DÉDICACE
A
Pierre TATCHAGO, Roch & Sylvie TAKBISSI et
Firmin YOMBI A TIATI,
Dieu seul sait combien je vous suis
redevable.
REMERCIEMENTS
Que parents, familiers, enseignants et amis dont
les efforts conjugués ont permis la réalisation de cette oeuvre
de l'esprit, trouvent ici l'expression de ma profonde et sincère
gratitude.
IN MEMORIAM
P. Battista BARBENO, décédé le
07-04-2012 à Parme (Italie)
INTRODUCTION GENERALE
S'il y a une idée sur laquelle s'entendent la plupart
des grands philosophes antiques, c'est celle selon laquelle chaque homme peut
ici et maintenant devenir maître de sa vie. Toute leur querelle portait
sur le moyen d'y parvenir. Celle-ci résonne encore parmi nous. Depuis la
naissance de la philosophie grecque, la question du bonheur se trouve au centre
de toutes les interrogations humaines. Socrate, reconnu comme le père de
la philosophie du sujet, se préoccupait déjà de rechercher
les principes de la vie c'est-à-dire le style de vie qu'il convient de
mener et comment réussir sa vie.
Notre époque «désenchantée'' et
sécularisée, ressasse cette question de la vie réussie
depuis que les philosophes ont laissé aux marchands de sens et autres
psychiatres, psychologues et psychanalystes le soin de guérir les bleus
de l'âme. Les sociétés contemporaines nous incitent
à penser la réussite sur le mode du rêve
éveillé : rêves de possession (avoir gagné
à la loterie), rêves de séduction (champion d'un sport qui
commençait à nous décourager etc.). Malheureusement, on
n'éclairera guère nos lanternes en demandant avec
révérence aux icônes contemporaines (pouvoirs, honneurs,
altruisme) ce qui pour elles, fait une vie réussie.
S'inscrivant dans le mouvement contemporain qui
reconsidère le rôle existentiel et pratique de la philosophie et
laissant de côté une démarche théoricienne ancienne
préoccupée seulement de connaître pour connaître, Luc
Ferry, philosophe français, reprend et renouvelle l'interrogation
ancienne «Qu'est-ce qu'une vie réussie ?'' chargée
d'une longue histoire à peine estompée par les temps modernes. Il
mène une réflexion sur la façon dont cette antique
interrogation se pose aujourd'hui. Comment nous sommes-nous laissé
entraîner dans cette tyrannie de la réussite, alors que presque
tout, dans notre existence, ne dépend en rien de nous mais revient au
hasard de la naissance, à la pure contingence des
événements, à la fortune ou aux infortunes les plus
aveugles ? Et surtout, est-ce à cela que se réduit une vie
réussie ? A cette obsession de la performance ? N'y a-t-il plus d'autres
valeurs que la réussite ? Autrement dit, la question du sens de la vie a
t-elle purement et simplement disparu ?
En menant sa réflexion sur ce que pourrait être
la vie réussie dans nos sociétés
désenchantées et sécularisées, Luc Ferry
élabore un humanisme, l'humanisme de l'homme-dieu ou humanisme
spiritualiste1(*), qui,
pouvant être considéré comme une sorte de «religion'',
conserverait le meilleur des grandes doctrines du passé essentiellement
le stoïcisme, le christianisme et la pensée de Nietzsche tout en
les dépassant par une sorte de laïcisation qui exclut à la
fois les croyances religieuses et tout ce qui ressemble de près ou de
loin à une métaphysique. L'humanisme de l'homme-dieu
qu'élabore Luc Ferry se veut être donc un humanisme non
métaphysique qui viendrait après la déconstruction de la
métaphysique ouvrir la problématique du réenchantement du
monde avec de nouvelles figures de la transcendance. Ecartant l'option du
christianisme parce que selon lui son humanisme est théocentré,
et d'autre part l'humanisme athée qu'il estime antihumaniste, Luc Ferry
fonde un humanisme transcendantal c'est-à-dire un humanisme qui ne
rejetant ni le sacré, ni la transcendance leurs donne une autre
conception. Il va prédire une spiritualité laïque qui selon
lui est l'espace le plus intéressant pour la réflexion
philosophique aujourd'hui.
Il s'agira pour nous, tout au long de ce travail, de
présenter ce nouvel humanisme baptisé humanisme de l'homme-dieu
ou humanisme spiritualiste. Pour y parvenir, nous commencerons par
présenter le contexte dans lequel émerge l'humanisme de
l'homme-dieu (Chapitre 1), et nous finirons par une évaluation critique
de cet humanisme de Luc Ferry en proposant pour notre époque un
humanisme de la finitude, lequel nous paraît convenir à notre
temps (Chapitre 3). Mais avant celui-ci, nous aurons présenté au
chapitre 2 l'humanisme de l'homme-dieu.
CHAPITRE I : CONTEXTE
D'EMERGENCE DE L'HUMANISME DE L'HOMME-DIEU
Introduction partielle
L'horizon de questionnement de Luc Ferry se trouve largement
conditionné par le contexte politique et religieux français.
Comme il le rappelle bien dans son livre Qu'est ce qu'une vie
réussie ?, le monde dans lequel Luc Ferry élabore son
humanisme spiritualiste est un monde sécularisé et
désenchanté, déserté par les transcendances, sans
au-delà, où seule s'exprime la raison instrumentale (cette partie
de la raison pour qui ne comptent que l'efficacité, le rendement et la
performance). Autre caractéristique de ce monde remarque t-il, est qu'il
se situe après la déconstruction des «idoles'' de la
religion et de la métaphysique entamée par Nietzsche.
I. Du monde sécularisé
à la révolution démocratique
Il n'existe pas de philosophie qui soit née
ex-nihilo. Toute philosophie naît dans un contexte culturel
précis : elle est incarnée. Hegel le rappelait
déjà par cette célèbre assertion :
« toute philosophie est fille de son temps. »
L'humanisme de l'homme-dieu de Luc Ferry, ne fait pas exception. Il est fruit
d'un contexte culturel et politique, celui de la France,
sécularisé, voire laïcisé et
désenchanté.
1. Une France laïque et
désenchantée
Selon André Akoun, la laïcité
« désigne, plus spécifiquement, la conception
française de la séparation de l'Etat et des institutions
religieuses. »2(*) L'histoire intérieure de la France est
« l'histoire d'une incessante sécularisation (...), la
longue histoire de la laïcisation »3(*) où sont progressivement
séparés l'Eglise et l'Etat et où de l'une et l'autre ont
été transférées l'administration, les finances, la
justice et l'éducation.
La laïcité prend corps pour la première
fois pendant la
Révolution
française avec l'abolition de l'
Ancien
Régime en
août 1789
et l'affirmation de principes universels, dont la
liberté
de conscience et l'
égalité
des droits exprimés par la
Déclaration
des Droits de l'homme. La loi constitutionnelle du 4 août 1995, dans
son article premier stipule que « La France est une République
indivisible, laïque, démocratique et sociale (...). »
Pour la France, qui se considère historiquement comme
le pays des Droits de l'homme, cette laïcité est apparue au fil de
son évolution comme un cadre protecteur des Droits de l'homme. La
laïcité apparaît alors comme limitative de la religion. Elle
est une des ``passions françaises'', qui suscite des débats
récurrents : elle a ses militants et sa morale. Cette
laïcité va aller de pair avec le désenchantement.
Le mot désenchantement appartient au vocabulaire
sociologique de Max Weber et il signifie « la cessation du
charme, des sortilèges et par extension la déception qui en
résulte. »4(*) Le désenchantement du monde est le recul des
croyances religieuses ou magiques comme mode d'explication des
phénomènes, et s'accompagne d'une perte de sens du monde,
dès lors qu'il peut être scientifiquement expliqué. C'est
la naissance de la science moderne et surtout le développement des
sciences sociales qui conduit à s'émanciper d'une conception
magique du monde, et permet de s'orienter vers le désenchantement du
monde. Selon Agnès Antoine, « le désenchantement du
monde n'est pas seulement une simple séparation entre religion et
politique, (...) il constitue un remodelage des idées, des sentiments,
et des moeurs individuels. »5(*) L'homme arrive à concevoir le monde dans sa
totalité, et il n'y a plus, dans cette conception, la moindre place pour
l'existence d'une dimension transcendante, d'un autre niveau de
réalité.
2. La révolution
démocratique
En France comme partout Europe, on s'est
émancipé des figures du théologico-politique ; c'est
l'homme désormais qui établit la loi : ce qui va donner
naissance à la démocratie. Ainsi donc, le désenchantement
va être marqué par ce que Luc Ferry va appeler la
révolution démocratique moderne où l'on va passer
« d'un monde dont le fondement social était religieux
à un monde dans lequel la société trouve son fondement en
elle-même et n'admet plus pour souverain que son
représentant. »6(*) Ce passage, bien que salutaire pour le monde moderne
est aussi source d'angoisse car la question du sens de la vie va devenir
problématique pour deux raisons : d'abord parce que après
l'abandon de la religion, la question du sens de la vie n'est plus une
donnée a priori et ensuite, et de manière profonde parce
que la question du sens ne trouve plus de lieu où s'exprimer de
manière collective.
La question qui va se poser dans ce contexte
démocratique est celle de savoir où l'homo democraticus,
ira t-il puiser les valeurs qui justifieront son existence si la religion n'est
plus pour lui un recours évident ? L'homme démocratique est
caractérisé par une existence tendue vers le futur, par un mode
de projet qui souvent laisse place au sentiment du vide. A ceux qui sont
à la recherche d'un sens, la démocratie doit être capable
de leur offrir « l'espace d'une spiritualité laïque
authentique débarrassée des oripeaux
théologiques. »7(*) L'un des défis de la philosophie,
martèle Luc Ferry, sera désormais dans un tel contexte celui de
repenser la transcendance.
Toutefois, celui qui comme nul autre,
« accompagne le désenchantement du monde, l'éclipse
du sens, la disparition des idéaux
supérieurs »8(*) c'est Nietzsche.
II. Nietzsche et la
déconstruction des «idoles'' de la religion et de la
métaphysique
Aux yeux des modernes et tout particulièrement de
Nietzsche, l'humanisme des lumières demeure encore prisonnier des
structures essentielles de la religion qu'il reconduit sans s'en rendre compte
au moment même où il prétend les avoir
dépassées. C'est la raison pour laquelle le but de sa philosophie
est désormais de déconstruire les illusions dont s'est
bercé l'humanisme classique.
1. Illusion du recours à la
transcendance
Nietzsche s'est toujours érigé contre des
valeurs humanistes. Il n'a cessé de pourfendre les idoles de la religion
et de la science pour promouvoir « une vie enfin
libérée des mirages de la foi en quelque «idéal''
supérieur que ce soit. »9(*) Une philosophie de la terre et non plus du ciel,
voilà son désir précieux, ce qui à ses yeux a du
prix. Il n'y a rien de plus grave, écrit Nietzsche, dans Ainsi
parlait Zarathoustra, que le blasphème de la terre10(*). L'éclipse du religieux
que proclame Nietzsche présage une spiritualité nouvelle, celle
de la terre : une spiritualité de l'immanence. Pour Luc Ferry,
c'est une aurore nouvelle qui s'annonce avec la ruine des anciennes
représentations de la vie réussie. Il reste que pour Nietzsche,
« la destruction des illusions, la «philosophie du
marteau'', est la première et plus urgente tâche de la
pensée. »11(*) Nietzsche va ainsi développer sa pensée
en partant du principe selon lequel il n'y a plus de transcendances, ni celle
du cosmos grec, ni celle du Dieu des religions monothéistes, ni celles
des grands idéaux laïcs révolutionnaires : la
transcendance n'est qu'illusion.
Recourir à la transcendance c'est pour Nietzsche
recourir à un idéal, un critère extérieur qui juge
la vie. Il faut « s'en garder à son tour du mieux qu'il
est possible, éviter de rentrer dans cette logique
funeste. »12(*) L'ennemi de Nietzsche est la transcendance sous
toutes ses formes. Parce que les transcendances ne sont que des projections
subjectives, des expressions de nos états vitaux, il faut les
détruire à coup de marteau. Il est donc nécessaire de
manier le marteau sans pitié ni réticence et accepter
l'idée qu'après la «mort de Dieu'', la divinisation de
l'homme véhiculée par les idéaux modernes n'avait aucune
chance de survivre...
2. Fondements et arguments du
matérialisme nietzschéen
Dans la préface d'Ecce homo, Nietzsche
établit son attitude philosophique, qui marque sa rupture
complète avec l'humanisme moderne : «
«Améliorer'' l'humanité, voilà bien la
dernière chose que, moi, j'irais promettre. Je n'érige pas de
nouvelles idoles, moi ; (...) Renverser les idoles (c'est le mot que
j'emploie pour les idéaux) - voilà bien plutôt mon
métier... »13(*) Il n'est donc plus question de reconstruire
un « règne des fins'' où les hommes seraient égaux en
droit, devoir et dignité. La démocratie qui diffuse cette
pensée n'est aux yeux de Nietzsche qu'une nouvelle illusion religieuse
qui en se cachant derrière la laïcité cherche à
inventer « un au-delà meilleur que l'ici-bas.
»14(*)
C'est de cette manière qu'il faut comprendre cette
thèse centrale de Nietzsche qu'établit Luc
Ferry : « Il n' y a rien hors de la
réalité de la vie, ni au-dessus d'elle, ni en dessous, ni au
ciel, ni en enfer, et tous les idéaux de la politique, de la morale et
de la religion ne sont que des «idoles'', des boursouflures, des fictions
qui ne visent à rien d'autre qu'à fuir la vie, avant de se
retourner contre elle. »15(*) De ceci, découlent les arguments du
matérialisme nietzschéen : le réel est vie - l'essence la plus
intime, la plus profonde de l'être16(*)- et cette vie est constituée de forces actives
et réactives ; après la mort des idéaux c'est
désormais dans l'immanence que l'homme doit trouver son salut ;
tous les jugements que nous portons sur la vie n'ont aucun sens, ils sont les
expressions de nos états vitaux17(*) ; il n'existe pas de fait en soi mais seulement
les interprétations car il n'y a pas de sujet en soi libre, autonome qui
transcende le réel dans lequel il se trouve et enfin, la
généalogie est infinie car tant qu'existent les idoles et toutes
formes de transcendance, la philosophie du marteau ne doit pas cesser
d'être.
Conclusion partielle
Ce premier chapitre nous a permis de situer l'humanisme de
l'homme-dieu ou l'humanisme spiritualiste dans son contexte. Ce contexte est
celui de l'Occident, notamment celui de la France du XXIe
siècle, une France qui se dit laïque et par surcroit
désenchantée où la révolution démocratique a
permis à l'homme d'organiser lui-même son quotidien. Nous avons
par la suite fait allusion à Nietzsche, qui est selon Luc Ferry celui
qui accompagne par sa pensée le désenchantement du monde.
Après Nietzsche, l'humanité aujourd'hui est
comme sur une bicyclette : il faut rouler pour ne pas tomber, mais rouler
vers quelle direction ? Dieu est mort, mais l'homme pas. Si Nietzsche a
réveillé le monde en assénant qu'il fallait
désormais « philosopher au marteau », Luc Ferry avance
« qu'après un long désenchantement du monde, ce
même monde, notre monde, est en train de se réenchanter.
» Ne faut-il pas dès lors repenser l'idée de
transcendance ? Il faut, pour qui est non croyant, apprendre à
repenser l'humanisme moderne avec des figures inédites de la
transcendance qui ne doivent rien aux sagesses antiques ni au christianisme
encore moins au matérialisme. Telle est la tâche que s'assigne le
second chapitre.
CHAPITRE II : L'HUMANISME DE
L'HOMME-DIEU : UN HUMANISME LAIC
Introduction partielle
Luc Ferry fait preuve d'une grande lucidité sur le
besoin religieux de l'homme du XXIe siècle et surtout sur la
forme que peut prendre cette «nouvelle religion''. Il faut à juste
titre, pour notre société repenser une réflexion sur une
nouvelle éthique humaniste qui réponde à la question
du sens car après la mort des grandes utopies et le relatif retrait des
religions, « la question du sens ne trouve plus le lieu où
s'exprimer collectivement. »18(*) Pour affronter le destin, il ne suffira pas
de nous inventer de nouvelles transcendances, pense Ferry, mais il y a place
pour une spiritualité laïque qui oblige l'homme à se
construire un humanisme à base de transcendance horizontale,
centré sur l'homme.
I. Principes du nouvel
humanisme
Dans son livre L'homme-dieu ou le sens de la vie, Luc
Ferry pense que l'homme ne peut vivre sans transcendance s'il veut donner un
sens aux expériences de l'existence, de la souffrance, de la mort, de
l'amour, du bien et du mal. Mais cette transcendance, et c'est là un
fait nouveau, ne serait plus celle d'un dieu qui s'impose à nous, elle
ne serait plus celle déduite d'une révélation, mais elle
partirait de l'homme lui-même. L'humanisme de l'homme-dieu donne
accès à une spiritualité laïque authentique,
enracinée en l'homme. Luc Ferry va développer la question moderne
du sens de la vie suivant un double processus : l'humanisation du divin et
la divinisation de l'humain.
1. L'humanisation19(*) du divin
Selon Luc Ferry, cette première étape du
processus de l'humanisme spiritualiste montre qu'au cours des siècles,
le contenu de la révélation chrétienne s'est
humanisé. Le monde démocratique européen a
été gagné par un vaste mouvement de sécularisation.
A la place de Dieu, la conscience individuelle est devenue l'instance
suprême du jugement moral : le jugement est vrai parce qu'il vient
de la conscience.
Pour Luc Ferry, « il semble que les croyants
s'approprient sans cesse davantage le fond laïc constitué par la
grande déclaration des droits de l'homme, et que ce soit sur cette base
commune que vienne se greffer leur foi. »20(*) Il poursuit son propos en
formulant que le respect de la personne humaine, le souci de l'autre, de sa
dignité et de sa souffrance ne sont plus des principes dont le
christianisme aurait le monopole. Il n'est pas besoin d'être
chrétien pour adhérer à la philosophie des Droits de
l'homme !!
Avec l'humanisation du divin, la conscience du mal nous est
ôtée. L'homme n'est plus responsable du mal. Mais cela pose une
interrogation. Si la responsabilité du mal est ôtée
à l'homme, comment ne serait-il pas déchargé de celle du
bien ? Sans trancher le débat, Luc Ferry estime que le bien moral
est inséparable de la possibilité du mal. Mais alors comment
combattre la mal ? La voie que nous indique Luc Ferry est la divinisation
de l'humain.
2. La divinisation de l'humain
Ce second processus se fait par le biais de
l'humanitaire ; il justifie et renforce l'engagement de l'homme en faveur
du bien. Pour se justifier, Luc Ferry souligne la soif d'éthique qui
caractérise notre époque et qui se traduit par la
prolifération des organisations humanitaires, leur combat incessant pour
le respect des Droits de l'homme, contre le racisme et l'exclusion.
L'éthique est à la mode, une éthique de
« l'éradication de tous les dogmatismes, qu'ils soient
d'origine morale ou religieuse. »21(*) Cette divinisation de l'humain
est « l'aboutissement ultime d'un long processus de
sécularisation qui mène, depuis le XVIIe
siècle, vers la laïcité
achevée. »22(*) Cette éthique qui anime les organisations
implique toujours l'idée de sacrifice. Pour Luc Ferry, l'éthique
renforce l'idée du devoir, en ce sens que le sacrifice de soi ne
s'exerce plus au nom de Dieu, de la patrie ou d'une idéologie
quelconque, mais il est librement consenti et ressenti comme une
nécessité intérieure. En d'autres termes,
« c'est désormais pour l'autre homme que nous pouvons, le
cas échéant, accepter de prendre des risques, certainement pas
pour défendre les grandes entités d'antan comme la patrie ou la
révolution parce que nul ne croit plus, comme l'hymne cubain, que
«mourir pour elles, c'est entrer dans
l'éternité.'' »23(*)
Le dévouement humanitaire trouve sa source exclusive
dans l'homme lui-même et le sacrifice - qui est manifestation du soi de
l'autre - agit comme un indispensable contre poids au seul souci de soi. Le
sacré devient humain et le sacrifice ne vaut que s'il concerne
l'autre : l'homme est ainsi sacré, voire divinisé. L'homme
sacralisé est le point de départ et le point d'arrivée du
nouvel humanisme qui fera de l'amour et particulièrement celui d'autrui,
le lieu privilégié du sens de la vie.
3. Le sacré à visage
humain
Par sacré, Luc Ferry entend « ce pourquoi
on pourrait se sacrifier », une valeur perçue comme
supérieure à sa propre vie. L'avenir de ce fait devient
impensable sans référence au sacré. Nous sommes, affirme
Luc Ferry, dans une phase qui donne une place au sacré, peut-être
plus importante que jamais. Ce n'est pas que le sacré subsiste comme une
survivance, mais plutôt nous découvrons le sacré sous des
formes inédites, inouïes et notamment par le biais de l'amour qu'il
soit amical ou filial car dans l'amour, il y a évidemment un rapport
à l'autre qui dépasse l'individu, celui-ci restant une
transcendance au plus intime de son être, dans son coeur, en aval de la
conscience.
Le corps humain est sacré : « une
nouvelle religion, celle de l'humanité vient de
naître »24(*) et « la nouvelle formule du devoir
d'assistance `ne laisse pas faire ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse',
marque peut être un progrès par rapport à ce qu'elle
démarque. »25(*) Voilà le commandement de cette nouvelle
religion, que Luc Ferry considère comme un progrès. Les
héros sont les champions humanitaires et l'action humanitaire est
perçue par ceux qui la pratiquent comme pourvoyeuse de sens. Trouver le
sens de sa vie par autrui : c'est l'amour de l'autre qui donne sens
à mon existence.
« Si les hommes n'étaient pas en quelque
façon des dieux, ils ne seraient pas non plus des
hommes. Il faut supposer en eux quelque chose de sacré ou
bien accepté de les réduire à l'animalité.
»26(*) Le
sacré à visage humain de Luc Ferry, est un sacré qui est
pensé à partir de l'homme et qui découle de ses
expériences vécues. C'est dorénavant dans le coeur de
l'homme, dans l'être lui-même qu'il faut situer le divin et
même dans le corps humain qui constitue un nouvel espace du sacré.
« La liberté peut mériter que l'on
risque sa vie pour elle. C'est cela la sacralisation de l'humain ! Cela ne
consiste pas à idolâtrer l'être humain ou à dire
qu'il est formidable (il suffit en effet d'ouvrir les yeux pour constater qu'il
n'est pas si formidable que ça !). Il s'agit simplement de ne pas
occulter ces aspirations qui, au sein de toutes nos relations,
révèlent une dimension sacrée. Sans ce
sacré-là, sans cet absolu-là, notre vie n'aurait
strictement aucun sens. Encore n'ai-je pas évoqué sa forme la
plus haute, qui est bien sûr celle de l'amour. »27(*)
Le monde laïc ne fait pas l'économie du
sacré : le sacré a simplement changé de visage et de
forme. Nous vivons, pense Luc Ferry, non pas la disparition du sacré,
mais son déplacement de l'ancienne transcendance verticale vers une
transcendance horizontale.
II. Implications de l'humanisme de
l'homme-dieu
L'humanisme de l'homme-dieu tel que élaboré par
Luc Ferry, n'exclut pas la transcendance mais, il assume le problème de
la transcendance, lui donnant un autre sens ainsi que d'autres visages, lieux
de sa manifestation.
1. La transcendance dans
l'immanence
Selon Luc Ferry, l'éthique humaniste et le souci de
l'autre supposent une certaine forme de transcendance. La seule solution est
donc de repenser la transcendance, non plus comme une transcendance verticale
et extérieure, mais comme une transcendance intérieure, inscrite
au coeur même de l'immanence et relevant de l'ordre du sens plutôt
que de l'ordre de la loi28(*). Reprenant certains éléments de la
phénoménologie de Husserl à Levinas, Luc Ferry s'efforce
de penser cette nouvelle forme de transcendance appelée
« transcendance dans l'immanence »29(*), comme un nouveau rapport non
traditionnel de la transcendance à l'individu, rapport inscrit dans son
expérience vécue. « La transcendance se
dévoile ainsi au coeur de l'être humain. »30(*) C'est dans ma pensée,
en moi, dans ma sensibilité que se manifeste la transcendance des
valeurs car « quoique situées en moi (immanence), tout se
passe comme si elles s'imposaient (transcendance) malgré tout à
ma subjectivité, comme si elles venaient
d'ailleurs. »31(*)
La notion d'horizon et de refus de la clôture (rejet de
l'absolu) permet à Luc Ferry de mieux exposer sa pensée. La
notion d'horizon permet de comprendre que je ne peux saisir l'univers dans sa
totalité, la réalité du monde ne m'est jamais
donnée dans sa maîtrise parfaite ; « et c'est
en cela qu'il y a de la transcendance, quelque chose qui nous échappe au
sein même de ce qui nous est donné, que nous voyons et touchons,
donc au coeur de l'immanence. »32(*) Par le refus de la clôture c'est-à-dire
par le rejet de toutes formes de «savoir absolu'', la transcendance dans
l'immanence va apparaître comme « seule susceptible de
conférer une signification rigoureuse à l'expérience
humaine que tente de décrire et de prendre en compte l'humanisme de
l'homme-dieu. »33(*) Il faut toutefois rappeler que la
transcendance dont parle Luc Ferry est un horizon de sens34(*) et non pas un être ou un
fondement. Mais alors, quelles formes prendra cette transcendance dans
l'immanence ?
2. Les nouveaux visages de la
transcendance
Luc Ferry a, contrairement à Nietzsche, la conviction
qu'apparaissent aujourd'hui de nouvelles formes ou nouveaux visages de la
transcendance grâce auxquelles nous allons accéder à de
nouvelles définitions du bonheur. Comme nous l'avons montré plus
haut, ce sont des transcendances que nous découvrons à
l'intérieur de nous-mêmes et des expériences humaines comme
ce qui nous est donné ! Ces transcendances sont « la
vérité, la beauté, la justice et
l'amour. »35(*) L'amour par exemple dit Luc Ferry, est totalement
immanent en nous et en même temps il porte toujours sur un être qui
est radicalement autre que soi. Il a toujours un rapport à
l'altérité. On peut ainsi comprendre ce qu'est une transcendance
dans l'immanence. L'expérience de quelque chose qui nous dépasse,
mais qui n'est pourtant enraciné nulle part ailleurs que dans le coeur
humain.
Pour Luc Ferry, ces nouvelles formes de transcendances qui ne
sont plus imposées du dehors, mais bien enfouies en nous-mêmes
« comme des horizons de sens de notre vie »,
constituent une spiritualité laïque qui nous aidera sans doute
à nous sauver nous-mêmes de la peur et de la mort.
« Je n'invente ni les vérités mathématiques,
ni la beauté d'une oeuvre, ni les impératifs éthiques et,
comme on le dit si bien, on «tombe amoureux'' plus qu'on ne le
décide par choix délibéré. L'altérité
ou la transcendance des valeurs en ce sens est bien
réelle. »36(*)
Comment donc vivre en rapport à ces nouvelles formes de
transcendances ? C'est très simple répond Luc Ferry. Quand
vous êtes amoureux, quand vous aimez vos enfants, vous sortez de
vous-mêmes pour aller vers l'autre. Le dépassement de soi est dans
l'expérience de l'amour, mais aussi de l'art, quelque chose que l'on
constate en soi sans l'avoir fait exprès. « Je n'invente
pas la beauté d'une suite de Bach, ni celle d'un paysage, je me contente
humblement de les découvrir comme si malgré les sentiments en
effets subjectifs qu'elles suscitent en moi, elles n'étaient pas pour
autant créées par ma
subjectivité. »37(*)
Quand on tombe amoureux, quand on est saisi par la
beauté du paysage, on éprouve quelque chose qui nous
dépasse infiniment, on fait l'expérience du «plus que soi''.
La beauté, l'amour, la justice et la vérité demeurent
transcendants pour tout individu singulier. Ce sont ces nouveaux visages de la
transcendance qui, pour Luc Ferry ouvrent la voie à l'humanisme de
l'homme-dieu. C'est cette aventure que ce nouvel humanisme veut assumer, non
par impuissance comme il le dit si bien, mais parce que « il lui
faut par principe et, pour tout dire, par lucidité, accepter, sous peine
de retomber dans le discours de la métaphysique classique, de renoncer
à chercher dans les gènes ou dans la divinité, dans la
nature ou dans l'Être suprême l'explication de notre rapport
à des valeurs communes, voire universelles... »38(*)
C'est la raison pour laquelle l'humanisme de l'homme-dieu se
doit de penser la problématique de la question du bonheur dans le
contexte qui est le sien.
III. Une nouvelle approche de la
question du bonheur
Après trois siècles de déconstruction de
tous les idéaux (cosmos des anciens, le Dieu des chrétiens, les
utopies), le monde a perdu la sagesse. Faute de sens et parce qu'il faut bien
des buts dans la vie, il se rabat sur le rêve éveillé des
succès mondains et professionnels qu'il érige en absolu. Il faut
donc selon Luc Ferry repenser une sagesse, une sagesse des modernes qui ne
s'appuie ni sur la sagesse antique trop marquée par une cosmologie
périmée, ni sur la vision chrétienne trop attachée
à une foi qui relève désormais du choix intime. Cette
sagesse nouvelle nous la présenterons suivant trois axes :
théorie, éthique et sotériologie.
1. Théorie :
l'âge de l'autoréflexion
Luc Ferry distingue trois âges de la science.
Le premier nous vient de la Grèce Antique.
« Contemplation de l'ordre du monde, compréhension de la
structure du cosmos, elle n'est pas (...) une science indifférente aux
valeurs ou, pour parler le langage de Max Weber, «axiologiquement
neutre''. »39(*) La science grecque lie de manière
intrinsèque connaissance et valeurs car en découvrant la nature,
elle met elle-même en évidence un comportement moral pour
l'homme.
Le second âge, qui est celui de la révolution
scientifique moderne (avec Copernic et Newton), écrit Luc Ferry,
« voit émerger à l'encontre du monde grec,
l'idée d'une connaissance radicalement indifférente à la
question des valeurs. »40(*) La science désormais dit «ce qui est'' et
non «ce qui doit être''. La science n'est plus normative ; elle
ne nous indique plus rien sur le plan éthique.
Le troisième et dernier âge selon Luc Ferry, met
en cause et complète le second âge. Ce troisième âge
est celui de « l'autocritique ou autoréflexion qui
caractérise au plus haut point l'humanisme contemporain
post-nietzschéen. »41(*) Cet âge de la science poursuit Luc Ferry,
apparaît à la fin de la deuxième guerre mondiale
après l'interrogation sur les méfaits et les dangers de la
science et surtout après la destruction par la bombe nucléaire de
Hiroshima et Nagasaki. Cette autocritique va s'étendre sur tous les
domaines où la science pourrait avoir des implications morales et
politiques. C'est ainsi que naîtront la bioéthique et
l'écologie. « La science cesse d'être autoritaire
pour commencer de s'appliquer à elle-même ses propres principes,
ceux de l'esprit critique et de la réflexion - lesquels, du coup,
deviennent bien autocritique ou autoréflexion. »42(*)
2. Éthique : la
pensée élargie
Dans son livre La sagesse des modernes, Remi Brague
montre que depuis le Nouveau Testament, la notion du monde a acquis un double
sens : il désigne désormais l'univers naturel et les hommes
qui y vivent. Pour Luc Ferry, ces conceptions du monde correspondent aussi
à deux visions éthiques aussi différentes. L'une,
née du monde antique enseigne que vivre en harmonie avec le cosmos,
c'est vivre de façon éthique. La seconde « trouve
son apogée avec la naissance du droit et de la morale
moderne. »43(*) Celle-ci va s'illustrer avec la notion kantienne du
«règne des fins'' « dans la conviction que
l'humanité peut, si elle est régie convenablement par les lois
morales et juridiques communes, voire universelles, forger quelque chose comme
une «seconde nature'' et constituer à son tour mais cette fois-ci
dans l'ordre de l'esprit, l'analogue d'un
«cosmos''. »44(*) Un univers fondé sur la liberté humaine
et fabriqué par l'homme et où le respect des uns et des autres
serait la toile de mire.
Cette nouvelle conception d'un humanisme, d'un cosmos
supranaturel va selon Luc Ferry, donner naissance à une nouvelle
représentation du bonheur, « l'émergence d'une
«existence avec les autres'', d'un monde commun, (...) qui serait enfin
conforme aux principes de la «pensée élargie'',
c'est-à-dire, d'un certain type de compréhension de
l'autre. »45(*) La pensée élargie invite à se
mettre à la place des autres pour gagner en humanité plutôt
que de nous opposer sur le monde du différent. Il ne s'agit donc pas
poursuit Luc Ferry, de le faire par gentillesse ou par tolérance, mais
pour partager ce qui, du point de vue des autres, nous parle et contribue
à donner à notre propre vie sa finalité.
« S'arracher à soi pour se «mettre à la place
d'autrui'', non seulement pour mieux le comprendre, mais aussi pour tenter, en
un mouvement de retour à soi, de regarder ses propres jugements du point
de vue qui pourrait être celui des autres »46(*) telle pourrait être une
première définition de la pensée élargie.
Cette première définition appelle
l'autoréflexion car pour bien prendre conscience de soi, il faut se
distinguer à distance de soi-même et c'est cela qui nous permet la
prise en compte des points de vue étrangers aux autres.
Nous pouvons dire avec Luc Ferry que :
« L'esprit élargi parvient, en se situant
du point de vue d'autrui, à contempler le monde en spectateur
intéressé et bienveillant. Acceptant de décentrer sa
perspective initiale, de s'arracher au cercle limité de
l'égocentrisme, il peut pénétrer les coutumes et les
valeurs éloignées des siennes, puis, en revenant à
lui-même, prendre conscience de lui d'une manière
distancée, moins dogmatique, et enrichir ainsi considérablement
ses propres vues. »47(*)
C'est là que l'expérience humaine, le fait de
grandir, de vieillir et d'accumuler toutes sortes d'expériences autorise
la pensée élargie. Plus notre champ d'expérience grandit,
plus s'élargit notre capacité de résonnances sympathiques
et de communication avec les autres. L'important est donc d'élargir sa
pensée et de voyager : avec la pensée élargie, le
voyage devient pour l'homme un «impératif catégorique''.
Notre malheur à nous les hommes c'est la pensée étroite
c'est-à-dire bornée, ou encore celui de « rester
rivés à notre rocher originel. »48(*)
La pensée élargie ouvre ainsi à une
problématique plus grande, celle de la doctrine du salut.
3. La doctrine du salut :
pour une spiritualité laïque
Plaidant en faveur d'un nouvel humanisme, Luc Ferry poursuit
la quête de ce que les Grecs et les chrétiens nommaient la
doctrine du salut. Contrairement à ses pairs Grecs et Chrétiens,
Luc Ferry entend par doctrine du salut, « une invitation à
vaincre les peurs pour se réconcilier avec la vie et se «sauver par
soi-même''. »49(*) Cette nouvelle doctrine du salut qualifiée par
Luc Ferry de « doctrine humaniste du salut »50(*) comporte quatre piliers qui
pourraient être considérés comme le « socle
d'une spiritualité laïque »51(*) : la singularité,
l'intensité de la vie, la sagesse de l'amour et l'instant
éternel.
La singularité
Ce premier pilier est issu directement de l'idéal de la
pensée élargie. Il nous invite à la
« singularisation de nos expériences, pour ne pas dire de
nos vies »52(*)
qui nous arrache à nous-mêmes pour comprendre autrui.
Le monde se construit, se fait et s'enrichit par des
singularités surtout quand elles acceptent de parler le langage de
l'universel. Par la singularité, les cultures s'enrichissent les unes
les autres. En cela, la singularité rejoint l'idéal de la
pensée élargie, car « en m'arrachant à
moi-même pour comprendre autrui, en élargissant le champ de mes
expériences, je me singularise puisque je dépasse tout à
la fois le particulier de ma condition d'origine pour accéder, sinon
à l'universalité, du moins à une prise en compte chaque
fois plus large et plus riche des possibilités qui sont celles de
l'humanité tout entière. »53(*)
Il faut noter ici comme le rappelle si bien Luc Ferry,
qu'accepter la diversité (les singularités) ce n'est pas la
révérer. Pour comprendre l'autre et mesurer ce qui nous
sépare de lui, il ne faut pas renoncer à soi.
L'intensité de la vie
Assumer le critère nietzschéen de
l'intensité : voilà le second pilier d'une
spiritualité laïque. La vie la plus riche, la plus intense, la plus
singulière et la plus élargie était celle qui aux yeux de
Nietzsche synchronisait harmonieusement en elle « la plus grande
diversité possible d'expérience agrandissant notre point de vue
sur l'humanité. »54(*) En l'absence de toute référence
extérieure ou supérieure à l'individu, la vie bonne, c'est
la vie la plus pleinement vécue, celle dans laquelle on est tout
à la fois « vraiment soi-même'' et pleinement investi dans
les activités de son choix.
Ce critère nietzschéen nous invite à une
vie plus élargie, ouverte au monde et aux autres. On vit d'autant plus
intensément que l'on s'ouvre le plus à l'autre, à la
nouveauté, à la diversité des cultures et des êtres.
Un tel chemin culmine dans l'expérience de l'amour.
La sagesse de l'amour
Seul l'amour est capable de donner sens à
l'expérience humaine ; l'amour distingue l'autre de tout. C'est
selon Luc Ferry, le point d'aboutissement d'une doctrine humaniste du salut car
c'est « la seule réponse plausible à la question du
sens de la vie - en quoi (...) l'humanisme non métaphysique peut bien
apparaître comme une sécularisation du
christianisme. »55(*)
Très souvent, écrit Luc Ferry, nos amours
s'éteignent parce que nous aimons chez l'autre des qualités
particulières et non sa singularité car « seule la
singularité qui dépasse à la fois le particulier et
l'universel, peut être objet d'amour. »56(*) Seule la singularité
permet de distinguer l'être aimé. C'est grâce à elle
que nous aimons quelqu'un et c'est aussi elle qui nous donne le sentiment que
quand bien même viendraient la souffrance et la maladie, on continuerait
à l'aimer. Ce qui doit être développé dans l'amour
réciproque, c'est donc la singularité. Cette singularité,
objet de l'amour, « n'est pas donnée à la
naissance. Elle se fabrique de mille manières, sans d'ailleurs que nous
en soyons toujours conscients, loin de là. Elle se forge au fil de
l'existence, de l'expérience, et c'est pourquoi, justement, elle est, au
sens propre irremplaçable. »57(*) L'amour est finalement selon
Luc Ferry une relation à la singularité de l'autre, ce qui en
fait un être unique, irremplaçable.
L'instant éternel
« Réinvestir l'idéal grec de cet
«instant éternel'', ce présent qui, par sa
singularité, justement, parce qu'on le tient pour irremplaçable
et qu'on en mesure l'épaisseur au lieu de l'annuler au nom de ce qui le
précède ou le suit, s'émancipe des nostalgies comme des
espérances, du passé comme de l'avenir »58(*), tel est le quatrième
pilier de la doctrine humaniste du salut auquel nous invite Luc Ferry. C'est
l'instant éternel qu'on rencontre chez Spinoza et Nietzsche. Ces moments
de grâce, uniques que nous désirons vivre à
l'éternité sont irremplaçables car ils sont singuliers.
C'est cela qui amène Luc Ferry à penser que la
spiritualité laïque qu'il défend rejoint la doctrine du
salut « dont l'idéal est de nous permettre de vaincre nos
peurs, à commencer bien entendu par celle de la mort que seul un contact
avec ce qui échappe au temps ou du moins semble l'abolir, avec
l'Irremplaçable, donc, parvient sinon à supprimer, du moins pour
ainsi dire à mettre entre parenthèses. »59(*) Voilà le bon rapport de
l'existence au temps qui, dans l'instant, l'introduit dans la dimension de
l'éternité.
Conclusion partielle
Ce chapitre nous a permis de présenter le nouvel
humanisme, l'humanisme de l'homme-dieu qui se situe à la croisée
de deux processus, l'humanisation du divin et la divinisation de l'humain
lequel fait descendre le sacré dans l'être humain : c'est ce
que nous avons appelé le sacré à visage humain. Il en
ressort que le nouvel humanisme n'est pas si hostile à la
transcendance ; il fait appel à une transcendance, une
transcendance pas comme les autres, une transcendance qui est immanente
à l'homme et qui se trouve dans l'expérience quotidienne. Cette
nouvelle transcendance a d'autres visages à savoir la justice, la
beauté, la vérité et l'amour car nous ne les inventons
pas, mais nous les découvrons en nous, dans nos expériences
humaines et qui s'imposent à nous comme des évidences. Ainsi
présenté, le nouvel humanisme nous a conduits à
reconsidérer la question du bonheur réponse de Luc Ferry à
l'antique question de la vie réussie. Il en ressort que pour Luc
Ferry, une vie réussie est celle qui repose sur quatre
piliers : être ouvert à l'autre, en ce qu'il a d'unique (la
singularité) et à la fois d'universel, l'intensité de la
vie, aimer vraiment (la sagesse de l'amour), et savourer les moments uniques
(l'instant éternel).
Toutefois, cet humanisme de l'homme-dieu de Luc Ferry suscite
néanmoins quelques interrogations à savoir : L'homme se
suffit-il ? N'y a-t-il pas une autre voie qui ouvre à
l'humanisation que celle que propose l'humanisme de l'homme-dieu ? Luc
Ferry ne se trompe t-il pas sur l'idée de la transcendance ou sur sa
conception du christianisme ? Toutes ces interrogations et bien d'autres seront
le fil conducteur du prochain chapitre dans lequel nous tenterons d'y apporter
une réponse.
CHAPITRE III :
ÉVALUATION CRITIQUE ET PERSPECTIVE
Introduction partielle
Comme nous l'avons vu plus haut, en menant sa réflexion
sur ce que pourrait être la vie bonne dans nos sociétés
sécularisées et désenchantées qui ont
congédié le divin, Luc Ferry plaide en faveur d'un nouvel
humanisme : l'humanisme de l'homme-dieu. Il est question pour nous ici,
après avoir présenté ce nouvel humanisme, d'analyser la
valeur de celui-ci en montrant ce par quoi il demeure un message de sagesse et
un appel pour les hommes d'aujourd'hui grâce à son invitation
à l'amour du singulier et son exigence de la «pensée
élargie''. Nous nous attarderons aussi sur ses limites ou
impensés à savoir la présence en l'homme de Dieu, la vie
spirituelle et mystique comme autre voie d'humanisation à la
lumière des autres philosophes et le cas du sacré qui ne peut se
comprendre et se définir que par rapport à la religion. Nous
finirons cette partie par une réflexion sur l'humanisme qui, selon nous,
convient à notre époque : l'humanisme de la finitude.
I. Portée de l'humanisme de
Ferry
L'humanisme de l'homme-dieu parle de manière forte aux
hommes d'aujourd'hui par des messages de sagesse. C'est ces messages que nous
voulons relever ici.
1. L'importance de la
pensée élargie
Par la pensée élargie, Luc Ferry invite à
agrandir son champ d'expérience. L'un des moyens qu'il propose c'est le
voyage. Grâce à la pensée élargie, le voyage devient
un impératif catégorique.
Le voyage permet de sortir de l'ordinaire car quand le poids
des journées répétitives nous colle les pieds au plancher,
un voyage nous en donne des ailes. Il fait grandir le plaisir d'apprendre, il
est une remarquable école dont l'enseignement finit par laisser des
traces. On peut s'offrir un surplus d'histoire grâce à celle des
autres, un surplus de culture grâce à la culture des autres, un
surplus de beauté grâce à celle des autres. Le voyage ouvre
l'esprit vers de nouveaux horizons. Montaigne dans ses Essais
précisait déjà qu'« il faut voyager pour
frotter et limer sa cervelle contre celle d'autrui. »60(*)
Grâce au voyage, on découvre les qualités
de la société qui est la sienne et on apprécie davantage
la chance que l'on a d'en faire partie. En élargissant sa pensée,
on développe la certitude d'avoir un avenir. Le voyage est une ouverture
sur le monde : à moins d'être borné, personne ne
revient d'un voyage plus idiot qu'avant. Il nous ouvre à autrui ;
la confrontation avec autrui nous emmène vers une pensée
élargie : si dans notre activité de penser, nous tenons compte
des autres, nous aboutissons alors à une pensée plus
complète, plus juste. On pense par soi-même et avec les
autres : c'est ce à quoi nous convie un voyage, qui apparaît
comme une véritable école de pensée.
Luc Ferry a le mérite de montrer que le voyage est
l'avenir de l'humanité car celui-ci permet de ne pas rester borné
mais de s'ouvrir aux autres et à d'autres réalités. Partir
découvrir ceux que l'on ne connaît pas, s'offrir pour apprendre,
s'ouvrir pour être : voilà l'idéal d'un voyage. Comme
tout ce qui compte dans la vie, un beau voyage est une oeuvre d'art :
c'est une création.
Il faudrait aussi ajouter l'étude d'une langue
étrangère comme étant un autre facteur favorisant la
pensée élargie pour notre époque. Quand j'étudie
une langue étrangère, que je veuille ou non, je ne cesse
d'élargir mon horizon car j'entre à travers elle en communication
avec plus de personnes mais aussi je découvre la culture qui s'attache
à cette langue. La langue n'est pas seulement le moyen
privilégié de communication entre les êtres humains, elle
incarne aussi la vision et la représentation du monde de son locuteur,
son imaginaire, sa façon de véhiculer le savoir. C'est la raison
pour laquelle la langue fonde l'identité culturelle d'un peuple :
elle est le pilier de la culture. Le malien Seydou Kouyaté disait
à ce sujet « ...par la langue, nous avons ce que le
passé nous a laissé comme message et ce que le présent
compose pour nous. C'est la langue qui nous lie et c'est elle qui fonde notre
identité. Elle est un élément essentiel et sans la langue
il n'y a pas de culture. »61(*) En parlant une langue autre que la mienne,
« je m'enrichis de manière irremplaçable d'un
apport extérieur à ma particularité
initiale. »62(*) D'où l'invitation du nouvel humanisme à
promouvoir dans notre société l'étude d'autres langues
mais aussi de sa langue maternelle car « chaque langue humaine
est une fenêtre ouverte sur le monde. »
2. Amour du singulier
Seule la singularité, pense Luc Ferry dans son nouvel
humanisme, « est objet d'amour. »63(*) Voici un message pour notre
société qui en matière d'affectivité ne sait plus
à quel saint se vouer.
Des personnes se rencontrent, sont séduites l'une et
l'autre, s'aiment, se marient mais quelques temps après s'ennuient
d'être ensemble et finissent par se séparer. Pourquoi une
telle réalité ? Parce qu'elles ont aimé en l'autre ses
qualités extérieures (force, humour, courage, gentillesse...) qui
sont des attributs périssables et non par ce qui le distingue des autres
êtres, c'est-à-dire ce qui fait de lui un être singulier.
Quand l'être aimé a perdu ses qualités extérieures
ou du moins ce qui était aimé en lui, l'amour qui était
porté pour lui finit aussi par disparaître pour céder la
place à la lassitude et à l'ennui : c'est la
séparation. Ces qualités particulières à savoir
« la beauté, la force, l'intelligence, etc., ne sont pas
propres à tel ou tel, elles ne sont nullement liées de
manière intime et essentielle à la «substance'' d'une
personne à nulle autre pareille, mais elles sont, pour ainsi dire,
interchangeables. »64(*)
Le mérite de Luc Ferry est de nous inviter dans son
humanisme de l'homme-dieu à porter notre amour non sur les
qualités extérieures de l'autre qui un jour peuvent ou vont
disparaître, mais sur sa singularité c'est-à-dire ce qui le
distingue de tous les autres êtres et « le rend à
nul autre pareil. »65(*) C'est cette singularité que nous sommes
appelés à aimer et à développer pour l'être
aimé comme en soi.
En aimant les qualités extérieures de l'autre
qu'on pourrait le cas échéant rencontrer chez d'autres, on l'aime
pas en tant que être singulier mais on aime ses qualités. C'est
pourquoi Pascal écrivait : « (...) celui qui aime
quelqu'un à cause de sa beauté, l'aime t-il ? Non ; car
la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera
qu'il ne l'aimera plus. Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma
mémoire, m'aime t-on, moi ? Non ; car je puis perdre ces
qualités sans me perdre moi-même. »66(*) Je peux tout perdre sans
perdre pour autant ma singularité, ce qui fait que je suis moi
c'est-à-dire ma dimension subjective et personnelle. C'est cette
singularité qu'il faut aimer car je suis seul à être
moi.
II. Les limites de l'humanisme de
l'homme-dieu
Il faut préciser que les victimes du
«désenchantement du monde'' dont parle Luc Ferry se repèrent
dans l'Occident chrétien et plus exactement dans les milieux catholiques
européens. Comme le dit Jean Daniel, « ni les musulmans
d'occident, Turcs, Marocains ou immigrés, ni les juifs de partout, ni
même la majorité des protestants d'Amérique ne paraissent
courir, angoissés, après leurs repères
perdus. »67(*) Il convient donc de relativiser les choses et de se
garder de tomber dans la généralisation. Toutefois, à quel
niveau faut-il situer les limites de l'humanisme de l'homme-dieu ?
1. Un Dieu présent en
l'homme
L'erreur de Luc Ferry est de croire que le Dieu des
chrétiens ne se manifeste que comme transcendance extérieure
à l'homme et donc de vouloir s'en protéger au nom d'une raison
suffisante et d'une sensibilité démocratique récusant
toute autorité supposée aliénante.
« L'obéissance à Dieu, écrit Jean Paul II,
n'est pas, comme le croient certains une hétéronomie, comme si la
vie morale était soumise à la volonté d'une toute
puissance absolue, extérieure à l'homme et contraire à
l'affirmation de sa liberté. »68(*)
Par une étrange méconnaissance du christianisme,
Luc Ferry, agnostique, oublie que Dieu se manifeste autant à
l'intérieur qu'à l'extérieur de l'homme. C'est ce que dit
admirablement Saint Augustin dans Les Confessions :
« Dieu plus intérieur que l'intime de
moi-même »69(*), soulignant ainsi à la fois la présence
divine aux tréfonds de tout homme et l'absolue transcendance de Dieu
incompréhensible. C'est également ce que nous donne de comprendre
cet autre passage des Confessions où Saint Augustin montre que
Dieu est présent au coeur de l'homme : « Je t'ai
aimée bien tard, Beauté ancienne et toujours nouvelle, Je t'ai
aimée bien tard ! Tu étais au-dedans de moi-même, et moi
j'étais au-dehors de moi-même, c'était en ce dehors que je
te cherchais (...). »70(*) C'est la présence de
Dieu en l'homme qui confirme et rétablit l'homme dans sa dignité.
« La dignité [de l'homme] n'existe pas sans ce conte [le
récit de la création], car elle a été
découverte ou inventée avec lui, et tous nos efforts pour la
fonder sur d'autres socles se sont révélés bien
piètres. »71(*)
Si je peux découvrir la vérité ou la
beauté en moi, c'est parce qu'elle a été mise en moi.
Comme le pensait René Descartes, Dieu n'a pas seulement
créé les existences (hommes, plantes, animaux...), mais il a
aussi créé les essences (lois physiques, vérités
logiques et mathématiques, esthétique, amour...). Il a
créé les vérités éternelles d'une
manière parfaitement libre. Il dira à cet effet,
« les vérités mathématiques lesquelles vous
nommez éternelles ont été établies par Dieu et en
dépendent entièrement aussi bien que tout le reste des
créatures. (...) Ne craignez point (...) de publier partout que c'est
Dieu qui a établi ces lois en la nature ainsi qu'un roi établit
des lois en son royaume. »72(*) Dieu apparaît ainsi aux yeux de René
Descartes comme le créateur de la vérité. L'humanisme de
l'homme-dieu en se limitant à la reconnaissance du mystère des
valeurs, ne cherche pas à les fonder mais se contente de les
éprouver parce qu'au nom d'une certaine laïcité, il ne veut
pas remonter à Dieu, créateur et donneur de sens aux valeurs.
2.
L'expérience spirituelle et mystique : autre voie de
l'humanisation
Comme le souligne Luc Ferry, les disciples de Jésus
étaient des gens simples, qui ont fait avec lui une expérience
humaine, spirituelle et mystique extraordinairement profonde. Il est
regrettable que Luc Ferry n'ait pas approfondi cette dimension dans son nouvel
humanisme. Il n'y a pas que la réflexion philosophique ou
l'expérience du beau, de la justice et de l'amour qui ouvre la voie
à l'humanisation, il y a aussi l'expérience spirituelle et
mystique.
L'humanisation se fait aussi par une vie spirituelle. Avoir
une vie spirituelle, cela humanise car celle-ci permet de se retrouver
soi-même comme homme et ensuite comme homme parmi les hommes.
Se retrouver soi-même comme homme : la
spiritualité bouddhiste nous en fournit un bel exemple. Elle est une
rencontre de l'homme avec lui-même, une sorte de catharsis, un processus
de purification au bout duquel l'homme se dépouille de tous ses masques
de laideur qui le déshumanisent pour coïncider avec son être
authentique d'homme. Selon la spiritualité bouddhiste, l'homme vraiment
homme c'est celui qui a atteint l'état d'éveil.
« L'éveil permet à l'homme d'entrer dans le nirvana
(illumination), puis d'atteindre à sa mort le parinirvâna
(l'illumination mais avec dissolution complète des agrégats par
la disparition des corps). »73(*)
En disant se retrouver homme parmi les hommes, on met l'accent
sur la relation de l'homme éveillé (vraiment homme) avec ses
semblables. A ce niveau la spiritualité chrétienne nous en donne
un témoignage. Elle invite à attester dans notre humanité
le mystère de Dieu dans l'agapè des relations humaines.
La philosophie chrétienne appelle à participer à
l'invention d'une société humaine ; humaniser nous dit-elle,
c'est aimer l'autre, c'est chercher la vie en l'autre, c'est écouter le
cri de détresse des autres et ne pas rester indifférent, c'est
approcher pour toucher du doigt leur souffrance, mettre fin au mal, à la
douleur oppressante, redonner un peu d'humanité à ceux que les
autres ou le mal avaient déshumanisé.
L'objectif de toute vie spirituelle est la rencontre de
l'autre en Dieu et de Dieu en l'autre74(*). L'humanisation du monde passe nécessairement
par le chemin de la contemplation. C'est la raison pour laquelle Marie-David
Giraud disait : « Pour être vraiment vivants,
nous sommes appelés à dire oui au travail
intérieur »75(*) c'est-à-dire à prier, à
méditer de manière à ouvrir l'oreille de son coeur au
monde déshumanisé pour lui redonner son éclat
d'humain : c'est en cela que «le christianisme est un
humanisme''.
3. Le sacré a-t-il un sens
en dehors de la religion ?
Dans son humanisme spiritualiste, Luc Ferry considère
le sacré comme « ce pourquoi on pourrait se
sacrifier ». Pour lui, le sacré s'est
déplacé de l'ancienne transcendance verticale vers la nouvelle,
la transcendance horizontale. Le sacré découle des
expériences vécues de l'homme et est désormais
pensé à partir de lui.
Or contrairement à ce que pense Luc Ferry,
« est sacré, nous dit Michel Meslin, ce qui est
chargé de présence divine, mais est aussi sacré ce qui est
interdit au contact des hommes. »76(*) Le sacré est ce qui
contient et manifeste la présence divine. A travers le sacré, il
y a une épiphanie du divin. C'est dire que le sacré est une
expression de la religion car il est presque synonyme de celle-ci. Il
« est toujours le lieu médiateur entre l'humain profane et
le divin, parce qu'il est comme le retentissement, ou comme le reflet, du divin
dans le monde de l'homme. »77(*)
Le sacré (et avec lui le profane) en dehors de la
religion ne peut se penser. En effet, le sacré, mais aussi le profane,
sont deux catégories qui ne peuvent se définir et se comprendre
que dans le cadre opératoire de la religion : il n'y a de
sacré que par rapport à la religion. C'est verser dans
l'idéologie que de considérer le sacré hors du cadre
religieux. Parler du sacré hors de la religion c'est faire une vaine
spéculation78(*).
C'est la raison pour laquelle Rudolf Otto écrivait
que, « le sacré est tout d'abord une catégorie
d'interprétation et d'évaluation qui n'existe, comme telle, que
dans le domaine religieux. »79(*)
Parler du sacré à visage humain comme le veut
l'humanisme de l'homme-dieu c'est en fin de compte reconnaître en l'homme
l'épiphanie du divin. C'est la présence en l'homme du divin qui
lui donne un caractère sacré. C'est donc parce que je reconnais
ce caractère sacré de l'homme que je peux me sacrifier pour lui.
Le sacré ne trouve tout sens que dans le cadre de la
religion, laquelle se vit dans une relation avec la Transcendance.
III. Perspective : Pour un
humanisme de la finitude
Notre monde depuis le XVIIIe siècle, subit
un énorme changement qui porte moins sur les valeurs elles-mêmes
que sur leur statut. Nous sommes passés d'une morale transcendante ou
religieuse à une morale immanente ou humaniste. L'image du mal est
devenue la torture qui est considérée par notre époque
comme le plus grand mal que l'on puisse faire à autrui. Et l'image du
bien est celle de l'humanitaire parce qu'il n'y a rien de plus vertueux,
à nos yeux, que de sauver une vie humaine ou de soigner un blessé
ou un miséreux.
Cela signifie t-il que l'homme soit désormais dieu,
comme le voudrait Luc Ferry ? L'humanisme qui convient à notre
temps est un humanisme de la finitude, qui reconnaît ses limites et par
humilité et lucidité renonce à les dépasser. Ces
limites sont de trois ordres : limites naturelles, limites
socio-politiques et limites métaphysiques ou spirituelles.
1. Limites naturelles de
l'humanisme : l'écologie et la bioéthique
S'il est une nouvelle valeur apparue récemment, c'est
bien l'écologie ; c'est une nouvelle valeur parce que c'est d'abord
un nouveau problème. C'est parce que nos parents n'avaient pas les
moyens de saccager la nature qu'ils n'avaient pas à se soucier de sa
préservation. C'est parce que nous avons cette puissance et ces moyens,
que l'écologie est devenue une valeur pour nous. L'écologie nous
enseigne que « l'homme n'est pas Dieu »80(*), qu'il n'a pas tous les
droits, qu'il fait partie de la nature dont il dépend et qu'il doit
respecter. Bref, « l'humanisme n'est pas une
religion »81(*), c'est une morale. Il n'est légitime
qu'à condition d'accepter ses propres limites, qu'à condition que
l'homme accepte qu'il n'est pas Dieu et renonce à avoir tous les
droits.
C'est aussi ce qu'indique la bioéthique. Dieu est
défini en philosophie comme étant la causa sui (cause de
soi). C'est justement ce que l'être humain n'est pas et ne saurait le
devenir. Modifier le patrimoine génétique de l'humanité,
autrement dit se mettre au dessus de la nature, ce serait prendre la place de
Dieu et c'est ce que la prudence, l'humilité et la lucidité nous
interdisent de faire. A chaque fois que les hommes dans l'histoire de
l'humanité ont voulu prendre la place de Dieu, cela a conduit à
des désastres et des catastrophes.
2. Limites sociales et politiques
de l'humanisme
Ce serait se tromper gravement que de croire que l'humanisme,
même dans la société suffise à tout et
spécialement qu'il tienne lieu de politique. La morale et la politique
sont deux choses différentes, nécessaires toutes deux, mais qu'on
ne saurait confondre ni réduire l'une à l'autre.
La morale humaniste fixe les fins ; la politique s'occupe
surtout des moyens. La morale tend à être universelle, toute
politique est particulière. La morale se veut
désintéressée, aucune politique ne l'est. Comment la
morale suffirait-elle à tout ? Les Droits de l'homme sont une
grande chose, mais ne sauraient tenir lieu de politique.
Prenons comme exemple la générosité et la
solidarité. Sur le plan moral, la générosité est
bien supérieure parce qu'elle est désintéressée (ce
que la solidarité par définition n'est jamais). Mais
politiquement et socialement, la solidarité est beaucoup plus efficace
car personne ne paye les impôts ou les taxes par
générosité. La politique n'est pas affaire de
générosité ; elle doit tendre vers la
solidarité. Il ne s'agit pas de ne plus être égoïste
(exigence morale, non politique), mais d'être égoïstes
ensemble et intelligemment, plutôt que bêtement et les uns contre
les autres. Il ne s'agit pas d'être des saints : il s'agit
d'être solidaires. La société humaine fonctionne par
intérêt car nous disons très
souvent, « par manque d'intérêt, demain n'aura
pas lieu. »82(*)
3. Limites métaphysiques ou
spirituelles de l'humanisme
Les limites naturelles peuvent dans une certaine mesure
être considérées comme limites métaphysiques ou
spirituelles : c'est parce que nous faisons partie de la nature que nous
ne pouvons pas nous mettre à la place de Dieu ; c'est parce que
l'homme est dans la nature (Physis) que l'humanisme ne peut être
une métaphysique. Faire de l'homme un Dieu, ce serait se tromper sur
l'homme et se mentir sur Dieu.
L'humanisme de la finitude c'est l'humanisme non de
l'homme-dieu, mais de l'homme-humain. L'homme n'est pas dieu : il n'est
pas immortel, ni tout puissant, ni omniscient, ni infiniment bon. Cependant,
cela ne le dispense pas de devenir humain par la morale et par
l'éthique. Être humaniste, ce n'est pas adorer l'homme comme on
ferait d'un dieu, c'est le respecter toujours et l'aimer comme on peut.
Conclusion partielle
Au demeurant, notre préoccupation au cours de ce
chapitre a consisté à évoquer quelques points par lesquels
le message de l'humanisme de l'homme-dieu reste une sagesse pour notre
époque : il s'agit de la pensée élargie qui
grâce au voyage et à l'apprentissage des autres langues se
présente comme l'avenir de l'humanité et l'amour du singulier qui
est une invitation à aimer chez l'autre ce qu'il a de subjectif et de
personnel. D'autre part, nous avons mis en lumière quelques limites de
l'humanisme de l'homme-dieu de Luc Ferry. Celles-ci nous ont permis de montrer
que la transcendance de Dieu est extérieure et intérieure
à l'homme, que l'humanisation se fait aussi par le biais d'une
expérience spirituelle et mystique. Mais aussi nous avons montré
que le sacré n'a de sens que dans le cadre de la religion car il est son
expression. Ceci nous a permis pour finir, d'évoquer en perspective la
figure que pourrait prendre l'humanisme dans notre temps. Nous avons
proposé un humanisme de la finitude c'est-à-dire un humanisme qui
en reconnaissant ses limites qui sont naturelles, socio-politiques et
métaphysiques, renoncent par humilité et lucidité à
les dépasser.
CONCLUSION
GÉNÉRALE
Notre travail avait pour but de présenter le nouvel
humanisme de l'homme-dieu ou humanisme spiritualiste. Celui-ci part d'un
principe : certaines valeurs sont supérieures à la vie et
à l'existence à savoir l'amour, la justice, la beauté et
la vérité. Cet humanisme ne recourt pas à une explication
théologique ou à une démonstration logique faisant
autorité, mais il accepte une part d'inexpliqué dans l'homme
située au-delà de la nature. Cet humanisme de l'homme-dieu,
incarné dans l'immanence d'une conscience, relie tous les hommes entre
eux. Il renferme en lui une part de sacré qui vise l'universel,
l'éternité, voire l'immortalité.
Pour arriver à cette conclusion, il nous a
semblé judicieux de préciser le contexte d'émergence de la
pensée de Luc Ferry. Ce dernier écrit et pense dans un monde
laïcisé et désenchanté où le réel est
organisé par la science et la technique. Ensuite nous avons fait
allusion à
Nietzsche qui,
avec sa déconstruction de la métaphysique va accompagner le
désenchantement du monde occidental.
A la question «qu'est-ce qu'une vie
réussie ?'', qui lui a servi de fil conducteur, Luc Ferry propose
un humanisme non hostile à la transcendance, mais qui la situe au coeur
même de l'humain. Le recours à cette transcendance horizontale se
fonde selon lui sur le caractère irréductible de la
liberté humaine ainsi que sur la persistance en nous des valeurs
éthiques, scientifiques et même esthétiques. Ce nouvel
humanisme englobe le renouveau de la vocation éthique de la
théorie à partir de la conception autoréflexive de la
science contemporaine, une nouvelle humanisation du cosmos qui passe par le
concept kantien de la «pensée élargie'' et enfin une
doctrine humaniste du salut reposant sur quatre piliers à savoir :
la prise en compte de la singularité, le recours au critère
nietzschéen de l'intensité harmonieuse de la vie, l'exigence
retrouvée de l'amour chrétien et la capacité
stoïcienne d'éprouver l'instant présent comme
éternité. Ces quatre dimensions constituent pour Luc Ferry la
réponse à la question de la vie réussie.
Bien qu'il demeure pour notre époque un message de
sagesse avec son invitation à aimer en l'autre ce qu'il a de singulier
mais aussi par l'exigence de la «pensée élargie'', avenir de
l'humanité, pour séduisant que soit cet humanisme l'homme-dieu,
il n'est cependant pas entièrement convaincant. C'est la raison pour
laquelle nous nous sommes permis d'émettre quelques réserves. A
travers ces réserves, nous avons montré qu'après tout Dieu
est présent en l'homme, qu'il y a à côté de la
philosophie l'expérience mystique et spirituelle qui ouvre la voie
à l'humanisation et enfin que le sacré est une catégorie
d'interprétation religieuse et par conséquent ne peut être
défini que dans le cadre de la religion.
Au terme de cette présentation, nous sommes
arrivés à penser, à cause de la finitude de l'homme, que
le véritable humanisme qu'il faut pour notre temps est un humanisme de
la finitude qui, reconnaissant ses limites naturelles, socio-politiques et
métaphysiques renonce à les dépasser par humilité
afin de mieux penser et accepter sa condition humaine.
Au demeurant donc, l'humanisme de l'homme-dieu tel que nous le
propose Luc Ferry, pose finalement avec gravité la question au
philosophe comme au théologien sur ce que leur réflexion rend
possible en termes de vivre et d'horizon de sens pour l'humanité.
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages de Luc Ferry :
1. Apprendre à vivre. Traité de philosophie
à l'usage des jeunes générations, Paris, Plon,
2006.
2. L'homme-Dieu ou le sens de la vie, Paris,
Grasset, 1996.
3. Qu'est ce qu'une vie réussie ?, Paris,
Grasset, 2002.
Ouvrages philosophiques :
1. AUROUX Sylvain (dir.), Les notions philosophiques,
t1, Paris, PUF, 2002.
2. CAPELLE Philippe, COMPTE-SPONVILLE André, Dieu
existe t-il encore ?, Paris, Cerf, 2006.
3. DELSOL Chantal, Éloge de la singularité.
Essai sur la modernité tardive, Paris, La Table Ronde, 2007.
4. DESCARTES René, Lettre à Mersenne,
15 avril 1630.
5. MESLIN Michel, L'expérience humaine du divin.
Fondements d'une anthropologie religieuse, Paris, Cerf, 1988.
6. MILOSZ Czeslaw, Visions de la baie de San
Francisco, Paris, Fayard, 1980.
7. MONTAIGNE Michel, Essais, Paris, PUF, 2004.
8. NIETZSCHE Friedrich, Ainsi parlait Zarathoustra,
trad. Bianquis, Paris, GF-Flammarion, 1997.
· Ecce homo. Nietzsche contre Wagner, trad.
Blondel, Paris, GF-Flammarion, 1992.
· La volonté de puissance, t.1, trad.
Bianquis, Paris, Gallimard, 2007.
9. OTTO Rudolf, Le sacré. L'élément
non rationnel dans l'idée du divin et sa relation avec le
rationnel, Paris, Payot, 1969.
10. PASCAL Blaise, Pensées, coll. Livre de
Poche, Paris, Librairie Générale Française, 1962.
11. SAINT AUGUSTIN, Confessions, trad. Arnauld
d'Andilly, Paris, Gallimard, 1993.
Autres ouvrages:
1. AKOUN André (dir.), Dictionnaire de
sociologie, Paris, Le Robert/Seuil, 1999.
2. JEAN PAUL II, Lettre encyclique «Veritatis
Splendor'', Paris, Mame/Plon, 1993.
Articles, Revues et Cours:
1. ANTOINE Agnès, L' « humanisme
spiritualiste » de Luc Ferry, in Esprit n°227,
décembre 2006.
2. DANIEL Jean, «Le seul bagage qui vaille...'' in Le
Nouvel Observateur, Hors série, n°28, Novembre 1996.
3. NDEH Dominique, Cours de philosophie de la
religion, inédit, 2008-2009.
4. Panorama, n°358, Septembre 2002.
Pages électroniques :
1. http://fr.wikipedia.org/wiki/Bouddhisme.
2. http://www.kanjamadi.com/mahamadsangare.html
TABLE DE MATIERES
DÉDICACE
i
REMERCIEMENTS
ii
INTRODUCTION GENERALE
1
CHAPITRE I : CONTEXTE D'EMERGENCE DE
L'HUMANISME DE L'HOMME-DIEU
3
Introduction partielle
3
I. Du monde sécularisé
à la révolution démocratique
3
1. Une France laïque et
désenchantée
3
2. La révolution
démocratique
4
II. Nietzsche et la déconstruction
des «idoles'' de la religion et de la métaphysique
5
1. Illusion du recours à la
transcendance
5
2. Fondements et arguments du
matérialisme nietzschéen
6
Conclusion partielle
7
CHAPITRE II : L'HUMANISME DE
L'HOMME-DIEU : UN HUMANISME LAIC
8
Introduction partielle
8
I. Principes du nouvel humanisme
8
1. L'humanisation du divin
8
2. La divinisation de l'humain
9
3. Le sacré à visage
humain
10
II. Implications de l'humanisme de
l'homme-dieu
11
1. La transcendance dans l'immanence
11
2. Les nouveaux visages de la
transcendance
12
III. Une nouvelle approche de la question du
bonheur
13
1. Théorie : l'âge de
l'autoréflexion
13
2. Éthique : la pensée
élargie
14
3. La doctrine du salut : pour une
spiritualité laïque
15
La singularité
16
L'intensité de la vie
16
La sagesse de l'amour
16
L'instant éternel
17
Conclusion partielle
18
CHAPITRE III : ÉVALUATION CRITIQUE ET
PERSPECTIVE
19
Introduction partielle
19
I. Portée de l'humanisme de Ferry
19
1. L'importance de la pensée
élargie
19
2. Amour du singulier
20
II. Les limites de l'humanisme de
l'homme-dieu
21
1. Un Dieu présent en l'homme
22
2. L'expérience spirituelle et
mystique : autre voie de l'humanisation
23
3. Le sacré a-t-il un sens en dehors
de la religion ?
24
III. Perspective : Pour un humanisme de
la finitude
25
1. Limites naturelles de l'humanisme :
l'écologie et la bioéthique
25
2. Limites sociales et politiques de
l'humanisme
26
3. Limites métaphysiques ou
spirituelles de l'humanisme
26
Conclusion partielle
27
CONCLUSION GÉNÉRALE
28
BIBLIOGRAPHIE
30
TABLE DE MATIERES
32
* 1 Agnès ANTOINE,
L' « humanisme spiritualiste » de Luc Ferry,
in Esprit n°227, décembre 2006, p. 38.
* 2 André AKOUN
(dir.), Dictionnaire de sociologie, Paris, Le Robert/Seuil, 1999, p.
303.
* 3 Sylvain AUROUX
(dir.), Les notions philosophiques, t 1, Paris, PUF, 2002, p.
1432.
* 4 André AKOUN
(dir.), op. cit., p. 140.
* 5 Agnès ANTOINE,
op. cit., p. 34.
* 6 Idem.
* 7 Ibid., p. 35.
* 8 Luc FERRY, Apprendre
à vivre. Traité de philosophie à l'usage des jeunes
générations, Paris, Plon, 2006, p. 253.
* 9 Luc FERRY, Qu'est ce
qu'une vie réussie ?, Paris, Grasset, 2002, p. 85.
* 10 Friedrich
NIETZSCHE, Ainsi parlait Zarathoustra, trad. Bianquis, Paris,
GF-Flammarion, 1997, p. 48.
* 11 Luc FERRY, Qu'est
ce qu'une vie réussie ?, op. cit., p. 88.
* 12 Ibid., p.
94.
* 13 Friedrich NIETZSCHE,
Ecce homo. Nietzsche contre Wagner, trad. Blondel, Paris,
GF-Flammarion, 1992, p.48.
* 14 Luc FERRY,
Apprendre à vivre. Traité de philosophie à l'usage des
jeunes générations, op. cit., p. 178.
* 15 Idem.
* 16 Friedrich NIETZSCHE,
La volonté de puissance, t.1, trad. Bianquis, Paris, Gallimard,
2007, p. 231.
* 17 Ibid., p.
133
* 18 Luc FERRY,
L'homme-dieu ou le sens de la vie, Paris, Grasset, 1996, p. 19.
* 19 On doit entendre par
humanisation une relativisation positive du fini par la présence
libératrice, en son sein, d'un vrai Infini, et non comme une dissolution
négative réduisant l'Infini à la simple dialectique
interne du fini.
* 20 Ibid., p.
57-58.
* 21 Ibid., p.
84.
* 22 Ibid., p.
85.
* 23 Luc FERRY,
Apprendre à vivre. Traité de philosophie à l'usage des
jeunes générations, op. cit., p. 282.
* 24 Luc FERRY,
L'homme-dieu ou le sens de la vie, op. cit., p. 132.
* 25 Ibid., p.
133.
* 26 Ibid., p.
177.
* 27 Ibid.,
p. 66.
* 28 Ibid., p.
43.
* 29 Luc FERRY,
Apprendre à vivre. Traité de philosophie à l'usage des
jeunes générations, op. cit., p. 270.
* 30 Luc FERRY, Qu'est
ce qu'une vie réussie ?, op. cit., p. 450.
* 31 Luc FERRY,
Apprendre à vivre. Traité de philosophie à l'usage des
jeunes générations, op. cit., p. 273.
* 32 Ibid., 272.
* 33 Luc FERRY, Qu'est
ce qu'une vie réussie ?, op. cit., p. 452.
* 34 Ibid., p.
443.
* 35 Luc FERRY,
Apprendre à vivre. Traité de philosophie à l'usage des
jeunes générations, op. cit., p. 273.
* 36 Luc FERRY, Qu'est
ce qu'une vie réussie ?, op. cit., p. 453.
* 37 Ibid., p.
450.
* 38 Ibid., p.
453.
* 39 Ibid., p.
459.
* 40 Ibid., p.
460.
* 41 Luc FERRY,
Apprendre à vivre. Traité de philosophie à l'usage des
jeunes générations, op. cit., p. 277.
* 42 Ibid., p.
278.
* 43 Luc FERRY, Qu'est
ce qu'une vie réussie ?, op. cit., p. 466.
* 44 Ibid., p.
467.
* 45 Ibid., p. 468.
* 46 Luc FERRY,
Apprendre à vivre. Traité de philosophie à l'usage des
jeunes générations, op. cit., p. 285.
* 47 Luc FERRY, Qu'est
ce qu'une vie réussie ?, op. cit., p. 469.
* 48 Ibid., p.
477.
* 49 Ibid., p.
471.
* 50 Idem.
* 51 Ibid., p.
472.
* 52 Idem.
* 53 Luc FERRY,
Apprendre à vivre. Traité de philosophie à l'usage des
jeunes générations, op. cit., p. 292.
* 54 Luc FERRY, Qu'est
ce qu'une vie réussie ?, op. cit., p. 476.
* 55 Luc FERRY,
Apprendre à vivre. Traité de philosophie à l'usage des
jeunes générations, op. cit., p. 293.
* 56 Ibid., p.
296.
* 57 Idem.
* 58 Luc FERRY, Qu'est
ce qu'une vie réussie ?, op. cit., p. 480.
* 59 Ibid., p.
480-481.
* 60 Cf. Michel Eyquem
de MONTAIGNE, Essais, Paris, PUF, 2004.
* 61
http://www.kanjamadi.com/mahamadsangare.html
* 62 Luc FERRY,
Apprendre à vivre. Traité de philosophie à l'usage des
jeunes générations, op. cit., p. 293.
* 63 Luc FERRY, Qu'est
ce qu'une vie réussie ?, op. cit., p. 479.
* 64 Luc FERRY,
Apprendre à vivre. Traité de philosophie à l'usage des
jeunes générations, op. cit., p. 295.
* 65 Ibid., p.
296.
* 66 Blaise PASCAL,
Pensées, 306.
* 67 Jean DANIEL, «Le
seul bagage qui vaille...'' in Le Nouvel Observateur, Hors
série, n°28, Novembre 1996.
* 68 JEAN PAUL II,
Lettre encyclique «Veritatis Splendor'', n°41.
* 69 Saint AUGUSTIN,
Confessions, III, 6, 11.
* 70 Ibid., X, 27,
38.
* 71 Chantal DELSOL,
Éloge de la singularité. Essai sur la modernité
tardive, Paris, La Table Ronde, 2007, p. 37.
* 72 René
DESCARTES, Lettre à Mersenne, 15 avril 1630.
* 73
http://fr.wikipedia.org/wiki/Bouddhisme.
* 74 Panorama,
n°358, Septembre 2002, p. 36.
* 75 Ibid., p.
30-31.
* 76 Michel MESLIN,
L'expérience humaine du divin. Fondements d'une anthropologie
religieuse, Paris, Cerf, 1988, p. 66.
* 77 Ibid., p.
97.
* 78 Dominique NDEH,
Cours de philosophie de la religion, inédit, 2008-2009.
* 79 Rudolf OTTO, Le
sacré. L'élément non rationnel dans l'idée du divin
et sa relation avec le rationnel, Paris, Payot, 1969, p. 19.
* 80 Philippe CAPELLE &
André COMPTE-SPONVILLE, Dieu existe t-il encore ?, Paris,
Cerf, 2006, p. 54.
* 81 Idem.
* 82 Czeslaw MILOSZ,
Visions de la baie de San Francisco, Paris, Fayard, 1980, p. 122.
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