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La question de la décroissance chez les verts français

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par Damien ZAVRSNIK
Université Aix- Marseille  - Diplôme d'études politiques 2012
  

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Hypothèses 

Depuis 1984 et l'entrée des écologistes en politique, les thèses du parti Vert reposent sur un socle commun antiproductiviste. En effet l'antiproductivisme est au coeur de la matrice idéologique écologiste. L'émergence des Verts interprétée de manière sociologique permet d'ailleurs d'expliquer ce constat. Les dégâts du productivisme ont créé un conflit social matérialisé par la vigueur des mouvements sociaux dans les années soixante-dix et notamment la lutte antinucléaire. Ce conflit social précéda la création du parti écologiste qui n'est autre que la manifestation de ce conflit dans le champ partisan. Il tentera alors de peser dans le jeu politique pour réaliser ses objectifs idéels et en particulier faire advenir une société plus respectueuse de l'homme et de son environnement.

L'antiproductivisme constitue ainsi le soubassement de l'ensemble de la critique écologiste. Guillaume Sainteny le définit comme un « système centralisé, hiérarchisé, caractérisé par la parcellisation des tâches et le gigantisme des unités de production où l'homme est uniquement considéré comme un producteur et un consommateur »14(*). Cette notion est à la source de la différenciation des Verts vis-à-vis des autres partis politiques. En outre, leur refus de se positionner sur le clivage droite-gauche peut s'expliquer par l'attachement des formations des deux bords au productivisme. La maximisation de la croissance économique est en effet au coeur du référenciel identitaire de l'ensemble des partis qualifiés de « traditionnels » par les écologistes. Pour cause, la croissance est à la fois l'indicateur évaluant la performance de leurs politiques et le levier créant les conditions pour les mettre en oeuvre. Pour la gauche comme pour la droite, l'augmentation du P.I.B apparait comme la fin et le moyen de toute action politique. Très schématiquement, les partis conservateurs et libéraux souhaitent débrider le marché pour favoriser la création de richesse tandis que les formations socialistes et communistes la conçoivent comme le levier d'une société égalitaire. La stratégie du « ni gauche-ni droite » et plus généralement l'autonomie de l'écologie politique, marqueur identitaire toujours fort, peut se comprendre au prisme de l'antiproductivisme.

Dès lors notre première hypothèse est que la logique du projet15(*) des Verts français est sensiblement proche des idées développées par le courant de la décroissance. Nonobstant les fluctuations des programmes et des discours, l'antiproductivisme constitue pour le parti Vert un invariant politique de long terme. Décroissance et écologie politique seraient implantées dans le même terreau idéologique antiproductiviste. Dans le cadre du paradigme des clivages, Verts et objecteurs de croissance se situeraient donc sur le même versant d'un clivage productivistes/antiproductivistes.

Cependant la volonté du parti écologiste d'acquérir une audience électorale plus large nous conduit à relativiser cette première hypothèse par l'émission d'une seconde. La tentation d'accéder au pouvoir imposerait aux Verts une modération des thèmes portés dans le champ politique. La décroissance, par sa nature radicale, semble alors trop conflictuelle pour rassembler une majorité d'électeurs. A ce titre les périphrases de « décroissance soutenable et équitable » ou de « décroissance de l'empreinte écologique16(*) » utilisées par le parti semblent symptomatiques d'une difficulté à endosser pleinement cette idée, voire l'expression d'un certain malaise.

Cette ambivalence sur la reprise de la décroissance comme axe programmatique et stratégique peut s'interpréter à l'aune des définitions classiques d'un parti politique. Parmi les quatre critères que retiennent Myron Weiner et Joseph La Palombra, le suivant parait particulièrement opportun : « la volonté délibérée des dirigeants nationaux et locaux de prendre le pouvoir (seuls ou avec d'autre) et non pas, simplement, d'influencer le pouvoir »17(*). Si l'on considère que les partis sont la conséquence de l'irruption des masses sur la scène politique alors cette recherche du pouvoir promeut un certain réalisme politique conduisant à abandonner certaines idées trop clivantes. La sociologie politique nous apprend aussi que les différents partis politiques appartiennent à une même communauté d'acteurs dans le jeu de la représentation politique. Malgré leurs conflits, tous les acteurs de cette communauté s'accordent sur des valeurs qui structurent et font exister ce jeu de représentation. Or l'idée que la croissance participe au bien être de la société semble faire partie de ces valeurs dominantes. Affirmer la décroissance conduirait donc à prendre le risque de se mettre hors (du) jeu de la concurrence pour l'exercice du pouvoir légitime.

Notre seconde hypothèse consiste donc à montrer que les Verts français se réapproprient le thème de la décroissance en l'euphémisant pour le rendre compatible avec la logique de compétition électorale. Le parti Vert français connait depuis une quinzaine d'années un processus d'institutionnalisation et n'hésite plus à afficher clairement son ambition de pouvoir18(*). D'un autre coté la formation écologiste n'est pas épargnée par les tensions qui émaillent la vie interne des petits partis lorsqu'ils opèrent leur conversion majoritaire. Au contraire la jeune mais très conflictuelle histoire du parti Vert témoigne de fragilités identitaires structurelles. Les changements de ligne politique ou le choix de candidats se soldent en effet régulièrement par de véritables psychodrames internes19(*). Par conséquent le parti Vert n'a d'autre choix que d'intégrer le thème de la décroissance pour maintenir la cohérence de son récit identitaire basé sur l'antiproductivisme.

Confronter ces hypothèses à la réalité empirique a nécessité le recours à une littérature relativement variée. Nous avons évidemment mobilisé les différentes études scientifiques existantes sur les Verts. Concernant la décroissance, la chose fut moins aisée puisqu'il n'existe que très peu de travaux universitaires sur le sujet, du moins en science politique. Il a donc fallu rechercher dans le vaste corpus intellectuel de ce mouvement de pensée les éléments permettant de le circonscrire. Preuve de l'intérêt croissant que suscite la décroissance, de nombreuses publications récentes dont de remarquables tentatives de synthèses20(*) nous ont aidés. Par ailleurs nous avons également mené une étude de terrain en réalisant des entretiens avec un député Vert en la personne d'Yves Cochet, quatre députés européens écologistes, un responsable de la fondation écologiste belge Etopia, et de nombreux collaborateurs d'élus. Notre enquête nous a aussi amené à passer un questionnaire aux militants EELV du Pays d'Aix. Les innombrables discussions informelles avec ces derniers dans le cadre d'une « observation participante » ont aussi contribué à enrichir notre réflexion.

Les développements de ce mémoire seront articulés autour de trois grands axes. Le premier consiste à cerner un peu mieux les contours de cette nouvelle écologie radicale qu'est la décroissance (titre premier). Les grandes lignes de cet objet politique encore mal connu seront mises en exergue de manière historicisée (chapitre premier) et nous verrons selon quelles modalités il s'insère dans le champ politique (chapitre deux). Le chapitre trois consistera à croiser décroissance et écologie politique afin de démontrer l'invariant politique antiproductiviste qui structure le parti Vert.

Le deuxième angle de notre étude vise à développer l'idée d'un clivage productivistes/antiproductivistes (deuxième partie). Nous expliquerons en quoi le paradigme des clivages nous semble pertinent pour analyser les partis Verts (chapitre quatre) malgré une nécessaire réadaptation théorique (chapitre cinq). Ces deux développements permettront de replacer l'écologie politique dans le temps long et de montrer que les Verts et la décroissance se situent sur un même versant de clivage. Toutefois il importe aussi de considérer le parti écologiste sous l'angle d'un entrepreneur idéologique et culturel pour comprendre les mécanismes identitaires présidant au processus de réappropriation de la décroissance (chapitre six).

Dans un dernier temps l'intégration de la décroissance par les Verts français sera spécifiquement étudiée (troisième partie). Si l'organisation partisane écologiste opère sa mue en parti de pouvoir (chapitre sept), elle doit se réapproprier la décroissance pour garder pied dans son récit identitaire interne (chapitre huit). Enfin une attention particulière sera portée sur les militants et une piste de synthèse sera esquissé (chapitre neuf).

* 14 SAINTENY, Guillaume, Les Verts, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1991, p. 55

* 15 Nous empruntons cette terminologie à SEILER, Daniel Louis, Les partis politiques en Occident, Paris, Ellipses, 2003

* 16 L'empreinte écologique mesure la pression de l'homme sur la nature en calculant la superficie naturelle nécessaire à la satisfaction des besoins d'une population donnée.

* 17 LA PALOMBRA, Joseph, WEINER, Myron, « The Origin and Developpement of political parties », dans Joseph La Palombra, Myron Weiner (eds.), Political Parties and Political Developpement, Princeton, Princeton University Press, 1966, p.6

* 18 Les journées d'été de Nantes en 2010 avaient pour titre « l'écologie à l'épreuve du pouvoir »

* 19 Les Verts ont perdu un tiers de leurs effectifs lorsque Dominique Voynet évinça Antoine Waechter de la tête du parti en 1993. De même en 2002, après avoir désigné Alain Lipietz comme candidat à la présidentielle, les écologistes sont revenus sur leur décision pour finalement lui préférer Noël Mamére.

* 20 LAVIGNOTTE, Stéphane, La décroissance est-elle souhaitable ?, Paris, Textuel, 2009 ; DUVERGER, Timothée, La Décroissance, une idée pour demain, Paris, Sang de la Terre, 2011

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