3.
Les O.N.G. et le personnel national : les deux grandes victimes de la
violence
La violence contre les humanitaires ne s'abat pas aveuglement
dans le milieu. Certaines organisations et certaines nationalités sont
plus exposées que d'autres.
De 1990 à 2005, l'insécurité affecte les
organisations humanitaires différemment. Ainsi deux périodes se
distinguent : l'une où les agences onusiennes sont les plus
atteintes et l'autre où les O.N.G. prennent le relais.
De 1990 à 1997: la majorité des victimes des
violences est issue des agences humanitaires onusiennes. Mal
préparées à intervenir sur des terrains où seul le
C.I.C.R. était présent, ces agences dotées d'une
liberté d'action plus grande, marchent sur les ruines du Mur de Berlin,
pour apporter secours aux quatre, coins du globe. Cependant, elles
étaient loin d'imaginer que leurs actions pouvaient susciter par
endroits des vagues d'hostilité allant jusqu'au meurtre. Elles feront
ainsi l'objet de nombreux actes de violences tant pour des raisons
économiques que politiques.
Tableau 4 Morts par type d'organisation (source Mani
Sheik)
Organisation
|
Nombre de morts
|
Agences onusiennes (U.N.)
|
177
|
Croix rouge et croissant rouge
|
52
|
O.N.G.
|
58
|
Figure 3 Morts par type d'organisation
1990-1997
De 1997 à 2005 : la tendance s'inverse et les
O.N.G. dont la victimité n'était que marginale par rapport aux
deux autres acteurs, occupent désormais le palmarès
nécrologique. De plus en Plus nombreuses et enclines à agir
« là où les autres ne vont pas », elles
subissent la majorité absolue et relative des violences contre les
humanitaires. 60% de l'ensemble des violences lui sont adressés contre
23% pour les U.N. et 16% pour le C.I.C.R. et les sociétés
nationales de la Croix Rouge et du Croissant Rouge.
Tableau 5 victimes d'incidents graves par organisation
(source Abby Stoddard)
Organisation
|
Victimes d'incidents graves
|
U.N.
|
215
|
C.I.C.R. et Croix Rouge
|
146
|
O.N.G.
|
576
|
Figure 4 Victimes par type
d'organisation (extrait de Abby Stoddard)
Tandis que certaines organisations voient diminuer leur
insécurité ou le nombre de violences subies, d'autres, en
revanche, constatent une augmentation.
Les violences de 2002 à 2005 baissent de 63% pour le
C.I.C.R. et 10% pour les U.N. De l'autre coté, elle augmente de 161%
pour les O.N.G. et 133% pour les Croix Rouges nationales.
L'augmentation des violences contre certains types
d'organisation et son recul corrélatif chez d'autres est analysé
comme résultant de l'efficacité des mesures sécuritaires
adoptées. En effet, le système onusien ébranlé par
un nombre vertigineux d'attentats contre son personnel au début des
années 90 met en oeuvre une série de mesures sécuritaires
drastiques (organise des études sur la question, adopte des
systèmes de sécurité standard pour toutes ses agences,
crée une direction en charge de cette question) qui va réduire sa
vulnérabilité. De son côté le C.I.C.R. va quelque
peu hiberner en développant parallèlement une politique
sécuritaire efficace. Dans le même temps et à l'inverse,
les programmes des O.N.G. sont mis en oeuvre en faisant peu ou pas cas des
contraintes sécuritaires.
A l'intérieur des organisations, la violence
établit une distinction entre personnel expatrié et personnel
national. Les deux groupes étant différemment affectés par
le phénomène.
Les expatriés sont le personnel recruté hors du
lieu d'intervention, notamment dans le pays où se trouve le siège
de l'O.N.G. Par cela, ils se distinguent du personnel national recruté
in situ et essentiellement constitué de nationaux du lieu
d'intervention. La conséquence qui s'en suit est un traitement salarial
différent. Si cette discrimination est commune à l'ensemble des
O.N.G., elle est tout au moins injustifiable du point de vue des risques
encourus par les uns et les autres. Les nationaux, en effet constituent depuis
1990 l'essentiel des victimes humanitaires.
)
Tableau 6 Morts par type d'employé
Période
|
Nationaux
|
Expatriés
|
1990-1997
|
58
|
42
|
1997-2005
|
78
|
22
|
Figure 5 Morts par type d'employé(source Mani
Sheik et Abby Stoddard)
Plusieurs facteurs expliquent cette situation qui aux yeux de
nombreux observateurs n'est pas inédite. Il semble que, de plus en plus,
les victimes nationales recouvrent la dignité totale d'humanitaire
grâce à une plus grande médiatisation. Tout ce qui les
affecte est rendu public au même titre que les expatriés.
La stratégie de gestion
télécommandée ou à distance connue sous le nom de
«remote control management» dans la terminologie anglo-saxonne a
déplacé les risques des expatriés vers les nationaux.
Basée sur le faux présupposé que les expatriés sont
plus exposés que les nationaux, la gestion à distance consiste
pour les ONG internationales à se retrancher dans une zone ou un
État qui offre des conditions de sécurité optimales et
à confier la mise en oeuvre des programmes au personnel national ou
à une O.N.G. locale partenaire. En réduisant les risques, on fait
baisser la mortalité. Incidemment, la sécurité des
expatriés s'est vue renforcée et des projets qui butaient sur
l'hypothèse fatale de l'insécurité ont pu être
exécutés.
Cependant, les succès du remote control sont
contrebalancés par l'augmentation du nombre de victimes nationales.
L'insécurité loin de baisser à encore une fois
changé de cible: des agences onusienne, vers les O.N.G.; elle s'attaque
désormais au personnel national qui constitue à lui seul 79% des
victimes toutes organisations confondues. En se mettant à l'abri et en
confiant plus de responsabilités opérationnelles au personnel
national, les O.N.G. se sont du même coup, déchargés du
poids des risques sur ce dernier.
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