AIX-MARSEILLE UNIVERSITE
INSTITUT D'ETUDES POLITIQUES
MEMOIRE
pour l'obtention du Diplôme
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La question de la décroissance chez les Verts français
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Par Monsieur Damien ZAVRSNIK
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Sous la direction de M. Daniel-Louis SEILER
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Année Universitaire 2011/2012
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L'IEP n'entend donner aucune approbation ou improbation
aux opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent
être considérées comme propres à leur
auteur.
Remerciements
Je tiens à remercier en premier lieu
M. Daniel-Louis Seiler pour avoir accepté la direction de ce
mémoire ainsi que pour ses conseils méthodologiques et
bibliographiques.
Ma reconnaissance va également à l'ensemble des
personnes qui m'ont aidé dans mes recherches. Députés,
collaborateurs ou militants du groupe local EELV du Pays d'Aix, leur
disponibilité et leurs analyses me furent d'une aide précieuse
dans la réalisation de ce travail.
Je remercie tout particulièrement mes parents et mes
frères et soeurs pour leur soutien et notamment ma mère pour sa
relecture attentive ; Abigaël pour sa patience, sa tendresse et ses
conseils ; Catherine et Philippe pour les friandises du soir ; et
enfin mes amis dont la jovialité donne le sourire au quotidien.
Mots-clés
- ANTIPRODUCTIVISME
- CLIVAGES PARTISANS
- DECROISSANCE
- ECOLOGIE POLITIQUE
- IDENTITE
- PARTI POLITIQUE
Résumé
Ce mémoire recherche si et comment le mouvement de la
décroissance influence le parti écologiste français. Cette
pensée nouvelle et subversive porte une critique radicale du capitalisme
et s'attaque aux mythes de la « société de
croissance ». L'étude de la genèse politique et
idéologique du parti Vert français démontre une
proximité évidente avec la décroissance par son
attachement à l'antiproductivisme. Décroissance et
écologie politique se situeraient alors sur un même versant de
clivage structurant l'espace politique. Mais les partis sont des matrices
idéologiques et culturelles en interaction permanente avec leur
environnement politique et social. Dans cette perspective il est montré
le processus d'intégration de la décroissance par les Verts
français. Compte tenu de leurs spécificités, les
écologistes se réapproprient à minima les idées
décroissantes pour conserver leur assise identitaire sans toutefois
stopper leur conversion majoritaire.
Sommaire
Introduction
Titre Premier : La
Décroissance, le retour d'une écologie
radicale
Chapitre 1 : La décroissance, un objet
politique propre ?
Chapitre 2 : La décroissance dans le
champ politique
Chapitre 3 : L'antiproductivisme, un invariant
politique des Verts français
Titre Deux : L'activation d'un clivage
productivistes/antiproductivistes
Chapitre 4 : La théorie des clivages
comme prisme d'analyse de l'écologie politique
Chapitre 5 : La nécessaire
réadaptation des clivages pour situer les partis
écologistes
Chapitre 6 : Approche conceptuelle de
l'identité partisane des Verts français
Titre Trois : La
réappropriation de la décroissance par les Verts
français
Chapitre 7 : Une organisation partisane en
voie d'institutionnalisation
Chapitre 8 : La réappropriation de la
décroissance, une nécessité pour le
« récit identitaire » écologiste
Chapitre 9 : Une base militante sensible au
débat sur la décroissance
Conclusion
générale
« Sans l'hypothèse qu'un autre monde est
possible, il n'y a pas de politique, juste la gestion administrative des hommes
et des choses »
Ernst Bloch,
Le Principe Espérance
Introduction
« Il ne peut y avoir de croissance infinie dans un
monde fini ». Si l'on devait résumer en une phrase le
crédo écologiste, ce serait certainement celle-ci. Depuis les
années 1970 s'est progressivement installée une prise de
conscience collective de la crise écologique et de son origine
anthropique. Les défis environnementaux (pollutions multiples,
changement climatique, raréfaction des ressources naturelles, etc) se
sont imposés au coeur du débat public suscitant des
réactions diverses. Du développement durable proposé par
le Rapport Bruntland à la croissance verte prônée jusque
dans les milieux d'affaire, la question de la réinvention d'un
modèle de développement intégrant les limites
écologiques attire tous les regards. Parmi les réponses
émises, un nouvel objet a fait irruption dans le paysage politique et
médiatique français. Le mouvement de la décroissance a en
effet gagné, en quelques années, une notoriété
évidente. Pourtant, la décroissance semble bien mal connue.
Tantôt vilipendée comme le rêve fou d'idéalistes
irresponsables, tantôt remarquée comme horizon nécessaire
mais peu désirable, la décroissance alimente les controverses,
pas toujours pour le meilleur.
Incompréhension légitime tant il est vrai que
la décroissance bouscule les habitudes et modes de pensées
propres aux sociétés occidentales. Ce courant politique, plus
proche du mouvement social que de la forme partisane, est composé de
personnalités variées (artistes, penseurs, économistes
hétérodoxes, ...) qui se donnent le
nom d'« objecteurs de croissance »1(*). Au mythe mis en avant depuis
les Trente glorieuses de l'opulence matérielle procurant le bonheur, ils
opposent une critique écologiste radicale. Sur la base des travaux de
l'économiste autrichien Nicolas Georgescu-Roegen, ils dénoncent
« l'oxymore » de la croissance verte : toute
croissance économique, même estampillée
« durable », engendre une perte d'énergie et de
matière irrémédiable qui la rend incompatible avec la
finitude de la planète.
Cependant les objecteurs de croissance n'approuvent pas
complètement eux-mêmes le mot
« décroissance ». Celui-ci est plus pour eux un
slogan politique, un « mot obus » comme le dit le
politologue objecteur de croissance Paul Ariès, qu'un véritable
concept théorique. La décroissance connait d'ailleurs une
certaine requalification sémantique pour évider le mot de sa
charge purement négative. Les récents écrits sur la
décroissance affichent ainsi des titres moins provocateurs sous les
vocables de sobriété heureuse, de frugalité joyeuse,
etc2(*). Malgré ces
périphrases l'ensemble des auteurs de la mouvance décroissante
désignent un même projet. La décroissance est souvent
entendue comme la réduction du Produit Intérieur Brut (P.I.B). Or
la visée des objecteurs de croissance est profondément
différente de l'idée d'une croissance quantitativement
négative qui ne serait finalement autre que le symétrique de la
croissance. Ce qui importe pour eux est de sortir de la logique de la
croissance entendue comme un système économique
autonomisé, incapable de penser ses limites naturelles et sociales.
C'est la focalisation de l'organisation économique sur l'objectif de
maximisation de la croissance qui doit être combattue. La
dénonciation de la « religion de la croissance »
débouche alors sur le projet ambitieux de « sortir de
l'économie »3(*), de la « société de
croissance », pour entrer dans une « société
de décroissance ».
La décroissance a schématiquement un double
objectif. Le premier est de créer du dissensus à l'heure
où le développement durable se lit sur toutes les lèvres
et où toutes les forces politiques disent avoir intégré la
dimension écologique. En dénonçant avec force le
ripolinage en vert du système économique (green-washing)
les objecteurs de croissance veulent faire justice des velléités
écologistes de ceux qui souhaiteraient polluer moins pour polluer plus
longtemps. Le « mot obus » de décroissance
re-politise la question environnementale qui s'était dernièrement
banalisée et questionne les valeurs qui sous-tendent un véritable
projet de société écologique.
L'autre objectif n'est autre que le prolongement du premier.
Il est de mettre sur le métier une critique nouvelle du capitalisme
selon le critère de sa soutenabilité écologique.
Nonobstant la diversité des thuriféraires de la
décroissance, tous s'accordent à dire que la sortie de la logique
de la croissance ne peut se faire qu'en sortant du capitalisme. Si le
communisme a été autant voire plus productiviste que le
capitalisme, la logique d'accumulation illimitée qui caractérise
ce dernier n'en est pas moins incompatible avec la décroissance.
« Le mouvement de la décroissance est
donc anticapitaliste et révolutionnaire »4(*) au sens où il postule la
sortie du capitalisme pour aboutir à une société de
décroissance dans laquelle le partage, la convivialité et le
plaisir de vivre simplement seraient rois.
Par-delà un certain nombre de positions communes, le
mouvement des objecteurs de croissance est relativement éclectique. Une
étude entière pourrait ainsi lui être consacrée. Si
les auteurs se retrouvent sur l'impératif écologique et la sortie
du capitalisme, leurs positions différent sur la stratégie
à adopter. Certains se reconnaissent une filiation assez ténue
dans la gauche libertaire et antiproductiviste des Proudhon, Bakounine ou
Thoreau5(*). Paul
Ariès appelle ainsi à l'émergence d'une nouvelle
« gauche qui renonce à l'opulence (...), une gauche qui sache
réveiller les forces de vie qui continuent (...) à battre sous le
carcan du productivisme »6(*). La décroissance est considérée
comme un « antiproductivisme de gauche ». Une approche
différente est défendue par d'autres militants de la
décroissance dont l'économiste Serge Latouche : l'objectif
est davantage de peser dans le débat pour infléchir les
positions. Des divergences subsistent donc sur l'idée même
d'entrer dans le système partisan, preuve de
l'hétérogénéité de ce qui est plus un
courant d'influence dans le champ politique qu'une réelle force
alternative pour l'exercice du pouvoir.
Au-delà même de la critique du système
économique, la décroissance s'attaque au substrat social et
culturel des sociétés occidentales. Il s'agit selon Serge
Latouche de « décoloniser l'imaginaire collectif »
(expression reprise à Cornélius Castoriadis) des mythes qui
structurent la société de croissance : progrès,
technique, science, richesse. Derrière un slogan ravageur se cache en
réalité une critique anthropologique du monde moderne. A travers
la décroissance se trouvent donc en quelque sorte les termes du
débat peut être le plus crucial de notre temps : comment
vivre mieux en respectant les ressources limitées de
l'écosystème planétaire ?
L'ambition de ce mémoire n'est pas d'esquisser une
réponse à cette équation fort complexe et à
laquelle nombre d'auteurs ont déjà consacré leurs travaux.
Il s'agit pour nous d'étudier la décroissance sous l'angle plus
spécifique de son appréhension par les partis politiques et en
particulier par le parti écologiste français. Créé
en janvier 1984, Les Verts - Confédération écologiste -
Parti écologiste7(*),
devenus en 2011 Europe Ecologie - Les Verts8(*) se sont longuement installés comme un acteur
stable dans le paysage politique. Malgré leurs succès
électoraux, les écologistes politiques ont souvent suscité
l'intrigue voire l'incompréhension des électeurs et de certains
chercheurs. Il est vrai que l'immixtion de l'écologie politique dans le
jeu partisan tranche avec les partis traditionnels. Fonctionnement amateur,
démocratie interne poussée à l'extrême, ambition de
changer le monde en changeant le système productiviste, ... les Verts
soulèvent des débats passionnés et les bons mots des
commentateurs les plus illustres :
« ...si la majorité des adhérents [Verts]
incline plutôt vers la gauche, il y a aussi, comme dans le mouvement de
1968, des virtualités rétrogrades, qui prolongent la condamnation
de la société d'abondance et la dénonciation de la
planification. Primitivisme contre modernisme. [...] Cette
ambiguïté des motivations profondes des sympathisants du mouvement
n'est pas le moindre sujet d'incertitude sur ce que sera demain le
système des forces politiques. [...] Le succès de ces mouvements
[les Verts et Chasse, pêche, nature et traditions] est le triomphe de
vues partielles, parcellaires, bien incapables de proposer des réponses
pertinentes à la plupart des grands problèmes qui pointent dans
le champ politique : l'écologie peut-elle sérieusement devenir
l'axe d'une politique comme le libéralisme ou le socialisme ? Sans
méconnaître la sincérité des motifs qui conduisent
10 à 15 % de nos concitoyens à placer leur confiance dans ces
mouvements, ni contester la nécessité et la
légitimité d'une politique de l'environnement et de la protection
de la nature, leur succès n'est-il pas un signe de régression de
la culture politique ? »9(*).
Cette réaction, parmi tant d'autres, peut se
comprendre par la difficulté à interpréter l'offre
politique nouvelle que constitue l'écologie politique. Cette
dernière ne se laisse en effet pas facilement saisir à l'aide des
outils et repères traditionnels. Pour lever une partie du voile,
l'étude de l'influence qu'exerce la décroissance sur les Verts
peut se révéler particulièrement intéressante. Les
idées développées par la décroissance touchent en
effet au coeur de l'identité de l'organisation partisane Verte. Le vif
débat que suscite la décroissance dans les rangs
écologistes témoigne d'une instructive proximité
idéologique avec les objecteurs de croissance. Mais comme nous le
verrons plus loin, l'identité partisane ne se limite pas à
la seule idéologie. Analyser les Verts français à travers
le prisme de la décroissance peut donc permettre de mettre à jour
les contradictions idéologiques mais aussi organisationnelles et
stratégiques qui traversent le parti écologiste.
L'objet ne sera pas donc pas ici de mener une étude
approfondie du courant de la décroissance mais de tenter
d'éclaircir l'influence que peuvent avoir ces thèses au sein
d'Europe Ecologie-Les Verts. Y a-t-il lieu d'établir une dichotomie
entre les thèses de la décroissance et les celles
défendues par les Verts ? Quelle est l'influence de cette
écologie radicale sur l'identité du parti écologiste ? En
quoi révèle-t-elle la nature profonde des Verts français
et amène-t-elle un changement ?
Cadre théorique
La réponse à ces questions nous amène
à mobiliser différents outils théoriques pour
dépasser l'illusion du savoir immédiat. L'identité est en
effet une notion plurielle qui, selon Bruno Villalba, comprend trois
dimensions : « être (construire et animer une armature
développée du niveau local au niveau national ; histoire d'une
émergence et d'une implantation), croire (choisir ses thèmes, ses
symboles, se constituer un corpus idéologique et pouvoir ainsi
créer un discours spécifique ; l'identité est une mise en
scène, une représentation) et agir (le sens de l'action politique
et du rapport au pouvoir face aux autres et avec les
autres) »10(*).
Sur la base de cette définition, il faut reconnaitre un
rôle majeur, bien que non exclusif, à l'idéologie dans la
construction de cette identité. Parmi les innombrables
définitions de l'idéologie nous retiendrons celle d'Alexandre
Dézé : « une vision du monde relevant d'un
certain corps de croyances et qui est orientée vers
l'action »11(*). L'analyse de l'idéologie d'un parti politique
est un exercice compliqué en ce sens qu'il n'existe pas de modèle
établi d'analyse des doctrines partisanes. L'idéologie est
souvent un lieu commun, « une boîte noire »
pour Giovanni Sartori, dont le contenu est peu précis. Par
conséquent l'approche par l'idéologie peut paraitre hasardeuse
puisqu'elle se résume souvent à l'analyse des discours ou des
motions de congrès qui ne peuvent constituer à eux seuls les
éléments intangibles d'une analyse scientifique rigoureuse.
Pour tenir compte de ces travers méthodologiques, il
importe de mobiliser des outils théoriques supplémentaires pour
compléter l'approche par l'idéologie. Ainsi le paradigme des
clivages développé par Stein Rokkan et Seymour Martin
Lipset12(*) permet de
contourner la fragilité de l'approche idéologique en inscrivant
les partis dans la trame de l'histoire sociale. Cette théorie a
l'avantage de distinguer des invariants dans l'identité des partis
politiques en les replaçant dans le temps long. Toutefois, s'il est
possible de repérer des segments identitaires qui structurent
aujourd'hui encore les partis, l'identité n'en demeure pas moins
fluctuante. Elle varie à mesure des évolutions du contexte
national et international, des mutations démographiques, des
résultats électoraux et de bien d'autres facteurs qui modifient
la situation politique. Les structures organisationnelles comme les projets des
partis doivent alors se réadapter en conséquence.
La plasticité de l'identité partisane
amène à envisager le parti politique comme une
« institution de sens ». Selon Michel Hastings, un parti
est un « entrepreneur idéologique et culturel
historiquement habilité à dresser le modèle de la
société légitime, à désigner les principes
essentiels à partir desquels les actions particulières prennent
leur justification »13(*). En tant qu'administrateur de sens le parti veille
à sa cohérence idéologique tout en ne perdant pas de vue
les objectifs qu'il s'est fixé sur le marché politique. Cette
approche fait référence à la dimension entrepreneuriale
des partis et développe l'idée d'un parti à deux
visages : un visage tourné vers l'extérieur (médias,
électeurs, sympathisants, ...) et un autre tourné sur
l'intérieur, la vie interne du parti. Ces deux faces font l'objet
d'interactions permanentes à travers un « récit
identitaire » qui a vocation à poser les jalons d'une
identité partagée, à modeler une communauté
partisane justifiant l'adhésion de ceux qui se chargeront de la
défendre. Le parti politique en tant qu'administrateur de sens se situe
dès lors dans une dialectique identitaire complexe qui balance entre
deux logiques : Une logique doctrinale qui ferait la part belle
à la représentation des militants avec une forte intensité
idéologique et une logique de compétition
électorale, plus pragmatique pour obtenir des élus. Les
partis politiques ont donc une identité étirée en
permanence entre des logiques différentes de représentations
internes et externes. Cette tension latente laisse à penser que les
identités partisanes sont malléables, évolutives en
fonction de changements endogènes ou exogènes.
Hypothèses
Depuis 1984 et l'entrée des écologistes en
politique, les thèses du parti Vert reposent sur un socle commun
antiproductiviste. En effet l'antiproductivisme est au coeur de la matrice
idéologique écologiste. L'émergence des Verts
interprétée de manière sociologique permet d'ailleurs
d'expliquer ce constat. Les dégâts du productivisme ont
créé un conflit social matérialisé par la vigueur
des mouvements sociaux dans les années soixante-dix et notamment la
lutte antinucléaire. Ce conflit social précéda la
création du parti écologiste qui n'est autre que la manifestation
de ce conflit dans le champ partisan. Il tentera alors de peser dans le jeu
politique pour réaliser ses objectifs idéels et en particulier
faire advenir une société plus respectueuse de l'homme et de son
environnement.
L'antiproductivisme constitue ainsi le soubassement de
l'ensemble de la critique écologiste. Guillaume Sainteny le
définit comme un « système centralisé,
hiérarchisé, caractérisé par la parcellisation des
tâches et le gigantisme des unités de production où l'homme
est uniquement considéré comme un producteur et un
consommateur »14(*). Cette notion est à la source de la
différenciation des Verts vis-à-vis des autres partis politiques.
En outre, leur refus de se positionner sur le clivage droite-gauche peut
s'expliquer par l'attachement des formations des deux bords au productivisme.
La maximisation de la croissance économique est en effet au coeur du
référenciel identitaire de l'ensemble des partis
qualifiés de « traditionnels » par les
écologistes. Pour cause, la croissance est à la fois l'indicateur
évaluant la performance de leurs politiques et le levier créant
les conditions pour les mettre en oeuvre. Pour la gauche comme pour la droite,
l'augmentation du P.I.B apparait comme la fin et le moyen de toute action
politique. Très schématiquement, les partis conservateurs et
libéraux souhaitent débrider le marché pour favoriser la
création de richesse tandis que les formations socialistes et
communistes la conçoivent comme le levier d'une société
égalitaire. La stratégie du « ni gauche-ni droite
» et plus généralement l'autonomie de l'écologie
politique, marqueur identitaire toujours fort, peut se comprendre au prisme de
l'antiproductivisme.
Dès lors notre première hypothèse est
que la logique du projet15(*) des Verts français est sensiblement proche des
idées développées par le courant de la
décroissance. Nonobstant les fluctuations des programmes et des
discours, l'antiproductivisme constitue pour le parti Vert un invariant
politique de long terme. Décroissance et écologie politique
seraient implantées dans le même terreau idéologique
antiproductiviste. Dans le cadre du paradigme des clivages, Verts et objecteurs
de croissance se situeraient donc sur le même versant d'un clivage
productivistes/antiproductivistes.
Cependant la volonté du parti écologiste
d'acquérir une audience électorale plus large nous conduit
à relativiser cette première hypothèse par
l'émission d'une seconde. La tentation d'accéder au pouvoir
imposerait aux Verts une modération des thèmes portés dans
le champ politique. La décroissance, par sa nature radicale, semble
alors trop conflictuelle pour rassembler une majorité
d'électeurs. A ce titre les périphrases de
« décroissance soutenable et équitable » ou
de « décroissance de l'empreinte écologique16(*) »
utilisées par le parti semblent symptomatiques d'une
difficulté à endosser pleinement cette idée,
voire l'expression d'un certain malaise.
Cette ambivalence sur la reprise de la décroissance
comme axe programmatique et stratégique peut s'interpréter
à l'aune des définitions classiques d'un parti politique. Parmi
les quatre critères que retiennent Myron Weiner et Joseph La Palombra,
le suivant parait particulièrement opportun : « la
volonté délibérée des dirigeants nationaux et
locaux de prendre le pouvoir (seuls ou avec d'autre) et non pas, simplement,
d'influencer le pouvoir »17(*). Si l'on considère que les partis sont la
conséquence de l'irruption des masses sur la scène politique
alors cette recherche du pouvoir promeut un certain réalisme politique
conduisant à abandonner certaines idées trop clivantes. La
sociologie politique nous apprend aussi que les différents partis
politiques appartiennent à une même communauté d'acteurs
dans le jeu de la représentation politique. Malgré leurs
conflits, tous les acteurs de cette communauté s'accordent sur des
valeurs qui structurent et font exister ce jeu de représentation. Or
l'idée que la croissance participe au bien être de la
société semble faire partie de ces valeurs dominantes. Affirmer
la décroissance conduirait donc à prendre le risque de se mettre
hors (du) jeu de la concurrence pour l'exercice du pouvoir légitime.
Notre seconde hypothèse consiste donc à montrer
que les Verts français se réapproprient le thème de la
décroissance en l'euphémisant pour le rendre compatible avec la
logique de compétition électorale. Le parti Vert français
connait depuis une quinzaine d'années un processus
d'institutionnalisation et n'hésite plus à afficher clairement
son ambition de pouvoir18(*). D'un autre coté la formation
écologiste n'est pas épargnée par les tensions qui
émaillent la vie interne des petits partis lorsqu'ils opèrent
leur conversion majoritaire. Au contraire la jeune mais très
conflictuelle histoire du parti Vert témoigne de fragilités
identitaires structurelles. Les changements de ligne politique ou le choix de
candidats se soldent en effet régulièrement par de
véritables psychodrames internes19(*). Par conséquent le parti Vert n'a d'autre
choix que d'intégrer le thème de la décroissance pour
maintenir la cohérence de son récit identitaire basé sur
l'antiproductivisme.
Confronter ces hypothèses à la
réalité empirique a nécessité le recours à
une littérature relativement variée. Nous avons évidemment
mobilisé les différentes études scientifiques existantes
sur les Verts. Concernant la décroissance, la chose fut moins
aisée puisqu'il n'existe que très peu de travaux universitaires
sur le sujet, du moins en science politique. Il a donc fallu rechercher dans le
vaste corpus intellectuel de ce mouvement de pensée les
éléments permettant de le circonscrire. Preuve de
l'intérêt croissant que suscite la décroissance, de
nombreuses publications récentes dont de remarquables tentatives de
synthèses20(*) nous
ont aidés. Par ailleurs nous avons également mené une
étude de terrain en réalisant des entretiens avec un
député Vert en la personne d'Yves Cochet, quatre
députés européens écologistes, un responsable de la
fondation écologiste belge Etopia, et de nombreux collaborateurs
d'élus. Notre enquête nous a aussi amené à passer un
questionnaire aux militants EELV du Pays d'Aix. Les innombrables discussions
informelles avec ces derniers dans le cadre d'une « observation
participante » ont aussi contribué à enrichir notre
réflexion.
Les développements de ce mémoire seront
articulés autour de trois grands axes. Le premier consiste à
cerner un peu mieux les contours de cette nouvelle écologie radicale
qu'est la décroissance (titre premier). Les grandes lignes de cet objet
politique encore mal connu seront mises en exergue de manière
historicisée (chapitre premier) et nous verrons selon quelles
modalités il s'insère dans le champ politique (chapitre deux). Le
chapitre trois consistera à croiser décroissance et
écologie politique afin de démontrer l'invariant politique
antiproductiviste qui structure le parti Vert.
Le deuxième angle de notre étude vise à
développer l'idée d'un clivage productivistes/antiproductivistes
(deuxième partie). Nous expliquerons en quoi le paradigme des clivages
nous semble pertinent pour analyser les partis Verts (chapitre quatre)
malgré une nécessaire réadaptation théorique
(chapitre cinq). Ces deux développements permettront de replacer
l'écologie politique dans le temps long et de montrer que les Verts et
la décroissance se situent sur un même versant de clivage.
Toutefois il importe aussi de considérer le parti écologiste sous
l'angle d'un entrepreneur idéologique et culturel pour comprendre les
mécanismes identitaires présidant au processus de
réappropriation de la décroissance (chapitre six).
Dans un dernier temps l'intégration de la
décroissance par les Verts français sera spécifiquement
étudiée (troisième partie). Si l'organisation partisane
écologiste opère sa mue en parti de pouvoir (chapitre sept), elle
doit se réapproprier la décroissance pour garder pied dans son
récit identitaire interne (chapitre huit). Enfin une attention
particulière sera portée sur les militants et une piste de
synthèse sera esquissé (chapitre neuf).
Titre Premier : La Décroissance, le retour d'une
écologie radicale
La décroissance est un mouvement composite au contenu
idéologique encore flou. Avant d'étudier l'influence de cette
pensée nouvelle, du moins formalisée ainsi, dans le parti Vert
français il est donc nécessaire d'en éclaircir les grandes
lignes. Cet inventaire est d'autant plus important que la décroissance
est un courant de pensée relativement singulier dans le paysage
politique français. Avec un ton souvent corrosif il s'attaque aux
structures économiques, sociales et psychologiques des
sociétés modernes.
La décroissance a ceci d'intéressant qu'elle se
retrouve dans le cadre plus large de la contestation antiproductiviste dont
sont également issus les Verts. A travers une étude
croisée des sources de la décroissance et de l'écologie
politique il s'agira de montrer que l'antiproductivisme constitue un invariant
politique du parti écologiste français
Chapitre 1 : La décroissance, un objet politique
propre ?
La décroissance a fait une entrée
détonante sur la place publique ces dernières années. Sous
le double effet de la prise de conscience écologique et de la crise
économique, la décroissance attire des regards sans cesse plus
curieux d'intellectuels, de politiques et surtout de citoyens en recherche d'un
nouveau « modèle » alternatif21(*). Pour autant ce nouvel objet
politique apparaît encore peu ou mal identifié.
Notre ambition sera ici de mieux saisir les contours de ce
mouvement radical en distinguant ses spécificités. La
décroissance se veut essentiellement une pensée critique. C'est
ainsi que nous verrons en quoi la décroissance est une critique de la
croissance et de la société de consommation, de la notion
même de progrès, et enfin de
l'« économisme ».
1. Une critique de la
croissance et de la société de consommation
La décroissance trouve sa genèse dans la
critique d'un mode de développement basé sur l'augmentation
perpétuelle du Produit Intérieur Brut (P.I.B). Ce mode de
développement véhicule une société de consommation,
seule capable d'écouler les produits de la production de masse.
La contestation du
modèle keyneso-fordiste
Le mouvement de la décroissance est issu de la prise de
conscience écologique du début des années soixante-dix.
Tout au long du XIXème siècle le débat sur le rôle
de l'Homme dans la nature s'articule autour de trois notions majeures
dégagées par Patrick Matagne22(*), chacune déterminant une posture
écologique différente. La première conception
« naturaliste » postule une nature autonome, dont l'homme
est exclu. La deuxième est dite
« impérialiste » : A l'inverse du naturalisme,
l'homme est considéré comme mauvais et destructeur, d'où
la nécessité de protéger la nature. La dernière
hypothèse est celle de la recherche de l'harmonie entre les êtres
humains et la nature qui forme l'Arcadie. Ces trois conceptions se
retrouvent également au XXème siècle dans les
manières d'appréhender la question écologique.
Jusqu'à la seconde moitié du XXème siècle,
l'écologie est essentiellement scientifique et se place en
réaction à la logique de la conception impérialiste
dominante. Les associations de protection de la flore et de la faune
fleurissent. L'écologie ne prend son sens arcadien qu'à partir de
la fin des années soixante. De la protection de la nature elle passe
à la contestation de ce que Serge Latouche appellera plus tard
« la société de croissance ». Cette
dernière est alors à son apogée. Le progrès
économique amène le progrès social selon un couple
vertueux production de masse-consommation de masse. Le chômage est
résiduel, la productivité augmente et le taux d'équipement
des ménages monte en flèche. Le triomphe du compromis
keyneso-fordiste fonde une foi imperturbable en la permanence de la croissance.
Daniel Cohen remarque cet aveuglement collectif, y compris des élites et
des économistes, à propos de la croissance :
« Le plus troublant quand on se penche sur cette période
est d'y trouver toujours la conviction des contemporains qu'elle durerait
toujours »23(*).
C'est dans cet âge d'or de la croissance (5,05 % en
moyenne en France entre 1950 et 1973) consacré selon l'expression de
Jean Fourastié comme les « Trente Glorieuses », que
naît une nouvelle critique antisystémique24(*). Cette critique s'incarne dans
la philosophie des événements de Mai 1968 en France qui
préfigura largement la pensée de la décroissance.
Jusque-là cantonnée à quelques scientifiques inquiets de
l'état du monde ou à des associations de protection de la nature,
l'écologie franchit une étape. Selon Roger Cans, ancien
journaliste du journal Le Monde et spécialiste des questions
d'environnement, Mai 1968 est le « grand
accoucheur »25(*) de l'écologie politique. La conjonction des
courants critiques à l'égard de la société des
Trente Glorieuses et de l'ordre gaulliste produit une véritable
contre-culture, une vision du monde alternative qui met la joie de vivre au
centre. La « génération 68 », première
à être passée en masse par les universités, s'ennuie
et cherche de nouveaux espaces de libertés dans cette
société segmentée et sans saveurs. Le productivisme et la
société de consommation sont au coeur de cette critique radicale.
L'historien Timothée Duverger relève deux
courants majeurs de la contestation soixante-huitarde, le situationnisme et la
sociologie critique26(*).
Le premier remet radicalement en cause le système économique et
la société de consommation autour notamment des écrits de
Guy Debord27(*) et de
Raoul Vaneigem28(*).
Pour eux, changer le monde est un impératif. L'individu doit
s'émanciper de la marchandise aliénante. Debord met en exergue le
rôle du spectacle dans la société consumériste comme
mode de reproduction basé sur une marchandise uniformisée et
toujours plus omniprésente. C'est une idéologie économique
qui vise à annihiler la diversité de la société en
imposant une vision unique du monde, l'être cédant le pas au
paraître. Les rapports sociaux sont définis par la relation
à la marchandise, au capital, dans ce qu'il appelle la
« société spectaculaire-marchande ». La
pensée de Raoul Vaneigem pourrait quant à elle se résumer
par ce célèbre slogan de la faculté de Nanterre
« Jouissez sans entraves. Vivez sans temps mort ». Dans une
logique hédoniste, R.Vaneigem préfère la qualité
à la quantité et vilipende la perte d'autonomie engendrée
par la société de consommation. Dans un entretien au journal
La Décroissance, il expliquait récemment que
« le statut de consommateur avait prorogé
l'aliénation du producteur en propageant l'illusion que la possession de
biens pallie l'absence de vie, que l'avoir peut se substituer à
l'être »29(*). Véritable approche anthropologique, la
pensée situationniste prône un renversement total de perspective
face à la « société de croissance ».
L'école de Francfort partage cette remise en cause de
la société. Herbert Marcuse notamment, ancien élève
d'Heidegger, publie en 1968 (édition française) L'Homme
unidimensionnel30(*).
La théorie freudo-marxiste de Marcuse dénonce la
régression à laquelle conduisent les
« sociétés industrielles avancées ».
Elles créent en effet de faux besoins (false needs)
imposés à l'individu par les mass-médias. L'individu
aliéné n'a plus que l'illusion de la liberté. La critique
de Marcuse s'adresse d'ailleurs tant au monde capitaliste occidental qu'au
régime soviétique, la liberté y étant aussi factice
dans l'un que dans l'autre.
C'est dans cette ébullition sociale et intellectuelle
que germent les premières graines écologistes. Un ancrage que
revendiquent, comme nous le verrons plus tard, tant les
tenants de la décroissance que les écologistes politiques. Claude
Lefort, Cornélius Castoriadis et Edgar Morin publient dès 1968,
La Brèche31(*). Dans cet ouvrage à chaud, ils
démontrent que la révolte de la jeunesse a ouvert une
« brèche » dans le paternalisme du mode de
régulation keyneso-fordiste. Elle crée une ouverture historique
vers une société émancipée de ce contrôle
social et politique et qui se réapproprie la démocratie par
elle-même. La pensée de la décroissance est donc
héritière du gauchisme libertaire de Mai 1968. Cette
volonté de changer le monde contre l'ordre établi s'incarne dans
toute la philosophie alternative des objecteurs de croissance. La
société de consommation est la structure sociale aliénant
la liberté de l'individu et obérant sa capacité à
prendre conscience de son conditionnement total par le système
capitaliste.
Toutefois la pensée critique de la décroissance
s'appuie également sur un autre pilier, celui de la
responsabilité face aux limites physiques de la planète.
La croissance : un
aveuglement au désastre écologique
Dans la foulée de Mai 1968, Serge Moscovici pose la
nature comme la nouvelle grande interrogation du siècle. Après
que le XVIIIème siècle eut été mû
intégralement par la « question politique » et que
le XIXème siècle l'eut été de la même
manière par la « question sociale », le XXème
siècle serait donc celui de la « question
naturelle »32(*). Son intuition se révéla juste au
regard de la succession de catastrophes écologiques dès les
années 1970. Partout les dégâts de la société
industrielle se font jour suscitant parfois l'intense émotion de
l'opinion publique face à des drames environnementaux tels que le
naufrage de l'Amoco Cadiz en 1978 ou l'explosion de l'usine de pesticides de
Bhopal en Inde en 1984. Une tendance confirmée seulement deux ans plus
tard avec la fusion du coeur du réacteur nucléaire numéro
4 de la centrale de Tchernobyl.
Mais plus encore c'est la publication d'un rapport
controversé sur l'antinomie entre croissance économique et
gestion durable du stock de matières premières qui place pour la
première fois l'écologie au centre du débat public. Le
rapport du Club de Rome33(*), réalisé par plusieurs chercheurs du
MIT (Massachusetts Institute of Technology), met en exergue
l'insoutenabilité du mode de production et de consommation occidental.
Pointant l'accroissement exponentiel de la population mondiale, l'augmentation
des inégalités entre le Nord et le Sud, et le risque de
pénurie de matières premières, ils préviennent que
l'on « atteindra les limites de la croissance sur cette
planète avant cent ans »34(*). Le rapport se conclue sur un appel à la
croissance zéro, reprenant la théorie de John Stuart Mill de
« l'état stationnaire »35(*), et au découplage entre
croissance et développement. Bien que la solution prônée
par le rapport Meadows ne soit pas celle reprise par les théoriciens de
la décroissance, ces derniers partagent largement le constat que la
croissance économique est synonyme d'une empreinte écologique
incompatible avec les limites physiques de la planète. Publié en
1972, le rapport du club de Rome est un premier coup de canif dans la croyance
tranquille en une croissance éternelle et génératrice de
bien-être. Le premier choc pétrolier de 1974 et l'effondrement du
mode de régulation keyneso-fordiste finissent de semer le trouble.
Les effets du rapport du Club de Rome sont retentissants y
compris dans les hautes sphères. La
« révélation » de Sicco Mansholt, socialiste
hollandais et ancien Président de la Commission européenne, est
particulièrement éloquente. Dès 1972, Mansholt (alors
vice-président de la Commission) écrit au Président de la
Commission européenne, Franco-Maria Malfatti, une lettre dans laquelle
il envisage une politique économique fondée sur
« une forte réduction de la consommation des biens
matériels par habitant [...], la prolongation de la durée de vie
de tous les biens d'équipement [...], la lutte contre les pollutions et
l'épuisement des matières
premières »36(*). Pour cet ancien grand propriétaire terrien,
auteur d'une réforme de la Politique Agricole Commune visant à
accroître les gains de productivité au nom d'un productivisme
technocratique à tout crin, les propos ont de quoi surprendre. Alors
Président de la Commission européenne, Sicco Mansholt
précise sa pensée dans un entretien au Nouvel Observateur :
« Il ne s'agit même plus d'une croissance zéro mais
d'une croissance en dessous de zéro. Disons le carrément :
il faut réduire notre croissance économique, notre croissance
purement matérielle, pour y substituer la notion d'une autre croissance
celle de la culture, du bonheur, du bien-être »37(*). Sous la pression de
Valéry Giscard d'Estaing et de Raymond Barre, les positions iconoclastes
de Mansholt finirent par être étouffées avec en
échange la promesse d'une croissance plus soucieuse de l'homme et de
l'environnement. Dans cette même année 1972, la question de la
finitude de la planète rebondit aussi au niveau international avec la
Conférence des Nations Unies sur l'Environnement Humain. La
conférence de Stockholm prend acte du rapport de causalité entre
développement et raréfaction des ressources et met en place un
Programme spécial pour les questions d'environnement (PNUE).
Les turbulences économiques et sociales que
connaît la société industrielle dans les années
soixante-dix sont les prémisses de la décroissance. Alors que le
Club de Rome appelle de ses voeux une croissance
« zéro », l'économiste roumain Nicolas
Georgescu-Roegen pose les bases du raisonnement décroissant. Il est le
premier à utiliser publiquement le mot
« décroissance » dans un recueil de ses
écrits publié pour la première fois en français par
Jacques Grinevald et Ivo Rens en 1979. Demain la décroissance.
Entropie, écologie, économie38(*) reprend l'idée d'une
« bioéconomie » dont la finalité serait
essentiellement « la joie de vivre ». La théorie
économique de Georgescu-Roegen s'appuie sur la seconde loi de la
thermodynamique de Sadi Carnot pour définir la loi d'Entropie. Cette loi
démontre que l'énergie ne peut être utilisée qu'une
seule fois. Elle passe d'une forme concentrée utilisable à une
forme dissipée inutilisable. Georgescu-Roegen applique cette loi
à l'ensemble du système économique : le
caractère limité des ressources de la planète est
progressivement dégradé à mesure que l'homme y puise ses
besoins. La dégradation est irrévocable et induit l'idée
selon laquelle la croissance économique est antithétique à
terme avec la finitude de la planète, nonobstant toute technique de
recyclage. La remise en cause du productivisme est un trait saillant de la
pensée décroissante qui se cristallise logiquement sur son
indicateur maitre, le P.I.B. Les tenants de la décroissance ne
s'arrêtent pas seulement aux critiques classiques du P.I.B
(externalités, absence de prise en compte des travaux domestiques, ...).
Ils s'attaquent surtout à sa logique cumulative qui le rend
insoutenable. Serge Latouche remarque l'expansion géométrique que
suppose la croissance du P.I.B car « avec une hausse du P.I.B de
3% par an, on multiplie le P.I.B par vingt en un siècle, par 400 en deux
siècles »39(*). Ivan Illich reprenait cette idée sous la
métaphore des spires de l'escargot : « L'escargot
construit la délicate architecture de sa coquille en ajoutant l'une
après l'autre des spires toujours plus larges, puis il cesse brusquement
et commence des enroulements cette fois décroissants. C'est qu'une seule
spire encore plus large donnerait à la coquille une dimension seize fois
plus grande. Au lieu de contribuer au bien-être de l'animal, elle le
surchargerait »40(*).
La décroissance s'oppose donc avant tout à la
croissance. Non seulement celle-ci ne serait pas possible à long terme
dans un monde fini mais elle ne serait pas plus
« souhaitable »41(*). Pour cause, la croissance, en plus d'avoir des
effets désastreux sur la biosphère, conduit à une
irrésistible montée des inégalités et des
injustices. Ainsi Serge Latouche note qu'en 2004 le P.I.B mondial avait atteint
40 000 milliards de dollars, soit sept fois plus qu'il y a quarante ans. Dans
le même intervalle le rapport de richesse entre le cinquième le
plus riche est passé de 1 à 30 en 1970 à de 1 à 74
en 200442(*).
La décroissance n'est donc pas synonyme de croissance
négative. La plupart des auteurs insistent plutôt sur la remise en
cause de la « société de croissance ».
L'objectif n'est pas d'obtenir une croissance négative, même si le
projet décroissant peut effectivement y conduire, mais d'abandonner
l'objectif de croissance comme fin ultime de toute société. Il
n'y aurait d'ailleurs rien de pire qu'une société de croissance
sans croissance. La décroissance consiste donc à
« décoloniser l'imaginaire » collectif du
mythe de la croissance pour fonder une société
émancipée de cette addiction.
Issue de la contre-culture de Mai 1968, la
décroissance s'attaque vigoureusement aux éléphants blancs
de la modernité. La croissance, synonyme pour beaucoup de progrès
économique et social, ne serait pas viable au regard des limites finies
de la planète. Elle serait le pendant de la société de
consommation qui créerait un bien être illusoire et
réduirait l'autonomie des individus. Cet argumentaire va de paire avec
un autre pilier du mouvement de la décroissance, la contestation de la
science et de la technique.
2. Une critique de la
science et de la technique
Dans son entreprise de « décoloniser
l'imaginaire collectif », la décroissance s'attaque à
un aspect structurant de nos sociétés modernes : la croyance
en le progrès. Cette remise en cause vise en particulier la vision
téléologique de l'histoire véhiculée par
l'idée de progrès. Dans une perspective hégélienne,
l'histoire serait linéaire et nous amènerait
inéluctablement vers le bonheur. Or le moteur du progrès
réside dans l'alliance heureuse de la science et de la technique. Dans
la lignée de Jacques Ellul, les théoriciens de la
décroissance mettent alors à nu le « système
technicien » dépossédant l'homme de ses
capacités d'action et créant l'illusion d'un progrès sans
cesse renouvelable.
La remise en cause du
système technicien
Le philosophe allemand Hans Jonas n'est pas le premier auteur
à remettre en cause le bien fondé de la technique, toutefois il
est peut être celui qui en posa le mieux les termes philosophique. Dans
l'ouvrage qui le rendit célèbre, Le Principe
Responsabilité43(*) (1979), Hans Jonas postule que la puissance
technologique moderne pose une nouvelle question éthique (« la
transformation de l'essence de l'agir humain»). Jusqu'à
présent les effets de l'activité humaine n'avaient pas un impact
déterminant sur la biosphère. Or la maîtrise technologique
acquise par l'homme aujourd'hui a des conséquences beaucoup plus
importantes et irréversibles sur la nature. Hans Jonas explique ce
phénomène par la « une logique cumulative »
qui caractérise la technique. Elle impliquerait l'homme dans une fuite
en avant qu'il ne saurait maîtriser. La technique consommant de
l'énergie, son effet boule de neige conduit nécessairement
à des dégâts croissants sur l'environnement. Or pour tenter
de réparer ces dégâts causés par la technologie,
l'homme utilise de nouvelles technologies qui produisent à leurs tours
les mêmes effets. La logique cumulative de la technique entraine
l'humanité dans un cercle vicieux et fatidique. Pour H. Jonas la
technique est devenue en quelque sorte « sauvage » et
nécessite d'être re-domestiquer par l'Homme. C'est pour lui une
idée centrale puisque cette remise en cause de la technique est à
la base du raisonnement sur le principe de responsabilité : si
l'homme a le pouvoir de détruire l'humanité il a aussi le devoir
d'établir des prescriptions communes pour la préserver.
Cette philosophie pose les bases de la critique de la science
et de la technique : le progrès technique suppose non seulement une
consommation croissante d'énergie et de ressources, il est aussi une
logique auto-cumulative aliénant les capacités de l'homme
à agir et à penser ses besoins réels. En outre la
technique se justifie plus par ses effets que par les progrès qu'elle
apporte. La conclusion de Jonas tient en une solution simple, il est
nécessaire d'interdire toute technologie qui menacerait l'existence des
générations futures.
Les auteurs de la décroissance reprennent en filigrane
les principes développés par H. Jonas. Parmi d'autres, Paul
Ariès reprend cette critique de la science à travers sa forme la
plus évoluée, la techno-science. Dans les premières pages
de son « livre-manifeste », La simplicité
volontaire contre le mythe de l'abondance44(*), il détaille l'idée selon laquelle
faute de pouvoir adapter complètement l'homme aux besoins croissants du
productivisme, il faut changer la nature humaine pour parvenir à cette
fin. Le politologue met en lumière un certain courant techniciste,
« les transhumanistes », qui viserait grâce aux
progrès de la science, à créer des Humains
Génétiquement Modifiés (HGM). Adapter l'humain serait
selon eux la seule manière de répondre à moyen et long
terme au désir de perfection de l'homme tout en lui permettant de
survivre dans un environnement dégradé. L'auteur concède
la marginalité de ce courant mais l'utilise néanmoins pour
démontrer que la science accompagne ce fantasme de toute puissance de
l'humanité, transcender les limites physiques de l'Homme et de la
nature. D'une manière générale la pensée de la
décroissance remet en cause la philosophie cartésienne de la
domination de l'Homme sur la nature. La dérive scientiste pousse en
effet à envisager sans cesse la perfection quitte à oublier la
part, pourtant essentielle, de l'humain.
La remise en cause du mythe prométhéen, selon
lequel le dieu grec Prométhée aurait amené le feu
(allégorie de la technique et du savoir) aux hommes, est une constante
chez les objecteurs de croissance. D'aucuns reprennent le concept de
« honte prométhéenne » forgé par le
philosophe allemand, époux d'Hannah Arendt, Günther Anders. Paul
Ariès le définit comme « ce sentiment qui s'empare
de l'homme devant l'humiliante perfection des choses qu'il a lui-même
fabriquées »45(*). L'homme ne saurait apprécier l'imparfait de
sa condition humaine, il place son désir de perfection dans les objets
qu'il fabrique tout en étant « honteux » devant son
résultat. L'homme ne pouvant assumer son infériorité
à l'égard de la machine, Anders décrit un processus de
réaction à la honte prométhéenne qui aboutit
à la production de human engineering (androïdes).
L'être humain intègre lui-même la technique à son
corps, loin de l'émancipation qu'elle est censée permettre. Bien
qu'Anders soit un adepte de la technique de l'exagération, sa
thèse met en avant l'idée que les machines sont toujours plus
performantes, plus autonomes et que cette soumission tend à devenir
totalitaire. La philosophie de Gunther Anders est très influencée
par les horreurs de la Seconde Guerre Mondiale dont il est contemporain. Pour
lui Auschwitz et Hiroshima marquent l'entrée dans une nouvelle
ère, celle de L'Obsolescence de l'homme46(*). La bombe atomique tout comme
les camps nazis sont une rupture dans l'Histoire. Pour la première fois,
l'Homme a fait montre de sa capacité à s'autodétruire.
Anders souligne la déshumanisation qui accompagne ces deux moments
sombres de l'humanité, l'extermination des camps ou les deux bombes
lancées sur le Japon sont le fruit de fonctionnaires qui ne faisaient
« qu'obéir aux ordres ». C'est d'ailleurs la cause
que plaida Eichmann à son procès et mena Anders à avoir
une longue correspondance épistolaire avec son fils47(*).
Si Anders est abondamment repris par les objecteurs de
croissance, c'est qu'il est un des premiers à poser les limites du
progrès. Dans la rationalité cartésienne occidentale, le
progrès est synonyme de mieux être. Pourtant c'est bien
derrière cette notion de progrès libérateur qu'a
germé la capacité autodestructrice de l'homme.
Les objecteurs de croissance s'appuient également sur
une autre référence pour justifier leur opposition à la
civilisation technicienne. En effet ils construisent une grande partie de leur
critique sur celle du Système technicien48(*) faite par Jacques
Ellul tout au long de sa vie. Ancien professeur à la faculté de
droit de Bordeaux, Ellul est considéré par beaucoup comme un des
inspirateurs phares du mouvement de la décroissance. La technique est
analysée en tant que système, elle est un fait social
déshumanisant. Dans La Technique ou l'enjeu du siècle,
Ellul explique que la technique se caractérise par deux
éléments : son unicité (la technique comprend un
ensemble d'objets, de machines mais aussi de procédures, de modes
d'usage, d'organisation du travail et de comportements d'utilisateurs) et son
autonomie (l'homme en perd la maîtrise). La technique a donc tendance
à s'auto-accroitre en imposant ses propres valeurs (utilité,
progrès, rationalité,...) et investit tous les champs sociaux
(fonctionnement de l'Etat, économie, vie quotidienne des individus).
Mais si cette immixtion de la technique dans toutes les sphères de la
société est rendue possible c'est grâce à la
sacralisation dont elle fait l'objet. Le sacré est
transféré de la nature à ce qui la détruit. Ce
changement de statut induit une dépendance à l'égard de la
technique, une addiction, y compris psychologique, des individus qui se voient
dès lors dépossédés de leur libre arbitre. La
notion de progrès est donc profondément ébranlée
par les raisonnements, entre autres, d'Hans Jonas, Günther Anders ou
Jacques Ellul.
Les penseurs de la décroissance se servent de ces
bases théoriques pour appuyer leur critique contre la
« société de croissance » dont le
progrès de la science et de la technique est un élément
moteur.
La contestation du
progrès, élément structurant de la société
de croissance
Pour les objecteurs de la décroissance la dérive
de la science et de la technique est caractéristique de nos
sociétés contemporaines basées sur une croissance
illimitée. Une société qui vit au rythme
d'évolutions technologiques fulgurantes créant sans cesse de
nouveaux besoins.
La critique de la technique rejoint ici celle de la
société de consommation. L'individu s'identifie à ses
objets et se situe socialement à travers eux. Or grâce au
progrès technique ces biens sont de plus en plus nombreux car les
coûts de production diminuent. Le progrès technique
accélère en quelque sorte le processus de la
société de consommation. Il permet de produire en plus grande
quantité ce qui aggrave l'impact écologique de l'homme et pousse
les individus à consommer davantage. Mais il conduit aussi à
l'émergence de nouveaux produits qui créent eux-mêmes de
nouveaux besoins. Un des pionniers de la réflexion écologique,
cofondateur du Nouvel Observateur, André Gorz pointe les effets
néfastes de l'innovation qui « ne crée donc pas de
valeur : elle est le moyen de créer de la rareté, source de
rente, et d'obtenir un surprix au détriment des produits
concurrents »49(*). André Gorz (de son vrai nom Michel Bosquet)
distingue par ailleurs ce qu'il appelle les « technologies
ouvertes » (celles qui favorisent la coopération et la
communication comme les logiciels libres) et les « technologies
verrous » (celles qui asservissent l'utilisateur). Il reprend en cela
la dichotomie d'Ivan Illich dans La Convivialité50(*).
Ivan Illich reconnaissait des « techniques
conviviales » qui augmentent l'autonomie des individus et des
« techniques hétéronomes » qui en
restreignent le champ. Mais la critique la plus iconoclaste d'Illich tient
peut-être dans son concept de
« contreproductivité » qui illustre la dérive
de la modernité. Selon Illich, l'offre de marchandise au lieu de
satisfaire les besoins en accroit la demande. Ce phénomène
aboutirait à une « désutilité
marginale »51(*). Ainsi toute institution serait contreproductive
dès lors qu'elle atteint le stade de « monopole
radical »52(*). Il prend alors l'exemple de la voiture et calcule
qu'en comptabilisant le temps passé à payer l'ensemble des
coûts (achat, essence, assurance, ...) l'automobiliste américain
se déplace en moyenne à 6 km/h. La pensée de la
décroissance, qui fait souvent référence aux auteurs
précités, n'est pas cependant une pensée technophobe. La
notion de progrès est critiquée, relativisée mais pas
supprimée pour autant.
Les objecteurs de croissance introduisent des
différences de nature entre les techniques comme nous venons de le voir
avec A. Gorz et I. Illich. Certaines contribueraient à
l'émancipation de l'homme et d'autres au contraire participeraient
à son aliénation. Serge Latouche souligne à ce propos les
effets dévastateurs de la technique mise au service de la culture
productiviste à travers le mécanisme d'obsolescence
programmée. Ce procédé vise à concevoir un produit
avec une durée de vie volontairement limitée, le but étant
de pousser le consommateur à en racheter un autre plus rapidement.
D'autre part le progrès technique bouleverse le rapport au temps. La
vitesse, que cherche à accroître la technique, est au centre de
nos sociétés où le temps lui-même devient une
ressource rare. L'évolution des transports puis l'arrivée des
nouvelles technologies de l'information et de la communication ont permis une
réduction considérable du facteur temps. A l'instar du TGV qui a
renversé la géographie française en réduisant les
distances, les nouvelles technologies ont accéléré les
rythmes de vie ainsi le couple production-consommation. Ce bouleversement du
rapport au temps est central dans la critique des objecteurs de croissance. La
course au « toujours plus vite » est en effet symptomatique
pour eux d'une société qui se projette inconsciemment vers
l'abîme. Le philosophe Patrick Viveret explique à ce titre que
« le dérèglement dans le rapport au temps et
à la vitesse est un dérèglement matriciel qui explique
toutes les autres démesures »53(*). La
« société de croissance » aboutirait donc
inexorablement à cette crise de la démesure, ce que les grecs
appelaient l'ubris, dans laquelle le progrès scientifique et
technique sont des facteurs déterminants.
Pour autant les objecteurs de croissance ne sont pas, pour une
grande majorité d'entre eux, totalement réfractaires au
progrès. S'ils redoutent les excès de la science et de la
technique, ils sont partisans du concept habermassien54(*) de
« réenchâssement » de la technique dans la
société. Comme le suggère le sociologue et anthropologue
Alain Gras, proche des idées de la décroissance, le citoyen doit
devenir « acteur »55(*). La technique doit ainsi être soumise au
contrôle démocratique et accessible à tous. Le biologiste
Jacques Testart va même plus loin à propos de la science :
« Il faut imposer, en amont, la soumission des grands projets de
recherche à l'avis de citoyens dûment éclairés. Les
risques comme les nécessités imposent de mettre la science en
démocratie»56(*). La science et la technique ne sont donc pas
rejetées en bloc par les objecteurs de croissance. L'opportunité
du progrès est à évaluer au prisme de sa
soutenabilité écologique, sociale et éthique ce qui
pourrait se résumer dans cette formule de Serge Latouche
« ni technolâtrie, ni technophobie »57(*). En cela les auteurs de la
décroissance rompent avec une partie du raisonnement de Jacques Ellul.
Ils pensent à l'inverse de l'illustre bordelais que l'homme peut
renverser le cours de l'histoire et l'omnipotence du système technicien.
Le déterminisme historique de la pensée d'Ellul est
contesté par les travaux d'Alain Gras qui démontrent que les
inventions techniques apparaissent de manière aléatoire dans
l'histoire. La technique « s'inscrit dans une vision du monde en
tant que témoin et, en même temps, que support de notre
manière d'être au monde »58(*). D'autre part
l'autonomie du couple science-technique d'Ellul est complétée par
les auteurs décroissants qui l'élargissent à
l'économie avec le concept emprunté à Lewis Mumford de
« méga-machine »59(*). D'une manière générale la
décroissance reprend la dénonciation d'Ellul à
l'égard de la technique aliénante mais porte une vision plus
optimiste. L'homme peut et doit reprendre la main sur la technique afin de
réenchainer Prométhée comme le suggère le titre
d'un livre de Bernard Charbonneau, grand ami d'Ellul60(*).
La critique du progrès est un point dur de la
décroissance. En faisant l'inventaire des méfaits de la science
et de la technique, elle permet de relativiser les normes et structures
sociales et participe à l'entreprise de
« décolonisation de l'imaginaire » collectif. Cette
position, délicate et complexe, conduit les auteurs de la
décroissance à manier cette remise en cause du progrès
avec une grande précaution, conscients des reflets conservateurs qu'elle
contient. Entre technophobie et fanatisme de la technoscience, Jean Paul Besset
synthétise la troisième voie : « Ce n'est pas la
haine du progrès qu'il faut porter, comme l'ont fait tous les courants
réactionnaires de l'histoire, c'est sa critique
intransigeante»61(*). Les objecteurs de croissance souhaitent donc moins
mettre à bas le progrès lui-même que le mythe et les
croyances dont il fait l'objet.
3. Une critique de la
richesse et du travail
A l'inverse de ce qu'elle pourrait laisser entendre au
premier abord, la décroissance ne plaide pas pour une croissance
négative du P.I.B. Elle analyse en profondeur les soubassements des
sociétés dites développées en contestant la notion
de richesse et celle de travail. Il s'agit de mettre à l'examen des
préconstruits économiques identifiés improprement comme
synonymes de bien-être. Serge Latouche évoque d'ailleurs sans
ambages l'impérieuse nécessité de « sortir
de l'économie »62(*). Cette charge contre
« l'économisme », c'est-à-dire la
prédominance de l'économie dans toutes les dimensions sociales et
humaines, s'illustre à travers la controverse sur la mesure de la
richesse et la remise en cause du travail.
Redéfinir la
richesse pour jouir de sa vie
La croissance économique se mesure à l'aide
d'un agrégat de données, le Produit Intérieur Brut. Ce
type de mesure a depuis longtemps été critiqué par les
économistes à cause des nombreux biais qu'il comporte.
L'économiste John Kenneth Galbraith disait lui-même que
« le niveau, la composition et l'extrême importance du
P.I.B sont à l'origine d'une des formes de mensonge social les plus
répandues »63(*). En effet le P.I.B est un indicateur composite qui
calcule toutes les richesses produites par du travail
rémunéré y compris les plus absurdes (armement, pollution,
antidépresseurs,...). Toute activité qui conduit à un flux
de richesse accroit le P.I.B. Un accident ou une marée noire augmentent
le P.I.B alors que, pour paraphraser Cécil Pigou, un homme
épousant sa cuisinière le fait baisser.
Le P.I.B ne reflète donc pas, loin s'en faut, le
bonheur d'une société. Pour autant l'hégémonie de
cet indicateur de richesse a conduit les politiques, les économistes et
l'opinion publique à confondre bien être et P.I.B, donnant lieu
à ce que Latouche appelle volontiers « une
obsession ». Au-delà des questions techniques, la
décroissance souhaite requalifier la notion de richesse dont le P.I.B
n'est qu'une interprétation. Pour les objecteurs de croissance, le P.I.B
ne mesure pas les « vraies richesses », c'est-à-dire
celles non quantifiables monétairement (liens sociaux,
épanouissement personnel, spiritualité, culture, ...). Il y
aurait même une dichotomie croissante entre P.I.B et bien être que
remarquait déjà Emile Durkheim dans son étude de
l'anomie : « le nombre de ces phénomènes morbides
[suicides et crimes] semble s'accroitre à mesure que les arts,
la science et l'industrie progressent »64(*). Ivan Illich reprend lui aussi
cette critique de la richesse à travers son concept de
« disvaleur » qui désigne « la
perte [...] qui ne [saurait] s'estimer en termes
économiques »65(*). Il prend l'exemple d'une personne qui perd l'usage
de ses pieds mais la disvaleur peut aussi s'illustrer par les
dégâts irréversibles causés à l'environnement
et notamment la disparition de certaines espèces. Ces pertes ne sont pas
quantifiables économiquement mais induisent pourtant une
dégradation substantielle du bien-être de l'homme et de la
richesse de l'humanité.
Sans entrer plus avant dans les dysfonctionnements du P.I.B,
les nombreuses zones d'ombres et externalités négatives
afférentes à ce type de calcul de la richesse économique
pose la question d'indicateurs alternatifs. De nombreux économistes ont
cherché à redéfinir la richesse en promouvant des mesures
alternatives. Il en va ainsi du Genuine Progress Indicator (GPI), de
l'indicateur de santé sociale (ISS), de l'indice de bien être
durable (IBED) ou encore du Happy Planet Index. Pour ne prendre en
exemple que ce dernier, cher à Yves Cochet, il classe les pays en
fonction de l'empreinte écologique, de l'espérance de vie et du
bien-être des populations. Un mode de calcul bien différent du
P.I.B qui aboutit à des résultats surprenants puisque le Costa
Rica arrivait en en tête du classement en 2009. La multiplication des
indicateurs alternatifs témoignent d'une certaine évolution des
mentalités. La prise de conscience des imperfections du P.I.B et
notamment de son incapacité à prendre en compte
l'impératif écologique entraine une réflexion sur la
mesure de la richesse jusque dans les hautes sphères. A la demande du
Secrétaire d'Etat écologiste Guy Hascoët, Patrick Viveret a
ainsi rendu un rapport sur les nouveaux facteurs de richesse en Janvier
200266(*). Plus
récemment, le Président Nicolas Sarkozy a confié une
mission similaire à Joseph Stiglitz et Amartya Sen dans le cadre de la
Commission sur la Mesure de la Performance Économique et du
Progrès Social. Les nouveaux indicateurs ont donc pour objectif de
découpler le bien être de la croissance au sens de l'augmentation
de la production matérielle.
Pourtant, si l'initiative est saluée par une partie
des écologistes (ATTAC, les Verts, ...), elle est refusée par les
objecteurs de croissance. Au nom de leur critique relativiste, ils condamnent
une entreprise proprement ethnocentriste qui ne vise qu'à parfaire la
suprématie de l'économie sur la société. Selon eux,
les nouveaux indicateurs visent à prendre en compte le bien être
humain en attribuant une valeur économique à ce qui n'en a pas
encore. Non seulement, cette redéfinition de la richesse conduit
à un problème méthodologique (Jean Gadrey se demande
où s'arrêter une fois que l'on commence à prendre en compte
la production domestique, le bénévolat, etc67(*)) mais elle engendre aussi un
processus d'« omnimarchandisation ». Alors que Serge
Latouche insiste sur la nécessité de prendre avant tout en compte
la valeur d'usage, les indicateurs alternatifs se concentrent sur la valeur
d'échange. La figure altermondialiste et féministe Vandana Shiva
résume la pensée des objecteurs de croissance :
« La proposition de prescrire une valeur marchande à
toutes les valeurs naturelles au titre de la solution à la crise
écologique revient à administrer la maladie comme le
remède »68(*). La décroissance s'inscrit donc en faux contre
ce changement à minima et contreproductif. Toutefois ils transcendent
par ce refus la question des indicateurs alternatifs pour mieux mettre en avant
leur définition de la richesse.
Les objecteurs de croissance ne veulent pas d'un
accompagnement de la croissance vers une meilleure prise en compte des enjeux
sociaux et écologiques. Dans leur radicalité ils expriment le
souhait de « sortir de l'économie » c'est à
dire rompre avec l'hégémonie de l'économie qui s'immisce
dans l'ensemble des rapports sociaux. L'enrichissement matériel qui la
sous-tend est considéré comme néfaste au bien être
des individus. Poussant leur logique jusqu'au bout, Bruno Clémentin et
Vincent Cheney n'hésitent pas à lâcher dans
l'éditorial d'une édition du mensuel La
Décroissance « vive la
pauvreté ! ». Cette exclamation pour le moins
provocatrice se comprend à l'aune des externalités
négatives que produit l'accumulation de richesse. Non seulement la
société de consommation pousserait l'individu à consommer
des biens dont il n'a pas l'utilité ex ante, mais le
détournerait également du bonheur réel qui se trouve dans
l'autonomie et la convivialité. A ce titre, André Gorz explique
que « la richesse rend pauvre »69(*) puisque qu'être
pauvre consiste d'abord à ne pas posséder de nouveaux biens que
les plus riches ont déjà. Mais l'éloge de la
pauvreté ne peut néanmoins se comprendre sans le remettre dans la
perspective de lutte contre la société travailliste.
Sortir de la
société travailliste
La décroissance s'attache à démonter la
logique de la consommation. Cependant elle n'oublie pas l'autre bout de la
chaîne en proposant une autre vision du travail. Celle-ci implique une
réduction quantitative du travail dans la société ainsi
qu'une redéfinition de sa nature même. C'est un pas décisif
vers la décolonisation de l'imaginaire.
La critique de la société travailliste ne date
pas d'hier. Les objecteurs de croissance s'appuient sur la verve de Paul
Lafargue qui dénonce dans son ode à la paresse cette
« folie » qu'est « l'amour du
travail, la passion moribonde du travail, poussé jusqu'à
l'épuisement des forces vitales de l'individu et de sa
progéniture »70(*). Pourtant, leurs analyses divergent sur le moyen et
la finalité de cette réduction du travail dans la
société. Si Lafargue envisage cette réduction par le
progrès technique et dans l'optique de la société
d'abondance, la décroissance prône l'inverse. Le travail est
considéré comme un moyen de dominer le travailleur. Or
« le travailleur dominé engendre le consommateur
dominé qui ne produit plus rien de ce dont il a
besoin »71(*) surenchéris André Gorz. La
vision décroissante du travail accuse la déviation historique du
travail. D'un moyen d'assurer sa subsistance, le travail s'est
transformé en une nécessité pour pouvoir consommer les
biens et services de la société de croissance mais aussi pour s'y
réaliser socialement. Le travail est devenu une fin en soi dont les
corollaires sont le stress, le mal être, la précarité voire
l'indigence pour ceux qui en sont privés.
Les décroissants appellent donc à ce que
André Gorz nomme « l'autolimitation » dont
l'objectif est double. D'une part prendre en compte les limites de la
planète et de son propre corps en luttant contre la
surmarchandisation imposée par le productivisme. De l'autre,
recouvrer son autonomie par le temps libre et redécouvrir des plaisirs
non matériels comme le jeu ou les loisirs. Plutôt que de travail
les objecteurs de croissance préfèrent parler d'activités
dans leur modèle de société de décroissance. Tout
l'objet est donc de rompre avec le mythe selon lequel seul un travail
acharné peut rendre à l'individu les moyens de son
émancipation ou de son bonheur. Paul Ariès, en s'appuyant sur les
études de Marshall Shalins72(*), ne manque d'ailleurs pas de noter que seules les
sociétés ayant réussi à réduire leurs
besoins ont véritablement connu l'abondance. Toutefois sortir de la
société travailliste est un projet résolument politique
car il ne suffit pas simplement de réduire le temps de travail. En effet
travailler moins n'aboutit pas toujours à une réappropriation de
soi73(*). La
décroissance du travail ne peut donc se faire qu'en repensant
l'organisation sociale afin de valoriser les activités non marchandes et
les relations interpersonnelles via « une politique du
temps » selon la formule de Gorz.
***
La décroissance, par l'originalité de ses
multiples critiques à l'égard de la
« société de croissance », est un objet
politique à part. Loin d'invoquer une simple croissance inversée
du P.I.B, cette pensée politique remet en cause tous les postulats de la
société occidentale. Inspirée pour une large part de la
contreculture de Mai 1968, la décroissance bouscule les
préjugés de la société de consommation qui rendrait
l'homme heureux. La critique du progrès pousse encore plus avant la
déconstruction des mythes fondateurs de l'organisation sociale. En
dénonçant tour à tour les méfaits de la science, de
la technique ou encore de l'universalisme en tant qu'uniformisation du monde
basée sur le productivisme, la décroissance touche aux canons de
ce que d'aucuns appellent « la modernité ». La
philosophie politique de la décroissance conteste par là
même une partie de l'héritage des Lumières,
thuriféraires d'un progrès émancipateur ici
critiqué. Sur la base de ses critiques radicales, la décroissance
souhaite l'avènement d'une postmodernité par la
redéfinition de nos manières de produire, de consommer mais aussi
d'être au monde.
Le combat de la décroissance est donc
« avant tout un combat de valeurs »74(*) qui prend place dans le champ
politique.
Chapitre 2 : La décroissance dans le champ
politique
Dépositaires d'une pensée critique iconoclaste,
les objecteurs de croissance ne s'en remettent à la seule
dénonciation de la société de croissance. Conscients que
renverser le productivisme ne pourra se faire que par la démocratie, ils
assument pleinement leur entrée dans le champ politique. Cette
volonté affichée de réformer en profondeur la
société en la sevrant de l'addiction à la croissance ouvre
un large panel de possibilités. De la transformation du mode de vie
individuel au parti politique, la décroissance devient un acteur du jeu
politique en s'imposant dans le débat public.
Mais l'entrée de la décroissance dans l'espace
politique français soulève un certain nombre de questions. Quel
est son positionnement par rapport aux autres acteurs du jeu politique ?
Quelles interactions entretient-elle avec eux et avec lesquels en
particulier ? Pour mieux cerner les contours de la décroissance il
est inévitable de préciser son contenu et sa situation politique.
En réalité la décroissance n'est pas un
objet nouveau dans le champ politique. Elle s'inscrit dans une certaine
tradition socialiste qui se retrouve aujourd'hui dans son opposition au
capitalisme vert. Enfin un éclairage sera donné sur
l'intégration de la décroissance au système partisan
français.
1. Un mouvement politique
aux origines séculaires
Bien qu'elle ne prenne forme qu'à partir de la
contestation du compromis keyneso-fordiste des années soixante-dix, la
décroissance trouve ses origines dans des pensées et mouvements
politiques beaucoup plus anciens. Déjà la philosophie de certains
penseurs de l'Antiquité et du Moyen Age refusait le culte du travail et
mettait en avant la simplicité. Mais c'est surtout dans les mouvements
nés de la contestation de la Révolution industrielle et dans
l'émergence du socialisme que la décroissance trouve une
parenté pleinement assumée. Cet héritage permet de
resituer la décroissance dans une dynamique historique qui
précise sa place dans le champ politique.
La filiation Antique et les
origines philosophiques
Le principe d'une vie volontairement simple,
« autolimitée », n'émerge évidemment
pas ex nihilo des réflexions des années soixante et
soixante-dix. Dès l'Antiquité la philosophie hédoniste
d'Epicure en appelle à rechercher le plaisir et à éviter
la souffrance. Cet art de vivre épicurien distingue les désirs
qui ne sont pas tous bons à choisir. Ainsi il convient de
réfréner ses désirs « vains » et de
consommer les désirs nécessaires avec modération afin
d'éviter un manque qui entraverait l'accès au bonheur.
Contrairement à une idée répandue, l'épicurisme
n'est pas une philosophie de la joie excessive. La tempérance et la
connaissance de ses propres limites sont les conditions essentielles de
l'accès au bonheur. On comprend facilement le lien avec l'objet qui nous
intéresse. Sans limites imposées à soi même, l'homme
ne peut jouir que de plaisirs futiles. Incapable de discerner le
nécessaire de l'accessoire, il s'accoutume à satisfaire des
besoins secondaires qui, le jour où ils ne peuvent être
satisfaits, empêchent de trouver le bonheur. Le parallèle avec
l'évolution des sociétés occidentales est saisissant.
Faute d'avoir faire preuve de prudence et de raison, les hommes ont mis en
place une société de croissance qui a créé sans
cesse de nouveaux besoins illusoires devenus nécessaires selon le
processus d'identification sociale aux objets décrit par Jean
Baudrillard75(*). Or la
satisfaction de ces besoins repose sur l'hypothèque des ressources
limitées de la planète. Cet excès de désir
conduira, si l'on en croit le philosophe grec, à la souffrance. Une
analyse qui est aujourd'hui reprise par les objecteurs de croissance
dénonçant la course à l'abîme de la
société de croissance.
L'ascétisme est également présent en
matière religieuse, notamment dans le catholicisme et les
communautés monastiques. L'un des Saints les plus connus,
François d'Assise, fondateur de l'ordre des franciscains, fait
l'apologie de la pauvreté et de la prière. Il invite à
faire volontairement le choix de la frugalité et à pratiquer
l'autosuffisance. Cette manière de vivre se résume sous la
formule de la « simplicité volontaire » qui joue un
rôle essentiel dans le mouvement de la décroissance. Alors que les
principes de la décroissance s'appliquent plutôt aux structures
collectives, la simplicité volontaire en est la transcription
individuelle. Ce mode de vie alternatif qui recherche l'harmonie avec la nature
par le dénuement a été popularisé par le philosophe
américain Henry David Thoreau retiré pendant deux ans près
de l'étang de Walden pour échapper aux affres de la
société industrielle76(*). L'exemple de Thoreau a été repris
partout dans le monde et suscité l'intérêt d'hommes
célèbres. Ainsi Tolstoï, écrivain bourgeois, s'est
converti à un ascétisme paysan qu'il adopta jusqu'à sa
mort. Gandhi lui-même a été influencé par le concept
suite à la lecture d'un ouvrage du critique d'art anglais John
Ruskin77(*). La
simplicité volontaire est aujourd'hui très
développée au Canada où elle tient rang de mouvement
social mais reste encore peu connue en France78(*).
Avant la formalisation théorique du XXème
siècle, les principes qui forment aujourd'hui l'idée de
décroissance prennent corps dans la littérature et les
débats sur la place publique. Mais s'ils restent cantonnés encore
au champ de l'éthique ou de la philosophie, les préceptes de la
décroissance entrèrent rapidement dans le domaine social et
politique à partir de la révolution industrielle.
La contestation de la
révolution industrielle
La mue vers la société industrielle (à
partir de la fin du XVIIIème siècle en Grande Bretagne et du
début du XIXème en France) ne s'est pas faite sans heurts. La
marche vers le progrès a connu des résistances qui font dire
à Paul Ariès que les classes populaires ont fait preuve d'un
« antiproductivisme spontané »79(*) afin de protéger leur
mode de vie.
Dès le XIIème siècle, la mise en place
des enclosures a suscité régulièrement la révolte
de paysans appauvris, notamment dans les Midlands où cinquante d'entre
eux furent pendus à titre d'exemple en 1607. Le refus du progrès
devient d'autant plus fort avec la révolution industrielle. En 1811 des
ouvriers anglais du textile manifestent leur opposition à la mise en
place de nouvelles machines qui menacent leur métier en
détruisant leur outil de travail. Ces « bris de
machine » inaugurent le luddisme (du nom du supposé leader de
la contestation Ned Ludd) qui fait figure de résistance des classes
populaires à la marche forcée de l'industrialisation. Une
résistance qui s'illustre aussi dans la révolte des Canuts de
Lyon (1831-1834) et dans celle des ouvriers de l'Hérault (1818, 1830,
1843). Dans ces révoltes il ne s'agit pas tant de refuser toute
technique. La lutte contre le machinisme se fait en réalité
contre les nouvelles machines et surtout contre leurs implications en termes
d'organisation du travail. En effet si les premières machines
permettaient un travail proto-ouvrier à domicile, les nouvelles
conduisent les travailleurs à l'usine80(*). L'antiproductivisme spontané des classes
populaires que met en exergue Paul Ariès se fait donc d'abord contre la
logique de dépossession du travail qu'engendre la révolution
industrielle.
Cette bataille se révéla toutefois vite perdue.
Les révoltes sont écrasées et l'industrialisation se
poursuit inexorablement donnant ainsi naissance à la classe
ouvrière. Les syndicats entrent alors en jeu pour défendre les
conditions de vie et de travail des ouvriers. La Confédération
Générale du Travail (CGT) réclame des mesures pour
préserver la santé des ouvriers comme le repos dominical ou la
journée de huit heures mais continue aussi à dénoncer le
machinisme comme responsable du chômage dans l'industrie et le monde
agricole. Après la première guerre mondiale la CGT se convertit
au productivisme mais la Confédération générale du
travail unitaire (CGTU) et la Confédération
générale du travail syndicaliste révolutionnaire (CGTSR)
s'opposent encore aux machines considérées comme les instruments
du capitalisme81(*). La
classe ouvrière aurait donc été nativement
antiproductiviste en opposition au progrès qui dégradait ses
conditions de vie. Cette réaction sociale aux méfaits de
l'industrialisation se retrouve dans la pensée politique des premiers
courants socialistes dont les auteurs de la décroissance revendiquent
aujourd'hui l'héritage.
Les inspirateurs
socialistes
Les mouvements socialistes du début du XIXème
siècle sont une source d'inspiration centrale pour les
théoriciens de la décroissance. En vérité, la
doctrine des socialistes « utopiques », libertaires ou
encore de certains marxistes hétérodoxes apparait comme
réactualisée par les objecteurs de croissance qui y trouve une
alternative cohérente au productivisme capitaliste et communiste.
La première catégorie des courants socialistes
auxquels se référent les objecteurs de croissance est celle du
socialisme utopique des Fourier, Cabet, Owen et Saint Simon (ce dernier ne fait
néanmoins pas partie des références de la
décroissance en raison de son ode à l'industrie). Le terme utopie
est inventé au XVIème siècle par Thomas More. Sur cette
île idéale, il envisage une société
libérée du travail avilissant où l'égalité
serait une règle effective. Les habitants de l'Utopie vivent en
communautés et ne travaillent que six heures par jour, le temps libre
est consacré aux loisirs. Cette influence littéraire se retrouve
dans la philosophie du socialisme utopique qu'Engels distingue du socialisme
scientifique. Les socialistes utopiques s'opposent à la
propriété privée qui engendre les hiérarchies
sociales et dénoncent l'illusion selon laquelle le bonheur n'adviendrait
qu'au prix d'une accumulation illimitée de richesses. Pierre Leroux,
inventeur du mot « socialisme » en 1833, plaide à ce
titre pour une société frugale avec notamment sa théorie
du circulus humain82(*). La fin de l'économie n'est alors plus le
profit mais la satisfaction de besoins réels ce qui ouvre la
possibilité d'un droit à la paresse. Mais contrairement aux
marxistes qui les suivirent, les socialistes utopiques choisissent la
méthode de la transformation à celle de la révolution. Ils
souhaitent réaliser le socialisme dans l'immédiat au sein de
communautés autonomes dont les principes sont l'égalité
des travailleurs et la propriété collective des moyens de
production. Les socialistes utopiques n'hésitent donc pas à
créer ex nihilo un monde nouveau au sein de ces
communautés dont la multiplication doit se solder par la chute du
capitalisme. Au Royaume Uni, Robert Owen est le premier à lutter contre
la paupérisation des ouvriers en instaurant des communautés de
travail en particulier au sein de son usine de New Lanarck. En France, Charles
Fourier invente l'utopie associative réalisée concrètement
dans son système du phalanstère. Ces bâtiments
communautaires regroupent jusqu'à quatre cents familles fondant ainsi
une « phalange ». Tout individu s'affaire à une
tâche sans commandement hiérarchique. Chacun est
rétribué par les dividendes de l'activité du
phalanstère et participe à l'organisation de la vie collective.
Bien que ces exemples de communautés ouvrières autonomes aient
aujourd'hui en partie disparus, ils irriguent la pensée de la
décroissance par leur caractère concret. Il existe des
expériences réelles de vie collective libérées du
joug du productivisme.
L'autre inspiration des objecteurs de croissance est celle
des socialistes libertaires ou anarchistes. Des auteurs comme Kropotkine,
Bakounine ou encore l'artiste anglais William Morris83(*) critiquaient violemment la
société industrielle et souhaitaient la transformer en une
société du partage et de la solidarité. Pierre Proudhon
est emblématique de l'attachement antiproductiviste des socialistes
libertaires. Pierre Langlois note à son propos qu'il ne
« voyait pas pourquoi aller au-delà de la satisfaction des
besoins naturels et sociaux simples. [...] La production pour la production,
donc la croissance infinie, exponentielle, lui répugnait, de même
que la consommation pour elle-même »84(*). Un autre anarchiste,
Elisée Reclus est particulièrement apprécié des
objecteurs de croissance pour le lien qu'il est un des premiers à faire
entre progrès de l'homme et environnement. La géographie qu'il
étudie replace en effet l'action de l'homme dans un environnement qu'il
peut détériorer.
Malgré une ambition partagée de
révolutionner la société avec des outils
différents, socialistes utopiques et libertaires laissent
progressivement place à partir des années 1870 aux tenants du
marxisme. Ce « socialisme scientifique »
développé par Max et Engels change les orientations du mouvement
socialiste. La méthode n'est plus celle des communautés mais de
la confrontation avec la classe bourgeoise afin d'imposer la
propriété collective des moyens de production dans le droit fil
de la dialectique historique marxiste. Surtout, les valeurs antiproductivistes
des premiers socialistes disparaissent au profit d'un matérialisme
exacerbé qui trouve son apogée dans la course à la
production lancée par les bolcheviks en URSS. Certains marxistes dits
hétérodoxes tel que Marcuse, Adorno, Lefebvre ou Althusser
prennent néanmoins leurs distances et reprennent la pensée
marxiste à travers la philosophie ou le droit. Ces auteurs inspirent
également les théoriciens de la décroissance comme nous
avons pu le voir au chapitre premier.
Ce rapide détour à travers l'histoire
démontre que les concepts et la philosophie repris par la
décroissance ne sont pas nouveaux. La décroissance est en
réalité l'actualisation de pensées politiques et sociales
anciennes articulées autour de la conscience nouvelle de la finitude de
la planète. La décroissance a pour coeur l'impératif
écologique mais ne saurait s'y réduire. L'éventail des
critiques sociales amenées par les luttes antiproductivistes tend
à faire de la décroissance un véritable projet politique
au sens d'une volonté de transformer la société.
2. Un mot obus contre le
capitalisme vert
La décroissance est un slogan volontairement
provoquant, un « mot obus », afin d'engager le débat
sur les implications de la société de croissance.
L'émergence et la relative médiatisation du mouvement des
objecteurs de croissance au moment d'une prise de conscience collective de la
crise écologique n'est pas un hasard. Les partisans de la
décroissance s'indignent de la récupération du discours
écologiste par les promoteurs de ce qu'ils nomment le
« capitalisme vert ».
Leur opposition résolue à toute idée de
croissance verte est signe du caractère anticapitaliste de la
décroissance qui remet aussi en question, de manière
controversée, le développement lui-même.
L'impossible croissance
verte
Les théoriciens de la décroissance se sont
fixés pour objectif de déconstruire le mythe des bienfaits de la
société de croissance. Leur critique ne s'arrête donc pas
à la croissance du P.I.B comme nous avons pu le voir. Au contraire, ils
avertissent l'opinion sur le non-sens que constitue à leurs yeux les
néologismes de croissance verte ou de développement durable. Avec
des intentions plus ou moins louables, ces mots induiraient un changement
purement sémantique qui n'aurait aucunement l'intention de remettre en
cause le productivisme.
Dans la littérature décroissante « la
décolonisation de l'imaginaire collectif » revient comme un
leitmotiv. L'objectif est de désaccoutumer les citoyens du
consumérisme mais aussi de contrer les arguments qui présentent
une mutation écoresponsable de la société de croissance.
Le développement durable est ainsi désigné comme un
piège tendu pour évacuer à bon compte la question de la
déplétion des ressources naturelles. Pour les objecteurs de
croissance, le développement durable serait donc un oxymore. Serge
Latouche donne une définition qui résume à elle seule
toute la critique sémantique décroissante :
« On appelle oxymore, une figure de rhétorique consistant
à juxtaposer deux mots contradictoires [...]. Ce procédé
poétique servant à exprimer l'inexprimable est de plus en plus
utilisé par les technocrates pour persuader de l'impossible : ils
parlent ainsi de « guerre propre », de
« mondialisation à visage humain »,
d'économie « solidaire »,
etc. »85(*). Bien que la généralisation de la
notion de développement durable soit le signe d'une prise de conscience
écologique salutaire, les objecteurs de croissance n'en stigmatisent pas
moins la logique économique tout aussi peu soutenable à long
terme.
Les biens naturels ne peuvent être remplacés par
d'autres biens mêmes plus abondants ou artificiels. Les technologies
vertes n'offrent pas plus une réponse satisfaisante. Les investissements
dans l'économie immatérielle comme nous l'avons vu auparavant
sont aussi une fausse piste pour les décroissants. Ce type
d'économie accompagnerait plus l'ancienne économie qu'elle ne la
remplacerait. Mais surtout les objecteurs de croissance lèvent une
objection fondamentale à toute idée de croissance durable avec la
redécouverte par le chercheur François Schneider du paradoxe de
Jevons. L'économiste britannique du XIXème Stanley Jevons
s'était interrogé sur la consommation croissante de charbon alors
que les machines à vapeur étaient de plus en plus
économes. Il s'était aperçu que les économies de
charbon par machine apportées par le progrès technologique
avaient été absorbées par l'augmentation du nombre total
de machine si bien que la consommation absolue de charbon s'était
accrue. C'est ce qu'on appelle « l'effet rebond », les
économies d'énergies réalisées sont en tout ou
partie compensées par une adaptation du mode de consommation. Par ce
dernier argument le mouvement de la décroissance met à bas
l'idée d'un développement éco-efficient. Tous les efforts
développés par le capitalisme pour intégrer la contrainte
écologique sont vains puisque la logique sociale de consommation qui le
caractérise incite à acquérir toujours plus de biens.
En outre le développement durable implique un
découplage absolu entre activité économique et impact
environnemental. Ce découplage consiste à faire baisser
l'empreinte écologique par unité produite. Or cette augmentation
de l'efficacité dans l'utilisation des ressources doit se faire au moins
au même rythme que l'activité économique pour
espérer échapper à la déplétion des
ressources. Pour les raisons que nous avons rappelées, un tel
découplage semble extrêmement difficile à réaliser.
L'étude de l'économiste Tim Jackson tend d'ailleurs à le
vérifier empiriquement et qualifie ce découplage de
« mythe »86(*). Les objecteurs de croissance n'oublient pas la
critique sociale. Ils soulignent que les pauvres sont la variable d'ajustement
de ce nouveau capitalisme qui tire de nouveaux marchés et profits de la
problématique écologique. La décroissance se pose donc en
butte au développement durable et à la normalisation du discours
écologiste repris comme un outil marketing. Ses partisans
n'hésitent d'ailleurs pas à prendre violemment à partie
les ONG ou des personnalités telles que Yann Arthus Bertrand ou Nicolas
Hulot régulièrement brocardés dans les pages
« écotartufes » du journal La
Décroissance. Symbole du greenwashing87(*), le Grenelle de
l'Environnement est lui aussi pris pour cible comme « la
concrétisation de cette alliance entre une écologie
dépolitisée et les logiques
ultralibérales », un « véritable
Munich de l'écologie politique »88(*) selon les mots de Vincent
Cheynet. Le journal La Décroissance organisa d'ailleurs deux
« contre-grenelles » pour dire « Non au
capitalisme vert ».
On l'aura remarqué, le mouvement de la
décroissance s'ingère dans le champ politique et s'inscrit en
faux contre la banalisation des questions écologiques. Mais plus encore
la critique des oxymores « croissance verte » ou
« développement durable » amène à
contester le capitalisme lui-même. Paul Ariès en fait la
démonstration : « Ce projet a une apparence, le
développement durable. Il a une réalité : le passage
à un nouvel âge du capitalisme »89(*).
Une pensée
anticapitaliste ?
Les partisans de la décroissance font souvent l'objet
de critiques sur leur supposée clémence vis-à-vis de
l'exploitation capitaliste. Jean Marc Harribey, ancien président d'ATTAC
et fin connaisseur de la question, s'en prend à la décroissance
à travers quatre reproches que synthétise Paul
Ariès : « décroitre sans sortir du
capitalisme, décroitre sans limites, ne pas voir qu'une autre
économie que le capitalisme est possible et renoncer à la
perspective du plein emploi »90(*). Les théoriciens de la décroissance
coupent court à ces reproches. Sans détours ils affirment que
sortir de la société de croissance est incompatible avec le
capitalisme91(*). La
logique d'accumulation sans fin des forces productives qu'il suppose est
contraire avec la sobriété prônée par la
décroissance. Le cycle production/travail/consommation est jugé
responsable de l'aliénation et de l'exploitation des travailleurs ainsi
que de la dégradation des équilibres écologiques. Les
références aux travaux d'auteurs écosocialistes comme
Michaël Lowy ou Philippe Corcuff sont nombreuses et soulignent la
dérive systémique du capitalisme. Confronté à une
crise de « valorisation » avec la baisse tendancielle de la
quantité de travail nécessaire à la production, le
capitalisme voit ses possibilités de profit se réduire.
L'accentuation ou du moins le maintien du capitalisme ne se ferait qu'au prix
de la dégradation de la valeur d'usage (d'utilité) des produits.
Cette forme « d'hypercapitalisme » se traduit par une
marchandisation des biens communs jusqu'ici gratuits (l'eau par exemple) mais
donne aussi lieu à un processus de junk-production (production
pourrie) entrainant une junk-consumption (consommation pourrie) selon
Paul Ariès. La faible valeur d'usage de ces produits,
déconnectés de besoins réels, ne permet même plus
d'acheter un statut mais tout juste de jouir sans désir. Cet
« hypercapitalisme » est celui du
« mésusage »92(*) : la malbouffe, l'urbanisme anarchique, la
« télé-poubelle » sont autant de produits
issus d'un système parfaitement rationnel d'accumulation du capital.
Dans un autre registre, Serge Latouche concentre ses
critiques sur « l'esprit » du capitalisme. Il s'oppose
à l'imaginaire collectif produit par le capitalisme : l'imaginaire
de démesure et d'accumulation sans limites créé par la
société de marché conduit inéluctablement à
la destruction de l'environnement mais aussi de toute solidarité
collective. Les décroissants soulignent donc l'antinomie entre
capitalisme et décroissance à l'image de Murray Bookchin :
« On ne peut pas plus convaincre le capitalisme de limiter la
croissance qu'on ne peut persuader un être humain d'arrêter de
respirer »93(*). Toutefois ils refusent de s'arrêter à
un anticapitalisme primaire. S'ils se reconnaissent pour la plupart dans la
critique marxiste du capitalisme, ils revendiquent le même examen pour
toute société de croissance. Ainsi les reproches formulés
à l'égard du capitalisme sont les mêmes pour ceux qui
souhaitent le mettre à bas car « l'on peut avoir une
économie de croissance qui n'est pas une économie de
marché, et c'est notamment le cas du socialisme
réel » explique justement Takis Fotopoulos94(*). Capitalisme et socialisme
sont en réalité deux avatars d'un même projet de
croissance. Les objecteurs de croissance ne cèdent donc pas à la
facilité de désigner le capitalisme comme responsable de tous les
maux et qu'il suffirait d'en sortir pour un monde meilleur. Cette vision
manichéenne est balayée par le productivisme pratiqué par
la gauche socialiste ou communiste tout aussi exacerbé que celui du
capitalisme libéral. Pourtant, il s'en est fallu de peu pour que
l'histoire tourne autrement. Le scientifique ukrainien Sergueï Podolinsky
(1850-1891) avait tenté en vain de convertir Karl Marx à
l'économie écologique dont il était le précurseur.
Ses travaux sur la pensée marxiste et la deuxième loi de la
thermodynamique furent en définitive écartés par le
dogmatisme positiviste d'Engels.
Puisque postuler l'anticapitalisme ne suffit pas, les auteurs
en soulignent d'ailleurs le caractère fourre-tout, les partisans de la
décroissance prônent un dépassement du capitalisme.
L'objectif final est de briser le productivisme et de parvenir à une
société de décroissance. La sortie du capitalisme
constitue alors un moyen nécessaire à la décroissance mais
non une fin. Mais si la croissance et le capitalisme sont à supprimer,
qu'en est-il du développement ?
La controverse du
développement
Le mot obus de décroissance a pour objectif de
démythifier les canons de la pensée économique dominante.
Cette entreprise de déconstruction de tous les attributs de la
modernité (croissance, progrès, technique) se poursuit à
travers la remise en cause du développement.
Pour les objecteurs de croissance, le développement a
toujours été lié à la croissance. Cette affirmation
prend à revers ceux qui trouveraient dans la notion de
développement une échappatoire à la critique de la
croissance. La critique du développement trouve son origine dans les
travaux de François Partant et de Serge Latouche. Pour François
Partant, le développement correspond à une politique
néocolonialiste des pays du Nord qui prive les sociétés du
Tiers Monde de leur autonomie et participe à leur
appauvrissement95(*).
Cette idée est reprise et développée par Serge Latouche,
pionnier de l'école de « l'après
développement ». Pour lui le développement est un
concept ethnocentriste qui se traduit à travers un processus
d'occidentalisation du monde96(*). Le développement serait en quelque sorte le
cheval de Troie de la pensée économique dominante pour
s'introduire sur des terres encore non conquises. Derrière cette notion
emplie de bons sentiments se cacherait en réalité la
prééminence de l'économique quelque soit les adjectifs
dont on l'affuble (« humain »,
« durable », ...). Paul Ariès fait d'ailleurs le
lien avec le capitalisme puisque le développement serait
« impulsé par le capital »97(*) sous la forme de politiques
libérales de privatisation et de financiarisation de l'économie
des pays du Sud. La critique du développement tient donc en deux
volets : la contestation de l'exportation d'un modèle culturel
occidental qui briserait les modes de vie traditionnels des pays du Sud ;
l'opposition à l'hégémonie de l'économie. Les
décroissants refusent la notion de développement au nom d'une
logique de sortie de l'économie. Une vision que ne partage pas les
altermondialistes et notamment ATTAC. Dans un livre paru en 2004 l'association
pointe les limites de la croissance et critique sans complexe la notion de
développement. Néanmoins elle ne rejette pas le terme et s'engage
sur la voie d'un « autre développement possible ».
La réponse des objecteurs de croissance ne se fait pas attendre:
« Le développement est [...] un concept
génétiquement occidentalo-centré, il contient l'hubris du
seul fait qu'il implique une absence de limite »98(*). Toutefois il convient de ne
pas conclure trop hâtivement une position claire des objecteurs de
croissance sur le développement. En dépit de l'influence des
travaux de Serge Latouche, il semblerait que la question soit toujours en
débat au sein du mouvement.
La décroissance est un projet politique qui remet en
cause les présupposés idéologiques tant de la droite que
de la gauche. Ce mouvement singulier dans le paysage politique français
n'entend cependant pas rester à la marge. La question est alors de
savoir selon quelles modalités participer au jeu politique.
3. Une tentative
iconoclaste de bousculer le système partisan français ?
Bien que de sensibilité libertaire, les partisans de la
décroissance ont pour ambition d'inscrire leur action dans le champ
politique. Ils se retrouvent alors confrontés à un dilemme entre
deux modes d'engagements qui ne s'excluent cependant pas l'un l'autre. D'un
côté une stratégie d'influence des organisations classiques
afin de faire évoluer leurs positions pour prendre en compte tout ou
partie des idées de la décroissance. De l'autre une
stratégie classique de participation au jeu politique en
présentant des candidats à chaque élection. Cette
dernière proposition pose alors la question des alliances des objecteurs
de croissance et de leur situation sur l'échiquier politique.
Une stratégie de
minorité active
En 2007, dans son Petit traité de la
décroissance sereine, Serge Latouche résumait l'ambition
première des objecteurs de croissance en affirmant qu'il
était surtout « important de peser dans le débat,
d'infléchir les positions des uns et des autres, de faire prendre en
considération certains arguments, de contribuer à faire
évoluer les mentalités » plutôt que de se
disperser dans une hasardeuse aventure électorale. Même si cinq
années est une éternité pour ce jeune mouvement, cette
conception de l'action politique reste partagée par de nombreux
objecteurs de croissance.
Dans la lignée d'auteurs tels que Serge Latouche ou
Jean Claude Besson-Girard, la décroissance se constitue en une
première tendance dont le but serait de peser de l'extérieur sur
le débat public. Cette revendication de changement culturel par des
expérimentations concrètes s'inscrit dans une politique de
minorité active au sens de Serge Moscovici99(*). Une minorité active
possède ses opinions et son propre cadre de pensée. En refusant
de s'intégrer dans la majorité elle produit de l'influence
sociale sur les manières de faire et de penser. Elle a donc vocation
à se substituer à la majorité par l'avènement d'un
changement culturel initié par elle-même. Cette volonté de
peser par l'action s'incarne dans le mouvement de la simplicité
volontaire et ce que Jean Claude Besson-Girard nomme des
« utopies concrètes »100(*). Sur un plan collectif ces
dernières prennent la forme d'Association pour le Maintien de
l'Agriculture Paysanne (AMAP)101(*) ou de Système d'Echange Locaux
(SEL)102(*) dans la
logique de sortir du productivisme agricole et de relocaliser
l'économie. A une échelle plus large ces expérimentations
se déclinent à travers le mouvement des Villes lentes. Ces
villes, regroupées dans un réseau d'une centaine de communes
membres, ont pour objet de remettre la lenteur au coeur de la cité.
L'aménagement du territoire, la mobilité, la gestion des
déchets, ... sont autant de politiques repensées à travers
le prisme de la lenteur afin de lutter contre le « gigantisme
urbain » et le mal être lié à un environnement
dense et stressant. Dans le même mouvement, le phénomène
des Villes en transition (selon l'expression de l'enseignant britannique Rob
Hopkins103(*)) consiste
à associer les populations locales pour organiser le passage
« de la dépendance au pétrole à la
résilience locale ». Qu'il s'agisse d'engagements individuels au
quotidien ou d'actions collectives au niveau global, ces
expérimentations concrètes dessinent le contre modèle que
la décroissance souhaite à terme généraliser.
Serge Moscovici l'avait mis en avant, cette stratégie
de la minorité active ne peut se concevoir qu'à travers un
affrontement durable face à la majorité. Une intégration
précoce au système proposé par la majorité conduit
à une perte du pouvoir d'influence de cette minorité sur la
majorité. En l'occurrence la participation au jeu politique priverait
sine die la décroissance de toute possibilité de voir un
jour réaliser son projet, aspiré par la société de
croissance. Ainsi, nombreux sont les objecteurs de croissance à rejeter
toute intégration au système politique représentatif.
Portevoix de cette tendance, Serge Latouche fait une critique cinglante de
l'intégration de la décroissance au jeu partisan : ce serait
« au mieux un vain bavardage, au pire une forme de
complicité avec le totalitarisme rampant de la mondialisation
économique »104(*). En toute logique, sa position le conduit en 2006
à condamner fermement la création du Parti de la
Décroissance. Pour autant tous les objecteurs de croissance
n'adhérent pas à la vision de la minorité active. Certains
assument pleinement de vouloir participer aux élections, seul moyen
selon eux de porter efficacement leurs idées.
Prendre parti : les
décroissants dans le jeu partisan
Malgré l'éclatement de la mouvance
décroissante, une partie des objecteurs de croissance considèrent
que la stratégie de la résistance par l'action concrète ne
suffit pas. Tout en reconnaissant l'importance de ces pratiques qui inscrivent
dans le réel le projet de la décroissance, ils en mesurent les
limites. Paul Ariès et Vincent Cheynet, chefs de file de cette tendance
« partisane », mettent en garde contre le risque que les
militants de la simplicité volontaire « s'enferment dans
la bonne conscience, la dangereuse quête d'un homme nouveau, d'un paradis
sur terre, d'une communauté de purs »105(*). La stratégie de la
minorité active n'est d'ailleurs pas un gage de réussite.
L'exemple de la communauté Amish106(*) et ses 250 000 membres n'a pas
empêché les Etats Unis d'évoluer vers un système de
consommation outrancier. Le salut de la décroissance tiendrait donc dans
la participation au jeu politique. Elle offrirait à la
décroissance une tribune qui élargirait ses cercles de partisans
et son audience auprès du public. En outre, cette stratégie ne
serait pas antinomique mais bien complémentaire avec les approches de la
simplicité volontaire.
La participation électorale suppose la constitution
d'un outil partisan. Or le chemin vers l'institution d'un parti de la
décroissance est long et escarpé. D'autant plus que les milieux
libertaires de la décroissance font souvent montre d'une certaine
défiance à l'égard du jeu politique. Des figures du
mouvement à l'instar de Vincent Cheynet tentent néanmoins le pari
avec un succès plus que mitigé. Dans la perspective des
élections présidentielles de 2007 est lancé en mars 2005
un Appel pour des Etats généraux de la
« décroissance équitable ». Malgré la
collaboration de diverses sensibilités et organisations (Les
Alternatifs, Casseurs de Pub, ...), les discussions achoppent sur des
débats de doctrine (décroissance ou développement durable)
et sur la participation de José Bové. Ce dernier avait
été un temps envisagé comme le candidat de la
décroissance. Après avoir participé au colloque fondateur
de la décroissance en 2002, il s'était progressivement
éloigné du mouvement. Il est finalement candidat de
l'antilibéralisme et atteint 01,32 %. Cet « acte
manqué »107(*) selon l'expression de Timothée
Duverger pèse lourd dans les milieux de la décroissance. Entre
temps, Vincent Cheynet avait créé lui-même dès 2005
le Parti pour la Décroissance (PPLD) sous les critiques de ses amis.
Présentant onze candidats aux législatives de 2007, les scores
oscillent entre 0,24% et 2,71% des suffrages. Une nouvelle formation voit le
jour sous l'impulsion de déçus du PPLD, le Mouvement
« les Objecteurs de croissance » (MOC). Le MOC ne se
constitue pas sous la forme d'un parti, considérée comme trop
rigide, mais du mouvement. Il n'a ainsi ni hiérarchie interne ni
structures de décisions afin de laisser libre cours à
l'initiative de chacun et installer une présence militante sur le
terrain.
L'expérience électorale rebondit
néanmoins à l'occasion des élections européennes de
juin 2009. Le PPLD et le MOC s'unissent au sein de l'Association des Objecteurs
de croissance (AdOC). L'objectif n'est pas tant de réaliser un bon score
(entre 0,02% et 0,04% au final) mais de frapper les esprits. Exercice
réussi avec la diffusion d'un clip vidéo pendant la campagne
officielle où un escargot vient dévoiler le programme des listes
Europe-Décroissance dans les téléviseurs de tous les
ménages. Ce gain en visibilité se poursuit lors des
élections régionales de 2010. Des listes autonomes sont
constituées en Alsace (1,61%) et en Franche Comté (1,12%) mais
plus intéressante est la stratégie d'alliances avec le Nouveau
Parti Anticapitaliste (NPA) et le Front de Gauche en Languedoc-Roussillon
(8,6%) et dans le Limousin (13,13% au premier tour et 19,10% au second). Les
accords électoraux passés par les organisations d'objecteurs de
croissance semblent indiquer une représentation à l'extrême
gauche de l'échiquier politique français.
Enfin, pour ce qui concerne les élections
présidentielles de 2012, la décroissance ne présente pas
de candidat commun. Paul Ariès avait jeté l'éponge
dès octobre 2010 faute d'union des différentes chapelles de la
décroissance108(*). Le PPLD soutient néanmoins la candidature de
Clément Wittmann, objecteur de croissance « pur
jus », qui a entrepris un tour de France à vélo afin de
trouver les cinq cents signatures nécessaires pour se présenter
à l'élection présidentielle.
Désunis, les objecteurs de croissance ne semblent pas
parvenir à s'inscrire de manière stable et autonome dans le
paysage politique français. Des ponts sont alors jetés à
la gauche de l'échiquier politique pour y remédier.
Un espace possible
qu'à gauche ?
Postuler la sortie du capitalisme comme préalable
à la société de décroissance rapprocherait
mécaniquement le mouvement de la décroissance d'une partie de
l'extrême gauche. Si cette assertion se vérifie empiriquement,
Timothée Duverger évoque également des
« passerelles »109(*) possibles à droite.
Selon Serge Latouche la critique radicale de la
modernité au coeur de la pensée décroissante a
été historiquement « plus poussée à
droite qu'à gauche »110(*) avec les penseurs contre-révolutionnaires
Burke, De Maistre ou Bonald. Il existerait un « antiproductivisme
de droite » qui aurait toujours de fortes convergences avec
« l'antiproductivisme de gauche » dont se
réclament les objecteurs de croissance. Ce rapprochement s'opère
notamment à travers les écrits du philosophe Alain de Benoist.
Membre du GRECE111(*),
il publie en 2005 dans la revue d'extrême droite
Éléments un article intitulé « Objectif
décroissance »112(*). Alain de Benoist s'en prend au matérialisme
et à la société de la consommation comme mode
d'uniformisation culturelle engendrant l'effacement des identités. Dans
ses nombreux écrits critiques de la modernité il se
réfère sans complexes à des figures de la
décroissance comme Baudrillard ou Latouche. Ce rapprochement trouve son
point d'orgue dans la publication d'un manifeste en 2007 : Demain la
décroissance !113(*). Il en appelle à une union des
antiproductivistes au nom d'une « rupture radicale avec
l'idéologie des Lumières, c'est-à-dire l'idéologie
de la modernité »114(*). Cette proposition jette le trouble chez les
objecteurs de croissance. La plupart réagissent en signant un appel
contre l'extrême droite qui « affirme solennellement que
nous n'avons [les militants antiproductivistes] rien à voir
avec les émules d'Alain de Benoist, d'Alain Soral, du Front national,
des catholiques intégristes,... »115(*). Malgré un
déni clair de toute rapprochement, cette réaction sonne comme un
aveu d'une certaine proximité avec les mouvements réactionnaires.
Stéphane Lavignotte remarque à ce propos les
ambiguïtés de certains théoriciens de la décroissance
qui flirtent avec un conservatisme pur jus par leur critique du mariage
homosexuel ou leur reprise des thèses du psychanalyste Jean Pierre
Lebrun116(*).
En dépit de ces passerelles la plupart des
théoriciens décroissants considèrent clairement leur
projet politique à gauche. C'est même une
« évidence » pour Serge Latouche parce
qu'il se « fonde sur une critique radicale de la
société consommation, du libéralisme et renoue avec
l'inspiration originelle du socialisme »117(*). De la même
manière Paul Ariès se place résolument dans le champ de la
gauche et en appelle à « une autre
gauche »118(*) antiproductiviste. Ce positionnement
idéologique se traduit également par les stratégies de la
décroissance dans le jeu politique. Ainsi les objecteurs de croissance
exercent en premier lieu une influence sur les partis de la gauche. Le dialogue
est instauré avec le Parti Socialiste. Le mouvement trans-parti Utopia
qui porte des thèmes proches de la décroissance présente
des motions aux Congrès du PS mais n'obtient jamais plus de 1%. Les
rapports avec la social-démocratie n'en restent qu'au stade de la
courtoisie mais les résultats sont plus probants avec les
représentants de « l'autre gauche ». La
création du Parti de Gauche par l'ancien socialiste Jean Luc
Mélenchon s'accompagne d'un vrai dialogue avec les objecteurs de
croissance. Paul Ariès et l'ancienne députée Verte Martine
Billard pèsent alors de tout leur poids pour que le Parti de Gauche
« revendique explicitement l'identité
écologiste »119(*). Martine Billard et Vincent Cheynet (pour un temps)
adhérent même au Parti de Gauche. Néanmoins celui-ci
n'opère pas la mue écologiste escomptée en raison de son
alliance avec le Parti Communiste caractérisé par son
productivisme. Les discussions n'aboutissent pas à créer un parti
de gauche ouvertement décroissant mais les relations restent amicales
comme en témoigne les listes communes entre Parti de gauche et
objecteurs de croissance aux régionales de 2010.
L'accueil est également favorable du côté
du NPA qui se détourne dans ses principes fondateurs d'un
« développement illimité de la
production » pour se concentrer sur l'objectif de
« la satisfaction écologique des besoins
sociaux »120(*). Le NPA et le MOC rédigent même un
communiqué commun avant les élections régionales de 2010
« pour une convergence de la gauche anticapitaliste et
antiproductiviste et de l'écologie radicale »121(*).
L'antiproductivisme des objecteurs de croissance les conduit
mécaniquement au-dessus du système partisan. Pour autant la
volonté de peser de l'extérieur semble aujourd'hui
contrebalancée par l'intégration croissante de la
décroissance au jeu politique. La participation électorale se
fait au nom d'un « écosocialisme » selon
l'expression du philosophe Michael Löwy, ce qui permet d'entamer des
discussions voire des alliances avec d'autres partenaires de la gauche
radicale.
***
Les objecteurs de croissance se veulent les héritiers
d'une longue tradition antiproductiviste. Bien que d'inspiration socialiste,
leur projet politique s'inscrit en faux contre les formations politiques de
gauche comme de droite qui placent le productivisme au centre de leurs analyses
et de leurs propositions. Ce constat entraine une certaine aversion des
décroissants envers le jeu partisan dont les acteurs seraient les chiens
de garde de la société de croissance. Par conséquent,
mêmes les Verts seraient devenus des
« éco-tartufes ». Les figures du parti
écologiste font d'ailleurs régulièrement l'objet de
portraits au vitriol dans la rubrique du journal La
Décroissance du même nom. Ce refus de la
société de croissance et de la politique partisane a
précipité une partie considérable des objecteurs de
croissance dans la recherche d'un « alter-monde »,
expérimentant la décroissance par leur éthique
individuelle et leurs pratiques quotidiennes. Néanmoins le jeune
mouvement n'a pas résisté longtemps à la tentation
d'ancrer la décroissance dans la tradition de la démocratie
représentative. Malgré les réticences d'instigateurs
historiques tels que Serge Latouche, la décroissance tend à
entrer dans une phase de participation électorale.
Cette innovation apporte deux enseignements capitaux dans
notre entreprise de cerner un peu mieux les contours idéologiques de la
décroissance. Tout d'abord l'entrée dans le jeu politique des
objecteurs de croissance relève d'une manière finalement
très classique de faire évoluer la société. Alors
qu'ils dénonçaient sans vergogne les compromissions des partis
politiques, mêmes « alternatifs », avec le
système capitaliste, leur stratégie s'inscrit dans la même
lignée. Les alliances avec le Parti de Gauche notamment
accréditent l'idée d'un double discours des objecteurs de
croissance critiquant à la fois le système partisan tout en y
participant.
D'autre part la revendication anticapitaliste et les
partenariats avec le parti trotskiste (Vincent Cheynet et Paul Ariès
avaient en outre revendiqué la tête de liste Rhône Alpes au
NPA pour les européennes de 2009) dissipe les ambiguïtés sur
l'ancrage politique de la décroissance. Si l'antiproductivisme constitue
la matrice du projet décroissant, l'antilibéralisme en constitue
un axiome tout aussi important. Les vives adresses aux écologistes
politiques sur leur supposé abandon de l'antiproductivisme sont ainsi
à relativiser. La critique essentielle porterait en
réalité sur l'adoption peu ou prou par les Verts de
l'économie de marché. Avec la décroissance il s'agirait
donc non seulement de « laver plus vert »
mais « plus rouge »122(*).
Chapitre 3 : L'antiproductivisme, un invariant politique
des Verts français
Dans Les Partis Politiques en Occident123(*), Daniel Louis Seiler
entreprend l'explication du phénomène partisan et la
définition des partis politiques à travers une première
partie intitulée « logique des projets ». L'analyse
se place dans une logique de long terme, au sens des trois temps de Braudel, et
nous amène à distinguer des « invariants
culturels » qui fonde l'identité des partis. Notre
hypothèse est ici que l'antiproductivisme constitue l'invariant culturel
du parti écologiste. Il ne s'agit pas de dégager
l'idéologie du parti écologiste, difficilement discernable car
forcément fluctuante, mais une toile de fond permanente sur laquelle
s'écrit le projet écologiste. Or toute la logique du projet des
Verts depuis leur création en 1984 s'articule avec ce concept
fondamental, iconoclaste dans le jeu partisan, d'antiproductivisme.
Décroissance et écologie politique découleraient alors du
même « logiciel » antiproductiviste.
Pour autant, les objecteurs de croissance adressent encore
des critiques parfois virulentes au parti écologiste ou à
certains de ses représentants. Ces attaques ne concernent que
marginalement l'antiproductivisme des Verts qui est au coeur de leur corpus
idéologique et à la source de leur constitution.
1. Les inimitiés de
la décroissance contre les Verts
Dans une interview en 1994 au magazine Sciences
Humaines, Serge Moscovici revenait sur son concept de minorité
active à travers l'exemple des Verts : « La
minorité qui bascule trop vite, c'est-à-dire qui adopte trop
tôt les formes de relations et de comportements du groupe majoritaire, ne
peut précisément pas devenir majorité parce qu'elle n'a
plus son influence spécifique. [...] Le mouvement écologiste,
dans lequel je suis engagé depuis sa création constitue un bon
exemple de ce processus »124(*). L'intégration des Verts au jeu partisan
supposerait la perte de leur caractère contestataire et
empêcherait toute possibilité de voir advenir un jour le
changement culturel et politique prôné. La thèse de Serge
Moscovici est souvent reprise par les objecteurs de croissance pour s'opposer
aux Verts. Néanmoins ces reproches se fondent plus sur le rejet du
libéralisme, supposé accepté par les Verts, que sur leurs
contradictions antiproductivistes. D'autant que certains courants et
personnalités du parti écologiste participent au mouvement de la
décroissance.
Les Verts
« écotartufes »
Acteurs reconnus du jeu partisan, les Verts font
régulièrement l'objet de procès en compromission
antiproductiviste de la part des objecteurs de croissance. Ils dénoncent
une volonté ingénue de vouloir changer le système de
l'intérieur quand la décroissance se revendique volontiers
révolutionnaire. Cette critique s'illustre particulièrement dans
le débat sur le Grenelle de l'Environnement.
Moins tenus par l'exigence de respectabilité qui
incombe aux partis politiques, le mouvement de la décroissance
n'hésite pas à vilipender avec force le parti écologiste
lorsque ses prises de positions semblent en porte à faux avec les
valeurs antiproductivistes qu'il défend. Dans ce rôle, c'est le
journal La Décroissance qui monte le mieux la garde. A chaque
parution, le mensuel attribue le sobriquet
« d'écotartufe » à une personnalité
politique ou publique défendant l'écologie mais sous l'angle de
la croissance ou du capitalisme vert. Or dans le classement des
« têtes de turc » de la décroissance, les
représentants du parti écologiste figurent au premier rang. Noel
Mamère, député Vert de Gironde, est attaqué pour
reprendre et déformer les thèmes de la
décroissance125(*). Dominique Voynet, candidate des Verts à
l'élection présidentielle de 2007, est-elle vilipendée
pour faire campagne sur le thème du développement
durable126(*). Alain
Lipietz est aussi régulièrement pris à partie pour ses
positions nuancées sur le même sujet. Enfin Cécile Duflot,
secrétaire nationale d'Europe Ecologie- Les Verts, est une des
dernières en date à être tancée
« d'écotartufette » dans le numéro de
septembre 2011127(*).
Les raisons de ces récriminations sont multiples, des accords
électoraux passés avec des partis productivistes comme le Parti
Socialiste à la défense du TGV. Le ton offensif employé
par une partie des objecteurs de croissance s'inscrit dans une stratégie
de dénigrement du parti écologiste afin de mieux placer la
décroissance comme seule alternative crédible à la
société de croissance. Une option tactique que l'on retrouve dans
la dénonciation du Grenelle de l'environnement.
De septembre à octobre 2007 se tient le Grenelle de
l'environnement à Paris. Cette grand-messe voulue par le
Président Nicolas Sarkozy réunit tous les acteurs de
l'environnement afin de prendre les mesures nécessaires pour lutter
contre le réchauffement climatique, conserver la biodiversité et
réduire les pollutions. La concertation a aussi pour conséquence
de dépolitiser la question écologique en actant des consensus.
La Décroissance dénonce immédiatement un
« Grenelle des dupes »128(*) car il aurait
essentiellement pour but de « vampiriser l'écologie pour
la vider de tout contenu politique »129(*). Dans ce contexte, la
participation de certains Verts (à titre individuel) aux réunions
suscite le courroux des objecteurs de croissance qui s'émeuvent de la
« collaboration » de certains écologistes avec le
gouvernement de droite et les multinationales. Vincent Cheynet les accuse
même de porter un coup fatal à la démocratie en consacrant
le poids des lobbies130(*). Ces griefs se retrouvent dans les Contre-Grenelle
de l'environnement organisés par La Décroissance
où plusieurs représentants du parti écologiste sont
à nouveau dépeints comme des écotartuffes131(*).
Le rapprochement de l'animateur de télévision
vedette Nicolas Hulot du parti écologiste dans le cadre des primaires de
l'écologie politique en juin-juillet 2011 a lui aussi provoqué
l'ire des objecteurs de croissance. Le créateur d'Ushuaia est
en effet le bouc émissaire préféré de la
décroissance, très souvent épinglé pour son
ambiguïté sur le nucléaire ou pour avoir lancer
l'idée d'une écologie sans politique concrétisée
à travers son Pacte pour l'Environnement en 2007. Après l'avoir
qualifié « d'écolo
radioactif »132(*) et s'être demandé si sa présence
dans la primaire écologiste signait « la mort de
l'écologie politique »133(*), La Décroissance se réjouie
de l'échec de Nicolas Hulot à la primaire écologiste par
un article provocateur : « Anne Lauvergeon rate de peu la
primaire d'Europe Ecologie - Les Verts »134(*).
Le mouvement de la décroissance critique donc
essentiellement la stratégie des écologistes qui tendrait
à s'éloigner des valeurs antiproductivistes. A ce reproche
s'ajoute une critique antilibérale qui prend d'autant plus
d'acuité depuis la fondation du mouvement Europe Ecologie.
La critique des Verts
« libéraux-libertaires »
Nous avons pu le voir, la décroissance est autant un
mouvement antiproductiviste qu'antilibéral. C'est sous ce
deuxième aspect que les objecteurs de croissance critiquent le plus le
parti écologiste et notamment ses dernières évolutions
impulsées par le « libéral-libertaire »
Daniel Cohn Bendit.
Les objecteurs de croissance tranchent sans hésitation
la question du libéralisme. Pour Serge Latouche « la
décroissance est, bien évidemment, une critique radicale du
libéralisme, celui-ci entendu comme l'ensemble des valeurs qui sous-tend
la société de consommation »135(*). Le libéralisme
porterait en lui-même un système de valeurs (travail,
compétition, vitesse, égoïsme, ...) incompatible voire
contraire avec une société de décroissance. De ce fait les
décroissants ne goutent guère aux velléités du
parti écologiste de fondre son projet antiproductiviste dans
l'économie de marché. Pour eux il s'agit là d'une
contradiction totale qu'incarne à la perfection Daniel Cohn Bendit. Ce
« libéral-libertaire », comme il aime à se
qualifier lui-même, revendique l'inscription de l'écologie
politique dans le champ d'un certain libéralisme. Dans un article de
2009136(*), Sophie Divry
revient sur des propos tenus par l'eurodéputé écologiste
dans un livre de 1998, Une envie de politique137(*). Elle évoque tour
à tour des propositions libérales de l'ex leader de Mai 1968 qui
aborde sans complexe les questions de la privatisation de services publics
comme la poste ou du travail le dimanche. Les militants de la
décroissance et de la gauche antilibérale se servent de ces
écrits pour faire de Daniel-Cohn Bendit « d'idiot utile du
capitalisme vert ».
Ces critiques sur le libéralisme qu'assume une partie
des Verts se font d'autant plus fortes avec l'arrivée du mouvement
Europe Ecologie. Cette liste pour les européennes de juin 2009 rassemble
des personnalités diverses du parti écologiste et de la
société civile sous la houlette de Daniel Cohn Bendit.
Malgré la présence de proches de la décroissance tels Yves
Cochet ou Jean Paul Besset, certains objecteurs de croissance y voient la
victoire du courant libéral des Verts. Dans un livre à charge
contre le co-président du groupe des Verts au Parlement européen,
Paul Ariès et Florence Leray considèrent même qu'Europe
Ecologie réalise « une disjonction entre le signe et le
sens »138(*). L'affichage du rassemblement des écologistes
cacherait en vérité un projet libéral de croissance verte.
Toutefois ces accusations doivent être nuancées.
Les liens entre les objecteurs de croissance et le parti Vert sont plus
nombreux que ce que ne laissent entendre les articles de La
Décroissance et les écologistes revendiquent clairement une
identité antiproductiviste.
Des divergences à
relativiser
Les attaques dont le parti écologiste fait l'objet de
la part des objecteurs de croissance ne sauraient résumer les rapports
entre les deux mouvements. La simple lecture des éditoriaux sulfureux de
La Décroissance ou des pamphlets décroissants laisserait
supposer une opposition frontale. La réalité est plus complexe.
Les objecteurs de croissance s'en prennent tout d'abord aux
écologistes car ce sont les seuls à être sensibles à
leurs critiques. A l'exception du jeune Parti de Gauche et du NPA, dont le
passage du marxisme matérialiste à l'antiproductivisme reste
à démontrer, les Verts sont la seule formation politique à
se réclamer explicitement de l'antiproductivisme. Il est donc plus
facile de critiquer ceux dont ils se sentent le plus proche
étant donné le peu d'écoute que leur accorde le reste du
personnel politique. Les autres formations politiques tombent d'ailleurs
rapidement dans la caricature lorsqu'il s'agit de décroissance comme en
témoigne le discours du Président Nicolas Sarkozy à
Aubervilliers le 28 Septembre 2009 : « Quand j'entends nos
écologistes parfois dire qu'ils vont faire campagne sur le thème
de la décroissance, est-ce qu'ils savent qu'il y a du chômage?
[...] Est-ce qu'ils savent qu'il y a près d'un milliard de gens qui ne
mangent pas à leur faim et que la décroissance ça veut
dire plus de misère pour tous ces gens-là ? ». Les
rapports conflictuels entre les Verts et certains objecteurs de croissance se
matérialisent dans un entretien de Cécile Duflot au mensuel
La Décroissance139(*). De la promotion de 4x4 par un élu Vert
à la défense du capitalisme, l'interview ressemble à une
succession de questions pièges. La secrétaire nationale des Verts
y répond en soulignant les convergences avec le mouvement des objecteurs
de croissance : « La vérité est ainsi que
depuis toujours les Verts affirment sans hésitation qu'ils sont
antiproductivistes et que leur objectif n'est pas de faire de l'écologie
d'accompagnement »140(*). Il n'y aurait donc pas lieu d'établir une
dichotomie entre écologistes et décroissants compte tenu de la
nature antiproductiviste des deux projets.
D'autre part, il convient de ne pas négliger l'analyse
« micropolitique » du mouvement de la décroissance.
En effet nombre d'objecteurs de croissance ont été ou sont
toujours militants du parti écologiste. Ainsi même Paul
Ariès a été un temps membre des Verts. Les imbrications
entre les Verts et les objecteurs de croissance se retrouvent au niveau des
forces militantes. Au sein du parti écologiste, la décroissance
possède un porte-parole en la personne d'Yves Cochet. Membre fondateur
des Verts, ancien ministre de l'Environnement du gouvernement Jospin,
député de Paris entre 2002 et fin 2011 (il siège depuis au
Parlement européen), Yves Cochet est une figure historique du mouvement
écologiste français. Lanceur d'alerte sur l'incapacité de
l'environnement à se régénérer au rythme de
l'utilisation des ressources par l'homme, Yves Cochet se revendique sans
hésitation objecteur de croissance. Il contribue d'ailleurs activement
à la revue de recherche sur la décroissance Entropia.
Pour Yves Cochet la croissance économique comme objectif de maximisation
du P.I.B est un non sens écologique qui conduit les
sociétés occidentales droit à la récession. Il
considère alors que « décroissance et
écologie politique ne font qu'un »141(*) et ne reconnait que peu de
désaccords sur le fond entre le parti écologiste et la
décroissance.
A l'image des thèses défendues par Yves Cochet,
la décroissance se retrouve dans les idées des Verts autour du
concept d'antiproductivisme. L'analyse du corpus idéologique du parti
écologiste confirme cette proximité.
2. Un corpus
idéologique partagé ?
L'antiproductivisme est au coeur du projet écologiste
et de la décroissance. Pour preuve le corpus intellectuel des Verts et
des décroissants est sensiblement le même. Pour les Verts,
l'antiproductivisme est la valeur fondamentale de leur engagement. Elle est ce
qui fonde leur « raison d'être » en politique et les
distinguent des autres partis.
Des
références culturelles similaires
Il est souvent reproché aux écologistes de ne
pas avoir de socle théorique ou idéologique identifié.
Cette absence de « Petit livre Vert » n'est d'ailleurs pas
sans lien avec le caractère mouvementé de l'histoire du parti
écologiste. Les écologistes apparus en tant que force politique
dans la deuxième moitié du vingtième siècle ne
possèdent pas de manifeste fondateur comme peuvent en disposer les
autres formations dont la pensée politique remonte au XIXème
siècle voire avant. Dans la pensée de l'écologie politique
il n'y a ni Capital ni Richesse des Nations, autant de sommes
idéologiques qui aujourd'hui encore alimentent les réflexions des
mouvements respectivement marxistes et libéraux. Il n'y a pas non plus
de héros historiques pour incarner cette pensée et
préciser son contenu comme Jaurès, Blum ou encore De Gaulle le
firent en leur temps pour leur camp. La charpente idéologique des
écologistes se constitue d'une myriade de textes écrits par des
auteurs différents et d'une succession de mobilisations autour de luttes
symboliques. La raison de l'éclatement des fondements du parti
écologiste se situe d'abord dans le fait que l'écologie a d'abord
été un mouvement social, comme nous le verrons plus loin, avant
de devenir « politique ». D'autre part l'écologie
politique est ce qu'Edgar Morin appelle une « pensée
complexe ». Elle intègre diverses critiques de la
société moderne et se place d'emblée dans une dimension
planétaire. La thématique écologiste est donc
évolutive, formée non pas d'un seul bloc mais de
différentes strates.
Yves Frémion dans son Histoire de la
Révolution écologiste définit l'écologie
politique comme l'articulation entre « la défense de la
nature et de l'environnement, la solidarité sociale, le combat
démocratique pour une citoyenneté pleine et entière, et
enfin l'équité entre pays du Nord et du
Sud »142(*). Cette pensée politique émerge dans
les années soixante et soixante-dix avec une génération de
scientifiques et d'intellectuels qui refusent la société
industrielle des Trente Glorieuses et expliquent les causes de son
effondrement.
Yves Frémion s'essaie à faire la liste de
« ces pionniers et penseurs de l'écologie
moderne »143(*) : Des naturalistes Robert Hainard
(critique radical du capitalisme au nom de l'exigence de la nature) et Simon
Charbonneau, des économistes (Friedrich Schumacher, Jeremy Rifkin,
Nicolas Georgescu-Roegen, François Partant), des environnementalistes
(Barry Commoner144(*),
Jean Marie Pelt, Albert Jacquard), des libertaires (Murray Bookchin, Paul
Goodman) et des penseurs célèbres tels Hannah Arendt, Hans Jonas,
Günther Anders, Edgar Morin, Jean Baudrillard ou encore Paul Virilio et
Michel Serres. Parmi ces penseurs certains ont une influence directe sur la
formation du mouvement écologiste. Jacques Ellul, André Gorz,
Ivan Illich, Serge Moscovici ou René Dumont rejoignent le large cercle
des théoriciens de l'écologie politique. Bien entendu l'ensemble
de ces personnalités ne se revendiquaient pas toujours
écologistes. Néanmoins leurs actions et travaux ont nourri cette
offre politique nouvelle et ont contribué à en fonder le corpus
idéologique. Nous ne détaillerons pas ici la pensée de ces
auteurs auxquels nous avons déjà consacré, pour certains
d'entre eux, de plus longs développements au chapitre premier. Toutefois
remarquons que la dénonciation des dégâts du productivisme
et/ou la formulation d'alternatives à la société
productiviste constitue pour eux un véritable fil d'Ariane. Chacun
à sa manière, plus ou moins directement, a mis en exergue les
limites naturelles ou sociales de la société productiviste de
consommation.
Il est dès lors peu surprenant de retrouver dans le
bagage intellectuel de l'écologie politique nombre de
références revendiquées également par la
décroissance. Sans pousser la comparaison jusqu'à une analyse
fouillée du contenu programmatique des sources précitées,
ce qui d'ailleurs n'offrirait aucun gage de scientificité à notre
démarche, cette similitude éclaircit le paysage des courants
écologistes français. Décroissance et écologie
politique sont les deux faces d'un même projet antiproductiviste. Cette
nature antiproductiviste se retrouve également dans les textes
fondateurs du parti écologiste.
Un texte fondateur
clairement antiproductiviste
En 2008 le Parti Socialiste révisait sa
déclaration de principes, sorte de vade-mecum
idéologique et abandonnait pour la première fois de son histoire
toute référence à la Révolution. Le parti
écologiste s'est aussi doté de ce type de document à
l'occasion de la « transmutation »145(*) des Verts en Europe
Ecologie - Les Verts, nouveau mouvement prenant acte de la logique d'ouverture
issue du succès électoral des européennes de 2009 et des
régionales de 2010. Contrairement à la déclaration de
principes socialiste ce texte fondateur n'est pas un aggiornamento
idéologique. Il est au contraire une synthèse de la doctrine
écologiste depuis leur entrée dans le jeu politique et inscrit
dans le marbre l'identité antiproductiviste du parti.
Le 13 Novembre 2008 est officiellement adopté à
Lyon le Manifeste pour une société
écologiste146(*) rédigé par
l'eurodéputé et ancien rédacteur en chef du journal Le
Monde, Jean Paul Besset. Ce texte fondateur adopté par les
militants n'est pas un projet ou une plateforme programmatique mais un ensemble
d'idées force qui décrivent la vision des écologistes pour
le monde de demain. Un tel manifeste est loin de relever de l'anecdote. Il
établit un ensemble de représentations et de valeurs qui
définit le cadre de l'action collective. Par-là, le manifeste
pose des jalons idéologiques qui dessinent une ligne de pensée
commune à tous les acteurs du parti écologiste. Dans le contexte
de recomposition de la famille écologiste autour d'une dynamique
d'union, l'importance de rappeler les fondements de l'écologie politique
afin que chacun puisse s'y retrouver est loin d'être secondaire. De
surcroît, dans un parti aux référents idéologiques
dispersés, le Manifeste pour une société
écologiste est une remarquable tentative de mettre à jour la
permanence du projet écologiste dans l'espace et dans le temps. A
l'étude du texte, l'objectif semble doublement atteint. Le manifeste
affiche d'emblée sa prétention à l'universalité. Il
se place sur le plan de « l'humanité » qui
aspire « à refuser la défaite de l'Homme [...]
partout dans le monde ». En cela les écologistes assument
leur « projet global » qui prend tout simplement
acte que la crise écologique a lieu et ne peut se résoudre qu'au
niveau mondial. La permanence dans le temps se traduit par la
déclinaison exhaustive du concept de l'antiproductivisme. Les mots
« productivisme » et « productiviste »
trouvent une occurrence à dix reprises dans un texte d'une quinzaine de
page. Le mot « croissance » est lui présent onze
fois et régulièrement accolé à l'adjectif
« infinie ».
Au-delà de cette évaluation quantitative, c'est
tout l'équilibre du texte qui est bâti sur la dialectique entre
productivisme destructeur et antiproductivisme salutaire. Dès la
troisième phrase elle prend une acuité certaine renforcée
par la puissance du verbe : « Sous l'impact d'un
système aveuglément productiviste et violemment
inégalitaire, le train du progrès
s'égare ». Cette dialectique s'illustre par la suite dans
une série de questions rhétoriques (« comment
interrompre la course suicidaire au productivisme sans provoquer une
récession encore plus grave, [...] comment sortir d'un monde
où les uns souffrent de manquer de l'indispensable tandis que d'autres
sont soumis aux délires du consommer trop ») qui
justifient l'émergence d'une nouvelle « offre
politique » écologiste. Cette dernière affirme la
volonté de libérer la société des
« diktats irrationnels du productivisme » et
d'incarner une « alternative crédible à la
méga-machine productiviste, marchande, hyper consumériste et
aliénante qui conforte l'oppression des plus fragiles et qui
épuise la planète ». Le parti écologiste
revendique alors un « projet en ruptures » dont la
ligne de fond est de préférer « au dogme de la
croissance infinie, la décroissance des excès ».
La singularité de la vision écologiste n'épargne pas les
acteurs traditionnels du jeu politique. Capitalisme et socialisme sont
renvoyés dos à dos « saisis d'impuissance face
à l'effondrement du credo productiviste qu'ils
partagent ».
L'étude lexicale du texte fondateur d'Europe Ecologie
- Les Verts démontre toute la portée de l'antiproductivisme dans
l'engagement des écologistes en politique. Il est à la fois le
prisme par lequel les écologistes posent leur diagnostic sur la
société et celui à travers lequel ils proposent leurs
remèdes. Sans surprise, on retrouve cet attachement dans le discours des
élus Verts.
L'antiproductivisme, une
valeur centrale pour les élus Verts
La production idéologique d'un parti politique n'est
pas seulement l'apanage des textes fondateurs ou autres documents
d'orientation. Elle passe également par le discours et la
personnalité des acteurs de ce parti. Nous n'avons pas ici la
prétention de dégager statistiquement les occurrences de la
référence à l'antiproductivisme dans les discours et
interventions médiatiques des chefs de file écologiste. Cependant
le travail d'enquête réalisé pour cette étude peut
constituer une indication intéressante.
Pour amorcer une vérification empirique de notre
hypothèse selon laquelle l'antiproductivisme serait un invariant
culturel des Verts français nous avons posé la question de la
place de l'antiproductivisme dans les valeurs fondamentales des Verts à
différents cadres écologistes. Parmi eux, nous avons
déjà évoqué Yves Cochet pour qui
l'antiproductivisme est au coeur de la pensée écologiste
puisqu'il vient à en confondre écologie politique et
décroissance. Deux autres membres historiques des Verts apportent
également leur éclairage. Pour l'eurodéputée
Catherine Grèze147(*) l'antiproductivisme est « l'essence
même de notre projet »148(*) écologiste. C'est une « valeur
clé » qui fait office de
« dénominateur commun » aux
écologistes. En effet l'élue du Sud-Ouest explique que les Verts
sont un syncrétisme de « cultures
différentes ». Aux environnementalistes majoritaires
à la création du parti en 1984 s'ajoutent des profils plus
« sociaux » avec l'arrivée plus tard de militants
issus de l'extrême gauche et de déçus du Parti Socialiste
Unifié (PSU). Hugues Stoeckel, ancien conseiller régional et
membre fondateur des Verts, confirme également la centralité de
l'antiproductivisme. Selon lui « c'est la valeur
fondatrice »149(*) et il ajoute « sans laquelle on n'est
pas écolo ». L'antiproductivisme serait alors non
seulement au coeur du projet écologiste mais définirait
également le périmètre politique de la famille
écologiste. L'analyse de Jean Paul Besset est sensiblement la
même, voyant dans l'antiproductivisme « l'identité
même des écologistes depuis toujours »150(*).
Dans le même ordre d'idée Philippe Lamberts,
eurodéputé écologiste belge et porte-parole du Parti Vert
européen, caractérise l'antiproductivisme comme
« la racine historique de l'écologie
politique »151(*). Membre de la Commission économique et
monétaire du Parlement européen, il met en exergue que la crise
économique et financière légitime la critique de la
société productiviste. Pour les écologistes c'est donc le
moment « d'être radical »
c'est-à-dire de « renouer avec ses
racines » antiproductivistes. Le refus du productivisme est
aussi un élément de différenciation vis-à-vis des
autres formations partisanes. Dans un entretien accordé au sociologue
Erwan Lecoeur, Cécile Duflot et Daniel Cohn Bendit mettent en avant
l'autonomie du projet écologiste. La secrétaire nationale d'EELV
définit en effet l'écologie politique comme une
« capacité à dire que les discours dominants sur le
productivisme et la croissance, discours partagé à droite et
à gauche, ne sont pas des évidences »152(*). L'ex leader de Mai 1968
revient lui sur les sources du positionnement politique des
écologistes : « Dans le ni gauche ni droite, il y
avait quelque chose de vrai. C'est vrai qu'on est critique du productivisme de
gauche et du productivisme de droite, donc on est ni à gauche ni
à droite, on est autre part... »153(*).
L'écologique politique serait donc profondément
marquée par le poids de l'antiproductivisme. Faute d'un nombre
d'entretiens suffisant pour valider empiriquement l'hypothèse, il faut
se garder de toute conclusion généralisante. Toutefois
l'étude du corpus intellectuel, du texte fondateur et des valeurs
communes à ces représentants permettent de définir ce
concept comme l'ossature du projet écologiste. D'autant que
l'antiproductivisme est également au coeur de l'histoire du parti
écologiste et de ses péripéties.
3. L'antiproductivisme
à la genèse du parti écologiste
Les Verts - Confédération écologiste -
Parti écologiste naissent officiellement au congrès de Clichy les
28 et 29 janvier 1984. Point d'aboutissement autant que point de départ,
c'est le résultat d'efforts menés depuis des années par
des militants écologistes afin de bâtir un parti
écologiste. Point d'aboutissement car le parti écologiste est la
concrétisation d'un mouvement de fond au coeur duquel se trouve
l'antiproductivisme. Point de départ car cette ligne politique sera
l'objet de vives discussions à travers la jeune histoire de
l'écologie politique française.
Des luttes symboliques et
fondatrices
A partir de la seconde moitié du XXème
siècle, la question de la finitude des ressources de la planète
prend une acuité croissante. Les années soixante et soixante-dix
sont le temps du « déclic » de l'engagement
politique pour beaucoup d'écologistes. La période marque en effet
le déclin du règne de la croissance et du progrès. La
question de la finitude des ressources de la planète devient
prégnante. C'est alors à la confluence des mouvements
environnementalistes et libertaires que nait l'écologie politique.
Concomitamment à la contestation sociale de mai 1968
se développe à la fin des années soixante une
nébuleuse d'associations environnementalistes. Déjà
présentes dans les années cinquante, elles connaissent un fort
développement et gagnent en influence. Une grande partie d'entre elles
se regroupent ainsi dans la « Fédération française
des sociétés de protection de la nature », devenue
aujourd'hui France Nature Environnement (FNE). Dans ce qui deviendra une terre
écologiste, de nombreux comités de défense de
l'environnement s'unissent au sein de la Fédération
Rhône-Alpes de Protection de la Nature (FRAPNA). D'autres associations
aux formes diverses voient également le jour dans ces
années-là, déclinant en outre la version française
de structures internationales (Greenpeace en 1971 et les Amis de la Terre en
1976). Remarquons ici que certaines figures du mouvement écologiste
naissant sont déjà présentes dans ces associations :
Antoine Waechter au sein de l'Association Fédérative
Régionale pour la Protection de la Nature (AFRPN) ; Philippe Lebreton
à la FRAPNA ; Yves Cochet à la Société pour
l'étude et la protection de la nature en Bretagne, etc. Cette
première phase du mouvement écologique est scientifique. Les
travaux de Jean Dorst ou Barry Commoner inspirent ces collectifs sur les
dangers de la société industrielle. Il ne s'agit pas encore
d'ancrer des propositions politiques dans la réalité sociale mais
d'alerter sur les dégâts environnementaux du productivisme. La
thématique écologique prend pied dans l'opinion publique
relayée par l'intérêt croissant des médias. Des
magazines grand public (Actuel, Politique Hebdo,...) publient
ainsi des reportages sur l'écologie mais plus intéressant est
l'émergence de nouvelles revues militantes. Des publications comme
Combat Nature (1971), La Gueule ouverte (1972) ou Le
Sauvage (1973) sont en effet autant de revues qui contribuent à
affermir le mouvement écologiste.
La nébuleuse écologiste constituée au
départ majoritairement d'environnementalistes prend progressivement la
forme d'un mouvement social. Pour le sociologue Erik Neveu, les mouvements
sociaux se définissent comme des « formes d'action collective
concertée en faveur d'une cause »154(*). Ils agissent et
revendiquent toujours contre quelqu'un ou quelque chose. En l'occurrence le
mouvement écologiste va prendre corps dans des luttes aussi symboliques
que le combat antinucléaire. La lutte contre le nucléaire
constitue ce que nous pourrions appeler un « lieu
d'unification » du mouvement écologiste encore composite. Le
nucléaire représente en effet l'exact inverse des valeurs et
thèses écologistes. Il est le symbole d'un Etat centralisé
et policier (André Gorz le qualifia
« d'éléctrofascisme ») et véhicule
l'idée d'une domination totale de la nature par la sacralisation de la
technique. Aussi les écologistes considèrent le nucléaire
comme un des symboles de la société de consommation. Une
production massive d'énergie, à partir de ressources fossiles,
ancre dans l'imaginaire collectif la représentation de l'illimité
qui engendre le gaspillage. Cette critique dense de l'énergie atomique
rassemble les environnementalistes et les libertaires au sein d'un même
mouvement antinucléaire. Ce dernier connait un succès certain
dans les années soixante-dix. En 1971, mille cinq cents personnes
manifestent contre le projet de centrale à Fessenheim (Alsace). Peu
après, c'est dans l'Ain que quinze mille personnes se réunissent
pour dire non à la centrale du Bugey. Le mouvement antinucléaire
tient même un succès éclatant avec l'abandon par le
Président Mitterrand d'un projet de centrale à Pogloff (Bretagne)
après des années de lutte. La protestation tourne mal cependant
à Creys-Malville en 1977 où une manifestation non
autorisée dégénère en affrontements avec les forces
de l'ordre et fait un mort.
Le mouvement antinucléaire est en filigrane une remise
en cause du modèle productiviste mais aussi de la science et de la
technique. Ce lieu d'unification de la mouvance écologiste est le plus
symbolique parmi d'autres (la lutte contre le camp militaire au Larzac, le
soutien aux ouvriers de l'usine de montre Lips,...). L'antiproductivisme est
donc au centre de l'engagement des écologistes en tant que mouvement
social. Il le sera tout autant au moment de franchir le pas de l'engagement
politique.
La candidature du radical
René Dumont
Dans la constellation écologiste, des voix
s'élèvent dès le début des années
soixante-dix pour faire entrer l'écologie dans l'arène politique.
En 1973 une première initiative est lancée en Alsace avec
« Ecologie et Survie » qui marque la première
expérience électorale d'Antoine Waechter. Néanmoins c'est
avec la campagne présidentielle de 1974 que le mouvement
écologiste prend un tournant politique et médiatique. La
candidature de René Dumont est l'acte de naissance de l'écologie
politique.
Après une décennie de luttes, le mouvement
écologiste naissant a déjà connu quelques victoires et
beaucoup d'échecs. Le grand renversement espéré par les
agitateurs du Printemps 1968 n'a pas eu lieu. Après l'expérience
ratée de la candidature de l'instituteur antinucléaire Jean
Pignero à l'élection présidentielle de 1965 (il n'avait
pas obtenu le nombre de signatures requis), beaucoup d'écologistes
pensent à présenter un des leurs à l'élection de
1976. Or le décès prématuré du Président
Pompidou précipite leurs plans. Les milieux écologistes n'ont que
quelques jours pour trouver un candidat. Après le refus du Commandant
Cousteau et du leader des Lips Charles Piager, c'est finalement l'agronome
à la retraite René Dumont qui est choisi. Sans parti ni
organisation politique, René Dumont réussit néanmoins
à fédérer autour de lui une grande partie des
écologistes. Il est le candidat d'un mouvement social et fait campagne
dans cette logique. L'intérêt pour cette étude n'est pas de
détailler l'ensemble du parcours électoral du premier candidat
écologiste à l'élection présidentielle ni d'en
apprécier la portée sur le jeu politique français (il fera
un score de 1,32 %) mais de distinguer les grandes lignes de sa campagne. En
effet l'expérience de René Dumont est considérée
comme fondatrice pour le mouvement écologiste et pour le parti Vert dont
la création dix ans plus tard se fera dans le même sillon.
La candidature de René Dumont est celle d'un lanceur
d'alerte. Dans un contexte international marqué par le premier choc
pétrolier et la publication du rapport du Club de Rome, il est le
vecteur politique de cette prise de conscience des méfaits du
productivisme. Pourtant, René Dumont est un converti. Agronome reconnu,
il a longtemps vanté les mérites de l'agriculture intensive pour
subvenir à la faim dans le monde. Ce n'est qu'à travers ses
voyages dans les pays du Tiers monde et à la lecture du Rapport Meadows
qu'il changea définitivement d'avis. Candidat d'un mouvement composite,
il s'emploie à faire la synthèse des environnementalistes et des
partisans d'une campagne axée à gauche. La campagne a alors pour
but de dénoncer les mythes du progrès et de la croissance. Elle
est une critique virulente de « l'économie des 5 P :
Profit, Puissance, Prestige, Pillage et Pollution ». Novice en
politique, René Dumont ne s'en révèle pas moins fin
communicant. Ses déplacements à vélo, son pull-over rouge
ou ses passages télévisés dans un desquels il boit un
verre d'eau (« avant que nous n'en manquions ») sont autant
d'images symboliques qui marquent l'esprit des Français.
L'écologiste incarne son projet et se pose en alternative radicale avec
un slogan qui cristallise à lui seul la pensée du courant
écologiste : « A vous de choisir - L'utopie ou la
mort ».
Sans prendre de gants, René Dumont développe
une critique antiproductiviste radicale encore largement incomprise voire
moquée par les autres acteurs du jeu politique et les électeurs.
Au second tour, il ne donne pas de consigne de vote, aucun des deux candidats
ne s'engageant sur ses propositions. Pour autant il indique voter à
titre personnel pour François Mitterrand. Cette équation
démontre à elle seule le souci d'autonomie du mouvement
écologique et la complexité de son positionnement politique.
L'autonomie, un principe
étriqué
Le postulat antiproductiviste du parti écologiste le
conduit à rejeter avec force les partis traditionnels
élevés aux mamelles de la croissance et du progrès. Sur la
base de cette singularité le parti Vert met donc en oeuvre une doctrine
politique déjà exercée par René Dumont en 1974,
l'autonomie. L'invariant antiproductiviste se traduit donc également
dans le positionnement politique des Verts.
L'écologie politique est doublement méfiante
à l'égard du jeu politique. D'une part une certaine tendance
écologiste considère que politiser l'écologie ne peut
conduire qu'à la vider de sa substance et qu'il vaut mieux dès
lors tenter « d'écologiser la politique ». De
l'autre les écologistes, mêmes membres du parti Vert, refusent de
se placer sur l'axe gauche-droite. Ce positionnement « ni gauche - ni
droite » définit moins une propension centriste qu'une
volonté d'affirmer la singularité d'un projet autonome. Le
Manifeste pour une société écologique est
très clair sur ce point : « Ce projet s'inscrit sur
un autre registre que celui qui soumet tout choix politique au curseur du
libéralisme ou de l'étatisme, reproduisant ad nauseam un
affrontement tribunicien entre capitalisme et socialisme ». La
remise en cause du productivisme portée par les écologistes rend
caduc toute référence au clivage droite-gauche qui devient
inopérant. L'autonomie est alors indissociable du projet
écologiste et s'applique sur le plan électoral. En 1981, le
candidat écologiste Brice Lalonde refuse de donner une consigne de vote
à l'issue du premier tour malgré un score non négligeable
de 3,87 % (il arrive premier parmi les « petits »
candidats) et l'hypothèse historique d'une victoire de la gauche sur le
Président Giscard d'Estaing. Mais au-delà du consensus sur la
situation de l'écologie politique « ailleurs » que
sur l'axe gauche-droite, ce positionnement « ni-ni »
amène un vif débat qui anima bon nombre des assemblées
générales du parti des Verts.
Le « ni gauche-ni droite » fait
florès rapidement chez les Verts. C'est ce qu'Yves Frémion
appellent « les années Waechter »155(*). Dès 1986, la motion
« Affirmer l'identité politique des
écologistes » présentée par le biologiste
alsacien Antoine Waechter bat largement celle d'Yves Cochet.
« L'écologie n'est pas à marier » est la
ligne politique que défend le nouveau porte-parole Antoine Waechter,
avec un certain succès. Il obtient en effet 3,78% des voix à
l'élection présidentielle de 1988 (soit presque autant qu'en
1981) et les Verts atteignent 6,8 % des voix aux élections
régionales de 1992. L'écologie politique se construit sur une
ligne environnementaliste et met ses propositions sociales au second plan. Mais
si l'autonomie politique trouve un certain écho dans l'opinion, elle se
brise sur la logique majoritaire du système partisan français. En
1993, les Verts, en entente avec Génération Ecologie (le
mouvement de Brice Lalonde qui avait réalisé 7% des suffrages aux
régionales de 1992), refusent tout accord avec le P.S pour les
législatives malgré des propositions intéressantes. Au
final, ils réalisent 8% des voix mais n'obtiennent aucun élu. La
limite du « ni-ni » est atteinte, les écologistes
restent bloqués sous le plafond de verre du scrutin majoritaire.
L'écologie politique entre alors dans une nouvelle phase incarnée
par Dominique Voynet qui prend le parti à l'Assemblée
Générale de Lille fin 1993. Partisane d'une ligne plus
« sociale » elle assume clairement une stratégie
d'alliance notamment avec le parti socialiste. Une stratégie qui se
concrétise avec la participation au gouvernement de « gauche
plurielle » à partir de 1997.
L'antiproductivisme est à la source du parti
écologiste. C'est en effet le chainon essentiel qui unit les
différentes tendances de l'écologie (environnementalistes et
« sociaux ») au sein d'un même mouvement politique.
Bien qu'il ne soit pas un facteur exclusif, l'antiproductivisme éclaire
une grande partie de la jeune histoire de l'écologie politique
française. Son corollaire, l'autonomie est néanmoins
relativisée à mesure que les écologistes souhaitent
s'investir dans de nouvelles responsabilités.
***
Tous les fondements de l'écologie politique qu'il
s'agisse de l'écologie scientifique, des sociétés de
protection de la nature ou encore de la contestation sociale du modèle
industriel des Trente Glorieuses mettent en avant une même pensée
antiproductiviste. Ces différentes sources valident l'hypothèse
d'un invariant culturel antiproductiviste chez les écologistes
français. L'antiproductivisme constitue l'identité du projet
écologiste sur le long terme et définit la ligne de
démarcation des écologistes dans le jeu politique. C'est en effet
ce qui les distingue des autres formations partisanes y compris classées
à gauche et avec lesquelles ils partagent d'autres valeurs. Alain
Lipietz résume d'une phrase ces relations alambiquées avec la
gauche : « Notre conception du mieux n'est pas la
même »156(*).
Conclusion Titre Premier
L'antiproductivisme comme logique du projet écologiste
a l'avantage de faire émerger une certaine unité dans les sources
de l'écologie politique. Dans cette mosaïque d'idées parfois
sans cohérence, l'antiproductivisme est en effet la seule idée
invariable qui permet de structurer l'engagement des écologistes du
mouvement social au parti politique. Définir la logique du projet
écologiste semble par ailleurs plus adéquat que de se lancer dans
une tentative hasardeuse de cerner l'idéologie écologiste. En
raison des multiples influences de l'écologie politique et des nombreux
soubresauts qui ont émaillé son histoire, il fort probable que
cet essai se soit soldé par une conclusion aléatoire.
L'axiome antiproductiviste qui préside à logique
du projet écologiste semble par ailleurs confirmer l'hypothèse
d'une convergence entre la décroissance et l'écologie politique
incarnée par le parti Vert. Au regard du partage de nombreuses
références, la ligne de fracture est difficilement situable sur
la remise en cause du productivisme contrairement aux allégations des
objecteurs de croissance. Si divergence profonde il y a, elle se situe sur le
plan du rapport au libéralisme comme l'attestent les liens de la
décroissance avec une certaine extrême gauche.
A ce stade, l'enseignement capital de cette étude
croisée entre la décroissance et le parti écologiste
démontre l'inanité des méthodes classiques de situation
des partis politiques. L'antiproductivisme postulé par le parti Vert
rend obsolète la représentation classique du champ partisan sur
la base du critère gauche-droite. D'où l'intérêt
d'une nouvelle définition des clivages partisans.
Titre Deux : L'activation d'un clivage
productivistes/antiproductivistes
L'étude de l'invariant du projet écologiste
nous amène à discuter la place des partis Verts dans l'espace
politique. L'approche multidimensionnelle des partis politiques nous permettra
de les situer dans la trame de l'histoire sociale et de mettre en exergue leurs
spécificités. A travers la théorie des clivages partisans
nous essayerons de discerner les logiques profondes qui aboutirent à la
création des partis écologistes et de démontrer
l'influence de la décroissance sur le parti Vert français.
L'étude de l'idéologie ne peut cependant se
résumer à une analyse externe. Il convient également
d'adopter une approche complémentaire pour s'immiscer dans la
mécanique identitaire des organisations partisanes. Ce détour
théorique est un préalable nécessaire pour
interpréter l'idéologie non plus comme un fait total qui s'impose
aux acteurs mais comme un produit complexe en constante redéfinition.
Dans ce cadre la décroissance est au centre des tensions identitaires
qui traversent le parti écologiste.
Chapitre 4 : La théorie des clivages comme prisme
d'analyse de l'écologie politique
Les politologues ont souvent essayé de classer les
différentes familles partisanes en fonction de leur idéologie. Le
piège est alors de tomber dans un nominalisme restrictif qui
consisterait à plaquer invariablement un critère unidimensionnel
pour classer chaque formation. Ainsi les partis sont souvent placés sur
un continuum droite-gauche par le sens commun. Cet énoncé a
été repris scientifiquement avec la théorie dualiste de
Maurice Duverger notamment.
Or notre étude de la logique du projet
écologiste tend à infirmer la thèse du dualisme
droite-gauche. La nature antiproductiviste des Verts les conduit à
revendiquer une autonomie qui lézarde la représentation intuitive
de l'espace partisan en deux blocs antagonistes. Cette faille s'ouvre d'autant
plus avec l'entrée de la décroissance dans le jeu politique qui
pulvérise les oppositions droite-gauche au nom de la
révérence des deux parties à la même religion de la
croissance.
La science politique traditionnelle appuyée sur les
théories dualistes semble bien en peine pour expliquer la place du parti
écologiste dans l'espace partisan français, entendu comme un
système de relations et de positionnements relatifs entre les
différents acteurs du jeu politique. C'est pourtant un objectif majeur
de la discipline que de mettre à jour les soubassements et les logiques
qui structurent cet espace. Pour éviter l'écueil des
représentations données par les acteurs eux-mêmes, certains
politistes ont néanmoins fondé des outils d'analyse
multidimensionnels à travers la notion de clivage partisan. Cette
méthode nous semble plus appropriée pour éclaircir le
positionnement politique du parti Vert.
Après avoir caractérisé les
difficultés rencontrées par les politistes pour
démêler les fils de l'espace partisan français, nous
interrogerons la pertinence de la théorie des clivages proposée
par Stein Rokkan et Seymour Martin Lipset au regard de l'émergence de
partis écologistes.
1. La difficile
structuration de l'espace partisan français
Les politistes ont depuis longtemps essayé de
décrire scientifiquement l'espace politique français. La
tâche n'est pas aisée tant l'utilisation des
références « gauche » et
« droite » est récurrente dans les analyses des
journalistes, hommes politiques ou simples citoyens pour interpréter le
jeu partisan. Pourtant cette nomenclature résiste difficilement à
l'examen et demeure insuffisante pour caractériser avec précision
l'espace politique français, en dépit des tentatives de
formulations scientifiques.
L'illusion du clivage
droite-gauche
Les commentateurs politiques, des plus illustres aux plus
simples, emploient depuis longtemps les termes « droite »
et « gauche » pour distinguer les différentes forces
politiques et décrire leurs interactions, c'est à dire la vie
politique. Cette lecture classique de l'échiquier politique, qui n'est
d'ailleurs pas propre à la France mais également consacrée
dans une grande partie des pays occidentaux, s'est ancrée dans
l'imaginaire collectif des Français. Si bien que le sens commun en
viendrait presque à devenir performatif pour fonder une
réalité empirique. Les termes « gauche » et
« droite » proviennent en effet d'une longue tradition
historique. Marcel Gauchet explique que la représentation droite-gauche
apparait à la Révolution française157(*). Lors de l'examen par
l'Assemblée constituante de la question du droit de veto royal, les
partisans d'un pouvoir absolu se rangèrent à droite du
Président de l'Assemblée tandis que les promoteurs d'un pouvoir
de veto suspensif se plaçaient à sa gauche. Ce mythe fondateur du
clivage droite-gauche est toutefois à relativiser. Marcel Gauchet
relève la difficulté à marquer d'une pierre blanche
l'instauration d'un tel dualisme. Il serait en fait plutôt le fruit d'un
mouvement progressif calqué sur le modèle parlementaire anglais
et notamment la bipartition de la Chambre des Communes entre majorité et
opposition disposées face à face. D'autres analyses font
même valoir que cette vision du spectre politique soit issue d'un
processus beaucoup plus long qui ne se traduirait concrètement dans
l'opinion publique qu'à l'orée du XXème
siècle158(*).
Compte tenu de notre histoire marquée par les
affrontements entre droite et gauche, classer les partis politiques dans ces
catégories relève au premier abord de l'évidence. Or
à y regarder de plus près elle suscite de nombreuses
interrogations. En effet il est impossible de définir
précisément ce que recouvrent les termes de droite et de gauche.
Une des définitions le plus souvent admise a pour critère la
propriété des moyens de production et la manière de
parvenir à la meilleure allocation des ressources possible. Selon cette
grille de lecture, la gauche regrouperait les partis prônant une
propriété plutôt collective des moyens de production et un
rôle fort de l'Etat dans l'allocation des ressources tandis que la droite
rassemblerait ceux proposant à l'inverse une privatisation des moyens de
production et le libre jeu du marché pour décider de la
répartition des ressources. Notons ici que les partis écologistes
sont déjà notoirement exclus de cette définition
puisqu'ils s'interrogent d'abord sur ce qu'il faut produire avant de poser la
question de comment le faire.
Nonobstant le caractère déjà très
restrictif de ce critère, cela n'empêche pas de fortes
fluctuations de la gauche et de la droite dans le temps et dans l'espace qui
vide ainsi la dichotomie de son contenu. En effet la définition
évoquée ci-dessus trouve une certaine cohérence jusque
dans les années 1980. La gauche propose alors un projet contradictoire
à celui de la droite aux affaires. La distinction gauche-droite sur
critère idéologique a encore du sens. Elle le perd en grande
partie à partir de l'arrivée de la gauche au pouvoir qui se
convertit dès 1983 à l'austérité budgétaire
et à l'économie de marché. Le gouvernement Jospin ne
reviendra pas plus sur cette déviation du champ historique de la
gauche en privatisant massivement les entreprises publiques. De cette
confusion empirique des idées se déduit le principe qu'il est
impossible de donner un contenu idéologique permanent aux notions de
droite et de gauche.
Le clivage gauche-droite perd également son
intérêt lorsqu'il est appliqué dans d'autres pays. S'il
fonctionne relativement bien en France où le système majoritaire
contribue à forger un certain bipartisme, ce n'est pas le cas partout.
Par exemple le comparatiste Jean Blondel a mis en exergue des systèmes
à « deux partis et demi » comme au Canada. Le parti
arrivant troisième et permettant le cas échéant de former
une majorité n'est pas nécessairement centriste (les
sociaux-démocrates occupent ce rôle au Canada). Aux Etats Unis, le
système partisan est très structuré autour du parti
démocrate et du parti républicain. Toutefois il serait hasardeux
d'en déduire une dualité droite-gauche. D'une part l'orientation
politique de chaque parti varie sensiblement en fonction de ses rapports de
force internes (les démocrates des Etats du Sud sont dans un sens plus
à droite que les républicains du Nord). D'autre part
caractériser le parti démocrate comme l'homologue outre
Atlantique du parti socialiste français est un abus de langage puisque
même la droite française s'en réclame.
La dualité droite-gauche est donc trop
aléatoire pour constituer une théorie valable. La classification
des partis politiques en fonction de ce critère serait à
géométrie variable. Mais si la catégorisation
droite-gauche est celle du sens commun, les politistes ont essayé
malgré tout de lui donner une dimension scientifique.
Les tentatives de
typologies scientifiques
Les lacunes de la classification des partis en fonction du
critère droite-gauche n'ont pas empêché certains politistes
de systématiser des approches basées sur ce
schéma159(*). Ce
dualisme est en effet tellement prégnant dans l'inconscient politique
des citoyens qu'il s'agissait de ne pas l'écarter sans s'y
intéresser plus avant.
Le plus illustre énoncé du dualisme
droite-gauche sur le plan scientifique réside certainement dans
l'analyse de Maurice Duverger. Dans son ouvrage Les Partis
Politiques160(*) le
juriste français se réfère à l'histoire des
oppositions politiques pour en déduire une logique naturelle au
dualisme : « Armagnacs et Bourguignons, Guelfes et Gibelins,
Catholiques et Protestants, Girondins et Jacobins, Conservateurs et
Libéraux, Bourgeois et Socialistes, Occidentaux et Communistes ;
toutes ces oppositions sont simplifiés mais seulement par effacement des
distinctions secondaires »161(*). La logique du conflit politique conduirait
inévitablement à la bipolarisation de l'espace politique. Mais la
thèse de Duverger ne se limite pas au caractère naturel du
dualisme. Duverger inaugure aussi l'approche multidimensionnelle en affirmant
que les dualismes sont en réalité pluriels. Les tendances
politiques s'opposent de manière antagoniste mais sur des enjeux
différents. Les critères religieux, économiques et de la
politique étrangère permettent de distinguer six familles
politiques (communistes, socialistes, chrétiens-progressistes, radicaux,
démocrates-chrétiens, droite)162(*). Pour Duverger les dualismes se superposent ce qui
relativise l'opposition droite-gauche, un parti pouvant être
marqué à gauche mais avoir une position de droite sur un sujet
particulier163(*). La
théorie des dualismes multiples de Duverger est donc plus fine que la
simple conception de l'échelle droite-gauche. Pour autant il semble s'en
détourner en posant l'hypothèse que le type de scrutin
détermine le système de partis. L'idée est en
contradiction avec la multiplicité des dualismes puisqu'il suffirait de
passer au scrutin majoritaire pour qu'un système bipartisan les annihile
en les absorbant.
Bien que la thèse développée par
Duverger soit relativement convaincante elle demeure fortement
influencée par le contexte politique de la IVème
République qu'elle tente en partie d'expliquer. Sa dimension comparative
est assez limitée d'autant que, pour ce qui nous intéresse, il
est bien difficile d'y trouver des réponses sur le positionnement des
partis écologistes (et pour cause ils furent créer plus de vingt
ans après la publication des Partis Politiques). Parmi les
initiatives pour rénover le dualisme droite-gauche, la
redéfinition d'un continuum droite-gauche par Jean Blondel est
une des plus intéressantes. Il se détache de la dichotomie
classique droite-gauche fondée sur de fragiles attelages
idéologiques pour se concentrer sur les systèmes de partis. Son
étude164(*)
l'amène à croiser différents facteurs pour
dénombrer finalement six familles de partis (communistes, socialistes,
libéraux-radicaux, agrariens, chrétiens-démocrates,
conservateurs) sur un axe droite-gauche. En dépit des efforts
réalisés pour sortir du piège du gradient universel
droite-gauche, le continuum de Blondel ne se valide qu'imparfaitement
de manière empirique165(*). En outre les écologistes, non
catégorisés par Blondel, n'ont pas leur place sur cette ligne
droite-gauche. L'approche dualiste, même réformée sous
l'angle de Blondel, ne permet pas d'appréhender les partis Verts qui
revendiquent eux-mêmes une volonté de la transcender.
Le poids de la conception droite-gauche dans l'action et le
commentaire politique ne suffisent pas à en faire un outil scientifique
cohérent pour discerner les différentes familles de partis.
Devant les lacunes des théories dualistes, des politistes ont
cherché à redéfinir le contenu des notions
« gauche » et « droite » pour s'adapter
à la plasticité des espaces partisans. Des oppositions entre
ordre/progrès, conservateurs/progressiste,
régulation/dérégulation166(*) ont été substituées à
celle de droite/gauche mais sans jamais réussir à en supprimer
les défauts.
D'autres approches permettent de pallier ces imperfections en
proposant des typologies globalisantes non intuitives à l'instar de
celle développée par Stein Rokkan et Seymour Martin Lipset.
2. Vers une taxinomie
universelle des partis politiques : La théorie des clivages de
Rokkan et Lipset
Ce qui précède a tenté de
démontrer que la classification des partis par le critère
droite-gauche n'était pas toujours pertinente. La science politique a
toutefois proposé d'autres outils pour interpréter le
phénomène partisan. La théorie multidimensionnelle de
Stein Rokkan et Seymour Martin Lipset167(*) en constitue certainement l'essai le plus brillant.
Dans un ouvrage classique, ils classent les partis en fonction de clivages
issus de conflits historiques traversant les sociétés d'Europe de
l'Ouest. Nous reviendrons donc sur la notion de clivage avant de la
préciser dans le modèle de Stein Rokkan
La structuration des
clivages
La théorie élaborée par Rokkan et Lipset
emprunte aux travaux de l'anthropologue Talcott Parsons et au courant
fonctionaliste en général. La société est
envisagée en tant que système social ; elle produit des
antagonismes qui entrainent des luttes sociales. D'abord informelles, ces
« contradictions » violentes s'institutionnalisent
progressivement pour devenir « conflits ». Ces conflits
sont régulés par le politique qui se fait, à travers
l'histoire, l'agent de leur pacification. A la source du modèle de
Rokkan se trouve donc l'idée d'une société naturellement
structurée par des oppositions sociales, des conflits, que les
organisations partisanes auraient vocation à exprimer.
Les clivages mis en évidence par le politiste
norvégien procèdent de la dialectique du conflit. Chaque
contradiction sociale entraine l'apparition de deux forces qui s'opposent, deux
partis qui se positionnent chacun sur un versant du clivage. Pierre
Bréchon définit le clivage comme « un conflit
bureaucratisé et routinisé où les demandes sociales
trouvent des lieux pour se dire et se réguler »168(*). Dans cette optique le parti
politique est interprété de manière sociologique. La base
et le conflit social précèdent l'organisation du parti. Le
politologue belge Vincent de Coorebyter reprend cette idée en
précisant la notion de clivages169(*). Il distingue trois strates successives à
l'origine de la formation de clivages. La première strate est un
« déséquilibre profond » qui touche
directement la vie sociale et engendre un rapport de force entre les partisans
du statu quo et ceux qui veulent le changement. Dans un
deuxième temps la société civile s'organise par
elle-même. La faction désireuse du changement met en place des
structures et actions collectives (associations, journaux, manifestations,...)
et désigne nommément son opposant. Ce dernier s'organise lui
aussi et entre dans la confrontation. Le conflit se cristallise finalement dans
la création de partis politiques. L'organisation de la
société civile sur chacun des versants de clivage conduit
à une certaine polarisation du corps social. Ce mouvement est
parachevé par les organisations politiques qui ont pour but de porter
plus loin la volonté de changement du déséquilibre ou au
contraire de le maintenir.
La structuration de la société par les clivages
pose ainsi les bases d'une classification des partis politiques sur une
échelle aussi large que l'Europe de l'Ouest comme le propose le
modèle de Rokkan. Les partis ne sont pas envisagés
singulièrement dans leur espace donné mais comme membres d'une
« famille » de partis. Une famille procède en effet
d'une culture politique héritée d'un même versant du
clivage. Pour comprendre comment discerner les différentes familles
politiques il faut donc revenir aux contradictions sociales originelles dont
les partis ne sont que le prolongement.
Le modèle de Rokkan
et Lipset
Le politiste norvégien Stein Rokkan est un des
premiers à envisager les sociétés européennes
contemporaines sous l'angle des clivages. Sa théorie repose sur deux
types de facteurs qui induisent quatre clivages fondamentaux : les axes
conflictuels et les révolutions. C'est sur ces clivages que se greffent
l'ensemble des partis politiques de l'espace étudié, à
savoir le monde occidental.
Avant la publication de Party Systems and Voter
Alignments, Maurice Duverger avait déjà initié,
à son corps défendant, l'approche multidimensionnelle de la
constitution des partis en évoquant un « entrecroisement des
clivages ». Mais l'étude de Stein Rokkan va plus loin. Son
paradigme macro-analytique s'appuie sur la socio-histoire pour repérer
des clivages qui sont autant d'invariants historiques. Autrement dit, les
clivages sont des structures sociales envisagées sur le long terme.
Cette approche rejoint celle des trois temps de Fernand Braudel. Dans son
étude du monde méditerranéen170(*), l'historien file la
métaphore de la mer pour distinguer différents temps : le
temps court, celui de la vie humaine et des vagues ; le temps moyen des
cycles de plusieurs décennies assimilables aux variations de
marée ; le temps long, géographique, presque immobile comme
les fonds marins. C'est dans ce dernier temps que se comprennent les clivages
mis en lumière par Rokkan.
Il identifie deux périodes particulièrement
marquantes pour l'histoire des sociétés occidentales qu'ils
nomment « révolution » : la révolution
nationale (XVIème-XIXème siècle) qui, dans le contexte des
guerres de religions, consacre l'Etat nation et affirme le rôle d'un Etat
fort et centralisateur ; la révolution industrielle (XIXème
siècle) qui bouleverse la vie économique et sociale avec le
passage d'une économie d'autosuffisance à une économie de
marché.
De chaque révolution découle ensuite deux
clivages. La révolution nationale donne ainsi naissance à une
première contradiction entre les partisans d'un Etat fort
centralisé et ceux d'une autonomie des régions protégeant
la spécificité de leur langue et culture locale (clivage
centre/périphérie). La deuxième contradiction
oppose les promoteurs de l'Eglise aux thuriféraires de l'Etat laïc
(clivage Eglise/Etat). La révolution industrielle
conduit elle à l'émergence d'un antagonisme entre
défenseurs des intérêts agricoles et ruraux et ceux des
intérêts industriels (clivage rural/urbain) ainsi
qu'à une confrontation entre propriétaires des moyens de
production et prolétaires obligés de vendre leur force de travail
(clivage possédants/travailleurs). Remarquons simplement
ici que Rokkan compléta ultérieurement son modèle avec une
troisième révolution « internationale »
faisant apparaitre un nouveau clivage entre communistes et socialistes.
On retrouve dans cette théorie des clivages
l'influence structuro-fonctionnaliste de Parsons. Les structures du
modèle reposent sur des axes conflictuels que l'on distingue en deux
types, axe fonctionnel et axe territorial. Les révolutions correspondent
elles aux variables. Ainsi chaque révolution produit un clivage
fonctionnel (concerne le système social) et un clivage territorial
(organisation des pouvoirs dans l'espace). La révolution nationale
amène donc un clivage fonctionnel (Etat/Eglise) et un clivage
territorial (centre/périphérie). Le schéma est le
même pour la révolution industrielle avec le clivage
possédants/travailleurs (fonctionnel) et urbain/rural (territorial). La
dichotomie entre axe fonctionnel et axe territorial est loin d'être
anodine dans le paradigme de Rokkan. Elle renvoie en effet au rapport
espace/temps qui se caractérise comme une structure essentielle de
l'esprit humain171(*).
La dimension spatio-temporelle fut notamment désignée par Kant
comme une des deux sources de l'intelligence, le cerveau humain étant
structuré par cette représentation du temps et de l'espace.
Ces quatre clivages permettent de reconnaitre huit familles
politiques européennes. Chaque parti est défini au sein de chaque
système politique comme «alliances in conflicts over policies
and value commitments within the larger body politic»172(*). Cette ébauche de
taxinomie a l'avantage de se fonder sur une analyse multifactorielle de long
terme censée éviter les amalgames. Le clivage
possédants/travailleurs est celui qui a le plus essaimé en Europe
en donnant quantité de partis ouvriers opposés à des
partis bourgeois libéraux sur le plan économique. Le clivage
Eglise/Etat distingue partis cléricaux et anticléricaux. Le
conflit centre/périphérie fait exister partis centralistes et
partis autonomistes réfractaires à l'intégration par le
centre. Enfin le clivage urbain/rural ne trouve qu'une faible validation
empirique. Les partis écologistes et agrariens sont
agrégés dans un même refus d'industrialisation et peu de
partis urbains antagonistes ont été recensés si ce n'est
le Parti des Automobilistes Suisses.
Clivage
|
Moments critiques
|
Enjeux
|
Centre-périphérie
Etat-Eglise
Agriculture-industrie
Possédant-travailleur
|
Réforme-Contre-Réforme :
XVIe et XVIIe siècles
Révolution nationale 1789 et après
Révolution industrielle XIXe siècle
Révolution Russe 1917 et après
|
Religion nationale vs supranationale ; langue
nationale vs latin
Contrôle séculier vs laïc de
l'éducation de masse
Niveaux de taxation des produits agricoles ; contrôle
vs libertés pour les entreprises industrielles
Intégration dans la communauté politique nationale
vs engagement dans les mouvements révolutionnaires
internationaux
|
Tableau 1 : Représentation des
moments critiques à l'origine des clivages. D'après Rokkan, S.,
et Lispet, S.M., Structures de clivages, systémes de partis et
alignement des électeurs : une introduction, Bruxelles, Editions de
l'Université de Bruxelles, 2008, p. 92-93
Au-delà des deux révolutions dont
découlent les quatre clivages susnommés, il faut remarquer que
chaque clivage tient sa source dans un moment critique particulier
cristallisant les enjeux contradictoires. Ces derniers ont ensuite vocation
à s'exprimer dans les partis politiques comme nous l'avons montré
plus haut. Le tableau ci-dessus établi par Rokkan lui-même (nous
en donnons ici la traduction française) résume les quatre moments
critiques.
La matrice développée par Rokkan et Lipset
permet de classer les partis à partir de leurs soubassements
historico-conflictuels et non sur la base d'échelles fictives
plaquées sur le réel. La théorie des clivages offre une
compréhension fine des partis qui transcende les fausses impressions
provoquées par le jeu politique du temps présent. Selon le
politiste norvégien les partis peuvent fluctuer en fonction des
conjonctures mais restent ancrés par nature au versant du clivage qui
fut à sa genèse.
Ce cadre analytique semble le plus pertinent pour
étudier le parti Vert français sous l'angle de la
décroissance. Il importe cependant de prendre en compte les
perturbations du modèle occasionnées par l'émergence des
partis écologistes en Europe.
3. La perturbation du
paradigme des clivages avec l'émergence des partis verts
Aussi ambitieux soit-il le paradigme proposé par
Rokkan et Lipset a fait l'objet de plusieurs critiques. Celles-ci sont
plutôt des amendements au modèle que des remises en cause
profonde. En effet certains contestent la portée normative des clivages
proposés en 1967 au regard de l'évolution des systèmes
partisans. Il s'agit certainement là d'un malentendu. La classification
initiale de Rokkan s'intéressait aux logiques profondes aboutissant
à la création des partis et n'avait donc pas l'ambition d'une
taxinomie universelle éternelle.
Pour autant l'émergence des partis Verts dans les
années 1980 pose un problème d'interprétation de la
théorie des clivages. Peu envisagées par Rokkan lui-même,
les formations écologistes amènent une redéfinition de la
grille de lecture des clivages.
Les critiques du modèle de
Rokkan
Le paradigme de Rokkan est d'abord contesté pour son
manque de validation empirique. Nonobstant une réflexion
intéressante sur la genèse de partis, ses clivages et la
classification qui s'en déduit ne trouvent pas toujours l'écho
escompté dans les systèmes politiques européens.
Ainsi aucun pays européen ne donna naissance aux huit
familles politiques décrites dans le modèle de Rokkan, à
l'exception notable de l'Italie. Les clivages sont en effet plus ou moins forts
en fonction des pays et génèrent un nombre de partis en
conséquence. Les clivages s'exprimeraient donc avec une intensité
variable dans l'espace. D'autre part on observe que certains pays
possèdent plusieurs partis issus d'une même famille politique.
Pierre Bréchon trouve deux explications à ce
phénomène : la « diversité
communautaire » engendre un fractionnement politique sur la base de
communautés linguistiques ou culturelles distinctes à l'instar du
double système entre Flamands et Wallons en Belgique ; la
façon dont un parti exprime un conflit qui peut se traduire de
manière modérée (conflit apaisée) ou de
manière extrémiste (conflit fort). Stefano Bartolini et Peter
Mair relativisent la multiplication des partis sur un même versant de
clivage. Pour eux, ces turbulences se limitent à un même groupe de
partis, les partis en eux-mêmes restant historiquement stables173(*).
C'est sur ces présumés lacunes que les
premières reformulations vinrent se greffer au paradigme des clivages.
Dressant le constat que les clivages disséqués par Rokkan ne
suffisent plus à expliquer pleinement les structurations
idéologiques des systèmes partisans, Arend Lijphart reprend et
augmente la théorie rokkanienne174(*). Dès 1981 il propose sept clivages
fondamentaux : socio-économique ; religieux ;
culturel-ethnique ; rural-urbain ; soutien au régime ;
politique étrangère ; postmatérialiste. Si les quatre
premiers sont très proches de ceux développés par Rokkan,
les trois derniers sont originaux et posent davantage question175(*). Nous accorderons d'ailleurs
plus loin une attention particulière au clivage postmatérialiste
en ce qu'il concerne directement les partis Verts. La classification de
Lijphart reste néanmoins marquée par son temps. Son classement
des partis se base sur l'observation des systèmes politiques dans les
années vingt en faisant le pari que cette situation perdurerait. Il
néglige par conséquent l'aspect historique au coeur de
l'étude de Rokkan. L'analyse de Rae et Taylor176(*) expliquant les clivages
à partir de la démocratie, et sur laquelle Lijphart s'appuie, est
frappée du même défaut.
A ces typologies intuitives s'ajoutent d'autres
reformulations à travers la thèse de la focalisation des
dimensions multiples. La naissance d'un parti s'expliquerait à travers
le croisement de différents clivages. Un parti pourrait donc se situer
en même temps sur différents clivages (anticlérical,
ouvrier et centraliste par exemple). Richard Rose et Derek Urwin utilisent
cette théorie pour critiquer le modèle de Rokkan177(*). Ils le remanient largement
en mettant en évidence l'attitude vis-à-vis de la religion puis
la classe sociale comme premiers critères de classification. Les deux
politistes établissent alors une nomenclature de quatre types de
partis : partis hétérogènes (sans base
sociologique avérée) ; partis à fondement unique
de nature religieuse (clivage Eglise/Etat) ; partis à
fondement unique de nature sociale (partis de classe) ; partis
résultant de clivages multiples qui se renforcent mutuellement.
Bien qu'elle prétende la préciser, la classification de Rose et
Urwin s'éloigne de l'analyse de Rokkan. Leur analyse synchronique
basée sur les données d'une seule année (1968) fait fi de
la logique historico-conflictuelle de la théorie des clivages.
Au final seul l'amendement apporté par Jean et Monica
Charlot semble recevable. Dans leur contribution au Traité de
Science Politique178(*) ils mettent en avant un autre clivage né de
la révolution russe de 1917 sur le versant
« travailleurs » du clivage
possédants/travailleurs : La gauche non communiste s'opposerait aux
communistes. Cette nouvelle dichotomie s'inscrit dans la logique de Rokkan qui
amenda son schéma initial pour lui adjoindre une
« révolution internationale » née de la
révolution bolchevique.
Malgré ces critiques et ajouts le modèle des
quatre clivages fondamentaux reste la base théorique la plus pertinente
pour situer les partis politiques occidentaux. Son approche de long terme offre
une clé de lecture du système politique qui évite les
mirages de la comparaison sans recul historique. Mais l'émergence des
partis Verts brouille la fluidité du paradigme rokkanien.
Les partis Verts inclassables ?
Les partis écologistes apparaissent de manière
presque simultanée en Europe dans les 1970 et 1980. L'écologie
partisane commence en Nouvelle Zélande en 1972 avec la victoire du
candidat d'un parti écologiste, le « Values Party »,
à la marie de Wellington. En France, les écologistes participent
à l'élection présidentielle dès 1974 avec la
candidature de René Dumont. Les partis Verts fleurissent progressivement
en Europe où ils accèdent rapidement à des
responsabilités. En 1979 Daniel Brélaz est le premier
écologiste à devenir député d'un Parlement national
avec son élection au Conseil national suisse. Le mouvement fait tache
d'huile et les jeunes partis Verts gagnent des sièges dans un grand
nombre de parlements européens (Belgique, Finlande, Allemagne,
Suède, ...). Un pas supplémentaire est franchi dans les
années quatre-vingt-dix avec la participation aux gouvernements de
coalition finlandais, italien, français et allemand et un poids
important dans ce dernier. En un peu plus de deux décennies, les
écologistes se sont inscrits durablement dans le paysage politique
européen.
Cette poussée rapide des partis Verts conjuguée
aux thèmes iconoclastes qu'ils portaient a attisé les
commentaires peu rigoureux sur leur positionnement politique. Ballotés
de gauche à droite en passant par le centre et l'extrême gauche
(l'écologie pastèque « verte à
l'extérieure, rouge à l'intérieur »), la
percée des écologistes démontre en outre l'inanité
du clivage droite-gauche. Face à la novation écologiste, le
commentaire de sens commun est désarmé, incapable de situer
clairement un objet qui s'écarte des schémas classiques. Dans un
premier temps, la science politique semble elle aussi
désarçonnée. Vincent MacHale distingue en 1983 deux types
de famille de partis : les partis à visée idéologique
(chrétiens-démocrates, communistes,...) et les partis agissant en
tant que groupe d'intérêt pour une cause donnée. Il classe
les partis écologistes dans cette dernière catégorie de
« single issue party ». Une classification
erronée au regard de la nature de l'idéologie Verte et à
l'établissement des écologistes comme partis
généralistes participant à des exécutifs locaux et
nationaux. D'aucuns pariaient également sur un essoufflement de ces
partis avec la dissipation de la ferveur idéaliste de Mai 1968 dont ils
sont en majorité issus. Les récents succès des Verts
allemands (victoire dans le Bade-Wurtemberg en 2011) ou français
(succès des listes Europe Ecologie aux élections
européennes de 2009) suffisent à infirmer cette hypothèse.
L'émergence des partis écologistes est peu
compréhensible à travers le dualisme gauche-droite mais elle
interroge aussi le système des clivages. En effet l'apparition de
l'écologie partisane est postérieure à la théorie
de Rokkan (Party Systems And Voters Alignment n'étant
publié qu'en 1967). De plus les écologistes fondent une tradition
politique radicalement nouvelle. Il serait contreproductif de rechercher dans
l'histoire une filiation directe des partis écologistes comme il est
possible de le faire pour d'autres partis. Face à cette
difficulté classificatoire les politistes ont réagi de deux
manières. Certains se sont lancés dans une tentative de
définition d'un cinquième clivage que nous étudierons au
chapitre suivant tandis que d'autres préféreraient inscrire
les partis Verts dans le modèle de Rokkan quitte à le reformuler
partiellement.
Cette deuxième hypothèse nous amène
d'abord à envisager les formations écologistes comme
objectivation du clivage le plus répandu c'est-à-dire le clivage
possédants/travailleurs179(*). Comme nous l'avons expliqué ce clivage est
issu de la révolution industrielle appréciée sous l'angle
de l'histoire sociale. Le processus historique marque le passage d'une
économie autarcique à une économie capitalistique de
marché. Il aboutit à un clivage opposant la masse des
travailleurs aux propriétaires des moyens de production. Dans ce cadre,
les écologistes partageraient le même combat que les ouvriers. La
volonté de protéger les écosystèmes les
conduiraient à s'opposer aux entrepreneurs industriels prêts
à sacrifier l'environnement sur l'autel du profit. L'opposition à
l'économie marchande serait donc autant l'apanage des écologistes
que des sociaux-démocrates et des communistes. Les alliances des partis
Verts avec le reste des partis issus du versant « non
possédants » tendent à confirmer cette
hypothèse. Dans la majorité des pays d'Europe l'accès aux
responsabilités des écologistes ne se fit en effet qu'au prix
d'accords électoraux, le plus souvent avec les
sociaux-démocrates. Pour ne prendre que le cas français, le parti
écologiste a participé au gouvernement de « gauche
plurielle » à dominante socialiste et partage aujourd'hui
encore l'exécutif de nombreuses régions avec le Parti socialiste.
L'approche du parti écologiste comme manifestation du
clivage possédants/travailleurs semble néanmoins trop
restrictive. Nous avons tenté d'expliciter plus haut la logique du
projet écologiste fondée sur l'antiproductivisme. Cette
identité dépasse le cadre du troisième clivage de Rokkan
d'autant que les écologistes s'opposent aux formations de
« gauche » sur ce point. Il faut donc arrimer les partis
Verts à un autre clivage pour rester fidèle à la
pensée écologiste. Une relecture du clivage urbain/rural semble
constituer une piste suffisamment pertinente pour que l'on s'y
intéresse.
***
Les oppositions dans le jeu partisan renvoient toujours
à une dimension idéologique. Elle nous apprend alors beaucoup sur
les partis politiques si l'on évite le piège de formaliser des
typologies intuitives guidées par l'observation du temps présent.
Dans notre étude de l'influence de la décroissance sur le parti
Vert français il s'agit de bien prendre ses distances avec ces faux
semblants. Le modèle de Rokkan s'en démarque largement en ce
qu'il s'attache à déceler les logiques profondes à
l'origine des partis. Contrairement aux critiques formulées à son
encontre, ce modèle n'a pas vocation à commenter l'état
actuel des partis.
L'approche des partis par le prisme des clivages semble
fournir un cadre d'analyse adéquat pour étudier la situation du
parti Vert dans l'espace politique et discuter son évolution à
l'aune de la décroissance. L'histoire récente des Verts ne permet
que difficilement de les arrimer à un des quatre clivages fondamentaux.
Ce n'est qu'au prix d'une relative redéfinition d'un de ces clivages
qu'il est possible de comprendre la place du parti Vert dans le champ politique
français.
Chapitre 5 : La nécessaire réadaptation des
clivages pour situer les partis écologistes
Au regard de la nature atypique des partis Verts la
théorie des clivages nous semble la plus pertinente pour comprendre
l'influence de la décroissance. La logique du projet écologiste
décrite plus haut nous amène cependant à
reconsidérer les clivages de Rokkan. En effet l'application du paradigme
aux partis écologistes se heurte à l'hypothèse que les
clivages auraient été « gelés »
(freezed) à la fin de la Révolution industrielle
(début du vingtième siècle). De nombreux politistes ont
alors émis l'idée, prenant acte de l'émergence des partis
Verts, d'un « dégel » des clivages. Ce débat
s'éloigne en réalité du modèle structural de long
terme mis en évidence par le sociologue norvégien.
Les essais de définition d'un cinquième clivage
pour tenter de prendre en compte la singularité des partis
écologistes ne semblent pas complétement recevables. Nous
préférerons discuter ces derniers dans une perspective de
réactualisation des clivages originaux. Ainsi le vieux clivage
urbain/rural retravaillé sous la forme d'un clivage marché/nature
ou productivistes/antiproductivistes est particulièrement apte à
décrire les partis Verts. L'approche tente également
d'éclaircir l'impact de la décroissance sur cette
redéfinition des clivages.
1. Les tentatives de
définition d'un cinquième clivage
matérialistes/postmatérialistes
A partir des années 1970 les systèmes de partis
entrent dans une zone de turbulences. L'apparition des partis
écologistes questionne le modèle des clivages que Rokkan et
Lipset considéraient comme gelés dans les années 1920.
D'aucuns firent alors le constat que la typologie partisane déduite de
ce paradigme ne parvenait plus à « cartographier »
correctement l'espace politique. Sous couvert de la supposée
l'obsolescence des clivages de Rokkan, certains politistes posèrent
l'hypothèse d'un nouveau clivage
« matérialistes/postmatérialistes » ou
old politics/new politics. Si ce nouveau clivage parait
séduisant pour décrire les partis Verts, il se
révèle en réalité fragile et difficilement
mobilisable dans une perspective classificatoire.
Un nouveau clivage pour
situer l'écologie partisane ?
Au centre de la réflexion
sur un cinquième clivage se trouve l'hypothèse d'un
« gel » des clivages posée par Rokkan et Lipset.
Dans la logique structurale ces clivages, une fois stabilisés, ne sont
plus amenés à évoluer. Les mêmes clivages seraient
donc à l'oeuvre depuis les années vingt. Cette idée fut
contestée de diverses manières : perte de pertinence de
certains clivages, modification des systèmes d'alliances et apparition
de nouvelles forces politiques procédant de logiques différentes
des clivages fondamentaux.
Sur la base du bouleversement du système politique
naquit la thèse d'un « dégel » des clivages
(defreezing). Ce postulat permit dès lors d'évoquer un
cinquième clivage pour mieux décrire l'espace politique en
mutation.
Parmi les théories du cinquième clivage, celle
du politiste américain Ronald Inglehart a valeur d'exemple. A travers
ses travaux sur les systèmes de valeurs des citoyens il observe une
« révolution silencieuse » dans les années
soixante amenant un nouveau clivage180(*). Selon lui les conflits d'intérêts de
classe liés à la société industrielle s'effacent au
profit d'une nouvelle opposition entre
« matérialistes » et
« postmatérialistes ». Inglehart dissocie ces
systèmes de valeurs antagonistes par le croisement de deux variables. La
première est relative au niveau de revenu: « while economic
cleavages become less intense with rising levels of economic development, they
gradually give way to other types of conflict »181(*). La deuxième concerne
la socialisation des individus déterminée par la conjoncture
économique. Inglehart explique que les générations
politiques socialisées pendant la Grande Dépression et qui
connurent la guerre sont plus sensibles à des considérations
purement matérialistes. A l'inverse les générations issues
des Trente Glorieuses et bénéficiant d'un niveau de qualification
inédit (socialisation secondaire par les études
supérieures) seraient moins sensibles à ces
considérations. Le croisement de ces variables aboutit à des
systèmes de valeurs différents. Les générations qui
subirent la crise des années trente, la guerre et les tourments de la
reconstruction se focalisent sur des enjeux matérialistes du type
bread and butter : niveau de salaires, ordre,
sécurité alimentaire et sociale. A l'inverse la
génération du baby-boom n'a pas connu les privations de
ses aînés. Les enfants des Golden Sixties accèdent
à la conscience politique dans un certain confort économique et
social (chômage résiduel, Etat Providence, démocratisation
de l'université,...) et développent un ethos politique
postmatérialiste sensible à des enjeux comme
« environmentalism, the women's movement, unilateral disarmament,
opposition to nuclear power »182(*).
L'opposition entre ces deux systèmes de valeurs se
retrouve dans le champ politique. L'avènement de la nouvelle
génération se traduit par une série de mouvements
populaires focalisés sur des revendications non matérialistes
à l'instar du mouvement hippy ou des révoltes estudiantines de
1968. Dans la foulée émerge une série de nouvelles
formations politiques (gauchistes, écologistes, nouvelle droite) tandis
que ressurgissent de vieilles idées sous un jour nouveau (autonomistes,
xénophobie,...)183(*). Ce foisonnement de nouvelles organisations
politiques serait selon Inglehart symptomatique d'un dégel des clivages
partisans. Ces forces politiques inédites résulteraient en effet
du conflit entre matérialistes et postmatérialistes. Le clivage
matérialiste/postmatérialiste expliquerait alors la montée
des écologistes à partir des années quatre-vingt. Les
partis écologistes se situeraient sur le versant postmatérialiste
de ce nouveau clivage caractérisé par la défense d'une
meilleure qualité de vie contre les dérives de la
société industrielle, par essence matérialiste.
La théorie d'Inglehart a été
critiquée et complétée par Scott C. Flanagan.
Derrière le processus de transformation des systèmes de valeurs
décrit par Inglehart se cacheraient en réalité deux autres
évolutions. Flanagan précise le clivage
matérialistes/postmatérialistes en le fondant dans un nouveau
clivage Old politics/ New Politics. Il distingue au sein de la
« New Politics » une « new left »
postmatérialiste (Flanagan préfère le terme
libertarian) d'une « new right » autoritaire. Les
tenants de la « Old politics » sont eux
intrinsèquement matérialistes (cf. Figure 1).
Figure 1 : Vision de Flanagan de la structure de
clivages dans les démocraties industrielles avancées.
D'après : Inglehart, R.., Flanagan, S., op. cit., p.
1304.
Flanagan décrit en réalité trois
clivages différents (cf. figure 2). Le premier correspond à
l'opposition Old politics/New Politics qui reprend peu ou
prou la thèse d'Inglehart
(matérialistes/postmatérialistes). Le deuxième clivage se
place sur le plan idéologique donc « new politics »
(postmatérialiste) et oppose la nouvelle gauche libertaire à la
nouvelle droite autoritaire. Enfin le politiste américain sépare
une Old right et une Old left soutenues respectivement par
les classes moyennes et la classe ouvrière. Ce dernier clivage se
construit sur la défense d'intérêts matériels et
relève donc de la « Old politics ».
Figure 2 : Structure complète des
clivages dans les démocraties industrielles avancées selon
Flanagan. D'après : Inglehart, R.., Flanagan, S., op.
cit., p. 1306.
Si l'on suit le schéma de Flanagan, les partis Verts
résulteraient alors du versant libertaire du clivage « new
right/new left » qui se superposerait sur le versant non
matérialiste du clivage « new politics/old
politics ».
Seymour M. Lipset accorde également un certain
crédit aux thèses d'Inglehart et de Flanagan. Dans un texte
intitulé « The Revolt against Modernity »
le coauteur de Party Systems And Voters Alignment reprend cette
distinction entre une gauche historique matérialiste et une gauche
postmatérialiste qu'incarnent les Verts et la nouvelle gauche
(essentiellement le PSU en France)184(*). Pour lui, les Verts font partie de la nouvelle
gauche issue de cette « nouvelle idéologie post-bourgeoise
[qui] substitue à l'ancienne conscience traditionnaliste une
conscience libertaire et, partant, individualiste qui s'exprime dans les
valeurs [...] post-matérialistes »185(*).
Les travaux visant à définir un
cinquième clivage ou à refonder plus profondément la
grille de lecture de Rokkan n'est pas dénué
d'intérêt. Etudier les partis écologistes sous l'angle des
valeurs matérialistes/postmatérialistes offre une clé
d'analyse qu'il ne faut négliger. Toutefois les tentatives de
définition d'un cinquième clivage sont frappées de biais
qui les rendent peu opérationnelles.
Une vision à courte
vue inadéquate
Les essais de proposition d'un cinquième clivage pour
expliquer en outre l'apparition des partis écologistes prêtent le
flan à une série de critiques. La thèse d'Inglehart est
fragile d'abord en ce qu'elle relève plus d'un effet de
génération que de logiques historiques et sociétales
profondes. La socialisation et le niveau de revenu sont des variables
très fortement liées à la conjoncture économique.
Inglehart reconnaissait d'ailleurs lui-même une forte corrélation
entre classes d'âges et catégories
matérialistes/postmatérialistes. Le cinquième clivage
affirmé par le politiste américain serait donc frappé
d'obsolescence à chaque retournement de tendance économique.
Cette faiblesse s'explique par la nature même du cinquième clivage
défini par Inglehart et repris par d'autres. A l'inverse des clivages de
Rokkan ancrés dans le temps long de Braudel, le clivage
matérialistes/postmatérialistes repose sur des
« attitudes politiques [qui] constituent des propensions
à agir et qui orientent l'action sociale des individus dans une
direction donnée »186(*). L'orientation politique des individus est
intrinsèquement liée au contexte économique et social de
leur socialisation. La société produit ses effets sur les
attitudes des individus qui revendiquent dès lors soit des biens
matériels pour subvenir à des besoins élémentaires,
soit des valeurs pour satisfaire des aspirations d'ordre spirituelles ou
esthétiques. On comprend mieux pourquoi le cinquième clivage
d'Inglehart se vérifie difficilement sur une moyenne ou longue
période. Force est de constater que dans un contexte de morosité
économique le regain d'intérêt pour les biens
matériels des jeunes générations contredit empiriquement
le clivage matérialistes/postmatérialistes. Le retournement de
conjoncture économique à partir du milieu des années
soixante-dix a brisé la sécurité dont jouissaient les
générations du baby-boom en même temps que
l'élan d'intérêt pour les considérations non
matérielles.
Or les partis écologistes censés incarner ce
versant postmatérialistes ne se sont pas effondrés pour autant.
Au contraire les années quatre-vingt-dix et deux mille voient une
montée progressive des Verts avec un accroissement du nombre
d'élus et des participations gouvernementales. En conséquence,
même si les écologistes défendent des intérêts
idéels et procèdent d'attitudes postmatérialistes telles
que définies par Inglehart, leur pérennité dans le jeu
politique ne peut se réduire à un clivage attitudinal. D'autant
que les écologistes ne sont ni les seuls ni les premiers à se
revendiquer de valeurs postmatérialistes. Une partie de l'ultra gauche
se situe en effet sur ce créneau depuis longtemps. Ce constat conduit
à relativiser la pertinence de l'hypothèse d'Inglehart.
Malgré leurs traits communs, confondre écologistes et
extrême gauche serait ostensiblement nier la spécificité
des partis Verts.
En réalité l'absence
d'opérationnalité d'un cinquième clivage tient à
une méprise sur la définition même d'un clivage. Nous
l'avons déjà souligné, les clivages au sens de Rokkan ont
un caractère structural. Ils sont l'expression politique et
médiatisée de conflits ancrés dans le temps long de
l'histoire sociale. Le dégel invoqué à l'aune du
changement électoral par les promoteurs d'un cinquième clivage
relève en fait d'une certaine confusion entre systèmes de partis
et clivages. Michael Shamir remarque justement qu'il n'y a pas lieu
d'évoquer un dégel des systèmes partisans puisque ceux-ci
n'ont jamais été gelés187(*).
Les partis et systèmes de partis évoluent
fortement au fil du temps comme le prouve l'émergence des partis
écologistes. Mais classer les partis en fonction des attitudes
politiques des électeurs est trop contingent pour être
véritablement satisfaisant. Il semble donc plus approprié
d'utiliser le cadre théorique de Rokkan quitte à le reformuler.
2. Un clivage
marché/nature pour expliquer l'émergence du parti Vert
Si l'hypothèse d'un cinquième clivage
matérialistes/postmatérialistes n'est pas complètement
recevable, le constat de départ demeure juste. La théorie des
clivages explique assez mal l'émergence de l'écologie partisane.
De prime abord le paradigme des quatre clivages fondamentaux semble donc
inadapté. Nous tacherons cependant de démontrer que sa souplesse
permet d'interpréter les partis Verts par une objectivation du clivage
urbain/rural.
Les partis Verts issus du
clivage urbain/rural ...
Le paradigme de Stein Rokkan et Seymour M. Lipset a
été repris par Daniel-Louis Seiler qui le prolonge dans une
taxinomie détaillée des partis politiques occidentaux. Il
précise les huit familles de partis qui procèdent chacune d'un
des versants opposés des quatre clivages fondamentaux. Se confrontent
donc sur le clivage possédants/travailleurs, partis ouvriers (de
« gauche ») et partis bourgeois (de
« droite ») ; partis de défense religieuse
(cléricaux) et partis sécularistes (anticléricaux) sur le
clivage Eglise/Etat ; partis centralistes (nationalistes) et partis de
défense territoriale (autonomistes) sur le clivage
centre/périphérie ; enfin, partis agrariens et
écologistes contre partis de défense urbaine (productivistes) sur
le clivage rural/urbain188(*). Cette typologie de partis reprend la
méthodologie de Rokkan et Lipset. Les partis sont classés en
fonction de conflits historiques qu'ils expriment politiquement. Il s'agit donc
de repérer le moment fondateur de chaque parti pour pouvoir le situer
sur les lignes de faite de l'espace politique. A la suite de Daniel-Louis
Seiler nous envisagerons ici les partis Verts comme manifestation du
quatrième clivage urbain/rural.
Conséquence de la révolution industrielle le
clivage urbain/rural est d'ordre économique (à l'instar du
clivage possédants/travailleurs) et produit ses effets sur un axe
territorial. Les partis issus de ce clivage se trouvent dès lors dans un
« un double champ d'oppositions et d'alliances avec les
formations issues du clivage possédants/travailleurs d'une part et du
clivage centre/périphérie de l'autre »189(*). Autrement dit les
autonomistes et partis de gauche seraient leurs alliés tandis que les
partis centralistes et conservateurs seraient leurs adversaires.
En vérité le versant rural de ce clivage
concernait originellement les partis agrariens générés en
réaction aux transformations brutales du monde agricole lors de la
révolution industrielle. Leur influence fut particulièrement
forte dans les pays scandinaves et notamment en Suède où les
agrariens participèrent à l'élaboration de l'Etat
Providence au sein d'une coalition avec les sociaux-démocrates. Dans les
années 1950, le parti agrarien suédois devient le
Centerparteit (le parti du centre) et se dote d'un véritable
programme écologiste. En outre il se bat contre l'urbanisation
galopante, le gigantisme urbain (refus du projet de mégapole autour de
Stockholm) et s'oppose vigoureusement à l'énergie
nucléaire. Devant l'échec des coalitions avec les
sociaux-démocrates et avec les conservateurs, une partie du parti
agrarien suédois finit par faire scission pour créer en 1981 le
Miljöpartiet (le parti de l'envirronnement) qui forme en 1985 le
Miljöpartiet de Gröna (le parti de l'environnement, les
Verts). Le même phénomène d'agrariens défenseurs de
l'environnement est observable dans le reste de la Scandinavie. Les partis
écologistes auraient donc une certaine filiation avec les agrariens.
Jérôme Viallate remarque à ce propos « une
parenté terminologique intéressante » entre les
écologistes et les agrariens puisque les deux familles abhorrent la
même couleur, le vert, qui représente pour eux les
« mêmes valeurs de nature » 190(*).
La proximité entre agrariens et écologistes
démontre l'arrimage des partis Verts au même clivage rural/urbain.
Selon Seiler, agrariens et écologistes procèdent d'une
contradiction similaire homme/nature. Cette dernière s'exacerbe avec la
révolution industrielle qui détruit l'économie agricole et
son organisation sociale au profit d'une économie de marché. En
effet l'avènement du capitalisme libéral industrialise
l'agriculture, précipite l'exode rural de nombreux paysans et bouleverse
les équilibres naturels. Ce processus d'implantation du marché
libre dans les sociétés occidentales est au centre de ce que Karl
Polanyi appelle La grande transformation. La réaction sociale
qu'elle suscite est pour lui légitime puisqu' « abandonner
le destin des hommes et du sol au marché équivaudrait à
les anéantir »191(*).
... objectivé en
clivage marché/nature
Pour mieux rendre compte de cette contradiction sociale,
Daniel-Louis Seiler réactualise le vieux clivage rural/urbain en un
clivage marché/nature. Le clivage garde son ancrage historique et son
caractère structural mais il est mis à jour pour tenir compte de
l'évolution des systèmes de partis notamment avec l'apparition
des écologistes. Deux types de partis émergent du versant
« nature » : les partis agrariens en réaction
à l'exploitation marchande de la nature dans les économies
où le marché est peu développé ; les partis
Verts promouvant un développement humain respectueux de l'environnement
dans les pays plus avancés économiquement. Le clivage
marché/nature est en effet fortement lié au contexte culturel et
économique du pays dans lequel il s'inscrit. Agrariens et
écologistes se situent donc sur le même versant du clivage
rural/urbain réactivé sous la forme marché/nature.
Toutefois ils s'inscrivent dans deux périodes historiques
différentes et leurs intérêts ne sont pas les mêmes
(les agrariens défendent surtout des intérêts
matériels quand ceux des Verts sont postmatérialistes).
Pour tenir compte de ces différences, D-L. Seiler
établit une typologie de sous clivages192(*). Les partis agrariens sont renvoyés dans un
sous clivage industrie/monde rural tandis que les écologistes sont
opposés aux productivistes. Les écologistes seraient alors une
déclinaison du versant « Nature » du clivage
marché/nature, spécifiquement dans les sociétés
occidentales développées. Ils s'opposeraient en cela aux
partisans du libéralisme débridé qui ne prêteraient
pas attention aux impacts environnementaux de leurs propositions. Cette
catégorie de partis productivistes serait notamment incarnée en
Suisse par le Parti des Libertés (ancien Parti des automobilistes).
Le clivage actualisé marché/nature et son sous
clivage écologistes/productivistes a l'avantage de donner un cadre
d'analyse des partis Verts fidèle au paradigme de Rokkan. Les partis
écologistes s'inscrivent dans le droit fil de la réaction
à l'effondrement du mode de production agricole au profit de
l'économie de marché. Ce conflit social s'exprime aujourd'hui
encore par la dénonciation de l'industrie agro-alimentaire et plus
largement du libéralisme qui met à mal les ressources physiques
de la planète.
La décroissance, un
réalignement des partis écologistes ?
La question est ici de savoir si les idées de la
décroissance telles que décrites au chapitre premier engendrent
un changement dans le positionnement politique des écologistes. Pour
rester dans le cadre de la théorie des clivages, la décroissance
marque-t-elle une réorientation du parti écologiste vers un autre
clivage ? Les partis n'étant pas voués éternellement
à leur clivage originel, ils peuvent se réaligner sur un autre
clivage lorsqu'il y a mutation de leur base sociale193(*). Cette rupture de clivage a
été remarquée en Allemagne par exemple où la CDU
s'est transformée en parti patrimonial (libéral) alors qu'elle
avait toujours représenté la démocratie chrétienne
(parti clérical).
Sur la base des éléments de définition
donnés plus haut, force est de constater que la décroissance en
tant qu'écologie radicale renforce la position des écologistes
sur le versant « Nature ». La pensée de la
décroissance est nimbée d'un antilibéralisme qui exacerbe
l'opposition des écologistes aux tenants du versant
« marché ». Nous verrons plus tard selon quelles
modalités le parti écologiste français intègre la
critique décroissante dans son référenciel identitaire.
Mais notons déjà ici que la décroissance confirme
l'existence d'un clivage marché/nature. Elle se traduit par une certaine
réactivation identitaire sous la forme d'un retour aux racines du
clivage originel donnant lieu à l'écologie politique. On retrouve
avec la décroissance une remise en cause profonde du
« libéralisme comme philosophie de
l'illimité »194(*). Le marché est stigmatisé comme
prédateur des équilibres naturels et responsable d'une fuite en
avant productiviste mortifère pour l'humanité. L'économie
de marché développée à partir de la
révolution industrielle est vilipendée comme le substrat
économique, philosophique et culturel de la société de
croissance. Il est en rupture avec la sobriété du mode de vie
décroissant qui prône d'ailleurs un retour à la terre (on
retrouve la filiation avec l'ancien versant « rural »).
Nous envisageons ici la décroissance comme mouvement de pensée
influençant le parti écologiste français. En tant que
parti, la décroissance serait l'expression extrémiste de la
contradiction sociale marché/nature se situant aux cotés des
Verts sur le versant « Nature » du clivage. En fonction de
ces indications il est possible d'avancer que la décroissance
entrainerait plus un recentrage du parti Vert sur le conflit social originel
dont il est l'expression qu'un réalignement sur un autre clivage.
Toutefois la représentation des partis Verts sur le
clivage rural/urbain, même réactualisé en
marché/nature, n'est pas exempt de tout reproche. Certes elle a
l'avantage d'expliquer l'émergence des Verts dans une approche de long
terme mais ne prend pas entièrement en compte la logique du projet
écologiste telle que définie dans la première partie. Nous
avons vu que le parti écologiste était structuré depuis
l'origine par un invariant antiproductiviste que l'on retrouve poussé
à l'extrême dans la décroissance. L'analyse des Verts par
un clivage productivistes/antiproductivistes mérite alors d'être
examinée.
2. Un nouveau clivage
productivistes/antiproductivistes ?
L'analyse des partis Verts comme manifestation du clivage
marché/nature est une bonne grille de lecture mais elle demande à
être complétée pour être tout à fait
satisfaisante. D'aucuns considèrent en effet que la
réactualisation du clivage marché/nature ne prend pas
suffisamment en compte la spécificité des partis Verts.
L'opposition des écologistes au productivisme transcende en effet la
contestation du marché au nom de la défense de la nature.
L'hypothèse d'un clivage productivistes/antiproductivistes est
intéressante en ce qu'elle permet de mieux appréhender les partis
écologistes. Mais elle n'a pas pour autant vocation à constituer
un cinquième clivage.
Les critiques du clivage
marché/nature
L'hypothèse d'un clivage
productivistes/antiproductivistes se construit à partir des limites du
clivage marché/nature. En premier lieu la filiation, plus ou moins
lointaine, des partis Verts avec les agrariens a été
identifiée par certains195(*) comme problématique. Sous couvert d'un
même combat contre la marchandisation de la nature, les projets
écologistes et agrariens ne relèvent pas des mêmes valeurs.
Les agrariens défendent la communauté rurale contre la
prééminence des urbains qui transforment leur mode de vie. Ils
portent en étendard des valeurs traditionnelles qui les rapprochent des
partis conservateurs ou bourgeois. L'évolution de certains partis
agrariens confirme cette tendance. En Suisse par exemple l'Union
Démocratique du centre (UDC) de Christophe Blocher a pris depuis deux
décennies un tournant ouvertement xénophobe et nationaliste. Pour
preuve, l'UDC tient pour récent fait d'arme d'avoir lancé
l'initiative populaire contre la construction des minarets votée en
2009.
A l'inverse les écologistes ont dès l'origine
une vision globale illustrée par le fameux « Penser global,
agir local » dont ils ont fait leur maxime. Leur ambition n'est pas
de protéger la communauté rurale mais de dénoncer les
dégâts de la société industrielle sur les
écosystèmes naturels à l'échelle locale comme
internationale. Comme nous l'avons évoqué, leurs valeurs portent
sur des considérations immatérielles (solidarité,
pacifisme, féminisme, ...) difficilement conciliables avec celles des
agrariens. Sur la base de ces divergences, considérer les
écologistes comme l'émanation du même versant de clivage
que les agrariens semble inadéquat. C'est cette difficulté qui
conduit Daniel-Louis Seiler à identifier deux sous clivages du clivage
marché/nature : un sous clivage industrie/monde rural pour mieux
déterminer les partis agrariens et un autre
écologistes/productivistes pour les partis Verts. Partis Verts et
agrariens relèvent d'une même contradiction sociale entre
marché et nature mais l'expriment différemment.
Plus problématique est la question de la base sociale
des écologistes. En effet si les partis agrariens sont constitués
essentiellement de ruraux il en va autrement pour les partis Verts. Ces
derniers ont une audience électorale dans les centres villes et les
zones périurbaines dont les adhérents proviennent aussi en
majorité. On s'éloigne dès lors du versant rural que sont
censés représenter les Verts même réactivé
sous la forme « nature ». Il a d'ailleurs été
remarqué que les écologistes sont peut-être les premiers
partis urbains à s'opposer aux agrariens ruralistes convertis, pour une
majorité d'entre eux, au productivisme agricole sous l'effet de la
PAC196(*). Le contexte
français semble confirmer cette hypothèse tant les tirs
croisés entre écologistes et agriculteurs sont fréquents.
A titre d'exemple les agriculteurs de la FNSEA avaient saccagé en 1999
le bureau de Dominique Voynet alors ministre de l'aménagement du
territoire et de l'environnement.
Sur la base de ces critiques il est possible d'envisager les
écologistes sous l'angle d'un clivage productivistes/antiproductivistes.
Certains auteurs l'envisagent comme un cinquième clivage. Nous
préférerons l'évoquer dans le cadre du clivage
marché/nature.
L'hypothèse du
clivage productivistes/ antiproductivistes
Depuis leur création les partis écologistes ont
pour idée force l'antiproductivisme. Cet invariant politique est au
coeur de leur identité et se retrouve tant dans le programme que dans le
positionnement politique. La logique du projet écologiste devrait donc
se retrouver sur le versant de clivage déterminant les partis Verts.
Nous posons ici l'hypothèse d'un clivage
productivistes/antiproductivistes. Celui-ci étant envisageable de deux
manières.
La première approche consiste à ajouter un
nouveau clivage aux quatre fondamentaux de Lipset et Rokkan. Vincent de
Coorebyter estime que le clivage marché/nature est trop imparfait pour
prendre correctement en compte les partis écologistes. Il cherche alors
à distinguer les trois strates susceptibles de mettre à jour un
nouveau clivage : un « déséquilibre
originel », « l'auto-organisation des citoyens »,
« la création de partis politiques ». Bien que son
étude porte sur les partis écologistes belges (Ecolo pour le
côté francophone et Agalev/Groen ! pour le côté
flamand), le schéma est sensiblement le même pour les Verts
hexagonaux. Nous appliquons ici cette méthode des trois strates au cas
français.
Le déséquilibre originel est commun à
tous les partis Verts européens. Il se situe dans l'avènement de
la société de consommation à partir des années
1950. L'augmentation tendancielle de la création de richesse pose pour
la première fois la question de la compatibilité entre croissance
économique et ressources naturelles finies. C'est dans ce contexte de
faste économique que nait la contradiction sociale à l'origine
des mouvements écologistes. Face au modèle productiviste et
à ses conséquences irrémédiables sur
l'environnement se lèvent une série d'acteurs pour s'y opposer.
La deuxième phase d'auto-organisation se caractérise alors par la
multiplication des associations environnementales. L'écologie
associative culmine avec le combat antinucléaire qui agrège les
composantes de la galaxie écologiste. Ces luttes menées par la
société civile finissent ensuite par prendre place dans le jeu
politique avec la création du parti des Verts en 1984.
Vincent de Coorebyter déduit de l'accumulation de ces
trois strates un cinquième clivage distinct des quatre fondamentaux. Une
ligne de fracture se dessinerait entre les entreprises d'un côté
qui recherchent d'abord le profit et les consommateurs et riverains d'un autre
côté qui tiennent avant tout à leur santé et
à leur cadre de vie. Un rapide historique de l'écologie politique
permet de distinguer les trois strates constitutives d'un clivage tant dans le
cas belge que dans le cas français. De Coorebyter conclut donc à
l'existence d'un cinquième clivage productivistes/antiproductivistes
pour situer les partis Verts. Ce canevas d'analyse a l'avantage
d'épouser les lignes du projet écologiste et d'en éclairer
la singularité.
Toutefois cette hypothèse souffre des mêmes
critiques adressées aux précédentes tentatives de
définition d'un cinquième clivage. D'abord l'analyse s'attache
aux clivages partisans belges. De Coorebyter fait le constat critiquable que le
clivage urbain/rural n'existe pas en Belgique et en déduit un nouveau
clivage. Il est donc difficile de généraliser un nouveau clivage
sur la base des particularités d'un seul pays. D'autre part ce clivage
ne revêt pas un caractère de long terme ni ne procède d'une
révolution comme les clivages de Rokkan. Dans ces conditions le clivage
mis en évidence par De Coorebyter n'est pas plus satisfaisant pour
expliquer l'émergence des partis Verts que la dichotomie d'Inglehart.
Cependant l'intuition du politiste belge correspond bien
à la logique du projet écologiste. Pour tenir compte de la
logique historique des clivages partisans nous considérons le clivage
productivistes/antiproductivistes comme une réactivation du clivage
rural/urbain. Les partis Verts proviendraient d'un conflit social territorial
issu de la révolution industrielle qui s'actualiserait dans les
années soixante-dix en un clivage productivistes/antiproductivistes. Ces
années constituent en effet un tournant. La contestation de
l'économie de marché destructrice des équilibres naturels
est catalysée par l'avènement de la société de
croissance et son cortège de ravages sociaux et environnementaux.
L'écologie politique constitue en quelque sorte le second souffle du
versant rural. Cette analyse est proche du sous clivage
écologistes/productivistes identifié par Daniel-Louis Seiler.
Toutefois les Verts en tant que parti antiproductiviste sont dans une
dialectique conflictuelle avec un nombre de partis bien plus important que les
seuls partis de défense urbaine ou autres thuriféraires d'un
libéralisme débridé. Le versant productiviste renvoie en
effet à une majorité de formations soutenant que le
« produire plus » est la planche de salut des
sociétés modernes. Ce clivage a pour conséquence un
relatif isolement que l'on retrouve dans la stratégie autonomiste
« ni droite ni gauche » des écologistes.
La mutation du mode de production des sociétés
occidentales après-guerre avec le passage au couple
production-consommation de masse a réactivé le clivage
rural/urbain en un clivage marché/nature selon D-L. Seiler. Nous
avançons ici l'idée que ce clivage se manifeste sous la forme
d'un clivage productivistes/antiproductivistes. L'émergence des
écologistes montre en effet que la ligne de fracture se situe d'abord
sur la finalité de l'organisation productive et non plus seulement sur
les modalités. L'attachement au productivisme ou sa contestation
transcende la question du rapport au marché qui reste
déterminante mais secondaire. En tant qu'écologie radicale et
contestation virulente du marché, la décroissance tend d'ailleurs
à valider l'existence de ce clivage.
***
Classer les partis verts est un challenge que beaucoup de
politistes essayèrent de relever. Trop iconoclastes pour
s'intégrer au dualisme gauche-droite et postérieures aux clivages
développés par Rokkan et Lipset, les formations
écologistes ne se laissent situer dans l'espace politique qu'au prix
d'une certaine reformulation théorique. Malgré leurs bonnes
intuitions les définitions d'un cinquième clivage
postmatérialistes/matérialistes ne résistent pas à
l'examen du « temps long » dont nous avons vu qu'il
était une condition inévitable pour saisir la nature profonde
d'un parti. A l'aune de la logique du projet écologiste nous avons
tenté d'établir que les Verts se structurent sur un clivage
productivistes/antiproductivistes issu du clivage fondamental rural/urbain.
Dans ce cadre la décroissance se veut l'expression extrémiste du
versant antiproductiviste. Elle revient à la source de ce clivage pour
en réactiver le potentiel identitaire.
Toutefois si les partis Verts, et les partis politiques en
général, sont issus d'un clivage particulier cela ne les
empêche pas de les transcender : « les clivages
engendrent les partis politiques pour, ensuite et plus tard les
traverser »197(*). Dans une certaine mesure la décroissance
conduit à rapprocher les écologistes du versant travailleurs du
clivage possédants/travailleurs comme l'atteste le partage de nombreux
combats avec les partis de gauche. A partir des travaux de Jean et Monica
Charlot198(*) nous
pourrions d'ailleurs caractériser l'attitude du parti Vert
français à l'égard des autres clivages avec des dominantes
particulières. Ainsi Les Verts auraient une dominante forte sur le
versant antiproductiviste du clivage productivistes/antiproductivistes et sur
le versant travailleurs du clivage possédants/travailleurs en
vertu des imbrications entre les projets qui sous-tendent ces deux versants.
D'autre part, ils auraient une dominante moins prononcée sur les autres
clivages (parti autonomiste et anticlérical).
Après avoir distingué les logiques structurales
des partis écologistes, il importe de les envisager sous un angle
« micro-politique » pour mieux mettre en exergue
l'influence de la décroissance.
Chapitre 6 : Approche conceptuelle de l'identité
partisane des Verts français
L'approche par les clivages socio-historiques nous a permis
de situer le projet idéologique des partis Verts dans une optique de
long terme et de mieux cerner l'influence de la décroissance. Cette
hauteur de vue n'est cependant pas suffisante pour mettre à jour une
influence spécifique sur l'identité partisane du parti
écologiste français.
Nous présenterons ici une autre gamme d'outils
conceptuels issus de l'approche entrepreneuriale des partis politiques. Cette
tradition d'analyse dans la lignée des Weber, Michels ou encore
Schumpeter se focalise en outre sur les enjeux et rapports de force internes
aux partis. Le regard du chercheur ne se porte plus sur les contradictions
sociales qui structurent l'espace politique mais sur les tensions qui
traversent les formations partisanes. Dans ce cadre nous accorderons un
intérêt particulier au processus permanent de construction
identitaire dont les partis sont l'objet. Ces derniers sont en effet des
entités composites qui évoluent au gré des luttes de
pouvoir et des modifications de ses enjeux propres. Ils contiennent une
diversité d'acteurs qui produisent chacun du sens et façonnent
l'identité du parti en s'appropriant l'idéologie à leur
manière. L'approche entrepreneuriale des partis offre alors une grille
de lecture opportune pour ciseler les implications de la décroissance
dans la matrice identitaire des Verts français.
Les partis peuvent donc être définis comme des
entreprises idéologiques et culturelles. Leur objectif d'accession au
pouvoir ne se fait cependant qu'au prix d'une production identitaire
cohérente qui en fait des « institutions de
sens ». L'identité partisane n'est pas pour autant
figée et donne lieu à des logiques stratégiques et de
représentations différentes.
1. Les partis comme
entrepreneurs doctrinaux et culturels
L'approche par l'idéologie a connu des modifications
substantielles depuis la définition par Maurice Duverger des partis
comme « groupements idéologiques ». Ce type
d'analyse prête le flanc aux critiques d'une conception essentialiste des
doctrines partisanes. Il est en effet trop restrictif de considérer un
parti politique comme un tout idéologique uniforme d'autant que
les fondements idéologiques sont souvent difficiles à saisir. Les
politistes ont tenté de remédier à ces défauts en
mettant en avant le caractère « entrepreneurial »
des formations partisanes. Les partis sont envisagés comme des
entreprises de conquête du pouvoir agissant sur des marchés
politiques. Malgré l'intérêt de cette approche il convient
de ne pas négliger les dimensions culturelles et sociétales des
partis.
La notion de parti entreprise permet d'utiliser
l'idéologie comme un moyen d'investigation de l'identité
partisane. Mais cette recherche ne peut parvenir à son but que si l'on
considère l'ancrage culturel des partis.
La notion de
parti-entreprise
Avant de caractériser les partis politiques comme des
entreprises doctrinales ou culturelles, il est nécessaire de
définir au préalable la notion de parti-entreprise. Par analogie
avec la théorie économique, les partis sont
considérés comme des entreprises de représentation en
compétition politique avec d'autres formations pour gagner le droit de
représenter les électeurs.
L'approche entrepreneuriale fait référence
à un objectif central des partis mis en exergue par La Palombra et
Weiner : « la volonté délibérée
des dirigeants nationaux et locaux de l'organisation de prendre et d'exercer le
pouvoir »199(*). Le but ultime de toute organisation partisane est
de présenter une offre politique pour gagner les élections. Cette
considération appelle une définition plus restrictive des partis
politiques que formule Max Weber. Selon le sociologue allemand
« on doit entendre par parti des sociations reposant sur un
engagement (formellement) libre ayant pour but de procurer à leurs chefs
le pouvoir au sein d'un groupement et à leurs militants actifs des
chances (idéales ou matérielles) de poursuivre des buts
objectifs, d'obtenir des avantages personnels ou de réaliser les deux
ensembles »200(*). On retrouve l'orientation des partis vers le
pouvoir qu'il s'agisse d'intérêts personnels ou de victoires
électorales. Le parti est envisagé comme relation sociale
(« sociation ») basée sur un compromis
d'intérêts rationnellement légitimes en valeur ou en
finalité. Sous réserve de ces précisions, la
définition de Weber initie l'approche des formations partisanes en tant
qu'entreprises politiques. Elles se situent sur un « marché
politique » et entrent en « concurrence pour le
courtage politique » afin « d'échanger des
biens politiques contre des soutiens actifs ou
passifs »201(*). La conquête des positions de pouvoirs
constitue donc l'ultima ratio des partis considérés
comme des entreprises politiques. La concurrence s'exerçant sur le
marché interne (lutte pour les postes dans l'appareil partisan,
rétributions matérielles, ...) et externe (participation
électorale).
Le politiste Michel Offerlé a repris ce cadre d'analyse
entrepreneurial en empruntant tant à Max Weber qu'à la
théorie des champs de Bourdieu. Dans son optique il s'agit
d'étudier les partis non seulement comme des entreprises politiques
à la conquête du pouvoir mais aussi comme un champ de
force, c'est-à-dire un espace de concurrence objectivé entre
des agents qui luttent pour le contrôle des ressources collectives comme
la définition légitime du parti, le droit de parler en son nom,
le contrôle des investitures, etc. Autrement dit, l'étude des
partis ne se limite pas aux interactions repérables sur l'écume
du jeu politique. Elle doit surtout démontrer le liant qui
unifie les agents en dépit de la compétition à laquelle
ils se livrent.
Si l'on évite l'écueil de tomber dans un
utilitarisme excessif, l'approche entrepreneuriale des partis politiques a le
mérite de soulever la complexité du phénomène
partisan. Les partis ne se résument pas à des blocs
d'idées monolithiques qui s'opposent. Ils résultent au contraire
de dynamiques concurrentielles qui ont toutes en point de mire la
conquête des positions de pouvoirs. Cette approche est alors
particulièrement utile pour tenter de rénover les analyses
classiques des partis au prisme de leur idéologie.
L'idéologie comme
moyen d'investigation de l'identité partisane
L'étude de l'idéologie des formes partisanes
est souvent montrée du doigt pour son manque de rigueur. Il est vrai que
l'explication du phénomène partisan par l'examen des discours et
des programmes a quelque chose de fragile tant ces éléments
fluctuent au fil du temps. Nonobstant ces critiques nous soutenons ici,
à l'instar d'Alexandre Dézé dans son étude du Front
National202(*), que
l'idéologie constitue encore une voie féconde pour
appréhender les partis politiques et notamment le parti
écologiste. Ainsi nous avons pu démontrer plus haut que
l'idéologie du parti Vert reposait sur un invariant politique
émanant d'une contradiction sociale historique. Au-delà des
analyses de contenu il s'agit d'aborder maintenant « les
modalités de production, de diffusion ou de
réception »203(*) de l'idéologie.
Définir clairement ce que recouvre le terme
idéologie est un exercice difficile voire impossible. David McLellan
considère que c'est le « concept le plus élusif des
sciences sociales »204(*). A défaut d'une définition stable il
est possible de poser quelques jalons. Le sociologue Pierre Ansart parle d'un
« système d'idées, de représentations et
d'images dont on accorde qu'il vise davantage l'action que la
connaissance »205(*). L'ensemble de ces significations tend à
dresser une certaine « vision du monde »206(*) qui constitue la doctrine du
parti. Alexandre Dézé note que les travaux des politistes se sont
majoritairement orientés vers la recherche d'une taxinomie sur la base
de l'idéologie comme élément structurant de
l'identité partisane (il dénombre soixante labels pour
définir l'extrême droite). Utiliser l'idéologie comme moyen
d'établir une typologie légitime demeure néanmoins
lacunaire à plusieurs égards. Cette approche repose sur des
raccourcis méthodologiques (sur quels critères définir le
corpus idéologique du parti ?) et véhicule une conception
essentialiste forcément instable. L'idéologie reste
étudiée pour ce qu'elle donne à voir à
l'observateur profane. Or l'idéologie n'est pas réductible aux
seuls discours des dirigeants et aux tracts nationaux. Le politologue Michel
Hastings remarque que « chaque catégorie d'agents
partisans contribue à entretenir une pièce du dispositif
identitaire et idéologique du parti. Electeurs, sympathisants,
militants, dirigeants, élus, intellectuels, chacun s'emploie avec son
langage, ses visions du monde, ses rites d'action à définir les
propriétés du groupe, en en fixant l'identité autour de
marques et de repères jouant comme autant de frontières
symboliques »207(*). L'idéologie d'un parti ne s'impose donc pas
par nature. Elle est le fruit d'une multitude d'acteurs et
« s'exprime à travers toutes les paroles
partisanes »208(*).
La conception substantialiste des identités partisanes
ne supporte pas non plus l'examen. En effet les identités
évoluent en fonction des contextes politiques mais aussi de la
manière dont les militants intègrent les traditions, apprennent
le langage et appliquent les règles qui fondent un dessein commun.
Nathalie Ethuin le résume clairement, « les
identités collectives sont malléables et perméables ;
elles sont la résultante d'un perpétuel travail de construction
et de recomposition »209(*).
L'analyse entrepreneuriale des partis politiques permet de
mettre en lumière certains points aveugles des approches
idéologiques « classiques ». L'identité d'un
parti ne se limite pas à la propagande faite pour soutenir une
« vision du monde ». Elle est un construit social qui a
aussi une dimension culturelle.
Les partis comme
entreprises culturelles
Le paradigme entrepreneurial a fait florès dans la
recherche consacrée aux partis politiques quitte à
reléguer au second plan l'ancrage sociétal des partis. Il demeure
néanmoins intéressant de ne pas négliger les dimensions
culturelles et sociétales, ce que permet le concept
« d'entreprises culturelles ».
Ces dernières décennies beaucoup de politistes
ont utilisé l'approche entrepreneuriale pour expliquer le
phénomène partisan. Aux Etats Unis notamment l'organisation
stratarchique210(*) des
partis a souvent été interprétée comme l'adaptation
à la spécificité du marché politique. Ce
succès n'est d'ailleurs pas nouveau. Dans les années soixante,
Otto Kirchheimer avait déjà défini la notion de
« catch-all-party »211(*) ou « parti
attrape-tout ». Pour lui, les partis entretiennent un discours
idéologique volontairement peu clivant pour gagner un électorat
le plus large possible. Les politistes ont longtemps renâclé
à transposer ces analyses au cas des partis européens. Toutefois
l'érosion de la participation interne aux partis et la
professionnalisation des acteurs politiques ont précipité un
changement d'analyse. Richard Katz et Peter Mair actent ainsi
l'américanisation des partis européens devenus des
« partis cartels » financés par l'Etat et
dirigés par des professionnels de la politique212(*).
Cependant la simple appréhension des partis en termes
de lutte concurrentielle pour le pouvoir ne suffit pas expliquer à
expliquer le phénomène partisan et a fortiori le
traitement de son idéologie. Suivant Frédéric Sawicki, il
nous semble pertinent de ne pas occulter la culture partisane définie
comme un ensemble de « cadres cognitifs et normatifs
objectivés dans des règles et un
langage »213(*). Cette culture n'est pas figée, elle est
« l'enjeu permanent de luttes entre acteurs aux dispositions et
ressources politiques et sociales différentes qui tentent de les
pervertir, de les aménager ou de les
perpétuer »214(*).
Les partis sont donc des entreprises politiques à
trois égards : ils cherchent à maximiser leurs gains
électoraux ; constituent des groupements d'entrepreneur en
compétition pour obtenir des postes ; et sont aussi des entreprises
« en interaction permanente et de multiples manières avec
leur environnement social ». C'est en ce sens que F. Sawicki
décrit les partis comme « entreprises culturelles ».
Ce concept permet de saisir plus finement les dynamiques à l'oeuvre dans
un parti en conciliant la dimension entrepreneuriale et la culture du parti.
Contrairement à l'approche entrepreneuriale classique les enjeux
identitaires ne sont pas oubliés. Au contraire ils sont au coeur de la
recherche d'un équilibre entre finalités stratégiques et
identitaires.
L'étude des partis sous l'angle d'entreprises
culturelles permet de mettre à jour les dynamiques sous-jacentes au jeu
partisan. L'idéologie fait alors l'objet d'un compromis constamment
renouvelé entre objectif d'accéder au pouvoir et la culture
partisane. Ces logiques tantôt contradictoires, tantôt
complémentaires (les enjeux identitaires peuvent augmenter les chances
d'arriver aux positions de pouvoir), s'expliquent particulièrement bien
à travers la notion « d'institution de sens ».
2. Les partis instituteurs
de sens
Dans une perspective socio-anthropologique, Michel Hastings
décrit les partis politiques à travers la notion
« d'institution de sens »215(*). Le parti est envisagé comme
régulateur de la dialectique profonde entre l'individuel et le
collectif. Il administre un système de sens complémentaire et
indissociable d'un « système des tâches ».
L'approche originale développée par M. Hastings prolonge la
dimension entrepreneuriale. C'est justement parce que le parti est un
entrepreneur doctrinal et culturel légitime à proposer une
« vision du monde » qu'il produit du sens. Or ce sens se
retrouve aussi bien dans les idées défendues dans le jeu
politique que dans la culture partisane. Le parti comme institution de sens est
donc une focale intéressante pour connaitre des tensions qui traversent
l'identité partisane.
L'administration du sens par l'organisation partisane vise
à construire une « structure de sens » dont la
cohérence est entretenue par un « récit
identitaire ».
La construction d'une
« structure de sens »
Pour qu'un parti accède à ses fins,
c'est-à-dire aux positions de pouvoirs, il lui faut susciter une
identification de ses membres à la forme collective partagée.
L'entreprise des intéressés au sens de Weber dépasse la
recherche d'intérêts matériels. Elle s'inscrit
résolument dans une « trame de sens », un ensemble
de croyances, de normes, de valeurs, de symboles et de représentations
qui font système et forgent un imaginaire collectif. Le parti comme
instituteur de sens a donc pour but d'administrer, de modeler les
différentes composantes de l'identité collective pour faire
advenir des significations communes.
Pour réaliser « la présence du
social dans l'esprit de chacun »216(*), les représentations
de l'être ensemble se fondent dans une institution entendue selon Hauriou
comme une « idée d'oeuvre ou d'entreprise qui se
réalise et existe juridiquement dans un cadre social ; par la
réalisation d'une telle idée s'organise un pouvoir qui lui
fournit des organes ; d'un autre côté, entre les membres du
groupe social qui est intéressé à la réalisation de
l'idée se mettent en place des manifestations communautaires,
dirigées par les organes du pouvoir et règlementées par
des procédures »217(*). Autrement dit, le parti en tant qu'institution est
en charge de créer le cadre d'interprétation de la vision du
monde partagée par les acteurs.
Cette approche par l'institution de sens permet de mettre
à jour les différentes tensions à la fois sociales et
historiques qui traversent depuis l'origine les partis politiques. La
première que remarque Michel Hastings est celle de l'ordre et du
désordre. Cette dynamique fait fortement écho aux travaux
sur la « génétique partisane » de S. Rokkan
et D-L. Seiler. Dans cette perspective les partis sont perçus comme les
agents politiques de conflits sociaux historiques. Le parti administrateur de
sens apporte alors un double intérêt. L'administration du sens
consiste en effet souvent à jouer sur les clivages plus ou moins
endormis afin de réactiver leur potentiel identitaire. D'autre part
cette approche a aussi l'avantage de rendre compte de la diversité
intra-partisane et des déchirements qui peuvent avoir lieu à
propos des orientations doctrinales du parti.
Dans la même veine, le politiste établit une
dynamique du haut et du bas qui pose la question de
l'homogénéité du parti. Malgré un substrat culturel
commun, le parti contient des sensibilités plurielles qui s'imbriquent
les unes aux autres. Le travail d'administration du sens conduit à
mobiliser ces différentes cultures hétérogènes en
fonction des temporalités et des territoires. Une ligne directrice
établie par les instances dirigeantes du parti peut ainsi être
nuancée voire modifiée pour s'inscrire dans la
réalité des contextes localisés et de leurs traditions.
D'autant que chaque agent partisan (élu, militant, sympathisant,...)
prend part de fait à la construction du dispositif identitaire du parti.
La théorie des clivages a montré que les partis
étaient issus d'un conflit social fondateur, d'une rupture profonde
entre deux projets de société. Par conséquent ils dressent
et incarnent une certaine conception du monde. Dans une dynamique du
relatif et de l'absolu le sens qu'il produit ne se limite pas aux
pratiques politiques mais a une vocation universelle. Son message
idéologique a pour but de pénétrer le monde social
« non pas comme un langage superficiel ou comme une seule
apparence, mais bien comme un langage englobant, un surcode, susceptible
d'intervenir à tous les niveaux et sur toutes les
actions »218(*). La portée universelle du discours
idéologique est à mettre en perspective avec la dynamique du
dedans et du dehors. Cette dernière s'entend comme la
« dialectique des rapports entre l'en-groupe (avec ses exigences
propres d'identité et de reconnaissance sociale) et le hors-groupe (avec
les contraintes changeants et jamais totalement maitrisées des divers
environnements) »219(*). L'idée d'organisation « double
face » se retrouve en filigrane dans toute l'approche des partis
comme entreprise doctrinale et culturelle. Il y aurait une face tournée
vers l'extérieur (électeurs, médias,...) et une autre
tournée vers l'intérieur (dirigeants, militants,...). Le parti
instituteur de sens procède donc d'un agencement permanent entre ces
deux faces aux logiques identitaires et stratégiques différentes.
Le liant entre les deux dimensions d'un même parti se fait à
travers un récit identitaire.
Le récit
identitaire, ciment des organisations partisanes
L'unité et partant la survie d'un parti
dépendent de sa capacité à conserver une
homogénéité culturelle à travers un
« récit identitaire ». Ce récit prend la
forme d'un système de sens dont l'importance est cruciale pour
définir un « nous en politique »220(*). L'hypothèse de base
est ici que les partis constituent ce que le sociologue Alessandro Pizzorno
appelle des « matrices de cultures et d'identités
politiques »221(*). Selon Weber les partis sont des entreprises
d'intéressés qui recherchent des rétributions
matérielles ou immatérielles, le but du récit identitaire
est alors de forger un sentiment d'appartenance incontestable au groupe. Dans
une perspective mertonienne il permet de faire passer ce groupe de
l'état latent à une communauté manifeste dont les membres
défendent ensemble les intérêts. Le récit
identitaire relie ainsi les deux « faces » interne et
externe du parti.
Il est possible de distinguer trois éléments
constitutifs du récit identitaire. C'est d'abord un lieu de
mémoire au sens de Pierre Nora222(*). Le parti est le dépositaire d'une histoire,
son histoire, qui fait le lien avec le passé mais aussi avec l'avenir.
Comme le remarquait Michel Leiris, l'histoire est au centre de la culture d'un
parti puisque celle-ci « apparait d'un côté comme le
produit de ses expériences [...] et que d'un autre coté
elle offre à chaque génération montante une base pour le
futur »223(*). Le rapport partisan à la mémoire
renvoie aussi à la manière dont les partis façonnent le
passé pour lui donner une clé d'explication politique.
L'administration du sens se traduit par une mise en récit d'une
continuité historique entre le passé et l'action politique
contemporaine. Le passé est réactivé à travers des
rites et des commémorations qui marquent une certaine permanence
identitaire.
Le parti se présente également comme
un lieu de parole. Le pouvoir du Verbe est déterminant
dans la construction du système de sens du parti. Le caractère
performatif du discours transforme les formations partisanes en entreprises
politiques qui cherchent, par les mots, à toucher les acteurs
(sympathisants, électeurs) et à changer leur
représentations mentales en leur faveur. Mais si la parole politique
contient une forte charge idéologique en véhiculant un ensemble
d'idées et de valeurs, elle participe aussi largement à
l'ingénierie identitaire par lequel le parti transforme le groupe en
communauté politique soudée. A travers une série de mots
marqueurs, de mots totems, « le discours partisan fabrique ses
visions du monde autour d'un jeu de référents identitaires
destinés à marquer les frontières du territoire symbolique
de son "nous" »224(*). Bien entendu les stratégies discursives
varient d'un parti à l'autre. Pour les Verts comme pour la plupart des
petits partis le discours tend à s'opposer radicalement aux
modèles idéologiques et intellectuels ordinaires dans lesquels se
retrouvent les formations réformistes. La prégnance de
l'antiproductivisme dans les discours écologistes ne peut que confirmer
cette thèse.
Enfin le récit identitaire se base sur les
matrices affectives des partis. Les emprunts conceptuels à la
psychologie et à la psychanalyse permettent d'éclairer la
dimension encore peu connue des mythes et des passions identitaires au sein des
partis. Cette dimension socio-affective se comprend à l'aune des
logiques conflictuelles qui sous-tendent le fait partisan. Les clivages du jeu
politique s'inscrivent dans le système de sens partisan, ils
créent des antagonismes qui cristallisent des sentiments de
loyauté et de solidarité à l'égard d'un camp. De
même sur le plan interne les déchirements, les trahisons ou les
mouvements d'affection et de confiance sont autant de preuves de l'importance
de « l'émotion en politique » pour reprendre le
titre d'un ouvrage de Philippe Braud225(*).
Etudier les partis en tant qu'institution de sens permet de
mieux comprendre les dynamiques complexes qui les traversent. Entrepreneurs
idéologiques, les partis ont néanmoins besoin de se conformer
à leur récit identitaire pour établir un système de
sens cohérent. Cette affirmation peut être relativisée
aujourd'hui pour les partis de masses au regard de leur perte
d'intensité idéologique et de la dilution des instances de
formations culturelles dans la multiplication des réseaux. La tendance
n'est cependant pas la même pour les partis écologistes et
protestataires au sens large. La proposition d'un modèle alternatif
global les maintient comme institution de sens malgré des contradictions
internes parfois violentes.
3. Des logiques de
représentations différentes
La perspective des partis comme institutions de sens conduit
à évoquer la pluralité des usages de l'idéologie et
les imbrications avec les stratégies politiques. Tenus par l'obligation
de résultat électoral, les partis doivent aussi soigner la
cohérence de leur récit identitaire. Les tensions qui traversent
les matrices culturelles des partis donnent ainsi lieu à des logiques de
représentations différentes. L'équation entre
intégration au jeu politique et volonté de se différencier
est centrale pour toute organisation partisane. Elle détermine de
manière essentielle l'intensité idéologique du parti.
L'identité partisane est donc un enjeu de lutte
intra-partisane entre les stratégies contradictoires de
compétition électorale et de représentation doctrinale.
L'identité partisane
enjeu de lutte interne
L'approche en termes d'administration du sens démontre
l'idée de « parti dual »226(*) formulée par Jean
Charlot. Le parti a deux visages : un visage tourné vers
l'extérieur et un autre tourné vers l'intérieur. Les
représentations que donne à voir le parti à
l'extérieur entrent évidemment en résonnance avec celles
établies en interne. Or un parti comprend une diversité qui
engendre des contradictions politiques que ce soit entre les dirigeants et les
militants ou entre sensibilités organisées. L'identité
partisane est alors un objet de lutte de par
l'hétérogénéité culturelle des
différents acteurs.
Les partis sont régis par un ensemble de règles
cognitives qui sont constitutives de l'identité et de la culture
partisane. Ces règles sont contraignantes pour les acteurs puisqu'elles
s'attachent à rendre intelligibles les actions communes pour rendre
manifeste le cadre de l'être ensemble. Comme nous l'avons
déjà vu, ces règles sont évolutives. Elles sont
l'objet de tensions permanentes entre les acteurs qui n'ont pas
forcément les mêmes motivations et ne disposent pas des
mêmes ressources politiques et sociales. Les « postulats de
base », entendus au sens d'Edgar Schein227(*) comme des valeurs si
consensuelles qu'elles deviennent invisibles, sont assimilées par les
acteurs. Toutefois les membres d'un parti ne les assimilent pas de la
même manière. Tous n'accordent pas la même importance aux
mêmes valeurs. De façon identique les adhérents ont une
perception inégale des repères qui constituent la vision du monde
du parti. Chaque individu membre se réapproprie donc la culture
partisane et participe dans le même temps à sa construction. Il
existe donc une multiplicité des appartenances culturelles qui
empêche une homogénéisation identitaire totale du parti.
Marc Lazar souligne à ce titre que la direction d'un parti a des moyens
limités pour réaliser cette harmonie culturelle. Elle met en
avant des valeurs principales et hiérarchise ses priorités mais
ne peut empêcher les luttes internes qui en découlent228(*).
Dans ce cadre l'idéologie joue un rôle
prépondérant. Elle est à la fois le socle du récit
identitaire interne et la vitrine du parti sur l'échiquier politique.
Pièce essentielle de l'identité collective elle met aussi aux
prises les acteurs qui souhaitent l'orienter dans le sens de leurs
intérêts. En dépit de la complexité identitaire des
partis il est possible de distinguer deux grandes tendances. Une
première attentive en priorité au visage « hors
groupe » du parti pour maximiser les chances de succès
électoraux. Une seconde fermement attachée aux fondements
idéologiques du parti qui défend des objectifs idéels
quitte à s'isoler du système politique.
Logique de
compétition électorale
Dans son étude des formations écologistes
belges et ouest-allemandes, Herbert Kitschelt formalise un continuum
théorique pour caractériser les options stratégiques d'un
parti229(*). Il
distingue une logique de « représentation du noyau
militant » d'une logique de « compétition
électorale ». Ce schéma reprend un certain nombre
d'analyses duales qui s'intéressent au rapport du parti à
l'idéologie (dichotomie entre « parti de patronage » et
« parti de principes »230(*) ; « parti pragmatique » et « parti
idéologique »231(*) ; « parti d'électeurs » et «
parti de militants »232(*)). La logique électorale s'inscrit dans la
dimension d'entrepreneur politique. Elle consiste à mettre le parti en
ordre de bataille (organisation, programme, ...) pour concourir au mieux sur le
marché politique. L'objectif est de capitaliser un nombre maximum
d'élus quitte à prendre quelques largesses avec la doctrine du
parti. La logique de compétition électorale va de pair avec une
stratégie d'adaptation au système politique, ce qui vaut adoption
des règles institutionnelles.
Or dans les démocraties représentatives et
particulièrement en France, le principe majoritaire tend à
ostraciser les petits partis. Le phénomène majoritaire est en
effet institué par un ensemble de normes qui limite le pluralisme. Le
mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours (élections
présidentielles et législatives), la loi de financement des
partis politiques ou la réglementation de l'accès aux
médias sont autant d'éléments discriminants envers les
partis minoritaires. Ces règles maintiennent une sorte de plafond de
verre qui prive les petits partis de concurrencer le pouvoir avec les
mêmes chances que les grandes formations. Murray Eldelman233(*) va même plus loin. Il
explique que l'idéologie dominante telle que produite et
véhiculée par les grands partis se fond si bien dans la
réalité qu'elle n'apparait même plus comme
idéologique. Proposer un projet alternatif allant à l'encontre de
ce système d'idées et de valeurs ancré dans l'univers
mental serait immédiatement perçu comme utopiste. Face à
cet ensemble de règles et d'entraves, les petits partis n'auraient alors
d'autre choix que d'intégrer la contrainte majoritaire dans leur
identité en assouplissant leurs positions idéologiques et en
acceptant les alliances avec les partis majoritaires234(*).
A cette première logique purement entrepreneuriale s'y
confronte une autre qui refuse cette évolution et prône
l'orthodoxie doctrinale.
Logique de
représentation doctrinale
La logique de « représentation du noyau
militant » selon l'expression de Kitschelt est centrée sur les
fondamentaux du parti. L'accession aux positions de pouvoirs ne peut se faire
au détriment de la cohérence idéologique. Au contraire le
but est de changer l'idéologie dominante en proposant un
contre-modèle. Cette logique éclaire le visage
« interne » du parti, le « dedans »,
avec un attachement fort à l'identité du parti. L'organisation
partisane n'est pas seulement entendue comme une entreprise
d'intéressés à la concurrence électorale. Elle est
un lieu de socialisation pour les adhérents qui y trouvent une certaine
forme de reconnaissance sociale. En effet l'identité
« n'est autre que le résultat [...] des divers
processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et
définissent les institutions »235(*). Défendre la matrice
culturelle et identitaire du parti devient alors un objectif tout aussi
important que celui d'obtenir des postes d'élus.
Sur le plan interne cette logique doctrinale peut se traduire
par un attachement à des règles protocolaires qui transposent
l'identité du parti. Florence Faucher a ainsi mis en exergue un
« souci de soi » permanent chez les Verts français
à travers le principe de faire de la politique "autrement"236(*). La promotion d'une culture
politique alternative se retrouve chez les écologistes dans leur
pratique de la démocratie continue et leur refus de la
professionnalisation. Pour les partis minoritaires, la logique doctrinale peut
mener à une stratégie de
« démarcation » sur le plan externe du jeu
politique. Elle consiste à se situer aux marges du système
politique et d'argumenter par un discours radical mobilisant les fondements
idéologiques du parti. Cette posture contestataire refuse
l'intégration au système politique et les échéances
électorales n'ont qu'une importance secondaire. Le but est avant tout de
s'opposer au modèle dominant. Une autre stratégie moins radicale
est néanmoins possible. La « différenciation
contestataire »237(*) permet aux partis de prendre part au système
politique tout en assurant la cohésion identitaire par des positions
alternatives à ce même système.
L'approche idéologique permet donc de mieux voir les
dynamiques conflictuelles internes des partis. Toutefois les stratégies
d'adaptation ou de démarcation se placent aux extrémités
d'un même continuum théorique et coexistent au sein des
organisations partisanes. Comme nous l'avons remarqué, un parti n'est
pas une entité culturelle unifiée. Il ne faut donc pas voir dans
ces logiques deux blocs qui s'opposeraient mais des repères pour
comprendre les tensions permanentes qui traversent et remodèlent
l'identité partisane.
***
Les partis ne sont pas seulement des entreprises qui
proposent une offre sur le marché politique en espérant
recueillir la plus forte demande. Toutefois la notion de « parti
entreprise » est utile pour saisir les mécanismes complexes
qui fondent l'identité partisane. Si le parti cherche en premier lieu
à acquérir des positions de pouvoirs en s'intégrant au
système politique, il ne peut y parvenir au détriment de son
intégrité idéologique originelle. Une formation partisane
est en effet bâtie sur un ensemble d'idées, de valeurs, de
symboles, de mémoires, de rêves qui constituent un système
de sens. Ce dernier est indispensable aux adhérents pour se retrouver
ensemble autour d'une même conception du monde. On devine alors les
oppositions qui peuvent se faire jour entre les partisans d'une
stratégie de compétition électorale et les gardiens d'une
certaine orthodoxie idéologique.
Ces contradictions internes qui font que l'identité
est en perpétuel mouvement se retrouvent avec acuité dans les
petits partis et d'autant plus chez les écologistes. Alors que le parti
Vert français semble gagner ses galons d'acteur politique
crédible auprès des électeurs, la question de son
intensité idéologique est plus que jamais d'actualité. Le
prisme de la décroissance est une focale intéressante pour
l'analyser.
Conclusion Titre II
Au prix d'une certaine reformulation de la théorie des
clivages nous avons essayé de mettre en avant l'ancrage des partis Verts
sur un clivage productivistes/antiproductivistes. Cette classification nous
renseigne sur la logique de long terme qui sous-tend le projet
écologiste. Les écologistes s'opposent structurellement aux
promoteurs du productivisme destructeur des écosystèmes et
prônent à l'inverse un mode de vie plus sobre et respectueux de
l'environnement. La décroissance se retrouve également sur ce
clivage. Par sa remise en cause radicale de la société de
croissance et du libéralisme elle s'apparente à une manifestation
extrémiste du versant « antiproductivistes ». Avec
une différence de degré, décroissance et partis Verts
procèdent des mêmes racines socio-historiques.
D'autre part nous avons voulu compléter l'analyse par
une approche entrepreneuriale pour permettre de mieux saisir la place de la
décroissance dans l'identité des Verts français. Cette
approche complémentaire remédie aux limites du paradigme des
clivages qui n'offre pas la possibilité (ce n'est d'ailleurs pas son
objectif) de distinguer la diversité intra-partisane ni la
manière dont les partis renforcent ou réduisent l'empreinte des
clivages. Réfléchir les partis comme entreprises culturelles et
institutions de sens admet la conciliation d'une vision culturaliste et
socio-anthropologique. Les stratégies partisanes sont en effet
l'émanation d'une culture issue de la logique du conflit mais les partis
ont aussi prise sur le réel et agissent comme des
« architectes du social »238(*).
Pour comprendre l'influence de la décroissance sur le
parti écologiste français il faut s'en référer aux
dynamiques complexes qui structurent l'identité partisane et à la
manière dont les partis redéfinissent leur idéologie en
interaction avec leur environnement social et culturel. La décroissance
est alors un cas d'école pour démontrer comment un parti peut
concilier ambition électorale et intégrité identitaire.
Titre Trois : La réappropriation de la
décroissance par les Verts français
La décroissance est un sujet de débat difficile
chez les Verts français. Bien qu'elle réactive l'identité
antiproductiviste, la confrontation de cette écologie radicale à
la matrice idéologique du parti amène un certain malaise. Depuis
l'entrée dans le champ partisan au milieu des années
quatre-vingt, le parti écologiste s'est progressivement
institutionnalisé en s'affirmant comme parti de gouvernement. D'un autre
côté, les petits partis n'ont d'autre choix que de continuer
à mener une stratégie de différenciation
idéologique pour espérer peser sur le jeu politique.
Dans ce cadre, concilier intégration de la logique
majoritaire et intégrité idéologique est une
équation complexe à laquelle se mesurent les petits partis. La
décroissance illustre au mieux cette difficulté pour le parti
Vert. Le parti écologiste français se livre à un travail
de réappropriation du concept de décroissance inévitable
pour rester cohérent avec son récit identitaire interne.
Toutefois cette intégration est à contrebalancer avec le
processus d'institutionnalisation du parti. La décroissance est
dès lors requalifiée et euphémisé pour ne pas
compromettre l'ascension électorale. Pourtant la base militante
écologiste reste sensible aux idées de la décroissance.
Chapitre 7 : Une organisation partisane en voie
d'institutionnalisation
La décision d'entrée dans le jeu politique ne
fut pas simple à prendre pour les écologistes. La création
des Verts en 1984 est précédée de vives discussions sur
l'opportunité de « politiser l'écologie »
sous une forme partisane. Le mouvement écologiste s'était
jusqu'à alors construit en opposition aux partis politiques
traditionnels et à l'Etat notamment à travers la lutte
antinucléaire. Beaucoup d'écologistes étaient donc
réfractaires à l'idée d'édifier un parti de
l'écologie (une partie d'entre eux préférant rester dans
le combat associatif). Sous l'effet de sa participation régulière
aux élections, le parti Vert va progressivement intégrer la
logique majoritaire du jeu politique. L'objectif n'est plus seulement de
sensibiliser le pouvoir aux thèses écologistes mais d'exercer des
responsabilités pour les mettre en oeuvre.
Les Verts agissent en tant qu'entreprise politique pour
remporter des positions de pouvoirs face à la concurrence
électorale. Confronter l'écologie politique à
l'épreuve du pouvoir consiste d'abord à mettre en branle
l'organisation du parti pour la compétition politique. La
stratégie des alliances pour conjurer le système majoritaire est
également assumée.
1. L'évolution
historique vers un parti de gouvernement : une volonté
assumée d'accéder au pouvoir
Dans leur jeune histoire, les Verts semblent tenus par un
mouvement de modération. Ce dernier n'est pas uniforme, connu des heurts
et des retours en arrière, mais une tendance générale
à l'institutionnalisation du mouvement vert s'esquisse. Nous veillerons
ici à ne pas décrire une téléologie du parti
écologiste qui ferait fi du contexte socio-politique global dans lequel
ces évolutions s'inscrivent. Il n'y a pas de déterminisme
historique qui impulserait une vocation du parti écologiste à
devenir majoritaire. Au contraire l'histoire des Verts est parsemée de
périodes d'extension suivies de replis tout aussi importants. A titre
d'exemple, le sociologue Alain Touraine qui pronostiquait que le mouvement
antinucléaire supplanterait le mouvement ouvrier a depuis reconnu ses
torts.
Pour éclairer le processus d'institutionnalisation des
écologistes nous retiendrons trois étapes qui jettent les bases
de l'intégration de la logique majoritaire par le parti. La
structuration difficile d'un mouvement de l'écologie unifié
constitue la première. La deuxième concerne l'institution d'un
parti écologiste propre. Enfin l'entrée des Verts dans les
institutions, en particulier au Parlement et au gouvernement de
« majorité plurielle », parachève la stature
de parti de gouvernement.
La structuration laborieuse
des écologistes en mouvement unifié
Créer un parti écologiste n'allait pas de soi
avant 1984. Au contraire elle fut le fruit de débats intenses et
controversés sur la meilleure manière de faire triompher les
thèses de l'écologie politique. La nature libertaire des premiers
mouvements écologistes a conduit longtemps au refus pur et simple de
toute organisation politique. Quand celle-ci fut enfin acceptée, le
concept de parti fut encore repoussé pendant un certain temps. L'analyse
de la structuration tumultueuse de l'écologie politique française
est un préalable nécessaire pour comprendre les conflits ouverts
qui rythment la vie du parti Vert et la difficulté structurelle à
endosser pleinement le rôle de parti de gouvernement.
Les écologistes refusent dans un premier temps toute
organisation nationale et permanente239(*). Au sortir de la campagne de 1974 le voeu de
René Dumont d'un mouvement de l'écologie unifiée ne se
réalise que de manière éphémère. En juin
1974 plusieurs milliers de militants écologistes se réunissent
aux assises de Montargis et fondent le Mouvement écologique (ME). Or
l'organisation centrale du ME ne séduit guère et une grande
partie des militants le quittent pour fonder une multitude de groupes, à
caractère électoral le plus souvent. Ecologie 78 pour
les législatives de 1978 ou Paris-écologie pour les
élections municipales à Paris de 1979 sont parmi les exemples de
ces structures biodégradables (elles disparaissent au lendemain du
scrutin). Sur le plan national une nouvelle organisation est tentée avec
la Coordination interrégionale des mouvements écologistes (CIME)
qui lance une liste pour les européennes de 1979 : Europe
Ecologie. Là encore les divergences se font jour et le
Réseau des Amis de la Terre (RAT) boycottent le mouvement qui rate de
peu la barre des 5% (4,4% au final).
La relative réussite d'Europe Ecologie
relance l'idée d'une organisation unifiée dans la perspective des
élections de 1981. Aux assises de Dijon (1979) un consensus est
trouvé sur la constitution d'une organisation nationale permanente avec
le Mouvement d'écologie politique (MEP). Or une partie, majoritaire, des
présents souhaitent différer l'édification d'une telle
structure et refuse d'intégrer le MEP. Le mouvement écologiste se
retrouve alors éclatée entre le MEP, le RAT et ceux qui ne se
retrouvent ni dans l'un ni dans l'autre (les
« diversitaires »). Après le succès de la
campagne de 1981 (Brice Lalonde réalise le meilleur score des petits
candidats avec 3, 87%) les conflits organisationnels reprennent. Les Amis
de la Terre impulsent la Confédération
écologiste, fédération lâche de groupes
différents, tandis que le MEP fonde le premier vrai parti
écologiste fin 1982 : Les Verts-Parti écologiste.
L'organisation partisane prend forme avec des statuts et des modalités
de fonctionnement précisées. De l'autre côté, la
Confédération écologiste qui s'oppose depuis le
début à la forme parti, en prend finalement le chemin en fondant
Les Verts-Confédération écologiste en 1982.
Il faut encore attendre deux ans (janvier 1984) pour que les
deux entités se regroupent au sein d'un même mouvement partidaire
« Les Verts, Confédération écologistes -Parti
écologiste ». La structuration des écologistes fut donc
plus que laborieuse. Comme le fait remarquer Guillaume Sainteny, six
organisations nationales théoriquement permanentes et de nombreuses
organisations électorales éphémères auront
été nécessaires pour que les écologistes se
rassemblent et engrangent enfin les bénéfices de leur
présence militante240(*).
La cristallisation de
l'écologie politique en parti
L'institutionnalisation de l'écologie politique sous
la forme partisane est une étape décisive. Mais comme nous
l'avons vu, un fort sentiment antiparti traverse le mouvement
écologiste. La réunion des différentes organisations sous
la forme d'un même parti n'était donc pas chose aisée.
Depuis l'origine les écologistes ont critiqué les partis
professionnels comme des machines à distribuer des postes
déconnectés de la réalité. Ce discours
antisystème partisan tend à disparaitre avec l'émergence
des Verts en tant que parti. De fait ils intègrent le jeu politique. Ce
basculement, qui peut être compris par certains comme une trahison,
permet aussi aux écologistes de lever le principal frein à leur
aventure électorale. L'échec de la liste Europe Ecologie
à dépasser les 5% (synonymes de députés dans
une élection à la proportionnelle) alors que les sondages la
plaçaient régulièrement au-dessus marque une prise de
conscience pour les écologistes. Sans structure établie, il n'est
guère possible de franchir les barrières institutionnelles qui
les confinent à la marge.
Signe de cette contradiction profonde, les Verts choisissent
un mode d'organisation (nous l'étudierons en détails plus tard)
qui l'éloigne du profil type d'un parti de pouvoir. Ce choix est
idéologique dans la mesure où les écologistes souhaitent
faire de la politique « autrement » et entendent instituer
une démocratie interne à toute épreuve. Mais c'est aussi
une nécessité pratique. Il faut en effet agréger sur le
long terme les militants issus de mouvements divers (gauchistes,
environnementalistes, féministes, tiers mondistes, ...) dans un
même ensemble. Ce double impératif donne alors naissance à
une organisation qui permet la libre expression de tous dans le respect de la
stricte égalité. A titre d'exemple le principe du
fédéralisme est inscrit dans les statuts, tout comme des droits
conséquents pour les minorités ou des mesures pour éviter
la professionnalisation des dirigeants du parti.
Mais au-delà des spécificités
organisationnelles, le parti écologiste reste dans un processus
d'institutionnalisation qui s'accélère au contact du pouvoir.
L'entrée dans les
institutions
Malgré la fusion des organisations écologistes,
une contradiction latente demeure entre deux conceptions de la politique.
Certains, issus notamment des Verts-Parti écologiste,
considèrent que la forme parti est en priorité une rampe de
lancement pour atteindre le pouvoir et résoudre la crise
écologique grandissante. D'autres, les anciens de la
Confédération écologiste, voient davantage le
parti comme une fin. L'organisation partisane doit respecter l'application de
leurs principes pour dessiner l'organisation sociale souhaitée. Nous
verrons plus loin les compromis auxquels donne lieu cette contradiction.
Cependant cette dernière tend à disparaitre à mesure que
les écologistes se confrontent aux suffrages populaires et gagnent des
élus. Ce moment est sensible pour toute petite formation partisane et
d'autant plus pour les Verts. Il y a en effet chez les écologistes un
sentiment encore bien ancré que le changement ne peut venir des
institutions politiques. Seul le mouvement social aurait la force
nécessaire pour y parvenir. Cette perspective
« sociétaliste » au sens de Gregg O.
Kvisted241(*) est
profondément modifiée par l'élection de nombreux
écologistes à des postes de responsabilité. Les aventures
électorales développent une culture de gestion inédite
chez les écologistes en même temps qu'elles changent les positions
sociales des nouveaux élus242(*). La rhétorique antisystème cède
progressivement la place à un discours de crédibilité. Les
institutions sont présentées comme les leviers de la
transformation écologique qu'ils appellent de leurs voeux. En
dépit de l'alternance entre périodes d'extension
électorale et de repli, l'idée de privilégier la
conquête des mandats s'impose. L'entrée des écologistes au
Parlement et au gouvernement de « majorité
plurielle », suite à la dissolution
« surprise » du Président Chirac en 1997 et à
la victoire de la gauche, parachève la conversion gestionnaire.
Toutefois cela n'est pas sans risque. Le nombre d'élus
croit en effet plus rapidement que le nombre d'adhérents, ce qui est un
vrai problème pour un jeune parti. Erwan Lecoeur compte deux milles
élus pour six mille adhérents en 2008243(*). Ajouté aux quelques
50% d'adhérents en moyenne qui s'abstiennent de tout débat
concernant la vie interne du parti, le déséquilibre entre
élus et militants est patent. Certains pointent alors le risque d'une
« PRGisation »244(*) des Verts, en particulier dans les périodes
de reflux électoral à l'instar des élections
régionales de 2004 ou des municipales de 2008 lorsque les Verts
s'allient dès le premier tour avec le P.S en échange de postes le
plus souvent.
L'évolution institutionnelle des Verts est aussi
perceptible à travers la présentation de bilans à partir
des années quatre-vingt-dix. Ce devoir d'inventaire suite à la
participation à de nombreux exécutifs (municipaux,
régionaux, gouvernemental) ou à leur présence à
l'Assemblée nationale ou au Parlement européen témoigne
d'une intégration politique assumée245(*). L'usage du bilan marque en
effet une étape décisive pour les Verts français. D'une
part le bilan démontre le poids concret des écologistes sur les
politiques publiques ce qui légitime leurs prétentions
électorales ; d'autre part le travail des élus est
évalué sur des critères autres que les valeurs internes du
parti. La publication de bilans manifeste l'insertion des écologistes au
champ de la politique traditionnelle en acceptant de se plier un peu
plus à ses règles.
Du début des années quatre-vingt au
début du XXIème siècle, les écologistes ont
beaucoup changé. Leurs thèses se sont peu à peu
banalisées et trouvent un écho croissant dans l'opinion publique.
En outre les Verts assument pleinement leur intégration au jeu partisan
après l'éviction d'Antoine Waechter de la direction du parti. La
ligne « ni-ni » cède la place à un
pragmatisme électoral qui entérine la définition des Verts
comme parti généraliste de gouvernement. Cette évolution
se retrouve également cahin-caha dans les pérégrinations
organisationnelles des écologistes.
2. La mutation de
l'organisation partisane écologiste : De l'anti-parti à la
machine électorale ?
La création des partis Verts ne se fait pas dans
l'idée de fonder un parti de pouvoir. Partout en Europe, l'objectif
initial des Verts est moins de fabriquer une machine électorale que de
faire du parti l'avant-garde d'une organisation sociale écologiste.
Symbole de cette originalité, le leitmotiv de « faire de la
politique autrement » anime les débats internes des Verts
encore aujourd'hui. Sur la base du constat d'échec de la
démocratie représentative ils souhaitent renouveler les modes de
participation à la vie collective et instituer une démocratie
participative, un Basisdemokratie (« démocratie
basiste ») pour les Grünen allemands en pointe sur le
sujet. Les Verts allemands bousculent d'ailleurs tant les formes classiques
d'organisation partisane qu'ils sont qualifiés de « partis
anti-parti» (antipartei Partei). Il est important de ne pas
négliger l'originalité organisationnelle des écologistes.
Celle-ci ne relève pas du détail de fonctionnement interne mais
est consubstantielle à l'identité des Verts. A travers la
structuration du parti c'est toute la philosophie de l'écologie
politique que l'on retrouve. Benoît Rihoux a forgé l'expression de
« projet idéologico-organisationnel »246(*) pour illustrer ce
caractère particulier.
Cependant un tel projet réussit il à
déjouer la loi fondamentale posée par Roberto Michels selon
laquelle toute organisation partisane tend à l'oligarchie247(*) ? Plus
généralement, l'intégrité idéologique qui
régit le mode d'organisation des écologistes est-elle compatible
avec une logique de conquête de pouvoir ?
Les réponses à ces questions imposent de
revenir sur les principes qui établissent les Verts en tant que parti
basiste. Puis seront examinées les limites d'une telle organisation.
Enfin un éclairage sera donné sur les réformes
organisationnelles participant au processus d'institutionnalisation de
l'écologie partisane française.
Les principes du parti
basiste
Paradoxalement les Verts ont souvent fait l'objet de
diatribes concernant leur rapport à la démocratie. Accusés
de « khmers verts » ou d'écolos fascistes, les Verts
sont souvent vilipendés en raison de supposées tentations
autoritaires qui imposeraient une dictature
« verte »248(*). Face à leurs détracteurs, les Verts
expliquent que « non seulement l'écologie est politique,
mais que le politique et la démocratie sont déjà de
l'écologie »249(*). Pour eux un futur soutenable est
indissociable de la démocratie participative. Seule la
responsabilisation collective etant à même d'apporter des
réponses durables à la crise écologique. Les Verts
s'appliquent donc à mettre en oeuvre leurs principes
démocratiques au sein de leur organisation.
Le rassemblement des différentes organisations
écologistes lors du Congrès de Clichy de 1984 donne lieu à
un compromis statutaire. Les négociations entre la
Confédération écologiste et le Parti
écologiste aboutissent à une organisation hybride. Plus
structurés qu'une association ou qu'un mouvement social, les Verts ne
sont pas non plus un véritable parti. Examinant la jeune organisation
à l'aune de la définition d'un parti politique donnée par
La Palombra et Weiner, Guillaume Sainteny se refuse à lui donner le
qualificatif de parti. Jusque dans les années quatre-vingt-dix les Verts
ne prennent pas la forme partisane car « ils n'ont voulu ou n'ont
pu créer un véritable parti de pouvoir »250(*). Les études sur
l'organisation du parti Vert ont pu faire émerger plusieurs
spécificités qui permettent d'élucider ce
constat251(*). Le parti
écologiste est d'abord très attaché au respect du
pluralisme intra-partisan. Cet aspect se manifeste par l'organisation
très girondine du parti. Idéologiquement réfractaires
à l'Etat nation les écologistes ont bâti leurs structures
partisanes sur un modèle fédéral de régions
autonomes et solidaires. En outre le Conseil National Inter-Régional
(CNIR), le parlement du parti, est composé majoritairement par des
représentants des régions (trois quart de
délégués élus dans les assemblées
générales régionales et un quart lors de
l'assemblée générale fédérale) afin
d'éviter l'omnipotence de la région Ile de France. Le respect du
pluralisme est également garanti par l'élection au scrutin
proportionnel de liste des délégués au CNIR. Les candidats
au CNIR se rassemblent autour de motions d'orientation. La
représentation de ces différentes
« sensibilités » est alors fonction du nombre de
suffrages recueillis par leur motion. Le mode de désignation du
Collège exécutif (CE) des Verts est lui aussi régi par
l'ambition du pluralisme. La quinzaine de membres du CE est
désigné avant tout pour leur représentativité et
non pour leur compétence.
D'autre part l'organisation du parti est le moyen
d'éviter l'instauration d'une oligarchie verte. Des règles
institutionnelles sont mises en place afin de barrer l'accumulation de capital
politique par les « élites ». Très critiques
à l'égard de la Vème République, les Verts ont
longtemps refusé l'existence d'un leadership individuel. Les statuts de
1984 prévoient ainsi quatre porte-paroles pour médiatiser le
message « vert » sur la place publique. D'une
manière générale tout est fait pour empêcher
l'établissement de hiérarchies qui viendraient rompre
l'égalité entre les adhérents. Des règles de non
cumul interne et externe s'appliquent à tous les membres du parti. La
pratique du « tourniquet », qui implique le remplacement
d'un élu à mi-mandat par son co-élu, est aussi
instaurée afin de faire partager l'expérience politique au plus
grand nombre et d'éviter l'émergence de professionnels de la
politique.
Les principes organisation du parti écologiste
(structure décentralisée, autonomie des régions et des
groupes locaux, exécutif volontairement faible, refus de la
personnalisation, ...) que nous avons ici brossé à grands traits
ne donnent pas pleinement motif de satisfaction. La volonté d'instaurer
une démocratie interne parfaite bride l'efficacité du parti voire
se retourne contre elle-même.
Blocages et
dysfonctionnements de la démocratie basiste
Malgré quelques percées électorales, les
Verts peinent à s'implanter durablement dans le paysage politique
français. Les commentateurs politiques ont vite appris à
qualifier les écologistes d'éternels
« amateurs », incapables de capitaliser leur potentiel
électoral en raison de leurs multiples et récurrentes divisions.
La cacophonie souvent reconnue chez les Verts est intrinsèquement due
aux déficiences de leur organisation qui n'arrive pas à
réguler la multiplicité des objectifs assignés au parti.
Non seulement l'organisation Verte est source de blocage dans la perspective
d'efficacité électorale mais elle ne permet pas non plus
d'établir une démocratie interne satisfaisante.
Le formalisme démocratique du parti amène en
réalité à un fonctionnement opaque. Peu de militants
maitrisent l'ensemble des règles tandis que près de la
moitié ne prend pas part aux débats internes. Le faible niveau de
participation interne ainsi que le nombre total limité
d'adhérents (le parti peine à atteindre les dix mille membres)
est en partie lié au niveau d'investissement élevé
demandé à chaque militant écologiste. La culture des Verts
impose en effet la règle implicite de la participation active à
la vie interne du mouvement. La nécessité d'un investissement
important conduit alors une partie des adhérents à se
désengager soit par manque de temps disponible soit par mauvaise
compréhension des codes et normes internes.
La focalisation des militants sur le bon respect des
règles conduit par ailleurs à un climat de suspicion à
l'égard des abus commis par les autres. Cette culture du soupçon
empêche un fonctionnement apaisé et une délibération
efficace. Le caractère structurellement faible de l'exécutif est
également responsable de ce phénomène. Composé
à la proportionnelle des courants, le Comité exécutif
avait pour but premier de satisfaire l'impératif du pluralisme et non de
donner un cap au parti. Le manque d'autorité de la direction est un
facteur essentiel de l'absence de discipline partisane. Au nom du pluralisme,
les décisions et discours du parti peuvent être remis en cause y
compris publiquement, une « clause de conscience »
étant même prévu à ce dessein. Le principe de
l'autonomie individuelle prime ainsi sur les hiérarchies même s'il
dessert l'ensemble du parti en brouillant son message auprès de
l'opinion publique.
L'idéal organisationnel des Verts n'est donc pas
complétement réalisé en pratique. Le formalisme
démocratique engendre une défiance à l'égard de
toute personnalité souhaitant imposer une certaine autorité. De
fait les écologistes sont incapables de se muer en parti de pouvoir, ce
qui devint de plus en plus problématique avec la croissance du parti et
sa volonté d'exercer un rôle politique accru. Le parti a donc
connu un ensemble de réformes successives.
Vers une machine
électorale ?
Depuis 1984 les Verts ont procédé à de
nombreuses réformes organisationnelles avec le double objectif
d'améliorer la participation des adhérents et d'accroitre
l'efficacité électorale du parti. La première
réforme d'envergure a lieu en 1994 lorsque les écologistes
remplacent les assemblées générales annuelles par un
congrès à deux niveaux : les assemblées
décentralisées au niveau régional élisent leurs
représentants au CNIR et les délégués à
l'assemblée fédérale. Ces derniers désignent
ensuite le quart restant du CNIR et les membres du collège
exécutif. La réforme menée par la nouvelle majorité
Voynet-Cochet a l'avantage de mettre un terme à la pratique peu
démocratique de l'assemblée fédérale annuelle dont
les résultats étaient fonction du lieu où elle se tenait.
Pourtant elle ne règle pas les nombreuses divergences qui animent les
débats internes. Incapable de se mettre d'accord sur l'objectif ultime
du parti (compétition électorale ou organisation sociale
alternative), les écologistes font même appel à un Audit
participatif interne (A.P.I) achevé en 2002. Le travail
réalisé par trois politologues jette une lumière crue sur
les lacunes organisationnelles des Verts : « l'organisation des
Verts est actuellement, et d'une manière structurelle, une organisation
faible »252(*). En outre l'A.P.I pointe de nombreux
dysfonctionnement du parti comme l'incohérence des statuts ou
l'attachement aux courants transformés en écuries d'ambitions
personnelles. Malgré l'exhaustivité et la qualité de
l'étude, les Verts n'utilisèrent que partiellement ses
conclusions à travers le processus de Réforme participative
interne (R.P.I.).
La véritable réforme de l'organisation
écologiste date en réalité de la transmutation vers EELV.
L'aventure Europe Ecologie, initiée par la liste pour les
européennes de 2009, est en soit une petite révolution dans
l'histoire de l'écologie politique. L'association de
personnalités sous le signe du rassemblement des écologistes
témoigne de l'intégration de la dimension concurrentielle du
marché politique. Europe Ecologie agrège tout ce que le mouvement
écologiste peut avoir de personnalités reconnues (à
l'exception de Nicolas Hulot néanmoins représenté par ses
proches) pour faire un coup médiatique. Au terme de l'élection,
l'opération « marketing » est réussie. Mais
c'est au prix d'un affranchissement des règles de désignation du
parti Vert. L'acceptation de la logique électorale avec Europe Ecologie
inaugure un mouvement de réforme organisationnelle qui doit permettre
aux écologistes d'accéder un jour au pouvoir.
Pendant près de deux ans les écologistes (Verts
et « non Verts » issus d'Europe Ecologie) mènent un
travail de réflexion sur la rénovation du mouvement
écologiste. Ce processus de reconstruction ravive les idéaux
originaux de l'écologie politique. Sous l'impulsion de Daniel Cohn
Bendit est évoquée l'idée d'une
« coopérative politique », structure souple dans
laquelle toute la mouvance écologiste mais aussi des militants d'autres
partis politiques se retrouveraient. Les initiatives fleurissent pour
dépasser le cadre rigide du parti politique et créer le lien avec
la nébuleuse écologiste. Faute d'avoir jamais pu vraiment choisir
entre l'expérimentation du monde souhaité et la participation
à la société politique, les écologistes finissent
par dissocier les deux ambitions sur le plan organisationnel. Une
coopérative est créée autour d'EELV afin de reprendre pied
dans le mouvement social et associatif. Moyennant une cotisation (plus faible
que les adhérents au parti) les coopérateurs forment un
réseau de sympathisants plus ou moins proches d'EELV. Ils peuvent ainsi
participer aux réunions et actions des groupes locaux, voter le
programme ou encore être candidat à une élection mais sont
privés de droit de vote dans les discussions internes au parti, sauf en
ce qui concerne l'élection présidentielle. D'autre part la forme
plus classique du parti demeure avec cependant un certain nombre d'innovations
comme le tirage au sort pour la désignation de l'Agora (instance
d'élaboration du programme d'EELV).
En dépit des ambitions réformatrices, le poids
de l'ancien parti Vert reste déterminant dans l'ensemble organisationnel
écologiste. Il est trop tôt pour dire si la tentative de retrouver
le lien avec la mouvance écologiste est ou non un succès.
Toutefois les évolutions du parti écologiste traduisent une
certaine professionnalisation. Les règles de collégialité
ou la pratique du tourniquet ont ainsi été abandonnées
tandis que les statuts, notamment le non cumul des mandats, sont parfois
ostensiblement bafoués dans une relative indifférence. De l'autre
côté, le rôle du secrétariat national a
été renforcé. Initialement doté de peu de pouvoirs,
le secrétaire national est désormais un acteur clé
habilité à parler au nom du mouvement. L'émergence d'une
élite verte, la mise en place d'une véritable direction ou encore
l'adoption d'un processus de primaires « semi-ouvertes »
(il est possible de devenir coopérateur à prix réduit pour
pouvoir voter) afin de désigner le candidat à l'élection
présidentielle253(*) sont autant d'éléments qui
démontrent l'institutionnalisation des Verts. Même si ce processus
reste inachevé, il est renforcé par l'adoption d'une
stratégie d'alliances électorales.
2. L'autonomie relative des
écologistes : la stratégie de l'alliance
Depuis l'origine les écologistes n'ont cessé de
se disputer sur la stratégie à adopter. Le débat recouvre
l'opposition fondamentale entre partisans d'une stratégie de pression et
ceux d'une stratégie électorale. A chaque élection ce
clivage s'exacerbe et le choix d'une ligne autonome ou d'alliances avec les
partenaires de gauche est toujours âprement discuté. Bien que
l'autonomie soit un principe idéologique fort pour les
écologistes, il est supplanté à partir de 1993-1995 par
une stratégie d'alliance avec la gauche non communiste.
Le revirement stratégique opéré par les
écologistes confirme leur institutionnalisation. Ce choix peut
s'interpréter comme la victoire des « pragmatistes »
sur les « doctrinaires » mais cette analyse reste
relativement limitée.
La conversion majoritaire
des Verts français
La stratégie autonomiste est
la traduction politique de l'idéologie des Verts français. Comme
nous l'avons expliqué plus haut, le projet antiproductiviste
porté par les écologistes est incompatible avec les partis
majoritaires, de droite comme de gauche, attachés à la
croissance. Néanmoins cette évolution connait des
évolutions avec l'entrée dans le jeu partisan. Confronté
au mur du système majoritaire, les alliances électorales
apparaissent comme le seul moyen de peser dans le champ politique.
Il convient de ne pas caricaturer la ligne politique des
Verts français. Les écologistes ne sont pas naturellement
opposés à tout partenariat politique. Un an seulement
après la création du parti, trois porte-paroles des Verts lancent
en effet un « Appel à la convergence des forces alternatives
et écologistes »254(*) proposant un accord avec des mouvements tels que la
LCR. Cette ligne va se fissurer dès l'assemblée
générale de novembre 1986. La motion
« Construire » défendue par les promoteurs d'une
stratégie d'alliance est balayée par celle d'Antoine Waetcher
préconisant l'autonomie. Dans un contexte politique marqué par la
déliquescence de la gauche au pouvoir, le discours prônant
l'identité spécifique des écologistes plait aux militants.
Le parti entreprend alors un recentrage sur les thèmes environnementaux
et remporte quelques succès. Le positionnement « ni droite -
ni gauche » permet de préserver les écologistes de la
défiance qui touche les partis politiques. L'alternance socialiste n'a
eu que peu d'effets et l'écologie politique se place en position
d'alternative crédible. Toutefois la stratégie autonomiste
atteint rapidement ses limites. Malgré des résultats probants aux
élections locales et européennes, les Verts ne parviennent pas
à s'imposer sur la scène politique nationale. Ils n'obtiennent
aucun député aux législatives de 1988 et 1993. De plus,
faute de choisir son camp dans un système partisan bipolarisé,
les Verts se trouvent confrontés à la concurrence d'une multitude
de nouvelles organisations écologistes. La plus importante,
Génération Ecologie, est « un missile
anti-Verts »255(*) téléguidé par le P.S pour
freiner l'ascension électorale des Verts. Avec un certain Brice Lalonde
à sa tête, Génération Ecologie réussit
à ravir un électorat plus large que les Verts lors des
régionales de 1992 (7% pour Génération Ecologie contre
6,8% pour les Verts).
Dans ce cadre A. Waechter perd la majorité à
assemblée générale de Lille en 1993. Deux ans plus tard
les militants valident la stratégie de rechercher un accord avec des
partenaires politiques : l'écologie n'est pas à marier
« sauf si elle a un bon préservatif » ironise Voynet
en référence à la motion instituant le
« ni-ni » en 1986. Des discussions sont menées avec
le parti communiste, le parti socialiste et différentes organisations
d'extrême gauche. Daniel Boy remarque que l'accord le plus logique
idéologiquement serait avec l'extrême gauche256(*). Les écologistes
choisissent finalement l'efficacité et conclu l'accord avec le Parti
socialiste. Ce dernier laisse une dizaine de circonscriptions
« réservées » aux écologistes en
échange de ne pas présenter de candidats face au P.S dans un
certain nombre d'autres endroits. La stratégie des Verts se
révèle payante puisqu'ils obtiennent au final huit élus
pour un score total d'environ 4 %. Depuis lors, et malgré les
changements de majorité interne, les écologistes ont toujours
recherché des accords électoraux (en particulier avec le parti
socialiste) en vue des élections législatives sans pour autant
toujours l'accepter257(*).
De ce rapide historique électoral des Verts, il est
important de retenir l'évolution vers une stratégie d'alliances
assumée. Après s'être isolés sur l'échiquier
politique, les écologistes affirment leur volonté de participer
au pouvoir. L'accord avec le P.S les propulse d'ailleurs directement au rang de
parti de gouvernement. Mais si la stratégie d'alliance a des avantages
vis-à-vis du nombre de mandats, elle a aussi ses inconvénients.
Beaucoup d'écologistes gardent ainsi un mauvais souvenir du gouvernement
de « gauche plurielle » et des nombreux camouflets
affligés à Dominique Voynet. Plus récemment
« l'accord de législature » conclu entre EELV et le
P.S en vue des législatives de juin 2012 a été vivement
critiqué par une partie des militants écologistes y voyant un
renoncement amère à certaines revendications historiques de
l'écologie politique258(*).
Le triomphe des
« pragmatistes » ?
Les changements stratégiques des Verts français
illustrent la diversité intra-partisane et les logiques
différentes voire antagonistes que suivent divers groupes au sein du
parti. C'est l'hypothèse posée par Herbert Kitschelt : le
parti se place à des endroits spécifiques d'un continuum dont les
deux extrémités seraient d'une part la
« compétition électorale » et de l'autre la
« représentation du noyau militant ». La position
sur ce continuum est déterminée en fonction d'un rapport de force
entre divers groupes d'adhérents: les
« idéologues », les
« pragmatistes » et les « lobbyistes ».
Figure 3 : Présentation du «
modèle théorique » de Kitschelt, d'après Rihoux, B.,
Les partis politiques..., op. cit., p. 92.
Benoît Rihoux a repris le modèle
théorique de Kitschelt sous la forme d'un schéma (cf. figure 3)
afin de montrer les imbrications complexes entre les variables externes et
internes qui fondent les orientations stratégiques des partis Verts.
Pour reprendre la théorie de Kitschelt il semblerait que le parti Vert
français avait initialement pour but de porter les revendications des
militants. Le positionnement ni gauche - ni droite serait donc la manifestation
d'un rapport de force interne favorable aux « idéologues » et
« lobbyistes ». Les « pragmatistes »
étaient alors pour l'essentiel militants à
Génération Ecologie dont la philosophie politique consistait
à faire avancer la cause écologique sans prêter garde
à l'obédience politique des partenaires. Le changement
d'orientation stratégique serait donc le résultat d'un
retournement de majorité au profit des
« pragmatistes ».
Il est tentant d'accorder un certain crédit à
cette analyse. Elle permet de mettre en lumière la nature hybride de
l'organisation écologiste qui s'est construite sur une
l'hésitation entre expérimentation de nouvelles manières
de vivres et parti de pouvoir. Guillaume Sainteny remarquait en 1991 que
« ces diverses fonctions, loin d'être congruentes peuvent
se révéler conflictuelles, nécessitant des logiques
distinctes et obéissent à des logiques de rétribution
différentes »259(*). Toutefois la typologie de Kitschelt enferme les
interactions internes du parti écologiste dans une lecture
réifiante. L'adoption d'une ligne pragmatique à travers la
volonté de conclure des alliances électorales est moins la
conséquence d'un groupe de « pragmatistes » arrivant
à la tête du parti que le fruit d'une évolution
sociologique interne et des modifications des conditions politiques externes.
Il faut voir que le parti se professionnalise de plus en plus à partir
de la fin des années quatre-vingt en raison de la croissance du nombre
d'élus. Les préoccupations des adhérents, ayant
désormais pour beaucoup un mandat électif, changent et influent
sur les options stratégiques du parti. La volonté de conserver
son mandat ou d'en acquérir de nouveaux relativise la position
autonomiste et ouvre la discussion sur les partenariats politiques.
De plus l'entrée des Verts au Parlement et au
gouvernement a catalysé la constitution d'une élite Verte. Pour
la première fois les Verts jouissent des avantages d'un parti de pouvoir
(financement accru, staff professionnel élargi,...). Mais surtout le
porte-parolat du parti revient de fait aux députés et à la
ministre qui concentrent l'attention des médias. On assiste alors
à une autonomisation de cette élite qui tend à passer
outre les règles du parti260(*).
Le modèle de Kitschelt n'est donc pas tout à
fait approprié pour étudier les options stratégiques des
Verts français. Au regard des évolutions récentes du
parti, il parait difficile de discerner clairement les groupes de militants
identifiés par Kitschelt. Une très grande majorité des
représentants au Conseil fédéral d'EELV approuvait ainsi
la recherche d'un accord avec le Parti socialiste en vue des
législatives de 2012. Les oppositions à l'accord, adopté
à 74 %, portaient en réalité plus sur le volet
programmatique que sur l'aspect électoral.
L'étude des choix stratégiques des Verts
français démontre la tendance manifeste à
l'institutionnalisation du parti. Les alliances avec le Parti socialiste lui
ont permis d'engranger un capital politique nouveau et d'être
perçu en tant que parti de gouvernement. Cette stature est
renforcée par la position clef qu'occuperaient les Verts en cas de
majorité de « gauche ». La taille du parti n'est en
effet pas évaluée en fonction de ses résultats
électoraux mais de sa position dans une coalition261(*). Le choix des socialistes de
privilégier les discussions avec les écologistes pour les
élections de 2012 plutôt qu'avec le parti communiste n'est
d'ailleurs pas étranger à cette considération tactique. Au
final la stratégie d'alliance avec le P.S a donné aux Verts une
force dans le paysage politique au-delà même de leurs
résultats électoraux.
***
Malgré leur incapacité structurelle à
choisir clairement le rôle de leur parti, les Verts connaissent toutefois
un processus d'institutionnalisation depuis les années quatre-vingt-dix.
Le parti écologiste semble s'orienter vers la société
politique et accepter les règles qui la régissent mais ne
parvient pas à faire le lien avec les nombreuses initiatives, combats et
débats qui font la richesse du mouvement écologiste. C'est
là tout l'enjeu du nouveau parti-réseau EELV que de permettre aux
écologistes d'accéder au pouvoir en remettant pied dans le
mouvement social dont ils se sont éloignés au fil des
épisodes électoraux.
L'équilibre n'est cependant pas facile à
trouver. La conversion majoritaire des Verts français est perçue
par certains comme une forme de dissolution idéologique. Les Verts
renonceraient à leur ambition alternative en échange de quelques
postes laissés par la social-démocratie vieillissante. La ligne
politique des écologistes est en fait plus complexe. Certes les Verts
assument leur prétention électorale et leur envie d'obtenir des
responsabilités mais ils ne renient pas leur idéologie
contestataire. Comme l'explique Bruno Villalba, l'idéologie des
écologistes est tout autant un moyen de se différencier dans le
jeu politique que de s'y intégrer. Les écologistes n'ont jamais
souhaité mettre à bas la société politique telle
qu'elle est pour en reconstruire une nouvelle. Leur philosophie est au
contraire de convaincre pour parvenir à gagner une
« majorité culturelle ». Les Verts acceptent donc
les compromis inhérents au jeu politique mais veulent rester
fidèles à leurs principes, avec tous les risques et
difficultés que cela comporte.
Chapitre 8 : La réappropriation de la
décroissance, une nécessité dans le
« récit identitaire » écologiste
L'écologie politique est marquée par un
attachement fort à l'antiproductivisme. Les valeurs de frugalité
et d'autonomie que véhicule l'invariant politique antiproductiviste sont
en effet au coeur du récit identitaire du parti écologiste. Mais
son corpus idéologique éclaté ne lui donne pas une assise
identitaire solide. Faute d'une pensée clairement formalisée et
intégrée par ses membres, le parti Vert est constamment
travaillé par ses contradictions identitaires. Il a donc mis en pratique
un pluralisme intra-partisan afin de remédier à ce déficit
d'unité culturel. Dans ce cadre, le « visage »
interne du parti est particulièrement sensible aux idées de la
décroissance. Le parti administrateur de sens se réapproprie la
décroissance tout en l'euphémisant pour la rendre compatible avec
l'objectif de rentabilité électorale.
L'acuité et la permanence du débat identitaire
conduit le parti écologiste à inscrire la décroissance
à son agenda politique. Cette influence se retrouve dans le programme
écologiste à travers l'importance de l'antiproductivisme.
1. La permanence du
débat identitaire
Si les invectives lancées par les objecteurs de
croissance parviennent si bien à toucher leur cible verte au point de
poser la décroissance en objet de débat central262(*), cela tient à
l'intensité du débat identitaire au sein du parti
écologiste. Avant d'étudier comment les Verts se
réapproprient la décroissance, il importe de comprendre pourquoi
un tel ajustement est nécessaire. En sus des convergences
programmatiques manifestes que nous avons déjà relevées,
le parti écologiste repose depuis l'origine sur un socle de
références intellectuelles et idéologiques dont la
fragilité est à l'origine d'un débat identitaire jamais
clos. Un débat d'ailleurs relancé avec
la transmutation du vieux (et pourtant encore jeune !) parti
Vert dans le nouveau mouvement Europe Ecologie - Les Verts.
Un mouvement aux
appartenances culturelles diverses
L'idéologie est une composante fondamentale de
l'identité d'un parti qui se traduit ensuite sous la forme d'une
doctrine, d'un programme ou d'un projet de société. Comme nous
l'avons vu, elle est au coeur d'un système de représentation, de
sens pour reprendre la terminologie de Hastings, qui marque la
spécificité de chaque formation. Or à sa création
le parti Vert n'a pour seules références que la mobilisation des
mouvements sociaux et l'héritage de quelques penseurs iconoclastes. Les
écologistes doivent alors inventer leur propre système de
croyance. Chose peu aisée d'autant que le jeune parti s'apparente
à une agrégation friable d'adhérents issus de mouvements
politiques divers et variés. Il ne s'agit donc pas ici de se livrer
à une nouvelle analyse de l'idéologie ou du programme
écologiste mais de poser la question de savoir s'il est possible de
mettre à jour une culture politique propre aux Verts.
Nous avons montré plus haut que les partis politiques
devaient s'entendre comme des matrices culturelles afin de souligner les
dynamiques complexes et contradictoires qui fondent l'identité
partisane. Il est utile de préciser ce propos par la notion de
« sous-culture politique », souvent évoquée
de manière indifférenciée comme « culture
politique ». Nous entendons par là les traits culturels, les
attitudes et valeurs partagées par un même sous-groupe politique.
L'existence d'une telle culture fait débat chez les écologistes.
En effet le parti s'est formé à partir d'héritages
politiques divers portant chacun une culture politique propre. Comme le
remarque Daniel Boy, « les cultures politiques partisanes
naissent probablement du rassemblement d'acteurs sociaux partageant une
même vision du monde au sein d'organisations politiques dotées
d'une certaine permanence. S'agissant de l'écologie, ces conditions
premières ne semblent pas réunies »263(*). Pour cause, les militants
participant à la création des Verts en 1984 proviennent pour la
plupart d'autres horizons politiques. Selon les rares études
réalisées sur les militants Verts, la socialisation
« primaire » des adhérents écologistes
indique une certaine prédisposition familiale aux valeurs de gauche sans
être prépondérante pour autant. Ainsi 49 % des militants
Verts disent avoir un père de gauche264(*) et 39 % ont eu un passé militant pour
seulement 26 % des adhérents socialistes. Ces origines militantes se
trouvent en majorité à gauche (notamment au P.S.U). Daniel Boy
établit une corrélation entre le passé militant et
l'auto-situation sur l'échiquier politique des adhérents puisque
« ceux qui proviennent de l'extrême gauche, du P.C.F et du
P.S.U, ont davantage tendance à se situer "plus à gauche" sur
l'axe gauche-droite »265(*).
Ce rapide aperçu des modes de socialisation politique
des Verts tend à démontrer une certaine
hétérogénéité culturelle. Certes un nombre
important des adhérents à la fondation du parti en 1984 ont
participé aux mouvements sociaux des 1970, véritable berceau de
l'écologie politique, mais cela ne paraît pas suffisant pour
instituer une culture partisane. Au-delà de cette relative absence
initiale de points de références partagés, est-il
néanmoins possible de distinguer des segments d'identité
communs ?
L'antiproductivisme,
segment identitaire commun
En dépit de l'éclatement des différentes
composantes de la pensée écologiste, la permanence du
débat identitaire au sein des Verts démontre une identification
collective à un symbole culturel fort. Le débat n'existe que si
les contradicteurs se reconnaissent dans la communauté à travers
un socle minimal de valeurs. Dans sa thèse266(*) publiée en 1999 et
consacrée à l'analyse « anthropologique » des
Verts français et anglais, Florence Faucher pose l'hypothèse
d'une culture écologiste « forte ». A travers le
vocable de « vertitude » elle entend désigner une
essence commune à tous les partis écologistes européens.
Son étude affirme pourtant de fortes disparités entre les deux
groupes de militants français et anglais interrogés. Des
différences se font jour à propos des références
idéologiques et philosophiques notamment en ce qui concerne la
distinction entre vie publique et vie privée. Mais elle repère un
même intérêt des adhérents pour soutenir
l'idéal d'une société « soutenable ».
Ainsi l'unité culturelle des partis écologistes reposerait sur
l'ambition d'une société intégrant les paramètres
de bien-être collectif et des limites physiques de la planète.
Pour intéressante qu'elle soit, cette étude porte une conception
essentialiste qui occulte tout à la fois la diversité
intra-partisane et les conflits internes aux partis. Or « tout parti
politique est le siège de clivages entre ses membres, clivages qui
s'expriment en termes de débats internes lorsque le parti les organise
démocratiquement ou qui demeurent latents lorsqu'ils ne peuvent pas
émerger en son sein »267(*).
Plutôt que d'essayer de dégager une essence
commune à tous les partis écologistes nous faisons ici
l'hypothèse que la culture politique des écologistes se construit
à partir de l'antiproductivisme. Comme nous avons tenté de le
démontrer à travers la logique du projet écologiste,
l'antiproductivisme est le ferment identitaire du parti Vert. Il ne faut pas
l'entendre comme une essence du projet écologiste mais plutôt
comme un socle culturel à partir duquel se développe
l'identité écologiste. Ceci expliquerait pourquoi un nombre
significatif de militants Verts ne s'identifient ni à la droite ni
à la gauche voire refusent de se positionner sur un tel gradient. Le
tableau suivant montre à ce propos que les adhérents Verts sont
huit fois plus nombreux à refuser le positionnement sur le clivage
gauche-droite que les adhérents socialistes.
Tableau 2 : Autopositionnement sur un
axe gauche-droite des adhérents P.S. et Verts. D'après Boy, D.,
et alii, C'était la gauche plurielle, op.
cit.
Même en reconnaissant un trait culturel commun dans
l'antiproductivisme, l'hétérogénéité
culturelle ne semble pas dissipée pour autant. Reste à savoir si
la transformation du parti avec Europe Ecologie - Les Verts a permis d'en
clarifier les fondements identitaires.
Europe Ecologie : vers
une homogénéisation culturelle ?
Après le score désastreux de Dominique Voynet
à l'élection présidentielle de 2007 et la normalisation de
l'écologie suite au Grenelle de l'environnement, le parti
écologiste disparait des radars médiatiques. En coulisse
certaines personnalités du mouvement s'activent pour redonner un nouveau
souffle à l'écologie politique dans la perspective des
européennes de juin 2009. A l'initiative de Daniel Cohn Bendit est
lancé un rassemblement des écologistes au-delà du seul
parti Vert. Et pour cause ce dernier est considéré par certains
comme incapable de quelques succès que ce soit en raison de ses
sempiternels déchirements internes. Dany le Vert garde d'ailleurs une
certaine rancoeur envers le parti écologiste. La direction voynettiste
et une partie des militants ne l'avaient pas ménagé lors de la
campagne européenne de 1999 dont il était la tête de liste.
Son frère Gaby lance même un appel le 22 mars 2008
« Ecologistes de toutes tendances, unissez-vous » en vue
des européennes. Le but affiché est de créer une liste
indépendante de tout parti politique regroupant des membres des Verts,
de l'extrême gauche, du P.S, et jusqu'au Modem.
Dans ce contexte la nouvelle secrétaire nationale des
Verts Cécile Duflot prend ses responsabilités et engage le parti
dans le rassemblement des écologistes. Ce dernier prend l'allure d'un
véritable « casting électoral ». Des
personnalités des Verts (Héléne Flautre, Pascal Canfin,
Catherine Grèze,...) se retrouvent au côté de figures du
mouvement associatif écologiste (Yannick Jadot responsable des campagnes
à Greenpeace, Sandrine Bélier directrice de France Nature
Environnement) et de la société civile (l'ex magistrate
anticorruption Eva Joly, l'altermondialiste José Bové ou l'ancien
journaliste Jean Paul Besset). La liste finalement intitulée
« Europe Ecologie » remporte un franc succès dans
les urnes. Avec plus de 2,8 millions d'électeurs et 16,28% des voix elle
talonne le PS (16,4%) et le dépasse même allégrement dans
certaines régions comme en Ile de France ou dans le Sud Est. Le triomphe
inédit d'Europe Ecologie marque l'amorce d'un cycle de rénovation
de l'écologie politique française. Aux régionales de 2010,
la politique d'ouverture continue avec de nouvelles recrues issues de la
gauche, de l'associatif ou du monde civil tels que le haut fonctionnaire Robert
Lion, le responsable des enfants de Don Quichotte Augustin Legrand ou encore
Stéphane Hessel qui figure sur la liste en Ile de France. Forts de leur
nouvelle stature électorale et de leur unité, les
écologistes souhaitent concrétiser cet élan en refondant
l'organisation du mouvement écologique français. Après de
nombreux travaux collectifs, consultations et rencontres, les Verts se fondent
définitivement aux assises de Lyon le 13 Novembre 2010 dans un nouveau
mouvement au nom original « Europe Ecologie - Les Verts »
(EELV).
La question est ici de savoir si la transmutation du parti
écologiste a permis d'instaurer une plus grande
homogénéité culturelle. Force est d'abord de constater que
la transformation du parti s'est accompagné d'un long processus de
démocratie interne. Chaque adhérent peut participer à des
groupes de travail qui réfléchissent sur la forme de la future
organisation et sur la charte des valeurs qui doit en constituer le socle. Des
assemblées régionales se réunissent également pour
échanger sur la transformation du mouvement et faire remonter les
observations des militants aux groupes de travail. En octobre 2010, les
participants au processus d'Europe Ecologie ratifient les statuts à 84%
et le texte manifeste à 90%. Quelques semaines plus tard les Verts font
de même à 85,1%. Il faut noter que l'adoption d'un manifeste
définissant les grandes lignes du projet et de la doctrine
écologiste est une première pour les écologistes
français. Son apport est bien plus que déclaratoire. Il permet de
donner un socle de références communes à l'ensemble des
adhérents du nouveau mouvement. Avec un peu plus d'une dizaine de pages,
le Manifeste pour une société écologique offre
aussi l'avantage d'être facilement diffusable. Vendu pour une somme
modique, il est possible de le trouver dans un grand nombre de librairies et
les groupes locaux s'en font livrer un certain nombre. Le manifeste apporte
donc un progrès incontestable vers une plus grande
homogénéité culturelle. La synthèse
idéologique du parti est directement accessible aux militants qui
peuvent facilement se l'approprier.
L'écriture d'un tel manifeste n'est pas un hasard. Par
définition le rassemblement des écologistes agrège un
ensemble de personnalités et de militants aux cultures politiques
diverses. Le texte renvoie à un besoin d'unifier dans la durée un
mouvement encore plus composite qu'auparavant. Mais outre cette
diversité nouvelle, les mécanismes permettant d'établir
une culture politique commune sont structurellement faibles dans le parti
écologiste. Peu de choses sont en effet prévues pour
« socialiser » les nouveaux adhérents et entretenir
un corps de croyances partagé. Il n'existe pas de structures de
formations institutionnalisées pour les militants et les
séminaires de formations sont rares et organisés
bénévolement. De plus les écologistes sont un des rares
partis politiques à ne pas bénéficier d'instance de
production doctrinale. Ce type de centre de réflexion est bien utile
pour broder la cohérence idéologique et établir des
propositions. Le manque de moyens financiers est souvent avancé pour
expliquer cette absence. Pourtant même le Front national possède
son « Conseil scientifique ». La création d'une
Fondation de l'Ecologie politique a été évoquée
après le succès d'Europe Ecologie sans que le projet ait vu le
jour jusqu'ici.
Ainsi le parti vert connait un turn over
élevé qui est à la fois la cause et la
conséquence de son hétérogénéité
culturelle. Daniel Boy établit à ce propos que 58% des
adhérents verts le sont depuis moins de trois ans268(*). A l'heure où nous
écrivons ces lignes il est encore trop tôt pour dire si ce
phénomène perdurera avec Europe Ecologie - Les Verts. Mais
gageons que l'afflux d'adhésions apporté par les bons scores du
parti et l'attraction de la primaire écologiste risque de retomber avec
la séquence des élections présidentielles et
législatives toujours difficile pour les écologistes. En tout
état de cause la faible stabilité du corps militant
écologiste rend difficile l'élaboration d'une culture politique
partagée qui nécessite une certaine continuité pour
s'élaborer.
Pour conclure il ne s'agit pas d'affirmer que la culture
politique écologiste n'existe pas. Les écologistes
possèdent un socle minimal constitué notamment de l'attachement
antiproductiviste et enrichi par le manifeste fondateur d'EELV. Cette culture
est faiblement structurée et ne parvient pas à transcender
l'ensemble des héritages culturels. Pour prendre acte de cette
situation, elle est fondée sur le pluralisme et le respect des
références culturelles individuelles. Ceci explique pourquoi le
débat identitaire est toujours aussi sensible, en particulier sur le
sujet de la décroissance. En tant qu'administrateur de sens le parti
Vert doit entretenir un récit identitaire crucial pour lier les
différents acteurs du parti. Or l'antiproductivisme constitue la base de
l'identité partisane écologiste. C'est un des rares segments
identitaires communs. Dans ces conditions le parti Vert ne peut ignorer la
décroissance qui tend à exacerber cette identité
antiproductiviste. Nier tout lien avec la décroissance reviendrait
à s'éloigner des fondements mêmes du parti et à
saper sa cohérence idéologique. Le parti Vert se livre donc
à un subtil jeu de réappropriation des idées
décroissantes.
2. Un agenda politique
décroissant ?
Les Verts sont évidemment proches des idées de
la décroissance. La critique antiproductiviste qu'ils portent est
constitutive de leur identité et nombre d'écologistes se
considèrent eux-mêmes comme des objecteurs de croissance. Depuis
l'émergence du concept de décroissance au milieu de la
dernière décennie, les Verts sont sommés de s'expliquer
sur leur rapport à ce courant d'idées. Ce débat peut
s'apparenter à une bataille purement sémantique. Mais dans ce cas
précis les mots sont des symboles auxquels attachent beaucoup
d'importance les adhérents écologistes. Comment s'intègre
donc la décroissance au récit identitaire
écologiste ?
Si la notion de décroissance est assumée par
les écologistes ainsi que le débat qui l'accompagne, elle fait
néanmoins l'objet d'une euphémisation dans la logique de
l'institutionnalisation du parti.
Un débat interne
assumé
Il est difficile de retrouver une ligne claire du parti Vert
français sur la question de la décroissance L'absence de
doctrine officielle n'empêche pas que le débat soit assumé
par le parti écologiste qui reconnait l'acuité du sujet.
Contrairement à son traitement dans l'opinion public,
la décroissance est un débat de fond pour les écologistes.
Il touche à leur identité même et véhicule une forte
charge idéologique qui plaît aux militants. L'hypothèse de
la décroissance revient d'ailleurs régulièrement dans les
discussions du parti et notamment lors des journées d'été
où les ateliers qui y sont consacrés font salle comble269(*). Les Verts sont sensibles
à la décroissance et le débat est pleinement
accepté en dépit des dissensions qui peuvent avoir lieu sur le
sujet. Devant les invectives des objecteurs de croissance et l'affection des
militants pour ce thème, les instances dirigeantes du parti ont donc
cherché à préciser sa doctrine. Un premier numéro
du journal interne abordait le sujet en 2004270(*). Mais la première clarification vint surtout
lors de l'assemblée fédérale de Reims (décembre
2004) avec le vote de trois motions thématiques sur la
décroissance. La motion « Anticiper »271(*) affirme que
« l'apprentissage de la sobriété orientera les
propositions et les actions des Verts ». Cette
sobriété est décrite comme « une perspective
d'autosuffisance décentralisée, par minimisation des
échanges de matières et d'énergie, une mobilisation
générale de la société autour d'un système
sobre, démocratique et solidaire ». La seconde motion
intitulée « Crises environnementales II, que
faire ? »272(*) abonde dans le sens de la première et
précise son contenu. Enfin la dernière motion « Pour
une décroissance sélective et équitable : concept
à apprivoiser (d'urgence), non à
écarter ! »273(*) revendique ostensiblement l'usage du terme
décroissance. Votée à une large majorité, cette
motion invoque une décroissance « "sélective"
(selon des critères combinés écologiques et
économiques) et "équitable" (selon des critères
sociaux et mondialistes), donc "soutenable" ». Le but
affiché est de lutter farouchement contre les
récupérations du « développement
durable » par les tenants du capitalisme vert. La décroissance
s'inscrit dans le droit fil de la critique antiproductiviste portée par
les Verts. Elle est présentée comme la « clé de
voûte » d'un ensemble programmatique qui doit dessiner une
alternative radicale au productivisme et à l'idéologie
libérale. Si l'on en croit ces motions Les Verts semblent prendre sans
équivoque le chemin de la décroissance.
Des figures du parti n'hésitent d'ailleurs pas
à plaider ouvertement pour la décroissance. Jean Paul Besset mais
surtout Yves Cochet font partie des personnalités politiques
identifiées « objecteurs de croissance ». Bien qu'il
n'y ait pas de courant « décroissant »
véritablement constitué au sein du parti, une part significative
des adhérents se retrouve derrière ce vocable. Le fait qu'un des
rares députés verts274(*), Yves Cochet, défende les thèses de la
décroissance est aussi en soit très symbolique. Non seulement il
anime et alimente le débat sur la notion à l'intérieur du
parti mais son statut d'homme politique reconnu lui permet d'introduire la
décroissance dans des milieux où elle n'a que rarement
accès. Au nom de l'ensemble des députés Verts, il prononce
ainsi un discours dans l'hémicycle le 14 octobre 2008 dans lequel il
développe les thèmes de la décroissance275(*). La « crise
anthropologique » est dénoncée comme la
conséquence de la « théologie » de la
croissance. La décroissance s'invite pour la première fois au
coeur de l'arène parlementaire et Yves Cochet d'en appeler à
« décoloniser l'imaginaire » devant une assistance
médusée.
Au-delà de l'entrée dans les institutions, la
décroissance est aussi développée dans les médias.
Dans une tribune publiée dans Le Monde fin août 2010
intitulée « Quel projet pour Europe
Ecologie ? », l'ancien ministre du gouvernement Jospin critique
la myopie des responsables politiques de droite et de gauche qui refusent
d'admettre que la croissance ne reviendra pas. Il propose de
« faire de l'écologie, de la sobriété et de
la décroissance une mode, un esprit du temps » pour
construire ce qu'il appelle la « décroissance
prospère »276(*). L'objectif recherché de la tribune est
d'ailleurs très clair. Dans la période de recomposition de
l'écologie politique française il s'agit de peser sur la future
organisation pour qu'elle adopte un projet de décroissance.
Le discours sur la décroissance ne s'adresse pas
seulement aux adhérents du parti. Il concerne aussi le
« visage extérieur » du parti et tend à
assimiler les Verts à la décroissance. Malgré
l'appétit des militants pour les thématiques de la
décroissance et l'évidente proximité idéologique,
le parti écologiste ne se revendique pas directement de ce courant. Dans
un souci de ne pas s'aliéner un électorat qu'il veut faire
croitre, le parti Vert prend ses certaines distances avec l'écologie
radicale de la décroissance.
Un travail
d'euphémisation
La décroissance porte un projet de rupture radical
avec la société moderne. Les Verts partagent en grande partie
cette vision qui correspond à leur identité antiproductiviste.
Pour autant depuis les années quatre-vingt-dix et en outre la
participation au gouvernement de « gauche plurielle », le
parti écologiste affiche son caractère de parti de gouvernement.
Le débat sur la décroissance esquisse une ligne de friction entre
logique identitaire et logique de compétition électorale. Le
parti écologiste se livre alors à un exercice de synthèse
délicat.
Le projet des écologistes n'a pas vocation à
rester dans l'anonymat ou la marginalité. Cette assertion est en
substance la réponse des Verts sur la question de la
décroissance. Or derrière cette réponse brève se
cache une ambivalence que les cadres du parti ont tenté
d'éclaircir. L'économiste du parti Jérôme Gleizes
est ainsi chargé de faire le point. Dans un article publié dans
la revue EcoRev277(*) il tente de lever les ambiguïtés
sur l'usage du terme par le parti écologiste. Si la décroissance
est présentée comme au centre du programme écologiste,
l'auteur insiste sur la nécessaire précision du concept qui n'est
« jamais utilisé seul mais toujours
qualifié ». Il se réfère à une
motion d'orientation votée en 2006 lors de l'Assemblée
Générale de Bordeaux qui affirme :
« Il y a de la place pour la décroissance de
notre empreinte écologique, avec plus de qualité de vie, de "bien
être ensemble" et plus de justice sociale ». Les
Verts se réapproprient la notion de décroissance mais sous
l'angle de la réduction de l'empreinte écologique. Ce changement
sémantique est plus qu'une nuance. L'expression
« décroissance de l'empreinte écologique »
neutralise la charge négative du terme mais également sa
radicalité. Il permet de recentrer le concept sur l'antiproductivisme et
partant de s'écarter de l'antilibéralisme qui marque la notion.
La réappropriation de la décroissance par les Verts a donc valeur
de compromis.
Lors d'un entretien lors des journées
d'été d'EELV fin août 2011, Yves Cochet nous confirmait
cette hypothèse. Il définissait la décroissance selon
trois acceptions : la décroissance de l'empreinte écologique
(réduction de la prédation de l'homme sur les ressources
naturelles) ; la décroissance économique qui se traduit par
une baisse du P.I.B (récession) ; la décroissance en tant
que projet de société tel que porté par les objecteurs de
croissance. Pour lui, la position du parti écologiste se limite à
la première définition. La décroissance de l'empreinte
écologique est d'ailleurs accompagnée d'adjectifs
mélioratifs (« démocratique »,
« équitable », « solidaire »)
pour éviter toute confusion. Dans le même ordre d'idée, de
nombreux cadres du parti se rangent derrière l'idée de
croissance/décroissance sélective. Autrement dit la
transformation écologique doit conduire à la décroissance
de certains secteurs (automobile, nucléaire, militaire, ...) et à
la croissance d'autres (énergies renouvelables, transports collectifs,
agriculture biologique, ...). Là encore la réappropriation du
terme marque un recul par rapport au projet des objecteurs de croissance.
Postuler une croissance/décroissance sélective occulte la remise
en cause profonde de la logique sociale de la société de
croissance pour se focaliser sur l'aspect économique et
écologique.
L'appropriation de la
« décroissance » par le parti Vert conduit donc
à vider le concept en partie de sa substance. La raison de cette
euphémisation est simple. Il s'agit d'éviter un
« suicide électoral » selon la formule d'Yves
Cochet. A travers les entretiens que nous avons réalisé avec les
élus écologistes, nous avons en effet pu constater une certaine
méfiance à l'égard du terme même de
décroissance. Celui-ci serait trop violent pour être porté
dans une campagne électorale. Selon Jean Paul Besset, il fait peur
jusque dans les rangs d'EELV puisque « nos sociétés
modernes se sont développées sur la matrice de la
croissance »278(*). Or la philosophie du parti Vert n'est pas de
s'enfermer dans des positions doctrinales mais de jeter des passerelles vers la
société pour créer une majorité culturelle.
L'ancien rédacteur en chef du journal Le Monde voit en cela la
différence fondamentale entre les Verts et les objecteurs de croissance.
Leurs charges virulentes contre le capitalisme et leur surenchère
polémique sont contreproductives car « il faut se faire
comprendre ».
La réappropriation de la décroissance par les
Verts ne se fait donc qu'au prix d'une certaine reformulation. Le parti
écologiste a intégré la dimension majoritaire du jeu
politique et accepte la concurrence du marché politique. Par
conséquent la décroissance est intégrée au
récit identitaire mais de manière euphémisée. On
retrouve cet équilibre dans les propositions programmatiques
écologistes.
3. L'antiproductivisme dans
l'ensemble programmatique écologiste
Le programme écologiste illustre l'ambivalence de la
réception de la décroissance. La décroissance n'est pas
affichée clairement si ce n'est sous l'angle de la décroissance
de l'empreinte écologique. D'un autre coté l'antiproductivisme
apparait toujours en filigrane dans l'ensemble programmatique vert.
Au-delà de l'idéologie ou du discours, le programme revêt
un intérêt particulier pour notre étude. En effet le
programme n'est autre que la déclinaison d'une doctrine dans un contexte
donné. C'est l'offre politique que présente le parti-entreprise
aux électeurs sur le marché politique concurrentiel. Dès
lors l'analyse de l'ensemble programmatique permet d'illustrer la
stratégie du parti écologiste et la manière dont il se
réapproprie concrètement la décroissance. L'objet n'est
pas ici de mener une monographie détaillée de l'évolution
des programmes écologistes. Par l'étude des récents
documents programmatiques nous tacherons simplement de mettre en lumière
certains éléments utiles pour comprendre l'intégration de
la décroissance par les Verts.
Il est possible de discerner une première tendance
consistant à rendre le projet écologiste
« désirable » et généraliste. La
décroissance est ainsi retranchée sous l'angle de l'empreinte
écologique bien que l'antiproductivisme continue d'irriguer l'essentiel
du programme.
Une tendance historique
à généraliser le projet écologiste
Evidemment les écologistes d'aujourd'hui n'ont plus
grand-chose à voir avec ceux du congrès fondateur de Clichy en
1984. L'écart idéologique et programmatique peut paraitre
saisissant mais il est à mettre en perspective avec les
évolutions sociales et politiques au niveau macro ainsi qu'aux
changements dans la composition et la stratégie des Verts. Il faut donc
garder à l'esprit qu'un programme s'inscrit dans un contexte et
évolue en fonction de celui-ci. Cette précision faite, il est
possible de repérer une tendance d'extension programmatique qui conduit
les Verts à approfondir leurs analyses et à compléter
leurs propositions. Cette évolution est à l'oeuvre quasiment
depuis l'entrée des écologistes en politique. Elle est la
conséquence logique de l'intégration au système partisan.
La confrontation avec les autres acteurs du jeu politique les a poussés
à développer des propositions sur des thèmes autres que
les classiques de l'écologie politique. En effet la première
campagne écologiste portée par René Dumont en 1974 est
très centrée sur les questions de destruction des ressources
naturelles, d'urbanisation et de surpopulation, bien qu'elle aborde
également d'autres sujets (décentralisation, bureaucratisation,
...)279(*). Il est
ensuite possible de distinguer grossièrement trois phases.
Une première phase (de 1975 à 1986) se traduit
par la diversification des thèmes de campagne. L'écologie
politique, pas encore partisane, étend ses propositions au domaine
économique, social et institutionnel. Guillaume Sainteny relève
que sur les douze « mesures d'urgence » lancées par
Aujourd'hui l'écologie dans l'entre deux tours de
l'élection présidentielle de 1981, aucune ne s'adressent vraiment
aux thématiques environnementales280(*). Sous l'influence des Amis de la Terre, le
mouvement écologiste attache une importance croissante aux aspects
institutionnels (libertés collectives, cumul des mandats,
décentralisation,...). La création des Verts marque un ancrage
sur les questions économiques et sociales (partage du temps de travail,
économie verte, défense des immigrés,...) qu'ils
déclinent dans la campagne des européennes de 1984 et des
régionales de 1986. L'environnement est renvoyé à
l'arrière-plan au point que les écologistes n'apparaissent plus
novateurs sur le sujet. En 1986 la principale proposition concernant
l'environnement est la création d'un grand ministère de
l'environnement, ce que réclament également d'autres courants
politiques (Raymond Barre et Michel Rocard en tête)281(*). Les Verts axent leurs
campagnes sur des revendications très proches du reste de la gauche
(droits de l'homme, antiracisme, justice sociale,...) sans pour autant
réussir à combler leur déficit de
crédibilité sur ces questions. Pour cause, leurs mesures
économiques et sociales paraissent s'ajouter au programme sans
être vraiment réfléchies en profondeur.
La deuxième phase commence en 1986 avec le changement
de majorité au sein des Verts et l'arrivée d'Antoine Waechter.
Elle conduit à une réorientation programmatique sur les questions
d'environnement. La préservation de la planète passe au premier
plan dès 1988. Les Verts établissent cinq « points
prioritaires » dont trois sont directement liés à la
protection de la nature282(*). De même en 1989 l'essentiel de la campagne
des européennes est centrée sur l'environnement. La mise en avant
de l'environnement se fait à travers deux nouveaux concepts qui viennent
charpenter les programmes des Verts. D'abord le concept de « crise
écologique » (qui recouvre une acception très large
allant du trou dans la couche d'ozone à la désertification
rurale) légitime les propositions écologistes. Ces
dernières s'articulent autour d'une deuxième idée issue du
rapport Bruntland283(*),
le « développement soutenable ». L'écologie
politique se concentre ainsi sur des propositions environnementales sans
toutefois renier l'héritage des décennies
précédentes. Les questions sociales (partage du travail, revenu
social garanti,...) et démocratiques figurent encore dans le projet
mêmes si elles ne sont plus prioritaires.
Enfin il est possible de reconnaitre une troisième
phase de 1993 à aujourd'hui. L'arrivée de Dominique Voynet au
secrétariat national des Verts marque la victoire des partisans d'une
alliance avec la gauche face aux tenants du « ni droite ni
gauche ». Le changement est d'autant plus radical qu'Antoine Waechter
déserte le parti et laisse la direction voynetttiste sans opposition
interne significative. Les propositions programmatiques s'orientent alors sur
une ligne « Rouge-Verte » avec le retour des propositions
sociales au premier plan. La campagne des européennes de 1999
amène d'ailleurs d'autres thématiques alors que les Verts
participent à la « majorité plurielle ». Des
questions de société comme le Pacs, la légalisation du
cannabis ou économiques comme l'entrée dans l'euro sont mises en
avant. Le mouvement d'extension programmatique continue en 2002 avec la
candidature de Noël Mamère à l'élection
présidentielle. Bien que l'expérience de la
« majorité plurielle » n'ait pas vraiment
été une réussite pour les Verts si l'on en juge au nombre
de camouflets qu'a dû gérer la ministre Voynet, elle a
néanmoins montré que les écologistes avaient vocation
à exercer des responsabilités. La transformation des Verts en
parti généraliste continue à travers le programme de 2007
et celui pour 2012. Des réflexions sur l'éducation, la crise des
banlieues ou encore les services publics sont avancées. De même
des propositions sont formulées en direction des entreprises ou de la
refonte de la finance. L'avènement d'EELV marque aussi l'accroissement
de l'offre programmatique écologiste personnifié par l'engagement
de figures de la société civile. Par exemple Eva Joly ou Laurence
Vichnievsky déclinent le thème de la République exemplaire
tandis que des personnalités comme Augustin Legrand ou Emmanuelle Cosse
(ancienne présidente d'Act Up-Paris, association de lutte contre le
sida) appuient une conception forte de l'action sociale (logement, lutte contre
les discriminations, ...).
Au-delà du mouvement de fond visant à installer
le parti écologiste comme parti de gouvernement
généraliste, certains évoquent une tendance à la
modération du programme écologiste284(*). Il est vrai que le slogan
« l'Utopie ou la Mort » de la campagne de René
Dumont (cf. annexe 1) n'a en effet plus grand-chose à voir avec le
projet « Vivre mieux vers la société
écologiste » pour 2012. Pour autant il existe une certaine
continuité dans l'ensemble programmatique Vert à travers
l'antiproductivisme.
L'antiproductivisme
toujours au coeur du programme écologiste ?
Au centre de l'identité partisane écologiste,
l'antiproductivisme doit logiquement constituer la trame du programme des
Verts. Or bâtir un projet sur une valeur aussi spécifique est-il
compatible avec une logique de compétition électorale ? Les
documents programmatiques de 2007 et 2012 apportent quelques
éléments de réponse.
Le premier constat est que l'antiproductivisme constitue
effectivement le socle du programme des Verts. Il est le terreau dans lequel
prennent racine les propositions écologistes et se retrouve le plus
souvent dès le préambule. Le programme 2012 dénonce
dès la première page l'impasse de la « reproduction
sans frein de l'ancien modèle de croissance infinie » et
appelle à faire « décroître notre empreinte
écologique »285(*). On retrouve ici le concept de
« décroissance de l'empreinte écologique »
déjà présent dans le programme de 2007286(*). Concrètement cela se
traduit par une volonté de faire décroitre la dépendance
aux énergies fossiles, le volume des déchets, de sortir du
nucléaire d'ici 2031 et du modèle agricole productiviste. Mais
l'antiproductivisme du programme écologiste va au-delà de la
décroissance de l'empreinte écologique. Les propositions de la
semaine de travail à 32h ou la mise en place d'un revenu universel
garanti font directement écho aux thématiques des objecteurs de
croissance. Elles remettent en cause la société travailliste et
s'opposent au consensus libéral. En ce sens le programme des Verts
pourrait presque passer pour un programme décroissant.
Pourtant l'apport du programme présidentiel et
législatif pour 2012 ne réside pas dans l'adhésion aux
thèses de la décroissance. Au contraire ce projet
parachève l'édification d'un parti généraliste qui
démontrer une capacité gestionnaire. Des thématiques
nouvelles sont mises en avant et rompent avec l'idée d'une alternative
idéologique radicale. Pour la première fois sont ainsi
détaillées des propositions pour une « industrie
écologique » mais aussi pour « réduire
fermement » la dette et les déficits publics. Certes ces
mesures répondent à une conjoncture économique
particulière mais notons tout de même l'évolution rapide
vers un certain pragmatisme alors que le programme de 2007 entendait rompre
avec la « mondialisation
néolibérale »287(*). D'autre part à travers le projet de
VIème République, les écologistes semblent initier une
réflexion sur l'Etat jusqu'ici absente de leurs propositions.
La volonté d'apparaitre comme un parti crédible
à vocation majoritaire s'illustre d'autant plus dans le projet
présidentiel du candidat écologiste Eva Joly288(*). Ce document est en quelque
sorte l'appropriation personnelle par le candidat du programme parti. Les
propositions se retrouvent peu ou prou dans le programme officiel d'EELV mais
dessinent un ordre de priorité. Ce sont pour l'essentiel ces
mesures-là qui sont présentées pendant la campagne
présidentielle. Or ce projet est riche d'enseignements. D'abord
l'antiproductivisme a presque disparu du texte. On ne trouve aucune occurrence
des mots « productiviste » ou
« décroissance » dans un ensemble de soixante-huit
pages quand il était possible de les dénombrer quatre fois (deux
fois « productiviste » et deux fois
« décroissance) dans le programme d'EELV pour 2012 et quatorze
fois dans celui de 2007 (sept fois et cinq fois). D'ailleurs
l'antiproductivisme n'apparait plus clairement. Tout juste est-il fait allusion
au « choix de modèles économiques et de
comportements respectueux, sobres, de nouveau en accord avec la
nature » et à la volonté de construire
« des modes de vie [...] qui réduisent notre empreinte sur
la planète et sur l'atmosphère ». L'accent est mis
sur les questions économiques et sociales notamment avec la proposition
de créer « un million d'emplois verts ». A l'instar
du voisin belge Ecolo, la tendance est donc à passer sous silence
l'antiproductivisme pour y préférer un
« néo-keynésianisme vert » dans l'idée
d'un « Green New Deal ». Preuve de ce renversement
doctrinal, le contre budget d'Eva Joly s'intitule « Budget 2012, un
new deal écologique et social »289(*). Il prévoit quatorze
milliards d'euros d'investissements dans « l'économie
durable » et affirme fortement l'objectif de réduction des
déficits réalisé essentiellement par des hausses
d'impôts et des coupes dans les dépenses anti-écologiques.
L'étude des programmes écologistes permet de
faire un rapide état des lieux de la réappropriation de la
décroissance par les Verts. Elle se traduit à minima par la
formule de « décroissance de l'empreinte
écologique » et se fond plus largement dans
l'antiproductivisme qui irrigue l'ensemble programmatique. Cependant la logique
de compétition électorale tend à éroder la matrice
antiproductiviste des programmes écologistes. Il est trop tôt pour
dire si la conversion à une forme de néo-keynésianisme
écologique se confirmera. Mais remarquons tout de même que
l'objectif affiché de faire revenir le déficit public à 3%
du P.I.B en 2014 est un tournant dans l'histoire des Verts.
***
Du fait de la pluralité des cultures qui le composent,
le parti écologiste français est fragile sur le plan identitaire.
Ces multiples influences rendent le débat identitaire sensible et
permanent. Dans ce contexte la stratégie de minorité active des
objecteurs de croissance porte ses fruits. Elle remet l'antiproductivisme au
coeur de l'agenda politique des Verts alors qu'ils ont entamé un
processus de transformation en parti de gouvernement. Pris sous cet angle il
serait d'ailleurs possible d'expliquer l'émergence du mouvement pour la
décroissance en réaction à l'institutionnalisation de
l'écologie politique. En s'engageant à bras le corps dans la
compétition électorale, les Verts laisseraient un espace vide que
l'écologie radicale des objecteurs de croissance viendrait combler. Les
Verts et les tenants de la décroissance se trouvant sur le même
versant de clivage, les premiers sont confrontés à l'influence
des seconds. La décroissance, en réactivant l'identité
antiproductiviste, force ainsi les Verts à intégrer ses
thématiques pour éviter la désagrégation de leur
récit identitaire.
Dans ce contexte, l'équilibre entre logique
électorale et logique identitaire se trouve sur une ligne de
crête. L'équation est de se forger une culture politique de
gouvernement tout en gardant une offre politique suffisamment
différenciée. La décroissance est alors
intégrée de manière euphémisée autour du
concept de « décroissance de l'empreinte
écologique ». Ce compromis permet de conserver à la
fois une base culturelle commune aux adhérents du parti et de se mettre
en condition pour se confronter à l'épreuve du pouvoir. Toutefois
il convient de ne pas négliger la sociologie des adhérents Verts.
Le parti étant composé en majorité d'élus, il est
nécessaire de s'intéresser plus précisément aux
militants Verts pour obtenir une vision d'ensemble de l'influence de la
décroissance chez les écologistes français.
Chapitre 9 : Une base militante sensible au débat
sur la décroissance
Le sens commun, au même titre que la science politique,
considère souvent les partis politiques comme des entités
collectives d'un point de vue macro. Or on oublie trop souvent l'essentiel,
c'est-à-dire que ces entités sont des communautés
politiques composées d'individus. Olivier Filleule et Nonna Mayer le
rappellent de manière éloquente, « l'organisation, au
moment où on l'observe, n'est [...] rien d'autre que le
résultat d'un équilibre ponctuel résultant de la
coexistence d'individus dont la présence n'est redevable ni des
mêmes déterminants individuels ni des mêmes contextes
»290(*).
Nous l'avons remarqué plus haut, le parti
écologiste s'est formé à la confluence de
différentes mouvances et philosophies politiques. Peut être encore
plus que dans les autres formations, les adhérents Verts ne
réceptionnent pas l'idéologie verte de la même
manière. Pour revenir plus prosaïquement sur notre cas
d'espèce, il est intéressant et même nécessaire pour
avoir une photographie complète de la question, d'étudier en quoi
la « base » du parti Vert appréhende le débat
sur la décroissance. Les analyses des idéologies partisanes se
résument souvent à l'idéologie des dirigeants. Or les
militants produisent eux aussi du « sens » d'autant plus
chez les Verts où la culture pluraliste et égalitariste veut que
la parole d'un militant ait la même valeur que celle d'un cadre.
Grâce aux analyses conduites par divers auteurs,
à notre « observation participante » et aux
ressources collectées par questionnaire auprès des
adhérents du groupe local EELV Pays d'Aix, nous essayerons de mettre en
lumière la sensibilité des militants Verts à la
décroissance. Avant de développer ce point particulier, il
importe de détailler quelques caractéristiques
socio-professionnelles des militants Verts. Nous conclurons notre enquête
en abordant le travail de synthèse que commencent à fournir
certains partis Verts européens sur la question de la
décroissance.
1. Caractéristiques
des militants verts
La décroissance n'est pas à proprement parler
une proposition classique sur le marché politique. Yves Cochet le dit
sans ambages, proposer la décroissance serait un « suicide
électoral ». Pourtant, nous avons tenté de
démontrer qu'il existe une sensibilité sinon une adhésion
plus ou moins grande du parti écologiste aux propositions des objecteurs
de croissance. Comment expliquer alors un tel décalage entre un
électorat qui refuserait en bloc ce projet politique et une
communauté politique Verte qui y adhérerait ? L'analyse des
caractéristiques des militants Verts peut contribuer à esquisser
une réponse.
Il est très difficile de dessiner l'idéal-type
du militant écologiste en raison du peu d'études récentes.
Avec les ressources disponibles seront brossés les grands traits de la
sociologie des militants Verts.
Des militants des classes
moyennes supérieures, surdiplômés
Les similitudes entre la sociodémographie des
militants Verts et de leurs électeurs sont assez frappantes. D. Boy, F.
Platone, H. Rey, F. Subileau et C. Ysmal soulignaient cet état de fait
pour les trois partis qui constituaient, pour l'essentiel, la « gauche
plurielle » : « les trois partis, P.S., Verts et P. C. F., bien
que dans une moindre mesure, sont bien les partis des couches moyennes
salariées disposant d'un fort capital culturel »291(*). Toutefois, à la
différence du P.S et du P.C.F, le parti écologiste peine à
rassembler un électorat socialement plus large que leurs
adhérents. Les Verts seraient un parti de classes socioprofessionnelles
supérieures, surdiplômées et qui attirerait donc des
électeurs ayant, en majorité, le même profil.
Les études sociologiques menées sur les
militants Verts tendent à confirmer ce portrait qui contraste d'ailleurs
avec l'image jeune que porte l'écologie politique dans l'opinion. Le
premier trait caractéristique du parti Vert concerne sa composition
socioprofessionnelle. Les Verts sont essentiellement un parti de cadres et de
classes moyennes supérieures provenant du secteur public. En 1998 les
catégories intermédiaires représentaient 44% des
adhérents Verts soit une augmentation de plus de dix points depuis 1989.
Daniel Boy explique cette montée en flèche par l'accroissement du
nombre d'instituteurs chez les Verts dont la représentation passe de 8
à 18% du total des adhérents292(*).
Tableau 3 : Composition
socioprofessionnelle des Verts en 1989 et en 1998 comparée à
celle de la population française, en %. Source : Boy, D., et
alii, op. cit., p. 26 et 28.
Le parti écologiste attire aussi les cadres et les
professions intellectuelles qui constituaient 35 % des adhérents en
1998. Cette proportion semble avoir encore augmentée avec Europe
Ecologie puisque 42% des adhérents ou sympathisants d'Europe
Ecologie293(*) se
déclaraient appartenir à cette catégorie en 2010. D'autre
part les classes populaires sont presque absentes (1% d'ouvriers et 1%
d'agriculteurs pour Europe Ecologie). Cette répartition
socioprofessionnelle est corrélée à un fort niveau de
capital culturel. Dès 1990 on note un nombre important de
diplômés du supérieur (58% alors qu'ils ne
représentent que 10 % de la population totale) notamment issus de
filières scientifiques (environ 60 %)294(*). Daniel Boy évoque même le chiffre
considérable de 65% de diplômés du supérieur chez
les adhérents Verts en 1998. L'étude de Guillaume Sainteny sur
les années soixante-dix à quatre-vingt-dix remarque des
constantes similaires. Les écologistes ont un niveau de diplôme
important mais ne répondent pas au parcours classique du personnel
politique (sciences politiques, droit, écoles d'administration, ...).
Ces cadres diplômés proviennent pour beaucoup des milieux de
l'éducation, de la recherche, de la santé ou encore de l'art et
du journalisme.
Un réservoir de
militants presque inchangé
L'autre élément marquant de la sociologie des
adhérents Verts concerne la classe d'âge élevée des
militants. Le parti écologiste semble frappé par une
incapacité structurelle à recruter et à fidéliser
les jeunes adhérents. Les variations de la structure d'âge des
Verts entre 1989 et 1998 sont tout à fait représentatives (cf.
tableau 4).
Tableau 4 : Adhérents Verts par
classe d'âge, en %, en 1988 et 1998. D'après Boy, D., et
alii, op. cit., p. 20.
On retrouve en effet les mêmes proportions
décalées d'une classe d'âge. La structure d'âge est
simplement corrigée par les dix années écoulées, ce
qui traduit un vieillissement des adhérents inquiétant pour un
jeune parti. Ce constat tient au fait que le parti n'arrive pas ou peu à
fidéliser ses nouveaux adhérents comme nous l'avons
déjà évoqué plus haut. L'Audit participatif interne
a ainsi montré que « depuis la création des Verts,
le nombre d'anciens adhérents (c'est-à-dire d'adhérents
qui ont quitté le parti) est largement supérieur au nombre actuel
de membres du parti ! ». En outre l'A.P.I démontre
que le vieillissement du parti Vert se poursuit : l'âge moyen des
adhérents est passé de 39 ans en 1990 à 47 ans en 2002. Il
était permis d'espérer un certain renouvellement des militants
avec l'enthousiasme qu'a suscité Europe Ecologie parmi les jeunes. Or ce
ne semble pas être le cas, les adhérents et sympathisants d'Europe
Ecologie se déclarant à 49% âgés de plus de 50
ans295(*). Les
quadragénaires restent majoritaires tandis que les jeunes sont
très peu nombreux.
Sur la base de ce constat, l'analyse d'Agnès Roche et
Jean Luc Bennahmias parait pertinente : « jusqu'à la
fin des années quatre-vingt, les écologistes sont grosso modo la
"génération 68", qui a aujourd'hui environ 45
ans »296(*). En effet les militants écologistes seraient
peu ou prou, faute de renouvellement majeur, toujours les mêmes à
la différence près qu'ils ont vieilli.
Le fait que les Verts français soit un parti
composé majoritairement de militants à fort capital culturel et
issus de la « génération 68 » ou
« post-soixante-huitarde » donne quelques
éléments d'explication sur la sensibilité à la
décroissance. Ces caractéristiques laissent penser que les
militants écologistes seraient moins concernés par les bread
and butter issues et concentreraient leur attention sur des valeurs
postmatérialistes comme l'antiproductivisme. A défaut de
cristalliser en clivage structurant l'espace politique comme le pensait
Inglehart, les valeurs postmatérialistes sont bien présentes dans
les motivations des militants Verts. Les membres des générations
du baby-boom, de mai 68 ou des années suivantes continuent d'être
surreprésentés au sein du parti. Ils restent pour la plupart
animés par l'esprit contestataire des années soixante-dix,
période de leur socialisation politique. Or la décroissance ne
fait que prolonger ce rêve d'un monde radicalement différent. Les
militants Verts sont donc sociologiquement prédisposés à
être sensibles aux thèmes de la décroissance
2. Les Verts et la
décroissance : Paroles de militants
Pour compléter notre analyse nous avons tenté
de passer un questionnaire aux adhérents Verts du groupe local EELV Pays
d'Aix. Le nombre de retour n'est pas suffisamment conséquent pour donner
une image fidèle de l'appropriation de la décroissance par ce
groupe de militants. Nous détaillerons donc ici seulement quelques
exemples qui nous semblent significatifs des différents points de vue
des militants Verts sur la décroissance.
La plupart des militants présentés ci-dessous
font preuve d'un bon niveau de connaissance de la décroissance. Leur
niveau de diplôme élevé (tous les militants ayant
répondu sont diplômés de l'enseignement supérieur
dont un certain nombre d'ingénieurs et de docteurs) n'est certainement
pas étranger à cela. Leur définition de la
décroissance parait assez complète et il est d'ailleurs
intéressant de constater qu'elle ne se limite pas à la
« décroissance de l'empreinte écologique »
mais se rapproche souvent de la décroissance en tant que
« projet de société ».
Militant 1
|
Position au sein du groupe
|
Membre du CA et de la commission environnement nationale
|
Niveau de diplôme
|
BAC + 2
|
Adhésion aux idées de la décroissance
(échelle de 1 à 10, ordre croissant)
|
10
|
Définition de la décroissance
|
« Equitable et solidaire, la condition de notre
survie » (le sujet fait référence à la motion
votée par Les Verts en 2004 « Pour une décroissance
équitable et solidaire » évoqué plus haut)
|
La décroissance, un programme pour EELV ?
|
« Faire partie du programme »
|
Le militant 1, très impliqué dans la vie du
parti (il exerce des responsabilités internes au niveau local et
national), fait clairement référence à la motion
« Pour une décroissance équitable et
solidaire » approuvée par Les Verts en 2004 dans sa
définition de la décroissance. Son intérêt pour la
décroissance est maximal mais il nuance la place à lui accorder
dans le programme. En effet sa réponse laisse suggérer que le
programme d'EELV devrait prendre en compte la décroissance sans
forcément la mettre en avant. La décroissance serait un
thème parmi les autres classiques de l'écologie politique
(féminisme, pacifisme, ...). Cette position nuancée est reprise
et détaillée par les autres militants.
Militant 2
|
Position au sein du groupe
|
Militant
|
Niveau de diplôme
|
BAC + 4
|
Adhésion aux idées de la décroissance
(échelle de 1 à 10, ordre croissant)
|
8
|
Définition de la décroissance
|
« C'est une philosophie, un choix de vie qui cherche
à ne pas entrer dans le système du tout marché , du tout
consommable, c'est un mouvement pour réfléchir à des
modes de vie plus respectueux des ressources, de l'humain... c'est chercher
à vivre mieux en consommant moins, en recyclant, en respectant les
autres et soi et l'environnement » ; « être
décroissant c'est être libre » ; « je
dirais aussi que la décroissance mérite un nom plus positif
(« ah bon mais vous allez vous éclairer à la bougie »)
un mot qui ne connote pas un retour en arrière. »
|
La décroissance un programme pour EELV ?
|
« Non (...) je pense qu'il faut d'abord parler aux
citoyens de ce qu'ils peuvent entendre. Le niveau d'acceptabilité de la
décroissance me semble très faible si le mouvement veut
être crédible » ; « Moi-même
très sensibilisée et convaincue de la décroissance j'ai
beaucoup de mal à l'appliquer au quotidien »
|
Le cas du militant 2 est représentatif du malaise du
parti écologiste sur la question de la décroissance. Sans
responsabilité interne particulière, cet adhérent est
manifestement proche des idées de la décroissance
(« être décroissant c'est être
libre ») qui ne consistent pas en une décroissance
économique mais à un « choix de vie ».
Malgré un fort degré d'adhésion à la
décroissance, ce militant reconnait la difficulté politique
à l'endosser. A l'instar de nombreuses réponses que nous avons
reçu, il remarque la charge très négative ne serait-ce que
du mot « décroissance » (qui connote un
« retour en arrière »). Porter publiquement les
thèmes de la décroissance serait incompatible avec la logique
électorale. Ce pragmatisme tranche avec les arguments avancés par
la fameuse motion de 2004, dont se réclame le militant
précédent, qui envisageait de manière radicalement
opposée le rôle du parti : « Notre petit parti
s'honorerait de ne pas faillir à sa mission historique, qui est
davantage sans doute, d'éveiller et conforter un mouvement social
capable d'infléchir le cours des choses que de conquérir une
majorité d'élus dans les institutions »297(*). Certes il convient de
replacer ce texte dans son contexte. Le parti écologiste traversait
à l'époque une mauvaise passe, suite au coup de tonnerre du 22
avril 2002, qui contraste avec la relative ascension électorale des
trois dernières années. Toutefois le choix entre transformation
en parti de pouvoir ou repli sur des bases idéologiques fortes semble
toujours donner lieu à un clivage qui s'illustre à travers le
débat sur la décroissance.
Militant 3
|
Position au sein du groupe
|
Secrétaire du groupe
|
Niveau de diplôme
|
BAC + 4
|
Adhésion aux idées de la décroissance
(échelle de 1 à 10, ordre croissant)
|
9/10
|
Définition de la décroissance
|
« C'est considérer notre environnement dans
sa globalité et réaliser que le système actuel est
arrivé à son apogée d'où le besoin de tout revoir
et de planifier une courbe descendante [par rapport] à celle que
nous vivons. Ce qui ne signifie pas ne plus produire mais produire autrement
pour répondre aux véritables besoins de notre
société en adéquation avec nos lieux de vie
propres. »
|
La décroissance un programme pour EELV ?
|
« Oui mais pas énoncé de la sorte car
la population ne comprend pas ce virage parlé et se détournerait
complément de nos idées » ; « Les
propositions d'EELV sont d'aller vers une économie de croissance qui
assure des emplois (...), vers une transition dont les
éléments avoisinent la décroissance mais de fait va
changer la vie de tous.» ; « il s'agit de passer d'une
croissance de surproduction et de gaspillage à une "décroissance"
sur certains produits par, de fait, ce changement incontournable de politique,
d'économie, (...) »
|
Le militant 3 illustre à nouveau la difficile
réappropriation de la décroissance par les Verts. Responsable du
groupe local, il définit la décroissance en des termes proches de
l'écologie politique (« considérer notre environnement
dans sa globalité », « produire autrement pour
répondre aux véritables besoins »). La frilosité
sémantique est là aussi bien présente. Il s'agit de ne pas
effrayer les électeurs en agitant des chiffons verts mais au contraire
de les convaincre qu'une transformation du mode de vie s'impose. La position
définie par ce militant nous semble assez caractéristique de la
ligne majoritaire du parti sur la décroissance. Le terme
« décroissance » étant stigmatisé
comme trop violent, il est digéré sous l'angle de l'empreinte
écologique (« surproduction »,
« gaspillage »). Pour EELV il s'agit donc de s'orienter
vers une décroissance quantitative et sélective
(« certains produits ») accompagnée d'une croissance
de certains autres secteurs écologiques.
Militant 4
|
Position au sein du groupe
|
« observateur-militant individuel »
|
Niveau de diplôme
|
IEP
|
Adhésion aux idées de la décroissance
(échelle de 1 à 10, ordre croissant)
|
4 (Interrogé sur son intérêt pour la
question, le sujet le fixe à 6)
|
Définition de la décroissance
|
« Mouvement politique et économique visant
à réduire la consommation des ressources et capitaux pour obtenir
un niveau de croissance égal ou inférieur tel que mesuré
par les agrégats économiques (P.I.B...) » ;
« Cela a pour but d'aboutir à un partage des richesses plus
égalitaire sur la planète, et d'éradiquer la misère
en améliorant l'allocation des ressources et en supprimant les
incitations à la cupidité » ; « C'est un
mouvement proche du malthusianisme qui a été très
controversé et a connu des échecs d'application
cuisants »
|
La décroissance un programme pour EELV ?
|
« Je pense que le sujet est très segmentant.
Il est un angle d'attaque pour les autres partis. EELV est taxé
d'idéalisme ou d'idéologie « hors-sol » sur
ce thème. Mieux vaut prôner la frugalité même si
à long terme la décroissance est plus "logique". »
|
Enfin ce militant confesse une adhésion moindre aux
idées de la décroissance (position 4 sur une échelle de 10
quand la quasi-totalité des autres répondants se placent
au-dessus de 7). Cette sensibilité réduite s'explique
peut-être par la manière dont il définit la
décroissance. En effet la décroissance est ici envisagée
sous l'angle purement quantitatif de la réduction du P.I.B (ce qu'Yves
Cochet préférerait appeler la
« récession »). Dès lors cette
définition l'amène à prendre ses distances avec le courant
décroissant caractérisé comme « proche du
malthusianisme »298(*). De la même manière que les militants
précédents, il remarque que la décroissance créer
trop de dissensus pour faire partie du programme d'EELV. Mais
l'antiproductivisme n'est pas renié pour autant, la
« frugalité » pouvant être à ses yeux
un thème suffisamment positif pour être un axe de campagne.
Au final, l'antiproductivisme apparait comme le fond commun
à l'ensemble de ces réponses. Signe de l'important capital
culturel caractéristique des adhérents Verts et de
l'intérêt qu'ils portent au sujet, les militants
écologistes appréhendent souvent la décroissance dans sa
définition la plus complète de « projet de
société ». Nombre d'entre eux portent un
intérêt certain à la décroissance et adhérent
le plus souvent à ses thèses. Ils sont aussi une majorité
à penser que les élus d'EELV ne parlent pas assez de
décroissance et que ce courant d'idées devrait figurer, à
des degrés divers selon les réponses, dans le programme du parti.
Ces quelques éléments d'illustration de la réaction des
militants Verts à la décroissance tendent à confirmer
notre hypothèse de départ. La décroissance fait partie,
par extension des valeurs antiproductivistes, du récit identitaire
écologiste. A ce titre la base militante souhaiterait une plus grande
implication du parti sur ce thème mais sans pour autant compromettre la
logique de conquête du pouvoir.
Les partis Verts redoublent d'efforts pour trouver ce point
d'équilibre idéologique et stratégique. Puisque le concept
fait peur mais que les idées séduisent, les écologistes
lancent de nouvelles réflexions pour rendre compatible la substance des
idées de la décroissance avec un projet politique
désirable et crédible.
3. Tentative de
synthèse : la prospérité sans croissance
Concilier projet antiproductiviste et ambition du pouvoir est
peut-être le challenge le plus essentiel que les écologistes ont
à relever. Le point d'équilibre n'est pas facile à
atteindre tant le chemin entre compromission
« croissanciste » et isolement électoral est
étroit. Or les partis Verts semblent bien sur la défensive
concernant la remise en cause de la croissance, obligés de se
positionner face aux critiques radicales de la décroissance. Dans ce
cadre, le travail théorique livré par l'économiste anglais
Tim Jackson autour du concept de « prospérité sans
croissance » peut être une porte de sortie. C'est du moins
cette idée que mettent à l'étude certains partis
écologistes et notamment le premier d'entre eux, le parti belge
francophone Ecolo.
La
prospérité sans croissance, une troisième voie
Tim Jackson n'a rien d'un gauchiste idéaliste. Au
contraire ce professeur de développement durable à
l'Université du Surrey occupa le poste très officiel de
commissaire à l'économie de la Commission du développement
durable du Royaume Uni. Son ouvrage Prosperity Without
Growth299(*) est
largement issu des travaux de cette commission. Le point de départ de sa
réflexion réside dans le caractère insoutenable du
modèle de développement productiviste. En cela il reprend les
critiques des écologistes et des décroissants sur l'absence de
prise en compte des limites écologiques par le système
économique. Il pose la question de savoir comment ce systéme peut
soutenir une croissance permanente quand les ressources de la planète
sont finies. Selon lui, la raison de cet attachement à la croissance
provient d'une confusion entre prospérité et croissance du P.I.B.
Or la croissance aujourd'hui, au-delà du fait qu'elle ne soit plus
possible en raison de la crise écologique, n'est même plus
souhaitable puisqu'elle accroit dramatiquement les disparités sociales
en creusant le fossé des inégalités. La croissance du
P.I.B n'est donc qu'un succédané de l'augmentation de la
prospérité car « la prospérité
aujourd'hui ne signifie rien si elle sape les conditions dont dépend la
prospérité de demain. Et le message le plus important de la crise
financière de 2008, c'est que demain est déjà là
»300(*).
L'analyse de Tim Jackson se réfère beaucoup à la crise
financière pour fonder sa démarche. Celle-ci résulte d'une
logique de consommation (endettement des ménages sans égard au
risque d'insolvabilité) poussée à outrance que l'on
retrouve également à l'origine du changement climatique et de la
raréfaction des ressources naturelles. La crise de 2008 n'est
réalité qu'un soubresaut par rapport au désastre
qu'amène la crise écologique.
Pour le professeur britannique, la notion de
prospérité est une voie féconde pour sortir de la logique
mortifère de la croissance tout en garantissant un bien être
à tous. Encore faut-il redéfinir son contenu ce qui est tout
à fait possible puisque « tout examen rapide de la
littérature révèle qu'au-delà du cadre
étroitement économique de cette question, il existe plusieurs
visions fortement concurrentes de la
prospérité »301(*). Contrairement au paradigme actuel qui associe
prospérité et opulence matérielle, Tim Jackson invoque une
prospérité alternative fondée sur la
sobriété. Ce type de prospérité rejoint
l'idée de « capabilités
d'épanouissement » selon l'expression d'Amartya Sen reprise
par Jackson. L'important serait d'être convenablement nourri,
chauffé, logé, éduqué pour participer à la
vie de la cité, etc. Néanmoins ces capabilités ne
s'entendent pas comme autant de libertés infinies. Au contraire
« les capabilités sont limitées d'une part par
l'échelle de la population mondiale et, de l'autre, par le
caractère fini des ressources écologiques de la
planète »302(*). Ces limites sont en effet
nécessaires pour que la prospérité ne retombe pas dans les
mêmes travers que la notion de croissance.
L'objectif de la pensée de Jackson est alors, à
travers cette nouvelle définition de la prospérité, de
dessiner une voie médiane entre la croissance verte et la
décroissance. En prélude à ses propositions pour une
économie durable, Tim Jackson s'emploie à déconstruire la
fausse solution du « New Deal Vert ». Le
néokeynesianisme vert consiste à cibler les dépenses de
relance de l'activité économique sur le défi de la crise
écologique. Ces investissements massifs doivent permettre de
réduire l'empreinte écologique en isolant par exemple les
bâtiments ou en développant les énergies renouvelables. La
relance « verte » contribuerait à créer un
nombre conséquent d'emplois via la transition écologique de
certains secteurs industriels et de services. En dépit de ces
perspectives enthousiasmantes, Tim Jackson met un bémol au New
Deal vert. Ce stimulus budgétaire, même écologique,
signerait le retour au business as usual puisqu'il alimenterait
à nouveau la croissance et la consommation. On retourne au point de
départ d'une économie de croissance perpétuelle et
toujours aussi peu soutenable.
D'une manière générale, Prosperity
without Growth met au pilori l'idée selon laquelle il serait
possible de découpler l'augmentation du P.I.B de l'empreinte
écologique. Le découplage peut être relatif,
c'est-à-dire faire croitre le P.I.B pour un même niveau de
prédation sur les ressources naturelles, ou absolu, soit faire augmenter
le P.I.B tout en réduisant l'empreinte écologique. Si le premier
type de découplage est à peu près envisageable c'est vers
un découplage absolu qu'il faut aller pour l'effondrement
écologique. Evidemment un tel découplage est difficilement
opérable dans les économies fondées sur la croissance
notamment à cause de l'effet rebond (cf. supra et le paradoxe de
Jevons).
L'auteur du rapport pour le gouvernement britannique
évoque également la décroissance pour sortir du dilemme de
la croissance. Il l'envisage uniquement sous l'angle de la réduction du
P.I.B et conclut assez rapidement que celle-ci serait instable. Pourtant
l'ouvrage de Tim Jackson est truffé de convergences avec les objecteurs
de croissance. Il décrit la « cage de fer du
consumérisme » dans laquelle est enfermé le
système économique. Pour se maintenir, le système
productiviste est lancé dans une course infinie à la
productivité quitte à utiliser des subterfuges
éloignés de toute éthique comme l'obsolescence
programmée. D'autre part il s'attaque aussi à la logique sociale
du consumérisme. La société occidentale est exposée
à une « récession sociale » qui dilate le
vivre ensemble. Jackson reprend à son compte les critiques de la
société de consommation et met en avant les mécanismes
psychologiques de représentation sociale à travers le
« langage des objets ». La recherche permanente de
satisfaction des désirs par les biens matériels aliène la
capacité des hommes à s'épanouir et donne lieu à
une société très anxiogène. Cette structuration
mentale est propre à la société de croissance et constitue
en soi un blocage pour aller vers une prospérité partagée.
Sans y faire référence, Tim Jackson fait écho aux
propositions des objecteurs de croissance en invoquant un
« hédonisme alternatif » qui consisterait à
rechercher des motifs de satisfaction autrement que dans la consommation
matérielle.
Au final, le professeur anglais met en lumière la
« prospérité sans croissance » comme une
troisième voie entre la « croissance verte non
durable » et la « décroissance instable ».
Son concept est articulé avec une macroéconomie écologique
qui s'inscrit dans la lignée des travaux d'Herman Daly sur
l'économie en état d'équilibre303(*). L'auteur fait alors
plusieurs recommandations pour mettre en pratique la
« prospérité sans croissance » parmi
lesquelles un partage important du temps de travail, un revenu citoyen et des
investissements écologiques massifs (économies de ressources,
technologies propres, amélioration de l'écosystème). Dans
cette transition vers une économie durable l'Etat doit jouer un
rôle interventionniste accru dans une logique très rousseauiste
d'incarnation de la volonté générale :
« nous cédons certaines de nos libertés
individuelles. Mais en retour, nous gagnons une certaine sécurité
dans le fait que nos vies seront protégées contre la
liberté débridée des autres »304(*).
Ce rapide aperçu du livre de Tim Jackson ne saurait en
dispenser la lecture. Nous avons toutefois tenté de montrer en quoi le
concept de « prospérité sans croissance »
contient un potentiel considérable pour les partis Verts. Il offre en
effet l'avantage de proposer des pistes pour une économie
débarrassée du productivisme sans déstabiliser
complètement l'emploi. En dépit de nombreux points communs, la
théorie jacksonienne relève d'une approche différente de
la décroissance. Alors que Serge Latouche et ses amis souhaitent
« sortir de l'économie », Jackson entend la
« réparer » pour la rendre compatible avec les
limites finies de la planète. A l'instar des objecteurs de croissance,
l'économiste britannique entreprend une remise en cause du capitalisme
libéral. Pourtant, et c'est là une divergence centrale, Tim
Jackson n'en fait pas la finalité de son concept :
« est-ce encore du capitalisme ? Est-ce vraiment
important ? Pour ceux qui attachent beaucoup d'importance à cette
question, peut-être pourrions-nous nous contenter de paraphraser le
capitaine Spock, dans Star Trek, et convenir que "c'est du
capitalisme, Jim, mais pas comme nous le connaissons"»305(*).
L'amorce d'une
opérationnalisation politique
Le concept de « prospérité sans
croissance » est une piste de réflexion intéressante
pour les écologistes. Il reprend leur ligne antiproductiviste tout en
lui donnant un caractère plus construit et positif. Mais en dépit
de la qualité de son travail théorique, Tim Jackson ne
délivre que peu de mesures concrètes. Il est donc
nécessaire d'opérationnaliser le concept de
« prospérité sans croissance » pour le rendre
mobilisable dans le champ politique. C'est le projet qu'a entrepris le parti
belge francophone Ecolo à travers sa fondation.
L'exemple d'Ecolo est particulièrement
intéressant dans le cadre de notre étude. Cette formation est en
effet « le plus grand des partis Verts en Europe »
selon l'expression de Pascal Delwit306(*). Il est incontestablement celui qui a le plus
avancé dans sa conversion majoritaire. Il compte un nombre
d'adhérents aussi important que le parti français pour une
population bien moindre et s'est érigé une stature de parti de
pouvoir depuis sa participation à différentes coalitions
gouvernementales. Toutefois Ecolo a connu des résultats
électoraux en dents de scie sur la dernière décennie.
Après une importante victoire en 1999 qui le situait autour de 20 % des
suffrages, le parti a essuyé plusieurs défaites de rang en 2003
et 2004. La formation écologiste belge a alors mené un travail de
reconstruction doctrinal et stratégique. Selon Edgar Szoc, coordinateur
du pôle prospective à Etopia, le parti s'est reconcentré
sur « la crédibilité économique autour d'un
néokeynesiansime vert »307(*) incarné par le slogan « Green New
Deal » qu'il fit sien. La logique de pouvoir est parfaitement
assumée par Ecolo, le parti se présente aux élections pour
les gagner et parvenir au gouvernement. Cette ambition a conduit le parti
à reléguer l'antiproductivisme au second plan malgré un
« intérêt certain » de la base
militante pour ce sujet. Edgar Szoc va même plus loin et évoque
une différence d'appréciation claire entre les dirigeants et
élus du parti et les militants sur la question de la décroissance
(« appareil nettement plus réticent à ce genre
d'idéologie que la base, certainement à cause d'un principe de
réalité »). Il fait l'hypothèse que la
décroissance serait incompatible avec l'obtention du pouvoir ce qui
expliquerait une certaine « crainte » des
dirigeants à porter ce thème (« Si on porte ce
programme, former un gouvernement deviendrait impossible ; ou alors on y
renonce en le mettant simplement dans le programme »). C'est
dans ce contexte que la fondation Etopia a commencé à mener un
travail d'opérationnalisation de la « prospérité
sans croissance ». L'enjeu est de taille pour Ecolo puisque le
concept de Tim Jackson lui permettrait potentiellement de se mettre en accord
avec son « récit identitaire » antiproductiviste
tout en restant identifié comme parti de gouvernement. Le
think-thank écologiste belge travaille donc avec
différents chercheurs européens, dont la Française
Dominique Méda, pour rendre concrète la troisième voie
dessinée par Tim Jackson.
Pour ce qui concerne notre étude des Verts
français, les termes ne se posent pas de la même façon. Le
parti n'a pas encore complétement achevé sa mue majoritaire. Le
nombre d'élus au niveau national reste faible, les participations
gouvernementales épisodiques, et il ne semble pas y avoir une telle
rupture entre les militants et les cadres. Même si ce n'est pas la ligne
« officielle » du parti, Yves Cochet et d'autres militants
plaident ouvertement en faveur de la décroissance à
l'intérieur du mouvement. Le débat y est présent et
assumé. A l'instar d'Ecolo, le parti écologiste français
trouverait toutefois un intérêt certain à mobiliser le
concept de « prospérité sans croissance ». Or
il apparait pour l'instant que les thèses de Tim Jackson n'aient pas
traversé les frontières françaises308(*).
***
L'étude des militants Verts confirme
l'hypothèse d'une sensibilité forte au sujet de la
décroissance. Une bonne partie d'entre eux retrouvent d'ailleurs avec la
décroissance des idées proches de celles qu'ils
défendaient dans les mouvements sociaux des années soixante-dix
ou postérieurs. Si les militants témoignent souvent d'un
intérêt plutôt fort pour la décroissance, l'analyse
de leur définition du concept montre des niveaux d'appréhension
pluriels. En raison de sa relative nouveauté dans l'espace public et de
son manque de formalisation, la décroissance n'est pas encore tout
à fait cernée y compris chez les militants écologistes
même si la plupart font preuve d'un bon niveau d'appréhension.
D'une manière générale, la
décroissance n'est pas souhaitée en tant que
« vitrine » du parti bien que la remise en cause du
modèle de développement inégalitaire et
« croissanciste » soit jugée comme prioritaire.
Cette ambivalence est significative de la difficulté du parti Vert
à promouvoir un projet antiproductiviste tout en se détachant du
« mot obus » de décroissance. Le concept de
« prospérité sans croissance » initié
par Tim Jackson constitue à ce jour la piste de réflexion la plus
prometteuse pour résoudre cette équation. A condition qu'elle
soit empruntée par l'ensemble des acteurs du parti et non seulement par
des experts qui délivreraient une doctrine clef en main aux militants.
Conclusion Titre III
La décroissance questionne l'identité
productiviste du parti Vert français. Sans hésiter à
frapper fort sur les dirigeants écologistes, elle s'invite dans le
débat identitaire des Verts. Or le parti écologiste ne cache plus
ses aspirations à devenir majoritaire. Depuis les années
quatre-vingt-dix un ensemble de réformes ont été
engagées pour adapter le « parti antiparti » au
marché politique. Surtout les écologistes semblent avoir pris
conscience qu'ils ne changeront pas la société seuls. Le jeu
démocratique impose de construire des majorités d'idées
au-delà de son propre camp, d'où l'acceptation d'un certain
réalisme avec la mise sur pied d'une stratégie partenariale.
Dans cette perspective nous avons essayé de montrer que
la fragilité identitaire des Verts français les conduisait
à intégrer la critique décroissante. Toutefois, sur ce
sujet comme sur beaucoup d'autres, les écologistes font montre de leur
attachement à la complexité chère à Edgar Morin.
Faute de pouvoir trancher clairement l'objectif final du parti, les Verts
intègrent la décroissance dans leur récit identitaire
à travers le compromis de la « décroissance de
l'empreinte écologique ». Un entre deux qui ne satisfait pas
vraiment grand monde. Les partisans de la décroissance souhaitant une
affirmation plus forte tandis que les « pragmatistes »
cherchent à relativiser du mieux possible la portée du concept.
En fonction de ce contexte, nul doute que le travail de requalification autour
de « la prospérité sans croissance » puisse
être utile aux écologistes à l'avenir.
Conclusion générale
Dans Les Années d'Hiver, le psychanalyste et
penseur de l'écologie politique Felix Guattari lançait un appel
à l'invention face au libéralisme triomphant des années
quatre-vingt. Il fondait notamment la notion de « territoire de
référence » c'est-à-dire
« l'ensemble des projets ou des représentations sur
lesquels vont déboucher pragmatiquement toute une série de
comportements, d'investissements, dans le temps et dans les espaces sociaux,
culturels, esthétiques, cognitifs »309(*). Par la
déconstruction des mythes qu'elle opère, la décroissance
peut s'envisager sous l'angle d'un nouveau « territoire de
référence ». Sa nature provocante et radicale suscite
les controverses, l'incompréhension ou l'indignation. Il est vrai que
les objecteurs de croissance ne font pas les choses à moitié.
Porteurs d'une vision alternative de la société face à la
gabegie du productivisme, les objecteurs de décroissance remettent en
cause une grande partie des soubassements culturels de la société
occidentale. Certes l'impératif écologique est au coeur de la
pensée décroissante mais c'est toute la logique sociale de la
société de croissance qui est dénoncée. Ainsi le
consumérisme et la technique conduisent à l'aliénation de
l'esprit libre tandis que le travail conditionne l'individu au rôle
primaire de consommateur.
La « décolonisation de l'imaginaire
collectif » conduit immanquablement à remettre en cause le
système dominant, c'est-à-dire le « capitalisme
néolibéral ». Evidemment les militants de la
décroissance ne sont pas les seuls à soutenir un tel projet.
C'est la marotte de la plupart des mouvements radiaux de désigner ainsi
l'ennemi pour mieux justifier ses thèses. Toutefois dans le landernau
des mouvements alternatifs, la décroissance a quelque chose de
particulier. D'abord sa remise en cause du capitalisme se fonde sur un
antiproductivisme qui tranche avec la rhétorique classique de
l'extrême gauche. Mais surtout la décroissance mène une
stratégie de minorité active telle que définie par Serge
Moscovici. Elle entend proposer un contre modèle empiriquement
incarné par le mouvement de la simplicité volontaire avec pour
but de renverser par l'exemple le système dominant. Cette
stratégie est controversée au sein même du mouvement pour
la décroissance, certains considérant que l'intégration au
jeu partisan est la seule manière de faire avancer leurs idées.
Pourtant, la stratégie de minorité active commence à
produire ses effets. Non pas que la décroissance soit devenue en
quelques années le leitmotiv des partis majoritaires, mais ses
idées ont fait l'effet d'un pavé lancé dans la marre du
parti Vert.
La montée en puissance de la décroissance a en
effet mis à vif les tensions identitaires qui parcourent le parti
écologiste. Pour en comprendre les raisons nous avons montré,
à l'aide du paradigme des clivages, que les Verts s'inscrivaient dans
une logique de long terme caractérisé par l'antiproductivisme.
Cette notion constitue pour les écologistes un invariant politique. Un
socle sur lequel repose l'ensemble des croyances communes des adhérents
et qui les fait exister en tant que communauté politique.
L'antiproductivisme qui préside à la logique du projet des Verts
et des objecteurs de croissance les conduit à partager le même
versant du clivage rural/urbain objectivé en clivage
productivistes/antiproductivistes. Dans ce cadre, la décroissance
apparait comme la manifestation « extrémiste » de ce
clivage face à un parti Vert plus modéré. Il est donc
possible, comme nous l'a indiqué Yves Cochet, que décroissance et
écologie politique se confondent. Pour autant il importe de noter que la
différenciation de la décroissance vis-à-vis des Verts se
joue, en outre, sur le plan du rapport au libéralisme. Le mouvement de
la décroissance n'est en effet pas avare de diatribes à
l'égard du libéralisme qu'il considère comme la matrice
philosophique de la société de croissance. Les Verts ont eux une
position plus mesurée, reconnaissant les limites du libéralisme
économique sans toutefois vouloir sortir de l'économie de
marché.
La situation des Verts sur le même clivage que les
décroissants se traduit par une influence de la décroissance sur
le parti écologiste. Pour la comprendre, il importe de prendre en compte
les spécificités de l'identité des Verts français.
Le parti Vert s'est fondé sur une identité plurielle
qu'illustrent les nombreux soubresauts internes que connut l'organisation
depuis sa création en 1984. En l'absence d'une doctrine
écologiste bien établie, le parti Vert est plus un espace
où coexistent différentes cultures politiques que le creuset
d'une véritable identité Verte. Ce déficit de
structuration est exacerbé par le type d'organisation partisane qui fait
la part belle à la démocratie interne pour satisfaire l'ambition
d'une politique faite autrement. Dans ce contexte, l'antiproductivisme
constitue un des rares segments identitaires communs à l'ensemble des
adhérents. En proposant une écologie radicale, la
décroissance conduit donc à réactiver le débat
identitaire au sein du parti écologiste autour de la place de
l'antiproductivisme.
Toutefois le parti Vert est traversé de tensions
contradictoires. Depuis l'adoption à partir de 1993 d'une
stratégie d'alliance avec les partenaires de gauche, les Verts ont
entamé un processus d'institutionnalisation qui doit se conclure par la
transformation en parti de pouvoir. La récente transmutation des Verts
en Europe Ecologie - Les Verts se veut d'ailleurs une étape
décisive en ce sens. Dans cette perspective, se réclamer
ouvertement de la décroissance est contradictoire. Cela conduirait
à braquer l'électorat quand l'objectif du parti est justement
d'accéder à une base électorale plus large. La
décroissance est alors réappropriée par les Verts à
grands renforts d'euphémismes et de périphrases pour conserver la
stabilité de son assise identitaire sans compromettre la logique
électorale.
Ce compromis délicat entre défense des
postulats idéologiques et maintien dans le jeu pour l'exercice du
pouvoir illustre la conversion majoritaire inachevée des Verts
français. L'influence qu'exerce un mouvement aussi radical que la
décroissance sur les Verts est signe d'un certain manque de
maturité politique. En définitive, bientôt trente ans
après la création du parti, les écologistes ne semblent
toujours pas avoir tranché la logique de leur engagement. Entre
revendication du pouvoir et volonté de mettre en oeuvre ses propres
principes, le coeur écolo balance toujours. Exemple flagrant de ces
atermoiements, le nouveau nom du parti « Europe Ecologie - Les
Verts » représente lui-même ces deux logiques
accolées l'une à l'autre, comme en 1984 lorsque naquirent
« Les Verts, Confédération écologiste - Parti
écologiste ». Notre propos n'est cependant pas de dire que
rien n'a changé. Au contraire l'orientation organisationnelle,
idéologique et stratégique du parti est clairement dans le sens
d'une institutionnalisation en parti généraliste de gouvernement.
La primaire écologiste de juin-juillet 2011 a d'ailleurs confirmé
cette tendance en valorisant l'image d'une écologie gestionnaire
incarnée par Eva Joly.
Pour transformer l'essai majoritaire, il
s'agira certainement pour les écologistes de savoir affirmer leur
ambition électorale tout en forgeant une culture partisane commune. Sans
être exclusif, l'exemple du grand frère belge Ecolo et son travail
de synthèse autour du concept de « prospérité
sans croissance » peut être une piste prometteuse.
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Table des sigles
AFRPN Association Fédérative Régionale
pour la Protection de la Nature
ATTAC Association pour la Taxation des Transactions
Financières
AdOC Association des Objecteurs de croissance
AMAP Association pour le Maintien de l'Agriculture Paysanne
A.P.I. Audit participatif interne
CA Conseil d'administration
CDU Christlich Demokratische Union Deutschlands
CE Collège exécutif
CGT Confédération Générale du
Travail
CGTSR Confédération générale du
travail syndicaliste révolutionnaire
CGTU Confédération générale du
travail unitaire
CIME Coordination interrégionale des mouvements
écologistes
CNIR Conseil National Inter-Régional
EELV Europe Ecologie - Les Verts
FRAPNA Fédération Rhône-Alpes de
Protection de la Nature
FNE France Nature Environnement
FNSEA Fédération nationale des syndicats
d'exploitants agricoles
GPI Genuine Progress Indicator
GRECE Groupe de recherche et d'études pour la
civilisation européenne
HGM Humains Génétiquement Modifiés
IBED Indice de bien être durable
ISS Indicateur de santé sociale
ME Mouvement écologique
MEP Mouvement d'écologie politique
MIT Massachusetts Institute of Technology
MOC Mouvement « les Objecteurs de
croissance »
NPA Nouveau Parti Anticapitaliste
PAC Politique Agricole commune
P.I.B Produit Intérieur Brut
P.C.F Parti communiste français
PNUE Programme des Nations Unies pour l'Environnement
PPLD Parti pour la Décroissance
P.S Parti Socialiste
P.S.U Parti Socialiste Unifié
RAT Réseau des Amis de la Terre
R.P.I Réforme participative interne
SEL Système d'Echange Locaux
TGV Train à grande vitesse
UDC Union Démocratique du centre
Annexe
Affiche de campagne de René Dumont, 1974
Table des
matières
Remerciements
4
Mots-clés
5
Résumé
5
Sommaire
6
Introduction
8
Titre Premier : La
Décroissance, le retour d'une écologie radicale
19
Chapitre 1 : La décroissance, un objet
politique propre ?
20
1. Une critique de la croissance et de la
société de consommation
20
La contestation du modèle
keyneso-fordiste
20
La croissance : un aveuglement au
désastre écologique
23
2. Une critique de la science et de la
technique
27
La remise en cause du système
technicien
27
La contestation du progrès,
élément structurant de la société de croissance
30
3. Une critique de la richesse et du
travail
34
Redéfinir la richesse pour jouir de sa
vie
34
Sortir de la société
travailliste
37
Chapitre 2 : La décroissance dans le
champ politique
40
1. Un mouvement politique aux origines
séculaires
40
La filiation Antique et les origines
philosophiques
41
La contestation de la révolution
industrielle
42
Les inspirateurs socialistes
43
2. Un mot obus contre le capitalisme
vert
46
L'impossible croissance verte
46
Une pensée anticapitaliste ?
49
La controverse du développement
51
3. Une tentative iconoclaste de bousculer le
système partisan français ?
52
Une stratégie de minorité
active
53
Prendre parti : les décroissants
dans le jeu partisan
54
Un espace possible qu'à
gauche ?
56
Chapitre 3 : L'antiproductivisme, un invariant
politique des Verts français
61
1. Les inimitiés de la
décroissance contre les Verts
61
Les Verts
« écotartufes »
62
La critique des Verts
« libéraux-libertaires »
64
Des divergences à relativiser
65
2. Un corpus idéologique
partagé ?
67
Des références culturelles
similaires
67
Un texte fondateur clairement
antiproductiviste
69
L'antiproductivisme, une valeur centrale pour
les élus Verts
71
3. L'antiproductivisme à la
genèse du parti écologiste
73
Des luttes symboliques et fondatrices
73
La candidature du radical René
Dumont
75
L'autonomie, un principe
étriqué
77
Titre Deux : L'activation d'un clivage
productivistes/antiproductivistes
81
Chapitre 4 : La théorie des clivages
comme prisme d'analyse de l'écologie politique
82
1. La difficile structuration de l'espace
partisan français
83
L'illusion du clivage droite-gauche
83
Les tentatives de typologies scientifiques
85
2. Vers une taxinomie universelle des partis
politiques : La théorie des clivages de Rokkan et Lipset
87
La structuration des clivages
88
Le modèle de Rokkan et Lipset
89
3. La perturbation du paradigme des clivages
avec l'émergence des partis verts
92
Chapitre 5 : La nécessaire
réadaptation des clivages pour situer les partis écologistes
98
1. Les tentatives de définition d'un
cinquième clivage matérialistes/postmatérialistes
98
Un nouveau clivage pour situer
l'écologie partisane ?
99
Une vision à courte vue
inadéquate
103
2. Un clivage marché/nature pour
expliquer l'émergence du parti Vert
104
Les partis Verts issus du clivage urbain/rural
...
105
... objectivé en clivage
marché/nature
106
La décroissance, un réalignement
des partis écologistes ?
108
3. Un nouveau clivage
productivistes/antiproductivistes ?
109
Les critiques du clivage
marché/nature
109
L'hypothèse du clivage productivistes/
antiproductivistes
111
Chapitre 6 : Approche conceptuelle de
l'identité partisane des Verts français
115
1. Les partis comme entrepreneurs doctrinaux
et culturels
115
La notion de parti-entreprise
116
L'idéologie comme moyen d'investigation
de l'identité partisane
117
Les partis comme entreprises culturelles
119
2. Les partis instituteurs de sens
121
La construction d'une « structure de
sens »
121
Le récit identitaire, ciment des
organisations partisanes
123
3. Des logiques de représentations
différentes
125
L'identité partisane enjeu de lutte
interne
126
Logique de compétition
électorale
127
Logique de représentation doctrinale
128
Titre Trois : La
réappropriation de la décroissance par les Verts
français
132
Chapitre 7 : Une organisation partisane en
voie d'institutionnalisation
133
1. L'évolution historique vers un
parti de gouvernement : une volonté assumée d'accéder
au pouvoir
133
La structuration laborieuse des
écologistes en mouvement unifié
134
La cristallisation de l'écologie
politique en parti
135
L'entrée dans les institutions
136
2. La mutation de l'organisation partisane
écologiste : De l'anti-parti à la machine
électorale ?
138
Les principes du parti basiste
139
Blocages et dysfonctionnement de la
démocratie basiste
141
Vers une machine électorale ?
142
3. L'autonomie relative des
écologistes : la stratégie de l'alliance
145
La conversion majoritaire des Verts
français
145
Le triomphe des
« pragmatistes » ?
147
Chapitre 8 : La réappropriation de la
décroissance, une nécessité dans le
« récit identitaire » écologiste
151
1. La permanence du débat
identitaire
151
Un mouvement aux appartenances culturelles
diverses
152
L'antiproductivisme, segment identitaire
commun
153
Europe Ecologie : vers une
homogénéisation culturelle ?
155
2. Un agenda politique
décroissant ?
158
Un débat interne assumé
158
Un travail d'euphémisation
161
3. L'antiproductivisme dans l'ensemble
programmatique écologiste
163
Une tendance historique à
généraliser le projet écologiste
163
L'antiproductivisme toujours au coeur du
programme écologiste ?
166
Chapitre 9 : Une base militante sensible au
débat sur la décroissance
170
1. Caractéristiques des militants
verts
171
Des militants des classes moyennes
supérieurs, surdiplômés
171
Un réservoir de militants presque
inchangé
173
2. Les Verts et la
décroissance : Paroles de militants
174
3. Tentative de synthèse : la
prospérité sans croissance
180
La prospérité sans croissance,
une troisième voie
180
L'amorce d'une opérationnalisation
politique
184
Conclusion générale
188
Bibliographie
192
Table des sigles
206
Annexe
208
Table des matières
209
* 1 Cette terminologie
faisant référence à l'objection de conscience qui consiste
à désobéir pacifiquement à certains
impératifs
* 2 Voir RAHBI, Pierre,
Vers la sobriété heureuse, Arles, Actes Sud, 2010 et
LATOUCHE, Serge, Vers une société d'abondance frugale :
Contresens et controverses sur la décroissance, Paris, Fayard,
Mille et une nuits, 2011
* 3 LATOUCHE, Serge, Le pari
de la décroissance, Fayard, Paris, 2006, p.6
* 4 LATOUCHE, Serge, Petit
traité de la décroissance sereine, Fayard, Milles et une
Nuits, 2007, p.140
* 5 ARIES, Paul, La
simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance, Paris, La
Découverte, 2010, p.135
* 6 Ibid, p.129
* 7 Ci-après
dénommé, sauf mention contraire, Les Verts
* 8 Ci-après
dénommé EELV
* 9 REMOND, René, La
politique n'est plus ce qu'elle était, Paris, Flammarion, 1993,
2ème éd., 1994, p. 86-87.
* 10 VILLALBA, Bruno, De
l'identité des Verts. Essai sur la constitution d'un nouvel acteur
politique, thèse de sciences politiques, soutenue le 27 janvier
1995, Université de Lille II, résumé
* 11 DEZE, Alexandre,
« Le Front National comme entreprise doctrinale » dans
Les Partis politiques et système partisan en France, Florence
Haegel (dir.), Paris, Presses de Sciences Po, 2007, p. 285
* 12 ROKKAN Stein, LIPSET
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* 13 HASTINGS, Michel,
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Andolfatto, Fabienne Greffet et Laurent Olivier (dir.), Les Partis
politiques. Quelles perspectives ?, Paris, L'Harmattan, 2001, p. 22-23
* 14 SAINTENY, Guillaume,
Les Verts, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1991, p. 55
* 15 Nous empruntons cette
terminologie à SEILER, Daniel Louis, Les partis politiques en
Occident, Paris, Ellipses, 2003
* 16 L'empreinte
écologique mesure la pression de l'homme sur la nature en calculant la
superficie naturelle nécessaire à la satisfaction des besoins
d'une population donnée.
* 17 LA PALOMBRA, Joseph,
WEINER, Myron, « The Origin and Developpement of political
parties », dans Joseph La Palombra, Myron Weiner (eds.),
Political Parties and Political Developpement, Princeton, Princeton
University Press, 1966, p.6
* 18 Les journées
d'été de Nantes en 2010 avaient pour titre
« l'écologie à l'épreuve du
pouvoir »
* 19 Les Verts ont perdu un
tiers de leurs effectifs lorsque Dominique Voynet évinça Antoine
Waechter de la tête du parti en 1993. De même en 2002, après
avoir désigné Alain Lipietz comme candidat à la
présidentielle, les écologistes sont revenus sur leur
décision pour finalement lui préférer Noël
Mamére.
* 20 LAVIGNOTTE,
Stéphane, La décroissance est-elle souhaitable ?,
Paris, Textuel, 2009 ; DUVERGER, Timothée, La
Décroissance, une idée pour demain, Paris, Sang de la Terre,
2011
* 21 DUPIN, Eric,
« La décroissance, une idée qui chemine sous
la récession », Le Monde Diplomatique,
Août 2009, p.20-21
* 22 MATAGNE, Patrick,
Comprendre l'écologie et son histoire, Delachaux et
Niestlé, 2002
* 23 COHEN, Daniel, La
Prospérité du Vice. Une introduction (inquiète) à
l'économie, Paris, Albin Michel, 2009, p.136
* 24 Concept inventé
par Immanuel Wallerstein pour décrire un mouvement voulant s'attaquer
aux logique économiques systémiques produites par le capitalisme
avec une volonté commune
* 25 CANS, Roger,
Petite histoire du mouvement écolo en France, Paris, Delauchaux
et Niestlé, 2006, p.108
* 26 DUVERGER, Timothée,
La Décroissance, une idée pour demain, op.cit., p. 30
* 27 DEBORD, Guy, La
société du spectacle (1967), Paris, Gallimard, 1992, 209 p.
* 28 VANEIGEM, Raoul,
Traité du savoir-vivre à l'usage des jeunes
générations, Paris, Gallimard, 287 p.
* 29 DIVRY, Sophie,
Entretien : L'an 01 et Raoul Vaneigem, avec Raoul Vaneigem,
dans La Décroissance, numéro 60, Juin 2009
* 30 MARCUSE, Herbert,
L'Homme unidimensionnel. Essai sur l'idéologie de la
société industrielle avancée, Paris, Editions de
Minuit, 1968, 281 p.
* 31 MORIN, Edgar, LEFORT,
Claude, CASTORIADIS, Cornélius, Mai 1968, La Brèche
(1968), Paris, Fayard, 2008
* 32 MOSCOVICI, Serge,
Essai sur l'histoire humaine de la nature, Paris, Flammarion, 1977
(1ere édition 1968)
* 33 MEADOWS, Denis, Halte
à la croissance ? Enquête pour le Club de Rome. Rapport sur
les limites de la croissance, Paris, Fayard, 1972, 314 p.
* 34 « Les limites de
la croissance », dans Ecorev', n° 26, avril 2007, p.
7
* 35 MILL, John Stuart,
Principes d'Economie Politique, Londres, 1848
* 36 Cité par VIVIEN,
Frank-Dominique, Le Développement soutenable, Paris, La
Découverte, 2005, p. 10
* 37 MANSHOLT, Sicco,
« Le chemin du bonheur », entretien réalisé
par Josette ALIA, Le Nouvel Observateur, 12-18 juin 1972, p. 71-88
* 38 GEORGESCU-ROEGEN,
Nicholas, Demain la décroissance. Entropie, écologie,
économie, Lausanne, Pierre Marcel Favre, 1979,157 p.
* 39 LATOUCHE, Serge, Petit
traité de la décroissance sereine, op.cit., p.
40
* 40 ILLICH, Ivan, Le Genre
vernaculaire, dans OEuvres complètes, tome 2, Fayard, Paris, 2005,
p. 292
* 41 LATOUCHE, Serge, Le
Pari de la décroissance, Fayard, Paris, 2006, p. 53
* 42 PNUD, Rapport mondial
sur le développement humain 2004. La liberté culturelle dans un
monde diversifié, Economica, Paris, 2004 in Le Pari de la
décroissance, op.cit.
* 43 HANS, Jonas, Le
Principe Responsabilité, Une éthique pour la civilisation
technologique, (trad:J. GREISCH), Paris, Editions du Cerf, 1990
* 44 ARIES, Paul, La
simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance, Paris,
Editions La Découverte, 2010
* 45 Ibid, p. 244
* 46 ANDERS, Günther,
L'Obsolescence de l'homme, Paris, l'Encyclopédie des nuisances,
2002.
* 47 ANDERS, Günther,
Nous fils d'Eichmann, Paris, Rivages Poche, 2003
* 48 ELLUL, Jacques, Le
système technicien, Paris, Calmann-Lévy, 1977
* 49 GORZ, André,
Ecologica, Paris, Editions Galilée, 2008, p. 32
* 50 ILLICH, Ivan, La
Convivialité (1973), Paris, Seuil, 2003
* 51 Ibid, p. 23
* 52 Ibid, p. 79
* 53 VIVERET, Patrick,
« Sortir de la démesure et accepter nos
limites », interview à TerraEco 29/11 /2009,
http://www.terraeco.net/Sortir-de-la-demesure-et-accepter,7598.html
* 54 HABERMAS, Jürgen,
La Technique et la science comme
« idéologie » (1968), Paris, Gallimard, 1990
* 55 GRAS, Alain, Le Choix
du feu. Aux origines de la crise climatique, Paris, Fayard, 2007
* 56 TESTART, Jacques,
« Faut il arrêter la recherche », débat avec
Philippe, Hervé et Bougain, Catherine, La Décroissance,
n°68, avril 2010, p.15
* 57 LATOUCHE, Serge, La
Mégamachine. Raison technoscientifique,raison économique et mythe
du progrès, Paris, La Découverte, 2004, p. 179
* 58 GRAS, Alain,
« La société thermo-industrielle et l'impasse
énergétique », in Foi et Vie, décembre
2006, p. 50
* 59 LATOUCHE, Serge, La
Mégamachine, op.cit.
* 60 CHARBONNEAU, Bernard,
Prométhée réenchainé, Paris, La table
ronde, 2001
* 61 BESSET, Jean Paul,
Comment ne plus être progressistes... sans devenir
réactionnaire, Paris, Fayard, 2005, p.327
* 62 LATOUCHE, Serge, Le
Pari de la décroissance, op.cit, p. 87
* 63 GALBRAITH, John Kenneth,
Les Mensonges de l'économie. Vérité pour notre
temps, Grasset, Paris, 2004
* 64 DURKHEIM, Emile, De la
division du travail social, Alcan, Paris, 1926, p. 13
* 65 ILLICH, Ivan, Dans le
miroir du passé, dans OEuvres complètes, Paris,
Fayard, 2005, p. 744
* 66 Repris dans un
ouvrage : VIVERET, Patrick, Reconsidérer la Richesse,
Paris, Editions de l'Aube, 2004, 217 p.
* 67 GADREY, Jean et
JANY-CATRICE, Florence, Les Nouveaux indicateurs de richesse, Paris,
La Découverte, 2005
* 68 SHIVA, Vandana,
« The world on the edge », dans Will Hutton et
Anthony Giddens (dir.), On the Edge : Living with Global Capitalism,
New York, New Press, 2000, p. 128
* 69 GORZ, André,
Ecologie et politique, Paris, Seuil, 1975, p. 36
* 70 LAFARGUE, Paul, Le
Droit à la paresse, Paris, Mille et Une Nuits, 2000
* 71 GORZ, André,
Ecologica, op.cit., p. 134
* 72 SHALINS, Marshall, Age
de pierre, âge d'abondance, Paris, Gallimard, 1976
* 73 MOTHE, Daniel,
L'utopie du temps libre, Esprit, Paris, 1997
* 74 ARIES, Paul,
Décroissance ou barbarie, Villeurbanne, Golias, 2005, p. 31
* 75 BAUDRILLARD, Jean, La
Société de consommation, Paris, Gallimard, 1970
* 76 THOREAU, Henry David,
Walden ou la vie dans les bois (1854), Paris, Gallimard, 1990
* 77 RUSKIN, John, Unto
this last, George Allen, London, 1903
* 78 Pour de plus amples
développements, voir l'éclairage de Timothée Duverger dans
La Décroissance, une idée pour demain,
op.cit.., p. 153
* 79 ARIES, Paul, La
simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance,
op.cit., p. 162
* 80 Ibid, p. 171
* 81 Ibid, p. 166
* 82 ARIES, Paul, La
simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance,
op.cit., p. 135
* 83 MORRIS, William, L'Age
de l'ersatz et autres textes contre la civilisation moderne, Paris,
Encyclopédie des nuisances, 1999.
* 84 LANGLOIS, Jacques,
Agir avec Proudhon, Lyon, Chronique sociale, 2004, 204 p.
* 85 LATOUCHE, Serge, Le
Pari de la décroissance, op.cit., p. 114
* 86 JACKSON, Tim,
Prospérité sans croissance. La transition vers une
économie durable (version française réalisée
par la fondation Etopia, Bruxelles, De Boeck, 2010
* 87 En français
« éco-blanchiment » : opération de
publicité donnant une image écologique non fondée à
une entité ou un produit.
* 88 CHEYNET, Vincent, Le
Choc de la décroissance, op.cit., p. 8
* 89 ARIES, Paul,
« Contre le capitalisme vert » dans La
Décroissance, mars 2009, p.3
* 90 ARIES, Paul,
Décroissance ou barbarie, op.cit., p.87
* 91 « La
décroissance est forcément contre le
capitalisme », LATOUCHE, Serge, Petit traité de la
décroissance sereine, op.cit., p.138
* 92 ARIES, Paul, Le
Mésusage. Essai sur l'hypercapitalisme, Lyon, Parangon/Vs, 2007
* 93 « Capitalism
can no more «be persuaded» to limit growth than a human being can be
«persuaded» to stop breathing », in New York
Times, August 7, 2006, «Murray Bookchin, 85,Writer, Activist and
Ecology Theorist, Dies», by Douglas Martin
* 94 FOTOPOULOS, Takis,
Vers une démocratie générale. Une démocratie
directe économique, écologique et sociale, Paris, Seuil,
2002, p. 39
* 95 PARTANT, François,
La Fin du développement. Naissance d'une alternative ?
(1982), Arles, Actes Sud, 1997
* 96 LATOUCHE, Serge,
L'Occidentalisation du monde (1989), Paris, La Découverte, 2005
* 97 ARIES, Paul, La
Décroissance. Un nouveau projet politique, Lyon, Golias, 2009, p.
27
* 98 LATOUCHE, Serge, Le
Pari de la décroissance, op.cit., p. 133
* 99 MOSCOVICI, Serge,
Psychologie des minorités actives, Paris, PUF, 1991
(première édition 1976)
* 100 BESSON-GIRARD, Jean
Claude, Decrescendo cantabile, Lyon, Parangon/Vs, 2005, p. 160
* 101 Une AMAP est une
association dont le but est de favoriser les liens de proximité par la
vente de produits d'une ferme locale à un groupe de
consommateurs-adhérents.
* 102 Un SEL est un
système d'échange de produits structuré autour d'une
association dont les adhérents s'échangent des biens et des
services de manière libre ou à l'aide d'une monnaie fictive et
autonome.
* 103 HOPKINS, Rob, The
Transitions Handbook. From oil dependency to local resilience, Totnes,
Green Books, 2008
* 104 LATOUCHE, Serge, Le
Pari de la décroissance, op.cit., p. 269
* 105 LAVIGNOTTE,
Stéphane, La décroissance est elle souhaitable,
op.cit., p. 98
* 106 Les Amish sont une
communauté religieuse d'Amérique du Nord qui s'exclue de la
société pour vivre une existence simple en dehors de la
société de consommation.
* 107 DUVERGER,
Timothée, La Décroissance une idée pour demain,
op.cit., p.214
* 108 Le PPDL et le MOC
s'étaient séparés en mai 2010 sur la question de la
représentation aux élections. En juin 2010, une nouvelle
formation, le Parti des Objecteurs de Croissance (POC) est créé
à l'initiative d'anciens membres du PPDL.
* 109 DUVERGER,
Timothée, La Décroissance, une idée pour demain,
op.cit., p. 201
* 110 LATOUCHE, Serge, Le
pari de la décroissance, op.cit., p. 186
* 111 Groupement de recherche
et d'études pour la civilisation européenne
* 112 BENOIST, Alain de,
« Objectif décroissance »,
Éléments, hiver 2005-2006, p.29-30
* 113 BENOIST, Alain de,
Demain la décroissance ! Penser l'écologie jusqu'au
bout, Paris, Edite, 2007
* 114 Ibid, p. 79
* 115 « Appel
à la vigilance des milieux antiproductivistes et décroissants
contre l'extrême droite », http://www.decroissance.org/
* 116 LAVIGNOTTE,
Stéphane, La décroissance est elle souhaitable ?,
op.cit., p.73-80
* 117 LATOUCHE, Serge
« La décroissance comme projet politique de
gauche », 17 février 2011,
http://www.les-oc.info/2010/08/la-decroissance-comme-projet-politique-de-gauche/
* 118 ARIES, Paul, La
simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance, op.cit., p.
129
* 119 BILLARD, Martine et
ARIES, Paul, « Pour un parti de gauche écologiste »,
Politis, 9 juillet 2009.
* 120 « Principes
fondateurs du Nouveau Parti Anticapitaliste adoptés par le
Congrès », http://www.npa2009.org/
* 121
« Communiqué du NPA et du MOC à propos des
élections régionales », http://www.les-oc.info/
* 122 ARIES, Paul,
«Croissance verte ou décroissance ? », allocution
aux Journées d'Eté des Verts, 21 août 2011
* 123 SEILER, Daniel Louis,
Les partis politiques en Occident, op.cit.
* 124 MOSCOVICI, Serge,
« L'influence n'est pas la manipulation », entretien
réalisé par Jacques Lecomte, Sciences Humaines,
n°37, Mars 1994
* 125 CHEYNET, Vincent,
« Maman, je t'aime », La Décroissance,
n°26, avril 2005, p. 4
* 126 CHEYNET, Vincent,
« Dominique Voynet », La Décroissance,
n°35, décembre 2006, p. 4
* 127 CHEYNET, Vincent,
« L'écotartufette : Cécile Duflot »,
La Décroissance, n°82, septembre 2011, p. 6
* 128 La
Décroissance, « Le Grenelle des dupes »,
n°42, septembre 2007
* 129 DIVRY, Sophie,
« La mascarade verte de Nicolas Sarkozy », La
Décroissance, n°42, septembre 2007, p.2
* 130 CHEYNET, Vincent,
« Ces écolos contre la démocratie », La
Décroissance, n°45, décembre 2007/janvier 2008, p.
3-4
* 131 DIVRY, Sophie,
« Les Tartuffes de l'écologie », Contre-Grenelle
de l'environnement. Pour repolitiser l'écologie, Lyon, Parangon,
2007, p.19-26
* 132 La
Décroissance, « Les écolos radioactifs »,
n°71, juillet-août 2010
* 133 FAIVRE, Catherine,
CHINAL, Marc et SuperNo, « Débat : Nicolas Hulot signe
t-il la mort de l'écologie politique ? », La
Décroissance, n°80, juin 2011, p. 14-15
* 134 La
Décroissance, « Où sont les femmes ? »,
n°80, juin 2011 (Anne Lauvergeon est alors présidente du groupe
nucléaire AREVA).
* 135 LATOUCHE, Serge
« La décroissance comme projet politique de
gauche », op.cit.
* 136 DIVRY, Sophie,
« Le vrai visage de Daniel Cohn-Bendit », La
Décroissance, n°56, février 2009, p. 8-9
* 137 COHN BENDIT, Daniel,
Une envie de politique, Entretiens avec Lucas Delattre et Guy
Herzlich, Paris, La Découverte, 1998
* 138 ARIES, Paul et LERAY,
Florence, Cohn-Bendit, l'imposture, Paris, Max Milo, 2010, p. 16
* 139 DUFLOT, Cécile,
« Explication avec Cécile Duflot des Verts », propos
recueillis par Vincent CHEYNET, La Décroissance, n°44,
novembre 2007
* 140 Ibid, p. 44
* 141 Propos recueillis lors
d'un entretien avec Yves Cochet le 19 août 2011 à Clermont Ferrand
* 142 FREMION, Yves,
Histoire de la Révolution écologiste, Paris,
Hoëbeke, 2007, p. 13
* 143 Ibid, p.
29-79
* 144 Auteur de Quelle
terre laisserons nous à nos enfants ?, Paris, Seuil, 1969 et
premier candidat écologiste à la présidentielle
américaine en 1980
* 145 Selon l'expression de
Cécile Duflot dans Le Monde du 11 novembre 2010
* 146 Manifeste pour une
Société écologiste, http://eelv.fr/
* 147 Catherine
Grèze est députée écologiste au Parlement
européen, adhérente à la création des Verts en
1984. Membre pendant neuf ans de l'exécutif des Verts elle a mis
notamment en place la coordination des Verts mondiaux
* 148 Propos recueillis
lors d'un entretien avec Catherine Grèze au Parlement européen
à Bruxelles le 5 mai 2011.
* 149 Propos recueillis
à l'aide d'un questionnaire retourné par courriel le 25
août 2011
* 150 Propos recueillis lors
d'un entretien au Parlement européen à Bruxelles le 23 Mai
2011
* 151 Propos recueillis lors
d'un entretien au Parlement européen à Bruxelles le 13 Mai
2011
* 152 LECOEUR, Erwan, Des
écologistes en politique, Paris, Lignes de Repères, 2011, p.
129
* 153 Ibid, p. 134
* 154 NEVEU, Erick,
Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte,
3ème éd., 2002, p. 10.
* 155 FREMION, Yves,
Histoire de la révolution écologiste, op.cit., p.
171-231
* 156 LIPIETZ, Alain,
Qu'est ce que l'écologie politique ? La grande transformation
du XXIème siècle, La Découverte, 1999, p. 38
* 157 GAUCHET, Marcel,
« la droite et la gauche », dans Pierre Nora (dir.),
Les lieux de mémoire, tome III, vol. 1, Paris Gallimard, 1992,
p. 397
* 158 CRAPEZ, Marc,
« De quand date le clivage gauche/droite en
France ? », Revue française de science politique
48/1, février 1998, p. 42-75
* 159 Voir un panorama complet
dans SEILER Daniel-Louis, Les Partis Politiques, Paris, Armand Colin,
2ème édition, 2000.
* 160 DUVERGER, Maurice,
Les Partis Politiques, Paris, Armand Colin, 1951 (pour la
première édition).
* 161 Ibid, p. 305
* 162 Pierre Bréchon
les détaille dans Les Partis Politiques, Paris, Montchrestien,
1999, p. 63
* 163 Par exemple la
démocratie chrétienne incarnée par le Mouvement
Républicain Populaire (MRP) gouverne avec la gauche au début de
la IVème République en partageant la politique sociale mais se
rapproche de la droite par son cléricalisme.
* 164 BLONDE L, Jean,
Political Parties: A Genuine Case for Discontent, London, Wildwood
House, 1978
* 165 Daniel Louis Seiler
dresse une liste de contre-exemples dans Les Partis Politiques,
op.cit., p. 58-60
* 166 Paul Magnette utilise
notamment cette dichotomie pour dégager la logique de construction des
majorités au sein du Parlement européen : MAGNETTE, Paul,
Le régime politique de l'Union européenne, Paris,
Presses de Sciences Po, 2009
* 167 ROKKAN Stein, LIPSET
Seymour M., Party Systems And Voters Alignment. Cross National
Perspectives, op.cit.
* 168 BRECHON, Pierre, Les
Partis Politiques, op.cit., p. 67
* 169 DE COOREBYTER, Vincent, « Clivages et partis en
Belgique », Courrier hebdomadaire du CRISP 15/2008 (n°
2000), p. 7-95.
* 170 BRAUDEL, Fernand, La
Méditerranée et le monde méditerranéen à
l'époque de Philippe II, Paris, Armand Colin, 1949.
* 171 SEILER, Daniel Louis,
Clivages et familles politiques en Europe, Bruxelles, Editions de
l'Université de Bruxelles, 2011, p.88-89
* 172 ROKKAN Stein, LIPSET
Seymour, Party Systems And Voters Alignment. Cross National
Perspectives, op.cit., p.5
* 173 BARTOLINI, Stefano,
MAIR, Peter, Identity, Competition, and Electoral Availability,
Cambridge, Cambridge University Press, 1990
* 174 LIJPHART, Arend,
Democracy At The Polls, dirigé par BUTLER David, PENNIMAN
Howard R., RANNEY Austin, chapitre 3: «Political Parties Ideologies And
Programs», American Enterprise Institute For Public Policy Research,
1981
* 175 Daniel-Louis Seiler en
fait la critique dans Les Partis Politiques, op.cit., p.
69-70
* 176 RAE, Douglas, TAYLOR,
Michael, The Analysis Of Political Cleavages, Yale, Yale University
Press, 1970
* 177 ROSE, Richard, URWIN,
Derek, Comparative Political Studies, avril 1969, vol. 2, n° 1,
chapitre 1 « Social Cohesion, Political Parties and Strains in Regimes
»
* 178 CHARLOT Jean et
Monica, « Les Groupes Politiques Dans Leur Environnement », dans
Madeleine Grawitz et Jean Leca, Traité de Science Politique,
Tome 1, La science politique, Science sociale, L'ordre politique,
Paris, PUF, 1985.
* 179 Daniel-Louis Seiler
développe cette idée dans Clivages et familles politiques en
Europe, op.cit., 244-246
* 180 INGLEHART, Ronald,
The Silent Revolution. Changing Values and Political Styles among Western
Politics, Princeton, Princeton University Press, 1977
* 181 INGLEHART, Ronald,
FLANAGAN, Scott C., « Value change in industrial societies »,
American Political Science Review, vol. 81, no. 4, December 1987, p.
1292 (il s'agit d'un débat entre Inglehart et Flanagan, et non d'un
article commun).
* 182 Ibid., p.
1297
* 183 SEILER, Daniel-Louis,
Clivages et familles politiques en Europe, op.cit., p. 240
* 184 LIPSET, Seymour M.,
« The Revolt against Modernity », in TORSVIK, P., ed.,
Mobilization Center-periphery Structures and Nation-Building, Oslo,
Universitetsforlaget, 1981, p. 470
* 185 SEILER, Daniel-Louis,
« Populistes, extrémistes et ultras : une relecture de
Political Man », Revue Internationale de Politique
Comparée, Vol. 15, n°3, 2008
* 186 SEILER, Daniel-Louis,
Clivages et familles politiques en Europe, op.cit., p. 242
* 187 SHAMIR, Michael,
« Are Western European Party Systems
« Frozen » ? », Comparative Political
Studies, 17, 1984
* 188 SEILER, Daniel-Louis,
Les Partis Politiques, op.cit., p.79-89
* 189 SEILER, Daniel-Louis,
Clivages et familles politiques en Europe, op.cit., p. 246
* 190 VIALLATE,
Jérôme, Les partis verts en Europe occidentale,
Economica, Paris, 1996, p. 188
* 191 POLANYI, Karl, La
grande transformation, Paris, Gallimard, 1989, p. 180
* 192 SEILER, Daniel-Louis,
Les Partis Politiques, op.cit., p. 142-148
* 193 Ibid, p.81
* 194 MICHEA, Jean-Claude,
« Le libéralisme comme philosophie de
l'illimité », in La Décroissance, n°85,
décembre 2011, p. 3
* 195 DE COOREBYTER, Vincent,
« Clivages et partis en Belgique », op.cit., p. 59
* 196 VIALLATE,
Jérôme, Les partis verts en Europe occidentale,
op.cit., p. 69
* 197 SEILER, Daniel-Louis,
Les Partis Politiques, op.cit., p.91
* 198 CHARLOT Jean et Monica,
op.cit.
* 199 LA PALOMBRA, Joseph,
WEINER, Myron, « The Origin and Developpement of political
parties », op.cit., p.6
* 200 WEBER, Max, Economie
et Société, Paris, Plon, 1971 (1ère
ed. 1921, posthume), p. 371
* 201 OFFERLE, Michel, Les
Partis Politiques, Paris, Que sais-je ?, 2006 (1ère
ed. 1987), p. 11
* 202 DEZE, Alexandre,
« Le Front National comme entreprise doctrinale »,
op.cit.
* 203 Ibid, p. 257
* 204 MCLELLAN, David,
Ideology, Milton Keynes, Open University Press, 1986, p. 1.
* 205 ANSART, Pierre, Les
Idéologies politiques, Paris, PUF, 1974, p. 10 et 17
* 206 TOUCHARD, Jean, «
Introduction à l'idéologie du Parti communiste français
», Cahiers de la
Fondation nationale des sciences politiques, n°175,
1969, p. 84
* 207 HASTINGS, Michel, «
Partis politiques et administration du sens », op.cit., p. 26
* 208 BRECHON, Pierre, Les
Partis politiques, op.cit., p. 54
* 209 ETHUIN, Nathalie,
« La formation communiste dans les processus
d'homogénéisation et de (re)construction d'identités
partisanes. Une étude de cas : le séminaire «Comment traiter
la question Quoi de neuf dans le capitalisme ? dans les initiatives de
formation» », communication au colloque de l'Association
française de science politique sur Les tendances récentes de
l'étude des partis politiques dans la science politique
française : organisations, réseaux, acteurs, Institut
d'études politiques de Paris, 31 janvier et 1er février 2002, p.
1-2
* 210 ELDERSVEL, Samuel J.,
Political Parties : A Behavioral Analysis, Chicago, Round Mac Nally
and Cie, 1964
* 211 KIRCHHEIMER, Otto,
«The Transformation of the Western European Party Systems», dans J.
La Palombara, M. Weiner (eds.), Political Parties and Political
Development, Princeton, Princeton University Press, 1966, p. 177-
200.
* 212 KARTZ, Richard S., MAIR,
Peter, Changing Models of Party Organization and Party Democracy : The
Emergence of the Cartel Party, Party Politics, 1995, n°1
* 213 SAWICKI,
Frédéric, « Les partis comme entreprises culturelles »,
dans Daniel Cefaï (dir.), Les Cultures politiques, Paris, PUF,
2001, p. 198
* 214 Ibidem
* 215 HASTINGS, Michel, «
Partis politiques et administration du sens », op.cit.
* 216 DESCOMBES, Vincent,
Les institutions du sens, Paris, Minuit, 1996, p. 296
* 217 HAURIOU, Maurice, La
cité moderne et la transformation du droit, Paris, Alcan, 1929, p.
12
* 218 ANSART, Pierre,
Idéologies, conflits et pouvoirs, Paris, PUF, 1977, p. 232
* 219 HASTINGS, Michel, «
Partis politiques et administration du sens », op.cit., p.
24
* 220 MARTIN, Denis-Constant,
Carte d'identité. Comment dire nous en politique ?, Paris,
Presses de la FNSP, 1994
* 221 PIZZORNO, Alessandro,
Le radici della politica assoluta, Milan, Feltrinelli, 1993
* 222 NORA, Pierre, Les
lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1997
* 223 LEIRIS, Michel, Cinq
études d'ethnologie, Paris, Denoël-Gonthier, 1969, p. 39
* 224 HASTINGS, Michel, «
Partis politiques et administration du sens », op.cit., p.
30
* 225 BRAUD, Philippe,
L'émotion en politique, Paris, Presses de Sciences Po, 1996
* 226 CHARLOT, Jean,
« Partis politiques : pour une nouvelle synthèse
théorique », dans Y. Mény (dir.),
Idéologies, partis politiques et groupes sociaux, Paris,
Presses de la FNSP, 1989, p. 205-216
* 227 SCHEIN, Edgar,
Organizational Culture and Leadership, Londres, Sage, 1986
* 228 LAZAR, Marc,
« Cultures politiques et partis politiques en France » dans
Daniel Cefaï (dir.), Les Cultures politiques, op.cit.,
p. 173-174
* 229 KITSCHELT, Herbert,
The Logics of Party Formation. Ecological Politics in Belgium and
West
Germany, Ithaca (N Y.), Cornell University Press,
1989
* 230 WEBER, Max,
Économie et société, Paris, Pocket, 1995 [2e
éd.], p. 372
* 231 MILNOR, Andrew J.,
« Ideology », dans Andrew J. Milnor (ed.), Comparative Political
Parties : Selected Readings, New York (N. Y.), Thomas Y. Crowell Company,
1969, p. 101-110
* 232 CHARLOT, Jean, Le
Phénomène gaulliste, Paris, Fayard, 1970, p. 63-66
* 233 ELDELMAN, Murray,
Pièces et règles du jeu politique,
Paris, Le Seuil, 1991
* 234 VILLALBA, Bruno, «
Les petits partis et l'idéologie : le paradoxe de la
différenciation », dans Annie Laurent et Bruno Villalba (dir.),
Les Petits partis. De la petitesse en politique, Paris, L'Harmattan,
1997, p. 76
* 235 DUBAR, Claude, La
socialisation. Construction des identités sociales et
professionnelles, Paris, Armand Colin, 1991, p. 111
* 236 FAUCHER, Florence,
Les habits verts de la politique, Paris, Presses de Sciences Po,
1999
* 237 VILLALBA, Bruno, «
Les petits partis et l'idéologie : le paradoxe de la
différenciation », op.cit., p. 78
* 238 LAZAR, Marc, Maisons
rouges. Les partis communistes français et italien de la
Libération à nos jours, Paris,
Aubier, 1992, p. 187
* 239 SAINTENY, Guillaume,
Les Verts, op.cit., p. 14-16.
* 240 Ibid, p. 25
* 241 KVISTED, Gregg O.,
«Between State and Society : Green Political Ideology in the
Mid-1980s», West European Politics, Vol. 10, No. 2, Avril, 1987,
p. 211-228
* 242 Cf. PELLETIER, Willy,
« Positions sociales des élus et procès
d'institutionnalisation des Verts », Contretemps, n°4, mai
2002, p. 58-70
* 243 LECOEUR, Erwan,
Des écologistes en politique, op.cit., p. 164
* 244 Le Parti radical de
gauche est devenu un parti d'élus sans militants suite à une
stratégie d'alliance systématique avec le P.S.
* 245 Voir VILLALBA, Bruno,
« Les écologistes à l'heure du pragmatisme »,
dans Pierre Bréchon (dir.), Les Partis Politiques
français, Paris, La Documentation française, 2005, p.
153-178.
* 246 RIHOUX, Benoît,
Les partis politiques : organisations en changement. Le test des
écologistes, Paris, L'Harmattan, coll. Logiques politiques, 2001
* 247 MICHELS, Roberto,
Les partis politiques. Essai sur les tendances oligarchiques des
démocraties, Paris, Flammarion, 1971 (1ère
édition 1911)
* 248 La plus fameuses de
ces critiques tient surement dans le pamphlet plus idéologique et
politique qu'intellectuel de Luc Ferry. Voir FERRY, Luc, Le Nouvel ordre
écologique. L'arbre, l'animal et l'homme, Paris, Grasset, 1992
* 249 LIPIETZ, Alain,
Vert espérance. L'avenir de l'écologie politique, Paris,
La Découverte, 1993, p. 24.
* 250 SAINTENY, Guillaume,
L'introuvable écologisme français, Paris, Presses
universitaires de France, 2000, p. 245
* 251 FAUCHER, Florence,
« Les Verts et la démocratie interne », dans
Florence Haegel (dir.), Partis politiques et système partisan,
op.cit., p. 102-142.
* 252 RIHOUX,
Benoît., PEIRANO, Albert., FAUCHER, Florence, Audit participatif
interne (API) des Verts. Rapport final. Vers un parti en mouvement :
démocratie, efficacité, convivialité, 22 octobre
2002.
* 253 Ce processus de
primaires est un gage de ne pas reproduire les investitures catastrophes comme
en 2002 lorsqu'Alain Lipietz avait finalement dû laisser la place
à Noël Mamère. C'est aussi un signe d'acceptation de la
logique majoritaire propre à la Vème République et
à la compétition médiatique qui l'accompagne.
* 254 L'appel est lancé
en mai 1985 par les porte-paroles Yves Cochet, Didier Anger et Jean
Brière.
* 255 LECOEUR, Erwan, Des
écologistes en politique, op.cit., p. 58
* 256 BOY, Daniel,
« Les Verts français ont-ils changé ? »,
dans Pascal Delwitt et Jean-Michel De Waele, Les Partis verts en
Europe, Bruxelles, Editions Complexe, 1999, p. 80-81
* 257 En 2002, dans un
contexte politique difficile, les Verts trouvent un accord avec le reste de la
gauche (P.S, P.C, PRG). En 2007 ils rejettent la proposition du P.S (14
circonscriptions réservées) jugée insuffisante.
* 258 L'accord
prévoit par exemple une réduction de la part du nucléaire
dans la production électrique de 75 % aujourd'hui à 50 % en 2025
quand les écologistes demandaient une sortie totale en vingt ans.
* 259 GUILLAUME, Sainteny,
Les Verts, op.cit., p. 30-31
* 260 Certains
députés n'hésitent pas à contredire publiquement
les décisions du parti. Surtout Dominique Voynet accepte d'entrer au
gouvernement malgré un vote contre du CNIR à 80%.
* 261 SARTORI, Giovanni,
Parties and Party Systems: A Framework for Analysis, Vol. 1,
Cambridge, Cambridge University Press, 1976
* 262 La décroissance
s'invite régulièrement dans les débats des journées
d'été du parti.
* 263 BOY, Daniel, «
L'écologie, une nouvelle culture politique ? »,
Vingtième Siècle. Revue d'Histoire,
octobre-décembre 1994, n°44
* 264 BOY, Daniel, PLATONE,
François, REY, Henri, SUBILEAU, Françoise, et YSMAL, Colette,
C'était la gauche plurielle, Paris, Presses de Sciences Po,
2003, p. 52
* 265 Ibid, p. 62
* 266 FAUCHER, Florence,
Les habits verts de la politique, op.cit.
* 267 BOY, Daniel, et
alii, C'était la gauche plurielle, op. cit., p.
125
* 268 BOY, Daniel, et
alii, C'était la gauche plurielle, op.cit., p.
66
* 269 Nous avons pu
assister aux débats concernant la thématique de la
décroissance lors des journées d'été de 2010 et
2011. Nous avons pu constater qu'ils suscitaient l'intérêt d'un
grand nombre de militants, les capacités maximums des salles
étant à chaque fois atteintes. Cette observation ne suffit pas
pour être scientifiquement mobilisable mais notons tout de même cet
intérêt.
* 270 « La
décroissance pourquoi ? », Vert contact,
n°709, avril 2004
* 271 « Motion
ponctuelle 1 : Anticiper », archives électroniques des
Verts, http://archivage.oizoo.com/
* 272 « Motion
ponctuelle 2 : Crises environnementales II, que faire ? »,
http://archivage.oizoo.com/
* 273 « Motion
ponctuelle 3 : Pour une décroissance sélective et
équitable : concept à apprivoiser (d'urgence), non à
écarter ! », http://archivage.oizoo.com/
* 274 Avant le
départ d'Yves Cochet pour le Parlement européen en
décembre, l'Assemblée nationale ne comptait que quatre
députés écologistes.
* 275 « Crise :
Groupe GDR Verts », http://dailymotion.com/
* 276 COCHET, Yves,
« Quel projet pour Europe Ecologie ? », Le Monde,
16 août 2010
* 277 GLEIZES,
Jérôme, « Les Verts et la
décroissance », Ecorev, dossier « Sens de
la décroissance », n°26, avril 2006
* 278 Entretien avec Jean Paul
Besset, op.cit.
* 279 Voir DUMONT,
René, La Campagne de René Dumont et du mouvement
écologique, Paris, Pauvert, 1974
* 280 SAINTENY, Guillaume,
Les Verts, op.cit., p. 64
* 281 Les Verts,
« Vous êtes écologistes. Le
saviez-vous ? », encart dans Ecologie, 369,
janvier-février 1986, p. 9-12
* 282 La création
d'un grand ministère de l'environnement, l'abandon des essais atomiques
et l'arrêt de la construction de nouvelles centrales nucléaires
dont celle de Creys-Malville
* 283 Commission mondiale de
l'environnement et du développement, Notre Avenir à
tous, Genève, CMED, 1987
* 284 Guillaume Sainteny
explique que les phases où les Verts priorisent les questions
environnementales s'accompagnent d'une certaine modération
programmatique, Les Verts, op.cit., p. 63-64
* 285 Europe Ecologie - Les
Verts, « Vivre mieux vers la société
écologique », http://eelv.fr/le-projet/
* 286 "L'avenir ne sera
soutenable pour tous les habitants de la planète que si une
décroissance de l'empreinte écologique des pays riches est
amorcée : décroissance de l'exploitation des ressources non
renouvelables, des profits et des revenus des 20% les plus aisés, de la
fabrication et de la vente d'armes, du gaspillage énergétique,
des transports routiers et aériens...", Les Verts, Le monde
change, avec les Verts changeons le monde, programme présidentiel
de 2007, http://lesverts.fr/spip.php?breve72
* 287 Les Verts,
« Pour une alternative à la mondialisation
néolibérale », Le monde change, avec les Verts
changeons le monde
* 288 « L'Ecologie,
la Solution. Le projet présidentiel d'Eva Joly »,
http://evajoly2012.fr/
* 289 « Budget 2012,
un new deal écologique et social », http://evajoly2012.fr/
* 290 FILLIEULE, Olivier,
MAYER, Nonna, « Devenirs militants. Introduction », Revue
française de science politique, vol. LI, no. 1-2,
février-avril 2001, p. 21
* 291 BOY, Daniel, et
alii, C'était la gauche plurielle, op.cit., p.
17
* 292 Ibid., p. 25
* 293 Etude menée en
2010 sur environ 4000 adhérents et sympathisants d'Europe Ecologie par
l'agence « Somme toute », pour Europe Ecologie, juillet
2010. Malgré certains biais méthodologiques (adhérents et
sympathisants ne sont pas dissociés, ...) cette étude constitue
à ce jour la seule source de données disponible sur les militants
écologistes depuis la création d'Europe Ecologie. Il faut donc
prendre en compte ses résultats plus comme des indications que comme des
résultats scientifiques.
* 294 ROCHE, Agnès,
BENNAHMIAS, Jean-Luc, Des Verts de toutes les couleurs, Histoire
et sociologie du mouvement écolo, Paris, Albin Michel, 1992.
* 295 Enquête interne
Europe Ecologie, 2010, ibid
* 296 ROCHE, Agnès,
BENNAHMIAS, Jean-Luc, Des Verts de toutes les couleurs, Histoire
et sociologie du mouvement écolo, op.cit., p. 117
* 297 « Motion
ponctuelle 3 : Pour une décroissance sélective et
équitable : concept à apprivoiser (d'urgence), non à
écarter ! » adoptée par le CNIR des Verts en 2004,
op.cit.
* 298 Les propos de ce
militant relèvent d'une certaine justesse. Nombre de promoteurs de la
décroissance, parmi lesquels Yves Cochet, ont posé la question du
contrôle des naissances pour réduire l'impact de l'homme sur
l'écosystème planétaire. Ces propositions malthusiennes
ont suscité de vives polémiques et n'ont pas fait l'objet d'un
véritable consensus chez les objecteurs de croissance.
* 299 JACKSON, Tim,
Prosperity Without Growth : Economics for a finite planet, Earthscan
Ltd, 2009 traduit en français par la fondation belge Etopia en 2010,
op.cit.
* 300 JACKSON, Tim, La
prospérité sans croissance, op.cit., p. 47
* 301 Ibid, p. 50
* 302 Ibid, p. 59
* 303 DALY, Herman E.,
Beyond Growth: the Economics of Sustainable Development, Beacon Press,
1996.
* 304 JACKSON, Tim, La
prospérité sans croissance, op.cit., p. 162
* 305 Ibid, p. 197
* 306 DELWIT, Pascal,
« Ecolo : Les défis du plus grand des partis verts en
Europe », dans Pascal Delwit et Jean-Michel De Waele, Les Partis
verts en Europe, Bruxelles, Editions Complexe, 1999, p. 113-138
* 307 Propos recueillis
lors d'un entretien avec Edgar Szoc au siège d'Etopia (Bruxelles), le 2
mai 2011
* 308 La seule, et à
notre connaissance unique, référence aux travaux de Tim Jackson
remonte à lorsqu'il fut lui-même invité lors des
Journées d'été du parti à Nantes en août
2010.
* 309 GUATTARI, Felix, Les
Années d'Hiver, Paris, Les Prairies ordinaires, 2009
(1ère ed. 1985), p. 133
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