CONCLUSIONS
Les jeunes mahorais et comoriens immigrants à la
Réunion ne sont pas des enfants de l'exil. Leur présence sur le
sol réunionnais est le résultat d'un choix de leurs parents,
à la recherche pour eux d'une meilleure vie, de plus grandes
possibilités d'études et de promotion sociale.
Migrants plutôt qu'immigrants, les Mahorais
établissent des plans de retour sur leur île d'origine. Quand les
enfants n'adhèrent pas à ce projet parental, c'est plutôt
dans l'intention d'effectuer une migration secondaire vers la Métropole
où ils espèrent trouver davantage d'opportunités.
Si le mythe du retour est fort chez les Mahorais, ce n'est pas
le cas pour les Comoriens. Les jeunes d'origine comorienne sont attirés
par la Métropole. Ni eux ni leurs parents ne caressent de projets de
retour vers l'Union des Comores.
Le maintien du lien avec le pays d'origine est une composante
importante de la vie pour les membres des deux groupes. Elle se traduit comme
pour les autres migrants par des communications, des attentes d'assistance
d'une part, de conservation de la place au sein de la famille, de l'autre.
Les jeunes mahorais et comoriens se considèrent dans
une logique migratoire plus que d'immigration. La Réunion n'est pas leur
premier choix de destination, ils n'y resteraient que par défaut, et
notamment par crainte de s'éloigner de leurs proches.
Ils ressentent une hostilité et des attitudes
discriminatoires de la part de la population majoritaire créole, qui les
regroupe dans une même vision péjorative en les qualifiant de
« ban'Comor' » pour en faire le bouc émissaire des
difficultés sociales réunionnaises. Mahorais et Comoriens se
sentent distincts et voudraient que cette différence soit reconnue, que
leur culture identitaire soit mieux acceptée par les Créoles.
Les différences que les Créoles
perçoivent chez eux constituent pourtant le support des discriminations,
notamment professionnelles, qu'ils subissent.
Leurs stratégies adaptatives sont combinatoires,
parvenir à une insertion satisfaisante pendant la durée de leur
séjour réunionnais tout en entretenant leur culture originelle,
et leur pratique religieuse islamique en premier lieu. Les Créoles
préféreraient certainement les voir se couler dans le moule de la
créolisation avec la même discrétion que les groupes
précédemment arrivés
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Les jeunes mahorais et comoriens à la Réunion :
Stratégies d'adaptation et moyens de communication
et intégrés. La stigmatisation portant ici comme
ailleurs sur les différences ostensibles (c'est notamment le cas des
z'arabes et des zoreils).
C'est pourtant l'ensemble de ces caractéristiques et
allégeances qui fonde et structure l'identité des jeunes mahorais
et comoriens. Si certains migrants souffrent d'un double rejet de la part de
leur pays d'origine et d'accueil, les Mahoro-Comoriens réunionnais,
particulièrement les natifs de l'île parviennent souvent à
intégrer une double identité dans une dynamique de
créolisation, qui semble néanmoins inachevée.
Ce dernier point mériterait certainement une recherche
plus approfondie, qui permettrait d'en déceler les évolutions
dans les prochaines années, et plus encore avec l'avènement de la
troisième génération.
Les Mahorais et Comoriens ne semblent pas subir à la
Réunion de ségrégation géographique, c'est
précisément la cohabitation au sein des quartiers et des
écoles qui est le premier vecteur d'intégration par
l'apprentissage de la langue créole, incontournable dans les relations
de proximité avec la population réunionnaise. A cette
dualité linguistique familière des Créoles s'ajoute la
pratique d'une ou plusieurs langues identitaires. Ce plurilinguisme ne
paraît pas constituer une véritable cause d'échec scolaire,
mais ne semble pas plus être un avantage.
Les jeunes mahorais et comoriens n'ont pas le sentiment que
leur présence ou celle de leurs parents ait été
jugée nécessaire ou souhaitée par les Réunionnais,
ce qui peut expliquer qu'on ne trouve pas d'esprit de revanche ni
d'animosité particulière de leur part, contrairement aux jeunes
immigrés métropolitains.
Ils ne ressentent pas de discrimination institutionnelle, et
gardent un grand espoir dans les possibilités de réussite
offertes par l'école, ce qui est beaucoup moins vrai pour les jeunes
créoles et migrants de Métropole. Leurs origines sociales
généralement modestes limitent néanmoins leurs
possibilités d'études et donc de réussite.
Leurs projets professionnels sont dirigés vers le
secteur privé et l'emploi dans l'administration centrale plutôt
que dans la fonction territoriale, contrairement aux jeunes créoles,
avantagés par une préférence régionale.
Les rôles au sein de la famille connaissent une remise
en cause, par la logique des générations, par la
fréquentation du mode de vie réunionnais, mais aussi et
peut-être surtout par la médiation
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Les jeunes mahorais et comoriens à la Réunion :
Stratégies d'adaptation et moyens de communication
linguistique et technologique que doivent assurer les jeunes
Mahorais et Comoriens auprès de leurs parents à la
Réunion. Le concept de rétro-socialisation est intéressant
à cet égard dans ce sens qu'il évoque clairement la
dimension d'insertion et d'évolution sociale qu'il comporte. Si ces
jeunes sont souvent plus matures que leurs camarades créoles ou
métropolitains, ce rôle de médiateur en constitue
certainement l'explication.
La place des femmes mahoro-comoriennes évolue avec
l'immigration à la Réunion, encore souvent gardiennes des valeurs
et garantes de l'éducation, elles sont de plus la personne support des
aides sociales, et dans le cas des jeunes poursuivent des buts de
réussite professionnelle au même titre que leurs frères.
Les jeunes mahoro-comoriens sont de grands utilisateurs de
TIC, qui leur permettent la double présence chère à D.
Diminescu. Présence au pays d'origine par les communications
numériques satellitaires, présence dans la société
réunionnaise par les réseaux sociaux numériques et le
téléphone mobile, présence encore dans l'accès
à la culture moderne par les connexions Internet, notamment par les
ordiphones. Indiscutablement ces jeunes sont des migrants
multiconnectés. Leur capacité à interagir « ici et
là-bas », la double intégration revendiquée, ne sont
possibles que grâce à la disposition et la maîtrise des
outils de communication modernes.
Aux craintes de Z. Baumann sur le risque de
déstructuration liée au remplacement des structures par les
réseaux, les jeunes mahoro-comoriens de la Réunion
répondent en conciliant une forte mise en oeuvre des réseaux
affinitaires par voie téléphonique et par les réseaux
sociaux, autant sur le plan intégratif que communautaire, avec une
participation physique aux structures familiales et sociales existantes, dont
ils ne remettent nullement en cause le fonctionnement ou le bien-fondé,
et auxquelles ils tiennent.
A la Réunion comme ailleurs, les jeunes qui effectuent
le plus grand nombre d'interactions numériques sont aussi ceux qui
communiquent le plus en direct. Ce moyen est d'ailleurs le premier cité
par les participants dans leurs modes de contact avec leurs amis. Grands
utilisateurs de nouvelles technologies, ils en sont parfois peut-être
dépendants mais ne les subissent jamais.
Les TIC, qui pourraient également jouer un rôle
informatif ou d'apprentissage, ont pour eux une fonction presque exclusivement
sociale. Mais il peut sembler logique que pour des adolescents, et
particulièrement des jeunes migrants, le rôle structurant de leurs
relations sociales soit prépondérant. Dans ce sens les
technologies de l'information et la communication sont capitales et
irremplaçables.
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Les jeunes mahorais et comoriens à la Réunion :
Stratégies d'adaptation et moyens de communication
Les jeunes mahorais et comoriens de la Réunion ne
manifestent pas de volonté d'action positive à distance dans leur
pays d'origine, pas de projet d'action sociale, économique ou politique
concertée, pas d'intérêt pour une démarche
diasporique, mais simplement des projets personnels et familiaux.
Peut-être est-ce simplement trop tôt, et dans ce cas, une
étude ultérieure pourrait encore nous apporter la lumière
sur les évolutions de ces jeunes, devenus adultes
Les jeunes mahoro-comoriens sont tiraillés entre une
conformité aux traditions impulsée par les parents et
nécessaire à leur culture identitaire, et une conformation aux
modèles plus modernes imposés par l'école et la culture
jeune mondialisée. Cette situation n'est pas spécifique aux
jeunes étudiés, mais leurs réponses peuvent l'être.
Alors que les jeunes immigrés maghrébins ont
généralement rejeté le « bled »
considéré comme inférieur à l'occident, que les
Africains refusent de vivre « comme fon kondré » ("comme au
village" en pidjin), les Mahoro-Comoriens tiennent à concilier les deux
composantes.
Les jeunes mahoro-comoriens assument leur identité
noire, au même titre que les jeunes créoles "cafres" qui ont
vécu en Métropole. A mesure de leur intégration dans la
société créole, peut-être constitueront-ils le
médiateur qui permettra aux réunionnais de renouer avec leurs
racines africaines sans hontes ni complexes hérités du
passé, mais dans une perspective dynamique de revendication d'une
composante identitaire « black » mondialisée. Cette double
hypothèse optimiste (intégration des Mahoro-Comoriens et
valorisation identitaire), qui permettrait de passer d'une «
négritude » (au sens d'A. Césaire) subie et mal
assumée à une « blackitude » valorisante, même si
elle n'est qu'une perspective lointaine, mériterait certainement aussi
une recherche ultérieure.
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Les jeunes mahorais et comoriens à la Réunion :
Stratégies d'adaptation et moyens de communication
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