Le manuel scolaire à l'école
primaire :
Effets et limites1(*)
Elhabib STATI
Chercheur en politiques publiques
ÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜ
Qui n'a pas, dès son entrée à
l'école primaire, tenu dans ses mains un manuel scolaire ?
Certes, pour plusieurs élèves, il est le
premier livre rencontré. Pour certains d'entre eux, il sera peut
être le dernier. Peu importe. Le manuel demeure encore aujourd'hui, plus
que jamais, indispensable.
Au Maroc, les manuels scolaires connaissent actuellement
de profonds changements. Soumis d'un contexte socioculturel et politique en
mutation2(*), et suites aux
avancées des disciplines et à la diffusion des nouvelles
approches éducatives, ils changent de contenu et de méthodes.
Au sein de nos établissements, le débat
sur le manuel scolaire ne porte que sur ses aspects extérieurs. Il
aborde rarement son contenu et son usage.
Au collège, au lycée et notamment à
l'école primaire, on discute parfois du renouvellement des manuels, mais
on parle très peu de ses apports et ses limites.
Il serait utile de rappeler ce que l'on entend "
manuel scolaire". Le dictionnaire Robert définit le manuel
comme « un ouvrage didactique présentant, sous un format
maniable, les notions essentielles d'une science, d'une technique, et
spécialement les connaissances exigées par les programmes
scolaires.»
De même, le Dictionnaire de la langue
française le définit comme « Ouvrage contenant les
notions fondamentales d'une science, d'une technique, d'un art ». Le
groupe français de pilotage du programme de travail (1997-1998)3(*), considère le manuel
scolaire comme "tout support pédagogique (livres ou fiches) qui
doit être acquis par l'élève ou qui est mis à sa
disposition par l'établissement."
Les manuels sont décrits, en outre, comme
« des outils au service de la sécurisation de l'enseignant.
Ils serviraient ainsi de mesure étalon pour identifier ce que
l'élève doit savoir et être capable de faire au cours et
à la fi n de l'année »4(*).
Ils sont même un outil au service de
l'égalité des chances, de la pédagogie et de
l'apprentissage.
A la lecture de ces définitions, on constate que le
manuel scolaire remplit à la fois une mission officielle, puisqu'il
traduit la philosophie éducative de l'Etat, et une fonction
pédagogique car il comporte les connaissances que l'élève
doit retenir dans un niveau donné de sa scolarisation.
Le présent article se propose, dans un premier
temps, d'exposer les effets bénéfiques de l'usage de cet outil
didactique, et dans un second temps, de dégager quelques unes de ses
limites au sein de l'école primaire au Maroc.
A. Les effets bénéfiques de l'usage du
manuel scolaire :
Tandis que l'enseignement oral prévalait encore
comme moyen de transmission des connaissances et de formation de l'esprit, les
textes écrits, bien que réservés à une
minorité de personnes cultivées, avaient déjà un
rôle didactique. De quelque nature qu'ils aient été, ce
produit écrit, en plus de leur fonction de conserver l'histoire ou de
laisser des traces concrètes et fidèles des
sociétés et des civilisations, a servi, depuis des
siècles, de support et d'instruments d'enseignement.
Depuis que l'instruction scolaire pour tous a
été instaurée, tout d'abord dans un certain nombre de
pays, puis reconnue comme un droit universel, l'utilisation
généralisée des manuels s'est imposée comme une
nécessité pour assurer l'efficacité de l'enseignement et
la réussite scolaire5(*). Le manuel scolaire est un outil si usuel6(*)qu'on oublie parfois de
réfléchir à sa nature, à sa fonction, et surtout
à son utilité.
Au bout du compte, il semble qu'on ait peu écrit
à propos d'une question fondamentale : les manuels scolaires sont-ils
efficaces ? Bien sûr, les spécialistes se sont posés la
question, mais il est difficile d'y répondre... Comment en effet isoler
l'effet du manuel scolaire qui n'est qu'un outil dans un attirail
pédagogique ?7(*)
Dans les pays en voie de développement, y compris
le Maroc, le manuel est considéré a priori comme étant un
élément-clé pour l'amélioration de la
qualité de l'enseignement. C'est un outil qui accompagne chaque
élève dans son apprentissage. Ces utilisateurs directs8(*) confirment eux même cette
nécessité. Les autres acteurs, notamment le ministère
concerné, ses services internes et externes, les éditeurs et
même les inspecteurs soutiennent la forte utilité de cet outil
pédagogique.
A l'école primaire où les connaissances
et les expériences de l'apprenant sont limitées, on ne peut nier
les effets bénéfiques du manuel scolaire. Ce dernier joue un
rôle important pour les raisons suivantes :
o D'abord, il permet à l'élève de se
familiariser avec les livres. C'est une invitation à lire, à
découvrir et à interroger avant même avoir l'idée du
contenu du livre et de sa nature. On néglige souvent de mettre quelques
livres à la disposition des enfants juste pour les inciter à se
familiariser avec ce support d'information, de documentation ou de
référence. Il arrive aussi qu'on oblige l'enfant à lire un
livre donné sans prendre en compte ses tendances et ses
intérêts. Dans ce sens, responsables de l'éducation sont
appelés à doter l'école par une bibliothèque assez
riche, contenant des livres divers, des histoires variées, et qui sont
pertinentes aux besoins des élèves. Benoît Jadin note que
« s'habituer aux manuels, c'est se familiariser aux livres, et avoir
une chance d'y prendre goût... donner à tous les mêmes
outils, c'est un des moyens de démocratiser l'école.
»9(*)
o En second lieu, le manuel scolaire est le meilleur outil
pour apprendre à l'élève à lire, au sens large du
terme. Il ne s'agit pas seulement de l'initier à déchiffrer ou
à comprendre le sens de ce qu'il lit, mais aussi le conduire à
appréhender la structure d'un texte, à retrouver certains
éléments, à utiliser une table des matières ou un
index10(*)...
o En troisième lieu, le livre scolaire
présente « l'intérêt d'avoir un texte relié et
continu, sans erreurs (ou pas trop), auquel l'élève peut avoir
recours à tout instant. D'aucuns n'ont que des feuilles volantes qui
s'éloignent parfois loin de leur port d'attache. Ce recours à des
écrits solides favorise l'autonomie de l'élève et peut
contribuer au travail de structuration de ses acquis. »11(*)
o Le livre scolaire inciter l'imagination de
l'élève. Il ne suffit pas de chercher des textes ici et là
juste pour les coller dans les manuels. Il faut donner à
l'élève la possibilité de concevoir des dessins et des
images et de' développer ainsi son imagination.
o Enfin, le livre scolaire offre le moyen d'évaluer les
acquis des apprenants. Généralement, le manuel scolaire contient
les connaissances que l'élève doit maîtriser à un
niveau donné de sa scolarisation. Parallèlement, il propose des
exercices qui permettent à l'enseignement de mesurer le degré de
maîtrise par l'élève de ces connaissances.
Ceci dit le manuel scolaire remplit quatre
fonctions fondamentales ; Pour l'élève, il
véhicule des savoirs. Il lui offre l'opportunité de
découvrir, d'apprendre, de comprendre et de concevoir. Pour
l'enseignant, il est une source d'activités pédagogiques,
contenant une banque de données conformes aux programmes officiels. De
plus, il constitue pour la famille un outil de suivi et d'accompagnement du
travail de leurs enfants. Il établit ainsi le lien entre
l'établissement scolaire et les parents. Enfin, le manuel scolaire
définit les attentes de l'institution éducative en fixant les
contenus officiels de l'enseignement.
B. Les limites du manuel scolaire :
Pour que l'élève construise du sens, il faut
au préalable que les savoirs qui lui sont enseignés soient
insérés dans une situation d'apprentissage significative. Comme
le rappelle Fabre, la question du sens se joue à un triple niveau, celui
de la signification ou de la validité des savoirs (fonction
épistémologique), celui de la manifestation ou de la motivation
pour l'élève (fonction psychologique) et celui de la
référence (fonction sociale)12(*).Partant de ces fonctions, on peut citer certaines
limites des manuels scolaires utilisés dans notre école
primaires.
La limite épistémologique :
La majorité des acteurs rencontrés estiment
que les critères évoqués par les inspecteurs pour
sélectionner et définir un bon manuel portent davantage sur la
forme que sur le contenu. Cependant, le choix d'un bon manuel doit se fonder
sur ce qu'il transmet aux élèves. Il est vrai que
l'élève s'intéresse à la forme du manuel, mais ce
n'est là qu'un élément marginal qui doit complèter
l'essentiel, à savoir le contenu.
Il ne suffit pas d'avoir des manuels avec des lettres
claires et lisibles et des textes accompagnés d'images... il faut
s'interroger sur ce que ces textes et ses supports véhiculent comme
savoirs et valeurs.
C'est la question clé qui nous permet de valider le
contenu d'un manuel. On constate que le livre au programme à la
première année du primaire, par exemple, ne permet pas à
l'élève , dans le milieu urbain comme dans le milieu rural
d'enrichir suffisamment son vocabulaire. En effet,chaque qui y
étudiée est suivie automatiquement de trois images contenant
cette lettre et de trois activités
typiques : « Qu'est-ce que
c-est ? », « Que fait-il/elle »
ou « Je lis et je lie »13(*).Sauf que sur les cahiers
d'exercices le maître doit diversifier les activités
d'apprentissage pour entraîner l'élève à lire,
à écrire, à copier et à s'exprimer. le manuel
scolaire est censé diversifier les situations d'apprentissage ; il
devrait proposer à l'élève des activités de lecture
, d `écriture et d `expression.
Dans ce cadre, à quoi sert un texte de lecture s'il
ne donne pas à l'élève la possibilité d'exploiter
les phrases de ce texte pour l'apprentissage de la grammaire et de la
conjugaison et surtout pour des productions écrites.
Dans un manuel de langue arabe de la
6ème année, la première unité traite des
« valeurs islamiques et l'humanité » alors que la
production écrite,dans cette même unité, porte sur la
description d'un personnage, d'un lieu ou d'une chose. Quelle relation y a-t-il
entre ces deux activités ?
Autre remarque, les auteurs du manuel scolaire de la
5ème année de la langue française14(*) ont réussi, selon
plusieurs professeurs de la matière, à bien choisir les
poèmes, ce qui n'est pas le cas s'agissant des autres textes.
En outre, plusieurs professeurs de la
2ème année primaire n'approuvant pas la façon
dont les auteurs présentent les leçons de la multiplication et de
la soustraction.
Pour cette raison, les auteurs du manuel des langues
devraient être conscients de ce travail de structuration et veiller
à la cohérence de chaque unité d'apprentissage. Ce travail
ne peut être fait que par des auteurs qui ont la compétence de
produire des textes cibles, courts et pertinents. Les leçons de
maths,quant elles, doivent être présentées d'une
manière plus simple et plus attirante.
La limite psychologique :
Le désir de motiver l'élève est le
grand souci de ceux qui conçoivent et produisent les manuels scolaires.
C'est dire que les textes choisis doivent répondre aux besoins affectifs
et aux intérêts de l'élève. Il faut don veiller au
bon choix du contenu des manuels scolaires15(*), et à une sélection précise
aussi bien des couleurs que de la forme et de la taille des lettres.
La limite sociale :
Est-ce que nos manuels scolaires tiennent des
spécificités culturelles de nos élèves ?
Cette question a fait couler beaucoup
d'encre depuis plusieurs années. Elle reste toujours posée.
Le respect de La spécificité culturelle des
élèves ne constitue pas, en lui -même, un défit,
c'est le financement de cette volonté qui pose problème, car la
production d'un livre scolaire est une entreprise complexe et de longue
haleine. Elle nécessite des investissements importants et des ressources
humaines engagées et compétentes.
Conclusion :
On ne peut résoudre d'un coup de baguette magique
les nombreux problèmes que posent la conception et la production des
manuels scolaires.
Certes, nos manuels actuels ne sont pas totalement
satisfaisants. Pour les améliorer il faut procéder à des
études approfondies qui porteraient aussi bien sur les objectifs et les
programmes des différents niveaux que sur la philosophie et les enjeux
qui leur sont liés.
Bibliographie :
§ Benoît Jadin, dans son article : "Le retour
des manuels", paru dans le journal : Le Ligueur, n°31, publié
le 24 Août 2005.
§ Christian Cherdon, « Quel avenir pour le
manuel scolaire ? », Intervention au salon de
l'éducation, Namur ,17 Octobre 2007, Forum Nord.
§ Fabre, M, « Situations-problèmes
et savoir scolaire ». Paris : Presses universitaires de
France, 1999.
§ Johanne Lebrun, Yves Lenoir et Julie Desjardins, Revue
des sciences de l'éducation, vol. 30, n°3, 2004.
§ François-Marie
Gérard, « Le manuel scolaire, un outil efficace, mais
décrié », Education & Formation : e-292,
Janvier 2010.
§ Le groupe de pilotage du programme de travail conduit
par l'Inspection générale de l'éducation nationale
française sous le thème : Le manuel scolaire. Juin 1998.
§ UNESCO, « l'élaboration des
manuels scolaires, Guide méthodologique », par Roger Seguin,
Division des sciences de l'éducation, contenus et méthodes de
l'éducation, Décembre 1989.
* 1 Article publié aux
cahiers de l'éducation et de la formation, N° 3, Septembre 2010.
* 2 Christian
Cherdon, « Quel avenir pour le manuel
scolaire ? », Intervention au salon de l'éducation, Namur
,17 Octobre 2007, Forum Nord.
* 3 Travail conduit par
l'Inspection générale de l'éducation nationale
française sous le thème : Le manuel scolaire. p : 6.
* 4 Johanne Lebrun, Yves
Lenoir et Julie Desjardins, Revue des sciences de l'éducation, vol. 30,
n° 3, 2004, p. 511.
* 5
UNESCO, « l'élaboration des manuels scolaires, Guide
méthodologique », par Roger Seguin, Division des sciences de
l'éducation, contenus et méthodes de l'éducation,
Décembre 1989.p :10.
* 6 Travail conduit par
l'Inspection générale de l'éducation nationale
française sous le thème : Le manuel scolaire. Op.cit.
p : 5.
* 7 François-Marie
Gérard, « Le manuel scolaire, un outil efficace, mais
décrié », Education & Formation - e-292, Janvier
2010. p : 14.
* 8 Les élèves et
les professeurs.
* 9 Benoît Jadin, dans
son article : "Le retour des manuels", paru dans le journal : Le
Ligueur, n°31, publié le 24 Août 2005.
* 10 Benoît .J,
Op.cit.
* 11 Benoît .J,
Op.cit.
* 12 Fabre
.M, « Situations-problèmes et savoir
scolaire ». Paris : Presses universitaires de France,
1999.
* 13 Le manuel scolaire de la
langue arabe (1ière année primaire).
* 14 Mes apprentissages en
français.
* 15 Citant par exemple dans
ce sens, l'effort fourni par les auteurs du manuel de la langue arabe de la
3ème année . Ils ont choisi des textes et des
activités langagières d'une manière proche aux
intérêts des apprenants.