2.12. Rôle
socio-économique des AST en RDC
Pour beaucoup de congolais (ruraux comme urbains), la
forêt constitue un cordon ombilical au quotidien - un capital pour ceux
qui ont peu d'alternatives pour les autres moyens de subventions. Ceci est
particulièrement vrai pour les communautés vivant en milieu rural
qui constituent la majorité de tous les ménages pauvres du pays.
Les AT constituent de ce fait une source importante de
subsistance et de revenus, contribuant ainsi à la sécurité
alimentaire. Une partie de ces produits sert à l'autoconsommation et une
autre est destinée à la vente sur les marchés locaux,
urbains, voire internationaux apportant ainsi des revenus financiers
appréciables qui permettent de résoudre certains problèmes
pertinents liés à l'amélioration des conditions de vie.
Certains congolais estiment même que « sans
ces produits naturels, beaucoup de familles ne pourraient pas faire face
à la crise qui sévit dans ce pays ni survivre pendant les guerres
que les pays a connu au cours de ces dernières années lorsqu'on
sait que la plupart des habitants des villages avaient trouvés refuge en
forêts, loin de leurs champs ou de lieux d'approvisionnement des biens de
première nécessité ».
2.12.1. Au niveau des
ménages
Les PFNL jouent un rôle socio-économique
très important. Avec la crise économique qui sévit le
pays, la majorité de populations sont devenues plus dépendantes
de ces produits qu'elles utilisent pour se nourrir, se soigner, construire,
etc. A travers diverses filières informelles, ces produits offrent des
opportunités d'emplois et engendrent des revenus à de nombreux
ménages impliqués dans leur exploitation et leur
commercialisation.
Il est évident que la demande pour ces produits
forestiers est appelée à croître considérablement
à mesure que le pouvoir d'achat augmente, que la population
s'accroît, que la migration de la population rurale vers les villes
devient plus aisée, et que les produits de l'agriculture issus d'un
système de production rudimentaire sont insuffisants pour assurer
durablement la sécurité alimentaire. La réduction des
coûts de transport et l'accroissement de la demande rendent le commerce
de ces PFNL plus lucratif, encourageant davantage de personnes à s'y
lancer.
La contribution de ces produits aux
économies des ménages et à la sécurité
alimentaire est bien nette et perceptible. Dans les communes urbano-rurales de
Kinshasa, Biloso et Lejoly (2006) notent que la contribution du commerce des
feuilles de Gnetum africanum au revenu mensuel du ménage
demeure le leader incontestable avec une recette moyenne de 275$, suivie des
frondes de Pteridium centrali-africanum avec 166,70$ par mois et par
ménage ; des feuilles de Dracaena camerooniana avec 75,55$ par
mois et par ménage, des tubercules de Dioscorea praehensilis
avec 71$ et par mois et par ménage et des feuilles de
Psophocarpus scandens avec 58,75$ par mois et par ménage,
Toirambé (2006) dans une enquête réalisée
récemment a montré qu'à Kinshasa, près de 1069
personnes, majoritairement des femmes (98%), exercent le commerce des feuilles
de Gnetum sp. dans onze marchés prospectés. Cette
activité commerciale est génératrice de revenu (environ
132,93$/mois) qui dépasse de loin le PNB congolais (114$/an/habitant) et
nettement supérieur au salaire mensuel de la fonction publique (70$/mois
pour un Directeur).
Dans les deux marchés de Mbandaka (Central et
Wendji Secli), Ndoye et Awono (2005) avaient évalué, pendant
douze mois, la vente des feuilles de Gnetum sp. pour un volume de
47.200 kg à 21.904$ ; le commerce de 145.015 kg de feuilles de
Maranthaceae pour une valeur de 3.446$ ; et la vente de 105.554 litres de vin
de palme pour un chiffre d'affaire de 13.054$.
A Boma et Kisangani, quelques plantes prioritaires
illustrent cet important rôle socio-économique : les drupes de
Dacryodes edulis consommées après cuisson sous la cendre
chaude, à la braise ou à l'eau chaude ; la pulpe de Cola
acuminata et de Garcinia kola très prisée par les
amateurs de boissons et consommée à l'état frais comme
excitant ou aphrodisiaque ; la farine des graines de Cucumeropsis mannii
et de Sesamum orientale utilisée comme liant dans les
différents mets locaux ; la poudre des fruits de Piper
guineens et des rhizomes de Zingiber officinale utilisée
comme condiment dans l'assaisonnement de différents mets, etc. Leur
intérêt alimentaire croissant tant dans les zones rurales que dans
les centres urbains et leur valeur marchande en tant que source de revenu pour
les acteurs impliqués dans l'exploitation et la commercialisation
justifient le développement de leur récolte en forêts et
leur culture dans beaucoup des villages périphériques de ces
villes.
La demande des objets en rotins est de plus en plus
élevée, surtout dans des centres urbains (Kayisu 2008). La
dimension économique de cette entreprise artisanale se justifie par la
main d'oeuvre employée ainsi que sa contribution
rémunératrice aux personnes impliquées. A Kinshasa,
Toirambe (2006) a répertorié environs 118 artisans qui touchent
un salaire moyen de 149$ par mois et à Boma, 153 artisans avec un
salaire de 87$ par mois.
Quelques plantes répertoriées à
travers les villes sont utilisées en médicine traditionnelle. Ces
produits disposent des marchés commerciaux et de possibilités
prouvées pour procurer un revenu de substitution aux riverains des
forêts et parfois un revenu conséquent aux intermédiaires
et aux exportateurs attitrés. C'est le cas par exemple :
(i) des plantes rentrant dans le traitement du paludisme : les
écorces de Voanga africana, de Spathodea campanulata ;
les feuilles de Morinda morindoides, de Lantana camarra,
de Cymbopogon citratus, de Artemisia annua, de
Carica papaya ; les morceaux de tiges de Quassia africana,
etc.;
(ii) des plantes antihelminthiques : Les feuilles de
Euphorbia pigra, de Vernonia vomitoria, de Chenopodium
ambrosoïdes, de Ocimum gratissimum, de Piperumbellatum,
de Clerodendrum scandens ; les graines de Paulinia
pinnata, de Momordica charantia ; les écorces de
Anogeissus leiocarpus, de Alstonia boonei, de
Cleistpholis patens, etc. ;
D'autres PFNL médicinaux trouvés en RDC
par contre sont utilisés en médicine tant traditionnelle que
moderne. C'est le cas notamment des écorces de Hymenocardia acida
(décocté contre l'amibiase), de Rauwolfia vomitoria
(macéré contre les maladies sexuellement transmises) et de
Prinus africana (syn. Pygeum africanum) dont le
décocté des écorces du tronc est utilisé en
médecine traditionnelle comme lavement (un irrigateur par jour) pour
lutter contre les douleurs lombaires et les fatigues
généralisées.
En médecine moderne, les études
pharmacologiques et les expérimentations cliniques ont mis en
évidence les propriétés thérapeutiques de principe
actif tiré des écorces de ces plantes. C'est le cas par exemple
du complexe lipido-stérolique extrait des écorces de tronc de
Prinus africana que l'industrie pharmaceutique produit des
médicaments utilisés dans le traitement des troubles mictionnels
de l'adénome prostatique chez l'homme (Kabala et Toirambe 1996).
L'implication des PFNL d'origine animale dans
l'économie des ménages de la RDC est bien soulignée
(Wetshi et al.1987, Wilkie et Carpenter 1999), Fa et al.(2003), Marachto
(2002), Toirambe (2002), De Merode et al.(2004) et Ndona (2004) à partir
des enquêtes menées sur les mammifères. Ces auteurs
soulignent la place centrale qu'occupe le gibier dans la vie des populations
rurales. Ces dernières considèrent que la viande de chasse est
une nourriture de haute qualité et relativement peu coûteuse que
la viande de l'élevage.
La chasse tant traditionnelle que commerciale implique
une main d'oeuvre importante, demande peu d'investissements et procure souvent
un gain important et rapide. Selon Fa et al. (2003) et Wilkie et
Carpenter (1999), la consommation de gibier peut s'estimer à 1,4
millions de tonnes par an pour un chiffre d'affaire pouvant s'évaluer
à 1,4 milliards de dollars américains, en considérant le
prix moyen de 3,5$/kg.
Les singes, les céphalophes, les
potamochères, les rongeurs constituent la plus grande part de ce gibier,
mais les gens préfèrent également la viande des buffles,
de l'éléphant, d'hippopotames, des reptiles et des oiseaux, ainsi
que de grandes quantités de chenilles, de sauterelles, de criquets, de
termites, etc. Dans le marché central de Kikwit (Bandundu), Ndoye et
Awono (2005) ont pu évaluer la vente de 14,194 tonnes de chenilles
pendant huit mois pour une valeur marchande de 17.939$.
Dans la Réserve de Biosphère de Luki,
Toirambe (2002) avait confirmé l'existence d'une véritable
entreprise cynégétique dans cette réserve et ses environs
avec 16 points de ventes de gibier comptant un effectif de 83 vendeurs (tous
des hommes) dont l'âge varie de 20 à 45 ans. Le revenu moyen par
vendeur et par semaine était évalué à 16,14$, soit
64,56$/mois/vendeur.
D'autres ressources naturelles représentent
également la base de subsistance des populations locales et des
activités économiques en milieu forestier. Il s'agit notamment du
poisson, des champignons, du miel et du vin forestier. Il s'observe que, pour
la majorité des ménages habitant de long des cours d'eau et du
fleuve du Congo, la pêche est l'activité la plus largement
pratiquée.
Signalons également que les autres acteurs
bénéficiant de la commercialisation des PFNL sont les
transporteurs et dans une moindre mesure l'Etat. Par exemple, les transporteurs
aériens (Hewa Bora et CAA) impliqués dans l'activité de
fret de Gnetum sp. ont effectué des échanges pendant la
période d'avril - mai 2006 de 123.615 kg entre Kisangani et Kinshasa et
Mbandaka et Kinshasa pour un bénéfice total de 1.245.985,34$.
Malheureusement, les données sur les taxes prélevées par
les agents des Ministères de l'Environnement et de l'Agriculture n'ont
pas été disponibles lors de notre passage dans ces services.
La contribution de PFNL au revenu des ménages, par
rapport à celle d'autres activités est très variable.
Cette variabilité dépend, entre autres, de l'un ou des plusieurs
facteurs suivants : activité principale du ménage (cueillette,
chasse, pêche, vente des gibiers, artisanat, etc.), origine du PFNL
(végétal ou animal) et étape à laquelle intervient
le ménage dans la filière commerciale. Colom (2006) souligne par
exemple que dans les zones forestières, particulièrement dans le
paysage Salonga - Lukenie - Sankuru, parmi les huit activités touchant
les ressources naturelles des forêts, l'agriculture et la cueillette
représentent les activités les plus largement pratiquées,
chacune engage respectivement 24,1% et 23,3% de ménages du paysage.
La chasse (19,3%) et la pêche (19,0%) sont les
troisième et quatrième activités les plus
pratiquées, constatées auprès de trois quarts de la
population. L'implication des ménages dans d'autres activités
telles que le travail artisanal (8,2%), le commerce (3,0%), le travail
temporaire (1,8%) et la médicine traditionnelle (1,3%), démontre
la dépendance des riverains à l'égard des ressources
naturelles des forêts.
Quant à la génération des revenus,
l'agriculture vient à la première place ; suivie de la chasse et
de la pêche.
La cueillette des PFNL constitue donc une source
supplémentaire pour les ménages comme le témoigne la
figure ci-après.
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