UNIVERSITE CATHOLIQUE DU CONGO FACULTE DE PHILOSOPHIE
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B. P. 1534
KINSHASA-LIMETE
L'EXPERIENCE COMME INTERPRETATION DES FAITS
dans « La Théorie physique » de Pierre
DUHEM
Par
Héritier MBULU Mbwalembe
MEMOIRE
Présenté en vue de l'obtention du grade de
gradué en Philosophie
Promoteur : Pr. Jean Chrysostome Kapumba AKENDA
Année Académique 2010-2011
Epigraphe
« Si quelqu'un, par gageure, entreprenait de
décrire une expérience de la Physique actuelle en excluant tout
langage théorique (...), il s'apercevrait que la relation de ces seules
expériences remplirait un volume entier du récit le plus confus,
le plus inextricable et le moins compréhensible qu'on pût
imaginer ».
(P. Duhem)
A ma très chère mère Bibi GABIA
Armandine, d'heureuse mémoire.
Toi qui, sans cesse, me montrais le chemin
de la science et de la
vérité.
Remerciements
A présent, il ne conviendrait pas de taire nos
sentiments de gratitude à l'égard de tout un chacun qui a
contribué, de prêt ou de loin, à la réalisation et
à la finalisation de cette dissertation philosophique qui couronne notre
premier cycle en Philosophie à l'Université Catholique du
Congo.
Nous remercions chaleureusement Son Excellence Monseigneur
Gaspard Mudiso, Evêque de Kenge, d'avoir bien voulu nous recommander
auprès de Missio Aachen, à travers l'Université
Catholique du Congo, pour l'obtention de la bourse qui nous a permis
d'atteindre ce niveau d'étude.
Plein de reconnaissance, il nous plait de remercier infiniment
le Professeur Abbé Jean-Chrysostome Kapumba AKENDA qui, en dépit
de ses multiples occupations, a bien voulu accompagner et diriger ce travail.
Mes hommages, Professeur, pour m'avoir facilité cette entrée
initiale dans le domaine de Philosophie des Sciences.
Nos remerciements s'adressent aussi particulièrement
à l'Abbé Marcous Bindungwa et à l'Assistant Guy-Alain
Ramazani qui nous ont lu et corrigé.
Nous remercions également tous les Professeurs et
Formateurs que nous avons rencontrés durant notre cursus
académique. Nous pouvons faire référence aux Professeurs
Célestin Dimandja (de qui nous avons éprouvé le goût
du domaine de Philosophie des Sciences, mes hommages Professeur), Ignace
Mvuezolo (pour son souci de méthodologie des Sciences), Cléophas
Nketo, Benoît Okolo, Georges Ndumba, Michel Mbambi,
Bienvenu-Fréderic Mabasi, Félicien Mpuku, Philippe Kitenge,
Gyavira Mushizi, Noël Nteranya, pour la science acquise et leurs
accompagnements. Nous pensons aussi, dans cette lignée, aux Assistants
Jean-Paul Yafali, Fréderic-Adelbert Kinkani et Arlette Masamuna.
Nos remerciements s'adressent aussi
sincèrement à mes parents, à mes frères
Gédéon Mbulu, Marcellin Mbulu, Michaël Mbulu, et à
mes soeurs Lina Ngungu, Nancy Malaka, Sophia Mbulu, Rachel Mbulu, Rebecca
Mbulu, Keren Mbulu et Gémima-Verlaine Mbulu, pour votre affection et
votre soutient moral, matériel et spirituel.
A mes oncles et tantes : Honorable Dénis Tabiana,
Joachim Gabia, Joseph Gabia, Cyrille Gabia, Saturnin Gabia, Berthe Gabia,
Marianne Mombong, Philomène Ngyama, Béatrice Ngyama, Nancy Nzala,
Cynthia Nzala et les autres, qu'ils trouvent dans ce travail le fruit de leurs
durs labeurs.
Nous pensons également à nos cousins et
cousines. Entre autres : Godefroid Mayobo, Junior Tabiana, Docteur Daniel
Gabia, Paul Mambulu, Nico Den Hollander, Elie Junior, Christine Ngali, Nancy
Tabiana, Marianne Tabiana, Merveille Gabia, Odile Tabiana, pour votre amour et
votre sens de fraternité.
Nous remercions profondément tous nos camarades
étudiants de la troisième année de Philosophie, pour
l'attention particulière qu'ils nous ont accordée tout au long de
ce chemin.
Enfin, nous tenons à remercier, de plein coeur, tous
ceux qui nous ont aidé d'une manière ou d'une autre pour la
réalisation de ce travail. Nous pensons spécialement à la
Famille Mubiala Constant, à la Famille Mate Victor et Françoise,
à la Famille Mesa Valentin, à la Famille Mankwaka Jacques,
à Rolando Trévisan, à Pietro Rinaldi, à
l'Abbé Cyrille Luwala, à Landry Mate, à Jean-Damas Bwiza,
à Aimé Mitengezo, à Nadège Mbidi, à Eunice
Kapinga.
A tous nos amis pour vos encouragements et votre
amitié. Nous pouvons faire référence entre autre à
Augustin Isungu, à Jackson Bokole, à Tshitshi Kasongo, à
Héritier Mesa, à Jean Yongo, à la Soeur Bernadette Mikabi,
à Vanessa Bota, à Me Huguette, à Fanny Khonde, à
Christianne Tshimpanga, à Louise, à Philadelphie Winnie, à
Carine Makanda, à Betty Mashingo, à Jolie Madia, à Sarah
Ndumba et à tous nos amis.
0.
introduction generale
0.1.
Problématique
Démarche double et complémentaire,
théorie et expérience sont les instruments de notre connaissance.
Sans la théorie, l'expérience est aveugle ; et sans
l'expérience, la théorie ne peut trouver matière à
se renouveler ni à progresser. Toute théorie scientifique
constitue l'articulation systématique d'un ensemble de lois. Par
exemple, la théorie de la gravitation inclut la loi de la chute des
corps, la théorie de la lumière, la théorie de
l'Hydrostatique, etc. Et l'expérience de Physique se voit comme une
construction théorique et schématique, une voie de mise en
application des théories scientifiques.
Il est vrai que, dans l'histoire des sciences, depuis les
présocratiques jusqu'à nos jours, en passant par Aristote,
nombreux sont les philosophes qui se sont intéressés aux
questions de la connaissance scientifique en général, de la
physique en particulier. Et Pierre Duhem1(*) nous situe dans les grands débats qui agitent
les scientifiques au début du vingtième siècle. Ces
débats ne sont qu'une suite de querelles qui ont opposé depuis
toujours les différentes écoles scientifiques. Ce que d'aucuns
considèrent comme des manifestations d'une « crise de la
physique » et de la science en général, lorsque la
théorie ne sait plus expliquer le réel, notre auteur le
perçoit au contraire comme un nouvel épisode du conflit
éternel qui met aux prises, d'un côté, ceux qui s'acharnent
à vouloir expliquer, c'est-à-dire à vouloir
déterminer les causes premières des phénomènes par
la seule raison et, de l'autre côté, ceux qui, plus pragmatiques,
s'acharnent à rechercher les lois et non les causes et donnent à
l'expérience une place centrale pour expliquer les
phénomènes. Les premiers sont des rationalistes et les seconds
les positivistes (empiristes).
En effet, le rationalisme a une position philosophique
stipulant que la raison est la première source des connaissances et
domine sur les données de sens. L'esprit rationaliste fait de la raison
la lumière qui éclaire toute connaissance, toute
découverte. Il postule, ainsi, l'existence en la raison des principes
logiques universels - principe d'identité, principe de
non-contradiction, principe du tiers exclu et principe de raison suffisante -
et d'idées a priori, c'est-à-dire indépendantes de
l'expérience et précédant toute expérience. Le
principe de base du rationalisme, que l'on pourrait qualifier de
« conservateur » ou
« réactionnaire » au sens où il
rejette le changement et la remise en cause de dogmes scientifiques
établis, passe souvent par un réductionnisme où
l'inexpliqué est réduit à la thèse
préférée des explications connues.
En outre, loin d'exclure l'expérience, le rationalisme
kantien en fait l'une des deux sources de nos connaissances et
réconcilie en ce sens rationalisme et empirisme. Mais il convient de
préciser ce que l'on entend dès lors par
« expérience ». Elle ne saurait consister
en un fait brut, en une vérité du réel se donnant à
nous dans l'évidence du constat immédiat. Sans la
médiation de la raison, l'expérience resterait muette et ne
saurait rien nous enseigner. Les faits ne parlent pas d'eux-mêmes. Quant
à E. Kant, « il estime que l'expérience sensible,
quoique indispensable, ne suffit pas, et ne serait rien sans la pensée,
qui nous permet d'appréhender et d'ordonner l'expérience
concrète »2(*). Pour ce faire, les physiciens doivent procéder
par la construction d'une théorie au préalable, qui doit les
conduire durant toute leur expérimentation. Ils questionnent la
réalité par les hypothèses, et la réalité
répond grâce à l'expérience.
Il est vrai que, selon G. Bachelard, une expérience de
physique doit atteindre une certaine positivité. Toutefois, cette
positivité de l'expérience ne saurait être absolue,
puisqu'« une expérience ne peut être une
expérience bien faite que si elle est complète, ce qui n'arrive
que pour l'expérience précédée d'un projet bien
étudié à partir d'une théorie
achevée »3(*).
Par ailleurs, dans une conception plus radicale, A. Comte
fonda le positivisme que K. Popper considère d'ancien positivisme. Il
pensait que le monde pouvait se réduire à des
phénomènes explicables par des lois exprimées en
langage mathématique. Les chercheurs positivistes se sont montrés
les plus radicaux en refusant l'idée qu'il puisse y avoir une
connaissance vraie a priori. Pour le positivisme, la raison à elle seule
ne produit aucune action, puisque la raison est impuissante dans le domaine de
l'expérience. Selon les positivistes, l'expérience est la seule
source de connaissance des théories scientifiques. Ces dernières
dérivent toutes de l'expérience et des faits observables.
Certainement, les philosophes positivistes du Cercle de Vienne (positivistes
modernes) pensaient que la science est un système
d'énoncés. Ils réduisent donc à la
scientificité uniquement les énoncés d'expériences
élémentaires ou atomiques. La raison peut-elle conduire seule
à la scientificité comme l'expérience ?
Les positivistes pensent que se fier uniquement à la
raison, en évitant de s'intéresser aux phénomènes,
a produit nombre de théories fausses. C'est le cas des notions physiques
d'Aristote et de R. Descartes, car la raison est tentée d'opérer
des déductions qui ne correspondent pas toujours à ce qui a lieu
dans la nature. Déduire est fécond en mathématiques, parce
que le réel n'y intervient aucunement, mais déduire produit des
erreurs lorsque la raison s'illusionne sur ses capacités en
prétendant deviner seule les lois de la nature. Pour ce faire, les
positivistes pensent que l'énoncé scientifique vient de nos
expériences et observations, et en reste tributaire.
De ce débat, nous pouvons retenir, d'une part, que les
tenants du rationalisme pur se positionnent contre l'interprétation.
Pour eux, la théorie sert d'explication des faits ; il ne
conviendrait pas de chercher à interpréter les
phénomènes, puisqu'il faut les expliquer pour en
déterminer les causes premières. D'autre part, les positivistes
empiriques voient dans l'énoncé d'observation le fondement de
toute théorie et de toute scientificité. Que pense P. Duhem face
à ce débat épistémologique ?
En réalité, P. Duhem pense que ces deux
écoles (courants) épistémologiques accusent
réciproquement leurs méthodes d'être à l'origine
d'erreurs, puisque les uns se basent sur des principes métaphysiques et
les autres sur l'induction qui est, logiquement, une erreur dans la
découverte scientifique. C'est pourquoi, dans le souci de donner
à la physique une certaine autonomie, en lui accordant une
méthode propre et un but précis afin qu'elle offre une
connaissance sans erreurs, nous voulons savoir si la théorie et
l'expérience doivent soit expliquer les phénomènes soit
les représenter et les interpréter. Certes, il y a deux
critères de scientificité de la science : l'apriorité
logique et l'empiricité. Même si P. Duhem privilégie
l'opérationnalité logique, il ne néglige pas cependant
l'empiricité ou la reproductibilité technique comme un des
critères de scientificité d'une théorie. C'est pourquoi,
il est nécessaire d'examiner sa façon de concevoir
l'expérience de physique.
0.2.
Hypothèse
P. Duhem pense que, quand on interprète, on court moins
de risques de se tromper que quand on veut expliquer. C'est pourquoi, faisant
une récupération de la pensée duhémienne, nous
élaborons l'hypothèse de base, de notre étude, selon
laquelle l'expérience de physique serait une interprétation
théorique des faits observés. Parce que nous pensons que
l'expérience est une construction et une schématisation, ayant
pour fondement les théories physiques qu'un expérimentateur
regarde comme établie. C'est ainsi que notre interprétation
théorique se veut être une représentation de la
réalité et non une explication du monde.
Notre hypothèse trouve sa raison d'être dans le
fait que, l'expérience, comme nous le démontrerons dans notre
travail, n'est pas à éloigner de la théorie physique dans
la pensée de P. Duhem, car la théorie physique clarifie justement
l'interprétation des phénomènes observés
minutieusement. C'est pourquoi notre auteur pense que l'expérience de
physique « n'est pas le récit des faits constatés,
c'est l'interprétation de ces faits, c'est leur transposition dans le
monde idéal, abstrait, symbolique, créé par les
théories que le physicien regarde comme
établies »4(*). L'expérience, pour lui, n'explique pas la
nature, mais elle l'interprète.
0.3.
Objet
Notre travail abordera la conception de P. Duhem sur
l'expérience de physique, et la véritable relation de
l'expérience avec la théorie. Voilà qui justifie le titre
de notre travail : L'expérience comme interprétation
des faits dans « La Théorie physique » de
Pierre Duhem.
Nous pensons présenter, d'une part, la théorie
physique et, d'autre part, l'expérience de physique et surtout concilier
la théorie et l'expérience, parce que la démarche qui fait
correspondre la théorie à l'expérience ne prétend
pas expliquer le monde, mais plutôt l'interpréter ou le
représenter. Il est aussi nécessaire d'examiner le rapport entre
ces deux réalités qui contribuent au progrès de la science
physique, en particulier, et des sciences en général.
0.4.
Intérêt
L'intérêt que nous inspire ce sujet à la
fin de notre cycle de graduat en Philosophie est capital, puisqu'il
apparaît comme une préparation rigoureuse à affronter la
problématique actuelle de la philosophie des sciences : celle de la
croissance et/ou du progrès des sciences, qui implique aussi la question
de la croissance de l'intelligence humaine.
Pour le moment, l'intérêt suscité par ce
travail est de savoir si la théorie et l'expérience doivent soit
expliquer les phénomènes soit les représenter et les
interpréter. Ce qui nous projette dans les grands débats
évoqués ci-haut. Confrontant la théorie physique et
l'expérience, P. Duhem donne une position plus ou moins originale et
voudrait dépasser la problématique des querelles entre
rationalisme et positivisme, dans la mesure où il concilie la
théorie et l'expérience. Pour lui, la théorie et
l'expérience sont inséparables. On ne peut pas les
éloigner l'une de l'autre.
0.5. Méthode
Pour atteindre l'objectif que nous nous sommes fixé -
comprendre l'expérience comme interprétation des faits et
appréhender la véritable relation de l'expérience avec la
théorie en physique - nous emprunterons la méthode
analytico-critique. Notre analyse se ressourcera particulièrement de
l'ouvrage de P. Duhem qui porte le titre de La Théorie physique. Son
objet-sa structure.
Cependant, notre travail se
consacrera plus sur l'analyse de la pensée duhémienne et une
critique n'interviendra que dans la conclusion et perspectives. Cela se
justifie dans la mesure où, parmi les commentateurs de P. Duhem, nous
n'avons pas retrouvé des critiques. Tous ceux que nous avons lus veulent
faire connaître les idées fondamentales de P. Duhem, en se
plongeant uniquement dans une analyse logique. C'est pourquoi nous aussi,
voulant être de cette lignée, nous nous sommes limité
à analyser la conception duhémienne de l'expérience de
Physique.
0. 6. Subdivision du travail
Le projet de ce présent
travail est de montrer que l'expérience de physique est une
interprétation théorique des faits. Cette expérience
s'éloigne de l'expérience ordinaire et se meut dans un monde
théoriquement et techniquement construit.
Ce travail s'articule autour de deux chapitres qui
s'enchevêtrent. Le premier chapitre intitulé, La Nature de la théorie physique, soutient
l'idée selon laquelle une théorie physique est une
représentation et une classification naturelle des lois
expérimentales. Le deuxième chapitre, sous le
titre de L'Expérience de physique,
cherche à déterminer la nature de l'expérience dans la
science physique, tout en montrant que l'expérience de physique est une
interprétation de faits.
Chapitre premier
LA
NATURE DE LA THÉORIE PHYSIQUE
I.0.
Introduction
L'objectif de notre étude est de préciser la
nature de l'expérience de physique en tant qu'interprétation des
faits observés et non pas comme une copie directe de la
réalité. Cependant, avant d'y arriver, il nous semble important
de préciser la nature de la théorie physique, puisque le but
primordial de notre auteur, dans son ouvrage La Théorie
physique que nous avons exploité, était justement
celle-là de révéler la nature véritable d'une
théorie physique et ses différentes opérations.
Préciser la nature de la théorie physique est,
comme le relève P. Duhem, fonction de différentes conceptions.
D'un côté, certains philosophes pensent que, la théorie
physique « a pour objet l'EXPLICATION (sic
l'explication) d'un ensemble de lois expérimentalement
établies »5(*). Il faut alors montrer plus exactement ce qu'est une
« explication » des lois en physique. Et ceci nous
conduira à poser, selon P. Duhem, que la théorie comprise comme
une explication des phénomènes de la nature est dépendante
de la métaphysique. De l'autre côté, d'autres philosophes
pensent que la nature véritable d'une théorie physique peut
prendre une autre signification si nous affirmons que la théorie
physique n'est pas une « explication »6(*), et c'est, plutôt, tout un
système construit des propositions mathématiques en vue de
représenter les lois expérimentales. Ces deux conceptions feront
l'objet respectivement de la première et de la seconde sections du
présent chapitre.
I.1.
La Théorie physique comme explication
En général, nous dit A. Lalande, expliquer,
c'est « développer ou décrire, donner une
détermination précise à ce qui était inconnu, vague
ou obscur »7(*). Cependant, pour une théorie physique, il
s'agit du dévoilement de l'être de la réalité. C'est
de cette manière que l'on a d'abord conçu une théorie
physique. Cette conception a été qualifiée de trop
métaphysique par certains épistémologues dont notamment P.
Duhem. Mais comment se réalise ce dévoilement ? En quoi cette
conception est-elle métaphysique ? Telle est la double
préoccupation de cette première section.
I.1.1.
Le Dévoilement de l'être de la réalité
Pour certains épistémologues, la théorie
physique a pour but de synthétiser les lois et de les expliquer. Tout
d'abord on peut synthétiser un ensemble de lois relatives à
certains phénomènes en faisant connaître les causes de ces
phénomènes. L'explication réelle, découvrant la
cause, permet d'en connaître adéquatement tous les effets.
Le concept « explication », comme
nous l'avons dit, est un dévoilement de l'être de la
réalité, un dépouillement de la réalité des
apparences sensibles en vue de la contempler telle qu'elle est dans sa
nudité, c'est-à-dire que la réalité devient
identique à la théorie8(*). Nous examinerons deux acceptions de ce concept
« explication », afin de saisir l'explication
comme dévoilement de l'être de la réalité : une
explication réaliste et une explication hypothétique.
En effet, le physicien qui observe les
phénomènes ne fait pas un rapport immédiat avec la
réalité matérielle qui se cache sous les apparences
sensibles, puisque l'objet des lois expérimentales n'est pas la
réalité matérielle, mais plutôt les apparences
sensibles sous une forme générale et abstraite. C'est pourquoi,
dans son souci d'expliquer la réalité, le physicien cherche
à dépouiller les voiles des apparences sensibles qui
l'empêchent de mettre à nu et face à face la
réalité. D'où, sa théorie cherchera à
percevoir ce qui est réellement dans les phénomènes
observés. Il cherche à connaître la réalité
dernière et intime à partir des apparences, croyant saisir
cette réalité sur base de ses sensations. C'est le cas des
théories acoustiques qui « font connaître le son tel
qu'il est par rapport à nous, non tel qu'il est en lui-même, dans
les corps sonores »9(*). Pour ce faire, les théories acoustiques
cherchent à nous faire connaître la réalité à
partir de nos sensations qui ne constituent que des apparences. Elles nous font
découvrir les rapports réels des choses les unes avec les autres.
C'est ainsi qu'elles nous donnent et expliquent chaque détail concernant
cette apparence que nous appelons son en révélant la structure
réelle de la réalité sonore. Toutes ces explications
conviennent à la certitude des lois expérimentales des
phénomènes sonores, et nous pouvons même palper du doigt
tous les mouvements que le physicien attribue à cette
réalité sonore.
Mais certainement, la théorie physique devrait
répondre au problème du degré de perfection. Elle ne
saurait révéler la réalité telle qu'elle se
présente en elle-même, du moment qu'une explication réelle
de la nature, à partir des apparences sensibles, est impossible ;
parce que, comme nous le dit P. Duhem, « (...) la
réalité qu'elle proclame résider sous ces apparences, elle
ne peut la rendre accessible à nos sens »10(*). Et cela d'autant plus que le
physicien ne peut pas dicter des lois à la nature, comme il ne
maîtrise pas la réalité des choses extérieures.
Une deuxième acception du terme
« explication » est appelée conception
hypothétique de la réalité. Elle préconise que la
théorie puisse se contenter d'expliquer à partir de l'apparence
sensible en se faisant maître de la réalité,
c'est-à-dire en voulant que la réalité obéisse
à sa prévision ; comme pour reprendre Protagoras qui pensait
que « l'homme est la mesure de toute chose ». A
l'instar de la théorie vibratoire de la lumière qui nous fournit
une explication hypothétique, partant de l'idée qu'il y aurait un
élément nommé
« éther » qui se situerait au-delà
de nos sensations. Et ce n'est qu'à partir de cet élément
considéré comme principe fondamental que l'on peut supposer
toutes les conséquences sur base d'un raisonnement déductif. En
d'autres termes, nous pouvons nous référer à H. Bouasse
pour qui « la physique cherche dans son domaine à
reconstruire le monde, à le déduire par voie purement
syllogistique d'un principe général une fois
admis »11(*). Cela conduit justement à
l'établissement des lois expérimentales.
I.1.2.
Une conception métaphysicaliste
La plupart d'épistémologues ont qualifié
de métaphysicaliste la conception de la théorie physique comme
explication de la réalité, parce que la théorie physique
et sa valeur dépendent de la métaphysique.
En effet, la théorie conçue comme explication
est loin de nous fournir la réalité physique, car cette
explication est fondée sur les apparences sensibles que l'on ne saurait
dégager pour la saisie de cette réalité physique. Tout
compte fait, Aristote pensait jadis que dans la science physique on
recherchait la nature essentielle, même s'il s'agit d'étudier ce
qui est principe d'animation, celui-ci est compris en rapport avec la
matière sensible. C'est pourquoi, « (...) il appartient au
physicien de spéculer sur cette sorte d'âme qui n'existe pas
indépendamment de la matière »12(*). Nous le voyons, dans la
théorie optique d'I. Newton qui, lorsqu'il parle de la dispersion de la
lumière, se limite à détailler et à analyser les
apparences sensibles que sont les éclairements, qui ne sont que des
représentations abstraites et générales de certaines
sensations. Cette théorie n'atteint pas la réalité
puisqu'elle n'analyse que des apparences complexes en apparences plus simples.
La question à laquelle on se propose de répondre est
celle-ci : les théories physiques sont-elles des explications
réelles sur la nature ? Et pourtant, une théorie est
constituée d'un ensemble de propositions exprimant des
éléments de la réalité matérielle et
non un ensemble de nos perceptions et apparences sensibles.
Notre auteur préconise de passer à un examen des
notions qui relient ces propositions pour déterminer si elles expriment
soit les éléments de la réalité matérielle
soit les caractères universels de nos perceptions.
Mais si nous voulons arriver à un tel examen, une
condition de possibilité nous est posée : celle de savoir
que, derrière toutes les apparences sensibles que nous fournissent nos
perceptions, réside une réalité non perceptible par les
sens ; cette réalité n'est pas l'objet de la méthode
expérimentale. Les observations, dont use la physique, ne peuvent pas
appréhender une telle réalité, car la physique ne peut pas
toucher ce qui la transcende. Toutefois, une explication métaphysique
pourrait atteindre ce point d'accord tant qu'elle cherche à
appréhender la nature ou l'essence de la réalité
matérielle. Ainsi, selon P. Duhem, nous ne connaîtrons en physique
que ce que la science physique sera susceptible d'atteindre, et rien autre, car
il n'y aura pas d'autre moyen de connaître dans le domaine qui est
l'objet de la Physique.
Nous pensons que si la réalité non perceptible
par les sens fait l'objet de la métaphysique, alors la théorie
physique telle que conçue par l'opinion précédente comme
une explication des lois expérimentales est subordonnée à
la métaphysique. Plus exactement, la théorie physique
dépend de la métaphysique, d'autant plus que l'explication que
fournit cette théorie, comme nous venons de l'exposer, est une
explication métaphysique qui cherche à donner une explication
réaliste des faits. Ainsi, la physique qui puise ses théories des
explications réalistes et hypothétiques reste bornée sur
la métaphysique13(*).
En paraphrasant P. Duhem, nous pensons que tout comme la
théorie physique est subordonnée à la métaphysique,
elle dépendra du système métaphysique qu'on adopte pour
l'édifier, quant à l'appréciation de sa valeur et de son
statut. Certainement, une théorie se fondera sur les principes
métaphysiques de telle ou telle doctrine qui la sous-tend.
Nous pouvons faire appel à la théorie des
actions que l'aimant exerce sur le fer. Cette conception livrera une
explication réaliste des phénomènes partant de
l'idée selon laquelle, dans ce morceau de fer, il y a une permanence
magnétique dans sa matière et, sa forme sera sujette à des
altérations diverses que pourra subir le fer ; parce que toute
substance, selon Aristote, est constituée de deux
éléments : la matière et la forme. Ces deux
éléments font l'objet de son hylémorphisme14(*). C'est ainsi que, montrer la
permanence de la matière dans la substance
« fer », d'une part, et les altérations et
changements de la forme d'autre part, suffit pour un
péripatéticien de donner une explication complète de
l'aimantation. C'est le cas de la théorie du magnétisme de N.
Cabeo15(*) en 1629.
Au contraire, cette théorie sera tenue pour
erronée selon le système métaphysique adopté par I.
Newton, puisque R.-J. Boschovich, dans sa Philosophie naturelle
basée sur les principes newtoniens, n'établit pas une distinction
entre matière et forme dans la substance matérielle. Cette
dernière est plutôt composée d'un nombre immense de points
doués de masse qui interagissent entre eux. Et pourtant, les atomistes,
quant à eux, conçoivent la matière comme l'ensemble des
atomes ; l'atome étant considéré comme la plus petite
partie indivisible d'un corps. Par ailleurs, les cartésiens tiendront
pour substance matérielle l'étendue et la
quantité, puisque pour R. Descartes, la nature de la
matière n'est pas dans sa dureté ni dans sa pesanteur ou sa
chaleur, c'est plutôt « l'étendue en longueur,
largeur et profondeur (...) que les géomètres nomment
quantité »16(*).
De la même manière, les oppositions entre
différents systèmes métaphysiques se créent partant
de la façon de concevoir la théorie magnétique des corps.
Ces oppositions vont des péripatéticiens aux newtoniens et aux
atomistes, en culminant aux cartésiens. Néanmoins, notre auteur
nous dira plus tard que le système théorique ne doit pas
avoir « (...) pour objet de fournir une explication, mais une
représentation et une classification naturelle d'un ensemble de lois
expérimentales »17(*).
Il est vrai que la théorie des phénomènes
magnétiques n'a pas la même considération dans chacun des
systèmes métaphysiques précités. Car chaque
système conçoit la matière différemment des autres,
de telle sorte que les explications accordées à l'aimantation
s'opposent et ne trouvent point de consentement universel. Mais si la
théorie physique a pour but de nous fournir des lois qui soient
universellement agréées, alors nous pouvons nous poser une
question fondamentale : peut-il y avoir un système
métaphysique qui trouverait le consentement universel ? Dès
l'instant où les systèmes métaphysiques ne sont pas
d'accord entre eux, nous sommes tenté de dire comme P. Duhem :
« il est clair qu'en mettant la physique théorique sous la
dépendance de la métaphysique, on ne contribue point à lui
assurer le bénéfice du consentement
universel »18(*). Car, aucun système métaphysique n'est
disposé à ce consentement.
De ce fait, exactement comme nous l'avons montré
ci-haut, chaque école métaphysique se donne sa propre conception
de la matière. De celle-ci découlent les principes ou les
fondements des théories physiques. Au même moment, ces
écoles rivalisent en ce qui concerne les explications apportées
par chacune d'elles : disant que ces explications sont des
inexpliquées.
Certainement, nous pensons qu'il reste impossible de fonder ou
de construire une théorie physique sur les conclusions d'un
système métaphysique, du fait que ce dernier recourt à des
notions parfois inexplicables par les propositions du même
système. Souvent, comme le souligne notre auteur, les partisans d'un
système ne sont pas à même de fournir des explications de
ce qu'ils défendent, en retombant à chaque instant à
l'inexpliqué qu'ils considèrent comme structure réelle de
la réalité. D'ailleurs, G. Berthoud, dans son ouvrage Les
nouvelles conceptions de la matière et de l'atome, affirme ce qui
suit : « Les théories nous fournissent des images des
phénomènes ou permettent de concevoir entre eux des rapports qui
n'apparaissent pas à première vue. Mais aucune n'en donne une
véritable explication et n'en fait connaître la nature, qui nous
échappe et nous sera vraisemblablement toujours
inaccessible »19(*). Nous pensons, avec P. Duhem, qu'à vouloir
insister sur le fait d'expliquer la réalité, la théorie
physique conçue comme une explication s'enferme dans un
réductionnisme où l'inexpliqué est réduit à
la thèse préférée des explications connues.
Ainsi donc, il convient de signifier que, pour qu'une
théorie physique atteigne son but, il faudrait au préalable
écarter toutes les considérations métaphysiques en son
sein, parce que « la théorie ne prétend pas
énoncer la nature ni même la structure réelle dont l'effet
réel serait l'ensemble des phénomènes
observés ; elle est un point de départ logique d'où
des lois expérimentales peuvent être
déduites »20(*). De la sorte, nous nous sentons dans la
nécessité de montrer la véritable nature de la
théorie physique. Celle-ci étant, pour P. Duhem, une
représentation de la réalité, puisque la physique moderne
n'a plus l'ambition d'atteindre l'essence des choses ; ses théories ne
prétendent pas être immédiatement des explications
réelles.
I.2.
La Théorie physique comme représentation
La théorie physique, dans sa conception
métaphysique développée ci-haut, est confrontée
à un problème qui lui est interne et inhérent : celui
du degré de perfection. A ce titre, on ne peut pas en connaître la
vraie nature. Cette dernière consiste en la représentation de la
réalité. Mais en quoi consiste cette représentation et
comment celle-ci se réalise-t-elle ?
I.2.1.
La Représentation : véritable nature de la théorie
physique
Voulant dépasser les conflits conceptuels introduits
dans la physique par les systèmes métaphysiques, nous nous
donnons pour tâche de montrer la nature d'une théorie physique.
En paraphrasant notre auteur, nous nous proposons de poser
dès maintenant la définition de la théorie physique.
Laquelle définition nous révélera sa nature
véritable. P. Duhem écrit : « Une théorie
physique n'est pas une explication. C'est un système de propositions
mathématiques, déduites d'un petit nombre de principes, qui ont
pour but de représenter aussi simplement, aussi complètement et
aussi exactement que possible, un ensemble de lois
expérimentales »21(*).
En effet, cette définition renferme quelques
opérations caractérisant la construction d'une théorie
physique. Remarquons cependant que l'ordre de ces opérations accentue la
particularité et l'originalité de notre auteur dans l'histoire
des théories physiques, parce que la théorie se constitue de
manière autonome, par rapport à l'expérience qui aura
énormément besoin de la théorie pour sa
réalisation, dans une sphère toute formelle et
mathématique. Il se laisse établir quatre étapes à
réaliser pour aboutir à une théorie dans la conception
duhémienne, à savoir : « La définition
et la mesure des grandeurs physiques ; le choix des
hypothèses ; le développement mathématique de la
théorie ; et la comparaison de la théorie avec
l'expérience »22(*).
Il est certain que notre auteur défend l'idée
d'une physique théorique qui soit une physique mathématique, pour
qu'« (...) elle devienne une science claire,
précise, exempte des perpétuelles et stériles
disputes »23(*). Sa construction théorique le prouve
clairement. C'est pourquoi, P. Duhem propose que l'on fasse correspondre aux
symboles mathématiques les propriétés physiques
susceptibles d'être représentées par un calcul
approprié. Dans cette perspective, ces symboles ne remplacent pas les
propriétés qu'ils représentent, et ne prétendent
même pas nous révéler la nature intime des choses ;
mais plutôt, ils entretiennent avec les propriétés
physiques une relation référentielle. C'est ce que confirme H.
Poincaré, lorsqu'il dit : « (...) les théories
mathématiques n'ont pas pour objet de nous révéler la
véritable nature des choses ; ce serait là une
prétention déraisonnable »24(*). Ce caractère
mathématique se trouve, en outre, dans la troisième étape
où, après avoir élaboré les hypothèses qui
servent de principe aux déductions mathématiques engendrant la
théorie physique, il faudrait passer au développement
mathématique de la théorie qui lui confère un
caractère abstrait et général, parce que les
représentations concrètes sont fragiles dans une
théorie ; ce qui subsiste plutôt, ce sont des formes
symboliques et abstraites auxquelles ces représentations sont conduites.
En fait, cette troisième opération « (...) a pour
objet de nous enseigner qu'en vertu des hypothèses fondamentales de la
théorie, la réunion de telles circonstances entraînera
telles conséquences ; que tels faits se produisant, tel autre fait
se produira...en vertu des hypothèses de la Thermodynamique, que si nous
soumettons un bloc de glace à telle compression, ce bloc fondra lorsque
le thermomètre marquera tel degré »25(*). D'ailleurs, nous savons bien
que cette mathématisation de la nature nous offre un consentement
universel de la connaissance de la réalité physique ; et
aussi, elle confère un progrès technoscientifique à
l'homme moderne.26(*)
Disons, enfin, que la dernière opération est un
apport le plus intéressant de P. Duhem. Ladite opération nous
paraît très utile, puisqu'elle dépasse la
problématique épistémologique entre rationalisme et
positivisme, en conciliant la théorie et l'expérience dans les
sciences physiques.
Notre objectif, dans ce chapitre, était de
préciser la nature de la théorie physique en tant que
représentation des lois expérimentales, comme la
définition de P. Duhem le stipule. Alors reprenons une grande
question de notre problématique : pourquoi représenter au
lieu d'expliquer ? C'est la question à laquelle il convient de
répondre sans plus tarder.
I.2.2.
De la représentation à la classification naturelle
Pour qu'une théorie atteigne son but, il faudrait
écarter au préalable toutes considérations
métaphysiques en son sein, puisque le but de la théorie physique
n'est pas d'expliquer les phénomènes de la nature ni les lois
expérimentales, mais bien plutôt de les représenter. P.
Duhem récuse l'idée que le but de la physique puisse être
de découvrir l'essence cachée des phénomènes. Comme
nous l'avons vu, la théorie est une synthèse des propositions
mathématiques. Ces symboles abstraits n'ont aucune prétention
d'expliquer la réalité non perceptible par nos sens. Ils
nous aident seulement à la représentation simple et exacte de la
réalité qui se cache à nos perceptions. Ce formalisme
mathématique qui représente le « réellement
réel » n'entretient qu'une relation de signifiant
à chose signifiée. Comme le dit P. Duhem, « Le
symbole mathématique forgé par la théorie s'applique
à la réalité comme l'armure au chevalier... Si nombreux
que soient les fragments qui la composent, jamais l'armure n'épousera
exactement le modelé du corps humain »27(*). C'est ainsi que les
théories physiques ont une exigence de s'exprimer en langage
mathématique28(*)
afin d'aider à l'interprétation théorique des
résultats symboliques de l'observation.29(*)
Il est clair, en effet, que la théorie physique est
comprise comme une représentation du réel en tant que tel. Cela a
été déjà conçu par Galilée qui,
à la seule différence de P. Duhem, pense que les
propriétés qu'elle distinguera seront distinctes dans le monde et
celles qu'elle identifiera seront identiques. C'est ce qui crée le
problème avec la conception conventionnaliste30(*) qui stipule que telle
représentation du réel est la seule possible.31(*) C'est pourquoi, nous soutenons
qu'une théorie physique représente la réalité
étant donné qu'elle ne peut la saisir dans sa nudité.
En fait, P. Duhem pense qu'une réflexion poussée
au fond d'une théorie physique renvoie à parler aussi de la
théorie comme classification naturelle. Pour lui, si les lois
élaborées par la physique expérimentale sont toutes
développées dans un ensemble sans les synthétiser selon
leurs domaines respectifs, la physique théorique, quant à elle,
se donne comme objectif de regrouper les lois expérimentales pour les
soumettre à un ordre et à une classification. Pour ce faire, la
théorie range chaque loi avec d'autres qui s'insèrent dans la
même optique en vue de permettre au physicien de résoudre
sans trop de difficultés un problème donné. Ainsi, on peut
dire d'une théorie qu'elle ne représente pas seulement les lois
expérimentales, elle les classe aussi, du fait que c'est
déjà pendant sa construction que ressortent des traits
spécifiques d'une belle oeuvre d'art. Cette impression esthétique
que la construction d'une théorie offre ne suffit pas parce qu'elle
renferme l'idée d'une classification naturelle32(*).
Or, qu'est-ce qu'une classification naturelle ? Par
classification naturelle, P. Duhem entend : « (...) un
ensemble d'opérations intellectuelles, (...) des rapprochements purement
idéaux, ne portant point sur les organes réels, mais sur les
conceptions généralisées et
simplifiées »33(*). La classification est donc un regroupement, mieux un
rapprochement des propriétés qui auraient des ressemblances de
par leur forme abstraite, schématique et symbolique. C'est pourquoi,
notre auteur pense que la théorie est appelée à devenir
une classification naturelle, puisque « (...) les théories
n'ont aucun pouvoir pour saisir la réalité, elles servent
uniquement à donner des lois expérimentales une
représentation résumée et
classée »34(*). Cette impression de classification naturelle que
suggère la théorie physique chez P. Duhem s'affirme en ce qu'elle
est susceptible de fournir même des prédictions des
phénomènes non encore observés.
Certes, à l'instar de la théorie vibratoire de
la lumière, le physicien qui pensera que ces vibrations sont des
explications s'enfonce dans l'illusion que nous ne saurons partager. Car nous
considérons ce mouvement lumineux sous sa forme abstraite et
générale. C'est pourquoi, au lieu d'expliquer, cette vibration
lumineuse représente le mouvement réel de la lumière. Avec
P. Duhem, nous comprenons que la marque d'une classification naturelle se
reconnaît dans une théorie physique aussi, parce qu'elle n'a pas
la prétention d'expliquer la réalité, mais entretient une
relation référentielle dans laquelle les représentations
théoriques concordent avec la réalité. C'est pourquoi
notre auteur affirme : « la physique théorique ne
saisit pas la réalité des choses ; elle se borne à
représenter les apparences sensibles par des signes, par des symboles.
Or nous voulons que notre physique théorique soit une physique
mathématique, partant que ces symboles soient des symboles
algébriques, des combinaisons de nombres »35(*). Les théories physiques
n'atteignent pas les causes des phénomènes, elles n'expriment que
les rapports fonctionnels qui lient algébriquement les résultats
des mesures. Ceux-ci sont des nombres concrets fournis par des
procédés qui définissent les propriétés
physiques.
Pour ce faire, le physicien devrait abandonner son souci
d'expliquer la nature, puisque cette explication subordonne la physique
à la métaphysique, comme la réalité non perceptible
fait l'objet de la métaphysique. Nous pouvons confirmer notre
première hypothèse en disant : « (...) la
théorie physique ne nous donne jamais l'explication des lois
expérimentales ; jamais elle ne nous découvre les
réalités qui se cachent derrière les apparences
sensibles »36(*) ; mais plus elle se perfectionne, plus elle
représente et classe les lois expérimentales. C'est pourquoi,
selon P. Duhem, les théories qui se laissent apercevoir comme
classification naturelle ne peuvent pas se poser en explication des lois
expérimentales.
Ainsi, nous pensons que pour notre auteur, la véritable
« classification naturelle » vers laquelle doit
tendre la physique ne peut pas être
un « mécanisme
général », mais bien une
« thermodynamique générale » pure de
tout élément métaphysique, et donc acceptable par
tous37(*). Ainsi,
étant une représentation et une classification naturelle, la
théorie doit savoir prévoir l'expérience.
I.2.3.
La Théorie précédant l'expérience
Cette dernière section se veut être une critique
de l'inductivisme. Selon K. Popper, « il est courant d'appeler
« inductive » une inférence si elle passe
d'énoncés singuliers (parfois appelés aussi
énoncés particuliers), tels des comptes rendus des observations
ou d'expériences, à des énoncés universels, telles
des hypothèses ou des théories »38(*). Les philosophes, qui
soutiennent la méthode inductive, pensent que les théories
scientifiques découlent de l'expérience. P. Duhem, dans son
article sur La Valeur de la théorie physique, considère
que selon l'empirisme, « la théorie tout entière
sort de l'expérience, et veut être le décalque de l'objet
empirique qui la fonde, la modèle, lui donne ses principes, sa
direction, son développement pas à pas, ses résultats et
sa confirmation »39(*). C'est pourquoi les penseurs empiristes pensent que
tout ce qui est théorie physique doit s'appuyer sur l'expérience
et doit en être issu directement. Contrairement à cette acception
générale des scientifiques, nous nous proposons de
préciser que les théories physiques viennent avant
l'expérience.
En effet, il convient de dire dès maintenant que, sur
base de notre argumentation précédente et même selon la
définition de la théorie physique que nous avons proposée,
la théorie précède et détermine
l'expérience, puisqu'elle se laisse comprendre comme une
représentation et une classification naturelle : « (...)
de même que les synthèses annoncées d'avance consacrent
la notation chimique comme classification naturelle, de même, la
théorie physique prouvera qu'elle est le reflet d'un ordre réel
en devançant l'observation »40(*). Ainsi, P. Duhem
préconise que l'expérience n'a de sens que relativement à
la théorie. Il devient alors possible d'interpréter les
observations avec des langages mathématiques ou des théories.
C'est cette idée même qui est au principe de la présente
étude où nous concevons l'expérience de physique comme une
interprétation théorique des faits. Mais, cette théorie
devançant l'expérience n'accroît sa valeur que si elle
représente exactement les lois expérimentales qui
régissent les faits. Une loi théorique pourra être alors
considérée comme une définition, de sorte que, si des
faits la contredisent, cela pourra vouloir dire, non que la loi est fausse,
mais que les faits incriminés ne tombent pas sous le coup de la
définition.
Certainement, il faut avoir une idée au
préalable de ce qu'on recherche. L'observation n'est pas neutre, mais
elle doit être dirigée par une hypothèse préalable.
L'hypothèse précède donc toujours l'observation.
Dès lors, il est faux de dire que la science consiste à collecter
des faits afin d'en tirer une généralité. C'est pourquoi
A. Chalmers, dans son célèbre ouvrage Qu'est-ce que la
science ?, condamne l'idée selon laquelle le physicien
procède à des observations pour aboutir à une
théorie, puisqu'on ne peut pas observer sans
« préjugés ». Le scientifique qui essaierait
de le faire n'aboutirait à aucun résultat. Cette critique se base
sur l'expérience électrique effectuée par H. Hertz, en
1888, pour tester la théorie électromagnétique de J.
Maxwell41(*). Ainsi, F.
Renoîrte ne fait qu'affirmer cette idée de la théorie
devançant l'expérience, en disant : « La
physique théorique ne part pas de l'expérience ; elle cherche
à savoir d'où il faut partir pour retrouver un aspect de la
réalité. Autrement dit : il ne s'agit pas de parcourir la longue
série des expériences particulières dont on peut
détailler les éléments sensibles qualitatifs, et à
partir de laquelle une adroite induction conduirait à une loi mais on
veut définir certaines grandeurs conceptuelles dont les rapports,
déduits mathématiquement, reproduisent, avec l'approximation de
l'expérience, les rapports entre les mesures
effectuées »42(*). Toutefois, P. Duhem pense que pour que la
théorie soit féconde et qu'elle suggère des
découvertes, elle doit remplir une condition : devenir une
classification naturelle. C'est aussi à cette condition qu'elle obtient
le droit de précéder l'expérience qui est, d'ailleurs, une
interprétation des phénomènes sur base d'un ensemble
théorique admis par l'expérimentateur.
Par conséquent, dire que la théorie physique est
construite en s'appuyant directement sur les faits est une erreur, puisque la
théorie, pour P. Duhem, ne se fonde pas sur l'expérience, elle
est plutôt contrôlée par l'expérience. En d'autres
mots, la théorie physique ne part pas des faits expérimentaux,
elle cherche quelles sont les propriétés fondamentales qu'il faut
attribuer aux choses et les relations qu'il faut poser entre les changements de
ces propriétés pour pouvoir en déduire des relations
équivalentes à celles que donne l'observation.43(*) Même K. Popper, à
la suite de P. Duhem, confirme notre point de vue. D'ailleurs, il pousse
très loin son analyse en envisageant dès lors que, les
résultats des expériences sont des interprétations qui se
fondent sur les théories physiques. Pour ce faire, K. Popper estime
que la théorie devance les faits, parce que les hypothèses
précèdent et orientent l'observation. Son but était celui
de montrer que la théorie vient avant l'expérience et qu'elle la
guide également. C'est pourquoi, dans son souci de contredire et de
réfuter les théories inductives, K. Popper pensent que les
énoncés d'observation sont des interprétations faites
à la lumière des théories.44(*) Cette conception poppérienne contribue aussi
à justifier notre hypothèse de base et, nous projette dans le
second chapitre du présent travail. Chapitre dans lequel nous
affirmerons clairement, et en d'autres termes que ces-là de K. Popper,
que l'expérience de physique est une interprétation
théorique de faits, puisque le théorique devance
l'expérimental.
I.3.
Conclusion
Notre premier chapitre a eu le mérite de faire un
parcours succinct des conceptions de la théorie physique, pour nous
faire clairement l'idée de ce qu'est réellement une
théorie physique. D'une part, nous avons montré que selon la
conception métaphysique, la théorie est comprise comme une
explication réaliste et hypothétique du réel, partant du
fait qu'une théorie nous révèle la réalité
telle qu'elle est dans sa perméabilité. Cette théorie
saisit la nature de ce qui est caché derrière les apparences. Et
puisque la théorie dépend, en fait, du système
métaphysique qui la construit, la physique théorique reste
subordonnée à la métaphysique. D'autre part,
réfutant l'opinion précédente - la conception
métaphysique -, parce que la théorie ne devine pas ce qui se
cache sous les données sensibles, nous avons démontré avec
P. Duhem que la théorie est une représentation des lois
expérimentales et une classification naturelle.
Une théorie physique se présente donc sous
la forme d'un énoncé universel portant sur la totalité des
événements d'un type particulier. Elle représente le
réel et prédit ce qui va arriver grâce à
la classification naturelle, puisqu'on ne connaît pas seulement pour
connaître mais aussi pour agir. La théorie scientifique n'est donc
pas une connaissance désintéressée contrairement à
la philosophie et au sens le plus ancien de théorie ; car,
l'interprétation théorique dans le processus expérimental
dépend de la théorie admise par le physicien.
Certes, P. Duhem ne nie pas que la théorie entretienne
un certain rapport avec le réel ; il soutient seulement que cela ne
se fait pas en cherchant à découvrir la réalité qui
se cache derrière les apparences sensibles, mais plutôt en
montrant un reflet de l'ordre réel par le biais de l'ordre logique que
la théorie insère entre les lois expérimentales. Pour lui,
chaque théorie scientifique est essentiellement
hypothético-déductive. La théorie ainsi conçue est
donc d'une empiricité secondaire. Ce qui compte est d'abord le
côté théorique et symbolique. C'est pourquoi, rejetant
l'idée empiriste selon laquelle les notions au moyen desquelles se
construisent les théories sont très directement fournies par
l'expérience, il est possible de dire que la théorie
s'établit d'une manière autonome dans une sphère toute
formelle et mathématique, absolument indépendante de toute
opinion métaphysique et de toute expérience. Ce n'est
qu'après son achèvement qu'interviendra la confrontation avec
l'expérience, de sorte que la réalité semble se
déduire des formules de la théorie et non l'inverse.
Ainsi, nous pensons que la théorie devance
l'expérience, afin qu'elle serve de guide à l'expérience
dans son interprétation théorique des phénomènes
observés minutieusement au laboratoire. Cette conception de
l'expérience comme construction théorique sera
développée amplement dans le chapitre qui suit.
Chapitre deuxieme
L'EXPERIENCE DE PHYSIQUE
II.0.
Introduction
Selon P. Duhem, l'expérience de physique n'est pas
à éloigner de la théorie physique. Celle-ci ne tente pas
d'expliquer la réalité. Elle est un système des
propositions mathématiques, ayant pour but la représentation de
la réalité dans un ensemble des lois expérimentales. Cette
représentation n'a pas une validité en soi. La certitude d'une
théorie physique dépend de la correspondance de ses conclusions
avec les faits observés (l'expérience), puisque
« l'accord avec l'expérience est, pour une théorie
physique, l'unique critérium de
vérité »45(*). Mais alors, qu'est-ce qu'une
expérience de physique ?
Notre préoccupation, dans ce deuxième chapitre,
sera de révéler ce qu'est une expérience de physique, dans
l'entendement de P. Duhem.
Ce chapitre est subdivisé en quatre sections. La
première - L'expérience comme interprétation
théorique - se consacrera à dévoiler la nature d'une
expérience de physique. Dans la seconde section - L'importance de
l'interprétation théorique -, nous cernerons cette importance
double dans la substitution abstraite et symbolique d'un côté, et
dans l'usage des instruments de l'autre côté. La troisième
- Comment l'expérience représente-t-elle fidèlement la
réalité ? -, évoquera quelques attributions et
avantages de l'interprétation et l'utilité d'une symbolisation.
La quatrième et dernière section - L'expérience de
physique et le témoignage du sens ordinaire - nous permettra
d'établir une distinction entre l'expérience de physique et le
témoignage du sens commun. Cette distinction n'est possible qu'en
analysant les avantages de la symbolisation.
L'expérience de physique se veut être un
dépassement de la simple constatation ou observation des faits, en vue
d'atteindre le niveau le plus élevé : une
interprétation des faits. C'est cette thèse que nous soutiendrons
tout au long de ce chemin.
II.1.
L'expérience comme interprétation théorique
La notion d'expérience est une notion ambiguë.
Selon A. Cuvillier, « l'expérience est une faculté
de connaitre par l'intuition sensible »46(*). Elle est prise pour une
empirie qui est « la donnée du fait
brut »47(*)
ou pour une simple observation qui « (...) reste au niveau de
l'expérience spontanée ou vulgaire, sans recourir à la
raison pour interpréter les données de cette expérience ou
les organiser en un système rationnel »48(*). Mais pour notre auteur,
l'expérience en physique est autre chose.
En physique, il y a une autre conception de
l'expérience selon La Théorie physique de P. Duhem.
Celui-ci pense que pour faire des expériences de physique, il faut avoir
des instruments et savoir lire une mesure sur leur échelle. En quoi
consiste cette expérience ? Pour répondre à cette
préoccupation, P. Duhem préconise deux moments dans une
expérience de physique : l'observation de certains
phénomènes et leur interprétation.
II.1.1. L'Observation des
faits
Dans le premier moment de toute expérience de physique,
il y a l'observation de certains faits au laboratoire. Toute personne habile
peut se lancer dans un tel exercice. Ceci ne nécessite pas une
connaissance étendue de la physique. Il suffit d'être capable
d'apercevoir des faits concrets qui se produisent au laboratoire. Cette
observation se fait à l'aide des instruments de mesure. Autrement dit,
c'est une observation armée qui se réalise dans un laboratoire de
physique.
Ainsi en est-il de l'expérience sur la
résistance électrique d'une bobine. Un physicien peut observer,
dans le laboratoire, les mouvements d'une bande lumineuse renvoyée sur
une règle en celluloïde par le miroir lié au fer
oscillé. P. Duhem dit : « (...) au moyen du
va-et-vient de cette tâche lumineuse, ce physicien observe minutieusement
les oscillations du morceau de fer »49(*). Cette observation, comme nous
l'avons déjà affirmé, peut être
réalisée par tout homme sain d'esprit. Il n'aura même pas
besoin de faire appel à une notion de physique pour donner un tel
récit de faits observés. D'ailleurs, notre auteur pense qu'un
jeune garçon très habile peut apercevoir les
phénomènes mieux qu'un physicien.
Cependant, cette constatation ne représente pas encore
l'expérience de physique, puisqu'il ne s'agit pas, ici, d'une
expérience sur les oscillations du morceau de fer, mais plutôt
d'une expérience pour mesurer « la résistance
électrique d'une bobine ». C'est pourquoi, P. Duhem
établit un deuxième moment dans l'expérience, celui qui
constitue son essence ou sa nature : l'interprétation des
phénomènes observés.
II.1.2. L'interprétation
des phénomènes observés.
La constatation ou l'observation des phénomènes
en appelle à l'interprétation de ces phénomènes,
afin de donner un résultat expérimental. Il convient de
préciser, ipso facto, que cette interprétation ne se fait pas au
hasard. Elle est distincte d'une simple observation, puisqu'« (...)
il ne suffit pas d'avoir l'attention en éveil et l'oeil
exercé ; il faut connaître les théories admises, il
faut savoir les appliquer, il faut être
physicien »50(*). Voilà trois conditions
énumérées par P. Duhem pour réaliser une
expérience de physique. Cela constitue justement un premier apport de la
théorie dans l'expérience de physique. Il est vrai que
l'interprétation des faits se réalise grâce à un
ensemble théorique admis par le physicien. Sans cette connaissance
théorique, nous ne pouvons pas parler d'une expérience de
physique. Celle-ci se révèle comme une interprétation
théorique de faits observés.
Certainement, selon P. Duhem, le récit des faits
concrets observés au laboratoire ne contribue nullement à
l'avancement de la physique. C'est seulement la partie interprétative
qui accorde à la physique un progrès quelconque, puisque c'est
à partir des jugements abstraits et symboliques, découlant de
l'interprétation théorique des faits, que l'on élabore des
lois physiques.
Dans l'expérience, l'interprétation des
phénomènes se réalise de la manière suivante :
les faits concrètement observés sont d'abord
représentés par des symboles abstraits créés par la
théorie ; ensuite, ces symboles sont interprétés
grâce justement aux théories physiques que le physicien tient pour
établies ; et enfin, l'expérimentateur fait correspondre ces
symboles abstraits aux faits concrets qu'il substitue. Voilà, les trois
phases de l'interprétation théorique.
Pour illustrer comment se réalisent ces trois phases
précitées, sont évoquées les expériences de
H. Regnault sur la compressibilité de gaz. En fait, pendant son
expérience, H. Regnault enferme une certaine quantité de gaz dans
un tube à verre, tout en maintenant une température constante.
Cela dans le but de mesurer la pression supportée par le gaz et le
volume qu'il occupe.
Comment s'effectue alors cette interprétation dans le
laboratoire ?
§ Première étape : la
représentation des faits par des symboles abstraits
P. Duhem nous fait remarquer que certains faits concrets ont
été observés par Regnault et ses aides. C'est ainsi
qu'après une observation minutieuse et précise, ils ont
décrit et représenté certains phénomènes
tels que :
1. L'image d'une certaine surface de mercure affleuré
à un certain trait qu'ils ont représentée par la valeur du
volume occupé par le gaz ;
2. La disposition de certains traits sur la règle et
sur le vernier du cathétomètre grâce à
l'augmentation du niveau de mercure affleurant le fil d'un réticule,
qu'ils représentent par la valeur de la pression supportée par le
gaz ;
3. Et enfin, la variation de l'oscillation du liquide entre
deux traits dans le thermomètre, qu'ils représentent par le
degré de température du gaz.
Cependant, les phénomènes réellement
observés ne figurent nullement dans le résultat des
expériences de H. Regnault sur la compressibilité des gaz. Il
inscrit uniquement les différentes représentations telles que la
valeur du volume occupé par le gaz, la valeur de la pression
supportée et le degré de la température à laquelle
a été porté le gaz. Et pourtant, ces
éléments ne sont pas des objets concrets, ils sont plutôt
« (...) trois symboles abstraits que, seule, la théorie
physique relie aux faits réellement
observés »51(*). Mais, qu'est-ce qui justifie la présence de
ces trois symboles dans le résultat d'une telle expérience ?
La réponse à cette préoccupation n'est autre que
l'expérience de physique n'est pas le simple récit de faits
observés, elle est une interprétation théorique de
phénomènes observés.
§ Deuxième étape :
l'interprétation théorique
Cette deuxième étape nécessite la
connaissance des théories physiques pour mieux interpréter les
symboles abstraits, puisque ces derniers sont créés par des
théories physiques.
Premièrement, pour obtenir l'idée abstraite du
volume occupé par le gaz, afin qu'elle représente aussi
exactement que possible l'affleurement du mercure en un certain trait, il faut,
selon P. Duhem, faire deux opérations :
1. Jauger le tube ;
2. Et connaitre le poids spécifique du mercure à
la température où s'est fait ce jaugeage.
Or, pour jauger le tube, il faut « (...) faire
appel non seulement aux notions abstraites de l'Arithmétique et de la
Géométrie, aux principes abstraits sur lesquels reposent ces
sciences, mais encore à la notion abstraite de masse, aux
hypothèses de Mécanique générale et de
Mécanique céleste qui justifient l'emploi de la balance pour la
comparaison de masses »52(*). C'est ainsi qu'on pourra chercher à
connaître le poids spécifique à 0°. Cela se fera
grâce aux lois de l'Hydrostatique, aux lois de la dilatation du mercure
et à certaines lois de l'Optique.
Deuxièmement, la conception de l'idée de la
valeur de la pression supportée par le gaz nécessite la
connaissance d'un bon nombre de théories physiques. Il faut mettre en
jeu ses connaissances sur les notions de pression et de force de liaison, la
formule du nivellement barométrique donnée par P.-S. Laplace, les
lois de l'Hydrostatique, la loi de compressibilité du mercure qui se
relie à la théorie de l'Elasticité.53(*)
§ Troisième étape : le rapport
final sous une forme symbolique et abstraite
Comme nous venons de le voir, après une observation
minutieuse et précise, on interprète les faits observés
sur base des théories que l'expérimentateur regarde comme
établies, en vue de former des idées abstraites qui
représenteront ces faits observés dans le résultat
expérimental. En paraphrasant P. Duhem, nous pensons que quand bien
même les faits étaient sous les yeux de H. Regnault, celui-ci ne
nous a pas légué un récit de faits observés comme
résultat de son expérience de physique ; mais plutôt,
dans son mémoire figure les symboles abstraits tels que la valeur du
volume occupé par le gaz, la valeur de la pression supportée par
le gaz. Ces symboles ont, en fait, pour but de se substituer aux faits concrets
tels qu'observés par les instruments au laboratoire.
De ce qui précède, nous pensons qu'il faudrait,
au préalable d'une expérience de physique, connaître un
certain nombre de théories physiques. Celles-ci rendent possible la
formation des idées abstraites qu'on expérimente, puisque les
idées abstraites qui fondent une expérience proviennent de notre
connaissance préalable de certaines théories. Car il faut
à chaque moment de l'interprétation faire des substitutions des
faits concrets aux idées théoriques.54(*)
Il en résulte, pour P. Duhem, que l'expérience
de physique contient déjà en elle une interprétation
théorique qui s'ajoute aux données immédiates : le
physicien n'observe pas qu'un gaz occupe un certain volume, mais qu'une colonne
de mercure affleure à un certain trait. Et on ne peut conclure de ceci
à cela que moyennant tout un ensemble de notions abstraites et
d'hypothèses. C'est ainsi que notre auteur affirme ce qui suit :
« Une expérience de physique est l'observation
précise d'un groupe de phénomènes accompagnée de
l'INTERPRETATION (sic l'interprétation) de ces
phénomènes »55(*). La nature de l'expérience de physique est
celle-là et non autre chose. Elle n'est pas la simple constatation des
faits, mais plutôt une interprétation de faits. Contrairement
à ceux qui pensent que l'expérience consiste seulement en une
observation de faits au laboratoire, nous insistons, avec P. Duhem, sur le fait
que l'expérience de physique est essentiellement une
interprétation. Et lorsqu'on pense à
l'interprétation théorique, on comprend pourquoi, chez P. Duhem,
la théorie précède l'expérience56(*).
Certainement, nous soutenons l'idée duhémienne
d'expérience comme interprétation de faits, puisque
« cette interprétation substitue aux données
concrètes réellement recueillies par l'observateur des
représentations abstraites et symboliques qui leur correspondent en
vertu des théories admises par l'observateur »57(*). Voilà pourquoi, nous
avons voulu commencer par préciser la nature de la théorie
physique. Cette dernière nous permet d'interpréter
théoriquement les phénomènes observés. C'est ainsi
que P. Duhem accorde à l'interprétation théorique une part
très importante dans l'énoncé de fait
d'expérience.
II.2.
L'importance de l'interprétation théorique
L'importance de l'interprétation théorique
s'avère énorme dans la Physique. Cette interprétation
ouvre la voie, d'un côté, à un résultat
expérimental précis et concis, parce qu'elle conduit à une
substitution abstraite et symbolique dans la présentation des
résultats de l'expérience ; et de l'autre côté,
elle rend possible l'usage des instruments au laboratoire.
II.2.1. L'interprétation dans la substitution abstraite
et symbolique
Pour P. Duhem, l'interprétation théorique permet
de distinguer l'expérience de physique de l'«
expérience vulgaire », cette dernière
consiste en « (...) la constatation d'une relation entre divers
faits concrets ; tel fait ayant été artificiellement
produit, tel autre fait en est résulté »58(*). Servons-nous de
l'expérience de physiologie sur une grenouille : « On
a décapité une grenouille ; on a piqué la jambe
gauche de cet animal avec une aiguille ; la jambe droite s'est
agitée et s'est efforcée d'écarter
l'aiguille »59(*). C'est bien tout un récit d'une
expérience physiologique. Cette expérience ne nécessite
aucune connaissance préalable des concepts de physiologie pour qu'un
individu en donne un résultat. Les faits observés ne font pas un
quelconque appel à une théorie pour leur compréhension, ni
même à une interprétation théorique. Ces faits
correspondent immédiatement à la réalité
concrète. A ce sujet, G. Bachelard dit :
« L'expérience commune n'est pas vraiment composée,
tout au plus elle est faite d'observations juxtaposées et il est
très frappant que l'ancienne épistémologie ait
établi un lien continu entre l'observation et l'expérimentation,
alors que l'expérimentation doit s'écarter des conditions
ordinaires de l'observation »60(*). Il voulait, en fait, montrer que
l'expérience de physique ne peut pas être une correspondance d'un
simple récit des faits observables.
Dans le résultat d'une expérience de physique,
c'est le jugement abstrait et symbolique qui fournit la correspondance avec les
faits observés. Cela se fait par le biais de tout un ensemble
théorique. Ainsi, ces jugements symboliques et abstraits ne sont que des
images substituées aux objets réels, que la nature nous cachera
éternellement. C'est le cas d'un corps qui présente une certaine
qualité que l'on pourrait nommer chaud. Cette qualité
devrait être remplacée dans le résultat d'une
expérience par un symbole : « (...) nous allons
substituer à la considération de cette qualité, le chaud,
celle d'un symbole numérique, la
température »61(*). Les rapports véritables entre ces objets
réels et leurs représentations sont la seule
réalité que nous puissions atteindre ; et la seule
condition, c'est qu'il y ait les mêmes rapports entre ces objets et les
images que nous posons à leur place.
C'est pour cela que nous avons, avec P. Duhem,
distingué deux moments dans toute expérience - l'observation des
phénomènes et leur interprétation - pour affirmer que
l'expérience de physique est, en outre, une interprétation de
faits observés. Cette distinction est faite, aussi, pour montrer qu'il
existe en physique une nette différence entre le résultat
expérimental et le fait concret, puisque le résultat
expérimental est un énoncé abstrait et symbolique, mieux
un énoncé théorique, tandis que le fait concret est une
donnée sensible, un empirie. Pour ce faire, nous pouvons confirmer
l'idée selon laquelle l'expérience de physique n'explique pas la
réalité concrète ; mais plutôt, elle l'observe
et l'interprète en vue de retrouver les correspondances qui puissent
exister entre les hypothèses théoriques et les faits concrets.
S'il arrive que cette correspondance soit établie, l'on pourra alors
s'en servir pour l'élaboration des lois expérimentales. C'est P.
Duhem qui le dit : « Entre les phénomènes
réellement constatés au cours d'une expérience et le
résultat de cette expérience, formulé par le physicien,
s'intercale une élaboration intellectuelle très complexe qui,
à un récit de faits concrets, substitue un jugement abstrait et
symbolique »62(*). Ainsi, selon P. Duhem, lorsqu'on se contente de lire
un mémoire de physique expérimentale, on ne trouvera rien de
récit des observations, mais plutôt « (...) des
énoncés abstraits, auxquels on ne pourrait attacher aucun sens si
on ne connaît pas les théories physiques admises par
l'auteur »63(*). La signification de ce résultat ne correspond
à la réalité contrainte que par le biais
théorique.
C'est pourquoi l'énoncé d'une expérience
de physique sera aussi différent de l'énoncé d'une autre
expérience vulgaire, malgré certaines similitudes qui puissent
exister. Cette différence se remarque du fait qu'un langage technique
comme énoncé d'une expérience vulgaire représente
une et une seule opération déterminée sur un objet concret
défini ; par contre, un énoncé du langage physique
représente une infinité d'opérations sur un même
objet. Même ici, tout tourne autour de l'interprétation
théorique, car elle a une part importante dans l'énoncé
d'un fait d'expérience.
Certainement, c'est contre l'idée d'une
« explication réelle » du fait concret que
P. Duhem pense que l'expérience ne peut qu'interpréter la
réalité invisible à nos sens, puisque « (...)
ce que le physicien énonce comme le résultat d'une
expérience, ce n'est pas le récit des faits
constatés ; c'est l'interprétation de ces faits, c'est leur
transposition dans le monde idéal, abstrait, symbolique,
créé par les théories qu'il regarde comme
établies »64(*). Nous comprenons que ce jugement n'a pas l'intention
d'être une correspondance adéquate, équivalente de la
réalité concrète. Le compte rendu d'une expérience
de physique est un ensemble des concepts théoriques qui ne recouvrent
pas directement des réalités concrètes. Nonobstant, cette
relation, comme pour le cas de la théorie, est une relation de
référence. Ainsi donc, supposer que la réalité
concrète soit l'exacte réalisation du symbole abstrait serait une
absurdité. C'est pourquoi, notre auteur distingue nettement le fait
pratique, réellement observé, du fait théorique qui est la
formule symbolique et abstraite. Le fait théorique est une
représentation du fait pratique et non son exact
équivalent.65(*)
Mais si cette élaboration intellectuelle permet au
physicien d'interpréter les faits observés, que dira-t-on de
l'emploi des instruments utilisés au laboratoire ?
II.2.2. L'interprétation dans l'usage des
instruments
Tout comme l'interprétation théorique trouve son
utilité ou son importance pour rendre le résultat de
l'expérience sous une forme abstraite et symbolique, l'usage des
instruments au laboratoire aussi en dépend.
En effet, l'auteur de La Théorie physique
pense qu'on ne peut pas faire usage d'un instrument dans les laboratoires de
physique, sans réaliser au préalable une substitution abstraite
et symbolique des objets concrets que sont les instruments. C'est pourquoi P.
Duhem prétend qu'« il serait (...) impossible d'user des
instruments qu'on trouve dans les laboratoires de physique, si l'on ne
substituait aux objets concrets qui composent ces instruments une
représentation abstraite et schématique qui donne prise au
raisonnement mathématique ; si l'on ne soumettait cette combinaison
d'abstractions à des déductions et à des calculs qui
impliquent adhésion aux théories »66(*). Même ici,
l'adhésion aux théories précédant
l'expérience trouve son importance, pour la manipulation des
instruments.
Pour illustrer cette idée, P. Duhem s'appuie sur
l'exemple de l'usage de la loupe. Il est vrai qu'une foule de personnes peuvent
observer avec une loupe sans être physiciens, sans avoir besoin de
connaître la théorie de la loupe et de la dioptrique. Comme le
soutient notre auteur : « Il leur a suffi de regarder un
même objet d'abord à l'oeil nu, puis avec la loupe, pour constater
que cet objet gardait le même aspect dans les deux cas, mais qu'il
paraissait, dans le second, plus grand que dans le
premier »67(*). De ces observations, peuvent surgir certainement des
résultats sans faire référence aux théories de la
dioptrique. Et pourtant, ces résultats ne devraient pas être
classés parmi les résultats d'une expérience de physique,
parce que ces observations font état même des couleurs de
l'arc-en-ciel qui semblaient faire parties des objets observés. Pour P.
Duhem, ces observateurs n'ont pas tenu compte, dans leur description des objets
observés, de la théorie de la dispersion qui « (...)
nous apprend à regarder ces couleurs comme créées par
l'instrument, à en faire abstraction lorsque nous décrivons
l'objet observé »68(*). Nous comprenons par là que l'usage des
instruments présuppose une théorie concernant leur
fonctionnement.
Cela étant, notre auteur défend l'idée
selon laquelle l'expérience de physique n'est pas la description
d'objets concrets, elle ne nous révèle même pas la
réalité en tant que telle. Néanmoins, c'est seulement
à partir des symboles fournis par l'opération intellectuelle que
nous pouvons représenter et interpréter la réalité
concrète : « Les expériences combinées
au moyen de ces instruments ne doivent pas aboutir à un récit de
faits réels, à une description d'objets concrets, mais à
une évaluation numérique de certains symboles créés
par les théories »69(*). Cette idée d'interprétation
théorique dans l'usage des instruments se retrouve aussi chez J. C.
Akenda qui pense : « Les observations, que nous devons faire
dans un contrôle empirique, sont techniquement médiatisées
par des appareils dont la construction nécessite des connaissances
théoriques »70(*). Aussi ajoute-t-il : « Ce ne sont
pas seulement les observateurs qui livrent les données empiriques
exigées, mais aussi les instruments de mesure utilisés que les
observateurs ne font que lire et interpréter »71(*). Tout cela, pour montrer
combien l'interprétation théorique facilite l'usage technique
dans l'expérience de physique. Remarquez que cela a été
confirmé par O. Costa de Beauregard, lorsqu'il écrivait :
« Il n'existe aucun « fait expérimental brut »,
parce que l'indication de tout instrument de physique ne se comprend qu'en
termes d'une ou plusieurs théories impliquées dans la
définition même de sa structure et de son
emploi »72(*). C'est la théorie qui dirige
l'expérience, parce qu'il n'y a pas de degré zéro
d'expérience ou de fait expérimental brut.
En outre, dans son analyse de l'expérience, P. Duhem
montre en définitive que la simple observation, la constatation du sens
commun des faits ne constitue en rien une expérience de physique,
puisque cette dernière est autre chose : elle est toujours une
interprétation théorique des phénomènes. C'est
pourquoi nous pensons que le physicien ne se propose pas de fournir des
récits des observations, il nous fait découvrir plutôt une
représentation abstraite à partir « (...) des
symboles auxquels les théories physiques donnent seules un
sens »73(*). En d'autres termes, l'expérience est faite
sur base des représentations abstraites et symboliques. Cette
abstraction symbolique est fournie par les théories admises par le
physicien. Ainsi, ces résultats sont des représentations de la
réalité concrète et non la réalité
concrète elle-même.
Partant de la conception duhémienne selon laquelle
« l'interprétation théorique des
phénomènes rend seule possible l'usage des
instruments »74(*), nous pouvons alors établir une nette
distinction entre, d'un côté, l'instrument réel ou concret,
et, de l'autre côté, l'instrument idéal ou symbolique.
Cette distinction nous renvoie à préciser ce
qu'est une « correction » en physique. Tout au
long de l'interprétation théorique, le physicien ressent le souci
d'éliminer les causes d'erreurs pour accroître la précision
de son expérience, puisque celle-ci se distingue justement des autres
expériences par son plus grand degré de précision et
d'approximation. En fait, ces dernières constituent les
caractéristiques de toute expérience de physique. Cette
précision et cette approximation sont obtenues par les
différentes corrections que le physicien opère pendant le
processus expérimental. Mais, qu'entend-t-on par
« correction » en physique ?
Il est vrai que, pour comprendre ce qu'est une
« correction » en physique, nous devons nous
référer à la nature de l'expérience de physique qui
« n'est pas seulement la constatation d'un ensemble de faits,
mais encore la traduction de ces faits en un langage symbolique, au moyen de
règles empruntées aux théories
physiques »75(*). Et lorsque le physicien cherche à traduire
ces faits observés, il établit sans cesse une comparaison entre
l'instrument concret qu'il utilise et l'instrument idéal et symbolique
qu'il se représente dans sa raison par le biais théorique. Ainsi,
cet instrument symbolique, représentant l'instrument concret, doit
être soumis à des corrections au fur et à mesure que
l'expérience progresse ; c'est-à-dire passer d'un instrument
idéal à un autre plus compliqué qui représente le
mieux la réalité. Et ce, en vue de donner une
représentation aussi complète, aussi exacte et aussi parfaite que
possible de l'instrument concret. Voilà pourquoi, P. Duhem
définit la « correction » en physique comme
le « passage d'un certain instrument schématique à
un autre qui symbolise mieux l'instrument concret »76(*). Ces corrections ont pour but,
comme nous l'avons dit plus haut, de fournir à l'expérience de
physique son plus haut degré de précision et d'approximation.
Ainsi, notre auteur pense que le physicien qui néglige cet aspect de
correction laissera subsister dans ses expériences, des erreurs
systématiques qui ne permettent pas une représentation plus ou
moins fidèle de la réalité concrète.
Comme on le voit, en permettant à
l'expérimentation d'aboutir à un résultat précis et
concis, notamment par l'entremise des instruments, le montage théorique
expérimental ne fait pas perdre à la théorie scientifique
sa valeur d'être une représentation fidèle de la
réalité. Cependant, cette vérité n'est pas
acceptable à première vue par tous. Il convient donc de montrer
explicitement de quelle manière l'expérience quoique
conçue comme interprétation des faits garantie la
fidélité du discours théorique à la
réalité phénoménale.
II.3.
Comment l'expérience représente-t-elle fidèlement la
réalité ?
Cette section aura le mérite de nous offrir quelques
avantages de l'interprétation théorique et l'utilité de la
symbolisation dans la représentation des lois expérimentales.
II.3.1. Les Avantages de l'interprétation
théorique
Reprenant l'analyse de la définition d'une
théorie physique prônée par P. Duhem, nous relevons le fait
qu'une théorie représente aussi simplement, aussi
complètement et aussi exactement que possible les lois
expérimentales. L'interprétation, se basant sur un ensemble des
théories, bénéficie également des qualités
des théories admises. C'est ainsi que les énoncés
d'expérience seront simples, complets et exacts, en vue d'une
représentation fidèle de la réalité
concrète.
En paraphrasant P. Duhem, nous pensons qu'un
énoncé d'expérience est dit
« simple », lorsqu'il utilise des symboles
représentant les qualités premières. Mais qu'est-ce qu'une
qualité première ? Il est vrai qu'un
Péripatéticien considère comme corps simples seulement la
terre, l'air, le feu et l'eau. Les Atomistes, quant à eux, nomment
qualité première, toute qualité réduite à la
grandeur, à la figure, à l'agencement des atomes et aux lois du
choc. Par contre, les Cartésiens y voient l'étendue et son
changement tout nu. Cependant, pour ceux qui veulent donner aux
propriétés des corps une représentation algébrique,
et qui ne construisent pas leurs théories sur des principes
métaphysiques, une qualité est première et
élémentaire lorsque « tous nos efforts pour
réduire cette qualité à d'autres ont échoué,
qu'il nous a été impossible de la
décomposer »77(*).
Un corps simple est donc un élément, un corps
irréductible. C'est le cas de
l'« éclairement » qui est
considéré comme un élément, un corps simple. P.
Duhem montre que l'éclairement est une qualité première
dans la théorie de la lumière, puisque même si son
intensité varie avec une prodigieuse rapidité à chaque
période de l'expérimentation, l'éclairement redevient
« identique à elle-même plusieurs centaines de
trillions de fois par seconde »78(*). Ainsi, cette simplicité du résultat
expérimental est vérifiée, lorsqu'il est constitué
des corps qui ont victorieusement résisté à toutes les
tentations de réduction.
Certainement, un énoncé d'expérience est
« complet » et
« exact », parce qu'il emploie des symboles
représentant correctement la réalité observable. Sa
complétude vient de fait que cet énoncé ne se fonde pas
sur un système métaphysique, mais il représente un monde
de l'expérience possible grâce aux théories physiques. On
dit, en outre, que l'énoncé est exact, puisqu'il doit
représenter approximativement le monde que nous nous faisons de
l'expérience. Il ne fait pas recours à d'autres systèmes
pour représenter notre monde d'expérience. Rappelons que ces
symboles ne sont pas éternels, ils peuvent être modifiés
tout au long de l'expérimentation par l'application que nous avons
appelé la correction d'erreurs systématiques. Ainsi, pour qu'un
symbole représente complètement et exactement un fait, il faut
que la théorie physique, sur base de laquelle se fonde une
interprétation, recourt à des représentations
mathématiques. Par exemple, la force qui est à l'origine du
mouvement est représentée par un vecteur mathématique
F ; la représentation de
l'accélération étant ã, etc.79(*) Tout de même, une
question reste poser : c'est celle de savoir ce qui justifie ce recours
permanent aux symboles mathématiques. Cette préoccupation peut,
mieux, s'élaborer de la manière suivant : Que gagne-t-on
avec la symbolisation ? Cette question trouvera sa satisfaction dans
le point que voici.
II.3.2. L'utilité de la symbolisation
Dans son expérience, le physicien ne met pas en jeu la
réalité en tant que telle ; il se construit un monde
idéal et symbolique qu'il substitue à la réalité
concrète. Or, comme le souligne J. C. Akenda : « Les
symboles n'ont, aucune identité autonome. Ils ne s'approprient leur
identité que dans leur référence à un autre
élément qu'ils représentent »80(*). De son côté, P.
Duhem pense que le résultat d'une expérience de physique sont des
relations symboliques, des représentations schématiques et
abstraites de la réalité concrète, puisque « les
sciences physiques, pour résoudre le problème, ne vont pas faire
usage de réalités sensibles, du soleil tel que nous le voyons
briller dans le ciel, mais des symboles par lesquels les théories
représentent ces réalités »81(*). Comment se réalise
cette symbolisation ?
En effet, cette symbolique se réalise dans une
sphère purement théorique. Par exemple, pour étudier le
mouvement du soleil, le physicien doit au préalable symboliser le soleil
réel. C'est pourquoi même si le soleil n'a pas aussi une surface
régulière et malgré les immenses protubérances que
cette surface porte, le physicien le remplace par une sphère
géométriquement parfaite. Cette réalité
géométrique est un symbole par lequel on substitue la
réalité sensible observée. Ainsi, pour effectuer une telle
symbolisation, P. Duhem dit qu'« il faut effectuer des mesures
compliquées, il faut faire coïncider les bords du soleil avec les
fils d'un réticule muni d'un micromètre (...), il faut
aussi développer des calculs longs et complexes dont la
légitimité résulte des théories admises, de la
théorie de l'aberration, de la théorie de la réfraction
atmosphérique »82(*). Disons aussi que, pour étudier un certain
gaz, P. Duhem montre qu'il faudrait d'abord créer une symbolisation
saisissable au raisonnement mathématique et au calcul algébrique.
Au-delà tout, ce schéma doit être apte à
représenter aussi exactement que possible la réalité. Nous
constatons que, les théories admises favorisent aussi la symbolisation
dans l'expérience de Physique.
Certes, l'utilité de la symbolisation consiste, en
outre, dans le fait que l'usage des instruments dépend en grande partie
de cette symbolisation, parce que pour interpréter les faits
concrètement observés, il faudrait avoir une connaissance
étendue des symboles abstraits qui ont conduits à
l'élaboration de ces instruments. Il reste vrai que, dans la
pensée duhémienne, la symbolisation permet d'obtenir, dans le
résultat expérimental, un haut degré de concision, de
précision, de perfection, de généralisation, et de
prévision. Toutes ces qualités seront développées
dans la section qui suit, en vue d'établir une nette distinction entre
l'expérience de physique et le témoignage du sens commun.
II.4. L'expérience de physique et le témoignage
du sens commun
Notre approche de l'expérience de physique
révèle que celle-ci dépasse la simple observation des
phénomènes naturels. Dès lors, il est nécessaire
d'établir une nette distinction entre l'expérience de physique et
le témoignage du sens commun.
D'après P. Duhem, cette distinction se laisse voir dans
la certitude du résultat de l'expérience de physique qui
dépasse la simple constatation des faits pour être plus abstrait
et symbolique, dans la méthode utilisée et l'usage des
instruments théoriques et concrets pour arriver à un tel
résultat et dans le haut degré de précision et de
détail de l'expérience de physique par rapport à la simple
observation non scientifique d'un fait. C'est pourquoi, le résultat
d'une expérience de physique sera aussi distinct du récit d'un
sens commun d'observation.
II.4.1. Le degré de précision d'une
expérience de physique
Dans La Théorie physique, P. Duhem montre que,
si une personne saine d'esprit relate le récit d'une observation qu'il a
faite, son témoignage devrait être pris pour certain.
Concrètement, si un homme sain d'esprit dit qu'il a vu un chien, nous
accordons directement la certitude à son énoncé, parce que
l'énoncé du sens commun n'a pas besoin d'une quelconque
théorie pour être établi pour vrai. Sa vérité
ne dépend d'aucune interprétation, puisque c'est un
énoncé de fait.
Par contre, l'énoncé d'une proposition de
physique, comme nous l'avons affirmé plus haut, n'est pas une simple
constatation du sens commun. P. Duhem écrit : « La
confiance qui doit être accordée à la proposition
énoncée par un physicien comme résultat d'une
expérience n'est pas de la même nature »83(*). En physique, nous devons
faire recours à un ensemble théorique qu'il faut tenir pour
établi afin d'interpréter les phénomènes
observés. Que le physicien soit sain d'esprit, cela n'est pas
suffisant ; qu'il ait bien observé les phénomènes,
cela n'est pas non plus indispensable, pour que le résultat de son
expérience ait une certitude scientifique. Il faudrait, en plus de son
observation, interpréter tout ce qu'il a aperçu pour substituer
aux objets concrets les symboles abstraits créés par la
théorie. A proprement parler, cette substitution est une transposition
des faits observés dans un monde abstrait et symbolique. Cette
différence est aperçue chez F. Renoirte en ces mots :
« (...) la connaissance physique que nous avons aujourd'hui de la
chaleur est aussi indépendante de notre sens du chaud, que la
connaissance que nous avons de l'électricité est
indépendante de la perception sensible qui nous révélerait
directement une différence de potentiel
électrique »84(*). Car, la connaissance physique nous est fournie dans
un langage symbolique et abstrait, utilisant des instruments idéels et
concrets pour sa réalisation.
II.4.2. Le degré de perfection d'une expérience
de physique
Le degré de perfection d'une expérience
dépend énormément de la méthode que le physicien
emploie pour atteindre son objectif. C'est ainsi que, pour attribuer la
certitude à un énoncé de physique, nous devons passer
à un examen critique du chemin que le physicien a parcouru dans
l'élaboration de cet énoncé. Cet examen implique certaines
questions de fond, entre autres : Quel est le modèle que le
physicien a suivi ? Quelles sont les théories qu'il a
adoptées ? Bref, quelle est la méthode qu'il a
employée ?
Il est vrai que l'expérience de physique ne
diffère non seulement du témoignage d'un sens commun par la
certitude de ses résultats, mais aussi par la rigueur de la
méthode utilisée, par l'opérationnalisation logique
qu'elle emprunte pour aboutir à un jugement symbolique et abstrait.
C'est ainsi que, pour atteindre ce jugement, il a fallu à un physicien
adopter un langage qui soit commun aux physiciens de son Ecole. Car son
interprétation des faits doit être régie par les
mêmes règles et les mêmes idées théoriques que
la classe intellectuelle devant laquelle son expérience subira un examen
critique. Cet examen est réalisé en vue d'une uniformité
de la méthode employée par le physicien. Nous constatons que,
même au point de vue méthodologique, l'expérience de
physicien se distancie de l'expérience du sens commun. Celle-ci n'a
nullement besoin d'une méthode pour aboutir à son récit de
faits : il suffit d'apercevoir un phénomène tel qu'il se
réalise, pour en donner un récit, un témoignage valide ou
certain. Et pourtant, le problème de méthode s'impose dans
l'interprétation des phénomènes, pour rendre les
résultats de l'expérience accessibles à tous.
II.4.3. Le degré de généralisation d'une
expérience de physique
Le degré de généralisation nous est
fourni grâce aux divers symboles mathématiques que le physicien
met en jeu dans son expérience. Le symbole abstrait permet donc à
un énoncé d'atteindre une universalité.
En fait, P. Duhem pense que, si N. Young et A. Fresnel sont
parvenus à substituer la théorie des ondulations à la
théorie de l'émission, à base de laquelle I. Newton avait
interprété ses observations des phénomènes des
anneaux colorés, c'est grâce à l'idée d'une langue
unique qui serait le langage symbolique et abstrait. Pour ce faire, comme le
dit notre auteur : « (...) il leur fut possible de faire
correspondre certains éléments de la nouvelle théorie
à certains éléments de
l'ancienne »85(*). Cette correspondance vient des
interprétations théoriques de phénomènes de ces
deux théories. Mais si les idées théoriques
utilisées par un physicien ne trouvent point de correspondance avec
d'autres idées théoriques, alors ses expériences seront
tenues comme dénuées de sens. L'on ne saura vérifier par
quelle méthode ce physicien est parvenu à un tel résultat,
puisque nous ne savons pas établir « (...) une
correspondance entre les symboles qu'il a adoptés et les symboles
fournis par les théories que nous acceptons »86(*). Nous comprenons que, selon
notre auteur, le langage symbolique et abstrait unique et la méthode
d'interprétation précise sont indispensables pour aboutir
à un résultat compréhensible par tous dans le monde
scientifique.
Ainsi, le résultat de l'expérience de I. Newton
s'est vu traduit dans le langage ondulatoire, parce que son auteur avait
donné une précision à propos des « (...)
méthodes qui lui ont servi à interpréter les
faits »87(*). Toutefois, une remarque nous est
donnée : nous devons, en plus de cela, examiner si
l'expérimentateur, dans son interprétation théorique des
faits, a respecté toutes les règles de cette
interprétation.
De ce qui précède, nous sommes appelés
à suivre la méthode ou le processus appliqué par un
physicien afin de donner la certitude à son résultat
expérimental. Pour ce faire, rappelons-nous cette thèse
duhémienne : L'interprétation théorique rend
seule possible l'usage des instruments. Nous devons bien faire usage de
nos deux instruments : l'instrument concret ou réel et l'instrument
symbolique ou schématique donné par la théorie que le
physicien tient pour établie, puisque c'est ce dernier instrument
théorique qui rend possible l'usage de l'instrument réel.
Toutefois, la connaissance exacte de l'instrument réel s'avère
aussi indispensable pour sa description dans la mesure où il faudrait,
pendant l'expérience, comparer ces deux instruments sur lesquels le
physicien raisonne. Cette comparaison est faite dans le but de corriger les
causes d'erreur systématique afin d'accroître la ressemblance de
l'instrument schématique à l'instrument concret.88(*)
Certes, l'auteur de La Théorie physique pense
que cette correspondance des propositions abstraites et mathématiques
aux faits observés n'est pas le seul critère déterminant
pour affirmer la certitude d'un résultat de l'expérience de
physique. Il faut, en outre, préciser et connaître le degré
d'approximation de cette expérience. Par degré d'approximation,
nous entendons « (...) le degré d'indétermination
de la proposition abstraite, mathématique, par laquelle s'exprime le
résultat d'une expérience »89(*). Celui-ci est, en fait, la
vérification du degré d'exactitude d'une expérience.
II.4.4. Le degré d'exactitude d'une expérience
de physique
Nous allons montrer ici que, pour atteindre le degré
d'exactitude, il faut examiner le degré d'approximation d'une
expérience de physique.
A ce sujet, P. Duhem préconise deux moments pour
apprécier le degré d'approximation d'une expérience :
l'appréciation de l'acuité des sens de l'observateur et
l'évaluation des erreurs systématiques non corrigées. En
effet, il est nécessaire d'apprécier l'acuité des sens de
l'observateur, puisqu'il peut se retrouver dans son observation une
équation personnelle qu'il faut identifier par rapport à son
résultat d'observation. Aussi, devons-nous savoir que, malgré
l'identification des erreurs systématiques probables, il sera toujours
impossible de les relever et de les numéroter toutes ces erreurs, parce
que « (...) la complexité de la réalité
concrète nous passe »90(*). Leurs causes ne sont pas bien établies, au
point que l'on ne saurait les corriger toutes. Comme elles ont une source
inconnue, les physiciens les nomment « erreurs
accidentelles ». Cette appréciation, comme dit au
départ, est une tâche difficile et complexe. D'ailleurs, notre
auteur pense qu'à ce niveau, la logique doit laisser la place au sens
expérimental réservé au seul esprit de finesse.
Ainsi, il se laisse percevoir que l'expérience de
physique se diffère du témoignage du sens commun par son
résultat qui a une certitude qui « (...) demeure toujours
subordonnée à la confiance qu'inspire tout un ensemble
théorique »91(*). La certitude d'un témoignage du sens
ordinaire étant immédiate, si son auteur est sain d'esprit, celle
de l'expérience de physique est médiate, car elle doit être
soumise à des discussions préalables.
Disons aussi, aux yeux de la plupart des hommes qui pensent
que la science possède une vérité et une exactitude
élevées par rapport au récit d'un sens commun des faits
observés, nous pensons que l'expérience de physique n'offre
qu'une certitude immédiate. Quant à son exactitude, elle se
distingue du témoignage du sens commun par son plus haut degré de
détails.
II.4.5. Le degré de détails d'une
expérience de physique
Il est vrai qu'un observateur relate son récit des fais
observés en gros sans tenir compte de tous les détails. Son
témoignage « (...) offre d'autant plus de garanties qu'il
précise moins, qu'il analyse moins, qu'il s'en tient aux
considérations les plus grossières et les plus
obvies »92(*). Cependant, une expérience de physique se veut
être une analyse détaillée des phénomènes
observés. Elle présente son résultat sous une forme
symbolique et abstraite pour offrir une universalité de
vérification. Dans ses analyses, P. Duhem affirme :
« c'est l'interprétation théorique qui permet
à l'expérience scientifique de pénétrer bien plus
avant que le sens commun dans l'analyse détaillée des
phénomènes »93(*). C'est, en fait, à partir de
l'interprétation théorique que le physicien arrive à
décortiquer minutieusement les faits.
C'est pourquoi, nous affirmons avec P. Duhem que
l'expérience est une interprétation théorique. Et que
celle-ci permet le progrès de la science physique, puisque la physique,
comme toutes les sciences de la nature, progresse par deux voies : la
théorie et l'expérience. C'est ainsi que notre auteur pense que
le progrès scientifique ne peut être atteint que si l'on rejoint
les deux bouts de la chaîne de la connaissance, à savoir : la
théorie et l'expérience. En d'autres termes, pour P. Duhem, un
progrès du monde physique ne peut pas nous être donné, nous
devons chercher à l'acquérir. Pour ce faire, nous devons laisser
le champ libre à la théorie et à l'expérience,
là où elles doivent décider seules, afin de nous
rapprocher, pour le bien de l'humanité, de l'idéal d'un
progrès scientifique. Toutefois, notre auteur accorde une
prédominance à la partie théorique, parce que la partie
expérimentale est constituée, de bout en bout, d'une
schématisation, mieux d'une construction théorique.94(*)
II.5.
Conclusion
Ce chapitre sur l'expérience de physique s'est
avéré comme un moment clé, de par la centralité de
son contenu, parce que c'est ici que nous avons démontré
clairement et distinctement ce qu'est une expérience de physique. La
conception duhémienne de l'expérience développée
ci-haut affirme et confirme notre hypothèse de base : celle de
concevoir l'expérience comme une interprétation de faits
observés.
Comme nous l'avons exprimé dans notre première
section qui est le lieu où nous explicitons d'avantage notre
thèse, il est certain que l'expérience, pour P. Duhem, ne tente
pas d'expliquer la nature des choses. Elle ne nous donne pas non plus la
réalité des phénomènes tels qu'ils se
présentent dans la nature. Pour définir l'expérience de
physique, nous l'avons scindée en deux moments. Le premier a
consisté dans l'observation de phénomènes au laboratoire.
En second lieu et c'est le moment le plus important, nous avions fait
l'interprétation de ces faits. Cette interprétation est faite au
moyen des théories admises par l'expérimentateur, car les
idées abstraites qui fondent une expérience viennent de notre
connaissance préalable de certaines théories déjà
admises. C'est pourquoi nous avons soutenu que l'expérience de physique
est autre chose qu'une simple observation de phénomènes, elle est
une interprétation théorique de faits, puisque cette
expérience est rendue possible grâce aux symboles abstraits que le
physicien substitue aux phénomènes concrets observés.
Notre texte a contribué à préciser cette nature de
l'expérience.
Dans la seconde section, nous avons démontré la
double importance de l'interprétation théorique, d'une part, dans
le résultat de l'expérience de physique et, d'autre part, dans
l'usage des instruments au laboratoire. Premièrement, cette
opération intellectuelle influence le résultat de
l'expérience pour lui donner une forme abstraite et symbolique.
Deuxièmement, cette interprétation théorique facilite
à l'expérimentateur l'usage des instruments utilisés au
laboratoire.
En fait, la troisième section a contribué
à l'élaboration des avantages et des acquis de
l'interprétation théorique dans le résultat
expérimental. Cette interprétation offre une simplicité,
une exactitude et une complétude à l'expérience, afin
qu'elle représente aussi fidèlement que possible la
réalité concrète. Nous avons aussi remarqué que la
symbolisation et l'abstraction rendent le résultat expérimental
universel, concis, précis et détaillé. C'est pourquoi nous
confirmons que la théorie physique clarifie, prévoit et
contrôle l'expérience.
Certainement, une telle expérience sera distincte d'une
simple constatation de faits empiriques qui constituent le témoignage du
sens commun. C'est par les avantages de la symbolisation que,
l'expérience de physique diffère du récit du sens commun
des faits. Cette symbolisation offre aussi une autonomie à la science
physique.
Conclusion générale et perspectives
Au terme de ce travail consacré à l'analyse de
la conception duhémienne de l'expérience de physique, nous
pouvons relever que, notre problématique était centré sur
le débat qui a agité les scientifiques au début du
20e siècle, et même actuellement. Lorsque d'un
côté les rationalistes purs se positionnent contre
l'interprétation et veulent que leurs théories servent
d'explication de faits, puisqu'il faut les expliquer pour en déterminer
les causes premières. Les positivistes empiriques, d'un autre
côté, donnent à l'énoncé d'expérience
sensible le fondement de toute théorie et de toute scientificité.
Dès lors, théorie et expérience sont pensées comme
radicalement séparées, parfois même indépendantes.
Ce partage empêche de penser la coopération étroite entre
théorie et expérience dans la constitution de la connaissance.
C'est ainsi que, voulant dépasser ce débat, P. Duhem propose une
nouvelle façon de concevoir l'expérience de Physique.
Notre hypothèse, explicitée en deux chapitres,
davantage dans le second que le premier, qui fondait l'expérience de
Physique comme une interprétation théorique est allée dans
le sens de restituer cette harmonie ou coopération brisée.
Le mérite de P. Duhem, dans notre premier chapitre, a
été de montrer que la théorie physique ne doit pas
rechercher l'explication des phénomènes, mais à être
une représentation des faits, et en dernier lieu se présenter
comme une simple classification naturelle : « La
théorie physique n'a d'autre objet que de fournir une
représentation et une classification des lois
expérimentales »95(*). En d'autres termes, la science (la
physique), pour lui, n'est ni une explication métaphysique des
phénomènes ni une description de la réalité
sensible, elle est un langage permettant de coordonner et de prévoir les
phénomènes, après les avoir traduits en grandeurs
abstraites. Elle a pour but une classification naturelle. Nous retenons la
thèse selon laquelle « la physique théorique ne
saisit pas la réalité des choses ; elle se borne à
représenter les apparences sensibles par des signes, par des symboles.
Or nous voulons que notre physique théorique soit une physique
mathématique, partant que ces symboles soient des symboles
algébriques, des combinaisons de nombres »96(*). C'est pourquoi nous affirmons
que la science ne s'occupe pas des réalités visibles. C'est par
similation que nous arrivons à découvrir la réalité
telle que conçue et construite par la science et la technologie.
En outre, selon notre analyse, nous comprenons que P. Duhem
remplace l'inductivisme par l'hypothético-déductivisme. Il
insiste sur la méthode hypothético-déductive et la
prône comme méthode des sciences physiques. Selon lui, l'aspect de
l'« apriorité logique » doit être
privilégié par rapport à celui de l'empiricité ou
de l'« apostériorité
logique » ; quand bien même ces deux aspects
contribuent ensembles au progrès scientifique.
En confrontant notre texte à d'autres auteurs, nous
reconnaissons à P. Duhem une certaine originalité dans sa
conception de la théorie physique. Même si cette conception a
été négligée à son époque, comme
l'indique A. Brenner, l'histoire ne fait que clouer ses adversaires, en
récupérant la pensée de ce Grand Savant Pierre Maurice
Marie Duhem. La conception théorique que nous défendons
aujourd'hui entre dans le cadre d'une récupération intellectuelle
de cette pensée duhémienne. D'ailleurs, nous ne pouvons que lire
les plus grands épistémologues actuels pour retrouver, dans leurs
textes, les grandes lignes de la pensée de P. Duhem97(*).
C'est pourquoi, à la suite de P. Duhem, nous soutenons
que c'est une chimère que de vouloir faire de la théorie physique
une explication réelle des lois, se vantant d'atteindre la
réalité des choses même ; puisque l'on rendra la
théorie solidaire d'une certaine conception métaphysique du
réel, et on l'engagera dans des discussions sur l'Absolu. Cependant, il
faut voir dans la théorie une simple représentation
résumée et classée des connaissances expérimentales
qui ne copie pas la réalité telle qu'elle est.
Toutefois, nous pouvons relever que, selon A. Boyer, l'erreur
de P. Duhem se situe dans le fait que, sa notion de classification naturelle
peut être jugée trop réaliste, puisque « la
difficulté principale de la conception duhémienne réside
peut-être en ceci que l'on ne voit pas clairement comment la seule
idée de classification naturelle pourrait expliquer par exemple ce
succès prédictif de la théorie ondulatoire que constitue
la découverte inattendue de la "tâche de Poisson",
brièvement rapportée par Duhem lui-même dans sa
Théorie physique »98(*). P. Duhem est trop réaliste dans le fait qu'il
voit dans toute théorie physique une classification naturelle et que
celle-ci devrait conduire à la prévision des expériences
nouvelles. Mais, il ne dit pas comment une classification naturelle pourrait
prédire les faits nouveaux.
Disons que notre grand apport a été de concevoir
l'expérience de Physique comme une construction, une réalisation
schématique et symbolique. La conception duhémienne de
l'expérience développée ci-haut n'a fait qu'affirmer et
confirmer notre hypothèse de base : celle de concevoir
l'expérience comme une interprétation des faits observés.
Nous soutenons, de ce fait, l'idée selon laquelle l'expérience de
physique contient déjà en elle une interprétation
théorique qui s'ajoute aux données expérimentales ;
d'autant plus que la théorie mathématique a introduit, en son
sein, ses représentations symboliques et abstraites. L'expérience
emploie des symboles mathématiques qui lui offrent une
généralisation, une concision et une précision dans la
représentation des lois expérimentales. Il y a donc toute une
construction théorique relevant du développement
algébrique qui prévoit, guide et contrôle
l'expérience.
Mais si l'expérience est une interprétation
théorique, que doit devenir la nature du rapport
théorie-expérience ? Répondre à cette
préoccupation constitue notre originalité à la
résolution au débat - entre rationalisme et positivisme - qui a
constitué notre problématique.
En rapport à cette question, nous pensons que, la
théorie et l'expérience s'entremêlent dans une sorte de
complémentarité. Nous soutenons qu'il y a une imbrication entre
le théorique et l'expérimental au point que l'on ne saura plus
établir un commencement réel devant le résultat de
l'expérience. La théorie, se construisant sur des principes
mathématiques, n'a pas, en elle-même et indépendamment de
l'expérience, une valeur réelle. Nous pensons qu'elle n'a qu'une
valeur méthodologique. Selon la pensée duhémienne, la
théorie apparaît comme un instrument de l'expérimentateur,
au point que l'on ne peut plus faire de la Physique sans une théorie (ne
fut-ce que mathématique). Nous pensons donc que, la théorie
implique l'expérience et vice versa. Ni l'une ni l'autre ne peut rejeter
l'autre. Ces deux aspects, pour nous, sont inextricablement liés :
on ne peut plus construire actuellement une connaissance scientifique, dans
n'importe quel domaine, avec soit la seule théorie soit la seule
expérience.
Certainement, nous voulons élaborer, dans cette
ouverture d'une recherche ultérieure, l'hypothèse selon laquelle
l'intelligence humaine, dans les sciences des nouvelles technologies de la
communication et de l'information, progresse grâce à un
enchaînement des applications
théorico-expérimentales ; et grâce à un haut
niveau de symbolisation mathématique, algébrique et
algorithmique, que nous considérons comme fondement de notre
rationalité empirique.
III.
Bibliographie
III.1.
Ouvrage de base
1. DUHEM, Pierre, La Théorie physique. Son
objet-sa structure. (L'histoire des sciences. Textes et études).
2ème édition revue et augmentée. Paris,
Librairie philosophique J. Vrin, 1989. 524 p.
III.2.
Autres articles et ouvrages de l'auteur
2. DUHEM, Pierre, L'Évolution de la
mécanique. (Mathesis). Paris, Librairie philosophique J. Vrin,
1992. 473 p.
3. " ,
Óìþæåéí ô`á
áéíìïìåíá. Essai
sur la notion de théorie physique de Platon à
Galilée. Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1990. 156 p.
4. " , La Valeur de la
théorie physique. A propos d'un livre récent, dans Revue
des sciences pures et appliquées, 19e année
(1908), Paris, p. 7-19.
III.3.
Articles et ouvrages sur l'auteur
5. BOYER, Alain, Physique de croyant ? Duhem et
l'autonomie de la science, dans Revue internationale de
philosophie, 46 (1992) n. 182, p. 311-322.
6. BRENNER, Anastasios, Duhem, science,
réalité et apparence. Paris, Librairie philosophique J.
Vrin, 1990. 253 p.
7. COSTA DE BEAUREGARD, Olivier, Sur quelques citations
tirées de « La théorie physique, son objet, sa structure
» de Pierre Duhem, dans Revue d'histoire des sciences, 30
(1977) n. 4, p. 361-366.
III.4.
Autres articles et ouvrages
7. AKENDA, Kapumba, Jean-Chrysostome ,
Epistémologie structuraliste et comparée. Tome
I. Les sciences de la culture. (Recherches philosophiques africaines).
Kinshasa, Facultés catholiques de Kinshasa, 2004. 314 p.
8. " , Analyse
critico-comparative des théories husserlienne et habermassienne du monde
de la vie. A la recherche des fondements pratiques de la conceptualité
scientifique dans Revue philosophique de Kinshasa, XI (1997) n.
19-20, Kinshasa, p. 33-76.
9. ARISTOTE, Métaphysique. Tome I. Livres
A-Z. Traduction nouvelle et notes par J. Tricot. (Bibliothèque des
textes philosophiques). Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1933. 309 p.
10. BACHELARD, Gaston, Le nouvel esprit
scientifique. Paris, Quadrige/ Presses universitaires de France, 2008. 183
p.
11. " , La Formation de
l'esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la
connaissance objective. 11e édition. Paris, J. Vrin,
1980. 256 p.
12. BERTHOUD, Gérald, Les nouvelles conceptions de
la matière et de l'atome. Paris, Doin, 1923. 314 p.
13. BOUASSE, Henri, De la méthode dans les
sciences. 4ème édition. Paris, Alcan, 1915. 139
p.
14. CHALMERS, Alan, Qu'est-ce que la science ?
Récents développement en philosophie des sciences : Popper,
Kuhn, Lakatos, Feyerabend. Traduit de l'anglais par Michel Biezunski.
(Science et société). Paris, La Découverte, 1987. 285
p.
15. POINCARE, Henri, Science et hypothèse.
Paris, Flammarion, 1912. 245 p.
16. POPPER, Karl, La logique de la découverte
scientifique. Traduit de l'anglais par Nicole Thyssen et Philippe Devaux.
Préface de Jacques Monod. (Bibliothèque scientifique). Paris,
Payot, 1984. 475 p.
17. RENOIRTE, Fernand, Eléments de critique des
sciences et de cosmologie. 2ème édition. Louvain,
Editions de l'institut supérieur de philosophie, 1947. 238 p.
18. RENOIRTE, Fernand, La théorie physique.
Introduction à l'étude d'Einstein, dans Revue
néo-scolastique de philosophie, 25e année (1923),
n. 100, p. 349-375.
III.5.
Ouvrages de référence
19. CUVILLIER, Armand, Nouveau vocabulaire philosophique
avec supplément. 24e édition. Paris, Armand
Colin, 1956. 209 p.
20. AUROUX, Sylvain (dir.), Encyclopédie
philosophique universelle. Tome II. Les Notions philosophiques.
Paris, Presses Universitaires de France, 1990. 3297 p.
21. FOULQUIE, Paul, Dictionnaire de la langue
philosophique. Paris, Presses Universitaires de France, 1968. 778 p.
22. JULIA, Didier, Dictionnaire de la philosophie.
Nouvelle édition revue et corrigée. Paris, Larousse/ VUEF, 2001.
301 p.
23. LALANDE, André, Vocabulaire technique et
critique de la philosophie. 10e édition. Paris, Presses
Universitaires de France, 1976. 1320 p.
24. HUISMAN, Dénis, Dictionnaire des
philosophes. Préface de Ferdinand Alquié. Paris, Quadrige/
Presses Universitaires de France, 2009. 1984 p.
III.6.
Webographie
25.
www.philocours.com
26.
www.wikipédia.org
27. www.google.com
IV.
Table des matières
Epigraphes
..................................................................................................
i
Dédicace
....................................................................................................
ii
Remerciements
...........................................................................................
iii
0. INTRODUCTION GENERALE
1
0.1. Problématique
1
0.2. Hypothèse
4
0.3. Objet
4
0.4. Intérêt
5
CHAPITRE
PREMIER :
LA NATURE DE LA THÉORIE PHYSIQUE
7
I.0. Introduction
7
I.1. La Théorie physique comme
explication
7
I.1.1. Le Dévoilement de l'être de
la réalité
8
I.1.2. Une conception
métaphysicaliste
9
I.2. La Théorie physique comme
représentation
13
I.2.1. La Représentation :
véritable nature de la théorie physique
13
I.2.2. De la représentation à la
classification naturelle
15
I.2.3. La Théorie
précédant l'expérience
18
I.3. Conclusion
20
CHAPITRE
DEUXIEME :
L'EXPERIENCE DE PHYSIQUE
22
II.0. Introduction
22
II.1. L'expérience comme
interprétation théorique
23
II.1.1. L'Observation des faits
23
II.1.2. L'interprétation des
phénomènes observés.
24
II.2. L'importance de l'interprétation
théorique
28
II.2.1. L'interprétation dans la
substitution abstraite et symbolique
28
II.2.2. L'interprétation dans l'usage
des instruments
30
II.3. Comment l'expérience
représente-t-elle fidèlement la réalité ?
34
II.3.1. Les Avantages de
l'interprétation théorique
34
II.3.2. L'utilité de la
symbolisation
35
II.4. L'expérience de physique et le
témoignage du sens commun
36
II.4.1. Le degré de précision
d'une expérience de physique
37
II.4.2. Le degré de perfection d'une
expérience de physique
38
II.4.3. Le degré de
généralisation d'une expérience de physique
38
II.4.4. Le degré d'exactitude d'une
expérience de physique
40
II.4.5. Le degré de détails d'une
expérience de physique
41
II.5. Conclusion
42
CONCLUSION GÉNÉRALE ET
PERSPECTIVES
44
III. BIBLIOGRAPHIE
47
IV. TABLE DES MATIÈRES
50
* 1 Pierre Maurice Marie
Duhem est né le
10 juin
1861 à
Paris et
décédé le
14 septembre
1916 à
Cabrespine. Il
était un physicien spécialiste de la thermodynamique,
chimiste, historien et
philosophe des
sciences
français. Reçu
premier au concours de l'
École
normale supérieure en
1882, Duhem présenta une
thèse sur le potentiel thermodynamique critiquant le principe
du travail maximum de
Marcellin
Berthelot ; le jury refusa la thèse et Marcellin Berthelot
devait être son adversaire universitaire et idéologique toute sa
vie. Il enseigna la physique à la
Faculté
des sciences de Lille de 1887 à 1891. Après une année
1893-1894 à Reims, il obtint une chaire de physique théorique en
1894 à l'
université
de Bordeaux, où il passera toute sa carrière en s'attachant
à poser les fondements logiques et axiomatiques de la science physique.
Il devint membre correspondant de l'Académie des sciences en 1900 et
membre titulaire non résident en 1913. Il a reçu le titre de
docteur honoris
causa de l'
université
Jagellon de Cracovie en 1900. (
www.wikipédia.org et Cf.
D. HUISMAN, Dictionnaire des philosophes, Paris, Quadrige/ Presses
Universitaires de France, 2009, p. 580).
* 2 KANT cité par D.
JULIA, Dictionnaire de la philosophie, Paris, 2001, p. 89.
* 3 G. BACHELARD, Le
nouvel esprit scientifique, Paris, 2008, p. 13.
* 4 P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, Paris, 1989, p. 240.
* 5 P. DUHEM, o.
c., p. 3.
* 6 Nous devons savoir que
l'explication dont il est question est une explication
réelle des phénomènes de la nature.
* 7 A. LALANDE,
Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, 1976, p.
325.
* 8 Cf. P. DUHEM, o.
c., p. 4.
* 9 Ib., p. 4-5.
* 10 P. DUHEM, o.
c., p. 5.
* 11 H. BOUASSE, De la
méthode dans les sciences, Paris, 1915, p. 124.
* 12 ARISTOTE,
Métaphysique, Paris, 1933, p. 226.
* 13 Cf. P. DUHEM, o.
c., p. 8.
* 14 L'hylémorphisme
est une doctrine aristotélico-scolastique d'après laquelle les
êtres corporels résultent de deux principes distincts et
complémentaires : la matière, principe
indéterminé dont les choses sont faites ; la forme, principe
déterminant qui fait qu'une chose est ceci et non cela. (Cf. P.
FOULQUIE, Dictionnaire de la langue philosophique, Paris, 1968, p.
327).
* 15 Cf. P. DUHEM, o.
c., p. 10.
* 16 R. DESCARTES,
Principia philosophiae, cité par P. DUHEM, o. c., p.
169.
* 17 P. DUHEM, o.
c., p. 157.
* 18 Ib., p.
17.
* 19 G. BERTHOUD, Les
nouvelles conceptions de la matière et de l'atome, Paris, 1923, p.
252.
* 20 F. RENOIRTE,
Eléments de critique des sciences et de cosmologie, Louvain,
1947, p. 159.
* 21 P. DUHEM, o.
c., p. 24.
* 22 P. DUHEM, o.
c., p. 26.
* 23 Ib., 158.
* 24 H. POINCARE,
Science et hypothèse, Paris, p. 245.
* 25 P. DUHEM,
Ib., p. 214.
* 26 Cf. J. C.
AKENDA, Analyse critico-comparative des théories husserlienne
et habermassienne du monde de la vie. A la recherche des fondements pratiques
de la conceptualité scientifique, dans Revue philosophique de
Kinshasa XI (1997) n. 19-20, p. 39-40.
* 27 P. DUHEM, o.
c., p. 287.
* 28 Cf. Ib., p.
158.
* 29 Cette thèse
sera développée plus amplement dans le prochain chapitre.
* 30 Le conventionnalisme
est une doctrine qui considère tous les principes comme des conventions.
(Cf. A. LALANDE, o.c., p. 188).
* 31 Cf. S. AUROUX (dir.),
Encyclopédie philosophique universelle. Tome II. Les
Notions philosophiques. Dictionnaire, Paris, 1990, p. 2316.
* 32 Cf. P. DUHEM, o.
c., p. 30-31.
* 33 Ib., p. 32.
* 34 Ib., p.
36.
* 35 P. DUHEM, o.
c., p. 170.
* 36 Ib., p.
35.
* 37 Cf. P. DUHEM, o.
c., p. 471.
* 38 K. POPPER, La
Logique de la découverte scientifique, Paris, 1984, p. 23.
* 39 A. REY, La
Théorie de la Physique chez les physiciens contemporains,
cité par P. DUHEM, La Valeur de la théorie physique. A propos
d'un livre récent, dans « Revue des sciences pures et
appliquées », 19e année, Paris, 1908,
p. 14.
* 40 P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 39.
* 41 Cf. A. CHALMERS,
Qu'est-ce que la science ? Récents développement en
philosophie des sciences : Popper, Kuhn, Lakatos, Feyerabend, Paris,
1987, p. 67-68.
* 42 F. RENOIRTE, La
théorie physique. Introduction à l'étude d'Einstein,
dans Revue néo-scolastique de philosophie 25° année
(1923) n. 100, p. 358.
* 43 Cf. P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 336.
* 44 Cf. K. POPPER, o.
c., p. 24-25.
* 45 P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 26.
* 46 A. CUVILLIER,
Nouveau vocabulaire philosophique avec supplément, Paris, 1956,
p. 75.
* 47 P. FOULQUIE, o.
c., p. 255.
* 48 Ib., p.
255.
* 49 P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 218.
* 50 P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 219.
* 51 P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 220.
* 52 P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 220-221.
* 53 Ib., p.
221.
* 54 Cf. P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 221.
* 55 Ib., p.
222.
* 56 Cf. notre chapitre
premier de ce texte au point I.2.3. La théorie précédant
l'expérience.
* 57 P. DUHEM,
Ib., p. 222.
* 58 P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 222.
* 59 Ib.
* 60 G. BACHELARD, La
Formation de l'Esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de
la connaissance objective, Paris, 1980, p. 10.
* 61 P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 172.
* 62 Ib., p.
230.
* 63 Ib.,
p. 223.
* 64 P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 240.
* 65 Cf. Ib., p.
228-229.
* 66 P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 231.
* 67 Ib., p.
231.
* 68 Ib., p.
232.
* 69 Ib.
* 70 J. C.
AKENDA, Epistémologie structuraliste et comparée.
Tome I. Les sciences de la culture, Kinshasa, 2004, p. 209.
* 71 J. C.
AKENDA, Epistémologie structuraliste et comparée.
Tome I. Les sciences de la culture, p. 209.
* 72 O. COSTA DE
BEAUREGARD, Sur quelques citations tirées de « La
théorie physique, son objet, sa structure » de Pierre Duhem,
dans Revue d'histoire des sciences 30 (1977) n. 4, p. 362.
* 73 P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 235.
* 74 Ib., p.
231.
* 75 P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 236.
* 76 Ib., p.
237.
* 77 P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 185.
* 78 Ib., p.
191.
* 79 Cf. P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 149-151.
* 80 J. C.
AKENDA, Epistémologie structuraliste et comparée.
Tome I. Les sciences de la culture, p. 26.
* 81 P. DUHEM,
Ib., p. 256.
* 82 P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 256.
* 83 P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 240.
* 84 F. RENOIRTE, La
théorie physique. Introduction à l'étude d'Einstein,
dans Revue néo-scolastique de philosophie 25e
année (1923) n. 100, p. 354.
* 85 P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 241-242.
* 86 Ib., p.
242.
* 87 Cf. Ib.
* 88 Ib., p.
244.
* 89 P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 245.
* 90 Ib.
* 91 Ib., p.
246.
* 92 P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 247.
* 93 Ib., p.
248.
* 94 P. DUHEM, La
valeur de la théorie physique. A propos d'un livre récent,
dans Revue des sciences pures et appliquées 19e
année (1908), p. 13.
* 95 P. DUHEM, La
Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 273.
* 96 Ib., p.
170.
* 97 Cf. A. BRENNER,
Duhem, dans Revue internationale de philosophie, 46 (1992) n.
182, p. 1-2.
* 98 A. BOYER, Physique
de croyant ? Duhem et l'autonomie de la science, dans Revue
internationale de philosophie, 46 (1992) n° 182, p. 321.
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