I.2. REVUE DES TRAVAUX EMPIRIQUES.
D'une manière générale, il existe
très peu d'études empiriques réalisées sur les
déterminants des taux d'intérêt surtout dans le cadre de
l'UEMOA (REM, juin 2008).
ü Interprétation de la montée des
taux d'intérêt réels de l'OCDE.
L'étude de l'OCDE réalisée par A. ORR,
E. MALCOM et M. KENNEDY (1995) apparait représentative à
l'époque car reflétant la croyance académique, à la
fois par ses postulats et ses conclusions. Elle teste une relation de long
terme pour 17 pays de l'OCDE qui est en totale conformité avec le
paradigme d'équilibre néo-classique sur le marché des
capitaux. Ces auteurs ont retenu dans leur modèle comme variables,
Rt ; le taux d'intérèt
réel tendanciel à long terme (variable expliquée) ,
?t ; la mesure du taux de rendement du capital,
gdt ; un idicateur de la position d'épargne
des administrations publiques par le déficit public ou l'endettement net
par rapport au PIB, ât ; une mesure du risque lié
à la détention d'un portefeuille d'obligations nationales,
c?t ; le solde de la balance des opérations courantes
lissé par une moyenne mobile sur cinq ans ,
ð ; une moyenne à long terme de l'inflation
passée et ðe qui correspond
à l'anticipation de l'inflation future mesurée à l'aide
d'un filtre Hodrick-Prescott.
Au terme de l'étude, les auteurs aboutissent à
la conclusion suivante: « Les balances courantes et les
déficits publics sont d'importants déterminants des variations
des taux d'intérèt réels ».
Cependant, il faut noter qu'à l'issu de
l'étude, aucun lien de court terme ne s'est avéré
économétriquement pertinent, alors que la théorie
économique affirme l'existence d'une relation entre les taux longs et
les taux courts. C'est d'ailleurs le résultat auquel est parvenu S.
AKHTAR (1994) dans son étude empirique consacrée à
l'influence de la politique monétaire sur les taux
d'intérèt longs réels aux Etats Unis. L'aboutissement de
son travail lui a permis de mettre en évidence une influence positive et
significative comprise à long terme entre 1/3 et 2/3 (voire de
causalité) entre les taux nominaux courts et longs. Il en est de
même pour l'étude de J. B. TAYLOR (1993) qui sera
élucidée dans la suite de la présente revue de
littérature. Aussi l'utilisation des soldes structurels dans
l'estimation du modèle pose-t-elle problème car à long
terme, ce sont les soldes budgétaires effectifs qui sont significatifs
puisse qu'il s'agit de démontrer l'influence exogène des besoins
de financement publics.
ü Dette publique et taux d'intérèt
dans le cadre d'un modèle structuraliste.
E. PHELPS (1994) tente d'appuyer empiriquement la
thèse selon laquelle la montée de l'endettement public accroit le
taux d'intérêt réel mondial, appliquant au monde une
logique d'économie fermée. Selon lui, le taux
d'intérêt mondial est déterminé par le stock de
dette publique, le stock de capital, les dépenses gouvernementales et
les variations transitoires du prix du pétrole. L'étude est
basée sur 17 pays de l'OCDE et les variables retenues sont les
suivant : rt ; le taux court nominal
mondial moins la variation de l'indice des prix à la consommation,
rdebtt ; le ratio de dette publique
rapporté au PIB mondial, rkt ; le stock mondial de
capital rapporté au PIB mondial, rmilt ; la part des
dépenses publiques militaires dans le PIB mondial,
rgnt ; la part des dépenses publiques civiles dans le
PIB mondial, poilt ; l'écart à sa tendance,
calculé par une moyenne mobile sur cinq ans du prix réel du
pétrole et inflt, la variation de l'inflation mondiale.
Le premier terme est un indicateur de richesse mondiale (rdept
+ rk). Lorsqu'il s'accroit, la hausse de la consommation induite provoque un
déséquilibre sur le marché des capitaux et une hausse des
taux d'intérêt réels.
Le second (rk) associe à la hausse de l'accumulation du
capital productif, un excès d'offre sur le marché des biens, une
baisse relative des prix de consommation, une hausse relative du prix du
capital et donc une baisse du rendement du capital.
Les quatrième et cinquième, relatifs aux
dépenses publiques testent un lien dont le sens reste largement
indéterminé par le modèle théorique. Leur effet
sera à priori différent selon qu'il s'agisse de dépenses
militaires ou civiles ; les premières étant supposées
plus discrétionnaires et d'avantage tournées vers la demande de
biens en capital.
Enfin, l'écart entre le prix relatif du pétrole
et sa moyenne mobile au cours des cinq années précédentes
implique qu'une augmentation transitoire du prix réel du pétrole
entraine une baisse de revenu, et compte tenu de l'inertie de la consommation
des ménages, une baisse de leur taux d'épargne qui
renchérit le coût de l'argent.
A la suite de E. PHELPS (1994), une autre étude
réalisée par T. HELBLING et R. WESCOTT (1995) sur le rôle
de l'endettement public dans la formation des taux d'intérêt a
permis d'aboutir aux résultats suivants:
Selon les relations de cointégration qu'ils obtiennent,
une hausse de dette publique mondiale de 1 point de PIB est associée
à une hausse du taux d'intérêt court de 0,2 points et une
hausse du taux long de 0,13 points, une hausse du rendement du capital de 1
point est associée à une hausse du taux court de 0,66 points et
à une hausse du taux long de 0,53 points. T. HELBLING et R. WESCOTT
(1995) concluent alors que: « la hausse du niveau de l'endettement
public mondial par rapport au PIB depuis le début des années 1980
est le facteur le plus important de la hausse globale des taux
d'intérêt ».
Une fois de plus la thèse selon laquelle, la dette
publique constitue un facteur explicatif important des taux
d'intérêt a été admise.
Pourtant, cette thèse peut être
controversée suite à une analyse plus poussée des
phénomènes. En tenant compte de la valeur des coefficients,
l'explication de l'évolution des taux d'intérêt est
dominée avant tout par le niveau de stock de dette publique (l'impact du
stock de capital est presque nul lorsque l'on regroupe les termes de
l'équation), le niveau des dépenses militaires et
l'écart à sa tendance des prix du pétrole. Ces constats
permettent de montrer la faiblesse de la preuve empirique de E. PHELPS en
observant le graphique utilisé par ce dernier (voir graphique en
annexe4).
Le calcul de la variable endogène peut être
contesté (voir graphique en annexe4). Les principales inflexions du taux
court réel mondial sont avancées d'un an par rapport aux
séries communément mesurées.
La baisse des taux réels dans la première
moitié des années 1970 relève alors intégralement
de la variable ad hoc et surpondérée que constitue le poids des
dépenses militaires (voir graphique en annexe4).
S'appuyant sur le prix du pétrole, le modèle
parvient à expliquer la hausse des taux en 1979, période
où les dettes publiques ne dérivent que pourtant
modérément.
Ce n'est qu'à partir de 1982 que la dette publique
(voir graphique en annexe4), joue son influence haussière.
Finalement, l'étude laisse penser que la preuve
empirique avancée par E. PHELPS apparait comme un assemblage de
variables qui se contredisent en ce qui concerne l'influence de la dette
publique sur les taux d'intérêt (comparaison des résultats
graphiques et de la régression économétrique).
En outre, l'exemple du cas américain de 1979-1992
montre qu'environ deux ans séparent le moment où le taux
d'intérêt s'élève brusquement au tournant des
années 1979-1980 et celui où le déficit budgétaire
s'éloigne fortement et durablement de sa tendance passée (voir
graphique en annexe4). Les détentes de la politique monétaire
entre 1984 et 1986 et 1986 et 1992 semblent en retour avoir été
favorables à des résorptions ultérieures du
déficit. Il est donc moins aisé de dégager une liaison
(simultanée ou décalée) partant du déficit public
et allant vers les taux.
ü Evolution des taux courts américains
entre 1987 et 1992.
C'est l'étude réalisée par J.B.
TAYLOR (1993). En synthétisant les élasticités
caractéristiques issues des estimations économétriques, il
aboutit à la formule suivante:
i = 2+ð+0,5Y/Y*+0,5(ð-2), où i est le taux au
jour le jour sur les fonds du système fédéral, la
constante (2) représente le taux réel d'équilibre de
longue période, ð est le taux de croissance en glissement annuel du
déflateur du PIB, Y/Y* est l'écart du PIB à sa tendance et
(ð-2) représente l'écart de l'inflation courante à une
cible définie par la banque centrale estimée à 2%. Les
taux courts sont donc des déterminants importants des taux
d'intérêt longs.
Les banques de second rang intègrent donc cette
équation dans la détermination des taux d'intérêt du
marché. Le lien entre les taux courts et les taux longs n'est donc pas
à négliger.
ü Liaison entre taux d'intérêt,
croissance et dette publique.
O. PASSET (1997) est parvenu à établir une
liaison entre le taux d'intérêt, la croissance et la dette
publique.
Si le taux d'intérêt réel est
supérieur au taux de croissance de l'économie, la persistance
d'un déficit primaire n'est pas compatible avec la stabilité du
taux d'endettement public.
L'écart de croissance constitue un indicateur
synthétique croisant plusieurs fondamentaux qui, en théorie
gouvernent la formation des taux d'intérêt. En tant qu'indicateur
d'accélération ou de décélération de la
croissance, l'écart de croissance peut influencer la formation des taux
d'intérêt courts, en particulier si l'on considère que la
position dans le cycle, intervient dans la fonction de réaction des
banques centrales et que les taux longs sont en partie endogènes aux
taux courts. Il peut également être interprété comme
un indicateur d'inflation par la demande. Quantifier donc le degré des
tensions sur l'offre, permet alors d'isoler une composante de l'inflation
anticipée et de ce fait, un facteur influençant la formation des
taux nominaux. Enfin, indicateur de rigidité relative de l'offre globale
par rapport à la demande, l'écart de croissance peut être
considéré comme un détecteur de déséquilibre
ex-ante entre l'épargne et l'investissement. En phase haute du cycle
économique, il est légitime de suspecter un risque de
rareté de l'épargne lorsque l'insuffisance des capacités
de production ne permet plus de dégager un revenu en ligne avec la
consommation et l'investissement national. Il en résulte alors une
hausse des taux d'intérêt.
Il ressort de ce résultat que l'influence de
l'écart de croissance sur la formation des taux d'intérêt
n'est pas directe. Son influence se ressent directement sur l'épargne et
l'investissement ; ce qui permet de déterminer les taux
d'intérêt. Une étude économétrique sur des
données bien déterminées pourrait rendre plus pertinente
de telle étude.
ü Les principales raisons du niveau
élevé des taux d'intérêt dans l'UEMOA.
Une récente étude réalisée par
D. AW (2010) révèle qu'il existe principalement quatre raisons
qui expliquent le niveau élevé des taux d'intérêt
dans l'UEMOA:
- Le risque important de défaut de paiement des
emprunteurs,
- Le manque de projets bancables,
- L'absence de normes comptables,
- La faiblesse du système judiciaire.
Ce travail qui se veut empirique, comporte des faiblesses
car elle fournit très peu d'informations concernant les facteurs
déterminants des taux d'intérêt au sein de l'union.
L'étude parait plutôt théorique qu'empirique.
ü Les crédits et les taux
d'intérêt.
Au niveau financier, il ressort de l'étude
réalisée par S. K. KONAN (2008) que les pays de l'UEMOA qui ont
enregistré une évolution plus importante des crédits
à l'économie, ont tendance à avoir des taux
d'intérêt plus faibles. En outre, le risque de défaut de
paiement des PME et des particuliers étant présumé plus
élevé, fait que ces derniers sont confrontés à des
taux d'intérêt plus élevés. Par conséquent,
dans les pays où la part relative des crédits alloués aux
PME et aux particuliers croit vite, les taux d'intérêt ont
tendance à être plus élevés. A l'inverse, lorsque
les crédits alloués aux clients présumés plus
solvables (Etats, grandes entreprises) augmentent plus vite, les taux sont plus
faibles.
Le volume des crédits accordés à
l'économie, le risque de défaut de paiement des emprunteurs et la
nature de ces derniers (solvables ou non) constituent au sein de l'UEMOA des
déterminants clés des taux d'intérêt.
ü Déterminants des taux débiteurs
dans l'UEMOA.
L'équation retenue par l'auteur dans le cadre de
l'étude sur les déterminants des taux débiteurs au sein de
l'UEMOA est la suivante :
lnIDi,t = ?i + á1
lnCEi,t + á2 lnICi,t +
á3 lnIPCi,t + á4
lnPIBRHi,t + á5 lnTBDPi,t
+ á6
D1i,t*lnTBDPi,t + á7
D2i,t *lnTBDPi,t
+á8D3i,t *lnTBDPi,t
IDi, t est le taux d'intérêt
débiteur nominal du pays i à la période t.
CEi, t le niveau de
crédits du système bancaire à l'économie en termes
réels, dont la pertinence dans l'explication du taux débiteur est
prouvée par le fait que ce dernier est défini par la
confrontation entre l'offre et la demande de fonds prêtables.
ICi, t est le taux
d'intérêt créditeur.
IPCi, t est l'indice des prix à la
consommation.
PIBRHi, t est le PIB réel
par habitant.
TBDPi, t est le taux brut de dégradation du
portefeuille qui est le ratio du niveau des créances en souffrances et
du niveau des crédits octroyés.
D1i, t , D2i,t ,
D3i,t sont respectivement des
variables indicatrices : (i) d'un risque élevé de défaut
(appelé aussi risque d'insolvabilité), caractérisant
principalement les PME/PMI et les Particuliers,
(ii) d'un faible risque de défaut caractérisant
les grandes Entreprises et (iii) d'une absence de risque de défaut,
caractéristique de l'Etat, sa signature étant
réputée solvable.
Dans cette étude réalisée par la REM
(2008), les conclusions suivantes ont été dégagées
en ce qui concerne les déterminants des taux d'intérêt
débiteurs au sein de l'UEMOA :
Comme attendu, l'inflation accroît significativement le
taux d'intérêt. En revanche, l'impact du revenu par habitant n'est
pas significatif, ce qui dénote de l'ambiguïté de
l'influence du revenu sur le taux d'intérêt.
L'effet du crédit bancaire à l'économie
n'est pas significatif mais son signe négatif est conforme aux attentes,
c'est-à-dire qu'un accroissement du crédit a tendance à
réduire le taux d'intérêt. En outre, le taux
créditeur a un effet positif et significatif sur le taux
débiteur.
L'influence du taux brut de dégradation du portefeuille
(TBDP), qui caractérise ici le risque de crédit, est
significative et son signe négatif est révélateur d'un
phénomène spécifique aux pays en développement et
en particulier à l'UEMOA. Il s'agit du fait que l'effet indirect
(négatif) qui consiste à un rationnement du crédit (au
profit des demandeurs ayant un risque moins élevé), domine
l'effet direct (positif) qui entraîne plutôt une hausse de la prime
de risque et donc du taux d'intérêt. Par ailleurs, l'effet
indirect s'appréhende mieux en différenciant le risque de
crédit suivant les trois types de débiteurs retenus dans
l'étude, à savoir: le groupe des PME/PMI et Particuliers, le
groupe des Grandes Entreprises et enfin celui représentant l'Etat. Le
risque associé à ces deux derniers types de débiteurs,
quoique non significatif, est positif, ce qui signifie que l'effet direct est
plus lié au risque des Grandes Entreprises et de l'Etat. En revanche,
avec un coefficient significatif et négatif, le risque lié aux
PME/PMI et aux Particuliers est caractéristique de l'effet indirect.
Deux enseignements peuvent est tirés de ces évolutions :
Premièrement, l'effet du risque de crédit global
est le reflet du risque dû au groupe PME/PMI et Particuliers qui sont les
demandeurs présumés les moins solvables ;
Deuxièmement, la sélection des demandeurs de
crédit se fait au profit des agents présumés les plus
solvables (Grandes entreprises, Etat) qui bénéficient en
général de taux d'intérêt plus bas. Ainsi, face
à une dégradation de leur portefeuille, les banques
procèdent-elles plus à une sélection des clients selon des
critères de solvabilité.
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Au cours de ce chapitre, nous avons passé en revue
la littérature concernant les déterminants des taux
d'intérêt. Il en ressort que la politique monétaire, les
déficits publics, les chocs pétroliers, l'inflation,
l'écart de croissance, les déséquilibres entre
l'épargne et l'investissement, le rendement des capitaux des
entreprises, les risques, les taux créditeurs, le niveau des
crédits, l'objet du crédit et la nature du
bénéficiaire du crédit constituent des facteurs
explicatifs des taux d'intérêt. Le chapitre suivant de notre
étude tentera d'apporter des informations sur la politique
monétaire mise en place dans l'UEMOA et de cerner les procédures
de détermination des taux débiteurs des établissements de
crédit du Burkina Faso.
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