PROMOTION 2008 - 2012
UNIVERSITE DE NICE SOPHIA-ANTIPOLIS FACULTE DE
MEDECINE
ECOLE DE SAGES-FEMMES DE NICE
Le déni de grossesse
Revue de littérature
Essai de réflexion sur la prise en
charge de patientes en déni
Mémoire présenté et soutenu pour
l'obtention du DIPLOME D'ETAT DE SAGE-FEMME 2012
Par Laure SAINTE-ROSE FANCHINE Née le 3 mai
1989
à Aubergenville (Yvelines)
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Aux patientes et aux soignants,
À tous ceux qui m'ont soutenue dans ce projet.
Un merci tout particulier à Mme Françoise Pons,
pour ses conseils et sa gentillesse, et à ses collaboratrices
rencontrées aux quatre coins de la France.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 2/89
Le déni de grossesse Mémoire 2012
SOMMAIRE
INTRODUCTION 5
1 GROSSESSE PHYSIOLOGIQUE : DIMENSIONS PHYSIQUE,
PSYCHIQUE ET
SOCIALE 9
1.1 Gestation psychique, l'autre facette de la grossesse 9
1.1.1 Vécu psychique de la grossesse : quelques notions
de base 9
1.2 L'image du corps, un cheminement en trois temps 11
1.2.1 Premier trimestre : « l'état d'être
enceinte » 11
1.2.2 Deuxième Trimestre : « l'attente d'un enfant
» 12
1.2.3 Troisième Trimestre : « l'image des corps
séparés » 13
1.3 La grossesse dans la société occidentale
15
1.3.1 Entre statut et symbole : le mythe maternel 15
1.3.2 La grossesse, entre statut recherché et symbole
de liberté 16
1.3.3 Désir de grossesse, désir d'enfant ?
17
1.3.4 L'instinct maternel, une institution qui fait du tort
18
1.4 Conclusion 19
2 LE DENI DE GROSSESSE 21
2.1 « Un phénomène ancien, nouvellement
découvert » 21
2.1.1 Quelques notions d'Histoire 21
2.1.2 Prise de conscience en France : l'affaire des «
bébés congelés » 23
2.2 Le déni de grossesse, mécanisme de
protection 24
2.2.1 Le concept de déni 24
2.2.2 Déni de grossesse : recherche d'un consensus
26
2.2.3 Les négations de grossesse : définitions
et distinctions 28
2.2.4 Le déni de grossesse, altération de la
représentation 29
2.2.5 Conclusion 30
2.2.6 Extrapolation : le déni psychotique de grossesse,
une entité distincte 30
2.3 Epidémiologie du déni de grossesse au cours
des dernières décennies 31
2.3.1 Deux études prospectives en Europe 31
2.3.2 Autres études prospectives et
rétrospectives 32
2.3.3 Profil à risque : universalité du
déni 33
2.4 Clinique du déni de grossesse 35
2.4.1 La grossesse en déni ou « grossesse blanche
» 35
2.4.2 Le corps complice : de la grossesse nerveuse au
déni de grossesse 39
2.5 Influences et feed-back sur le psychisme 40
2.5.1 Le déni, phénomène contagieux 40
2.5.2 Le milieu médical tout aussi
désarmé 41
2.5.3 Facteurs favorisants observés dans la
littérature 42
2.6 Conclusion 44
3 HYPOTHESES ETIOLOGIQUES DU DENI DE GROSSESSE
45
3.1 La grossesse, un fait médicalement impossible 46
3.1.1 Déni et contraception 46
3.1.2 Déni et diagnostic de stérilité
46
3.2 La grossesse, une souffrance psychique ou physique
ancienne 46
3.3 La grossesse comme reflet d'une relation sexuelle 47
3.4 La grossesse, résurgence d'un
évènement traumatique à caractère sexuel 48
3.5 Au-delà d'un traumatisme identifiable, une carence
affective 49
3.6 Conclusion 50
4 LEVER DU DENI DE GROSSESSE 51
4.1 Plusieurs phases de gravité dans le déni
51
4.1.1 Déni partiel, une prise de conscience tardive
mais avant l'accouchement 51
4.1.2 Déni total 52
4.2 Circonstances du lever 52
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 3/89
Le déni de grossesse Mémoire 2012
4.3 Conséquences physiques et psychiques du déni
partiel 53
4.4 Situation critique : le lever du déni à
l'accouchement 54
4.4.1 Grossesse physiologique : les « mots de la
naissance » 54
4.4.2 Déni total : conséquences psychiques
à l'accouchement 55
4.4.3 Déni total : conséquences physiques et
obstétricales 56
5 DENI DE GROSSESSE ET NEONATICIDE 57
5.1 Définitions - Etat des lieux 57
5.2 Facteurs pouvant favoriser un néonaticide 58
5.3 Psychisme de la mère néonaticide :
différentes opinions 59
5.3.1 La notion d'état de choc 59
5.3.2 La difficulté à accoucher seule 60
5.3.3 Face à l'enfant 60
5.3.4 Une amnésie quant au passage à l'acte
62
5.4 Justice et déni de grossesse 62
5.4.1 Un contexte encore flou 62
5.4.2 Un cas parmi d'autres 63
5.4.3 Aspect médico-légal : le corps de l'enfant
64
5.4.4 Dans le cadre du déni : vers une
réinvention de la terminologie ? 65
6 DENI DE GROSSESSE ET PRISE EN CHARGE 67
6.1 Pourquoi une prise en charge spécifique ? 67
6.1.1 Le déni, signe de souffrance latente 67
6.1.2 Le déni, une répétition logique
67
6.1.3 Le déni de grossesse : un problème de
santé publique 68
6.2 Prise en charge actuelle face au déni de grossesse
69
6.2.1 Prise en charge médicale et sociale 69
6.2.2 Accompagner le déni : un travail psychique en
accéléré ? 69
6.3 Essai de Réflexion : quelques repères de
conduite face au déni de grossesse 73
6.3.1 Lever du déni : quels professionnels sont
concernés ? 73
6.3.2 Sage-femme, médecin généraliste :
face au déni partiel, que faire ? 75
6.3.3 Déni total : le lever en salle de naissance [25]
78
6.3.4 Accueil du nouveau-né en salle de naissance 80
6.4 En post-partum 81
6.4.1 Le séjour en maternité - Propositions
81
6.4.2 Retour à domicile 82
6.5 Devenir du couple mère-enfant : d'après une
étude de l'AFRDG [17] 82
6.5.1 Les dénis levés avant 6 mois, « moins
traumatiques » 83
6.5.2 Les dénis levés après 6 mois 83
6.5.3 Le déni total levé à l'accouchement
83
6.5.4 Quelques constantes relevées par l'étude
84
6.5.5 Un lien entre déni de grossesse et maltraitance ?
84
7 VERS UNE IDEE DE PREVENTION 85
7.1 Former les professionnels 85
7.2 Identifier les situations à risque 85
8 CONCLUSION 87
BIBLIOGRAPHIE I
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 4/89
Le déni de grossesse Mémoire
2012
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 5/89
Le déni de grossesse Mémoire
2012
Le déni de grossesse Mémoire
2012
INTRODUCTION
Histoire incongrue que celle retrouvée certain matin
dans les pages des faits divers : une jeune femme, venue aux urgences pour une
probable crise de colique néphrétique, a accouché quelques
heures plus tard d'un petit garçon en bonne santé de 3 kilos...
Une fois la mère et l'enfant hors de danger, la situation pourrait
prêter à sourire, si un détail ne s'ajoutait pas à
l'étonnant tableau : la femme en question ne se savait pas enceinte.
Telle est l'image déroutante - et de loin la moins
sombre - que le grand public semble avoir aujourd'hui d'un
phénomène méconnu : le déni de grossesse. Depuis
quelques années, les médias reprennent
régulièrement ces histoires un peu folles, certaines heureuses,
d'autres à l'issue bien plus dramatique, de femmes qui dans l'ignorance
de leur état de grossesse, mènent une existence en tout point
normale, et ce parfois jusqu'à l'accouchement. Elles sont avocates,
étudiantes, cadres, commerçantes, sportives de haut niveau ou
militaires, mères de famille, en couple ou célibataires.
Certaines viennent tout juste de se marier et ne songeaient guère
à avoir des enfants avant plusieurs années, d'autres
multipliaient les fausses couches et désespéraient de mener un
jour une grossesse à terme. Dans la grande majorité des cas,
elles ne présentent aucune psychopathologie et pas
d'antécédents psychiatriques.
Pour beaucoup encore, le déni de grossesse se
résume toujours à certains procès qui ont marqué la
dernière décennie, mettant en scène une femme, parfois
déjà mère, accusée d'avoir mené dans le
secret une voire plusieurs grossesses à terme, d'avoir accouché
seule pour se débarrasser ensuite de l'enfant nouveau-né. Des
affaires complexes, exceptionnelles et souvent médiatisées
à l'excès pour leur côté sordide et malheureusement
vendeur.
Pourtant les cas de déni poursuivi jusqu'à la
naissance de l'enfant, que certains nomment déni massif ou déni
total, ne représentent que le sommet de l'iceberg. Plus rares encore
sont ces accouchements inopinés donnant malheureusement suite, de
manière intentionnelle ou faute de soins, au décès du
nouveau-né. Bien plus nombreuses sont les femmes - entre 1500 et 2500
chaque année tous degrés de déni confondus - qui un jour
consultent leur médecin, souvent pour un problème anodin telles
une fatigue
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 6/89
persistante, des douleurs gastriques ou abdominales, et qui se
révèlent enceintes de quatre, cinq, six mois ou plus, sans
même l'avoir envisagé.
Le déni de grossesse serait donc « le fait
d'être enceinte sans avoir conscience de l'être ». Cette
définition trouvée dans tous les dictionnaires récents
résume en toute simplicité le phénomène, mais elle
pose aussi d'innombrables questions : comment est-il seulement possible qu'une
femme puisse porter un enfant pendant plusieurs mois sans en avoir la moindre
conscience ? Comment a-t-elle pu passer à côté de ces
signes de grossesse tels que les nausées matinales, l'absence de
règles ou la prise de poids, si manifestes chez d'autres qu'ils en
deviennent parfois gênants ? Comment celle-ci qui est interne en
médecine et en déni à quatre mois de grossesse, n'a-t-elle
pas compris bien avant ? Et cette autre quadragénaire, épouse
aimante et mère modèle de trois enfants, comment a-t-elle pu se
rendre compte qu'elle en attendait un quatrième qu'après huit
longs mois de grossesse ? Et si elle ne s'était aperçue de rien ?
Et si elle avait accouché seule chez elle... Qu'aurait-elle fait de cet
enfant que personne n'attendait ?
Ainsi vont les questions sur les femmes en déni, jeunes
et moins jeunes, seules ou en couple. Parce qu'il touche à l'affectif
pur et au vécu de chacun, le déni de grossesse étonne,
effraie, fascine ou révolte, mais ne laisse personne indifférent.
Proies du scepticisme collectif, les femmes qui en souffrent sont souvent
reniées : on les traite de menteuses, de dissimulatrices, on les accuse
de folie furieuse ou d'idiotie caractérisée, de
préméditation, de meurtre. Seuls quelques-uns pendant les
débats animés que suscite une telle question, osent parfois
élever la voix et dire : « Moi, j'ai connu quelqu'un à qui
c'est arrivé. On n'avait vraiment rien vu. »
Même parmi les professionnels de santé, le
phénomène est méconnu ou mis en doute. Quand le
déni de grossesse est reconnu comme tel - ce qui n'est pas toujours le
cas, surtout dans ses formes les plus « bénignes » - il est
encore aujourd'hui remis en question, rejeté, désavoué. Le
déni du déni parmi les professionnels est bien présent
face à ces femmes qu'on qualifierait presque de « fantaisistes
», et les questions muettes de planer, en consultation, en suites de
couches : « Comment avez-vous pu ? Vous n'aviez vraiment rien su ? Tout
s'est bien terminé, vous pouvez nous le dire, maintenant... ».
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 7/89
Et lorsque le déni est connu, le
phénomène est presque banalisé dans son impact psychique.
On cherche au plus vite à normaliser la grossesse dite « de
découverte tardive » sur les plans médical et social, tandis
que le versant psychique est souvent négligé, minimisé.
Mais une grossesse amputée de quelques premiers mois dans l'esprit d'une
mère peut-elle se rattraper aussi aisément que la mise à
jour tardive du dossier médical par quelques prises de sang ?
Comme le dit Sophie Marinopoulos, psychanalyste et psychologue
clinicienne, le déni hors contexte de grossesse est observé
chaque jour dans des « situations de souffrance psychique intense »
[22] : chez le conjoint qui se refuse à voir les tromperies de l'autre
tandis que tout l'entourage le sait et tente de l'alerter ; chez le parent dont
l'enfant se drogue au vu et su de tous sauf du parent en question ; chez le
patient qui vient d'apprendre qu'il est atteint d'un cancer et veut repousser
l'intervention en urgence pour profiter d'un voyage à l'étranger
[3]. Le déni protège de l'angoisse, sert le Sujet souffrant par
la défense qu'il procure : c'est une protection coûteuse et qui
peut conduire au drame, mais dont la présence ne doit pas remettre en
question l'intégrité d'esprit du Sujet donné. Le
déni de la réalité n'est pas un signe de psychopathologie,
mais bien un mécanisme de défense.
Face à une grossesse dont l'idée est trop
douloureuse et inacceptable pour des raisons que nous détaillerons, le
psychisme menacé met en place le déni. Et la grossesse dans son
existence psychique s'efface, tandis que son évolution physique se
poursuit. La femme est enceinte, mais elle ne sait pas, ne peut pas savoir.
Ce mémoire a été initié pour
répondre à plusieurs questions personnelles, posées
après le visionnage de certains documentaires sur le déni de
grossesse et la lecture d'articles de presse. Qu'en est-il de nos connaissances
actuelles concernant un tel phénomène ? Pourquoi certaines femmes
prennent conscience de leur grossesse tandis que d'autres restent dans le
déni jusqu'à l'accouchement ? Savons-nous aujourd'hui expliquer
pourquoi la grossesse est à ce point insoutenable, que leur esprit
préfère rester dans l'ignorance totale et la plus trompeuse ?
A ces questionnements s'est ajouté celui de la prise en
charge : que faisons-nous aujourd'hui face à une femme en déni
partiel - c'est-à-dire levé en cours de
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 8/89
grossesse ? Quel accompagnement, quelles conduites, quels mots
utilisent les professionnels ? Qu'en est-il du suivi en post-partum et de la
prise en charge des dénis massifs ? Et existent-ils des moyens de
prévenir un tel phénomène ?
L'idée première était de pratiquer des
recherches dans la littérature et de faire des entretiens auprès
des professionnels, pour en finalité proposer un protocole d'accueil et
de prise en charge des patientes en déni. Il est très vite apparu
qu'un tel objectif était utopique voire même péjoratif et
dangereux : le déni de grossesse est un domaine vaste et par trop
méconnu, et parce qu'il touche à la dimension psychique de la
maternité, il se refuse à tout semblant de catégorisation.
Vouloir l'aborder en pratique de manière machinale et
prédéterminée serait très probablement un tort.
Aussi, plus qu'un protocole, ce mémoire souhaite
apporter des connaissances issues de la littérature récente et
des anecdotes moins formelles, pour aboutir à des éléments
de réflexion destinés à tout professionnel qui un jour,
s'est demandé ce qu'il devrait faire - ou aurait pu faire - face
à une patiente en déni de grossesse.
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 9/89
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
1 GROSSESSE PHYSIOLOGIQUE : DIMENSIONS PHYSIQUE,
PSYCHIQUE ET SOCIALE
Depuis des années, la littérature et les
médias véhiculent quantité de renseignements, conseils,
anecdotes, récits sur ce qu'est une grossesse et en quoi elle modifie le
corps et la vie d'une femme.
Il n'est pas rare qu'une future/nouvelle maman
interrogée fournisse volontiers des détails sur le
déroulement physique de sa (ses) grossesse(s) - tels que le temps qu'ont
duré les nausées ou celui passé en salle de naissance, ce
qu'elle faisait quand elle a perçu les premiers mouvements du foetus,
ses envies, ses dégoûts. En revanche, l'évocation du
vécu psychique et émotionnel de cette période est souvent
plus difficile, rarement spontané. La grossesse n'est pas seulement un
phénomène physique comme beaucoup veulent encore le croire, et
pour pouvoir envisager un phénomène tel que le déni de
grossesse, il est apparu indispensable d'aborder en premier lieu et de
manière succincte le contexte psychologique de la grossesse, ou encore
appelé gestation psychique.
Pour éviter toute longueur ou répétition,
le versant physique de la grossesse ne sera pas décrit dans
l'immédiat. Il sera cependant évoqué en comparaison avec
les manifestations cliniques du déni de grossesse, traitées dans
un chapitre ultérieur.
1.1 GESTATION PSYCHIQUE, L'AUTRE FACETTE DE LA
GROSSESSE
1.1.1 Vécu psychique de la grossesse : quelques
notions de base
Tous les spécialistes s'accordent à dire que la
grossesse, source de profonds changements physiques, est également une
phase marquée de doutes et de questionnements. Expérience de
maturation psychologique, voire même véritable crise identitaire
pour certains, la gestation psychique est imprégnée de troubles
de l'humeur physiologiques qui témoignent d'une grande
vulnérabilité chez la femme enceinte.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 10/89
Dès 1858, Marce cité par Annie Gorre-Ferragu
dans sa thèse de médecine [11] décrit la grossesse comme
« un de ces états physiologiques dans lequel le système
nerveux peut acquérir une mobilité et une
impressionnabilité excessive ». Une hypersensibilité
croissante pendant la grossesse, que Donald Winicott rattache à la
préoccupation maternelle primaire, état psychiatrique très
particulier qui après la naissance, permettra à la mère de
comprendre et de répondre aux besoins de son enfant de la meilleure
manière qui soit.
De même, A. Gorre-Ferragu [11] dans sa thèse de
médecine dénote un fort mécanisme d'introversion propre
à la grossesse : l'investissement psychique maternel pour le foetus est
intense, au détriment de son intérêt pour le monde
environnant professionnel, social, ou ludique. Cet hyperinvestissement mental,
loin d'être pathologique, constituerait les prémices de la
relation mère-enfant, mais il est relativement peu présent de
manière spontanée dans le discours des futures mères.
Cependant, selon la psychiatre psychanalyste Monique Bydlowski,
l'anxiété maternelle entraîne l'effet inverse en cas de
grossesse suivant un décès périnatal, et on assiste alors
à une riche verbalisation du processus.
Les préoccupations anxieuses sont légion pendant
la grossesse, diverses dans leur expression psychique voire somatique, mais
toujours présentes et à différents degrés selon
l'histoire de la patiente. Qu'elles s'expriment par la crainte d'une
fausse-couche au premier trimestre ou de l'éventualité de
malformations foetales au second, par la peur au troisième trimestre de
complications à l'accouchement ou de ne pas savoir s'occuper du
nouveau-né, toutes ces préoccupations sont centrées sur la
grossesse et son déroulement.
En psychanalyse, le terme de « transparence psychique
» est attribué à la grossesse, qui devient un temps de
pensées et de désirs clairs, propice à un travail
psychanalytique. Le psychisme maternel est soumis d'après M. Bydlowski
à une « grande perméabilité mentale où des
fragments de l'inconscient viennent à la conscience » [11]. Des
conflits intrapsychiques et non résolus remontent à la
conscience, synonymes souvent de douleur et d'angoisse. Par cette transparence
psychique, la femme enceinte connaît un véritable «
état de grâce », via lequel elle peut affronter son
passé en revivant des expériences oubliées ou
refoulées de l'enfance ou de l'adolescence, puis accepter et sublimer
ces souvenirs. Si la patiente en analyse ou en
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 11/89
suivi psychothérapeutique connaît donc une
amélioration de son état psychique le temps de sa grossesse, il
est également courant que cette vulnérabilité
physiologique et psychologique puisse conduire à des
décompensations voire des bouffées délirantes après
l'accouchement.
Pour anticiper ce qui sera traité plus tard, la
transparence psychique pourrait constituer l'un des mécanismes à
l'origine du déni de grossesse : le déni en évitant
l'idée de grossesse, évite la reviviscence d'un passé trop
douloureux et donc considéré comme insoutenable pour le psychisme
maternel.
1.2 L'IMAGE DU CORPS, UN CHEMINEMENT EN TROIS TEMPS
S. Marinopoulos, suite à ses nombreuses observations en
maternité, a présenté la grossesse psychique comme
rythmée en trois parties, que l'on peut relier chacune à un
trimestre. [25]
1.2.1 Premier trimestre : « l'état d'être
enceinte »
Dans ce premier temps, il n'est pas encore question de
l'attente d'un enfant, mais plus d'un « état d'être ».
La femme enceinte, dans cette absence de manifestations physiques de celui qui
grandit en elle, n'élabore pas de représentation de cet enfant.
C'est avant tout son corps psychique qui est chamboulé par l'idée
devenue réalité de la grossesse : elle la pousse à revenir
sur son propre vécu de l'enfance et de la relation aux parents et
à la famille. Cette introspection réactualise de nombreux
souvenirs paisibles ou moins heureux, et ce retour aux liens familiaux
passés pose des questions laissées en suspens, réveille
des conflits infantiles parfois douloureux. La notion d'ambivalence est par
là même très présente, oscillant entre désir
et peur : si les sentiments plus ou moins conscients d'amour sont bien
acceptés, l'hostilité envers le foetus étranger, source
d'angoisse, est inavouable et refoulée dans l'inconscient. Cette
ambivalence entre acceptation et non acceptation de la grossesse est
nécessaire et transitoire : la grossesse est synonyme d'un changement
radical de statut tant psychique que social. Toute femme est confrontée
à des expériences d'angoisse parfois dépersonnalisante,
mais celles-ci doivent rester passagères pour s'avérer
structurantes. [13]
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 12/89
Ainsi concentrée sur les images du passé, la
femme enceinte traverse donc une phase d'adaptation au futur enfant. Sorte de
nidation psychique maternelle, ce processus la conduit à l'acceptation
de sa grossesse et lui permet de se projeter dans une relation
mère-enfant, non plus en tant que fille, mais bien en tant que
parent.
Au cours de cette période d'ambivalence et de
vulnérabilité, la femme exécute une véritable
marche vers le « devenir-mère », dans un sens purement
symbolique. [24]
1.2.2 Deuxième Trimestre : « l'attente d'un
enfant »
Ce deuxième temps voit dans la grande majorité
des cas la femme pleinement consciente de sa grossesse, état qu'elle a
accepté consciemment et inconsciemment. Les « petits maux » et
autres signes sympathiques ont pour la plupart disparu, souvent à la
perception des mouvements foetaux : elle éprouve un étonnant
bien-être physique, sensation de plénitude qui durera quelques
semaines à quelques mois. Les modifications corporelles sont cependant
franches, enfin révélatrices : elles permettent désormais
une représentation de l'enfant, influencée également par
le biais des interactions, des fantasmes et rêveries maternels. Ces
moments sont synonymes d'une grande ambivalence chez les parents : pour
certains, l'attente chargée d'impatience et de plaisir prédomine,
chez d'autres la crainte de découvrir un être qui ne répond
pas à leurs espérances est telle que seule l'image
échographique leur permettra d'imaginer l'enfant avec
sérénité.
Nourri par l'exploration échographique et les examens
médicaux, le bébé virtuel fait son apparition, en lien
étroit avec le bébé réel, « niché au
creux du corps de sa mère » [22], invisible et muet, mais expressif
et bien présent dès les premiers mouvements foetaux
perçus.
Comme l'a décrit le psychanalyste Serge Lebovici
cité par Cécile Grangirard dans son mémoire [13], on
assiste à l'émergence de trois facettes du même enfant dans
le psychisme parental :
? L'enfant imaginaire, « enfant rêvé
» par ses parents qui lui ont déjà trouvé un
prénom, préféré un sexe, imaginé telle ou
telle ressemblance avec l'un
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 13/89
d'entre eux. Il est le fruit du désir conscient de la
grossesse, et s'inscrit en finalité dans la lignée familiale.
? L'enfant fantasmatique, qui lui émerge et
demeure dans l'inconscient de chaque parent. Il prend vie à travers leur
histoire individuelle et fait écho aux racines infantiles du
désir d'enfant, réactivant transitoirement le complexe
oedipien.
? L'enfant mythique, qui est un reflet culturel et
médiatique propre aux parents. La culture mais aussi les mythes et
idéaux familiaux modèlent cette représentation de l'enfant
à naître et, plus tard, influenceront son éducation.
Ce deuxième trimestre, marqué d'un
véritable processus d'anticipation de l'enfant à naître,
est donc d'une importance certaine. Les représentations qu'il apporte
préparent la mère mais aussi le couple à accueillir
l'enfant dans le cercle familial et dans les meilleures conditions
possibles.
Cette importance est davantage mise en lumière lors de
grossesses marquées par une annonce de suspicion d'handicap,
infirmée par la suite. Une telle rupture dans le lien imaginaire et
fantasmatique traduit chez les parents un mécanisme de protection face
à une éventuelle mauvaise nouvelle, voire à une pathologie
pouvant nécessiter le recours à une IMG. Une fois le danger
écarté, la rupture plus ou moins consciente persiste : le foetus,
bien que normal, « a failli la confiance accordée » en
décevant les espoirs de ses parents ; il perd à leurs yeux son
statut de fils ou fille potentiel. Un clivage s'opère, et l'enfant
réel se développe hors de la rêverie de ses parents ; chez
la mère une telle effraction dans sa fantasmatique provoque un
état de sidération, qui peut empêcher par la suite la mise
en place d'une préoccupation maternelle primaire efficace.
C'est en finalité le lien à l'enfant réel
qui en souffrira plus tard, avec des parents qui généralement
sont en demande de soins psychiques en raison d'une relation difficile avec
l'enfant. [25]
1.2.3 Troisième Trimestre : « l'image des corps
séparés »
Dans ses derniers ouvrages, S. Marinopoulos met en
scène un être à part, la dyade mèrenfant,
hybride né d'une symbiose dont neuf mois de grossesse ont permis
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 14/89
l'existence. Or le troisième trimestre, en abordant la
question de la naissance, pose celle d'une séparation. Les mères
savent, comprennent cet acte inéluctable et nécessaire, et elles
expriment sans peine leurs craintes quant à cet évènement,
inconnu et pourtant évoqué partout, porteur de douleur et
d'efforts. Mais il est une autre angoisse, inavouable et inavouée qui
les taraude : celle de perdre l'enfant, d'en être privée, de se
retrouver seules et tel un corps à l'abandon, après des semaines
de vie commune l'un dans l'autre. La « petite mort » de la dyade
mèrenfant nécessite préparation, car elle n'est
pas sans renvoyer à la propre expérience des mères,
à l'angoisse archaïque de séparation que tout être
humain a un jour dû traverser pour vivre et s'épanouir.
Ce travail mental que doit exécuter toute mère
en vue de la séparation, s'orchestre simultanément à deux
niveaux :
Tout d'abord, le processus se réalise dans l'intime des
mères, confrontées dans les derniers mois à la
différence de rythmes et de besoins biologiques entre elles et leur
futur enfant : elles ne sont pas rares à formuler leur
étonnement, parfois leur exaspération à sentir le foetus
bouger quand elles cherchent le calme et le repos. Qu'elles le remarquent est
un pas vers un véritable « défusionnement », progressif
et nécessaire : l'enfant, comme s'il clamait déjà son
indépendance, apparaît dans un statut d'être
différent. [22]
De même, les cours de préparation à la
naissance et à la parentalité renforcent cette prise de
conscience, mettant en images la séparation tant redoutée par la
démonstration d'une scène de naissance, mannequins ou dessins
à l'appui. Par la discussion et ses questionnements, la mère met
en mots l'image des corps séparés, confirmant ainsi son propre
vécu intime de cette individualisation de l'enfant. Selon le
psychanalyste Paul-Claude Racamier cité par C. Grangirard [13], la femme
enceinte n'accède pleinement à son statut de mère qu'en
acceptant cette séparation, et elle l'anticipe en imaginant la relation
future avec son enfant. En se basant sur son vécu, elle choisit de
reproduire certains aspects de sa relation avec sa propre mère, ou au
contraire de se détacher de ces expériences.
De la qualité des images de séparation ainsi
élaborées, dépendraient en partie les humeurs de la jeune
accouchée. En cas d'altération de la représentation des
corps séparés en fin de grossesse, le retour à
l'équilibre serait plus difficile après la naissance.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 15/89
Les femmes en post-partum présentent différents
degrés « d'être », allant du sentiment d'unité et
d'apaisement à un état de choc, de morcellement de son être
pour lequel la séparation était une image irreprésentable.
Ces états de décompensation sont parfois
interprétés de manière hâtive comme le baby-blues,
mais ces patientes témoignant d'un sentiment de morcellement
nécessitent un soin psychique immédiat et rapproché.
[22]
1.3 LA GROSSESSE DANS LA SOCIETE OCCIDENTALE
1.3.1 Entre statut et symbole : le mythe maternel
Dans notre société moderne, la gestation
psychique telle qu'elle vient d'être succinctement décrite
n'existe pas : notre imaginaire collectif conçoit l'image d'une femme
enceinte belle, sereine, enveloppée d'images harmonieuses et positives,
comblée dans l'attente puis par les soins à son enfant, qu'elle
réalise d'ailleurs avec une assurance telle que cela ne peut être
que par instinct - instinct maternel. Ces représentations nous sont
rassurantes, apaisantes, nous confortent dans nos préjugés sur la
« bonne mère », aimante, universelle, pétrie d'instinct
et opérationnelle dès la naissance. N'est-il pas difficile -
voire effrayant - que d'envisager une grossesse synonyme de questionnements, de
vulnérabilité et d'angoisse, une gestation marquée de
réminiscences affectives et douloureuses ? [38]
Le mutisme collectif autour de la maternité psychique
se poursuit jusque dans notre prise en charge de la femme enceinte dans le
milieu de la Santé : alors qu'on surveille à grand renfort
d'examens et d'échographies la grossesse physique, la gestation
psychique est peu prise en compte, comme oubliée, déniée.
A l'heure actuelle, on n'envisage la grossesse que dans sa dimension heureuse,
publique ; on délaisse son intimité, changeante et ambivalente
comme l'inconscient, cette entité dont elle se nourrit et dont elle
hérite la tonalité scandaleuse, mystérieuse et obscure,
intrigante, séduisante, cruelle.[24]
Un oubli dont les futures mères, déjà peu
enclines à avouer ces turbulences émotionnelles et ambivalentes
affleurant à leur conscience, s'accommodent comme elles peuvent depuis
l'avant-grossesse jusque longtemps après dans le post-partum. Le
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 16/89
déni de la vie psychique et de ses manifestations est
déjà là, même dans des situations que nous,
professionnels ou simples proches, ancrés dans nos croyances et nos
certitudes, qualifierions de normales.
1.3.2 La grossesse, entre statut recherché et
symbole de liberté
Dans nos sociétés, devenir mère est
valorisant pour la femme en âge de procréer. Marque
d'épanouissement et de normalité, avoir des enfants attire sur un
couple la reconnaissance sociale et familiale, confère le statut
jusque-là refusé de parent. Le désir d'enfant
apparaît donc comme la valeur la plus naturelle et la plus universelle,
à notre époque où entre la contraception, la
Procréation Médicalement Assistée (PMA) toujours plus
performante et la liberté de chacun, le maître mot semble
être « Un enfant si je veux, quand je veux ». « Vouloir un
enfant » est perçu comme un désir uniquement conscient,
fonder une famille un choix librement consenti répondant à des
idéaux culturels, familiaux et sociaux.
Et pourtant, il suffit de lire les faits divers ou d'observer
notre entourage pour constater l'étrangeté dont sont
pétries de nombreuses histoires familiales : abandon, mise à
l'adoption, maltraitance, délaissement ou carence, abus sexuel [24]. On
a tous entendu parler, peut-être dans notre entourage, a fortiori en tant
que professionnel de santé, de cette femme qui après deux ans de
PMA enfin couronnés de succès, passe de l'autre côté
du mur pour se faire avorter en service d'orthogénie. Ou encore de ce
futur père dont la compagne est enfin enceinte, réalisant ainsi
un voeu appuyé et partagé dans leur couple, qui rompt soudain
tout contact à l'orée du sixième mois de grossesse.
Malgré nos représentations rassurantes de l'instinct maternel ou
d'un besoin primaire de filiation, il est évident devant ces exemples
qu'être parent ne va pas de soi.
On l'a vu précédemment, c'est la grossesse et
par prolongation l'enfant qui entraîne la métamorphose psychique
nécessaire pour devenir parent : on cesse d'être le fils de
quelqu'un pour être le parent d'un autre. Cette transformation psychique
renvoie au propre vécu de chacun et réveille des forces
psychiques contradictoires jusque-là enfouies dans l'inconscient : de
tels conflits s'ils ne sont pas dépassés peuvent entraver la
construction d'un lien psychique de filiation. L'adulte reconnu comme
père ou mère ne peut alors assumer cette naissance sociale, dans
l'incapacité d'endosser le rôle qu'il semblait pourtant
s'être choisi. [22]
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 17/89
1.3.3 Désir de grossesse, désir d'enfant
?
Notre bon sens commun voudrait que le désir de la
grossesse aille toujours de pair avec le désir d'un enfant. Or les
exemples précédents décrivent ces patientes qui
désirent être enceintes sans toutefois souhaiter un enfant, tandis
que d'autres n'arrivent pas à se projeter dans l'enfant réel,
donnant suite à des situations qui sans être aussi dramatiques
qu'un déni de grossesse suivi ou non d'un néonaticide, peuvent
s'avérer navrantes voire catastrophiques sur le long terme et dans le
bon développement de l'enfant (maltraitance, délaissement, abus
sexuel...). Désir de grossesse et désir d'enfant ne sont donc pas
toujours corrélés.
Le désir de grossesse symbolise davantage la fonction
reproductrice qu'une véritable volonté consciente de devenir
parent. Pour certaines femmes, notamment celles sous contraception
prolongée, la grossesse incarne plus ou moins consciemment un moyen de
vérifier leurs capacités de fécondité, de s'assurer
du caractère fonctionnel et intact de leur corps, de leur potentiel
reproducteur sur un plan uniquement physiologique. Parmi les adolescentes, le
désir voire même la préméditation d'une grossesse
traduit surtout une recherche de leur féminité, elles qui sont
aux prises avec une des crises identitaires majeures de leur existence. La
grossesse permettrait d'acquérir à leurs yeux un autre statut
social et psychique, et ce souhait reste coupé de toute volonté
d'accueillir un nouvel individu à part entière, idée
qu'elles n'ont souvent pas même envisagée.
Il peut y avoir volonté délibérée
d'avoir un enfant, cet « enfant programmé » qui répond
à l'idéal de la normalité et de l'épanouissement,
mais avec absence de « l'enfant désiré », donc absence
de désir d'enfant. Le désir d'enfant n'est par conséquent
pas qu'une volonté consciente et exprimée de fonder une famille
pour tendre à un idéal : il est avant tout lié à
notre inconscient.
La psychanalyse freudienne conçoit l'idée
d'avoir un enfant comme la réalisation d'un désir infantile de la
fillette d'autrefois. Par ce désir elle peut s'accomplir en tant que
femme, prolonge sa mère pour devenir en finalité sa propre
mère. Le désir d'enfant nécessite pour se réaliser
une image de référence, la mère idéale, d'où
un processus d'idéalisation qui se met en place principalement chez la
primipare, et cela même si elle a connu d'importants conflits avec sa
mère.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 18/89
Pour M. Bydlowski [13], désirer un enfant, c'est «
reconnaître sa propre mère à l'intérieur de soi
». Elle a observé que des femmes qui présentait des
relations passées ou présentes difficiles avec leur mère,
ont tendance à refouler leur désir d'enfant, d'où
l'hypothèse de nécessité d'un attachement
préoedipien suffisamment bon pour qu'elles souhaitent devenir
mère à leur tour.
Le désir d'enfant est donc un processus complexe, qui
prend sa source dans les voeux conscients mais aussi dans les
représentations inconscientes de chaque parent, issues de sa propre
histoire. Parce qu'il dépend du contexte historique et social de chacun,
de sa représentation de la mère et de l'identification de
l'adulte à ses propres parents, le désir d'enfant est dans un
devenir imprévisible à l'avance. Il implique de mentaliser de
futures images parentales à partir du vécu, de conceptualiser au
sein du couple un enfant en tant qu'individu distinct et qui prendra en
finalité sa place dans l'arbre de filiation.
Dans cette optique, la grossesse n'est qu'un « passage
nécessaire » [11]. Toute conception et gestation constituent
l'incarnation d'un désir sexuel et d'un projet en un
développement biologique tangible : l'enfant à naître,
l'individu qu'il sera.
1.3.4 L'instinct maternel, une institution qui fait du
tort
Parmi les croyances qui entourent la grossesse, la notion d'
« instinct maternel » est l'une des plus tenaces : une nouvelle
mère deviendrait dès la naissance, dès le premier regard,
une mère « adaptée », sans faille, vivant un
épanouissement salvateur et total auprès de son enfant. Or tous
ceux qui ont déjà travaillé en compagnie des parturientes
et des accouchées savent que c'est loin d'être une constante. Pour
ces mères qui n'ont pas « le déclic », l'effet est
parfois psychiquement dévastateur : cette absence du «
bien-être instantané » promis sape toute leur confiance et
les plonge dans un état de tension psychique vite intolérable,
qui ne leur permet pas de se consacrer sereinement à leur enfant. Elles
sont stigmatisées par cet instinct qu'elles n'ont pas, en échec
avant même d'avoir pu expérimenter leur vie de mère.
[21]
« On ne nait pas femme, on le devient » ont dit tour
à tour Elisabeth Badinter et Simone de Beauvoir, en désaccord
avec la notion d'instinct maternel. Le professeur Israël Nisand et le
docteur Sophie Marinopoulos ont poursuivi leur pensée dans leur dernier
ouvrage [25], remplaçant le concept d'instinct maternel par le «
sentiment
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 19/89
maternel ». Dotée d'une préoccupation
maternelle primaire qui s'est développée tout au long de sa
grossesse, la nouvelle mère à la naissance est dans une
disponibilité psychique qui potentialise son envie d'apprendre et de
comprendre. C'est douée de cette confiance qu'elle peut
expérimenter les premiers gestes et soins à son
nouveau-né, installant peu à peu dans les minutes, les heures,
les jours et les semaines qui suivent une relation adaptée et en
évolution constante avec l'enfant. Pour la mère, à l'image
du père, « chaque naissance est une adoption, un temps de surprise
et d'adaptation ».
Les plus rapides donnent l'illusion d'un instinct en lequel il
ne faut plus croire, au risque sinon de pénaliser les mères qui
ne présentent pas cette adaptation fulgurante.
Cette notion de temporalité est primordiale : à
la naissance, rien n'est ni acquis ni inaccessible. Encore une fois, on ne nait
guère parent, on le devient. Le sentiment maternel a ses origines qui
remontent bien avant la grossesse, il prend sa source dans le passé et
le maternage reçu. Et tout comme le sentiment paternel, il se construit
au jour le jour : « la maternité est toujours adoptive [...], pas
instinctive, mais historique ». [25]
1.4 CONCLUSION
Si la grossesse physique aboutit à la naissance d'un
enfant, la gestation psychique, en un ensemble de métamorphoses
psychiques progressives, pousse la femme enceinte à mobiliser toutes ses
capacités d`adaptation : elle la plonge dans un état de grande
vulnérabilité face à l'environnement présent mais
aussi et surtout face à son passé. Ce travail psychique lui
permet ainsi d'accéder à un équilibre psychoaffectif
nouveau incluant désormais l'enfant. On a d'ailleurs plusieurs fois
attribué à la grossesse le terme de « crise maturative
», la plaçant au même niveau que des périodes à
grands bouleversements somatiques, psychologiques et hormonaux tels que
l'adolescence ou la ménopause. Comme l'a si bien dit C. Grangirard dans
son mémoire, « on construit un bébé dans son corps,
on construit une mère dans sa tête ».
Après cette rapide présentation, on ne peut
qu'imaginer les efforts psychiques conscients comme inconscients que demande
une telle métamorphose. La question désormais se pose quant aux
obstacles supplémentaires que peuvent générer une
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 20/89
manque de connaissance de soi ou de confiance en soi, ou
encore un évènement traumatisant dans l'enfance ayant un lien
direct avec la grossesse ou la féminité.
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 21/89
2 LE DENI DE GROSSESSE
2.1 « UN PHENOMENE ANCIEN, NOUVELLEMENT DECOUVERT
»
2.1.1 Quelques notions d'Histoire
Lors de son exposé « Déni de grossesse : de
l'incrédulité au désarroi » [37] donné le 25
novembre 2011 à l'occasion du 3e Colloque Français sur
le déni de grossesse, J. Series, professeur à l'Université
de Valencia, a narré une anecdote peu connue du grand public : en 1500,
la reine Jeanne de Castille, déjà mère d'une petite fille,
se désespère de donner un jour un héritier mâle
à son époux Philippe de Habsbourg. Un soir de banquet, la reine
se trouvant indisposée se précipite aux latrines sous l'oeil
moqueur des courtisans. Quelques minutes plus tard, ses suivantes,
alertées par des halètements incongrus, rejoignent la reine et se
précipitent juste à temps pour rattraper un nouveau-né et
son placenta, sur le point de tomber dans les latrines. Cet enfant tant
espéré, dont la grossesse est pourtant passée
complètement inaperçue, sera connu quelques années plus
tard sous le nom de Charles Quint, roi d'Espagne et empereur du
Saint-Empire.
Au-delà de cet exemple de déni de grossesse
présumé mais jamais authentifié, l'Histoire et sa
littérature médicale regorge d'écrits et d'observations
qui démontrent que le phénomène de la grossesse
ignorée n'est guère d'apparition récente.
Au XVIe siècle, le terme de « recel de grossesse
» définit les grossesses non déclarées, renvoyant par
sa note péjorative à la possibilité d'infanticide, monnaie
malheureusement courante à l'époque. [11]
Au XVIIe siècle, le gynécologue Mauriceau
décrit le cas de plusieurs femmes présentant des saignements
menstruels persistants au cours de leur grossesse, phénomène qui,
selon lui, aurait pu les conduire à méconnaître leur
état. [11] [13]
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 22/89
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le XIXe siècle est marqué par de grandes
avancées en gynécologie-obstétrique, qui par ailleurs est
la première discipline médicale à voir le jour en France
[11]. En 1838, le psychiatre Esquirol fait l'observation d'une mère
infanticide qui d'après ses dires « ne connaissait pas sa grossesse
». En 1858, son élève Marce, prenant en charge des femmes
enceintes hospitalisées pendant leur grossesse, découvre que
certaines dissimulent leur état par honte de l'acte sexuel qu'il
suggère. Il fait la distinction parmi ces femmes entre celles qui
cachent délibérément leur grossesse mais confectionnent
les layettes en grand secret, et celles qui prises « d'un état
maniaque ou mélancolique », semblent ignorer jusqu'au fait qu'elles
sont enceintes. Le terme de « grossesse méconnue » est
avancé. [11] [12]
Tardieu, médecin légiste, mentionne en 1874 dans
son Traité de médecine légale le cas de femmes ayant
accouché clandestinement qui affirmaient « ne pas s'en être
aperçues ».
En 1898, Gould fait l'étude de 12 patientes
présentant une « grosseur » de l'abdomen qu'elles assimilaient
à une tumeur et qui attribuaient les douleurs du travail à des
problèmes lombaires ou intestinaux. Il est vraisemblablement le premier
à émettre le terme de « grossesses inconscientes », les
différenciant ainsi des grossesses dissimulées. Dans une
tentative d'élaboration d'une entité clinique, il dénote
un certain polymorphisme, ces femmes étant pour moitié des
multipares, jeunes ou non, une seule s'avérant délirante. Toutes
mariées, elles ne reconnaissaient pas les douleurs du travail et de
l'enfantement comme telles. Le monde scientifique persiste cependant à
attribuer ces grossesses inconscientes à des états de folie
transitoire ou de simulation, les reliant donc à une forme de maladie
mentale. [11] [13]
Sigmund Freud, père de la psychanalyse, définit
en 1924 le terme de « déni » comme un « mode de
défense consistant en un refus de reconnaître la
réalité d'une perception traumatisante » [13], contrairement
à la dénégation où le sujet formule un
désir, pensée ou sentiment mais continue de s'en défendre
en niant qu'il lui appartient.
En 1949, le médecin Deutsh décrit des femmes en
lutte contre une grossesse non désirée, qui présentent une
« attitude psychique si arrêtée que la grossesse est
psychologiquement inexistante ».
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 23/89
C'est durant la fin du XXe siècle, et notamment
à partir des années 1970, que le déni de grossesse
obtiendra enfin une existence clinique dans la littérature
médicale : de symptôme exclusivement observé chez la femme
souffrant de pathologies mentales et notamment de psychose, les études
de plus en plus rigoureuses et nombreuses l'étendront peu à peu
à tous les types de population. Le déni de grossesse reste
cependant peu ou mal connu en France même des professionnels de
santé, du fait de son absence de définition claire dans les
dictionnaires de psychiatrie, de psychanalyse ou de
gynécologie-obstétrique.
2.1.2 Prise de conscience en France : l'affaire des «
bébés congelés »
C'est vraisemblablement avec l'affaire Courjault que le
déni de grossesse, qui hantait pourtant les faits divers depuis
plusieurs décennies, se retrouve propulsé en première page
sous sa forme la plus frappante et la plus dramatique : l'accouchement à
domicile, suivi du décès de l'enfant - et, dans ce cas
particulier, de la conservation de son corps par sa mère.
En juillet 2006 à Séoul, la découverte de
deux cadavres de nouveau-nés dans un congélateur défraie
la chronique. Le couple incriminé, Véronique et Jean-Louis
Courjault, nie farouchement sa responsabilité et invoque
l'hypothèse d'un complot, jusqu'à ce que les tests ADN
authentifient les deux corps comme étant leurs enfants. L'affaire prend
une tonalité internationale lorsque les autorités
françaises reprennent l'enquête et aboutissent aux mêmes
conclusions que leurs homologues sud-coréens. C'est finalement
près de trois mois plus tard que Véronique Courjault avoue avoir
accouché clandestinement, puis tué et congelé les deux
bébés en 2002 et 2003, ainsi qu'un autre enfant en 1999 alors
qu'elle résidait encore en France. Un non-lieu est prononcé pour
Jean-Louis Courjault, tandis que son épouse est condamnée en 2009
à huit ans de prison pour les trois infanticides, puis
bénéficie d'une mise en liberté conditionnelle en 2010.
Depuis 2006, les affaires de déni de grossesse se
multiplient dans les médias, et le phénomène, qui tour
à tour sidère, révulse et fascine, est désormais
connu d'un public toujours plus large. Cependant, cette médiatisation
que l'on pourrait qualifier de démesurée ne reflète
guère la réalité : l'accouchement inopiné à
domicile suivi de la
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 24/89
mort - accidentelle ou provoquée - du nouveau-né
ne représente, nous le verrons plus tard, qu'une mince proportion des
cas de dénis de grossesse.
2.2 LE DENI DE GROSSESSE, MECANISME DE PROTECTION
2.2.1 Le concept de déni
Avant de détailler le phénomène du
déni de grossesse, il nous est apparu nécessaire de
définir le terme de « déni », concept largement
utilisé aujourd'hui mais dont les définitions peuvent
s'avérer parfois floues ou méconnues.
Le verbe « dénier », issu du latin «
denegare », est apparu selon les historiens au XIIe
siècle. Le sens général du mot « déni » a
été attesté en français un siècle plus tard,
et se déclinait à l'époque en deux définitions :
? Action de dénier ;
? Refus de la part du juge de remplir un acte de fonction (en
Droit) ; Aujourd'hui dans le langage courant, le déni dans le Petit
Robert peut prendre deux significations :
? « refuser de reconnaître quelque chose » (une
responsabilité, un fait...) ; ? « refuser d'accorder quelque chose
qui est dû » (un droit...)
Le déni dans son sens psychanalytique a
été établi par Freud [11] comme un « mode de
défense consistant en un refus par le sujet de reconnaître la
réalité d'une perception traumatisante ». Théodore
Dorpat en 1983 prolonge la thèse psychanalytique en présentant le
déni comme un mécanisme de défense s'orchestrant en quatre
phases :
1. « Evaluation préconsciente de la
présence d'un
danger/traumatisme », ou « signal anxiety
» comme l'avait déjà décrit Freud en 1926 : le Sujet
fait une première analyse d'une situation à risque, de
manière préconsciente voire même consciente ;
2. « Affects tristes et réactions
défensives » : le sujet a déterminé la
tonalité déplaisante de ce qui l'assaille et met en oeuvre une
action
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 25/89
défensive. La plupart des stimuli sont
enregistrés à un niveau inconscient ;
3. « Arrestation cognitive » : les informations
menaçantes sont exclues, refoulées, et ne remontent donc pas
à la connaissance consciente. L'attention du sujet est reportée
ailleurs ;
4. « Comportement écran » : pour combler
le vide formé par la phase précédente d'arrestation
cognitive, le psychisme mobilise les fantasmes et affects de l'individu pour
créer une histoire de surface, qui rend l'information tronquée
crédible et consistante.
Ainsi selon T. Dorpat [12], le déni est « tel un
jury qui rend un verdict avant que les preuves ne soient
présentées » : il intercepte les données qui seraient
douloureuses et donc insoutenables pour la conscience, les refoule dans
l'inconscient et ne fait remonter à la conscience qu'une version
acceptable, modifiée.
Pour quelques autres auteurs cités par C. Grangirard
[13], le déni serait davantage un processus cognitif. Dans l'exemple
d'une réaction à un diagnostic de maladie grave, le déni
pourrait être perçu comme une stratégie d'adaptation
à un stress intense (stratégie de coping qui vient du verbe
« to cope », « faire face »). Le déni
n'altérerait alors pas la relation de la personne à son
environnement mais tente d'en modifier sa perception, dans l'attente que le
sujet reprenne pied et adopte une stratégie plus élaborée
et mieux adaptée.
Le processus cognitif du déni s'observerait notamment
chez une personne qui se refuse à se reconnaître une addiction,
par exemple l'alcoolisme. Pris en tenaille entre deux faits contradictoires ou
cognitions - « le fait d'être alcoolique », et « le fait
que les alcooliques ne sont pas des personnes de valeur » - le sujet
expérimente un conflit d'ordre psychique. Le déni pourrait
permettre de rejeter l'une des cognitions dérangeantes, par exemple
« le fait d'être alcoolique », et ainsi éviter cette
« dissonance cognitive » source d'inconfort et d'angoisse
inconsciente.
Ainsi au fil du temps, le concept de déni s'est
décliné comme mécanisme de défense dans
différentes écoles de pensées (approches
développementale, quantitative-comportementaliste ou encore cognitiviste
du déni) que nous ne développerons pas ici,
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 26/89
mais qui aggravent la confusion concernant le terme de
déni. Même s'il est par ailleurs fréquemment cité en
psychiatrie (par exemple dans le déni de la maladie chez les patients
cancéreux ou présentant des comportements addictifs), aucune
définition précise ne figurait dans les dictionnaires
consultés.
Devant la richesse et le nombre des références
théoriques et psychopathologiques évoquées, il s'est
avéré difficile de choisir une définition unique pour le
déni. Naïma Grangaud dans sa thèse [12] a proposé une
définition plus large compilant toutes ces approches, en nommant
déni toute « tentative de désavouer, [de] renier l'existence
d'une réalité déplaisante ».
Le déni se manifeste donc par une non-prise de
conscience des faits, un refus catégorique face à une
réalité externe pouvant être appréhendée par
autrui. Ce mécanisme de défense massive, extrêmement fort
et prenant sa source dans l'inconscient, s'active à l'insu du sujet. Il
permet d'éviter une menace, de protéger ainsi le Moi de
l'angoisse qu'entraîne une souffrance psychique indicible, en remettant
en question le monde extérieur et non le sujet lui-même.
Dans le cas plus spécifique d'un déni de
grossesse, la gestation et ce qu'elle symbolise - l'acte sexuel,
l'arrivée d'un enfant - sont perçus comme des faits
menaçants, et le psychisme maternel s'en préserve par un certain
nombre de protections pour la plupart d'origine inconsciente.
2.2.2 Déni de grossesse : recherche d'un
consensus
Le terme de déni de grossesse a fait son apparition en
1976 dans la littérature médicale. Par convention, il incarne
aujourd'hui le fait pour une femme enceinte de ne pas avoir conscience de son
état gravidique. Selon Catherine Bonnet, pédopsychiatre,
l'existence d'un déni de grossesse est envisageable si cette non-prise
de conscience persiste au-delà de la fin du premier trimestre [41],
notion reprise par les autres spécialistes.
Dans la littérature actuelle, on différencie
volontiers déni « partiel » et déni
« total ».
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 27/89
Le déni partiel est par définition levé
avant l'accouchement. La prise de conscience de la grossesse se ferait plus
fréquemment au 2e trimestre, et laisserait supposer d'un
degré d'intensité moindre du déni, puisque la femme a
été en mesure de - ou a été conduite à -
lever ce mécanisme de défense. Certains spécialistes
considèrent les demandes d'IVG tardives ou à délai
dépassé comme une éventuelle forme partielle de
déni de grossesse, et qui devraient donc bénéficier d'une
analyse voire d'une approche thérapeutique allant dans ce sens [11] [23]
[25].
Le déni total, ou déni massif, désigne le
déni s'étendant jusqu'à l'accouchement et parfois
au-delà dans le post-partum [28]. Il est potentiellement d'une
gravité accrue, car hormis le fait qu'il implique un mécanisme de
défense psychique suffisamment puissant pour recouvrir toute une
grossesse, il entraîne des situations à risque élevé
pour la mère et l'enfant : pathologies gravidiques non suivies,
prématurité, accouchement inopiné à domicile ou sur
le lieu de travail, souffrances psychiques et physiques, décès du
nouveau-né, hémorragies maternelles...
Les notions de déni total et de déni partiel
seraient nées d'une volonté de simplification des journalistes et
sont aujourd'hui remises en cause par certains spécialistes car bien
trop caricaturales [23].
Aujourd'hui encore, le déni de grossesse ne dispose
d'aucune définition précise dans les dictionnaires de
psychiatrie, psychologie et de gynécologie-obstétrique, ce
malgré l'intérêt croissant qu'il suscite. Une proposition
avait été faite d'inclure le déni de grossesse dans le DSM
ou « Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders
», manuel de référence classifiant et catégorisant
des critères diagnostiques et recherches statistiques de troubles
mentaux spécifiques. Cette demande a été refusée,
mais elle n'avait par ailleurs pas fait l'unanimité des
spécialistes, qui craignaient une stigmatisation du déni de
grossesse comme pathologie psychiatrique. Or pour beaucoup d'auteurs, le
déni de grossesse n'est pas une pathologie à part entière,
mais bien un « symptôme psychique » : il ne fait pas le
diagnostic d'une pathologie mentale particulière, mais recouvre un
ensemble de situations psychiques. [11]
Une approche de définition avait été
émise par Jacques Dayan dans son abrégé de
psychopathologie de la périnatalité paru en 1999 : «
l'expression de déni de grossesse regroupe toutes les formes de
négation de grossesse à participation
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 28/89
principalement inconsciente, conduisant la femme souvent
tardivement et brutalement à la reconnaissance pleine et entière
de son état, généralement lors du travail, voire seulement
de la naissance. »
Par le terme général de négation de
grossesse, il rassemblait les trois situations affectant la reconnaissance par
la femme de son état gravidique : la dissimulation, la
dénégation, et le déni.
2.2.3 Les négations de grossesse :
définitions et distinctions
Sur l'éventail des manifestations caractérisant
le refus ou l'incapacité de la femme enceinte à se
reconnaître comme telle, la dissimulation de grossesse se situe à
l'extrémité consciente du psychisme maternel. La grossesse est
ici connue et ressentie, mais face à un contexte social, familial,
professionnel ou culturel particulier, la femme choisit de dissimuler son
état à son entourage. La grossesse cachée est donc
consciente, et conduit généralement à l'accouchement sous
X et à l'abandon de l'enfant. Le concept est parfois trompeur pour le
grand public, car la dissimulation peut faire suite à une
dénégation ou un déni partiel, lorsque la femme enceinte,
prenant véritablement conscience de son état, est si
mortifiée qu'elle n'ose pas révéler cette grossesse
à son entourage. [13] [23]
La dénégation de la grossesse est un
phénomène qui se prête moins à la description, car
il oscille entre conscient et inconscient. La femme peut reconnaître
certains signes de grossesse mais se refuse à les interpréter
comme tels car ils symbolisent un fait inacceptable : ils sont donc
refoulés, occultés. Il y a bien prise de conscience de la
réalité dans un premier temps, mais elle est suivie d'une
annulation, d'un véritable « gommage ». S. Marinopoulos parle
d'un phénomène de clivage dans la personnalité maternelle
: une partie est consciente de la réalité, tandis que l'autre
persiste à l'ignorer [23] [24]. La grossesse, représentation
gênante pour le psychisme maternel, est éliminée, la femme
refuse de considérer son état comme un fait tangible qui la
concerne. « Je sentais bien quelque chose » diront certaines, «
mais ça ne se pouvait pas, c'était impossible, ça
n'était pas moi » ; « je l'ai su, mais ce n'était pas
le bon moment... et le lendemain, j'avais oublié ». [26]
Le déni de grossesse est situé à
l'extrémité inconsciente du psychisme maternel. Une grossesse
constitue pour ces femmes une réalité externe inacceptable -
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 29/89
pour d'hypothétiques raisons que nous aborderons
ultérieurement. La gestation, qui devient source d'une souffrance
psychique indicible, inavouable et souvent inconsciente, est une idée
insurmontable, non métabolisable sur le plan psychique, et elle
entraîne alors un phénomène de refus qu'est le déni
[24]. Contrairement à la dissimulation et à la
dénégation, il n'y a alors aucun signe, aucun ressenti quelconque
d'une grossesse. Toute réalité liée à une
perception dérangeante est niée [13].
2.2.4 Le déni de grossesse, altération de la
représentation
Pour la psychanalyste Sophie Marinopoulos et le Professeur
Israël Nisand, qui multiplient les écrits et les conférences
sur le sujet depuis quelques années, le déni de grossesse est par
cette non-prise de conscience de la réalité le signe d'un trouble
grave de la représentation [23] [29].
Usuellement la vie psychique et affective se construit
à partir d'émotions corporelles, de sensations et de perception
du monde extérieur : dans le cas du déni, tout affect ou
représentation ne correspondant pas à ce que le sujet peut
accepter de la réalité, est exclu de sa conscience. Si le
phénomène source d'angoisse et donc de souffrance massive est la
grossesse, alors le déni efface toute pensée de ce que est
vécu dans le corps : sans ces perceptions la femme enceinte est
privée de tout accès à une représentation psychique
de sa grossesse. Recluse dans un simulacre de bien-être, elle ne se sait
pas et ne peut pas se sentir enceinte. « Le déni de grossesse est
impensable, un état d'être enceinte qui ne se pense pas. »
[25]
Comme il l'a été dit plus tôt, il ne peut
y avoir de grossesse psychique et donc plus tard de représentation
d'enfant sans cette formulation et cette intégration de l'idée de
grossesse [24]. Les spécialistes tendraient actuellement à
regrouper ces troubles ou absence de la représentation sous le terme
général de « grossesse blanche » [25][26]. Les
phénomènes de déni, de dénégation et de
clivage conduisent à une même manifestation pathologique, soit une
grossesse physique qui se développe dans l'inexistence de grossesse
psychique. Ce « décalage » peut donc s'observer de
manière discontinue dans le cas de la dénégation («
il y a des signes mais non, ce n'est pas possible, je ne suis pas enceinte
»), de manière continue concernant le déni (« je suis
enceinte puisque vous me le dites »), et de manière isolée
pour le clivage.[25]
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 30/89
La conséquence de cette absence de
représentation, si elle persiste jusqu'à la naissance comme dans
le cas du déni massif, serait un risque accru d'infanticide, la
mère ne pouvant considérer le nouveau-né comme un
être vivant et individualisé. [11] [25]
Cette notion d'infanticide sera plus amplement
développée dans un chapitre
ultérieur.
2.2.5 Conclusion
Si sa définition peut paraître encore vague et
sujet à controverse, on peut cependant retenir dès maintenant la
notion de déni de grossesse comme un signe de souffrance psychique
intense. Le Pr. Nisand le compare à la fièvre : le déni de
grossesse serait un symptôme, « un indice sur l'état
psychique de la femme ». Il n'est pas caractéristique d'une seule
pathologie mais implique plusieurs diagnostics différentiels de
pathologies psychiques, avec des causes et des modalités
différentes [30].
C'est avant tout un mécanisme de protection,
inconscient et donc irrationnel, déployé par le psychisme
maternel pour faire barrage à la souffrance intense qu'entraîne
l'idée de la grossesse. A la différence d'autres manifestations
de déni - déni de la maladie, déni de l'addiction - le
déni de grossesse prend un nouveau tour tragique dans son ignorance
irrationnelle du terme de la grossesse. Dans les cas les plus graves,
l'accouchement constituera un lever du déni brutal et
profondément traumatisant pour la mère jusque-là
inconsciente de son état.
2.2.6 Extrapolation : le déni psychotique de
grossesse, une entité
distincte
Certes le déni de grossesse se rapproche du
fonctionnement des personnalités psychotiques par son « annulation
» de la réalité, mais la ressemblance semble s'arrêter
là. Sa composante transitoire en atteste - le déni se lève
le plus fréquemment au deuxième voire troisième trimestre
de grossesse - et les résultats des études les plus
récentes le vérifient : si une patiente psychotique a, du fait du
contexte psychiatrique, plus de risques de présenter un déni de
grossesse [11], l'inverse n'est pas vérifié, et une femme peut
être victime d'un déni de grossesse sans qu'aucun signe de
psychopathologie ne soit retrouvé ni dans ses antécédents
ni par la suite.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 31/89
2.3 EPIDEMIOLOGIE DU DENI DE GROSSESSE AU COURS DES
DERNIERES DECENNIES
Parce que le déni de grossesse est encore un
phénomène peu connu et reconnu, il est difficile d'avoir des
chiffres exacts quant à sa prévalence dans une population. Les
enquêtes épidémiologiques réalisées au cours
des dernières décennies donnent des résultats jugés
approximatifs par leurs investigateurs car probablement sous-estimés du
fait de leurs biais de sélection :
? Un déni partiel peut ne pas être pris en compte
si la grossesse est découverte dans des circonstances jugées
normales ou à un terme considéré comme assez
précoce [12] ;
? Toutes les enquêtes n'usent pas des mêmes
critères de sélection quant au terme minimal pour un déni
de grossesse, bien que de plus en plus d'études posent leur terme de
sélection à 20 semaines d'aménorrhée [43] ;
? Il est très probable que chaque année, des
dénis massifs suivis d'accouchement clandestin se soldent d'un
infanticide sans que jamais rien ne soit découvert [11] ;
Cela étant, malgré ces biais probables, les
différentes études menées en France comme à
l'étranger ont révélé au fil des années des
chiffres très similaires concernant l'incidence des dénis
partiels et massifs.
2.3.1 Deux études prospectives en Europe
Les maternités françaises de Denain et
Valencienne [32] ont procédé pendant 7 ans au recensement de cas
de méconnaissance plus ou moins active de grossesse après le
début du 5e mois, cas s'étant ou non poursuivis
jusqu'à l'accouchement voire au-delà. Sur un pool total de 28 066
naissances, 2550 femmes ont été sélectionnées et
rencontrées lors d'entretiens psychothérapeutiques : 56 cas de
déni de grossesse ont été ainsi retrouvés, ce qui
fait une prévalence de 2/1000, soit de 1/500 tous types de dénis
confondus - prévalence probablement sous-estimée d'après
les auteurs en raison des biais mentionnés auparavant :
? parmi ces 56 patientes, 27 femmes présentaient un
déni partiel, levé entre cinq et huit mois de grossesse ;
·
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 32/89
les 29 autres cas étaient des dénis massifs, ce
qui donne une prévalence de 1/1000 : 12 d'entre eux se sont
soldés d'un accouchement à domicile, dont 4 ayant conduit au
décès de l'enfant.
Une autre étude prospective dans 19 cliniques
berlinoises [43] a été conduite sur une période d'un an en
usant de critères similaires (sauf pour le terme du premier diagnostic
médical de grossesse porté après la 20e SA). 62
cas de déni ont été ainsi recensés sur un total de
29462 naissances, ce qui donne une prévalence de 1 sur 475 tous types de
déni confondus (soit 2,1/1000). Les dénis massifs ont
été estimés à une prévalence d'1/2455.
2.3.2 Autres études prospectives et
rétrospectives
Si l'on compare les résultats précédents
à ceux d'autres études dans la littérature, les
estimations sont également très proches :
· Etude rétrospective au Pays de Galles [43] : le
taux de déni total est estimé à 1/2475 (contre 1/2455
à Berlin)
· Etude de BERNS à Indianapolis en 1982 [11] :
taux de dénis de grossesse estimé à 2/1000, soit 1/500
(contre 1/475 à Berlin)
· Etude de BEIER en Allemagne en 2000 [11] :
prévalence estimée à 0,5/1000
· Etude rétrospective à Cleveland [43] :
2/1000 pour tous les dénis confondus (1/475 à Berlin)
· Etude de BREZINKA à Innsbruck en 1994 [43] : 27
cas recensés pour un taux évalué à 1/340 pour tous
dénis confondus soit l'équivalent d'environ 3/1000
· Etude de Friedman aux Etats-Unis : 1/515 soit 2/1000
pour tous types de dénis confondus
Quel que soit le pays où a lieu l'étude, le
taux de dénis de grossesses tous types confondus oscille donc entre 0,5
et 3 pour 1000, avec une moyenne de 1 sur 500. Pour comparaison, les naissances
gémellaires sont de l'ordre de 1/85 (soit 11,7/1000), les placentas
praevia et les HELLP syndromes sont estimés à 1/250-280 (soit
3,77/1000), et les crises d'éclampsie à 1/2500 (soit 0,4/1000)
par l'OMS.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 33/89
Selon ces mêmes études, le déni massif ou
total est lui estimé entre 1 et 2,5 sur 2500. Le risque de
décès néonatal est de 1/8000 [13].
Selon les observations de A. Gorre-Ferragu pour sa
thèse de médecine [11], ces chiffres sont stables depuis les
années 1970 et semblent indépendants de la couverture sociale
proposée.
Il apparait donc que loin d'être un
phénomène rare et fluctuant, le déni de grossesse
constitue un véritable problème de santé publique,
d'autant plus préoccupant qu'il est encore largement ignoré du
grand public mais aussi du monde médical et judiciaire [13].
Malgré un début de prise de conscience au cours des
dernières années, principalement dû au retentissement
médiatique de certaines affaires citées auparavant, le
déni de grossesse serait encore fréquemment
étiqueté comme « grossesse non suivie non
déclarée », et traité uniquement dans ses dimensions
médicales et sociales [32] [43] [8].
2.3.3 Profil à risque : universalité du
déni
Si la prévalence estimée du déni de
grossesse est relativement similaire d'une étude à l'autre, les
résultats sont en revanche beaucoup moins en accord en ce qui concerne
le type de population à risque de faire un déni de grossesse.
Les femmes en déni de grossesse font encore l'objet de
nombreux préjugés [43] : la croyance populaire les imagine jeunes
ou immatures, infantiles, irresponsables, sexuellement
inexpérimentées. Issues d'un milieu socialement
défavorisé, elles seraient pour la plupart dotées d'une
intelligence moindre, ou mentiraient sur leur état. Probablement
primipares, vivant seules ou chez leurs parents, elles présenteraient
souvent une pathologie psychiatrique préexistante...
Les études citées précédemment
ont démenti ce profil très éloigné de la
réalité.
Concernant l'étude prospective des maternités
de Denain et Valenciennes[32], la moyenne d'âge est de 26 ans tous
dénis confondus, les âges extrêmes étant 14 et 46
ans. Sur les 56 patientes sélectionnées, 26 étaient des
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 34/89
multipares. La majorité était en couple avec le
père de l'enfant. Tous les milieux socio-économiques
étaient représentés.
L'étude berlinoise du gynécologue Jens Wessel
[43] a révélé une moyenne d'âge identique chez les
femmes en déni soit de 26 ans, toutes les tranches d'âge
étant représentées et avec des extrêmes allant de 15
à 44 ans. Seules 3% d'entre elles étaient encore
scolarisées, 14% n'avaient aucun diplôme, et 34%
présentaient un niveau d'étude moyen voire haut. 56% d'entre
elles étaient multipares, 12% avaient vécu au moins une grossesse
auparavant (IVG, FCS), et seulement 21% d'entre elles ont
présenté un déni pour leur toute première
grossesse. 4 patientes présentaient une grossesse gémellaire. La
plupart (83%) était dans une relation de couple stable. Enfin, seules 3
patientes sur les 66 étaient atteintes d'une pathologie psychiatrique
(schizophrénie).
L'étude de Friedmann en 2007 aux USA [18]
révèle des résultats assez différents avec
seulement 18 % de patientes âgées de plus de 30 ans, et 20% de
femmes en déni vivant en couple. En revanche, 74% d'entre elles avaient
déjà des enfants, réfutant comme les autres études
l'idée que les femmes en déni sont essentiellement primipares. De
même, l'influence de la consommation de drogues ou l'existence de
troubles psychiatriques ne concernent respectivement que 8% et 2% des
patientes, et ne semblent donc pas être des facteurs récurrents
dans le déni de grossesse.
Ces résultats témoignent d'un véritable
polymorphisme du déni de grossesse, qui ne suivrait aucun modèle
théorique précis. Si les préjugés
considéraient le déni comme plus fréquent chez des femmes
jeunes, célibataires, primipares, étudiantes ou sans emploi, les
études récentes ont prouvé qu'il touche au contraire des
femmes de tous âges et de tous les milieux sociaux, qu'elles aient ou non
déjà vécu l'expérience de la maternité,
qu'elles vivent seules ou en couple.
La survenue d'un déni de grossesse chez des femmes
déjà mères laisse également supposer que ce
symptôme n'appartient pas à une structure mentale
générale, mais qu'il serait plutôt dû à un
état ponctuel du psychisme de la femme [13].
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 35/89
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
2.4 CLINIQUE DU DENI DE GROSSESSE
2.4.1 La grossesse en déni ou « grossesse
blanche »
Si le déni de grossesse ne cesse de surprendre
aujourd'hui encore, c'est probablement par les signes ou plutôt l'absence
de signes qui accompagnent le phénomène. Tronquée de toute
grossesse psychique, la grossesse physique existe et se poursuit, à
l'insu de tous et surtout de la future mère, que l'absence ou le peu de
signes de grossesse peut renforcer dans son déni.
2.4.1.1 Signes sympathiques de grossesse
Les nausées, l'hypersomnie, la tension mammaire sont
des manifestations liées aux importantes modifications hormonales
engendrées par la grossesse. Usuellement inconstants dans leur survenue
et leur importance d'une femme à l'autre, ces signes sympathiques sont
le plus souvent inexistants chez les patientes en déni de grossesse.
Celles qui les remarquent les attribuent à une autre cause, les amenant
à poursuivre ainsi leur vie quotidienne comme si de rien n'était.
Certaines font du sport de manière intensive jusque très
tardivement dans la grossesse, ou accomplissent des tâches fatigantes
dans leur travail sans en ressentir la moindre gêne.
2.4.1.2 Aménorrhée et saignements
vaginaux
L'arrêt de menstruations est un fait pleinement connu
dans le grand public, et constitue donc pour la plupart des grossesses
débutantes le signe d'appel d'un test de grossesse ou d'une consultation
de contrôle chez un médecin.
Dans le déni de grossesse, lorsque
l'aménorrhée est effective et constatée, la femme lui
attribue une cause tierce telle qu'un stress important (au travail ou dans sa
vie sentimentale), un nouveau régime alimentaire, un changement de
contraception qui aurait déréglé ou momentanément
arrêté ses cycles menstruels, ou encore un début de
ménopause si son âge concorde. Cette rationalisation de
l'aménorrhée est d'autant plus fréquente voire
fondée si la patiente présentait déjà des cycles
irréguliers avant cette grossesse.
D'après les études menées,
l'aménorrhée n'est pas une constante dans les cas de déni.
La question de saignements vaginaux persistants et pouvant être
assimilés à des
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 36/89
menstruations a longtemps constitué un sujet de
débat concernant le déni de grossesse : de nombreuses femmes
après leur déni parlent spontanément de leurs cycles
irréguliers maintenus pendant la première partie voire durant
toute leur grossesse, et qui les auraient ainsi induites en erreur. Selon
l'étude du Pr. Christoph Brezinka, 12 patientes interrogées
signalaient des saignements irréguliers et ce jusqu'au huitième
mois de grossesse pour certaines, 4 autres avaient des saignements
réguliers ressemblant en tout point à des règles. Seules 7
patientes sur 27 étaient en aménorrhée, et 2 d'entre elles
pensaient débuter la ménopause.
J. Wessel dans une nouvelle étude conduite en 2005
[18] a soumis des patientes à des dosages hormonaux après
l'accouchement faisant suite à leur déni de grossesse. Sur les 28
patientes s'étant prêtées à l'expérience, 6
n'avaient jamais saigné, 22 avaient saigné au moins une fois au
cours de leur grossesse déniée, et 7 disaient présenter
des saignements comparables aux règles. Leurs dosages de TSH, DHEA,
oestradiol, progestérone et testostérone n'ont
révélé aucune différence notable comparés
à ceux réalisés chez 126 autres femmes ayant vécu
une grossesse normale, ce qui ne permet pas pour le moment d'expliquer ou
d'authentifier leurs propos quant à des cycles persistants pendant leur
grossesse déniée.
Outre des étiologies encore floues de
décollement placentaire ou de pathologies associées pendant ces
grossesses ignorées, la persistance de saignements vaginaux est
aujourd'hui scientifiquement expliquée chez les patientes sous
contraception orale. Celles-ci commettent une erreur dans la prise du
contraceptif, et continuent leur contraception dans l'ignorance de la grossesse
débutante. La desquamation périodique de l'endomètre
s'effectue toujours dans le canal cervical malgré la grossesse
sus-jacente, donnant ainsi lieu à une hémorragie de privation que
toute femme sous contraceptif oral connait généralement, et qui
dans le contexte de déni de grossesse entretient l'illusion d'absence de
gestation [23] [25].
2.4.1.3 Statut pondéral et prise de poids
L'idée d'un surpoids préexistant pouvant
favoriser un déni de grossesse a été avancée, mais
si un certain embonpoint pourrait constituer un facteur favorisant de
déni (en particulier concernant l'entourage), les femmes en déni
de grossesse sont loin d'être toutes en surpoids : d'après
l'étude de C. Brezinka, sur 27 patientes, seules 9 d'entre
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 37/89
elles souffraient d'obésité, les autres
présentant une constitution normale voire même une insuffisance
pondérale.
Quant à la prise de poids, celle-ci s'avère
minime voire parfois absente dans les cas de déni de grossesse, et ne
constitue donc guère un signe d'appel. De même si elle est
significative et constatée, elle est attribuée à un
changement d'habitudes hygiéno-diététiques, à un
stress intense (déménagement, rupture sentimentale,
décès d'un proche, travail, examens...) ou encore à des
variations de poids habituelles.
2.4.1.4 Taille de l'abdomen
Le peu voire l'absence de modification de volume de l'abdomen
est peut-être l'aspect le plus frappant d'un déni de grossesse. Le
plus souvent la femme en déni n'a pas besoin de changer de taille de
vêtements et ne modifie donc aucunement ses habitudes vestimentaires -
contrairement à la grossesse cachée évoquée
précédemment, où la femme met des vêtements amples
dans le but conscient de dissimuler son état. Ainsi, Mme Courgeault
aurait été vue et photographiée en maillot de bain alors
qu'elle était enceinte de plus de six mois et cela sans que nul n'ait eu
le moindre soupçon. Une jeune femme de 19 ans rencontrée dans le
cadre de nos recherches, membre très actif d'une équipe de
basket, jouait en tournoi et se changeait avec ses collègues au
vestiaire la veille encore d'une consultation qui révéla une
grossesse évolutive de près de huit mois.
S'il y a une faible prise de ventre, elle est sans rapport
avec le terme de la grossesse déniée, et est souvent
assimilée à l'âge ou la parité ou encore une fois
à un changement de mode de vie. Dans la littérature, on a
dénoté certaines femmes persuadées qu'elles avaient une
tumeur ou un fibrome à l'origine de cette augmentation discrète
de tour de taille.
Cette absence de modifications physiques, pourtant
évidentes lors d'une grossesse normale, est d'autant plus
étonnante que les foetus et nouveau-nés issus d'une grossesse
déniée s'avèrent le plus souvent d'un développement
staturo-pondéral et morphologique dans les normes [43]. Ce
phénomène a été expliqué par le Professeur
Nisand dans le documentaire d'Andrea Rawlins-Gaston, « Déni de
grossesse : ces bébés clandestins ». Lors d'une grossesse
normale, le foetus en développement fait peu à peu pointer
l'utérus vers l'avant, et la proéminence du ventre devient de
plus en plus
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 38/89
évidente. Dans le cas du déni de grossesse, les
muscles de l'abdomen et en particulier les grands droits se renforcent
progressivement tout au long de la gestation, et l'utérus ainsi retenu
ne peut s'antéverser : le foetus n'a d'autre choix que de se
développer longitudinalement, en parallèle à la colonne
vertébrale de sa mère, refoulant les viscères vers le haut
et se logeant ainsi sous ses côtes vers la fin de la grossesse. Sa
croissance est donc normale, mais le profil physique maternel reste
trompeusement inchangé.
Ce phénomène est d'autant plus criant qu'il
s'estompe la plupart du temps dans les heures voire les minutes qui suivent la
prise de conscience de la grossesse : la sangle abdominale se relâche, et
le ventre prend une apparence en corrélation avec la grossesse et son
terme estimé. Ainsi Isabelle Moulin dans son témoignage
décrit sans fard ce changement radical en elle, survenu à la
révélation par le médecin de son état :
...comme une bascule, comme un mouvement
extrêmement important, [...] et tout d'un coup quelque chose qui se
déployait à l'intérieur de moi, et qui prenait place. Et
tout d'un coup, mon ventre était comme ça, et j'étais
effectivement enceinte de sept mois, en quelques minutes. Pour moi
c'était effarant, j'avais si peur... [29]
De même pour la jeune basketteuse citée plus
haut, dépistée à huit mois de grossesse lors d'une
échographie rénale pour recherche de kyste, qui décrit
l'instant en quelques mots simples mais révélateurs : «
...je l'ai su à dix-sept heures. Et le soir, il bougeait, j'avais un
ventre... »
2.4.1.5 Mouvements actifs foetaux
Alors que dans une grossesse physiologique, les mouvements
actifs foetaux sont incontournables, pendant le déni de grossesse ils ne
sont pas reconnus, non ressentis ou bien assimilés au
péristaltisme digestif, chez la primipare comme la multipare. Ils
peuvent parfois constituer le déclencheur d'une prise de conscience chez
la femme en déni, mais cela se fait tardivement dans la grossesse,
usuellement au-delà du cinquième mois [11].
Pour la psychiatre S. Marinopoulos, c'est la mère en
devenir qui interprète les perceptions des mouvements foetaux comme
tels, cela à travers le lien fantasmatique
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 39/89
qu'elle construit avec son futur enfant [22]. Tenue à
l'écart de toute perception corporelle par le mécanisme de
déni, la femme en déni de grossesse reste à l'abri de
toute conscience et d'interprétation de ces mouvements en elle.
L'absence de perceptions engendrées par le déni entraîne
une nouvelle fois l'absence de représentation de la grossesse et plus
tard de l'enfant. « L'enfant n'est et ne peut naître vivant que s'il
est pensé par sa mère ».[23]
Ce tableau clinique du déni de grossesse se
révèle donc à la mesure du phénomène : pas
de grossesse psychique, et une grossesse physique bien présente mais
invisible, silencieuse. I. Nisand le définit comme l'envers de la
grossesse nerveuse, qui schématiquement se traduit par une grossesse
psychique en l'absence de toute grossesse physique.
2.4.2 Le corps complice : de la grossesse nerveuse au
déni de grossesse
Le phénomène de la grossesse nerveuse est
encore plus rare que le déni de grossesse, mais paradoxalement il semble
davantage connu et reconnu du grand public et du monde médical. La
compréhension de ce mécanisme inverse peut aider à saisir
l'essence même du déni de grossesse.
Dans le cas de la grossesse nerveuse, des signes sympathiques
de grossesse ainsi qu'une aménorrhée peuvent être
observés. La silhouette de la femme se modifie, se cambre tandis qu'un
ballonnement abdominal réel, dû à une rétention de
gaz digestif, s'installe progressivement et mime l'apparition d'un
utérus gravide mais pourtant vacant. Certaines femmes vont
jusqu'à ressentir des mouvements foetaux au cinquième mois de
leur « grossesse ». Ces manifestations confondantes d'une grossesse
physique pourtant absente est la preuve de la mainmise du psychisme sur le
corps humain. Chez les femmes en grossesse nerveuse, le désir d'enfant
est tel qu'il provoque les changements corporels nécessaires à la
réalisation de ce désir : elles vivent comme si elles
étaient enceintes, et ce en quoi elles croient devient leur
réel. On assiste à un véritable décalage entre
grossesse physique inexistante et grossesse psychique pleinement vécue,
tableau symbolique inverse de ce qu'est le déni de grossesse.
Cette emprise du psychisme sur le corps apparaît donc
bien réelle, et dans le cas du déni les spécialistes
parlent de connivence somato-psychique. Le corps soumis
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 40/89
au déni se fait complice de cette non-prise de
conscience, et la grossesse passe inaperçue : les signes sympathiques
sont étouffés ou ignorés, la stature et le profil de la
femme en déni restent inchangés. « Le bruit de la grossesse
débutante devient un silence » [25] : le foetus se fait passager
clandestin dans le corps de sa propre mère, et les quelques signes qui
pourraient révéler sa présence sont non reconnus,
ignorés ou relativisés : la mère aux prises du déni
leur attribue des causes qui lui seront toujours plus supportables et
acceptables que l'idée de la grossesse. Ces rationalisations ou «
interprétations écran » maintiennent le déni en
place, aux yeux de la patiente comme à ceux de son entourage. [22]
2.5 INFLUENCES ET FEED-BACK SUR LE PSYCHISME
A la lumière des exemples précédents, il
est plus aisé de comprendre à quel point la psyché peut
contrôler le corps humain, son apparence et son ressenti. Certes les
modifications corporelles sont présentes, mais souvent infimes ou non
spécifiques d'une grossesse. Par les interprétations écran
que lui impose son psychisme, la femme persiste dans son déni et suit un
véritable cercle vicieux : elle n'est pas et ne peut pas être
enceinte, son corps s'y soumet et fait silence autour du foetus ; et face
à cette vision de normalité qui lui est renvoyée, le
déni se retrouve renforcé. La grossesse est impensable.
2.5.1 Le déni, phénomène
contagieux
Lors d'une grossesse physiologique, la femme enceinte se
construit via ses ressentis et par la relation charnelle et fantasmatique avec
son enfant, mais c'est aussi le regard de l'autre - le conjoint, la famille,
les proches - qui lui permet de se sentir enceinte, de se réaliser
socialement comme future mère et porteuse d'un enfant.
Dans ce cadre particulier du déni, la
cécité face à la grossesse ne se limite pas à la
femme concernée, et fréquemment l'entourage reste dans
l'ignorance la plus totale de ce qui se trame. Les quelques personnes,
observatrices, qui dénoteront une légère prise
d'embonpoint et oseront en faire la remarque à
l'intéressée, seront facilement détrompées,
flouées par une réponse négative pleine d'assurance ou par
les rationalisations de la femme quant à son état.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 41/89
Le conjoint lui-même est vite inclus dans le
phénomène de déni, abusé par l'apparente
normalité de corps et d'esprit de sa compagne avec qui il a pourtant
d'après l'étude de C. Brezinka des relations sexuelles
jusqu'à très peu de temps avant l'accouchement. Contrairement aux
idées reçues le conjoint est présent dans 50% des
dénis partiels répertoriés en France et dans 86% des
dénis totaux ; sa participation au déni est donc
indéniable. Mais si dans certaines situations il a quelques
soupçons, il est la plupart du temps facilement convaincu de l'absence
de grossesse : après tout, sa compagne n'est-elle pas la mieux
placée pour savoir si elle est enceinte ou non ?
Cette propagation du déni à l'entourage traduit
la notion de « contagiosité » reprise par de nombreux auteurs.
I. Nisand parle d'un jeu de dupes orchestré par le corps féminin,
soumis au déni qui trompe l'entourage et se renforce d'autant plus que
personne ne manifeste son étonnement, son incrédulité
[30]. C. Bonnet voit dans cette contagion de la grossesse impensable « le
reflet de difficultés particulières, voire d'un dysfonctionnement
de la famille qui ne peut penser, elle aussi, que cette femme là puisse
être enceinte ». Cette contagiosité est d'autant plus
frappante qu'à l'image du déni de grossesse, elle est
retrouvée dans tous les milieux sociaux, dans toutes les constructions
conjugales et toutes les tranches d'âge [22]. La notion-clé semble
être ici « ne pas voir, ou alors voir et l'oublier très vite
» : l'entourage se défend d'une situation invivable, et comme la
femme en déni, il reste hors de toute pensée d'une grossesse. Par
cela même il renforce encore le déni.
2.5.2 Le milieu médical tout aussi
désarmé
Les professionnels de santé eux-mêmes sont
régulièrement pris en défaut par le déni de
grossesse : selon l'étude de Denain et Valenciennes [32], un
médecin généraliste sur trois face à ces patientes
en déni a évoqué des troubles urinaires, intestinaux ou
encore une tumeur, parfois même un début de grossesse alors
qu'elles étaient pour certaines d'entre elles presque à terme.
Le cas de « Julie » relaté dans
l'enquête de Gaelle Guernalec-Levy [14] est emblématique de ces
confusions : jeune femme de 18 ans sous contraception orale, Julie consulte
deux fois à un mois d'intervalle pour des douleurs abdominales, mais
n'obtient pour toute explication qu'une suspicion de gastro-entérite.
Deux semaines plus tard elle est hospitalisée en urgence pour ce qu'on
croit être une crise de colique néphrétique,
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 42/89
puis une fausse-couche. Ce n'est qu'après une nuit
marquée de douleurs abdominales réfractaires à tout
traitement, qu'elle apprendra d'un troisième médecin
consulté qu'elle est sur le point d'accoucher : naitra une petite fille
à terme, en bonne santé et de 3300g [14].
S. Marinopoulos considère ces diagnostics
erronés comme excusables, car basés sur des symptômes
décrits par une patiente dans l'incapacité de penser sa
grossesse, altérant ainsi par ses rationalisations le jugement du
professionnel [23]. L'impensé des mères devient l'impensable
médical.
Ces erreurs ont un double impact car non seulement elles
peuvent conduire une femme à rentrer chez elle, empêchant une
nouvelle fois toute prise en charge effective de sa grossesse, mais elle
conforte aussi dans leur déni la patiente et son entourage,
rassurés par la parole d'un professionnel.
2.5.3 Facteurs favorisants observés dans la
littérature
A défaut d'obtenir un profil type de la patiente
à risque de faire un déni de grossesse, les études
récemment conduites ont permis d'établir une liste de facteurs
renforçant ce phénomène.
2.5.3.1 Persistance de saignements vaginaux
Comme il a été dit précédemment,
la survenue pendant la grossesse déniée de saignements
réguliers, ou irréguliers mais perçus comme similaires aux
menstruations, peut retarder voire empêcher la prise de conscience d'une
grossesse en cours.
Comme cela a déjà été dit, le
phénomène peut être entretenu notamment par une
contraception oestroprogestative orale à l'origine d'hémorragies
de privation assimilées aux menstruations.
2.5.3.2 Présentation en siège
La présentation en siège entraîne
cliniquement une augmentation moindre du volume de l'utérus. Or selon
l'étude de Brezinka en 1988, près de la moitié des femmes
présentaient un foetus en siège au cours de leur grossesse
déniée jusqu'à l'accouchement.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 43/89
2.5.3.3 Diagnostic précédent
d'incapacité à procréer
La littérature fait état de nombreux cas de
dénis de grossesse chez des femmes qui ne se croyaient pas ou plus
capables de tomber enceinte. On dénote donc comme facteurs favorisants
des antécédents de fausse couche à
répétition, des échecs répétés en
PMA, des patientes déclarées stériles ou supposées
ménopausées.
G. Guernalec-Levy [14] rapporte également le cas d'une
patiente, « Cathy », marquée par une précédente
grossesse difficile et accouchée prématurément à 5
mois de gestation du fait de son utérus bicorne. Durement
éprouvée par son parcours d'infertilité, cette grossesse
à haut risque et par le long et incertain séjour de sa
première fille en réanimation néonatale, Cathy
s'était persuadée qu'elle ne voulait et surtout ne pouvait plus
tomber enceinte à cause de sa malformation utérine. C'est
pourtant dix mois plus tard qu'elle accouchera inopinément, après
un déni total et sous contraception, d'une deuxième fille en
parfaite santé de 3,4 kilos.
2.5.3.4 Ages extrêmes
La grossesse adolescente, contexte oblige, fait encore moins
souvent l'objet d'études concernant le déni de grossesse.
D'après Emmanuelle Godeau [10], médecin de santé publique,
le déni chez la jeune fille est majoritairement lié à une
méconnaissance de son propre corps et des signes de grossesse.
Chez la femme de plus de 40 ans, une perturbation ou un
arrêt des cycles menstruels entraînerait un certain scepticisme
quant à une grossesse débutante, faisant plutôt croire
à l'entrée en ménopause.
2.5.3.5 Isolement social
L'éloignement familial et l'absence de conjoint
constitueraient un facteur
favorisant.
2.5.3.6 Facteurs de stress psychosociaux
Ces facteurs très divers peuvent être
considérés comme aigus (séparation d'avec le conjoint,
décès brutal d'un proche en période
périconceptionnelle ou à distance) ou bien chroniques (conflits
de couple, départ du foyer parental...).
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 44/89
2.6 CONCLUSION
Victime de sa propre psyché, prise dans un
mécanisme de défense qui refoule un fait considéré
comme déstructurant et intenable, la patiente en déni reste dans
l'ignorance de sa grossesse pendant plusieurs mois, parfois jusqu'au terme.
Le corps maternel, soumis à cette puissance
barrière psychique, se fait le complice du déni et étouffe
tout ce qui pourrait éveiller les soupçons de la femme mais aussi
de son entourage. Véritable « passager clandestin », le foetus
se développe dans le vide d'une grossesse psychique absente,
s'épanouit au coeur d'une grossesse physique en apparence
inexistante.
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 45/89
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
3 HYPOTHESES ETIOLOGIQUES DU DENI DE GROSSESSE
Il a été dit précédemment que la
grossesse et par extension l'enfant se construisaient d'abord dans le psychisme
maternel. Le « devenir mère » est un processus complexe, qui
fait appel au vécu parental, à l'enfance et aux souvenirs
conscients ou non du sujet, réactivant ainsi des conflits
intrapsychiques jusque-là demeurés en attente. De même, la
future mère nécessite le regard des autres - le conjoint, la
famille, l'entourage - pour se structurer en tant que telle, signant ainsi le
triptyque fondamental de la grossesse qui ne se construit pas sur le seul
versant physique, mais également psychique et social.
Il apparaitrait donc logique que le déni de grossesse,
grossesse physique amputée de sa grossesse psychique et sociale, soit le
signe d'un dysfonctionnement qui prendrait sa source dans le désir
même de grossesse et d'enfant.
Du fait de son extrême polymorphisme, il s'avère
difficile même à la lumière des récentes
études d'identifier les causes d'un déni de grossesse. Pour de
nombreux spécialistes, il pourrait y avoir autant de dénis que de
patientes, toutes différentes dans leur culture et leur passif, dans
leurs situations socio-économiques, familiales, conjugales et
psychoaffectives.
Le déni de grossesse est rappelons-le un
symptôme non spécifique d'une pathologie, mais
caractéristique d'un ensemble de configurations ayant en commun
l'ambivalence du désir d'enfant. Pour J. Dayan [8], un tel
phénomène témoigne de l'incapacité du sujet
à gérer l'ambivalence que toute femme éprouve envers
l'idée de grossesse. Il serait l'expression d'une hostilité
refoulée, du caractère insoutenable de la représentation
de l'enfant à naître. Le déni serait en fin de compte le
signe d'un rapport dysfonctionnel à la sexualité et/ou à
la filiation.
A défaut de modèles théoriques
précis, la littérature de plus en plus fournie a permis
d'élaborer plusieurs hypothèses étiologiques, dont
quelques-unes parmi les plus récentes qui seront citées ici.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 46/89
3.1 LA GROSSESSE, UN FAIT MEDICALEMENT IMPOSSIBLE
3.1.1 Déni et contraception
Il a déjà été abordé
ci-avant le caractère trompeur d'une grossesse se développant
sous contraception, de manière idiopathique ou suite à une erreur
d'utilisation de ladite contraception (changement de pilule, mauvaise
observance, non-absorption d'un comprimé suite à des troubles
digestifs...). Parce que la patiente se pense protégée, la
grossesse lui semble inenvisageable, conviction renforcée si les
hémorragies de privation persistent malgré la grossesse.
3.1.2 Déni et diagnostic de
stérilité
Certaines femmes, après avoir recherché pendant
plusieurs années à tomber enceinte sans résultat, peuvent
commencer une grossesse alors qu'elles s'étaient persuadées de
leur infertilité. Le déni de cette grossesse pourtant si attendue
- mais aussi redoutée comme dans le cas de « Cathy »
cité précédemment - pourrait constituer une protection
contre une déception éventuelle.
A l'inverse, certaines patientes à qui on avait
formellement interdit toute grossesse pour raison médicale - comme par
exemple des antécédents lourds d'asthme - ont
présenté des dénis partiels à lever très
tardifs, voire même un déni total avec accouchement
inopiné. L'enfant est généralement bien accueilli du fait
du caractère inespéré de sa naissance. Dans ce cas,
l'hypothèse serait que la grossesse était
considérée comme possible et permise, mais seulement si on
l'occultait.
3.2 LA GROSSESSE, UNE SOUFFRANCE PSYCHIQUE OU PHYSIQUE
ANCIENNE
Un certain nombre de dénis de grossesse serait
consécutif à une précédente grossesse traumatisante
(avortement, mort foetale ou interruption médicale de grossesse...) ou
à un accouchement difficile (accouchement prématuré,
extraction instrumentale traumatique, césarienne en urgence pour
sauvetage maternel ou foetal, réanimation néonatale lourde,
décès dans les premiers temps de vie...). La grossesse,
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 47/89
directement à l'origine de souffrance psychique
intense, de douleurs, de déception et d'angoisse, est
immédiatement refoulée dans l'inconscient pour éviter de
réactiver des souvenirs pénibles et insurmontables.
Dans le cas de fausses couches à
répétition ou de mort foetale inexpliquée, on pourrait
supposer une certaine volonté plus ou moins consciente de la patiente de
conserver une « intimité » autour de sa grossesse,
d'échapper à une médicalisation similaire à celles
des autres grossesses, médicalisation éprouvante et synonyme
d'échec. Le « On verra bien » semble être l'impression
générale émanant du discours de ces patientes, et sonne
comme une « crainte superstitieuse », se traduit par une
véritable prise de distance inconsciente et protectrice face à la
grossesse et le monde de la maternité.
3.3 LA GROSSESSE COMME REFLET D'UNE RELATION
SEXUELLE
Dans certaines familles très rigides, le plus
fréquemment religieuses et pratiquantes (protestante, catholique ou
musulmane), la question de la sexualité hors mariage est un tabou. Les
connaissances des jeunes filles quant à leur anatomie génitale
sont très sommaires voire inexistantes, et elles ont souvent leurs
premières relations sexuelles sans avoir d'idée précise
sur la contraception et les processus de reproduction. Par cette ignorance la
grossesse est reconnue souvent tardivement, parfois même seulement
à l'accouchement d'où le risque élevé de
complications. De même, si les relations sexuelles hors mariage sont
proscrites au sein de la famille, l'attente d'un enfant constitue une source
d'angoisse et de honte telle qu'elle fait le lit du déni et de la
dénégation. [13]
Dans le cas où la gestation pourrait être issue
d'une relation extraconjugale, le déni en masquant la grossesse
permettrait également de fuir la honte et la crainte d'être
rejetée par le conjoint, de repousser indéfiniment le conflit
qu'entraînerait la découverte de cette liaison.
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 48/89
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
3.4 LA GROSSESSE, RESURGENCE D'UN EVENEMENT TRAUMATIQUE
A CARACTERE SEXUEL
Pour certains spécialistes dont Catherine Bonnet, le
déni de grossesse peut avoir pour origine des histoires de maltraitance
récentes ou anciennes, subies dans l'enfance ou à l'adolescence.
Les violences sexuelles, quels que soient leur contexte et leurs formes
cliniques (agressions sexuelles physiques ou verbales ; émotionnelles
à propos du corps sexué, de la sexualité ou de la
maternité ; grossesse issue d'un viol ; inceste ; etc...) n'ont pu
être dévoilées ou ont été minimisées,
voire niées ou même ignorées par l'entourage : la
réalité traumatique et les émotions négatives qui y
étaient liées ont alors été
réprimées, enfouies au plus profond de l'inconscient dans
l'espoir d'étouffer la souffrance indicible qu'elles causaient [4].
Contrainte au silence, la victime n'a pas eu d'autre choix que ne plus y
penser, de « vivre sans » et non d'en faire son deuil, ce qui aurait
permis d'accepter et de dépasser le traumatisme.
C'est un véritable clivage qui s'est ainsi
réalisé dans la psyché de la femme, parenthèse
latente dans son fonctionnement psychique qui a persisté des
années durant. Lorsqu'une grossesse s'annonce, la transparence psychique
qu'elle engendre réactive ce vécu traumatique et veut le faire
remonter à la conscience : pour éviter cette souffrance
indicible, la psyché n'a pas d'autre choix que « d'annuler »
l'élément activateur, soit la grossesse et tous les signes qui
pourraient la révéler. [4]
Le témoignage d'Isabelle Moulin [29] corrobore cette
hypothèse : victime des attouchements sexuels de son frère
ainé, elle aurait été surprise par une tante qui non
seulement n'était pas intervenue, mais aurait de plus reporté la
faute sur elle, âgée alors d'à peine sept ans. Presque
trente ans après son déni partiel, Mme Moulin reconnaîtra
au cours d'une thérapie le terrible impact qu'avait eu un tel
évènement sur la perception de son corps et de sa
féminité. Se sentant trahie par son entourage, mortifiée
par son propre corps qu'elle percevait comme honteux et souillé, elle
aurait dès cet instant préféré ignorer tout ce qui
pouvait s'y rapporter... dont l'existence de sa première grossesse,
déniée jusqu'à près de huit mois.
Dans ces traumatismes à connotation sexuelle, ce n'est
pas seulement la grossesse et ce qu'elle symbolise qui est renié : la
femme est en pleine négation de son être et de sa capacité
à procréer, ce qui peut expliquer le déni, mais aussi une
absence de
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 49/89
contraception - et souvent même de préoccupations
à ce sujet - cela malgré une vie sexuelle active.
3.5 AU-DELA D'UN TRAUMATISME IDENTIFIABLE, UNE
CARENCE
AFFECTIVE
L'idée générale qui a pu se
dégager des précédentes statistiques est que « tout
le monde peut faire un déni de grossesse ». Si effectivement les
chiffres ont prouvé que le déni se retrouvait dans toutes les
catégories de population, dans tous les milieux socio-économiques
et dans toutes les situations conjugales, il faut cependant préciser que
le phénomène ne touche pas non plus n'importe qui.
Au cours de leurs observations, I. Nisand et S. Marinopoulos
ont constaté que le déni de grossesse se trouvait bien souvent
précédé d'une autre forme de déni, celui-ci
étendu à la majorité de la famille : « le déni
de la vie corporelle et affective (...) dans une famille où justement
les émotions ne se parlent pas » [25]. Définir en quelques
mots un environnement familial en pauvreté affective n'est pas simple :
ce peut être des proches trop peu démonstratifs ; une
éducation stricte se refusant à évoquer des sujets
sensibles comme la sexualité mais aussi à exprimer les plus
simples gestes d'amour ou d'affection ; ce pourrait être des figures
d'autorité parentale déficientes car absentes - une mère
dépressive, un père physiquement absent ? - ou effrayantes. Ce
peut être une famille marquée par le décès d'un
enfant, pour qui le silence et l'absence d'émotions est le seul moyen
d'endiguer la souffrance. [7]
Les besoins d'un enfant ne se résument pas à
manger et dormir à heures fixes : c'est par les interactions qu'il a
avec son entourage que l'humain se construit, ressent et évolue, c'est
dans son contact avec l'autre qu'il bâtit son Moi et son corps psychique.
C'est avec l'amour et l'attention que sa mère puis ses proches lui
prodiguent à chaque instant qu'il apprend à ressentir, à
exister par lui-même, à décoder ses propres affects et
à vivre en société : son corps sensoriel évolue au
fil de ses rencontres émotionnelles et affectives.[22]
Mais si sa mère est indisponible psychiquement, se
limitant à combler ses besoins d'ordre physique, alors l'enfant grandit
et perdure tout en restant en manque de
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 50/89
« nourriture affective ». Las de rechercher des
émotions, de l'attention auprès d'un entourage qui ne peut les
lui fournir, l'enfant se renferme peu à peu, apprend à « ne
pas ressentir pour survivre ». C'est son Moi psychique qui souffre
derrière une apparente normalité. Il mène une existence
qui semble tout à fait banale et qui en réalité, est
marquée d'un effroyable vide, émotionnel, sensoriel, affectif.
Au-delà d'un passé de violence ou d'agressions
sexuelles, le traumatisme réside ici en ce « déni de la vie
affective de l'enfant », vécu comme une véritable amputation
silencieuse de son Moi psychique. Ces enfants livrés à la
pauvreté affective de leur milieu se font discrets, sans exigences : des
années plus tard ils sont ces gens qu'on dit « sans histoires
», « agréables », « aimés de tous », en
réalité effacés et insaisissables, prisonniers d'un
contrôle massif de leurs affects installé dès leur plus
jeune âge, dans un contexte familial où l'expression
émotionnelle est réduite, voire inexistante. [22]
C'est ainsi que des mères de familles « tout
à fait banales », considérées comme « sans
histoires », aimantes et « s'occupant bien de leurs enfants »,
se révèlent victimes de déni de grossesse et responsables
d'un voire plusieurs néonaticides. Emmurées des années
durant dans le silence de leur vie affective et sensorielle, souvent encore
victimes de la même pauvreté affective dans leur relation à
leur conjoint, elles n'ont pas su reconnaître leur état de
grossesse, n'ont pas pu exécuter le travail psychique qui accompagne
normalement toute gestation physique, les conduisant ainsi au déni total
et au drame de l'accouchement inopiné. [23] [25] [29]
3.6 CONCLUSION
Quelle que soit la théorie envisagée, le
déni semble être la manifestation psychique d'une souffrance
intime, profonde, indicible [22]. Signe d'une altération de
représentation de la grossesse [25] ou mécanisme de protection
face à une douleur psychique, toutes ces suppositions semblent se
recouper et se compléter : elles interpellent par la suspicion d'une
détresse psychique latente, souvent ancienne, qui nécessite qu'on
s'y attarde lors d'une consultation psychothérapeutique.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 51/89
4 LEVER DU DENI DE GROSSESSE
...L'annonce est une fracture, une béance,
un temps infime qui se prononce en trois mots, « vous êtes enceinte
».
...Parfois l'annonce de la vie à
naître déclenche la perte d'une autre vie... [25]
4.1 PLUSIEURS PHASES DE GRAVITE DANS LE DENI
4.1.1 Déni partiel, une prise de conscience tardive
mais avant
l'accouchement
Le déni partiel a été défini plus
tôt comme le fait pour une femme enceinte de ne prendre conscience de sa
grossesse qu'au-delà de la fin du premier trimestre, mais avant
l'accouchement. Il serait pour certains spécialistes une manifestation
de gravité moindre du déni, puisque grâce à
l'entourage, au conjoint ou de manière spontanée, la femme
enceinte a pu prendre conscience de sa grossesse et commencer un travail
psychique en relation avec l'évènement. Certains
spécialistes comme S. Marinopoulos voient dans le déni partiel
une éventuelle connotation positive, par le fait qu'il protège
l'enfant d'impulsions violentes réactivées depuis l'enfance ou
l'adolescence par la grossesse. C. Bonnet après ses études sur
les femmes accouchées sous X, estime que le déni est alors un
mécanisme inconscient de protection de l'enfant face à
l'interruption volontaire de grossesse. Cette hypothèse est
confirmée chez ces femmes par le fait qu'une fois la grossesse
révélée mais trop avancée, elles ne tentent pas non
plus d'aller à l'étranger pour se faire avorter. [13] [23]
Le déni partiel serait dans ces cas précis un
moyen pour elles de protéger l'évolution de la grossesse.
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 52/89
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
4.1.2 Déni total
Le déni total symbolise l'absence de prise de
conscience de la grossesse depuis la conception jusqu'à l'accouchement.
Il a une connotation plus péjorative : le mécanisme de
défense qu'est le déni s'est avéré suffisamment
puissant pour oblitérer toute perception de la grossesse, aux yeux de la
future mère comme à ceux de son entourage. Son pronostic est
également plus sombre car il est facteur de pathologies gravidiques non
prises en charge, de complications à l'accouchement, en post-partum
immédiat et voire même sur le plus long terme.
4.2 CIRCONSTANCES DU LEVER
A l'image du déni de grossesse, les circonstances du
lever et le terme auquel il s'effectue sont extrêmement variés.
La grossesse est découverte le plus fréquemment
avant l'accouchement, au cours du deuxième trimestre de grossesse, et
généralement de manière fortuite. Les patientes peuvent
consulter pour des douleurs abdominales ou une augmentation de volume de
l'abdomen, des troubles digestifs, des saignements vaginaux intempestifs ou
plus rarement une aménorrhée persistante depuis peu, des
sciatalgies ou lombalgies, des oedèmes des membres inférieurs.
Une patiente en déni qui consulte car elle perçoit des mouvements
foetaux semble être une situation excessivement rare.
Lorsque la grossesse n'est pas mise en lumière au
cours de cette première consultation - la plupart du temps
effectuée par un généraliste - elle est
révélée lors d'examens diagnostiques telle une
échographie ou une radio de contrôle. Dans ce cadre, une
complication obstétricale peut donc être à l'origine du
lever du déni.
Dans d'autres cas, ce peut être un proche qui en
exposant ses soupçons et en dialoguant avec la femme en déni,
l'aide à faire face, à penser l'impensable. Plus rarement, le
déni peut se lever de manière spontanée aux alentours du
5e mois ; la patiente fait le lien entre ses symptômes et une
éventuelle grossesse, et vient consulter dans cette optique. Ces femmes
qui doutent ont cependant une idée très sous-estimée de
leur terme.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 53/89
4.3 CONSEQUENCES PHYSIQUES ET PSYCHIQUES DU DENI
PARTIEL
La révélation de la grossesse, qu'elle soit du
fait de la patiente ou d'un tiers, est toujours synonyme d'une profonde
stupeur. La surprise est telle qu'elles restent choquées,
sidérées, éprouvent parfois des sentiments
d'insécurité ou de dépression sur une courte
période [12]. Incapables d'évaluer ce que signifie le terme
parfois très avancé de leur grossesse, beaucoup se raccrochent
à l'espoir d'obtenir une interruption volontaire de grossesse (IVG).
Parallèlement, d'autres s'inquiètent de leur conduite au cours
des derniers mois qui aurait pu faire souffrir l'enfant, tels le tabagisme, la
prise de médicaments ou la pratique d'un sport dangereux. Cette prise de
conscience de leurs conduites à risque s'ajoute plus tard à leur
culpabilité et leur honte de « n'avoir rien vu », ce qui exige
des professionnels une approche particulière et un suivi de fin de
grossesse attentif et compréhensif que nous aborderons plus tard.
De même sur le plan physique, la découverte de
la grossesse entraîne une métamorphose que l'on qualifierait
aisément de spectaculaire. Une fois le verrou psychique du déni
levé, on observe dans les jours voire même les heures qui suivent
l'apparition des signes de grossesse qui jusque-là faisaient
défaut : l'utérus libéré de la sangle musculaire
abdominale bascule en avant, présentant enfin un volume en rapport avec
le terme. Les mouvements foetaux sont brusquement ressentis, à tel point
qu'elles se sentent envahies dans leur intimité, submergées par
un être intrus et dangereux qu'elles ne peuvent encore imaginer comme un
enfant, leur enfant ; certaines parleront de porter « un alien
» dans leur ventre tant la sensation de ne plus s'appartenir leur est
impérieuse. Les douleurs abdominales semblent se préciser et
prendre le tour de véritables contractions utérines, la prise de
poids jusque-là peu voire pas du tout effective est manifeste au fil des
jours, et certaines patientes vont jusqu'à éprouver des signes
sympathiques de grossesse malgré le terme excessivement avancé.
Comme si la grossesse jusque-là étouffée s'exprimait enfin
librement, et s'effectuait de manière accélérée,
libérée du joug du déni. [25]
De telles modifications physiques ont des conséquences
dévastatrices sur le psychisme maternel : livrée à la
réalité insupportable de la grossesse que le déni lui
épargnait jusque-là, la future mère connaît
transitoirement un risque majeur d'explosion
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 54/89
interne de sa psyché. Ainsi Isabelle Moulin a-t-elle
décrit cette véritable tempête émotionnelle, trente
ans après son déni partiel révélé à
près de 8 mois de grossesse :
...Je me sentais envahie, c'était vraiment
comme un viol. Tout à coup, quelqu'un avait pénétré
à l'intérieur de moi, il n'avait absolument pas demandé
l'autorisation, et maintenant il était là, il était
installé, il était super gros, et je ne savais pas du tout
comment j'allais faire sortir ça de moi. J'avais excessivement
peur [...]. La seule chose à laquelle j'ai pensé, c'est
« je veux mourir »... [...] « Et là, tout
s'arrêtera, ce sera fini »... [29]
La révélation d'une grossesse
déniée est toujours suivie d'une période d'extrême
fragilité, détresse qui dans l'urgence de la prise en charge
médicale et sociale de cette patiente, ne semble pas toujours bien prise
en compte à l'heure actuelle. [23] [30]
Quelques-unes de ces femmes, pour qui le lever du déni
entraîne une souffrance extrêmement brutale, peuvent se retrouver
amnésiques de cet instant critique. En proie à un stress aigu
potentiellement déstructurant, le déni transitoirement dissolu se
reconstitue une fois le médecin quitté, et « efface »
de la conscience maternelle la grossesse et les souvenirs liées à
sa révélation. Dans ce cas et en l'absence de suivi, le
déni de grossesse peut aisément se poursuivre jusqu'à
l'accouchement.
4.4 SITUATION CRITIQUE : LE LEVER DU DENI A
L'ACCOUCHEMENT
4.4.1 Grossesse physiologique : les « mots de la
naissance »
Que ce soit en accompagnateur d'une parturiente ou en tant
que professionnel de santé, toute personne ayant déjà
côtoyé une salle de naissance a certainement pu se rendre compte
du climat particulier qui y règne. L'attente mêlée
d'impatience et d'inquiétude, qui a habité chaque future
mère tout au long de sa grossesse, semble enfin aboutir et prendre corps
à l'approche de l'accouchement, moment imaginé,
rêvé,
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 55/89
fantasmé et redouté de la séparation. A
l'issue de ces fatidiques neufs mois, la femme achève ce travail mental
difficile, pénétré de questionnements et d'ambivalence,
qui de fille de quelqu'un, l'a faite future mère d'un autre. La peur de
la douleur et de l'inconnu se disputent à l'impatience quand commencent
ces ultimes épreuves que sont le travail et l'accouchement.
Inquiétudes, angoisses, douleurs et efforts
accompagnent ce travail tant psychique que physique. Avec la succession des
contractions utérines, l'ouverture du col et la « descente du
foetus dans le bassin », images peut-être bien mystérieuses
pour les non-professionnels, c'est la dyade mèrenfant qui meurt
peu à peu. L'accouchement est en soi une épreuve tant dans le
corps que dans la tête d'une femme, un véritable morcellement de
son être construit pendant neuf mois et dont elle doit faire le deuil
à la naissance. Une autre facette plus ou moins cachée de la
maternité.
Or, chaque professionnel de la naissance sait que même
lors de ces accouchements pleinement attendus et préparés, il
peut y avoir une part de déraison subite et violente au moment crucial.
Il n'est pas si rare qu'une mère sur le point d'expulser, à bout
de douleur ou d'angoisse, s'écrie soudain qu'elle veut rentrer chez
elle, qu'elle veut la césarienne, ou même « [qu'elle] n'en
veut plus, de [cet] enfant ». Ces mots de la naissance, cruels et durs,
paraissent fous, sont totalement déconnectés de ce qui est
vécu. Cette « irresponsabilité transitoire » peut
survenir aux instants critiques d'un accouchement, là où l'on
souhaite la coopération la plus totale de la parturiente, et chaque
professionnel se fait alors rassurant, enveloppant envers cette femme
littéralement dépassée par ce qu'elle traverse. [25]
Il suffit de garder à l'esprit cet éventuel
« déraillement » d'une patiente pleinement consciente de sa
grossesse, pour se rendre compte de la détresse que peut ressentir une
autre en plein déni.
4.4.2 Déni total : conséquences psychiques
à l'accouchement
La femme qui n'a eu aucune conscience de sa grossesse se
retrouve totalement démunie lorsque survient l'accouchement. Les
douleurs abdominales, qu'elle assimile à des troubles digestifs et non
à des contractions - puisqu'elle n'est pas enceinte - s'avèrent
vite inhumaines, la plongent dans un état de morcellement,
d'incompréhension et de panique qui la dépasse.
Sidérée, souvent elle ne cherche pas à
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 56/89
appeler à l'aide. Grippe intestinale ? Règles
douloureuses ? Une infection urinaire carabinée ou bien une autre
colique néphrétique ? Peut-être le « fibrome qui sort
» ? Persuadée qu'elle va mourir, elle s'accroche
désespérément à ces rationalisations et lutte
véritablement pour sa survie, contre cette perte d'elle-même
qu'est en réalité l'accouchement. Elle qui n'a pas pu se
représenter sa grossesse, peut encore moins envisager l'enfant qui
naît comme un être vivant. Sa réalité prend figure de
cauchemar. Elle est seule face à sa douleur, et agit en
conséquence : lorsque la tête de l'enfant paraît, elle s'en
saisit d'instinct et tente par tous les moyens même les plus
extrêmes de s'en défaire, de se libérer de cette souffrance
insurmontable qui la disloque.
« L'épreuve de la naissance est un danger
réel pour la vie de la femme et un danger pour sa vie psychique, du fait
des éprouvés de démantèlement et de
désorganisation ». [25]
4.4.3 Déni total : conséquences physiques et
obstétricales
Peut-être du fait du déni qui va jusqu'à
occulter les premières contractions, le travail semble beaucoup moins
long et bien moins douloureux, cela même et surtout chez la primipare
comme l'observait déjà Marcé. Dans l'étude de
Denain et Valenciennes [32], la grande majorité des naissances suite
à un déni total avait eu lieu à domicile ou aux urgences.
Les patientes acheminées à temps en salle de naissance par le
SAMU arrivaient pour la plupart à une dilatation cervicale
supérieure à 5 cm, parfois même sur le point d'expulser.
Ces accouchements dits foudroyants, ajoutés à
un tel contexte de déni, entraînent de nombreuses complications :
hémorragies vaginales, dilacération du col, rétention
placentaire et hémorragies de la délivrance...
Si la plus grande complication de l'accouchement
inopiné après un déni total - soit le décès
maternel - est fort rare, le décès du nouveau-né dans de
telles conditions est malheureusement beaucoup plus fréquent.
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 57/89
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
5 DENI DE GROSSESSE ET NEONATICIDE
5.1 DEFINITIONS - ETAT DES LIEUX
Fait le plus dramatique et le plus aisément
véhiculé par les médias, le néonaticide est
heureusement l'une des conséquences les plus rares du déni de
grossesse.
Philippe Resnick, psychiatre, a défini en 1970 le
néonaticide comme « le meurtre ou l'assassinat par sa mère
d'un enfant âgé de moins de 24 heures ». Il se distinguerait
selon lui du filicide, le meurtre d'un enfant âgé de plus de 24
heures, notamment de part les antécédents de la mère, son
diagnostic psychiatrique, le motif d'un tel geste et les circonstances dans
lesquelles il se réalise.
Malgré l'évolution des modes de contraception,
la réglementation de l'accouchement sous X et de la remise à
l'adoption, le taux de néonaticides en France serait stabilisé
à une moyenne de 70 cas par an depuis plus de 30 ans. Il est cependant
difficile d'établir une estimation exacte, certains accouchements
clandestins suivis de néonaticide n'étant probablement jamais
découverts. [11]
Le néonaticide est sujet classiquement à deux
distinctions :
? Le néonaticide passif, traduisant usuellement la
mort par omission de soins, par négligence ou par abandon : le
nouveau-né décède des suites d'un traumatisme
crânien consécutif à la naissance ou à une chute
directe après l'expulsion ; se noie dans la cuvette des toilettes
où une femme en déni a souvent le réflexe de se rendre au
ressenti des contractions ; meurt asphyxié, d'hypothermie...
? Le néonaticide actif, qui connote le fait de donner
la mort par un acte agressif direct, soit une détermination subite de
« supprimer » l'enfant : le nouveau-né meurt par
étouffement avec la main ou un gant, par étranglement à
mains nues ; dans des cas plus rares, on observe des coups de couteau ou de
ciseaux, un arrachement du cordon...
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 58/89
A noter que les accouchements inopinés faisant suite
à un déni ont fréquemment lieu à domicile ou dans
des endroits isolés en milieu public comme les toilettes ; cela serait
dû à la stimulation du mobile foetal en progression sur la
région anale, provoquant ainsi une sensation de défécation
- bien connue du personnel accoucheur, qui en temps normal guette cette
sensation pour évaluer la descente du foetus dans le bassin maternel, et
éventuellement commencer les efforts expulsifs. Face à cette
sensation impérieuse, les femmes en déni et en proie de
surcroît aux douleurs de l'accouchement ont souvent le réflexe de
se rendre aux toilettes, où elles accouchent dans les minutes qui
suivent.
Suivant les différentes situations, le corps du
nouveau-né peut être retrouvé conservé au
congélateur ou dans un sac plastique dans le garage, inhumé dans
le jardin, dans une poubelle, incinéré...
Le lien entre déni de grossesse et néonaticide
n'a pas été formellement démontré, les
études menées s'avérant jusque-là discordantes dans
leurs résultats [13] [18] [43]. On peut cependant constater que le
risque de néonaticide est plus élevé - estimé par
certains spécialistes à 4 néonaticides pour 5 dénis
totaux - si l'accouchement a lieu de manière brutale et inopinée,
a fortiori si la femme en déni total reste seule tout au long de
l'expulsion et du post-partum immédiat.
5.2 FACTEURS POUVANT FAVORISER UN NEONATICIDE
Dans ses recherches pour sa thèse de médecine
[12], N. Grangaud a rassemblé les facteurs considérés
à l'unanimité par les auteurs comme ayant un impact positif dans
la survenue et/ou la psychodynamique d'un infanticide :
? Le non-désir d'enfant ;
? La grossesse blanche sous toutes ses formes, depuis la
dissimulation jusqu'à la dénégation et le déni de
grossesse, entrainant à divers degrés une absence
d'élaboration psychique de la grossesse, de l'enfant, de l'accouchement
et de la filiation ;
? Une passivité face à la grossesse ;
·
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 59/89
Un accouchement subit, inopiné ;
· La solitude au moment de l'accouchement ;
· L'obnubilation somato-psychique entraînée
par l'accouchement ;
· La panique provoquée par la réalité
prenant corps, et entraînant ainsi un acte impulsif dans le but de
supprimer une preuve de sexualité ;
· Une dynamique familiale particulière, soit des
moeurs paternelles très rigides, une relation à la mère
lointaine ou bien hyper-protectrice mais n'intercédant pas correctement
entre père et fille ;
· Un géniteur absent.
5.3 PSYCHISME DE LA MERE NEONATICIDE : DIFFERENTES
OPINIONS
Les études, ainsi que les observations en pratique des
spécialistes, placent l'absence d'élaboration psychique de la
grossesse - comme dans le déni total - comme un facteur de risque majeur
de néonaticide. Lorsque vient le moment de l'accouchement, la femme en
déni doit exécuter ce travail psychique primordial à toute
représentation de l'enfant, pour pouvoir ensuite le considérer
comme un être vivant et différencié d'elle à la
naissance. Si la femme fait face seule au traumatisme de l'accouchement, sa
réalisation psychique ne peut s'accomplir ; et la douleur et
l'incompréhension peuvent la conduire à des actes
inconsidérés et irréfléchis, parfois brutaux, sur
la personne de l'enfant qu'elle ne peut identifier comme tel.
Diverses hypothèses ont été émises
quant au pourquoi du néonaticide, en particulier lorsque le
décès de l'enfant est dû à des causes non naturelles
(étranglement, coups de ciseaux...). Nous ne citerons que quelques-unes
parmi les plus générales et les plus récentes.
5.3.1 La notion d'état de choc
C'est un fait prédominant : les mères en proie
au déni total accouchent dans la douleur et la sidération [15].
Toute pensée quant à une grossesse leur ayant été
épargnée, elles n'ont aucune idée véritable de ce
qui leur arrive, et lorsque l'enfant paraît, elles sont victimes d'une
confusion extrême, qui les conduit à « enlever »
l'objet
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 60/89
de leur douleur, à s'en saisir pour faire cesser leur
souffrance par tous les moyens - un véritable cauchemar dans lequel
elles se débattent de manière désordonnée.
5.3.2 La difficulté à accoucher seule
Tout professionnel de naissance aguerri sait que l'expulsion
d'un foetus, même dans les conditions optimales, nécessite de la
patience et un parfait contrôle de la progression de l'enfant dans la
filière génitale. D'abord en retenant la tête de l'enfant
pour minimiser les dégâts périnéaux, puis une fois
la tête expulsée, en opérant sur elle un mouvement de
rotation puis de légère « traction » vers
l'arrière, afin de favoriser l'engagement des épaules foetales
l'une après l'autre dans le bassin maternel et ainsi optimiser
l'expulsion du reste du corps de l'enfant.
Ces processus primordiaux à toute naissance non
traumatique - décrits ici de manière volontairement succincte -
constituent ce qu'on nomme la mécanique obstétricale dans le
jargon médical. Dans le contexte d'une naissance en solitaire, cette
mécanique est impossible à mettre en place [25]. La mère
ne peut exécuter seule ces gestes techniques qui la plupart du temps
« débloquent » la sortie du foetus : ce n'est souvent
qu'après des efforts violents et d'une durée excessivement longue
qu'elle pourra expulser l'enfant, par un véritable mouvement
d'arrachement occasionnant sur elle comme sur lui des lésions graves
voire irréversibles. Le plus fréquemment, l'enfant après
ce travail rapide et cette naissance délétère ne
présente pas ou très peu de signes de vie : dit « en
état de mort apparente », il ne peut recevoir les soins salvateurs
- désencombrement des voies aériennes, oxygénation,
massage cardiaque - qu'incomberait la naissance traumatique en
maternité. Cet état peut renforcer la femme sidérée
dans son déni et l'amène à considérer l'enfant non
comme un être vivant et différencié, mais comme « un
bout de chair » sorti d'elle [15].
5.3.3 Face à l'enfant
Une fois l'enfant expulsé, la mère en
état de choc agit la plupart du temps de manière
incohérente. Le vécu de la naissance est comme un « trou
noir » dans le témoignage de certaines, et a posteriori celles qui
se souviennent des minutes consécutives à la naissance ne se
reconnaissent pas dans leurs propres actes. Dans l'incapacité de
s'occuper de l'enfant, certaines restent sidérées des minutes ou
des
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 61/89
heures durant, laissant l'enfant mourir par omission de soins,
ou noyé dans les toilettes où elles s'étaient
réfugiées. D'autres ressentent le besoin de « le faire
disparaître » mais ont dans leur état de choc des
comportements que le sain d'esprit qualifierait d'absurdes ou de
déraisonnables : elles cachent l'enfant silencieux dans un sac poubelle,
le stockent dans un seau dans le garage ou au congélateur, vont le
déposer sur le trottoir avec les ordures devant chez elles. [14]
Un cas pour exemple : une jeune femme envoyée par son
médecin traitant pour de violentes douleurs abdominales, arrive en salle
d'attente de la maternité et accouche seule dans les toilettes quelques
minutes après. Malgré la proximité des professionnels,
elle est dans un état de sidération tel qu'elle « enroule ce
qui lui est sorti du ventre » dans du papier toilette et quitte la
maternité sans consulter. L'enfant, mort, sera retrouvé chez elle
quelques heures plus tard. [25]
Si l'enfant crie à la naissance ou présente des
signes de vie qu'elle parvient à identifier, la femme se trouve dans une
situation de détresse extrême, de dépersonnalisation
profonde : elle peut alors être sujette à des pulsions très
violentes. En étouffant ou en étranglant l'enfant, soit en le
faisant taire, elle annule l'épouvantable réalité qui la
dépasse, efface la douleur et l'incompréhension qui l'ont
morcelée le temps du travail et de la naissance. Les auteurs de «
Elles accouchent et ne sont pas enceintes » [25] parlent d'une
éventuelle « folie éphémère », d'une
« période d'irresponsabilité passagère
spontanément résolutive dans les quelques heures qui suivent
l'accouchement » ; c'est probablement une réaction intimement
liée à l'irresponsabilité transitoire
évoquée plus tôt dans la naissance en contexte
physiologique, réaction favorisée par les douleurs et les
variations hémodynamiques liées à un utérus en
travail. L'abolition du discernement est telle chez ces femmes en déni
qu'elles peuvent même vouloir « se venger de la douleur qui a
été occasionnée sur ce qui vient de sortir [d'elles]
», d'où certains cas relevés où l'enfant a
été plusieurs fois poignardé ou encore
étranglé avec son cordon.
Anne-Laure Simonnot, dans ses recherches sur le déni de
grossesse chez l'adolescente [39], conçoit que la grossesse n'ayant pu
exister dans l'imaginaire maternel, le lien mère-enfant précoce
n'a pas pu s'établir non plus : dans ces circonstances, le geste
meurtrier à la naissance perd de sa valeur négative, puisque
« l'enfant n'existe pas ».
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 62/89
Dans son étude sur 4 mères infanticides, C.
Bonnet considère la découverte du foetus comme la preuve d'une
relation sexuelle, qui entraîne par sa présence le retour à
la conscience d'un vécu traumatique. Pour sa survie psychique, la femme
prolonge l'action du déni en bloquant les affects négatifs, soit
« court-circuite » la résurgence du traumatisme en
éliminant l'enfant.
5.3.4 Une amnésie quant au passage à
l'acte
Si rien n'est découvert, la femme peut reprendre le fil
de ses activités comme s'il ne s'était rien passé.
Très fréquemment, les femmes interrogées
dans les premiers temps de la découverte de l'accouchement clandestin
et/ou du corps de l'enfant, n'ont que peu de souvenirs quant à leur
passage à l'acte. De pareilles réactions de violence - tels que
deux cas de femmes ayant jeté leur enfant par la fenêtre - suivies
d'amnésie faisaient suspecter à Claude Brzozowski un
épisode psychotique bref lié au lever brutal du déni. C.
Bonnet s'oppose à cette théorie et considère
l'amnésie consécutive au passage à l'acte comme une remise
en oeuvre du déni, qui toujours dans son rôle de mécanisme
psychique de défense, viendrait recouvrir l'accouchement et la mort de
l'enfant, vérités non métabolisables sur le plan
psychique. [13] [23] [41]
5.4 JUSTICE ET DENI DE GROSSESSE
5.4.1 Un contexte encore flou
L'infanticide, soit le « meurtre ou l'assassinat d'un
enfant nouveau-né », est un terme qui a été
supprimé du Code Pénal le 1er mars 1994. Le
néonaticide tel qu'il a été défini plus tôt
par P. Resnick, est depuis considéré comme un « homicide sur
mineur de moins de 15 ans » dès l'instant où il est
prouvé que le nouveau-né a vécu.
Cet acte est passible de la réclusion criminelle
à perpétuité. Il donne obligatoirement lieu à une
expertise médico-légale des circonstances de la mort de l'enfant,
afin de déterminer si oui ou non il était vivant à
l'expulsion. Une expertise psychiatrique est également
systématique, et suivant ses résultats la peine peut
être
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 63/89
allégée voire annulée, car « n'est
pas pénalement responsable la personne qui était atteinte au
moment des faits d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son
discernement ». [13]
En pratique, le déni de grossesse n'ayant encore en
France aucune existence juridique ou psychiatrique, les condamnations pour des
néonaticides varient de l'absence de peine jusqu'à la
réclusion à perpétuité, de par l'aspect
hétéroclite des situations et les débats qu'elles peuvent
engendrer.
5.4.2 Un cas parmi d'autres
Le cas de « Jessica » en Belgique en 2009 a permis
une nouvelle prise de conscience par l'opinion publique, tout comme dans le
milieu médical et judiciaire.
Le 23 novembre 2008, le compagnon de Jessica découvre
dans leur appartement le cadavre d'un nouveau-né, conservé dans
un sac poubelle, et appelle aussitôt la police. Jessica,
déjà mère d'une petite fille Jodie issue d'une
première union, éclate en sanglots à l'évocation du
corps retrouvé. Ses propos incohérents et étayés en
plusieurs versions conduiront à son arrestation et à sa mise en
examen pour homicide.
A l'expertise, l'enfance de l'accusée se
révèle douloureuse, houleuse, avec une relation à la
mère vécue comme très conflictuelle par Jessica mais
minimisée par son père et ses frères. Une tentative de
suicide du père, empêchée par Jessica alors qu'elle n'avait
encore que 14 ans, noircit davantage le tableau qui allègue de plus en
plus une éventuelle carence affective à l'origine du déni
et du néonaticide, sans compter que Jessica présente une
personnalité considérée comme immature, fuyante des
problèmes de la vie courante.
Les antécédents obstétricaux de Jessica
semblent également évocateurs : celle-ci avait déjà
fait une IVG dans sa jeunesse, et sa précédente grossesse
déclarée (Jodie) n'avait été découverte
qu'à 7 mois de gestation, à la surprise de Jessica comme de son
entourage. De telles circonstances laissent supposer un déni partiel de
grossesse, qui n'a pourtant jamais donné suite à une consultation
avec un psychologue, et constituent un point d'appui pour la Défense.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 64/89
Le 30 janvier 2009, soit presque trois mois après son
arrestation et quelques jours avant son procès, Jessica accouche en
prison et à la stupeur de tous d'un petit garçon à terme.
La quatrième grossesse de Jessica - déni total - n'avait
été dépistée ni par les médecins, ni par les
experts, ni même par sa compagne de cellule, reproduisant par là
même les circonstances dans lesquelles elle avait accouché
inopinément et commis son infanticide.
Jessica fut acquittée.
5.4.3 Aspect médico-légal : le corps de
l'enfant
L'examen anatomopathologique semble être le nerf de
l'accusation de néonaticide, puisqu'il doit mettre ou non en
évidence le fait que la mère a mis
délibérément fin aux jours de son enfant à peine
né. En pratique l'examen et ses observations sont souvent
discutés.
Le décès par asphyxie est la cause la plus
souvent identifiée, la présence d'air retrouvé dans les
poumons du nouveau-né ayant souvent fait le lit de l'accusation lors
d'anciennes affaires : les mères étaient alors accusées
d'avoir étouffé l'enfant après son premier cri. Les
experts ont cependant admis qu'au cours de la naissance traumatique, alors que
la tête est déjà expulsée, le foetus peut sous la
stimulation de la douleur avoir des pseudo-mouvements inspiratoires même
si le thorax est encore dans la filière pelvienne. L'enfant après
cette naissance longue et traumatique est en état de mort apparente, et
s'enfonce peu à peu dans l'asphyxie.
Les blessures au visage voire même les fracas faciaux
parfois retrouvés sur le corps du nouveau-né, qui donnaient
accusation à des violences maternelles, seraient en
réalité dus aux efforts de traction de la mère, alors en
grande détresse psychique et physique, pour expulser l'enfant.
L'arrachement du cordon, cause éventuelle d'un
arrêt cardiaque réflexe immédiat ou à l'origine
d'une hémorragie, est également réfuté comme
argument d'accusation, car il peut résulter d'une volonté
désordonnée de se séparer du corps du nouveau-né,
le placenta n'étant jamais expulsé de suite après le
foetus.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 65/89
Le décès par traumatisme crânien ou
noyade, est lui aussi expliqué par le fait que l'enfant une fois
expulsé fait fréquemment une chute dans les toilettes, et peut y
être laissé par sa mère qui sidérée ne songe
même pas à le récupérer.
D'autres marques de violence létale prêtant moins
à controverse - comme des coups de ciseaux ou des signes de noyade
délibérée - devraient selon les auteurs interpeller par
leurs deux causes éventuelles :
? Ces marques pouvant être la conséquence d'une
perte passagère de discernement, comme évoquée
précédemment, et posant donc la question d'une grossesse sous
déni total ;
? Ces marques pouvant être la conséquence d'une
décompensation psychotique grave, qui nécessite davantage encore
une expertise psycho-médicale afin d'identifier d'autres symptômes
voire une éventuelle psychopathologie.
5.4.4 Dans le cadre du déni : vers une
réinvention de la terminologie ?
Devant le déni du déni et la
sévérité accrue des peines appliquées aux
mères plusieurs fois néonaticides - assimilées à
des criminelles en série, les spécialistes du déni de
grossesse souhaitent l'élaboration d'une nouvelle terminologie et de
peines plus adaptées à la situation quelque peu extraordinaire du
néonaticide. Les différents termes pourraient être :
? Le néonaticide, soit le meurtre commis par le parent
sur un nouveau-né, et qui se réfèrerait à toute la
psychopathologie de la grossesse et de l'accouchement, prenant donc en compte
l'extrême vulnérabilité psychique de la femme enceinte et
l'altération ponctuelle de son discernement par le déni, lors de
l'accouchement ;
? Le filicide, comme le meurtre commis par le parent sur
l'enfant, cela à distance de la naissance ;
? L'infanticide, soit le meurtre commis sur un mineur de moins
de quinze ans par une personne ayant autorité.
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 66/89
La question de la peine encourue fait toujours l'objet de
débats animés, qui nécessiterait un traitement au cas par
cas, appuyé sur les connaissances et les observations faites dans les
dernières études.
Ne pas sanctionner reviendrait - nous en convenons
- à participer au déni du déni. Mais sanctionner avec les
moyens juridiques actuels équivaut à oublier
l'irresponsabilité transitoire de la femme en train d'accoucher.
Egalement [...], nous souhaiterions que, en l'absence de violence faite au
nourrisson, le bénéfice du doute s'applique.
[25]
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 67/89
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
6 DENI DE GROSSESSE ET PRISE EN CHARGE
6.1 POURQUOI UNE PRISE EN CHARGE SPECIFIQUE ?
6.1.1 Le déni, signe de souffrance latente
Au cours de nos recherches, il nous est apparu comme
évident que le déni de grossesse était un mécanisme
de protection, symbole de lutte contre une perception traumatisante que la
grossesse tend à faire ressurgir. Pour se préserver d'un conflit
psychique profondément douloureux et déstructurant, la
psyché maternelle a été jusqu'à oblitérer
complètement la notion de grossesse, et ce parfois jusqu'à
l'accouchement. Cette mainmise du psychisme sur le corps humain, soumis et
silencieux, est un signe d'appel criant quant à la souffrance latente
qu'éprouvent ces femmes. La littérature qui ne cesse de
s'enrichir sur le sujet est la preuve qu'il n'existe pas de profil type ou de
portrait-robot de la femme en déni : par conséquent il convient
aux professionnels de s'adapter à chacune d'entre elles, quelles que
soient les origines et les modes d'expression du déni.
6.1.2 Le déni, une répétition
logique
Le déni de grossesse interpelle aussi dans le fait
qu'il est potentiellement reproductible et souvent d'une gravité accrue
d'une grossesse à l'autre. De nombreuses affaires de néonaticides
à répétition dans les médias en sont un exemple
parlant, et selon I. Nisand, tous les cas de néonaticides qu'il a pu
examiner présentaient un parcours obstétrical similaire, avec des
antécédents de déclaration de grossesse tardive, de
déni ou de dénégation de grossesse qui n'avaient alors pas
bénéficié d'une quelconque prise en charge psychologique
[30].
Le fonctionnement psychique obéit à une logique
: s'il n'est pas remis en question, il ne changera pas de lui-même,
d'autant plus s'il est question de réflexes de protection face à
une réalité traumatisante. Si la cause d'un déni partiel
n'est pas envisagée, questionnée, mise en mots et acceptée
lors d'une psychothérapie adaptée, les
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 68/89
mêmes mécanismes de défense se mettront en
place face à une situation similaire ultérieure, telle qu'une
nouvelle grossesse, et plus intensément encore si l'on en croit certains
cas cliniques. [12] [25]
Pour ne donner qu'un exemple, les deux premières
grossesses de Mme Courjault auraient été déclarées
de plus en plus tardivement, sans qu'aucune explication ne soit exigée
par la famille ni donnée au milieu médical. Ses trois grossesses
suivantes, dénis totaux ponctués d'un néonaticide,
interpellent les spécialistes et marquent le risque à banaliser
toute dénégation ou déclaration de grossesse tardive.
Dans cette optique, C. Bonnet et de nombreux autres experts
suggèrent d'accorder la plus grande attention aux femmes en
déclaration tardive de grossesse, mais aussi à celles souhaitant
accoucher sous X et aux demandes d'IVG tardives ou en délai
dépassé, qui pourraient être le signe éventuel d'une
grossesse commencée sous déni partiel.
6.1.3 Le déni de grossesse : un problème de
santé publique
Les études évoquées
précédemment, dont les résultats sont significativement
proches, présentent le déni de grossesse comme un
phénomène non isolé, largement répandu dans tous
les pays et populations étudiés. Trois fois plus fréquent
que les révisions utérines (1/1500) et jusqu'à cinq fois
plus fréquent qu'une crise d'éclampsie (1/2500) [43], le
déni de grossesse constitue plus que jamais un souci de santé
publique : avec une prévalence de 1 sur 500 naissances, on estime sa
survenue à 1600 cas chaque année en France tous degrés de
gravité confondus.
Le phénomène est d'autant plus alarmant qu'il
est universel et touche tous les types de population, qu'il est
sous-estimé par le personnel soignant peu formé, et qu'il peut
donner lieu à d'importantes complications médicales (pathologies
gravidiques non suivies...), obstétricales (fausse-couche tardive, mort
foetale in utero, accouchement inopiné, néonaticide...),
psychiques et sociales (sidération, décompensation psychique ;
exclusion du cercle familial, incarcération...). Selon J. Wessel [43],
il n'est pas d'autre phénomène aussi dangereux et qui soit aussi
peu considéré à l'heure actuelle : bien que le déni
de grossesse n'ait jusque-là pas permis de classification dans le DSM,
il est tout à fait possible d'élaborer une prise en charge
adaptée.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 69/89
6.2 PRISE EN CHARGE ACTUELLE FACE AU DENI DE
GROSSESSE
6.2.1 Prise en charge médicale et sociale
Face à un déni de grossesse tout juste
levé, le premier réflexe en maternité est de
déclencher un plan d'urgence : le dossier médical et
obstétrical est complété au plus vite, dans le but
justifié de rattraper le retard et d'assurer la meilleure prise en
charge possible au cas où une complication serait
dépistée. Au coeur de cette agitation, la patiente se sent
pourtant plus seule et malmenée que jamais : autour d'elle on parle de
foetus, de date de début de grossesse, de sérologies,
d'échographies, mais bien qu'on lui ait déjà dit plusieurs
fois qu'elle était enceinte, elle n'est souvent pas encore apte à
accepter la réalité. « Je suis enceinte puisque vous le
dites », semblent penser certaines, de plus en plus fermées [12].
L'état de sidération qui suit tout lever d'un déni dure
plusieurs heures et souvent même plusieurs jours ; dans l'idéal il
faudrait restreindre tout examen clinique ou paraclinique, et laisser à
cette « nouvelle mère malgré elle » le temps de se
reprendre, de réaliser.
Dans de telles situations où la santé de la
patiente et de son enfant priment avant tout, il est évident qu'il est
difficile d'être efficace sans être interventionniste. Les
professionnels sont souvent partagés entre l'urgence à
protéger le foetus négligé et la nécessité
de laisser à sa mère le temps d'accepter la
réalité. Il serait donc intéressant de faire, pour chaque
patiente et en équipe multidisciplinaire, la balance entre les
bénéfices d'une prise en charge en urgence, les risques encourus
par la grossesse non suivie, et le profit psychologique d'une approche moins
traumatique.
6.2.2 Accompagner le déni : un travail psychique en
accéléré ?
Dans son article « Accompagner le déni de
grossesse : de la grossesse impensable au projet de vie pour le
bébé » [4], Catherine Bonnet pédopsychiatre et
psychanalyste pose les principes d'une prise en charge psychologique du
déni partiel à peine levé.
L'accompagnement d'un déni de grossesse, hors de tout
contexte de psychose, se doit d'être pluridisciplinaire pour
répondre aux différentes facettes des
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 70/89
grossesses déniées : un suivi social et
médical à installer, avec en parallèle un soutien
psychologique adapté et de préférence souhaité par
la patiente.
6.2.2.1 Déni de grossesse : une approche
repensée
L'attitude du thérapeute, même si d'inspiration
psychanalytique, nécessite une certaine réflexion, une remise en
question face au déni de grossesse. Si dans d'autres prises en charge
l'écoute est silencieuse pour ne pas biaiser le discours du patient,
l'écoute de la femme sortante du déni se doit au contraire
d'être active, car le silence est telle une répétition de
ce qu'elles ont vécu. Le premier entretien laisse souvent un sentiment
d'étrangeté chez les professionnels, déstabilisés
par un manque d'émotion chez la patiente qui n'est que l'expression du
déni encore présent.
Souplesse d'esprit, verbalisation des faits, faire montre de
ses émotions sont alors des éléments primordiaux : c'est
enfin face au regard de l'autre, face à son ressenti, que la femme en
déni va pouvoir à son tour mettre des mots, des émotions
sur ce vide psychique et émotionnel qu'elle traverse depuis des mois.
Elle expose les rationalisations qui expliquaient son état («
j'avais grossi mais je mangeais plus que d'habitude », «
j'étais partie en vacances et je pensais que les voyages pouvaient
expliquer mon retard de règles »). Le thérapeute lui
explique ce qu'est le déni, en quoi il la protégeait, et la
déculpabilise de sa non-prise de conscience.
6.2.2.2 Un accompagnement souhaité, au rythme
de la patiente
Il importe avant tout d'installer une relation de confiance,
et pour cela il ne faut pas hésiter à reconnaître les
tourments d'une patiente et à nommer sa détresse, cela avant
même de mentionner l'enfant qu'elle porte. Le but des premiers entretiens
est d'aider la femme à accepter la grossesse comme n'ayant pas d'autre
issue qu'un accouchement ; cela par anticipation d'éventuelles conduites
à risque, favorisées par l'état d'extrême
fragilité psychique dans lequel elle a été plongée
lors du lever du déni.
Dans cette même optique, il faut éviter de parler
trop tôt (dès le premier entretien) de l'enfant. Comme cela a
été traité en début de mémoire, le travail
psychique de la grossesse s'effectue d'abord dans l'acceptation de
l'état d'être enceinte, et seulement ensuite par la
représentation d'un enfant. Il est par conséquent logique
d'attendre d'une patiente jusque-là en déni de suivre le
même cheminement psychique.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 71/89
Il est fréquent que la patiente dans les premiers temps
de ce travail exprime des fantasmes négatifs voire violents à
l'encontre de l'enfant. Impulsifs, d'intensité variable, ils provoquent
en elle un profond sentiment de culpabilité, d'angoisse et voire
même un état de panique, dans la crainte qu'elle a de ne pas
pouvoir se contenir et de passer à l'acte. L'écoute de ces
fantasmes violents lui permet d'évacuer cette colère et ces
sentiments négatifs, qu'on pourrait envisager comme étant
intimement liés à la cause quelle qu'elle soit du déni de
grossesse. La question du compagnon et celle de l'environnement familial sont
également abordées lors de ces entretiens.
6.2.2.3 Garde ou abandon : envisager l'enfant
Une fois que les remaniements psychiques ont pu permettre
l'élaboration puis l'acceptation de l'idée de la grossesse, le
foetus cesse d'être assimilé au vécu traumatique, et peut
enfin être accepté, imaginé. Certaines femmes commencent
à bâtir un projet de vie avec leur enfant, tandis que d'autres
considèrent malgré tout comme impossible un lien avec lui.
La décision est évidente pour certaines, alors
que d'autres tergiverseront ou sembleront en apparence indifférentes -
c'est notamment le cas de mineures ou de très jeunes adultes encore
financièrement dépendantes de leur entourage : la famille peut
alors se sentir obligée de décider à leur place.
D'après C. Bonnet et quelle que puisse être la
situation, il semble primordial pour les professionnels de maintenir à
l'écart leurs propres mouvements émotionnels concernant la garde
de l'enfant, en particulier si la patiente reste ambivalente quant à sa
décision. Il n'est pas approprié, dans le cadre de la relation
soignant-patient, de forcer à créer un lien mère-enfant ou
au contraire de recommander une séparation.
Que les futures mères acceptent de garder l'enfant ou
qu'elles choisissent de le remettre en vue d'une adoption, elles
nécessitent toutes un accompagnement prénatal approprié en
vue de préparer au mieux le moment délicat de la naissance.
C. Bonnet et de nombreux autres spécialistes
recommandent la poursuite du travail psychique après la sortie de la
maternité, en particulier pour celles qui ont vécu un déni
total, qui ont été forcées par leur entourage à
garder l'enfant, ou encore qui s'en
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 72/89
sont séparé avant de se rétracter. Le
travail en réseau avec la Protection Maternelle et Infantile (PMI) prend
tout son sens tant dans le suivi prénatal que dans le post-partum.
6.2.2.4 L'autre en déni : un mot sur le
conjoint
Il a été vu précédemment le
rôle probable que tient le compagnon dans le déni de grossesse.
S'il a participé ne serait-ce que par sa cécité à
la survenue et au maintien d'un tel phénomène, il reste
évident qu'il doit également s'y confronter.
Pour le compagnon qui n'a rien vu, l'annonce de la grossesse
est tout autant synonyme de choc. Cette sidération, proche d'un
morcellement pour certains, s'accompagne de réactions de refus parfois
très violentes de panique, d'agressivité, de peur. Projeté
tout comme sa compagne dans la soudaine perspective d'être parent, il le
vit et le formule volontiers comme « un cauchemar » :
d'autorité une telle situation lui paraît impossible, impensable.
Il faut bien tenir compte de ce « sursaut de déni » comme une
tentative désespérée pour lui de rester lucide face
à la souffrance psychique indicible qu'entraîne la
révélation de la grossesse.
« On peut ne pas voir, mais on ne peut pas ne pas sentir
» [23] : ainsi s'exprime souvent le compagnon, qui prend instinctivement
ses distances avec la notion impensable et angoissante qu'il n'a rien vu venir.
Sidéré, il accuse sa compagne de trahison, de mensonges, elle qui
« a bien dû comprendre, à un moment ou un autre, mais qui n'a
rien dit, rien fait ». L'enfant n'est jamais l'objet de sa haine,
considéré comme innocent ; c'est sa compagne la fautive, celle
« qui lui a volé cette grossesse » qu'il espérait tant
[14] ou qui lui a fait « un enfant dans le dos » [30].
En pré comme en post-natal, il est du devoir du
professionnel de soutenir le père - mais aussi l'entourage - dans cette
épreuve source de sidération massive. Il faut prêter une
oreille attentive à son discours sidéré, et l'informer du
caractère non unique de sa situation. Savoir « qu'ils ne sont pas
les seuls », que le déni existe, qu'il laisse certes des marques
mais aussi et surtout qu'on s'en relève, lui permet de dépasser
la pensée blanche du déni et de se projeter dans cette
paternité imprévue. Tout comme avec la patiente sortante du
déni, il importe d'identifier avec le compagnon les éventuelles
causes d'une telle situation, de l'amener à se poser les bonnes
interrogations, certes douloureuses et à risque d'effondrement de son
propre
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 73/89
fonctionnement psychique, mais primordiales pour
dépasser le déni et éviter la répétition
d'un tel phénomène, ou la minimisation de son importance par
l'entourage.
Malgré ces mesures, le conflit est inévitable -
et semble par ailleurs essentiel pour la résolution du problème
[22]. Mais si certains couples parviennent à dépasser
l'épreuve du lever du déni, d'autres ne se remettent jamais d'un
tel évènement. Le plus souvent dans ces cas précis, le
père rompt toute relation avec l'enfant comme avec sa mère,
incapable de surmonter le sentiment d'incompréhension et de trahison
qu'elle lui inspire.
6.3 ESSAI DE REFLEXION : QUELQUES REPERES DE CONDUITE
FACE AU DENI DE GROSSESSE
La littérature française actuelle s'étant
révélée assez pauvre sur la question d'une attitude
pratique face au déni de grossesse, cet essai de réflexion tient
ses sources de nos propres observations en maternité et de discussions
avec des sages-femmes territoriales ou exerçant en milieu hospitalier,
des médecins, des psychiatres et des psychologues. Cet essai s'inspire
également et à de très nombreuses reprises du dernier
ouvrage en date de Sophie Marinopoulos et Israël Nisand, « Elles
accouchent et ne sont pas enceintes », qui ont consacré au sujet un
chapitre entier au titre parlant : « Aider les femmes ».
Comme les idées présentées dans leur
ouvrage, les lignes de conduite proposées ci-après souhaitent
ouvrir le dialogue, permettre un temps de réflexion entre les
différentes disciplines du monde de la Santé.
« Aussi ne chercherons-nous pas à vous dire
comment faire », écrivent S. Marinopoulos et I. Nisand, « mais
seulement à vous donner quelques repères pour faire cet accueil
dans les meilleures conditions ». [25]
6.3.1 Lever du déni : quels professionnels sont
concernés ?
Curieux paradoxe, il est apparu dans nos observations et la
littérature que les personnes les plus aptes à prendre en charge
le versant psychique du déni de grossesse -
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 74/89
psychiatres et psychologues - sont aussi les derniers à
être mis en contact avec une patiente en déni. A l'inverse, il
semble qu'à l'heure actuelle, ce soit les professionnels les plus
susceptibles de découvrir un déni de grossesse chez une patiente,
qui soient aussi les moins bien formés dans l'appréhension du
phénomène.
Parce qu'une femme en déni consulte souvent au cours de
sa grossesse pour des maux divers qu'elle attribue à d'autres causes,
les médecins généralistes sont en première ligne
mais ne soupçonnent pas toujours l'existence d'une grossesse (1
médecin sur 3 consultés selon l'étude de Denain et
Valenciennes [41]). Les diagnostics différentiels s'avèrent
variés, pouvant aller d'une simple gastroentérite ou des troubles
urinaires, à une suspiscion de kyste rénal, de tumeur ovarienne,
de myome utérin... Le manque d'informations sur le sujet mais aussi les
rationalisations exprimées par les mères semblent y être
pour beaucoup dans ce déni du déni.
Il en va de même pour les spécialistes en
imagerie, à qui le médecin adresse une patiente pour
complément de diagnostic. La visualisation directe de la grossesse,
souvent très avancée, est un véritable choc pour le
praticien comme pour la patiente, qui sans le moindre préavis voit le
déni voler en éclats, avec une violence qui peut égaler
celle d'une prise de conscience à l'accouchement.
Les sages-femmes en consultation de planification familiale ou
en PMI sont aussi concernées, même si les patientes consultent
pour des problèmes peut-être un peu plus ciblés («
Depuis que j'ai changé de contraception, je n'ai plus de
règles/mes règles sont différentes/j'ai pris du poids
», « j'ai des pertes blanches différentes depuis quelques
temps »). Les professionnels du monde de la maternité ont
peut-être plus facilement le réflexe - et le matériel
à disposition - pour vérifier l'existence d'une grossesse, mais
ils se sentent souvent démunis dans leur manque de formation sur le
sujet et, face à la patiente qu'ils soupçonnent de déni,
ne savent pas toujours comment organiser leur approche sans être
brutal.
Tel est le témoignage d'une sage-femme, qui à
l'époque exerçait depuis déjà sept ans lorsqu'elle
avait eu affaire à son « premier » déni de grossesse.
La patiente, une jeune femme de 17 ans venue pour une aménorrhée
de près de 4 mois sous contraception oestroprogestative, n'avait aucun
doute quant à son état, et ne présentait par ailleurs
aucun signe d'appel hormis une légère prise de ventre - qui ne
l'empêchant
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 75/89
pas de porter un jean moulant, était sans commune
mesure avec sa grossesse, estimée par la suite à plus de 6 mois.
La sage-femme, de plus en plus soupçonneuse au fil de son
anamnèse, avait alors directement utilisé un doppler foetal,
« pour être sûre » : à l'entente soudaine des
bruits du coeur foetal, la patiente avait fondu en larmes, partagée
entre l'infondé d'une telle situation (« c'est pas possible »)
et le bruit retentissant du coeur de son enfant.
Parce que le déni de grossesse est
considéré - à tort nous l'avons vu - comme un
phénomène rarissime, les professionnels les plus à risque
d'avoir à y faire face ne sont pas ou peu formés à le
reconnaître et à le dévoiler. Dans cette absence de
formation et d'informations, c'est peut-être bien le déni de la
vie psychique de la femme enceinte qui transparaît, déjà
évident dans notre pratique actuelle où la grossesse psychique
est sous-estimée dans son importance et son ambivalence. [22]
D'après le témoignage de la sage-femme
précitée, qui avec le recul et l'expérience avait pris
conscience de la violence de son geste, il apparaissait nécessaire et
même urgent que tous les professionnels soient sensibilisés
à la reconnaissance du déni et à une approche aussi douce
que possible.
6.3.2 Sage-femme, médecin généraliste
: face au déni partiel, que faire ?
6.3.2.1 « Encadrer » le lever, «
accompagner » la sidération
Face à une patiente qui consulte pour un symptôme
non spécifique mais qui, au fil de l'anamnèse, paraît de
plus en plus suspecte, il est souvent difficile d'aborder la situation dans le
calme. Pour certains il est parfois même utopique de prendre son temps
quand on connait tous les risques que peut encourir une grossesse
avancée jamais suivie.
Dans l'idéal, lorsque les premiers soupçons
surviennent au cours de la consultation, il conviendrait de diriger
l'interrogatoire sans pour autant être péremptoire ni
culpabilisant : depuis quand ressent-elle ces signes qui l'ont conduite
à consulter, n'y en aurait-il pas d'autres qu'elle n'aurait pas
mentionnés ? La patiente est-elle sous contraception ? A-t-elle eu des
rapports sexuels au cours des derniers mois ? D'une manière ou d'une
autre (absence ou refus de contraception, oubli ou retard de prise de
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 76/89
pilule, gastro-entérite ayant entraîné des
vomissements et la non-absorption de sa pilule, doute quant à la
contraception locale utilisée), ces rapports auraient-ils pu être
fécondants ? Sachant cela, n'y aurait-il pas une
éventualité pour elle d'être enceinte ? Souhaite-t-elle
s'en assurer ici, avec l'appui du professionnel ?
L'intérêt de ce exemple d'interrogatoire -
très théorique et schématique il est vrai - ne
répond qu'à un seul principe qu'il faudrait idéalement
garder à l'esprit en toute circonstance : ne pas devancer la personne
dans son raisonnement. Dans le processus lent et difficile visant à
faire tomber le déni, il faut aider la patiente à se poser les
bonnes questions, l'amener à cheminer pas à pas dans la bonne
direction, en bref exécuter avec elle les prémices de son travail
psychique jusque-là entravé : formuler
l'éventualité que « oui, elle pourrait bien être
enceinte ».
Il faut cependant rester réaliste : même dans les
meilleures conditions d'accompagnement le lever du déni reste synonyme
de sidération et de profonde détresse psychique. Tous les
professionnels se doivent alors d'être présents, à
l'écoute et bienveillants, enveloppants, mais certainement pas
moralisateurs ou incrédules ; il est pour certains spécialistes
question d'abandonner quelque peu l'attitude du « soignant qui sait
», pour davantage montrer à cette patiente une émotion face
à ce qui la submerge et l'étouffe, mentionner peut-être
notre manque de savoir et justement s'ouvrir à ce qu'elle vit, affirmer
qu'on veut comprendre et travailler avec elle dans ce but ; montrer nos
émotions tout en restant doux et mesuré, pour qu'elle puisse
à partir de là construire ses propres ressentis, combler le vide
drastique de pensées et d'émotions qu'a entraîné le
déni. Avant tout il faut la croire, car c'est en acceptant
l'inacceptable qu'elle pourra à son tour s'y résigner, qu'elle
pourra confier son mal-être à autrui, reprendre pied face à
la sidération et enfin penser l'inconcevable : le fait qu'elle est
enceinte.
Dans tous les cas de figure, si la révélation
n'a pas lieu dans une structure médicale pouvant directement prendre en
charge la grossesse non suivie, il est primordial de ne pas laisser repartir la
femme sans un minimum de précautions : mortifiée, en pleine
confusion suite à ce lever brutal du déni, submergée par
l'angoisse voire la honte face à l'idée d'avoir
négligé cette grossesse, elle risque de répéter les
mécanismes de clivage psychique qui jusque-là la
protégeaient de sentiments
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 77/89
insupportables, et ainsi replonger dans le déni. En
outre, il a déjà été vu l'état psychique
instable engendré par le lever du déni : un passage à
l'acte étant à craindre, il ne faut pas hésiter à
faire venir un proche que la grossesse n'implique pas personnellement - a
fortiori une amie - afin de lui expliquer posément la situation, pour
que cette personne puisse ensuite épauler la patiente, l'accompagner
dans cette épreuve et surtout s'assurer qu'elle ne retombera pas dans le
mécanisme délétère du déni une fois le
professionnel de santé quitté. [29]
6.3.2.2 Après le déni partiel : une
vision pratique de
l'accompagnement
Une fois le déni levé, l'urgence est de cadrer
cette grossesse physique jamais suivie et qui, souvent, est marquée de
facteurs de risque surajoutés, dus au comportement de la mère en
déni (prise de médicaments contrindiqués, pratique
intensive de sport ou comportements à risque, consommation d'alcool
voire de stupéfiants...). Dans cette optique de « rattraper le
temps perdu », la patiente rencontre dans les heures voire les jours qui
suivent une multitude de professionnels différents : sages-femmes,
médecins anesthésistes, gynécologues obstétriciens,
internes, pédiatres, échographistes, psychiatres, psychologues,
infirmières, assistantes sociales... Autant de personnes à qui
elle doit s'adapter, de gens qu'il faut à chaque fois informer - voire
parfois convaincre - de la situation, ce qui très certainement surajoute
au caractère déjà profondément déstabilisant
de sa condition.
En pratique, pour limiter l'impression
délétère de cette prise en charge nécessairement
pluridisciplinaire et multi-professionnelle, il serait intéressant de
prévoir dans le protocole d'urgence l'assignation d'un
référent, qui accompagnerait à temps plein la patiente
dans son parcours médical accéléré, au moins dans
les premiers temps du lever. Ce professionnel pourrait suivre cette patiente
d'un rendez-vous à un autre au sein de la structure hospitalière,
constituerait ainsi un appui par sa présence récurrente et
pourrait par ailleurs installer une relation de confiance complémentaire
à celle créée avec le psychologue/psychiatre. En faisant
le lien entre les différents intervenants, il épargnerait aussi
à la patiente la difficulté d'exposer son dossier à chacun
et permettrait ainsi une prise en charge moins brutale, plus adaptée,
peut-être même plus rapide et efficace.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 78/89
Après réflexion, il nous est apparu qu'une
sage-femme serait le professionnel le mieux indiqué pour cette
tâche, cela en raison de ses compétences générales
et multiples en gynécologie-obstétrique,
anesthésie-réanimation et pédiatrie, mais aussi en regard
de ses connaissances en psychologie et d'une certaine empathie acquise avec
l'expérience. Il serait évidemment nécessaire d'avoir
préalablement formé cette sage-femme, même sommairement,
à l'approche et à l'accompagnement particulier que
nécessite un déni de grossesse. Elle travaillerait ainsi en
collaboration avec le psychothérapeute - psychologue ou psychiatre -
accompagnant la patiente, et constituerait également un lien
précieux avec l'équipe de PMI et les professionnels
extérieurs à la structure hospitalière.
6.3.2.3 Suivi en extérieur : le rôle
privilégié de la PMI
Une fois la grossesse cadrée en milieu hospitalier, il
est nécessaire d'organiser un suivi en hôpital de jour si les
conditions l'exigent - pathologie maternelle ou foetale - et sinon à
domicile par les services de Protection Maternelle et Infantile. En
collaboration avec l'équipe pluridisciplinaire, la sage-femme
territoriale propose des rendez-vous à une fréquence
régulière, généralement plus rapprochés si
la grossesse est déjà bien avancée, et dans un milieu
neutre de préférence (bureaux de la PMI). Plus qu'une
surveillance, ce suivi doit être accepté et avoir valeur de
soutien psychique et moral pour la patiente. La sage-femme territoriale ou
libérale exerçant en partenariat avec l'équipe de PMI,
procède à une surveillance clinique régulière ;
elle peut ainsi aborder pas à pas les aspects pratiques de la fin de
grossesse, de la naissance et de l'accueil du nouveau-né, de son retour
à domicile si la future mère souhaite le garder. Par son regard
sur l'entourage, l'environnement familial et sur la situation
socio-économique et affective de la patiente, elle permet une prise en
charge complète et globale incluant tous les acteurs de la PMI, soit un
accompagnement en lien direct avec celui en milieu hospitalier exposé
plus tôt.
6.3.3 Déni total : le lever en salle de naissance
[25]
L'arrivée d'une femme en déni et sur le point
d'accoucher est peut-être l'une des images les plus emblématiques
du phénomène, mais aussi l'une des plus inquiétantes pour
le personnel en maternité.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 79/89
Il importe avant tout et quelle que soit la situation, de
garder à l'esprit que cette femme ne se sait pas enceinte, et a encore
moins l'idée qu'elle va donner naissance à un enfant. Comme dans
tout ce qui a été dit précédemment, il convient
pour le professionnel - a fortiori la sage-femme - de se faire disponible,
contenant, enveloppant avec cette femme que la douleur et la stupeur morcellent
littéralement. Dans la mesure du possible, se présenter,
expliquer qui on est et que l'on va s'occuper d'elle pendant les quelques
heures du travail permet de poser les choses, d'établir un début
de relation tout en incluant quelques notions de temporalité - certaines
patientes étant persuadées qu'elles vont repartir tout de suite.
[25] [36]
Dans ces situations d'urgence plus ou moins relative, il est
difficile mais pourtant primordial de surveiller ses mots : il est possible et
même nécessaire de pratiquer les gestes habituels - examen
clinique, pose d'un monitoring silencieux - mais avec douceur, en expliquant ce
qu'on fait mais en évitant tout propos pouvant inclure l'enfant, tel que
« le bébé va bien » ou « je sens sa tête, il
est encore haut ». Les mots « accouchement » ou « naissance
» n'ont pas lieu d'être dans la conversation et seront inclus plus
tard ; pour le moment c'est la patiente seule qui compte, son état
d'être, ses sensations. Il faut relativiser, se montrer bienveillant et
à l'écoute, dire « qu'on a encore du temps ». [25]
Si la patiente est sur le point d'expulser, il faut
l'accompagner dans sa douleur, l'envelopper de nos gestes et toujours avec des
mots neutres pour la garder consciente dans cette épreuve : « je
vais vous demander de m'aider et de retenir votre respiration pour pousser
» [25]. Décrire ce que l'on fait donne du sens à cette
situation impensable et incohérente, et préserve cette femme de
sombrer dans la panique du moment. [36]]
Il est nécessaire, au long des quelques heures
fastidieuses qui entourent un lever du déni en salle de naissance, de
garder un contact verbal enveloppant et le plus continu possible [25]. Comme le
travail psychique au cours de la grossesse normale, c'est par les mots et les
sensations que la future mère met en images ce qui lui arrive, et c'est
seulement avec l'aide du professionnel qu'elle continuera de penser, ne perdra
pas pied, ne sera pas submergée par la douleur, la sidération et
le déni.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 80/89
C'est un accompagnement psychique et physique
éprouvant, difficile à mettre en place et qu'il faut
impérativement adapter à chacune. C'est dans ce climat que la
patiente peut le plus facilement exécuter le travail psychique
accéléré et peu à peu se projeter dans la
grossesse, envisager l'évènement de la naissance, ébaucher
son rôle nouveau de mère face à un enfant enfin réel
et existant dans sa conscience.
6.3.4 Accueil du nouveau-né en salle de
naissance
Avec l'enfant surgit le réel, et les réactions
de la mère face à lui peuvent être aussi variées que
surprenantes, allant de l'envie spontanée de « le » voir
jusqu'au refus systématique. Encore une fois il est important de faire
preuve d'une extrême souplesse face à cette patiente, de rester
ouvert d'esprit et de ne pas hésiter à formuler les
différentes possibilités qui s'offrent à elle :
souhaite-t-elle le voir tout de suite ? Ou bien préfère-t-elle
rester seule ? Veut-elle qu'on le pose sur son ventre ?
Il ne faut pas forcer le contact immédiat entre la
mère et son enfant. Cependant, tant qu'il n'y a pas de symptômes
graves de dissociation psychique ni de psychopathologie sévère -
antécédents de psychose, etc... - la séparation par «
crainte du néonaticide » est rigoureusement
déconseillée, qui plus est infondée si la patiente est en
confiance et contenue par toute l'équipe. [36]
Rappelons que cet essai se base sur quelques sources de
littérature [25] [20] [36] et sur de nombreuses discussions avec les
professionnels ayant déjà eu affaire à ce genre de
situation. Cet écrit ne veut que proposer un état d'esprit,
ouvrir un espace de réflexion sur la prise en charge des patientes en
déni. Comme dans tout ce qui touche à la maternité
psychique, il n'y a guère de protocole ou de recette à suivre :
le temps de la naissance représente déjà pour la
mère consciente de sa grossesse un haut risque de décompensation
; face à la patiente en déni, le professionnel et en particulier
la sage-femme, élément pilier en salle d'accouchement, doit faire
preuve de davantage encore de souplesse et d'adaptation, pour un accompagnement
psychique et physique en douceur tandis que le déni se lève, et
que l'enfant nait à sa conscience.
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 81/89
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
6.4 EN POST-PARTUM
6.4.1 Le séjour en maternité -
Propositions
Dans la même logique qu'en salle de naissance,
l'accompagnement en suites de couches se doit d'être un soutien et non
une surveillance. La patiente, qui souvent se sent déjà fortement
coupable de par le fait qu'elle a ignoré son état pendant des
mois, ne doit pas percevoir l'entourage professionnel comme envahissant ou
méfiant, mais au contraire sincère, honnête, davantage
à l'écoute et ouvert à la discussion.
Dans le souci d'établir une relation d'écoute et
de confiance plus que nécessaire dans ce contexte, il est apparu comme
intéressant de réserver une chambre seule à ces patientes,
pour favoriser leur intimité et éviter de les culpabiliser par la
présence d'une voisine qui elle, a su reconnaître sa grossesse. Si
plusieurs sages-femmes sont présentes dans le service, il paraît
sensé que la patiente n'ait affaire qu'à une seule d'entre elles
et toujours la même, dans le même objectif de favoriser le
dialogue. Cette sage-femme, disponible, attentive, sensibilisée à
sa situation et si possible formée à la prise en charge du
déni, constituerait là aussi le lien avec les autres
professionnels (pédiatre, médecin, PMI...).
Que la patiente ait choisi de garder son enfant ou soit dans
un projet d'abandon, un accompagnement par un psychologue devrait être
proposé dès le début du séjour, et permettrait
ainsi de commencer un travail d'analyse de ce qui a pu causer le déni de
grossesse. Dans l'idéal, afin de préparer au mieux le retour
à domicile et d'éviter que le déni ne se reproduise, le
thérapeute devrait également proposer ses services à
l'entourage, à l'éventuelle fratrie et en particulier au
conjoint, qu'il pourrait voir en consultation particulière et/ou avec sa
compagne.
Le séjour en maternité est d'une importance
prédominante, car il permet d'évaluer l'établissement du
lien mère-enfant, de conseiller et d'aider la patiente comme n'importe
quelle autre dans la réalisation des soins au nouveau-né ou dans
la mise au sein. Fréquemment on observe deux mouvements distincts dans
les interactions mère-enfant : une certaine « boulimie »
maternelle dans sa relation à l'enfant, comme dans l'espoir de «
rattraper le temps perdu », ou à l'inverse une forme de distance.
Dans un cas comme dans l'autre la patiente nécessite un soutien de
réassurance. [24]
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 82/89
C'est par l'observation objective et discutée entre
professionnels qu'il faudrait repérer d'éventuels signaux
d'alerte ou un comportement maternel potentiellement agressif envers l'enfant
[16], et déterminer si des actions doivent être mises en place au
sortir de la maternité (signalement, mesures judiciaires, aides
sociales...).
Par ailleurs, la question de la contraception doit être
abordée au plus tôt, et avec davantage d'attention si une
éventuelle erreur de contraception semble être à l'origine
du déni de grossesse : une adaptation du moyen de contraception ainsi
que des informations complémentaires sont à prodiguer.
6.4.2 Retour à domicile
Si la relation mère-enfant est évaluée
comme satisfaisante - cas le plus fréquent - le retour à domicile
avec l'enfant est souhaité. Un suivi en rapport avec les observations
faites en maternité est vivement conseillé, par une
puéricultrice de la PMI ou par la psychologue. Cependant un suivi au
long cours de ces femmes n'est en pratique que rarement possible : une fois
retournées dans leur famille, beaucoup d'entre elles prennent leurs
distances avec le monde médical, sans pour autant que des
dysfonctionnements ou violences à l'enfant ne soient signalés
dans les mois ou les années qui suivent [17].
6.5 DEVENIR DU COUPLE MERE-ENFANT : D'APRES UNE ETUDE
DE L'AFRDG [17]
Lors du 3e colloque français sur le
déni de grossesse, Isabelle Jordana, cadre de santé officiant
pour l'Association Française pour la Reconnaissance du Déni de
Grossesse, a présenté une étude menée sur les dix
dernières années, basée sur une centaine de questionnaires
remplis par des patientes ayant fait un déni, partiel ou total.
L'enquête visait en particulier à évaluer leur vécu
à long terme de leur déni, de leur prise en charge par le
système de santé, et de leur situation actuelle vis-à-vis
de leur entourage ou de l'enfant concerné.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 83/89
6.5.1 Les dénis levés avant 6 mois, «
moins traumatiques »
D'après les données recueillies, les
dénis de grossesse levés avant 6 mois sont apparus comme les
« moins traumatiques » : la révélation, source de choc
et de panique, est cependant plutôt bien acceptée par la suite par
la patiente comme par sa famille, dont la présence et le soutien
permettraient une récupération plus facile. La relation
mère-enfant s'établit de manière le plus souvent
spontanée, dans les heures voire les jours qui viennent.
6.5.2 Les dénis levés après 6
mois
Les dénis de plus de 6 mois s'avèrent plus
difficiles à accepter, et plus il est levé tard, plus le choc est
grand : les cris et les pleurs sont majorés, la peur d'être
quittée, traitée de folle ou de menteuse est plus marquée.
Huit patientes sur dix acceptent pourtant la fin de la grossesse comme la
majorité de leurs familles. Plus de la moitié de ces femmes
tissent une relation mère-enfant dans les jours qui suivent la
naissance. Une patiente sur dix avoue ne pas s'être remise de leur
déni même des années après, et 20 à 30%
d'entre elles cumulent les moyens de contraception dans la crainte de revivre
pareille situation. Quelques-unes ont préféré « ne
plus se souvenir de tout ça » et ont même coupé les
ponts avec leur entourage.
6.5.3 Le déni total levé à
l'accouchement
Il est synonyme d'après les réponses d'une
très grande souffrance psychique, parfois encore d'actualité si
la femme est livrée à elle-même dans sa reconstruction.
Aucun abandon n'a été répertorié, même si un
quart des interrogées confie qu'elles l'avaient envisagé. Le
père, se sentant trahi et trompé, a parfois quitté le
foyer familial. Une thérapie familiale peut être envisagée,
et plus tard les explications données aux enfants du déni
permettent souvent une croissance satisfaisante.
Dans les cas de déni total avec mort du
nouveau-né, les questionnaires sont souvent revenus vierges, comme en
signe d'une incapacité à se souvenir ou à en parler. Le
déni semble être levé jusqu'à des mois voire des
années après le drame, et l'intervention judiciaire ainsi que
l'incarcération paraissent aggraver encore le traumatisme, contrairement
à Blanche Massari qui avait observé l'intervention judiciaire
comme ayant un rôle expiatoire et psychothérapeutique pour la
patiente néonaticide.[28]
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 84/89
6.5.4 Quelques constantes relevées par
l'étude
La récupération semble beaucoup plus facile et
rapide si la grossesse suivante a été conscientisée,
certaines femmes ayant le sentiment « d'enfin comprendre ce qui
s'était passé » seulement après avoir de nouveau
enfanté dans des conditions normales.
Dans la plupart des cas, la mère expérimente une
véritable relation fusionnelle avec son enfant, bien que très peu
d'enfants du déni semblent informés de leur histoire.
Parmi les réponses envoyées, aucune femme n'avait
eu recours à l'abandon.
La prise en charge psychologique est rarement proposée
dès la maternité, ce qui semblait décevant pour certaines
patientes. De même, il est apparu comme nécessaire d'organiser des
espaces et des temps de rencontres à distance du déni entre les
femmes qui en ont été les victimes. Si parler de leur vécu
semble difficile, cela leur permettrait souvent de dépasser pleinement
cette expérience, de la comprendre et de l'accepter, pour la reprise
d'une vie plus sereine et évolutive. [1]
6.5.5 Un lien entre déni de grossesse et
maltraitance ?
C. Brezinka ainsi que ses collaborateurs ont mené une
étude [12] [16] sur le devenir de quatre enfants, deux ans après
que leur mère ait accouché à terme après un
déni total de grossesse. Trois des quatre enfants vivaient avec leur
mère et la relation mère-enfant était
évaluée comme tout à fait satisfaisante. La notion du
quatrième enfant confié à ses grands-parents afin de
permettre à sa mère de se réaliser sur le plan
professionnel, n'avait pas été commentée. De même,
J. Wessel dans son étude sur les maternités de Berlin [43] en a
tiré des conclusions similaires : sur les 66 cas analysés, 77%
des enfants et 50% des jumeaux étaient élevés par leurs
parents, contre 15% remis à l'adoption. Cette étude ne faisait
cependant pas une analyse ciblée de la relation mère-enfant dans
les situations observées.
Le préjugé de la mère abandonnique dans
le déni de grossesse semble donc erroné d'après ces
observations.
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 85/89
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
7 VERS UNE IDEE DE PREVENTION
7.1 FORMER LES PROFESSIONNELS
Les psychologues et psychiatres sont déjà
pleinement formés à l'accompagnement du déni de grossesse.
Dans le but de favoriser la reconnaissance et la prise en charge
multidisciplinaire du phénomène, il serait intéressant
d'élargir cette formation à tous les professionnels susceptibles
d'y avoir affaire dans l'exercice de leurs fonctions : sages-femmes titulaires
et étudiants, médecins généralistes et internistes,
spécialistes de l'imagerie, internes en médecine,
gynécologues obstétriciens mais aussi les métiers de
l'urgence : pompiers, ambulanciers, personnel des services d'urgence...
Sans avoir à être aussi complète que la
formation des psychothérapeutes, cette formation pourrait prendre
différentes formes : réunion d'informations, circulaires [5],
exposés suivis de discussion et/ou de présentation de cas
cliniques, articles dans la presse médicale [9] [19], formation continue
sur le déni de grossesse...
L'un des objectifs principaux de ces formations serait avant
tout la reconnaissance de l'existence et de la gravité potentielle du
déni par un maximum de professionnels, pour d'une part une prise en
charge plus efficace, et d'autre part une connaissance peu à peu plus
précise, moins médiatisée du déni par le grand
public.
7.2 IDENTIFIER LES SITUATIONS A RISQUE
Au vu des risques nombreux et pour certains dramatiques qu'il
entraîne, il est désormais important d'élaborer des mesures
de prévention face au déni de grossesse. Cependant,
prévoir un tel phénomène, si complexe et si polymorphe
d'une patiente à l'autre, tient peut-être de l'utopique, sans
oublier que se fier à des repères de signalement pourrait dans ce
contexte ouvrir la porte à des dérives non souhaitables ; un
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 86/89
usage abusif du terme, lourd de sens d'une part, risquerait de
plus d'entraîner une banalisation du phénomène.
Néanmoins, d'après les études et les
observations précédentes, il est apparu trois signes
récurrents du déni de grossesse [25], qui pourrait permettre la
détection d'un contexte clinique susceptible de s'aggraver en l'absence
de mesures adéquates :
? La déclaration tardive de grossesse, qui est
la plus fréquemment retrouvée dans les antécédents
des femmes en déni et qui, d'une certaine manière, pourrait
déjà constituer une forme de déni partiel ; sa survenue
doit donc interpeller le professionnel et devrait donner lieu à une
prise en charge non plus uniquement sociale, mais aussi psychique avec la
proposition d'une discussion avec un psychologue ;
? La demande d'interruption volontaire de grossesse
tardive, soit entre 13 et 14 semaines d'aménorrhée, et plus
précisément lorsqu'elle est la conséquence d'une
découverte récente et tardive de cette grossesse ; cette
situation d'urgence ne doit pas empêcher les professionnels et la
patiente de s'interroger sur les raisons d'une prise de conscience aussi
tardive, jamais anodine selon les spécialistes, qui peut être la
conséquence d'un manque de perception de son état d'être et
donc l'amorce d'un déni partiel ;
? Un voire plusieurs antécédents de
déni, d'accouchements en urgence ou inopinés à
domicile, dans un contexte de suivi de grossesse difficile ou inexistant,
sans prise en charge psychologique proposée en post-partum.
Chacune de ces situations devrait interpeller le professionnel
et l'amener à se questionner avec la patiente sur les raisons profondes
de telles manifestations. Il en va de même pour les demandes
d'interruptions volontaires de grossesse à terme dépassé,
les accouchements sous X (pourquoi mener la grossesse à terme ? Une IVG
avait-elle été demandée ?). Dans cette optique de
recherche et de prévention, les entretiens prénataux
précoces, dans le cadre de la grossesse de découverte tardive,
pourraient constituer un élément de vigilance et de
dépistage intéressant, d'où l'intérêt
d'informer le professionnel sur le déni de grossesse.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 87/89
8 CONCLUSION
Décrit depuis des siècles dans la
littérature médicale, le déni de grossesse ou « le
fait d'être enceinte sans avoir conscience de l'être », est un
problème ni récent ni même rare : selon les études
retrouvées, il toucherait à divers degrés entre 1600 et
2000 femmes chaque année en France. Qu'il soit peu connu et reconnu
jusque parmi les professionnels de santé, fait de ce
phénomène un problème de santé publique qui ne
cesse de prendre de l'ampleur. Facteur de risque de complications
médicales et obstétricales, le déni même dans ses
formes les plus « bénignes » marque durablement les familles
et les esprits, par la découverte sidérante d'une grossesse que
nul n'avait soupçonnée - quand ce n'est pas le drame du
néonaticide qui devient révélateur du déni.
L'affaire « des bébés congelés
», diffusée à outrance par la presse à sensations,
aura cependant eu l'avantage de faire connaître le déni de
grossesse : la dernière décennie a été riche en
prises de conscience, et si le phénomène se résume encore
fréquemment au néonaticide dans les mentalités,
néanmoins son existence - comprise ou non - est désormais
familière du grand public. De même, une telle médiatisation
a déjà conduit de nombreux professionnels de tous horizons
à se pencher, pour leur culture personnelle ou dans le cadre
d'études épidémiologiques, sur le phénomène
jusque-là ignoré du déni de grossesse.
Parce qu'il bouscule notre imaginaire collectif et touche
à l'affectif de chacun, le déni de grossesse remet en question
notre perception même de la maternité. Avant toute chose, il
serait important de prendre en compte dans nos pratiques l'importance de la
grossesse psychique, gestation non pas seulement plaisante et signe
d'épanouissement, mais ambivalente et source d'angoisses.
Pour toute femme la grossesse est un moment d'ouverture
vis-à-vis de son passé, de ses conflits et de ses traumatismes.
L'essence même du déni provient de ce caractère puissant de
crise maturative, et pour celle qui ne peut affronter ces souffrances
psychiques latentes sous peine de voir sa psyché s'effondrer,
l'effacement et l'oubli constituent une solution irrationnelle mais salvatrice.
Telle est peut-être la notion la plus importante à retenir de cet
exposé : le déni de grossesse est un véritable
mécanisme de défense inconsciente, face à la souffrance
muette et indicible que symbolise la gestation
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 88/89
ou l'enfant qu'elle implique. Quelles que puissent être
l'avancée de la grossesse en question ou l'attitude de la patiente
à l'égard de son enfant, il est primordial de garder à
l'esprit ce concept de souffrance : la femme en déni a besoin d'aide,
d'écoute, d'expressions et d'émotions que son entourage n'a
malheureusement pas pu lui fournir. À elle qui a vécu pendant des
mois voire des années dans une profonde solitude psychique,
l'équipe soignante doit fournir un appui, une oreille attentive et avant
tout l'assurance qu'on la croit, qu'elle n'est plus seule face à sa
souffrance bien réelle ; qu'il est important pour son entourage, pour
son enfant et avant tout pour elle et son bien-être futur, de
comprendre comment et pourquoi elle en est arrivée là.
Déclaration de grossesse tardive, demande d'IVG en
urgence ou encore antécédent d'accouchement inopiné
à l'issu d'une grossesse non suivie, le moindre signe évoquant le
déni chez une patiente doit désormais alerter le professionnel de
santé. Parce que le déni de grossesse est un
phénomène encore mystérieux et déroutant,
polymorphe dans ses expressions, il requiert tact, sensibilité ainsi
qu'une adaptation et une remise en question de tous les instants. Cela incombe
de former les étudiants à la prise en charge d'un pareil
symptôme, d'informer les professionnels déjà
expérimentés de l'existence d'un tel mécanisme de
défense et des manières les plus adaptées - ou à
défaut les moins traumatisantes - d'appréhender un sujet aussi
sensible que celui qui conduit une femme à nier sa propre grossesse.
A la lumière des récentes études, il est
aujourd'hui nécessaire d'adapter nos connaissances et nos conduites en
tant que soignants. Le déni est un symptôme psychique qui se
répercute sur tous les versants de la grossesse, physique, intime et
social : il nécessite donc l'action concertée de tous les
professionnels, des mesures adaptées, discutées et
confirmées par chaque discipline médicale ou paramédicale.
De par son rôle prépondérant dans le monde de la
maternité, la sage-femme pourrait être l'un des interlocuteurs
privilégiés et récurrents face à la patiente,
devenant en partenariat avec le psychothérapeute le pilier d'une prise
en charge qui mobiliserait chaque acteur en
gynécologie-obstétrique, pédiatrie,
anesthésie-réanimation, psychologie et psychiatrie, assistance
sociale...
Le suivi idéal et pluridisciplinaire commence
dès la révélation de la grossesse, accompagne le
cheminement psychique et physique de la future mère, enveloppe les
instants critiques de l'accouchement et du post-partum immédiat, et
se
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 89/89
poursuit longtemps après la naissance, dans un soutien
au lien mère-enfant et dans la compréhension - et même le
dépassement - de ce qui a fait le lit du déni.
Pour toutes ces femmes en qui la grossesse a
révélé un mal-être profond et ignoré de tous,
un accompagnement réfléchi et serein est primordial. Il faut
songer désormais à organiser et planifier «
l'après-déni » dans le cadre de nos compétences, afin
de leur permettre de dépasser leur souffrance, de transformer les
cicatrices du déni en appuis forts pour l'avenir.
Avec, pour objectif final, la possibilité pour ces
patientes de se reconstruire.
Le déni de grossesse Mémoire
2012
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sage-Femmes de Nice page I
Le déni de grossesse Mémoire
2012
BIBLIOGRAPHIE
1. AFRDG, Déni de grossesse : 99 histoires vécues.
Amalthée, 2010, 204p.
2. Bailly E. Le déni de grossesse. Mémoire pour
l'obtention du diplôme d'état de sage-femme, Paris 5e Ecole
René Descartes, 2001, 87p.
3. Bardou H., Vacheron-Trystram M.N., Cheref S. Le déni
en psychiatrie. AMEPSY. 2006 ; 164 : 99-107
4. Bonnet C., Accompagner le déni de grossesse : de la
grossesse impensable au projet de vie pour le bébé. Perspectives
Psychiatriques. 2002 ; 41 ; 3 : 189 - 194
5. CASSF, Réflexion du CASSF : le déni de
Grossesse. Paris, 12 mars 2010
6. Courjault J., Je ne pouvais pas l'abandonner : Le choix de
comprendre. Paris, Michel Lafon, 2010, 247p
7. Darchis E., Déni de grossesse : la part des
ancêtres. Le Divan familial. 2007 ; 18 : 105-121
8. Dayan J., Approches théoriques du déni de
grossesse. 3e Colloque français « Regards Croisés sur le
Déni de Grossesse ». UPEC, 24 novembre 2011
9. Deleuze I., Le déni de grossesse :
réalité ou intox ? GYOBFE. 2009 ; 37 : 964
10. Godeau E., Déni de grossesse chez l'adolescente. 3e
Colloque français « Regards Croisés sur le Déni de
Grossesse ». UPEC, 24 novembre 2011
11. Gorre-Ferragu A., Le déni de grossesse : une revue de
littérature. Thèse de médecine, Rennes, 2002, 82p.
12. Grangaud N., Description clinique et essai de
compréhension physiopathologique. Thèse de médecine, Paris
VII, 2001, 138p.
13. Grangirard C., Le déni de Grossesse, Une
réalité encore ignorée mémoire. Mémoire pour
l'obtention du diplôme d'état de Sage-Femme. Nancy, 2010, 92p.
14. Guernalec-Levy, G. Je ne suis pas enceinte. Paris, Stock,
2007, 258p
15. Henry A., Un témoignage clinique à propos des
mères infanticides. Perspectives Psy. 2007 ; 46 : 135-140
16. Hingue J. Le Déni de Grossesse : à propos de
16 cas et d'une revue de littérature. Mémoire pour l'obtention du
diplôme d'état de sage-femme, Paris 5e Ecole René
Descartes, 2009, 114p.
17. Jordana I., Prendre soin... longtemps après. 3e
Colloque français « Regards Croisés sur le Déni de
Grossesse ». UPEC, 25 novembre 2011
18. Lansac J., O'Byrne P., Masson M. Le déni de
grossesse. Profession Sage-Femme. 2011 ; 177 : 20-24
19. Legendre, N. Le déni de grossesse, un
phénomène encore trop méconnu. SPSY. 2009 ; 265 : 12
20. Libert M., Comment accompagner un déni ? 3e Colloque
français « Regards Croisés sur le Déni de Grossesse
». UPEC, 25 novembre 2011
21. Marciano P., Préambule : L'amour maternel au pluriel.
Spirale, 2001 ; 18 : 9-17.
22. Marinopoulos S., De l'impensé à l'impensable
en maternité : Le déni. Champ psychosomatique. 2009 ; 53
:19-34
23. Marinopoulos S., Etre parent et les nouvelles
parentalités, 22e Journées Nationales de l'ANSFT. 13 mai 2011
24. Marinopoulos S., Le déni de grossesse et ses
manifestations psychiques. Mises à jour en Gynécologie et
Obstétrique et techniques chirurgicale. 2010 ; 24 : 159-168
25.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sage-Femmes de Nice page II
Marinopoulos S., Nisand I. Elles accouchent et ne sont pas
enceintes. Brignon, Les Liens qui Libèrent, 2011, 229 p.
26. Marinopoulos S., Nisand I., Elles accouchent et ne sont
pas enceintes. 3e Colloque français « Regards Croisés sur le
Déni de Grossesse ». UPEC, 24 Novembre 2011
27. Massari B., Accompagnement vers une autre grossesse
après infanticide, Perspectives Psy. 2007 ; 46 :141-145.
28. Massari B., Intérêt de l'accompagnement du
déni de grossesse : à propos de deux observations après
infanticide puis une nouvelle naissance. Rôle de l'implication ou non de
la justice. Perspectives Psychiatriques. 2002 ; 41 ; 3 : 208 - 216
29. Nisand I., Déni de grossesse - Le témoignage
d'Isabelle Moulin. Conférence enregistrée au Pôle de
Gynécologie obstétrique de l'Hôpital de Hautepierre.
Strasbourg, 22 mai 2009, 55 minutes
30. Nisand I., Naître aujourd'hui, 22e Journées
Nationales d'Etudes de l'ANSFT. Nancy, 13 mai 2011
31.
Nouvelobs.com. 9 Juin 2009. Le
déni de grossesse, un phénomène encore mal connu.
Consulté le 5 décembre 2010
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/societe/20090609.OBS9953/le-deni-de-grossesse-un-phenomene-encore-mal-connu.html
32. Pierronne C., Delannoy M.A., Florequin C., Libert M., Le
déni de grossesse : à propos de 56 cas observés en
maternité. Perspectives Psychiatriques. 2002 ; 41 ; 3 : 182 - 188
33. Quarante O., Déni de grossesse : de la
sidération à l'écoute. Profession Sage-Femme. 2007 ; 135
:
34. Rakotonantenaina S., « Je ne suis pas enceinte, et
pourtant... ». Empan. 2011 ; 82 : 120-124.
35. Richard-Guerroudj N., Trois questions à
Gaëlle Guernalec-Levy. Profession Sage-femme. 2007 ; 135
36. Saioni M-R., Prendre soin en maternité. 3e Colloque
français « Regards Croisés sur le Déni de Grossesse
». UPEC, 25 novembre 2011
37. Series J., Déni de grossesse, de
l'incrédulité au désarroi, 3e Colloque français
« Regards Croisés sur le Déni de Grossesse ». UPEC, 25
Novembre 2011
38. Siaioni M.R., Le déni de grossesse. Vocation
Sage-Femme. 2008 ; 63 : 5
39. Simonnot A.L., Infanticide à l'adolescence et
déni de grossesse, Perspectives Psychiatriques. 2002 ; 41 ; 3 : 195 -
199
40. Stotland N.E., Stotland N.L., Denial of Pregnancy. OBGYNS.
1998 ; 5 ; 247 - 250
41. Tronche A.M., Villemeyre-Plane M., Brousse G., Llorca P.M..
From pregnancy denial to neonaticide : Diagnosis hypotheses concerning a
19-years-old mother. AMEPSY, 2007 ; 165 ; 671-675
42. Vander Borght M., Neuter P., L'abandon à la naissance
: entre désir et non désir d'enfant. Cahiers de psychologie
clinique. 2005 ; 24 : 149-165
43. Wessel J., Epidémiologie du déni de grossesse
: prise en compte des données maternelles et néonatales de
l'étude prospective de Berlin. 3e Colloque français «
Regards Croisés sur le Déni de Grossesse ». UPEC, 24
novembre 2011
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sage-Femmes de Nice page III
UNIVERSITE DE NICE SOPHIA-ANTIPOLIS FACULTE DE
MEDECINE
ECOLE DE SAGES-FEMMES DE NICE Année
2012
Mémoire présenté et soutenu pour
l'obtention du Diplôme d'État de Sage-Femme Par Laure
SAINTE-ROSE FANCHINE
Titre : Le déni de grossesse - Revue de
littérature
Essai de réflexion sur la prise en charge de
patientes en déni (89 pages)
Le déni de grossesse a connu en France une
médiatisation toute particulière au cours de la dernière
décennie, notamment au travers de scandales tels que l'affaire Courjault
dite « des bébés congelés ». Ces drames
relayés par la presse sont pourtant peu représentatifs du
phénomène, et concernent aujourd'hui moins de 5% des cas
répertoriés.
Le déni de grossesse, ou « fait d'être
enceinte sans avoir conscience de l'être », toucherait chaque
année plus de 1500 femmes en France à divers degrés de
gravité : le déni partiel, qui dénote la prise de
conscience de la grossesse dans les mois voire les quelques semaines qui
précèdent le terme, intéresserait une naissance sur 500
selon les plus récentes études ; le déni total, qui
recouvre l'ensemble de la grossesse et conduit le plus souvent à un
accouchement inopiné, représenterait 1 naissance sur 2500.
Comment ces femmes peuvent-elles ignorer leur état,
quelles sont les dernières hypothèses quant aux causes d'un
déni de grossesse ? Quelles seraient les populations les plus à
risque ? Et quelle attitude avoir en tant que professionnel ?
Basé sur une revue de la littérature, ce
mémoire s'adresse aux professionnels désireux de se documenter
sur un fait peu commun mais certainement pas rare. A travers les constats des
études les plus récentes et le témoignage de patients
comme de soignants, il souhaite ouvrir un espace de réflexion, entre les
diverses disciplines médicales et paramédicales, sur les moyens
de prise en charge et de prévention du déni de grossesse.
The denial of pregnancy has repeatedly appeared in the French
newspapers during the last decade, particularly when numerous scandals
occurred, like the Courjault's case also known as the «frozen babies»
case. Those dramas do not reflect the real phenomenon and represent only 5% or
less of the listed cases.
The denial of pregnancy, or «the fact to be pregnant
without having any consciousness of it», could at different levels of
severity affect more than 1500 women every year in France. The partial denial,
associated with the consciousness-raising of pregnancy during the last months
or the few weeks before the term, could involve one birth over 500 according to
the most recent studies. The total denial, which encompasses the whole
pregnancy period leads most of the time to an unexpected delivery, would
represent one birth over 2500.
How do those women ignore their real condition? What are the
last assumptions concerning the causes of the denial of pregnancy? What would
be the most exposed population? Wich attitude to adopt as a healthcare
professional?
Based on the literature, this report is dedicated to the
professionals willing to increase their knowledge about a specific event not
occurring so often but still not so rare. Through the conclusions of the most
recent studies and the testimonies coming from either the patients or the
caring environment, this report would tend to achieve a new kind of thoughts
and exchanges among the wide medical and paramedical field and to support the
denial of pregnancy.
|