La question de la décroissance chez les verts français( Télécharger le fichier original )par Damien ZAVRSNIK Université Aix- Marseille - Diplôme d'études politiques 2012 |
Le triomphe des « pragmatistes » ?Les changements stratégiques des Verts français illustrent la diversité intra-partisane et les logiques différentes voire antagonistes que suivent divers groupes au sein du parti. C'est l'hypothèse posée par Herbert Kitschelt : le parti se place à des endroits spécifiques d'un continuum dont les deux extrémités seraient d'une part la « compétition électorale » et de l'autre la « représentation du noyau militant ». La position sur ce continuum est déterminée en fonction d'un rapport de force entre divers groupes d'adhérents: les « idéologues », les « pragmatistes » et les « lobbyistes ». Figure 3 : Présentation du « modèle théorique » de Kitschelt, d'après Rihoux, B., Les partis politiques..., op. cit., p. 92. Benoît Rihoux a repris le modèle théorique de Kitschelt sous la forme d'un schéma (cf. figure 3) afin de montrer les imbrications complexes entre les variables externes et internes qui fondent les orientations stratégiques des partis Verts. Pour reprendre la théorie de Kitschelt il semblerait que le parti Vert français avait initialement pour but de porter les revendications des militants. Le positionnement ni gauche - ni droite serait donc la manifestation d'un rapport de force interne favorable aux « idéologues » et « lobbyistes ». Les « pragmatistes » étaient alors pour l'essentiel militants à Génération Ecologie dont la philosophie politique consistait à faire avancer la cause écologique sans prêter garde à l'obédience politique des partenaires. Le changement d'orientation stratégique serait donc le résultat d'un retournement de majorité au profit des « pragmatistes ». Il est tentant d'accorder un certain crédit à cette analyse. Elle permet de mettre en lumière la nature hybride de l'organisation écologiste qui s'est construite sur une l'hésitation entre expérimentation de nouvelles manières de vivres et parti de pouvoir. Guillaume Sainteny remarquait en 1991 que « ces diverses fonctions, loin d'être congruentes peuvent se révéler conflictuelles, nécessitant des logiques distinctes et obéissent à des logiques de rétribution différentes »259(*). Toutefois la typologie de Kitschelt enferme les interactions internes du parti écologiste dans une lecture réifiante. L'adoption d'une ligne pragmatique à travers la volonté de conclure des alliances électorales est moins la conséquence d'un groupe de « pragmatistes » arrivant à la tête du parti que le fruit d'une évolution sociologique interne et des modifications des conditions politiques externes. Il faut voir que le parti se professionnalise de plus en plus à partir de la fin des années quatre-vingt en raison de la croissance du nombre d'élus. Les préoccupations des adhérents, ayant désormais pour beaucoup un mandat électif, changent et influent sur les options stratégiques du parti. La volonté de conserver son mandat ou d'en acquérir de nouveaux relativise la position autonomiste et ouvre la discussion sur les partenariats politiques. De plus l'entrée des Verts au Parlement et au gouvernement a catalysé la constitution d'une élite Verte. Pour la première fois les Verts jouissent des avantages d'un parti de pouvoir (financement accru, staff professionnel élargi,...). Mais surtout le porte-parolat du parti revient de fait aux députés et à la ministre qui concentrent l'attention des médias. On assiste alors à une autonomisation de cette élite qui tend à passer outre les règles du parti260(*). Le modèle de Kitschelt n'est donc pas tout à fait approprié pour étudier les options stratégiques des Verts français. Au regard des évolutions récentes du parti, il parait difficile de discerner clairement les groupes de militants identifiés par Kitschelt. Une très grande majorité des représentants au Conseil fédéral d'EELV approuvait ainsi la recherche d'un accord avec le Parti socialiste en vue des législatives de 2012. Les oppositions à l'accord, adopté à 74 %, portaient en réalité plus sur le volet programmatique que sur l'aspect électoral. L'étude des choix stratégiques des Verts français démontre la tendance manifeste à l'institutionnalisation du parti. Les alliances avec le Parti socialiste lui ont permis d'engranger un capital politique nouveau et d'être perçu en tant que parti de gouvernement. Cette stature est renforcée par la position clef qu'occuperaient les Verts en cas de majorité de « gauche ». La taille du parti n'est en effet pas évaluée en fonction de ses résultats électoraux mais de sa position dans une coalition261(*). Le choix des socialistes de privilégier les discussions avec les écologistes pour les élections de 2012 plutôt qu'avec le parti communiste n'est d'ailleurs pas étranger à cette considération tactique. Au final la stratégie d'alliance avec le P.S a donné aux Verts une force dans le paysage politique au-delà même de leurs résultats électoraux. *** Malgré leur incapacité structurelle à choisir clairement le rôle de leur parti, les Verts connaissent toutefois un processus d'institutionnalisation depuis les années quatre-vingt-dix. Le parti écologiste semble s'orienter vers la société politique et accepter les règles qui la régissent mais ne parvient pas à faire le lien avec les nombreuses initiatives, combats et débats qui font la richesse du mouvement écologiste. C'est là tout l'enjeu du nouveau parti-réseau EELV que de permettre aux écologistes d'accéder au pouvoir en remettant pied dans le mouvement social dont ils se sont éloignés au fil des épisodes électoraux. L'équilibre n'est cependant pas facile à trouver. La conversion majoritaire des Verts français est perçue par certains comme une forme de dissolution idéologique. Les Verts renonceraient à leur ambition alternative en échange de quelques postes laissés par la social-démocratie vieillissante. La ligne politique des écologistes est en fait plus complexe. Certes les Verts assument leur prétention électorale et leur envie d'obtenir des responsabilités mais ils ne renient pas leur idéologie contestataire. Comme l'explique Bruno Villalba, l'idéologie des écologistes est tout autant un moyen de se différencier dans le jeu politique que de s'y intégrer. Les écologistes n'ont jamais souhaité mettre à bas la société politique telle qu'elle est pour en reconstruire une nouvelle. Leur philosophie est au contraire de convaincre pour parvenir à gagner une « majorité culturelle ». Les Verts acceptent donc les compromis inhérents au jeu politique mais veulent rester fidèles à leurs principes, avec tous les risques et difficultés que cela comporte. * 259 GUILLAUME, Sainteny, Les Verts, op.cit., p. 30-31 * 260 Certains députés n'hésitent pas à contredire publiquement les décisions du parti. Surtout Dominique Voynet accepte d'entrer au gouvernement malgré un vote contre du CNIR à 80%. * 261 SARTORI, Giovanni, Parties and Party Systems: A Framework for Analysis, Vol. 1, Cambridge, Cambridge University Press, 1976 |
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