4.2. Discussion
Les pratiques d'exploitation forestière des producteurs
de bois-énergie dans le bassin d'approvisionnement urbain de
Pointe-Noire se caractérisent essentiellement par la valorisation des
abattis de champs en forêts naturelles et des rémanents issus de
l'exploitation de l'eucalyptus en plantations industrielles. Cette valorisation
des sous-produits de l'agriculture traditionnelle itinérante sur
brûlis en forêts et de la sylviculture industrielle d'eucalyptus en
savanes est un aspect important de durabilité écologique et une
spécificité qui fait distinguer le bassin d'approvisionnement en
bois-énergie de la ville de Pointe-Noire de plusieurs autres bassins
d'approvisionnement urbain en bois-énergie d'Afrique tel que dans le
Sahel (Bamako, Niamey, etc.) ou dans certaines villes du bassin du Congo comme
Brazzaville et Kinshasa où les ressources forestières sont
uniquement et directement exploitées à des fins
énergétiques. Pour protéger cette bonne pratique
forestière en forêts naturelles, des notes circulaires sont prises
dans certaines sous-préfectures telles qu'à Hinda recommandant
ainsi les terriens à ne louer des espaces forestiers qu'à des
usagers qui doivent obligatoirement les exploiter d'abord pour l'agriculture et
ensuite pour le bois-énergie. Ainsi, ceux qui passent par la coupe
sélective sont obligés de céder à un faible prix la
surface exploitée à d'autres personnes pour les activités
agricoles. Il faut souligner que la majorité de ceux qui pratiquent la
coupe sélective sont des producteurs de bois-énergie allochtones
et particulièrement ceux provenant de la ville de Pointe-Noire à
la recherche d'une rémunération rapide. Leurs pratiques sont de
plus en plus inquiétantes au point que la forêt n'est pas pour eux
un garde à manger à entretenir mais un simple moyen de se faire
de l'argent le plus rapidement possible au mépris des règles
traditionnelles d'exploitation forestière et échappant au
contrôle des terriens ou le plus souvent de leurs représentants,
puisque eux-mêmes vivant dans la plupart des cas en ville, qui ne se
limitent qu'à l'encaissement de l'argent correspondant aux espaces
forestiers mis en location. En absence totale de l'Etat dans la gestion locale
des espaces
Diahambana Mayala Rommel Mémoire de fin de
formation. IDR Page 46
forestiers exploités dans les terroirs villageois, seul
la logique des terriens qui priment sous le regard parfois impuissant des chefs
des villages dont le pouvoir est limité à la gestion
administrative du village. En outre, il y a très peu des producteurs de
bois-énergie issus des familles terriennes autochtones (12% en moyenne).
La production de bois-énergie est essentiellement une activité
des allochtones qui à défaut de louer les espaces forestiers (50
000 à 150 000 FCFA/ha y compris l'achat du vin rouge, du Whisky, des
colas et des racines connues sous le nom de « douces amères »
pour le rituel) peuvent y accéder par les dons de la part des terriens
à cause des liens de mariage ou de l'ancienneté dans le village
(généralement à partir de 20 ans). Il faut
également signaler que le prix de location d'un espace de forêts
naturelles est discutable, dépend du terrien et peut se payer en
plusieurs mensualités.
En plantations industrielles d'eucalyptus, le principal mode
d'accès aux ressources forestières est le contrat avec la
société EFC, mais à défaut de ce contrat, certains
pratiquent des coupes illicites et d'autres passent par les incendies
volontaires des parcelles industrielles d'eucalyptus enherbées afin de
contraindre intelligemment EFC à les mettre à la disposition des
producteurs de bois-énergie du village le plus proche de la parcelle
incendiée et déclassée pour la production de bois de
pâte à papier.
Du point de vue des essences exploitées, celles qui
sont reconnues comme les meilleures par les producteurs de bois-énergie
sont principalement Pentaclethra macrophylla (Mouvandza),
Hymenocardia ulmoides (Mbaka) et le Dacryodes pubescens
(Tchissafoukala). Ces résultats confirment ceux obtenus par
Yembé Yembé (2007) concernant Pentaclethra macrophylla
dans la zone riveraine du Parc National Conkouati-Douli (PNCD), notamment
dans la zone du Projet GECKO (Tchizalamou, Youbi et Koutou). Il faut noter que
cette essence la plus prisée par les charbonniers est une
légumineuse qui peut faire l'objet de plusieurs études de
régénération assistée en forêts naturelles
et/ou de bouturage pour sa multiplication végétative. En effet,
bien qu'il soit beaucoup prisé par les producteurs de
bois-énergie, Pentaclethra macrophylla est également
cité au premier rang parmi les onze (11) essences forestières qui
se font de plus en plus rares dans la zone d'étude. Il est
secondé par d'autres essences comme Nauclea diderichii
(Bilinga), Piptadeniastrum africanum (Moussinga) et Angokea
gore (Sanou) à Loemé Nangama ; Staudtia kamerunensis
(Niové) et Pentaclethra eetveldeana (Tchissalala) à
Makola. La tendance à la raréfaction de ces essences est
observée sur les deux principaux axes d'approvisionnement urbain en
bois-énergie : la route de Brazzaville (Mengo centre, Mongo Tandou,
Makola, Loemé Nangama) et l'axe de Tchissoko (Nanga et
Diahambana Mayala Rommel Mémoire de fin de
formation. IDR Page 47
Tchissoko). Mais les essences comme Nauclea diderichii
(Bilinga) et Staudtia kamerunensis (Niové) ne sont pas
traditionnellement utilisé pour le bois-énergie mais pour le
sciage artisanal en vue de la production de bois d'oeuvre également
nécessaire à l'approvisionnement de Pointe-Noire.
En plantations industrielles d'Eucalyptus, les clones les plus
exploités pour leur productivité et leur très bonne
qualité papetière sont les clones d'Eucalyptus
Urograndis. Mais du point de vue de la production du
bois-énergie, notamment du charbon de bois, c'est le bois d'eucalyptus
PF1 qui est de meilleure qualité selon les opérateurs EFC. La
priorité pour l'industriel EFC n'étant pas le
bois-énergie, les producteurs exploitant les rémanents
d'eucalyptus sont obligés de se contenter de ce qu'ils trouvent sur le
terrain. Mais le charbon de bois obtenu avec le bois d'eucalyptus
Urograndis reste également de qualité satisfaisante. En
termes de superficies exploitées, il apparaît qu'en forêts
naturelles, 87% en moyenne des producteurs de bois-énergie exploitent
moins de 1,5 ha/an contre 11% en moyenne de ceux qui exploitent 1,5 ha/an et
plus. Il faut signaler que les superficies exploitées par les
producteurs de bois-énergie qui pratiquent la coupe sélective
sont plus importantes que celles exploitées par ceux qui valorisent les
abattis de champs. La pratique de la coupe sélective exige plus d'espace
que celle liée à l'agriculture.
En plantations industrielles d'eucalyptus, les
opérateurs urbains en contrat avec EFC exploitent entre 10 et 25 ha par
chantier, soit 20 à 50 ha/an. Mais les superficies des parcelles
brûlées ou des chablis exploitées pour le
bois-énergie oscillent entre 1 et 1,5 ha par opérateur et par
année.
En forêts naturelles comme en plantations industrielles
d'eucalyptus, le charbon de bois est le produit le plus visé par les
producteurs de bois-énergie. En effet, 71% en moyenne des producteurs
font le charbon de bois conditionné dans des sacs de 32 kg et 29% en
moyenne le charbon de bois et le bois de feu conditionné sous forme de
stères et de fagots en forêts naturelles et uniquement en fagots
en plantations industrielles d'eucalyptus. Tous les charbonniers font recours
à la technique traditionnelle de la meule rectangulairement
parallélépipède constitué d'un tas de morceaux de
bois de feu sec ou humide bien agencé, prenant appui dans un trou de 0,5
m de profondeur en moyenne et recouvert successivement par les couches de
pailles et de terre, le tout soutenu par un pourtour en piquets de bois. Les
rendements charbon/bois de feu obtenus avec cette technique de la meule
traditionnelle sont estimés à 84 kg/stères de bois
(Yembé Yembé, 2007) comparables aux 12% estimés par
Diahambana Mayala Rommel Mémoire de fin de
formation. IDR Page 48
Mwamba wa Mwamba et Ngoya-Kessy (2006). Ces très
faibles performances de carbonisation méritent d'être
améliorées afin de réduire le gaspillage de bois.
Au terme de l'exploitation des espaces de forêts
naturelles, 60% en moyenne des producteurs de bois-énergie pratiquent la
jachère pour restaurer leur fertilité et la moitié d'entre
eux attendent 5 à 10 ans pour revenir sur les espaces abandonnés,
soit une moyenne d'environ 8 ans. Cette durée de jachère est
comparable à celle correspondant à la rotation de l'eucalyptus
fixé à 7 ans en plantations industrielles.
Ainsi, le niveau de pression exercé par l'ensemble des
pratiques d'exploitation forestière développées par les
producteurs de bois-énergie dans le bassin d'approvisionnement urbain de
Pointe-Noire se caractérise entre autre par les trois indicateurs
suivants :
? la diminution de la durée moyenne de
jachère forestière qui en 15 ans, entre 1995 et 2010, a fortement
diminuée dans certains villages comme Koubotchi (de 18 à 8 ans),
Loemé Nangama (de 16 à 8 ans), Ndembouanou (de 12 à 6 ans)
et Bilala (de 11 à 6 ans).
? l'augmentation de la distance de marche des
producteurs de bois-énergie entre leurs villages et leurs lieux de
production ; oscillant entre 0 et 5 km en 1995, elle est restée assez
constante jusqu'en 2005 (1 à 5 km) avant de passer entre 2 et 8 km en
2010 ;
? l'augmentation du coût moyen de
location par hectare de forêts naturelles par les producteurs de
bois-énergie qui en 15 ans est passé de l'intervalle de 30 000
à 80 000 FCFA/ha en 1995 à l'intervalle de 40 000 à 100
000 FCFA/ha en 2000 et 2005 avant de galoper entre 55 000 et 160 000 FCFA en
2010.
Ces trois indicateurs révèlent bien l'impact du
boom démographique qu'ont connues la ville de Pointe-Noire et le
département du Kouilou depuis l'arrivée massive des
déplacés des conflits armés de Brazzaville, du Pool, de la
Bouenza et du Niari à la fin des années 90. En effet, entre 1995
et 2010, les populations de Pointe-Noire et du Kouilou sont passées du
simple (environ 350 000 et 50 000 habitants) au triple (environ 1 000 000 et
150 000 habitants). Outre les forêts naturelles, cette pression est
également exercée de façon moins nette sur les massifs
plantés d'eucalyptus actuellement gérés par la
société EFC. Ces massifs sont régulièrement
victimes des coupes illicites et des incendies volontaires difficilement
maîtrisables. Toutefois, depuis quelques années, EFC est en train
d'organiser la filière de bois-énergie en milieux villageois par
la mise en place des « Groupements d'Intérêts Economiques
» (GTE) spécialisés dans la valorisation des
rémanents d'eucalyptus en bois-énergie et la protection des
plantations industrielles d'eucalyptus riveraines. Mais au-delà des GTE,
il apparaît nécessaire de mettre en oeuvre une stratégie
structurelle pour garantir la prise
Diahambana Mayala Rommel Mémoire de fin de formation. IDR
Page 49
en compte par le gestionnaire des plantations d'eucalyptus du
triple enjeu social, économique et écologique de cette
filière dans l'approvisionnement durable en bois-énergie de la
ville de Pointe-Noire (Nkoua M., Gazull L., 2011).
Diahambana Mayala Rommel Mémoire de fin de formation. IDR
Page 50
|