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La question de la décroissance chez les verts français

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par Damien ZAVRSNIK
Université Aix- Marseille  - Diplôme d'études politiques 2012
  

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L'amorce d'une opérationnalisation politique

Le concept de « prospérité sans croissance » est une piste de réflexion intéressante pour les écologistes. Il reprend leur ligne antiproductiviste tout en lui donnant un caractère plus construit et positif. Mais en dépit de la qualité de son travail théorique, Tim Jackson ne délivre que peu de mesures concrètes. Il est donc nécessaire d'opérationnaliser le concept de « prospérité sans croissance » pour le rendre mobilisable dans le champ politique. C'est le projet qu'a entrepris le parti belge francophone Ecolo à travers sa fondation.

L'exemple d'Ecolo est particulièrement intéressant dans le cadre de notre étude. Cette formation est en effet « le plus grand des partis Verts en Europe » selon l'expression de Pascal Delwit306(*). Il est incontestablement celui qui a le plus avancé dans sa conversion majoritaire. Il compte un nombre d'adhérents aussi important que le parti français pour une population bien moindre et s'est érigé une stature de parti de pouvoir depuis sa participation à différentes coalitions gouvernementales. Toutefois Ecolo a connu des résultats électoraux en dents de scie sur la dernière décennie. Après une importante victoire en 1999 qui le situait autour de 20 % des suffrages, le parti a essuyé plusieurs défaites de rang en 2003 et 2004. La formation écologiste belge a alors mené un travail de reconstruction doctrinal et stratégique. Selon Edgar Szoc, coordinateur du pôle prospective à Etopia, le parti s'est reconcentré sur « la crédibilité économique autour d'un néokeynesiansime vert »307(*) incarné par le slogan « Green New Deal » qu'il fit sien. La logique de pouvoir est parfaitement assumée par Ecolo, le parti se présente aux élections pour les gagner et parvenir au gouvernement. Cette ambition a conduit le parti à reléguer l'antiproductivisme au second plan malgré un « intérêt certain » de la base militante pour ce sujet. Edgar Szoc va même plus loin et évoque une différence d'appréciation claire entre les dirigeants et élus du parti et les militants sur la question de la décroissance (« appareil nettement plus réticent à ce genre d'idéologie que la base, certainement à cause d'un principe de réalité »). Il fait l'hypothèse que la décroissance serait incompatible avec l'obtention du pouvoir ce qui expliquerait une certaine « crainte » des dirigeants à porter ce thème (« Si on porte ce programme, former un gouvernement deviendrait impossible ; ou alors on y renonce en le mettant simplement dans le programme »). C'est dans ce contexte que la fondation Etopia a commencé à mener un travail d'opérationnalisation de la « prospérité sans croissance ». L'enjeu est de taille pour Ecolo puisque le concept de Tim Jackson lui permettrait potentiellement de se mettre en accord avec son « récit identitaire » antiproductiviste tout en restant identifié comme parti de gouvernement. Le think-thank écologiste belge travaille donc avec différents chercheurs européens, dont la Française Dominique Méda, pour rendre concrète la troisième voie dessinée par Tim Jackson.

Pour ce qui concerne notre étude des Verts français, les termes ne se posent pas de la même façon. Le parti n'a pas encore complétement achevé sa mue majoritaire. Le nombre d'élus au niveau national reste faible, les participations gouvernementales épisodiques, et il ne semble pas y avoir une telle rupture entre les militants et les cadres. Même si ce n'est pas la ligne « officielle » du parti, Yves Cochet et d'autres militants plaident ouvertement en faveur de la décroissance à l'intérieur du mouvement. Le débat y est présent et assumé. A l'instar d'Ecolo, le parti écologiste français trouverait toutefois un intérêt certain à mobiliser le concept de « prospérité sans croissance ». Or il apparait pour l'instant que les thèses de Tim Jackson n'aient pas traversé les frontières françaises308(*).

***

L'étude des militants Verts confirme l'hypothèse d'une sensibilité forte au sujet de la décroissance. Une bonne partie d'entre eux retrouvent d'ailleurs avec la décroissance des idées proches de celles qu'ils défendaient dans les mouvements sociaux des années soixante-dix ou postérieurs. Si les militants témoignent souvent d'un intérêt plutôt fort pour la décroissance, l'analyse de leur définition du concept montre des niveaux d'appréhension pluriels. En raison de sa relative nouveauté dans l'espace public et de son manque de formalisation, la décroissance n'est pas encore tout à fait cernée y compris chez les militants écologistes même si la plupart font preuve d'un bon niveau d'appréhension.

D'une manière générale, la décroissance n'est pas souhaitée en tant que « vitrine » du parti bien que la remise en cause du modèle de développement inégalitaire et « croissanciste » soit jugée comme prioritaire. Cette ambivalence est significative de la difficulté du parti Vert à promouvoir un projet antiproductiviste tout en se détachant du « mot obus » de décroissance. Le concept de « prospérité sans croissance » initié par Tim Jackson constitue à ce jour la piste de réflexion la plus prometteuse pour résoudre cette équation. A condition qu'elle soit empruntée par l'ensemble des acteurs du parti et non seulement par des experts qui délivreraient une doctrine clef en main aux militants.

Conclusion Titre III

La décroissance questionne l'identité productiviste du parti Vert français. Sans hésiter à frapper fort sur les dirigeants écologistes, elle s'invite dans le débat identitaire des Verts. Or le parti écologiste ne cache plus ses aspirations à devenir majoritaire. Depuis les années quatre-vingt-dix un ensemble de réformes ont été engagées pour adapter le « parti antiparti » au marché politique. Surtout les écologistes semblent avoir pris conscience qu'ils ne changeront pas la société seuls. Le jeu démocratique impose de construire des majorités d'idées au-delà de son propre camp, d'où l'acceptation d'un certain réalisme avec la mise sur pied d'une stratégie partenariale.

Dans cette perspective nous avons essayé de montrer que la fragilité identitaire des Verts français les conduisait à intégrer la critique décroissante. Toutefois, sur ce sujet comme sur beaucoup d'autres, les écologistes font montre de leur attachement à la complexité chère à Edgar Morin. Faute de pouvoir trancher clairement l'objectif final du parti, les Verts intègrent la décroissance dans leur récit identitaire à travers le compromis de la « décroissance de l'empreinte écologique ». Un entre deux qui ne satisfait pas vraiment grand monde. Les partisans de la décroissance souhaitant une affirmation plus forte tandis que les « pragmatistes » cherchent à relativiser du mieux possible la portée du concept. En fonction de ce contexte, nul doute que le travail de requalification autour de « la prospérité sans croissance » puisse être utile aux écologistes à l'avenir.

* 306 DELWIT, Pascal, « Ecolo : Les défis du plus grand des partis verts en Europe », dans Pascal Delwit et Jean-Michel De Waele, Les Partis verts en Europe, Bruxelles, Editions Complexe, 1999, p. 113-138

* 307 Propos recueillis lors d'un entretien avec Edgar Szoc au siège d'Etopia (Bruxelles), le 2 mai 2011

* 308 La seule, et à notre connaissance unique, référence aux travaux de Tim Jackson remonte à lorsqu'il fut lui-même invité lors des Journées d'été du parti à Nantes en août 2010.

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