Antoine PETIT
Master Droit Privé Fondamental Année universitaire
2011/2012
Presse et responsabilité civile
Travail réalisé sous la direction de M. le
professeur Jérôme JULIEN
Université Toulouse 1 Capitole 2, rue du
Doyen Gabriel Marty
31 042 Toulouse cedex - 9 France
Antoine PETIT
Master Droit Privé Fondamental Année universitaire
2011/2012
Presse et responsabilité civile
Travail réalisé sous la direction de M. le
professeur Jérôme JULIEN
1
Université Toulouse 1 Capitole 2, rue du
Doyen Gabriel Marty
31 042 Toulouse cedex - 9 France
2
Je tiens à remercier tout particulièrement le
professeur Jérôme JULIEN pour ses conseils et le temps qu'il m'a
consacré.
Je remercie aussi sincèrement l'ensemble des
professeurs du Master droit privé fondamental pour l'enseignement
dispensé tout au long de l'année et pour leur
disponibilité.
Enfin, je souhaite témoigner tous mes sentiments de
reconnaissance et de gratitude envers mes parents, ma famille et mes amis, sans
qui rien n'aurait été possible.
Liste des principales abréviations
AJ fam.
AJP
ALD
art.
Ass. Plén.
Bull. civ.
Bull. crim.
CA
CE
CEDH
ch.
chron.
Civ.
Com.
comm.
Comm. com. électr.
Cons. const.
Conv. EDH
Crim.
DDHC
D., DC, DP
doctr.
éd.
Fasc.
Gaz. Pal.
Ibid.
Infra
J-Cl.
JCP
JO
LCEN
LPA
not.
n°
obs.
op. cit.
p.
préc.
Rapp.
Actualité juridique de droit de la famille
3
Actualité juridique de droit pénal
Actualité législative Dalloz
article
Assemblée plénière
Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour
de cassation
Bulletin des arrêts de la chambre criminelle de la
Cour de
cassation
Cour d'appel
Conseil d'État
Cour européenne des droits de l'Homme
chambre
chronique
Arrêt d'une chambre civile de la Cour de cassation (1e,
2e ou 3e
chambre)
Arrêt de la chambre commerciale de la Cour de
cassation
commentaire
Communication-Commerce électronique
Conseil constitutionnel
Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'Homme et
des libertés fondamentales
Arrêt de la chambre criminelle de la Cour de
cassation
Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen
Recueil Dalloz, critique, périodique
doctrine
édition
Fascicule
Gazette du Palais
Au même endroit
Ci-dessous
JurisClasseur - Encyclopédies (de droit
commercial, droit civil,
droit pénal...)
JurisClasseur périodique
Journal officiel de la République
française
Loi pour la confiance dans l'économie
numérique
Les Petites affiches
notamment
numéro
observations
ouvrage précité
page
précité
Rapport
Rev. crit. légis. jurisp.
Rev. Lamy dr. aff.
RTDciv.
somm.
ss. dir.
Supra
t.
T. civ.
T. com.
T. corr.
TGI
TI
V.
Revue critique de législation et de
jurisprudence
4
Revue Lamy Droit des affaires
Revue trimestrielle de droit civil
sommaire
Sous la direction de
Ci-dessus
tome
Tribunal civil
Tribunal de commerce
Tribunal correctionnel
Tribunal de grande instance
Tribunal d'instance
Voir
Sommaire
(Les chiffres renvoient aux numéros de pages)
5
Introduction 7
Première partie
La suprématie controversée de la loi du 29
juillet 1881 en matière de presse
Titre 1 : Les règles de forme et de fond instaurées
par le texte spécial 15
Chapitre 1 : Le particularisme procédural du contentieux
de la presse 15
Chapitre 2 : Les règles de fond de mise en oeuvre de la
responsabilité 28
Titre 2 : La perturbation des équilibres de la loi du 29
juillet 1881 engendrée par
l'omniprésence de la responsabilité civile de droit
commun 40
Chapitre 1 : Le conflit opposant la loi sur la presse et
l'article 1382 du Code civil 40
Chapitre 2 : La résolution du conflit par l'admission
d'une fonction complétive de
l'article 1382 du Code civil 51
Deuxième partie
La place effective du droit commun de la
responsabilité civile en matière de presse
Titre 1 : Un domaine résiduel face à
l'hégémonie de la loi du 29 juillet 1881 et les autres
dispositions spéciales 66 Chapitre 1 : Les abus de la
liberté d'expression entrant dans le champ de l'article 1382
du Code civil 66 Chapitre 2 : La protection civile autonome
des « nouveaux droits de la personnalité »
80 Titre 2 : L'impuissance de la responsabilité
civile face à la prééminence de la liberté
d'expression 95
Chapitre 1 : La multiplication des faits justificatifs
spéciaux en matière de presse 95
Chapitre 2 : Le droit de réponse, ultime garantie face
à la liberté d'expression 111
6
Conclusion Générale 123
Bibliographie 127
Index 137
Table des matières 140
7
Introduction
1. François Mitterrand a déclaré dans
une lettre aux français : « Montesquieu pourra se
réjouir, à distance, de ce qu'un quatrième pouvoir ait
rejoint les trois autres et donné à sa théorie de la
séparation des pouvoirs l'ultime hommage de notre siècle
»1.
Par ce renvoi bien connu au concept de quatrième
pouvoir2, il était bien entendu fait allusion au «
pouvoir médiatique » venant agrémenter la liste des trois
autres - exécutif, législatif et judiciaire - piliers de
l'idéologie démocratique. C'est dire combien le pouvoir de la
presse est à considérer.
Chaque jour, les médias s'érigent en peintres
des rouages de notre monde, pour souvent venir nous frapper dès la
première heure de la journée. Que ce soit au réveil en
allumant le poste de radio, à la sortie du métro en saisissant un
quotidien gratuit ou encore dans la rue, interpellé par l'un des
innombrables titres accrocheurs gorgeant les panneaux publicitaires, la presse
nous entoure, nous imprègne. Par son omniprésence, elle exerce
inéluctablement une influence sur notre façon de voir les choses,
d'appréhender l'information et de s'en faire un jugement. Elle peut
ainsi se révéler être un redoutable instrument de
contrôle de l'opinion publique.
Ce quatrième pouvoir, aux allures
tentaculaires, est essentiellement légitimé par le fait que
l'activité des médias repose sur la liberté d'expression,
elle-même considérée comme l'une des pierres angulaires de
la démocratie3. Il incombe dès lors de préciser
que le pouvoir des médias est consubstantiel à celui
accordé à la liberté d'expression. À l'instar de
cette dernière, les médias sont confrontés à une
limite primordiale : celle de ne pas empiéter sur les droits
d'autrui4. Une telle limite doit inévitablement poser la
question de leur responsabilité.
2. Depuis son apparition, la presse a beaucoup
évolué. Cette évolution résulte de la conjonction
d'une multitude de facteurs ayant contribué au façonnement de
notre société. Parmi ceux-ci, figurent notamment les
péripéties de l'actualité politique, économique,
les
1 François Mitterrand, dans sa lettre
adressée aux français lors de sa campagne présidentielle
en avril 1988.
2 En 1787, environ quarante ans après De
l'esprit des lois, de Montesquieu - posant le principe de la
séparation des trois pouvoirs (législatif, exécutif et
judiciaire) - un homme politique irlandais nommé Edmund Burke
désigne les journalistes comme étant détenteurs d'un
« quatrième pouvoir ». Plus tard, Alexis de
Tocqueville reprendra cette idée dans De la démocratie en
Amérique. L'expression fait alors son entrée en France (D.
Salles, « Médias, pouvoir et contre pouvoir »,
L'école des lettres 2010-2011 n°2-3, p. 103).
3 L. Josende, Liberté d'expression et
démocratie, réflexion sur un paradoxe, Bruylant, 2010, p.12
et s.
4 Selon l'article 4 de la DDHC : « La
liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à
autrui ».
8
variations des moeurs, les innovations technologiques. Mais
avant même de s'intéresser à l'histoire de la presse,
à son contenu ou encore à ses supports, savons-nous seulement ce
qu'implique le mot « presse » ?
Il semblerait que l'on tende systématiquement à
associer à la presse les termes de média,
journalisme, reportage. Il convient dès lors de
dissiper ces associations hâtives. En réalité, le mot
presse trouve son essence dans un procédé, une
technique. Selon les termes utilisés par le dictionnaire
Robert, la presse désigne le « dispositif
destiné à exercer une pression sur un solide en vue d'y laisser
une impression »5. L'histoire de la presse est donc avant
tout celle d'un procédé6. Avant de désigner
l'objet imprimé, la presse est d'abord le pressoir à encre,
l'instrument permettant de reproduire indéfiniment un même texte
sur du papier. De procédé technique, la presse renverra ensuite -
bien plus tardivement - au produit de ce procédé, dont la
matérialité sera pendant longtemps limitée au support
papier7.
3. Très peu de temps après l'importation de la
presse en France dans la seconde moitié du XVème
siècle8, la puissance publique, face à la propagation
des idées imprimées, prend les premières mesures de
contrôle de son contenu. Sur toute l'étendue du Royaume, le roi
s'impose alors en maître des publications de presse, s'attribuant ainsi
le pouvoir d'autoriser les impressions et diffusions par voie de
privilèges, après l'exercice d'une censure réalisée
par les docteurs de l'université de Paris. Les « privilèges
du roi » deviennent alors la première véritable forme de
contrôle du contenu des publications de presse sans lesquels nul ne peut
se lancer dans l'entreprise d'imprimerie ou de librairie. Ce système
corporatiste des métiers - essentiellement destiné à
filtrer les ouvrages considérés comme hérétiques -
ne laisse guère de place à une responsabilité de l'auteur.
Seuls les imprimeurs et libraires sont responsables des livres qu'ils
publient9.
Durant toute la période de l'ancien régime, la
presse est donc régie par un monolithique système de
privilège de corporation règlementant minutieusement tous les
métiers de l'imprimerie et de la librairie. Les multiples censures
exercées par les censeurs
5 A. Rey et J. Rey Debove, Le Petit Robert,
Le Robert, 2012, p. 2012.
6 Pour le détail du procédé
d'impression et ses différentes techniques, V. Le grand Larousse
Encyclopédie, Larousse vol. 1/A-Kingsley, 2007, p. 1244.
7 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer,
Traité de droit de la presse et des médias, Lexisnexis,
1ère éd., 2009, p. 12.
8 C'est en 1470 que l'Humaniste et professeur de
théologie Guillaume Fichet installera avec le prieur Jean Heynlin, la
première imprimerie au collège de la Sorbonne, créant
ainsi le premier atelier de ce genre en France (J. Philippe, Guillaume
Fichet : sa vie, ses oeuvres, Dépollier, 1892, p. 175 et s.)
9 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, op. cit.
p. 15.
9
du roi10 permettent ainsi au pouvoir royal
d'exercer un véritable contrôle de la pensée en tournant
les publications de presse à son profit11.
Il faudra fondamentalement attendre la révolution
française de 1789 pour apporter la première pierre à
l'édifice d'émancipation que constitue celui de l'histoire de la
presse. Pour la première fois sont consacrés les grands principes
de sa liberté, qui pendant toute la période du
XIXème siècle, vont servir de référents
aux revendications des journalistes du monde entier. Aujourd'hui encore,
l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26
août 1789 reste la consécration la plus illustre de cette
liberté que constitue celle de la presse12. Aussi, dans le
même temps, alors que la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 se met à
proscrire toute forme de corporation, le décret d'Allarde du 17 mars
lui, supprime les entraves au fonctionnement des entreprises et à
l'exercice des professions parmi lesquelles figure celle de journaliste. Le
quatrième pouvoir est en marche.
Au cours du XIXème siècle, la presse
connait une incroyable expansion13. L'influence politique
considérable exercée par celle-ci sur les citoyens conduit les
gouvernements à chercher par tous moyens à freiner son
développement, en vain. Comme portés par la
frénésie de son essor, les journalistes, déterminés
à contourner les obstacles légaux érigés contre
elle, sont bel et bien résolus à réclamer encore davantage
de liberté. C'est ainsi que le 29 juillet 1881, après un
siècle de revendications, l'emblématique loi sur la
liberté de la presse est adoptée par la chambre des
députés à la quasi-unanimité. Cette loi, se
réclamant « d'affranchissement et de liberté
»14, s'ouvre par un premier article éminemment
libéral : « L'imprimerie et la librairie sont libres
». Le ton est donné. L'ancien régime préventif
reposant sur un système d'autorisation préalable laisse
désormais place au seul régime répressif. Le juge
n'intervient que postérieurement à la commission de l'une des
infractions inscrite dans la loi de 1881.
10 Le travail de censure, originairement
opéré par les membres de l'université de Paris, sera sous
Louis XIII, par un édit du 15 janvier 1629, confié à des
censeurs nommés par le chancelier. Ceux-ci ont pour rôle
d'examiner les livres préalablement à leur parution, le
privilège du roi n'étant délivré qu'après
leur autorisation.
11 Cette dépendance de la presse
vis-à-vis du pouvoir politique est parfaitement illustrée par la
célèbre boutade de Beaumarchais : « Pourvu que je ne
parle dans mes écrits ni de l'autorité, ni du culte, ni de la
politique, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de
l'Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à
quelque chose, je puis tout imprimer librement sous l'inspection de deux ou
trois censeurs » (Beaumarchais, Le Barbier de
Séville, acte V, scène 3).
12 En effet, l'article 11 de la DDHC dispose que
« la libre communication de la pensée et des opinions est un
des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler,
écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de
cette liberté dans les cas déterminés par la loi
».
13 Entre 1800 et 1870, le nombre de tirages de
presse quotidienne a été multiplié par trente (P. Albert,
Histoire de la presse, PUF, Que sais-je ?, 11e éd.,
2009, p. 38).
14 E. Lisbonne, in H. Celliez et C. Le Senne,
Loi de 1881 sur la presse, accompagnée des travaux de
rédaction avec observations et tables alphabétiques, Paris,
1882, p.5.
10
4. La loi du 29 juillet 1881, nous le verrons, prévoit
et réprime les abus de la liberté d'expression les plus graves
commis par voie de presse. Cela justifie d'ailleurs en partie son
caractère éminemment pénal. Celle-ci met en place un
régime procédural exorbitant du droit commun dont le
bien-fondé demeure l'objet d'inébranlables
déchaînements doctrinaux. De par l'effet démultiplicateur
qui s'attache aux publications de presse et la gravité des dommages
pouvant être causés à l'ordre public, le législateur
a jugé bon que les auteurs des abus les plus graves voient leur
responsabilité pénale engagée sur ce fondement. Toutefois,
en marge du texte spécial de 1881, ce dernier laisse libre cours aux
actions en responsabilité civile engagées pour des propos
simplement fautifs. Dès lors, chacun est libre d'invoquer l'article 1382
du Code civil dans les conditions du droit commun. La responsabilité
civile - pouvant se définir comme l'obligation mise à la charge
d'un responsable de réparer le dommage qu'il a causé à
autrui15 - sous réserve de la démonstration d'une
faute, d'un dommage et d'un lien de causalité, permettra ainsi à
toute personne s'estimant victime d'un abus de la liberté d'expression
d'obtenir réparation de son préjudice16.
Il apparaît en effet tout à fait normal, que
lorsqu'un abus est commis par voie de presse et « cause à
autrui un dommage »17, la victime s'efforce - et parfois
même se contente - par la voie judiciaire, non seulement d'obtenir la
cessation de la faute, mais aussi, la réparation de son
préjudice. Par le choix d'une telle action, fondée sur la
responsabilité civile de droit commun de l'article 1382, les victimes
furent d'ailleurs souvent tentées d'échapper aux obstacles de
procédure de la loi du 29 juillet 188118.
Face à ces tentatives d'immixtions du droit commun dans
le domaine de la presse - de plus en plus fréquentes vers la seconde
moitié du XXème siècle - une réaction
jurisprudentielle s'imposa. Nous l'étudierons avec attention dans notre
développement
15 P. Jourdain, Les principes de la
responsabilité civile, Dalloz, 7e éd., 2007, p.
1.
16 Il incombe dès maintenant d'apporter une
précision essentielle pour la suite de notre développement. Comme
nous le savons, la responsabilité civile peut être
délictuelle ou contractuelle. Elle est
contractuelle si le dommage causé résulte de
l'inexécution d'un contrat liant le responsable à la victime, et
délictuelle dans les autres cas. Bien que les hypothèses
de responsabilité contractuelle existent en matière de
presse (par exemple, l'hypothèse où l'auteur des propos -
journaliste-salarié d'une entreprise de presse comme c'est souvent le
cas - se trouve avoir manqué à son devoir de probité
envers son employeur par la rédaction d'un article calomnieux) celles-ci
sont infimes au regard des innombrables perspectives de mise en oeuvre de la
responsabilité civile délictuelle des organes de presse. En
effet, dans la grande majorité des cas, l'auteur des propos «
civilement fautifs » ne sera pas lié contractuellement à la
victime de l'abus de la liberté d'expression. C'est la raison pour
laquelle, nous nous contenterons, dans cette étude, de n'envisager la
responsabilité civile que sous son angle délictuel.
17 L'article 1382 du Code civil dispose en effet
que : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un
dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le
réparer ».
18 E. Derieux, Droit de la communication,
LGDJ, 4e éd., 2003, p. 557.
11
pour comprendre au mieux la relation qu'entretient l'article
1382 du Code civil avec le texte spécial du 29 juillet
188119. Car il convient de mesurer le caractère
éminemment fondamental de ce débat. C'est tout l'équilibre
du droit de la presse qui entre ici en jeu.
Il y a d'une part, la loi du 29 juillet 1881, qui
réprimant les abus de la liberté d'expression les plus graves,
offre un véritable terrain d'épanouissement à la
liberté d'expression des journalistes. D'autre part, nous avons la
responsabilité civile de droit commun, qui en raison de son
universalisme et de son caractère d'ordre public20, permet
que toute faute, aussi légère soit-elle, suffise à engager
la responsabilité civile de son auteur, ce qui transposé à
l'activité médiatique, comporte le fort risque d'entraver la
liberté d'expression des médias21.
Dès lors, « la noblesse du texte
spécial peut-elle tolérer la concurrence de ce droit trop commun
» 22 et si oui - si tant est qu'en soit requises - sous quelles
conditions ? Il s'agira là d'une des problématiques majeures
à laquelle nous tenterons d'apporter une réponse.
19 Pour d'ores et déjà tenter de
percevoir en quoi les rapports de la loi sur la presse avec l'article 1382 du
Code civil sont encore plus étroits que pour d'autres régimes
spéciaux, raisonnons par analogie. Un régime spécial est
créé pour régler une « catégorie de litiges
». Par exemple, les articles 1386-1 et suivants règlent les litiges
relatifs aux produits défectueux, la loi du 9 avril 1898
règlemente ceux qui ont trait aux accidents du travail. Ainsi,
dès lors qu'une action correspond à l'une de ces deux
catégories, celle-ci ne peut qu'être fondée sur la base de
l'une ou l'autre de ces lois. La loi du 29 juillet 1881 elle, vise à
sanctionner les abus de la liberté d'expression commis par voie de
presse. Il s'agit donc de la « catégorie de litiges » dont
elle assure la réglementation. Or, sa mise en oeuvre - nous le verrons -
n'est pas subordonnée à la seule exigence d'un abus, car pour
qu'elle soit applicable, il faut nécessairement que les faits poursuivis
correspondent à l'une des incriminations prévues par le texte se
contentant de réprimer les abus les plus graves. Autrement dit, il peut
y avoir abus de la liberté d'expression commis par voie de presse, sans
pour autant qu'il y ait délit de presse. On mesure alors tout le
rôle perturbateur que joue l'article 1382.
20 Ces deux notions accompagnant le
mécanisme de la responsabilité civile délictuelle
sont capitales pour comprendre en quoi celle-ci est susceptible de
constituer une menace pour la pérennité du principe de
liberté d'expression. L'universalisme de la
responsabilité civile tout d'abord, découle de la portée
volontairement générale du principe mis en place par l'article
1382 du Code civil selon lequel nul ne peut nuire à autrui. Il s'agit
là d'un principe transversal de notre droit reflétant les valeurs
qui servent de fondement à notre société. Dès lors,
tout dommage causé à la suite d'un comportement nuisible se doit
de donner lieu à réparation ce qui nous amène au second
grand principe encadrant le régime de la responsabilité civile
délictuelle : l'ordre public. L'idée est ici de
dire que la réparation du préjudice causé par le
comportement fautif de son auteur - qui par ailleurs obéit au principe
de réparation intégrale (tout chef de préjudice
donne lieu à réparation et ce, dans son
intégralité) - ne peut supporter aucune forme
d'aménagement par les parties. Elle ne peut donc être
minimisée ou au contraire, majorée (Ph. le Tourneau, Droit de
la responsabilité et des contrats, Dalloz, 8e
éd., 2010, p. 21 et s.).
21 Cela est d'autant plus vrai, que nous
observerons qu'un certain nombre de facettes de la liberté d'expression
comportent par nature une dimension nuisible consubstantielle à leur
exercice, vision que semble corroborer la Cour européenne des droits de
l'homme depuis une trentaine d'années déjà. En effet, dans
les années soixante-dix, un arrêt retentissant de la Cour de
Strasbourg, aujourd'hui multi-consacré, fit valoir que la liberté
d'expression « vaut non seulement pour les informations ou
idées accueillies avec faveur ou considérées comme
inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent,
choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la
population » (CEDH, Handyside c/ Royaume Uni, n°
5493/72, 7 décembre 1976, GACEDH n° 7).
21 E. Dreyer, « Disparition de la
responsabilité civile en matière de presse », Dalloz,
2006, p. 1137.
5.
12
En sus du régime général de
responsabilité découlant de l'article 1382 du Code civil,
l'accent devra être mis sur le développement d'une « autre
» responsabilité civile, à la portée moins
transversale, et s'arrogeant le monopole de la défense d'un certain
nombre de droits de la personnalité dont la consécration
légale doit beaucoup à l'évolution de la presse et de son
contenu.
On sait en effet que les articles 1382 et 1383 du Code civil
ont été le « creuset » où furent crées un
certain nombre de droits de la personnalité dont notamment, le droit au
respect de la vie privée, de la présomption d'innocence ou encore
le droit à l'image23. Depuis la fin des années
soixante, les atteintes portées à ce type d'attributs de la
personnalité constituent l'une des illustrations les plus
récurrentes de la mise en oeuvre de la responsabilité civile des
médias pour abus de la liberté d'expression. Cette explosion du
contentieux des droits de la personnalité s'explique principalement par
l'apparition d'une nouvelle forme de presse dite « à scandale
», se complaisant à multiplier les intrusions fortuites dans la vie
privée des gens, notamment par voie de photographies. Les tribunaux
civils se retrouvèrent donc vite confrontés à une nouvelle
vague d'actions en responsabilité, fondées sur les articles 9 et
9-1 du Code civil24, donnant à nouveau le sentiment d'une
mise à l'écart de la voie pénale au profit de celle
civile.
Là encore, comme pour l'article 1382 du Code civil,
l'instrumentalisation des actions en responsabilité civile aux fins de
contournement du texte spécial de la loi du 29 juillet 1881, devait
inévitablement poser le problème de leur cantonnement
vis-à-vis de la loi du 29 juillet 1881. Nous tenterons donc d'analyser
les rapports entretenus par les « responsabilités civiles
spéciales » des articles 9 et 9-1 du Code civil avec la loi sur la
liberté de la presse, ainsi que les enjeux suscités par cette
question.
6. Enfin, notons que la présente étude s'axera
principalement autour du texte central que constitue la loi sur la
liberté de la presse du 29 juillet 1881. Certes, bien qu'originairement
prévue pour appréhender les seuls abus de la liberté
d'expression commis par voie de « presse écrite », nous
verrons que la plupart de ses dispositions25 ont été
transposées aux lois réglementant les nouveaux supports de presse
parmi lesquelles figurent
23 E. Dreyer, Responsabilité civile et
pénale des médias, LexisNexis, 3e éd.,
2011, p. 8.
24 Les articles 9 et 9-1 du Code civil sont les
dispositions servant de base légale aux actions visant à obtenir
la réparation d'atteintes portées à la vie privée,
à l'image (art. 9) et à la présomption d'innocence (art.
9-1).
25 Notamment celles qui nous intéressent ayant
trait à la mise en oeuvre de la responsabilité des
médias.
13
principalement, la loi du 29 juillet 1982, relative à
la communication audiovisuelle26, et la loi du 21 juin 2004,
concernant les activités de communication en ligne27. En ce
sens, le texte de 1881 - en dépit des nombreuses modifications
règlementaires et législatives survenues depuis sa
consécration - continue encore d'incarner le « noyau dur » de
la législation applicable en matière de presse. Il sera pour
cette raison au coeur de la réflexion portée sur ce sujet.
L'objet de notre développement consistera donc tout
d'abord en une analyse globale de cette suprématie controversée
que connait le texte spécial de la loi du 29 juillet 1881, face aux
perturbations générées par une responsabilité
civile de droit commun toujours en quête de nouveaux territoires. Il
s'agira alors de dresser un éventail essentiellement théorique
des aspects du conflit opposant ces textes, et de souligner leurs enjeux pour
la liberté de la presse (Partie I). Il nous restera ensuite à
explorer l'étendue de la place effectivement accordée par le juge
à la responsabilité civile au sein du contentieux de la presse.
Ce second volet de développement nous permettra ainsi de se faire une
idée relativement précise du rôle tenu par la
responsabilité pour faute, face à la liberté que constitue
celle de s'exprimer (Partie II).
26 Loi n82-652 du 29 juillet 1982 sur la
communication audiovisuelle règlementant les stations de
radiodiffusion et de télévision.
27 Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance
dans l'économie numérique ayant essentiellement trait
à la presse en ligne diffusée via Internet.
14
Partie I : La suprématie controversée de
la loi du 29 juillet 1881 en matière de presse
7. Il n'est pas étonnant que la loi du 29 juillet 1881
prime sur la responsabilité civile de droit commun reposant sur
l'article 1382 du Code civil. Il ne s'agit en effet que d'une simple
application de l'adage romain specialia generalibus
derogant28 érigé en principe
général de notre droit. Or, si pendant plus d'un siècle
une cohabitation pacifique régnait entre les deux textes, le choc des
législations ne tarda pas à se faire sentir pour laisser place
aux tumultes que l'on connaît entre l'article 1382 du Code civil et le
texte spécial29.
8. Tant sur la forme que sur le fond, le texte de 1881
instaure un régime exorbitant du droit commun souvent jugé comme
excessivement protecteur des organes de presse. L'accent doit
particulièrement être mis sur la rigueur exacerbée des
exigences procédurales du texte spécial faisant l'objet de
critiques à répétition de la part de nombreux
auteurs30 (Titre 1). Sa recherche d'un équilibre, entre d'une
part la liberté d'expression et d'autre part le droit des personnes,
s'est vu perturbée par de nombreuses tentatives d'immixtion du droit
commun en la matière poussant ainsi la jurisprudence à devoir se
prononcer sur les frontières respectives des deux textes (Titre 2).
28 Ce qui est spécial déroge à
ce qui est général : H. Roland, Lexique juridique,
expressions latines, LexisNexis, 5e éd., 2010, p. 337.
29 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer,
Traité de droit de la presse et des médias, Lexisnexis,
1ère éd., 2009, p. 732.
30 V. E. Derieux, « Faut-il abroger la loi de
1881 ? », Légipresse n°154-II, sept. 1998, p. 93.
15
Titre 1 : Les règles de forme et de fond
instaurées par le texte spécial
9. La loi du 29 juillet 1881 est un texte de droit
pénal et de procédure pénale. Ses règles
processuelles sont l'une des caractéristiques
prépondérante de son authenticité. C'est d'ailleurs depuis
seulement une vingtaine d'années que celles-ci se sont imposées
devant le prétoire civil, ce qui nous le verrons divise largement la
doctrine (Chapitre 1). Le coup de grâce a pourtant été
porté par une importante jurisprudence de 200031 favorable
à une identité de la faute pénale et civile en
matière de presse et harmonisant ainsi les règles de fond de mise
en oeuvre de la responsabilité (Chapitre 2).
Chapitre 1 : Le particularisme procédural du
contentieux de la presse
10. Le contentieux de la presse est redouté des
praticiens du droit pour sa singulière technicité32 de
sorte que de nombreux avocats et juges en ont fait leur
spécialité. Les auteurs s'intéressant à la
matière n'ont d'ailleurs pas manqué d'imagination tant les
formules illustrant la complexité de la procédure telle
qu'imposée par le texte spécial sont nombreuses33.
11. Nous observerons que la loi sur la liberté de la
presse apparaît comme étant l'expression d'un droit subtil
(Section 1) dont l'extension des règles de procédure devant le
juge civil s'est progressivement opérée pour atteindre son
paroxysme au deuxième millénaire. Il conviendra d'en examiner les
conséquences eu égard à l'action civile en
réparation du dommage causé par voie de presse, désormais
soumise aux dispositions pénales instaurées par le texte (Section
2).
31 Cass. Ass. Plén., 12 juillet 2000 :
Bull. civ. n8 ;
Comm. com. électr.
2000, n108, obs. A. Lepage ; LPA, 14 août 2000, note E.
Derieux ; Gaz. Pal. 2001, somm. p. 979, note P. Guerder ; JCP
G 2000. I. 280, n2, obs. G. Viney ; RTDciv. 2000, p. 845, obs. P.
Jourdain ; D. 2000, somm. p. 463, obs. P. Jourdain.
32 V. E. Derieux, « pièges
procéduraux de la loi du 29 juillet 1881», note sous TGI
Belfort, 5 janvier 1996, JCP 1996. II. 22695.
33 Commet éluder la formule utilisée
par Marc Domingo : « la loi du 29 juillet 1881 est peuplée, sur
son versant procédural de monstres fantastiques et d'avortons
étranges qui composent une galerie de tératologie juridique
rarement imitée dans d'autres secteurs du droit. » («
Atteintes à la réputation : la protection judiciaire
pénale », Gaz. Pal. 1994, 2, doctr. p. 999)
16
Section 1 : Les subtilités processuelles de la
loi de 1881
12. Pendant longtemps, seules les dispositions de l'article
65 du texte de 1881 relatives à la prescription étaient
opposées aux actions civiles en réparation trop tardives. Pour le
reste, le « formalisme tatillon »34 mis en place
par la loi sur la liberté de la presse trouvait uniquement à
s'appliquer devant le juge répressif (Paragraphe1). Il faudra finalement
attendre la fin du XXème siècle pour assister à
l'unification des procédures pénale et civile de presse
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Une procédure au formalisme
méticuleux
13. Le formalisme pointilleux auquel doivent faire face les
demandeurs au procès de presse se manifeste dès l'introduction de
l'instance par le biais d'un certain nombre de dispositions essentielles pour
la suite de la procédure (A). Ceux-ci devront en outre veiller avec
attention à ne pas se voir opposer le court délai de prescription
de trois mois, caractéristique du droit de la presse (B).
A. Les exigences fondamentales des articles 50 et 53
du texte spécial
14. Le particularisme procédural du procès de
presse se reflète dès l'acte introductif d'instance dont le
formalisme - imposé par les articles 50 et 53 de la loi de 1881 -
paraît d'emblée vouloir endurcir l'aboutissement des actions en
responsabilité. Il convient dès lors de s'attarder en quelques
mots sur le contenu de ces dispositions clés de la loi sur la
liberté de la presse.
L'article 50 tout d'abord, exige à peine de
nullité que le réquisitoire introductif du ministère
public articule et qualifie « les provocations, outrages, diffamations
et injures à raison desquels la poursuite est intentée, avec
indication des textes dont l'application est demandée.
»35. Cette triple exigence de qualification et
précision des faits litigieux d'une part, et d'indication des textes
applicables d'autre part, se retrouve au sein de l'article 53 de la même
loi concernant la citation directe devant le tribunal correctionnel. En outre,
pour les citations délivrées à la requête du
plaignant, ce dernier impose une élection de
34 N. Mallet-Poujol, « Abus de droit et
liberté de la presse », Légipresse 1997, n143-II, p.
84.
35 Art. 50 du Code de la communication ; La
jurisprudence a désormais étendu ce formalisme à la
plainte avec constitution de partie civile.
17
domicile dans la ville où siège la juridiction
saisie ainsi que l'obligation de signifier la citation au ministère
public en plus du prévenu36.
15. Alors que la loi dispose que l'ensemble de ces
formalités doivent être respectées à peine de
nullité, une jurisprudence constante affirme que les choix
réalisés en vue de satisfaire à ces exigences de forme
sont définitifs. En effet, « ils fixent irrévocablement
les points sur lesquels le prévenu aura à se défendre
(É) et délimitent définitivement la poursuite
»37. Il faut donc bien comprendre que le choix des
éléments de fait et droit concomitant aux exigences
d'articulation et de qualification des propos - s'opérant à la
base de la poursuite - est primordial.
16. Ce développement purement descriptif appelle
à réaliser deux types d'observations. Difficile d'éluder
d'une part, le caractère éminemment pénal des dispositions
procédurales évoquées. Les termes «
réquisitoire », « ministère public », «
citation », ne trompent pas sur le dessein du législateur de
1881 de vouloir semble t-il, appliquer ces dispositions procédurales
devant le juge répressif uniquement. Les articles 50 et 53 ne font
d'ailleurs aucune allusion à une quelconque action civile
séparée38. D'autre part, il apparaît clairement
que ce formalisme exigeant déroge aux règles classiques de
procédure pénale en un sens favorable à la partie
défenderesse39. Les rédacteurs de la loi sur la
liberté de la presse ne s'en cachaient d'ailleurs pas. Il s'agit en
réalité de créer des obstacles de procédure en vue
de mieux protéger les organes de presse et ainsi «
modérer les ardeurs de la vindicte publique
»40.
C'est sans compter le « brévissime
»41 délai de prescription consacré par
l'article 65 de la loi de 1881 constituant l'un des principaux trait
caractéristiques de la procédure de presse.
B. La « cruciale » prescription
trimestrielle
17. La Cour européenne a eu l'occasion de
définir la prescription comme étant le « droit
accordé par la loi à l'auteur d'une infraction de ne plus
être poursuivi ni jugé après
36 Art. 53 du Code de la communication.
37 Crim. 24 nov. 1992 : Bull. crim.
n°386 ; V. aussi : Crim. 14 mai 1979 : JCP 1979. IV. 237 ;
Crim. 22 mai 1984 : Bull. crim. n°188.
38 E. Derieux, « Faut-il abroger la loi de
1881 ?», Légipresse Spécial 30 ans, oct. 2009,
p.137.
39 V. à titre de comparaison : B. Bouloc,
Procédure pénale, Précis Dalloz,
23ème éd., 2012, p.165 et s.
40 Rapport général, § XXXVI, in
H. Celliez et Ch. Le Senne, Loi de 1881 sur la presse accompagnée
des travaux de rédaction, Libr. A. Marescq Ainé, Paris,
1882, p.594.
41 B. Beignier, L'Honneur et le droit, LGDJ,
1995, p.180.
18
l'écoulement d'un certain délai depuis la
réalisation des faits »42. Il semble
réellement que ce droit se métamorphose en privilège en
matière de presse.
18. En effet, selon l'article 65 al 1er de la loi
du 29 juillet 1881 : « L'action publique et l'action civile
résultant des crimes, délits et contraventions (É) se
prescriront après trois mois révolus, à compter du jour
où ils auront été commis ou du jour du dernier acte
d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait
»43. Il en résulte donc qu'en matière de
presse, action publique comme civile se prescrivent par un délai de
trois mois, que celles-ci soient engagées ensemble ou
séparément44. En effet, cette unité des
prescriptions mise en place par le législateur de 1881 a
résisté à la loi du 23 décembre 1980 ayant mis un
terme au principe de solidarité des prescriptions entre l'action
publique et civile. Une jurisprudence constante en atteste45. Ce
« délai couperet », caractéristique du contentieux de
la presse déroge donc clairement aux délais de prescription de
droit commun tant en matière pénale que civile46. Mais
comment en justifier ?
19. Il semblerait que ce court délai de prescription
puise sa raison d'être dans une primordiale nécessité de
protection de la liberté d'expression47. La liberté
l'emporterait-elle sur la responsabilité ? On peut en être
inquiété. Pourtant la Haute juridiction, ayant eu à se
prononcer sur la validité normative d'un tel délai eu
égard aux garanties offertes aux droits de la défense par la
Convention européenne des droits de l'homme, estime qu'un tel
régime n'entrave aucunement l'article 6§1 de cette dernière.
En effet selon elle, c'est à la la victime de faire preuve de «
diligence »48.
20. Diligence, prudence. Quel euphémisme ! Cette
même prescription trimestrielle oblige aussi le plaignant à
interrompre ce délai au maximum tous les trois mois afin d'informer le
défendeur de sa volonté de continuer les poursuites. Ce dernier
se verra ainsi devoir réitérer les actes de procédure afin
de ne pas se voir opposer le « couperet des trois
42 CEDH, 22 juin 2000, Coëme c/ Belgique,
n° 32492/96, § 26.
43 E. Derieux, A.Granchet, Droit de la
communication lois et règlements, Recueil
Légipresse, Victoires-éditions, 2010, p. 318.
44 Une loi du 9 mars 2004 porte néanmoins ce
délai à un 1 an pour certaines infractions à
caractère raciste (V. Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant
adaptation de la justice aux évolutions de la
criminalité)
45 Crim. 11 déc. 1984 : Bull. crim.
n°398 ; Civ. 2e, 20 avr. 1983 : Bull. civ.II,
n°283 ; Civ. 2e, 17 févr. 1993 : Bull. civ.II,
n°66 ;
46 En effet, en matière pénale, la
prescription des infractions varie selon la gravité du comportement
réprimé de sorte que le délai de droit commun varie de dix
ans pour les crimes, trois ans pour les délits et 1 an pour les
contraventions. (B. Bouloc, Procédure pénale,
Précis Dalloz, 23ème éd., 2012, p. 182.) ;
en matière civile, V. Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant
réforme de la prescription en matière civile.
47 La Cour de cassation l'énonçait de
manière limpide dans un arrêt de sa deuxième Chambre civile
: « la courte prescription édictée par l'article 65 de
la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse a pour objet de
garantir la liberté d'expression » (Civ. 2e, 14
déc. 2000 : Bull. civ.II, n°19).
48 Crim., 2 oct. 2001 :
Comm. com. électr.
2002, comm. 66, obs. A. Lepage.
19
mois ». En plus, tous les actes ne sont pas
nécessairement interruptifs de prescription49. La moindre
négligence de la part de la victime peut donc s'avérer fatale.
D'ailleurs en matière civile comme pénale, la jurisprudence a
désormais admis le principe selon lequel « la fin de
non-recevoir tirée de la prescription prévue par l'article 65 de
la loi du 29 juillet 1881, d'ordre public, doit être relevée
d'office »50. Le couperet, on peut le dire, semble donc
bien aiguisé.
Seul l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit
expressément que l'action publique comme civile devra respecter le
délai de trois mois de prescription exorbitant du droit commun.
Devait-on alors considérer a contrario que les autres
règles spéciales de procédure prévues par le texte,
ne faisant aucune référence à l'action civile,
étaient circonscrites dans leur application au procès
pénal ? Il semble que les juges n'aient pas adopté un tel
raisonnement.
Paragraphe 2 : Le mouvement jurisprudentiel
d'harmonisation
21. La perspective d'une unification des procès civil
et pénal de presse est pendant longtemps restée à
l'écart des décisions de justice (A). Ce n'est en effet que
depuis une vingtaine d'années que s'est construit un véritable
alignement procédural aboutissant aujourd'hui à une
quasi-parfaite synchronisation des deux contentieux (B).
A. Une longue période de résistance
22. En prohibant pour une unique infraction - celle de
diffamation envers une administration publique ou un fonctionnaire public au
sein des articles 30 et 31 - que l'action civile puisse être
exercée séparément de l'action publique, la loi du 29
juillet 1881 offre implicitement la possibilité pour les victimes de
pouvoir agir devant le juge de l'indemnisation afin d'obtenir la
réparation d'un préjudice concomitant à une infraction de
presse qu'elle définit. Or, le texte spécial de 1881, de nature
pénale, ne prévoit aucune règle encadrant la mise en
oeuvre d'une telle action devant le juge civil de sorte que
49 La jurisprudence joue un rôle essentiel
d'interprétation de l'article 65 al. 1er in fine du
texte spécial prévoyant implicitement la possible interruption du
délai de prescription « à compter du dernier acte
d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait ».
Ainsi a t-elle pu juger par exemple qu'ont un effet interruptif, la
citation directe, le réquisitoire introductif, la
plainte avec constitution de partie civile. En revanche, il est
courant que la jurisprudence rappelle à la victime que tel ou tel acte
n'est pas interruptif là où celle-ci se croyait en
sécurité. À titre d'exemple, n'est pas
considéré comme acte interruptif de la prescription devant les
juridictions civiles, une constitution d'avocat ou la
signification par le défendeur lui même de ses
conclusions. (V. pour une information détaillée : E. Dreyer,
Responsabilité civile et pénale des médias,
LexisNexis, 3e éd., 2011).
50 Civ. 2e, 29 nov. 2001 : Bull. civ.
II, n°180.
20
pendant plus d'un siècle, la jurisprudence se
prononça en faveur d'une distinction des deux contentieux51.
Cette longue tradition jurisprudentielle, favorable à une
séparation des procès civil et pénal de presse, semblait
donc en parfait accord avec cette fameuse phrase de Barbier qui sur un fond
d'évidence disait : « l'action civile devant les tribunaux
civils ne peut être évidemment régie que par les
règles du Code de procédure civile »52.
Pourtant, sans qu'aucune modification législative ne
puisse réellement en justifier, la jurisprudence, à la fin du
XXème siècle, s'aventura dans l'entreprise de longue haleine que
devait constituer l'unification du procès pénal et civil de
presse tentant ainsi d'instituer un véritable «
parallélisme des formes » qui nous le verrons, ne semble pas
faire l'unanimité53.
B. La contamination du procès civil de
presse
23. La doctrine s'accorde à dire que c'est un
arrêt de la Cour de cassation du 5 février 199254 qui
posa la première pierre de l'édifice jurisprudentiel que
constitue l'extension des règles de procédure pénale du
texte spécial au procès civil de presse. En effet, il semblerait
que ce soit en matière de référé - diffamation que
la Haute juridiction a imposé pour la première fois le respect de
l'authentique article 55 du texte de 1881 - consacrant l'obligation d'accorder
un délai de dix jours d'offre de preuve de la vérité
diffamatoire pour le défendeur au procès - devant le juge civil.
Cette jurisprudence a été confirmée de façon plus
générale pour l'ensemble des actions portées devant les
tribunaux civils le 22 juin 1994, au motif qu'aucune disposition
législative n'évince l' « application dudit article 55
dans le cas d'une action exercée séparément de l'action
publique devant une juridiction civile »55.
Quelques années plus tard, c'est le formalisme de
l'article 53 de la loi de 1881 qui a fini par contaminer l'acte introductif
d'instance56. L'assignation du dès lors préciser et
51 Par exemple, Cass. req. 30 mai 1911 :
DP 1912, 1, p. 295, estimant qu' « en droit, il n'y a pas lieu
d'emprunter à la loi du 29 juillet 1881 sur la presse les dispositions
spéciales prescrites par les articles 50 et 60, qui règlent la
forme des citations devant les tribunaux de répression, pour les
appliquer aux instances introduites devant la juridiction civile, quand ces
instances sont nées d'un délit prévu par ladite loi ; Que
le texte aussi bien que l'esprit de la loi de 1881 ne permettent pas cette
extension ».
52 G. Barbier, Code expliqué de la
presse, Marchal et Godde, 2e éd., 1911, p. 394,
n°870 ; en effet, il a toujours été admis que l'action
civile en réparation du dommage subi, lorsqu'elle est jointe à
l'action pénale, obéit aux règles de procédure
pénale - et en l'espèce a fortiori à celles
prévues par le texte spécial de 1881 - et dans le cas inverse,
l'action civile autonome obéira aux règles de procédure
civile.
53 E. Dreyer, « L'accès au juge civil
en matière de presse », Légipresse n°291,
Fév. 2012, p. 84.
54 Civ. 2e, 5 février 1992 :
Bull. civ.II, n°44.
55 Civ. 2e, 22 juin 1994 : Bull.
civ.II, n°164.
56 Civ. 2e, 19 fév. 1997 : Bull.
civ.II, n°44.
21
qualifier le fait invoqué, mais aussi indiquer le texte
de loi applicable aux prétentions. Concernant l'indication du texte
applicable, la Cour de cassation est d'ailleurs venue préciser un point
important. En effet, par un arrêt du 26 octobre 2000, celle-ci a fait
valoir que même devant le juge civil, « le texte de loi
applicable à la demande est celui qui édicte la peine applicable
aux faits entrant dans la définition d'une infraction de presse, tels
qu'ils sont qualifiés È57. En outre, la
Cour de cassation a imposé au demandeur d'élire
expressément domicile dans la ville où siège la
juridiction saisie, et ce conformément aux exigences de l'article 53
alinéa 2 du texte de 188158.
24. C'est donc un véritable processus d'unification du
procès civil et pénal de presse qui s'est développé
depuis le début des années 1990. Dès lors que les faits
dont la victime demande réparation sont susceptibles d'être
identifiés à une infraction de presse prévue et
réprimée par le texte de 1881, les poursuites, que celles-ci
soient déclenchées devant le juge répressif ou civil, se
verront appliquer les mêmes règles en matière de
prescription de l'action, d'offre de preuve ou encore, de formalisme relatif
à l'acte introductif d'instance.
On l'aura compris, cette « synchronisation
procédurale », souhaitée par certains, décriée
par d'autres, menace bien des actions civiles en responsabilité. Mais
quel est le véritable impact des exigences procédurales de la loi
de 1881 sur les actions portées devant les tribunaux civils ? Quelles
sont les difficultés rencontrées par le juge de l'indemnisation
face à cette transposition de règles de nature pénale dans
le procès civil de presse ?
Section 2 : Les conséquences tenant à
l'action civile en réparation
25. Le processus d'extension jurisprudentiel des
règles de procédure pénale particulières de la loi
de 1881 aux actions civiles en réparation paraît incontestablement
constituer un obstacle à leur aboutissement (Paragraphe 1). Par
ailleurs, ce mouvement s'avère révélateur de
défaillances dont il conviendra d'examiner les causes et manifestations.
Toutefois, il semblerait que la Haute juridiction prenne conscience des
difficultés engendrées par la voie d'une identité des
procès civil et pénal de presse. En effet, sans pour autant
procéder à une totale remise en question de l'édifice,
celle-ci paraît depuis peu vouloir atténuer sa jurisprudence sur
un certain nombre d'exigences qui semblaient jusqu'alors être acquises
(Paragraphe 2).
57 Civ. 2e, 26 oct. 2000 : Bull.
civ.II, n°147.
58 Civ. 2e, 12 mai 1999 : Bull.
civ.II, n°90.
22
Paragraphe 1 : Un alignement procédural malvenu pour
les victimes
26. La transposition du carcan procédural
instauré par la loi du 29 juillet 1881 au procès civil de presse
devait inévitablement causer des difficultés
supplémentaires pour le bon acheminement des actions civiles en
responsabilité (A). À ce titre, les conceptions doctrinales eu
égard au bien fondé de ce mouvement d'unification sont tout
à fait divergentes (B).
A. L'issue périlleuse des actions en
responsabilité
27. L'époque où les victimes d'infractions de
presse avaient la possibilité d'exercer leur action devant la
juridiction civile en vue de se soustraire aux contraintes procédurales
de la loi du 29 juillet 1881 est révolue.
Les dispositions plus libérales régissant
classiquement le procès civil - et tout particulièrement celles
des articles 56-2 du Code de procédure civile exigeant de manière
floue, un exposé « en fait et en droit », avec un
pouvoir pour le juge de requalification des faits prévu par l'article 12
de ce même code - ont désormais laissé la place à la
rigueur du formalisme imposé par le texte
spécial59.
En effet, parmi les points les plus importants, notons que
l'assignation doit qualifier avec précision le fait incriminé,
mais aussi faire explicitement référence au texte de la loi de
1881 dont l'application est requise60. La jurisprudence constante en
déduit qu'il est dès lors impossible de procéder à
des qualifications alternatives, cumulatives ou encore subsidiaires.
L'assujettissement au formalisme de l'article 53 du texte spécial a donc
pour effet de contraindre le juge à respecter les qualifications
opérées - à tort ou à raison - par le demandeur.
Une erreur de qualification s'avèrerait ainsi fatale pour ce dernier.
À titre d'exemple, a été approuvé - et le cas est
d'école ! - l'arrêt rendu par une Cour d'appel dont l'attendu
précisait que « l'assignation ayant fixée
définitivement la nature et l'étendue de la poursuite quant aux
faits et à leur qualification d'injures publiques au sens des articles
29 alinéa 2, et 33 de la loi du 29 juillet 1881 (É) la
juridiction de jugement ne pouvant prononcer aucun changement de qualification
par rapport à la loi sur la presse, l'action de l'association est
prescrite »61. Le « couperet » de la
prescription trimestrielle,
59 C. Bigot, « Les
spécificités de la loi de 1881 concernant tant le régime
de responsabilité en cascade que celui des règle
dérogatoires de procédure et de prescription »,
Légicom n35, 2006, p. 22.
60 V. Supra n23.
61 Civ. 2e, 15 avr. 1999 : Bull. civ.
II, n73.
23
dont l'application devant le prétoire civil n'a
fondamentalement jamais été remise en cause, retrouve alors toute
sa vigueur en cas de qualification erronée.
28. Néanmoins, si un certain nombre d'auteurs ne
cessent de dénoncer le régime procédural spécial
mis en place par la loi sur la liberté de la presse - «
aboutissant bien souvent à empêcher la poursuite et la sanction
des infractions de presse»62 - d'autres, à
l'instar du magistrat Nicolas Bonnal, persistent à croire en la justesse
des équilibres instaurés par la loi du 29 juillet 1881.
Celui-ci fait tout d'abord valoir que si le texte
spécial met effectivement en place un certains nombre de règles
de procédure particulièrement exigeantes pour la partie
demanderesse, la loi sur la liberté de la presse compense sa situation
en instituant un mécanisme de responsabilité automatique du
directeur de publication ou encore un système de renversement de la
charge de la preuve en matière de diffamation. Cela participe selon lui
à la création d'un ensemble globalement
équilibré.
Ensuite concernant le respect des exigences découlant
des articles 50 et 53 du texte spécial - là aussi constamment
décriées comme abusivement complexes pour qui veut intenter une
action contre un organe de presse - ce dernier ne manque pas de rappeler la
chose suivante : « trois règles à respecter, avec pour
l'essentiel une exigence de clarté et de précision dans la
rédaction, est-ce vraiment si périlleux que cela ?
»63. Une telle remarque a le mérite de retenir
notre attention. Il n'apparaît en effet pas si laborieux que de
satisfaire à ces quelques exigences dont la noble finalité
consiste de surcroît - et il n'est pas vain de le rappeler - à
mettre aussitôt le prévenu « en mesure de préparer
tous les éléments de sa défense »64
.
Enfin - et c'est là probablement le point le plus
convaincant de son analyse car s'appuyant sur la base de données
chiffrées - l'auteur démontre la chose suivante : sur les 237
décisions rendues par le Tribunal de grande instance de Paris durant
l'année 2010 en matière de presse, un quart des débats
ayant précédé celles-ci portaient sur des questions de
procédure et non de fond (type exception d'incompétence,
nullité de forme de l'assignation, prescription des faits et autres). On
ne peut donc négliger que le débat de procédure est
relativement bien présent dans le contentieux de la presse. Mais - et
c'est là tout l'intérêt de l'étude statistique
entreprise par l'auteur - sur ce quart de débats durant
62 E. Derieux, « Faut-il abroger la loi de
1881 ? », Légipresse n°154-II, sept. 1998, p. 93.
63 N. Bonnal, « Les chausses trappes
procédurales de la loi de 1881 : mythe ou réalité ? Essai
d'étude statistique », Légipresse n°289,
Déc. 2011, p. 670.
64 Circulaire du 9 novembre 1881 aux procureurs
généraux : D. 1881, III, 106, n°58.
24
lesquels des moyens de procédure ont été
soulevés, il apparaît que seulement 8% d'entre eux aient permis de
faire échec aux poursuites entreprises par les victimes. Ce chiffre est
donc très révélateur. Selon ce dernier, il «
prive de réelle substance la dénonciation des chausses trappes
procédurales de la loi »65.
Ce développement appelle inéluctablement
à s'interroger quant au réalisme ou à la supercherie de
ces fameuses « chausses trappes » procédurales si souvent
dénoncées par les spécialistes du contentieux de la
presse. Si certains auteurs semblent en effet convaincus par l'effet ravageur
du respect de telles exigences sur l'aboutissement des actions en
responsabilité, d'autres, paraissent soutenir la thèse du
fantasme. La question tenant à la légitimité de la
transposition de ces exigences aux actions civiles en réparation ne fait
d'ailleurs qu'accroître les ardeurs contradictoires de ces derniers.
B. Une uniformisation divisant la doctrine
29. L'édifice jurisprudentiel ayant permis en une
dizaine d'années seulement, de transposer l'ensemble des règles
de procédure pénale instaurées par le texte de 1881 dans
le cadre du procès civil de presse, continue aujourd'hui à faire
l'objet de vifs débats doctrinaux. En effet, deux types de conceptions
s'opposent. D'un coté, nous trouvons les partisans d'une conception
unitaire du procès de presse. De l'autre, les adhérents d'une
conception plus dualiste66.
30. L'argument unitaire tout d'abord, trouve son essence dans
le principe même de liberté de la presse consacré au sein
de l'article 1 de la loi du 29 juillet 188167. En effet, les tenants
de l'unité du procès de presse partent du postulat selon lequel
à partir du moment où les dispositions procédurales du
texte de 1881 jouent un rôle prépondérant dans la
protection de la liberté de la presse, celles-ci doivent
nécessairement trouver à s'appliquer, que l'action soit
portée devant les juridictions pénales comme civiles. La
liberté d'information doit ainsi pouvoir jouir des mêmes garanties
procédurales, dans l'un comme dans l'autre des contentieux.
31. L'argument dualiste en revanche, puise principalement sa
force dans l'incompatibilité du mouvement d'harmonisation avec les
finalités respectives du procès civil et pénal de presse.
L'un de ses principaux défenseurs, Emmanuel Dreyer, considère en
effet que la
65 N. Bonnal, « Les chausses trappes
procédurales de la loi de 1881 : mythe ou réalité ? Essai
d'étude statistique », Légipresse n289, Déc.
2011, p. 667.
66 A. Lepage, « Vers une remise en cause de
l'unicité du procès de presse », Légicom n46,
2011, p. 11.
67 Loi 1881-07-29 Bulletin Lois n 637 p. 125.
25
mise en oeuvre de ces garanties devant le juge de
l'indemnisation constitue une « hérésie
»68 en matière civile, car contribuant à
éluder les fonctions propres de chacun des contentieux, l'un ayant pour
but de punir l'auteur de l'infraction, l'autre ayant pour unique
finalité d'indemniser la victime. Ce dernier va même
jusqu'à dénoncer l'incompatibilité en matière
civile, des règles de procédure instaurées par le texte de
1881 avec les exigences de l'article 6§1 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme69. L'autre
argument avancé par les défenseurs de la thèse dualiste
tient compte du contexte historique dans lequel est intervenue
l'élaboration de la loi du 29 juillet 1881. L'idée avancée
est que les menaces pesant sur la liberté d'expression, qui
étaient bien réelles à la fin du XIXème
siècle et justifiaient donc pleinement l'extrême complexité
des règles de procédure pénale pour affermir cette fragile
liberté, ne sont plus les mêmes que celles d'aujourd'hui. Ils
avancent donc que les règles ne sont plus appropriées au
procès pénal de presse et le sont d'autant moins devant le juge
civil70.
Toujours est-il que l'harmonisation jurisprudentielle du
procès de presse semble avoir eu raison de la thèse de la
dualité. Nous allons voir que la pratique ainsi que les arrêts les
plus récents attestent cependant de l'ambition quelque peu
chimérique d'un tel mouvement.
Paragraphe 2 : Les vicissitudes de l'alignement
procédural, source d'incertitudes
32. Les partisans de la conception dualiste du procès
de presse semblent avoir raison sur un point : compte tenu des
spécificités respectives des contentieux pénal et civil,
la transposition de règles de procédure pénale devant le
prétoire civil ne peut s'opérer sans rencontrer un certain nombre
d'hostilités (A). La jurisprudence semble en tirer un certain nombre de
conséquences, sans pour autant modifier radicalement ses positions
(B).
A. Les problèmes d'incompatibilité
33. Beaucoup d'auteurs ont dénoncé une
application « contre-nature » des règles de procédure
pénale spéciale du texte de 1881 devant le juge civil. Parmi ces
derniers, Emmanuel Dreyer, farouche opposant à cette extension,
n'hésite pas à qualifier cet
68 E. Dreyer, Responsabilité civile et
pénale des médias, LexisNexis, 3e éd.,
2011, p. 24.
69 V. E. Dreyer, « L'accès au juge
civil en matière de presse », Légipresse n291,
Fév. 2012, p. 83.
70 E. Derieux et A. Granchet, Droit des
médias, LGDJ, 2010, n1453.
26
alignement procédural d'« illusoire
»71 car impossible à mettre complètement en
oeuvre. Nous procèderons donc à une brève
énumération de ces hiatus procéduraux sans pour
autant rentrer dans ce qui relève de la pure technique processuelle.
Parmi quelques exemples attestant du fait qu'il ne peut y
avoir une complète identité de régime entre les
procès civil et pénal de presse, on notera tout d'abord les
dispositions de l'article 53, dont l'application a été
étendue à l'assignation, et ne précisant pas la nature de
la nullité sanctionnant le non-respect de ses exigences de forme.
Pourtant, la nullité s'apprécie différemment selon que
l'on se situe en matière pénale ou civile72.
Dès lors, comment affirmer que l'objectif d'uniformisation des
règles dictant le procès de presse a pour objet de permettre aux
parties de bénéficier de garanties identiques selon que l'on se
trouve devant le juge civil ou pénal alors même que les
critères d'appréciation de validité de l'acte introduisant
l'instance ne sont pas les mêmes ? Aussi, autre exemple attestant des
difficultés sous-jacentes de l'uniformisation, concernant cette fois-ci
l'obligation d'élection de domicile dans la ville où siège
la juridiction saisie (art. 53 al. 2). Une telle exigence devait
inévitablement être perturbée en matière civile dans
le cas d'instances introduites devant les tribunaux de grande instance dits
périphériques, sujets à la multipostulation73.
Enfin, il est certain que le processus d'uniformisation impliquant d'adapter
à une procédure écrite des règles initialement
prévues pour une procédure orale devait là encore,
bouleverser un certain nombre de facultés ordinairement reconnues au
juge civil74.
Les exemples ne manquent donc pas75. Divers auteurs
en conviennent, sans nécessairement réprouver la jurisprudence
d'unification du procès de presse. Pourtant, de récentes
décisions semblent explorer le chemin d'une voie intermédiaire.
En effet, sans pour autant aboutir à une totale remise en cause de
l'édifice jurisprudentiel, elles participent incontestablement d'une
« désynchronisation » des procès civil et pénal
de presse. Il convient de s'attarder un peu sur leur teneur.
71 E. Dreyer, « L'accès au juge civil
en matière de presse », Légipresse n°291,
Fév. 2012, p. 84.
72 E. Dreyer, « Qu'est devenue la
responsabilité civile en matière de presse ? », D.
2004, p. 590.
73 B. Landry, « L'application des
règles de procédure de la loi du 29 juillet 1881 devant la
juridiction civile : point de vue d'un avocat » in «
Liberté de la presse et droits de la personne »,
Dalloz, 1997, p.60.
74 Par exemple, le juge civil ne saurait se
soustraire à l'obligation d'entendre les témoins cités aux
offres de preuve et de preuve contraire (art. 55 et 56 du texte de 1881) et ne
peut donc user de son pouvoir d'appréciation pour appréhender
l'opportunité d'une audition des témoins que lui reconnaît
le code de procédure civile dans le cadre de l'enquête civile
(art. 204 et s.). En effet, il y a là une incompatibilité avec le
caractère accusatoire du procès de presse. Ces témoins
seront donc nécessairement entendus, sans que ce dernier ne puisse
interférer.
75 V. E. Dreyer, Responsabilité civile et
pénale des médias, LexisNexis, 3e éd., 2011, p.
10.
27
B. Les récents assouplissements de la
jurisprudence
34. En vue de désigner le récent mouvement
jurisprudentiel de déconstruction entrepris par la Cour de cassation,
certains parlent de « reflux »76 ou d'«
infléchissement È77. Nous en mettrons certains
points significatifs en relief.
Tout d'abord, l'évolution jurisprudentielle concerne le
premier alinéa de l'article 53 qui rappelons le, contient l'une des
dispositions les plus allégorique de la procédure de presse :
« La citation précisera et qualifiera le fait incriminé,
elle indiquera le texte de loi applicable à la poursuite
»78. Le mouvement a été initié par
deux arrêts de la première chambre civile du 24 septembre
200979 et du 8 avril 201080. À travers ceux-ci, la
Haute juridiction marquait alors un premier pas vers un assouplissement de
l'interprétation des exigences imposées par l'article.
Toutefois, cet élan de laxisme vis à vis du
formalisme de l'acte introductif d'instance ne devait pas durer. En effet, par
un premier arrêt rendu le 3 février 2011, suivi d'un autre du 6
octobre, la même première chambre civile entreprit un retour
fracassant à des exigences plus strictes et davantage conforme à
la lettre de l'article 5381. Mais il est un point sur lequel il faut
insister. Par ces deux décisions de 2011 la Haute juridiction - bien
qu'intransigeante sur les exigences de qualification et d'articulation - a
désormais admis la validité du visa subsidiaire de l'article 1382
du Code civil dans une procédure engagée à titre principal
sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881. Pourtant, rappelons que
jusqu'à récemment encore, l'interprétation de l'article 53
allait systématiquement dans le sens d'une prohibition des visas
cumulatifs ou alternatifs. La pratique du visa subsidiaire de l'article 1382
fut donc toujours considérée comme de nature à introduire
une incertitude
76 E. Dreyer, « Où va la Cour de
cassation en matière de presse ?», JCP G, 2010, p. 1546.
77 A. Lepage, « Vers une remise en cause de
l'unicité du procès de presse », Légicom
n°46, 2011, p. 9.
78 Ibid.
79 Civ. 1ère, 24 sept. 2009,
Bull. civ. I, n° 180 : « la seule omission dans
l'assignation de la mention de la sanction pénale que la juridiction
civile ne peut jamais prononcer n'est pas de nature a affecter la
validité de la citation ».
80 Civ. 1ère, 8 avr. 2010, D.
2010. 1022, estimant que satisfait aux exigences de l'article 53, la
citation indiquant précisément les faits et infractions qui lui
sont reprochés, sans qu'il soit nécessaire que celle-ci
« précise ceux des faits qui constitueront des injures, et ceux
qui constitueraient des diffamations ».
81 Civ. 1ère, 3 févr.
2011, D. 2011. 520 et Civ. 1ère, 6 oct. 2011, D.
2011. 702 : dans ces deux décisions, la Cour affirme qu'un
même fait ne pouvant être poursuivi cumulativement ou
alternativement sous la double qualification d'injure et de diffamation,
« la citation doit préciser en conséquence, ceux des
faits qui constitueraient des injures, et ceux qui constitueraient une
diffamation ».
28
néfaste dans l'esprit du prévenu pour l'exercice
des droits de la défense82. Il semblerait que cela ne soit
désormais plus le cas.
Aussi, autre preuve de l'assouplissement du formalisme
applicable en matière de presse devant le juge civil cette fois-ci
relative à l'alinéa 2 de l'article 53. La Cour estime
désormais qu'est valablement domicilié dans la ville où
siège la juridiction saisie, le justiciable qui serait domicilié
dans une ville limitrophe, dès lors que son avocat est en mesure d'y
plaider83. La rigueur de cet article, qui jusqu'alors imposait
à peine de nullité une élection de domicile dans la ville
où siège la juridiction saisie, semble donc aujourd'hui
désapprouvée devant les juridictions civiles.
L'harmonisation des règles de forme de mise en oeuvre
de la responsabilité civile et pénale suit donc son cours. La
jurisprudence, si elle ne semble clairement pas chercher à sortir de
l'unité du procès de presse qu'elle a façonné,
montre en revanche sa volonté d'explorer de nouvelles voies pour on
dirait, tenter de sauvegarder un semblant d'autonomie vis à vis du
procès pénal de presse. Cette fragile symbiose procédurale
n'était pourtant qu'un premier pas dans le sens de l'harmonisation du
procès de presse. Une réaction ne tarda pas à se
manifester sur le fond du droit.
Chapitre 2 : Les règles de fond de mise en
oeuvre de la responsabilité
35. La loi du 29 juillet 1881 met en place toute une
série de comportements susceptibles d'engager la responsabilité
de leur auteur. En effet, les délits de presse figurant au sein du
Chapitre 4 du texte spécial - intitulé « Des crimes et
délits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de
publication »84 - ont vocation à appréhender
les abus de la liberté d'expression les plus graves commis par les
médias. Dès lors, à partir du moment où les faits
litigieux sont constitutifs d'une infraction de presse au sens du texte de
1881, il devient possible d'engager la responsabilité pénale des
organes de presse (Section 1).
82 Allant dans ce sens : Civ.
2ème, 14 mars 2002 (3 arrêts), n° 00-13.917,
00-13. 918 et n° 00-13. 919, D. 2002. 1180 ; Civ.
2ème, 25 nov. 2004, n° 02-12. 829, D. 2005.
113.
83 Civ. 1ère, 22 sept. 2011, n°
10-15. 445, D. 2011. 2339.
84 E. Derieux, A.Granchet, Droit de la
communication lois et règlements, Recueil
Légipresse, Victoires-éditions, 2010, p. 312 et s.
29
Reste alors à savoir qui sera tenu au civil de
réparer le préjudice causé à la victime de
l'infraction (Section 2).
Section 1 : La nécessaire qualification
pénale de la faute commise
36. « Dans l'orbite de la loi du 29 juillet 1881, le
jeu de la responsabilité civile de droit commun de l'article 1382 du
Code civil est paralysé »85. Il en résulte
que lorsqu'il s'agit de statuer au fond, conformément au texte
spécial, le juge répressif comme celui de l'indemnisation
statuent sur les mêmes fautes (Paragraphe 1). Leur qualification
pénale est d'ailleurs nécessaire au déclenchement du
système de responsabilité dit « en cascade »
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : L'identité des fautes civile et
pénale de presse
37. Dans le but d'empêcher les actions en
responsabilité civile fondées sur l'article 1382 aux fins de
contournement du texte spécial de 1881, la Cour de cassation s'est
très vite prononcée en faveur d'une identité des fautes
civile et pénale de presse (A). Dès lors, que l'action soit
portée devant les tribunaux civils comme répressifs, les juges -
pour déterminer s'il y a lieu à engager la responsabilité
de l'organe de presse - auront à statuer au regard des seuls abus
prévus et réprimés par le texte spécial (B).
A. Une finalité prophylactique
38. Les délits de presse instaurés par le texte
de 1881 ont été conçus comme incarnant la contrepartie de
la liberté d'expression affirmée dans le domaine de la presse par
le législateur de 1881. La faute civile n'était pas pour autant
exclue du domaine de cette liberté, au contraire86, mais elle
a été jugée insuffisante pour appréhender les
excès de la presse87.
39. Pourtant, pendant plus d'un siècle, la
jurisprudence civile joua sur deux terrains. Aux actions civiles
exercées sur le fondement d'une faute pénale constitutive d'un
des délits réprimandés par la loi spéciale,
celle-ci statuait sur le fondement de cette dernière, s'assurant du fait
que les éléments constitutifs de l'infraction étaient bien
réunis et
85 C. Bigot, « La procédure en
matière de presse en proie aux contradictions », Recueil
Dalloz, 2 juin 2011, n° 21.
86 V. J. Traullé, L'éviction de
l'article 1382 du Code civil en matière extracontractuelle, LGDJ,
2007, p. 384 et s
87 N. Mallet- Poujol, « Abus de droit et
liberté de la presse », Légipresse 1997, n°
143-II, p. 81 et s.
30
n'omettant pas de vérifier si les faits
n'étaient pas prescrits. En revanche, lorsque les propos litigieux
n'intégraient pas le champ d'incrimination de la loi spéciale,
était appliqué le seul droit civil, ce qui avait pour
conséquence de permettre aux victimes d'échapper au carcan
procédural instauré par le texte de 1881. Ainsi, il arrivait
fréquemment que les tribunaux requalifient des demandes d'indemnisation
fondées sur des fautes simples - soit disant distinctes d'une infraction
de presse - en injure ou diffamation publique de manière à leur
appliquer la courte prescription de l'article 65 à laquelle les victimes
avaient l'espoir d'échapper. Mais bien souvent, les immixtions du droit
commun aboutissaient, et les tribunaux civils parvenaient à
dégager leur propre vision de l'injure et de la diffamation civiles au
visa de l'article 1382 du Code civil88.
Las d'un tel constat, la Cour de cassation décide en
2000 d'empêcher de tels contournements de la loi de 1881 en
décidant par un emblématique « attendu » de principe
que « les abus de la liberté d'expression prévus et
réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être
réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil
»89. La revendication est bien entendu procédurale.
L'affirmation jurisprudentielle d'une identité de la faute civile et
pénale de presse a en effet une finalité purement prophylactique
: éradiquer toute forme d'incursion de la responsabilité civile
de droit commun et consécutivement des règles de procédure
civile, dans l'orbite du texte spécial.
Il convient donc désormais de s'intéresser
à la faute - civile ou pénale - susceptible de constituer un abus
de la liberté d'expression au sens de la loi de 1881.
B. Les abus prévus et réprimés par
le texte spécial
40. Les abus réprimés par la loi du 29 juillet
1881 sont nombreux et divers, chacun ayant une matérialité bien
spécifique. Or, ces délits ont un élément
fondamental en commun sur lequel il convient de s'attarder quelques instants
car il constitue une condition préalable à leur existence : la
publication90.
Le professeur Barbier disait très justement au
début du XXème siècle que « la publication fait
le délit »91. En effet, le législateur de
1881 a voulu sanctionner tous les
88 En voici quelques exemples : Civ, 13 juin
1939, DH 1939, p. 386 ; TGI Paris, 3 mai 1983 : D. 1984,
jurisp. p. 14 ; Cass. req.16 fév. 1937, DH 1937, p. 186.
89 Cass. Ass. Plén., 12 juillet 2000 :
Bull. civ. n°8 préc.
90 En effet, il convient de préciser que
sans cet élément de publicité, la diffamation et l'injure
par exemple, telles que sanctionnées en tant que délits de presse
au sens du texte de 1881, deviendront des contraventions de diffamation ou
d'injure non publiques relevant du Code pénal.
91 Barbier, Code expliqué de la Presse,
2e éd., 1911, t. 1, n° 243.
31
délits commis par l'un des multiples moyens de
communication qu'il énumère au sein de l'article 23 du texte
spécial92. Pour autant, le texte de la loi de 1881 ne
comporte aucune définition de cette notion de « publication ».
Il faudra attendre une loi du 1er août 198693 pour
en obtenir une définition. Selon cette loi, l'expression publication
désigne « tout service utilisant un mode écrit de
diffusion de la pensée mis à la disposition du public en
général ou de catégories de publics et paraissant à
intervalles réguliers » 94 . L'inconvénient
était bien entendu que cette définition ne concernait que les
modes écrits de publication. Le critère de publication s'est donc
épuré au gré d'un constant travail de la jurisprudence
s'accordant aujourd'hui à dégager deux critères
généraux conditionnant toute publication, et ce quel qu'en soit
le support. Tout d'abord, la publicité de l'infraction suppose la
diffusion volontaire des propos litigieux dans un espace public. Puis, ces
propos doivent nécessairement être proférés à
l'attention d'un public, ou tout au moins, un groupe de personnes non
liées par une communauté d'intérêts95.
41. L'ensemble des délits prévus et
réprimés au sein de la loi du 29 juillet 1881 s'imposent comme
limite à la liberté d'expression pour l'ensemble des
médias. En effet, les diverses dispositions des chapitres IV et V du
texte de 1881 - relatives aux crimes et délits commis par voie de presse
et aux modalités de leur poursuite - sont applicables tant aux supports
écrits, qu'à la communication audiovisuelle ou encore internet
96.
Ainsi, parmi les divers abus de la liberté d'expression
réprimés, peut-on citer tout d'abord - parmi les plus
rencontrés - la diffamation et l'injure publique qui nourrissent
à elles seules la majorité du contentieux de la presse. Ces
infractions varient selon qu'elles affectent les particuliers ou les personnes
publiques et peuvent revêtir les formes les plus diverses. Aussi, les
provocations directes comme indirectes ayant pour finalité d'inciter le
public à la haine, la violence, le xénophobisme, occupent une
large place dans le contentieux de la presse. Tout comme l'apologie, le
révisionnisme ou encore le délit de fausses
nouvelles97.
92 V. pour une énumération
complète : art 23 modifié par la Loi n°2004-575 du 21 juin
2004 - art. 2 JO 22 juin 2004.
93 Loi n° 86-897 du 1 août 1986 portant
réforme du régime juridique de la presse.
94 Ibid art. 1.
95 V. N. Mallet-Poujol, « La notion de
publication sur internet et son incidence concernant la prescription des
délits en ligne », Légicom n° 35, 2006, p. 54 et
s.
96 En effet, la Loi n° 2004-575 du 21 juin
2004 pour la confiance dans l'économie numérique en
prévoit expressément l'application aux services de communication
au public en ligne au sein de l'article 6. V.
97 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer,
Traité de droit de la presse et des médias, Lexisnexis,
1ère éd., 2009, p. 460 et s.
32
Bien entendu, cette liste d'infraction de presse n'est pas
exhaustive, et nous nous éloignerions trop de notre sujet en sombrant
dans une description détaillée des éléments
constitutifs de chacune d'entre elles. Il convient dès lors de
concentrer notre attention sur la question tenant à la
détermination des personnes susceptibles d'être poursuivies en
tant qu'auteurs de ces infractions.
Paragraphe 2 : Le système de responsabilité
pénale en cascade
42. Le système de responsabilité pénale
mis en place par l'article 42 du texte de 1881 constitue l'une des
singularités majeure du droit de la presse (A). À la
différence des autres médias, son adaptation à la presse
en ligne n'est pas sans causer des difficultés (B).
A. Le mécanisme prévu par l'article 42
de la loi de 1881
43. Si le droit pénal commun dispose que «
Nul n'est responsable pénalement que de son propre fait
»98, les dispositions de la loi sur la liberté de
la presse elles, instaurent un régime proche de la responsabilité
pénale automatique pouvant s'analyser - concernant le directeur de
publication - comme une responsabilité du fait d'autrui.
44. La « cascade » illustre une
énumération hiérarchique et successive d'individus
susceptibles d'être poursuivis en tant qu'auteurs principaux des crimes
ou délits de presse répertoriés au sein du texte
spécial. Ce régime constitue incontestablement une garantie
facilitant la poursuite des auteurs d'infractions de presse pour les
victimes99. En effet, l'article 42 du texte spécial dispose
que l'auteur principal sera le directeur de publication ou l'éditeur ;
à son défaut, ce sera l'auteur des propos qui endossera une telle
responsabilité ; et si celui-ci fait aussi défaut, seront tenus
pour responsables les imprimeurs, les vendeurs ou encore les distributeurs et
afficheurs100. En outre, il convient de préciser que
l'article 43 de cette même loi prévoit que les auteurs seront
poursuivis comme complices lorsque le directeur de publication sera en
cause.
45. Cette surprenante responsabilité pénale du
directeur de publication - car n'ayant pas matériellement commis
l'infraction - s'explique comme étant la contrepartie de son devoir de
contrôle du contenu de la publication. Cela vient d'être à
nouveau rappelé dans une
98 Art. 121-1 du Code pénal.
99 P. Bilger, Le droit de la presse, PUF,
4e éd., 2003, p. 52.
100 Loi 1881-07-29 Bulletin Lois n° 637 p. 125.
33
décision récente101. C'est d'ailleurs
un système semblable qui a été instauré en
matière de presse audiovisuelle avec pour différence essentielle
qu'est pris en compte le critère dit de la « fixation
préalable »102. En effet, la loi du 29 juillet 1982
prévoit que le directeur de publication ne pourra endosser la
qualité de responsable lorsque les faits litigieux auront
été proférés lors d'une émission en direct
car ce dernier n'aura en ce cas pas été préalablement en
mesure de connaître et donc d'assurer la maîtrise du contenu de la
publication. La condition de « fixation préalable » faisant
ici défaut, seul l'auteur des propos sera retenu comme civilement ou
pénalement responsable.
Ce système de responsabilité en cascade,
instauré par la loi du 29 juillet 1881 (art. 42) et transposé en
matière de communication audiovisuelle (art. 93-3)103, a
été étendu par le législateur à la presse en
ligne au sein de l'article 6.V de la LCEN104. Nous allons voir que
c'est avec peine que s'opère cette dernière conquête.
B. Les difficultés d'adaptation en
matière de presse en ligne
46. La pratique semble avoir mis en exergue les vicissitudes
de la transposition du système de la « cascade » en
matière de presse en ligne. L'extrême diversité des
intermédiaires techniques, les difficultés d'identification des
internautes, le fait que tous ne figurent pas dans la « cascade » des
responsables potentiels, constituent les causes majeures des maux que suscite
l'adaptation d'un tel système de responsabilité envisagé
par l'article 6.V de la LCEN. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la
doctrine et la jurisprudence se montrent relativement hostiles à une
telle transposition.
47. Toujours est-il que d'une manière
générale, le critère de distinction essentiel à
retenir en matière de presse en ligne - à l'instar de la
communication audiovisuelle - est celui de la maîtrise ou non du contenu
éditorial105 dont découle la condition de «
fixation préalable ». En effet, par principe le directeur
de publication demeure responsable à titre principal en cas de fixation
préalable du propos répréhensible106, et donc
dans la seule hypothèse où est admis qu'il maitrisait le contenu
éditorial. En revanche, pour les sites du Web 2.0 - types forums de
discussions, blogs ou encore réseaux sociaux - ce dernier
101 TGI Paris, 20 mars 2012 : Légipresse
n°294, mai 2012, p. 281.
102 V. art. 93-3 Loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la
communication audiovisuelle.
103 Il convient de préciser que la « cascade
» prévue par l'article 93-3 retient comme responsable - en cas de
fixation préalable - le directeur de publication ; à
défaut l'auteur ; à défaut le producteur.
104 V. art 6.V Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la
confiance dans l'économie numérique.
105 V. C. Castets-Renard, « Éditeur de contenus
ou éditeur de services ? », Légicom n°46, 2011,
p.45.
106Il incombe en effet aux éditeurs de
services de communication au public en ligne - selon les articles 6-III-1 et 2
de la loi LCEN - de préciser le nom du directeur de la publication.
34
n'ayant a priori pas la maîtrise du contenu
éditorial ne pourra voir sa responsabilité
engagée107. Dès lors, seul l'auteur des propos
litigieux sera ici pénalement ou civilement condamnable. Il s'agit pour
ce genre de sites de l'issue la plus fréquente dans la mesure où
il est pratiquement impossible pour le directeur de publication d'avoir une
quelconque emprise sur le contenu qu'il diffuse. Le système de
responsabilité en cascade devient alors dans ce type d'espèce,
inapplicable.
Malgré ces quelques difficultés d'adaptation, il
semblerait que la loi du 29 juillet 1881 mette donc en place un régime
de responsabilité pénale dont les spécificités
paraissent incontestablement oeuvrer en faveur des victimes d'infractions de
presse. Cette désignation d'un pénalement responsable est
d'ailleurs essentielle. Elle est le préalable nécessaire à
la détermination du débiteur de la réparation au civil.
Section 2 : La détermination du civilement
responsable
48. Si le Code pénal demeure silencieux quant à
la détermination du civilement responsable à la suite de la
commission d'une infraction, la loi du 29 juillet 1881 ne manque pas d'y
consacrer un article dont la rédaction peut d'ailleurs sembler quelque
peu ambig·e (Paragraphe 1). Le préjudice causé à la
victime - essentiellement moral en matière de presse - pourra ainsi
être réparé. Pour autant, il semblerait que la fonction
indemnitaire de la réparation ne remplisse pas toujours ses objectifs.
Nous tenterons d'en comprendre les causes avant d'en envisager les solutions
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le contenu de l'article 44 du texte
spécial
49. À première vue, trois types d'acteurs
seraient susceptibles d'être désignés en tant que
débiteur de la dette de réparation qu'implique le jeu de la
responsabilité civile. Le journaliste auteur des propos litigieux d'une
part, sur le fondement de la responsabilité du fait personnel de
l'article 1382 du Code civil ; le directeur de publication d'autre part, sur le
même fondement, et cela à raison d'un manquement aux devoirs de
contrôle et de
107 La locution « a priori » visant
à souligner le fait que dans l'hypothèse contraire - celle
où le directeur de publication aurait eu connaissance du
caractère illicite des propos tenus sans avoir agi, ce qui supposerait
donc une fixation préalable ! (art. 6-I-2 LCEN) - ce dernier serait
retenu en tant qu'auteur principal.
35
surveillance qui lui sont impartis108 ;
l'entreprise de presse enfin, sur le fondement de l'article 1384 alinéa
5 du Code civil en sa qualité de commettant109.
50. La loi du 29 juillet 1881 semble pourtant avoir voulu
limiter le nombre de responsables potentiels. En effet, selon les termes de
l'article 44 de la loi sur la liberté de la presse, seront civilement
responsables, « les propriétaires des journaux ou écrits
périodiques » au titre « des condamnations pécuniaires
prononcées au profit des tiers contre les personnes
désignées aux deux articles précédents » en
tant que pénalement responsables, et ce, « conformément aux
dispositions des articles 1382, 1383 et 1384 du Code civil
»110. Le civilement responsable ainsi institué est
généralement une personne morale à savoir, la
société éditrice.
51. On observe ainsi que, si le statut particulier «
d'organe de presse » permet aux personnes morales qui en revêtent la
qualité de pouvoir échapper à la responsabilité
pénale qui leur incombe en vertu du droit commun au sens de l'article
121-2 du Code pénal111, celles-ci sont en revanche la cible
en matière de responsabilité civile.
52. On peut néanmoins s'étonner de la
référence faite aux articles 1382 et 1383 du Code civil
étant donné que c'est quasiment systématiquement l'unique
responsabilité du fait d'autrui de l'article 1384 fondant la
responsabilité civile de la personne morale qui jouera112. En
effet, conformément à l'alinéa 5 de cet article, les
maîtres et les commettants sont responsables des dommages causés
par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles
ils sont employés.
Dès lors, selon que le responsable devant les tribunaux
répressifs se trouve être - comme c'est le cas dans la
majorité des espèces - le directeur de la publication, ou encore,
le journaliste auteur des propos, ce sera bel et bien la société
éditrice de la publication qui les emploie, qui sera tenue de la
réparation du dommage causé à la victime.
108 Crim., 14 juin 2000 : Bull. crim. n°223.
109 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, op. cit. p.
743.
110 Loi 1881-07-29 Bulletin Lois n° 637 p. 125.
111 Le principe de la responsabilité pénale des
personnes morales est posé par l'article 121-2 du code pénal
issu de la loi n° 92-683 du 22 juillet 1992. Il dispose que «
les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables
pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes
ou représentants ».
112 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, op. cit. p.
649.
36
Paragraphe 2 : La réparation du préjudice
causé
53. L'action civile en réparation du préjudice
causé par l'infraction de presse - qu'elle soit jointe ou
séparée de l'action publique - est le moyen pour la victime de
demander des dommages et intérêts. Il s'agira traditionnellement
de dommages et intérêts compensatoires (A) bien que l'on puisse se
demander s'il ne serait pas plus opportun de consacrer en la matière un
système de dommages et intérêts punitifs (B).
A. L'allocation classique de dommages et
intérêts compensatoires
54. La finalité indemnitaire des dommages et
intérêts compensatoires a pour objet de réparer en valeur
le préjudice causé à la victime113. Dans un
arrêt de 1963, la Cour de cassation avait d'ailleurs clairement
associé cette finalité au principe de réparation
intégrale en affirmant que « le propre de la
responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que
possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la
victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se
serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit
»114.
Bien entendu, cela implique au préalable que le
préjudice subi puisse être financièrement évaluable.
Or, concernant les atteintes à l'honneur, à la
considération ou encore à la dignité des personnes -
celles-ci appartenant à la catégorie du préjudice moral et
regroupant l'essentiel des dommages susceptibles d'être causés par
les infractions de presse de la loi de 1881 - cela ne va pas de soi. Il
appartiendra donc au juge de se montrer le plus juste possible dans cet
exercice d'évaluation pour ne pas que ces dommages et
intérêts soient trop excessifs ou insuffisamment dissuasifs.
55. Certes, quelques décisions attestent de la
pratique de l'injonction de publication de jugement obligeant les organes de
presse à faire preuve d'une certaine transparence à
l'égard de leurs lecteurs, de leurs auditeurs115. Mais la
réparation du dommage subi consiste principalement en l'allocation de
dommages et intérêts compensatoires. Cela nous amène donc
à nous poser la question suivante : la condamnation pécuniaire
prononcée contre un organe de presse à titre de compensation du
préjudice subi - résultant de l'allocation de dommages et
intérêts compensatoires - permet-elle réellement à
la
113 G. Viney, Introduction à la responsabilité,
LGDJ, 3e éd., 2008, p.77 et s.
114 Civ. 2e, 1er avr. 1963, JCP 1963. II.
13408, note Esmein.
115 E. Derieux, Droit de la communication, 4e
éd., LGDJ, 2003, p. 562.
37
responsabilité civile de remplir son rôle
normatif, mais aussi préventif, en ce domaine que constitue celui de la
liberté d'information ?
56. À la vue des innombrables condamnations de
certains organes de presse semblant se complaire dans leur rôle de
défendeur au procès - tant les actions en justice affluent sur la
base de fondements juridiques identiques et récurrents - la question
apparaît légitime. En effet, est principalement concernée
cette presse dite « people » ou « presse à sensation
», dont l'activité principale consiste à violer
l'intimité de la vie privée des personnes publiques. C'est
d'ailleurs grâce à elle qu'un véritable «
marché de l'indiscrétion » se développe chaque jour
pour regrouper quotidiennement environ 5 millions de lecteurs116.
Ainsi, peut on s'indigner du fait des insuffisances de la responsabilité
civile face à ce type d'excès de la liberté d'expression.
En effet, le bénéfice que le fautif peut retirer de sa faute
apparaît comme un anesthésiant redoutable des fonctions de la
responsabilité civile ce qui explique les comportements
récidivistes des organes de « presse people ». Il s'agit donc
en fait d'un véritable calcul de rentabilité. Ce calcul permet
aux entreprises de presse d'accomplir ce que la doctrine qualifie de «
fautes lucratives »117 et dont les conséquences,
profitables pour leur auteur, ne sont pas neutralisées par le jugement
de condamnation à des dommages et intérêts.
Mais alors, comment cela peut-il s'expliquer ? Le fait est,
que le principe en France est celui de la fonction réparatrice et non
punitive de la responsabilité civile. Cela a encore été
rappelé dans un arrêt relativement récent de la Haute
juridiction118. Pourtant, l'instauration d'un système de
dommages et intérêts punitifs paralysant les fautes lucratives
permettrait très probablement de réaffirmer le rôle
normatif de la responsabilité civile en matière de presse. On
peut donc réellement se demander si la solution ne consisterait-elle pas
en l'instauration d'un tel mécanisme pour sanctionner la presse en
France.
B. Quid de l'instauration d'un système de
dommages et intérêts punitifs
57. Nombreux sont les auteurs avançant que les
condamnations en matière de presse révèlent l'existence
implicite de dommages et intérêts punitifs. Ils jugent en effet
les
116 P. Santi, « La presse "people" séduit de plus
en plus les jeunes lecteurs », Le Monde, 9 juil. 2005.
117 V. D. Fasquelle, « L'existence de fautes
lucratives en droit français », in Faut-il moraliser le
droit français de la réparation des dommages ?, LPA, 20 nov.
2002.
118 Civ. 2e, 23 janv. 2003 : Bull. civ.II,
n° 20 : « les dommages et intérêts alloués
à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu'il
en résulte pour elle ni perte ni profit ».
38
dommages et intérêts traditionnellement
alloués comme excessifs et contribuant ainsi à l'enrichissement
des victimes. Les frères Mazeaud avaient déjà en leur
temps observé cette tendance des juges à se laisser «
impressionner par la gravité de la faute lorsqu'ils fixent le chiffre
des dommages et intérêts »119. Mythe ou
réalité ? Toujours est-il que l'adoption officielle dans notre
droit positif français de dommages et intérêts punitifs en
vue de paralyser les fautes lucratives se révèlerait probablement
être un formidable outil de dissuasion face à cette presse
racoleuse et chroniquement attentatoire aux droits de la
personne120.
58. Divers auteurs semblent partisans d'une instauration de
cette nouvelle catégorie de dommages et intérêts dans des
domaines où la faute lucrative est récurrente. Parmi ceux-ci sont
généralement évoqués celui de la presse, de
l'environnement ou encore celui de la concurrence
déloyale121. Ne serait-il pas en effet possible pour le
législateur ou la jurisprudence de définir un certain nombre de
critères - comme a pu le faire la Cour Suprême américaine
pour l'encadrement de ses « punitive damages »122
- en tenant compte par exemple de la nature de l'atteinte, de l'identité
de la personne mise en cause, du nombre de tirages publiés ou encore du
bénéfice réalisé par leur diffusion ? On peut se le
demander.
59. Même si notre droit positif ne semble toujours pas
vouloir franchir un tel pas il convient toutefois de noter que l'important
projet de réforme du droit des obligations et de la prescription propose
en son article 1371 d'offrir au juge la faculté de sanctionner les
fautes lucratives en lui permettant de prononcer des dommages et
intérêts punitifs123. Les prémices d'une telle
évolution se font donc ressentir, sans pour autant réellement
parvenir à se concrétiser124.
119 L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, t.2,
Montchrestien, 1956, 3e éd., n°623, p. 570.
120 V. S. Piédelièvre, « Les dommages
et intérêts punitifs : une solution d'avenir », in
La responsabilité civile à l'aube du XXème
siècle, juin 2001, Hors-série p. 68 et s.
121 V. Rapport d'information n° 558 (2008-2009) de MM. A.
Anziani et L. Béteille, fait au nom de la commission des lois,
déposé le 15 juillet 2009 sur le site du Sénat :
http://www.senat.fr/rap/r08-558/r08-558.html;
V. aussi, G. Viney, Introduction à la responsabilité,
LGDJ, 3e éd., 2008, p. 27 et s.
122 Dans l'affaire BMW of North America v. Gore, la
Cour Suprême des Etats-Unis a mis en place une liste de trois
critères cumulatifs permettant de fixer raisonnablement le montant des
dommages et intérêts punitifs. Ceux-ci doivent être fonction
de la gravité du comportement fautif, des dommages et
intérêts compensatoires accordés, et semblables à
ceux alloués dans des litiges comparables jugés par d'autres
juridictions. (CSEU, 20 mai 1996, BMW of North America v. Gore).
123 P. Catala, Rapport sur l'avant projet de
réforme du droit des obligations (art.1101 à 1386 du Code civil)
et du droit de la prescription (art. 2234 à 2281 du Code civil), La
Documentation française, sept. 2005, art. 1371.
124 V. J-L. Baudouin, « Les dommages et
intérêts punitifs : un exemple d'emprunt réussi à la
Common law », Mél. Ph. Malinvaud, Litec, 2006.
39
Tant du point de vue pénal que civil, le texte
spécial du 29 juillet 1881 s'impose donc clairement comme exorbitant du
droit commun. Son formalisme exacerbé, souvent vécu et
dénoncé comme étant abusivement protecteur des organes de
presse, apparait toutefois comme contrebalancé par un certain nombre de
dispositions peu favorables au prévenu125 ainsi que par les
récents infléchissements de la jurisprudence126. Les
dispositions de fond et de forme de la loi sur la liberté de la presse
nous semblent donc former un tout indissociable et relativement
équilibré.
Il n'en demeure pas moins que la responsabilité civile
de droit commun, de par sa propension à l'hégémonie et son
étonnante faculté d'adaptation127, semble se complaire
dans un rôle de trublion des équilibres instaurés par le
régime spécial. Entre légitimité et
opportunité, le tumulte entre la loi de 1881 et la clausula
generalis128 continue aujourd'hui de nourrir une passionnante
discorde aussi bien doctrinale que jurisprudentielle qu'il convient
désormais d'examiner.
125 N. Bonnal, « Les chausses trappes
procédurales de la loi de 1881 : mythe ou réalité ? Essai
d'étude statistique », Légipresse n°289,
Déc. 2011, p.675.
126 V. Supra n°34 et s.
127V. P. Esmein, « La faute et sa place dans
la responsabilité civile », RTDciv., 1949.
128 Les termes clausula generalis signifiant «
disposition générale », seront employés à
la désignation de la très générale
responsabilité pour faute de droit commun reposant sur l'article 1382 du
Code civil (H. Roland, Lexique juridique, expressions latines,
LexisNexis, 5e éd., 2010, p. 46).
40
Titre 2 : La perturbation des équilibres de la
loi du 29 juillet 1881 engendrée par l'omniprésence de la
responsabilité civile de droit commun
60. Nombreux sont les discours élogieux ayant mis en
avant la « formidable » capacité d'adaptation de la
responsabilité pour faute129. En effet, la souplesse du
concept de faute a toujours permis au droit de s'adapter aux situations
nouvelles, aux évolutions socio-économiques. Toutefois, cette
qualité semble, au contact de la liberté d'expression, se
transformer en handicap. C'est la raison pour laquelle la jurisprudence parait
vouloir limiter sa portée en matière de presse.
61. La consécration d'un principe
général de responsabilité pour faute130, de par
son universalisme, devait inévitablement poser le problème de son
cantonnement face au texte spécial (Chapitre 1). Il appartenait donc au
juge de trancher ce conflit de compétence source
d'insécurité juridique pour les parties au procès de
presse (Chapitre 2).
Chapitre 1 : Le conflit opposant la loi sur la presse
et l'article 1382 du Code civil
62. La détermination des modalités de mise en
oeuvre de l'article 1382 du code civil en matière de presse est une
question récurrente que les tribunaux français peinent à
solutionner. On en vient même à se demander s'il s'agit vraiment
d'une question soluble. Pourtant celle-ci est tout à fait fondamentale.
C'est tout l'équilibre du droit de la presse qui est en cause.
63. La loi du 29 juillet 1881 vise à sanctionner les
abus de la liberté d'expression les plus graves ce qui facilite
l'immixtion du droit commun de la responsabilité civile dans les
interstices des incriminations pénales. Ce rôle de «
responsabilité relais » vis à vis des incriminations
spéciales se justifie par le fait que comme la loi sur la liberté
de la presse, la finalité de la clausula generalis est de
sanctionner les comportements fautifs dommageables résultant de l'usage
abusif du droit d'expression (Section 1). Cette communauté de
finalité - allant naturellement dans le sens d'une cohabitation entre
les
129 V. Ph. le Tourneau, « La verdeur de la faute dans la
responsabilité civile », RTDciv., 1988.
130 G. Viney, « Pour ou contre un principe
général de responsabilité pour faute ? »,
Mél. P. Catala, Litec, 2001.
41
deux textes - en raison des risques qu'elle présente
pour l'économie de la loi du 29 juillet 1881 et concomitamment, pour la
liberté d'expression, divise largement la jurisprudence qui demeure
encore aujourd'hui relativement brumeuse quand à la définition
des frontières respectives de ces deux textes (Section 2).
Section 1 : Une communauté de finalité :
la sanction des abus de la liberté d'expression
64. L'article 1382 du Code civil est pourvu d'une
portée universelle131. Aucun pan de notre droit n'en est
a priori exclu de sorte que « lorsqu'aucune voie juridique
n'existe, la responsabilité pour faute est là, prête
à l'emploi »132.
65. En l'absence de concours possible avec un texte
spécial133, la réunion des trois
éléments de la responsabilité de droit commun devrait
naturellement justifier le recours à l'article 1382 du Code civil pour
appréhender les abus de la liberté d'expression (Paragraphe 1).
Toutefois, compte tenu de la dimension fondamentale de cette liberté que
constitue celle de s'exprimer, la conformité de la « très
générale responsabilité pour faute » vis à vis
des textes à valeur supra-législative apparaît tout
à fait discutable. C'est en effet toute la question tenant à la
validité normative de l'article 1382 du Code civil qu'il conviendra ici
d'analyser (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La justification du recours à la
responsabilité pour faute
66. Dans la typologie des comportements fautifs susceptibles
d'engager la responsabilité civile, l'usage excessif par un organe de
presse de sa liberté d'informer peut assez simplement être
rattaché à l'abus de droit (A). Ce n'est pourtant pas sans
tourments que s'opère la confrontation d'une telle faute avec le
principe de liberté d'expression (B).
131 G. Viney, Introduction à la responsabilité,
LGDJ, 3e éd., 2008, p. 21.
132 Ph. le Tourneau, « La verdeur de la faute dans la
responsabilité civile », RTDciv., 1987, p 507.
133 Par exemple, la loi du 29 juillet 1881, l'article 9 ou
encore 9-1 du Code civil qui, conformément à l'adage romain
specialia generalibus derogant, s'appliquent au détriment du
droit commun dans l'hypothèse de litiges entrant dans leur champ
d'application.
42
A. La théorie de l'abus de droit comme fondement
de la responsabilité
67. L'abus de droit se défini classiquement comme la
faute commise dans l'exercice d'un droit134. À ce titre, il
convient de préciser que l'abus en question vise indistinctement toute
prérogative juridique dont l'usage serait fautif dans la mesure
où cette qualification peut concerner aussi bien une liberté
qu'un droit135. La Cour de cassation l'a d'ailleurs clairement
affirmé dans un arrêt du 5 juillet 1994 de sorte qu'il est
désormais acquis que l'usage excessif d'une liberté est
constitutif d'un abus de droit136.
68. Le moins que l'on puisse dire est que la controverse
doctrinale autour de la notion d'abus de droit constitue « un classique
» pour qui s'intéresse aux débats juridiques ayant
façonné l'histoire de notre droit positif. Deux grandes
théories doctrinales s'affrontent.
D'une part, la théorie du Doyen Josserand pour qui
l'abus de droit consiste en un détournement du droit de sa fonction
sociale. En effet, selon ce dernier, chaque droit participe d'un esprit. L'acte
abusif consiste alors à agir contrairement à l'esprit de ce
droit137. Cette théorie, pour pouvoir être mise en
oeuvre, implique nécessairement d'identifier la finalité du droit
ou de la liberté en cause, ce qui ne va pas toujours de soi lorsque
l'abus a trait à une liberté, « prérogative
indéfinie »138. Il faut en réalité
apprécier si le comportement du titulaire de la prérogative
juridique est motivé par une finalité conforme à celle de
cette dernière.
D'autre part, nous retrouvons une approche plus restrictive de
l'abus de droit qui est celle du Doyen Ripert et reposant sur le critère
de l'intention de nuire. Ici, c'est le comportement malicieux dont fait preuve
le titulaire du droit qui permet de caractériser l'abus139.
C'est donc l'intention malveillante dans l'exercice du droit qui est prise en
compte.
134 M. Bacache-Gibeili, Les obligations : la
responsabilité civile extracontractuelle, Economica, 2e
éd., 2012, p. 165.
135 En effet, à tort, de nombreux auteurs
restreignaient l'application de la théorie de l'abus de droit aux droit
subjectifs (V. par exemple : G. Ripert, La règle morale dans les
obligations civiles, LGDJ, 4e éd., 1949, p. 168 et s. ;
J. Karila De Van, « Le droit de nuire », RTDciv.,
1995, p. 533 et s.) en rejetant la perspective de son application au cadre des
libertés.
136 Com., 5 juil. 1994 : Bull. civ.IV, n°258.
137 L. Josserand, De l'esprit des droits et de leur
relativité, Théorie dite de l'abus des droits, Paris,
Dalloz, 2e éd., 1939.
138 Par opposition à l'abus ayant trait à un
droit subjectif, « prérogative définie » : N.
Droin, Les limites à la liberté d'expression dans la loi sur
la presse du 29 juillet 1881, Disparition, permanence et résurgence du
délit d'opinion, LGDJ, 2011, p. 53.
139 G. Ripert, « Abus de droit ou relativité des
droits »,
Rev. crit. législ.
et jurisp., 1929.
69.
43
Quel que soit le critère retenu, l'abus, dès
lors que celui-ci engendre un dommage, engage la responsabilité civile
délictuelle de son auteur. En effet la jurisprudence montre que le choix
pour l'un ou l'autre des critères ci-dessus exposés varie d'un
litige à l'autre au grès des circonstances de l'espèce et
des juridictions saisies140. Mais la doctrine moderne admet d'une
manière générale que le critère permettant de
qualifier l'acte d'abus de droit réside essentiellement dans la faute
telle qu'envisagée au sein des articles 1382 et 1383 du Code
civil141. Dès lors, le fondement de l'abus de droit pourra
a priori résulter d'une simple imprudence comme d'un acte
purement dolosif142.
Il en résulte que la faute constitutive d'un abus de
la liberté d'expression sera logiquement appréhendée au
regard des articles 1382 et 1383 du Code civil fondant la théorie
générale de la responsabilité pour faute. Nous allons voir
que cela n'est pas sans présenter des menaces pour la liberté
d'expression.
B. La délicate conciliation du concept d'abus
avec la liberté d'expression
70. Avant toute chose, il convient de mettre en relief un
point important tenant à la distinction selon que l'abus a trait
à un droit ou à une liberté. La théorie de l'abus
de droit s'applique classiquement aux droits dits « subjectifs ».
Leurs frontières sont souvent bien moins poreuses que celles des
libertés. En effet, les libertés sont des prérogatives
généralement floues « dont les frontières sont
mal définies et donc, imprécises »143.
Dès lors, l'application de la théorie de l'abus de droit à
la liberté d'expression doit nous semble t-il, suivre un régime
particulier144.
Nombreuses sont les raisons justifiant la réticence de
certains auteurs à voir s'appliquer tel quel l'article 1382 dans le
domaine de la liberté d'expression. L'instrumentalisation de la
responsabilité pour faute - dans son application pleine et
entière - aux fins d'appréhension d'une telle liberté
risquerait très probablement d'aboutir à son amputation. Il n'y
aurait alors guère plus de place que pour une presse consensuelle et
muselée par peur de la vindicte judiciaire. En effet, la
responsabilité subjective fait
140 G. Courtieu, « Droit à réparation
», J-Cl. Civil, Fasc. n131-10, 2005, n2.
141 V. not. en ce sens, F. Terré, Y. Simler et P.
Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz,
7e éd., 2006, p. 53, selon qui la théorie de l'abus de
droit fait « partie intégrante du droit de la
responsabilité civile » et est « axée
principalement sur la recherche d'une faute ».
142 N. Droin, Les limites à la liberté
d'expression dans la loi sur la presse du 29 juillet 1881, Disparition,
permanence et résurgence du délit d'opinion, LGDJ, 2011, p.
39.
143 N. Droin, op. cit. p. 53.
144 Indéniablement, la difficile détermination
des frontières d'une liberté a pour effet de solliciter davantage
l'arbitraire du juge. Raison pour laquelle un encadrement particulier
paraît souhaitable.
44
peser sur tout un chacun une obligation générale
de ne pas nuire à autrui. Or, l'exercice d'un certain nombre de droits
procède dans son essence même d'un relatif droit de nuire. C'est
par exemple le cas du droit de concurrence, du droit de grève, du droit
de rupture du contrat à durée indéterminée ou
encore, du droit de rompre les pourparlers. À leur égard, une
application stricte de la responsabilité pour faute - dont la fonction
sociale est donc de garantir « le droit de chacun à ce qu'on ne
lui nuise pas » 145 - conduirait à leur
anéantissement.
Mais alors comment concilier ces droits particuliers avec la
« philosophie pacifiste » de la clausula generalis ? En
réalité, l'étude des jurisprudences rendues en la
matière révèle la chose suivante : le fait d'exercer
purement et simplement ces droits n'est pas en soi condamnable. Ce qui est
susceptible de l'être en revanche, c'est les circonstances dans
lesquelles il en est fait usage. Ainsi, on retrouve ici la théorie du
doyen Josserand. Il faut apprécier si le titulaire du droit a agi dans
l'esprit de ce droit.
71. Il apparaît que comme les droits
précédemment énumérés, la liberté
d'expression - qui nous le verrons connait de multiples facettes - comprend
pour certaines d'entre elles un relatif pouvoir de nuire consubstantiel
à son épanouissement146. En effet, il semblerait que
la liberté d'expression soit divisible en deux grands ensembles : la
liberté d'information d'une part, et la liberté d'opinion d'autre
part147. Si la liberté d'information peut aisément se
complaire dans l'objectivité, il semble en revanche que la
liberté d'opinion soit nécessairement emprunte de
subjectivité. On a en effet une distinction claire entre celui qui
rapporte l'information en s'attachant aux faits et celui qui prend parti en
exprimant une idée personnelle, un schéma de pensée, un
jugement ou une critique. C'est dans ce second cas que le journaliste est sujet
à la « censure de l'article 1382 du Code civil
»148. Mais alors, quels sont les remèdes
envisageables pour arbitrer le plus justement les intérêts en
présence que constituent d'une part, la liberté d'expression et
d'autre, les droits de la personne ?
72. Nous pensons que le raisonnement qui suit est une
potentielle solution. L'idée serait d'établir une scission dans
les modalités d'appréhension du caractère fautif du propos
litigieux selon que l'on se situe sur le terrain de «
l'expression-information » ou celui de
145 J. Karila De Van, « Le droit de nuire »,
RTDciv., 1995, p. 533.
146 Comment le critique littéraire, gastronomique,
cinématographique ou encore l'humoriste politisé, pourrait-il
exercer pleinement son art sans pouvoir heurter, choquer ou blesser l'amour
propre de son sujet ?
147 B. de Lamy, « Les tribulations de l'article 1382
du Code civil au pays de la liberté d'expression »,
Mél. le Tourneau, Dalloz, 2007, p. 294.
148 Ibid, p. 295.
45
« l'expression-opinion ». Lorsque l'on se trouve
dans le domaine de « l'expression-information », nous pensons que les
juges devraient retenir une application pleine et entière de l'article
1382 du Code civil. Cela impliquerait alors pour le journaliste l'obligation de
contrôler la vérité des informations relatées et de
faire preuve d'honnêteté dans leur présentation. Les
devoirs « d'objectivité, de véracité ou de
prudence »149 dicteraient alors la conduite de ce dernier de sorte
que l'inobservation de l'un d'entre eux - indépendamment du
critère de la bonne foi - entraînerait
réparation150. En revanche, concernant le domaine de «
l'expression-opinion », il semblerait que la solution doive passer par un
recul du seuil de la faute. Il paraitrait en effet plus opportun ici de limiter
la portée de l'article 1382 du Code civil aux seuls cas d'abus de la
liberté d'expression particulièrement graves sans quoi il n'y
aurait guère plus de place que pour les « louanges et les
propos lénifiants »151. On pourrait même
n'admettre la faute que lorsque celle-ci révèle une intention de
nuire, à l'instar de la théorie du Doyen Ripert. Mais alors
l'universalisme de la responsabilité civile s'en trouverait
affecté. Nous verrons que cela ne semble pas plaire à la Haute
juridiction152.
Outre les questions tenant aux modalités de mise en
oeuvre de la responsabilité pour faute dans le domaine délicat
que constitue celui de la liberté d'expression, la conformité de
ce dernier aux normes à valeur supra-législatives est elle aussi,
sujette à discussion.
Paragraphe 2 : La validité normative de l'article
1382 du Code civil
73. L'un des grands arguments avancés par les
défenseurs d'une application exclusive de la loi de 1881 pour
appréhender les abus de la liberté d'expression consiste à
dénoncer la non-conformité de l'article 1382 du Code civil aux
exigences de précision et de prévisibilité respectivement
posées par les articles 11 de la DDHC, et 10 de la Conv.
EDH153.
74. L'article 11 de la DDHC tout d'abord, consacre le
principe de la liberté d'expression en affirmant que tout citoyen est
libre de parler, écrire et imprimer. Il précise que le principe
vaut - et c'est là un point important qu'il nous faut souligner -
« sauf à répondre
149 Civ. 27 fév. 1951 : Bull. civ.n°77 ; (V.
Ch. Debbasch, Droit des Médias, Dalloz, 2e
éd., 1999, p. 981.)
150 N. Droin, Les limites à la liberté
d'expression dans la loi sur la presse du 29 juillet 1881, Disparition,
permanence et résurgence du délit d'opinion, LGDJ, 2011, p.
74.
151 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, op. cit. p.
697.
152 V. Infra n°93 et s.
153 Voir les articles dans : J-J. Gandini, Les droits de
l'Homme, Anthologie, Librio, 1998 respectivement p.22 et
p.118.
46
de l'abus de cette liberté dans les cas
déterminés par la loi ». Il est dès lors
discutable que le « fait quelconque » de l'article 1382, de
par sa généralité, réponde à cette
exigence154. En effet, l'article 1382 se contente d'ériger
une norme de comportement : celle de ne pas nuire à autrui. Même
si cet article vise à sanctionner les comportements dommageables
fautifs, il n'apporte néanmoins aucune précision
supplémentaire sur leur nature155.
Aussi, il semblerait que l'article 11 de la DDHC, en renvoyant
expressément aux « cas déterminés par la loi
», accorde au législateur - et non au juge - le pouvoir de
préciser dans quelles hypothèses la liberté d'expression
est susceptible de faire l'objet d'un usage abusif 156. On comprend
donc que l'article 1382, ne contenant aucun indicateur eu égard aux
circonstances de nature à caractériser la faute, laisse une
totale liberté aux juges dans le travail d'appréhension des cas
d'abus de la liberté d'expression ce qui semble aller à
l'encontre des exigences du législateur de 1789. À ce titre,
certains auteurs ne manquent pas de souligner que le recours à une telle
disposition comporte un trop large risque d'arbitraire enclin à
l'instauration d'un « contrôle judiciaire de la pensée
»157.
On peut donc d'ores et déjà dire à la
lumière de ces premières observations, que la conformité
de la clausula generalis à la lettre de l'article 11 de la DDHC
semble quelque peu compromise.
75. Plus récent, l'article 10 de la Conv. EDH consacre
en son premier alinéa le principe de la liberté d'expression tout
en érigeant dans son second, une série de trois conditions de
limitation de cette dernière parmi lesquelles figure celle qui retiendra
notre attention : toute potentielle restriction à la liberté
d'expression doit être « prévue par la loi
».
Mais cette exigence de prévisibilité de
l'article 10 est-elle là encore remplie par l'article 1382 ? La
dimension fort accueillante de la faute, son extrême
malléabilité, ainsi que l'utilisation extensive qu'en fait la
jurisprudence - qui s'adapte au gré des espèces - peut
légitimement nous en faire douter. D'ailleurs, l'imprécision de
la lettre de l'article 1382 évoquée précédemment
semble consubstantielle à ce manque de prévisibilité.
154 « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause
à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est
arrivé, à le réparer » (Art. 1382 du Code
civil).
155 On notera en revanche, que la loi du 29 juillet 1881 elle,
prévoit effectivement les cas précis dans lesquels l'auteur d'un
abus de la liberté d'expression devra en répondre (la
diffamation, l'injure, la provocation etc.). Elle paraît en ce sens
davantage conforme à la lettre de l'article 11 de la DDHC.
156 C. Bigot, « Le champ d'application de l'article
1382 du Code civil en matière de presse », in
Liberté de la presse et droits de la personne, Dalloz,
1997, p. 65.
157 T. Massis, « Le juge des
référés et la liberté d'expression »,
D. 1994, somm. 194.
47
Toutefois, la décision rendue par la CEDH dans
l'affaire Sunday Times158 nous conduit à rejeter la
thèse de l'inconventionalité de l'article 1382159.
Selon elle, l'exigence de prévisibilité de l'article 10 implique
deux conditions sous-jacentes. D'une part, que la loi soit suffisamment
accessible aux justiciables. Ensuite, que celle-ci puisse être
interprétable en s'entourant au besoin de conseils
éclairés 160 , ce que seule une jurisprudence
constante est en mesure de fournir. En effet, selon la Haute Cour, l'article
1382 est suffisamment prévisible pour le journaliste dés lors que
la jurisprudence interne adopte une trajectoire constante dans la
définition des abus de la liberté d'expression passibles
d'engager la responsabilité pour faute de leur auteur.
Ces deux conditions sous-jacentes attestent donc clairement du
fait que l'exigence de prévisibilité de l'article 10 doit
être appréciée de façon souple. Elle dépend
largement du travail jurisprudentiel de définition des abus de la
liberté d'expression qui se doit d'être continu et fidèle.
Il reviendra dès lors aux seuls juges français d'adopter une
certaine cohérence jurisprudentielle pour permettre à l'article
1382 d'assurer un semblant de prévisibilité aux médias.
En dépit de ce mouvement « positiviste
Kelsénien »161 de contestation - visant à
neutraliser l'application de l'article 1382 dans le domaine de la
liberté d'expression - il apparaît finalement que la Cour de
Strasbourg cherche véritablement à délivrer un «
certificat de conventionalité » au principe de
responsabilité pour faute162.
En définitive, il semblerait que cette relation
tumultueuse existant entre la loi du 29 juillet 1881 et l'article 1382 du Code
civil soit consubstantielle au caractère fondamental de la
liberté en cause, ce qui divise encore plus les spécialistes de
la matière163. C'est donc un véritable sentiment
d'insolubilité qui anime la délicate problématique des
rapports entre la clausula generalis et le texte de 1881. Nous allons
voir que celui-ci ne semble d'ailleurs que s'affermir à la vue des
jurisprudences dégagées par nos juridictions internes en la
matière.
158 CEDH, 26 avr. 1979, Sunday Times, n° 6538/74,
§49.
159 Tout au moins, pour ce qui est de sa conformité
à l'article 10 de la Conv. EDH.
160 V. F. Sudre, J.P. Marguénaud, J.
Andriantsimbasovina, A. Gouttenoire, M. Levinet, Les grands arrêts de
la Cour européenne des droits de l'Homme, PUF, 2005, n°5.
161 Car reprenant l'idée selon laquelle une norme tire sa
légitimité de sa conformité à celle qui lui est
supérieure.
162 D'autres jurisprudences en témoignent : V. à
titre d'exemple : CEDH, 24 avr. 1997, De Haes et Gijsels c/ Belgique,
n° 19983/92, §33 ; CEDH, 29 mars 2001, Thoma c/ Luxembourg,
n° 38432/97, §53.
163 « plus » car nous avons vu déjà
que la question de l'harmonisation du procès de presse en vue
d'empêcher le recours à l'article 1382 comme fondement alternatif
de responsabilité pour bénéficier des règles du
code de procédure civile plus favorables oppose déjà
largement la doctrine.
48
Section 2 : Une cohabitation délicate et
houleuse entretenue par la jurisprudence
76. Comme nous l'avons déjà brièvement
observé, compte tenu des intérêts en présence et du
caractère fondamental de la liberté d'expression, la cohabitation
entre les deux textes que constituent l'article 1382 et la loi du 29 juillet
1881 s'avère extrêmement délicate. Elle l'est d'autant plus
que la clausula generalis, il est utile de le rappeler, comporte une
dimension constitutionnelle depuis une décision rendue par le Conseil
constitutionnel du 22 octobre 1982164. Bien qu'ambiguë dans sa
formulation, celle-ci consacre selon de nombreux auteurs, le droit
constitutionnel de tout individu à la réparation du dommage qu'il
subi165. Par conséquent, au même titre que la
liberté d'expression, il semblerait que l'article 1382, aussi,
revêt un caractère fondamental.
77. Si depuis longtemps déjà, les juges se sont
accordés pour éradiquer toute fonction substitutive à la
responsabilité pour faute166, ceux-ci se montrent bien plus
disparates pour ce qui est de lui accorder une fonction complétive. En
effet, nous avons pu observer précédemment que les avantages que
procure la loi sur la liberté de la presse sont essentiellement de
nature procéduraux, tant le formalisme rigoureux et la prescription
très courte imposés par le texte spécial contribuent
à décourager les poursuivants victimes d'abus de la
liberté d'expression. Permettre au demandeur de pouvoir
bénéficier de l'article 1382 pour poursuivre une faute
présentant les aspects d'un délit de la loi sur la presse aurait
alors vidé cette dernière de toute sa substance. C'est la raison
pour laquelle l'éviction de l'article 1382 comme fondement subsidiaire
de l'action en réparation s'est très tôt imposé en
jurisprudence167.
78. La fonction complétive de l'article 1382 semblait
alors logiquement être la voie à adopter. Elle paraît tout
à fait en conformité avec les principes généraux
dictant notre droit et parmi lesquels figure la maxime « specialia
generalibus derogant », impliquant que les dispositions
spéciales doivent s'appliquer en préférence à
celles générales168. Mais, comme le souligne l'auteur
Geneviève Viney, l'universalisme de la responsabilité civile
164 Cons. const. 22 oct. 1982 : Gaz. Pal. 1983, 1, 60,
obs. F. Chabas.
165 V. L. Favoreu, « La protection constitutionnelle
de la liberté de la presse », in Liberté de la
presse et droit pénal, PUAM, 1994, p. 235 ; F. Terré, Y.
Simler et P. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis
Dalloz, 7e éd., 2006, n°664.
166 Civ. 1e, 23 mars 1982 : D. 1982, 374 ;
TGI Paris, 24 nov. 1993, Légipresse n°112-1, p. 72 ; Civ.
2e, 6 janv. 1993 : Bull. civ.II, n°1 ; Civ.
2e, 19 juin 1996 : JCP 1996. IV, n°1873.
167 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, op. cit. p.
700.
168 V. C. Larroumet, Introduction à l `étude
du droit privé, Economica, 2e éd., 1995,
n°153 et 235 ; F. Terré, Introduction générale au
droit, Précis Dalloz, 3e éd., 1996,
n°469.
49
veut que « dès lors que l'on se trouve hors du
domaine d'application du régime spécial, le régime
général retrouve sa vocation naturelle à s'appliquer
»169.
79. Selon une approche restrictive de la loi sur la presse,
le dessein du législateur de 1881 aurait été de vouloir
arbitrer définitivement le conflit opposant la liberté
d'expression et la responsabilité civile en « enlevant du
même coup à l'article 1382 une portion de sa compétence
diffuse »170. Cette thèse, dite du
« système juridique clos »171, a pour
effet de neutraliser l'application de l'article 1382 du Code civil dans le
contentieux de presse en consacrant l'exclusivisme du texte spécial en
la matière. Or, au vu des travaux ayant précédé
l'élaboration du texte de 1881, la thèse de l'exclusivisme semble
procéder d'un contresens historique. En effet, il est connu des
spécialistes que lors des travaux préparatoires de la loi
spéciale, il fût envisagé de soumettre la presse au seul
droit commun172 en vue d'empêcher la consécration d'un
système juridique privilégié au bénéfice de
la liberté d'expression. Si certains auteurs estiment que l'échec
d'un tel projet s'explique par le fait que le législateur de 1881 ait
pris conscience des dangers que représenterait l'article 1382 du Code
civil pour la liberté d'expression, d'autres, à l'instar de Julie
Traullé, ont pu démontrer que les véritables raisons d'un
tel échec étaient tout autres173. Les
rédacteurs du texte spécial ont même pu ouvertement
renvoyer à la responsabilité civile de droit commun pour assurer
un relais des infractions de presse comme ce fût notamment le cas lors de
la décision d'abrogation d'une infraction d'atteinte à la vie
privée où le rapporteur Eugène Lisbonne prit le soin de
préciser qu'une telle atteinte se résoudrait désormais
devant le prétoire civil174. Les débats ayant
précédés l'élaboration du texte de 1881 invitent
donc clairement à ne pas y voir le « système juridique
clos » évoqué par le Doyen Carbonnier.
80. Le 27 septembre 2005 pourtant, par un arrêt
défrayant la chronique, la Cour de cassation consacrait pour la
première fois en jurisprudence la thèse de ce dernier en
169 G. Viney, « Les rapports entre le droit commun de
la responsabilité civile et les régimes spéciaux de
responsabilité ou de réparation », JCP 1998,
I, 185, chron. resp. civ.
170 J. Carbonnier, « Le silence et la gloire
», D. 1951, chron. p. 119, note sous Civ. 27 fév.
1951 : Bull. civ.n°77.
171 Ibid, p. 119, où le Doyen Carbonnier
s'interroge sur le fait de savoir si le législateur n'a pas entendu
« instituer pour toutes les manifestations de la pensée, un
système juridique clos, se suffisant à lui même, arbitrant
une fois pour toutes tous les intérêts en présence
».
172 H. Celliez et C. Le Senne, Loi de 1881 sur la presse,
accompagnée des travaux de rédaction avec observations et tables
alphabétiques, 1882, p. 24 et s.
173 J. Traullé, L'éviction de l'article 1382
du Code civil en matière extracontractuelle, LGDJ, 2007, p. 385 et
s.: celle-ci évoque notamment le risque d'insolvabilité chronique
de l'auteur des propos ou encore le fait que, l'exercice abusif de la
liberté d'expression amenant souvent à léser des
intérêts publics en plus de ceux privés, l'article 1382
n'aurait pas été satisfaisant , ayant pour seul but, la
défense d'intérêts privés.
174 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, op. cit. p.
702 ; V. aussi : J.O, 22 juillet 1881, Débats parlementaires,
Chambre des députés, p. 1720, Eugène Lisbonne.
50
affirmant purement et simplement que « les abus de la
liberté d'expression envers les personnes ne peuvent être
poursuivis sur le fondement de l'article 1382 du Code civil
»175. Le dessein de la Cour de cassation devint
alors limpide : l'article 1382 du Code civil ne doit plus pouvoir être
invoqué pour quelque abus que ce soit, dès lors que
l'intérêt lésé est de nature extrapatrimonial.
On peut alors s'interroger sur la conformité d'une
telle décision avec notre droit positif. En effet, la Haute juridiction,
par une telle formule, semble omettre un trait essentiel participant de
l'essence même de la responsabilité civile : son
universalisme176. Tout chef de préjudice doit pouvoir
être réparé, et ce dans son intégralité. Or,
si l'on suit le raisonnement de la Cour, le requérant qui ne pourra
qualifier les propos litigieux selon l'une des incriminations de la loi du 29
juillet 1881, justifier d'une atteinte à sa vie privée (art. 9 du
Code civil) ou encore, à sa présomption d'innocence (art. 9-1 du
Code civil)177, sera dans l'impossibilité d'obtenir une
quelconque réparation de son préjudice, aussi grand soit-il.
N'est-ce pas là une atteinte au caractère d'ordre public de la
responsabilité civile délictuelle ?
On pourrait légitimement penser, comme le Doyen
Carbonnier, que la loi de 1881 a vocation à instituer un «
système juridique clos », de sorte que si les faits poursuivis
ne relèvent pas de son champ d'application, il apparaît incongru
de se prévaloir d'un quelconque abus de liberté d'expression.
Mais il faudra alors admettre que de nombreux écarts d'expression ne
pouvant être sanctionnés dans les conditions de la loi sur la
presse resteront impunis, ce qui frôle l'hérésie au vu de
la fonction classiquement échue à la justice : suum cuique
tribuere 178. De la même façon, le principe de la
réparation intégrale du préjudice - d'ordre public en
matière extracontractuelle ! - s'en trouverait totalement
bafoué.
En tout état de cause, le poids de l'indignation semble
avoir eu raison de cette jurisprudence qui parait aujourd'hui ne constituer
qu'un mauvais souvenir pour de
175 Civ. 1e, 27 sept. 2005 : Bull. civ.I,
n°348.
176 E. Dreyer, « Disparition de la responsabilité
civile en matière de presse », D. 2006, p. 1137 et s.
177 Il s'agit là en effet des principaux textes
spéciaux sanctionnant les abus de la liberté d'expression envers
les personnes.
178 La justice a pour objectif de rendre à chacun ce
qui lui est dû ; V. E. Dreyer, « Disparition de la
responsabilité civile en matière de presse », D. 2006,
p.1137 et s.
51
nombreux auteurs. En effet, même si un récent
arrêt pourrait permettre d'en douter179, il apparait
clairement que la jurisprudence constante ne semble pas vouloir donner raison
au Doyen Carbonnier. C'est la raison pour laquelle nombreuses sont les
décisions optant pour une solution davantage respectueuse des grands
principes gouvernant notre droit positif ci-dessus
évoqués180 et consistant à attribuer une
fonction complétive à la responsabilité civile de droit
commun.
Chapitre 2 : La résolution du conflit par
l'admission d'une fonction complétive de l'article 1382 du Code
civil
81. Depuis les arrêts de l'assemblée
plénière du 12 juillet 2000 - à l'exception de la
décision controversée du 27 septembre 2005 étudiée
précédemment - la Haute juridiction autorise l'application de
l'article 1382 du Code civil en présence de faits distinct d'une
infraction de presse. Dès lors que les propos litigieux sont
matériellement distincts d'un délit de presse tel que
prévu par la loi du 29 juillet 1881, le juge peut alors
appréhender si oui ou non, au regard de l'article 1382 du Code civil,
ceux-ci sont susceptibles de donner lieu à réparation.
82. Cette solution jurisprudentielle, se prononçant en
faveur d'une approche complétive de la responsabilité pour faute,
assure donc la primauté du texte spécial sur le droit commun en
la seule présence de faits identifiables à une infraction de
presse (Section 1). Or, il semblerait que cela ne soit en réalité
que la « face visible de l'iceberg ». En effet, l'exclusion du droit
commun va en réalité au-delà des frontières du
texte spécial de sorte que l'on peut noter un certain magnétisme
exercé par la loi du 29 juillet 1881 sur l'article 1382 du Code civil.
Si pour certains, cet effet apparaît comme une nécessité
pour la sauvegarde de l'économie de la loi sur la liberté de la
presse, d'autres le dénonce avec ferveur (Section 2).
179 En effet, un récent arrêt vient d'affirmer
que « les abus de la liberté d'expression ne peuvent être
réprimés que par la loi du 29 juillet 1881 »
(Civ.1e, 6 oct. 2011, Légipresse
n°290, 2012, p. 31). Or, comme E. Dreyer, nous pensons au vu
de la maladresse de sa rédaction, et des récentes
décisions l'entourant (notamment : Civ. 1e, 11 fév.
2010, CCE 2010, n°38, obs. A. Lepage ; Civ. 1e, 28
sept. 2011, AJ fam. 2011. 546, obs. L. Briand) que celui-ci ne
constitue pas un revirement de jurisprudence (V. obs. E. Dreyer, JCP
E, 2011, p. 1227).
180 Principalement : l'universalisme de la
responsabilité civile ; le caractère d'ordre public de la
réparation ; le principe de réparation intégrale du
préjudice subi.
52
Section 1 : L'exigence de « faits distincts »
d'une infraction pénale de presse
83. Une cohabitation claire et sereine paraît avoir
été forgée depuis les retentissants arrêts de
l'assemblée plénière du 12 juillet 2000 consacrant la
complémentarité de la responsabilité civile de droit
commun vis à vis du texte spécial (Paragraphe 1). Or, une fois la
question tenant à la légitimité de voir s'appliquer
l'article 1382 dans le domaine que constitue celui de la liberté
d'expression résolue, il eut été justifié de se
demander si la faute susceptible d'engager la responsabilité civile de
son auteur - compte tenu du relatif droit de nuire dont dispose le journaliste
- ne devait pas être appréciée de façon plus
restrictive (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les arrêts du 12 juillet 2000 :
détail d'une jurisprudence clé
84. À la lecture des jurisprudences de 2000, la
solution apportée au conflit opposant la loi sur la liberté de la
presse à la clausula generalis semble tout à fait simple
et logique. La loi du 29 juillet 1881 - faisant figure de droit spécial
au regard de l'article 1382 du Code civil - prime naturellement sur ce dernier
en présence de faits constitutifs d'une infraction qu'elle
réprime (A). En revanche, si les faits en question s'avèrent
être distincts de cette infraction, la responsabilité civile de
droit commun reprend toute sa vigueur (B).
A. Primauté du texte spécial en
présence de faits pénalement qualifiables
85. Le 21 octobre 1999, la deuxième chambre civile
ordonnait le renvoi devant l'assemblée plénière des
pourvois respectifs formés par les consorts Érulin et les
époux Collard, contre les arrêts rendus par les Cour d'appel de
Paris et de Versailles181. Dans ces deux affaires, il était
question de publications mettant en cause l'honneur et la considération
de personnes défuntes. Pour débouter les demandeurs en leurs
appels respectifs - ces derniers faisant valoir l'existence d'une faute et d'un
préjudice en se fondant sur l'article 1382 du Code civil - les juges du
fond ont estimé que les propos étant constitutifs d'une
diffamation envers la mémoire des morts au sens de l'article 34 de la
loi du 29 juillet 1881, l'article 1382 ne peut servir de fondement à
l'action en réparation182. Cette analyse sera ensuite
approuvée par l'assemblée plénière dont l'attendu
de principe
181 CA Paris, 17 sept. 1997 : D. 1998. 432, note N.
Mallet-Poujol ; CA Versailles, 16 oct. 1997 : Bull. civ.2000.
n°8, rapports de M. Durieux.
182 S. Martin- Valente, « La place de l'article 1382
du Code civil en matière de presse depuis les arrêts de
l'assemblée plénière du 12 juillet 2000, approche critique
», Légipresse n°202, 2003, p. 73.
53
est clair : « les abus de la liberté
d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet
1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article
1382 du Code civil »183. Cette formule, aujourd'hui «
classique » en droit de la presse, est martelée depuis 2000 dans de
nombreuses décisions184.
86. Par conséquent, dés lors que les faits
poursuivis entrent dans le champ des incriminations de la loi du 29 juillet
1881, celle-ci a vocation à s'appliquer sans détournement
possible avec la responsabilité pour faute. Cette primauté du
texte spécial en présence de faits pénalement qualifiables
a pour finalité essentielle d'empêcher toute tentative de
contournement des dispositions rigoureuses du texte spécial et
principalement le délai de prescription de trois mois. En effet, il
n'est pas vain de rappeler que le juge qui se voit confronté à
une demande de réparation fondée sur l'article 1382 du Code
civil, celui-ci n'étant pas lié par la qualification
donnée aux faits par les parties, a la faculté de requalifier
l'action au bénéfice de l'application de la loi sur la
liberté de la presse lorsqu'il constate que les éléments
du délit de presse sont réunis185.
87. Aussi, comme le souligne à juste titre Emmanuel
Dreyer, la revendication de cette jurisprudence est en réalité
essentiellement procédurale. Il importe peu en effet - la
responsabilité civile conservant une fonction complétive - de
savoir si au fond, les juges accorderont la réparation en application du
texte spécial, ou en application du droit commun de la
responsabilité civile186.
Pour reprendre l'esprit de la formule employée par
l'assemblée plénière, ce n'est donc a priori
qu'en présence d'abus de la liberté d'expression non
prévus et non réprimés par la loi du 29 juillet 1881 que
l'article 1382 du Code civil trouvera à s'appliquer. Nous allons voir
que les choses ne sont pas aussi simples.
183 Cass. Ass. Plén., 12 juillet 2000 : Bull.
civ.n°8 préc.
184 À titre d'exemples : Civ. 1e, 7
fév. 2006 : JCP 2006. IV. 1461 ; Civ. 1e, 29 nov.
2005 : JCP 2005. IV. 3785 ; Civ. 1e, 21 fév. 2006 :
JCP 2006. IV. 1580 ; Civ. 1e, 11 fév. 2010 : CCE
2010, n°38 ; Civ. 1e, 28 sept. 2011, AJ fam.
2011. 546).
185 V. art. 12 NCPC et en ce sens, Civ. 2e, 6 mai 1999
: Bull. civ.n°79.
186 E. Dreyer, Responsabilité civile et pénale
des médias, LexisNexis, 3e éd., 2011, p.10.
54
B. Complémentarité de l'article 1382 en
présence de faits distincts d'un délit de presse
88. L'article 1382 a vocation à s'appliquer en
complément du texte spécial si deux conditions cumulatives sont
réunies187.
D'une part, les propos poursuivis doivent
nécessairement être distincts d'une infraction de presse. Cette
exigence de « faits distincts »188est absolument
essentielle et conditionne l'admissibilité des actions introduites sur
le fondement de l'article 1382 du Code civil. Elle dévoile en
réalité la « face cachée de l'iceberg » que
constitue la formule employée par la jurisprudence de 2000 car en
réalité, plus que le respect des frontières propres
à la loi de 1881, « c'est une distance de respect que l'article
1382 se voit assigner »189. En effet, l'article 1382 du
Code civil sera non seulement exclu dans l'hypothèse où les faits
poursuivis seront pénalement qualifiables de délit de presse
selon la loi spéciale, mais aussi, dans le cas où ces faits
entreront dans l'esprit de ce délit sans même que celui-ci soit
répréhensible. L'exclusivité de la loi spéciale au
détriment du droit commun dépend donc en réalité de
la seule matérialité des propos incriminés et non de
l'intention de leur auteur. Par conséquent, dés lors que les
faits poursuivis correspondront à l'élément
matériel de l'une des infractions de presse recensée par la loi
de 1881, mais que l'intention coupable de l'auteur n'est pas
caractérisée, non seulement il sera impossible pour la victime
d'agir sur le fondement de la loi de 1881 faute d'élément moral,
mais en plus, celle-ci se verra dans l'impossibilité d'invoquer
l'article 1382 du Code civil. La règle est donc stricte : quand bien
même une infraction de presse ne serait pas constituée, la Cour
admet que la responsabilité civile pour faute puisse être
évincée si les propos en question entrent dans «
l'univers intellectuel du délit »190.
D'autre part, concernant la seconde condition, une fois
l'action en réparation fondée sur l'article 1382 admise dans son
principe - les propos étant distincts d'une infraction de presse - il
faudra bien évidemment démontrer que les trois conditions
cumulatives de la responsabilité civile pour faute sont réunies.
Il en résulte que la réparation ne sera allouée
187 N. Mallet-Poujol, « De la cohabitation entre la loi
du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et l'article
1382 du Code civil », Légipresse
n234, 2006, p.97.
188 Ibid
189 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, Traité de
droit de la presse et des médias, Lexisnexis,
1ère éd., 2009,
p.699.
190 N. Mallet-Poujol, « De la cohabitation entre la
loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et l'article 1382 du
Code civil », Légipresse n234, 2006, p. 94.
55
à la prétendue victime qu'en présence de la
démonstration du caractère fautif des propos, d'un
préjudice, et d'un lien de causalité entre la faute et ce
préjudice.
Inutile de préciser que le plus difficile pour la
victime, comme à l'accoutumée, sera de prouver le
caractère fautif des propos poursuivis. En effet, il convient de
s'interroger sur la nature de la faute susceptible de donner lieu à
réparation et donc, d'engager la responsabilité civile de son
débiteur.
Paragraphe 2 : La nature de la faute engageant la
responsabilité civile de son auteur
89. L'idée est d'évaluer si dans les
interstices existant entre les divers textes spéciaux limitant la
liberté de la presse, il serait opportun de borner la portée de
l'article 1382 du Code civil. Compte tenu du caractère fondamental de la
liberté d'expression, de sa nécessité dans une
société démocratique191 et du relatif droit de
nuire dont bénéficie le journaliste dans l'exercice de certaines
de ses activités, une telle question apparaît tout à fait
légitime tant la responsabilité pour faute, en raison de son
extrême souplesse, pourrait potentiellement se transformer en instrument
de censure.
90. Depuis la rédaction du Code civil de 1804, il est
admis que toute faute, aussi légère soit-elle, quand bien
même celle-ci résulterait d'une simple imprudence, suffit à
engager la responsabilité civile de son auteur. Le principe est donc
celui de l'unité de la faute civile génératrice de
responsabilité civile. La gravité de la faute est sans incidence
quelconque sur l'existence de la responsabilité192.
91. Pourtant, certains juges du fond ont jugé
nécessaire, pour ce qui est du contentieux de la presse, de limiter la
portée de l'article 1382 au nom de la liberté d'expression. En
effet, à plusieurs reprises, la Cour d'appel de Paris a jugé dans
les années quatre-vingt-dix que le principe de la liberté
d'expression de l'article 11 de la Déclaration universelle des droits de
l'homme impose que l'application en matière de presse des dispositions
de l'article 1382 soit limitée aux hypothèses où l'abus en
question constitue soit, une « atteinte aux droits fondamentaux de la
personne », soit « une dénaturation ou une
déformation des faits traduisant une intention malveillante ou une
négligence manifeste dans la
191 V. Art. 10 Conv. EDH.
192 M. Bacache-Gibeili, Les obligations, la
responsabilité civile extracontractuelle, 2ème
éd., Economica, 2012, n°163.
56
vérification de l'information
»193. Dès lors, la mise en oeuvre de la
responsabilité civile de l'auteur de l'abus sera conditionnée
selon les juges du fond, par la gravité du dommage subi si l'on se
trouve dans le premier cas, ou par la gravité de la faute dans le
second. L'objectif de la Cour d'appel de Paris est donc simple : circonscrire
l'application de l'article 1382 aux cas les plus graves où il peut
être constaté soit une faute qualifiée, soit un
préjudice conséquent.
92. Toutefois, malgré les efforts
déployés par cette dernière, la Cour de cassation ne fut
pas de cet avis. En effet, celle-ci effectua une multitude de cassations en
refusant cette logique d'amputation de la responsabilité pour faute.
Elle estima que les juges du fond - en limitant de la sorte la portée
générale de l'article 1382 du Code civil en matière de
presse - violaient le texte en question194. Alors qu'en
penser ? La réaction de la Haute juridiction est-elle justifiée
et si oui, est-elle pour autant souhaitable ?
D'un point de vue purement rationnel, l'argument paraît
imparable. L'article 1382 a été volontairement pourvu d'une
portée générale. Subordonner sa mise en oeuvre à
l'existence d'un certain seuil de gravité contribue à lui
rajouter des conditions qu'il ne comporte pas. Or, comme l'affirme le
professeur Charles Debbasch, « là ou la loi ne distingue pas,
il n'y a pas lieu de distinguer »195.
Cependant, une telle solution conduit tout de même
à un résultat quelque peu paradoxal que l'on ne peut se permettre
d'éluder. En effet, il convient de le rappeler, le dessein du
législateur de 1881 était semble t-il de promouvoir la
liberté de la presse tout en la limitant dans les cas où il
était estimé que son usage était abusif196.
Dès lors, le fait qu'en dehors de la loi spéciale, le journaliste
soit en réalité beaucoup plus exposé à un risque de
condamnation - dans la mesure où l'application pleine et entière
de la clausula generalis veut que toute faute, aussi
légère soit-elle, soit sanctionnée - ne faisait donc
surement pas parti de ses prévisions. Si les travaux
préparatoires de la loi de 1881 montrent que le maintien de
l'application de l'article 1382 en complément du texte spécial
fut admis par ses rédacteurs, on peut néanmoins douter que ces
derniers, au risque de
193 Parmi les diverses décisions en ce sens : CA Paris,
19 nov. 1990, Légipresse 1990, n°79-III, p. 19 ; CA Paris,
1er nov. 1991, D. 1991, IR p. 70 ; CA Paris, 6 mars 1992,
Légipresse 1992, n°95-1, p. 117 ; CA Paris, 27 avril 1993,
Légipresse 1993, n°106-1, p. 136.
194 Civ. 2e, 5 mai 1993 : Bull. civ.II,
n°167 ; Civ. 2e, 24 janv. 1996 : Bull.
civ.n°14.
195 Ch. Debbasch, Droit des médias, Dalloz,
2e éd., 1999, p. 1046.
196 Rappelons qu'au cours des débats ayant
précédés son adoption, le texte de 1881 fût
présenté comme une « loi d'affranchissement et de
liberté » : E. Lisbonne, in H. Celliez et C. Le Senne, Loi
de 1881 sur la presse, accompagnée des travaux de rédaction avec
observations et tables alphabétiques, Libr. A. Marescq Ainé,
Paris, 1882, p.5.
57
rétablir le délit d'opinion, aient
souhaité qu'une simple imprudence ou maladresse commise par un
journaliste, même de bonne foi, soit de nature à engager sa
responsabilité197. Cette solution apparaît de
surcroît incompatible avec certaines facettes de la liberté
d'expression qui comme nous l'avons vu précédemment, comportent -
dans une certaine mesure - une dimension nuisible nécessaire à
leur épanouissement.
Ces diverses observations peuvent donc légitimement
nous faire douter de la pertinence de la position adoptée par la Cour de
cassation pour désapprouver les juges du fond. Il n'en demeure pas moins
que si la question tenant à la nature de la faute susceptible d'engager
la responsabilité civile de droit commun du journaliste ne manque pas
d'intérêt théorique, une réalité doit
être soulignée : la loi sur la liberté de la presse absorbe
en pratique la majeure partie du contentieux de la presse, de sorte que
l'utilisation de l'article 1382 en vue de définir de nouveaux abus ne
concerne en réalité qu'un nombre très résiduel
d'affaires198.
Nous allons d'ailleurs voir que ce nombre tend à
s'amenuiser, tant le magnétisme du texte de 1881 vis à vis de la
clausula generalis se fait sentir dans certains domaines.
Section 2 : L'attraction exercée par le texte
spécial sur l'article 1382 du Code civil
93. Attraction, absorption, magnétisme ! Autant de
qualificatifs évoquant ce phénomène qui tend à
consacrer l'exclusivisme du régime spécial au détriment de
la responsabilité civile de droit commun. Alors bien évidemment,
on peut se demander pourquoi s'indigner d'un tel constat dès lors que le
texte de 1881 offre la possibilité - tout autant que l'article 1382 -
d'obtenir la réparation au civil du dommage subi par la victime. Les
choses ne sont pourtant pas aussi simples. Car dans bien des cas, le fait
d'écarter l'application de la responsabilité pour faute à
raison du fait que les propos litigieux relèvent du domaine
d'application de la loi de 1881 ne permettra pas pour autant à la
victime d'obtenir gain de cause.
94. Cet étrange paradoxe, qu'il convient d'examiner
à partir de l'exemple frappant fourni par l'infraction de diffamation
envers la mémoire des morts (Paragraphe 1), s'observe
197 N. Droin, Les limites à la liberté
d'expression dans la loi sur la presse du 29 juillet 1881, Disparition,
permanence et résurgence du délit d'opinion, LGDJ, 2011, p.
80.
198 L'importance de la problématique - en terme
d'actions en justice - est donc à relativiser : B. Beignier, B. de Lamy
et E. Dreyer, Traité de droit de la presse et des
médias, Lexisnexis, 1ère éd., 2009, p.
707.
58
aussi à d'autres niveaux que nous ne pouvons nous
permettre d'escamoter tant les enjeux sont capitaux (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le cas particulier de l'atteinte envers la
mémoire des morts
95. Tout a commencé lors des célèbres
affaires Érulin et Collard évoquées
précédemment, dans lesquelles étaient en question des
publications mettant en cause l'honneur et la considération de personnes
défuntes. La Cour de cassation, rejetant les pourvois formés par
les familles sur le fondement de la responsabilité pour faute estima en
effet « qu'ayant retenu que la publication des propos litigieux
relevait des dispositions de l'article 34 al.1 » de la loi du 29
juillet 1881, « la cour d'appel a décidé à bon
droit que les consorts X ne pouvaient être admis à se
prévaloir de l'article 1382 dudit Code
»199.
Pour autant - et c'est ce qui nous intéresse ici -
bien que relevant des dispositions de l'article 34 al 1er relatif au
délit de diffamation envers la mémoire des morts, les propos
litigieux ne pouvaient donner lieu à réparation200. En
effet, le délit de diffamation envers la mémoire des morts
requiert, pour qu'il puisse être sanctionné, que soient
caractérisés non seulement un dol général - que
constitue la diffamation envers le défunt - mais aussi, un dol
spécial, caractérisé par l'intention de nuire aux
héritiers201. Comme le souligne le professeur Nathalie
Mallet-Poujol, ce dol spécial est une condition de la «
sanction » du délit et non de sa « constitution
»202. Il peut donc y avoir exclusion du droit commun de la
responsabilité civile - au profit de la loi de 1881 - car le
délit spécial est constitué, sans pour autant que celui-ci
ne donne lieu à réparation203. L'absence de dol
spécial conduit alors à priver les héritiers de toute
action en justice.
96. Ce phénomène d'absorption,
indéniablement, s'opère au détriment du droit à
réparation des victimes qui rappelons le, revête une dimension
constitutionnelle204. Mais est-il justifié ? Il peut
paraître paradoxal - au regard des principes dictant le
responsabilité civile extracontractuelle205 - que le dommage
moral concomitant à une diffamation du mort ne puisse être
réparé sous aucun fondement pour les héritiers. Tout
préjudice ne
199 Cass. Ass. Plén., 12 juillet 2000 : Bull.
civ.n°8 préc.
200 Ce qui fût confirmé par un arrêt de 2006 :
Civ. 1e, 12 déc. 2006 : Bull. civ.I, n°551.
201 V. Art. 34 al 1er : Loi 1881-07-29 Bulletin Lois
n° 637 p. 125.
202 N. Mallet-Poujol, « De la cohabitation entre la
loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et l'article 1382 du
Code civil », Légipresse 2006, n°234, p. 95.
203 V. pour plus d'explications Supra n°89 et s.
204 Cons. const., n°2005-522 DC, 22 juillet 2005, Loi de
sauvegarde des entreprises, JO, 27 juillet 2005, p. 1225.
205 Notamment, ceux précédemment
évoqués dans notre développement : l'universalisme de la
responsabilité civile ; le caractère d'ordre public de la
réparation ; le principe de réparation intégrale du
préjudice subi.
59
mérite t-il pas réparation ? L'auteur de propos
déshonorant n'est-il pas concerné par la fonction
préventive de la responsabilité civile ? D'ailleurs, on peut se
poser la question de savoir s'il ne s'agit pas là d'une atteinte au
droit à un recours effectif du justiciable garanti par la Conv. EDH et
ayant lui aussi une valeur constitutionnelle206. Il semblerait que
non. La Cour de cassation a estimé récemment que l'application
exclusive de l'article 34 al. 1er de la loi spéciale au détriment
de l'article 1382 du Code civil était conforme au droit à un
procès équitable consacré au sein de l'article 6-1 de la
Conv. EDH207. L'argument de l'atteinte aux « droits
fondamentaux du justiciable » ne semble donc pas convaincre.
97. L'argument historique en revanche, peut nous permettre
d'affirmer une chose : les rédacteurs de la loi de 1881 n'ont jamais
entendu priver les héritiers, en l'absence de dol spécial, d'une
action à titre subsidiaire fondée sur l'article 1382 contre le
diffamateur dès lors que l'atteinte envers la mémoire du
défunt était avérée208. D'ailleurs, la
Cour de cassation a toujours admis, antérieurement aux arrêts du
12 juillet 2000, qu'à défaut de pouvoir réunir les
éléments constitutifs du délit de l'article 34 al
1er, l'article 1382 puisse être appliqué à titre
subsidiaire, conformément à la volonté du
législateur de 1881209.
Même si un mouvement postérieur aux
jurisprudences de 2000 semblait vouloir faciliter l'établissement de la
diffamation envers la mémoire des morts en appréciant plus
souplement la condition tenant au dol spécial210 - pour
permettre une indemnisation plus fréquente des demandeurs - il
apparaît donc clairement que la liberté d'expression tend à
primer sur le droit à réparation des victimes. Une jurisprudence
récente en atteste et n'hésite pas à restreindre encore
d'avantage les conditions d'indemnisation en la matière211.
Le « système juridique clos » du Doyen Carbonnier semble donc
- pour ce qui est de l'atteinte envers la mémoire des morts - avoir eu
raison de la jurisprudence212 : une
206 C. const., n° 96-373 DC, 9 avr. 1996,
Loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie
française, JO, 13 avr. 1996, p. 5724.
207 Civ. 1e, 12 déc. 2006 : Bull.
civ.I. n°551, p.491.
208 V. notamment la déclaration d'Eugène
Lisbonne, Séance du 21 juil. 1881, D. 1881, 4e
partie, Lois, décrets et actes législatifs, p. 80 :
« dans le cas où le diffamateur n'a pas eu l'intention
d'attaquer les héritiers vivants, la disposition nouvelle laisse dans le
droit commun l'action civile, de la part de ces derniers, en dommages et
intérêts ».
209 V. à titre d'exemple : Civ. 2e, 22 juin
1994 : Bull. civ.II, n°165.
210 V. notamment : un arrêt rendu par la deuxième
chambre civile ayant déduit l'intention de nuire du diffamateur de la
seule constatation de l'élément matériel de l'infraction
(Civ. 2e, 22 janv. 2004 : Bull. civ.II, n°19) ; aussi
sur ce point, voir la note de M. Guerder exprimant sa volonté que la
jurisprudence assouplisse la condition tenant à la constatation de
l'élément intentionnel (P. Guerder, note sous Civ. 2e,
10 oct. 2002, Gaz. Pal. 2003. Jurisp. 3837).
211 Crim., 10 mai 2011 : Dr. Pénal 2011. 102,
obs. M. Véron : la Haute juridiction a estimé que les
dispositions de l'article 34 de la loi du 29 juillet 1881 « impliquent
que soit établie la qualité d'héritier ayant
accepté la succession ».
212 TGI Paris, 10 nov. 2011 : Légipresse
n°291, fév. 2012, p. 77.
60
portion de la « compétence diffuse »
de l'article 1382213 paraît bel et bien avoir
été absorbée par le régime spécial. Le
phénomène semble d'ailleurs se perpétuer au
détriment d'autres droits à valeur constitutionnelle.
Paragraphe 2 : La mise à l'écart
consécutive de droits fondamentaux
98. Le phénomène d'attraction du texte
spécial - ci-dessus décrit en matière de diffamation
envers la mémoire des morts - semble se développer dangereusement
pour venir s'en prendre aux droits fondamentaux que constituent le droit au
respect de la dignité humaine et le droit au respect des croyances.
Encore une fois, l'exclusivisme de la loi spéciale au détriment
des droits de la victime parait s'imposer au nom de cette liberté que
constitue celle de s'exprimer. En effet, le professeur Thierry Massis
dénonce cette tendance fâcheuse qu'a le juge à «
conforter les espèces qui lui sont soumises aux incriminations de la loi
de 1881 » alors même que « certaines atteintes ne
peuvent répondre aux qualifications étroites des délits
réprimés par cette loi »214. La
preuve en est par exemple, cet arrêt rendu par la Haute juridiction du 8
mars 2001 dans lequel celle-ci - ayant relevé que des dessins tournant
en dérision le catholicisme, les rites religieux, et donc les croyances,
ne constituaient pas le délit de presse incriminé au sein de
l'article 24 al. 6 de la loi de 1881 - a jugé qu'aucun comportement
fautif ne pouvait être décelé au sens de l'article 1382 du
Code civil215. On constate donc, qu'à l'instar des
jurisprudences du 12 juillet 2000, les juges semblent vouloir consacrer la
thèse du « système juridique clos » pour ce qui est des
atteintes aux sentiments religieux et ce, au prix d'une mise à
l'écart du droit constitutionnel que constitue le droit au respect des
croyances216. D'autres décisions en attestent217.
Pourtant n'était-il pas possible, au regard de ces quelques exemples
jurisprudentiels, de déceler une faute civile distincte
caractérisée par une offense délibérée aux
sentiments religieux218 ? On peut se le demander.
99. Dans le même sens, on peut observer que si le
recours au concept de dignité humaine pouvait d'antan permettre au juge
de caractériser plus facilement une faute au
213 J. Carbonnier, « Le silence et la gloire
», D. 1951, chron. p. 119.
214 T. Massis, « Respect des croyances, dignité
et loi du 29 juillet 1881 », Légipresse n°197.
II, p. 172.
215 Civ. 2e, 8 mars 2001 : Bull.
civ.n°47 : estimant que les dessins n'ont « pas eu pour
finalité de susciter un état d'esprit de nature à
provoquer à la discrimination, la haine, ou la violence, et ne
caractérisent pas l'infraction prévue par l'article 24
alinéa. 6 de la loi du 29 juillet 1881 » de sorte qu'
« aucune faute ne pouvait être retenue sur le fondement de
l'article 1382 du Code civil ».
216 L'article 2 al. 1 de la Constitution du 4 octobre 1958
dispose que « La France respecte toutes les croyances ».
217 En ce sens notamment : TGI Paris, 6 oct. 1999, inédit
; TGI Paris, 21 fév. 2002, Légipresse n°192-III, p.
105.
218 T. Massis, « Respect des croyances, dignité
et loi du 29 juillet 1881 », Légipresse n°197.
II, p. 173.
61
sens de l'article 1382 en marge du texte de 1881 - pour
sanctionner des propos dénigrants envers la personne humaine - il
apparaît que la Cour de cassation ne soit plus séduite par cette
combinaison des articles 16 et 1382 du Code civil pour caractériser les
abus de la liberté d'expression219. Là encore, la
dignité de la personne humaine, érigée au rang de principe
à valeur constitutionnel220, semble être
marginalisée au détriment des victimes pour laisser libre cours
à la liberté d'expression.
100. Si cette mise à l'écart de droits
fondamentaux au nom de la liberté d'expression est
déplorée par certains, d'autres y voient une juste
adéquation avec le principe même de liberté d'expression
qui rappelons-le, « vaut non seulement pour les informations ou
idées accueillies avec faveur ou considérées comme
inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent,
choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la
population »221. De plus, comme le souligne
Guillaume Lécuyer, avocat au barreau de Paris, on peut observer depuis
un certain nombre d'années une recrudescence des abus de la
liberté d'expression concomitant au relâchement des conditions de
recevabilité des actions associatives222. Il est donc
probable que la tendance jurisprudentielle ci-dessus décrite - favorable
à une application exclusive du texte spécial dans les domaines
mettant en cause l'honneur, la dignité et les croyances des personnes -
soit une manière de mettre un frein à cette inflation des actions
en responsabilité pour abus de la liberté d'expression
menées par les associations pour la défense de leur
prétendue « Grande Cause »223.
101. En réalité, la véritable question
est de savoir si la loi de 1881 constitue une base légale suffisante
pour arbitrer les intérêts en présence auquel cas dans
l'affirmative, l'application exclusive du texte spécial au
détriment de la responsabilité pour faute serait
justifiée. Il nous semble, concernant les espèces
présentées ci-dessus, que cela soit discutable.
En effet il est des atteintes aux croyances et à la
dignité qui ne peuvent entrer dans le champ d'application de l'injure ou
de la diffamation telles que prévues au sein du texte de 1881 et qui,
constituant une faute civile distincte, mériteraient probablement que
l'on
219 Civ. 1e, 12 déc. 2006 : Bull.
civ.I. n°551.
220 Cons. Const. 27 juil. 1994, D. 1994. 237.
221 CEDH, Handyside c/ Royaume Uni, n° 5493/72, 7
décembre 1976, GACEDH n° 7.
222 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, Traité de
droit de la presse et des médias, Lexisnexis,
1ère éd., 2009, p.
708.
223 Ibid
62
puisse appliquer l'article 1382 du Code civil224.
La liberté d'expression ne doit pas permettre de justifier
l'indécence, la balourdise, l'obscénité. Les juges
devraient donc sûrement davantage se poser la question de savoir si dans
telle ou telle espèce, le message présente réellement un
intérêt pour la collectivité.
Aussi, rappelons que la déclaration des droits de
l'homme et du citoyen parle de « libre communication des
pensées et des opinions »225 pour définir le
contenu de la liberté d'expression et non de libre communication de
ragots, images ou propos avilissants souvent protégés au nom de
cette « sacro-sainte » liberté d'expression. Exclure l'article
1382 du Code civil contribue donc à renoncer à sanctionner des
atteintes à des droits de la personnalité insuffisamment pris en
compte par la loi du 29 juillet 1881226. Peut-être serait-il
opportun alors, de compléter la liste des incriminations prévues
par le texte spécial ? On sait que le professeur Geneviève Viney
le propose pour ce qui concerne les atteintes relatives à l'honneur et
à la considération des personnes227.
Enfin, si l'on s'en tient aux arguments traditionnellement
avancés par la doctrine, il ressort que l'exclusivisme de tout texte
spécial devrait pouvoir légitimement s'imposer à partir du
moment où la disposition spéciale en question a pour unique but
d'améliorer la situation de la victime au regard de ce que
prévoit l'article 1382 du Code civil228. Difficile pourtant
de contester que le texte spécial de 1881 s'avère bien plus
protecteur vis à vis des organes de presse que ne l'est l'article 1382
du Code civil. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nombreuses sont les
tentatives de contournement de la loi sur la liberté de la presse
fondées sur la clausula generalis tenues en échec par la
jurisprudence. Sur ce point là encore, le choix d'une application
exclusive de la loi du 29 juillet 1881 au détriment de l'article 1382
apparaît tout à fait discutable.
Toujours est-il que la Cour de cassation semble depuis 2000
estimer, eu égard aux domaines précédemment
évoqués (atteinte à la considération des morts,
à la dignité, aux
224 Comme cela a pu être le cas dans l'affaire Ave
Maria au sujet d'affiches lésant les sentiments religieux (TGI
Paris, 23 oct. 1984, Gaz. Pal. 1984, p. 727 et s.) ou encore dans
l'affaire du VIH, la Cour d'appel ayant reconnu un droit à la
dignité aux personnes atteintes du sida bafoué par des affiches
publicitaires dégradantes (CA Paris, 28 mai 1996, D. jurisp. p.
617 note B. Edelman).
225 J-J. Gandini, Les droits de l'Homme, Anthologie,
Librio, 1998, p. 22.
226 P. Jourdain, « L'éviction totale de
l'article 1382 en cas d'abus de la liberté d'expression envers les
personnes », RTDciv. 2006, p. 127.
227 G. Viney, « Le conflit entre le droit de la presse
et l'article 1382 », JCP. G, 1998. I. 185.
228 J. Traullé, L'éviction de l'article 1382 du
Code civil en matière extracontractuelle, LGDJ, 2007, p.329.
63
croyances), que le texte de 1881 se suffit à
lui-même pour arbitrer les intérêts en présence
suivant en cela la thèse du « système juridique clos »
soutenue par le Doyen Carbonnier. Bien entendu, les possibilités
d'application de l'article 1382 en marge du texte spécial n'en sont pas
pour autant épurées. C'est ce que nous nous efforcerons de
démontrer dans la seconde partie de notre développement
consacrée à la place effective qu'occupe le droit commun de la
responsabilité civile dans le contentieux de la presse.
64
Conclusion de la Partie I
Au fil de ce premier volet de développement, nous avons
pu observer combien les possibilités de voir s'appliquer l'article 1382
du Code civil dans le domaine de la liberté d'expression semblent
s'amenuiser face à une loi du 29 juillet 1881
prépondérante.
À la vue de la concurrence générée
par le droit commun - dont l'adaptation à la liberté d'expression
s'avère particulièrement complexe - le dessein de la Haute
juridiction paraît clairement vouloir promouvoir la suprématie du
texte spécial. Il revient par conséquent aux victimes d'abus de
la liberté d'expression de redoubler de vigilance quant aux
règles de procédure pointilleuses mises en place par le texte de
1881 mais aussi, de faire preuve de réactivité pour ne pas tomber
sous le « couperet » de la courte prescription trimestrielle.
Nous avons aussi pu constater que les difficultés
qu'implique la conciliation du droit commun avec la liberté d'expression
s'expliquent principalement par la dimension trop accueillante de la
responsabilité pour faute. Cette dernière, au contact de la
liberté d'expression, peut en effet se transformer en menace pour la
liberté de la presse.
Pourtant, certains juges et auteurs, bien conscients des
risques d'une application pleine et entière de la responsabilité
pour faute au principe de la liberté d'expression proposent de la
limiter, en l'admettant dans les seuls cas les plus graves, ce que refuse la
Cour de cassation. Cela nous semble regrettable. Il apparaît en effet
absolument nécessaire et logique de devoir restreindre l'application de
l'article 1382 du Code civil dans les domaines où les nuisances se
trouvent être consubstantielles à l'épanouissement d'une
liberté.
Nous allons voir dans notre seconde partie que même si
les perspectives d'un recours à la responsabilité pour faute
ressortent amoindries de leur confrontation à la loi sur la
liberté de la presse, celles-ci ne sont pour autant pas totalement
exclues.
Il convient donc désormais de s'intéresser
à l'usage effectif qui est fait par le juge de la responsabilité
civile de droit commun dans ce domaine sensible que constitue celui de la
presse.
65
Partie II : La place effective du droit commun de la
responsabilité civile en matière de presse
102. C'est avec difficulté que la responsabilité
pour faute peine à exister dans le domaine de la liberté
d'expression. Nous avons vu dans la première partie de notre
développement combien la jurisprudence a d'ailleurs été
hésitante sur la problématique tenant à son cantonnement
vis à vis du texte spécial de 1881. Aussi, y ont
été explorés les aspects théoriques de
l'opportunité de la voir s'appliquer pour règlementer
l'activité journalistique. Une chose est sûre, la clausula
generalis paraît définitivement être circonscrite aux
faits insusceptibles d'être qualifiés pénalement au sens de
la loi de 1881.
Mais il convient désormais de s'intéresser,
outre la loi du 29 juillet 1881, aux autres textes spéciaux apportant
largement leur contribution dans leur rôle de repoussoir du droit commun
de la responsabilité civile en matière d'abus de la
liberté d'expression. Ceux-ci - par un phénomène
d'absorption - participent à ce mouvement de dilution du domaine de
compétence de la responsabilité pour faute, pour semble t-il le
réduire à une « peau de chagrin
»229.
Nous observerons dans cette seconde partie que la
responsabilité civile de droit commun semble affaiblie face à
l'emprise des textes spéciaux pour ne se voir conférer en
pratique qu'un domaine résiduel d'application. Il conviendra dès
lors de s'interroger sur les raisons de ce phénomène ainsi que
sur leur bien fondé (Titre 1). Nous nous attarderons ensuite sur
l'interprétation extensive des frontières que la jurisprudence et
la loi confèrent à cette liberté d'expression aux
multiples facettes et ne semblant qu'accroître ce sentiment d'impuissance
que connaît la responsabilité civile en matière de presse.
En effet, le foisonnement de faits justificatifs spéciaux en ce domaine
témoigne de toute la vigueur de la liberté d'expression face
à une responsabilité civile diminuée (Titre 2).
229 V. F. Chabas, « L'article 1382 du Code civil : peau
de vair ou peau de chagrin ? », Mél. J. Dupichot, Liber
amicorum, 2004.
66
Titre 1 : Un domaine résiduel face à
l'hégémonie de la loi du 29 juillet 1881 et les autres
dispositions spéciales
103. Au début du XXème siècle, Henri
Mazeaud diagnostiquait une tendance « dangereuse » et
chronique d'absorption des régimes spéciaux par le principe
général de responsabilité pour faute230. Il
semble que la jurisprudence, las d'un tel constat en matière de presse,
ait voulu couper court à ce phénomène pour mettre fin aux
tentatives de contournement des équilibres instaurés par le texte
de 1881. Mais le tracé des frontières entre son domaine propre et
celui du régime spécial s'est opéré avec
difficultés et continue d'être incertain aujourd'hui.
La pratique nous enseigne que les abus
pénétrant le domaine de compétence de l'article 1382 du
Code civil sont peu nombreux face à l'empirisme de la loi de 1881
(Chapitre 1). D'ailleurs, l'apparition de textes spéciaux durant la
seconde moitié du XXème siècle en matière de
responsabilité civile, ne semble qu'amoindrir les perspectives de
recours à la responsabilité pour faute des victimes d'abus de la
liberté d'expression (Chapitre 2).
Chapitre 1 : Les abus de la liberté
d'expression entrant dans le champ de l'article 1382 du Code civil
104. Nous l'avons vu, une jurisprudence constante s'accorde
à dire que « les abus de la liberté d'expression
prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne
peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du
Code civil »231. L'ensemble des abus de la liberté
d'expression prévus par le texte de 1881 ayant essentiellement vocation
à prévenir et sanctionner des atteintes envers les personnes, on
peut déduire de cette formule que l'article 1382 du Code civil conserve
toute sa verdeur pour ce qui est des atteintes envers les produits et
services.
230 H. Mazeaud, « L'absorption des règles
juridiques par le principe de responsabilité civile »,
D.H, 1935, chron. p.6.
231 Cass. Ass. Plén., 12 juillet 2000 : Bull.
civ.n°8 ;
Comm. com. électr.
2000, n°108, obs. A. Lepage ; LPA, 14 août 2000, note
E. Derieux ; Gaz. Pal. 2001, somm. p. 979, note P. Guerder ; JCP
G 2000. I. 280, n°2, obs. G. Viney ; RTDciv. 2000, p. 845,
obs. P. Jourdain ; D. 2000, somm. p. 463, obs. P. Jourdain.
105.
67
Il nous faudra donc distinguer - pour déterminer en
substance quels sont les abus entrant dans le champ de la responsabilité
civile de droit commun - selon que l'intérêt lésé
est de nature patrimonial (Section 1), ou extrapatrimonial (Section 2).
Section 1 : Les abus mettant en cause un
intérêt patrimonial
106. L'intérêt patrimonial caractérise le
fait de ce qui est appréciable en argent, de ce qui renvoie au
patrimoine de l'individu et est donc susceptible d'être
transmis232. L'intérêt lésé est donc de
nature économique et cela, par opposition aux intérêts
moraux - dits aussi extrapatrimoniaux - dont la loi sur la liberté de la
presse, nous le verrons, s'arroge en grande partie la défense.
107. Bien entendu, la lésion de l'intérêt
patrimonial ne justifie pas à elle seule le droit à
réparation de la victime. Celle-ci devra nécessairement prouver
le caractère fautif des propos tenus par le prétendu responsable
(Paragraphe 1). Et, si les conditions de mise en oeuvre de l'article 1382 du
Code civil sont réunies, encore faut-il que l'abus en question ne
pénètre pas, dans sa matérialité, le domaine
d'application de l'une des infractions de la loi du 29 juillet 1881. Nous
verrons que cela n'est pas sans difficultés d'appréciation, tant
la critique d'un produit peut aisément verser dans celle de son
producteur pour finalement se fondre en une diffamation (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les conditions de mise en oeuvre de la
responsabilité pour faute
108. Avant de s'attarder sur le détail des fautes
susceptibles d'engager la responsabilité civile des organes de presse
(B), il convient d'évoquer plus généralement les deux
principales hypothèses dans lesquelles la responsabilité pour
faute pourra potentiellement jouer (A).
A. Deux principaux cas de figure
109. La responsabilité pour faute de l'organe de
presse est susceptible de se présenter en pratique dans deux cas de
figures. Il faut en effet distinguer selon que la victime de l'abus
232 R. Guillien et J. Vincent, Lexique des termes juridiques
2010, Dalloz, 17e éd., 2010, p. 524.
68
de la liberté d'expression se trouve ou non avoir la
qualité de concurrent - au sens économique du terme - vis
à vis de l'auteur des propos233.
Dans le cas où le lésé est en situation
concurrentielle avec l'auteur des faits litigieux, ce sera toujours l'article
1382 qui aura vocation à s'appliquer234. En effet, en
situation de concurrence déloyale, le dénigrement envers un
concurrent, intentionnel ou non, tombera toujours sous le joug de la
responsabilité pour faute et ce, que l'atteinte soit portée
à la personne du concurrent comme aux produits qu'il fabrique. On
observe donc que la qualité de concurrent prime sur
l'intérêt lésé - et donc l'article 1382 sur la loi
de 1881 ! - en ce sens que même si les propos sont constitutifs d'une
diffamation au sens de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, le seul fait
que celui dont l'honneur est lésé revêt la qualité
de concurrent, fait primer l'application de l'article 1382 du Code civil dans
sa fonction de prévention des actes de concurrence
déloyale235.
En revanche, dans le cas où la victime n'est pas un
concurrent de l'auteur des propos, deux hypothèses se présentent.
Soit l'intérêt lésé est de nature extrapatrimonial,
auquel cas nous verrons que la propension à l'exclusivisme du texte
spécial de 1881 ne laisse que très peu de place à la
fonction complétive de l'article 1382 du Code civil236. Soit
l'intérêt lésé est de nature patrimonial et alors,
dans ce cas seulement, l'article 1382 se verra conférer une
exclusivité d'application.
Il convient dès lors de s'interroger, dans cette
dernière hypothèse, sur le fait de savoir quels seront les abus
de la liberté d'expression susceptibles de porter atteinte à des
intérêts économiques et donc passibles d'une condamnation
au titre de l'article 1382.
B. Typologie des fautes retenues par la
jurisprudence
110. Incontestablement, la faute la plus rencontrée en
ce domaine que constitue celui des atteintes mettant en cause des
intérêts patrimoniaux est celle que l'on qualifie de «
dénigrement ».
Selon le dictionnaire Robert, « dénigrer »
est l'acte par lequel une personne s'efforce de « faire
mépriser quelque chose ou quelqu'un »237. Dans son
essence, le dénigrement
233 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, Traité de
droit de la presse et des médias, Lexisnexis,
1ère éd., 2009, p. 725.
234 Com., 21 mai 1996 : D. 1997, somm. p. 85.
235 En ce sens, V. Civ. 1e, 5 déc. 2006 :
Bull. civ.I. n°532.
236 V. Supra section 2.
237 J. Rey-Debove et A. Rey, Le Petit Robert, Le Robert,
2012, p. 677.
69
procède donc de la critique. Mais la critique est-elle
en elle même constitutive d'une faute ? Il résulte d'une
jurisprudence constante, que « les appréciations même
excessives touchant les produits, les services ou les prestations d'une
entreprise industrielle ou commerciale, sont libres »238.
On en déduit donc que la critique de produit en droit français
repose sur un principe de liberté. Aucune faute ne semble donc a
priori décelable.
Toutefois - et c'est ce qui nous intéresse ici -
motivée par une intention de nuire, la jurisprudence admet que la
critique sera considérée comme abusive, caractérisant en
cela un dénigrement fautif au sens de l'article 1382 du Code civil. Il
semblerait donc que les juges retiennent ici la théorie du Doyen Ripert.
En effet, le fait de critiquer - faisant partie intégrante de la
liberté d'expression - ne constituera pas en tant que tel un abus de
cette liberté sauf, lorsque le titulaire du droit l'exercera dans
l'intention de nuire à son sujet. Ce sera par exemple le cas lorsque la
critique s'accompagnera de moqueries excessives239, lorsque celle-ci
sera répétée240, ou encore, manifestement
adressée dans l'intention de discréditer241.
111. Alors bien entendu, le sujet de la critique peut varier.
Les propos sanctionnés au titre de l'article 1382 viseront parfois des
produits242, des services243, des marques244,
ou encore des oeuvres.
Toutefois, eu égard à cette dernière
catégorie que constitue celle des oeuvres - qu'il s'agisse d'une oeuvre
littéraire, cinématographique, picturale, gastronomique ou autre
- force est de constater que le seuil de la faute est rehaussé par les
juges. En effet, ceux-ci laissent généralement une plus grande
liberté de critique aux journalistes. Le dénigrement sera donc
d'autant plus difficile à caractériser245. En
témoigne par exemple, cet arrêt rendu par la deuxième
chambre civile à propos des colonnes de Buren parsemant la cour du
Palais Royal. Dans cette affaire la Cour légitima l'expression d'un
journaliste s'écriant « comment s'en débarrasser ?»
en faisant valoir qu'il n'y avait pas là de dénigrement
238 Civ. 2e, 24 avr. 2003 : Bull. civ.II.
n°112 ; Civ. 2e, 23 janv. 2003 : Bull. civ.II.
n°15.
239 CA Paris, 15 oct. 1980 : D. 1981, inf. rap. p.
56.
240 TGI Paris, 20 nov. 1985 : D. 1986, somm. p.448.
241 Civ. 1e, 28 janv. 1982 : D. 1984, somm.
p. 165.
242 Qualifier des vins de « picrate à peine
buvable » constitue un dénigrement fautif (Civ. 1e,
5 juil. 2006 : Bull. civ.I. n°356). Or, on remarque à la
lecture de l'arrêt que la Cour, pour retenir l'abus, se fonde moins sur
le critère de l'intention de nuire qui est en réalité
présumé - car le dénigrement implique l'intention
malveillante - que sur celui du manque d'arguments et justificatifs permettant
de publier un tel propos.
243 Civ. 2e, 5 avr. 2002 : Bull. civ.II,
n°112.
244 Civ. 1e, 8 avr. 2008, Aréva c/
Greenpeace : Bull. civ.I. n°104.
245 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, Traité de
droit de la presse et des médias, Lexisnexis, 2009, p. 731.
70
autre que « celui qu'autorise l'exercice du libre
droit de critique »246. Aussi, dans le même sens,
peut-on relever cet arrêt de la Cour ayant refusé la qualification
de dénigrement aux propos abjects propagés par un critique
à l'égard d'un spectacle de music-hall. Selon elle,
« étant donné les outrances de vocabulaire en usage dans
la présentation des spectacles de music-hall », le fait
d'avoir traité les paroliers « d'opportunistes »
ayant « massacrés les chansons de Bob Dylan »
était loin « d'excéder les limites d'une critique
mesurée et raisonnable »247.
112. Ensuite, parmi les autres types de fautes à
même d'engager la responsabilité civile délictuelle de leur
auteur, on retrouve la « fausse information » eu égard aux
produits ou services d'une entreprise. Or ici, aucune intention de nuire n'est
requise. En effet, indépendamment de la bonne foi de l'auteur des
propos, le simple fait de délivrer une information erronée -
dès lors qu'il en résulte un préjudice de nature
économique pour la victime - suffit à engager la
responsabilité civile délictuelle de ce dernier248.
113. Aussi, le fait de divulguer une information au contenu
confidentiel a pu permettre aux juges de faire droit à des actions
fondées sur la clausula generalis dès lors
qu'était avérée la lésion de nature
économique en découlant249.
114. Enfin, comme cela fut le cas dans la jurisprudence
Branly de 1951250 - où était en cause une atteinte
à un intérêt extrapatrimonial - on peut légitimement
penser que l'abstention fautive, dès lors que celle-ci
génèrera un dommage de nature patrimonial, sera toujours
susceptible d'engager la responsabilité civile de son auteur, et
à plus forte raison, si son comportement procède d'une intention
malveillante. C'est en tout cas ce qui a été jugé dans une
affaire récente251.
115. On observe donc que divers types de fautes - parfois
intentionnelles, parfois légères, de commission ou encore
d'abstention - sont retenues au titre de la responsabilité civile
délictuelle en vue de sanctionner l'auteur de propos abusifs ayant
porté atteinte à des intérêts de nature
économique. Or, comme le veut la maxime « specialia generalibus
derogant », quand bien même seraient réunis les trois
éléments conditionnant la mise en
246 Civ. 2e, 30 nov. 1988 : Bull. civ.II.
n°237.
247 Civ. 2e, 3 avr. 1979 : Bull. civ.II,
n°113.
248 V. en ce sens : CA Dijon, 28 mai 1986 : Gaz. Pal.
1987. I, somm. p. 35 ; Civ. 2e, 13 mai 1998 : Bull.
civ.II. n° 151.
249 Ainsi, d'une divulgation publique d'une note de service
d'un établissement bancaire (Civ. 1e, 3 nov. 2004 : Bull.
civ.I. n°238).
250 Civ. 27 fév. 1951 : Bull. civ. n°77.
251 V. Civ. 1e, 13 mars 2008 : Bull. civ.I.
n°73.
71
oeuvre de la responsabilité civile de droit
commun252, encore faut-il que les faits poursuivis soient distincts
d'une infraction pénale de presse au sens de la loi du 29 juillet
1881.
Sur ce point, il semblerait qu'une frontière quelque
peu précaire existant entre le délit civil que constitue le
dénigrement envers les produits et pénal que constitue la
diffamation envers les particuliers, puisse s'avérer être une
source de conflit de compétence entre le texte spécial de 1881 et
le droit commun qu'incarne l'article 1382 du Code civil.
Paragraphe 2 : Dénigrement et diffamation : une
frontière précaire
116. La frontière séparant le délit
pénal de diffamation envers les particuliers - réprimé par
l'article 29 de la loi sur la liberté de la presse - du délit
civil de dénigrement envers les produits et services - sanctionné
par l'article 1382 du Code civil - semble particulièrement poreuse. Par
un phénomène de « transcendance », il est
aisément envisageable que la critique abusive d'un produit puisse
traverser ce dernier pour finalement attenter à l'honneur ou à la
considération de son producteur.
117. Pourtant, en vue de limiter tout conflit de
compétence entre droit spécial et droit commun, une jurisprudence
constante admet que « les appréciations, même excessives
touchant les produits, les services ou les prestations d'une entreprise
industrielle ou commerciale, n'entrent pas dans les prévisions de
l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors qu'elles ne
concernent pas la personne physique ou morale »253.
La formule - claire et logique - implique donc qu'aussi excessive ou
mensongère soit la critique, dès lors qu'aucune personne morale
ou physique n'est mise en cause, l'article 29 de la loi de 1881 ne peut avoir
vocation à s'appliquer, la condition tenant à ce que soit mise en
cause une personne déterminée faisant
défaut254.
252 À savoir donc, la faute, le préjudice et le
lien de causalité.
253 Civ. 2e, 16 juin 2005 : Bull. civ.II.
n°156 ; Civ. 2e, 7 oct. 2004 : Bull. civ.II.
n°445 ; Civ. 2e, 8 avr. 2004 : Bull. civ.II.
n°182 ; Civ. 2e, 24 avr. 2003 : Bull. civ.II.
n°112 ; Civ. 2e, 23 janv. 2003 : Bull. civ.II.
n°15.
254 En effet, pour que le délit de diffamation de
l'article 29 de la loi sur la liberté de la presse puisse être
réprimé, trois conditions cumulatives sont exigées : une
imputation ou allégation d'un fait précis ; une mise en cause
d'une personne physique ou morale déterminée ; une atteinte
à l'honneur ou à la considération de cette personne (V.
M-L. Rassat, Droit pénal spécial, Précis Dalloz,
6e éd., 2011, p. 579 et s.). Ainsi, pour constituer une
diffamation, la critique d'un produit, même excessive doit - quand bien
même attenterait-elle à l'honneur ou à la
considération du producteur - mettre en cause ce dernier.
72
118. Or, difficile d'admettre dans certains cas qu'une
critique, bien que ne mettant pas en cause explicitement le producteur ou le
prestataire de service, n'ait eu pour dessein d'attenter à l'honneur de
ce dernier.
En effet, notons cet arrêt controversé rendu par
la première chambre civile le 27 septembre 2005255 dans
lequel il fut jugé que l'émission de télévision
« Combien ça coûte » portant sur les «
arnaques des régimes alimentaires » avait, par l'illustration
répétée d'une photographie publicitaire d'un produit, le
Cegisil, rendu identifiable son fabriquant, le laboratoire
Cegipharma, de sorte que les allégations
réalisées par le reportage étaient constitutives du
délit de diffamation de l'article 29 de la loi spéciale. Dans cet
arrêt, la Cour de cassation a donc reproché à
l'émission que la critique faite à l'égard des produits
vendus sur le marché, et notamment le Cegisil, ait «
par voie d'insinuation »256, visé son
fabricant, le laboratoire Cegifarma. Ainsi, la Haute juridiction a pu
estimer - les imputations étant selon elle suffisamment précises,
la personne mise en cause identifiable et le préjudice d'atteinte
à l'honneur avéré - que les conditions de mise en oeuvre
de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 relatives à la diffamation
envers les particuliers étaient réunies, le texte spécial
devant ainsi primer sur le texte général que constitue l'article
1382 du Code civil.
Il incombe de mesurer l'impact d'une telle décision
pour la victime. En effet, la qualification de « diffamation » au
détriment de celle de « dénigrement » a pour
conséquence majeure de faire primer l'application du régime
procédural très particulier de la loi sur la presse avec les
conséquences néfastes que l'on connaît pour l'aboutissement
de l'action civile en réparation menée par les
victimes257. En outre, il ressort de cet arrêt que la Cour
semble davantage vouloir asseoir l'exclusivisme du texte de 1881 que respecter
le principe d'interprétation stricte de la loi pénale qu'impose
l'article 111-4 du Code Pénal258. Cela est tout a fait
regrettable. Lorsque l'on connaît les difficultés que peuvent
poser les dispositions procédurales de la loi sur la presse aux victimes
- à la grande joie des responsables ! - ne devrait-on pas tout
simplement considérer que l'évocation explicite d'un produit
prime sur celle implicite de son producteur, de sorte que l'article 1382 du
Code civil doit trouver à s'appliquer ? Cela aurait en tout cas le
mérite de couper court à toute forme d'ambigüité.
255 Civ. 1e, 27 sept. 2005 : Bull. civ.I.
n°346.
256 Civ. 1e, 27 sept. 2005 préc.
257 Prescription trimestrielle, formalisme de la citation et
offre de preuve contraire du diffamateur notamment.
258 C. Rojinsky et L. Boubekeur, « Critiquer un produit
peut relever de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse »,
Légipresse n°229-III, Mars 2006, p. 42 ; V. art. 111-4 du
Code pénal.
119.
73
Néanmoins, il convient de le noter, quand bien
même le tracé de la frontière séparant le
dénigrement de la diffamation peut donner lieu à
interprétation, cette jurisprudence du 27 septembre 2005 ne semble
finalement constituer qu'un avatar jurisprudentiel. En effet, il apparaît
classiquement qu'aussitôt qu'un produit où service est visé
par des propos litigieux, la qualification opérée par les juges
va au dénigrement. En témoignent, un certain nombre de
décisions, à l'instar notamment de celle rendue par la
deuxième chambre civile en date du 16 juin 2005 dans l'affaire illustre
dite du Beaujolais. Dans cette affaire, étaient en cause des
propos dont le caractère diffamatoire aurait très certainement
à nouveau été retenu par la première chambre civile
si elle avait eu à statuer sur ce cas le jour de sa décision du
27 septembre 2005259. Pourtant, la deuxième chambre civile,
alors compétente pour statuer, considéra qu'en l'espèce
« seul le vin produit était mis en cause » et ce,
malgré de multiples allégations paraissant paradoxalement -
à notre sens - nettement remettre en cause les compétences des
viticulteurs.
120. Cette décision, ainsi que d'autres rendues dans
le même sens260, semble en réalité vouloir
redorer le blason de l'article 1382 du Code civil pour consolider l'idée
selon laquelle tout propos abusif mettant en cause un produit ou un service
doit être qualifié de dénigrement, dès lors
qu'aucune personne physique ou morale n'est explicitement mise en cause.
L'impérialisme du texte spécial, pour ce qui est des atteintes
mettant en cause un intérêt patrimonial, semble ainsi retrouver
ses limites. Mais qu'en est-il lorsque l'atteinte suscite la mise en cause d'un
intérêt de nature extrapatrimonial ? C'est ce qu'il convient
désormais d'examiner.
Section 2 : Les abus mettant en cause un
intérêt extrapatrimonial
121. Les intérêts extrapatrimoniaux renvoient
aux attributs inhérents à la personne en tant que sujet de droit.
Parmi ces attributs, incessibles, intransmissibles, figurent notamment le droit
à l'honneur, à la dignité, ou encore, le droit au respect
de la vie privée261 souvent nommés « droits de la
personnalité ». Leur atteinte ne génère pas un
préjudice d'ordre
259 En effet, parmi les propos poursuivis, figuraient
notamment : « les viticulteurs négligent la qualité de
leur vin en augmentant leur productivité » ; « font
pisser la vigne pour produire un maximum de vin » ; ou encore
« vendent des produits de mauvaise qualité ».
260 V. notamment : Civ. 2e, 8 avr. 2004 : Bull.
civ.II. n°182 ; Civ. 1e, 5 juil. 2006 : Bull.
civ.I. n°356.
261 R. Guillien et J. Vincent, Lexique des termes juridiques
2012, Dalloz, 19e éd., 2012, p. 391.
74
économique, mais d'ordre moral262. Ce sont
donc les intérêts moraux de la personne qui sont ici en cause.
122. La protection des intérêts moraux de la
personne est principalement assurée par la loi du 29 juillet 1881 qui
conserve un véritable monopole de compétence en la
matière. Les infractions de diffamation et injure, dont la
répression permet de sanctionner des atteintes à l'honneur ou
à la considération de la victime, nourrissent à ce titre
la grande majorité du contentieux de la presse. « De tous les
biens, le plus précieux à soigner est, sans contredit, celui
d'une bonne réputation »263 disait Dareau. Mais
quelle est la place occupée par l'article 1382 du Code civil en ce
domaine ?
123. Si la jurisprudence du 27 septembre 2005264
semblait vouloir mettre un terme définitif à la fonction
complétive de l'article 1382 pour consacrer au texte de 1881 le monopole
de l'arbitrage des intérêts moraux des victimes, cette ambition
fut rapidement détractée par ses commentateurs. Et cela, tant sur
le plan théorique que pratique (Paragraphe 1). Depuis cet arrêt,
la faute regagne donc sa place et continue, au gré des espèces
qui lui sont confiées, de « définir la protection
minimale mise à la disposition de toutes les victimes qui ne disposent
pas d'un instrument plus efficace » 265 (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : les enseignements de la jurisprudence du 27
septembre 2005
124. Après s'être penché dans la
première partie266 sur la question de la
légitimité théorique de cette jurisprudence de 2005 au
regard des grands principes gouvernant notre droit, et fondamentalement ceux
encadrant la responsabilité civile extracontractuelle267, il
convient de s'intéresser maintenant à la portée pratique
de cette jurisprudence. En effet, en théorie nous l'avons vu, les
arguments penchent de façon nettement favorable pour une application
complétive de l'article 1382 du Code civil vis à vis du texte
spécial. Or, la pratique nous permet-elle de tirer des conclusions
semblables ? La vocation subsidiaire de
262 Il convient toutefois de préciser que la
lésion d'un intérêt moral n'exclu pas pour autant celle
concomitante d'un intérêt économique. Il ne faut donc pas
cloisonner ces intérêts en ce sens que les frontières les
séparant sont souvent bien maigres. Nul doute que la
révélation au grand public d'une information à
caractère diffamatoire et au contenu dégradant relative à
un entrepreneur puisse être largement nuisible pour l'image de son
entreprise et donc pour la prospérité économique de cette
dernière.
263 F. Dareau, Traité des injures dans l'ordre
judiciaire, 1777, Discours préliminaire, p. vij.
264 Attention, nous parlons ici de la jurisprudence du 27
septembre 2005 étudiée dans la Partie I (Supra
n°80) et non de celle rendue en matière de diffamation et
dénigrement étudiée dans la Partie II (Supra
n°118).
265 G. Viney, « Pour ou contre un principe
général de responsabilité pour faute?»,
Mél. P. Catala, Litec 2001, p. 557.
266 V. Supra n°81 et s.
267 V. sur ce point : P. Jourdain, Les principes de la
responsabilité civile, Dalloz, 7e éd., 2007.
75
la responsabilité pour faute ne constitue t-elle pas
une menace au contact de la liberté d'expression ?
125. Rappelons-le, mardi 27 septembre 2005, la
première chambre civile de la Cour de cassation déclara que
« les abus de la liberté d'expression envers les personnes ne
peuvent être poursuivis sur le fondement de l'article 1382 du Code civil
»268 : la formule retentit alors comme un coup de
tonnerre. Aucun abus de la liberté d'expression dont la portée
attente à la personne - à ses intérêts
extrapatrimoniaux - ne peut désormais fonder une action au regard de la
responsabilité civile de droit commun. Il importe donc peu que
l'intérêt lésé soit ou non pris en
considération par la loi sur la liberté de la presse, aucune
allusion n'étant faite à celle-ci par la première
chambre.
126. Sauf à considérer que la loi du 29 juillet
1881 se suffit à elle-même pour assurer l'équilibre entre
la liberté d'expression d'une part et le droit des personnes de
l'autre269, il semblerait qu'il puisse y avoir des abus de la
liberté d'expression dont les conséquences dommageables ne
justifieront aucune réparation. Pourtant, si une approche
théorique permettait déjà aisément de s'incommoder
d'un tel constat270, nous pouvons d'ores et déjà
affirmer que la pratique paraît corroborer ce sentiment d'indignation. En
effet, comment avec une telle jurisprudence, les victimes de propos ne se
confondant ni avec la diffamation ni avec l'injure publique, mais dont le
caractère dénigreur est incontestable, trouveront
réparation271 ? Comment espérer que soient
sanctionnés les propos heurtant de façon
délibérée les convictions religieuses, tout en sachant que
les articles de la loi sur la presse censés les protéger
272 , sont inaptes à remplir cette tâche de
manière satisfaisante273? Comment aussi sanctionner le
directeur de publication n'assurant pas son rôle de contrôle et de
surveillance des annonces qu'il diffuse274 ? Comment rappeler
à
268 Civ. 1e, 27 sept. 2005 préc.
269 Conformément au Doyen Carbonnier : V. J. Carbonnier,
« Le silence et la gloire », D. 1951, chron. p.
119.
270 V. Supra n°96 et s.
271 Pour des exemples de dénigrement de la personne
retenus en jurisprudence : Civ. 2e, 15 avr. 1999 : Comm. com.
électr. 1999, comm. 14 ; Civ. 2e, 5 juillet 2001 :
LPA 24 sept. 2001, p.7 ; Civ. 2e, 13 fév. 1991 :
Bull. civ.II. n°51.
272 La protection des convictions religieuses est
assurée par les délits de provocation à la haine
religieuse (Art. 24 al. 6) et d'injure et diffamation à caractère
discriminatoire (art. 32 et 33) de la loi du 29 juillet 1881.
273 V. en ce sens : Ph. Malaurie, Les personnes, Les
incapacités, Défrénois, 3e éd.,
2007, n°328 ; E. Dreyer, « Disparition de la
responsabilité civile en matière de presse », D. 2006,
p. 1140 ; G. Lécuyer, Traité de droit de la presse et des
médias, Lexisnexis, 1ère éd., 2009, p.
720.
274 V. Civ. 2e, 10 juin 2004 : RTDciv.
2004, p. 728, appliquant l'article 1382 contre un directeur de publication
publiant des petites annonces mensongères.
76
l'ordre le journaliste méconnaissant son obligation de
vérification de l'exactitude des informations qu'il
diffuse275 ou manipulant l'histoire pour accréditer ses
thèses276?
127. Alors bien évidemment, ces espèces sont
relativement rares et ne recouvrent qu'une proportion infime du contentieux de
la presse. Mais ne suffisent-elles pas à discréditer les tenants
de la thèse du « système juridique clos » partisans
d'une éradication complète de la responsabilité civile de
droit commun dans le domaine de la liberté d'expression ? On peut se le
demander. Bien entendu, face au phénomène d'objectivation que
connaît la responsabilité civile se traduisant en partie par la
multiplication des régimes spéciaux277, la
subsidiarité semble être devenue l'essence même de l'article
1382 du Code civil278. Mais ce constat est, et doit demeurer, un
signe de perfection de notre droit. Cela permet en effet d'éviter
l'inconfortable situation à laquelle certaines victimes sont parfois
injustement confrontées : le vide juridique279.
Heureusement, un certain nombre d'arrêts rendus
postérieurement à cette décision attestent du
prosélytisme inépuisable dont fait preuve la
responsabilité civile de droit commun. Comme le souligne le professeur
Philippe Brun, « deux siècles plus tard, le totem est encore
debout »280. Le paysage jurisprudentiel en atteste, et
semble finalement avoir transformé l'arrêt du 27 septembre 2005 en
une brèche sans conséquences.
Paragraphe 2 : La résurrection de la
responsabilité pour faute
128. « Chassez la faute, elle revient au galop
» disait Philippe le Tourneau281. L'auteur avait vu juste.
C'est du moins ce que nous montrent les évolutions récentes de la
jurisprudence semblant vouloir ranimer la subsidiarité de la
responsabilité civile de droit commun (A). Plus surprenant en revanche,
c'est un retour à sa fonction substitutive que certains juges paraissent
tenter de lui assigner (B).
275 V. T. civ. Seine, 19 juin. 1963 : JCP 1963-II,
n°13379, appliquant l'article 1382 du Code civil contre un journaliste
pour inexactitude des informations fournies.
276 V. T. civ. Seine, 3 janv. 1934 : Gaz. Pal. 1934, 1,
p.541.
277 V. sur ce point : G. Viney, Introduction à la
responsabilité, LGDJ, 3e éd., 2008, p. 35 et
s.
278 E. Dreyer, Responsabilité civile et pénale
des médias, Lexisnexis, 3e éd. 2011, p. 18.
279 V. A-M. Ho Dinh, « Le « vide juridique
» et le « besoin de loi ». Pour un recours à
l'hypothèse du non-droit », PUF, l'année sociologique,
2007/2 vol. 57, p. 419 et s.
280 Ph. Brun, Responsabilité civile
extracontractuelle, Litec, 2e éd., 2009, p. 173,
n°337.
281 Ph. le Tourneau, « La verdeur de la faute dans la
responsabilité civile », RTDciv. 1988, p. 512.
77
A. Le phénomène de «
démagnétisation » de la loi de 1881
129. Nombreuses sont les espèces, qui
postérieurement au 27 septembre 2005, ont témoigné d'une
volonté de « revitaliser » la fonction complétive du
droit commun telle que l'avait envisagé l'assemblée
plénière le 12 juillet 2000. L'un des premiers arrêts ayant
marqué cette tendance fut celui rendu le 30 octobre 2008 par la
première chambre civile de la Cour de cassation282.
Dans cette affaire, une association avait attribué la
paternité d'un article de presse au contenu déplaisant à
une personne qui n'en était pas l'auteur. L'intéressé agit
en responsabilité civile estimant qu'une faute avait été
commise au sens de l'article 1382 du Code civil. Les juges du fond
décidèrent alors de le débouter en sa demande
d'indemnisation estimant que l'écrit ayant un caractère
diffamatoire au sens de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881,
l'assignation aurait dû respecter le formalisme imposé par
l'article 53 de cette même loi de sorte que celle-ci est nulle pour vice
de forme. L'arrêt est cassé pour fausse application des articles
29 et 53 du texte spécial, et pour refus d'application de l'article 1382
du Code civil.
À n'en pas douter, l'objectif fut ici de restaurer la
fonction complétive de la clausula generalis en présence
de faits distincts d'une infraction de presse, quand bien même
l'intérêt lésé était de nature
extrapatrimonial. Aussi, la Haute juridiction a semblé vouloir porter un
coup à l'interprétation extensive faite par la jurisprudence des
infractions de diffamation et d'injure pour là encore, mieux laisser la
faute civile s'exprimer en marge du texte spécial283. Cela
est d'ailleurs tout à fait louable, au regard des grands principes
gouvernant notre droit positif et notamment, celui d'interprétation
stricte de la loi pénale284.
130. Par la suite, d'autres arrêts poursuivirent ce
pas. Pour ne citer que quelques décisions, on notera cet arrêt de
la Cour d'appel d'Orléans rendu le 22 mars 2010285 dans
lequel les juges du fond ont décelé une faute civile distincte
d'une diffamation pour un bloggeur ayant par l'allégation de propos
désobligeants, discrédité un maire auprès de ses
électeurs, sans pour autant lui imputer de faits suffisamment
précis. On relèvera aussi cet
282 Civ. 1e, 30 oct. 2008 : Bull. civ.I.
n244.
283 P. Jourdain, « Le discret retour de l'article 1382
en matière de presse », RTDciv. 2009, p. 332.
284 V. Sur ce point : F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit
pénal général, Economica, 16e éd.,
2009, n220 et s. ; Aussi, pour une interprétation de ce principe : V.
CEDH, Achour c/ France, 29 mars 2006, n°67335/01 pour qui un tel
principe « commande de ne pas appliquer la loi pénale de
manière extensive au détriment de l'accusé, par exemple,
par analogie ».
285 CA Orléans, 22 mars 2010, CCE 2010, n91, obs.
A. Lepage.
78
arrêt de la deuxième chambre civile du 20 mai
2010286, ayant admis que la campagne de discrédit
menée par une association à l'encontre d'un établissement
bancaire était constitutive d'un dénigrement fautif au sens de
l'article 1382 du Code civil. Dans le même sens, ce jugement du Tribunal
de grande instance de Paris rendu en 2010287, ayant admis qu'un
Ordre puisse agir sur le fondement de la responsabilité pour faute pour
sanctionner des propos offensants envers la profession qu'il représente,
caractérisant un cas de dénigrement civil distinct de la
diffamation. Enfin, dernière décision révélatrice
de cette volonté de réfréner l'emprise du texte
spécial, cet arrêt de la chambre criminelle du 19 janvier
2010288, se refusant à admettre que le dénigrement
d'un produit puisse rejaillir sur son producteur pour se fondre en
diffamation.
Philippe Le Tourneau l'avait donc justement prédit. Le
« chasseur » du 27 septembre 2005 n'avait qu'à bien se tenir.
C'est bien au « galop » que la faute comptait assurer son retour dans
le domaine de la presse pour raviver son rôle complétif. Et bien
plus encore.
B. Le singulier retour de la fonction substitutive de
l'article 1382
131. Étonnamment, on remarque que certaines
décisions semblent vouloir aller encore plus loin dans la perspective de
résurrection de la responsabilité civile de droit commun. En
effet, comme si la fonction complétive de l'article 1382 du Code civil
ne suffisait pas, c'est une fonction substitutive que certains juges semblent
vouloir lui conférer. Comme d'antan, la victime aurait la
possibilité de se prévaloir de l'article 1382 du Code civil,
quand bien même l'on serait en présence de faits correspondant
à l'élément matériel d'une infraction de presse.
132. Pour exemples, deux jurisprudences
récentes289 ont été mises en avant par le
spécialiste du droit de la presse Emmanuel Dreyer, attestant du fait que
le recours au droit commun pour sanctionner des propos litigieux avait
été opéré au détriment de l'application de
l'article 29 de la loi spéciale de 1881. Pourtant, selon ce dernier, les
propos étaient constitutifs du délit pénal de diffamation,
et non du délit civil de dénigrement290.
286 Civ. 2e, 20 mai 2010 n°09-14.111,
inédit.
287 TGI Paris, 19 mai 2010 : Légipresse 2010.
290, note F. Masure.
288 Crim. 19 janv. 2010 : CCE 2010, n°39, obs. A.
Lepage.
289 Com., 18 oct. 2011, n°10-24.808, non publié au
bulletin et Civ. 1e, 22 sept. 2011, n°05-10.156,
inédit.
290 E. Dreyer, « Panorama droit de la presse et droit de
la personnalité », Recueil Dalloz, 22 mars 2012, n°15.
79
Sans se pencher sur la véracité de son analyse,
il convient toutefois de relativiser ces jurisprudences qui nous semblent avant
tout être révélatrices des difficultés que peuvent
susciter les espèces en terme de qualification. En effet, nous ne
pensons pas que par ces arrêts, la Cour ait eu pour dessein de revenir au
temps où l'article 1382 du Code civil pouvait servir de fondement
alternatif au texte spécial sans provoquer quelconque
émulation.
D'ailleurs, n'en déplaise au professeur Dreyer, nous
estimons qu'il serait parfaitement malvenu de revenir à une telle
pratique291. Non seulement d'un point de vue juridique, car cela
reviendrait à coup sûr à priver le texte de 1881 de toute
sa substance et constituerait une violation totale de la maxime specialia
generalibus derogant, mais aussi, d'un point de vue pratique. En effet,
les incriminations spéciales ont pour avantage non négligeable
d'assurer une certaine prévisibilité au journaliste pour
évaluer si tel ou tel propos est ou non abusif au sens de la loi. De
plus, la généralité de la lettre de l'article 1382
risquerait très probablement de conduire le juge à devoir s'en
référer à un stéréotype du « bon
professionnel prudent et diligent » agissant en « bon père de
famille ». S'agit-il franchement des qualités requises pour
être un bon journaliste ? On peut en douter. Nous ne voulons pas d'une
presse consensuelle se fondant dans la complaisance en vue de satisfaire aux
critères changeants façonnés par les juges.
133. Alors bien entendu, comme le proposent de nombreux
auteurs292et comme l'eurent tenté certains
juges293, on pourrait ne retenir comme fautifs que les propos
révélateurs d'une faute qualifiée. Mais n'y a t'il pas
là encore un fort risque d'arbitraire ? C'est la raison pour laquelle,
la précision des délits de presse tels qu'envisagés par le
législateur de 1881 semble en tout état de cause, incarner un
vrai gage de sécurité pour les organes de presse mais aussi, pour
la sauvegarde de la liberté d'expression.
Il résulte de ce chapitre que le domaine de
compétence de l'article 1382 du Code civil, bien que résiduel,
demeure, et ce malgré le pouvoir d'attraction exercé par la loi
de
291 Pour son plaidoyer en faveur d'une restauration de la
responsabilité civile de droit commun en matière de presse :V. E.
Dreyer, Responsabilités civile et pénale des
médias, LexisNexis, 3e éd., 2011, n°25, p.
22.
292 V. par exemple en ce sens : G. Viney, note sous Civ.
2e, 24 janv. 1996, JCP G, 1996. I. 3985 ; N. Droin, Les
limites à la liberté d'expression dans la loi sur la presse du 29
juillet 1881, Disparition, permanence et résurgence du délit
d'opinion, LGDJ, 2011, p. 74 ; E. Dreyer, op. cit. p. 23.
293 V Supra n°92 et s.
80
1881. Selon la nature de l'intérêt
lésé, la marge d'expression de la responsabilité pour
faute varie, au grès des espèces, sans certitudes, sans
véritables repères.
Mais une chose est sûre : son domaine d'intervention ne
peut pas - en principe - empiéter sur celui de la loi sur la
liberté de la presse. La même observation peut d'ailleurs
être faite pour ce qui est des atteintes à certains droits
subjectifs apparus plus récemment et spécialement
protégés par la loi. Il s'agit en effet de ces « nouveaux
droits de la personnalité » que constituent essentiellement, le
droit au respect de la vie privée, de la présomption d'innocence
et de l'image et qui contribuent largement à ce phénomène
de rejet de l'article 1382 du domaine de la presse.
Chapitre 2 : La protection civile autonome des «
nouveaux droits de la personnalité » 294
134. Depuis peu, le droit à
l'information295 prend de plus en plus d'importance dans nos
systèmes juridiques. Descendant de droits fondamentaux tels que la
liberté d'expression ou son corollaire, la liberté de la presse,
un tel droit ne peut prospérer sans connaître quelques
limites296. Parmi celles-ci, figurent celles que constituent les
nouveaux droits de la personnalité297 occupant une place
prépondérante dans le contentieux de la presse.
135. La diversification des supports de presse,
l'avènement de l'image comme outil d'information, l'évolution des
moeurs, ont permis à certains journaux d'utiliser la liberté
d'expression comme moyen de repousser les limites de l'indiscrétion. Les
détails croustillants rythmant la vie des stars, le triste sort que
risque de connaître l'accusé non encore jugé ou le
passé parfois sulfureux de nos dirigeants politiques sont autant de
sujets
294 « Nouveaux », par opposition à ce que
nous pourrions nommer les « anciens droits de la personnalité
». Nous avons en effet pu observer qu'un certain nombre d'anciens droits
de la personnalité - le droit à l'honneur, à la
considération, au respect des croyance, à la dignité -
étaient déjà pris en compte par la loi sur la
liberté de la presse de 1881. Or, depuis, de nouveaux droits entrant
dans cette catégorie sont apparus. Récemment consacrés
dans notre Code civil, ils nourrissent aujourd'hui une part très
importante du contentieux de la presse. Il s'agit en effet principalement du
droit au respect de la vie privée, de la présomption d'innocence,
de l'image, de la voix et du nom.
295 Le droit à l'information est
considéré comme le prolongement de la liberté
d'expression. Il s'agit d'une notion polysémique. On s'accorde à
dire que le droit à l'information implique deux prérogatives
juridiques indissociables : le droit d'informer et le droit d'être
informé dont disposent respectivement les organes de presse et le
public.
296 Ch. Debbasch, Droit des médias, Dalloz,
2e éd., 2002, p. 979.
297 Les droits de la personnalité illustrent un
ensemble de prérogatives innées dont la fonction est de
protéger l'intégrité physique ou morale dans les rapports
entre particuliers : V. Ph. Malaurie et L. Aynès, Les personnes, la
protection des mineurs et des majeurs, Défrénois,
4e éd., 2009, n°280 et s.
81
auxquels nous nous sommes accoutumés en vue de
satisfaire nos curiosités plus ou moins malsaines.
136. Le droit devait donc s'adapter à cette nouvelle
demande. Il appartenait au législateur d'assurer d'une part, le droit
à l'information, et d'autre part, les « droits au respect »
que constituent les droits de la personnalité. Parmi ceux-ci, il
apparaît clairement que les droits au respect de la vie privée et
à la présomption d'innocence remplissent un rôle essentiel
dans la protection des personnes faisant l'objet d'articles de presse (Section
1). Pourtant, au-delà de ces deux droits fondamentaux
multi-consacrés, d'autres attributs de la personne humaine, aux bases
légales indéfinies, font l'objet d'une protection
jurisprudentielle essentielle (Section 2). Aussi, les modalités tenant
à la réparation de ces divers droits devront, de part leurs
spécificités, faire l'objet de quelques éclaircissements
(Section 3).
Section 1 : Presse, droit au respect de la vie
privée et présomption d'innocence
137. En vue d'assurer la protection civile de droits
inhérents à la personne, un « droit spécial de la
responsabilité civile »298 est apparu au cours du
XXème siècle299. Le législateur a en effet mis
en place les dispositions spécifiques que constituent les articles 9 et
9-1 du Code civil protégeant respectivement la vie privée et la
présomption d'innocence dont dispose tout titulaire de la
personnalité juridique. Après s'être penché sur leur
régime juridique (Paragraphe 1), il sera intéressant d'examiner
quelles sont les relations entretenues par ces dispositions avec celles que
constituent l'article 1382 du Code civil et la loi sur la liberté de la
presse (Section 2).
Paragraphe 1 : Une protection assurée par les
articles 9 et 9-1 du Code civil
138. Les protections civiles spéciales relatives
à la vie privée (A) et à la présomption d'innocence
des personnes (B) constituent des remparts importants à la
liberté d'expression. Il convient dès lors de s'intéresser
au contenu de ces notions pour ainsi mieux cerner les hypothèses dans
lesquelles les organes de presse seront susceptibles de voir leur
responsabilité engagée.
298 Ch. Debbasch, H. Isar, X. Agostinelli, Droit de la
communication, Précis Dalloz, 1e éd., 2002,
p.672.
299 V. notamment, sur cette question de l'avènement des
droits de la personnalité : A. Decocq, Essai d'une théorie
générale des droits sur la personne, Thèse Paris,
LGDJ, 1960 ; G. Goubeaux, Traité de droit civil, Les
personnes, LGDJ, 1989.
82
A. La liberté d'expression face au butoir de la
vie privée
139. Depuis une loi du 17 juillet 1970300, le Code
civil dispose en son article 9 que « Chacun a droit au respect de sa
vie privée »301. Or, il convient de souligner que
ce droit - et nous verrons qu'il ne s'agit pas d'un détail de moindre
importance - outre son assise légale en droit interne, est aussi
consacré par une multitude de textes à valeur
supra-législative parmi lesquels figurent notamment l'article 8-1 de la
Conv. EDH et l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne. À ce titre, il est dès lors possible
d'affirmer que le droit au respect de la vie privée possède une
égale valeur normative que la liberté d'expression. Le juge saisi
d'une affaire confrontant ces deux droits fondamentaux devra donc rechercher au
mieux leur équilibre et s'attacher - lorsqu'il s'agit de trancher un
litige - à faire primer « la solution la plus protectrice de
l'intérêt légitime »302.
140. Mais qu'englobe cette notion de « vie privée
» ? En l'absence de définition légale, il appartenait
nécessairement à la doctrine303 et à la
jurisprudence de s'atteler à en dégager les
éléments de contenu. En effet, d'une façon
générale, la jurisprudence nous montre que relève de la
vie privée l'ensemble des évènements recouvrant la vie
d'une personne. Parmi ceux-ci, figurent notamment la vie sentimentale,
familiale, les problèmes de santé, mais aussi, tout ce qui
concerne les opinions politiques et les tendances religieuses.
141. Il serait bien entendu impossible de dresser une liste
exhaustive de toutes les facettes qu'intègre la vie privée, tant
les cas d'espèce sont divers et évoluent continuellement avec le
temps. Il est cependant essentiel de souligner l'aspect éminemment
relatif de cette notion. En effet, si le grand principe - souffrant de
multiples exceptions304 - demeure celui posé par un
arrêt de la première chambre civile de 1990 ayant
précisé que « toute personne, quels que soient son rang,
sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou à
300 Loi n° 70-643 du 17 juillet 1970 tendant à
renforcer la garantie des droits individuels des citoyens.
301 Pour le moment nous concentrerons notre étude sur
cet alinéa premier de l'article 9. L'alinéa second fera l'objet
d'une analyse dans la Section 3. Nous y étudierons les modalités
de réparation.
302 Civ. 20 oct. 1993 : Bull. civ.I. n°295.
303 Les recherches doctrinales peuvent être
scindées en deux grands ensembles. On a d'une part, l'approche
objective, fondée sur l'opposition entre vie privée et vie
publique, et d'autre, l'approche subjective, fondée sur
l'idée de confidentialité, de ce que l'individu veut garder pour
secret : V. sur ce point, Ch. Debbasch, Droit des médias,
Dalloz, 1999, n°2991 et s.
304 V. infra n°186 et s.
83
venir, a droit au respect de sa vie privée
»305, nul doute que ce qui peut relever de la
sphère privée pour les uns ne le sera pas nécessairement
pour les autres306.
142. Toujours est-il que la victime, pour qu'elle puisse se
prévaloir d'une créance de réparation à l'encontre
de celui ayant attenté à sa vie privée, devra
nécessairement prouver - outre la violation de sa vie privée -
deux éléments.
Tout d'abord, l'absence de consentement à la
publication. Il faut savoir que celui-ci ne se présume pas307
et doit en principe être exprès. Il peut toutefois selon les cas
être tacite308. Aussi, quand bien même la victime aurait
consenti à la publication d'un ou plusieurs détails de sa vie
privée, son consentement ne vaut a priori que pour les
informations en question309.
Ensuite, la victime devra prouver qu'elle est identifiable.
Cette condition d'identification est valable tant pour les
écrits310, que pour les images litigieuses311 et
fait l'objet d'une interprétation relativement stricte en
jurisprudence.
Après avoir observé quelques aspects du
régime juridique du droit au respect de la vie privée, il
convient de s'intéresser maintenant à un autre droit de la
personnalité constituant lui aussi une limite de taille à
l'exercice de la liberté d'expression : le droit au respect de la
présomption d'innocence.
B. La présomption d'innocence, autre limite
à l'information
143. Il est avant tout nécessaire de souligner
l'importance du droit affirmé par l'article 91 du Code civil disposant
que « chacun a droit au respect de la présomption
305 Civ. 1e, 23 oct. 1990 : Bull.
civ.n°222.
306 D. De Bellescize, L. Franceschini, Droit de la
communication, PUF, 2e éd., 2011, p. 418.
307 TGI Paris, 4 nov. 1965 : Gaz. Pal. 66. I. 37.
308 Là encore, la jurisprudence procède au cas
par cas. Une partie de la doctrine a défendu la théorie du
consentement tacite (V. notamment : R. Badinter, « Le droit au
respect de la vie privée », JCP 1968, I. 2136 ; D.
Becourt, Le droit de la personne sur son image, LGDJ, Paris, 1969) et
fût ponctuellement suivie par la jurisprudence (V. par exemple : CA
Versailles, 15 janv. 2009 : Légipresse 2009, n°259. I. p.
38 ; TGI Nanterre, 6 avr. 1995 : Gaz. Pal. 1996. I. 213).
309 Cette règle dite de la spécialité
du consentement repose sur le principe d'indisponibilité des droits
et attributs de la personnalité. On ne peut consentir à
l'utilisation illimitée de ses attributs de la personnalité : sur
cette question - encore une fois à nuancer selon les espèces -
voir : B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, Traité de droit de la
presse et des médias, Lexisnexis, 1ère
éd., 2009, p. 938 et s.
310 Il a été jugé qu'une personne
s'estimant lésée du fait de la publication d'une fiction
inspirée d'éléments de sa vie privée ne peut se
prévaloir du droit à réparation qu'offre l'article 9 du
Code civil que ci cette dernière est identifiable avec certitude par les
lecteurs : TGI Paris, 3avr. 2006 : Légipresse 2006, n°231.
I. p. 72.
311 À titre d'exemple, le fils de Carla Bruni a
été débouté en sa demande de réparation de
l'atteinte portée à son image car la photographie litigieuse ne
le faisait qu'apparaître de dos : TGI Nanterre, ord. réf., 25
sept. 2008 : Légipresse 2008, n°255. I. p. 134.
84
d'innocence »312. Ce principe a
été inscrit dans le Code civil en vue de permettre à toute
personne mise en cause de pouvoir faire respecter son innocence hors de le la
sphère judiciaire. Par conséquent, ce texte s'adresse moins aux
organes de la procédure pénale - qui respectent
déjà ce principe en vertu de l'article 9 de la DDHC - qu'aux
organes de presse qui très souvent, se passionnent pour les
épisodes judiciaires313.
144. Il faut bien comprendre, que s'il est un principe
permettant de distinguer la démocratie du despotisme, c'est bien la
présomption d'innocence. En effet, la démocratie veut que toute
personne puisse être considérée comme innocente du moment
qu'aucune déclaration définitive de culpabilité ne permet
d'en juger autrement. Dans un État despotique au contraire,
l'accusé sera très souvent d'ores et déjà
considéré comme coupable sans qu'aucun jugement ne soit encore
rendu314.
Il serait vain d'évoquer toutes les espèces
où la présomption d'innocence a pu être allègrement
violée par la presse315. On peut toutefois se
remémorer les tristement célèbres affaires Dreyfus et
Outreau, particulièrement révélatrices des
désastres pouvant provoquer le non respect d'un tel principe. Ces deux
exemples, espacés dans le temps, illustrent parfaitement comment tant
hier qu'aujourd'hui, en raison de la puissance des médias, certains
innocents ont pu passer du jour au lendemain pour d'ignobles criminels aux yeux
de l'opinion public. Pourtant, « ces présumés coupables
du premier jour ont vu les mêmes journalistes prendre fait et cause pour
la thèse de leur innocence » lorsque celle-ci fut
établie en justice316.
Il apparaît donc primordial, tant d'un point de vue
idéologique qu'humain, de faire respecter ce principe cardinal que
constitue la présomption d'innocence par les médias.
145. Bien entendu, l'idée n'est pas d'interdire aux
médias la diffusion d'informations relatives au déroulement de la
procédure, auquel cas la liberté d'expression - et a fortiori
le droit à l'information - se trouverait fortement amputée.
Toutefois, dans sa mission de rapporteur, le journaliste se doit de ne laisser
apparaître aucune conviction de culpabilité à
312 Art. 9-1 modifié par la loi n°2000-516 du 15
juin 2000. Selon cette loi, l'atteinte à la présomption
d'innocence est caractérisée dès lors « qu'une
personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement
comme coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une
instruction judiciaire ».
313 E. Dreyer, « Panorama droit de la presse et droits
de la personnalité », Recueil Dalloz, 17 mars 2011,
n°11
314 Sous réserve bien sûr, qu'il parvienne à
prouver son innocence (si tant est que les despotes s'en soucient !).
315 Mais pas seulement par la presse ! « La
présomption d'innocence est régulièrement bafouée
jusqu'au plus haut sommet de l'État » : V. pour quelques
exemples : C. Prieur, « Présumé innocent ou
présumé coupable, les termes du débat », Le
Monde, 7 fév. 2011.
316 C. Charrière-Bournazel, «
Présomption d'innocence et liberté d'expression » in
Combat d'un bâtonnat, 24 août 2006,
http://www.charriere-bournazel.com/categorie/combat-dun-batonnat.
85
l'égard du mis en cause. Inutile alors de
préciser combien la frontière entre le permis et l'interdit est
poreuse. Les interprétations souvent contradictoires entre les juges du
fond et la Haute juridiction peuvent d'ailleurs en
témoigner317.
Les articles 9 et 9-1 du Code civil participent donc tous deux
à la mise en place de remparts solides à l'extension de la
liberté d'expression et au-delà desquels hélas, nombreux
imprudents, souvent motivés par la rentabilité commerciale,
aiment à s'aventurer. Mais quelles sont les relations entretenues par
ces dispositions civiles spéciales avec l'article 1382 du Code civil et
la loi du 29 juillet 1881 ? Nous allons voir que la question n'est pas
dépourvue d'intérêt tant les possibilités de
confusion de qualification sont nombreuses.
Paragraphe 2 : Les articles 9 et 9-1 dans leurs rapports
avec les textes concurrents
146. Dès lors que la faute est constitutive d'une
atteinte portée à la vie privée ou à la
présomption d'innocence de la victime, il semblerait que les articles 9
et 9-1 du Code civil supplantent la clausula generalis (A). Il en va
autrement concernant leur relation avec la loi sur la liberté de la
presse qui nous le verrons, paraît là encore chercher à
asseoir son hégémonie (B).
A. L'exclusivisme face à la
responsabilité pour faute
147. Quelques temps avant les célèbres
arrêts de l'assemblée plénière du 12 juillet 2000,
la Cour d'appel de Paris affirmait la chose suivante : « Le
régime général de la responsabilité civile,
qu'aucun texte n'exclut en matière de presse ou d'édition, ne
peut toutefois trouver à s'appliquer que lorsque la publication
litigieuse ne relève pas des dispositions spéciales de la loi du
29 juillet 1881 ou de celles des articles 9 et 9-1 du Code civil
»318. Par conséquent, les articles 9 et
9-1 sont d'application exclusive à l'égard de l'article 1382 du
Code civil.
148. Une telle solution est-elle justifiée ? Il semble
en tout cas qu'elle soit en accord avec la logique adoptée par la
jurisprudence constante concernant les rapports entre la loi du 29 juillet 1881
et l'article 1382. Les arguments avancés au soutien de celle-ci
pourraient
317 V. à titre d'exemples : Civ. 1e, 19 oct.
1999 : Bull. civ.I. n286 ; Civ. 1e, 21 fév. 2006 :
Bull. civ.I. n89. Dans ces deux arrêts, la Cour de cassation
fait valoir que les articles de presse en question ne tiennent «
aucune conclusions définitives tenant pour acquise la culpabilité
» du mis en cause, démentant ainsi l'analyse des juges du
fond.
318 CA Paris, 12 mai 2000 : D. 2000, Jurisp. p. 796,
note D. Boccara.
86
d'ailleurs être repris. En effet, une telle solution est
vraisemblablement destinée à sauvegarder au mieux la
liberté d'expression car la portée plus restrictive de la
protection assurée par les articles 9 et 9-1 permet d'assurer une plus
grande prévisibilité au journaliste de ce que constitue ou non un
abus aux yeux de la loi. Aussi, il semblerait qu'elle coïncide avec le
principe specialia generalibus derogant, l'article 1382 du Code civil
faisant figure de droit commun à l'égard de ces dispositions.
149. Néanmoins, l'autonomie des articles 9 et 9-1 vis
à vis de l'article 1382, bien qu'affirmée319, ne vaut
pas pour autant rupture complète avec les règles du droit commun
de la responsabilité civile320. Bien entendu, les multiples
décisions ayant fait valoir que « la seule constatation de
l'atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation
»321 pourraient être perçues comme
l'illustration d'un incontestable détachement de l'article 9 vis
à vis de l'article 1382. Or, tout d'abord, il n'est pas vain de rappeler
que c'est justement l'article 1382 du Code civil qui a permis
l'avènement du concept des droits de la personnalité. Comme le
rappelle Geneviève Viney, c'est à partir des diverses
jurisprudences rendues au visa de l'article 1382 en vue de condamner les
atteintes portées aux intérêts moraux des victimes que la
doctrine a élaboré une véritable théorie des droits
de la personnalité322. De plus, comme pour la
responsabilité pour faute, la réparation est
évaluée en fonction du préjudice subi et comme celle-ci
encore, le défendeur à l'action sera toujours la personne
physique ou morale responsable de l'atteinte
alléguée323.
Tout cela nous amène finalement à
considérer qu'en réalité les articles 9 et 9-1 contribuent
pour l'essentiel à préciser la notion de faute à laquelle
renvoie l'article 1382 du Code civil, ce qui semble davantage correspondre aux
exigences de précision et prévisibilité prévues par
les articles 11 de la DDHC et 10 de la Conv. EDH. On peut donc se
réjouir de l'exclusivisme de ces dispositions civiles spéciales
vis à vis de la responsabilité pour faute. D'ailleurs on notera
que si très souvent les décisions visant à promouvoir la
liberté d'expression le font au détriment du droit des personnes,
il en est autrement ici, car n'oublions pas que la seule atteinte portée
au droit subjectif emporte droit à réparation, et ce sans qu'il
soit nécessaire de prouver une faute.
319 Civ. 1e, 5 nov. 1996 : D. 1997, Jurisp.
p. 403, note S. Laulom.
320 A. Lepage, L. Marino et C. Bigot, « Droits de la
personnalité : panorama 2004-2005 », Recueil Dalloz,
2005, n°38.
321 Civ. 3e, 25 fév. 2004 : D.
2004, somm. 1631, obs. C. Caron ; Civ. 1e, 6 oct. 1998 : RTDciv.
1999, p. 62, obs. J. Hausser ; Civ. 1e, 25 fév. 1997 :
JCP 1997. II. 22873 ;
322 G. Viney, « Pour ou contre un principe
général de responsabilité pour faute ? »,
Mél. P. Catala, Litec, 2001, p. 560.
323 CA Aix-en- Provence, 4 janv. 2005 : Juris-Data
n°2005-265807.
87
B. Le « magnétisme » de la loi du 29
juillet 1881
150. Si les articles 9 et 9-1 semblent sortir « indemnes
» de leur confrontation à l'article 1382 du Code civil, il
semblerait qu'il en soit tout autrement pour ce qui concerne la loi du 29
juillet 1881. En effet, la jurisprudence récente montre une tendance
à faire primer l'application de la loi sur la liberté de la
presse sur les dispositions civiles spéciales des articles 9 et 9-1.
Cela est particulièrement flagrant pour l'article 9 relatif à la
protection de la vie privée324. Il faut toutefois avouer que
les espèces se prêtent fortement à un risque de confusion
de qualification. Fréquemment, une atteinte à la vie
privée ou au droit à l'image relevant de l'article 9 du Code
civil sera aussi attentatoire à l'honneur ou à la
considération et donc susceptible de constituer une diffamation au sens
de l'article 29 de la loi sur la liberté de la presse325.
Dans ce type d'hypothèse, on observe que la jurisprudence semble
préférer à la vie privée, l'action en diffamation
publique. Plusieurs décisions en attestent326.
151. Néanmoins, le régime de l'article 9 du
Code civil retrouvera à s'appliquer dès lors que l'on est en
présence de faits distincts d'une atteinte à l'honneur ou
à la considération de sorte que la formule utilisée par
les jurisprudences du 12 juillet 2000 pourrait tout à fait être
ainsi transposée : « les abus de la liberté d'expression
prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne
peuvent être réparés par l'article 9 du Code civil
»327. Qu'en penser ?
152. Il nous semble qu'une telle tendance soit critiquable.
Il faut en effet en mesurer les conséquences. Cette solution offre un
nouveau terrain d'application pour les particularités
procédurales de la loi sur la presse dont on connaît le
caractère très protecteur vis à vis des organes de presse.
Inutile de préciser à ce titre, que la grande majorité des
atteintes à la vie privée des médias tomberont sous le
joug de la loi sur la liberté de la presse tant les espèces nous
montrent que l'honneur se trouve généralement bafoué par
les révélations indiscrètes.
324 Le développement qui suit serait aussi valable pour
l'atteinte à la présomption d'innocence, elle aussi très
encline à se fondre en diffamation au sens de l'article 29 de la loi de
1881. Mais les exemples jurisprudentiels tendant à vouloir lui
privilégier la loi sur la liberté de la presse sont moins
explicites : V. à titre d'exemple, Civ. 1e, 28 juin 2007 :
Bull. civ.I. n°247.
325 D. De Bellescize, L. Franceschini, op. cit.
p.415.
326 TGI Paris, 29 janv. 2003 : LPA n°90, 6 mai
2003, note D. de Bellescize ; Civ. 1e, 30 mai 2006 : Revue Lamy
dr. immat. 2006, n°541, p. 44 ; Civ. 1e, 31 mai 2007 :
JCP G 2007. IV. 2396 ; CA Toulouse, 3e ch., 22 juill. 2004
:
Comm. com. élect.
2005, comm. n°74.
327 C'est exactement l'idée qui ressort d'une
décision des plus récente rendue le 4 avril 2012 par le Tribunal
de grande instance de Paris ayant fait valoir qu'il est possible d'intenter une
action sur le fondement de l'article 9 du Code civil seulement si la violation
invoquée repose sur des éléments distincts d'un
délit de presse : TGI Paris, 4 avr. 2012, Légipresse
n°295, juin 2012, p. 352.
88
Alors bien entendu, pour se rassurer, on peut faire valoir -
et c'est un moindre mal ! - que l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881
prohibe l'exception de vérité quand l'imputation diffamatoire a
trait à la vie privée328. Mais en quoi l'article 9 du
Code civil devrait-il faire figure de droit commun par rapport à la loi
de 1881329 ? Rappelons quand même que celui-ci possède
une égale valeur normative que la loi sur la liberté de la
presse. Dès lors, l'argument positiviste reposant sur le principe de
hiérarchie des normes, s'il pouvait donner lieu à discussion pour
ce qui est de l'application de l'article 1382 du Code civil à la
liberté d'expression330, semble irrecevable en ce qui
concerne l'article 9.
Pour ces diverses raisons donc, il apparait que le
magnétisme exercé par la loi sur la liberté de la presse
à l'égard de l'article 9 procède plus d'une faveur
accordée par la jurisprudence à la liberté d'expression
que d'un raisonnement juridique imparable. Il convient toutefois de relativiser
son impact. En effet, en dépit de l'empirisme du texte de 1881, les
affaires dans lesquelles les organes de presse ont pu être
condamnés pour atteinte à la vie privée et à la
présomption d'innocence sur les fondements que constituent les articles
9 et 9-1 du Code civil ont continué d'être récurrentes. Ces
articles sont donc encore bien au coeur des affaires que regroupe le
contentieux de la presse.
Cela est d'ailleurs d'autant plus vrai concernant l'article 9.
Depuis sa consécration, il s'est révélé être
la « matrice »331 de nouveaux attributs de la
personnalité parmi lesquels figure un droit des plus essentiels en
matière de presse, le droit à l'image.
Section 2 : Le droit à l'image et les autres
attributs de la personnalité
153. Quoi de plus évocateur qu'une image ? L'image
accroche, l'image sensibilise, l'image attire le regard sans susciter l'effort
qu'implique la lecture. « Par leur force d'évidence, les images
nous saisissent immédiatement, et produisent immanquablement un effet de
vérité »332.
154. Actuellement, l'information de presse est tout autant
commentée qu'imagée : « Le poids des mots, le choc des
photos ». Telle est la célèbre devise du magazine
Paris-Match.
328 En effet, l'article 35 a) dispose que « la
vérité des faits diffamatoires peut toujours être
prouvée sauf, lorsque l'imputation concerne la vie privée de la
personne » (loi 1881-07-29 Bulletin Lois n° 637 p. 125)
329 A. Lepage, L. Marino et C. Bigot, « Droits de la
personnalité : panorama 2004-2005 », Recueil Dalloz,
2005, n°38.
330 V. Supra n°73 et s.
331 Ibid
332 J-L Comolli, cité par E. Roskis, « Ces
images qu'on manipule » in Manière de voir, Le Monde
Diplomatique, juil.-août 1999, p. 86.
89
Mais l'image en tant que représentation d'une chose, ou
d'une personne humaine, est-elle librement diffusable ?
Il semblerait que le problème essentiellement
rencontré en matière de presse procède d'un conflit entre
d'une part, le droit de la personne sur son image333 et d'autre, le
droit à l'information par l'image334. C'est donc à
nouveau la problématique des rapports entre les droits de la personne et
la liberté d'expression qui est en jeu.
155. Le droit à l'image, attribut de la
personnalité, peut être défini comme « le droit
d'une personne sur sa représentation È335. Le
droit à l'information par l'image lui, attribut de la liberté
d'expression, désigne le droit d'informer le public via l'outil que
représente l'image. Ce dernier, pour pouvoir s'exprimer librement doit
nécessairement respecter un certain nombre de règles
découlant du régime juridique du droit à l'image qu'il
convient dès lors de définir.
Le principe général martelé en
jurisprudence est que toute personne dispose d'un droit absolu sur son image et
sur l'utilisation qui en est faite, lui permettant de s'opposer à sa
reproduction sans son autorisation expresse et spéciale336.
L'organe de presse se heurte donc a priori à la
nécessité de requérir l'autorisation préalable de
la personne dont elle diffuse l'image. Nous verrons néanmoins dans le
second titre que - comme en matière de vie privée - nombreux sont
les faits justificatifs de l'atteinte portée à ce « droit
absolu » dont dispose la personne sur son image. Aussi, la protection dont
bénéficie la personne dont l'image est diffusée est
conditionnée par son identification. La Cour de cassation l'a encore
récemment affirmé337. Toutefois, cette condition est
appréciée largement. La Cour fait en effet valoir que
l'utilisation d'un sosie permettant d'identifier la personne satisfait à
la condition tenant à l'identification338.
156. Mais une fois l'atteinte au droit à l'image
caractérisée, sur quel fondement agir ? Le droit à l'image
ne dispose pas de fondement légal propre. Pendant longtemps, en
l'absence
333 Nous nous concentrerons dans cette étude sur la
problématique de l'image de la personne et non sur celle du droit
qu'à la personne sur l'image de ses biens : V. sur cette question : J-M.
Bruguière, L'exploitation de l'image des biens, Victoires
éditions, 2005 ; B. Gleize, La protection de l'image des biens,
Défrénois, 2008.
334 D. De Bellescize, L. Franceschini, op. cit.
p.430.
335 T. Debard et S. Guinchard, Lexique des termes
juridiques, Dalloz, 19e éd., 2012, p.450.
336 CA Paris, 23 mai 1995 : D. 1996, somm. p. 75 ; V.
sur le caractère absolu du droit à l'image : T. civ. Seine, 16
juin 1858 : DP 1858, 3, p. 62.
337 Civ. 1e, 5 avr. 2012 : Légipresse
n°294, mai 2012, p. 283. En l'espèce, la Cour a jugé
que la mauvaise définition générale de l'image ainsi que
sa petite taille ne permettaient pas d'identifier clairement le demandeur
à l'action.
338 Ainsi du sosie de Jean-Luc Delarue utilisé pour un
film publicitaire : TGI Nanterre, 23 mars 2007 : Comm. com.
électr., mai 2007, comm. 75, p. 50, note A. Lepage.
90
d'atteinte à la vie privée, la violation de ce
droit était sanctionnée sur le fondement de l'article 1382 du
Code civil339. Pourtant, depuis quelque temps, la protection de
l'image est artificiellement assurée par l'article 9 du Code
civil340. Cela n'est d'ailleurs pas étonnant, tant l'image et
la vie privée sont parfois indissociables. En effet, comme le souligne
très justement Daniel Becourt, « le reflet de l'image laisse
entrevoir en filigrane la silhouette de la vie privée, comme de part et
d'autre des faces d'un miroir sans tain »341.
157. Il semblerait néanmoins que la Cour de cassation
cherche à donner au droit à l'image une certaine autonomie.
Relevons en guise d'exemple cet arrêt du 12 décembre 2000 faisant
valoir que « l'atteinte au respect dû à la vie
privée et l'atteinte au droit de chacun sur son image constituent des
sources de préjudice distinctes, ouvrant droit à des
réparations distinctes »342. Cette approche semble
s'affermir en jurisprudence343. Peut-être serait-il alors
temps pour le législateur d'en prendre acte en consacrant un droit
autonome au respect de l'image en guise de clarification.
158. La même observation pourrait d'ailleurs être
faite pour les attributs de la personnalité que constituent la voix ou
encore, le nom.
En effet la voix, « image sonore de la personne
»344, à l'instar de « l'image visuelle »,
connaît elle aussi des difficultés de reconnaissance en tant
qu'attribut de la personnalité autonome de la vie
privée345. En atteste par exemple, cet arrêt de la Cour
d'appel de Paris, estimant que la reproduction de la voix ne saurait ouvrir un
droit à réparation sur le fondement de l'article 9 du Code civil
que dans l'hypothèse où il en résulterait une atteinte
à la vie privée346.
Quant au nom, si le Tribunal de grande instance de Paris avait
clairement avancé en 2004 que le droit au respect de la vie
privée « couvre » le nom en tant qu'attribut de la
personnalité, il semble que ce dernier se soit récemment
ravisé. En effet, les juges de
339 D. Becourt, Image et vie privée, L'Harmattan,
1e éd., 2004, p. 233.
340 À titre d'exemples : CA Paris, 25 oct. 1982 :
D. 1983, 363, note R. Lindon ; Civ. 1e, 13 avr. 1998 :
JCP 1989. II. 21320, note E. Putman.
341 D. Becourt, op. cit, p. 14.
342 Civ. 1e, 12 déc. 2000 : D. 2001,
p. 2434, note J-C. Saint Pau.
343 Civ. 1e, 10 mai 2005 : Bull. civ.I.
n°206 affirmant que constituent des droits distincts, le respect dû
à la vie privée et le respect dû à l'image.
344 M. Serna, « L'image de la voix : du droit de
l'image sonore au droit de l'image vocale » in Image et
droit, L'Harmattan, 1e éd., 2002, p. 243.
345 V. sur cette problématique : D. Huet-Weiller,
« La protection juridique de la voix humaine », RTDciv.
1982, p. 513.
346 CA Paris, 12 janv. 2005 :
Comm. com. électr.
2005, comm. n°92.
91
première instance ont récemment estimé
que le prénom et nom patronymique, en tant qu'éléments de
l'état civil, « échappent par leur nature même
à la sphère protégée par l'article 9 du Code civil
»347.
On observe donc que diverses facettes de la
personnalité, en mal d'autonomie, bénéficient de la
protection qu'offre l'article 9 du Code civil faisant état du seul droit
au respect de la vie privée. Ces différents « droits au
respect », chroniquement bafoués par la presse, demeurent une
source très importante de contentieux. Les multiples condamnations
prononcées par le tribunal de Nanterre348 peuvent d'ailleurs
en attester. Aussi, il apparaît désormais nécessaire de
faire état d'un certain nombre de spécificités tenant
à leur réparation.
Section 3 : La réparation des atteintes
portées aux droits la personnalité
159. Nous avons vu qu'un certain nombre « d'anciens
droits de la personnalité »349étaient
déjà expressément pris en compte par la loi sur la
liberté de la presse. Que leurs poursuites sur le fondement de la
diffamation, de l'injure, étaient d'essence pénale. Que
même limitées au civil, les victimes sont tenues, tant sur la
forme que sur le fond, de respecter le dispositif spécifique
prévu par la loi de 1881.
160. En revanche, pour ce qui concerne les « nouveaux
droits de la personnalité »350, bien que faisant l'objet
de dispositions pénales éparses échappant au formalisme
rigoureux de la loi de 1881, incontestablement, la pratique montre que leur
poursuite se déroule essentiellement devant le prétoire civil et
donc donne en grande majorité lieu au prononcé de sanctions
civiles351. La répression pénale n'est que
secondaire352.
347 TGI Paris, 12 mars 2012 : Légipresse
n°294, mai 2012, p. 289.
348 Le TGI de Nanterre est souvent désigné comme
étant le « chouchou des vedettes » en matière
d'affaires mettant en cause des atteintes aux droits de la personnalité
V. Mahaut, « Le Tribunal de Nanterre, chouchou des vedettes »
in rubr. Hauts de Seine, Le Parisien, 22 fév. 2006.
349 « Anciens », par opposition à ce que nous
avons pu précédemment appeler les « nouveaux droits de la
personnalité ». Ils regroupent essentiellement les droits que
constituent le droit à l'honneur, à la considération et au
respect des croyances.
350 Essentiellement, droit au respect de la vie privée, de
l'image et de la présomption d'innocence.
351 J-P. Gridel, « Liberté de la presse et
protection civile des droits modernes de la personnalité en droit
positif français », Recueil Dalloz, 2005, n°6.
352 Si les poursuites pénales sont rares, c'est parce
qu'elles supposent : en matière d'atteinte à la vie
privée, qu'aient été utilisés des
procédés de captation particuliers (type film, enregistrement)
dans le but d'attenter à l'intimité de la vie privée (art.
226-1 Code pénal) ; en matière d'atteinte à la
présomption d'innocence, que soit diffusée l'image d'une personne
menottée ou entravée avant toute condamnation (art. 35
ter. Loi 29 juil. 1881) ; en matière d'atteinte au droit
à l'image, que celle-ci soit captée dans un lieu privé
(art. 226-1 Code pénal).
92
Mais quelles sont ces sanctions civiles permettant d'assurer
le respect des atteintes à la vie privée, à l'image (art.
9), à la présomption d'innocence (art. 9-1) ? Prononcées
sur des fondements distincts de l'article 1382 du Code civil, celles-ci en
ressortent-elles différentes?
161. En termes analogues, les alinéas 2 des articles 9
et 9-1 disposent que « sans préjudice de la réparation
du dommage subi », le juge peut, même en
référé, prononcer diverses mesures propres à
empêcher ou faire cesser l'atteinte portée à la vie
privée, à l'image ou à la présomption d'innocence.
Il en résulte que ce dernier peut cumuler si besoin une condamnation
à dommages et intérêts avec une injonction.
Pour ce qui est du prononcé de dommages et
intérêts, à l'instar de l'article 1382 du Code civil,
l'idée est de réparer le préjudice,
généralement moral, causé à la victime de
l'atteinte. Toutefois, le principe de réparation intégrale - qui
implique que l'on doit réparer l'entier préjudice sans aller
au-delà - peut parfois donner l'impression d'être violé par
les juges. En effet, dans ce contentieux qu'est celui des droits de la
personnalité, certains dénoncent la pratique implicite de
dommages et intérêts punitifs en soutenant que les juges, pour
déterminer le montant de la réparation, tiennent compte de la
gravité de la faute commise par son auteur353. La question de
la détermination du montant des condamnations ainsi prononcées
est d'autant plus controversée354, que nombreux auteurs
décrient un mouvement croissant de « patrimonialisation
»355 des droits de la personnalité, et le fait que
l'indemnisation des atteintes en question s'apparente de plus en plus à
une « logique de peine privée ayant une fonction de dissuasion
à l'égard des auteurs de ces violations
»356.
Pour ce qui est des injonctions, le juge aura la
possibilité de prononcer diverses mesures. Celles-ci portent parfois sur
la publication357ou sur l'insertion358. Il pourra
aussi
353 E. Derieux, Droit de la communication, LGDJ,
4e éd., 2003, p.587.
354 V. notamment : D. Amson, « L'indemnisation du
préjudice résultant des atteintes à la vie privée
», Légipresse n°195. II. 128132 ; F. Gras,
« Vie privée et liberté d'informer. Le rôle du
juge », Légipresse n°148. II. 6-10.
355 Par « patrimonialisation », il faut comprendre
que les victimes tendent à exploiter leur préjudice à des
fins lucratives en agissant systématiquement en justice : V. P. Esmein,
« La commercialisation du dommage moral », Dalloz,
1954, p. 113.
356 F. Gras, « L'indemnisation des atteintes à
la vie privée », Légicom n°20, 1999, p.
35 ; V. aussi, sur cette notion de « peine privée » : A.
Jault, La notion de peine privée, LGDJ, 2005 ; G. Ripert,
« Le prix de la douleur », Dalloz, chron. 1,
1948.
357 Par exemple, le juge ordonne la publication dans le prochain
hebdomadaire du jugement de condamnation.
358 Dans un livre déjà édité, le
juge peut ordonner l'insertion d'un encart faisant état du droit
violé comme ce fût le cas par exemple dans l'affaire Trintignant
où il était question de violation de la présomption
d'innocence (CA Paris, 7 oct. 2003 : Gaz. Pal. 2003, p. 3147).
93
s'agir de la restitution du négatif d'une photographie
ou bien de la suppression d'une image ou d'un passage
litigieux359.
162. Mais la lenteur du processus de condamnation au fond
entraîne souvent chez les victimes - pour les atteintes les plus graves
et notamment celles portées à « l'intimité de la
vie privée »360 - une préférence pour
l'action devant le juge des référés. Si l'article 9 du
Code civil requiert l'urgence comme condition de recevabilité de
l'action, l'article 9-1 lui n'en dit rien. Toujours est-il que l'idée
sera généralement de prévenir ou de faire cesser un
trouble imminent ou manifestement illicite généré par une
publication litigieuse. Concernant l'action en vu de prévenir un
dommage, cela peut donc poser un certain malaise eu égard au principe de
liberté d'expression361. Cette question divise la
doctrine362, raison pour laquelle la jurisprudence semble vouloir
que l'usage d'une telle procédure en matière de presse demeure
exceptionnelle et cantonnée aux urgences les plus
graves363.
La sanction civile des atteintes portées aux droits de
la personnalité peut donc prendre des formes très diverses. La
protection civile autonome qu'elle offre contribue encore d'avantage au
phénomène d'éviction de l'article 1382 du Code civil du
domaine de la presse. Toutefois, si la mise à l'écart de la
responsabilité pour faute par la loi de 1881 peut d'une manière
générale se traduire par un recul du droit à
réparation pour les victimes au bénéfice de la
liberté d'expression364, il semble qu'il en soit autrement
pour ce qui est de son évincement par les articles 9 et 9-1 du Code
civil. En effet, ces derniers permettront systématiquement de rechercher
la responsabilité civile de l'auteur de l'atteinte, sans que les
victimes se heurtent aux multiples obstacles de procédure que
connaissent celles dont
359 E. Derieux, Droit de la communication, LGDJ,
4e éd., 2003, p. 587.
360 Art. 9 al. 2 du Code civil.
361 En effet, une mesure de référé prise
en amont de la publication peut s'interpréter comme une forme de censure
légitimant ainsi une forme de « police de la presse ». Vu le
succès rencontré par le juge des référés
dans le contentieux de la presse, on peut en effet s'inquiéter de
l'impact d'une telle procédure sur l'effectivité du principe de
libre information.
362 V. sur cette question de la légitimité de
l'intervention du juge des référés en matière de
presse au regard du principe de liberté d'expression : P. Kayser,
« Le pouvoir du juge des référés civils à
l'égard de la liberté de communication et d'expression
», Dalloz, 1989, chron. p.11 ; E. Derieux, «
Référé et liberté d'expression », JCP
1997. I. 4053 ; R. Lindon, « Le juge des
référés et la presse », Dalloz, 1985,
chron. p. 61 ; Th. Massis, « Le juge des référés
et la liberté d'expression », Légipresse
n°84. II. p. 67 ;
363 Civ. 1e, 12 déc. 2000 : D.
2001, jurisp. 2434, note J-C. Saint Pau ; CA Paris, 13 sept. 2000 : D.
2001, jurisp. 24, note C. Caron et M-L. Rassat.
364 V. Supra n°94 et s.
94
l'action initialement fondée sur l'article 1382 aura
été requalifiée au visa de la loi sur la liberté de
la presse.
Néanmoins, que l'action civile en réparation
soit intentée au visa de l'article 1382, 9, 9-1 du Code civil ou encore,
au regard de l'une des infractions de presse relevant de la loi du 29 juillet
1881, la question redoutée par les victimes est toujours la même :
le principe de liberté d'expression est-il susceptible de
légitimer la faute commise ? Nous allons voir que dans bien des cas, la
loi, la jurisprudence, par une pesée des intérêts en
présence, tendent à y répondre par l'affirmative, au prix
d'un affaiblissement de la responsabilité civile.
95
Titre 2 : L'impuissance de la responsabilité
civile face à la prééminence de la liberté
d'expression
163. L'action civile en réparation a priori
admise, celle-ci se heurte encore à la possibilité d'une
éviction à raison du contexte dans lequel la faute
s'insère. C'est ainsi que la jurisprudence et la loi ont pu
dégager tout une panoplie de faits justificatifs spéciaux,
propres au domaine de la presse, concernant des propos litigieux.
164. Le fait justificatif permet d'anéantir
l'illicéité de l'acte ou de l'omission génératrice
de responsabilité365. Il peut donc se révéler
être un formidable stratagème de défense pour le
défendeur à l'action. Il s'agit originairement d'un concept de
droit pénal qui s'est ensuite logiquement étendu en
matière civile366. En effet, il apparaissait normal que le
fait considéré comme justificatif d'une infraction pénale
soit aussi à même d'annihiler la faute civile367. En sa
présence, responsabilité pénale comme civile devaient
disparaître.
D'où l'importance pour notre sujet, d'évoquer
ces différents faits justificatifs érigés par la loi et la
jurisprudence en matière de presse. Nombreux et variés,
évoluant avec le temps, ceux-ci interviennent dans tous les domaines
où la responsabilité civile est susceptible de s'immiscer
réduisant encore davantage les perspectives de réparation des
victimes (Chapitre 1). Le droit de réponse reste alors l'ultime chance
de se faire entendre, et ce quelle que soit l'existence ou non d'un
comportement fautif, quelle que soit l'issue des poursuites (Chapitre 2).
Chapitre 1 : La multiplication des faits justificatifs
spéciaux en matière de presse
165. Le contentieux de la presse est très propice au
débat des faits justificatifs. Que l'on se trouve sur le terrain du
droit commun comme du droit spécial, les défendeurs ont souvent
la possibilité de chercher à convaincre que les circonstances
dans lesquelles
365 M. Bacache-Gibeili, Les obligations, la
responsabilité civile extracontractuelle, 2ème
éd., Economica, 2012, n°152.
366 V. J. Bergeret, La notion de fait justificatif en
matière de responsabilité pénale et son introduction en
matière de responsabilité civile, Thèse Grenoble,
1946 ; J. Dingome, Le fait justificatif en matière de
responsabilité civile, Thèse Paris I, 1986 ; J.
Pélissier, « Faits justificatifs et action civile »,
Dalloz, 1963, chron. p. 121.
367 D'ailleurs la jurisprudence fait valoir que le juge civil
saisi d'une action fondée sur le droit commun est tenu de requalifier
les faits litigieux afin que l'auteur puisse jouir de cette immunité :
Civ. 2e, 8 mars 2001 : Bull. civ. II. n° 46.
96
s'insère l'abus sont à même de le
légitimer. Bien entendu, notre droit positif connaît un certain
nombre de faits justificatifs « généraux » parmi
lesquels figurent notamment, l'ordre de la loi, le commandement de
l'autorité légitime ou encore, la légitime
défense368. Mais la pratique nous enseigne que ceux-ci sont
rarement invoqués lors des procès de presse369.
166. Si un certain nombre de faits justificatifs
étaient déjà spécialement prévus par la loi
du 29 juillet 1881 pour un nombre restreint d'infractions (Section 1), nous
verrons que l'évolution des moeurs, des modes d'expression, sont autant
de facteurs ayant considérablement développé ce domaine
que constitue celui des faits justificatifs des abus de la liberté
d'expression (Section 2).
Section 1 : Les faits justificatifs d'infractions
prévus par la loi du 29 juillet 1881
167. Trois catégories d'infractions prévues et
réprimées par la loi sur la liberté de la presse sont
concernées par l'existence de faits justificatifs spéciaux
(Paragraphe 1). Même si par principe leur consécration
dépend de la seule compétence du
législateur370, la jurisprudence est venue étendre les
facteurs d'irresponsabilité en matière de diffamation (Paragraphe
2).
Paragraphe 1 : Un domaine limité à certaines
infractions
168. Parmi toutes les infractions prévues par la loi
du 29 juillet 1881, trois sont susceptibles - quand bien même les
éléments constitutifs seraient réunis - de ne pas donner
lieu au prononcé d'une peine. Il s'agit tout d'abord de la diffamation
en cas de preuve de la vérité des propos diffamatoires. De
l'injure, dans l'hypothèse de ce que l'on nomme communément,
l'excuse de provocation. Puis, d'infractions éparses ayant en commun de
chercher à protéger des informations confidentielles et dont la
violation, à raison du but poursuivi ou du consentement de la victime,
ne sera pas sanctionnée.
169. Concernant la diffamation avant tout, le principe est
que toute personne suspectée de diffamation publique peut
échapper à la condamnation dès lors qu'elle prouve la
vérité des
368 Respectivement : Art. 122-4, 122-4 al. 2 et 122-5 du Code
pénal.
369 Dreyer, Responsabilité civile et pénale des
médias, LexisNexis, 3e éd., 2011, p. 253.
370 En effet, par principe, les faits justificatifs, dès
lors qu'ils « neutralisent l'élément légal, ne
peuvent résulter que de la loi » : P. Conte et P. Maistre du
Chambon, Droit pénal général, Armand Colin,
7e éd., 2004, n°244.
97
propos incriminés371. Ce droit à
l'exception de vérité des propos diffamatoires, reposant sur le
fondement de l'article 35 de la loi de 1881, joue non seulement pour les
diffamations envers les personnes énumérées au sein de ses
alinéas premier et second372 - il s'agit essentiellement de
fonctionnaires publics373 - mais aussi depuis une ordonnance du 6
mai 1944, pour les diffamations contre les particuliers.
Cependant, en tout état de cause, lorsque «
l'imputation concerne la vie privée de la personne », ou se
réfère à des « faits qui remontent à plus
de dix ans », ou «à un fait constituant une
infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à
une condamnation effacée par la réhabilitation ou la
révision » 374, il sera interdit de prouver la
vérité des faits allégués.
170. En ce qui concerne l'injure, les articles 33
alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 et R. 621-2 du Code pénal
disposent que celle-ci, publique ou non publique, lorsqu'elle est
érigée envers un particulier et « n'a pas
été précédée de provocations »,
est punie d'une amende de douze mille euros. L'idée n'est pas de dire
qu'en présence de provocations aucune peine ne pourra être
prononcée. Mais le législateur offre au prévenu un moyen
de défense : celui de prouver que ses propos injurieux font suite
à une provocation. Un peu dans la même logique que pour la
légitime défense.
En outre, la Cour de cassation fait valoir que la provocation
en question ne peut résulter que de « propos, d'écrits
injurieux, ou de tous autres actes de nature à atteindre l'auteur de
l'infraction, soit dans son honneur ou sa considération, soit dans ses
intérêts pécuniaires ou moraux »375.
Elle affirme aussi que seule l'injure envers un particulier est susceptible de
bénéficier de l'excuse de provocation376 et seulement
si trois conditions cumulatives sont réunies. D'une part, il faut
nécessairement que l'auteur de l'injure ait été la victime
de la provocation377. Ensuite, il faut que l'objet de l'injure soit
« en rapport
371 V. par exemple : Crim. 3 mai 1966 : Bull. crim.
n°32 ; Crim. 11 mars 2008 : JCP G 2008, IV. n°1787.
372 L'article 35 al 1er désigne notamment
les armées de terre, de mer, de l'air, et les administrations publiques
; l'alinéa 2nd renvoie aux directeurs ou administrateurs
d'entreprises commerciales, financières, industrielles qui font
publiquement appel à l'épargne ou au crédit.
373 L'esprit du législateur de 1881 est
véritablement de pousser les citoyens à dénoncer les abus
commis par les fonctionnaires publics en vu d'offrir le plus de transparence
possible dans le fonctionnement de l'administration publique.
374 Art. 35 al 3 loi du 29 juillet 1881 respectivement a), b) et
c).
375 Crim. 16 mai 2006 : Dr. pén. 2006, comm. 135,
obs. M. Véron.
376 Crim. 12 juin 1896 : Bull. crim 1896, n°189.
377 Crim. 21 mars 1972 : Bull. crim. 1972,
n°116.
98
direct » 378 avec celui de la provocation. Puis,
la provocation doit être injuste, inappropriée379.
Il est aussi important de noter que l'excuse en question est
traditionnellement présentée comme revêtant un
caractère absolutoire380 ce qui implique qu'elle n'est pas
une cause d'irresponsabilité pénale - à la
différence du fait justificatif - mais a seulement pour effet de
dispenser l'auteur de la peine381.
171. Enfin, il convient de noter que certaines infractions
prévoyant des interdictions de publication pourront être
justifiées tantôt à raison de la légitimité
du but poursuivi382, tantôt à raison du consentement
donné par la victime383.
Le texte de loi du 29 juillet 1881 prévoit donc
à lui seul toute une série de circonstances à même
de déresponsabiliser, ou tout au moins d'exempter de peine, l'auteur
d'infractions de presse. Concomitamment, au grand dam des victimes, la
responsabilité civile ne produira donc pas ses effets384.
Nous allons voir que les frontières de ce domaine légal
d'impunité, chéri par les médias lors des procès de
presse pour l'élaboration de leur défense, ne font que
s'accroître sous l'impulsion de la jurisprudence.
Paragraphe 2 : La création jurisprudentielle de
nouveaux faits justificatifs en matière de diffamation
172. Comme pour l'ensemble des délits de presse
prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881, une
présomption de mauvaise foi repose sur le diffamateur. Or, loin
d'être irréfragable, ce dernier à toujours la
possibilité - sauf dans les trois cas énumérés
précédemment385 - de renverser cette
présomption en prouvant sa bonne foi386. Celle-ci,
378 Il faut en quelque sorte que l'injure «
réponde » à la provocation : en ce sens, Crim. 10 mai 2006 :
D. 2006, jurisp. p. 2220, note E. Dreyer ; Crim. 16 avr. 1985 :
Bull. crim. 1985, n°140.
379 Cela est le cas par exemple lorsque celle-ci a trait
à « l'intimité de la vie privée » et
sort du débat d'idées : Crim. 16 avr. 1985 ibid.
380 A. Chavanne, J-Cl. Communication, Fasc. 3140,
n°70.
381 Certains auteurs estiment au contraire que l'excuse de
provocation se rapproche davantage du fait justificatif, celle-ci ayant pour
effet de faire « disparaître l'infraction » d'injure :
en ce sens, F. Goyet, Droit pénal spécial, Sirey,
8e éd., 1972, p. 613, n°887.
382 Par exemple, si l'article 39 bis « puni
de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser, de quelque manière que ce
soit, des informations relatives à l'identité ou permettant
l'identification » d'un mineur, l'alinéa 2nd
prévoit néanmoins que « les dispositions du
présent article ne sont pas applicables lorsque la publication est
réalisée à la demande des personnes ayant la garde du
mineur ou des autorités administratives ou judiciaires ».
383 Par exemple l'article 39 quinquies incrimine la
publication de renseignements portant sur l'identité d'une victime de
sévices sexuels sauf si celle-ci « a donné son accord
écrit » (al. 2).
384 V. Supra n°165.
385 V. Supra n°170.
386 Crim. 7 nov. 1989 : Bull. crim. 1989, n°403.
99
une fois reconnue par le juge, lui permettra alors
d'échapper à toute condamnation, pénale comme
civile387. Mais alors, comment caractériser cette bonne foi
?
173. Pour répondre, il nous faut s'en remettre au
travail de la jurisprudence qui par une multitude de décisions rendues
en la matière, semble s'accorder à dire que « la bonne
foi de la personne recherchée pour diffamation suppose, la
légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité
personnelle, la prudence et la mesure dans l'expression, ainsi que la
fiabilité de l'enquête »388. On a donc quatre
conditions, cumulatives389, et permettant de justifier des
diffamations jugées par certains, « nécessaires »,
« opportunes »390, car poursuivant un but
légitime d'information391.
174. Ces quatre conditions, qui de manière constante
furent formellement exigées par les juges pour remplir leur rôle
de justificatif de la diffamation, semblent sous l'impulsion de la Cour
européenne des droits de l'homme ne plus constituer un ensemble
insécable pour nos juridictions internes. En effet, un mouvement de
rénovation se fait sentir. En témoignent, les trois arrêts
dits Robert rendus le 3 février 2011 par la première
chambre civile de la Haute juridiction dans une affaire de
diffamation392. Dans ces arrêts de cassation, la Cour a
considéré que les critères que constituaient «
l'intérêt général du sujet traité »
ainsi que « le sérieux constaté de l'enquête
», suffisaient à légitimer les imputations
diffamatoires litigieuses. Deux critères et non plus quatre.
Selon Christophe Bigot, avocat au barreau de Paris, le dessein
de la Cour vise clairement à rénover la « théorie
des quatre éléments », pour finalement réduire
la bonne foi à l'établissement de deux conditions : d'une part,
l'existence d'un débat d'intérêt général et
d'autre, le sérieux de l'enquête393. À n'en pas
douter, cette nouvelle voie entreprise par la Cour de cassation est le reflet
de l'influence exercée par la jurisprudence
387 V. C. Bigot, « La bonne foi du journaliste :
état des lieux », Légicom n°28,
2002/3.
388 Civ. 2e, 8 avr. 2004 : Bull. civ.II.
n°185 ; Civ. 2e, 27 mars 2003 : Bull. civ.II.
n°84.
389 La Cour de cassation estime en effet que si l'un de ces
quatre éléments fait défaut, le prévenu sera exclu
du bénéfice du fait justificatif de bonne foi : Crim. 27
fév. 2001, n°00- 82557, inédit.
390 P. Mimin, DP 1939, I. 77.
391 En effet, parmi les quatre conditions requises pour
l'établissement de la bonne foi du diffamateur, celle tenant à la
« légitimité du but poursuivi » est la plus
essentielle. D'une manière générale, la jurisprudence la
considère comme remplie dès lors que les imputations, bien que
diffamatoires, remplissent une mission d'information sur un sujet
d'intérêt général : en ce sens, Civ. 1e,
3 avr. 2007 : JCP G. IV. 1968 ; Civ. 2e, 23 mai 2001 :
LPA 2001, n°139, p. 25, note E. Derieux.
392 Civ. 1e, 3 fév. 2011, pourvois
n°0910301, n°0910302, n°0910303.
393 C. Bigot, « La portée de la
rénovation de la théorie de la bonne foi sous l'emprise de
l'intérêt général », Légipresse
n°290, Janv. 2012, p. 27.
100
de la Cour de Strasbourg394. Cela fait en effet
longtemps déjà, que la Cour européenne des droits de
l'homme s'efforçait de faire triompher la liberté d'expression en
mettant en avant ce critère poreux que constitue «
l'intérêt général » pour conclure à la
violation - par nos juridictions internes - de l'article 10 de la Conv.
EDH395. La Cour de cassation semble donc avoir été
contaminée par l'expression. Au point même qu'elle paraît
vouloir l'ériger en substitut - avec le critère tenant au
sérieux de l'enquête - des quatre éléments
traditionnellement retenus pour caractériser la bonne foi du
diffamateur396. La Cour européenne avait déjà
exprimé sa réticence vis à vis des critères de
prudence et d'absence d'animosité personnelle en critiquant la
« particulière raideur » dont faisaient preuve les
juges internes dans l'interprétation de ces derniers397. En
les mettant de côté dans les arrêts Robert, la Cour
de cassation semble en avoir tenu compte.
175. Qu'en penser ? Une chose est sûre,
l'imprécision de la notion d'« intérêt
général » - quand bien même le critère du
« sérieux de l'enquête » resterait à prouver -
comporte un fort risque d'arbitraire pour les juges dans la mesure où
« l'intérêt général » demeure une notion
éminemment subjective. Attention alors à ne pas tomber dans un
système trop manichéen dans lequel les juges se feront arbitre de
ce que constitue une bonne ou mauvaise information pour le public. N'oublions
quand même pas les enjeux du débat. Il s'agit de laisser impuni
l'auteur d'une diffamation. Diffamation qui implique une atteinte à
l'honneur dont on sait qu'il s'agit là d'un intérêt des
plus noble et précieux de l'homme398. Diffamation qui
constitue avec l'injure, l'infraction la plus rencontrée dans le
contentieux de la presse. La question tenant à savoir si la
rénovation de la théorie classique de la bonne foi doit
être considérée comme un progrès pour notre droit
n'est donc pas à prendre à la légère. Les enjeux
sont importants. C'est la raison pour laquelle une définition
394 J-Y. Monfort, « L'apparition en jurisprudence du
critère du « débat d'intérêt
général » dans le droit de la diffamation »,
Légipresse n°290, Janv. 2012, p. 21.
395 V. à titre d'exemple : CEDH, 29 mars 2001,
Thoma c/ Luxembourg, n°38432/97, §45 ; CEDH, 24 fév.
1997, De Haes et Gijsels c/ Belgique, n°19983/92, §37 ;
CEDH, 22 déc. 2005, Paturel c/ France, n°54968/00,
§42 ; CEDH, 7 nov. 2006, Mamère c/ France,
n°12697/03, §47 ; CEDH, 14 fév. 2008, Libération c/
France, n° 20893/03, §63.
396 Il convient néanmoins de préciser que ce
critère de « débat d'intérêt
général » n'est en réalité qu'un corolaire de
celui tenant à la légitimité du but poursuivi (faisant
parti de la théorie des quatre éléments) la jurisprudence
ayant montré que l'information du public sur un sujet
d'intérêt général constituait le principal but
légitime attestant de la bonne foi : B. Beignier, B. de Lamy et E.
Dreyer, Traité de droit de la presse et des médias,
Lexisnexis, 1ère éd., 2009, p. 487.
397 CEDH, 7 nov. 2006, Mamère c/ France,
n°12697/03, §47.
398 Rappelons encore, cette fameuse formule employée
par l'avocat creusois Dareau, au XVIIIe siècle : « De tous les
biens, le plus précieux à soigner est, sans contredit, celui
d'une bonne réputation » (F. Dareau, Traité des
injures dans l'ordre judiciaire, 1777, Discours préliminaire, p.
vij)
101
plus précise de ce qu'implique cette notion d'«
intérêt général » en matière
d'information serait probablement la bienvenue.
Toujours est-il que ce débat des faits justificatifs -
dont nous venons de voir que la loi du 29 juillet 1881, à elle seule,
permet largement d'alimenter - constitue un outil d'expansion
supplémentaire pour la liberté d'expression qui ne cesse de
conquérir de nouveaux territoires. En l'espèce, celui de
l'honneur, de la considération, dont la protection semble de moins en
moins absolue. D'ailleurs, ce constat d'expansion semble se perpétuer
dans d'autres domaines, restreignant toujours d'avantage la menace que peut
susciter la responsabilité civile.
Section 2 : Les autres faits justificatifs limitant la
portée de la responsabilité civile
176. Outre la loi 29 juillet 1881, on a vu que d'autres
fondements légaux sont susceptibles d'engager la responsabilité
civile des auteurs d'abus de la liberté d'expression. Selon la nature
des faits poursuivis, la victime agira tantôt sur le fondement de
l'article 1382 du Code civil, tantôt sur ceux que constituent les
articles 9 et 9-1.
177. Toutefois la faute, bien qu'accueillie dans son
principe, encore faut-il qu'elle n'intervienne pas dans des circonstances de
nature à la justifier. En effet, encore une fois, nous verrons que le
débat des faits justificatifs est ici bien présent. Nombreux sont
les cas où les « responsabilités civiles spéciales
» découlant des articles 9 et 9-1 du Code civil seront
évincées par l'effet neutralisateur des faits justificatifs
(Paragraphe 2). En revanche, pour ce qui est de la responsabilité civile
de droit commun, les choses sont moins claires. Les situations
dégagées par la jurisprudence paraissent d'avantage
procéder d'un recul du seuil de la faute que de la mise en place d'un
système de justification à proprement dit399. Pour
autant la finalité demeure la même : repousser les
frontières de la liberté d'expression (Paragraphe 1).
Paragraphe 1 : La polémique et l'humour,
instruments de recul du seuil de la faute
178. Un propos a priori constitutif d'un abus de la
liberté d'expression au sens de l'article 1382 du Code civil, en raison
des circonstances de sa publication, bénéficiera
399 Cela s'explique essentiellement par l'extrême
malléabilité de la faute et par la capacité des juges
à en profiter pour au gré des espèces, reculer le seuil de
l'illicite de sorte que l'intervention d'un fait justificatif soit inutile : V.
B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, Traité de droit de la presse
et des médias, Lexisnexis, 1ère éd., 2009, p. 735.
102
parfois d'un surcroit de tolérance se traduisant en
droit par un rehaussement du seuil de l'illicite. En témoignent, ces
exemples frappants que constituent la polémique (A) et l'humour (B) et
pouvant tous deux constituer de formidables échappatoires de
responsabilité.
A. La polémique comme justificatif de la
critique abusive
179. Comme nous l'avons vu précédemment, si la
critique repose sur un principe de liberté - car faisant partie
intégrante de la liberté d'expression - celle-ci connaît
des limites. La critique sera considérée comme abusive - et donc
passible d'une condamnation au regard de l'article 1382 du Code civil -
dès l'instant où sera caractérisée l'intention de
nuire de son auteur. Dans cette hypothèse, dite de «
dénigrement », la victime pourra en principe légitimement
prétendre à l'allocation de dommages et intérêts.
180. Pourtant, il semblerait que la jurisprudence, lorsque le
jugement critique - bien qu'abusif - s'insère dans un contexte de
polémique publique, fasse preuve de clémence à
l'égard du dénigreur. L'idée est que la critique abusive,
dès lors que celle-ci s'insère dans un débat relatif
à une polémique où sont en jeu des questions relevant de
l'intérêt public, devient tolérée au nom du droit
à l'information400. Dès lors, malgré le
préjudice - généralement patrimonial401 -
ressenti par la victime, celle-ci sera dans l'impossibilité d'engager la
responsabilité civile du dénigreur.
On retrouve d'une certaine manière le critère
justificatif de l'« intérêt général »
évoqué précédemment en matière de bonne foi.
D'ailleurs, des affaires plus récentes nous montrent qu'au-delà
de l'idée de polémique, c'est plus largement le « contexte
d'intérêt général » dans lequel s'insère
le propos dénigrant qui permet de le rendre licite402.
L'idée étant ici, que la liberté d'expression, dès
lors que celle-ci contribue à servir l'intérêt
général, voit ses frontières repoussées et donc
concomitamment, s'ensuit un rehaussement du seuil de la faute.
400 Statuant ainsi : Civ. 2e, 16 juin 2005 : D.
2005, p. 2916, note E. Agostini ; Civ. 2e, 7 juil. 1993 :
Bull. civ.II, n°252.
401 En effet, nous l'avons vu, le contentieux du
dénigrement - sanctionné sur le fondement de l'article 1382 -
concerne essentiellement les critiques abusives érigées envers
les produits et services, et génératrices donc de
préjudices majoritairement patrimoniaux.
402 En effet, dans diverses affaires où des
associations étaient poursuivies pour critique abusive envers les
produits sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, les juges ont
considéré que les campagnes de dénigrement menées
par celles-ci, entrant dans leur objet social et poursuivant un but
légitime car d' « intérêt général
», étaient insusceptibles d'engager leur responsabilité
civile : V. en ce sens, Com., 8 avr. 2008 : RTDciv. 2008, p. 487, note
P. Jourdain (Aff. Esso c/ Greenpeace) ; Civ. 2e, 19 oct.
2006 : Bull. civ.II, n°282 ; Civ. 1e, 8 avr. 2008 :
Bull. civ.I, n°104 (Aff. Aréva c/ Greenpeace).
103
Un phénomène similaire peut être mis en
exergue dans un autre domaine de la liberté d'expression qui à sa
manière, participe aussi à l'intérêt
général à savoir, l'expression satyrique.
B. L'exutoire offert par l'expression satyrique
181. « Le rire est le propre de l'homme »
disait Aristote403. On se tord, on
s'esclaffe, on éclate de rire. Les qualificatifs
illustrant la dimension souvent incontrôlable de ce
phénomène physiologique404 ne manquent pas. Mais
l'homme peut-il rire de tout ? Cette question sonne comme une vielle rengaine.
Elle trouve son essence dans toute l'ambigüité que peut parfois
susciter le rire. Car les sujets du rire font rarement l'unanimité. Ce
qui fait rire l'un ne fait pas toujours rire l'autre, de même que ce qui
fait rire aujourd'hui ne fera pas nécessairement rire demain. Or, une
chose est sûre, dans notre droit positif, tout comme dans la vie de tous
les jours, le rire, le pastiche, la caricature, possèdent un
extraordinaire pouvoir de dédramatisation permettant ainsi de repousser
le seuil du « moralement correct ». Qui n'a pas été
confronté un jour, à une raillerie blessante d'un ami proche
suivie d'un banal « ça va, je plaisantais ! » ? Il s'agit
là d'un exemple type de la vertu justificative de l'humour se traduisant
en droit par un rehaussement du seuil de la faute susceptible d'engager la
responsabilité civile de son auteur.
182. En l'absence de dispositions
légales405 permettant de préciser les contraintes
juridiques encadrant le droit à l'humour, c'est au juge qu'est revenu le
rôle d'arbitre dans la détermination de la portée de la
liberté d'expression accordée à
l'humoriste406.
Très tôt, les juridictions françaises
firent alors valoir que la satire, en tant que moyen d'expression, devait
bénéficier d'une liberté plus importante que celle dont
disposaient les autres modes d'expression, car procédant par nature de
« l'excès », de la « déformation
»407. C'est ainsi que le Tribunal de grande instance de
Paris, à l'occasion d'une multitude de procès engagés
à l'encontre de Canal plus pour la diffusion de son programme parodique
« les Guignols de l'info », a dégagé toute une
série de critères
403 Aristote, Des Parties des animaux, Livre III,
Chapitre X, p. 673.
404 « Mouvement des zygomatiques, contraction du
diaphragme, sonorités plus ou moins bruyantes, le rire mobilise muscles,
glandes, viscères, larynx, presque tous les organes dans une sorte de
désordre d'ensemble » : S. Manon, « Peut-on rire de
tout », Philolog :
http://www.philolog.fr/peut-on-rire-de-tout/
405 V. néanmoins, art. L 122-5.4e du Code de la
propriété intellectuelle.
406 C. Bigot, « Les limites de l'humour »,
JCP 1998, II. 10010
407 TGI Paris, 17 juin 1987 : JCP G. 1998, II. 20957,
obs. P. Auvret.
104
permettant de définir les contours du droit à
l'humour408. Ce même tribunal n'a d'ailleurs pas manqué
de rappeler que cette tolérance en la matière était
essentiellement justifiée par le fait que « le bouffon »
remplissait « une fonction sociale éminente et salutaire
» participant ainsi « à sa manière à la
défense des libertés »409. Cette formule,
à la vue d'un sondage récent réalisé par
l'hebdomadaire Marianne, semble d'ailleurs conserver toute sa
pertinence410.
Toutefois, c'est véritablement par un arrêt du 12
juillet 2000411 rendu en assemblée plénière,
que la jurisprudence a consacré définitivement ce que Patrice
Jourdain nommait un peu plus tard « l'effet justificatif de l'humour
»412. Dans cette affaire, la responsabilité civile
de Canal plus était une fois de plus recherchée à
raison de propos tenus par la marionnette incarnant le chef d'entreprise de la
société automobile Citroën et constitutifs, selon cette
dernière, d'un dénigrement de la marque. La Cour fit alors valoir
que les propos en question, s'inscrivant « dans le cadre d'une
émission satirique », dès lors qu'ils ne
créaient « aucun risque de confusion entre la
réalité et l'oeuvre satirique », relevaient de la
liberté d'expression. Le raisonnement suivi par celle-ci s'opéra
donc en deux temps. Il s'agissait d'une part de rattacher les propos poursuivis
à l'exercice satyrique pour ensuite en définir le régime
juridique.
183. Cet arrêt, combiné avec les diverses
décisions rendues par le Tribunal de grande instance de Paris
évoquées ci-dessus, fait apparaître que l'effet
justificatif de l'humour résulte finalement de la combinaison de deux
conditions essentielles. Tout d'abord, la satire doit indispensablement
être de nature à ne créer aucune confusion entre ce qui
relève de la réalité et de la fiction. Dans le cas
contraire, la Cour n'hésitera pas à faire tomber les propos
litigieux sous le joug de l'article 1382 du Code civil413. Ensuite,
la finalité poursuivie par la satire doit indubitablement être le
rire de sorte que tout propos humoristique mû par une intention de nuire
engagera toujours la responsabilité civile de
408 TGI Paris, 24 janv. 1990 confirmé par CA Paris, 11
mars 1991 : Légipresse n°91, I, p. 49 ; TGI Paris, 16
janv. 1991 : Légipresse n°84, III, p .92 ; TGI Paris, 9
janv. 1992 : Gaz. Pal. 1992, 1, p. 187, obs. P. Bilger.
409 TGI Paris, 24 janv. 1990 préc.
410 En effet, d'après un sondage réalisé
par l'hebdomadaire, 72% des français estiment que les humoristes sont
« utiles au débat politique et à la démocratie
» : E et M. H, « Les humoristes ont-ils trop de pouvoir ?
», Marianne, 7 avr. 2012, p. 19.
411 Cass. Ass. Plén. 12 juillet 2000 : Bull. civ.
n°7.
412 P. Jourdain, « Vers un droit à la satire
opérant comme un fait justificatif et repoussant le seuil de la faute
», RTDciv. 2000, p. 845.
413 Condamnant ainsi Canal plus pour
l'ambigüité du caractère fictif du message satirique
diffusé par l'émission « les Guignols de l'info » : TGI
Cusset, 8 juin 2000 : Légipresse n°174. III. 149, obs. P.
Bilger.
105
son auteur414. Une fois ces deux conditions
réunies, l'exception de satire pourra très potentiellement
constituer un exutoire de responsabilité civile.
Ce développement atteste donc incontestablement de la
mise en place d'un système prétorien de justification tenant
à l'expression humoristique en matière de presse.
Néanmoins cet « échappatoire » que constitue le droit
à la satire doit s'utiliser avec prudence. En tout état de cause,
comme le disait Pierre Desproges il semblerait que l'« on peut rire de
tout, mais pas avec n'importe qui »415. L'avènement
en jurisprudence du concept de dignité humaine comme limite absolue
à la liberté d'expression en témoigne416et
incite clairement à penser que « la tendance actuelle n'est pas
à une conception débridée de ce droit de libre expression,
fût-il couvert d'humour »417.
Ces instruments de défense mis à la disposition
d'auteurs d'abus de la liberté d'expression, bien que répondant
à des circonstances bien spécifiques, contribuent donc une fois
de plus à l'épanouissement de la liberté d'expression au
prix d'un amenuisement de la responsabilité civile. Et le
phénomène ne fait que se développer. Dans des domaines,
toujours plus sensibles.
Paragraphe 2 : Les faits justificatifs d'atteintes aux
droits de la personnalité
184. En vue d'assouvir encore d'avantage les perspectives
d'expansion de la liberté d'expression, la jurisprudence n'a pas
hésité à dégager un nombre substantiel de faits
justificatifs d'atteintes aux droits de la personnalité. Au premier rang
des concernés par ce mouvement de relativisation des attributs de la
personne figurent principalement : le droit au respect de la vie privée
(A), et celui de l'image (B).
A. Ceux justifiant des atteintes au droit à la
vie privée
185. Parmi les circonstances susceptibles d'opérer une
justification des atteintes à la vie privée, on dénote
trois principales hypothèses.
414 V. en ce sens : TGI Paris, 12 janv. 1993 :
Légipresse n°108, I, p. 11 ; Civ. 2e, 13
fév. 1991 : Bull. civ.II, n°51 ; TGI Paris, 9 mars 1987 :
Gaz. Pal. 1987, 1, 267.
415 P. Desproges, Les réquisitoires du tribunal des
flagrants délires, éd. Seuil, 2003, p. 171.
416 Crim. 20 oct. 1992 : Bull. crim. n°329 ; TGI
Paris, 26 fév. 1992, Légipresse n°96, I, p. 121 ;
TGI Paris, 11 janv. 1996 et 21 mars 1997, inédits.
417 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, op. cit. p.
742.
106
Tout d'abord, première hypothèse, celle tenant
au fait que les éléments révélés sur la vie
privée de la victime ont déjà été rendus
publics418. Selon la jurisprudence, les propos en question ayant
acquis le statut de « faits publics », ont définitivement
perdu leur caractère secret et donc, ne peuvent réintégrer
le champ de l'interdiction visé par l'article 9 du Code
civil419. La Cour européenne a récemment statué
en ce sens dans une affaire où étaient en question des
révélations ayant trait à la vie privée du chanteur
Johnny Hallyday, celle-ci ayant estimé que la redivulgation
d'informations déjà rendues publiques par le chanteur sur la
gestion de ses biens et de son argent, ne lui conférait plus
l'« espérance légitime » de voir sa vie
privée effectivement protégée420. Mais
attention, la complaisance dont aurait pu faire preuve la victime en
révélant certains aspects de sa vie privée ne lui interdit
pas pour autant de prétendre à la protection d'autres
éléments à caractère personnel au titre de
l'article 9 du Code civil421.
Ensuite, s'il est bien un fait justificatif classique en droit
de la presse permettant de légitimer des abus de la liberté
d'expression - et en l'espèce des atteintes à la vie
privée - c'est bien celui que constitue le droit du public à
l'information. Couplé avec l'argument tenant à la
notoriété publique de la personne se plaignant d'une atteinte
à la vie privée, ce droit à l'information peut
s'avérer être un formidable outil de défense. Bien entendu,
le principe demeure celui selon lequel « toute personne, quels que
soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou
à venir, a droit au respect de sa vie privée
»422. Toutefois, celui-ci est loin d'être absolu. En
attestent, les multiples décisions rendues par nos juridictions internes
admettant allègrement que certains faits et gestes de personnes à
notoriété publique soient révélés librement
au nom du droit à l'information. Il ne faut pas pour autant en
déduire que les intéressés seront privés de la
protection offerte par l'article 9 du Code civil. Tout au plus, les limites
à cette protection seront appréciées plus largement.
Ainsi, la vie privée de ces derniers pourra pour les besoins de
l'actualité, de l'intérêt général - et donc
sous couvert du droit du public à l'information - plus facilement
être dévoilée423. Par exemple, la Cour de
cassation, dans un arrêt rendu le 27
418 C. Bigot, « Droits de la personnalité :
panorama 2004-2005 », Recueil Dalloz 2005, n°38, p.
2647.
419 Statuant en ce sens : Civ. 1e, 2 avr. 2002 :
LPA, 6 mai 2002, p. 16, note E. Derieux ; Civ. 2e, 3 juin
2004 : Bull. civ.II, n°272, p. 231 ; Civ. 1e, 23 avr.
2003 : D. 2003, jurisp. p. 1854, note C. Bigot.
420 CEDH, 23 juillet 2009, Hachette Filipacchi
Associés c/ France, n°12268/03, §53.
421 CA Paris, 27 fév. 1967 : D. 1967, p. 450,
note J. Foulon- Piganiol.
422 Civ. 1e, 23 oct. 1990 : Bull.
civ.n°222
423 V. illustrant ce propos : CEDH, 7 fév. 2012,
Axel Springer c/ Allemagne, n°39954/08, où la Cour de
Strasbourg, ayant estimé que l'acteur qui se revendiquait victime d'une
atteinte à sa vie privée était suffisamment connu pour
être qualifié de « personnage public », jugea que cet
élément était de nature à renforcer le droit du
public à l'information sur les circonstances de son arrestation.
107
février 2007 où étaient poursuivis des
propos révélant la paternité hors-mariage du Prince Albert
de Monaco, a estimé que ceux-ci, faisant état d'un «
fait d'actualité » relatif à une personne publique,
participaient d'un but légitime d'information du
public424.
Enfin, la troisième hypothèse dans laquelle on
peut réellement parler d'exception d'atteinte au droit au respect de la
vie privée est celle du décès de la personne objet de
l'atteinte. En effet, il est acquis en jurisprudence que la protection offerte
par l'article 9 est personnelle et disparaît avec le décès
de l'intéressé425. Aucune action en réparation
des héritiers ne sera donc admise sur ce fondement, celle-ci
étant « intransmissible »426. Tout au
plus, ces derniers pourront intenter une action en réparation pour
atteinte à leurs sentiments d'affliction.
On peut donc remarquer que les situations permettant de
justifier les ingérences de la liberté d'expression dans la vie
privée des gens - au plus grand plaisir des adeptes
d'indiscrétions de presse - sont relativement développées.
Ce phénomène, témoignant d'une forme de relativisation du
droit au respect de la vie privée, est d'ailleurs accentué par le
développement fracassant des exceptions au droit à l'image.
B. Ceux justifiant des atteintes au droit à
l'image
186. Nous avons vu précédemment qu'en
référence à l'article 9 du Code civil, les tribunaux
continuent, encore aujourd'hui, de juger que toute personne dispose «
d'un droit exclusif, qui lui permet de s'opposer à la reproduction de
son image, sans son autorisation préalable »427.
Cependant, à la vue de la multiplication des cas justifiant des
atteintes au droit à l'image par voie de presse, l'absolutisme apparent
de ce droit semble clairement ressortir ébranlé de sa
confrontation au principe de liberté d'expression.
Encore une fois, l'une des premières causes du
phénomène de relativisation que connaît le droit à
l'image est sans conteste celle que constitue le droit du public à
l'information428. C'est avec l'arrêt Foca du 6
février 1996, que la Cour de cassation a pour la première fois
autorisé la diffusion d'une image sans le consentement de
l'intéressé, estimant que le droit à l'image devait
s'incliner face aux exigences d'information du
424 Civ. 1e, 27 fév. 2007 : Bull. civ.
n° 85, p.73.
425 « Le droit d'agir pour le respect de la vie
privée s'éteint au décès de la personne
concernée, seule titulaire de ce droit ». Telle fût la
formule utilisée par la Cour de cassation pour débouter les
héritiers de François Mitterrand en leur demande de
réparation du préjudice d'atteinte à leur vie
privée causé par la publication du livre Le Grand secret
: Civ. 1e, 14 déc. 1999 : Bull.
civ.n°345.
426 Civ. 1e, 20 nov. 2003 : Bull. civ.II,
n°354.
427 V. encore en ce sens récemment : TGI Paris, 9 juin
2010 : Légipresse 2010. 374, note C. Mas.
428 C. Bigot, « La liberté de l'image entre son
passé et son avenir », Légipresse n°182,
II, p. 68 et s.
108
public lorsqu'est en cause un événement
d'actualité429. Mais, semblant vouloir chercher à
renforcer la légitimité d'une telle position, en plus de l'alibi
du droit à l'information, la Cour exige aussi depuis peu, la
démonstration d'un lien entre l'information traitée et l'image
publiée430. Autrement dit, celle-ci impose que l'illustration
par l'image d'un sujet d'actualité participant à l'information du
public soit en « lien direct » avec ce dernier. Par exemple, dans
l'affaire dite de l'église St. Bernard, une photographie d'un
fonctionnaire de police procédant à l'expulsion d'occupants du
lieu de culte avait été publiée en guise d'illustration
sur des tracts appelant à manifester. Le policier, faisant valoir que
son droit à l'image avait été violé, s'est vu
débouté en sa demande de réparation, la Cour de cassation
faisant valoir que d'une part, l'image participait d'un sujet
d'actualité et donc du droit à l'information et d'autre, que
celle-ci était « en relation directe avec
l'événement » illustré431. Deux
conditions donc, permettant de légitimer l'atteinte portée au
droit à l'image, sous couvert du droit du public à
l'information.
Ensuite, l'autre fait de nature à relativiser la
protection offerte par le droit à l'image est celui tenant au
caractère public du lieu de sa fixation. En effet, s'il est acquis en
jurisprudence qu'une image volée d'une personne prise dans un lieu
privé - que cette dernière soit anonyme ou célèbre
- est condamnable, soit au regard du droit au respect de la vie privée,
soit au regard du droit à l'image, il en va autrement lorsque celle-ci
est captée dans un lieu public432. Comme le souligne le
Tribunal de grande instance de Paris, « le spectacle qu'offrent les
lieux publics ne saurait être nécessairement subordonné
à l'accord de chacune des personnes s'y trouvant, sous peine d'interdire
toute prise de vue »433. Pour autant, le fait
qu'une personne intéressant l'actualité se trouve dans un lieu
public ne confère pas tous les droits au photographe434.
D'ailleurs les décisions rendues en la matière peuvent parfois
être décriées tant la notion même de lieu public peut
parfois prêter à discussion435. On comprend donc qu'il
revient à la jurisprudence, par une pesée
429 Civ. 1e, 6 fév. 1996 : D. 1997,
somm. p. 85, obs. Hassler.
430 C. Bigot, « Le nouveau régime du droit
à l'image : le test en deux étapes », Dalloz,
2004, comm. p. 2596.
431 Civ. 1e, 20 fév. 2001 :
Légipresse n°180. III, p. 53, 2001, note E. Derieux ;
aussi, Civ. 2e, 11 déc. 2003 :
Comm. com.
électr., mars 2004, p. 40.
432 D. De Bellescize, L. Franceschini, op. cit. p.
432.
433 TGI Paris, 2 avr. 1997 : Légipresse
n°147. I, p. 148.
434 V. CA Paris, 16 juin 1986 : D. 1987, somm. p. 136
: « la circonstance qu'une personne intéressant
l'actualité se trouve dans un lieu public ne peut être
interprétée comme une renonciation à se prévaloir
du droit que chacun a sur son image, ni entraîner une présomption
d'autorisation ».
435 Ainsi, de la photographie prise de membres de la famille
princière de Monaco suivant le grand prix automobile d'un balcon : le
tribunal de grande instance de Paris ayant estimé que le balcon en
question n'équivalait « pas à une loge officielle, mais
au balcon d'un appartement privé » : TGI Paris, 13 mars 1996,
inédit.
109
des intérêts en présence, de
procéder au cas par cas pour trancher ce type de litiges. Mais en tout
état de cause, il est de principe que le « droit exclusif et absolu
» dont dispose toute personne sur son image « trouve ses limites
lorsque les photographies sont prises dans le cadre d'évènements
ou de manifestations se déroulant dans des lieux publics
»436.
Enfin, apparu depuis peu en jurisprudence, la «
liberté de création artistique » peut désormais
être ajoutée à la liste des circonstances participant
à l'affaiblissement de la protection civile offerte par le droit
à l'image. C'est en effet depuis un jugement rendu par le tribunal de
grande instance de Paris du 2 juin 2004, qu'a été inauguré
ce mouvement de justification des atteintes portées au droit à
l'image. Dans cette affaire, était en cause la publication d'une
photographie d'une personne assise dans le métro. Le tribunal, mettant
en avant que l'image litigieuse participait d'un témoignage sociologique
et artistique ayant trait au comportement humain, a décidé de
légitimer l'atteinte437. D'autres décisions ont depuis
été rendues en ce sens438. Un nouveau pas semble donc
avoir été franchi en faveur de la liberté d'expression.
187. Néanmoins, s'il est une limite dont la
liberté d'expression ne peut en aucun cas s'affranchir - et cela,
fût-ce sous couvert d'humour, du droit du public à l'information
ou autre439 - c'est la dignité de la personne humaine. En
effet, depuis un certain nombre d'années, cette notion semble clairement
s'ériger en limite absolue au principe de liberté d'expression
dont disposent les médias. Cela est particulièrement flagrant
dans le domaine de l'image où la jurisprudence n'hésite pas
à sanctionner la diffusion de photographies jugées
indécentes à l'égard des
intéressés440. Il semblerait donc que la
liberté d'expression se trouvera toujours, quelles que soient les
circonstances, supplantée par le droit dont
436 CA Versailles, 7 déc. 2000 : Légipresse
n°179. III, p. 35 ; aussi dans ce sens, CA Versailles, 31 janv. 2002
: D. 2003, somm. p. 1533, note Caron.
437 TGI Paris, 2 juin 2004 : Légipresse
n°213. I, p. 99.
438 TGI Paris, 21 nov. 2005 : Légipresse
n°229. I. p. 24 ; TGI Paris, 9 mai 2007 : Légipresse
n°246. III, p. 234.
439 Sont visés ici, tous les faits justificatifs
étudiés au sein de ce chapitre et participant à
l'amoindrissement des perspectives d'aboutissement des actions en
responsabilité civile.
440 Les exemples dans lesquels l'atteinte à la
dignité de la personne humaine a été retenue sont divers
et variés : ainsi, de la diffusion de la photographie du corps du
préfet Claude Érignac gisant sur la chaussée (Civ.
1e, 20 déc. 2000 : JCP G, 14 mars 2001, II, 10488) ;
ainsi, de l'image du comédien Jean Paul Belmondo, le représentant
sur une civière suite à un accident vasculaire (CA Versailles, 14
mars 2007 : Légipresse n°240, I, p. 44) ; ainsi, de
l'image publicitaire illustrant un corps humain fractionné et
tatoué des lettres HIV (CA Paris, 28 mai 1996 : D. 1996, p.
617, note B. Edelman).
110
dispose tout un chacun de voir respecter sa
dignité441. Toutefois, il convient de relativiser l'impact
d'une telle limite. Si l'on peut se réjouir de son application en
jurisprudence - la dignité humaine étant un droit de la
personnalité des plus essentiels442 - il n'en demeure pas
moins qu'en pratique, la majorité des abus ne franchiront pas le pas
d'une telle atteinte et pourront donc potentiellement bénéficier
des exutoires de responsabilité façonnés par les juges.
Une formule bien connue de Victor Hugo affirme que «
tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité
»443. Ce chapitre contribue nettement à douter de
l'absolutisme d'un tel propos. En effet, l'essor accordé par les juges
à la liberté d'expression ne paraît pas vraiment
s'accompagner d'un renforcement des perspectives de mise en oeuvre de la
responsabilité civile des médias. Bien au contraire, il
semblerait que les cas d'impunité se multiplient à mesure que la
liberté d'expression elle, gagne du terrain.
Une chose demeure néanmoins certaine pour la victime.
À défaut de pouvoir être assurée du succès de
ses prétentions, tant les possibilités de se voir débouter
en ses demandes sont nombreuses, tant la liberté d'expression semble
peser lourd dans la balance des intérêts en présence,
celle-ci aura toujours la faculté d'user d'une des
spécificités majeure du droit de la presse : le droit de
réponse.
441 En effet, nul doute que si l'argument de la dignité
humaine est en mesure d'empêcher la diffusion d'images litigieuses, il en
sera de même pour les espèces où seront en cause des propos
attentatoires à la vie privée, à l'honneur ou à la
considération, quand bien même ceux-ci verseraient dans l'humour,
ou bien relèveraient d'un fait d'actualité. Par exemple eu
égard à l'effet justificatif de l'humour, deux jugements du
tribunal de grande instance de Paris ont pu faire valoir que « s'il
est exact que le contexte d'une publication humoristique conduit, en
règle générale, à une appréciation
bienveillante des principes qui gouvernent la liberté d'expression, ce
ne peut être que dans les limites du respect de la personne humaine et de
sa dignité la plus élémentaire » : TGI Paris, 11
janv. 1996 et 21 mars 1997, inédits.
442 La dignité est le principe juridique
premier si l'on en croit la place qui lui est conférée au sein de
la Charte des droits fondamentaux de Nice du 7 décembre 2000 (article
1er du chapitre préliminaire).
443 Victor Hugo, Paris et Rome, XII, éd.
Lévy, 1876.
111
Chapitre 2 : Le droit de réponse, ultime
garantie face à la liberté d'expression
188. La victime d'un abus de la liberté d'expression
commis par voie de presse trouvera très probablement un certain
réconfort lorsqu'elle découvrira chez son avocat, qu'à
défaut de pouvoir s'assurer d'obtenir gain de cause à son
procès, un droit de réponse aux propos litigieux lui est
conféré par la loi. Ainsi, plutôt que d'intenter une action
en justice à l'issue incertaine, celle-ci préfèrera
parfois s'en tenir à ce moyen de riposte444. « Un
tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l'auras : l'un est sûr, l'autre
ne l'est pas »445.
189. Le droit de réponse confère la
faculté à toute personne nommée ou désignée
par une publication de presse d'exprimer son point de vue dans les pages d'un
journal, à l'antenne d'une radio, d'une télévision ou
encore sur internet446. Il importe donc peu que la demande de
réponse intervienne à la suite d'un propos jugé fautif,
puisque celle-ci pourra indifféremment être admise, tant pour des
propos dénigrants, injurieux, diffamatoires, que pour des propos
bienveillants voire élogieux.
190. Ce droit fait l'objet d'un traitement particulier dans
notre sujet car nous verrons qu'il constitue un moyen supplémentaire
d'engager la responsabilité civile des organes de presse. De surcroit,
de façon quelque peu subliminale certes, il semblerait que la
réponse renvoie implicitement au concept de réparation tel que
conçu en matière de responsabilité civile. En effet, le
droit de réponse offre d'une certaine manière un moyen pour la
victime de se replacer dans la situation dans laquelle elle se trouvait avant
la publication du propos litigieux447. Il apparait donc d'autant
plus intéressant de se pencher sur l'étude d'un tel
mécanisme448.
444 Un ancien article du journal Libération,
dénonçant certaines pratiques abusives dans l'usage du droit de
réponse, illustre parfaitement ce propos : « Écrivez que
le Front national est «raciste», il ne poursuivra pas pour
diffamation, mais exigera un droit de réponse. Autant il est difficile
au Front national de prouver qu'il n'est pas «raciste». Car
s'affronteraient alors à la barre des témoignages et des offres
de preuve risquant fort de finir en déroute judiciaire. Autant la
procédure rapide du droit de réponse lui permet de s'offrir,
à peu de frais, une demi-page de tribune libre ». (D.
Simmonot, Le droit de réponse : un droit à consommer avec
modération », Libération, 11 juin 1996).
445 Jean de La Fontaine, Le poisson et le pêcheur
in Les fables du poisson, V, éd. Le capucin, 2006.
446 D. De Bellescize, L. Franceschini, op. cit. p.
419.
447 Civ. 2e, 1er avr. 1963, préc. :
« le propre de la responsabilité civile est de rétablir
aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage
et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation
où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était
pas produit ».
448 On se contentera d'évoquer l'existence, en sus du
droit de réponse, d'un droit de rectification offert aux
dépositaires de l'autorité publique et leur permettant de pouvoir
rectifier « des actes de leur fonction qui ont été
inexactement rapportés » dans un journal ou écrit
périodique (art. 12 Loi du 29 juillet 1881).
191.
112
Le droit de réponse - initialement prévu pour
répondre aux propos diffusés par la presse écrite - compte
tenu de l'apparition des nouvelles formes de communication au public par voie
électronique449, a fait l'objet de certains remaniements dont
les effets se traduisent par un régime juridique relativement
hétérogène (Section 1). Pour autant, quel que soit le
média concerné par la réponse, celle-ci participe d'un
même besoin de rompre avec l'unilatéralisme de la diffusion des
messages450. Un tel contre-pouvoir devait naturellement rencontrer
certaines limites (Section 2).
Section 1 : Le régime juridique disparate du
droit de réponse
192. En raison des spécificités techniques
propres aux moyens de communication contemporains, le droit de réponse
tel qu'il fut initialement conçu par la loi du 29 juillet 1881, a
quelque peu perdu de son harmonie (Paragraphe 1). Mais une chose demeure, et ce
depuis sa création. Indépendamment du support concerné,
son non-respect rendra toujours possible la mise en oeuvre de la
responsabilité civile du directeur de publication (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La réponse confrontée
à la diversité des supports de presse
193. Si le droit de réponse figurait
déjà depuis 1881 dans le domaine de la presse écrite - au
sein de l'article 13 de la loi sur la liberté de la presse - ce n'est
qu'un siècle plus tard que le législateur prendra le soin de
l'étendre en matière audiovisuelle (art. 6 loi du 29 juillet
1982). Ce droit ne pénètrera la sphère internet
qu'à compter du deuxième millénaire grâce à
la loi sur la confiance dans l'économie numérique (art. 6-IV LCEN
du 21 juin 2004).
194. À la lecture des différents articles
ci-dessus recensés, on remarque d'emblée que les conditions
d'ouverture du droit de réponse varient selon le support
concerné.
Tout d'abord, il résulte de l'article 13 de la loi du
29 juillet 1881 que seules les publications provenant de « journaux ou
écrits périodiques » pourront justifier la mise en
oeuvre d'un tel droit. Il convient dès lors de souligner l'importance de
cette condition de
449 La notion de « communication au public par voie
électronique » regroupe à la fois la «
communication audiovisuelle » (encadrée par la Loi n°86-1067
du 30 septembre 1986 concernant essentiellement les médias que
constituent la radio et la télévision) et la « communication
au public en ligne » (Loi LCEN n°2004-575 du 21 juin 2004 concernant
l'internet).
450 E. Dreyer, Responsabilité civile et pénale
des médias, LexisNexis, 3e éd., 2011, p. 75.
113
« périodicité » qui d'ores et
déjà, a vocation à exclure toute forme d'écrits non
périodiques type livres, affiches, tracts et autres. L'article 6 de la
loi du 29 juillet 1982 lui, prévoit un droit de réponse
« dans le cadre d'une activité de communication audiovisuelle
». Mais une loi du 30 septembre 1986 ajoute là encore
l'exigence de périodicité de l'émission (de
télévision, de radio) propagatrice des propos litigieux. Enfin,
depuis un décret du 24 octobre 2007, le droit de réponse
consacré en matière de presse en ligne par l'article 6-IV de la
loi du 21 juin 2004 est exclu, dès lors que « les utilisateurs
sont en mesure (É) de formuler directement les observations qu'appelle
de leur part un message qui les met en cause »451.
Autrement dit, ne sont pas concernés par le droit de réponse, les
sites fonctionnant sur la base d'un système d'interaction entre
internautes.
195. Une fois la question tenant à savoir si les propos
litigieux peuvent donner lieu à l'insertion d'une réponse
résolue, se pose celle de la détermination des titulaires d'un
tel droit.
Pour ce qui est de la presse écrite et de la presse en
ligne tout d'abord, la loi prévoit que le droit de réponse
bénéficie à toute personne « nommée ou
désignée » dans le « journal ou écrit
périodique» ou dans le « service de communication au
public en ligne ». Ce droit est donc personnel car il concerne la
seule personne - physique ou morale452 - mise en cause dans les
propos litigieux453. Par ailleurs, il importe peu que les propos en
question soient nuisibles.
En ce qui concerne la presse audiovisuelle en revanche - et
c'est là un point essentiel de divergence avec le régime imparti
aux autres médias - le droit de réponse ne
bénéficie qu'aux personnes ayant fait l'objet d'«
imputations susceptibles de porter atteinte à l'honneur ou à la
réputation »454. Sa mise en oeuvre est
subordonnée à l'existence d'une attaque. Les perspectives de
réponse seront donc moins larges pour ce média car la
451 Décret n°2007-1527 du 24 octobre 2007
relatif au droit de réponse applicable aux services de communication
au public en ligne.
452 Ainsi du droit de réponse exercé par une
commune : Crim. 6 nov. 1956 : Bull. crim. n°172.
453 La loi du 29 juillet 1881 déroge néanmoins
à la règle dans les deux cas que constituent d'une part, le
droit de réponse des héritiers (l'article 34 alinéa 2
de la loi du 29 juillet 1881 met en place un droit de réponse
spécifique ouvert aux héritiers de personnes défuntes
faisant l'objet d'imputations diffamatoires ou injurieuses permettant d'une
certaine manière de compenser les difficultés que ces derniers
connaissent pour obtenir réparation : V. Supra n°96 et s.)
et d'autre, le droit de réponse des associations (l'article
13-1 de la loi du 29 juillet 1881 accorde un droit de réponse
spécifique aux associations participant à la lutte contre le
racisme et la xénophobie).
454 Loi du 29 juillet 1982, art. 6. I al. 1er.
114
personne mise en cause se verra non seulement dans
l'obligation de démontrer l'existence d'imputations455, mais
aussi, d'un préjudice.
On a donc un droit de réponse dont les conditions
d'ouverture sont relativement changeantes selon le support
concerné456. Si en matière de presse en ligne, sa mise
en oeuvre répond à des exigences quasi-similaires que celles
fixées pour la presse écrite, les médias audiovisuels eux,
s'en éloignent, et bénéficient indéniablement d'un
régime de faveur. Il n'en demeure pas moins que lorsque l'ensemble des
conditions en question seront satisfaites, quel que soit le support
concerné, le directeur de publication sera tenu à son obligation
d'insertion qui, en cas d'inexécution, sera sanctionnée.
Paragraphe 2 : Les conséquences du non-respect du
droit de réponse
196. Le droit de réponse a priori admis, le
directeur de publication se trouvera débiteur d'une obligation de faire
: insérer la réponse. Sauf motif légitime457,
le manquement à cette obligation ouvre droit au demandeur à
l'exercice d'une action civile en réparation pour refus d'insertion de
la réponse.
197. Cette action doit, en matière de presse
écrite, s'exercer devant le tribunal de grande instance dans un
délai de trois mois à compter de la date de publication du
périodique ayant permis la diffusion du message litigieux458.
Ce délai est réduit à vingt-quatre heures en
période électorale. En revanche, pour ce qui est de la presse
audiovisuelle et de la presse en ligne, la loi ne prévoyant aucune
disposition à ce sujet, c'est le délai de droit commun qui
s'appliquera.
198. Néanmoins il incombe de préciser que d'une
manière générale - plutôt que d'engager un
procès au fond dont la lenteur fera nécessairement perdre au
jugement d'insertion son intérêt - les demandeurs saisiront le
juge des référés. L'idée sera d'obtenir sous
astreinte une injonction de publication de la réponse en faisant valoir
l'existence d'un
455 La jurisprudence a néanmoins pu admettre que de
simples insinuations puissent suffire à ouvrir le droit de
réponse : Civ. 2e, 10 juillet 1996 : Bull. civ.II.
n°210 ; CA Versailles, 18 mars 1994 : Gaz. Pal. 1994, somm. p.
600.
456 E. Derieux, « Droit de réponse :
incertitudes, et diversités des régimes actuels »,
Légipresse n°184, II, p. 99.
457 Les motifs légitimes de refus sont nombreux. Il
peut s'agir par exemple, du fait que la réponse soit sans rapport avec
le message diffusé (Crim. 16 janv. 1996 : Bull. crim.
n°26) ; du fait que la réponse porte atteinte aux
intérêts d'un tiers identifié ou identifiable (Crim. 10
mars 1938 : Bull. crim. n°71) ; du fait que le directeur de
publication ait procédé à une suppression ou une
rectification du message litigieux dans les trois jours suivant la
réception de la demande d'insertion (Art. 5 du décret n°
2007-1527 du 24 octobre 2007 relatif au droit de réponse applicable
aux services de communication au public en ligne) ; du fait, d'une
manière plus générale, qu'il en soit fait un usage abusif
(V. Infra 203 n° et s.)
458 V. Art. 65 Loi du 29 juillet 1881.
115
« trouble manifestement illicite ». Le recours au
juge des référés est d'ailleurs expressément
prévu en matière audiovisuelle au sein de l'article 6 de la loi
du 29 juillet 1982. Ce dernier dispose en effet qu'« en cas de refus
ou de silence gardé sur la demande par son destinataire dans les huit
jours suivant celui de la réception, le demandeur peut saisir le
président du Tribunal de grande instance, statuant en matière de
référé ».
199. En plus de l'action civile en réparation du refus
d'insertion, il incombe de préciser que le demandeur pourra aussi agir
devant le juge répressif en vue d'engager la responsabilité
pénale du directeur de publication. En effet, depuis une loi du 4
janvier 1993459, en matière de presse écrite comme de
presse en ligne, le refus d'insertion injustifié est passible d'une
peine d'amende de 3 750 euros. Il s'agit là encore d'une étrange
différence de traitement avec la presse audiovisuelle pour qui le refus
d'insertion est insusceptible d'entrainer une quelconque répression
pénale.
On observe donc que le régime juridique du droit de
réponse obéit à des règles relativement
différentes selon le support de presse concerné. D'ailleurs, sans
que cela soit vraiment justifié, on a pu voir que les médias
audiovisuels - tant sur les questions tenant à la mise en oeuvre du
droit de réponse, que celles tenant à sa sanction - disposaient
d'un régime plus favorable que celui imparti à la presse en ligne
et à la presse écrite. Mais une chose est sûre : le
directeur de publication se verra toujours confronté à la menace
d'une éventuelle action en responsabilité civile en cas de
violation de ce droit et ce, indépendamment de la nature du média
qu'il dirige.
Toujours est-il que le droit de réponse, «
général et absolu »460,
véritable outil de rectification, de contradiction, pour qui
contesterait la justesse des propos diffusés à son égard,
n'est pas sans connaitre l'existence d'un certain nombre de limites.
Section 2 : Les limites apportées au droit de
réponse
200. Le droit de réponse connait toute une série
de limites plus ou moins objectives destinées à accompagner son
exercice. Elles correspondent à des frontières légales et
jurisprudentielles de contenu, de longueur et de délais, qui ont
d'ailleurs souvent été perçues comme allant dans le sens
du caractère absolu qui lui est conféré461.
459 Loi n°93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme
de la procédure pénale.
460 Crim. 12 juillet 1884 : DP 1986, 1, jurisp. p.
47.
461 Y. Mayaud, « L'abus de droit en matière de
droit de réponse », in Liberté de la presse et
droits de la personne, Dalloz, 1997.
116
Tant sur la forme (Paragraphe 1) que sur le fond (Paragraphe
2), des règles ont donc été fixées en vue de faire
de la réponse un droit subjectif à part entière, avec une
portée, et des limites.
Paragraphe 1 : Les règles de forme encadrant la
demande de réponse
201. Ces règles de forme sont essentiellement d'origine
légale. Elles visent non seulement à règlementer
l'exposé de la demande, mais aussi, les délais de sa mise en
oeuvre.
Eu égard aux modalités d'exercice de la demande
de réponse tout d'abord, il convient de préciser que quel que
soit le média concerné, le destinataire de la demande sera par
principe, le directeur de publication462. Pratiquement, il
appartiendra donc au demandeur d'adresser une lettre au siège social de
l'organe de presse en question463. Cette demande s'opère par
voie de lettre simple en matière de presse écrite. En revanche,
une lettre avec accusé de réception est exigée dans
l'audiovisuel et l'internet. Mais encore une fois, cette lettre n'entrainera
aucune obligation d'insertion si elle est adressée à une autre
personne que le directeur de publication464.
Le délai accordé à l'exercice de la
demande a été harmonisé à trois mois pour tous les
supports de presse par la « loi Guigou » du 15 juin
2000465. Ce délai a pour point de départ de principe
la mise à disposition au public du message litigieux mais une
incertitude demeure quant à la question de savoir si celui-ci court
à compter de la date d'envoi ou de la réception de la
réponse. Une jurisprudence serait donc ici la bienvenue.
En ce qui concerne le contenu de la demande, si l'article 13
de la loi du 29 juillet 1881 ne prévoit rien sur ce point, il en est
autrement pour les textes régissant les services de communication au
public par voie électronique. En effet, s'agissant de l'audiovisuel tout
d'abord, l'article 6-I alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1982 dispose que
le demandeur doit « préciser les imputations sur lesquelles il
souhaite répondre et la teneur de la
462 Il existe toutefois des cas dans lesquels le directeur de
publication aura conservé l'anonymat. On pense en effet à la
presse en ligne ou de nombreux internautes éditant à titre
non-professionnel diffusent des messages mettant en cause des personnes sans se
soucier des éventuelles répercussions de leurs publications.
Ë ce titre, l'article 6 du décret du 24 octobre 2007 prévoit
que le destinataire de la demande sera le fournisseur d'hébergement
chargé de transmettre celle-ci au directeur de la publication dans un
délai de vingt-quatre heures.
463 Civ. 1e, 29 avr. 1998 : D. 1998, p.
140.
464 D. De Bellescize, L. Franceschini, op. cit. p.
455.
465 Loi n°2000-516 du 15 juin 2000 pour la protection de
la présomption d'innocence et les droits des victimes.
117
réponse qu'il se propose d'y faire ».
Cette exigence, qui ne comporte pas d'équivalent en matière de
presse écrite, fait l'objet d'une application stricte en
jurisprudence466 et oblige donc le demandeur à redoubler de
vigilance dans la formulation de sa demande. Toutefois, en vue de permettre au
demandeur d'établir la preuve de ces imputations, un décret du 6
avril 2007467 prévoit l'obligation pour le diffuseur
d'enregistrer et de conserver l'émission porteuse du message litigieux
pendant une durée minimum de quinze jours à compter de sa
diffusion468. En cas de manquement à cette obligation, une
peine d'amende de 1 500 euros est prévue à l'encontre du
directeur de publication et une action en responsabilité civile pour
faute sera bien entendu parallèlement ouverte au
demandeur469. S'agissant des services de communication au public en
ligne, l'article 2 du décret du 24 octobre 2007 470
prévoit sensiblement les mêmes conditions qu'en matière
audiovisuelle en omettant pas d'imposer au demandeur, là encore,
d'indiquer les « passages contestés et la teneur de la
réponse sollicitée ».
Enfin, dernier point important ayant trait aux règles
de forme, celui tenant à la longueur de la réponse. Cette
question fait l'objet d'importants détails au sein de l'article 13 de la
loi sur la liberté de la presse. Le principe est ainsi posé : en
matière de presse écrite, la réponse sera «
limitée à la longueur de l'article qui l'aura provoquée
». Or, comme rattrapé par la réalité, ce
principe, inapplicable si le texte fait plusieurs pages, le législateur
poursuit : « toutefois, elle pourra atteindre cinquante lignes, alors
même que cet article serait d'une longueur moindre, et elle ne pourra
dépasser deux cents lignes, alors même que cet article serait
d'une longueur supérieure ». Enfin, la jurisprudence fait
valoir que si le directeur de publication peut légitimement refuser
l'insertion d'une réponse trop longue, il ne peut en revanche - sauf
accord du mis en cause - la couper ou la corriger, celle-ci étant
« indivisible »471. S'agissant de la
presse en ligne, des règles quasi-identiques sont prévues au sein
du décret du 24 octobre 2007. Mais c'est pour les médias
audiovisuels que le législateur a voulu radicalement couper court
à la longueur de la réponse. En effet, l'article 6 du
décret du 6 avril 1987 dispose que « le texte de la
réponse
466 Ainsi d'un demandeur ayant été
débouté en sa demande de réponse pour avoir omis de
préciser les passages qu'il contestait : TGI Nanterre, 6 avr. 1995 :
D. 1997, somm. p. 87.
467 Art. 7 al 1er du décret n°87-246 du
6 avril 1987 relatif à l'exercice du droit de réponse dans
les services de communication audiovisuelle. Son alinéa 2
prévoit d'ailleurs que ce délai sera prolongé
jusqu'à l'intervention d'une décision définitive en cas de
demande d'exercice du droit de réponse.
468 On notera le non-sens que constitue ce délai de
quinze jours qui devrait en réalité logiquement se calquer sur
celui de trois mois accordé pour la demande de réponse. En effet,
nul doute qu'une fois ce délai de 15 jours écoulé, les
perspectives de demande seront maigres.
469 Art. 9, décret n°87-246 ibid.
470 Décret n° 2007-1527 du 24 octobre 2007
préc.
471 Crim. 25 juin 2002, n°02-80075, inédit.
118
ne peut être supérieur à 30 lignes
dactylographiées ». Il ajoute que, lu à l'antenne, la
durée du message ne pourra excéder « deux minutes
».
Ces diverses dispositions légales contribuent donc
à fixer des limites objectives au droit de réponse. Comme a pu le
faire remarquer le Doyen Josserand, cet objectivisme est un moyen «
d'écarter les recherches d'intentions » pour permettre au
demandeur, à l'intérieur du cadre légal imparti à
la réponse, de se mouvoir librement472. Mais la jurisprudence
ne comptait pas en rester là. Très tôt, de
véritables exigences de fond destinées à encadrer la
substance de la réponse ont été adoptées par les
juges, contribuant ainsi à alourdir considérablement le
contrôle judiciaire de l'exercice de ce droit.
Paragraphe 2 : Les règles de fond encadrant la
substance de la réponse
202. En sus de la loi, la jurisprudence, dès la fin du
XIXème siècle, a été amenée à
déloger le droit de réponse du cadre strict dans lequel la loi
l'avait inséré, pour le soumettre à d'autres exigences
destinées à déceler les abus substantiels473.
En effet, à l'instar de tout droit subjectif, le droit de réponse
est emprunt à l'excès, au détournement et donc, à
l'hypothèse qu'en soit fait un usage abusif. Dans ce cas précis,
les juges admettront systématiquement le refus d'insertion opposé
par le directeur de publication.
203. C'est ainsi que l'exercice du droit de réponse -
pour ne pas être constitutif d'un abus de droit de nature à
constituer un motif légitime de refus d'insertion de la réponse -
devra non seulement être conforme aux lois et aux bonnes moeurs, à
l'intérêt légitime des tiers et à l'honneur du
journaliste, mais aussi, devra avoir un lien direct avec le message litigieux.
Quatre critères donc - applicables quel que soit le support de presse
considéré - qu'il convient de passer brièvement en
revue474.
Eu égard à la limite que constitue la
conformité aux lois et aux bonnes moeurs tout d'abord, il semblerait que
celle-ci découle naturellement des nécessités d'ordre
public. C'est d'ailleurs au regard de ce critère que l'homme politique
Bruno Gollnisch s'est récemment vu débouté en sa demande
d'insertion de réponse par la Cour d'appel de Paris.
472 L. Josserand, note ss. Civ. 21 mai 1924 : DP
1924,1.97.
473 Y. Mayaud, « L'abus de droit en matière de
droit de réponse », in Liberté de la presse et
droits de la personne, Dalloz, 1997, p. 7.
474 Les jurisprudences ayant repris ces quatre critères
sont nombreuses et éparses : V. not. Crim. 17 juin 1898 : DP.
1899, 1. 289 ; Crim. 10 mars 1938 : Bull. crim. n°71 ; Crim.
1er juil. 1954 : D. 1954. 665 ; Crim. 16 janv. 1969 :
Bull. crim. n°36 ; CA Grenoble, 3 oct. 1995 : JCP 1996.
IV. 715 ;
119
En effet, les juges du fond, estimant que la réponse
contenait des « considérations heurtant l'ordre public »
475, ont légitimé le refus d'insertion de la
réponse.
Ensuite, concernant les critères visant à
ménager l'intérêt des tiers et l'honneur du journaliste,
ceux-ci semblent - conformément à l'esprit des droits subjectifs
476 - promouvoir l'idée selon laquelle l'exercice du droit de
réponse ne peut empiéter sur les droits d'autrui. C'est pourquoi
par exemple, la jurisprudence a pu sans hésitation refuser la diffusion
d'une réponse reprochant à un tiers d'être un «
âne savant »477, ou accusant un journaliste d'avoir
écrit un « tissu de mensonges »478.
Enfin, s'agissant du critère de corrélation
entre la réponse et le message litigieux, il semblerait que
l'idée soit essentiellement de lutter contre les réponses
détournées en « tribunes libres » et
destinées à promouvoir ses propres théories479.
Un arrêt récent, rendu par la Cour d'appel de Douai, illustre
parfaitement cette volonté en rappelant que « la riposte doit
nécessairement présenter une corrélation avec la mise en
cause, et ne doit pas être détourné en tribune libre
permettant de promouvoir les thèses d'un parti politique ou d'une
personne investie d'une représentation à caractère
politique »480. S'il s'agissait ici
d'empêcher la publication d'une riposte érigée à des
fins politiques, nul doute que le critère vaut pour toutes les
réponses dénuées de lien avec le message litigieux,
quelques soient les idées promues.
204. Ce recours au critère de l'abus de droit aux fins
de justification du refus d'insertion de la réponse appelle
nécessairement une observation. En effet, il semblerait que le
critère permettant de qualifier d'abusif l'usage du droit de
réponse varie d'une jurisprudence à l'autre en fonction des
limites retenues par les juges.
Lorsque le refus d'insertion est fondé sur la limite
que constitue la sauvegarde de l'intérêt légitime d'un
tiers ou l'honneur du journaliste, l'abus semble clairement résider dans
la faute telle qu'envisagée dans les articles 1382 et 1383 du Code
civil. C'est parce
475 Jugeant que la réponse contenait des «
considérations heurtant l'ordre public » : CA Paris, 11 janv.
2008, n°07/11318.
476 Les droits subjectifs sont les prérogatives
reconnues aux sujets de droit par le droit objectif (donc, par les
règles de droit) et sanctionnés par lui. Ils se divisent entre
droits patrimoniaux et extrapatrimoniaux : T. Debard et S.
Guinchard, Lexique des termes juridiques, Dalloz, 19e
éd. 2012.
477 CA Paris, 29 mars 2006 :
Comm. com. électr.
2008, comm. 96, obs. A. Lepage.
478 Crim. 14 juin 1972 : Bull. crim. n°205.
479 J. Mazars, « La liberté d'expression, la
loi et le juge », in Rapp. C. Cass. 2001, La Documentation
française, 2002, p. 180.
480 CA Douai, 30 décembre 2011, n°11-07288 ; V.
dans le même sens, Crim. 14 oct. 2008 : Dr. Pénal, 2009,
comm. n°2, obs. M. Véron ; TGI Paris, 19 janv. 1994 :
Légipresse n°113-III, p. 98 ; CA Paris, 17 avr. 1996,
Légipresse n° 133-III, p. 91, obs. B. Ader ; CA Paris, 24
mai 1994 : D. 1995, somm. p. 271, obs. C. Bigot.
120
que l'usage du droit de réponse nuit à autrui
qu'il est constitutif d'un abus de droit. Donc, n'en déplaise aux doyens
Ripert et Josserand, c'est ici l'approche moderne de la théorie de
l'abus de droit qui permet de caractériser la faute dans l'exercice du
droit de réponse481.
En revanche, lorsque le refus d'insertion est fondé sur
l'absence de lien entre la réponse et le message litigieux, l'abus
semble ici résulter du fait que - conformément à la
théorie de Josserand482 - l'usage de la réponse soit
détourné de sa finalité sociale. En effet, rappelons que
la finalité du droit de réponse est de permettre à toute
personne nommée ou désignée, de répondre aux propos
ayant conduit à sa mise en cause483. Elle ne doit en aucun
cas être détournée de cette finalité et donc, ne
doit pas être perçue comme un outil permettant d'exprimer ses
propres idées auquel cas l'abus sera caractérisé.
Face à une liberté d'expression
quasi-hégémonique, le droit de réponse semble donc
constituer un subtil instrument de résistance et de prolongement des
droits de la personnalité484. Il n'est cependant pas sans
soulever certaines discordes. Considéré pour certains comme un
ingénieux contre-pouvoir de presse, il constitue pour d'autres une
intolérable entrave aux principes de liberté d'information et de
propriété des organes de presse485. Il nous semble que
le droit de réponse possède pourtant une vertu essentielle et
primordiale : il permet d'assurer le pluralisme. Pluralisme qui rappelons-le,
intègre le tryptique des valeurs fondamentales du
journalisme486 et participe pleinement au droit dont dispose tout un
chacun de se faire sa propre opinion sur l'information qu'il
reçoit487.
En définitive, comme nous avons pu l'évoquer en
début de chapitre et plus généralement tout au long de ce
mémoire, nous estimons que face aux difficultés - de
481 V. Supra n°69.
482 V. Supra n°68.
483 Un arrêt quelque peu isolé de 1968 avait
déjà très justement fait état de cette
finalité sociale dont été investi le droit de
réponse en rappelant que « si le droit de réponse est
général et absolu (É) encore faut-il que celui-ci soit
utile et s'exerce dans l'intérêt légitime d'une
défense à une mise en cause déterminée, ainsi que
dans le cadre de cette défense » (CA Paris, 29 mai 1968 :
JCP 1969, II, n°15705, note Blin).
438 C. Bigot, « Pouvoir d'appréciation du
directeur de publication et abus du droit de réponse »,
Dalloz, 1996, p. 462.
484 H. Blin, note ss. CA Paris, 29 mai 1968 : JCP
1969. II, n°15705 ; Ph. Bilger, note ss. TGI Paris, 12 févr.
1991 : Gaz. Pal. 1991, 1, jurisp. p. 229.
485 C. Bigot, ibid.
486 V. sur ce point : M-F. Bernier, « L'idéal
journalistique : comment des prescripteurs définissent le « bon
» message journalistique » in Les cahiers du journalisme
n°16, automne 2006.
487 Il n'est pas vain de rappeler que la liberté
d'opinion est consacrée au sein de l'article 19 de la Déclaration
universelle des droits de l'homme de 1948. Elle offre à tout individu la
liberté de penser comme il l'entend et de faire valoir ses opinions
contraires par quelque moyen d'expression que ce soit (J-J. Gandini, Les
droits de l'Homme, Anthologie, Librio, 1998, p. 120).
121
forme comme de fond - que connaissent les victimes d'abus de
la liberté d'expression pour obtenir réparation de leurs
préjudices, le droit de réponse apparaît, comme un sursaut
de justice et de démocratie.
122
Conclusion de la Partie II
Il apparaît donc dans cette seconde partie que la place
effectivement conférée à la responsabilité civile
de droit commun par les juges, bien que résiduelle, demeure, et ce,
quand bien même l'abus de la liberté d'expression poursuivi se
trouverait être attentatoire à la personne. Bien entendu, ce sont
principalement les textes spéciaux que constituent la loi du 29 juillet
1881 et les articles 9 et 9-1 du Code civil qui auront en pratique à
connaître de ce type d'abus. Mais la responsabilité pour faute,
conformément à la formule employée par Philippe le
Tourneau est là, « prête à l'emploi
»488, toujours disposée à remplir son
rôle de suppléante en cas d'inapplicabilité des textes
spéciaux. Il semble donc que l'on soit désormais bien loin de la
formule controversée de la jurisprudence du 27 septembre
2005489.
En outre, s'il est un domaine où la
responsabilité civile pour faute demeure reine sur son territoire, il
s'agit bien de celui des abus de la liberté d'expression mettant en
cause des intérêts patrimoniaux. On pourra toutefois s'interroger
sur la nature de la raison poussant le législateur à mieux
protéger les biens que les individus. Tout comme sur celle faisant de ce
que nous avons qualifié de « nouveaux droits de la
personnalité », des droits mieux protégés que les
« anciens droits de la personnalité » tombant essentiellement
sous le joug de la loi du 29 juillet 1881.
Toujours est-il que quel que soit le fondement légal
invoqué - qu'il s'agisse de l'article 1382 du Code civil, des articles 9
et 9-1, de la loi du 29 juillet 1881 ou de toute autre infraction prévue
dans le code pénal - il sera toujours possible d'agir en
responsabilité civile contre l'organe de presse auteur de l'abus de la
liberté d'expression. Seulement, les conditions de fond de mise en
oeuvre de la responsabilité civile et les contraintes
procédurales varieront, d'un fondement à l'autre.
On notera enfin que le développement croissant des
faits justificatifs spéciaux en matière de presse reste le
véritable ennemi des actions en responsabilité civile.
Chéris des responsables, ils sont le reflet d'une symptomatique
propension à l'hégémonie de la liberté d'expression
s'opérant au détriment des victimes d'abus de la liberté
d'expression. Face à cet océan d'impunité, la
réponse reste alors un moyen de conserver un semblant de justice.
488 Ph. le Tourneau, « La verdeur de la faute dans la
responsabilité civile », RTDciv., 1987, p 507.
489 En guise de rappel : « les abus de la liberté
d'expression envers les personnes ne peuvent être poursuivis sur le
fondement de l'article 1382 du Code civil » (Civ. 1e, 27
sept. 2005 préc.).
123
Conclusion Générale
Au fil de notre développement, nous avons pu
dégager certaines des questions les plus controversées que
connaît le droit de la presse. De la problématique de la justesse
des équilibres instaurés par le texte de 1881, à ses
rapports avec la clausula generalis et les articles 9 et 9-1 du Code
civil, en passant par les différentes circonstances à même
de justifier les abus de la liberté d'expression censés tomber
sous leur joug, ce droit apparaît comme une matière sensible, aux
tenants et aboutissants incertains.
La délicatesse des débats qu'il suscite puise sa
raison d'être dans la difficulté que constitue le travail
d'appréhension des limites de la liberté d'expression. Chacun
semble s'accorder sur la nécessité d'en dessiner les contours,
sans pour autant s'accommoder quant à leur tracé490.
Une tendance générale nous semble toutefois devoir être
mise en exergue. Face à la suprématie de la loi du 29 juillet
1881, la responsabilité civile perdure dans son rôle d'assesseur
du texte spécial luttant sans répit pour la défense d'un
idéal de presse libre et responsable. Son champ d'application,
déjà réduit par les véhémences
magnétiques des dispositions de la loi sur la liberté de la
presse, paraît s'effriter toujours d'avantage au profit d'une
liberté d'expression en constante expansion.
Bien entendu, il serait illusoire et présomptueux de
prétendre détenir les clés des différents
problèmes que suscite cette problématique tenant à la
place occupée par la responsabilité civile en matière de
presse. Mais il serait aussi tout à fait regrettable de n'avoir pu s'en
faire quelconque opinion. Il convient donc d'évoquer un certain nombre
de points nous semblant particulièrement importants et sur lesquels nous
estimons que les choses peuvent changer.
Tout d'abord, eu égard à la question des
rapports entretenus par l'article 1382 du Code civil avec la loi du 29 juillet
1881, il semblerait qu'existent quelques bonnes raisons d'imposer une
adaptation mesurée de la responsabilité pour faute lorsque
celle-ci a
490
|
Une affaire des plus récentes, l'affaire Mohamed Merah,
en fournit encore un exemple frappant. Elle témoigne de toute
l'actualité de cette question. En effet, la diffusion polémique
par la chaîne TF1 en juillet, d'extraits des négociations du Raid
avec le tueur au scooter, illustre parfaitement la difficulté et le
désaccord que suscite la question du tracé des frontières
entre « le permis et l'interdit » au nom de l'information et donc de
la liberté d'expression. Si TF1, se défendant de tout
sensationnalisme, défend l'argument du « droit d'informer »,
les avocats des victimes eux, estiment au contraire que cette information
outrepasse le droit à l'information et que sa diffusion est constitutive
de l'infraction de recel du secret de l'instruction. Affaire à
suivre...
|
124
vocation à intervenir en marge du texte
spécial491. En effet, lorsque les propos visés
relèvent de ce que nous avons pu qualifier d'« expression-opinion
»492, l'application de l'article 1382 du Code civil devrait
être restreinte aux seuls cas d'abus constitutifs de fautes
qualifiées493. Cela permettrait fondamentalement - «
tant la notion de faute se trouve être liée à la morale
» 494- de ne pas exposer la liberté d'expression,
et donc les médias, à la menace d'une résurrection du
délit civil d'opinion. Cette solution apparaît logique,
d'autant que nous l'avons vu, « l'expression-opinion » comporte par
nature une dimension nuisible souvent consubstantielle à son
épanouissement. Il apparaît par conséquent indispensable
que s'ensuive un rehaussement du seuil de la faute. Cela apaiserait d'ailleurs
très probablement les ardeurs de ceux redoutant que l'article 1382 du
Code civil ne soit transformé en un « cheval de Troie
» pour la défense d'un certain ordre moral495. De
plus, comme le souligne à juste titre le professeur Emmanuel Dreyer,
l'application de la responsabilité civile par nos juridictions
françaises n'a jamais valu à la France de condamnation par la
Cour européenne. On ne peut en dire autant pour la loi du 29 juillet
1881496. Dès lors, plutôt que de s'offusquer
inépuisablement en invoquant l'insatiable argument de « la menace
de l'article 1382 pour la liberté d'expression », peut-être
serait-il temps, tout simplement, de s'en remettre au bon sens et à la
sagesse de nos magistrats.
L'autre point sur lequel il convient d'insister et qui, nous
allons le voir, rejoint le développement précédent, est
celui relatif à l'efficacité de la protection assurée par
la loi sur la liberté de la presse. En effet, l'une des critiques
majeures formulée à son encontre a trait aux
intérêts dont elle assure la défense, qui ne seraient plus
nécessairement conformes aux revendications sociales d'aujourd'hui.
Certains auteurs vont même jusqu'à suggérer son abrogation
en envisageant de dépénaliser le droit de la
presse497. Récemment, le retentissant rapport de la
Commission Guinchard du 30 juin 2008498a même
officiellement
491 Sont ici visés, les cas d'atteintes envers les
personnes n'entrant pas dans le champ de la loi du 29 juillet 1881.
492 Par opposition à « l'expression-information
», pour laquelle nous proposons une application pleine et entière
de la responsabilité civile (V. Supra n°72).
493 On pourrait ainsi se référer par exemple, au
critère de l'intention de nuire pour caractériser l'abus, comme
l'aurait probablement souhaité le Doyen Ripert. Ou bien, ne retenir de
faute qu'en cas de négligence « manifeste » dans la
vérification de l'information, comme l'eurent proposé certains
juges dans les années quatre vingt-dix (V. Supra n°92).
494 N. Droin, Les limites à la liberté
d'expression dans la loi sur la presse du 29 juillet 1881, Disparition,
permanence et résurgence du délit d'opinion, LGDJ, 2011, p.
86.
495 N. Mallet- Poujol, « Abus de droit et liberté
de la presse », Légipresse n°143-II, p. 88.
496 E. Dreyer, Responsabilité civile et pénale
des médias, LexisNexis, 3e éd., 2011, p. 23.
497 V. E. Derieux, « Faut-il abroger la loi de 1881
?», Légipresse Spécial 30 ans, oct. 2009,
p.137.
498 S. Guinchard, Rapport sur la répartition des
contentieux, La Documentation française, juil. 2008.
125
suggéré une dépénalisation
partielle du contentieux de la presse. Il propose en effet une «
dépénalisation de la diffamation, à l'exception des
diffamations présentant un caractère discriminant ». Il
faut alors mesurer l'impact qu'impliquerait l'adoption d'une telle mesure. La
diffamation recouvre - avec l'injure - l'un des plus important volet du
contentieux de la presse499. Dépénaliser cette
infraction aurait donc pour conséquence de transmettre l'ensemble de ces
affaires devant les tribunaux civils. Ces derniers auraient alors à
statuer au regard des critères de la faute civile mais aussi et surtout,
en application des règles de procédure civile. Nul doute que sur
le fond comme sur la forme, les organes de presse seront exposés
à un risque supérieur de condamnation. La liberté de la
presse risquerait donc de s'en trouver fortement amputée. Certes, face
à l'évolution des moeurs et des supports de presse, il est
évident que la loi du 29 juillet 1881 a dû s'adapter pour ne pas
tomber en désuétude. C'est ce qu'elle a fait en faisant entrer
dans son champ répressif de nouvelles incriminations500. Et
lorsqu'elle fût dépassée par les événements,
outre l'article 1382 du Code civil, d'autres textes sont apparus en marge du
texte spécial pour répondre aux nouveaux types de
préjudices501. Mais le texte spécial demeure
là, prêt à réprimer les atteintes les plus graves,
et offrant cette garantie de précision et de prévisibilité
sans équivalent au civil. La dépénalisation apparaît
donc comme une fausse nécessité. Et si l'un des principaux
arguments avancé par ses tenants concerne essentiellement le
protectionnisme de la presse qu'assurerait les prétendues «
chausses-trappes » procédurales502, non seulement
un volet de notre développement peut nous permettre d'en
douter503, mais surtout, plutôt que de remettre tout
l'édifice en question, pourquoi ne pas tout simplement davantage
flexibiliser l'application des règles de procédures du texte
spécial devant les tribunaux civils comme ont pu commencer à le
faire certains juges depuis 2009. Une telle voie nous semble devoir être
explorée.
Enfin, le dernier point sur lequel le législateur
devrait probablement intervenir est celui tenant à l'instauration d'un
système de dommages et intérêts punitifs. En effet, nous
499 « Le contentieux de la loi sur la presse de 1881
en matière de diffamation et d'injure représente quelques 500
procès chaque année, en excluant les affaires où la
discrimination est en jeu » (J. Prorok, « La
dépénalisation de la diffamation bientôt débattue
», Le Figaro, 2 déc. 2008).
500 Par exemple, la Loi n° 2004-1486 du 30
décembre 2004 portant création de la haute autorité de
lutte contre les discriminations et pour l'égalité, a
ajouté au texte spécial de 1881 l'infraction de diffamation
à raison de l'orientation sexuelle ou de l'handicap.
501 C'est ce que nous avons vu avec les articles 9 et 9-1 du Code
civil.
502 Serge Guinchard ne manque pas de mettre en avant les
« pièges procéduraux », les «
chausse-trappes » procédurales de la loi du 29 juillet 1881 au
soutien de la dépénalisation (propos recueillis dans S. Seelow,
« dépénaliser la diffamation, du « sur mesure
» pour condamner la presse », Le Monde, 15 mai 2009).
503 V. Supra n°28.
l'avons vu504, la multiplication encore
récente des fautes lucratives commises sous la forme d'atteintes aux
droits de la personnalité peut légitimement nous faire douter de
l'actuel pouvoir normatif de la responsabilité civile en matière
de presse. Comment, par le strict maintien du système compensatoire, ne
pas inciter les organes de presse à perpétuer les atteintes
sachant que les condamnations encourues seront inférieures aux profits
tirés de leur comportement ? Comme le dit très justement
Clothilde Grare dans sa thèse, « le paradoxe du système
actuel est que là où la faute revêt une certaine
gravité et où donc la fonction normative de la
responsabilité devrait être mise en avant pour être
efficace, elle est complètement paralysée par la règle
d'évaluation de l'article 1382 È505. C'est tout
à fait vrai. La règle en question mesure le montant des dommages
et intérêts dûs par l'auteur de la faute lucrative au seul
préjudice subi par la victime. Elle ne prend donc pas en compte les
profits illicites tirés par ce dernier, ce qui serait pourtant le seul
véritable moyen de lutter contre ce type de comportements. Il
apparaît donc impératif de devoir durcir les sanctions
prononcées contre les auteurs en instaurant un mécanisme de
dommages et intérêts punitifs. Il s'agirait sûrement d'un
moyen efficace pour mettre un terme aux indiscrétions médiatiques
dommageables. Les activités de presse en ressortiraient probablement
plus saines, et les victimes, mieux protégées.
126
504 V. Supra nO57.
505 C. Grare, Recherches sur la cohérence de la
responsabilité délictuelle, thèse, Dalloz 2005, p.
89.
127
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· Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant
adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité
· Loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004
portant création de la haute autorité de lutte contre les
discriminations et pour l'égalité
· Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la
confiance dans l'économie numérique
· Loi n°2000-516 du 15 juin 2000 pour la
protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes
· Loi n°93-2 du 4 janvier 1993 portant
réforme de la procédure pénale
· Loi n° 86-897 du 1 août 1986 portant
réforme du régime juridique de la presse
· Loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la
communication audiovisuelle
· Loi n° 70-643 du 17 juillet 1970 tendant
à renforcer la garantie des droits individuels des citoyens
· Loi n°1881-07-29 du 29 juillet 1881 sur la
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·
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· Décret n°87-246 du 6 avril 1987
relatif à l'exercice du droit de réponse dans les services de
communication audiovisuelle
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http://www.charrierbournazel.com/categorie/combat-dun-batonnat
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http://www.philolog.fr/peut-on-rire-de-tout/
Index
(Les chiffres renvoient aux numéros de
paragraphes)
-A-
Abus de droit, 67 et s.
Acte introductif d'instance :
- irrévocabilité, 15.
- nullité, 14 et s., 28, 33.
Action civile, 11, 15, 18, 25 et s.,
163.
Apologie, 41.
Articulation des faits (plainte), 15,
34.
Association, 100, 129, 130.
-B-
Bonne foi :
- du journaliste, 72, 92, 112, 172. - fait justificatif, 173 et
s.
Bonne moeurs, 203.
-C-
Caricature, V. Parodie.
Cascade (responsabilité en), 42 et s.
Célébrité, V.
Notoriété.
Censure, 3, 89.
Citation directe, 14.
Civilement responsable, 48 et s.
Communication au public par voie électronique, 191,
201. Complaisance, 185.
Complicité, 44.
Concurrence déloyale, 58, 109.
Convention européenne des droits de l'Homme, 73, 75,
96, 139, 149. Création artistique, V.
Liberté de création artistique.
-D-
Décès, V. Mémoire des
morts. Délit d'opinion, 92.
137
Dénigrement :
- personnes, 109 et s.
- produits et services, 116 et s.
Diffamation :
- bonne foi, 173 et s.
- exception de vérité, 169 et s.
- mémoire des morts, 94 et s.
Dignité, 54, 98 et s., 187 et s.
Directeur de publication, 28, 43 et
s., 192, 196, 199, 201.
Dommages et intérêts :
- compensatoires, 54 et s.
- punitifs, 57 et s.
Droit à l'image, 153 et s., 186 et s.
Droit à l'information, 134, 136, 145,
155, 180, 185.
Droits de la personnalité :
- « anciens », 159.
- « nouveaux », 134, 160.
- patrimonialisation, 161.
Droit de propriété, 204.
Droit de réponse :
- abus, 202 et s.
- généralités, 192 et s.
- non-respect, 196 et s.
-E-
Éditeur, 44.
Élection de domicile, 14, 33, 34.
Exception de vérité, V. Diffamation.
Expression :
- « information », 72.
- « opinion », 72.
-F-
Faits justificatifs (responsabilité
civile), 102 et s.
Faute :
- légère, 90, 92, 115.
- qualifiée, 91, 133.
- responsabilité, 6, 60, 61 et s., 93.
- civile, 37 et s., 90, 98, 101, 130, 164.
- pénale, 37 et s.
-I-
Image des personnes, V. Droit à
l'image.
Imprimerie, 3.
Information :
- droit du public, 185 et s.
Injure :
- faits justificatifs, 168 et s.
-J-
Journaliste, 49, 52, 71, 72, 75, 83,
89, 92, 111, 126, 132, 144, 145, 148, 203.
Juge des référés, 162, 198.
Jurisprudence :
- infléchissements, 34 et s. - uniformisation, 29 et s.
-L-
Liberté de création artistique,
186. Liberté d'expression, 8, 19, 31, 38, 41, 60, 70 et
s., 89, 91, 92, 100, 101, 124, 126, 135, 139 et s., 163, 173, 182, 184 et s.,
188 et s.
Librairie, 3.
-M-
Mémoire des morts, 85, 94 et s.
Marques, 111 et s.
-N-
Nom des personnes, 158.
Notoriété, 185.
Nullité, 14 et s., 33 et s.
-O-
Ordre public, 4, 20, 80, 203.
138
OEuvres, 111 et s.
-P-
Parodie, V. Satire.
Patrimonialisation, V. Droits de la
personnalité.
Pluralisme, 204.
Polémique, 178 et s.
Prescription, 12, 17 et s.
Présomption d'innocence, 5, 136,
143 et s.
Presse en ligne, 46 et s.
Pressoir à encre, 2.
Privilège du roi, 3.
Provocation :
- infraction : 14, 41.
- excuse : 170 et s.
-Q-
Qualification :
- formalisme, 13 et s. - confusion, 145, 150.
-R-
Requalification, 27,
Réquisitoire introductif, 14.
Référé, V. Juge des
référés.
Responsabilité civile :
- conflit avec loi sur la presse, 62
et s.
- fonction complétive, 81 et s.
- fonction supplétive, 77, 128 et s.
- principes généraux, 54, 80.
Responsabilité en cascade, V.
Cascade.
Règles :
- de fond, 35 et s.
- de forme, 10 et s., 201 et s.
-S-
Satire, 181 et s.
Silence fautif, 114.
Specialia generalibus derogant, 7,
78, 115, 132, 148.
Suum cuique tribuere, 80.
139
Système juridique clos, 79 et s., 97,
127.
-U-
Université, 3.
-V-
Victimes :
- droit à réparation, 96 et s. Vie
privée, 137 et s.
Voix des personnes, 158.
Table des matières
(Les chiffres renvoient aux numéros de pages)
140
Remerciements 2
Liste des principales abréviations 3
Sommaire 5
Introduction 7
Première partie
La suprématie controversée de la loi du 29
juillet 1881 en matière de presse
Titre 1 : Les règles de forme et de fond
instaurées par le texte spécial 15
Chapitre 1 : Le particularisme procédural du
contentieux de la presse 15
Section 1 : Les subtilités processuelles de la loi de 1881
16
Paragraphe 1 : Une procédure au formalisme
méticuleux 16
A. Les exigences fondamentales des articles 50 et 53 du texte
spécial 16
B. La « cruciale » prescription trimestrielle 17
Paragraphe 2 : Le mouvement jurisprudentiel d'harmonisation
19
A. Une longue période de résistance 19
B. La contamination du procès civil de presse 20
Section 2 : Les conséquences tenant à l'action
civile en réparation 21
Paragraphe 1 : Un alignement procédural malvenu pour les
victimes 22
A. L'issue périlleuse des actions en
responsabilité 22
B. Une uniformisation divisant la doctrine 24 Paragraphe 2
: Les vicissitudes de l'alignement procédural, source d'incertitudes
25
A. Les problèmes d'incompatibilité 25
B. Les récents assouplissements de la jurisprudence
27
Chapitre 2 : Les règles de fond de mise en oeuvre
de la responsabilité 28
Section 1 : La nécessaire qualification pénale de
la faute commise 29
Paragraphe 1 : L'identité des fautes civile et
pénale de presse 29
A. Une finalité prophylactique 29
141
B. Les abus prévus et réprimés par le texte
spécial 30
Paragraphe 2 : Le système de responsabilité
pénale en cascade 32
A. Le mécanisme prévu par l'article 42 de la loi
de 1881 32
B. Les difficultés d'adaptation en matière de
presse en ligne 33
Section 2 : La détermination du civilement responsable
34
Paragraphe 1 : Le contenu de l'article 44 du texte spécial
34
Paragraphe 2 : La réparation du préjudice
causé 36
A. L'allocation classique de dommages et intérêts
compensatoires 36
B. Quid de l'instauration d'un système de dommages et
intérêts punitifs 37
Titre 2 : La perturbation des équilibres de la
loi du 29 juillet 1881 engendrée par
l'omniprésence de la responsabilité civile
de droit commun 40
Chapitre 1 : Le conflit opposant la loi sur la presse et
l'article 1382 du Code civil..40 Section 1 : Une communauté de
finalité : la sanction des abus de la liberté
d'expression 41
Paragraphe 1 : La justification du recours à la
responsabilité pour faute 41
A. La théorie de l'abus de droit comme fondement de la
responsabilité 42
B. La délicate conciliation du concept d'abus avec la
liberté d'expression 43
Paragraphe 2 : La validité normative de l'article 1382 du
Code civil 45
Section 2 : Une cohabitation délicate et houleuse
entretenue par la jurisprudence 48
Chapitre 2 : La résolution du conflit par
l'admission d'une fonction complétive de
l'article 1382 du Code civil 51
Section 1 : L'exigence de « faits distincts » d'une
infraction pénale de presse 52
Paragraphe 1 : Les arrêts du 12 juillet 2000 :
détail d'une jurisprudence clé 52
A. Primauté du texte spécial en présence de
faits pénalement qualifiables 52
B. Complémentarité de l'article 1382 en
présence de faits distincts d'un délit de
presse 54 Paragraphe 2 : La nature de la faute engageant la
responsabilité civile de son auteur
55
Section 2 : L'attraction exercée par le texte
spécial sur l'article 1382 du Code civil 57
Paragraphe 1 : Le cas particulier de l'atteinte envers la
mémoire des morts 58
Paragraphe 2 : La mise à l'écart consécutive
de droits fondamentaux 60
142
Conclusion de la Partie I 64
Deuxième partie
La place effective du droit commun de la
responsabilité civile en matière de
presse
Titre 1 : Un domaine résiduel face à
l'hégémonie de la loi du 29 juillet 1881 et les
autres dispositions spéciales 66
Chapitre 1 : Les abus de la liberté
d'expression entrant dans le champ de l'article
1382 du Code civil 66
Section 1 : Les abus mettant en cause un intérêt
patrimonial 67
Paragraphe 1 : Les conditions de mise en oeuvre de la
responsabilité pour faute 67
A. Deux principaux cas de figure 67
B. Typologie des fautes retenues par la jurisprudence 68
Paragraphe 2 : Dénigrement et diffamation : une
frontière précaire 71
Section 2 : Les abus mettant en cause un intérêt
extrapatrimonial 73
Paragraphe 1 : les enseignements de la jurisprudence du 27
septembre 2005 74
Paragraphe 2 : La résurrection de la responsabilité
pour faute 76
A. Le phénomène de «
démagnétisation » de la loi de 1881 77
B. Le singulier retour de la fonction substitutive de l'article
1382 78
Chapitre 2 : La protection civile autonome des «
nouveaux droits de la
personnalité » 80
Section 1 : Presse, droit au respect de la vie privée et
présomption d'innocence 81
Paragraphe 1 : Une protection assurée par les articles 9
et 9-1 du Code civil 81
A. La liberté d'expression face au butoir de la vie
privée 82
B. La présomption d'innocence, autre limite à
l'information 83 Paragraphe 2 : Les articles 9 et 9-1 dans leurs rapports
avec les textes concurrents 85
A. L'exclusivisme face à la responsabilité pour
faute 85
B. Le « magnétisme » de la loi du 29 juillet
1881 87
Section 2 : Le droit à l'image et les autres attributs de
la personnalité 88
Section 3 : La réparation des atteintes portées aux
droits la personnalité 91
143
Titre 2 : L'impuissance de la responsabilité
civile face à la prééminence de la liberté
d'expression 95
Chapitre 1 : La multiplication des faits justificatifs
spéciaux en matière de presse 95
Section 1 : Les faits justificatifs d'infractions prévus
par la loi du 29 juillet 1881 96
Paragraphe 1 : Un domaine limité à certaines
infractions 96
Paragraphe 2 : La création jurisprudentielle de nouveaux
faits justificatifs en
matière de diffamation 98 Section 2 : Les autres faits
justificatifs limitant la portée de la responsabilité civile 101
Paragraphe 1 : La polémique et l'humour, instruments de recul du seuil
de la faute
101
A. La polémique comme justificatif de la critique abusive
102
B. L'exutoire offert par l'expression satyrique 103
Paragraphe 2 : Les faits justificatifs d'atteintes aux droits de
la personnalité 105
A. Ceux justifiant des atteintes au droit à la vie
privée 105
B. Ceux justifiant des atteintes au droit à l'image
107
Chapitre 2 : Le droit de réponse, ultime garantie
face à la liberté d'expression 111
Section 1 : Le régime juridique disparate du droit de
réponse 112
Paragraphe 1 : La réponse confrontée à la
diversité des supports de presse 112
Paragraphe 2 : Les conséquences du non-respect du droit de
réponse 114
Section 2 : Les limites apportées au droit de
réponse 115
Paragraphe 1 : Les règles de forme encadrant la demande de
réponse 116
Paragraphe 2 : Les règles de fond encadrant la substance
de la réponse 118
Conclusion de la Partie II 122
Conclusion Générale 123
Bibliographie 127
Index 137
Table des matières 140
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