Flaubert tout au long de sa carrière.
D'ailleurs, il dit volontiers que toute l'expérience de Flaubert sur la
manière dont lui-même a vécu le fait d'écrire, l'ont
bien plus porté que ses livres à proprement parler. De plus, il y
a cette idée novatrice chez l'auteur de Madame Bovary (1857)
d'écrire un livre sur rien, comme le mentionne une lettre
destinée à Louise Collet, qui s'approche de la propre vision de
la littérature de Toussaint : « Ce qui me semble beau, ce que je
voudrais faire, c'est un livre sur rien, un livre sans attache
extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de
son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l'air, un livre
qui n'aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque
invisible, si cela se peut. »6. Toussaint voit donc Gustave
Flaubert comme un véritable
5 Jean-Philippe Toussaint, « Le jour
où j'ai commencé à écrire »,
Bon-a-tirer.com,
trimestriel, vol.1, en date du 15 février 2001, consulté [en
ligne] le 1er décembre 2017.
http://www.bon-a-tirer.com/volume1/jpt.html
6 Gustave Flaubert, Correspondance : année
1852, Lettre de Flaubert à Louise Collet, en date du 16 janvier
1958, Édition Louis Conard, consulté [en ligne] le 2 novembre
2017 sur le site du Centre Flaubert de l'Université de Rouen Normandie.
http://flaubert.univ-rouen.fr/correspondance/conard/outils/1852.htm
5
précurseur et s'inscrit, d'ailleurs, tout à fait
dans cette filiation. De plus, il a, tout comme Flaubert, la même
conception de la littérature, c'est-à-dire que le fait
d'écrire est sacré7. Toussaint, comme le souligne
Agnès Mannooretonil, se situe aussi dans une tradition française
du style, dont Flaubert incarne le parfait modèle, qui s'attachait
autant sinon plus à la façon d'élaborer son récit
d'une manière particulièrement aboutie du point de vue
stylistique qu'à l'histoire elle-même.8 En fait,
Toussaint se sent tout à fait solidaire de cet auteur qui a vraiment
souffert lors de la rédaction de ses oeuvres9. Il affectionne
aussi Proust, car pour lui les personnages doivent être pleins de vie et
occuper une place essentielle dans les livres, comme il le dit dans un
entretien avec William : « Pensons à Proust par exemple, un
écrivain que j'aime beaucoup. Chez lui, les personnages de fiction ont
une réalité plus grande que leur modèle.
»10. Toussaint s'intéresse également à
certains aspects de la philosophie comme Les Pensées (1670) de
Blaise Pascal, et plus précisément à la théorie des
deux infinis, l'infiniment grand et l'infiniment petit, comme nous le verrons
plus tard. De plus, il s'est penché sur la science, notamment avec la
mécanique quantique de Werner Heisenberg ; ce qui le fascine sans doute,
c'est que dans ce domaine aucune erreur n'est permise. Il faut donc avoir
énormément de rigueur afin d'aboutir sur des certitudes. Chez
Toussaint, il y a cette similitude notamment dans le souci du détail.
Tout doit être parfaitement dosé, chaque mot, mais aussi chaque
espace a été parfaitement pensé afin de faire de
l'ensemble de ses récits comme un tout, où le hasard, dans la
forme, n'a pas sa place.
7 Thierry Roger, « Entretien avec Jean Philippe
Toussaint, Flaubert vu par les écrivains contemporains »,
vidéo [en ligne] en date du 18 avril 2015, consulté [en ligne] le
2 novembre 2017 sur le site de l'Université de Rouen Normandie,
https://webtv.univ-rouen.fr/videos/entretien-avec-jean-philippe-toussaint/
8 Agnès Mannooretonil, « Jean-Philippe
Toussaint. Ou l'art délicat de l'infinitésimal »,
Études, 2014, pp. 73-82, consulté [en ligne] le 03
novembre 2017,
https://www-cairn-info.ezproxy.univ-paris3.fr/revue-etudes-2014-9-page-73.htm
9 Thierry Roger, « Entretien avec Jean Philippe
Toussaint, Flaubert vu par les écrivains contemporains »,
vidéo [en ligne] en date du 18 avril 2015, consulté [en ligne] le
2 novembre 2017 sur le site de l'Université de Rouen Normandie,
https://webtv.univ-rouen.fr/videos/entretien-avec-jean-philippe-toussaint/
10 William Irigoyen, « Jean-Philippe Toussaint
dans le bain de l'imprévu », L'Orient littéraire,
supplément mensuel de L'Orient LE JOUR, publié [en
ligne] en octobre 2017, consulté [en ligne] le 1er janvier
2018,
http://www.lorientlitteraire.com/article_details.php?cid=6&nid=7004
6
Nous ne pouvons brosser les influences littéraires de
Toussaint sans évoquer Samuel Beckett, car comme nul autre
écrivain, il a influé d'une manière
prépondérante sur sa carrière littéraire.
D'ailleurs, il l'a tellement subjugué que lorsque Toussaint commence
à écrire, deux ou trois de ses oeuvres se révèlent
être quasiment des copies conformes de celles de son mentor de
l'époque. En fait, Toussaint ne s'en rend même pas compte sur le
coup, tellement il est envoûté par Samuel Beckett. En effet, il
lui faut écrire La Salle de bain (1985) pour que cette emprise
disparaisse et qu'il arrive à maîtriser ces multiples
influences11. Toussaint ne tarit pas d'éloge vis-à-vis
de Beckett, il en parle même durant son discours d'entrée à
l'Académie royale de langue et de littérature françaises
de Belgique en 2015. Toussaint parle de lui-même comme un descendant
spirituel de Beckett. Il ajoute qu'il y a dans l'Urgence et la Patience
(2012) un texte d'hommage intitulé « Pour Samuel Beckett
». D'ailleurs, Toussaint en cite un extrait qui résume
l'estime qu'il éprouve pour lui : « C'est la lecture la plus
importante que j'ai faite dans ma vie. Mon seul modèle.
»12. En fait, il s'identifie particulièrement à
Beckett, parce qu'il éprouve le même amour des mots que ce dernier
évoque dans Têtes-Mortes (1972) en écrivant :
« J'ai l'amour du mot, les mots ont été mes seuls amours,
quelques-uns. »13.
b) L'écrivain et son éditeur, une longue
collaboration empreinte d'amitiés
Jean-Philippe Toussaint s'inscrit pleinement dans l'histoire
des Éditions de Minuit. En effet, elle a été sa seule
maison d'édition, de 1985 jusqu'à aujourd'hui. Cette
collaboration de plus de trente ans débute par une rencontre
extraordinaire pour Toussaint, car celui qui lui donne sa chance n'est autre
que l'emblématique Jérôme Lindon, le patron, à
l'époque,
11 Michèle Ammouche-Kremers et Henk Hillenaar
Eds, Jeunes auteurs de Minuit, Éditions de Minuit, Paris, 1994,
p. 30, consulté [en ligne] le 3 novembre 2017,
https://books.google.fr/books?hl=fi&lr=&id=TabI5S_qUDgC&oi=fnd&pg=PA27&dq=jean-philippe+toussaint+beckett&ots=VzxOZXmKmC&sig=t9bxzzrukjJ7zZYNa1wKi2FKgsE#v=o
nepage&q=jean-philippe%20toussaint%20beckett&f=false
12 Jean-Philippe Toussaint, « Réception de
Jean-Philippe Toussaint. Séance publique du 16 mai 2015 »,
Académie royale de langue et de littérature françaises
de Belgique, Bruxelles, 2015, p.5, consulté [en ligne] le 4
décembre 2017,
www.arllfb.be/ebibliotheque/discoursreception/toussaint16052015.pdf
13 Samuel Beckett, « D'un ouvrage
abandonné », in Têtes-Mortes, Éditions de
Minuit, Paris, 1972, p. 17.
7
de cette prestigieuse maison qui a fait publier pour la toute
première fois Samuel Beckett14. Cet évènement
marque un tournant dans sa vie, car il commence à côtoyer un homme
qui se révèle être pour lui d'une influence aussi
prépondérante que celle de Beckett : « Ces deux figures,
Jérôme Lindon et Samuel Beckett, ont été les plus
importantes de ma vie littéraire. »15. D'ailleurs,
Toussaint les réunit dans un passage autobiographique de L'Urgence
et la Patience (2012) ce qui prouve son admiration pour ces deux hommes :
« Jérôme Lindon est mort en avril 2001, et un jour de 2002
que je passais au cimetière Montparnasse à la recherche de sa
tombe, je suis tombé par hasard sur la tombe de Beckett, qui est
enterré non loin de lui. Il faisait très beau. [...] j'ai
regardé longtemps la surface lisse du marbre mouillé de la tombe
de Beckett qui brillait au soleil. »16. Toussaint lui consacre
aussi un texte intitulé « Le jour où j'ai rencontré
Jérôme Lindon » où il dépeint cette
première rencontre en des termes tout à fait élogieux.
D'ailleurs, en 2005, lors d'une réédition de La Salle de bain
(1985), ce texte figure à la fin de l'ouvrage. De cette
manière, Toussaint lui rend un hommage appuyé. En fait, une des
raisons de cet attachement si singulier réside dans l'une des facettes
de Lindon. En effet, Toussaint avait l'image d'un homme à la tête
d'une maison d'édition trop intellectuelle, qui devait se prendre trop
au sérieux alors qu'il s'est retrouvé face à une personne
qui adorait l'humour, tout comme lui17.
Le rôle de Jérôme Lindon a
été aussi déterminant dans les questionnements de
Toussaint au sujet de la littérature. L'Appareil-photo (1989)
provoque des critiques dithyrambiques, et Lindon en profite pour lui demander
de quelle manière on pourrait appeler ce nouveau
14 Éditions de Minuit, Historique,
consulté [en ligne] le 14 janvier 2018,
http://www.leseditionsdeminuit.fr/unepage-historique-historique-1-1-0-1.html
15 Jean-Philippe Toussaint, « Réception de
Jean-Philippe Toussaint. Séance publique du 16 mai 2015 »,
Académie royale de langue et de littérature françaises
de Belgique, Bruxelles, 2015, p.5, consulté [en ligne] le 4
décembre 2017,
www.arllfb.be/ebibliotheque/discoursreception/toussaint16052015.pdf
16 Jean-Philippe Toussaint, L'Urgence et la
Patience, Éditions de Minuit, Paris, 2012, p. 30.
17 Michèle Ammouche-Kremers et Henk Hillenaar
Eds, Jeunes auteurs de Minuit, Éditions Minuit, Paris, 1994, p.
28, consulté [en ligne] le 3 novembre 2017,
https://books.google.fr/books?hl=fi&lr=&id=TabI5S_qUDgC&oi=fnd&pg=PA27&dq=jean-philippe+toussaint+beckett&ots=VzxOZXmKmC&sig=t9bxzzrukjJ7zZYNa1wKi2FKgsE#v=o
nepage&q=jean-philippe%20toussaint%20beckett&f=false
8
courant littéraire. Pourtant, Toussaint, en bottant en
touche, ne répond pas à cette question, puisqu'à cette
époque lui-même n'a aucune conscience des enjeux que suscite son
implication dans la littérature. Il faudra attendre près de 20
ans avant que Toussaint arrive, finalement, à définir ses livres
par le biais d'un nouveau terme : « le roman infinitésimaliste
» qui renvoie à l'idée que l'infiniment petit et
l'infiniment grand ont la même importance. En effet, Toussaint trouve que
ce terme est bien plus approprié que celui de roman minimaliste, dont la
portée, selon lui, est trop réductrice, car elle ne fait
référence qu'à l'infiniment petit18. En fait,
Toussaint, dont le style littéraire très épuré
s'apparente à celui du Nouveau roman, s'en distingue pourtant par son
ton narquois et désinvolte, dans lequel l'histoire ou la non-histoire
est toujours marquée par le contemporain. De plus, bien que Toussaint
adhère à toutes les théories de Robbe-Grillet, comme celle
sur l'importance de ce qui manque dans un roman, il ne partage pas
l'idée que ce dernier se fait de la nature du personnage en
général. En effet, Robbe-Grillet, écrivain publié
aux Éditions de Minuit, considéré comme chef de file du
Nouveau roman, crée des êtres déshumanisés, alors
que Toussaint ne partage pas ce point de vue, car cela fait perdre un certain
rapport émotif, mais aussi de l'ordre de la sensualité, entre
l'écrivain et le lecteur19. Toussaint s'oppose à cette
vision, parce que pour lui, l'émotion est au coeur de son oeuvre :
« Je conçois mon métier comme quelque chose de vivant et
d'amusant. »20. Il se distingue aussi de ses
prédécesseurs par le fait qu'il ne revendique aucun projet
sociologique ou ethnologique car, selon lui, cette bataille a
déjà eu lieu avec succès. Il se dégage donc de
toute idée d'être un écrivain engagé à part
entière. Ce qui compte pour lui, c'est la littérature plus que
tout autre chose.
18 Laurent Demoulin, « Pour un roman
infinitésimaliste », Entretien réalisé à
Bruxelles, le 13 mars 2007, consulté en ligne le 18 décembre
2017,
http://www.jptoussaint.com/documents/e/ec/Entretien
sur L'Appareil-photo (2007).pdf
19 Nelly Kaprélian, « Le plus fort dans
un roman, c'est ce qui manque », Les Inrockuptibles, no 721,
publié [en ligne] le 22 septembre 2009, consulté [en ligne] le 4
novembre 2017,
http://www.jptoussaint.com/documents/4/4b/LaVerite-revue-de-presse-2009.pdf
20 Michèle Ammouche-Kremers et Henk Hillenaar
Eds, Jeunes auteurs de Minuit, Éditions Minuit, Paris, 1994, p.
27, consulté [en ligne] le 3 novembre 2017,
https://books.google.fr/books?hl=fi&lr=&id=TabI5S_qUDgC&oi=fnd&pg=PA27&dq=jean-philippe+toussaint+beckett&ots=VzxOZXmKmC&sig=t9bxzzrukjJ7zZYNa1wKi2FKgsE#v=o
nepage&q=jean-philippe%20toussaint%20beckett&f=false
9
Jean-Philippe Toussaint, les Éditions de Minuit et le
milieu littéraire subissent un véritable drame en 2001 avec la
disparition de Jérôme Lindon. La perte de cet ami, aurait pu
remettre tout en cause. Pourtant, Toussaint se montre fidèle à
cette maison d'édition et plus particulièrement envers
Irène Lindon, qui occupe le poste de son père. Depuis son
entrée en 1985 aux Éditions de Minuit, il a publié les 15
oeuvres suivantes : La Salle de bain (1985), Monsieur (1986),
L'Appareil-photo (1989), La Réticence (1991), La
Télévision (1997), Autoportrait (à
l'étranger) (2000), Faire l'amour (2002), Fuir
(2005), La Mélancolie de Zidane (2006), La
Vérité sur Marie (2009), L'Urgence et la Patience
(2012), Nue (2013), Football (2015), Made in China
(2017) et M.M.M.M. (2017). Toussaint remporte le prix
littéraire de la Vocation, en 1986 pour La Salle de bain, le
prix Victor-Rossel, en 1997 pour La Télévision, le prix
Médicis pour Fuir en 2005, mais aussi le prix Décembre,
en 2009, pour La Vérité sur Marie et pour finir le prix
triennal du roman de la Fédération Wallonie-Bruxelles, en 2013,
pour La Vérité sur Marie.
c) Un artiste éclectique
Jean-Philippe Toussaint ne se limite pas à la
littérature, il explore bien d'autres univers comme la photographie, le
cinéma ou bien encore le monde numérique. En effet, c'est pour
lui une nécessité de pouvoir s'échapper, de temps à
autre, du travail d'écrivain : « Ne faire qu'écrire doit
être lassant. Je ne pourrais d'ailleurs pas m'imaginer ne produire que
des livres. »21. Il écrit des articles dans la presse
quotidienne, monte des expositions, notamment en France, en Belgique et en
Asie. D'ailleurs, il s'est beaucoup rendu sur ce continent au fil des
années. En fait, ces multiples facettes font de Toussaint un artiste qui
s'évertue à s'approcher, le plus possible, de la
réalité de notre société contemporaine. D'ailleurs,
c'est ce qui l'a amené à écrire une oeuvre comme Made
in China car nous y retrouvons l'ensemble de ces aspects. Il commence,
vers la fin des années 70, par faire un court métrage amateur
intitulé « Les dents de l'affaire », une parodie de
film d'horreur22 et par la suite, il fait d'autres
réalisations non professionnelles. Toussaint
21 Jean-Louis Tallon, « Entretien avec
Jean-Philippe Toussaint », HorsPress Webzine culturel, Bruxelles,
2002, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018,
http://erato.pagesperso-orange.fr/horspress/toussaint.htm
22 Jean-Philippe Toussaint, «
Le jour où j'ai commencé à filmer »,
Bon-a-tirer.com,
trimestriel, vol.4, en date du 15 février 2002, consulté [en
ligne] le 30 décembre 2017,
http://www.bon-a-tirer.com/volume4/jpt.html
10
débute dans le cinéma professionnel en
coadaptant avec John Lvoff, La Salle de bain en 1987 pour le grand
écran. En 1994, il collabore aussi dans Berlin 10 heures 46, un
film de Torsten Fischer et passe à la réalisation à partir
de 1989 avec Monsieur, La Sévillane (1992) et La
Patinoire (1999). En parallèle, il se lance dans la photographie,
à l'âge de 39 ans, avec un premier cliché où son
ombre paraît sur l'une des parois du temple Nanzenji de Kyoto au
Japon23. Sa première exposition photographique, en 2000, eut
lieu au Chapitre XII, la librairie de sa mère, puis au Japon (2000),
à Bruxelles (2002), à Toulouse (2006), à Pau (2006),
à Patrimonio en Corse (2008) et à Canton en Chine (2009).
L'année 2002 marque aussi une exposition différente, Tokyo la
nuit, qui se déroule à Bruxelles24, avec une
troisième et dernière, en 2009 au Japon, toujours exclusivement
sur la photographie, au CASO d'Osaka.
Toussaint organise aussi en 2012 une exposition exceptionnelle
autour de ses oeuvres. En effet, le Louvre l'accueille en lui donnant carte
blanche. Il présente donc toute une production visuelle «
Livre/Louvre » où il se pose comme un artiste associant la parole
à l'écrit mais aussi la photographie, l'ensemble forme aussi une
réflexion sur l'activité même de l'écrivain
inspiré par son temps lorsqu'il écrit25. En 2016, il
s'aventure dans un autre monde, celui de la scène. M.M.M.M. (Marie
Madeleine Marguerite de Montalte) est un spectacle qui a eu lieu en France
et en Belgique où se mêlaient la lecture de morceaux choisis, la
musique, la vidéo et l'art contemporain. Toussaint raconte, sur les
planches, l'histoire de Marie, l'héroïne de Faire l'amour
(2002), Fuir (2005), La Vérité sur Marie
(2009) et pour finir de Nue (2013)26. Tout cela nous
amène à voir un autre aspect de Toussaint car les voyages ont
été importants dans sa vie. Il fait de nombreux
23 Jean-Philippe Toussaint, « Le jour
où j'ai fait ma première photo »,
Bon-a-tirer.com,
trimestriel, vol.2, en date du 15 mai 2001, consulté [en ligne] le 30
décembre 2017,
http://www.bon-a-tirer.com/volume2/jpt.html
24 Jean-Philippe Toussaint, Curriculum Vitae, site
Internet :
jptoussaint.com. Consulté
[en ligne] le 22 décembre 2017,
http://www.jptoussaint.com/jean-philippe-toussaint.html
25 Donatien Grau, « Les jeux de l'art et de la
littérature », LeMonde.fr, publié [en ligne] le 27
avril 2012, consulté [en ligne] le 3 décembre 2017,
http://www.jptoussaint.com/documents/5/5b/Presse-Mainetregard-Lemonde-2012.pdf
26 Jean-Marie Wynants, « Un voyage
envoûtant entre musique et littérature », Le Soir,
publié le 19 avril 2016, consulté [en ligne] le 23 novembre 2017,
http://www.jptoussaint.com/documents/1/11/Le_Soir.pdf
séjours en Europe, au Japon et plus
particulièrement en Chine où il découvre une culture qui
le fascine : « La Chine est pour moi un pays emblématique du monde
contemporain; actuellement c'est peut-être en Chine que le monde se
transforme le plus. »27. En fait, ce pays a été
pour Toussaint une source d'inspiration prépondérante lors de
l'écriture de Made in China.
Le numérique occupe également une place centrale
dans sa vie : Internet le passionne, ce qui le différencie d'un certain
nombre d'écrivains encore très réticents à
l'idée de cette évolution des pratiques dans le domaine de la
littérature. En effet, l'exemple le plus parlant est celui de
Frédéric Beigbeder, un écrivain qui s'insurge contre le
numérique qu'il assimile à une vrai drogue et milite pour le
livre papier28. Toussaint, contrairement à ce dernier,
s'intéresse véritablement aux rapports entre la
littérature et Internet. En 1997, il fait une expérience en
filmant la patinoire de Franconville 24 heures sur 24 à l'aide d'une
Webcam. Avec cette technique, n'importe qui a pu voir en direct comment le
tournage se déroulait. À partir des années 2000, Toussaint
participe à un séminaire virtuel avec l'Université de
Rhodes Island (Etats-Unis d'Amérique). Il lui est arrivé aussi
d'utiliser Skype bien qu'il trouve que ces systèmes peuvent encore
être améliorés29. En fait, Toussaint a l'envie
d'être un acteur actif par rapport à Internet, c'est pourquoi il
crée en 2009 son propre site :
www.jptoussaint.com.
À l'origine, il met en ligne ses brouillons en accès libre dans
le but précis de montrer le plus possible son travail et d'en faire un
espace unique : « ---je dirais que mon site est une création
à part entière autour du corpus d'un écrivain.
»30. Cet espace sur Internet regroupe énormément
de matériel concernant
27 Margaret Alwan, « Jean-Philippe Toussaint: "La
Chine, emblématique du monde contemporain" », l'Express,
publié le 8 mai 2012, consulté [en ligne] le 1er
novembre 2017,
https://www.lexpress.fr/culture/livre/jean-philippe-toussaint-la-chine-emblematique-du-monde-contemporain
1112101.html
28 Caroline Parlanti, «
Frédéric Beigbeder contre la dictature d'internet et du
numérique : je dis bravo ! », l'Ohs, publié [en
ligne] le 24 août 2012, consulté [en ligne] le 6 juin 2018,
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/614234-frederic-beigbeder-contre-la-dictature-d-internet-et-du-numerique-je-dis-bravo.html
29 Jean-Philippe Toussaint, « Mettre en ligne ses
brouillons », Littérature, n° 178, 2015, pp. 117-126,
DOI : 10.3917/litt.178.0117, consulté [en ligne] le 1er
janvier 2018,
https://www-cairn-info.ezproxy.univ-paris3.fr/revue-litterature-2015-2-page-117.htm
11
30 Ibid.
12
cet écrivain. Un planisphère apparaît
lorsque l'utilisateur y accède, comme nous le montre la figure 1. C'est
le monde virtuel de Toussaint avec des manuscrits, des vidéos, sa
bibliographie, des articles de journaux et de revues sur ses oeuvres, des
projets en ligne, un espace dédié à ses traductions dans
37 pays dans le monde, des études universitaires mais aussi des livres
critiques. De plus, il utilise Facebook, où il diffuse des informations
sur son actualité presqu'en temps réel, durant la promotion de
son livre, Made in China. Toussaint s'inscrit donc dans son
époque car en mettant gratuitement sur son site et sur Facebook du
matériel mais aussi des informations sur sa carrière artistique,
il arrive à toucher son public qui peut le suivre plus facilement qu'un
écrivain qui ne s'intéresse pas à ce moyen de diffusion.
En fait, il a assimilé ces outils numériques d'une manière
totalement naturelle dans son oeuvre littéraire.
Figure 1. La page d'accueil de
jptoussaint.com,
le site Internet de Jean-Philippe Toussaint, Source :
http://www.jptoussaint.com/.
13
B. Le projet insolite de Made in China aux prestigieuses
Éditions de Minuit
Les Éditions de Minuit publient Made in China,
le 14 septembre 2017, en version papier et numérique. L'oeuvre est
qualifiée d'ovni littéraire dans la presse du fait de sa
réalisation atypique et multiforme31. Ce récit se
déroule en Chine, où le narrateur, qui n'est autre que Toussaint
lui-même, compte réaliser un film intitulé The Honey
Dress. Ce court métrage consiste à faire défiler un
mannequin habillé d'une robe de miel. Pour mener à bien ce
projet, Toussaint fait appel à Chen Tong, son ami et éditeur
chinois. En fait, Made in China est une oeuvre dense dans tous les
sens du terme, autant par son volume de 188 pages que par la diversité
qu'il recèle du point de vue de l'histoire du tournage du film, de la
vision qu'il a de son ami et d'une réflexion sur la création d'un
film mais aussi d'un livre. Il est divisé en deux grandes parties :
« Chen Tong » et « The Honey Dress » qui forment
un tout, le regard d'un écrivain occidental sur la Chine
d'aujourd'hui.
a) Thèmes relevant du vécu de Jean-Philippe
Toussaint en Chine
Le personnage de Chen Tong occupe une place essentielle dans
Made in China. D'ailleurs, Jean-Philippe Toussaint le fait
apparaître dans la première phrase de son livre : « Cher
Jean-Philippe, est-ce que tu peux me transférer l'horaire de ton vol ?
Il faut que je m'organise »32. D'ailleurs, c'est Chen Tong qui
l'accueille dès sa sortie d'avion, c'est donc une vision personnelle que
l'auteur donne au lecteur de la Chine. Toussaint en profite pour faire une
description soignée, sur une quinzaine de lignes, de la manière
dont se comporte Chen Tong lors de ses retrouvailles. Il montre aussi au
lecteur un personnage qui inspire une sensation de maîtrise
entière de soi : « --- il se dégageait de sa
personnalité un sentiment d'assurance et de calme. »33.
Par la suite, Toussaint utilise un procédé appelé «
flashback » où il raconte sa première rencontre avec Chen
Tong. Là, s'instaure entre Toussaint et lui une compréhension
mutuelle malgré la barrière de la langue. C'est à cette
31 Serge Bresson, « "Made in China" : un Ovni
littéraire épatant », Atlantico, publié [en
ligne] le 30 octobre 2017, consulté [en ligne] le 10 février
2018,
http://www.atlantico.fr/decryptage/made-china-ovni-litteraire-epatant-3209873.html
32 Jean-Philippe Toussaint, Made in China,
Éditions de Minuit, Paris, 2017, p. 9.
33 Ibid.
14
occasion que le lecteur apprend que cet homme est son
éditeur pour la Chine, tout comme pour Robbe-Grillet et qu'il est
libraire, artiste, commissaire d'exposition et professeur aux Beaux-Arts. En
fait, Jean-Philippe Toussaint livre une information importante pour comprendre
Chen Tong, à l'aide d'une anecdote. Il raconte que son éditeur a
fait un cadeau à l'ami d'un policier afin de pouvoir tourner le film de
Fuir dans une salle de la police : « --- il avait graissé
la patte à l'ami d'un commissaire de police, en lui offrant une peinture
traditionnelle chinoise de sa composition. »34. En effet, son
ami est un homme d'une rare complexité : c'est un artiste reconnu dans
son domaine, ce qui est tout à fait singulier pour quelqu'un qui publie
en exclusivité pour son pays Alain Robbe-Grillet, un écrivain
reconnu des Éditions de Minuit. Ce paradoxe est encore plus
étonnant lorsque nous savons qu'en fait Chen Tong peint des toiles du
Grand Timonier, Mao Tse Tong, comme le révèle François
Bon.35 Toussaint raconte aussi comment Chen Tong lui apprend la mort
d'Alain Robbe-Grillet le 18 février 2008, créant un rapprochement
entre eux qui relève de l'intime : « --- c'était une bonne
chose et belle chose que ce soit Chen Tong qui m'apprenne la mort de
Robbe-Grillet, il nous connaissait tous les deux et il aurait sans doute
aimé cette scène étrange. »36. Un autre
passage de Made in China reflète leur respect réciproque
: « Le discours de Chen Tong me touchait profondément, qui me
faisait sentir, au-delà des cultures et des langues, ce que pouvait
être la réussite d'une collaboration professionnelle, ce que
pouvait être l'amitié. »37. L'auteur ne cesse de
montrer son éditeur chinois toujours à ses côtés.
D'ailleurs, au fil de l'histoire, ponctuée de certaines
mésaventures que Chen Tong parvient toujours à régler, le
lecteur se rend compte, qu'il est indispensable pour que The Honey
Dress voit le jour.
Made in China renferme aussi la chronique du tournage
de The Honey Dress. En fait, ce film est déjà
mentionné dans Nue (2013), le dernier livre fermant le cycle de
Marie. Cette tétralogie romanesque, composée de Faire l'amour
(2002), Fuir (2005) et la Vérité sur
34 Ibid. p. 57.
35 François Bon, « Anti-rentrée
littéraire #5 | Jean-Philippe Toussaint, comment trouver un cheval en
chine », vidéo critique littéraire sur YouTube en
ligne depuis le 17 septembre 2017, consulté [en ligne] le 2 janvier
2018,
https://www.youtube.com/watch?v=m9BHVGpN_B8
36 Jean-Philippe Toussaint, Made in China,
Éditions de Minuit, Paris, 2017, pp. 24-25.
37 Jean-Philippe Toussaint, Made in China,
Éditions de Minuit, Paris, 2017, p. 179.
15
Marie (2009), est une passionnante histoire d'amour
entre une créatrice de mode et le narrateur souvent cantonné dans
l'ombre de celle-ci38. L'idée de faire une robe de miel ne
date donc pas d'aujourd'hui. En fait, il éprouvait le fantasme de
créer une collection de haute couture par le biais de la
littérature. Pour lui, une robe, composée en grande partie de
miel, donne une image frappante qui interpelle et il en profite pour se pencher
tout particulièrement sur ce processus de création39.
C'est une des raisons de la publication de Made in China, car l'un des
objets du livre est de montrer le déroulement de ce projet dès sa
venue en Chine. D'ailleurs, parlant de Chen Tong, Toussaint montre au
début de la deuxième partie l'intérêt que son
éditeur a du projet : « --- je m'aperçus avec plaisir qu'il
était en train de lire le scénario de The Honey Dress.
»40.
Ce livre montre également la vision qu'a Toussaint, un
écrivain occidental, de la Chine. Tout d'abord, il relate ses
premières impressions à la sortie de l'aéroport : «
---- aussitôt je fus assailli par l'odeur de la Chine, cette odeur
d'humidité et de poussière, de légumes bouillis et de
légère transpiration qui imprègne l'air chaud de la nuit.
»41. Le narrateur se remémore aussi des souvenirs de son
premier film intitulé Fuir, tourné en Chine, en 2008,
comme dans les passages où il décrit un voyage de nuit : «
J'ai encore en tête des images d'autoroutes chinoises désertes ---
regardant défiler à côté de moi des paysages
endormis, qui flottaient dans les vapeurs des lumières jaune
orangé des lampadaires --- »42. Toussaint nous parle
aussi de ses premiers souvenirs de Guangzhou qui datent de 2001 quand la ville
avait encore de nombreux attraits d'une Chine aujourd'hui disparue : «
--Guangzhou n'était pas encore une de ces grandes mégalopoles
internationales --- mais
38 Jérôme Garcin, « Jean-Philippe
Toussaint : "Je suis très connu, mais personne ne le sait..." »,
l'Obs, mis [en ligne] le 30 août 2013, consulté [en
ligne] le 1er janvier 2018,
https://bibliobs.nouvelobs.com/rentree-litteraire-2013/20130829.OBS4927/jean-philippe-toussaint-je-suis-tres-connu-mais-personne-ne-le-sait.html
39 Alain Veinstein, « Du jour au lendemain
», France Culture, [en ligne] du 21 septembre 2013,
consulté [en ligne] le 1er janvier 2018,
https://www.franceculture.fr/player/export-reecouter?content=4690060
40 Jean-Philippe Toussaint, Made in China,
Éditions de Minuit, Paris, 2017, p. 91.
41 Ibid. p. 10.
42 Ibid. p. 21.
16
gardait au contraire un côté encore presque rural
--- »43. Toussaint nous renseigne aussi sur la mentalité
chinoise, qui diffère radicalement de celle de l'Occident, car dans ce
pays, il n'y a pas de but clairement établi lorsqu'il s'agit d'un
projet. En effet, Toussaint assimile une nouvelle attitude, expliquée
dans Nourrir sa vie (2005) de François Jullien qu'il reprend
dans Made in China : « --- le général ne se fixe
pas d'objectif particulier, et même à proprement parler n'a pas de
visée, mais évolue en exploitant continûment à son
profit le « potentiel de situation ». 44. Il se
réfère également au livre Les Rouages du Vi Jing
(2011) de Cyrille Javary pour expliquer que, pour les Chinois, la chance
n'est pas le fruit du hasard, mais le résultat de l'observation
perspicace d'une situation donnée afin de pouvoir intervenir d'une
manière des plus profitables qui soient45. En fait, Toussaint
a comme projet de montrer la Chine contemporaine dans toute sa
réalité : « --- ces journées insignifiantes, et
pourtant riches d'imprévus, de joies éphémères,
d'échecs mineurs, de difficultés dérisoires et
d'émotions fugaces. La vie, quoi. »46.
b) Un récit d'une grande complexité
Jean-Philippe Toussaint, lorsqu'il écrit,
procède d'une manière particulièrement
intéressante. En effet, sous l'aspect d'une apparente simplicité,
le processus de création et l'écriture forment un travail de
création complexe. Toussaint47 commence par prendre des notes
manuscrites sur un carnet qu'il utilise pour la première
rédaction sur son ordinateur. Par la suite, il imprime ce texte pour
faire encore des modifications à la main sur ces feuilles, et ainsi de
suite, pour aboutir à ce qu'il veut. En fait, il y a une similitude avec
ce procédé et le contenu de Made In China. Toussaint
part d'une idée toute simple, son expérience en Chine, comparable
à la simplicité du carnet qu'il a utilisé pour
créer
43 Ibid. p. 34.
44 Ibid. p. 22.
45 Ibid. p. 49.
46 Ibid. p. 123.
47 Catherine De Poortere, « La première
chose que je n'ai pas voulu faire, c'est écrire. »,
pointculture, Belgique, publié [en ligne] le 19 décembre
2017, consulté [en ligne] le 2 mai 2018,
https://www.pointculture.be/article/focus/la-premiere-chose-que-je-nai-pas-voulu-faire-cest-ecrire/
17
une oeuvre complexe. Pour donner une image de ce qu'il fait,
d'un simple fil, il arrive à tisser un véritable rhizome,
constitué de multiples dimensions, qui interpellent de bien des
manières le lecteur. D'ailleurs, ce récit est tellement dense que
Toussaint, comme il le dit dans l'émission de Jean-François
Cadet48, ne prend pas immédiatement conscience du
véritable sujet de son livre. En fait, la littérature et la vie
sont au coeur de Made in China comme il le résume au
début de son livre : « Le sujet de mon livre, c'est le pouvoir qu'a
la littérature d'aimanter du vivant. »49.
Made in China est un livre difficile à
définir d'un seul mot, car il regroupe plusieurs genres
littéraires et l'auteur y mélange la fiction à la
réalité, comme il l'avoue : « --- si on veut que la
réalité chatoie, il faut bien la romancer un peu.
»50. En effet, Toussaint ne se contente pas de décrire
la réalité, il y puise son inspiration pour donner à son
livre toute une dimension romanesque. De plus, comme le souligne l'auteur,
trois axes principaux s'y dégagent. Le premier est une chronique du
tournage d'un film qui est aussi le prologue de Nue (2013). Le
deuxième est un portrait de son éditeur et producteur en Chine,
Chen Tong, son ami. D'ailleurs, cet homme, véritable
caméléon, comme nous l'avons déjà montré,
est aussi le fondateur de la librairie Borges à Canton. Le
troisième de ces axes est une réflexion plus théorique sur
la création d'un livre mais aussi d'un film. Toussaint se penche donc
plus sur la question du hasard, et plus exactement, sur sa place lors du
processus de création d'une oeuvre qu'elle soit littéraire ou
cinématographique. Il acquiert un état d'esprit différent
de la culture occidentale, en s'inspirant d'une certaine pensée
chinoise, qui est fondée sur l'idée de savoir prendre des
décisions au bon moment, sans avoir planifié au préalable
tous les tenants et aboutissants d'un projet. En fait, Toussaint
48 Jean-François Cadet, « Jean-Philippe
Toussaint, made in China », Vous m'en direz des nouvelles!, RFI,
du 23 octobre 2017, consulté [en ligne] le 30 décembre 2017,
http://www.rfi.fr/emission/20171023-jean-philippe-toussaint?ref=fb
49 Jean-Philippe Toussaint, Made in China,
Éditions de Minuit, Paris, 2017, p. 76.
50 Jean-Philippe Toussaint, Made in China,
Éditions de Minuit, Paris, 2017, p. 10.
18
en conclut que la somme des hasards qui ont eu lieu lors de la
création d'une oeuvre est marquée par une fatalité
supérieure qui a permis l'achèvement de ce
projet51.
Toussaint s'appuie notamment sur un certain nombre de «
flashback » pour constituer un temps romanesque et donner de cette
manière plus d'épaisseur au personnage de Chen Tong. Le
récit de Toussaint contient un paradoxe insolite, digne d'un personnage
de Flaubert. Chen Tong, peintre chinois des plus classiques selon les
critères de la Chine communiste, est dans le même temps
l'éditeur de Robbe-Grillet et du maître de l'absurde, Samuel
Beckett. En fait, Toussaint prend des personnes bien réelles pour en
faire des personnages à portée romanesque sous l'apparente
réalité d'un narrateur qui n'est autre que Toussaint
lui-même, dans le cadre d'une sorte d'autobiographie. Son but est que le
lecteur s'approprie les personnages, car de cette manière, il peut
continuer à compléter l'histoire dans son imaginaire. D'ailleurs,
selon lui, Flaubert était déjà, d'une certaine
manière, dans cette voie52.
Jean-Philippe Toussaint utilise aussi différents moyens
de narration pour donner un aspect encore plus véridique à son
livre et crée une relation de l'ordre de l'intimité entre lui et
le lecteur. En fait, il mêle, dans certains passages, le temps de
narration et le temps d'écriture, ce qui provoque, chez le lecteur,
l'illusion d'être présent lors d'un instant de la création
du livre. En effet, l'auteur recourt à la métalepse, qui est un
procédé métafictif, pour faire passer le lecteur de
l'univers de l'histoire du livre qui se déroule en Chine à celui
d'un écrivain, gêné par des bruits extérieurs,
lorsqu'il est en train d'écrire Made in China en Corse : «
Et soudain j'entendis un bruit de motos derrière moi dans la salle
à manger du Peach Blossom, c'était le son d'au moins une dizaine
de Harley-Davidson, qui faisaient trembler sur elles-mêmes les vitres du
restaurant, au point de jeter un trouble sur la réalité que
j'avais sous les yeux. À mesure que je continuais d'entendre ces bruits
de
51 Laure Adler, « Vagabondages avec
Jean-Philippe Toussaint », Émission radio de France Inter
du 8 décembre 2017, consulté [en ligne] le 2 janvier
2018,
https://www.franceinter.fr/emissions/l-heure-bleue/l-heure-bleue-08-decembre-2017
52 Thierry Roger, « Entretien avec Jean Philippe
Toussaint, Flaubert vu par les écrivains contemporains »,
vidéo [en ligne] en date du 18 avril 2015, consulté [en ligne] le
2 novembre 2017 sur le site de l'Université de Rouen Normandie,
https://webtv.univ-rouen.fr/videos/entretien-avec-jean-philippe-toussaint/
moteur, avec ratés et succession de pétarades
qui n'avaient rien à faire ici, je sentais l'ordre du réel
vaciller autour de moi. Plus encore que mon oreille, c'était
l'intérieur même de mon cerveau que ces bruits
atteignaient, comme s'ils étaient parvenus à s'introduire dans
mon imagination, là-même où s'élabore le fragile
processus de création à l'oeuvre dans l'écriture, quand,
quel que soit l'endroit on se trouve physiquement, en Corse ou à
Ostende, --- »53. En fait, Toussaint montre par ce biais les
coulisses de la création de son livre, où il laisse une grande
place au hasard en l'incorporant directement dans le récit, car il
n'avait pas prévu à l'origine la scène de la
pétarade des Harley-Davidson. L'auteur introduit donc un
véritable vertige du présent où le lecteur est
propulsé du passé, c'est-à-dire des souvenirs de
Toussaint, à l'instant présent, où le lecteur se rend
compte qu'il est sorti du récit originel pour se retrouver au moment de
son écriture. Toussaint analyse ce procédé narratif dans
un entretien avec Laure Adler en donnant l'exemple d'une scène d'un des
films de Woody Allen, La Rose pourpre du Caire (1985), où un
personnage d'un film en noir et blanc sort de l'écran pour rejoindre,
dans la salle de projection, une femme amoureuse de lui.54
c) L'essai d'un livre numérique dans une maison
d'édition de renom
Made in China est tout à fait hors norme dans
le paysage de l'édition littéraire française
destinée au grand public. En effet, c'est la première fois dans
toute l'histoire des Éditions de Minuit qu'il y a, dans son catalogue,
un livre numérique augmenté, dans le cas du récit de
Toussaint, une oeuvre multimédia. Pourtant, nous pouvons constater que
sur le site Internet des Éditions de Minuit55 où se
trouve Made in China, il n'y aucune information concernant le film
The Honey Dress que l'on voit dans livre numérique.
L'utilisateur a la possibilité de lire un résumé de
l'histoire et de feuilleter des extraits, mais pas la dernière page du
livre où il y a cette vidéo. D'ailleurs, ce livre est tellement
particulier, que cette maison d'édition a créé, pour
l'occasion, une nouvelle catégorie intitulée « Récits
» au
53 Jean-Philippe Toussaint, Made in China,
Éditions de Minuit, Paris, 2017, pp. 70-71.
54 Jean-François Cadet, « Jean-Philippe
Toussaint, made in China », Vous m'en direz des nouvelles !, RFI,
du 23 octobre 2017, consulté [en ligne] le 30 décembre 2017,
http://www.rfi.fr/emission/20171023-jean-philippe-toussaint?ref=fb
19
55 Site Internet des Éditions de Minuit,
http://www.leseditionsdeminuit.fr/index.php
20
pluriel, alors qu'elle ne comporte qu'un seul titre pour
l'instant, celui de Made in China, comme nous pouvons le voir dans la
figure 2 :
Figure 2. La catégorie « Récits
» sur le site Internet des Éditions de Minuit où
figure
Made in China. Source :
http://www.leseditionsdeminuit.fr/collection- R%C3%A9cits-69-titre-DESC-x-1.html
Les Éditions de Minuit renvoient les personnes voulant
acheter la version numérique de ce livre, vers Eden Livres56,
un autre site Internet. En fait, cette plateforme de distribution de livres
numériques a été créée en 2009 par trois
groupes d'édition français. En effet, Actes Sud, La
Martinière Groupe et Madrigail détiennent cet espace qui a
distribué 2 millions de livres numériques pour l'année
2015 et 82 000 autres jusqu'au 31 mai 2016. Eden Livres regroupe 18 diffuseurs,
422 marques éditoriales et plus de 400 libraires connectés aux
services de distribution de ce site Internet. Made in China y
apparaît dans une catégorie « Romans et nouvelles »
où la spécificité numérique du livre de Toussaint
n'est signalée d'aucune manière. Tout comme sur le site des
Éditions de Minuit, Eden Livres offre aux utilisateurs un
résumé et des extraits, sans pour autant indiquer qu'il y a une
vidéo. Par contre, il y a la possibilité de consulter une table
des matières du livre. Made in China se trouve dans cette
rubrique qui compte 20 629 livres achetables en ligne.
56 Éden Livres, Site d'une plateforme de
distribution de livres numériques et la page sur les nouveautés
littéraires, consulté [en ligne] le 3 novembre 2017,
https://vitrine.edenlivres.fr/home
21
D'ailleurs, le lecteur n'est jamais informé si, dans
les livres numériques mis en vente sur ce site, il y a des
particularités numériques comme de la musique, des liens ou bien
encore des vidéos. Cela montre que pour les éditeurs, notamment
Les Éditions de Minuit, l'aspect purement numérique d'un livre
n'est pas ce qui importe le plus. En effet, ils sont toujours dans une
conception classique du livre, comme dans le cas de Made in China.
D'ailleurs, il suffit de voir la fin de la mise en page de Made in China
pour constater qu'il y a une sorte de frontière entre le texte et
la vidéo. Jean-Philippe Toussaint nous livre sa pensée par
rapport à la structure de Made in China dans une vidéo
réalisée par La Coudée Revue57 où il
fait remarquer qu'il n'a pas conduit ce projet dans le but de former un tout.
En fait, il affirme que son film The Honey Dress prolonge le
récit de Made in China, tout en précisant qu'il s'agit
de deux oeuvres distinctes. La séparation des deux oeuvres est mise en
avant avec la dernière phrase du livre : « C'est le début du
film, et c'est la fin du livre. », comme le montre la figure 3 :
Figure 3. La fin de la version numérique de
Made in China sur Readium.
Cette idée de créer une oeuvre hybride reposant
sur le fantasme de mettre dans un livre de la musique prouve, en
définitive, que Toussaint a encore l'envie d'explorer de nouveaux
univers. En fait, grâce à la fin ouverte de The Honey
Dress, Toussaint crée un
57 La Coudée Revue, « Discussion
accoudée #03 avec Jean-Philippe Toussaint pour Made in China »,
vidéo de la revue « La coudée », disponible
sur YouTube, publié [en ligne] le 24 novembre 2017,
consulté [en ligne] le 18 janvier 2018,
https://www.youtube.com/watch?v=G8dq_gCW2Sk
22
prolongement à la fois dans et hors de Made in
China, qui pose la question de la place de la musique dans un
livre58, mais toujours dans une démarche littéraire,
comme il le souligne dans un entretien avec Giovanna di Rosario59.
D'ailleurs, Toussaint révèle dans Made in China à
quel moment de sa vie, il a voulu, pour la première fois, mettre de la
musique dans un roman. Malheureusement à l'époque, cela
n'était pas possible pour des raisons techniques : « Je me souviens
que j'avais voulu introduire un jour de la musique dans un de mes livres,
lorsque le narrateur et Marie, dans Fuir, se retrouvent dans une
petite crique isolée de l'île d'Elbe et qu'ils se mettent à
danser lentement. J'aurais voulu que de la musique surgisse à ce
moment-là entre les pages du livre, doucement, en arrière-plan,
qu'elle s'exhale de la page et qu'elle remonte, qu'elle enrobe
l'atmosphère, sans que l'on sache très bien d'où elle
venait --- me souviens alors d'avoir regretté le cadre limité
auquel le livre est toujours contraint, muré en lui-même, comme
une boîte hermétiquement close, dont il est impossible de
s'extraire, malgré la tentation que j'ai toujours eue de franchir les
frontières du livre et de sortir physiquement de ses limites.
»60.
C. La vie de Made in China depuis sa sortie : chiffres
clés, promotion et réactions
La sortie de Made in China fait partie de la
rentrée littéraire 2017 et figure parmi les 581 romans qui
paraissent entre la mi-août et la fin octobre de la même
année61. Le public a pu découvrir le livre de
Toussaint à partir du 14 septembre 2017 en librairie, mais aussi en
l'achetant en ligne, dans sa version numérique. Depuis lors, comme nous
allons le voir,
58 Les rencontres de la Galerne librairie, «
Jean-Philippe Toussaint », Librairie La Galerne - Le Havre,
Vidéo sur YouTube mise [en ligne] le 26 septembre 2017,
consulté [en ligne] le 3 janvier 2018,
https://www.youtube.com/watch?time_continue=4&v=gxPnGRrTCQI
59 Jean-Claude Vantroyen, « La Littérature
numérique doit créer de nouvelles formes », Le
Soir, Bruxelles, publié le 31 octobre et 1er novembre 2017,
consulté [en ligne] le 30 janvier 2018,
https://cdn.uclouvain.be/groups/cms-editors-arec/actus-internes/LeSoir_LectureNumerique02.pdf
https://cdn.uclouvain.be/groups/cms-editors-arec/actus-internes/LeSoir
LectureNumerique01.pdf
60 Jean-Philippe Toussaint, Made in China,
Éditions de Minuit, Paris, 2017, p. 186.
61 Laurence Houot, « Rentrée
littéraire 2017, s'y retrouver dans les 581 romans programmés
», France info, publié [en ligne] le 30 juin 2017,
consulté [en ligne] le 3 janvier 2018,
https://culturebox.francetvinfo.fr/livres/romans/rentree-litteraire-2017-s-y-retrouver-dans-les-581-romans-programmes-258691
23
son histoire à proprement dite regroupe plusieurs
aspects, c'est-à-dire ses ventes, sa promotion et l'avis d'un certain
nombre de critiques.
a) Chiffres clés de Made in China depuis sa
première publication
L'histoire de Made in China, à de nombreux
égards, commence par un pli que Jean-Philippe Toussaint a adressé
aux Éditions de Minuit. D'ailleurs, l'auteur a fourni une photographie
de son manuscrit sous enveloppe prêt à être envoyé
dans sa maison d'édition, qui immortalise ce moment. De plus,
grâce au journal numérique de Made in China,
publié sur Facebook du 14 septembre jusqu'au 7 octobre 2017, nous avons
pu voir la photographie des premiers exemplaires imprimés par la
société Normandie Impression à Alençon pour le
compte des Éditions de Minuit. D'ailleurs, la figure 4 montre ces deux
photographies :
Figure 4. À gauche, une photographie du
manuscrit de Made in China déjà sous enveloppe
adressé à Irène Lindon et à droite, les tous
premiers exemplaires de Made in China Source : Jean-Philippe Toussaint
a envoyé ces deux documents, en pièces jointes par Courriel le 20
mars 2018.
Le nombre de livres imprimés au format papier de
Made in China, de sa sortie jusqu'au 14 janvier 2018,
s'élève à 10 350 exemplaires pour la première
édition et à 5 229 exemplaires pour sa réimpression, selon
Emmanuel Barthélemy (voir annexe 6), responsable aux Éditions de
Minuit du numérique. Cela a été un succès pour Les
Éditions de Minuit, puisque celle-ci a pris la décision de
procéder à une réimpression. Selon toute
24
vraisemblance, la première édition a dû
être complètement vendue. En fait, en l'espace de cinq mois,
Made in China a été imprimé, au total en 15 579
exemplaires. Ces chiffres montrent que le livre de Jean-Philippe Toussaint a
connu un certain succès, comme le rapport sur les chiffres clés
du secteur du livre en 2016 et 2017 de l'Observatoire de l'économie du
livre le montre. En fait, la production du livre dans le marché
éditorial français était en 2016 de 77 986 titres et, en
2017, de 81 263 titres, le tirage moyen d'un livre, tous secteurs confondus
étant en 2016 de 5 341 exemplaires62. D'ailleurs, selon
Barthélemy, Les Éditions de Minuit avaient déjà
facturé à ses clients au mois de janvier 2018, pour plus de 10
295 exemplaires ce qui prouve que par rapport à la moyenne nationale,
les chiffres de Made in China étaient plus que satisfaisants,
tout en sachant que sa sortie ne remontait qu'à quelques mois. De plus,
il est à noter que le coût d'impression pour un seul exemplaire de
Made in China représente, en fait, autour de 2 euros et qu'il
est vendu, par Les Éditions de Minuit, au prix de 15 euros pour sa
version papier et à 10,99 euros pour sa version numérique (voir
annexe 6).
b) La promotion du livre par Jean-Philippe Toussaint ainsi que
des regards d'écrivains sur son oeuvre
Jean-Philippe Toussaint a présenté Made in
China dans divers lieux qui concernent avant tout des librairies de par la
France lors de sa sortie le 14 septembre 2017. C'est en fait un parti pris, car
chez lui la littérature prédomine par rapport au
numérique. Il a commencé la promotion le 20 septembre 2017
à 18h30 par la librairie de Paris, qui se situe Place de Clichy. La
Galerne, une librairie du Havre, l'accueille le 26 septembre de la même
année. Jean-Philippe Toussaint s'y prête à une interview
d'environ 13 minutes63. La liste complète des librairies
où il s'est rendu figure en annexe 1. Il a reçu des messages
d'écrivains qui sont consultables sur son site Internet,
www.jptoussaint.com. En
effet,
62 Observatoire de l'économie du livre,
Économie du livre - Secteur du livre : chiffres 2016- 2017,
Synthèse établie par l'Observatoire de l'économie du
livre, Direction générale des médias et des industries
culturelles, mis [en ligne] en mars 2018, consulté [en ligne] le 4 avril
2018,
http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/68055-chiffres-cles-du-secteur-du-livre-2016-2017.pdf
63 Les rencontres de la Galerne librairie, «
Jean-Philippe Toussaint », Librairie La Galerne - Le Havre,
Vidéo sur YouTube mise [en ligne] le 26 septembre 2017,
consulté [en ligne] le 3 janvier 2018,
https://www.youtube.com/watch?time_continue=4&v=gxPnGRrTCQI
25
neuf confrères le complimentent au sujet de Made in
China. La plupart n'ont fait aucune allusion à la portée
numérique de l'oeuvre comme le montre l'annexe 2. En fait, un courrier,
celui de William Marx se distingue des autres critiques, car il fait part
à Toussaint d'une mésaventure survenue lors de la lecture sur une
tablette de Made in China, qu'il qualifie de « délice
labyrinthique ». En fait, la vidéo ne s'est pas
déclenchée et pour y remédier, il a dû utiliser son
ordinateur64. Christine Montalbetti, une femme de lettres, donne
aussi une note nouvelle dans sa critique du livre de Toussaint, car elle a une
approche plus cinématographique en se référant à la
scène des bruits des Harley Davidson, qu'elle compare à un
trucage de cinéma65. Patrick Varetz se penche sur Made in
China dans une critique qu'il a publiée dans la presse, où
il reprend le rapprochement entre ce livre et le poème de
Mallarmé « Un coup de dés jamais n'abolira le hasard »
déjà mentionné par Pierre Michon dans un courrier
électronique adressé à Jean-Philippe Toussaint, où
il écrit qu'il avait carrément « avalé Made in
China avec bonheur »66. François Bon intervient
d'une manière différente pour exprimer son avis sur le livre de
Toussaint. Il diffuse par le biais de YouTube une vidéo de 22 minutes et
30 secondes où il aborde l'ensemble des facettes de Made in
China. D'ailleurs, il nous donne un complément d'informations sur
Chen Tong que Toussaint avait omis, sans doute en toute conscience, dans son
livre. En effet, il nous apprend que cet éditeur chinois peint des
portraits de Mao Zedong67. Il parle aussi de la dimension
numérique et multimédia de Made in China, en se
référant à la vidéo qui se déclenche
automatiquement. Par contre, il pense que d'utiliser ce moyen de diffusion
n'est plus d'actualité. Il affirme aussi que cette version
numérique prend énormément de place dans l'espace de
stockage d'un ordinateur
64 William Marx, Made in China, courrier
électronique envoyé le 30 juin 2017, publié sur le site
www.jptoussaint.com.
Consulté [en ligne] le 2 janvier 2018,
http://www.jptoussaint.com/documents/a/af/William
Marx.pdf
65 Christine Montalbetti, Made in China,
courrier électronique envoyé le 9 décembre 2017,
publié sur le site
www.jptoussaint.com.
Consulté [en ligne] le 2 janvier 2018,
http://www.jptoussaint.com/documents/0/0b/Christine
Montalbetti.pdf
66 Patrick Varetz, « Jean-Philippe Toussaint par
Patrick Varetz: Un coup de dés jamais n'abolira le Yi Jing (Made in
China) », Diacritik -- Le magazine qui met l'accent sur la
culture, publié [en ligne] le 3 octobre 2017, consulté [en
ligne] le 2 novembre 2017,
https://diacritik.com/2017/10/03/jean-philippe-toussaint-par-patrick-varetz-un-coup-de-des-jamais-nabolira-le-yi-jing-made-in-china/
67 François Bon, Jean-Philippe Toussaint,
comment trouver un cheval en chine, anti-rentrée littéraire
#5, YouTube, publié [en ligne] le 19 septembre 2017. Consulté [en
ligne] le 21 janvier 2018,
https://www.youtube.com/watch?v=m9BHVGpN_B8
26
ou d'une tablette. De plus, Bon déclare qu'il ne
comprend pas « l'emploi de cette solution mitigée
»68. Il soumet l'idée qu'il aurait fallu plutôt
mettre un QR-code dans le livre papier. En effet, de cette manière, le
lecteur aurait pu, en utilisant ce code, regarder le film à l'aide d'une
tablette, d'un Smartphone ou bien encore d'un ordinateur. Il pense aussi que le
lecteur n'attendra pas d'avoir lu complètement Made in China
pour voir le film, s'il sait qu'il existe.69 D'ailleurs, cette
vidéo de François Bon a été vue à la date du
19 mai 2018 par 649 personnes, dont 20 ont actionné l'icône «
aimer » qui permet de laisser son impression sur la vidéo alors que
personne n'a actionné l'icône « pas aimé ». De
plus, il y a huit commentaires positifs qui figurent dans YouTube sur cette
vidéo. Une autre booktubeuse se distingue par son point de vue puisque
cette vidéo, consultable sur YouTube, conseille de découvrir
Made in China avec sa version numérique, qui donne, selon Elsa,
une dimension supplémentaire au texte.70
c) Expositions et critiques dans les médias ainsi que
répercussions sur les réseaux sociaux
Made in China a bénéficié d'une
couverture promotionnelle en France et hors de ses frontières dans
divers médias comme la presse écrite mais aussi des
émissions radiophoniques qui ont pour la grande majorité
très bien accueilli Made in China. Pourtant, elles ne portent
la plupart part du temps que sur des critiques littéraires en ne faisant
aucune allusion à sa portée numérique comme le montrent
les annexes 3 et 4. Malgré tout, dans quelques rares articles comme dans
le mensuel d'information In Corsica, un journal local, le numérique est
traité dans un texte suivi d'un entretien avec l'auteur : « C'est
là, sans doute, que réside la spécificité
numérique de Made in China: moins dans l'expérience de lecture
qui embraye sur un visionnage de film, que dans la façon dont nous
assistons, nous lecteurs, à la révolution numérique qui
est en train de
68 Ibid.
69 Ibid.
70 Elsa, 33. « Made in China -
Jean-Philippe Toussaint », Elsa et Fred à la page,
critique publié [en ligne] sur YouTube le 15 octobre 2017,
consultée [en ligne] le 1er mai 2018,
https://www.youtube.com/watch?time_continue=5&v=ZHsewA3pmZQ
27
s'opérer dans la tête des écrivains - du
moins quelques-uns. »71. De plus, le 19 décembre 2017
paru un article et un entretien de Toussaint sur le site Internet de
Pointculture, l'ex Médiathèque et l'ex
Discothèque Nationale de Belgique. Il y aborde le sujet du livre
augmenté, en l'occurrence, enrichi de musique. En effet, Toussaint
explique qu'il a une position d'observateur et que son but n'est pas de
révolutionner la littérature mais faire une réflexion
littéraire autour de l'ajout d'une vidéo dans le corps même
d'un livre. D'ailleurs, il rappelle qu'il y a plus d'une dizaine
d'années, les gens imaginaient que l'arrivée du numérique
révolutionnerait le monde littéraire alors que pour l'instant en
tout cas, cela relève de l'expérimentation dans un cadre tout
à fait marginal72. ». Le quotidien La Libre Belgique
publie un entretien de Jean-Philippe Toussaint pour son nouveau livre,
suivi d'un texte, « Le bonus numérique », où le
journaliste explique que si le lecteur acquiert la version numérique de
Made in China, il y découvrira une première
technologique, c'est-à-dire une vidéo et du son qui font partie
intégrante du livre73. De plus, le journal Le Soir
consacre une double page à un débat entre Jean-Philippe
Toussaint et Giovanna di Rosario, une chercheuse spécialisée dans
les humanités numériques, la littérature et la
rhétorique numérique. Toussaint parle de la particularité
de Made in China, qui réside dans l'ajout d'une vidéo
dont l'effet voulu est de se déclencher automatiquement lors de la
lecture du livre à l'aide d'une tablette ou d'un écran
d'ordinateur. Le débat éclaire le point de vue de Toussaint sur
l'impact du numérique dans la littérature. En effet, il pense que
les écrivains ne s'y intéressent pas et qu'il faut attendre
encore une ou deux générations. D'ailleurs, selon lui, le livre
papier a encore de
71 Isabelle Dominati-Muller, « Made
in China », In Corsica, numéro 29, octobre 2017,
consulté [en ligne] le 2 janvier 2018,
http://www.jptoussaint.com/documents/8/81/In
Corsica Toussaint .pdf
72 Catherine De Poortere, « La première
chose que je n'ai pas voulu faire, c'est écrire. »,
pointculture, Belgique, publié [en ligne] le 19 décembre
2017, consulté [en ligne] le 2 mai 2018,
https://www.pointculture.be/article/focus/la-premiere-chose-que-je-nai-pas-voulu-faire-cest-ecrire/
73 Guy Duplat, « Jean-Philippe Toussaint : le
roman, la fatalité et le fortuit », La Libre Belgique,
Bruxelles, publié le 14 septembre 2017, consulté [en ligne] le 4
janvier 2018,
http://www.jptoussaint.com/documents/e/eb/MadeinChina-LibreBelgique.pdf
28
beaux jours74. Un autre article sur ce livre
apparaît aussi dans le journal Le Soir, qui reprend le
thème du hasard, comme nous l'avons déjà vu75.
Jean-Philippe Toussaint rencontre aussi, à Paris, William Irigoyen, un
journaliste de L'Orient littéraire, un mensuel libanais en
langue française, qui le questionne sur son livre. D'ailleurs, l'auteur
en profite pour parler d'une des singularités de Made in China
qui le fait sortir littéralement des frontières habituelles
d'un livre avec les nouvelles pratiques numériques : « Faire entrer
de l'air mais aussi de l'eau et tant d'autres choses. Ce mélange entre
les deux mondes m'intéresse. Lui seul peut donner de la respiration
à un livre. »76.
Jean-Philippe Toussaint utilise Facebook, et aussi en partie
Twitter, pour publier son journal de la sortie de Made in China, qui
couvre la période du 14 septembre jusqu'au 7 octobre 2017. On y trouve
des informations supplémentaires sur son univers et Made in
China. Ce journal comprend 25 publications, à titre d'exemple la
figure 5 d'un tableau où apparaît Chen Tong, comme prise à
l'aide d'un appareil photo dans une position d'attente au beau milieu d'une
couleur bleue particulièrement vivace.
74 Jean-Claude Vantroyen, « La Littérature
numérique doit créer de nouvelles formes », Le
Soir, Bruxelles, publié le 31 octobre et 1er novembre 2017,
consulté [en ligne] le 30 janvier 2018,
https://cdn.uclouvain.be/groups/cms-editors-arec/actus-internes/LeSoir_LectureNumerique02.pdf
https://cdn.uclouvain.be/groups/cms-editors-arec/actus-internes/LeSoir
LectureNumerique01.pdf
75 Jean-Claude Vantroyen, « Le hasard et la
fatalité », Le Soir, Bruxelles, publié le 25 septembre 2017,
consulté [en ligne] le 5 janvier 2018.
http://www.jptoussaint.com/documents/2/21/MadeinCHina-Presse-Le
Soir .pdf
76 William Irigoyen, « Jean-Philippe Toussaint
dans le bain de l'imprévu », L'Orient littéraire,
supplément mensuel de L'Orient LE JOUR, publié [en
ligne] en octobre 2017, consulté [en ligne] le 1er janvier
2018.
http://www.lorientlitteraire.com/article_details.php?cid=6&nid=7004
29
Figure 5. 16ème publication du journal
de la sortie de Made in China "Chen Tong guettant l'émergence
de la littérature française contemporaine" (c) J-P Toussaint,
2001 provenant de Twitter, source :
https://twitter.com/wwwjptoussaint/status/913671375986012160
Il est à noter que nous avons trouvé très
peu de critiques négatives sur Made in China. Il y a un article
sur le site Internet de l'Express, en date du 1er octobre
2017, qui a retenu toute notre attention, car il oppose deux critiques qui
n'ont pas le même avis. En effet, Baptiste Liger a trouvé beaucoup
de plaisir dans la lecture de Made in China et il y voit aussi une
réflexion intéressante sur la littérature, alors que pour
son confrère Eric Libiot, Made in China est beaucoup trop
brouillon et vire à la théorie simpliste : « Tout ça
pour ça... Ce n'est pas du Lelouch, mais presque. »77.
Par ailleurs, nous avons trouvé une critique particulièrement
négative écrite par Astrid de Larminat du Figaroscope,
qui affirme que Toussaint ne réussit vraiment pas à écrire
un livre sur rien comme le rêvait Flaubert. Elle ajoute que son style ne
parvient pas à créer une certaine magie qui pourrait transporter
le lecteur78. Il y a aussi sur Shangols, un blog d'un amateur de
littérature qui
77 Baptiste Liger et Eric Libiot, « "Made in
China", par Jean-Philippe Toussaint: le pour et le contre de la
rédaction », L'Express, France, publié [en ligne]
le 1er octobre 2017, consulté [en ligne] le 2 janvier
2018,
https://www.lexpress.fr/culture/livre/made-in-china-par-jean-philippe-toussaint-le-pour-et-le-contre-de-la-redaction_1947575.html
78 Astrid de Larminat, « La critique de la
rédaction », Figaroscope, France, consulté [en
ligne] le 3 janvier 2018,
http://evene.lefigaro.fr/livres/livre/jean-philippe-toussaint-made-in-china-5094219.php
30
donne un avis assez critique sur Made in China. En
effet, celui-ci pense que Toussaint ne parvient pas à toucher le lecteur
et que le livre manque « un peu de saveur tant au niveau du style que de
la profondeur de l'analyse. »79. Pour finir, sur un autre blog
amateur, Cannibales Lecteurs, quelques lignes intitulées
Contrefaçon présentent le livre en montrant peu
d'entrain pour le récit : « ---pas le résumé le plus
excitant du monde--- »80. Il y a aussi des librairies
indépendantes qui publient des avis sur Made in China, comme la
Librairie Au Temps Lire située dans la métropole de Lille et qui,
sur son site Internet, parle d'un livre « étonnant » dans sa
rubrique Je veux un conseil...81. Ombres Blanches, une librairie de
Toulouse, va dans le même sens dans un article critique sur son site
Internet en constatant que Jean-Philippe Toussaint montre tous les possibles,
tous les potentiels dans un récit qui se déroule en Chine et
s'inscrit dans la même veine que ses précédents
livres82. La Fnac propose sur son site Internet Made in China
et donne également aux utilisateurs la possibilité de
partager son opinion sur le livre. On y trouve deux avis de particuliers et une
note globale de deux étoiles sur cinq83. Quant à
Amazon, on y trouve aussi deux avis de particuliers qui attribuent deux
étoiles sur cinq, avec des
79 Shangols, « Livre : Made in China de
Jean-Philippe Toussaint - 2017 », Shangols, publié [en
ligne] le 3 octobre 2017, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018,
http://shangols.canalblog.com/archives/2017/10/03/35734474.html
80 Clarice Darling (Pseudonyme) et Bookfalo Kill
(Pseudonyme), « A première vue : la rentrée Minuit 2017
», Cannibales Lecteurs, publié [en ligne] le 15 juillet
2017, consulté [en ligne] le 3 janvier 2018,
https://cannibaleslecteurs.com/2017/07/15/a-premiere-vue-la-rentree-minuit-2017/
81 Rémy, Made in China de Jean-Philippe
Toussaint aux Editions de Minuit, Article sur le site Internet de Au Temps
Lire Libraires de caractère, publié [en ligne] le 13 septembre
2017. Consulté [en ligne] le 2 janvier 2018,
https://autempslire.com/2017/09/made-in-china-de-jean-philippe-toussaint-aux-editions-de-minuit/
82 Thomas, « Continuum. », Ombres
Blanches, publié [en ligne] au mois de septembre 2017,
consulté [en ligne] le 2 janvier 2018,
https://www.ombres-blanches.fr/les-rencontres/rencontre/event/jean-philippe-toussaint/made-in-china/9782707343796////livre///9782707343796.html
83 FNAC, Site d'une une chaîne de magasins
française spécialisée dans la distribution de produits
culturels et la page où figure Made in China, mis [en ligne] le
14 septembre 2017, consulté [en ligne] le 27 septembre 2017,
https://livre.fnac.com/a10637668/Jean-Philippe-Toussaint-Made-in-China?omnsearchpos=1
31
titres évocateurs pour leurs commentaires : « MADE
IN ENNUI » et « Décevant... »84. Un site
Internet, Babelio, regroupant une communauté de lecteurs85,
affiche une note de 3.24 sur 5. Six lecteurs y ont laissé un commentaire
sur le livre. En fait, leurs avis divergent considérablement, car l'on y
trouve des admirateurs du style de Jean-Philippe Toussaint et d'autres qui
l'apprécient moins. D'une façon générale, les
commentateurs ont pris soin d'écrire des analyses assez
détaillées en motivant leurs points de vue. Il semble que
Made in China continue à susciter l'intérêt,
même huit mois après sa parution, car Alexandre Hertich, un
professeur adjoint de l'université américaine de Bradley
contribue à cette discussion, cette fois scientifique, en donnant une
présentation sur Made in China dans un colloque international
le 17 mai 2018. Cet événement est organisé par le
Laboratoire interdisciplinaire de recherches en sciences de l'action (Lirsa) et
les équipes pédagogiques nationales Stratégies et
Innovation en Belgique et son thème est « La réalité
de la fiction, ou des relations entre fiction, narration, discours et
récit ».86
84 Amazon, Site d'une entreprise de commerce
électronique et la page où l'on peut acter [en ligne] Made in
China, mis [en ligne] le 14 septembre 2017, consulté [en ligne] le
15 septembre 2017,
https://www.amazon.fr/MADE-CHINA-Jean-Philippe-Toussaint/dp/270734379X/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1517071935&sr=8-1&keywords=%22Made+in+China%22
85 Babelio, Site communautaire de lecteurs et la
chaîne de discussion sur Made In China, mis [en ligne] le 17
octobre 2017, consulté [en ligne] le 2 mai 2018,
https://www.babelio.com/livres/Toussaint-Made-in-China/965790/critiques
86 Colloque international : « La
réalité de la fiction, ou des relations entre fiction, narration,
discours et récit », organisé par le Laboratoire
interdisciplinaire de recherches en sciences de l'action (Lirsa) et les
équipes pédagogiques nationales Stratégies et Innovation,
le 17 mai 2018 en Belgique, consulté [en ligne] le 19 mai 2018,
http://culture.cnam.fr/mai/la-realite-de-la-fiction-ou-des-relations-entre-fiction-narration-discours-et-recit-990072.kjsp
32
II Une oeuvre multimédia - comment faire sortir le lecteur
des limites du livre ?
Jean-Philippe Toussaint a depuis de nombreuses années
eu envie de mettre de la musique dans un livre. Avec Made in China, il
a accompli son rêve, voir même plus, puisqu'il a réussi
à y mettre carrément un de ses films. C'est pourquoi nous sommes
amenés à voir les effets que cette vidéo induit sur la
lecture. En effet, l'ajout du multimédia au coeur même du livre
apporte une toute autre vision que la simple lecture d'un codex, comme nous
allons le voir. L'un des thèmes principaux de Made in China est
de montrer tout le cheminement de la création artistique d'un film
jusqu'au moment où le lecteur est amené à le visionner
à la fin du texte, ce qui nous conduira à montrer que ce
procédé, d'un point de vue théorique, n'est pas nouveau en
littérature et de voir qu'il relève donc d'une certaine
filiation. Enfin, le choix offert des supports dont disposent les lecteurs pour
découvrir Made in China, c'est-à-dire, la tablette,
l'ordinateur ou bien encore le livre papier, pose aussi la question de sa
réalisation et de certains problèmes d'ordre technique qui s'y
sont liés.
A. Les effets du multimédia sur la lecture
Le film The Honey Dress fait partie intégrante
de Made in China, car il figure dans l'oeuvre littéraire de
Jean-Philippe Toussaint. C'est pourquoi avant d'aller plus en avant, il faut
définir, d'un point de vue théorique, ce qu'est la notion de
multimédia en général, et plus particulièrement
dans la littérature à l'heure actuelle. Made in China de
Toussaint est aussi novateur pour un livre publié aux Éditions de
Minuit. En effet, malgré ce cadre éditorial d'une maison
d'édition des plus reconnues dans le monde littéraire,
Jean-Philippe Toussaint a réussi à imposer ce modèle.
D'ailleurs, il met de la musique dans son film ce qui rompt aussi avec
l'idée que le silence est indissociable d'un livre. De plus, nous
verrons de quelle manière ce film entretient un certain paradoxe avec
Made in China.
33
a) Définition du multimédia
Si nous nous référons à un dictionnaire
pour grand public, comme Le Nouveau Petit Robert de l'édition
de 2008, le terme multimédia est défini de la façon
suivante. Comme nous pouvons le constater, la deuxième définition
correspond, dans les grandes lignes, à l'oeuvre multimédia qu'est
Made in China :
MULTIMÉDIA [myltimedja]
adj. et n.m.
- 1980 de multi- et média
·1 Qui concerne plusieurs médias ;
diffusé par plusieurs médias. Campagne publicitaire
multimédia. ·2 n. m. Technologie
intégrant sur un même support des données
numérisées de différentes natures [son, texte, images
fixes et animées] consultables de manière interactive. - adj.
Des encyclopédies multimédias. Message multimédia
: recomm. Offic. pour remplacer l'anglic.
MMS87.
En fait, la notion de multimédia est très
diversifiée et fluctuante d'un point de vue à l'autre, lorsque
nous nous attardons sur les diverses définitions possibles. Pourtant,
l'une d'entre elles est particulièrement intéressante, bien
quelle date du milieu des années 60. En effet, Dick Higgins, qui produit
un certain nombre d'oeuvres visuelles en associant des projections de
diapositives, films, sons, musiques, textes,
etc. et la présence humaine avec des
performances diverses, publie en 1966 un essai qui fait date,
intitulé Statement on Intermedia. Il y distingue deux notions
fondamentales appartenant au multimédia appelé à
l'époque « multi médias », qu'il nomme «
intermedia » et « mixed media ». C'est ce dernier terme qui a
retenu toute notre attention, car il le définit comme un travail, une
création où il y a des éléments musicaux et
textuels que l'on peut facilement distinguer l'un de l'autre. D'ailleurs, il
précise que la même distinction s'applique à des
éléments visuels et textuels88. Cela veut donc dire
qu'une oeuvre « mixed media » est forcément composée
d'éléments relevant de plusieurs médias différents
dont chacun peut être identifié comme tel. À notre avis,
l'oeuvre de Jean-Philippe Toussaint s'inscrit parfaitement dans la
définition que donne Higgins par rapport à ce qu'il nomme «
mixed media ». En effet, Made in China, dans sa version
numérique, nécessite toujours un écran où il y a
côte à côte le récit sous une forme textuelle et le
film The Honey Dress sous un
87 Le Nouveau Petit Robert de la langue
française, Paris, 2008.
88 Dick Higgins, « Statement on Intermedia
», Dé-Collage, no. 6, édition Wolf Vostell, 1966,
consulté [en ligne] le 4 avril 2018,
http://walkerart.org/collections/publications/art-expanded/crux-of-fluxus/
34
format vidéo avec une musique, le tout dans l'espace de
cette création que Toussaint nomme Made in China. Du point de
vue de la notion de multimédia, Toussaint semble partager le concept de
Higgins, tout en ayant recours à de nombreuses formes différentes
dans ses créations en générale comme la
littérature, le cinéma, les arts plastiques mais aussi la
photographie. D'ailleurs, durant les mois allant de mars jusqu'à juin
2012, Toussaint a organisé au Louvre une exposition d'art contemporain,
autour d'une réflexion sur la lecture et la littérature à
l'aide de photographies, vidéos, installations et diverses
performances89.
Jean-Philippe Toussaint utilise aussi l'hypermédia dans
Made in China, un procédé bien connu de la
littérature numérique. Ce concept central repose sur la
même idée que l'hypertexte, qui est à l'origine un document
ou un ensemble de documents, de nature uniquement textuelle, liés entre
eux par des hyperliens. Contrairement à l'hypertexte,
l'hypermédia peut contenir d'autres médias, comme le lien entre
le récit textuel et le film The Honey Dress qui font partie du
corps de Made in China. Cette idée apparaît aux
États-Unis d'Amérique en 1945 dans un article intitulé
« As We May Think », écrit par Vanevar Bush90. Il
développe la théorie selon laquelle l'information doit pouvoir
être diffusée dans un cadre à la fois souple et collectif.
Il faut attendre 1965, avec Ted Nelson, pour que « hypermédia
» soit cité pour la première fois. En fait, selon Philippe
Bootz, un hypermédia, dans la littérature numérique, est
un réseau de blocs d'informations, qui sont reliés les uns aux
autres, par des liens que l'utilisateur peut décider d'activer ou non.
Ces informations évoluent donc d'une manière non-linéaire
comme le montre la figure 6 :
89 Site Internet du Louvre - Descriptif de
l'exposition « évoquer le livre sans passer par l'écrit
», Paris, 2012,
https://www.louvre.fr/expositions/art-contemporain-jean-philippe-toussaint-livre-louvre
90 Vanevar Bush, « As We Way Think »,
The Atlantic Monthly, Boston (U.S.A.), 1945, consulté [en
ligne] le 5 mars 2018,
https://issuu.com/edavo/docs/bush-as-we-may-think
35
Figure 6. Exemple de graphe hypertextuel, source
:
https://www.olats.org/livresetudes/basiques/litteraturenumerique/8
basiquesLN.php
De ce point de vue, Made in China est
particulièrement intéressant, car les divers médias de
cette oeuvre ne s'inscrivent pas dans ce principe de
non-linéarité. En effet, le seul lien existant passe de
l'écrit, donc du texte, au film qui comporte tout d'abord de la musique,
puis le déroulement du film en image comme le montre le schéma
linéaire présenté dans la figure 7 :
|
|
Déroulé du film (format
vidéo)
|
Récit (texte)
|
Musique au début du film
(format vidéo)
|
Figure 7. Schéma linéaire de Made in
China.
D'ailleurs, la définition habituellement établie
dans le monde numérique concernant l'hypermédia ne peut pas
être entièrement retenue dans le cas de Made in China,
car ce livre ne forme pas un réseau d'information, qui se
développe d'une manière non-linéaire. C'est pourquoi il
est aussi possible de parler d'un simple lien comme dans l'une des
définition du mot « lien » que l'on trouve sur le site
Internet du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : «
Élément qui réunit, rattache deux E...] choses entre
36
elles, assure leur relation, les met en rapport; le rapport
lui-même tel qu'il est perçu par l'esprit.»91.
Ce lien possède aussi une autre caractéristique,
qui relève de la découverte entre le récit et le film.
D'ailleurs, Bertrand Gervais l'a théorisée en affirmant que :
« L'hyperlien, du fait de ne jamais pouvoir varier, de ne jamais
connaître d'erreur, nous place en ce sens dans une logique de la
révélation, de l'apparition de vérités, surgies non
pas à la suite d'une quête ou d'une recherche, mais d'un don. Le
don du lien révélé, de la surprise et de la
nouveauté.92 ». En effet, cette définition
correspond au lien qui existe dans l'oeuvre de Jean-Philippe Toussaint. Gervais
ajoute que l'hyperlien, qui est dans notre situation un hypermédia,
place de facto le lecteur « dans une logique de la
révélation, de l'apparition de vérités ». De
plus, Gervais rappelle que le lien est par définition synonyme de vrai.
Il peut se rompre, et dans ce cas, il ne sert à rien, mais il ne peut
pas être lié à autre chose de ce qui a été
voulu93. Il est évident que l'aspect technique dans ce projet
numérique a été important, mais il ne faut pas oublier que
l'implication de l'auteur a été essentielle, car c'est lui
à l'origine qui a voulu créer cette structure hybride, ce qui en
fait le véritable architecte de Made in China, comme nous
pouvons le voir à l'aide de la figure 8 :
Livre intitulé « Made in China »
Récit (Texte) de Made in
|
Musique au début de The
|
Film: The Honey Dress
|
China
|
Honey Dress
|
Prolongement du récit
|
|
Prolongement du récit
|
|
Figure 8. Schéma représentant dans sa
globalité l'oeuvre de Jean-Philippe Toussaint.
91 Centre National De Ressources Textuelles Et
Lexicales, Site de l'organisation et la page où le terme lien est
défini, consulté [en ligne] le 2 mars 2018,
http://www.cnrtl.fr/definition/lien
92 Bertrand Gervais, « Richard Powers et les
technologies de la représentation », Alliage, n°57-
58, Juillet 2006, pp. 226-237, mis [en ligne] le 02 août 2012,
consulté [en ligne] le 2 février 2018,
http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3571.
93 Ibid.
37
b) La vidéo The Honey Dress rompt avec un certain
silence que l'on associe à la littérature
Made in China crée une rupture avec le silence
que l'on associe à la littérature, en provoquant un basculement
entre le récit et la musique qui se fait entendre dès les
premières minutes du film The Honey Dress, lorsque le lecteur
active, intentionnellement ou non cette vidéo. Un rappel de l'histoire
de la littérature est donc nécessaire afin de mieux comprendre,
pourquoi notre société assimile le livre naturellement à
un espace silencieux, et de voir que Jean-Philippe Toussaint, par le biais de
la musique de son film, renoue avec une certaine mystique des origines.
En fait, comme le soulignent Guglielmo Cavallo et Roger
Chartier94, la littérature n'a pas toujours été
assimilée au silence. Au contraire, selon eux, la lecture à voix
haute est la plus employée pendant l'Antiquité. Durant cette
période, elle a le plus souvent lieu dans des espaces publics, comme
dans les jardins. Un profond changement dans les habitudes s'opère en
Occident durant le haut Moyen Âge avec le déplacement de la
pratique de la lecture dans des bâtiments ou des lieux clos comme des
églises, des réfectoires, ou bien encore des cloîtres. En
fait, cette lecture ne s'exerce plus que par rapport aux saintes
écritures ou à des textes à portée spirituelle.
À partir du XIIIème siècle après J.-C.,
la lecture silencieuse supplante définitivement la lecture
oralisée, car la page se structure de plus en plus avec l'emploi de la
couleur et de la multiplication des blancs et des espaces ; ce changement est
marqué par la disparition de la « voix des pages ». Un autre
changement est intervenu à la même époque : il s'agit du
passage de la lecture à voix haute à la lecture murmurée
ou silencieuse. En effet, les livres servent à connaître Dieu ou
sauver l'âme des croyants. Pour cela, ils doivent être lus et relus
afin de les connaître par coeur. Le codex est organisé de telle
manière qu'il facilite la lecture de méditation. De plus, la vie
religieuse est construite sur des règles nécessitant de parler
à voix basse, c'est dans ce
94 Guglielmo Cavallo et Roger Chartier, « Choses
lues choses vues », articles [en ligne] provenant d'une exposition sur
l'histoire du livre et de la lecture, Bibliothèque Nationale de France,
Paris, 2010, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018,
http://expositions.bnf.fr/lecture/arret/01_1.htm
38
cadre que se déroule le plus souvent la lecture. Le
livre devient donc un objet de l'ordre du sacré95.
L'invention de l'imprimerie en soi, au XVème
siècle après J.-C., a peu d'importance sur ce processus qui passe
de l'oralité vers le silence avec la diffusion beaucoup plus importante
des livres dans la société occidentale.96 En fait, la
lecture silencieuse facilite une lecture plus rapide et donne au lecteur plus
de liberté. D'une certaine manière, elle offre aussi une plus
grande sociabilité, car les lecteurs peuvent lire sans être
dérangés dans des endroits communs, comme les
bibliothèques. Il faut attendre la seconde moitié du
XVIIIème siècle pour voir se dérouler en
Europe, « une rage de lire », un phénomène lié
au fait que les livres deviennent des objets de plus en plus nombreux qui sont
lus rapidement. Un tournant eut lieu avec Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre,
Goethe ou bien encore Richardson. En effet, une lecture « plus intensive
» se déploie en reprenant des pratiques anciennes, telles que la
relecture et la connaissance par coeur, qui étaient
réservées auparavant à des textes sacrés. La
Nouvelle Héloïse (1761) et Paul et Virginie (1788) en
sont de parfaits exemples, car ces romans ne s'inscrivent pas dans la dimension
sacrée de la religion catholique97.
En mettant de la musique dans la version numérique de
Made in China, Jean-Philippe Toussaint établit des contrastes
puissants entre des univers et des formes de narration différentes. En
fait, il joue avec plusieurs oppositions entre le texte et le film : la langue
écrite existe dans l'espace visuel du lecteur, tandis que le film avec
sa musique occupe aussi son espace auditif. Par ailleurs, Susan
Sontag98 fait remarquer que le silence ne peut exister que par
opposition à quelque chose, puisqu'il n'y a pas de silence absolu. Selon
elle, la narration à la première personne et les constructions
répétitives apportent l'oralité dans un texte
écrit, comme nous pouvons le voir par exemple dans la prose de Joyce
ou
95 Ibid.
96 Ibid.
97 Ibid.
98 Susan Sontag, « The Aesthetics of
Silence », Essai, Collection Styles of Radical Will, public library,
Picador USA, 1966, pp. 1-35, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018,
https://sciami.com/scm-content/uploads/sites/9/2016/11/s-sontag-the-aesthetics-of-silence.pdf
39
Beckett.99 Grâce à cette musique,
Toussaint plonge donc le lecteur dans un univers d'une sonorité
rythmée, tout d'abord par une voix féminine lancinante et
répétitive, puis par des instruments de musique, notamment le
piano, qui créent une certaine exaltation. En fait, comme le rappelle
Xanthoula Dakovanou100, la voix humaine est l'instrument
mélodique primordial de l'homme. C'est grâce à la voix que
la mélodie a pu apparaître. De plus, dans l'histoire de la
musique, il a été établi que l'homme a d'abord
chanté et par la suite inventé des instruments pour imiter son
chant. Dans The Honey Dress, le pianiste joue de telle manière
que des marteaux frappent les cordes du piano avec un rythme dynamique et
répétitif. En fait, cette musique capte l'attention du lecteur
qui devient spectateur et n'a plus qu'à se laisser porter par la musique
pour mieux découvrir les premières images de The Honey
Dress qui apparaissent à ses yeux en même temps que cette
musique laisse place à des sons, et plus précisément aux
bruits de la ville.
Paradoxalement, la sonorité sans paroles ressemble
à une sorte de silence, car il donne de l'espace au libre flux de
pensées et renvoie donc le lecteur vers un retour aux origines. Knud
Togeby101 prétend, depuis la thèse de Saussure sur
l'arbitraire du signe qui est universellement admise et repose sur
l'idée qu'il n'y a pas de rapport entre la langue et la
réalité, que la langue provoque une barrière entre l'homme
et la réalité, car on peut l'interpréter de mille et une
manières. Dans The Honey Dress, le lecteur est donc, pendant
quelques moments, spectateur d'une réalité qu'il ne peut plus
interpréter par des signes relevant de la sonorité. Cette
interprétation devient possible lorsque le spectateur a l'occasion
d'entendre une voix féminine parlant chinois juste avant que le
mannequin arrive sur scène, mais aussi quelques instants plus tard avec
les applaudissements et le cri du public.
99 Ibid.
100 Xanthoula Dakovanou, « Quand l'âme chante. La voix
mélodique et son pouvoir affectif », Topique, 2012/3
(n° 120), pp. 21-37, consulté [en ligne] le 7 janvier 2018,
https://www.cairn.info/revue-topique-2012-3-page-21.htm
101 Knud Togelby, « Langue, science, littérature
et réalité », Revue Romane, Bind 8, (1-2), 1973,
consulté [en ligne] le 1er mars 2018,
https://tidsskrift.dk/revue_romane/article/view/29024/25661?acceptCookies=1
40
Saint Augustin, en son temps, pensait que la jubilation,
produit par une chanson sans parole, est le moyen le plus approprié pour
glorifier Dieu102. Il faut relativiser cette affirmation puisque
pour Toussaint, il s'agit de créer une jubilation par rapport à
la création d'une oeuvre artistique, qui ne relève aucunement
d'une religion. Cette exaltation est aussi symbolisée par le seul son
que l'on entend dans l'extrait sonore, en l'occurrence le phonème [a].
Ce phonème est la première lettre de notre alphabet et selon John
Crothers, celui-ci existe dans toutes les langues103. Cette musique
a donc une portée qui dépasse les frontières et renforce,
par la même, l'idée que la création de Jean-Philippe
Toussaint relève d'une dimension universelle. D'ailleurs, c'est une
toute autre langue par rapport au récit de Made in China.
Jean-Philippe Toussaint104 affirme dans un entretien, lors d'une
conférence sur Flaubert, que la création littéraire est
quasi-sacrée. Susan Sontag partage cette idée en disant que dans
les temps modernes, c'est « l'art qui est l'une des métaphores les
plus actives pour un projet spirituel. »105
Alexandre Rochon, le compositeur de cette musique nous a
donné plusieurs informations capitales afin de mieux comprendre ce
projet musical (voir annexe 5). En effet, Rochon est intervenu à la
demande de Jean-Philippe Toussaint pour illustrer musicalement The Honey
Dress. Cela n'était pas la première fois puisque Toussaint
avait déjà utilisé une autre de ses compositions
intitulées « MVAT / The Delano », pour le film Zahir
(2013). De plus, Rochon avait eu comme idée en 2012 de créer
un spectacle musical en s'inspirant de la tétralogie M.M.M.M.
(2017) de Toussaint. D'ailleurs, il existe une conversation
102 Saint Augustin, Enarrationes in Psalmos, Ps. 32.8, dans
A.R McGlashan, « La musique en tant que processus symbolique »,
Cahiers jungiens de psychanalyse, n° 113, 2005, pp. 37-52, DOI :
10.3917/cjung.113.0037, consulté [en ligne] le 3 avril 2018,
https://www.cairn.info/revue-cahiers-jungiens-de-psychanalyse-2005-1-page-37.htm
103 John Crothers, « Typology and universals of vowel
systems », dans Universal of Human language, Vol. 2, Phonology,
93 -152. Stanford: Stanford University Press, consulté [en ligne] le 2
avril 2018,
http://ai.vub.ac.be/~bart/papers/deBoerEvoComm99.pdf
104 Thierry Roger, « Entretien avec Jean Philippe Toussaint,
Flaubert vu par les écrivains contemporains », vidéo [en
ligne] en date du 18 avril 2015, consulté [en ligne] le 18 avril 2018
sur le site de l'Université de Rouen Normandie,
https://webtv.univ-rouen.fr/videos/entretien-avec-jean-philippe-toussaint/
105 Susan Sontag, « The Aesthetics of Silence
», Essai, Collection Styles of Radical Will, public library, Picador USA,
1966, pp. 1-35, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018,
https://sciami.com/scm-content/uploads/sites/9/2016/11/s-sontag-the-aesthetics-of-silence.pdf
41
entre Jean-Philippe Toussaint et Rochon106 qui
montre certaines étapes de la construction de ce projet dans Nue
(2013). En fait, pour revenir plus précisément à la
musique de The Honey Dress, Alexandre Rochon affirme que la
création de la musique lui est venue spontanément et qu'il ne
peut pas vraiment l'expliquer. Les interprètes de la musique sont
Émilie Fernandez (voix), Morgane Imbaud (voix), Guillaume Bongiraud
(violoncelle), Julien Quinet (trompette) et Christophe Pie (Batterie). Selon
Rochon, les voix féminines font références aux abeilles et
au miel, une sorte de bourdonnement tout en douceur. La musique semble
contemporaine pour correspondre le mieux possible au film, mais a aussi une
portée universelle, un univers liant l'Europe et l'Asie. La seconde
partie de la bande son, plus électronique et dramatique, intervient lors
de la chute du mannequin (voir annexe 5).
c) Une interdépendance entre le récit et le film
Les effets du multimédia marquent chez le lecteur le
passage entre deux mondes forts différents, celui du récit
textuel de Made in China et du film The Honey Dress. Pourtant
ces deux univers forment aussi un tout, comme le film est, en fait, de bien des
manières le prolongement du récit, tout d'abord du point de vue
chronologique. Quelques instants après avoir lu « --- je vis entrer
l'actrice dans le champ ---»107, le lecteur a l'occasion de
voir la suite se réaliser sous ses yeux en regardant la vidéo.
D'autre part, comme nous le verrons dans la troisième partie de ce
travail, l'interdépendance entre le récit et le film est plus
complexe qu'un simple prolongement linéaire, car le récit peut
aussi être considéré comme une sorte de « making of
» de la vidéo. De toute façon, Made in China
n'aurait pas la même portée, si cette vidéo n'existait
pas. En mettant le film dans le corps même de son livre sous forme
numérique ou bien dans le livre papier sous forme iconique, Toussaint se
place, d'une certaine manière, dans les traces de Claude Simon ou bien
encore de Robbe-Grillet108 qui parle d'une « école du
regard » dans Pour un nouveau
106 Jean-Philippe Toussaint, Nue, Éditions de
Minuit, Paris, 2013, pp. 224-239.
107 Jean-Philippe Toussaint, Made in China,
Éditions de Minuit, Paris, 2017, p. 185.
108 Alain Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman,
Éditions de Minuit, Paris, 1963, p. 9, consulté [en ligne] le 6
mars 2018,
https://www.decitre.fr/media/pdf/feuilletage/9/7/8/2/7/0/7/3/9782707322852.pdf
42
roman (1963). En effet, à l'aide d'une
écriture qui accorde une grande importance aux moindres petits
détails, ces auteurs ont voulu s'approcher le plus possible de la
réalité, avec leur esthétisme recherché. Selon
Gerald Ackerman et Henri Mitterand, lorsque l'on se penche sur l'histoire du
courant réaliste, un tout premier regard sur le réel est souvent
visible dans des carnets qui sont de véritables matrices dans le
processus d'écriture, comme avec Zola ou bien encore Gustave
Flaubert109. Toussaint a adopté la même
démarche, car lorsqu'il commence le projet de son film, il note toutes
ses impressions dans un journal : « Je notais, au jour le jour, de
manière brute et sans commentaire, comme un simple pense-bête, les
principaux évènements de la journée. »110.
Toussaint fonde donc aussi son oeuvre en se référant au
réel qu'il perçoit. D'ailleurs, il ne faut pas oublier que
Jean-Philippe Toussaint est un véritable passionné de
cinéma, comme Robbe-Grillet qui était
réalisateur111, et de photographie à l'instar de
Claude Simon qui était aussi photographe amateur112.
La littérature et le cinéma entretiennent des
liens particuliers, du fait de leurs propres histoires, que nous allons tenter
de saisir pour mieux voir que le projet de Jean-Philippe Toussaint de mettre un
film dans un livre, est tout à fait original. Selon Jean
Cléder113, le cinéma s'est imposé comme un
véritable Art après la Seconde Guerre mondiale, en opposition
à la littérature. Malgré cette vérité
historique, Made in China se situe dans une logique où le
cinéma et le texte forment un tout. Toussaint réussit donc
à faire coexister deux mondes qui sont apparemment bien
différents. En effet, il passe d'un récit, qui est écrit
au passé, à une vidéo qui se déroule, en apparence,
dans un présent qui relève de
109 Gerald M. Ackerman, Henri Mitterand, «
Réalisme, art et littérature », Encyclopædia
Universalis, consulté [en ligne] le 10 mars 2018,
http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/realisme-art-et-litterature/
110 Jean-Philippe Toussaint, Made in China,
Éditions de Minuit, Paris, 2017, p.120.
111 Allociné, Site Internet sur le cinéma,
Biographie et informations complémentaires portant sur Alain
Robbe-Grillet, consulté [en ligne] le 10 mars 2018,
http://www.allocine.fr/personne/fichepersonne-526/biographie/
112 Claude Simon, « Claude Simon et la photo »,
Émission Cinéastes de notre temps du 3 février
1966, site Internet de l'INA, consulté [en ligne] le 10 mars 2018,
http://www.ina.fr/video/I00018212
113 Jean Cléder, « Ce que le cinéma fait de la
littérature », Fabula-LhT, n° 2, publié [en
ligne] décembre 2006, consulté [en ligne] le 10 mars 2018,
http://www.fabula.org/lht/2/cleder.html
43
l'instantanéité. Ce qui est intéressant,
c'est que tout à la fin du récit écrit, le narrateur
adopte le temps présent. Le transfert entre les deux médias est
donc signalé par un changement de temps. Pour revenir à Claude
Simon114, il rappelle que la photographie, par nature, n'est pas
objective et illustre son argument en disant que si Cartier Bresson et une
autre personne prennent une photo de lui en même temps, ils transmettent
deux visions différentes. C'est pourquoi nous devons nous interroger sur
le rapport de ce film à la réalité. En effet, comme toute
oeuvre, il a nécessité une pensée structurée.
D'ailleurs, comme le souligne Gerald M. Ackerman, « la question du
réalisme est donc inévitablement relativisée par celle de
la composition. »115.
En intégrant une vidéo dans le livre,
Jean-Philippe Toussaint apporte la preuve en apparence que son film est bien
réel. En effet, Jean Marie Schaeffer116 explique que la
spécificité de la photographie réside dans le fait qu'elle
produit une « empreinte digitale » du réel. En fait, tout
comme la photographie, le cinéma crée la même trace qui
marque d'une manière indélébile les images dans l'instant
de leur projection. De plus, l'emploi de ce moyen de diffusion contribue
à faire de Made in China un témoignage de notre
époque, c'est-à-dire d'un monde encore à la croisée
entre l'écrit et l'image. En cela, l'oeuvre de Toussaint rejoint la
conception de la mimésis d'Erich Auerbach développée dans
Mimésis : la représentation de la réalité dans
la littérature occidentale publié en 1946. En effet, selon
François Trémolières, Auerbach affirme qu'en fait le roman
moderne dit toujours quelque chose de son époque117. Cela
s'applique aussi à Made in China, mais le livre
numérique apporte une vision supplémentaire, car elle montre
notre époque en images. De plus, l'icône symbolisant le lien pour
The Honey Dress dans la version papier a été
soigneusement choisie par Toussaint, car dès que le lecteur
l'aperçoit,
114 Claude Simon, « Claude Simon et la photo »,
Émission Cinéastes de notre temps du 3 février
1966, site Internet de l'INA, consulté [en ligne] le 10 mars 2018,
http://www.ina.fr/video/I00018212
115 Gerald M. Ackerman, Henri Mitterand, «
Réalisme, art et littérature », Encyclopædia
Universalis, consulté [en ligne] le 10 mars 2018,
http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/realisme-art-et-litterature/
116 Jean-Marie Schaeffer, L'image précaire, Du
dispositif photographique, Seuil, Paris, 1987.
117 François Trémolières, «
Mimésis, Erich Auerbach - Fiche de lecture »,
Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté [en ligne]
le 10 mars 2018,
http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/mimesis-erich-auerbach/
44
il l'associe de manière tout à fait naturelle
à Internet. Cela veut dire que le prolongement du récit de
Made in China fait disparaître le texte et le remplace par ce
film. Il marque donc une certaine réalité que nous connaissons
actuellement en Occident, car la diffusion des informations se fait
essentiellement par le biais de nos écrans. The Honey Dress
montre aussi la vision d'une réalité qui n'en n'est pas tout
à fait une. En effet, la réalité réside dans le
fait que c'est le tournage d'un film qui existe bien, pourtant ce réel a
été entièrement construit par Jean-Philippe Toussaint,
comme il l'a scénarisé. De ce point de vue, nous pouvons dire que
son film est avant tout une déformation de la réalité et
rejoint donc la notion de mimésis d'Aristote. En effet, selon
Valérie Stiénon118, dans la Poétique
d'Aristote, rédigée au IVème siècle
avant J.-C, la mimésis n'est pas une simple copie du réel, elle
est une représentation qui nécessite une stylisation de l'ordre
de l'esthétique. C'est en cela que Made in China et The
Honey Dress sont en définitive d'une grande cohérence
puisqu'ils sont le reflet de l'univers unique de Jean-Philippe Toussaint.
B. Récit métafictif qui traite de la
création d'une oeuvre multimédia
Un des thèmes centraux de Made in China porte
sur l'écriture même du livre et le tournage du film The Honey
Dress, comme nous l'avons déjà vu, ce qui le fait entrer
dans la catégorie de la métafiction. Patricia Waugh119
définit la métafiction comme une écriture fictive qui
attire l'attention, d'une manière systématique et volontaire, sur
sa qualité représentative et artificielle et pose la question sur
la relation entre la fiction et la réalité. Linda
Hutcheon120 ajoute que la métafiction est de la fiction sur
la fiction qui fait elle-même des commentaires sur sa narration ou son
identité linguistique. Selon István Miskolczi121, il
existe toute une tradition d'utilisation de techniques autoréflexives
dans
118 Valérie Stiénon, « Mimèsis
», dans Anthony Glinoer et Denis Saint-Amand (dir.), Le lexique
socius, Consulté [en ligne] le 10 mars 2018,
http://ressources-socius.info/index.php/lexique/21-lexique/66-mimesis.
119 Patricia Waugh, Metafiction: The theory and practice
of self-conscious fiction (Repr. 1990.). London: Methuen, 1984, p. 2.
120 Linda Hutcheon, Narcissistic Narrative : The
Metafictional Paradox, Waterloo, Ont: Wilfrid Laurier University Press,
2013, p. 1.
121 István Miskolczi, « Les OEuvres de la
non-Écriture. La métafiction vide dans les romans contemporains
», Revue d'Études Françaises, numéro 14, pp.
165-172, 2009, consulté [en ligne] le 17 novembre 2017,
http://cief.elte.hu/sites/default/files/article_miskolczi_istvan.pdf
45
l'histoire du roman français. D'ailleurs, certains
auteurs s'y sont opposés, parmi eux Jean-Paul Sartre, qui parlait de
l'autodestruction de la littérature en se référant aux
oeuvres qui mettaient en scène leur propre production. En fait, le
Nouveau roman et les postmodernistes américains ont exploité la
métafiction à tel point que les auteurs de la fin du
XXème siècle ont répondu à cet usage en
créant la « métafiction vide », une forme
d'auto-négation, qui traduit une réflexion sur la création
de l'oeuvre pour finir par montrer son apparente absence. Miskolczi constate
que son utilisation est tout à fait caractéristique des
écrivains de la génération des années 80 qui
publient chez Minuit.122 Quant à Linda Hutcheon, elle fait
remarquer que dans la littérature contemporaine, il est tout à
fait acceptable que les qualités formelles de la fiction deviennent le
sujet d'un livre, car elles sont aussi réelles ou irréelles que
d'autres matières premières empiriques.123 Il n'est
donc pas étonnant de trouver dans Made in China plusieurs
niveaux métafictifs que nous analyserons afin de montrer
l'étendue de ces procédés dans cette oeuvre. De plus, nous
verrons que le récit et le film ont une relation métafictive
particulièrement intéressante qui mérite d'être
étudiée plus en détail.
a) Procédés métafictifs dans Made in
China
Made in China ne contient pas de préface qui
préparerait le lecteur au récit, mais il y a un texte liminaire
signé par Jean-Philippe Toussaint qui commente l'oeuvre. En fait, la
dernière phrase de la quatrième de couverture recèle un
commentaire métafictif direct et explicite : « Mais, même si
c'est le réel que je romance, il est indéniable que je romance.
» Avec cette phrase, Toussaint souligne clairement la nature fictive de
Made in China et rend visible l'acte d'écriture. Il introduit
ainsi le thème sur le rapport de l'oeuvre à la
réalité et attire l'attention sur la nature artificielle du
récit et du film. D'ailleurs, cette discussion sur le rapport entre la
fiction et la réalité dans le processus de création
continue tout au long du récit, à titre d'exemple à la
page 42 où Toussaint tend à décrire les influences,
conscientes et inconscientes, qui entrent en jeu lors de l'écriture:
« Mais, à ces souvenirs qui me revenaient par
bouffées et qui faisaient constamment interagir le présent et le
passé, s'ajoutait parfois une autre
122 Ibid.
123 Linda Hutcheon, Narcissistic Narrative : The
Metafictional Paradox, Waterloo, Ont: Wilfrid Laurier University Press,
2013, p. 18.
46
interaction, plus étrange, plus vertigineuse aussi,
celle que certains événements que j'étais en train de
vivre appartenaient, non pas au passé, mais à la fiction---.
» (p. 42.)
En fait, Toussaint conteste même la valeur de la
véridicité dans la littérature en écrivant :
« Quand j'écris, je voudrais pouvoir m'abstraire
du monde réel pour me fondre dans la fiction. » (p. 74).
Une autre métaréférence, présente
dès le commencement de l'oeuvre, est le titre même du livre.
Made in China peut être considéré comme un
commentaire auto-conscient de l'auteur sur la production du film, mais aussi du
livre. Aux yeux d'un occidental, la première connotation liée
à ce titre est une production de masse rapide, impersonnelle et de
mauvaise qualité, mais le récit révèle un processus
de création très soigneusement planifié et
exécuté, un vrai travail d'artisan, ce qui rend ce commentaire
comique, voire même ironique. De plus, il est évident que le titre
peut être interprété au pied de la lettre, comme le film et
le livre, au moins en partie, ont été réalisés en
Chine. Après avoir lu le roman, le titre prend aussi un autre sens, car
pour Toussaint, Made in China signifie que tout devient possible
lorsque l'on est en Chine. Pourtant, il est aussi possible d'y déceler
une certaine ironie, sans doute non voulu par Toussaint, surtout si le lecteur
s'est renseigné sur la situation préoccupante des abeilles en
Chine. En effet, l'on apprend dans un documentaire124, produit par
National Geographic, que dans certaines régions de ce pays, celles-ci
ont carrément disparues et que les Chinois doivent recourir
eux-mêmes à la pollinisation, une preuve que tout y est vraiment
possible.
Linda Hutcheon emploie le terme de « narration
narcissique » pour décrire le style et les procédés
d'écriture métafictifs qui, depuis les années 60, ont
été choisi comme thème la fiction elle-même. Elle
insiste sur le fait que l'adjectif « narcissique » n'est pas
employé dans un sens péjoratif, mais pour désigner leur
autosuffisance textuelle. Avec ce choix terminologique, elle a également
voulu faire allusion au mythe de Narcisse qui, tout comme la
métafiction, a cette volonté d'autoréflexion. Hutcheon
rappelle aussi que la
124 Doug Shultz, « Le silence des abeilles »,
documentaire diffusé sur National Geographic en 2008,
disponible [en ligne] sur Dailymotion depuis 2012, consulté [en ligne]
le 3 juin 2018,
https://www.dailymotion.com/video/xoal10
47
métafiction est devenue un courant littéraire
légitime qui n'a plus besoin de se justifier.125 En cela, ses
pensées rejoignent les idées de Toussaint qui s'intéresse
dans ses oeuvres aussi bien à l'infiniment petit qu'à
l'infiniment grand, comme nous l'avons déjà vu dans la
première partie. Cela se reflète également dans les
thèmes de Made in China, dont la première partie
intitulée Chen Tong se concentre, essentiellement, sur la description du
processus d'écriture ainsi que son analyse en général.
Selon Toussaint126, Made in China est à la fois le
résultat de l'interaction entre le passé et le présent
mais aussi la réalité et la fiction ainsi que
l'interpénétration imprévue du monde extérieur dans
le livre. Pourtant, il exprime sa volonté d'exclure tous les facteurs
perturbateurs dans son écriture en disant « Je voudrais, quand
j'écris, que mon cerveau soit une pièce étanche,
hermétiquement fermée, coupée du monde---127.
» L'auteur se charge aussi de définir le sujet et les thèmes
principaux au lieu de laisser le lecteur les interpréter lui-même
:
« Longtemps, j'ai cru que le sujet de mon livre,
c'était l'évocation du tournage de The Honey Dress, ou, plus
largement, que c'était Chen Tong lui-même, et, à travers
lui, à travers notre amitié et sa personnalité
particulière, une façon pour moi de rendre compte, de
façon subjective, de mon expérience de la Chine au début
du XXIe siècle. Je me trompais. Le sujet de mon livre, c'est le pouvoir
qu'a la littérature d'aimanter du vivant. Le sujet de mon livre, c'est
le hasard dans l'écriture---. » (p. 76).
Nous trouvons aussi des passages où Toussaint
décrit le processus d'écriture et la genèse de Made in
China, à titre d'exemple au passage où il constate que :
« Il n'y a pas un seul et unique instant de
l'écriture, on n'écrit pas un livre d'une seule haleine de la
première à la dernière page. Loin de là. J'ai
écrit ce livre par sessions successives (mars 2014, juin 2014, septembre
2015, janvier-février 2016, septembre 2016, janvier 2017), et, à
chaque fois, à chaque nouvelle session, je relis intégralement le
manuscrit en cours, je le corrige et je l'amende, je le reprends, je le
transforme---. » (p. 77).
De plus, Hutcheon examine le rôle attribué au
lecteur dans la métafiction et constate qu'il est exigeant et,
jusqu'à un certain degré, contradictoire, parce que les romans
125 Linda Hutcheon, Narcissistic Narrative : The
Metafictional Paradox, Waterloo, Ont: Wilfrid Laurier University Press,
2013, p. 8.
126 Jean-Philippe Toussaint, Made in China,
Éditions de Minuit, Paris, 2017, pp. 72-73.
127 Ibid. p. 75.
48
contemporains autoréflexifs requièrent que le
lecteur participe au processus fictionnel comme une sorte de co-créateur
alors qu'en même temps, cette réflexion introspective risque de
l'éloigner de l'auteur.128 Pour que le lecteur puisse
comprendre le langage de la fiction, il doit partager avec l'auteur certains
codes reconnaissables - soit sociaux, littéraires ou linguistique. Selon
Hutcheon, les écrivains de la métafiction adoptent souvent des
procédés pour atteindre ce but en faisant du lecteur une sorte de
complice.129 Nous pouvons en distinguer plusieurs dans Made in
China. Tout d'abord, Jean-Philippe Toussaint évoque le lecteur
à plusieurs reprises et s'adresse même directement à lui.
Dans divers passages, Toussaint établit une certaine intimité
avec le lecteur en avouant qu'il rompt le pacte de la fiction en partageant
avec lui des observations qui en apparence sortent du champ du récit
:
« Mais si, d'ordinaire, on évite d'évoquer
cette interaction entre le livre qu'on écrit et le monde
extérieur, n'interrompant pas son roman à tout bout de champ pour
se plaindre auprès du lecteur chaque fois que, du monde
extérieur, nous parvient une menace, une contrariété, un
obstacle ou un désagrément, pour préserver le pacte tacite
de la fiction, qui, s'il venait à être rompu, briserait l'effet de
réel qu'on s'évertue à construire, et ferait vaciller la
perception du lecteur, il ne me gêne nullement, aujourd'hui, de faire
état de ces interférences--- ». (pp. 75-76).
En fait, il décrit le rôle du lecteur et sa
relation avec l'auteur, avec beaucoup d'humour, comme celui qui subit son
destin tout en voulant s'en affranchir :
« --- je crois précisément que les livres
peuvent et doivent être capables d'accueillir les émotions qui
nous traversent, et pourquoi pas au moment même où elles nous
traversent, qu'ils s'en trouvent alors stimulés, et sortent un instant
le lecteur assoupi du ronronnement de la lecture, avec un saisissement d'autant
plus fort que l'aveu donnera l'impression d'avoir échappé
à l'auteur. » (p. 83).
Toussaint s'adresse au lecteur aussi d'une manière
directe, notamment avec les parenthèses, comme nous allons le voir dans
la partie suivante de ce travail. En fait, l'auteur se sert de celles-ci et
d'autres moyens de ponctuation souvent pour communiquer plus intiment avec le
lecteur. D'autre part, la place du lecteur ne semble pas être sa
128 Linda Hutcheon, Narcissistic Narrative : The
Metafictional Paradox, Waterloo, Ont: Wilfrid Laurier University Press,
2013, pp. 30-151.
129 Ibid.
49
première préoccupation puisqu'il exprime
clairement sa volonté d'avoir la maîtrise totale de son oeuvre
à la fin de la première partie du livre :
« Que signifie avoir le contrôle absolu de son
oeuvre ? Cela semble une évidence pour un livre. C'est l'écrivain
qui imagine toutes les scènes et choisit tous les mots qui entrent dans
sa composition. D'une certaine façon, même si c'est la vie qui
l'inspire et le monde qui le nourrit, un livre est un corps étanche,
dans lequel n'entrent pas d'éléments exogènes, sans l'aval
de l'auteur. » (p. 83).
Pour Toussaint, le tournage du film en Chine signifie donc
l'abandon de ce pouvoir absolu. Cela s'applique également à la
réalisation du livre numérique, comme nous allons le voir dans la
troisième partie. D'ailleurs, la première partie est
clôturée par une scène où l'auteur apprend que son
producteur n'a même pas lu le scénario de son film. Cela symbolise
le fait que Toussaint doit se laisser porter par le hasard.
En outre, Toussaint emploie d'autres moyens pour créer
une réalité commune avec le lecteur. À titre d'exemple, il
lui explique les temps de son récit afin de pouvoir être sûr
que celui-ci se rend compte de la nature fictionnelle de Made in China
:
« Lorsque j'écris « dans les prochains jours
», comme je viens de le faire à l'instant, je sous-entends un
présent de référence, qui ne peut être en
l'occurrence que celui du soir de mon arrivée à Guangzhou pour
tourner The Honey Dress (c'est le temps romanesque de « ce soir », ce
soir où je me trouve en compagnie de Chen Tong dans la salle à
manger du Peach Blossom quelques heures après mon arrivée en
Chine), mais j'ai bien conscience qu'il y a d'autres « présent
» dans ce livre---. » (p. 77).
L'intertextualité est une des caractéristiques
de la métafiction ce qui signifie, selon Linda Hutcheon, qu'aucune
oeuvre littéraire n'est complètement originale, car elle
s'inscrit toujours dans une certaine continuité en reprenant bon nombre
d'éléments existant dans d'autres oeuvres et en se
référant à des significations partagées. En effet,
un texte tout à fait unique serait incompréhensible pour le
lecteur.130 Made in China fait aussi partie de tout un
réseau de textes, notamment ceux qui ont été
publiés chez les Éditions de Minuit, mais ce qui est plus
frappant encore, c'est l'intertextualité de Made in China avec
les oeuvres précédentes de Jean-Philippe Toussaint. En fait, ces
oeuvres sont interconnectées
130 Linda Hutcheon, Historiographic Metafiction Parody and
the Intertextuality of History, Johns Hopkins University, 1989, pp. 3-32,
consulté [en ligne] le 4 avril 2018, sur le site de l'Université
de Toronto,
https://tspace.library.utoronto.ca/bitstream/1807/10252/1/TSpace0167.pdf
50
d'une telle manière qu'il est presque nécessaire
de toutes les connaître afin de pouvoir cerner l'univers de l'auteur :
« Lorsque j'ai imaginé la mort du père de
Marie dans Faire l'amour, je n'avais pas encore connu
l'expérience de la mort d'un parent proche. » (p. 81).
Même les idées continuent à vivre et se
développer d'une oeuvre à l'autre :
« J'étais à la fois excité,
exalté par la tâche qui m'attendait, mais j'avais bien conscience
de la difficulté, voire de l'impossibilité, de vouloir mener
à bien ce projet de film qui consistait à adapter en images
l'épisode de la robe en miel du prologue de Nue. » (p.
47).
En fait, Linda Hutcheon131 préfère
utiliser le terme d'interdiscursivité au lieu de
l'intertextualité, parce que dans les oeuvres contemporaines, les
références ne se limitent pas à des textes mais se
nourrissent aussi d'autres formes d'art tels que les arts visuels ou des
domaines scientifiques. En fait, cette définition est aussi plus
appropriée dans le cadre de Made in China, parce que Toussaint
s'inspire aussi de ses films :
« Si d'aventure je devais en faire un livre un jour, il
me semblait que je ne devais pas me limiter à la préparation de
ce tournage, mais englober également les tournages de Fuir et
de Zahir, et même élargir le sujet à tous les
voyages que j'avais faits en Chine depuis 2001. » (p. 121).
Le narcissisme linguistique, d'après Linda Hutcheon,
peut se manifester par le biais d'une insistance de l'auteur sur le fait que le
roman existe sous la forme de langage écrit ou imprimé. Le texte
peut aussi souligner la nature de son médium. De plus, le langage et
surtout les problèmes de communication et l'insuffisance au niveau de la
langue sont souvent soulevés comme thèmes centraux de la
métafiction.132 Nous pouvons trouvé tous ces
procédés métafictifs aussi dans Made in China,
comme dans le passage suivant :
« Maintenant mon père est mort, et je pense
à lui, aujourd'hui, à Ostende, où j'écris ces
lignes, --- et je ne peux m'empêcher de penser qu'il aurait
été heureux d'aller déjeuner aujourd'hui dans ce
restaurant d'Ostende en ces premiers jours
131 Ibid.
132 Linda Hutcheon, Narcissistic Narrative : The
Metafictional Paradox, Waterloo, Ont: Wilfrid Laurier University Press,
2013, pp. 105-117.
51
ensoleillés de mars 2014 (je ne corrige pas la date,
déjà lointaine, qui témoigne de la première
rédaction de ce texte, de la première ébauche de ce qui
deviendrait ce livre). » (pp. 81-82).
Les problèmes de communication sont également un
thème qui se trouve tout du long du livre, comme l'auteur ne
maîtrise que les rudiments du chinois, quasiment toute la communication
se passe à l'aide d'interprètes dans une langue
étrangère qui est l'anglais :
« --- je prenais le petit déjeuner avec Chen Tong
[...] je lui expliquais en chinois que j'avais deux enfants, utilisant avec
beaucoup d'à-propos le mot haizi (enfant), il hochait la tête en
disant qu'il le savait (Jean et Anna), et il me répondait que, lui, il
en avait un (Lele), [...] dont je n'arrivais pas très bien à
déterminer le rôle, je lui demandai, m'impatientant, mais qui ?
qui était cette personne ? il m'a répondu en français, et
j'en suis resté pantois, sujet à de longues méditations
rêveuses : « Mon mari » (bon, il voulait dire sa femme, le
genre, en chinois, n'a pas la même importance qu'en français).
C'était la première fois que j'entendais parler de madame Chen
Tong. » (pp. 33-34).
Parfois le caractère textuel et le moyen de
communication peuvent être mis en avant en agissant contre ses
conventions comme à la page 41 où Toussaint écrit : «
Je suis écrivain, ajoutais-je (wo shi zuodjia), et LOL des trois filles
qui s'esclaffaient de plus belle. » L'emploi de l'abréviation LOL
pour exprimer des éclats de rire est une sorte d'infraction dans ce
cadre littéraire, parce qu'elle appartient à un autre monde,
celui des forums de discussion en ligne. Hutcheon rappelle aussi qu'il existe
des variétés du narcissisme linguistique plus dynamiques que
celles que nous avons traitées auparavant telles que l'emploi des notes
de bas de pages ou de commentaires dans les marges.133 Quant au
style de Toussaint, ce sont les parenthèses ou les tirets qui lui
permettent de commenter le texte.
b) Narration entre parenthèses et tirets
Jean-Philippe Toussaint utilise de nombreuses
parenthèses dans Made in China, nous en avons
dénombré 187 qui figurent tout du long de l'histoire. D'ailleurs,
Toussaint en parle
133 Ibid.
52
dans une émission radiophonique présentée
par Jean-François Cadet 134. Il les emploie lorsqu'il veut
faire des ruptures de ton dans la narration. D'après Toussaint, il est
plus simple de marquer le texte par ces signes de ponctuation qui créent
un espace propre où l'auteur peut ajouter une toute autre dimension au
récit. Toute comme les métaréférences, la
ponctuation est pour l'auteur un moyen de nuancer la narration et de faire
sortir le lecteur du cadre du récit tout en respectant le même
style. Alain Richir135 fait remarquer que le premier recueil
d'articles critiques concernant Toussaint, écrit par Mirko Schmidt et
publié en 2003, n'a pas été intitulé par hasard
Entre Parenthèses. De plus, il rappelle qu'aucune critique ne
peut s'abstenir de signaler que Toussaint use fréquemment de cette
figure d'insertion dans ces livres. En ce sens, Made in China marque
une continuité stylistique dans le parcours littéraire de son
auteur. Selon Alain Richir, les parenthèses ne sont pas utilisées
par Toussaint dans le but principal d'apporter une précision ou un
exemple particulier par rapport à l'énoncé principal.
Elles visent plus à produire un double récit dans l'optique de
brouiller l'homogénéité de la voix narrative. En fait, les
parenthèses servent à Toussaint pour mieux faire surgir dans le
récit des fragments d'une pensée qui relève de l'intime.
D'ailleurs, comme Toussaint l'indique dans une vidéo intitulée
« Parenthèses et tirets », cette idée ne vient pas de
lui, il s'est, en fait, inspiré de Vladimir Nabokov136.
Richir fait aussi remarquer qu'il est impossible de lire plus d'une dizaine de
pages dans les romans de Toussaint sans que figure « un commentaire
souterrain de l'énoncé » comme l'appelle Catherine
Fromilhague137.
134 Jean-François Cadet, « Jean-Philippe
Toussaint, made in China », Vous m'en direz des nouvelles !, RFI,
du 23 octobre 2017, consulté [en ligne] le 30 décembre 2017,
http://www.rfi.fr/emission/20171023-jean-philippe-toussaint?ref=fb
135 Alice Richir, « L'intime entre parenthèses.
Fonction du commentaire décroché dans l'oeuvre de Jean-Philippe
Toussaint », Poétique, n° 172, 2012, pp. 469-479, DOI
: 10.3917/poeti.172.0469, consulté [en ligne] le 3 octobre 2017,
https://www.cairn.info/revue-poetique-2012-4-page-469.htm
136 Jean-Philippe Toussaint, « Parenthèses et tirets
», Session de travail de Jean-Philippe Toussaint avec ses traducteurs,
Seneffe, août 2014, Vidéo [en ligne] sur YouTube depuis
le 14 août 2014, consultée [en ligne] le 12 mars 2018,
https://www.youtube.com/watch?v=0EXHylKYR7M
137 Catherine Fromilhague, « Les figures de construction
», dans Poétique, 2012/4 (n° 172), pp. 469-479, DOI :
10.3917/poeti.172.0469, consulté [en ligne] le 4 mars 2018,
https://www.cairn.info/revue-poetique-2012-4-page-469.htm
53
De surcroît, Richir ajoute que ces figures d'insertion
reposent souvent sur une même similitude, c'est-à-dire qu'elles ne
donnent, la plupart du temps, aucun renseignement primordial sur les
évènements racontés138, comme dans la
première insertion avec des parenthèses dans Made in
China. On peut y constater qu'il s'agit d'un commentaire intérieur
qui n'est pas indispensable pour la compréhension du récit. Par
contre, en évoquant sa femme, il réussit à lier une
certaine intimité avec le lecteur :
« Il m'avait informé quelques semaines auparavant
de sa présence en Europe, et je l'avais invité à passer
à la maison. Je les ai donc reçus, Chen Tong et
Bénédicte Petibon, dans le salon de mon appartement de Bruxelles
(Madeleine, dans mon souvenir, était absente ce jour-là). »
(p. 10).
De plus, Toussaint adopte souvent la parenthèse pour
provoquer un décrochage dans le récit qui introduit un effet
comique139. D'ailleurs, nous en avons trouvé plusieurs dans
Made in China, comme dans le passage où Chen Tong n'arrive pas
à trouver de simple uniforme de pompier alors qu'il avait réussi
l'exploit de dénicher un avion pour le tournage de son film
Zahir. C'est donc, selon Toussaint, un paradoxe
particulièrement comique de la Chine d'aujourd'hui :
« --- je m'étais heurté à un mur,
comme il en surgit parfois en Chine, on ne sait pourquoi (il avait pu me
trouver un Boeing, mais pas d'uniforme de pompier), auquel il est inutile de
vouloir se mesurer, qu'il est préférable de contourner, en
trouvant une solution de remplacement. » (pp. 155-156).
Ces incises dans le récit de Made in China
montrent, souvent par le biais de ces effets comiques, une certaine ironie
que Toussaint emploie au fil de l'histoire. C'est une certaine manière
de se moquer de situations incongrues qui y apparaissent, comme au restaurant
lorsque la compagne de Chen Tong paye le repas et prend un temps infini
à bien vérifier l'addition :
138 Alice Richir, « L'intime entre parenthèses.
Fonction du commentaire décroché dans l'oeuvre de Jean-Philippe
Toussaint », Poétique, n° 172, 2012, pp. 469-479, DOI
: 10.3917/poeti.172.0469, consulté [en ligne] le 3 octobre 2017,
https://www.cairn.info/revue-poetique-2012-4-page-469.htm
139 Patricia Frech, « Entretien avec Jean-Philippe
Toussaint », Paris, 2002, p. 10, consulté [en ligne] le 4 novembre
2017,
http://www.jptoussaint.com/documents/f/f7/ANNEXE.pdf
54
« --- c'était elle, à la fin du
dîner, qui prenait la responsabilité de payer l'addition,
après avoir épluché longuement les comptes derrière
ses lunettes d'un air à la fois méfiant et boudeur (coutume
chinoise récurrente, d'étudier ainsi soigneusement chaque ligne
de l'addition, pour contester l'éventuelle présence sur la liste
de quelque plat facturé mais jamais parvenu) ---» (p. 31).
En fait, cet aspect ironique ne s'arrête pas à un
comique de situation. Parfois, Jean-Philippe Toussaint se moque de
lui-même et montre ainsi une certaine autodérision. La
scène où Toussaint rencontre une actrice pour son film est
particulièrement révélatrice de cette volonté de
vouloir rire sur lui-même. En effet, Il en profite pour faire un
commentaire très ironique sur sa capacité à troubler cette
jeune femme :
« Je m'apprêtais à la saluer, quand elle
s'esquiva précipitamment, disparut aux toilettes (l'émotion de me
rencontrer, à coup sûr). Elle revint au bout de dix minutes, Chen
Tong et moi l'attendions dans un canapé du grand hall désert.
» (p. 147).
Il faut ajouter qu'en examinant l'ensemble du récit de
Made in China, la linéarité de la phrase se trouve mise
à mal. En effet, selon Richir140, les parenthèses ont
souvent tendances à surgir par surprise. Cela suggère donc que
leur objectif principal n'est pas de fournir des informations, mais
plutôt de créer un décalage par rapport au
déroulement principal du récit. De plus, il y a une distinction
temporelle qui se forme entre le « je » du narrateur
homodiégétique, c'est-à-dire celui relevant du
récit sans les parenthèses, et du narrateur
extradiégétique faisant des commentaires entre parenthèses
qui appartient à un temps pouvant être postérieur aux
évènements qu'il a vécus. Bien sûr, cette
différence est poreuse dans Made in China, mais c'est notamment
cela qui montre la complexité du dispositif narratif de Jean-Philippe
Toussaint. En fait, comme le souligne Alice Richir141, ces
commentaires entre parenthèses font tout d'abord penser à la
métalepse narrative définie par Gérard
Genette142 comme « toute intrusion du narrateur ou du
narrataire extradiégétique dans l'univers
diégétique (ou de personnages diégétiques dans un
univers métadiégétique, etc.), ou inversement ».
Pourtant, cette définition ne correspond pas tout
140 Alice Richir, « L'intime entre parenthèses.
Fonction du commentaire décroché dans l'oeuvre de Jean-Philippe
Toussaint », Poétique, n° 172, 2012, pp. 469-479, DOI
: 10.3917/poeti.172.0469, consulté [en ligne] le 3 octobre 2017,
https://www.cairn.info/revue-poetique-2012-4-page-469.htm
141 Ibid.
142 Gérard Genette, Figures III, «
Poétique », Édition du Seuil, Paris, 1972, p. 244.
55
à fait à l'emploi des parenthèses par
Toussaint, car il les utilise aussi souvent pour surprendre le lecteur. En
effet, la voix extradiégétique du narrateur intervient au beau
milieu de l'univers diégétique, au fil de la lecture, sans que le
lecteur s'y attende. Cette transgression de la distinction entre le niveau de
la narration et le niveau des événements narrés,
bouleverse donc la notion de la métalepse narrative établie par
Genette. De plus, parfois cette irruption dans le récit donne
l'impression que le narrateur extradiégétique s'adresse
soudainement au lecteur :
« Des chevaux mangeaient dans leurs box, secouaient leur
crinière (enfin, vous connaissez les chevaux). » (p. 60).
Il est à noter que Toussaint ne recourt pas aux
parenthèses dans un but de transgression comme certains de ses
prédécesseurs du Nouveau roman, mais plutôt pour mieux s'en
jouer. Il cultive donc un espace énonciatif perpétuellement
ambigu, incertain143. Il y a aussi une dimension ayant rapport avec
l'affect qui peut ressortir de certaines de ces parenthèses et qui
permet au lecteur d'entrevoir un étonnement amusé, voir ironique
:
« Mais, finalement, bon an mal an, la plupart de mes amis
chinois, qui s'éclipsaient ainsi momentanément de ma vie comme
s'ils s'étaient volatilisés dans le grand vide sidéral,
réapparaissaient comme ils avaient disparu, à l'improviste, sans
crier gare, et, aussitôt, la relation que nous entretenions dans le
passé reprenait, comme une conversation interrompue, à l'endroit
exact où nous l'avions laissée (à croire que mes amis
chinois n'existaient plus dès que j'avais le dos tourné). »
(p. 30).
Les parenthèses permettent aussi à Toussaint de
faire des commentaires qui rendent évident l'acte d'écriture ou
la nature fictive et artificielle du récit :
« Mais je n'ai pas envie de quitter
Bénédicte Petibon de sitôt (qui, je le crains, ne fera
qu'une très courte apparition dans ce récit). » (p. 16).
« Il me semblait qu'elles pourraient peut-être
donner matière à un livre, non pas en raison de
l'intérêt en soi que les événements rapportés
pouvaient présenter (encore qu'ils illustraient, à plat, sans
intrigue romanesque, le quotidien
143 Alice Richir, « L'intime entre parenthèses.
Fonction du commentaire décroché dans l'oeuvre de Jean-Philippe
Toussaint », Poétique, n° 172, 2012, pp. 469-479, DOI
: 10.3917/poeti.172.0469, consulté [en ligne] le 3 octobre 2017,
https://www.cairn.info/revue-poetique-2012-4-page-469.htm
56
réel que je vivais ces jours-ci), mais comme un
témoignage de ce qu'avaient été mes expériences de
tournage en Chine. » (p. 120-121).
Une autre forme de ponctuation figure dans Made in China
pour nuancer la narration à l'instar des parenthèses. En
effet, Jean-Philippe Toussaint recourt à de longs tirets dans le
récit ce qui montre aussi la complexité de la structure de son
écriture. Pour appuyer notre propos, il suffit de se
référer à Albert Doppagne144 qui affirme que
cette ponctuation est sans doute le signe le plus difficile à analyser
à cause du grand nombre de fonctions possibles dans le texte par rapport
à ce qu'a voulu entreprendre l'auteur. D'ailleurs, d'après
Doppagne, sa valeur est supérieure à celle de la virgule. Des
fois, Toussaint s'en sert pour introduire des raccords ou des rappels dans son
récit. De plus, les tirets peuvent annoncer une conclusion, comme
lorsque le narrateur parle de son film :
« J'étais prêt, de nouveau, à
réunir toutes mes forces pour réussir ce film, comme si
c'était le dernier, comme si c'était la dernière fois que
je faisais un film, comme si c'était la dernière fois que j'avais
l'occasion de créer une oeuvre -- Et qu'ensuite, me disais-je avec
grandiloquence, je mourrais. » (p. 48).
L'emploi de cette forme de ponctuation est aussi pour
Toussaint un moyen de laisser transparaître sa vision tout à fait
sérieuse de la littérature. En effet, il révèle
dans un article de L'Orient littéraire145 qu' il
fait ce qu'il veut : il est bien sûr influencé par le quotidien et
certains auteurs qui lui sont proches, comme nous l'avons auparavant
indiqué, mais il ne se place en aucune manière comme prisonnier
de convention déjà établie. Il se sent libre et donc
maître de sa propre création. Il emploie aussi les tirets pour
introduire dans le texte des métaréférences qui
décrivent l'acte d'écriture rendant visible ses choix et rompent
ainsi l'illusion du récit :
« Je pourrais très bien, si je voulais, la faire
arriver à l'instant même, cette voiture -- j'ai ce pouvoir
magique, c'est le pouvoir de la littérature --, la faire
apparaître maintenant et la laisser se garer en douceur devant nous en
double file ---. » (p. 16).
144 Albert Doppagne, « VI. Le tiret », dans La
bonne ponctuation. Clarté, efficacité et précision de
l'écrit, sous la direction de Doppagne Albert. Louvain-la-Neuve, De
Boeck Supérieur, 2006, p. 22, consulté [en ligne] le 14 mars
2018,
https://www.cairn.info/la-bonne-ponctuation--9782801113882-page-90.htm
145 William Irigoyen, « Jean-Philippe Toussaint dans le
bain de l'imprévu », L'Orient littéraire,
supplément mensuel de L'Orient LE JOUR, publié [en
ligne] en octobre 2017, consulté [en ligne] le 1er janvier
2018,
http://www.lorientlitteraire.com/article_details.php?cid=6&nid=7004
57
De plus, il réussit, à l'aide de longs tirets,
à provoquer un véritable abîme entre deux temps, celui du
récit et de l'écriture même du livre. Dans de nombreux
exemples, les tirets servent aussi à insérer une métalepse
qui produit un effet comique et marque la frontière entre la fiction et
la réalité :
« Je voudrais, quand j'écris, que mon cerveau soit
une pièce étanche, hermétiquement fermée,
coupée du monde, mais je sais qu'au plafond de cette pièce,
parfois, le revêtement se lézarde, l'humidité s'accumule et
la peinture gonfle -- et soudain, au beau milieu d'une phrase, je reçois
une goutte sur le nez. Il y a une fuite au plafond, le monde extérieur
s'invite dans mon esprit. » (p. 75).
En fait, nous trouvons même un passage où Toussaint
fait un commentaire concernant l'emploi des temps superposés dans la
narration. Ce commentaire se trouve entre les tirets ce qui apporte plusieurs
niveaux temporels dans la narration :
« Et je songeai alors que je pourrais la faire surgir
maintenant, cette musique, aussi bien dans le film que j'étais en train
de tourner que dans le livre que j'étais en train d'écrire --
car, à deux niveaux de temps superposés, c'était autant un
film que j'étais en train de tourner qu'un livre que j'étais en
train d'écrire « en ce moment » --, et, si cela avait
été impossible il y a quinze ans de faire surgir de la musique
d'un livre, c'était sans doute possible maintenant, c'était
devenu techniquement possible de faire surgir de la musique d'un livre
numérique. » (p. 187).
« Elle pourrait donc très bien partir de cet
endroit, la musique -- ici, à quelques lignes de la fin --, je la ferais
partir en off, c'est d'ailleurs également en off qu'elle commence dans
le film, quand on entend une voix féminine qui tient toujours la
même note, un Ah-Ah-AhAhAh lancinant et répétitif, qui
accompagne le titre, THE HONEY DRESS, puis vient un deuxième carton, a
film by Jean-Philippe Toussaint, et enfin le dernier carton, produced by Chen
Tong, et c'est alors la première image du film qui apparaît sous
nos yeux, et c'est maintenant. C'est le début du film, et c'est la fin
du livre. » (pp. 187-188).
En somme, la ponctuation est pour Toussaint un moyen
d'expression parmi d'autres, qui permet, toute comme la vidéo,
d'introduire d'autres points de vue dans la narration.
c) La vidéo comme métalepse dans Made in
China
Traditionnellement, la métalepse fait
référence à une figure rhétorique et, d'une
façon générale, à un procédé narratif
qui a été défini par Gérard Genette comme
l'intrusion dans
58
un texte d'un discours métatextuel ou
métadiégétique.146 Benoît
Delaune147 apporte un point de vue et un élargissement
intéressant par rapport à cette définition en affirmant
qu'un procédé similaire est apparu aussi dans les arts plastiques
au début du XXème siècle. Il donne comme
exemple les travaux de Braque et Picasso où nous trouvons des papiers
collés et même de vrais objets comme un clou ou un bout de corde
sur les toiles. Selon Benoît Delaune, l'intrusion de ces
éléments a comme fonction de rendre visibles les limites et la
planéité de ces oeuvres. De la même manière que dans
une métalepse littéraire, il s'agit d'une figure utilisée
par l'artiste qui met à nu le procédé de la peinture et
ses limites. Elle révèle également la fonction
représentative du médium employé en créant une
sorte de rupture interne dans l'oeuvre qui marque les bornes de l'univers
représenté et démontre l'illusion
référentielle. En fait, dans les arts plastiques, l'effet
donné est souvent ironique ou comique. Delaune fait aussi remarquer que
l'emploi de la métalepse extérieure montre toujours la
volonté de l'auteur d'inscrire son oeuvre dans la modernité.
D'autre part, la métalepse extérieure est de bien des
manières une figure de style paradoxale : Même si elle fait entrer
l'art dans la modernité, il s'agit, tout de même, d'un
procédé très ancien, déjà présent
dans le théâtre antique où le Coryphée s'adressait
directement au public. De plus, Delaune distingue deux fonctions de la
métalepse extérieure, qui sont aussi paradoxales, car elles
servent à la fois à déstabiliser et rassurer le
lecteur.148
À notre avis, la vidéo, qui figure à la
fin de Made in China, s'apparente beaucoup au procédé
décrit auparavant où un vrai objet apparaît sur la toile,
et peut être donc considérée comme une métalepse
extérieure. Même si dans la fiction digitale, une vidéo ou
un autre élément non-textuel fait partie intégrante de
l'oeuvre, dans le contexte de Made in China, la vidéo est une
sorte d'élément extérieur et une figure de création
qui marque la fin de l'acte d'écriture en démontrant ses limites.
Le fait que The Honey Dress est la seule vidéo, et qu'en
général, le seul lien vers extérieur voulu par l'auteur
dans l'oeuvre, accentue l'effet qu'il s'agit d'un élément hors du
livre. De la même façon qu'un vrai objet
146 Gérard Genette, Figures III, «
Poétique », Édition du Seuil, Paris, 1972, p. 244.
147 Benoît Delaune, « La métalepse filmique. De
la transgression narrative à l'effet comique »,
Poétique, n° 154, 2008, pp. 147-160, DOI
10.3917/poeti.154.0147, consulté [en ligne] le 17 novembre 2017,
https://www.cairn.info/revue-poetique-2008-2-page-147.htm
148 Ibid.
59
sur une toile la rend tridimensionnelle, la vidéo dans
le livre change son caractère, car il y a une différence entre
lire un texte dans le sujet porte sur un film et de le voir. De plus, la
vidéo fait l'appel à la vue et à l'ouïe de
l'utilisateur. D'une certaine manière, la vidéo réussit
donc aussi à montrer les limites de l'écriture, car, à
titre d'exemple, il est tout à fait différent de lire à la
page 187 « ---on entend une voix féminine qui tient toujours la
même note, un Ah-Ah-AhAhAh lancinant et répétitif---.
» que l'entendre dans le film.
En fait, tout le récit, jusqu'à l'apparition de
ce film, met en scène le processus de production et le tournage de
The Honey Dress. Les 180 pages environ, qui précédent le
visionnage du film, décrivent des évènements qui ont
conduit à sa réalisation. La première partie
intitulée « Chen Tong » est consacrée à la
présentation de l'éditeur et le producteur de Toussaint sans qui,
selon une citation provenant de la quatrième de couverture, « rien
n'aurait été possible » tandis que la deuxième partie
appelée « The Honey Dress » montre les personnes que l'on voit
dans le film et comment les protagonistes et le décor du tournage ont
été choisis. Nous apprenons, entre autres, que le diadème
que le mannequin porte sur ses cheveux dans le film est composé de LED
et d'un schéma électrique complexe (p. 150). Très souvent,
les préparations faites pour ce film sont décrites d'une telle
manière que cela sert à démontrer son artificialité
et, à son tour, ces limites comme médium. À la page 159,
le lecteur apprend que les abeilles qui sont sur le corps de l'actrice dans la
scène où elle est tombée sur le podium, sont en fait des
huîtres séchées achetées dans un grand marché
couvert à Guangzhou. Le récit prouve également que
l'essaim en vol a été filmé à l'aide d'un montage
séparé, parce qu'il n'était pas techniquement possible
d'avoir ces abeilles avec le mannequin sur les mêmes images (p. 140). De
la même manière, les uniformes de pompiers doivent être
changés en costumes de vigiles, car il est impossible d'en acheter en
Chine (p. 155). Les deux fonctions de la métalepse distinguées
par Benoît Delaune149, voire la déstabilisation et la
rassurance, sont reconnaissables aussi par rapport au film The Honey
Dress. D'une part, le procédé fonctionne sur la rupture
entre le récit et la vidéo et la surprise. La rupture est
même annoncée verbalement où le narrateur explique ce qui
suivra et constate à la dernière page du livre que « ---
c'est alors la première image du film qui apparaît sous nos yeux,
et c'est maintenant. C'est le début du film, et c'est la fin du livre.
» (p. 188.) Même si l'effet de surprise, est quelque peu
atténué par cette verbalisation, il est assez étonnant de
voir dans
149 Ibid.
la vidéo tout ce qui a été écrit
précédemment dans le texte. D'autre part et peut-être un
peu paradoxalement, la vidéo remplit aussi en même temps la
fonction de rassurance, car elle rend visuel et réel ce qui a
été, jusque-là, décrit verbalement. Les limites de
l'écriture, mais aussi celles de la lecture et même de
l'imagination du lecteur, sont donc démontrées d'une
manière très explicite. En fait, nous trouvons même un
commentaire lié au caractère limité du codex dans le
passage où le narrateur dit : « ---je me souviens alors d'avoir
regretté le cadre limité auquel le livre est toujours contraint,
muré en lui-même, comme une boîte hermétiquement
close, dont il est impossible de s'extraire---. » (p. 186). Evidemment, le
film souligne l'acte représentationnel du récit et son contraste
fait même paraître certains passages du texte très
restreints comme celui où le déroulement du début du film
est expliqué dans le texte : « ---puis vient un deuxième
carton, a film by Jean-Philippe Toussaint, et enfin le dernier carton, produced
by Chen Tong---. » (pp. 187- 188). Nous avons déjà vu qu'un
des effets visés de la métalepse est souvent d'ordre comique ou
même ironique. Ce n'est pas vrai pour Made in China, car la
vidéo met en avant une dimension magique mais aussi véridique du
récit en prouvant que malgré son aspect représentationnel,
le film existe.
Gérard Genette décrit également un cas
particulier de métalepse dont il donne comme exemple des tableaux dans
les tableaux ou encore des tableaux où il y a des personnages
reflétés par exemple par un miroir.150 Ces tableaux
« font l'image sortir du cadre », ce qui est, selon Genette, une des
définitions possible de la métalepse.151 Il est
également possible de trouver des points en commun entre cette
définition et Made in China, car nous trouvons une oeuvre dans
l'oeuvre et le film peut être donc vue comme une sorte de
réflexion du récit.
60
150 Gérard Genette, Métalepse,
Éditions du Seuil, Paris, 2004, pp. 79-80.
151 Ibid.
61
C. Diffusion multi-support - problèmes techniques
liés au format
Les possibilités offertes au public pour
découvrir Made in China ne se limitent pas au livre papier. En
effet, comme l'indique Jean-Philippe Toussaint152, il est même
préférable de le découvrir en format numérique, car
il inclut son film The Honey Dress que le lecteur peut visionner
à l'aide d'un écran d'ordinateur ou d'une tablette. En fait, pour
mieux rendre compte de ce projet, nous devons définir ce qu'est une
diffusion multi-support et la mettre en perspective par rapport au paysage
littéraire d'aujourd'hui. De plus, diverses solutions d'ordres
techniques existent concernant les livres numériques dont nous
analyserons leurs différences pour mieux montrer ce qui a conduit
à l'adoption définitive de la norme EPUB pour ce livre.
a) Diffusion multi-support - définition et pratiques dans
le paysage littéraire
Made in China bénéficie d'une diffusion
multi-support, comme d'ailleurs toutes les oeuvres figurant au catalogue des
Éditions de Minuit consultable sur son site Internet, puisqu'une version
numérique est toujours associée aux livres papiers de tous les
auteurs faisant partie de cette maison d'édition153. En fait,
la version numérique d'une oeuvre littéraire offre l'avantage
qu'elle peut se lire sur divers supports numériques comme un
écran d'ordinateur, une tablette, une liseuse, voire même un
Smartphone, c'est pourquoi on la nomme « multi-support » compte tenu
de toutes ces possibilités154.
Il est aussi à noter que la parution de Made in
China coïncide avec une pratique de la lecture numérique qui
s'intensifie et se diversifie. En effet, comme le révèle le
huitième
152 D.R, « La spécificité numérique de
Made in China », Prière d'Insérer, propos de
Jean-Philippe Toussaint recueillis par.D.R., Éditions de Minuit, Paris
2017.
153 Éditions de Minuit, Catalogue en ligne,
consulté [en ligne] le 18 mars 2018,
http://www.leseditionsdeminuit.fr/index.php
154 Dominique Boullier et Maxime Crépel, Pratiques de
lecture et d'achat de livres numériques, Étude
réalisée pour le MOTif, février 2013, pp. 47-48,
consultée [en ligne] le 18 mars 2018,
http://www.lemotif.fr/fichier/motif_fichier/488/fichier_fichier_etude.pratiques.lecture.et.achat.d
e.livres.numa.riques.pdf
62
baromètre sur les usages du livre numérique en
France de 2018155 conduit par la Société
Française des Intérêts des Auteurs de l'écrit (La
Sofia), le Syndicat national de l'édition (SNE) et La
Société des Gens de Lettres (SGDL), les lecteurs de livres
numériques utilisent de plus en plus d'équipements
différents lorsqu'ils lisent. En effet, selon cette étude, la
moitié des lecteurs passent d'une machine électronique à
l'autre. De plus, nous constatons que le support numérique le plus
utilisé est la tablette avec 35 % d'utilisateurs, le Smartphone avec 34
%, l'ordinateur portable avec 33 %, la liseuse avec 23 % et pour finir
l'ordinateur fixe avec 22 %, comme nous montre la figure 9 :
Figure 9. 8ème baromètre sur
les usages du livre numérique de 2018. Source
https://www.sne.fr/app/uploads/2018/03/barometre-2018
HD2-imprimeur.pdf
Il est particulièrement intéressant de constater
que la liseuse n'arrive qu'en 4ème position avec 23 %
d'utilisateurs. En fait, selon Dominique Nora156, le coût
d'une liseuse est encore estimé entre 70 et 250 euros ce qui est sans
doute un des freins par rapport aux autres équipements pour lire des
livres numériques. En effet, la liseuse est uniquement
155 8ème Baromètre sur les usages du livre
numérique, Étude conduite par la Société
Française des Intérêts des Auteurs de l'écrit (La
Sofia), le Syndicat national de l'édition (SNE) et La
Société des Gens de Lettres (SGDL), France, 2018, consulté
[en ligne] le 5 avril 2018,
https://www.sne.fr/app/uploads/2018/03/barometre-2018
HD2-imprimeur.pdf
156 Dominique Nora, « Pourquoi l'ebook n'a pas encore
révolutionné le marché du livre », l'Ohs,
publié [en ligne] le 26 novembre 2017, consulté [en ligne] le 18
mars 2018,
https://www.nouvelobs.com/economie/20171124.OBS7817/pourquoi-l-ebook-n-a-pas-encore-revolutionne-le-marche-du-livre.html
63
dédiée à cette activité alors que
pour les tablettes, Smartphones, ordinateurs portables ou fixes les usages sont
multiples. Nous pouvons voir aussi certains changements dans la pratique de la
lecture numérique par rapport au baromètre du Syndicat national
de l'édition (SNE) montrant l'évolution de ces pratiques sur 5
ans de 2012 à 2017157. En effet, encore en 2017, la liseuse
occupait la première place avec 83 % contre 67 % pour la tablette, alors
qu'en 2018, cette dernière occupe dorénavant la première
place. Une autre évolution est tout à fait remarquable, car il y
a une forte hausse de lecteurs de livres numériques qui disent utiliser
différents supports numériques lorsqu'ils lisent. En effet, en
2017, ils étaient 30 % tandis que dans le baromètre de 2018, ils
sont presque 50 %, voir la figure 10 ci-dessous :
Figure 10. Baromètre du Syndicat
national de l'édition (SNE) montrant l'évolution des pratiques
sur 5 ans de 2012 à 2017. Source :
https://www.sne.fr/app/uploads/2017/11/Barometre-SOFIA-Evolution-5-ans-Opinionway.pdf
b) Solutions techniques pour la diffusion multi-support
Lorsque Jean-Philippe Toussaint et les Éditions de
Minuit commencent à planifier de quelle manière le film The
Honey Dress est inséré dans la version numérique, il
a fallu choisir le format permettant que le plus grand nombre de lecteurs
puisse découvrir le livre sans qu'il y ait de problèmes
techniques. Nous allons donc voir les avantages et les
157 Baromètre des usages du livre numérique :
l'évolution des pratiques sur 5 ans, étude conduite par le
Syndicat national de l'édition (SNE), France, 2017, consulté [en
ligne] le 12 mars 2018,
https://www.sne.fr/app/uploads/2017/11/Barometre-SOFIA-Evolution-5-ans-Opinionway.pdf
64
inconvénients des divers formats, les plus
utilisés actuellement pour mieux cerner les difficultés qu'ont
rencontrées Jean-Philippe Toussaint et les Éditions de Minuit
pour mener à bien ce projet.
Tout d'abord, il y a le format PDF de la société
Adobe158, lancé en 1991 par John Warnock, qui a
été une véritable révolution numérique. Ce
format a permis pour la première fois de collecter des documents
à partir de n'importe quelle application, d'envoyer des versions
électroniques de ces documents et de pouvoir imprimer ou visualiser le
contenu sur tous types d'ordinateur. Un des avantages du PDF est
également le fait qu'il permet de garder l'apparence de la page,
même sous un format protégé. Pourtant, malgré le
succès planétaire du format PDF, il n'était pas
complètement adapté à ce que voulait faire Jean-Philippe
Toussaint. En effet, il n'est pas très commode pour un lecteur de
découvrir un livre au format PDF avec des liseuses ou avec un
Smartphone, du fait qu'il est impossible de changer la taille des
caractères et difficile d'agrandir la page.159 160La lecture
à l'aide de ce format est donc particulièrement
désagréable à cause du manque de confort visuel, ce qui
conduit le lecteur à ne pas pouvoir découvrir un livre dans des
conditions optimales.
Kindle est un support très important dans le paysage
des livres numériques, tant la société qui l'a
créé est un acteur clé dans ce secteur. En effet,
l'entreprise américaine Amazon fondée en 1994,
spécialisée dans le commerce en ligne avec un chiffre d'affaire
estimé à 130 milliard de dollars en 2016 et employant plus de 130
000 personnes dans le monde, commence à commercialiser le Kindle, son
propre lecteur de livres numériques161. Ces
158 Adobe, Site d'une société d'édition de
logiciels graphiques où se trouve des informations sur le format EPUB,
consulté [en ligne] le 17 mars 2018,
https://acrobat.adobe.com/fr/fr/acrobat/about-adobe-pdf.html
159 Franck, « Le livre numérique (eBook) : on vous
dit tout ! », FNAC, France, publié [en ligne] le 6 mars
2015, consulté [en ligne] le 18 mars 2018,
https://www.fnac.com/Le-livre-numerique-eBook-on-vous-dit-tout/cp25857/w-4
160 Frania Hall, The Business of Digital Publishing: An
Introduction to the Digital Book and Journal Industries, London:
Routledge, 2013. p. 31.
161 Numerama, Site d'actualité sur l'informatique et le
numérique, consulté [en ligne] le 25 février 2018,
https://www.numerama.com/startup/amazon
65
différentes liseuses d'Amazon sont arrivées en
France en octobre 2011 et donnent accès à un catalogue de plus de
4,5 millions d'e-books mais aussi de journaux et de magazines162. En
fait, l'un des avantages de ce support de lecture réside dans le fait
que son écran ne diffuse pas de lumière bleue qui peut être
dangereuse pour l'oeil163. Amazon recourt à une autre
technologie développée par Joseph M. Jacobson et Barrett Comiskey
en 1997, à savoir l'écran à encre électronique qui
empêche la fatigue oculaire grâce au reflet de la lumière
ambiante164. En fait, le principal défaut des
différentes versions du Kindle, c'est qu'elles enferment le lecteur mais
aussi l'auteur dans le propre univers d'Amazon. En effet, Kindle est
très contraignant et ne permet pas de lire des livres qui ne viennent
pas de cet environnement, ce qui réduirait les possibilités
offertes aux lecteurs pour découvrir Made in China.
Il nous reste à voir le format EPUB qui est
actuellement le plus populaire. En fait, selon Fabrice Marcoux165,
ce format est détenu par l'International Digital Publishing Forum
(IDPF), qui a comme mandat d'en faire le format de référence dans
le domaine de l'édition du livre numérique. L'EPUB est une norme
ouverte qui rend notamment possible la création de versions enrichies de
livres papier pour les liseuses électroniques mais aussi pour le web.
L'ancêtre de l'EPUB est le format Open eBook, lancé en 1998 par la
société SoftBook Press. À partir des années
1998-1999, un problème se pose avec la prolifération de nombreux
formats. En effet, les différents formats de livres numériques
162 Amazon, Site d'une entreprise de commerce
électronique et la page où l'on peut acter [en ligne] Made in
China, mis [en ligne] le 14 septembre 2017, consulté [en ligne] le
15 septembre 2017,
https://www.amazon.fr/MADE-CHINA-Jean-Philippe-
Toussaint/dp/270734379X/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1517071935&sr=8-1&keywords=%22Made+in+China%22
163 Anne-Sophie Glover-Bondeau, « Lumière bleue :
comment protéger ses yeux? », Doctissimo, France,
publié [en ligne] le 24 février 2017, consulté [en ligne]
le 19 mars 2018,
http://www.doctissimo.fr/sante/maux-quotidiens/ordinateur-sans-douleur/lumiere-bleue-danger-prevention#la-lumiere-bleue-dangereuse-pour-les-yeux
164 Site Internet de l'Office Européen des Brevets, «
Une encre électronique pour la révolution de l'édition
numérique », consulté [en ligne] le 19 mars 2018,
https://www.epo.org/learning-events/european-inventor/finalists/2013/jacobson/feature
fr.html
165 Fabrice Marcoux, «Le livrel et le format
ePub», in E. Sinatra Michael, Vitali-Rosati Marcello
(édité par), Pratiques de l'édition
numérique, collection « Parcours Numériques », Les
Presses de l'Université de Montréal, Montréal, 2014, pp.
177-189,
http://www.parcoursnumeriques-pum.ca/le-livrel-et-le-format-epub
66
ne sont compatibles qu'avec un seul modèle de liseuse.
Il devint donc nécessaire de créer une norme ouverte et commune
afin de rendre la lecture numérique bien plus pratique. Dès 1998,
le National Institute of Standards and Technology (NIST) commence tout un
processus, avec l'Open eBook Initiative, se basant sur un format de livres
numériques avec le langage XML qui est destiné à
normaliser le contenu, la structure et la présentation des livres
numériques. L'année 2005 marque un changement crucial, puisque
l'International Digital Publishing Forum (IDPF) est créé et prend
la relève afin d'établir une norme globale, interopérable
et accessible pour l'ensemble des livres électroniques. De plus, l'une
des autres raisons d'être de cette structure est aussi de s'occuper de
publications pour contribuer à la croissance de l'industrie de
l'édition numérique. Le format EPUB apparaît en juillet
2005 pour devenir en 2007 une norme de l'IDPF. Malgré les nombreux
avantages de l'EPUB, le format avait des défauts qui étaient
notamment liés à des illustrations qui pouvaient être
insérées qu'en noir et blanc. De plus, il était difficile
de les placer dans l'endroit voulu, au moins dans les versions qui
précédaient l'EPUB 3166. L'EPUB 3 est lancé en
2011 et s'appuie sur les règles du HTML5 en terme de structuration du
contenu et sur le style CSS3 pour la mise en forme. Un cap est franchi en mars
2013 quand l'Union internationale des éditeurs (IPA) déclare
officiellement l'EPUB3 comme norme internationale.
En fait, selon Fabrice Marcoux167, les
particularités techniques du format EPUB qui sont des fichiers au format
HTML, reposent sur les mêmes langages de balisage que ceux
destinés dans la réalisation de sites web. Il s'agit donc d'un
format qui permet de faire des livres numériques ayant les
caractéristiques du livre papier mais aussi celles d'un site web. Il est
donc possible avec le format EPUB d'utiliser tous les éléments
typiques d'un document web, comme du texte, des images, des vidéos, mais
aussi des liens. De plus, les hyperliens s'y intègrent bien, et l'EPUB
permet aussi d'avoir l'ensemble des éléments paratextuels propre
au livre, comme une table des matières, un index ou bien encore une page
de couverture. Il y aussi un élément qui est tout à fait
similaire par rapport au livre
166 Frania Hall, The Business of Digital Publishing: An
Introduction to the Digital Book and Journal Industries, London:
Routledge, 2013, ISBN: 9780415507288. p. 32.
167 Fabrice Marcoux, «Le livrel et le format
ePub», in E. Sinatra Michael, Vitali-Rosati Marcello
(édité par), Pratiques de l'édition
numérique, collection « Parcours Numériques », Les
Presses de l'Université de Montréal, Montréal, 2014, pp.
177-189,
http://www.parcoursnumeriques-pum.ca/le-livrel-et-le-format-epub
67
papier du fait du principe de répartition du contenu :
un chapitre par fichier. La création possible d'hyperliens permet
d'aller aussi au-delà d'une simple structuration linéaire du
livre papier.
Actuellement, selon le Syndicat national du livre, l'EPUB 3,
la dernière version développée par l'IDPF et la fondation
Readium qui date de 2011, permet une avancée importante concernant le
livre numérique. En effet, la collaboration entre l'IDPF et la fondation
Readium créée en 2013 au salon du livre de Paris
réunissant des groupes de travail oeuvrant aux développement
d'outils pour la diffusion du format EPUB, a donné l'occasion
d'élaborer un format lisible sur tous les supports électroniques
: liseuses, tablettes, Smartphones, ordinateurs mais aussi les appareils en
braille ou de retransmission vocale pour les non-voyants ou malvoyants. En
fait, avec l'EPUB 3, il est possible d'y intégrer des vidéos, des
animations mais aussi du son, c'est ce qui rend son emploi
particulièrement intéressant dans le cas de Made in
China. En fait, mis à part Kindle, le format propre d'Amazon,
l'EPUB 3 s'adapte à tous les terminaux de lecture et s'impose de ce fait
comme le format standard interopérable de référence dans
l'édition numérique. Frania Hall rappelle que du point de vue des
éditeurs, tous ces problèmes techniques et la production de
divers formats pour ces différents supports entraînent des
coûts, tout en sachant que les éditeurs ont réussi à
accommoder leur système de gestion de production en fonction de ces
contraintes. Il faut ajouter qu'en pratique, il est nécessaire de revoir
et tester le fonctionnement de tous les fichiers.168
c) Adoption du format EPUB pour Made in China
Le processus de numérisation de Made in China
a commencé réellement avec un courriel envoyé par
Emmanuel Barthélemy169, qui est responsable du
numérique aux Éditions de Minuit. En effet, ce message
électronique daté du 24 avril 2017 montre que tout d'abord, il a
besoin du fichier vidéo de The Honey Dress. Ensuite, il confie
à Jean-Philippe
168 Frania Hall, The Business of Digital Publishing:
An Introduction to the Digital Book and Journal Industries, London:
Routledge, 2013. p. 32.
169 Annexe, Extraits de la correspondance entre Jean-Philippe
Toussaint et Emmanuel Barthélemy, responsable des livres
numériques aux Éditions de Minuit.
68
Toussaint qu'il vaut mieux éviter d'avoir un fichier
audio dissocié du film. Selon lui, l'effet désiré est
possible à partir du moment où, dès l'affichage du dernier
écran de lecture, le film commencera automatiquement. D'ailleurs, il
précise qu'il a fait des essais en lisant la version numérique de
Made in China à vitesse normale et que cela marche, car le film
se déclenche au moment où il lit « je la ferais partir en
off... »170. Barthélemy donne pourtant, quelques
précisions sur certains points qui posent encore des questions sur la
réalisation de ce projet171. Premièrement, seulement
un nombre restreint d'appareils de lecture, évoluant sous format EPUB 3,
peuvent prendre en charge la vidéo intégrée à un
livre numérique et que malheureusement les liseuses n'ont pas la
capacité de lire un livre avec un fichier vidéo.
Deuxièmement, si le livre numérique est lu sur un terminal qui ne
dispose pas de ce format, il passera sous le format antérieur l'EPUB 2,
ce qui signifie que l'effet de surprise sera perdu, puisque le lecteur verra
simplement, à la fin du récit, un lien web le dirigeant vers le
film qu'il devra actionner pour le visualiser. Pour finir, Barthélemy
demande à Toussaint, s'il est judicieux de prévenir le lecteur,
avec une note dans le livre, de régler son appareil électronique
de telle manière que le son soit audible, même si lui n'y est pas
favorable, car il n'y aurait plus d'effet de surprise.
Un premier rebondissement pour trouver une solution technique
a lieu lorsque Barthélemy envoie un nouveau courriel à
Jean-Philippe Toussaint le 19 mai 2017. En fait, il s'est rendu compte d'un
problème avec l'autoplay, c'est-à-dire la fonction qui
déclenche automatiquement le film. En fait, il ne fonctionne pas avec
iPad lorsque la vidéo est sonore. L'autoplay fonctionne, à
priori, simplement sur iPad, avec un autre format EPUB appelé «
fixed layout » qui est figé à peu près comme un PDF.
Barthélemy suggère donc de créer deux versions distinctes
: l'une en « fixed layout » destinée pour iPad, dont le
déclenchement de la vidéo sera automatique, et l'autre en EPUB 3
avec une vidéo intégrée à la fin du récit.
Il précise donc que, dans la majorité des cas sur les tablettes
iPad, il est possible d'avoir la vidéo, mais elle ne peut pas
fonctionner automatiquement. De plus, concernant les liseuses et les
applications de lecture EPUB 2, ils ne peuvent supporter des vidéos,
mais simplement un lien vers Internet.
170 Jean-Philippe Toussaint, Made in China,
Éditions de Minuit, Paris, 2017, p. 187.
171 Ibid.
69
Un autre courriel de Barthélemy du 19 juin
2017172 adressé à Jean-Philippe Toussaint mais aussi
à Patrick Soquet, un informaticien et ami de l'auteur qui s'occupe
notamment du site Internet
www.jptoussaint.com,
nous livre l'avancée des travaux. Nous apprenons que Soquet est
intervenu dans le projet numérique de Made in China.
D'ailleurs, Barthélemy s'est rendu compte que le script,
c'est-à-dire le programme informatique, de Patrick Soquet est parfait.
Par contre, Barthélemy affirme que le bon fonctionnement du
déclenchement de la vidéo est aléatoire d'un iPad à
l'autre et aussi sur une même machine. En fait, selon lui, les
applications de lecture marchent avec des « caches » comme les
navigateurs Internet dont on ne maîtrise pas encore complètement
le fonctionnement et qui rendent donc particulièrement incertain le
dispositif voulu à l'origine du projet. Barthélemy constate qu'il
n'y a pas eu de disfonctionnement total lors de ses essais sur diverses
machines et liseuses. Il pense aussi que la situation ne peut pas mieux
évoluer sauf si Apple, malgré ses doutes, parvient à
résoudre ce problème. Il conclut en demandant à Toussaint
s'il faut prendre le risque que la vidéo, dans certains cas, ne se
déclenche pas et s'il est judicieux d'avoir une multiplication des
versions, sauf si Soquet parvient encore à faire fonctionner le script
dans tous les cas de figure.
Deux jours plus tard, c'est-à-dire le 21 juin
2017173, Jean-Philippe Toussaint fait part de son avis sur la
situation à Emmanuel Barthélemy et Patrick Soquet. En effet, il
axe sa réflexion en trois points : en premier lieu, il pense que la
version « fixed layout » est un prototype. Elle ne peut donc
être diffusée que de façon privée, comme un exemple
du rendu idéal de Made in China. En ce qui concerne la version
commercialisable, Toussaint pense que le but est de faire une version en EPUB 3
qui se rapprochera le plus possible de l'idée d'origine. Il ajoute qu'il
est impératif d'apporter des améliorations au fichier script,
tout en continuant à faire des essais. Toussaint lance un appel en
écrivant que : « Toutes les bonnes volontés sont les
bienvenues ». Emmanuel Barthélemy lui répond le 29 juin 2017
en affirmant qu'il faudrait supprimer le script du fichier, car il est bien
trop aléatoire et laisser simplement l'autoplay. En fait, la norme EPUB
n'est pas remise en cause. Le livre numérique avec le film fonctionnera
sur ordinateur avec ADE et Readium,
172 Ibid.
173 Ibid.
70
si le fichier script est à la norme EPUB 3. La version
numérique consultable via une tablette ne déclenchera donc pas le
film automatiquement mais le lecteur devra lui-même l'activer. Il ajoute
que la décision finale doit être prise dans l'idéale
à la mi-juillet. Toussaint envoie une réponse quatre jours plus
tard, en lui proposant une réunion sur Skype avec Patrick Soquet. Le 13
juillet 2017, un message électronique est envoyé par
Jean-Philippe Toussaint à Barthélemy et Soquet intitulé
« Conclusions » où il résume les décisions qui
ont été prises. Il faudra proposer à l'achat le fichier
EPUB 3, donc Made in China en version numérique, sans script et
sans autoplay. Le lecteur devra donc activer le film par ses propres soins. De
plus, l'acheteur de la version numérique aura la possibilité de
découvrir en bonus, seulement avec l'iPad, le prototype, sous format
fixed layout, où le film se déclenche automatiquement.
Nous pourrions penser que l'affaire est close, c'est sans
compter sur le hasard, En effet, Toussaint et Soquet apprennent par un courriel
de Barthélemy du 19 juillet 2017174 qu'un autre informaticien
Sébastien a résolu le problème. En fait, il s'est rendu
compte, par accident, puisqu'aucune documentation existante ne le mentionnait,
que l'autoplay fonctionnait lorsque le film n'était pas placé
tout à la fin du chapitre. Les deux informaticiens sont arrivés,
en faisant quelques essais supplémentaires, à faire un EPUB 3
reflow fonctionnant parfaitement pour iOS 9 et 10 d'Apple. La vidéo se
déclenche donc automatiquement sur ces systèmes d'exploitation,
de manière tout à fait constante et fiable, mais aussi sur le
logiciel Adobe Digital Edition (ADE) et Readium concernant la lecture sur
écran d'ordinateur. De plus, la version faite par Patrick Soquet pour
les liseuses a aussi été testé avec succès. En
fait, Sébastien a découvert « une faille informatique »
qui n'a sans doute pas été voulue par les développeurs de
l'EPUB. Ce véritable coup de théâtre est tout à fait
symbolique, car Toussaint écrit dans son livre que le hasard fait partie
intégrante d'une oeuvre.
174 Ibid.
71
III Spécificité numérique de Made in
China ?
Jean-Philippe Toussaint est aussi un plasticien, c'est sans
doute l'une des raisons pourquoi il attache autant d'importance à
l'aspect visuel de ses livres. Cela n'est donc pas un hasard, si
Toussaint a porté une attention particulière à la version
numérique de Made in China. En effet, cette version a
été pour lui l'occasion de réaliser pour la
première fois une de ses envies d'écrivain : de mettre de la
musique dans un de ses livres. D'ailleurs, il est même allé encore
plus loin dans ce projet, puisqu'il a incorporé au coeur même de
Made in China, un véritable film. Cette oeuvre peut être
lue sous la forme d'un livre papier dont nous sommes tous coutumiers, car le
codex a marqué et marque encore de nos jours sa prédominance dans
le monde des livres. Pourtant, Isabelle Dominati-Muller175, dans un
article suivi d'un entretien avec Jean-Philippe Toussaint, indique que la
découverte de Made in China est conseillée sous format
numérique, à l'aide d'une tablette ou bien encore d'un
ordinateur, afin de pouvoir se rendre pleinement compte de ce qu'a voulu faire
l'auteur. En effet, ce livre est tout à fait singulier dans le paysage
littéraire d'aujourd'hui, pour peu de le découvrir sous forme
numérique.
A. Esthétique évoluant selon le support
La version numérique de Made in China passe
par l'écran à la différence du livre papier. De ce fait,
l'esthétique de l'oeuvre s'en voit changée, car, tout d'abord, la
taille des écrans d'ordinateur ou des tablettes n'est pas
nécessairement identique et peut différer d'un modèle
à l'autre. Cela induit donc une particularité qui relève
d'une certaine plastique. De plus, le lecteur d'un livre numérique
dispose de certains outils dont il peut utiliser afin d'avoir un meilleur
confort visuel. De cette manière, l'aspect premier de la page voulue par
Jean-Philippe Toussaint peut être complètement bouleversé
par les possibilités qu'offre le numérique. Made in China
est aussi intéressant du point de vue de l'iconographie, ce que
nous étudierons plus en détail.
175 Isabelle Dominati-Muller, « Made in China
», In Corsica, numéro 29, octobre 2017, consulté
[en ligne] le 2 janvier 2018,
http://www.jptoussaint.com/documents/8/81/In_Corsica_Toussaint_.pdf
72
a) Un plus grand confort de lecture par rapport au livre
papier
Made in China, en version papier, s'inscrit
pleinement dans l'identité visuelle des Éditions de Minuit. Un
lecteur averti sait déjà au premier coup d'oeil que ce livre
vient de cette maison d'édition. En effet, comme le rappelle Camille
Zammit 176, la couverture des livres des Éditions de Minuit
est de suite reconnaissable grâce à son extrême blancheur et
à son logo, une étoile surplombant un « m » minuscule,
dessiné par Jean Bruller. Nous y trouvons aussi une typographie à
empattements et un liseré bleu nuit. De plus, l'organisation spatiale
des informations figurant en couverture est toujours ordonnée de la
même manière : en partie supérieure, le nom de l'auteur
précède le titre alors que dans la partie inférieure, le
logo est particulièrement visible. On parle souvent du « bleu
Minuit » comme la couleur caractéristique de cette maison
d'édition177. Pourtant, à part cette couleur, comme le
souligne François Vignale178, les Éditions de Minuit
se sont inspirées de Gallimard et de sa Nouvelle Revue
française, fondée en 1909, qui a été l'un des
exemples du renouveau littéraire en France. En fait, les Éditions
de Minuit veulent encore, à l'heure actuelle, être une des grandes
références de l'édition française. C'est pourquoi,
il est tout à fait intéressant de voir que l'apparence de la
couverture de ses livres, entre autres Made in China, est identique
d'un format à l'autre, c'est-à-dire en version numérique
ou bien sous format papier. Quant au livre papier, selon Claire Bertrand,
technicienne aux Éditions de Minuit, il a été
imprimé chez Normandie Impression à Alençon sur une
rotative Timson92 en brochage avec une couture par cahiers de 32 pages. La
couverture a été imprimée sur un offset blanc Z.R.C. de
250° et le papier utilisé pour les pages est de l'Alizé or
(bouffant sans trace de bois) des Papeteries de Vizille, 80° (voir annexe
9). La typographie utilisée pour les pages est le Garamond Simoncini,
une police dont tous les livres des Éditions de Minuit sont
reconnaissables. Il s'agit d'une police de caractère serif qui fait
partie des polices de la famille Garamond qui sont très lisibles sur
176 Camille Zammit, L'apparence du livre : l'art de
l'identité visuelle dans l'édition littéraire
française, Mémoire de Master 2 « Édition
imprimée et électronique », Sous la direction de
Jérôme Dupeyrat, Année 2013-2014, consulté [en
ligne] le 10 mars 2018, p. 21,
http://dante.univ-tlse2.fr/431/1/camille
zammit 2014.pdf
177 Ibid.
178 Charlotte Pudlowski, « Pourquoi en France les
couvertures de livres sont-elles si sobres ? »,
Slatefr, publié [en ligne] le 24 mars 2013,
consulté [en ligne] le 5 mars 2018,
http://www.slate.fr/story/69737/pourquoi-france-couvertures-livres-sobres
73
papier. Par contre, les caractères sans serif ne sont
pas des choix optimaux pour la lecture sur écran179, ce qui
montre que les Éditions de Minuit ont privilégié cette
police dans les versions numériques afin de garder ce qui fait leur
identité visuelle au détriment d'une lisibilité
adaptée aux supports numériques.
La découverte de la version numérique de
Made in China sur l'écran d'un ordinateur à l'aide de
Readium offre des fonctionnalités permettant au lecteur de pouvoir
appréhender l'oeuvre aussi d'une tout autre manière. En effet, il
suffit pour cela que le lecteur recourt à une barre d'icônes qui
figure en haut de page à droite et que l'on peut utiliser à
l'aide de la souris ou du clavier. Ces icônes sont de l'ordre de quatre,
comme nous pouvons le voir dans la figure 11 :
Figure 11. Capture d'écran de la barre d'outils
provenant de Made in China sous Readium.
|
La première icône à partir de la gauche
permet d'accéder à la librairie de Readium.
|
La seconde, si le lecteur l'active, fait apparaître
à gauche de l'écran la table des matières de Made in
China où il peut cliquer sur des liens qui le renvoient par exemple
vers la deuxième grande partie du livre intitulée The Honey
Dress, comme le montre la figure 12, tout en sachant que dans le cas de
Made in China, cette fonctionnalité n'est pas très
utile, puisque nous ne trouvons que deux parties :
179 Jakob Nielsen, « Serif vs. Sans-Serif Fonts for RD
Screens », Nielsen Norman Group, publié [en ligne] le 2
juillet 2012, consulté [en ligne] le 1er avril 2018,
https://www.nngroup.com/articles/serif-vs-sans-serif-fonts-hd-screens/
74
Figure 12. Capture d'écran de la Table des
matières de Made in China sous Readium.
La troisième icône est particulièrement
intéressante, car elle offre la possibilité de changer de
nombreux paramètres ayant comme but d'améliorer le confort de
lecture en fonction des besoins du lecteur. En effet, il suffit de cliquer sur
celle-ci pour voir apparaître au milieu de l'écran
l'encadré présentée dans la figure 13 :
Figure 13. Capture d'écran des
fonctionnalités « Settings » de Made in China sous
Readium.
75
En fait, il est possible de changer la police de
caractère de Garamond Simoncini, qui a été
paramétrée par défaut. Comme nous pouvons le voir sur la
figure 13, il y a la fonction « Font Face » qui offre au choix quatre
polices différentes : celle par défaut que nous avons
déjà cité, « l'Open Dyslexic » qui s'adapte
à un public atteint de dyslexie, « l'Open sans » qui est
appropriée pour la lecture sur écran et enfin « Noto Serif
» qui est une police sans serif comme cette dernière et dont la
différence principale réside dans le fait qu'elle ambitionne de
couvrir un maximum de langages180, comme nous le voyons à
l'aide de la figure 14 :
Polices de caractère au choix pour la lecture de
Made in China avec Readium
|
|
Par défaut : Garamond Simoncini
|
|
Open Dyslexic
|
|
Open sans
|
|
Noto Serif
|
Figure 14. Quatre captures d'écran provenant
d'une phrase de la version numérique de Made in China qui
reprend à chaque fois les quatre polices de caractère offertes
sous Readium.
La figure 15 montre aussi une autre fonction, qui se trouve
dans le menu « Settings », permettant de modifier l'apparence de la
page en ajustant la couleur du fond de page et le contraste du texte avec
celle-ci. En effet, il suffit de choisir une des six possibilités qui y
figurent, pour voir l'apparence de l'oeuvre changée par rapport à
sa version papier. En partant du haut vers le bas, il y a tout d'abord la
version par défaut, qui est celle de l'auteur, puis une version «
Black and White », où le fond de page est en blanc alors que la
police figure en noir. Dans « Arabian Nights », le fond de page
change en noir tandis que le texte est en blanc. « Sands of Dune »
offre la possibilité de lire le texte en marron clair avec un fond de
page couleur sable. Quant à l'option « Ballard Blues », elle
permet
180 Stéphane, « Noto Sans », Une liseuse
& des polices, publié [en ligne] le 4 septembre 2016,
consulté [en ligne] le 2 avril 2018,
https://poliseuse.wordpress.com/2016/09/04/noto-sans/
76
de lire le texte avec une couleur bleue très clair,
alors que le fond de page est d'un bleu bien plus foncé. «
Vancouver Mist » offre l'inverse, c'est-à-dire un texte bleu
foncé sur un fond bleu clair, comme nous pouvons le constater à
l'aide du la figure 15. En fait, toutes ces possibilités
proposées aux lecteurs dans la version numérique de Made in
China sous Readium, bouleversent d'une certaine manière
l'esthétique voulue par Jean-Philippe Toussaint et les Éditions
de Minuit. De plus, en réglant la taille de la police avec l'option
« Font Size », le lecteur change aussi la mise en page du texte.
Fonds de page et couleur du texte au choix pour la
lecture de Made in China avec
Readium
|
|
Par défaut : version de l'auteur
|
|
Black and White
|
|
Arabian Nights
|
|
Sands of Dune
|
|
Ballard Blues
|
|
Vancouver Mist
|
Figure 15. Six captures d'écran provenant d'une
phrase de la version numérique de Made in China qui reprend
à chaque fois les six fonds de page et couleurs du texte offerts sous
Readium.
Nous retrouvons, fondamentalement, les mêmes
fonctionnalités sur l'iPad, la tablette d'Apple, sous le système
d'exploitation iOS 10. En fait, des icônes sont placées dans un
bandeau en haut de l'écran, dont la première, de gauche à
droite, renvoie à la bibliothèque, la seconde au contenu, la
troisième donne l'opportunité de modifier l'apparence du livre,
la quatrième d'y faire une recherche et la cinquième permet
d'ajouter des signets, comme le montre la figure 16 :
77
Figure 16. Capture d'écran du menu en haut de page
de Made in China en version numérique. Source : Site Internet
d'Apple.fr
http://help.apple.com/ipad/11/?lang=fr#/iPadd3c9dc47
En fait, l'iPad contient plus d'options que Readium pour
modifier l'apparence du livre. En effet, cette tablette dispose de neuf polices
de caractères différentes : celle d'origine, Athelas, Charter,
Georgia, Iowan, Palatino, San Francisco, Seravek et Times New Roman. Quant aux
couleurs des fonds de pages, elles sont au nombre de quatre : en blanc et
couleur sable avec les caractères du texte en noir, mais aussi en gris
et noir avec le texte qui apparait en blanc, comme nous pouvons le voir
à l'aide de la figure 17 :
Figure 17. Capture d'écran du menu en haut de page
de Made in China en version numérique. Source : Site Internet
d'Apple.fr
http://help.apple.com/ipad/11/?lang=fr#/iPadd3c9dc47
78
L'iPad se distingue de Readium par rapport à trois
fonctionnalités qui peuvent amener le lecteur à se comporter plus
encore comme un utilisateur d'un contenu numérique. En
effet, lorsque le lecteur touche l'icône loupe, il lui
est possible de chercher un ou
plusieurs mots dans le texte. De plus, la fonction marque page
permet de créer
ou de supprimer des signets que l'on peut consulter pour par
exemple reprendre une lecture interrompue. Cela nous amène à voir
la dernière option qui donne une dimension toute particulière
à la version d'Apple, car si le lecteur laisse son doigt appuyer durant
quelques secondes sur un ou plusieurs mots, il voit à l'écran une
nouvelle barre d'outils. Il peut ensuite activer, selon son envie, la commande
« définition », qui renvoie à des informations
disponibles sur Internet, par exemple sa définition dans un dictionnaire
en ligne. Une commande permet aussi de surligner les parties choisies du texte
et une autre de prendre des notes. Enfin, une dernière commande est
conçue pour activer une recherche dans le livre, mais aussi sur le Web
et Wikipédia. En fait, cela montre que la version de Made in China
disponible sur iPad permet une lecture tout à fait comparable
à celle de Readium, tout en apportant des fonctionnalités
supplémentaires qui font du lecteur un utilisateur connecté,
à condition que la tablette ait accès à Internet. D'une
certaine manière, il peut donc s'échapper du cadre voulu par
Jean-Philippe Toussaint, avec tout d'abord son livre papier, puis la version
Readium, car avec l'iPad, il peut, à chaque mot du texte, naviguer sur
la toile. En définitive, chaque mot est donc une fenêtre possible
vers un monde qui échappe à l'univers de Toussaint.
b) La mise en page s'en voit bouleversée laissant place au
jugement du lecteur
Jean-Philippe Toussaint accorde beaucoup d'importance à
l'esthétique de la page dans ses oeuvres, comme il nous le
révèle dans une vidéo intitulée « Le
point-virgule »181. En effet, selon lui, la littérature
recèle en elle-même une véritable dimension graphique. Il
signale que lorsqu'il ouvre un de ses livres, il aime voir ses doubles pages
où le texte prend la forme de rectangles. La version papier de Made
in China n'échappe pas à cette règle. De plus,
Toussaint se réfère à Samuel Beckett, qu'il admire tant,
comme nous
181 Jean-Philippe Toussaint, « Le point-virgule »,
Session de travail de Jean-Philippe Toussaint avec ses traducteurs, Seneffe,
août 2014, vidéo disponible sur YouTube, mise [en ligne]
le 13 août 2014, consultée [en ligne] le 2 avril 2018,
https://www.youtube.com/watch?v=JypCWK2Ezmk
l'avons vu dans la première partie, par rapport
à cet aspect de la page en générale. En fait, il suffit de
prendre deux doubles pages, l'une de Mallone meurt (1951) de Samuel
Beckett et l'autre de Made in China pour voir l'influence qu'a ce
dernier sur Toussaint, d'un point de vue graphique. Les pages de ces deux
auteurs sont tout à fait similaires du point de vue de la dimension
graphique dans l'espace de la page, comme le montre la figure 18 :
79
Figure 18. Extraits pour les pages 13 e 14 de Made
in China de Jean-Philippe Toussaint et pour les pages 8 et 9 de
Mallone meurt (1951) de Samuel Beckett. Source
provenant du site Internet des Éditions de
Minuit :
http://www.leseditionsdeminuit.fr/images/extrait_1500.pdf
et
http://www.leseditionsdeminuit.fr/images/extrait
livre 525.pdf
Jean-Philippe Toussaint évolue donc dans une certaine
filiation concernant l'apparence de la page en générale.
Étymologiquement, le mot « page », comme l'indique la
Bibliothèque de nationale de France182, dérive de
« pagina ». D'ailleurs, dans un article, Bianca Tangaro183
reprend les propos d'Anthony Grafton, selon lesquels, le terme « page
» dérive du latin et plus précisément du verbe «
pangere » qui signifie littéralement « planter ». Il
indique que plus tard le terme « pagina » signifiait la colonne
d'écriture
182 Site Internet de la Bibliothèque nationale de France,
Exposition : L'aventure des écritures - La page, 2002,
http://classes.bnf.fr/page/de/index.htm
183 Anthony Grafton, La page de l'Antiquité
à l'ère du numérique - Histoire, usages,
esthétiques, Éditeur Hazan, Paris, 2015 dans : Bianca
Tangaro, De la page au flux: la conception du livre numérique,
Article de DLIS Digital Libraries & Information Sciences, carnet de
recherche collaboratif publié avec le soutien de l'Enssib, publié
[en ligne] le 13 juin 2017, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018,
https://dlis.hypotheses.org/1255
80
dans laquelle le texte est « planté ». De
plus, ce dernier terme était porteur d'un autre sens qui
désignait en latin les rangées de pieds de vignes. Par la suite,
« pagina » aurait encore évolué métaphoriquement
afin d'indiquer les colonnes des livres où le flux
désorganisé de la parole trouve un cadre structurant sur le
papier. En fait, ces colonnes étaient tout d'abord celles du volumen,
qui par la suite, ont subsisté dans le codex. D'ailleurs, ce terme est
rentré dans les moeurs et les habitudes de lecture. Par contre, le
même mot « pagina » a évolué dans sa
signification jusqu'à aujourd'hui. Grafton indique que celui-ci
désigne « le côté d'une feuille, et l'espace sur
lequel on peut écrire ». Entre le IIème et le
Vème siècle après J.-C., les auteurs de codex
font de nouvelles expériences. Ils commencent à mettre le texte
sur la page, non plus en colonnes mais en « blocs de texte ». Durant
cette période, l'auteur est littéralement maître de la page
d'un point de vue graphique et donc esthétique. Il est à noter
que ce sont eux qui commencent à embellir leurs textes et à les
modeler selon leurs envies. L'arrivée de l'impression en Europe à
partir du XVème siècle après J.-C. intensifie
plus encore cette volonté des auteurs de faire de la page l'espace
privilégié de leur création du point de vue
esthétique.184 Nous pouvons donc constater que Jean-Philippe
Toussaint fait partie intégrante de toute une lignée d'auteurs
qui ont voulu être maître de la page sans que le lecteur puisse
avoir une quelconque influence en la matière.185
Pourtant comme nous allons le voir, les deux versions
numériques de Made in China, à savoir celle disponible
sur Readium à l'aide d'un ordinateur et l'autre sur une tablette iPad,
d'Apple sous environnement iOs 10, changent d'une certaine manière la
pratique de la lecture. En effet, ces deux supports numériques
permettent aux lecteurs de découvrir, s'ils le veulent, le livre d'une
façon différente par rapport à la version papier. En
effet, les lecteurs peuvent choisir différents modes de pagination. Tout
d'abord, avec Readium, il y a la pagination d'origine, identique à celle
du livre papier sur deux colonnes, donc ce qu'a voulu l'auteur sur une double
page. La deuxième option consiste à avoir le texte qui
apparaît à l'écran d'un seul bloc, il n'y a plus de ligne
de blanc verticale au milieu de
184 Ibid.
185 Jean-Philippe Toussaint, « Parenthèses et tirets
», Session de travail de Jean-Philippe Toussaint avec ses traducteurs,
Seneffe, août 2014, Vidéo [en ligne] sur YouTube depuis
le 14 août 2014, consultée [en ligne] le 30 mars 2018,
https://www.youtube.com/watch?v=0EXHylKYR7M
81
l'écran. Une autre option est disponible dans le mode
« Scroll mode » et donne la possibilité d'actionner la
fonction « continuous » qui permet de découvrir le texte
toujours de haut en bas revenant au même système qu'un livre sous
forme de rouleau. D'ailleurs, la figure 19 montre les différentes
options offertes par le logiciel de lecture Readium :
Figure 19. Menu sous Readium permettant au lecteur de
changer la pagination de Made in China grâce à plusieurs
options au choix.
La version numérique de Made in China
disponible sur iPad apporte aussi à la dernière page de
l'ouvrage de nouvelles fonctionnalités qui diffèrent
complètement de celles de Readium. En effet, le lecteur est
invité à donner son avis sur le livre en pouvant choisir le
nombre d'étoiles qu'il lui confère allant d'un à cinq. De
plus, à l'aide de l'option « Write a Review », il a
l'opportunité de rédiger un avis, avec l'option « Share
» et aussi partager son opinion à l'aide de courriel à ses
amis, mettre ses impressions dans les fonctions « Rappels » et «
Notes » de la tablette. Pour finir, il peut diffuser sur sa page Facebook
des textes et des messages par rapport à Made in China. Sous
ces fonctionnalités, le lecteur peut aussi découvrir notamment
d'autres oeuvres de Jean-Philippe Toussaint. En fait, ces
fonctionnalités changent la nature même de la lecture. Le lecteur
de la version papier ou numérique sur Readium se laisse guider au fil du
récit, tandis que le lecteur utilisant l'iPad a l'occasion d'être
un utilisateur actif qui peut diffuser en quelques instants
82
des avis sur Internet. Il devient donc un utilisateur qui peut
se détacher du carcan naturel d'un livre et de son auteur.
c) Icône - une fenêtre renvoyant vers le monde
numérique
Jean-Philippe Toussaint utilise, à la toute
dernière page de la version papier de Made in China, une image
ressemblant à un bouton de lecture, qui invite le lecteur à
sortir du livre. En effet, nous y trouvons un rectangle noir arrondi par ses
angles au milieu duquel il y a un triangle blanc indiquant la droite.
Au-dessous de cette image, figure une adresse Internet
honey.jptoussaint.com.
Selon Jean-Philippe Toussaint, il a, tout d'abord, soumis à son
éditeur, deux esquisses d'icônes « Play », dont il avait
dessiné la première lui-même à l'encre de Chine et
qu'il pensait plutôt utiliser, tandis que l'autre, plus classique, avait
été réalisée par sa fille Anna. En fait, sa maison
d'édition a retenu cette dernière dans les premières
épreuves du livre et, après mûre réflexion, l'auteur
a donc décidé d'opter pour celle faite par sa fille, notamment
à cause de sa meilleure lisibilité (voir annexe 10). D'ailleurs,
la figure 20 montre ces trois icônes qui ont fait partie du projet de
Made in China à différentes étapes du processus
de création jusqu'à l'aspect final de l'icône dans la
version papier.
Figure 20. Les trois icônes « Play »
pour Made in China. La première est faite par Jean-Philippe
Toussaint et celle au milieu par la fille de l'auteur Anna. La dernière
figure dans les versions papier du livre.
L'emploi des icônes est courant dans le monde
numérique et les symboles repris par l'icône de Made in China
contiennent des éléments familiers d'Internet. Par contre,
il est plus surprenant de voir cette icône dans le contexte d'un codex,
surtout quand les 187
83
pages, qui précèdent l'icône, ont un
aspect visuel très dépouillé, composé de rectangles
de textes, comme nous l'avons précédemment vu. Cela rend donc le
message de l'image très efficace. Selon Aurora Harley186, le
but d'une icône est, avant tout, de transmettre une certaine
signification tout en valorisant la marque de l'entreprise par le choix des
couleurs et la conception graphique. Dans l'environnement numérique, les
icônes représentent visuellement un objet, une action ou une
idée. En fait, les utilisateurs interprètent leur signification
sur la base de leurs expériences antérieures et, si la
signification de l'icône n'est pas immédiatement claire pour les
utilisateurs, elle devient inutile, voire même frustrante. Harley
rappelle également qu'il y a très peu d'icônes universelles
et leur emploi est rarement standardisé. C'est pourquoi il est
conseillé de toujours attacher un texte alternatif à celles-ci
dans le contexte digital.187 Quant à la version papier de
Made in China, l'icône est associée à une adresse
Internet qui indique que le lecteur est invité à visiter cette
adresse. Dans l'environnement digital, il serait naturel de la présenter
comme la balise alt, c'est-à-dire un texte alternatif qui apparaît
lorsque la souris est pointée sur l'image. De plus, la dernière
phrase du livre informe le lecteur du commencement du film.
Si nous analysons l'image présentée sur la
dernière page du codex en termes peirciens, nous avons affaire à
une sorte d'indice. En fait, dans sa théorie des signes, Charles S.
Peirce188 explique que chaque signe est composé d'un
representamen, donc d'un signe matériel qui renvoie à un objet et
c'est grâce à un interprétant, une représentation
mentale que la relation entre le representamen et l'objet s'effectue. Pour
Peirce, penser et signifier sont deux aspects du même
processus.189 Il distingue aussi trois manières
différentes selon lesquelles le representamen peut renvoyer à son
objet. En fait, celui-ci peut être une
186 Aurora Harley, « Icon Usability », Nielsen
Norman Group, mis [en ligne] le 27 juillet 2014, consulté [en
ligne] le 12 avril 2018,
https://www.nngroup.com/articles/icon-usability/
187 Ibid.
188 Albert Atkin, « Peirce's Theory of Signs », The
Stanford Encyclopedia of Philosophy, Édition Edward N. Zalta, 2013,
consulté [en ligne] le 20 avril 2018,
https://plato.stanford.edu/archives/sum2013/entries/peirce-semiotics/
189 Ibid.
84
icône190 qui ressemble à son objet ou
a un rapport d'analogie avec celui-ci. À titre d'exemple, une photo d'un
objet est une icône, car elle est identique avec celui-ci. Si le
representamen est un indice191, il a une relation
cause-conséquence avec son objet, car il indique ou montre une partie de
ce dernier. Un exemple typique pour décrire l'indice est celui de la
fumée qui indique le feu. Il s'agit d'un élément qui en
est une partie essentielle. Par contre, la relation du symbole à son
objet est complètement arbitraire, car il n'a aucune ressemblance ou
contiguïté avec l'objet qu'il représente. Comme son
interprétant se base sur une convention, sa compréhension
nécessite l'apprentissage de codes et de conventions. D'ailleurs, selon
Roland Barthes, le dessin est un message codé. Il peut être
visuellement très simple mais porter un message fort. Barthes se
réfère aussi à Ferdinand de Saussure qui accordait
beaucoup d'importance à ce fait sémiologique192. En,
fait, dans l'image de Made in China, le rectangle noir peut être
considéré comme un indice d'un film, car il ressemble à un
grand ou petit écran sur lequel on peut en visionner. Quant au triangle
blanc, il fait référence au bouton « Lecture » ou
« Play » qu'on peut trouver dans toutes sortes d'appareils
électroniques tels que les lecteurs vidéos ou CD. Au
départ, ce signe a une relation symbolique avec l'objet auquel il
renvoie, car il a été choisi arbitrairement, mais il a tellement
été répandu dans notre société qui se veut
de plus en plus technologique, surtout dans le contexte numérique, que
nous avons appris à l'interpréter facilement. D'ailleurs, la
société américaine YouTube, qui a dépassé le
milliard d'heures de vidéos vues par jour sur Internet193, a
utilisé ces mêmes signes dans son logo, ce qui prouve qu'il s'agit
de signes universaux, au moins dans le monde
190 M. Bergman et S. Paavola, « «Icon». The
Commens Dictionary: Peirce's Terms in His Own Words », New
Edition, consulté [en ligne] le 20 avril 2018,
http://www.commens.org/dictionary/term/icon
191 M. Bergman et S. Paavola, « «Index», The
Commens Dictionary: Peirce's Terms in His Own Words », New
Edition, consulté [en ligne] le 20 avril 2018,
http://www.commens.org/dictionary/term/index
192 Roland Barthes, « Rhétorique de l'image
», Communications, 4, Recherches sémiologiques, 1964,
consulté [en ligne] le 4 mars 2018,
www.persee.fr/doc/comm_0588-8018
1964 num 4 1 1027
193 Roch Arène, « YouTube : plus d'un milliard
d'heures de vidéos vues quotidiennement », CNET, mis [en
ligne] le 28 février 2017, consulté [en ligne] le 22 avril 2018,
http://www.cnetfrance.fr/news/youtube-plus-d-un-milliard-d-heures-de-videos-vues-quotidiennement-39849142.htm
85
occidental. En effet, cette société a de nouveau
modifié son logo en 2017194 de telle manière qu'il
puisse être consultable sur l'ordinateur, la tablette ou bien encore le
Smartphone. Le nouveau logo de cette entreprise américaine ressemble
énormément à l'image qui a été
insérée dans Made in China, comme le montre la figure
21. Pourtant selon Emmanuel Barthélemy des Éditions de Minuit,
cette ressemblance est une coïncidence (voir annexe 8). Il est pourtant
intéressant de savoir que depuis le 13 juin 2017, il est possible de
voir ce film aussi sur YouTube.
Figure 21. Capture d'écran d'un des nouveaux
logos monochromes de YouTube provenant du site Internet de cette
société américaine.
https://www.youtube.com/intl/fr/yt/about/brand-resources/#logos-icons-colors
En fait, il est à noter que cette image qui fait
référence à un film se trouvant sur Internet n'est pas
visible dans les versions numériques de Made in China
disponibles sur Readium et l'iPad. Cela peut être vu comme un
paradoxe : pourtant ce choix a été fait
délibérément, comme nous allons le voir. En effet, mettre
une icône « Play » aurait nécessité une certaine
action du lecteur pour découvrir The Honey Dress et aurait
gâché tout ce que voulait faire Jean-Philippe Toussaint.
B. La présence d'une vidéo -
expérience de lecture différente ?
L'originalité de Made in China, comme nous
l'avons déjà vu, repose en grande partie sur le film The
Honey Dress qui réside au coeur même de l'ouvrage, à
la condition de
194 Etienne Froment, « Voici le nouveau logo de Youtube
», Le Soir.be, mis [en ligne] le 30 août 2017,
consulté [en ligne] le 20 avril 2018,
http://geeko.lesoir.be/2017/08/30/voici-le-nouveau-logo-de-youtube/
86
découvrir ce livre à l'aide d'un support
numérique comme l'ordinateur avec Readium ou bien encore une tablette
iPad. En fait, Jean-Philippe Toussaint crée une vraie surprise pour le
lecteur à la fin du récit. Au lieu de décrire l'histoire
de The Honey Dress sous forme de texte, surgit du livre de la musique,
puis après le film que le lecteur est amené à
découvrir. Le livre passe donc du texte à une oeuvre
filmographique plongeant le lecteur dans une autre oeuvre tout en
s'intégrant naturellement dans la continuité du récit de
Made in China, puisque le livre et le film cultivent
intrinsèquement la fibre esthétique propre à Jean-Philippe
Toussaint. L'auteur arrive donc à associer des univers en apparence bien
différents pour rendre la version numérique de Made in China
insolite dans le paysage littéraire actuel, destiné au grand
public. Cela nous amène donc à nous interroger, si la
présence de la vidéo affecte l'expérience de lecture.
a) L'effet de surprise
Lors de la lecture pour la première fois de Made in
China sur Readium ou sur iPad, le lecteur est pris par surprise quand il
arrive aux deux dernières pages du livre. En effet, alors qu'il lit
à la page 187 « Elle pourrait donc très bien partir de cet
endroit, la musique-- » (p. 187), il entend la musique du film qui se
déclenche automatiquement ce qui est exceptionnel dans un livre
numérique, même si les vidéos sont très
présentes sur Internet. En fait, si nous nous basons dans un contexte
numérique, surtout sur Internet, le trafic vidéo
représente 75 % des données qui y circulent195,
quoiqu'elles se font plus rares dans les livres numériques. Leur
rôle peut être aussi bien de divertir ou d'informer l'utilisateur.
Si nous nous appuyons sur la bonne pratique concernant l'emploi des
vidéos dans le contexte numérique, il y a quelques règles
de base à respecter. D'après Amy Schade196, le
principe est de toujours laisser les utilisateurs contrôler le contenu,
car ils n'aiment pas être surpris par une vidéo ou un audio qui se
met en marche sans leur consentement. De plus, il est toujours conseillé
de former les liens d'une telle façon qu'ils indiquent le type de
contenu auquel ils mènent. En règle générale, les
utilisateurs devraient également
195 Cisco, The Zettabyte Era: Trends and Analysis, White
Paper, juin 2017, consulté [en ligne] le 3 mars 2018,
https://www.cisco.com/c/en/us/solutions/collateral/service-provider/visual-networking-index-vni/vni-hyperconnectivity-wp.pdf
196 Amy Schade, « Video Usability », Nielsen
Norman Group, mis [en ligne] le 16 novembre 2014, consulté [en
ligne] le 12 avril 2018,
https://www.nngroup.com/articles/video-usability/
87
pouvoir choisir de quel type de contenu ils veulent voir ou
écouter. Amy Schade rappelle que dans le cas d'une vidéo qui se
met en marche automatiquement, beaucoup d'utilisateurs ont tendance à
l'arrêter (pause) ou la mettre en mode silencieux. De plus,
l'administrateur d'un site Internet devrait aussi veiller que dans le cas
où la vidéo se trouve sur un site hébergé par une
tierce partie par exemple sur YouTube, on ne propose pas aux utilisateurs des
contenus inappropriés. Tout cela étant dit, il faut constater que
ces règles ne s'appliquent pas à une oeuvre d'art, comme un
roman, mais c'est justement l'infraction de ces pratiques qui renforce l'effet
de surprise de la vidéo dans Made in China.
De plus, le stratagème employé par Toussaint
pour créer cet effet est à souligner, car il n'a pas recours
à un hypermédia que l'on peut voir. En effet, ce lien, que l'on
nomme « AutoPlay », n'est pas visible et n'apparaît pas
à l'écran. En fait, c'est le lecteur qui le déclenche sans
le savoir puisqu'il ne s'attend pas à voir ni à entendre quoi que
ce soit à la fin de Made in China. De ce fait, l'auteur est
toujours maître de sa propre oeuvre puisqu'il dirige le lecteur dans le
sens où il veut que ce dernier aille. De cette manière, ce lien
ne donne donc pas de choix au lecteur de continuer à naviguer sur
Internet après le visionnage du film, car d'autres liens n'existent pas.
Dans un premier temps, le lecteur voit donc le générique du
début du film associé à de la musique. Durant plusieurs
secondes, alors qu'il continue de lire les dernières phrases du
récit décrivant la voix féminine de la musique (p. 187),
le lecteur l'entend lui-même et la découvre donc à la fois
en lisant et l'écoutant dans le même temps. Cette musique est donc
tout d'abord, une sorte de transition entre le texte et le film que le lecteur
voit quelques instants plus tard. Cette intermède dure 16 secondes
pendant laquelle cette voix féminine se fait entendre d'une
manière tout à fait répétitive pour mieux
préparer le lecteur à ce qu'il verra. D'ailleurs, dans ce laps de
temps, celui-ci passe de lecteur à spectateur. Il est
particulièrement intéressant de voir les deux dernières
pages à l'écran en mode « auto » sous Readium, car
c'est la mise en page voulue par Toussaint. Nous voyons dans la figure 22 que
le dernier paragraphe du livre est à gauche de l'écran tandis
qu'à sa droite apparait le film The Honey Dress. Cela marque
donc une continuité entre ces deux oeuvres puisqu'elles figurent
côte à côte.
88
Figure 22. Capture d'écran de la fin de Made
in China sous Readium.
Durant ces 16 premières secondes de la vidéo, le
lecteur est incité à porter son regard à la droite de
l'écran où il voit défiler le titre du film en lettres
blanches sur un fond noir en chinois et en anglais, ensuite « a film by
Jean-Philippe Toussaint » et « produced by Chen Tong ». Cette
transition marque donc le passage entre le récit textuel et le film.
Jean-Philippe Toussaint passe donc d'un statut d'écrivain à celui
de réalisateur, qui est aussi un véritable plasticien comme nous
allons le voir.
b) L'interdiscursivité du récit avec le film
The Honey Dress apparaît sous les yeux du
lecteur, ce qui entraîne chez lui une nouvelle expérience. Il peut
donc voir que ce qu'a écrit Toussaint dans Made in China existe
réellement dans ce film. En fait, il s'agit d'une
interdiscursivité par rapport au récit, car la vidéo
montre au lecteur certains événements mais aussi des personnages
qu'il n'avait pu auparavant que s'imager. Cela contribue à donner au
film The Honey Dress la fonction de renforcer l'effet réel du
récit ou de l'infirmer. D'ailleurs, selon Jacques Aumont, l'image
photographique, donc par voie de conséquence aussi le cinéma,
est
89
ontologiquement objective, à cause de l'automatisme de
l'indicialité qu'elle produit, elle induit ce bénéfice
psychologique appréciable d'être absolument
crédible.197
Dans certaines scènes du film, Toussaint recourt
à un procédé qui ressemble à une sorte de mise en
abyme, car le film reproduit certains passages du récit sans les
modifier.198 À titre d'exemple, les premières images
du film montrent qu'il a été tourné de nuit dans une salle
où l'on distingue la ville de Canton et rappelle pour le lecteur ce
passage figurant dans le texte puisque c'est exactement la même ambiance
qui se dégage du film :
« Je continuais de regarder la ville derrière la
baie vitrée, voyant se composer et se décomposer de gigantesques
enseignes lumineuses multicolores [...] qui semblaient s'effondrer sur
elles-mêmes, avant de se reconstruire, par étapes, les couleurs,
rouge, jaune, orange, rose, violet s'étageant, grimpant le long des
bâtiments, pour former à nouveau des dessins stylisés et
des idéogrammes dans la nuit » (pp. 92-93).
De plus, il y a trois personnages : un homme et deux femmes
dont l'une est placée au centre de la pièce. En fait, nous
comprenons de suite qu'il s'agit du mannequin, car elle répond
parfaitement à la description qu'il fait d'elle dans le livre : «
C'était une jeune femme blonde et élancée » (page
320). On la voit dans le film avec un chignon ce qui est aussi décrit
dans le récit, cela est donc une preuve, dans ce cas, que le film est le
reflet du récit, car dans le livre, Toussaint demande à l'actrice
son avis sur la coiffure a adopté lors du film :
« Je me dis que je pourrais la mettre à
contribution pour la coiffure, et je lui demandai ce qu'elle pensait de, je ne
sais pas -- je levai la tête un instant vers le plafond pour
réfléchir -- un chignon ---- » (page 321).
197 Jacques Aumont, « La puissance mimétique
réalisme et vérité », dans De l'esthétique
au présent, « Arts & Cinéma », De Boeck
Supérieur, Louvain-la-Neuve, 1998, pp. 107-128, consulté [en
ligne] le 2 janvier 2018,
https://www.cairn.info/de-l-esthetique-au-present--9782804128012-page-107.htm
198 Deborah Walker-Morrison, Le style
cinématographique d'Alain Resnais, de Hiroshima mon amour (1959) aux
Herbes folles (2009) : The film style of Alain Resnais, Hiroshima mon amour
(1959) to Wild grass (2009), Lewiston: Edwin Mellen Press, 2012, pp.
92-95.
90
Toussaint veut donc montrer la réalité qu'il a
décrit avec beaucoup de précision dans Made in China.
D'ailleurs, c'est ce qui se passe au début du film, car durant de
longues minutes, la caméra, donc l'oeil de Toussaint, scrute à la
fois la scène du film mais aussi en arrière-plan les
lumières de la ville dans la nuit. Lors de la lecture du livre, il y a
un passage où Jean-Philippe Toussaint décrit comment il voulait
que soit la première image du film :
« Juste après le générique, on
découvrirait en plan large l'actrice nue dans le décor, les bras
levés, une maquilleuse à ses côtés, qui serait en
train de lui poudrer le corps » (p. 404).
Pourtant, la première image de The Honey Dress
ne correspond pas tout à fait à cette description. En effet,
l'actrice n'a pas les bras levés mais le bras droit le long du corps
tandis que le gauche est poudré par la maquilleuse, ce détail a
son importance, car cela montre que The Honey Dress n'est pas
nécessairement le reflet exact des intentions évoquées par
l'auteur dans son livre. Nous constatons aussi que la caméra est fixe
durant un peu moins d'une minute pour, en un instant, montrer l'actrice en plan
rapproché jusqu'à l'épaule. En fait, le spectateur voit
donc pour la première fois le visage de près d'une personne qui
n'existait que dans son imaginaire. Toussaint par cette technique donne une
dimension qui ne relève plus d'un simple témoignage sur
l'apparence réelle de cette personne, il lui confère aussi, comme
sur l'ensemble du film, une esthétique différente qui a rapport
avec notre psychologie dont Toussaint n'a pas réellement d'emprise car
le lecteur éprouve par nature les sentiments qu'il veut. En effet, selon
Jacques Aumont la conception dominante du XXème siècle
concernant l'art, c'est sa capacité d'avoir suscité des
sentiments de tout ordre en nous. Cette vérité a donc une
dimension où l'art parle véridiquement de nous-mêmes
à l'aide des sentiments, des émotions, des goûts et des
plaisirs.199 De plus, comme le révèle Toussaint, il
montre que l'équipe, qui prépare le mannequin avec la structure
lumineuse et le miel, est vêtue de blouse blanche, car il veut infuser
une certaine esthétique très épurée. D'ailleurs,
ceux qui font partie de cette équipe n'appliquent pas le miel à
mains nues sur le corps de l'actrice. En fait, ils utilisent des pinceaux,
peignant donc d'une manière à la fois bien réelle et
199 Jacques Aumont, « La puissance
mimétique réalisme et vérité », dans De
l'esthétique au présent, « Arts & Cinéma
», De Boeck Supérieur, Louvain-la-Neuve, 1998, pp. 107-128,
consulté [en ligne] le 2 janvier 2018,
https://www.cairn.info/de-l-esthetique-au-present--9782804128012-page-107.htm
91
métaphorique la robe à même la peau. De
plus, pour provoquer chez le spectateur un rapprochement quasi-physique avec le
mannequin, la caméra tourne autour de cette femme qui passe en quelques
minutes d'un être presque entièrement nue à une
véritable oeuvre d'art. En fait, cette scène dégage une
certaine distance, car le visage de l'actrice est parfaitement stoïque,
comme si nous étions devant une statue grecque. Il s'y dégage une
atmosphère intemporelle au beau milieu d'une grande ville chinoise
d'aujourd'hui.
Il y a aussi un élément particulièrement
important que nous pouvons voir dans le film de Jean-Philippe Toussaint qu'il a
omis de nous informer dans le récit de Made in China. Il nous y
indique simplement qu'il a distribué les derniers rôles pour son
film sans plus de précision. En fait, lors de la projection de The
Honey Dress, le lecteur ne peut pas savoir que l'un de ces acteurs occupe
une place primordiale dans Made in China, s'il ne l'a jamais vu
auparavant. En effet, l'un des acteurs vêtu d'une blouse blanche, qui
prépare durant de longues minutes le miel, n'est autre que Chen Tong
lui-même. Il s'agit d'un procédé métaleptique
couramment utilisé dans les films selon lequel une personne bien
réelle apparaît dans un monde fictionnel ou incarne son propre
rôle comme Julia Roberts qui joue le rôle de Julia Roberts dans le
film The Player (1991) de Robert Altmann.200 Cet «
oubli » de Jean-Philippe Toussaint, qui n'en n'est sans doute pas vraiment
un, montre toute la finesse de cet auteur, qui en s'attachant à mettre
dans sa création filmographique une personne qui compte tant dans son
livre, fait que ceci renforce plus encore les liens qui unissent le
récit de Made in China et son oeuvre filmographique. Sans le
savoir, le lecteur est donc amené à découvrir, même
inconsciemment, Chen Tong, tel qu'il est dans la vie réelle. Bien
sûr, Jean-Philippe Toussaint l'a décrit dans son livre, notamment
quand il parle de son apparence physique, lorsque l'auteur arrive en Chine et
que Chen Tong l'accueille à l'aéroport :
« Il se tenait immobile, les mains derrière le
dos, le regard attentif, il se dégageait de sa personnalité un
sentiment d'assurance et de calme. [...] son visage était resté
impassible, grave, placide » (p. 9).
200 Gérard Genette, Figures III, «
Poétique », Édition du Seuil, Paris, 1972, pp. 71-80.
92
En fait, c'est tout à fait la même impression que
Chen Tong donne dans le film : il semble particulièrement
appliqué et se montre très concentré sur ce qu'il fait.
D'ailleurs, lorsque nous le regardons attentivement, sa personne dégage
une grande sérénité comme s'il était un vrai
scientifique. De plus, Jean-Philippe Toussaint ne fait pas de Chen Tong un
personnage principal à première vue dans le film, puisque ce
dernier est filmé de côté, comme si l'auteur avait voulu le
laisser, d'une certaine manière à sa place, c'est-à-dire
une personne qui n'est jamais au-devant de la scène mais dont le
rôle est très important dans la création artistique. Si le
lecteur a lu par exemple l'un des articles sur la promotion de Made in
China, comme celui d'Isabelle Dominati-Muller201, il a vu une
photographie avec plusieurs personnes asiatiques sans pour autant savoir qui
ils sont, puisque dans cet article, il n'y a aucune légende par rapport
à ce cliché. Pourtant, au beau milieu de cette photographie, il y
a bel et bien Chen Tong. En effet, lorsque nous y regardons de plus
près, c'est la même personne qui est, comme nous l'avons
déjà souligné avec la figure 5, dans le journal de
Made in China que Jean-Philippe Toussaint a publié dans Twitter
et Facebook. Lors du visionnage de The Honey Dress, le lecteur qui est
devenu spectateur est confronté donc à une
révélation puisqu'il se rend compte qu'il a sous les yeux un des
personnages phares du roman de Toussaint. Chen Tong, qui n'est fait que de mots
dans le récit de Made in China, prend donc une dimension
réelle dans l'esprit du lecteur. De ce fait, le lecteur a l'occasion
d'observer une personne qui était jusqu'alors un être en partie
imaginaire. Voici la figure 23 montrant Chen Tong de trois manières
différentes :
201 Isabelle Dominati-Muller, « Made in China
», In Corsica, numéro 29, octobre 2017, consulté
[en ligne] le 2 janvier 2018,
http://www.jptoussaint.com/documents/8/81/In_Corsica_Toussaint_.pdf
93
Figure 23. De gauche à droite, une image
artistique de Chen Tong provenant du journal de Made in China
publié sur Twitter et Facebook, suivie de la photographie de
l'article d'Isabelle Dominati-Muller du Magazine mensuel In Corsica et une
capture d'écran où l'on voit Chen Tong, tel qu'il apparaît
dans le film.
De cette manière, il a créé deux oeuvres
qui sont similaires, non pas du point de vue du format, mais de
l'esthétique, de cette atmosphère commune qui se dégage
à la lecture de Made in China et lorsque l'on regarde The
Honey Dress. On y distingue donc l'approche de Toussaint qui se veut
infinitésimal, comme il l'affirme dans un entretien de 2007
réalisé par Laurent Demoulin202 : l'art du
détail pour mieux révéler une narration commune entre le
livre et le film. L'intertextualité entre deux oeuvres en soi n'est pas
exceptionnelle, car nous trouvons beaucoup de
métaréférences dans des films et mêmes des oeuvres
entières qui ont été adaptées au cinéma. Ce
qui est pourtant exceptionnel dans Made in China, c'est que les deux
oeuvres forment un tout, il est donc particulièrement facile de les
comparer.
c) The Honey Dress - une oeuvre qui prolonge le
récit
L'intrusion du cinéma est donc flagrante dans Made
in China, comme nous l'avons déjà signalé. Cela est
l'occasion pour Toussaint de montrer une certaine égalité entre
son
202 Laurent Demoulin, « Pour un roman
infinitésimaliste », Entretien réalisé à
Bruxelles, le 13 mars 2007, consulté [en ligne] le 18 décembre
2017,
http://www.jptoussaint.com/documents/e/ec/Entretien_sur_L'Appareil-photo_(2007).pdf
94
travail d'écrivain et de réalisateur de film.
D'ailleurs, Toussaint exprime son avis dans un entretien en 2002 avec
Jean-Louis Tallon203 en disant que ses films sont en marge du
cinéma francophone. Il déplore que son travail de cinéaste
ne soit pas aussi reconnu que celui d'écrivain. Dans un autre entretien
en 2005 réalisé par Alain (Georges) Leduc 204, Toussaint dit
qu'il est plus intéressé dans le domaine de la photographie par
le numérique que l'argentique, il est donc, par conséquent, plus
attiré par la couleur. En fait, la dernière phrase de Made in
China se termine par une transition qui s'apparente aussi à une
conclusion, comme nous l'avons déjà vu. Pourtant, nous constatons
que cet ensemble forme un tout, une oeuvre donc à la fois
littéraire et cinématographique. Tout d'abord, il est à
noter que Toussaint affirme dans Made in China que la création
d'un film en studio ou d'un livre est similaire : « Il s'agit de nouveau
de tout créer à partir de rien, les quatre murs vides du studio
sont la page blanche qui nous attend » (p. 178). Nous nous apercevons donc
que l'auteur conçoit de la même manière le processus de
création d'une oeuvre littéraire et celui d'un film. Il ajoute
que filmer en Chine est unique puisqu'il est possible que l'effervescence du
monde extérieur s'invite en plein tournage. D'ailleurs, cela rejoint
l'analyse de Gianfranco Rubino, concernant Jean-Philippe Toussaint et le
cinéma, en affirmant que son cinéma relève de la
même technique et de la même vision du monde qui
caractérisent ses romans.205
À partir du moment où Toussaint décrit la
scène où Chen Tong lit le scénario de The Honey
Dress dans son livre (p. 91) jusqu'à ce qu'il évoque le
moment où l'actrice est dans les coulisses, concentrée juste
avant que le tournage commence (pp. 184-185), il y a diverses situations qui
montrent le processus de création et la mise en place avant le tournage
du film. En fait, le film commence alors que le mannequin et toute une
équipe sont en plein préparatif avant le défilé.
Toussaint y montre trois étapes primordiales, c'est-à-dire les
préparatifs du mannequin, l'application du miel sur son corps, et pour
finir, le
203 Jean-Louis Tallon, « Entretien avec Jean-Philippe
Toussaint », HorsPress Webzine culturel, Bruxelles, 2002,
consulté [en ligne] le 2 janvier 2018,
http://erato.pagesperso-orange.fr/horspress/toussaint.htm
204 Alain (Georges) Leduc, « Entretien avec Jean-Philippe
Toussaint », Midi-Pyrénées patrimoine, n° 5,
Toulouse, 2005, pp. 10-13, consulté [en ligne] le 2 novembre 2017,
http://www.fabula.org/actualites/entretien-avec-jean-philippe-toussaint
13425.php
205 Gianfranco RUBINO, « Le cinéma de Toussaint
», Roman, n° 42, 2006, pp. 161-169, DOI
10.3917/r2050.042.016
95
défilé à proprement dit. Le
défilé commence avec le mannequin qui porte la robe de miel
brillante de toute part dans le noir. En fait, au moment où le mannequin
commence à se placer, l'on entend brièvement une voix
féminine qui parle en chinois. C'est, d'ailleurs, une des seules
scènes où l'on peut distinguer des voix, puisque le reste du
temps, il n'y a que des bruits et de la musique par intermittence. En fait,
pour revenir à cette première voix, nous comprenons
instinctivement que cette femme vient juste de prévenir le public que le
défilé commencera. Ensuite, un apiculteur se dirige vers elle
avec en gros plan des centaines d'abeilles faisant énormément de
bruit. L'apiculteur disparaît du champ de la caméra, tandis que le
mannequin continue à marcher dans un long couloir obscur pour
déboucher sur une salle où apparaît un public enthousiaste.
Pourtant, dès que l'actrice commence à se retourner sur
elle-même tout en continuant de marcher sur le même chemin, un
drame se produit. En effet, elle tombe à terre brusquement et deux
vigiles surgissent sans que l'on sache ce qu'elle a. En fait, dès que
ces deux hommes retirent leurs chapeaux pour l'aider et que l'on voit sur le
corps de l'actrice des abeilles, on comprend que celles-ci sont en train de
l'attaquer. Le côté dramatique de la scène est
amplifié par une musique qui se mélange avec le bruit du public
et des abeilles, avec une caméra qui redevient mouvante et rend cet
instant plus chaotique encore.
Tout à coup, un homme en tenu d'apiculteur arrive
à la rescousse s'aidant d'un enfumoir. Malgré cela, nous voyons
ces trois hommes qui se démènent autour du mannequin qui ne bouge
presque plus et les abeilles qui se font toujours entendre. À partir des
toutes dernières secondes du film, ce son disparaît et on n'entend
plus que celui de l'enfumoir pour de nouveau distinguer la musique de The
Honey Dress. Au même instant, l'image se fait de plus en plus floue
à cause de la fumée, c'est de cette manière que se termine
le film avec le générique de fin qui apparaît. D'ailleurs,
celui qui est à la fois lecteur et spectateur avec l'oeuvre
numérique de Made in China, peut y lire le nom bel et bien
réel de l'actrice, Olga Leelo et mettre par la même un nom sur ce
personnage que Toussaint parle dans son livre sans jamais la nommer, comme s'il
voulait que cette personne relève d'une sorte de mannequin universel. En
cela, son film donne une information prépondérante pour le
lecteur puisqu'il sait maintenant que cette personne vient d'Ukraine ou tout du
moins qu'elle est originaire d'un pays slave compte tenu de son physique et de
son nom. Il ne peut donc plus s'imaginer que celle-ci aurait tel ou tel nom
selon sa fantaisie, c'est en cela que The Honey Dress a valeur de
vérité.
96
The Honey Dress a été
réalisé par Jean-Philippe Toussaint à Canton en 2015,
comme nous le signale Sylvie Bourmeau dans un de ses article206. De
plus, nous y apprenons que pour Toussaint dès l'instant où le mot
« tournage » a retenti, les choses se sont mis en place dans son
esprit bien qu'il a fallu auparavant beaucoup de préparations. En fait,
nous pouvons voir que son film respecte un scénario très bien
établi, car il y a un début avec les préparatifs du
mannequin, suivi d'un milieu, c'est-à-dire le défilé, un
moment de gloire qui bascule dans un final particulièrement dramatique
avec l'attaque des abeilles. Ce fantasme de Toussaint, afin de créer
réellement une robe en miel ne s'est donc pas limité à
celle-ci, il l'a parfaitement scénarisé. Bien sûr, il
laisse en apparence le hasard surgir comme lorsque le bruit de la ville se fait
entendre, mais il contrôle en fait complètement son oeuvre
jusqu'à sa fin où le spectateur est de nouveau comme dans le
livre confronté à lui-même. En effet, Toussaint ne montre
pas ce qu'est devenu le mannequin : est-elle morte ou en vie ?, que deviennent
les abeilles ? En fait, Toussaint laisse une fin tout à fait ouverte
où le film se fait opaque sur une fumée de plus en plus
présente comme métaphoriquement les blancs que Toussaint laisse
dans Made in China qui sont des espaces où l'imaginaire du
lecteur est libre. De plus, il y a une grande différence lorsque nous
analysons ce film avec le livre, car dans l'oeuvre cinématographique, le
spectateur semble voir sous ses yeux une histoire qui se déroule dans
l'instant de son visionnage, alors qu'en fait, le film a été
créé en 2015, deux ans avant la publication de Made in China
au format livre et numérique. C'est encore l'un des nombreux
paradoxes de Toussaint d'être arrivé à former Made in
China au format numérique, tout d'abord avec un texte qui n'a vu le
jour pour le grand public que l'année dernière, alors qu'il met
à la fin de ce récit un film qui est le prolongement du livre
tandis même que celui-ci est plus ancien dans sa réalisation.
C. Vers de nouvelles formes littéraires ?
Jean-Philippe Toussaint est un auteur qui se revendique comme
un écrivain voulant apporter sa propre réflexion sur la
littérature. Made in China en est le parfait exemple,
206 Sylvie Bourmeau, « La Robe de Marie »,
Grazia, publié le 24 juillet 2015, consulté [en ligne]
le 3 janvier 2018,
http://www.jptoussaint.com/documents/9/9e/GRAZIA.pdf
97
puisque nous y trouvons une oeuvre difficilement classable.
Dans un cadre purement littéraire, l'auteur arrive à
mélanger réalité et fiction avec une grande
cohérence. C'est en cela que ce livre est dans la même
lignée que les Nouveaux romanciers. Pourtant, Toussaint parvient
à créer une oeuvre qui ne se limite pas au seul champ
littéraire. Il y montre aussi une certaine évolution entre la
littérature et le numérique qui rend donc possible de faire un
objet littéraire insolite.
a) Made in China repose sur la conception «
classique » du livre papier
Jean-Philippe Toussaint continue avec Made in China
sa carrière littéraire, de par son style, dans la même
veine que ses précédents livres. En effet, selon Éric
Allard207, depuis la Salle de Bain (1985), Toussaint a su
créer une tonalité unique dans le paysage de la
littérature francophone, notamment dans la manière d'arriver
à faire que le lecteur s'identifie au narrateur. Sa façon de
laisser paraître une certaine part de hasard et de porter une grande
attention jusqu'aux plus petits détails, une vision presque clinique,
contribuent à construire tout un univers propre à Toussaint. De
plus, le caractère hybride de son texte renforce cette idée de
singularité, car Made in China est à la fois un roman,
un essai mais aussi un journal. Pourtant, il n'est pas étonnant que la
version numérique de Made in China, mis à part la
dernière page, est une copie à l'identique de sa version papier.
Selon Nolwenn Tréhondart208, la plupart des livres
numériques en 2014 étaient en fait des livres «
homothétiques », c'est-à-dire des copies conformes à
leurs alter-égos nommés « codex ». En fait, si nous
regardons la politique de fabrication de la majorité des
éditeurs, nous constatons qu'ils sont particulièrement frileux
sur le sujet, préférant ne rien remettre en cause, afin de ne pas
prendre le risque de perdre leurs identités. Pourtant, cela a une
207 Éric Allard, « Made in China de Jean-Philippe
Toussaint », Blog littéraire d'Éric Allard,
publié [en ligne] le 4 février 2018, consulté [en ligne]
le 2 avril 2018,
http://lesbellesphrases.skynetblogs.be/archive/2018/02/04/made-in-china-de-jean-philippe-toussaint-8801195.html
208 Nolwenn Tréhondart, « Le livre
numérique « augmenté » au regard du livre
imprimé : positions d'acteurs et modélisations de pratiques
», Les Enjeux de l'information et de la communication, 2014/2
(n° 15/2), p. 23, consulté [en ligne] le 2 décembre 2017.
https://www.cairn.info/revue-les-enjeux-de-l-information-et-de-la-communication-2014-2-page-23.htm
98
incidence certaine par rapport aux livres numériques.
Dès 2000, Jean Clément209 donnait un avis
particulièrement tranché par rapport au livre
homothétique. D'après lui, en voulant mimer le livre, un livre
numérique qui dans son ensemble est détaché du
réseau, n'offre en définitive que peu d'avantages par rapport au
livre traditionnel, il le dégrade même. En fait, cela montre que
le livre numérique est, la plupart du temps, considéré
comme une simple version digitale d'un livre sous format codex, comme le
suggérait Loan Reitz210 en 2004. D'ailleurs, un travail de
recherche important pour comprendre cette phase de tiraillement entre
l'héritage du codex et la recherche de nouvelles formes
sémiotiques a été publié en 2008 par Magda
Vassiliou et Jennifer Rowley211. En fait, elles ont
élaboré une taxonomie des termes et des concepts clés les
plus couramment employés pour définir l'e-book. Sur un corpus de
37 définitions, elles montrent que l'analogie avec le livre
imprimé revient régulièrement avec 31 mentions. Il est
à noter que cette vision du livre numérique semble être
toujours la dominante en 2018, puisqu'un acteur important de l'édition
littéraire en France a fait sensation lors d'une de ses
déclarations dans les médias. En effet, selon Arnaud
Nourry212, le président directeur général de la
maison d'édition Hachette Livres, qui regroupe 150 filiales de par le
monde avec plus de 17 000 titres et qui est parmi les cinq plus grands acteurs
anglophones et domine le marché francophone, l'e-book est un produit
complètement stupide. En effet, il a constaté que l'e-book n'est
que l'impression numérique d'un livre, n'ayant aucune valeur
ajoutée par rapport au codex. Cette déclaration est
particulièrement révélatrice de notre époque, car
pour l'un des hommes les plus influents dans le monde de l'édition, le
livre numérique représente, pour l'instant, un échec dans
la mesure où les acteurs du secteur se contentent de l'utiliser comme
une simple copie du livre traditionnel. À cet égard, le
récit de Made
209 Jean Clément, « Le ebook est-il le futur du livre
? », Les savoirs déroutés, Lyon, janvier 2000,
coédité par l'association Doc Forum et les Presses de l'Enssib,
p. 17, consulté [en ligne] le 2 avril 2018,
http://www2.cndp.fr/archivage/valid/14336/14336-2425-2553.pdf
210 Loan Reitz, Dictionary for Library and Information
Science, Westport CT : Libraries Unlimited, 2004, consulté [en
ligne] le 12 février 2018,
http://www.abc-clio.com/ODLIS/odlis
e.aspx#electronicbook
211 Magda Vassiliou & Jennifer Rowley, « Progressing
the Definition of E-Book », Library Hi Tech, vol. 26, n° 3,
2008, pp. 355-368.
212 Raphaël Dahl, « Selon Arnaud Nourry, PDG
d'Hachette, « l'ebook est un produit stupide » », Lettres
numériques, publié [en ligne] le 2 mars 2018,
consulté [en ligne] le 17 mars 2018,
http://www.lettresnumeriques.be/2018/03/02/selon-arnaud-nourry-pdg-dhachette-lebook-est-un-produit-stupide/
99
in China en version numérique n'a rien de
révolutionnaire allant de sa page de garde jusqu'à son avant
dernière page.
Bien sûr, les Éditions de Minuit ne sont pas
seules responsables d'avoir produit une simple copie numérisée du
récit de Made in China, Jean-Philippe Toussaint l'a aussi
voulu. En effet, il affirme, à l'aide d'une anecdote que lui aurait
raconté Chen Tong lors d'un entretien dans Le
Soir213 avec Giovanna di Rosario, chercheuse sur la
littérature et la rhétorique numérique, que les arts
plastiques changent très rapidement de forme, de matière, de
taille et de couleur, tandis que dans l'évolution de la
littérature, les changements possibles sont beaucoup plus
limités. Il ajoute qu'il est très curieux de nature, sans pour
autant agir dans la précipitation. Il ne faut pas oublier que
Jean-Philippe Toussaint se définit comme un écrivain de recherche
qui ne s'inscrit pas dans une rupture profonde par rapport à ses
prédécesseurs des Éditions de Minuit, comme Alain
Robbe-Grillet pour n'en citer qu'un. D'ailleurs, pour Toussaint sa
démarche se situe toujours dans le cadre littéraire. De plus, il
souligne qu'à l'origine, il avait voulu mettre une image, celle du
mannequin, avec l'icône au centre, à la fin de la version papier
de Made in China. Pourtant, après réflexion, il ne
laissa que l'icône, car selon lui, le fait d'y mettre cette photo aurait
fait sortir son livre du champ purement littéraire. À son avis,
la grande force de la littérature réside dans le fait que le
lecteur est contraint de se créer une image mentale lors de la
découverte d'un texte. En fait, pour mieux comprendre la situation
actuelle du livre numérique, il faut s'interroger sur les attentes et
les désirs des écrivains. Jean-Philippe Toussaint donne son avis
sur la question, en faisant remarquer que les éditeurs reconnus et les
écrivains de la rentrée littéraire en 2017, sont
très peu curieux par rapport au numérique. Il ajoute qu'il est
tout à fait symptomatique que les deux prix Nobel français de
littérature, Le Clézio et Modiano, ne s'intéressent pas du
tout à cet aspect, en précisant que la tendance dominante est
encore, pour longtemps, le livre papier.214
213 Jean-Claude Vantroyen, « La Littérature
numérique doit créer de nouvelles formes », Le
Soir, Bruxelles, publié le 31 octobre et 1er novembre 2017,
consulté [en ligne] le 30 janvier 2018,
https://cdn.uclouvain.be/groups/cms-editors-arec/actus-internes/LeSoir_LectureNumerique02.pdf
https://cdn.uclouvain.be/groups/cms-editors-arec/actus-internes/LeSoir
LectureNumerique01.pdf
214 Ibid.
100
b) Une oeuvre hybride
La version numérique de Made in China se
distingue par rapport à l'ensemble du catalogue disponible en ligne des
Éditions de Minuit. En effet, nous pouvons constater que sur leur site
Internet, les versions numériques disponibles sont des livres
homothétiques, à une seule exception, celle de Made in
China. Selon Emmanuel Barthélemy, responsable du numérique
dans cette maison d'édition, la décision de publier des livres
numériques remonte à 2010 comme chez la plupart des
éditeurs en générale. Les Éditions de Minuit
publient les premiers titres en version numérique à partir des
nouveautés de septembre 2011. Dès lors, tous leurs nouveaux
livres paraissent à la fois en version papier et numérique,
à l'exception de deux ou trois titres en sciences humaines pour des
raisons de droits sur des éléments se trouvant dans ces ouvrages
(voir annexe 7). D'ailleurs, cette maison d'édition s'efforce
aujourd'hui encore de numériser les titres qui ne le sont toujours pas.
Nous pouvons donc constater que cette volonté d'avoir des oeuvres
numériques que le lecteur peut acheter en ligne s'inscrit dans une
évolution générale des maisons d'éditions
littéraires reconnues.
En fait, la genèse, comme nous l'avons
déjà indiqué, de mettre de la musique dans un livre qui a
conduit à insérer carrément un film, revient
entièrement à Jean-Philippe Toussaint. D'ailleurs,
Toussaint215 explique que la dernière page de Made in
China a été, pour lui, un long cheminement. Il ne faut pas
oublier aussi qu'à partir du moment où il a pris cette
décision, Toussaint a dû composer avec des impératifs
techniques dont il ne maîtrisait pas tous les tenants et aboutissants. De
ce fait, il s'en est remis à des spécialistes du numérique
qui ont été confrontés à des problèmes
inattendus. De plus, Toussaint216 rappelle que la difficulté
majeure dans la conception d'un livre numérique, c'est-à-dire un
livre avec une réelle ampleur littéraire associé à
des films et de la musique, est qu'il nécessite un certain budget, car
sa production est tout à fait similaire au cinéma.
215 Ibid.
216 Ibid.
101
Il faut aussi voir Jean-Philippe Toussaint dans toute sa
dimension artistique afin de mieux appréhender Made in China.
En effet, le côté hybride de cette oeuvre, comme nous l'avons
déjà vu, montre que Toussaint est bien un écrivain de
notre temps, mais aussi un artiste qui aime explorer d'autres domaines.
D'ailleurs, selon Emmanuel Molinet217, la question de l'hybride est
tout à fait centrale dans l'art contemporain par des contributions et
des approches qui englobent d'autres disciplines comme la littérature,
la musique et le cinéma expérimental. En fait, ce qui
caractérise l'oeuvre hybride est cette volonté de vouloir
décloisonner les genres en intégrant en partie des notions comme
le multimédia et le mixed média. En fait, ces nouveaux outils qui
s'ajoutent à l'aspect littéraire d'un livre apparaissent comme
des présupposés d'une nouvelle esthétique. Emmanuel
Molinet ajoute qu'à partir des années 1990, cette culture hybride
s'est faite de plus en plus présente grâce à
l'hypertechnologie et au numérique. Du point de vue artistique, de
nouvelles préoccupations s'imposent à cette époque,
induisant une approche qui se joue sur d'autres perspectives qui
relèvent du quotidien, de l'infime mais aussi de l'errance. Tout cela
rejoint parfaitement l'une des grandes forces de Jean-Philippe Toussaint,
c'est-à-dire être un écrivain en phase avec son temps. En
effet, il n'entrevoit les possibilités du numérique que par
rapport à une conception de la littérature classique mais pour
autant, il n'hésite pas à casser les codes de cette même
littérature en créant une oeuvre à la frontière de
la littérature, de la musique et du film expérimental. De plus,
Toussaint publie Made in China dans une maison d'édition
reconnue après avoir convaincu Irène Lindon. De cette
manière, il parvient aussi à prouver qu'il est un
véritable artiste d'art contemporain, tout en montrant le sérieux
mais aussi la réussite de sa démarche dans le domaine de la
littérature. De plus, nous remarquons qu'une seule vision se
dégage du récit de Made in China et du film, c'est celle
de Toussaint. Le changement du média employé donc par l'auteur,
c'est-à-dire le passage entre la forme textuelle du récit et le
prolongement de celui sous un format vidéo apporte une perspective
différente à l'histoire. Selon José Angel Carcía
Landa 218, la narration de ce qui a été
déjà narré par un autre narrateur peut s'apparenter
à un effet de style qui repose sur la technique de la
répétition. L'ajout de The
217 MOLINET Emmanuel, « La problématique de
l'hybride dans l'art actuel, une identité complexe », Le
Portique, 2013, mis [en ligne] le 1er juillet 2015,
consulté [en ligne] le 6 mai 2018,
http://journals.openedition.org/leportique/2647
218 José Angel García Landa and John Pier De
Gruyter, Theorizing Narrativity, Inc., ProQuest Ebook Central, 2011,
consulté [en ligne] le 5 janvier 2018.
https://ebookcentral-proquest-com.libproxy.helsinki.fi/lib/helsinki-ebooks/detail.action?docID=3040979
102
Honey Dress au coeur même du livre
numérique de Made in China introduit la possibilité
d'une rupture dans la narration linéaire de l'histoire de Toussaint
reposant sur les préparatifs du film et de sa projection. En principe,
il est donc tout à fait réaliste de pouvoir imaginer qu'une
personne qui achète le livre papier, puisse commencer la lecture de
Made in China en regardant en premier lieu la vidéo disponible
en ligne, ce qui donnerait tout un autre aspect au texte. En effet, le lecteur
passerait à celui d'être surpris (volonté originelle de
l'auteur) à une personne qui vérifie que ce qu'il a auparavant vu
ressort bien du récit. De plus, le visionnage de la vidéo peut
donner envie de relire quelques parties de texte ce qui donne une certaine
forme elliptique et non-linéaire au récit. Même si une
personne découvre ce livre en version numérique comme voulu par
l'auteur, le lecteur sera sans doute amené à le relire afin de
mieux encore comprendre les différentes dimensions de Made in China
et en cela de faire de ce livre, une sorte de cercle narratif où le
début du récit et la fin du film peuvent se joindre dans son
imaginaire.
c) Toussaint utilise avec parcimonie les possibilités du
numérique
Bien que Made in China soit un livre numérique
unique dans son genre, il n'en demeure pas moins que Toussaint a utilisé
une infime partie des possibilités offertes par les divers types de
livre numérique existants. En effet, leur gamme est variée, il y
a, les livres « homothétiques », de simple copie du livre
papier, dont nous avons déjà parlé mais aussi, selon
Arnaud Laborderie219 une autre catégorie de livre
numérique qui est apparue aux États-Unis en 2011 appelée
livre numérique « enrichi » ou « augmenté ».
C'est une évolution considérable dans l'univers du livre
numérique puisqu'avec ce nouveau type de format, il est
dorénavant possible d'ajouter des contenus et médias autres que
du texte. Un livre paru en 2011 fait figure de pionnier en la matière
pour le marché français de l'édition. En effet,
l'éditeur Albin Michel publie De Gaulle et les Français
libres d'Eric Branca, disponible sur tablette iPad et ordinateur, dans
lequel nous trouvons des modules vidéos qui sont des enrichissements
exceptionnels par rapport à la version papier en
219 Arnaud Laborderie, « Le livre numérique
enrichi : enjeux et pratiques de remédiatisation. », HAL,
Lille, 2015, consulté [en ligne] le 5 avril 2018,
https://hal-bnf.archives-ouvertes.fr/hal-01185820/document
103
général.220 D'ailleurs, une
définition du livre numérique enrichi, donnée par Bernard
Prost221 en 2013, correspond parfaitement à la version
numérique de Made in China. En effet, Prost définit le
livre enrichi (ou augmenté) comme étant une prolongation
naturelle du livre homothétique. Ce type de livre numérique
permet de profiter des possibilités mises à disposition par le
monde numérique et de découvrir de nouvelles voies de
création grâce à la dématérialisation, le
multimédia ainsi que l'Internet. Il ajoute que ce qui semble la ligne la
plus intuitive afin d'enrichir le livre est d'introduire un ou des contenus qui
s'additionnent ou s'ajoutent par rapport au livre papier. En fait, le
numérique permet aussi à l'auteur de ne plus se voir limiter par
un volume de pages prédéfini, il peut ainsi en mettre à sa
guise autant qu'il veut sans être contraint par des aspects techniques.
De plus, et c'est là le point primordial, l'auteur peut incorporer dans
son oeuvre des médias temporels comme la vidéo ou le son au sein
même du texte alors que dans l'univers du papier, il n'y a qu'une seule
possibilité de mettre à disposition des supports optiques comme
le CD ou le DVD ou bien encore l'indication de liens Internet à
l'intérieur du texte. C'est, d'ailleurs, l'option qu'a choisie
Jean-Philippe Toussaint pour Made in China dans sa version papier.
Nous nous rendons compte que Made in China en version
numérique n'a rien de révolutionnaire lorsque nous voyons les
possibilités offertes en ligne par des livres électroniques comme
sur les trois sites Electronic Literature Collection222, mis
à disposition gratuitement par l'association Electronic Literature
Organization. Jean-Philippe Toussaint a utilisé d'une manière
prudente et timide divers moyens, comme le recours à un
hypermédia et à un lien. En effet, il existe des auteurs qui
exploitent bien plus le numérique comme le prouvent les oeuvres
disponibles gratuitement sur les trois sites précédemment
cités. Ils sont tenus par cette association Electronic Literature
220 Éric Branca, vidéo de présentation de
De Gaulle et les Français libres, Albin Michel, 2011.
Vidéo disponible [en ligne] sur YouTube depuis le 17 juin 2011,
consultée [en ligne] le 2 juin 2018,
https://www.youtube.com/watch?v=aakelPx-ldc&NR=1
221 Bernard Prost; Le livre numérique,
Electre-Editions du Cercle de la Librairie, Paris, 2013, dans Arnaud
Laborderie. Le livre numérique enrichi : enjeux et pratiques de
remédiatisation, HAL, Lille, 2015, consulté [en
ligne] le 3 novembre 2017,
https://hal-bnf.archives-ouvertes.fr/hal-01185820/document
222 Electronic Literature Collection, Site de l'organisation
de la littérature électronique, consulté [en ligne] le 29
avril 2018, http://collection.eliterature.org/
104
Organization qui a pour but de promouvoir la
littérature numérique. En fait, elle permet de faire
découvrir aux utilisateurs d'Internet des créations
multimédias et offre notamment au lecteur la possibilité
d'être un véritable acteur actif, puisque celui-ci a le choix de
se diriger comme il l'entend dans les bibliothèques numériques
gratuites qu'il découvre. En fait, ce site réunit des oeuvres qui
révolutionnent la perception qu'a le lecteur vis-à-vis du livre
mais aussi de l'auteur. Nous y trouvons Toucher (2009) une des
créations de Serge Bouchardon223, professeur des
Universités en sciences de l'information et de la communication à
l'Université de Technologie de Compiègne, qui offre la
possibilité aux lecteurs d'accéder à cinq tableaux
(mouvoir, caresser, taper, étaler, souffler), plus un sixième
(frôler) dissimulé dans l'interface du menu, lui permettant de
vivre une expérience unique. Un autre aspect intervient aussi par
rapport à cette nouvelle pratique de la lecture du livre
numérique, disponible gratuitement en ligne, car la
propriété intellectuelle de l'oeuvre est tout à fait
remise en cause. En effet, puisque l'auteur accepte de diffuser sa
création sans aucun retour financier, le métier de
l'édition disparaît carrément de l'univers du livre.
D'ailleurs, cette lecture numérique est tellement à part dans le
paysage littéraire pour grand public que Jean-Philippe
Toussaint224 la qualifie d'expérimentale.
En fait, les éditeurs reconnus ont le plus grand mal
à concevoir des livres numériques enrichis pour grand public qui
connaissent le succès. D'ailleurs Arnaud Nourry225, le
président directeur général de la maison d'édition
Hachette Livres, considère que les éditeurs n'ont pas fait du bon
travail avec le numérique, puisqu'ils n'ont connu le succès
qu'une ou deux fois avec des livres augmentés ou enrichis pour des
centaines d'échecs. Les éditeurs doivent donc offrir
différentes expériences à leurs clients en
dépassant le modèle de l'e-book actuel. Certains projets vont
dans ce sens, comme celui d'une jeune
223 Serge Bouchardon, Kevin Carpentier et Stéphanie
Spenlé, Toucher, livre numérique, 2009. Disponible [en
ligne],
http://www.utc.fr/~bouchard/TOUCHER/
224 Jean-Claude Vantroyen, « La Littérature
numérique doit créer de nouvelles formes », Le
Soir, Bruxelles, publié le 31 octobre et 1er novembre 2017,
consulté [en ligne] le 30 janvier 2018,
https://cdn.uclouvain.be/groups/cms-editors-arec/actus-internes/LeSoir
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225 Nicolas Gary, « Arnaud Nourry : «Le livre
numérique est un produit stupide» »,
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univers du livre, publié [en ligne] le 19 février 2018,
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105
société d'édition, ACCI Entertainment
spécialisée dans le transmédia et qui a vu le jour
grâce au système de crowdfunding. Elle publie InCarnatis, Le
Retour d'Ethelior226, le tome I d'une trilogie relevant d'un
univers de science-fiction fantastique. En fait, l'originalité de ce
projet réside dans le fait que dans la version papier de ce livre, il y
a des QR codes au fil des pages. Il suffit que le lecteur les scanne à
l'aide d'une tablette ou d'un Smartphone pour accéder à des
récits audio, de la musique, des illustrations mais aussi des artefacts
à l'aide d'une application dédiée. Ce projet associe donc
le livre papier à des médias qui s'y additionnent et s'adresse
donc à un public maîtrisant parfaitement les supports
informatiques actuels. Il n'est donc pas étonnant que cette maison
d'édition soit spécialisée dans le roman de
science-fiction pour les jeunes. La littérature jeunesse
développe aussi des projets liés à la
réalité augmentée comme Christine Lumineau qui a
cofondé sa propre maison d'édition Laplikili afin de pouvoir
publier notamment Ulysse et le grimoire de l'univers (2017). Selon
Gaëlle Belda227, ce livre est tout à fait singulier car
grâce à une application téléchargeable sur tablette
ou Smartphone, le jeune lecteur se retrouve, entre autres, devant des images
qui se mettent à bouger ou voit des objets apparaître, si celui-ci
met face à l'une des pages du livre l'un de ces supports
numériques. Il est donc amené à encore plus
découvrir l'univers du livre, car tout naturellement, l'enfant pose son
doigt sur l'écran et de ce fait il participe activement à
l'aventure. Nous pouvons donc constater que Made in China ne
révolutionne pas la littérature numérique du point de vue
de la technique qui a été employée lors de sa
création pour ce format, lorsque nous le comparons à ces
exemples. En effet, le but de Jean-Philippe Toussaint n'a jamais
été d'explorer et d'utiliser les possibilités les plus
récentes du numérique, puisqu'il ne se situe pas dans des
démarches qu'il juge « expérimentales » ou
destinées à un public bien ciblé228.
226 Incarnatis, Site de la lecture augmentée,
consulté [en ligne] le 5 avril 2018,
http://incarnatis.com/le-roman-transmedia/
227 Gaëlle Belda, « Laplikili fait entrer la
réalité augmentée dans les livres pour enfants »,
Nice-Matin, publié [en ligne] le 19 avril 2017, consulté
[en ligne] le 2 mai 2018,
http://www.nicematin.com/vie-locale/laplikili-fait-entrer-la-realite-augmentee-dans-les-livres-pour-enfants-131013
228 Jean-Claude Vantroyen, « La Littérature
numérique doit créer de nouvelles formes », Le
Soir, Bruxelles, publié le 31 octobre et 1er novembre 2017,
consulté [en ligne] le 30 janvier 2018,
https://cdn.uclouvain.be/groups/cms-editors-arec/actus-internes/LeSoir_LectureNumerique01.pdf
106
Conclusion
Le livre numérique de Made in China ne marque
pas une révolution dans la conception que nous avons du livre puisque
Jean-Philippe Toussaint utilise peu les possibilités offertes par le
numérique. En effet, son livre accessible à l'aide d'un
écran à toutes les apparences d'un livre papier et l'ajout d'un
film n'ont rien de très innovant comme nous l'avons déjà
vu. Il n'en demeure pas moins que ce projet littéraire est tout à
fait exceptionnel dans le paysage littéraire actuel pour plusieurs
raisons. Jean-Philippe Toussaint est dans le monde de la littérature
francophone l'un des seuls écrivains de renom à avoir mener
à bien une telle aventure dans une maison d'édition qui se veut
être l'endroit par excellence d'une littérature prestigieuse. De
plus, son livre a été couronné de succès tant par
la presse que par le public puisqu'il s'est assez bien vendu. Made in China
marque aussi un tournant pour les Éditions de Minuit car ils ont
mis pour la première fois de leur histoire un livre en ligne qui n'est
pas une simple copie de son exemplaire papier. En effet, c'est une oeuvre
hybride à la frontière entre la littérature et le
multimédia, ce qui montre une véritable évolution de cette
maison d'édition.
Jean-Philippe Toussaint se définit comme un
écrivain de recherche qui évolue dans un cadre purement
littéraire puisque pour lui, il n'y a rien de plus important que la
littérature, même s'il lui arrive d'aller vers d'autres univers
artistiques. Nous avons vu que Made in China est une suite logique
dans la carrière de Toussaint qui est aussi passionné de
cinéma et présent sur Internet. Pourtant, dans Made in
China, il emploie la vidéo dans un but bien défini et dans
un sens purement littéraire, parmi d'autres moyens métafictifs
qui font sortir le lecteur du livre. En fait, Toussaint réussit un
véritable tour de force en créant une oeuvre qui met côte
à côte la littérature et le cinéma tout en arrivant
à former dans l'esprit du lecteur une sorte de symbiose intemporelle
entre le récit et le film. Toussaint recrée sous la forme
d'images et de son ce qu'il fait habituellement à l'aide de mots en
mettant The Honey Dress à la fin du récit de Made in
China. Pourtant, en employant cette technique, il oriente de bien des
manières l'imaginaire du lecteur puisque celui voit de ses propres yeux
des personnages qu'il s'est déjà forgé dans son esprit
lors de la lecture du livre. En effet, The Honey Dress donne
l'occasion à Jean-Philippe Toussaint de montrer son univers grâce
à l'image, en donnant l'apparence d'une certaine vérité
voulue par l'auteur.
107
Cette oeuvre regroupe bien des paradoxes, à tel point
qu'il est même quasiment impossible de la définir car c'est
à la fois un roman, un essai et un récit avec des aspects
autobiographiques. Elle interroge aussi sur la question même de la place
du hasard dans la création. De plus, Toussaint donne la vision qu'il a
de la Chine d'aujourd'hui, tout en campant certains personnages dignes de ceux
de Flaubert, en y mêlant à la fois fiction et
réalité. Pourtant, Toussaint qui d'habitude maîtrise de
bout en bout ses productions littéraires s'est retrouvé dans la
peau d'un spectateur impuissant lorsqu'il a fallu d'un point de vue technique
mettre son film dans le livre tout en ayant l'effet de surprise voulu. Il a
donc fallu qu'il compte sur d'autres personnes pour régler ce
problème. C'est sans doute pourquoi, il y a très peu
d'écrivains qui s'intéressent à cette question dans la
littérature car ils n'en maîtrisent pas toutes les dimensions.
D'ailleurs, Toussaint a utilisé le numérique, comme un simple
moyen dans le cadre d'une certaine continuité littéraire qui est
dans la lignée de celle des Nouveaux romanciers. Pourtant, il n'en
demeure pas moins qu'il a accompli une oeuvre remarquable par rapport à
sa façon singulière de voir la littérature. En effet, il a
toujours eu comme idée de vouloir être un écrivain de son
temps. C'est pourquoi en publiant Made in China, il a réussi
à montrer notre société actuelle où cohabitent
l'écrit, l'image mais aussi le numérique. En fait, cette oeuvre
marque peut-être les prémices d'un livre numérique qui ne
sera plus une simple copie du livre papier comme la plupart de ceux
aujourd'hui. Pour cela, faut-il encore que nos écrivains de talent
s'emparent du numérique avec la vision que celui-ci peut ouvrir vers
d'autres horizons littéraires. C'est sans doute l'histoire d'une
génération ou plus, l'avenir nous le dira.
108
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? TOUSSAINT Jean-Philippe, « Le point-virgule »,
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le 13 août 2014, consulté [en ligne] le 2 avril 2018.
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127
ANNEXES
128
Annexe 1 - Tableau des lieux où
Toussaint s'est rendu pour la promotion de Made in China
Poitiers
|
21 septembre 2017 Librairie Gibert
|
Pau
|
28 septembre 2017 Librairie Parvis 3
Un entretien de Jean-Philippe Toussaint sur Made in China
est disponible sur YouTube d'une durée de 2 minutes 48 secondes
avec 655 vues à la date 19 mai 2018 sans commentaires
https://www.youtube.com/watch?v=rq0USu4ZsgQ
|
|
Toulouse
|
29 septembre 2017
Librairie Ombres blanches
|
Paris (5ème Arr.)
|
4 octobre 2017 - 18.30 Librairie Compagnie
|
Paris (6ème Arr.)
|
5 octobre 2017
Librairie L'Escalier
|
Paris (4ème Arr.)
|
6 octobre 2017 - à partir de 18 heures Librairie Les
Cahiers de Colette
|
Paris (8ème Arr.)
|
20 et 21 octobre 2017 - à 22 h après le spectacle
Librairie du Rond Point/Actes Sud
|
Paris (4ème Arr.)
|
22 octobre 2017 - 16 heures
Librairie Flammarion du Centre Georges Pompidou
|
Liège (Belgique)
|
14 novembre 2017 Librairie Pax
|
Bruxelles (Belgique)
|
15 novembre 2017 - à 19h avec David Courier - Librairie
Tropismes
|
Lyon
|
21 novembre 2017 Librairie Passages
|
Grenoble
|
22 novembre 2017 Librairie Le Square
|
Bordeaux
|
29 novembre 2017 Librairie Mollat
|
Paris (3ème Arr.)
|
6 décembre 2017 Galerie HG Design
|
129
Annexe 2 - Critiques littéraires de
confrères que Toussaint a reçues par Courriel
Date
|
Ecrivains
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24 mai 2017
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Vincent Almendros le remercie pour cette
expérience de lecture et d'émotion. De plus, il met l'accent sur
le rire, car pour lui, c'est très rare en littérature de rire
comme cela.
Source :
www.jptoussaint.com
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8 juin 2017
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Yves Ravey lui écrit tout le bien qu'il
pense du livre de Toussaint en
utilisant notamment les mots « emporté », «
hypnotisé » et « émerveillement ».
Source :
www.jptoussaint.com
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9 juillet 2017
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Benoît Peeters voit dans Made in
China, une magnifique réussite littéraire, car Toussaint
réussit à montrer, grâce à tout son talent que
« Nue » se change en « Honey » pour mieux
par la suite se métamorphoser de nouveau en texte.
Source :
www.jptoussaint.com
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23 août 2017
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Pierre Bayard envoie un courrier
élogieux où il parle carrément de grand art.
Source :
www.jptoussaint.com
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3 septembre
2017
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Clément Bénech lui livre ses
premières impressions de Made in China, qui selon lui, ne déroge
pas à la règle des livres de Toussaint, c'est-à-dire,
qu'il est un provocateur de réalité.
Source :
www.jptoussaint.com
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13 septembre
2017
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Pierre Michon parle aussi d'un livre
merveilleux auquel il a ressenti un merveilleux plaisir à sa lecture.
Source :
www.jptoussaint.com
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29 septembre
2017
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Emmanuel Villin écrit à
Toussaint que la première chose qu'il a eu envie de faire une fois la
lecture de Made in China terminée, a été
d'écrire dans l'instant.
Source :
www.jptoussaint.com
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130
Annexe 3 - Tableau des critiques littéraires de
la presse francophone
29 août 2017
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Valérie Rodrigue de Marie France
fait du livre de Toussaint l'un de ses cinq coups de coeur.
Source :
http://www.mariefrance.fr/culture/livres/rentree-litteraire-5-
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coups-de-coeur-370896.html#item=4
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1er septembre 2017
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La presse spécialisée couvre aussi
l'événement avec Véronique Rossignol, qui
signe un article dans Livreshebdo, un magazine ainsi qu'un site
consultable en ligne destinés, en premier lieu, aux professionnels du
livre. À son avis, ce livre est assez inclassable : il « - --
illustre la difficulté de faire coïncider les idées-visions
du cinéaste avec les moyens du bord, dans un pays largement
indéchiffrable. » Source :
http://www.livreshebdo.fr/article/lediteur-
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chinois?rand=8170
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14 septembre 2017
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Jérôme Garcin, il évoque
dans la rubrique « humeur » du journal L'Obs en date du 14
septembre 2017, ce qui lui plaît chez Toussaint : « J'ai toujours
aimé la manière, imperturbable et raisonnée, avec
laquelle l'écrivain-cinéaste [...] racontait des
histoires abracadabrantes. ».
Source :
http://www.jptoussaint.com/documents/6/63/Nouvel_Obs.pdf
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14 septembre 2017
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Un article sur Made in China est publié dans
OEuvres Ouvertes, un magazine de chroniques littéraires en
ligne qui passe en revue seulement les livres qui sortent en version
numérique. En effet, les premières pages du livre sont reprises
sur ce site avec, en prime une photo d'un téléphone portable
où l'on voit la couverture du livre. Source :
https://oeuvresouvertes.net/spip.php?mot1752
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15 septembre 2017
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Philippe Lançon avec
Libération n'est pas en reste car le journal montre la facette
joyeuse de l'oeuvre en parlant d'un « Rire en cascade » mais aussi de
l' « Humour courtois » de Toussaint.
Source :
http://next.liberation.fr/livres/2017/09/15/minuit-de-
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chine 1596679
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15 septembre 2017
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Le journal japonais Nikkan Berita publie une
interview de Jean-Philippe Toussaint qui traite des thèmes centraux de
son livre sans aborder non plus la question relative au numérique.
Source :
http://www.nikkanberita.com/read.cgi?id=201709152259415
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20 septembre 2017
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Lelitteraire.com, un site
Internet spécialisé dans la littérature, fait écho
à la précédente critique dans un article publié par
Jean-Paul Gavard-Perret. Le journaliste voit dans l'oeuvre de
Toussaint une manière d'explorer la raison de l'être et de la
création.
Source :
http://www.lelitteraire.com/?p=34097
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21 septembre 2017
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Éric Loret, publie dans Le
Monde, un article intitulé « Jean-Philippe Toussaint : mis en
abîmes », où il tente de montrer les tenants et les
aboutissants de ce nouvel essai en expliquant ses
différentes dimensions : « Décryptage d'un
système où le vécu et l'écrit sont si parfaitement
intriqués »
Source :
http://www.jptoussaint.com/documents/d/d3/Le_Monde_du_Jeudi_2
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1_Septembre_2017.pdf
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21 septembre 2017
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Jean-Claude Lebrun, journaliste à
L'Humanité, écrit que Made in China marque la
rentrée littéraire de 2017.
Source :
https://www.humanite.fr/avec-toussaint-cest-trois-en-un-
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642402
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3 octobre
2017
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Un site français consacré à la culture,
géré par l'association Addict-Culture, présente un article
d'Adrien Meignan sur Made in China, selon lequel, le
livre montre la force de la littérature pour créer une
superposition du réel et de la fiction.
Source :
https://addict-culture.com/made-in-china-jean-philippe-
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toussaint/
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5 octobre
2017
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Un site en ligne, ayant vocation à faire
connaître des auteurs chinois, fait également allusion à
Made in China dans un article consacré à Chen Tong,
où la journaliste déplore que cet éditeur chinois ne soit
qu'esquissé dans le récit.
Source :
http://www.chinese-
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shortstories.com/Traducteurs_interpretes_et_editeurs_Chen_Tong.ht
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m
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15 octobre
2017
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L'auteur bénéficie aussi d'une critique, qui
reprend les thèmes décrits auparavant, dans En attendant
Nadeau, un journal spécialisé dans la critique
littéraire, destiné donc lui aussi à un public averti.
Source :
https://www.en-attendant-nadeau.fr/2017/10/15/etincelle-
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toussaint/
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132
21
2017
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octobre
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Eleonore Sulser, du journal Le
Temps, un quotidien de la Suisse Romande et francophone publie un article
qui se concentre sur des aspects purement littéraires.
Source :
https://www.letemps.ch/culture/2017/10/21/joyeux-
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labyrinthe-chinois-jeanphilippe-toussaint
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30
2017
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octobre
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Un autre site à but non lucratif de l'association
Culture-Tops livre sa vision du roman de Toussaint dans un article
intitulé « Un Ovni littéraire épatant
». En effet, Serge Bressan y pèse le pour et
le contre en concluant qu'il faudrait être de mauvaise foi pour affirmer
que ce livre recèle ne serait-ce qu'un seul un point faible.
Source :
http://www.culture-tops.fr/critique-evenement/livres/made-
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china#.WmdyQa5l-po
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18 novembre 2018
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Christian Desmeules du Le Devoir, un
journal du Québec (Canada) publie un article en faisant une critique
littéraire positive par rapport à Made in China.
Source :
http://www.ledevoir.com/culture/livres/513228/critique-
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jean-philippe-toussaint-entre-tribulations-chinoises-et-reedition-du-
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cycle-de-marie
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133
Annexe 4 - Tableau des émissions
radiophoniques francophones où Toussaint a eu l'occasion de parler de
Made in China.
29 septembre 2017
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La Radio Télévision Belge Francophone (RTBF)
l'accueille dans L'info culturelle 7h30, une émission radiophonique,
pour parler de son récit, l'entretien dure à peu près 7
minutes. Source :
https://www.podchaser.com/podcasts/musiq3-
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486528/episodes/linfo-culturelle-7h30-made-in-21553837
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7 octobre 2017
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Toussaint est dans l'émission La Librairie
Francophone de France Inter.
Source :
https://www.franceinter.fr/emissions/la-librairie-
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francophone/la-librairie-francophone-07-octobre-2017
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13 octobre 2017
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Toussaint se rend à la Foire du livre de Francfort
où il participe à une émission radiophonique de France
Culture avec Marie Ndiaye, une écrivaine ayant remporté le prix
Goncourt 2009, où ils échangent leurs points de vue sur le roman
français à l'étranger. Toussaint a aussi l'occasion de
parler brièvement de Made in China.
Source :
https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-
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table-1ere-partie/le-roman-made-france
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23 octobre 2017
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Toussaint est dans les locaux de Radio France Internationale
(RFI), il répond aux questions, durant 46 minutes, du journaliste
Jean-François Cadet dans l'émission Vous
m'en direz des nouvelles !
Source :
http://www.rfi.fr/emission/20171023-jean-philippe-
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toussaint?ref=fb
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30 octobre 2017
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France Culture l'invite à faire partie de la
dixième émission d'Une vie d'artiste avec deux autres
artistes pour débattre autour d'un thème cher à Toussaint
: la passion du réel. Comme l'écrit Aurélie Charon dans
son résumé de ce programme : Il fait briller la
réalité, ne lâche jamais le monde en train de se
transformer, le réel en train de bouger l'ordre des
phrases.
Source :
https://www.franceculture.fr/emissions/une-vie-
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dartiste/numero-10-la-passion-du-reel
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Mois d'octobre 2017
135
Annexe 5 - Capture d'écran du courriel
d'Alexandre Rochon, compositeur de la musique de The Honey Dress en
date du 30 mai 2018.
136
Annexe 6 - Captures d'écrans d'un
courriel d'Emmanuel Barthélemy, responsable du numérique aux
Éditions de Minuit du 19 janvier 2018.
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138
Annexe 7 - Capture d'écran d'un courriel
d'Emmanuel Barthélemy, responsable du numérique aux
Éditions de Minuit du 22 mars 2018.
139
Annexe 8 - Capture d'écran d'un courriel
d'Emmanuel Barthélemy, responsable du numérique aux
Éditions de Minuit du 20 avril 2018.
140
Annexe 9 - Capture d'écran d'un courriel
de Claire Bertrand, technicienne aux Éditions de Minuit du 30 mars
2018.
141
Annexe 10 - Capture d'écran d'un courriel
de Jean-Philippe Toussaint du 20 avril 2018.
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