La location-gérance de l'entreprise en difficulté en droit des procédures collectives OHADA (Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires )( Télécharger le fichier original )par Emmanuel TSAGMO TAMEKO Université de Dschang Cameroun - Master en droit option : droit des affaires et de l'entreprise 2011 |
CHAPITRE I : LE DÉSINTÉRESSEMENT DES CRÉANCIERS DE L'ENTREPRISE EN DIFFICULTÉ MISE EN LOCATION-GÉRANCELa mise en location-gérance de l'entreprise en cessation de paiements présente de nombreux avantages. Elle fait courir moins de risques aux créanciers. Dans la pire des hypothèses, seules les redevances, ne seront pas payées et peut être la valeur du fonds sera compromise. Mais le passif du débiteur ne sera pas augmenté par une exploitation déficitaire puisque les dettes du locataire-gérant restent à sa charge152(*). C'est dire que les créanciers de ce dernier ne viendront jamais en concours avec les créanciers dans la masse153(*), principaux destinataires des deniers issus de la location-gérance. Après avoir présenté les moyens du désintéressement des créanciers (Section I), il conviendra par la suite de déterminer leur ordre de paiement (Section II). Section I : Les moyens du désintéressement des créanciersL'un des griefs fait aux rédacteurs de l'ancien AUDCG était qu'en reprenant pratiquement la définition de la location-gérance, donnée par l'article 1er de la loi française du 20 mars 1956, à l'article 106154(*), ils ont totalement omis de mentionner la redevance que doit verser le locataire-gérant155(*). Aujourd'hui, c'est chose faite. L'AUDCG adopté le 15 décembre 2010 dispose en son article 138, al. 4 que : «Le locataire-gérant doit payer au bailleur du fonds un loyer correspondant à la redevance due pour la jouissance des locaux, et un loyer pour la jouissance des éléments corporels et incorporels du fonds de commerce tels que décrits dans le contrat de location-gérance ». Il est fait obligation aux parties de déterminer de façon séparée dans le contrat de location-gérance les deux éléments du loyer, même si leurs échéances sont fixées aux mêmes dates. C'est la raison pour laquelle, en accord avec le bailleur des locaux, lorsque celui-ci n'est pas propriétaire du fonds de commerce, le locataire-gérant peut être dispensé de lui assurer directement, à chaque échéance, le paiement du loyer dû à la rémunération de la jouissance des locaux156(*). La redevance constitue à côté de la compensation, moyen indirect (Paragraphe 2), le moyen direct (Paragraphe 1) du désintéressement des créanciers de l'entreprise en difficulté mise en location-gérance.Paragraphe 1- Le désintéressement des créanciers envisagé sous l'angle du paiement de la redevanceL'omission de mentionner la redevance que doit verser le locataire-gérant dans la définition de la location-gérance par le législateur OHADA pouvait conduire à assimiler la convention de location-gérance aux contrats de bienfaisance ou aux contrats « de l'ami »157(*). Loin s'en faut surtout lorsqu'il s'agit de la location-gérance de l'entreprise en difficulté. Le caractère onéreux de la convention ne fait l'objet d'aucun doute : la redevance que doit payer le gérant libre est le prix de l'exploitation qu'il fait du fonds de commerce. Ainsi, elle doit revêtir un certain nombre de caractères (A) et justifier d'un prix amiablement fixé par les parties (B). A- Les caractères de la redevancePrix de la jouissance que reçoit le locataire-gérant, la redevance est le droit sur lequel compte le loueur, syndic, pour apurer le passif et sauvegarder l'entreprise. De ce fait, la redevance doit être d'une part, réelle et sérieuse (1) et d'autre part, déterminée, suffisante et non déterminable (2). 1- Une redevance réelle et sérieuseLa redevance est la contrepartie monétaire, c'est-à-dire la somme d'argent que le locataire-gérant s'oblige à verser au loueur en contrepartie de l'exploitation qu'il en fait du fonds. Il est de règle qu'elle doit être non seulement réelle mais aussi sérieuse pour permettre l'apurement du passif de l'entreprise en cessation des paiements. Ce double caractère tient à la nature même de la location-gérance : la location-gérance est un contrat à titre onéreux. L'on comprend aisément pourquoi les auteurs de l'Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d'apurement du passif n'aient pas cru devoir le rappeler de façon expresse. Au surplus, il est difficile d'imaginer que dans une location-gérance de l'entreprise en redressement, les parties puissent convenir d'une redevance fictive ou dérisoire alors que la matière est gouvernée par la recherche des moyens de désintéressement des créanciers et la sauvegarde de l'entreprise. La redevance dérisoire ou vile équivaut à une absence de redevance. Elle doit être non seulement réelle et sérieuse, mais aussi déterminée pour être payable au terme convenu.
* 152 Car d'après l'article 117 de l'AUPCAP, « Toutes les dettes nées régulièrement, après la décision d'ouverture, de la continuation de l'activité et de toute activité régulière du débiteur ou du syndic, sont des créances contre la masse, sauf celles nées de l'exploitation du locataire-gérant qui restent exclusivement à sa charge sans solidarité avec le propriétaire du fonds ». * 153 D'une façon générale, les créanciers d'une procédure collective d'apurement du passif sont classés en trois catégories pour le traitement du paiement de leurs créances : les créanciers dans la masse, les créanciers de ou contre la masse, et les créanciers hors de la masse. Sont créanciers dans la masse, ceux dont la créance est née avant le jugement d'ouverture de la procédure collective (art. 72 al. 2 de l'AUPCAP). C'est à ces créanciers que le débiteur demande, dans ses propositions concordataires, de consentir des remises et des délais pour lui permettre de redresser son entreprise. Ce sont eux qui recevront la distribution des deniers résultant de la location-gérance de l'entreprise. Sont créanciers contre ou de la masse, les créanciers dont la créance est née régulièrement après l'ouverture de la procédure collective autorisant la poursuite de l'activité. Ces créanciers, compte tenu du risque qu'ils courent en faisant crédit à une entreprise déjà déclarée en cessation des paiements, bénéficient de l'avantage de passer avant les créanciers munis d'un privilège général et les créanciers chirographaires. Malheureusement, tel n'est pas le cas lorsque ces créances sont plutôt issues de la location-gérance car il ressort des dispositions de l'article 117 de l'AUPCAP que le passif découlant de l'exploitation du fonds reste à la charge exclusive du locataire-gérant. Enfin, sont dits créanciers hors de la masse, ceux dont la créance est née d'une activité irrégulière du débiteur soit avant le jugement, soit après. Il s'agit là des créanciers « orphelin exhérédé » de la procédure collective car ils ne peuvent absolument pas prendre part à la procédure collective dont ils sont exclus jusqu'à sa clôture. Cf. ISSA-SAYEGH (J.), « Le sort des travailleurs dans les entreprises en difficulté droit OHADA », www.Ohada.com , Ohadata D-09-41, p. 9 ; MBONJI BILLE (G.C.), op. cit., p. 165 et s. * 154 La location-gérance y était simplement définie comme une convention par laquelle le propriétaire du fonds de commerce, personne physique ou morale, en concède la location à un gérant, personne physique ou morale, qui l'exploite à ses risques et périls. * 155 Cf. SANTOS (A. P.), Commentaire et notes sous l'Acte uniforme relatif au droit commercial général, in traité et actes uniformes commentés et annotés, Juriscope, 3e éd., 2008, p. 256. * 156 Article 138, al. 4, in fine, du nouvel AUDCG. * 157 Cf. LAMBERT (G.), Cours de droit civil, 3e année, éd. Maisonneuve, 1974 cité par CAYRON (J.), La location de biens meubles, Presses Universitaires d'Aix-Marseille, 1999, p. 63. |
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